Larevolutionproletarienne n080

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1

I .
REVUE S YND ICA LISTE RÉ VOL UTI ONN AI RE

Pour que vivela légende


du 12 février 1934 ! par R. HAGNAUER

La crise viticole, en Beaujolais


par A.-V. JACQUET

La baisse des prix vue par un


Vieux syndicaliste par J. FONTAINE

Le laïcisme et le cléricalisme aux


prises dans le Proche-Orient
par R. LOUZON

Un message de sympathie au Cercle


Zimmerwald par MESSALI HADJ

23• année. - N° 381. - Nouvelle série no 80 FEVRIER 1954. - Prix 70 francs


LA RÉVOLUTION Sommaire du N° 80 · Février 1954
PROLÉTARIENNE Vingtième
légende
anniversaire : Pour que
du 12 février 1934 !
vive la
. R. HAGNAUER
Revue syndicaliste révolutionnaire Le Beaujolais t La crise viticole . A.-V. JACQUET
(mensuelle) Notes sur le Mur d'argent et la politique
déflationniste . A. D.
La baisse des prix vue par un vieux syn-
CONDITIONS D'ABONNEMENT dicaliste -. . . . . . . . . . . . . . . . . .
Réponse d'un ancien de l'usine à A!~drieux
. J. FONTAINE

FRANCE, ALGERIE, COLONIES et Lignon , . E.FLEUR:6:


BI.X mols . . . .. . . . . . . . . . . . . . . . . . 400 fr. Message de sympathie à l'assemblée géné-
On an .... : . . . . . . . . . . . . . . . . . . 700 fr. rale du Cercle Ztmrnerwald de Paris .. MESSALI HADJ
EXTERIEUR Au commissariat central de Casablanca.
SI.X mols . . . . . . . . . . .. . . . .. .. . 480 fr.
On an . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 850 fr. Parmi nos lettres
Autour de la productivité : Une lettre de·
Le numéro : 70 francs. Tortrat à R. H. avec réponse de ce der-
nier.
ADRESSER LA CORRESPONDANCE A propos du bilinguisme . . . . . . . . . . . . THERSANT
concernant la Réda:ction Bilinguisme, esperanto et anationalisme.: A. CAUBEL
et l'Administration à la
Notes d'économie et de nolitioue
Révolution prolétarienne Le laïcisme et le cléricalisme aux prises
14, rue de Tracy - PARIS (2•) dans Je Proche-Orient. - Bluff et Im-
productivité. - Autre bluff, autre cau-
Téléphone : CENtral 17-08 se d'improductivité ... . . . . . . . . . . . . . R. LOUZON

La renaissance du syndicalisme
PERMANENCE Dans les P.T.T. : La grève des bureaux-
Tous les soirs, de 18 à 19 heures gares. - Les grèves du Livre parisien . . G. MAUPIOUX
le ·samedi, de 17 à 111 heures Comment travailler efficacement pour une '--
Europe favorable aux salariés . . . . . . . . . . LE PROLO
PROVINCIAL
Petites. notes
UTILISER POUR LES ENVOIS
DE FONDS La vie des cercles
notre compte · chèques postaux Cercle Zimmerwald : Assemblée générale
du 17 Janvier.
Révolution prolétarienne 734·98 Paris
Entre nous

SVNDD<CALDSTE
La Ligue ·syndicaliste se propose
1) .De travailler à la renausance du syndicalisme pas, au contraire. L'expérience de ces trente der-
révolutionnaire en faisant prédominer dans les syn- nières années devrait avoir appris à· tous que l'ex-
dicats l'esprit de classe sur l'esprit de tendance, de propriation des expropriateurs ne suffit pas à as-
secte ou de parti, afin de réaliser le maximum d'ac- surer l'éma.ncipatiqn des travailleurs ; qu'il faut
tion contre le patronat et contre l'Etat ; d'unir les poursuivre en même temps) selon la formule de Pel-
militants de bonne volonté à quelque organisation loutier, « l'œuvre- d'éducation morale, administra-
· qu'ils appartiennent ; de leur rappeler que le syndi- tive et technique nécessaire pour rendre viable une
cat est le groupement essentiel de la classeouvrière société d'hommes libres » ;
et son meilleur outil pour la revendication et pour 5) De lutter contre le chauvinisme qui déferle jus-
la révolution ; que dans les diverses Confédérations et les diverses
2) De défendre i'ituiépetuiance du syndicalisme à Internationales syndicales. La place des travailleurs
l'égard du patronat et du gouvernement comme _à n'est ni derrière l'impérialisme américain nt der-
l'égard des partis. La charte d'Amiens vaut en 1952 rière l'impérialisme russe. Elle· est derrière une In-
comme en 1906. La théorie de ta direction unique . ternationale syndicale ne confondant pas plus son
du parti et des syndicats, c'est-à-dire du rôle dïri,. rôle avec celui du Kominform qu'avec celui du Bu-
geant du parti, conduit la C.G.T. à n'être qu'un reau international du Travail ou de l'Organisation
instrument entre les mains du parti s-talinien et des Nations Unies. Une Internationale qut appelle
par là de l'Etat policier totalitaire russe. La politi- avec plus de force qu'il y a cent ans les prolétaires
que de la présence sans mandat ni garanties rend de tous les pays à s'unir, qui n'attende pas le fra-
la C.G.T.-F.O. et la C.F.T.C. dépendantes du gou- cas de la troisième guerre mondiale pour renouve-
vernement et les fait participer à son impuissance ; ler le geste de Zimmerwald. Chaque effort donné
3) De rappeler que l'unité s'yndicale brisée aujour- à une institution gouvernementale est un effort volé
d'hui se refera le jour où les travailleurs auront re- au syndicalisme et à l'internationalisme proléta-
pris en main leurs organisations, mais qu'elle im- rien ;
plique une maison confédéra.le habitable pour tous 6) De rappeler sans relâche que le syndicalisme
les syndiqués, la démocratie syndicale étant respec- ne peut s'édifiei avec puissance que sur les triples
tée du haut en bas de la Confédération, les fonction- fondations de l'indépendance, de la lutte de clas-
naires syndicaux ne se considérant pas comme une ses et de l'internationalisme ; qu'il n'a pas le droit
bureaucratie omnipotente et ne regardant pas les rl.e trahir, le jour où il a grandi, les espérancesqu'il
syndiqués comme de simples contribuables ; avait fait briller aux temps de sa jeunesse ;
4) De participer à l'œuvre d'éducation syndicale 7) Enfin de ne pas permettre que soit confondu
en procédant à l'examen des problèmes pratiques le monde socialiste à forger avec le bagne policier
et théoriques posés devant le mouvement ouvrier, du soi-disant pays du socialisme ; de maintenir vi-
en préconisant la formation de Cercles d'études syn- vant le précepte de la Première Internationale :
dicalistes ; en démontrant, dans la pratique jour- l'émancipation des travailleurs ne sera l'œuvra que
nalière, qu'étudier et bien se battre ne s'excluent des travailleurs eux,"limes.
VINGTIEME ANNIVERSAIRE ...

- lCl légende
Pour que vive
du 12 février 1934 ...
On célébrera ce mois-ci Je vingtième anniver- timées ». Ce n'était pas la prermere fois que
saire de la journée du 12 février 1934. C'est une « l'épargne » jouait Je rôle de la grenouille qui
excellente initiative. Sans doute, peut-on dégager s'enfle si bien qu'elle en crève. Et le total des
un enseignement. profitable d'une expérience plei- pertes n'atteignait pas le centième de celui de
nement. réussie de grève générale. Mais l'histoire !'Affaire Panama, le millième de celui des em-
comme la médecine étudie les prodromes, les syn- prunts russes, était fort inférieur à ceux des
dromes et les séquelles d'une crise, ce qui l'avait krachs de l'entre deux guerres (Aéropostale,
précédée et provoquée - ce qui l'accompagna - B.N.C., etc.) (1).
ce qu'elle a laissé dernère elle. Sans doute deux ou trois parlementaires -
En vingt ans, on a vécu assez dangereusement avocats de gauche - avaient-ils prêté leur con-
pour que l'on ait oublié les périls et les émo- cours à l'escroc. Compromission banale et mépri-
tions de l'époque. sable. La responsabilité majeure incombait aux
Seulement si Je 12 février 1934 marque un gens de la police et de la magistrature - car
point de rupture dans l'évolution, un tournant le Stavisky possédait un casier judiciaire déjà
décisif, en remontant la pente nous comprendrons · chargé. Il parait établi aujourd'hui que des rap-
mieux les accidents de la route. ports accablants pour Stavisky ont été étouffés
On nous reprochera peut-être d'entretenir une à la préfecture de police, à la tête de laquelle
légende. Le mot ne nous heurte pas. Il n'y a pas se trouvait Je fameux Chiappe, que l'on a soup-
entre l'histoire et la légende l'opposition que cer- çonné d'avoir été en relations avec l'escroc, qui
tains voient. L'histoire éclaire au contraire l'as- n'a pu nier ses relations amicales avec de gros
cension des faits à leur simplification légendaire. « bookmakers » (2). Il est également établi que
La légende devrait recréer les sentiments com- Je conseiller Prince, chef de la Section financière
muns qui animaient les acteurs du drame. Elle du Parquet, a étouffé pendant six mois un rap-
dépend plus des obligations actuelles que des sou- port très précis sur Je sieur Stavisky.
venirs du passé. C'est-à-dire qu'il s'agit d'établir Il s'agissait donc d'orienter l'attention du pu-
la relation entre ces sentiments d'hier et ces blic sur les parlementaires et le gouvernement
obligations d'aujourd'hui. Il suffit pour les té- radical, afin d'éviter l'inculpation des vrais res-
moins de quelque mémoire et de beaucoup d'hon- ponsables. Opération policière d'autant plus fa.
nêteté. Nous n'avons pas à entretenir une légende cile que le préfet Chiappe - fidèle aux tradi-
faussée par les déformations de l'histoire. Nous tions de Fouché et de Mandel - « tenait par
avons à créer une légende qui entraîne une ses petits papiers bon nombre de personnalités
action ouvrière prolongeant celle du 12 février parisiennes ». Formé dans les premiers jours
1934. de février, le gouvernement Daladier usa de la
méthode la plus détestable, celle du limogeage
LE 6 FEVRIER 1934 par avancement : il voulut éloigner Chiappe de
Paris en lui offrant la sinécure dorée de rési-
La journée du 12 février 1934 fut une répli- dent général au Maroc: Refus hautain du bon-
que à celle du 6 février. Réplique essentiellement homme. Mobilisation des « honnêtes gens » sur
ouvrière à une tentative de caractère fasciste. la place de la Concorde, Je jour de la présen-
Ici une cohue sans âme, rassemblée par une tation du ministère à la Chambre. Si on ajoute
volonté secrète dont rien ne transparaissait dans à l'intrigue policière : la querelle des coteries
les mots d'ordre publics. Là, une classe parfai- politiques, les tendresses du Conseil municipal
tement consciente, dont la volonté claire s'ex- pour son préfectoral protecteur, la solidarité des
prima par l'action, celle du 12 février, celle de « gens bien pensants » à l'égard d'une magis-
juin 1936, alors que ses interprètes officiels se trature dont la « respectabilité » n'imposait plus
perdaient dans les méandres d'une pensée con- Je respect, le jeu trouble du parti communiste,
fuse. Le 6 février une tête dont « l'arrière-pen- peut-être la hâte d'étouffer les responsabilités de
sée » claire jouait de l'aveuglement des exécu- la Compagnie. de l'Est dans la terrible catas-
tants. Le 12 février, on sentait déjà chez les trophe de Lagny qui fit plus de cent victimes
exécutants plus de clairvoyance que chez les en décembre 1933... on expliquera facilement le
meneurs du jeu. coup du 6 février 1934. Deux suicides sensation-
Pour l'histoire anecdotique, le 6 février 1934 nels encadrent cette journée. Avant : celui de
fut une émeute fasciste : des bandes armées Stavisky... trop opportun, pour que la... « persua-
attaquant le Palais-Bourbon, repoussées par la sion » n'y ait joué un rôle - ; après : celui du
police et la garde mobile, en laissant une ving- conseiller Prince... trop inopportun et révéla-
taine de cadavres sur le pavé. La victoire « mi-
litaire » du gouvernement, assuré le même jour (1) Nous tirons la plupart de ces précisions de
d'une majorité parlementaire de gauche, aboutit !'Histoire de la 3• République, de Galtier-Boissière
au paradoxe de sa chute « extra-parlementaire ». ( « le Crapouillot »).
En réalité, l'agitation durait depuis deux mois. (2) M. Mittelhauser, chef du Service des Jeux
Elle fut provoquée par les escroqueries de Sacha que à la Sûreté générale a déclaré « qu'il ne croyait pas
M. Chiappe jouait ». L'amltié du préfet de Po-
Stavisky qui, « grâce à des complicités multiples, lice pour le bookmaker Zograph.os n'en était-elle pas
avait placé à l'escompte les bons du crédit mu- plus suspecte ? Rappelons que Chiappe fut tué en
nicipal de Bayonne, gagés sur des valeurs sures- avion de transport, sous l'occupation.
teur pour qu'on ne le maquille en crime de la gauche, profiler l'ombre de la Haute Cour sur
« Maffia ». Au gouvernement Daladier succéda les politiciens réticents ou défaillants, tels furent
le gouvernement d'Union nationale formé par les objectifs d'une action dont le but, comme
l'ancien président de la République Gaston Dou- en 1926, était la réalisation de l'Union Natio-
mergue - médiocre politicien et... « administra- nale.
teur de la Société du canal de Suez ». Pétain
y figurait, aux côtés d'Herriot et de Tardieu.
Mais jamais on n'osa réintégrer Chiappe dans UNE CARICATURE DE FASCISME
ses fonctions préfectorales. Et personne ne ré-
clama cette « réparation », premier objectif de Que le fascisme mussolinien et le national-so-
l'émeute du 6 février. cialisme allemand aient servi d'exemples et de
Quelles étaient les organisations participant di- modèles à quelques trublions français, ce n'est
rectement à la journée, il n'est pas mauvais de pas douteux. Mais il faut toujours se méfier des
le préciser (3). mots qui cachent les choses et entraînent à de
L'Action Française, avec ses troupes de choc : redoutables déviations.
700 à 800 camelots du Roy. 400 étudiants plus Le fascisme et l'hitlérisme sont des phénomènes
49 sections de mercenaires avec armes, casse- dont l'analyse révèle les causes réelles, souligne
têtes et matraques. les ressemblances et les dissemblances. En Italie,
Les Jeunesses Patriotes, dirigées par M. Tait- Mussolini avait rassemblé dès la fin de l'autre
tinger, qui possédaient aussi leurs troupes de guerre des « anciens combattants » déclassés, qui
choc « entraînées » militairement. avaient gardé comme seul patrimoine le souve-
La Solidarité française, fondée par le parfu- nir d'une institution où les contraintes assurent
meur Coty, avec 80.000 cotisants pour Paris et le pain quotidien - et d'aventures guerrières où
1.500 jeunes actifs portant uniforme. la fin justifie tous les moyens, toutes les vio-
Les Croix de Feu du fameux colonel de La lences et tous les crimes.
Rocque : organisation à forme militaire, compo- Hitler avait rassemblé en Allemagne - dès la
sée à l'origine d'anciens combattants décorés, fin de la grande période révolutionnaire - des
mais qui avait largement étendu son recrute- chômeurs permanents et des petits bourgeois
ment en s'élargissant en « regroupement natio- réduits au rang de lumpen-prolétariat (6). La
nal » comptant 130.000 adhérents en 1934, dont grande crise mondiale de 1929 - qui prit en·
35.000 Croix de Feu « authentiques ». Allemagne l'aspect d'une catastrophe sismique -
C'étaient là des phalanges disciplinées. Ce qui lui apporta en quelques semaines une masse
figurait la masse, la cohue, c'étaient les deux d'adhérents et d'électeurs.
organisations << neutres » : l'Union nationale des La prise du pouvoir, la formation d'un Etat
Anciens Combattants et la Fédération des Contri- totalitaire supposent encore la faiblesse ou l'af-
buables. faiblissement de la bourgeoisie dirigeante, la
Il est vrai que l'Action Française et les Jeu- carence de la classe ouvrière, l'absence d'un
nesses Patriotes avaient déjà manifesté, pend int corps de fonctionnaires attachés aux institutions
tout le mois de janvier, « contre les voleurs clu d'Etat plus qu'au gouvernement, la formation
Parlement et du gouvernement ». d'une classe d'intellectuels semblable à celle dont
Ce qui était nouveau le 6, c'étaient l'inter- sortit la bureaucratie stalinienne.
vention des puissantes associations neutres, la Tous ces éléments existaient en France, mais
présence de l'Association Républicaine des An- leur valeur numérique et politique était beau-
ciens Combattants - communiste de stricte obé- coup trop faible pour que leur concentration as-
dience - c'était aussi le déroulement des opé- sure la prise du pouvoir et la naissance d'un
rations, trop savant pour ne pas témoigner d'une Etat totalitaire.
préméditation stratégique. Chaque « phalange . ,i Il y a loin d'une masse de déclassés n'ayant
avait sa place. Il y eut un étrange synchrorusme plus rien à perdre à des associations de petits
des débats parlementaires et des premières ha- bourgeois apeurés et excités qui n'ont plus assez
garres, L'Union Nationale des Anciens Combat- à gagner.
tants rassemblée deux heures plus tard (sur la La dissociation des groupes dits fascistes s'opéra
terrasse des Tuileries, si mes souvenirs sont sous les coups de la classe ouvrière, des éléments
exacts) ne s'ébranla que lorsque les prenuers les plus actifs des classes moyennes. Pendant
coups de feu eurent couché les premières vic- l'occupation, malgré la protection des autorités
times. On ne pouvait espérer prendre le Palats- fîaziés, les rassemblements tentés autour de Déat,
Bourbon. Mais on comptait acculer ses défenseurs de Doriot et de Darnand, que le paternalisme
à la nécessité de tirer. réactionnaire de Pétain subissait sans s'y accro-
Les chefs « fascistes » espéraient-ils prendre cher, se heurtèrent à l'hostilité de l'immense
le· pouvoir ? Un triumvirat : Léon Daudet, Tait- majorité de la population et apparurent comme
tinger, La Rocque (4), aurait offert au monde de simples formations auxiliaires de l'armée d'oc-
un spectacle assez réjouissant. Chiappe fut pro- cupation.
bablement le metteur en scène, suffisamment payé
par l'oubli de ses turpitudes.
Les animateurs (5) de ces marionnettes étaient CRISE CYCLIQUE ET CRISE PERMANENTE
d'une autre taille dissocier la majorité de
Le 6 février fut peut-être le jour des velléités
(3) Ces renseignements ont été fournis par M. fascistes, mais il fut surtout un « moment »
Perrier, directeur de la Préfecture de Police, devant décisif de la crise ouverte en 1929 à la Bourse
la commission d'enquête parlementaire sur le 6 fé- de New-York.
vrier. Crise mondiale qui se doublait d'une crise
(4) Léon Daudet, mort sous l'occupation, traitait La
Rocque de « César de caoutchouc » et sa verve
s'exerçait aussi contre M. Taittinger qui fut « vi- ( 6) Prolétariat en guenilles. On tente de prou ver
cnvssots ». • aujourd'hui qu'Adenauer a recruté ses électeurs dans
(5) Parmi les commanditaires des groupes fascis- les mêmes couches sociales qu'Hitler ... C'est probable
tes, on rencontre quelques dirigeants des monopoles en effet. Seulement il y a une différence que d'au-
privés, qui, plus malins que les magnats allemands thentiques marxistes négligent : c'est la prospérité
de l'industrie lourde, surent se dégager après le coup qui les range derrière Adenauer, alors que c'était la
du 6 février. misère qui les alignait derrière Hitler.

2-34
française endémique dont nous ne sommes pas pendant la politique de déflation. Sur la base
sortis, bien au contraire. Le caractère réaction- 100 de 1914 - si I'Indice mondial tombait de
naire de l'économie française a été suffisamment 602 en 1929, à 458 en 1930, à 294 en 1934 -
mis en lumière pour qu'il ne soit pas utile d'in- l'indice français de 635 en 1929 descendait ·à.
sister. 591 en 1930 et à 407 en 1934 (8). Il est vrai
Des statistiques établies par un économiste qua- qu'il continuera à descendre en 1935 (374), tan-
lifié, il résulte que l'industrie et le commerce dis que l'indice mondial se relevait à 299. Ce qui
français absorbaient, en 1913, 81 % du total des veut dire que l'activité française diminuait en-
capitaux offerts sur le marché français, et seu- core, alors que l'activité mondiale augmentait
lement 21 % en 1932, 13 % en 1933 (le total des Mais malgré cette discordance, l'indice français
émissions qui avait atteint 138 milliards en 1920 restait supérieur à l'indice mondial, ce qui lais-
était tombé à 1.3 milliards en 1931 pour remon- sait une prime à la concurrence étrangère.
ter à 26 milliards en 1932 et à 21 milliards
en 1933). Les capitaux ne se portaient plus sur
des titres représentant des investissements nou- LES ECLAIRCISSEMENTS DU 12 FEVRIER
veaux, mais sur des titres anciens, sur des em-
prunts d'Etat ou s'évadaient par l'exportation Nous avons déjà évoqué dan~ la R.P. la journée
et la thésaurisation (7). du 12 février... non sans provoquer quelque irri-
La crise mondiale, en ralentissant fortement tation. Nous ne sommes pas surpris de l'insis-
l'activité économique, avait diminué dans les tance avec laquelle « historiens » , ?) et publi-
mêmes proportions les rentrées budgétaires, alors cistes s'emploient à minimiser l'action de la
que l'Etat supportait la charge d'une écrasante .C.G.T. Certains ironisent sur la valeur d'une
dette publique. Il fallait susciter un nouveau démonstration organisée avec l'autorisation, pour
« démarrage >>, provoquer la transformation d'un ne pas dire la complicité, du gouvernement. D'au-
outillage plus vieux que celui de tous les autres tres, plus dangereux, mêlent cette journée aux
pays industriels et favoriser des investissements premières manifestattons du Rassemblement po-
nouveaux. C'était s'opposer aux monopoles pri- pulaire, ou la joignent à la soirée communiste
vés, installés dans le secteur abrité, qui limi- du 9 février, ou encore mettent l'accent sur la
taient leur production à une consommation de démonstration spectaculaire de la place de la
plus en plus réduite - à la masse de petits Nation. Ce n'est pas le seul exemple du parti pris
commerçants et de petits exploitants agricoles des historiens (Mathiez et Dolléans restant d'ho-
qui ne survivaient déjà que par la protection norables exceptions) à négliger tout ce qui est
de l'Etat et les structures archaïques - à tous d'origine populaire, tout ce qui ne doit rien aux
les petits et gros créanciers de l'Etat et des idéologueset aux politiques. On parlera de la
entreprises dont le ralentissement économique loi Le Chapelier de 1791 comme d'une appli-
survalorisait les créances. cation du Iibérn.isme économique, sans noter les
On aurait tort d'oublier que le 6 février n'avait premières coalitions ouvrières qui provoquèrent
pas été précédé par la seule agitation réaction- cette intervention de la bourgeoisie constituante
naire, mais aussi par celle des fonctionnaires lut- (9). On insistera sur l'œuvre de Marx, sans allu-
tant depuis 1932 contre toute diminution des sion aux chartisme anglais - antérieur au Mani-
traitements. feste des Communistes - sans reconnaître que
Le Cartel des Gauches au pouvoir se dissociait la Première Internationale naquit d'une initia-
par la scission entre les éléments sociaux qui tive ouvrière.
le portaient - d'un côté les fonctionnaires et On insistera sur l'œuvre sociale du gouver-
agents des Services publics - de l'autre les nement ~um en 1936, sans la lier comme l'effet
classes moyennes conservatrices. Processus mar- à la cause aux occupations d'usines. On fera de
qué par les chutes des ministères Herriot, Paul- Roosevelt le créateur du C.I.O. américain, en
Boncour, Chautemps, Daladier, Chautemps... , par ignorant que de puissants mouvements. du pro-
la scission socialiste, mais aussi par des mani- létariat industriel avaient précédé le « New
festations de rues et des premiers essais d'action Deal ».
directe. Il faut dire que si le 12 février n'a pas pris
Le 6 février assura, en fin de compte, le succès une place éminente dans l'histoire syndicale, c'est
de la politique dite de déflation des traitements, que les responsables de la vieille C.G.T. devenus
des salaires et des prix. les associés des staliniens ont cédé sur ce point
L'Union Nationale ranimait la confiance des comme sur beaucoup d'autres à la démagogie
financiers, des créanciers et des épargnants. Et des colonisateurs en même temps qu'à leurs ré-
le grand patronat officialisait la baisse générale pugnances propres pour toute forme d'action
des salaires en obtenant une réduction équiva- directe. La direction de la C.G.T.-F.O.n'a même
lente des traitements publics. Les « nouveautés » pas tenté de tirer le bénéfice moral de la grève
fascistes aboutissaient ainsi à la victoire de la générale du 25 novembre 1949, qui ouvrit, qu'on
réaction sociale et politique, traditionnelle. Quant le venille ou non, une nouvelle période dans
aux résultats économiques, ils illustrent d'un la bataille des salaires. Aussi faut-il féliciter
exemple vivant nos objections à toute politique l'Union des Syndicats F.O. de la région pari-
de baisse des prix. Les produits nationaux fran- sienne de célébrer le 12 février dans le même
çais furent toujours plus chers que les produits esprit qu'elle avait tenté, il y a quatre ans, de
importés. Les prix mondiaux s'écroulèrent pen- ranimer le souvenir de Pelloutier.
dant la crise (ce qui prouve que la baisse des Nous n'avons guère parlé du livre d'André Del-
prix est bien un signe de régression et de mi- mas : A gauche de la barricade, paru en 1950.
sère), mais les prix français gardèrent leur avance
(8J Il s'agit évidemmentdes prix de gros. Nous
(7) Les renseignementssont tirés d'un « Essai » n'avons pas sous la main les indices des prix de dé-
de G. Bettelheim : « Où va l'Economiefrançaise », tail qui sans doute n'accusaient pas une baisse aussi
publié avec cinq autres « essais » en 1945. Une ob- sensible.
servation sur laquelle on n'a jamais insisté : c'est (9) C'est le 15 février 1791 que la Constituante a
que les dépenses de l'Etat entrent dans le circuit supprimé les corporations.Et sans doute la loi Le
économique,directement ou indirectement - c'est- Chapelier du 14 juin 1791 se référait-elle au même
à-dire que ce que les charges fiscales pompent à principe. Mais elle était une réponse directe aux
l'économie lui revient ordinairement par de multi- pétitions et coalitions ouvrières qu'elle Interdisait
ples canaux. formellementet explicitement.

3-35
C'est un tort, car il s'agit d'une chronique syn- 12 février 1934 que lors des grandes journées
dicale de l'avant-guerre, dont nous pouvons ga- de juin 1936.
rantir l'honnéteté. Les commentaires, d'ailleurs Un souvenir pour confirmer cette impression.
assez nuancés, de l'auteur soulignent les faits Celui de la soirée du 8 février qui réunit les
sans les déformer. On y trouvera particulière- représentants des syndicats parisiens dans la
ment une information précise sur les conditions grande salle de la Bourse du Travail. Nous en-
dans lesquelles la C.G.T. décida la grève géné- tendions en général dans les Comités de 'l'Union
rale du 12 février. un langage réticent, prudhommesque, qui affli-
Il est certain que les syndicalistes parisiens geait d'autant plus qu'il sortait des bouches de
en général n'avaient guère réagi avant le 7 fé- vieux combattants de l'époque héroïque. Quel
vrier. La bataille des fonctionnaires avait même changement ! Oh ! pas de phrases, pas de gran-
provoqué quelques remous dans certaines fédé- diloquence, les mots drus et sonores, la confiance
rations, comme celle des mineurs où l'on su- calme du travailleur qui retrousse ses manches :
bissait quelque peu l'influence des néo-socialistes Alors, on y va ...
(10). L'affaire Stavisky renforçait le mépris ins-
tinctif des ouvriers pour les combinards de la LA DECISION DE GREVE GENERALE
finance et de la politique. Au reste, les syndi-
cats ouvriers remués en 1931 par l'idée de l'unité La grève générale née d'une combine gouver-
· syndicale, végétaient et s'étiolaient rie jour en nementale ? L'idée en fut lancée le matin du
jour davantage. La C.G.T:U. soumise complète- 7 février, à la Commission exécutive de la C.G.T.,
ment au parti communiste avait vu disparaître par Savoie de l'Alimentation. Il est vrai que
toutes ses minorités, sauf une, localisée dans la l'on s'attendait à la résistance de Daladier, que
Fédération de l'Enseignement. Elle n'existait plus l'on voulut assurer immédiatement du concours
dans la plupart des entreprises de la région pa- de la C.G.T. pour une action antifasciste. Il
risienne. La vieille C.G.T. groupait une forte
était trop tard.
majorité dans les services publics, mais n'avait Le taureau de la Camargue avait cédé et dé-
guère de base solide dans l'industrie privée pari-
missionné.
sienne. _ A la réunion de l'après-midi, Jouhaux jugeait
Le chômage, pas assez lourd pour jeter dans la grève générale impossible et probablement
la rue la foule des sans-travail, était assez sen- vaine. L'idée en fut cependant reprise par Vigne
sible et menaçant pour développer la crainte, la (des Mineurs) et André Delmas (des Institu-
passivité et l'humilité. teurs) qui emportèrent sans grandes difficultés
On nous avait recommandé de garder nos l'adhésion de toute la Commission exécutive. Et
locaux dans la soirée du 6. Ma femme et moi Jouhaux reprit le comrnandement : « Vous l'avez
nous nous trouvâmes seuls avec deux camarades voulue cette grève. Il faut que cela marche. »
devant la Bourse du Travail déserte, dont le La grève générale fut donc bien décidée, alors
régisseur fermait les portes .. Nous n'avions plus que Daladier était démissionnaire et Doumergue
que la ressource de promener notre angoisse indé- pas encore appelé. Il y eut bien le· soir une
finissable sur les Grands Boulevards assez calmes, réunion à laquelle participèrent des représen-
où l'édition spéciale des journaux du soir dont tants de la C.G.T., du Parti socialiste, de la
la manchette portait les deux premiers cadavres Ligue des droits de l'homme. Il en sortit un
ne produisit qu'une curiosité à peine nerveuse. comité de coordination qui n'intervint guère, ni
Le mercredi 7, notre angoisse s'était comme avant ni après le 12 février. Le Rassemblement.
'définie en s'aggravant. Intuitivement, nous sen- populaire ne fut constitué officiellement que le
tions qu'il ne s'agissait plus du Parlement et 21 juin 1935. Le Comité des intellectuels anti-
des institutions démocratiques officielles. C'était fascistes, que présidèrent Rivet et Langevin, na-
dans la rue que le combat s'était livré. C'était quit le 5 mars 1934.
Paris tout entier que prétendaient représenter Faut-il s'attarder sur la journée du 9 février
les conseillers municipaux réactionnaires serrés que l'on veut arbitrairement joindre à celle du
autour de Chiappe. Cette rue que nous pensions 12 1 Les staliniens racontent l'histoire de 1934
avoir conquise, lorsque nous manifestions autour avec la même désinvolture que celle de 1940. Ils
de !'Hôtel de Ville contre la déflation. Ce Paris auraient tort de se gêner, puisqu'ils trouvent
qui, peur nous, se localisait de la République toujours des auditeurs complaisants. Ils seraient
à Ménilmontant, de Montparnasse à Grenelle les pionniers du Rassemblement populaire, comme
et à la porte d'Italie. Jamais nous ne fûmes six ans plus tard ceux de la Résistance.
dupes des promesses « sociales >l des « révolu- Cependant le 6 février leurs hommes se mê-
tionnaires nationaux »... avant la lettre. Le fas- laient aux bandes fascistes. Le 7, leur quotidien
cisme et l'hitlérisme présentaient à nos yeux les dénonçait « le gouvernement d'assassins et de
visages crispés et sombres des émigrés que nous fusilleurs », et la manchette : Paris ouvrier a
avions reçus et entendus dans le désarroi d'une riposté, aurait dû les disqualifier pour jamais
défaite incomprise. comme, plus tard, leur approbation du pacte
Les travailleurs parisiens éprouvaient de tels Hitler-Staline.
sentiments, plus une volonté résolue de prouver C'était contre le gouvernement Daladier qu'üs
aux petites brutes de la bourgeoisie décadente mobilisaient leurs troupes le 9, place de la Répu-
qu'ils n'étaient pas les maitres et qu'il n'y avait blique. Alors que l'on prêtait au nouveau gou-
pas besoin de la police pour les contraindre à vernement l'intention de proclamer « l'état de
la fuite. Aucune littérature ne peut exprimer, siège », un rassemblement dans les quartiers
aucune doctrine ne peut expliquer ce moment ouvriers, dont la répression devait réhabiliter la
de la psychologie collective où se confondent police aux yeux de . la bourgeoisie réactionnaire,
l'instinct de conservation et. la volonté de puis- prenait le caractère d'une véritable provocation.
sance. Quelque chose qui tient du mythe d'Her- Et les cadavres ouvriers, en nombre à peu près
cule, que nous avons retrouvé aussi bien le égal à celui des cadavres bourgeois du 6, réta-
blissaient l'équilibre. Bénéfice pour la police et
(10) La Fédération des Mineurs attendait du gou- la réaction. Bénéfice pour le parti communiste
vernement Daladier - renversé sur. la question des qui avait eu sa journée, comme le fascisme
fonctionnaires - le dépôt d'un projet de loi sur la
Caisse des Retraites. Déat et ses amis surent exciter avait eu la sienne, comme la C.G.T. allait av-: lr
la colère de ses dirigeants. la sienne. Au reste, on fut des deux côtés sin-

4-36
gulièrement discret sur les responsabilités <l-;:, chef qu'ils ont fait abattre, simplement par e
premiers coups de feu, échangés dans une brume que les communications avec le commandant ro
assez épaisse. Il reste une inconnue dans ce.~r, viétique ont été rétablies et qu'ils ont reçu de
affaire comme dans la mise en scène du 6 fé- nouveaux ordres.
vrier. Chiappe a probablement emporté dans la Staline qui, jusqu'en juillet 1934, espérait :fi.
tombe les secrets qui auraient facilité la solutior: neutralité d'Hitler, fut brusquement · alarmé par
de I'équatron. la conclusion du pacte germano-polonais. Et le
tournant « en épingle à cheveux » s'imposa à
tous. Quelques semaines avant la formation du
L'IMPOSTURE STALINIENNE Rassemblement populaire, Laval rapportait fiè-
rement de Moscou l'approbation de la défense
Il faut insister encore sur cette politique sta- nationale française formulée par Staline dont
linienne, puisque certains s'obstinent à ne pas les agents français se jetèrent dans les bras
comprendre, puisque déjà un Claude Bourdet, du Daladier voué au poteau en février 1934, et
qui flotte un peu dans des vêtements trop larges, allaient emboucher « le clairon de Déroulède » ...
voudrait jouer en 1954 le rôle que Langevin, jusqu'en septembre 1939.
Rivet, Victor Basch jouèrent vingt ans plus tôt. Que notre irritation contre les dupes volon-
Ainsi on n'a pas encore compris que depuis taires ou non de la Gauche indépendante et neu-
la victoire stalinienne, il n'y a pas d'autre poli- traliste ne fausse point notre jugement rétros-
tique communiste que celle imposée par les inté- pectif.
rêts de Moscou et les savants virages de· la « dia- Et 1934, il restait encore dans le parti com-
lectique » (?) stalinienne. muniste des survivants de la première équipe,
De 1928 à 1934, il fallait porter les nationa- dont l'obéissance passive n'était pas à toute
listes au pouvoir en France et en Allemagne, épreuve. Ceux-ci ont été entrainés dans le mou-
afin d'éviter l'accord franco-allemand. vement spontané populaire et ils ont peut-être
En ifl27, Staline laissait écraser les commu- gardé l'illusion d'avoir provoqué le tournant. Nous
nistes chinois, afin d'éviter la rupture économique entendons quelquefois les confidences de vieux
anglo-russe. camarades retrouvés qui nous avouent aujourd'hui
Mais en 1928, le tournant brusque détermine avoir lu clandestinement la « R.P. » qu'ils dé-
une offensive multiple contre « l'impérialisme nonçaient publiquement. Si! rendent-ils compte
anglo-Irançais ». C'est alors que le parti com- aujourd'hui qu'ils étaient pour Staline, en France
muniste adopte la tactique « classe contre classe », comme en Russie, des germes de corruption ?
maintient ses candidats contre les socialistes et Que n'ont-ils rejoint Doriot à l'époque ? Peut-
les radicaux de gauche et fait élire une chambre être l'auraient-ils suffisamment renforcé pour lui
poincariste. éviter une fin misérable, et auraient-ils suffisam-
Au cours des procès engagés en U.R.S.S., si ment affaibli la clique stalinienne pour que les
« les aveux » des accusés ne révèlent rien de tournants successifs n'agitent que misérable pous-
vrai sur eux-mêmes, ils nous éclairent sur les sière.
tendances du maître des juges et bourreaux. Or, Mais ces survivants ont disparu. L'appareil a
au procès du parti des industriels en 1930, les acquis une technique irrésistible. Marty est parti
aveux engagent la complicité de Poincaré et de presque seul, malgré son prestige. Plus d'audace
Briand, préparant une intervention militaire en ·1934 - ou en septembre 1939 - aurait peut-
franco-anglaise contre la Russie. être ·suffi pour détacher massivement, avant le
Au procès des mencheviks de mars 1931, ce tournant, ceux qui vacillaient secrètement. Mais
sont Blum et Vandervelde que les « aveux » profiter d'un tournant pour se rapprocher du
dénoncent comme provocateurs à la guerre contre Parti, c'était servir Staline hier, c'est servir Ma-
!'U.R.S.S. lenkov aujourd'hui, c'est favoriser la clique do-
Et en 1933, ce sont des ingénieurs anglais qui mestiquée qui persiste (car ce parti « jeune »
tiennent la vedette aux côtés de leurs collègues est le seul qui n'ait pas renouvelé sa tête depuis
russes. vingt ans). C'était déjà légèreté folle en 1934.
En 1937, les trotskystes deviendront des agents Ce serait aujourd'hui criminelle inconscience.
de l'impérialisme allemand. Trotsky ne fut-il pas
créature des Américains en 1940,. pour redevenir,
par delà la tombe, en 1941, un espion des nazis ... LE « FORMIDABLE " EFFET
Mais, en Allemagne, ceux-ci n'eurent pas de DES BRAS CROISES
meilleurs auxiliaires que les staliniens ... « patriotes
allemands », qui ne cessèrent pas de s'opposer Que l'on ne nous reproche pas de nous éloi-
violemment aux socialistes lors du flux hitlérien gner du sujet. Détacher le clair souvenir du
de 1930 à 1933, qui votèrent avec les nazis lors 12 février du brouillard obscur du 9 février, re-
du plébiscite prussien, qui organisèrent des grè- jette les staliniens hors de la commémoration.
ves, de concert avec les syndicats bruns. Nous n'entendons pas en proscrire les socia-
En février 1934, on restait sur la même ligne. listes. Quels que soient nos sentiments sur leurs
Les socialistes ayant protesté contre la fusil- leaders de l'époque,' nous reconnaissons que leur
lade du 9 février, Paul Vaillant-Couturier leur dignité au Parlement et dans le pays contrasta
répondait dans l'Humanité que les balles de la avec l'écroulement des démocrates bourgeois, avec
police sortaient des crédits votés par les socia- l'affolement de ces hauts fonctionnaires de la
listes. République sollicitant, le 7, l'intervention ouvrière
A-t-on oublié que la rébellion de Jacques Doriot pour retrouver d'ailleurs leur impassibilité dédai-
eut justement son origine dans le refus du parti gneuse le 10, lorsqu'ils furent assurés que D01,1-
de s'engager sur le front unique antifasciste ? mergue les maintiendrait en place.
que les propositions du maire de Saint-Denis ali- Ne peut-on reconnaître tout simplement que
mentèrent dans l'Humanité, après le 6 février, la grève générale fut ,l'événement décisif qui déter-
des articles hostiles de l'éternel Marcel Cachin ? mina toutes les autres résistances ? Car la grève
Les staliniens auraient changé de position, réussit au-delà des prévisions les plus optimistes.
parce qu'ils auraient constaté « l'étroitesse dès A Paris, arrêt presque total de toute activité :
leur base ». M. Sartre lui-même paraît moins pas d'autobus, pas de taxis, pas de journaux,
naïf, puisque ses « communistes » des « Mains 80 % des écoles fermées ou discrètement en-
sales » reprennent à leur compte la thèse du trouvertes, tous les volets des boutiques baissés

5-37
1) LR résistance au fascisme, la défense des
dans les quartiers populaires (pour déjeuner, il
!lOUS fallut passer dans . l'arrière-boutique d'un libertés fondamentales, qui groupa spontanément
restaurateur attendri par nos grognements d'af- les ouvriers, les petits et moyens fonctionnaires,
famés) ; toutes les industries, presque toutes les les éléments les plus libéraux de la paysannerie
administrations suspendues, les Postiers menés et des classes moyennes, et qui aboutit en 1935
par Mathé vidant les bureaux et isolant leur à la constitution du Rassemblement populaire
directeur départemental. et en 1936 à la victoire électorale des gauches.
Nous avons déjà observé que l'on s'est abusé sur
On met ordinairement l'accent sur le rassem- l'importance numérique de cette victoire. Au sein
blement de la place de la Nation dont la Fédé- de la masse électorale de gauche et d'extrême-
ration socialiste avait pris l'initiative et qui gauche, il y eut surtout déplacement de voix
groupa, paraît-il, 100.000 participants. Il est vrai petites-bourgeoises du parti radical au parti
que les communistes y avaient appelé leurs trou- communiste, les socialistes demeurant sur leurs
pes, et que l'on pouvait à bon escient craindre positions de 1932.
de nouvelles provocations. La fusion des deux 2) U11e nouvelle politique économique ayant
cortèges s'effectua par la poussée spontanée de pour objet de sortir la France de sa crise per-
la foule. Plus que de l'enthousiasme, m'ont dit manente, par une organisation du crédit, de
des témoins, une émotion profonde que les cris la production et des échanges. Ce fut le plan
ne traduisaient pas. de la C.G.T. dont le défaut essentiel reste à
Le spectacle d'une foule impressionne peut- nos yeux d'avoir été conçu dans des laboratoires
être davantage que le silence des rues et des de techniciens et imposé d'en haut, sans réelle
ateliers. Pourtant, nous n'avons pas regretté consultation de la base.
d'avoir manqué celui-là. C'est que nous avions Ce sont des gens sérieux qui le rédigeaient
bénéficié d'autres visions réconfortantes, au cours hier et le défendent encore aujourd'hui. Les plus
de notre tournée matinale. L'auto de Jacquemard sérieux : Lefranc et Laurat, s'empressèrent de
qui nous portait avec lui, Lavergne, Yvonne Ha- dégager leur responsabilité, quant aux applica-
gnauer et moi, pénétrait vers midi dans la zone de tions du planisme pendant et depuis la guerre.
Saint-Ouen. Nous suivions de l'avant - non sans Malheureusement, leurs arguments abstraits en
quelque inquiétude - son passage difficile au faveur du plan nous paraissent beaucoup plus
milieu de groupes qui ne s'écartaient guère, solides que leurs explications des échecs et mé-
lorsque des applaudissements éclatèrent derrière faits de « l'économie dirigée ».
nous. Yvonne maintenait contre la vitre arrière « C'est un gars... qu'a mal tourné ! », chan-
une feuille de papier sur laquelle elle avait écrit, tait le pauvre Gaston Couté. Savoir si ses pa-
en lettres hautes : « Syndicat des Instituteurs - rents n'y sont pas pour quelque chose.
Comité de grève ». 3) Une lutte syndicaliste orientée par la dé-
Décidément, on aura beau « repenser » lè fense des salaires et contre la politique de défla-
syndicalisme, 11 est des mots qui portent tou- tion. Ceux qui partaient sur cette lancée propo-
jours plus haut et plus loin que toutes les pen- saient une action dont ils fixaient le sens plus
sées. Peut-être n'est-il pas inutile de rappeler que le but final.
que c'était la première fois que le syndicat des Pour eux, c'était le moyen essentiel - et non
instituteurs lançait un mot d'ordre de grève to- exclusif - de la résistance au fascisme.
tale ? C'était aussi la possibilité d'aboutir à une
Ce n'était pas la première fois que les institu- « organisation ouvrière numériquement forte et
. teurs participaient à un rassemblement public. moralement solide » capable de poser aussi bien
C'était peut-être la première fois depuis 1920 le problème du pouvoir politique que celui de la
que l'on réussissait un rassemblement aussi dense gestion de la production.
dans une atmosphère d'unité totale.
Mais rassemblement de Paris et cortèges éga- L'unité syndicale en voie de réalisation dès
lement impressionnants des villes de province la fin de 1934 prenait une valeur différente selon
auraient-ils été possibles, sans l'ordre de grève les tendances.
générale? Pour les syndicalistes, elle s'imposait tout sim-
plement comme la nécessité de l'unité de classe.
LA CLASSE CONTRE LES COHUES Pour les « planistes », elle était subordonnée
à l'adoption du plan.
Il y aurait beaucoup à dire sur le succès de Pour les « démocrates avancés », elle n'était
la grève en province, sur la participation des que le corollaire ou l'accompagnement du Ras-
instituteurs ruraux - surtout sur la période qui semblement populaire.
va du 12 février 1934 aux élections de mai 1936. Nous avions évidemment choisi délibérément
Chronique que l'on écrirait assez facilement en la première tendance. Mais on voudra bien re-
utilisant la collection de la « R.P. ». connaitre que nous avons souvent soutenu la
Il est difficile de distinguer deux processus seconde par opposition à la troisième.
naturellement interdépendants : celui de l'unité Celle-ci, -en effet, nous apparaissait la plus
syndicale, celui du Rassemblement populaire. dangereuse, non pas par opposition systématique
Les deux sans nul doute furent facilités et au rassemblement, mais parce que nous sentions
accélérés par la spontanéité du mouvement po- le danger de lier une résistance négative à un
pulaire. Mais si le rassemblement l'emporte dans programme électoral et de subordonner à celui-ci
l'histoire... plus ou moins « politisée », c'est parce au nom de celle-là l'action propre de la classe
que la direction de la C.G.T. n'a pas voulu ou ouvrière. Et nous sentions aussi qu'à travers les
pu garder l'initiative. nuées généreuses et les aspirations vagues, la
Nous ne jugeons pas grâce au recul du temps. démagogie stalinienne avançait toutes voiles
On trouverait également dans la « R.P. » de dehors,
l'époque nos observations et objurgations. Et il Tout fut faussé par cette confusion et ce
s'agissait non pas de propos personnels, mais machiavélisme. Et l'unité syndicale heureusement
d'une attitude unanime du noyau de la « R.P. ». définie. réalisée et garantie au Congrès de Tou-
Si l'on tente une schématique synthèse, on peut louse de 1936, aboutit à la bolchevisation des
reconnaitre, de 1934 à 1936, trois tendances es- syndicats, par la vague électorale en bas et
sentielles l'usurpation des places dirigeantes en haut.

6-38
En célébrant le 12 février 1934, nous revenons pas « dans le coup », et que syndicalistes, socia-
au point de départ, . pour tenter de porter la listes, démocrates pouvaient se parler en connais-
« légende », c'est-à-dire l'âme de cette journée, sance de cause ; les mots traduisant exactement
par delà l'histoire de vingt ans lourde d'illusions leurs possibilités et leurs ambitions.
perdues, de pertes irréparables, de défaites tra- Claire, parce que la défense des libertés fon-
giques et de défaillances sordides. damentales suffisait à déterminer l'action ou-
Séverine - souvent plus clairvoyante, parce vrière.
que plus sensible que nombre de doctrinaires Pure, parce que tout dépendait de la voionté
et de politiques - disait un jour (elle. héritière _spontanée et de l'action directe de la classe
de l'insurgé Vallès) : que le prolatériat parisien ouvrière.
célèbre trop la Commune de 1871, où tout était Pure, parce que cette même classe ouvrière a
confus, et devrait célébrer juin 1848 où tout était choisi l'arme qui lui est propre, qui n'a pas
clair. perdu son efficacité, qui impose à chacun un
C'est· la même clarté, la même pureté que nous engagemênt et un sacrifice.
retrouvons dans la journée du 12 février 1934.
Claire, parce que les chefs staliniens n'étaient Roger HAGNAUER.

archaïque de l'économie française et les adminis-


trations parasitaires ?
Sans avoir 1a compétence de Dando, nous avons
tenu ici même sur le problème allemand des pro-
IL IE 1r 1r 1~ IE JJ pos qui s'accordent avec les siens. Et si nous avons
distingué entre la mission des fédérations d'indus-
trie, portant leur effort sur les entreprises tech-
niquement avancées, et celle des Unions départe-
Autour de la mentales se consacrant à la réadaptation des tra-
Une lettre du camarade Tor- vailleurs victimes de l'évolution technique - c'est
productivité trat à Roger Hagnauer : bien parce que nous sommes las de cette politique
Je suppose que c'est vous qui répondez à la lettre générale des salaires accrochée aux décisions gou-
que j'ai adressée au sujet de l'article de Dando. Je vernementales.
vous remercie de votre réponse, et veux bien l'ad- Seulement l'article de Dando devait fatalement
mettre, en un certain sens. hérisser les syndicalistes qui ont parfaitement le
droit de craindre cette « technocratie » qü'i! pare
Je n'ai pas la prétention de discuter de tactique de beaucoup de vertus, sans indiquer suffisam-
d'action ouvrière, et il n'est pas dans mon esprit ment le danger qu'elle représente.
d'opposer (ou d'accorder la priorité) une œuvre de Quant à nous, des expériences vécues - et non
réorganisation à l'intérieur d'une entreprise à la l'idéologie - nous ont renseignés sur les insuffi-
revendication ouvrière ; je souhaiterais cependant sances d'une technique ordinairement spécialisée.
qu'on puisse parler de ces questions sans se voir Nous savons aussi que la formation d'une caste de
soupçonner dé mauvaises intentions, et veux bien techniciens consolide et développe des privilèges
vous laisser juge de l'opportunité de tels débats.. - et que les privilèges de caste imposent la con-
Je sais bien que si les ouvriers ne participent pas servation de l'état de choses, donc s'opposent au
(ou presque) à l'organisation et la direction du tra- progrès technique et social.
vail, la faute ne leur en incombe guère, et que ces Dando nous annonce une « révolution » réalisée
questions se réqlertiietü d'elles-mêmes s'ils en par ces hommes de pensée et d'action que sont les
avaient la responsabilité. Mais quand nous voyons techniciens. Notre ami est jeune. C'est un privi-
les revendications piétiner sous des gouvernements lège. Il n'est pas obligé de savoir comme nous que
réactionnaires, on souhaite des améliorations d'or- cette révolution nous a été annoncée depuis fort
dre technique, plus faciles, peut-être à réaliser, et longtemps, que dans notre pays et dans quelques
sans préjuger de toute autre action syndicale et ou- autres, des « techniciens » se sont trouvés placés
vrière. aux postes de commande, avec une autorité pres-
Est-il bien vrai que des forces syndicales plµs que incontestée. Les résultats futent assez mé-
puissantes soient seules cause aux Etats-Unis d'une diocres.
meilleure organisation de la production et de son Et les techniciens, en U.R.S.S. par exemple,
· haut rendement (abstraction faite, bien entendu, comptent parmi les plus fidèles soutiens du régime
des différences de richesses naturelles) ? Je crois On sait à quelles aberrations leur technique a
que syndicats et ouvriers n'y dédaignent pas s'oc- abouti.
cuper d'améliorer la « productivité », sans avoir Ici on ne leur reprocherait pas leur aptitude à
pour cela mauvaise conscience ; sans doute les commander - mais plutôt leur facilité à obéir.
conditions sont-elles bien différentes en France. L'exemple américain est beaucoup plus com-
N'est-il pas regrettable de voir eriumâre par les plexe. Je ne puis que répéter ce que j'ai vu et en-
partis politiques des améliorations par_tielles (loca- tendu aux Etats-Unis en 1950, ce que m'ont dit
les) comme risquant de diviser un peu plus la clas- et répété nos amis américains, avant et après. La
se ouvrière ? revendication ouvrière a bien précédé et provoqué
Excusez mon ignorance (?) mais il n'est jamais les transformations techniques. C'est la revendica-
mauvais, me semble-t-il, de remettre certaines cho- tion ouvrière qui a bousculé le système Taylor et
ses en question, et il est heureux que la R.P. puisse humanisé la chaîne... œuvres de techniciens. C'est
s'ouvrir à des penséesdiverses (et de bonne foi!), encore la revendication ouvrière qui a poussé John
Lewis à présenter son projet de réorganisation des
REPONSE DER. HAGNAUER mines.
Certes, un débat sur le problème soulevé par no- Ce ne sont pas là « des vues de l'esprit » mais
tre camarade Tortrat ne serait nullement déplacé des constatations historiques. Là où le mouvement
dans la R.P. Mais est-il utile de préciser que nous ouvrier est libre et vivant, il y a progrès techni-
ne songeons nullement à défendre l'organisation que et progrès social. Là où le mouvement ouvrier

7-39
est insuffisant ou annihilé, il y a stagnation ou Par ailleurs, la thèse a été soutenue en Allema-
régression sociale, et un progrès technique mal . gne que si les Russes ont préconisé que ce soit le
équilibré qui provoque de monstrueuses anoma- texte anqlais qui serve de référence dans l'applica-
lies. tion des accords de Potsdam, c'est· parce que leurs
Cela ne signifie pas que les techniciens n'ont conseillers liruruisies leur ont indiqué tout l'avan-
pas un grand rôle à jouer, que les techniciens syn- tage à tirer de. l'imprécision même, idiomatique, de
dioalistes ne peuvent être de précieux auxiliaires la langue. (Je pourrais, le cas échéant, retrouver la
du syndicalisme ouvrier. ·source de cette thèse.) C'est à retenir.
Cela ne veut pas dire que nous nous résignons Mais je veux examiner les deux arguments ma-
à l'apathie intellectuelle du syndicalisme actuel. jeurs de la thèse de Lauzon, car ils risquent de
Notre petite R.P. (qui n'est pas une chapelle) a créer bien des équivoques dans l'esprit de ceux qui
fait de son mieux pour « secouer le dormeur ». E ne sont point habitués à ces problèmes : l'histoire et
si discutable qu'il soit, l'article de Dando a le mé- l'analytisme.
rite de nous contraindre à un sérieux examen de Selon le premier, l'anglais, langue des peuples
conscience. conquérants, deviendra, ainsi que l'histoire le prou-
Mais avant de confier·aux technocrates la char- ve, la langue des peuples conquis.
ge de notre -avenir, il faudrait répondre à cette
question : A chaque période ascendante, les « pion- Ce n'est pas tout à fait exact et tout le monde
niers » furent-ils le plus souvent des « techni- connait les conflits qui règnent entre les états-
ciens » ou des travailleurs dont la science est née majors anglais et américain au sujet de la langue
de l'action ? - R. H. qui doit être employée, sovt l'anglais « anglais »,
soit l'un des treize anglais « américains ». (Avez-
vous déjà lu du français « canadien » ? C'est im-
Nous avons reçu de Ther- possible.) On n'ignore pas non plus que les profes-
A propos du
saht l'intéressante lettre que seurs anglais demandent que les enfants ne voient
« bilinguisme » voici pas les films parlant américain, ceci afin qu'ils
n'acquièrent point l'anglais « d'Hollywood ».
Dans la R.P. de janvier, Lauzon a traité un des
problèmes que pour ma part j'estime comme abso- On sait aussi que 1es Egyptiens pratiquent le
lument complémentaire de l'activité spécifiquement français, ne serait-ce que pour emmerder les « en-
syndicaliste et internationaliste du militant ouvrier: çtiches ». Que les Hindous s'efforcent d'imposer à
celui d'une langue commune. leurs peuples l' « hindi ».
Les « occurrences » de ma vie militante ont fait Mai·s en se basant sur cette thèse de l'histoire,
que j'ai participé depuis 1935 jusqu'en 1951 à tous rien ne prouve . que les conditions ne seront pas
les congrès ou plenums de l'Association Interna- telles dans cinquante ans que ce pourrait être le
tionale des Travailleurs (A.I.T.), et j'ai pu, là, russe qui soit la langue seconde, ou le chinois. La
constater le ridicule de cette trentaine de délégués première essentiellement agglutinante, la seconde
militants, ne se renouvelant que très partiellement, plus analytique encore que l'anglais.
qui se réunissant selon une périodicité assez fré- Pour ma part, je tiens que l'argument de l'his-
quente se trouvait liée, pour discuter de problèmes toire trouve sa limite en cc sens qu'actuellement
qui lui étaient connus, à la présence de traduc- les données techniques de l'unité du monde sont
teurs, quelquefois professionnels, souvent étrangers quasi réalisées et que peut-être plus que l'argument
aux raisons qui réunissaient ces hommes, lesquels de la force armée, c'est celui du langage technique
n'étaient pas toujours certains d'avoir des traduc- immédiatement international (robot est tchèque.. ,
tions exactes... et international) qui est vrai. Là, chaque culture
Certains d'entre eux « possédaient » une ou deux apporte son appoint, lequel est maintenant vulga-
langues étrangères, généralement parentes de leur ri!sé immédiatement dans toutes les langues : re-
langue maternelle. Par exemple, les Anglais sa- gardez : rockett (roquetta, roquette, rochetto). Si
vaient l'allemand ; les Allemands, l'anglais ; les un mot technique naît en Russie, ce mot est immé-
Suédois ou les autres Scandinaves, l'allemand ; les diatement adopté tel quel partout.
Espagnols et les Italiens, le français ; les Arabes, Cela nous mène tout droit à constater AUSSI
soit l'anglais, soit le français ; les Français, l'espa- que 85 à 90 % des mots techniques nouveaux sont
gnol ou l'anglais, etc. Beaucoup - plus de la moi- construits avec des thèmes (radicaux ou affixaux)
tié - n'avaient que leur langue maternelle. tirés du latin et du grec ancien. Cette tendance ne
Autre constatation, amusante celle-là : c'étaient diminue point, au contraire. C'est une des raisons
les monoglottes qui faisaient le moins d'erreurs ; pour lesquelles l'enseurnement:du latin a été 'rétabli
sans doute parce qu'ils attendaient les traductions en Russie. C'est le Suédois Linné qui a conservé le
de professionnels. latin comme langue de la science en le proposant
Une autre : bien qu'il y eût une majorité et en le faisant adopter comme langue de la no-
êf: « anglicisants », c'était finalement le français qui menclature botanique, zoologique et entomologique,
jouait le rôle de langue de travail... et cela prend ce qui entraîne sa connaissance au moins élémen-
de la valeur si l'on tient compte du fait que ce taire par tous ceux qui touchent à la médecine, à
n'étaiJt pas en raison d'une décision mais d'un la biologie, à la chimie, etc.
aboutissement « naturel », si j'ose dire. Je n'ex- Je considère donc que l'argument historique était
plique pas, j'expose ce que j'ai vu. encore valable dans l'hier immédiat ; aujourd'hui,
C'est en m'appuyant sur cette expérience assez il est dépassé. Enfin, il n'offre aucun argument
longue que j'ai bien été amusé lorsque j'ai vu naître durablement valable en faveur de l'anglais : il suf-
le mouvement du bilinguisme. firait que demain le nouveau peuple « national »
Mais de ce qui précède, Louzon doit déjà pres- d'Israël possède douze savants qui donnent à leur
sentir que c'est pour me déclarer en désaccord avec peuple, au travers d'une découverte à côté de la-
la solution qu'il préconise : l'anglai'S comme langue quelle celle de la fission nucléaire ne serait que de
seconde. la petite bière, une puissance telle que ses dir~
J'ai un mien ami, Açuiré, qui était professeur geants pourraïent imposer leur volonté au reste du
d'anglai,s, traducteur professionnel dans cette lan- monde pour que t'héoreu, langue aussi agglutinan-
gue et qui déconseillait formellement une telle so- te, devienne la langue seconâe.
lution car lui estimait que bien que cela lui per- Et j'en arrive au second argument, celui de l'ana-
mît de gagner sa vie, il lui restait toujours à lytisme.
apprendre « l'anglais ». Sur ce point, je partage en grande partie l'opinion

8-40
de Lotizon, Mais malgré ceia je ne veux point per- ·Mais je ne crois pas que la solution réside dans
dre de vue les considérations suivantes. l'adoption d'une des langues de civfüsations natio-
Les découvertes des linguistes concernant la ten- nales. Qu'on le veuille ou non, l'équilibre est rom-
dance naturelle des langues à l'analytisme sont pu entre ceux dont elle est la langue maternelle et
relativement récentes. Mais elles s'étendent sur ceux à qui elle est eh fait étrangère - dans le sens
cette portion des langues anciennes qui par évolu- absolu du terme. Il faut que la langue commune
tion naturelle ont abouti aux langues modernes. soit immédiatement - ou le plus immédiatement
Mais y a-t-il, actuellement, continuation de ce possible - ·assimilable par des gens porteurs de
processus évolutif ? cultures différentes ; elle doit donc être par rap-
Les linguistes partent ties -lanque» anciennes et port à celles-ci le plus neutre possible, ou encore
ils constatent que les langues écrites d'abord par ne refléter par raoport à celles-ci que ce que celles-
textes entiers, puis par phrases, puis par mots, puis ci ont d'elles-mêmes emprunté au vocabulaire déjà
avec des particules ont évolué vers l'analytisme. commun eu égard à certains centres d'intérêt de
Mais ils constatent en même temps que les élé- l'activité humaine en raison de l'universalisation
ments parlants, l'immense maiorüë des peuples, ne déjà acquise en ces domaines. Par exemple, nul
connaissaient pas l'écriture, mais que c'était cette n'ignore que le vocabulaire des techniques de la
immense majorité qui fabriquait les langues et que marine est basé sur l'anglais et le hollandais ; que
les détenteurs de la langue écrite étaient toujours l'italien fournit le vocabulaire de la musique ; que
en retard de plusieurs décades (ou même siècles) l'allemand a créé les vocables dont usent les phi-
sur la véritable langue d'un peuple donné. losophes ; que le français nous fai:t Ze « grand
Or il se trouve que maintenant ce décalage s'est honneur » d'avoir procuré au monde le langage de
quasv estompé du fait que la langue écrite est de- la guerre, mais aussi celui de la civilité ; aux Ara-
venue la propriété de tous les éléments parlants et bes, nous avons emprunté les termes de l'arithmé-
que si un nouveau terme naît il devient la pro- tique et de l'astrologie, etc.
priété des éléments parlants plus par la voie du Encore une fois, chaque culture apporte son écot
graphisme que par celle de l'audition. ou, si l'on veut admettre la réversibilité de l'argu-
Si l'audition est un moyen d'acquisition infidèle ment, dans la future langue commune chaque cul-
(les accents toniques l'emportant sur. les syllabes ture aura la place qu'elle y aura méritée.
atones), le graphisme, lui, est au contraire extrê- D'ailleurs personne ne discute de l'emploi des
mement fidèle - et mème conservateur - (les chiffres arabes. Combien savent qu'ils sont « ara-
gens prononcent foutebaul, mais écrivent football). bes » ? Quand un mot a pénétré le vocabulaire des
Il s'ensuit que depuis la répansion de l'instruction autres tanoues, il s'est dénationalisé, neutralisé par
publique gratuite et obligatoire, les langues ainsi rapport à son oriqine et nous emotouons le plus
enseianées et possédéestelles quelles par leurs élé- simplement du monde des mots corrmie chocolat,
ments parlants ont cessé d'évoluer dans leur struc- tabac, caoutchouc, alcool, tabou, café qui sont amé-
ture. Le vocabulaire évolue par enrichissement, ricains, arabes ou polynésiens.
maie ce vocabulaire fonctionne avec des éléments Pour les mots modernes, l'universalisation est, je
stabilisés par le graphisme enseigné. Ce n'est d'ail- le répète, quasi immédiate.
leurs pas à regretter, car cela nous permet de goi/,- Vu d'un autre anale, je pense que les langues au-
ter encore certains auteurs, ce que nous ne pour- xiliaires artificielles, créées par des idéalistes, au-
rions taire autrement, sauf intervention d'un pro- ront été positives en ce sens qu'elles auront démon-
/essionnel - voir Rabelais en « moderne ». (Ra- tré. ce qu'il faut éviter de faire.
belais ! un des « créateurs » du français !) . Donc, ni langue artificielle ni langue nationale !
L'anglais est à ce sujet soumis aux mêmes con- Doit-on, alors, attendre la fusion ou l'interpéné-
ditions que les autres langues et l'angl(J,is que nous tration des grandes langues de civilisation ? Non,
connaissons est stabilisé comme l'est le français. ce serait trop Zon9 et c'est maintenant que nous
J'ajoute que surtout en Angleterre, il faut parler avons besoin de cet outil commun.
un anglais « conservé ». Là encore, je pense que la solution est intermé-
Mais la question de l'analytisme dépasse la lan- diaire : autant dire qu'elle consiste à admettre
gue anglaise, car les linguistes ont fait ces der- comme vocabulaire les mots déjà communs aux
nières années la constatation que la science n'utili- grandes langues de civilisation qui ont la faculté
. sait pas une langue tendant à l'analytisme, mais de pénétrer les langues nationales et comme base
qu'au contraire les mots scientifiques sont de plus de fonctionnement une grammaire élémentaire (il
en plus agglutinants. Prenez le vocabulaire de la n'existe de grammaire commune que celle basée sur
chimie, celui de la pharmacie, de la médecine, etc. les langues dérivées du latin) pouvant permettre
La nécessite de. la précisio;-'..oblige à ce qu'aucun tant l'analytisme que le synthétisme.
élément constitutif ne soit éliminé et cela s'oppose Je considère que cette solution dépasse, en rai-
à l'analytisme antérieur. son de ses principes, les possibilités d'hommes idéa-
Je crois donc qu'une stabilisation s'effectuera sur listes, remplis de bonne volonté, mais ne possédant
un vocabulaire divisé en deux parties : une partie pas l'acquis nécessaire pour y atteindre. ·
semi-analytique concernant les vocables s'appli- L'exemple le plus frappant est celui de Zamen-
quant aux faits et gestes de la vie de tous les jours hof qui pourtant eut l'intuition de la nécessité
et une partie pro-agglutinante employée par les d'une solution non artificielle du problème, mais
hommes de science. qui, ne possédant pas les qualités requises, fut
Je pense donc que les deux arguments employés amené pour résoudre certaines difficultés phonéti-
pour prôner l'adoption de l'anglais sont des argu- ques à inventer des lettres qui n'existent pas dans
ments qui datent. Hier, il a pu apparaître qu'ils les imprimeries et dont l'introduction exigerait jus-
étaient le nec plus ultra tournipar la linguistique ; qu'à la transformation du mobilier technique de
mai's la linguistique est une science trop jeune pour celles-ci et, en même temps, à supprimer des lettres
pouvoir fournir des. éléments définitifs à ce sujet. existantes ; ce qui a abouti à cette contradiction
Est-ce à dire que nous devons renoncer à une que: l'Organisation Internationale de Standardisa-
langue commune ? Non, ie ne le crois pas. Je pense tion ayant adopté des symboles admis maintenant
au contraire que cela est plus nécessaire que ja- dans =toue les pays, la langue de Zamenhof, reepe-
mais. Je le pense parce que je suis un militant ou- ranto, ne peut pas les écrire !
vrier et qu'au cours de ma vie de militant j'ai pu Je pense qu'actuellement on ne peut pas ne pas
constater de visu la hauteur de l'obstacle que repré- constater le varallélisme des proiet» nouveaux et
sente la barrière des langues. leur conoerqence constante, ce:-qui m'autorise à dire

9-41
Ainsi qu'on le voit, pas d'accent et moins de
que sitôt dépassé le stade de l'ido (l'enfant de l'es-
peranto), à partir du novial et de l'occidenta'i, flexions qu'en anglais...
tous les projets ne sont plus qu'un aspect parti- Puis-je, pour en terminer, dire que bien que ma
culier d'une même langue et sont absolument en- profession m'oblige à avaler de l'anglais, je ne puis
tendus par les pratiquants de l'un ou l'autre sys- digérer cette langue ? Et j'ai constaté souvent le
même phénomène. Croyez bien, cependant, que
tème, indifféremment. cette opinion - ou cette réaction - est celle d'un
Mais il y a mieu:i;, c'est que ces projets sont en- a-nationaliste intégral.
core empreints d'idéalisme, d'à-priorismes, alors qué
la question a été reprise depuis le commencement
Je suis tout à fait d'accord avec Thersant pour
par un organisme de linguistes professionnels atta-
penser que l'anglais est [oin d'être l'idéal comme
chés à l'université Columbia de New-York, et qu'a-
langue internationale et que l'on peut certainement
vant de publier quoi que ce soit, il a fallu vingt-
en fabriquer de bien· meilleures. Mais l'anglais a
pour lui cet avantage essentiel : à la différence de
cinq ans d'études. la jument de Roland, il existe. C'est une langue
En 1946 fut publié un « rapport général ». En déjà parlée par peut-être près de 300 millions
1951 fut publié un dictionnaire des mots communs d'hommes, qui jouit du prestige et des facultés de
standardisés, ce qui veut dire qu'ils n'ont pas été propagation que lui procure le fait d'être le lan-
créés. En 1952, une grammaire fut proposée pour gage des deux puissances qui sont politiquement et
faire fonctionner ce vocabulaire. Elle est en même économiquement les deux plus puissantes du
temps analytique et. synthétique. Il faut immédia- monde. - R. L.
tement remarquer que c'est la première fois que la
grammaire n'a pas précédé le vocabulaire, mais au Voici une autre lettre
contraire a e1:é établie en raison des exigences du Bilinguisme, du camarade Caubel pro-
vocabulaire... esperanto voquée par l'article de
Mais le fait capital, c'est qu'en 1953 cette lan- et anationalisme Lauzon sur le bilinguis-
gue a été adoptée et est depuis patronnée par me:
un organisme scientifique contrôlé par l'académie L'article de Louzon sur le bilinguisme (R:P., ian-'
des sciences, la société pour l'avancement des vier 1954, p. 26) rencontrera l'opposition des espé-
sciences, le conseil national de la recherche des rantistes, et peut-ètre de quelques autres. La « con-
Etats-Unis d'Amérique. Ce qui, pour moi, équivaut quête du monde » par l'anglais y est prédite. Bien
à une officialisation de fait. que Louzon se défende d'être pour les récentes ex-
Un compendium des questions scientifiques est périences franco-amçlaiee« de Luchon et d/Harro-
publié chaque mois. Il porte le nom suivant : gate, sa thèse rejoint sur bien des points celle des
« scientia International ». ses abonnés ont droit à tenants de ce bilinguisme « à la mode » depuis·
dix études in extenso par an et par abonnement quelque temps, et qui bénéficie de curieux a7,puis
sur les thèmes qui les intéressent plus particuliè- officiels. En fait, pour des Français, le bilinguisme
rement. C'est à mon avis le meilleur moyen mis de M. Bressand se réduit à l'étude de l'angiais. d'a-
actue1lement à notre disposition pour avoir une bord jumelé au français, en attendant que, dans ce
vue synoptiquei de l'avancement de toutes les bimétallisme d'un nouveau genre, les utilisateurs se
sciences. débarrassent de la mauvaise monnaie... il est fccile
Par ailleurs, nombre de partisans de divers sys- de prévoir laquelle.
tèmes sont en train de travailler à la constitution On fera justice d'abord des raisons d'ordre lin-
d'une union mondiale interlinguiste qui développe- guistique. Aussi bien 1,eur discussion n'intéressera
rait· rusaae de cet idiome en dehors des milieux guère les lecteurs de la R.P. J'invoquer.ai l'au-
scientifiques. torité du grand angliciste danois Jespersen : son
Est-ce la solution ? Pour moi, franchement, .oui. ouvrage sur la structure et l'histoire de l'anglais
Et je me base pour me prononcer sur mes vingt- est souvent dithyrambique : « langue noble, riche,
. neuf années de pratique interlinguistique, et sur souple, expressive, virile » ; mais il se garde
ma connaissance de l'esperanto, de l'ido, du no- d'attribuer l'expansion de l'anglais à ses mérites
vial, de l'occidental, du monâuü, etc. intrinsèques (p. 247). Bien plus, il a si ·peu cru à
Je ne puis entrer dans les détails et l'argumen- son rôle universel qu'iT a milité toute sa vie, pour
tation qui précède n'a pas atteint son exhaustion, les langues dites à tort artificielles, qu'on. ferait
loin · de là. Le cas échéant, l'on s'apercevrait vite mieux d'appeler « construites » ; et qu'il a même
que je n'ai fait qu'aborder l'essentiel. bâti la sienne, sà·ns succès pratique d'ailleurs. Au-
Enfin, l'anglophilisme de Louzon achoppe sur le tre autorité : M. Fernand Mossé, professeur au
fait que ce sont des gens de langue anglaise qui Collège de France, écrivait en 1947, dans son Es-
ont consacré des années d'études et des dépenses quisse d'une histoire de la langue anglaise : « Si
énormes à la recherche d'une solution et que c'est l'écart entre la prononciation et l'orthographe n'é-
eux qui proposent autre chose que l'anglais. tait pas si grand, si son maniement n'était pas
rendu assez di,fficile par une quantité considérable
Je dois un aperçu de ce qu'ils proposent. Le voi- de tournures idiomatiques, elle serait même en pas-
ci (je prends le texte de Louzon) : se de devenir officiellement ce qu'elle est en fait,
« Es iste abandon del pluparte del flexiones que à savoir la langue auxiliaire internationale. » (p.
face que pro totes le anglese es plus facile a ap- 236). Mais cela ne l'a pas empêché de s'élever plus
prender que le german. Itlo es plus facile pro que récemment contre les « difficultés insurmontables »
illo es plus avanciate sur le- via del evolution de du bilinguisme Bressand et ses dangers.
nostre spirite, cuje le evolution de nostre lingues Les linguistes ne sont pas d'accord sur les ten-
es solo le manifestation. dances que manifestent les langues. Il reste à sa-
» Iste facto que le anglese es le Iinguage le plus voir si la disparition des flexions en anglais, comme
avanciate sur le via del evolution linguistic, evo- dans ies langues occidentales, dénote une tendance
lution que tende a retroducer nos (ma sub un plus analytique ; n'est-ce pas plutôt cette tendance
forma superior grattas al polysyllabismo) al lin- à la régularité dont les exemples ne manquent pas?
guages le plus primitive, ubi le vocabulos esseva Les spécialistes travaHlent d'ailleurs surtout sur les
solo [uxtaposite sin flexion ni agglutinationes, o, transformations des langues... aux temps d'avant
si on prefere, a parlar « parve-nigre » de quo tote l'imprimerie ; ils ne paraissent pas avoir prévu
rapportes Iogic es bannite, adjutara illo grande- ni voulu prévoir - ies langages futurs.
mente pro le cnnquesta del mundo. » Au siècle de la radio et du cinéma parlant, le

10-42
1
reproche majeur que l'on peut faire à l'anglais, des nations modernes, c'est-à-dire depuis 150 ans,
c'est son système phonétique affreux ! surtout dans les lieux où se prépare et se célèbre
L'orthographe anglaise, une « abomination » le culte du patriotisme, c'est-à-dire dans les caser-
(Jespersen), bat de loin le record du français ; nes et les tranchées, ce triomphe a été confirmé du
mais elle est devenue la tunique de Nessus de l'an- côté des femmes par les mêmes tendances qui ont
glais, qui ne peut s'en séparer sous peine de deve- assuré •!a victoire des modes de Paris sur les cos-
nir, à la lecture, beaucoup trop éloigné des autres tumes locaux : éléments affectifs.
langues civilisées. Je me souviens toujours du pre- Mais rien ne prouve que le processus d'unifica-
mier discours d'un vrai Anglais que j'ai entendu tion à l'échelle mondiale sera celui que l'on a cons-
(et non plus. un professeur), où un énigmatique taté à l'échelon national. On doit même en douter :
« Youlop » me laissa longtemps perplexe, alors que en effet, si qn pouvait voir jadis mourir des •lan-
le mot imprimé « Europe » ne m'aurait pas arrêté gues, depuis l'apogée nationalitaire de 1919 on en
un instant. voit ressusciter.
Il est de fait que l'anglais a aujourd'hui une ex- Nous arrivons ainsi au centre de la thèse que
traordinaire diffusion: Mais, de grâce, n'exagérons Lauzon affirme avec suite depuis plus de cinq ans,
pas. Quant aux 150 mi.Wons du gigantesque et qui soulève aujourd'hui à la R.P. de vives con-
« melting-pot », n'acceptons que sous bénéfice d'in- troverses.
ventaire. La dernière session des assisesdu Loiret a Cette thèse est nette· : l'unité du monde, politi-
eu l'avantage, sur quatre affaires, d'en compter que, économique, culturelle, se fera par la force
trois spécialement consacréesà des militaires amé- (R.F. n° 377, p. 258). « La langue universelle sera
ricains ; en plus de l'interprète d'anglais, il en a celle du peuple qui fera l'unité du monde ». Le jour
fallu un de polonais et un d'espagnol (pour un Por- où les Etats-Unis auront politiquement unifié le
toricain). monde, tout le monde sera citoyen américain (327,
Le pidgin-english, ce sabir du Pacifique, pourrait p. 147). En attendant, l'hémisphère occidental aura
faire tache d'huile ? Cette création spontanée est bientôt un langage commun, l'anglais.
très intéressante, mais quand Lauzon parle d'une Péra, lui au moins (358, p. 19), faisait allusion
« forme améliorée », il reste certes bien loin de la aux Orientaux : un « basic chinois » ou un « pa-
réalité. Pour que nos lecteurs sachent ce qu'est le léoslave ». Car l'impérialisme linguistique peut sé-
pidgin, voici un échantillon de sa forme la plus ré-
vir des deux côtés du rideau de fer. Le russe de-
cente, telle que la donne l'Encyolopédie britannique
vient la langue auxiliaire obligatoire des démocm-
pour le temps de la guerre du Pacifique : ties populaires - alors que l'U.R.S.S. avait [aoorise
« Yufela yu stand fast, yu no can uxükabout, et qùasi officialisé (notamment dans ses émissions
suppose yufela walkabout me killim yu "long mus- postales) l'esperanto dans les années 1920. La pros-
ket », ce qui veut dire : « Don/t move or ru shoot », cription de l'esperanto a gagné même les pays sa-
ou en bon français : « ne bouge pas ou je tire ! ». telliies, comme la Tchécoslovaquie, où le. langue
Si c'est là que nous mène « l'évolution de notre internationale était très prospère. Mao Tse-tung
esprit », ce « parler « petit-nègre » d'où tous rap- envoie dans le monde entier une revue en espcran-
ports logiques sont bannis », merci ! Et c'est là to, « El Popola Chinio », revue de propagande cer-
précisément où pèchent tous ceux qui posent truü le tes, mais qui renferme bien des choses intéressan-
problème des relations linguistiques internationales. tes et de première main : elle n'arrii,e plus à Pra-
Ils n'ont que trop tendance à considérer le langage gue, c,n vient d'y inviter les 1.000 abonnés à lire dé-
comme un code et non comme un instrument de sonnais l'édition russe.
'pensée. En attendant l'Etat mondial, la communication
Non ! la langue est aussi le support et l'instru- des cerveaux - et des cœurs - se trouve donc
ment de nos fonctions mentales. La substitution bloquée. c'est le cas de le dire, à l'échelon intermé-
des langues communes aux langues locales, que diaire, intermédiaire superflu, de l'hypernation,
Louzon a bien analysée, s'est toujours faite en éle- jusqu'à ce que les deux monstres rivaux aient joué
vant et non en abaissant l'instrument de communi- leur suprématie, à moins que le troisième larron
cation. Et l'on voudrait, au niveau planétaire cette chinois...
fois, que les civilisations prennent contact par des Remarquez que Lauzon dit << l'Etat mondiœl ». Le
jargons, des « basics » ! Et comme nous vivons un père Hugo, lui, vaticinait sur la « République uni-
siècle scientifique, le dernier serpent de mer de la verselle » : ,
presse, la machine à traduire, « électronique »,
comme il se doit, vous présente le dernier cri en la Tu n'es encor que l'étincelle,
matière. Mais, hélas ! la machine ne restituera que Demain
1
tu seras le soleil !
les dictionnaires qu'on aura inscrits sur ses ban- Est-il permis d'être encore pour ta République
des ; elle sera encore longtemps incapable de faire universelle et de se révolter contre une thèse pessi-
un choix intelligent ; toutes ses connexions ne lui miste et décevante ? Cet « amour-propre national »,
permettront pas de sitôt de traduire les multiples · ces « restants d'idéologie nationale », où les trou-
résonances qu'éueiûent les mots dans les cerveaux »e-t-on donc, chez ceux qui admettent ·la superna-
humains ; sans parler de traduire du Valéry, es- tion, qui choisissent le bloc, ou chez ceux qui
sayez donc de lui faire transposer simplement : « le croient encore - n'est-ce pas, cercle Zimmerwald?
cœur a ses raisons que la raison ne connaît pets ! » - aux « principes internationalistes parmi les tra-
Des ersatz de langue revenons-en aux vraies lan- vailleurs >>, disons mieux : « antinationalistes ».
gues. Et examinons-les par leur côté social, trop Et à Lauzon « iittércüemetit hanté » par les sou-
souvent négligé, "mœlgréles enseignements du grand venirs historiques, je demanderai, sans remonter
linguiste Meillet. Le langage est le fait social par jusqu'en 212 et à Caracalla, de penser au XVIII'
excellence. siècle, ce « grand siècle » dont il sait pourtant
Meillet a précisément étudié très en détail ,le pro- bien, puisqu'il l'a écrit, qu'il marque à la fois le
cessus de création des langues communes qui se début de l'ère industrielle et l'éolosion de la reli-
sont substituées aux dialectes locaux. Il est de fait gion patriotique. Je le renverrai à la savante his-
que l'unification politique a presque toujours mar- toire de !a langue française de Ferdinand Brunot, et
ché de pair avec l'unification linguistique. Nous en particulier au tome VIII, qu'il a consacré au
avons maintenant des langues nationales.Mais d'au- français hors de France au XVIII', et qu'il voulait
tres facteurs jouent aussi. Le triomphe du français primitivement intituler : « le français langue uni-
sur les patois, s'il a été affermi depuis la création verselle ». Il y verra l'exemple, trop méconnu, â/u-

11-43
ne langue devenue la vraie langue européenne des dé1Ùables c'est le premier pas, combien ne l'ont
élites (voir Leibnitz, Hamilton, Frédéric, Catherine, pas fait ! Ils ont a(li en mettant sur pied leur orga-
l'académie de Berlin, •le concours de 1783 qui prima nisation d'éducation populaire. Ils agissent en fai-
Rivarol et Schwab) et qui l'est devenue sans su- sant tous les jours leur cure d'esperanto, le 'rneilleur
prématie politique. Le français devint langue diplo- antidote de ~'infection nationaliste. Avez-vous pensé
matique de fait après les défaites de Louis XIV combien nous sommes imprégnés de ce poison dans
(Rastatt, 1714) ; il fut la langue de l'Europe civi- toutes nos fibres, et que malgré tous nos efforts, il
lisée surtout après les défaites de Louis XV. en restera toujours quelque chose ?
Louzon peut trouver la tentative « intéressante
Le prestige du français tomba lorsque les an-
comme tendance », mais il croit à ,son échec. Il
nexions de la République et de l'Empire dévelop-
rejoint là trop d'intellectuels qui n'ont que mépris
pèrent un impériœlisme linguistique, parti d'ailleurs
pour_ l'esperanto, mais dont l'attitude ne s'explique
d'excellentes intentions : la langue des Droits de
l'homme, la langue de la liberté ! ; lorsquë la for- que par défaut d'information et préjugé.
L'apôtre du bilinguisme, M. nressanâ, que ren-
mation de la nation avec ses attributs modernes,
contre Louzon sur la voie de l'anglais, a « vu rêver
et notamment •le service militaire général (date fa-
l'ouvrier de chez Renault à cette langue apprise
tale et oubliée du 4-9-1798 !) suscita d'autres « na-
sur les bancs de l'école primaire qui 1lui permettrait
tions » - et les nationalismes armés, en tout pre-
de faire sa petite enquête personnelle auprès de ses
mier lieu le nationalisme armé prussien, là méme
collègues des usines Ford à Detroit ou Dynamo à
où le français avait eu le plus de succès:
Moscou, sans avoir recours à la presse de son par-
Pour autant qu'on puisse conclure de la' compa-
ti, aux interprètes locaux des propagandes étrangè-
raison historique, je crois donc pouvoir
res, à la radio, à tous les services d'information ou
1) constater que l'f!.égémonie linguistique n'est
de déformation ». Echanger des faits et des idées,
pas forcément liée à la domination politique ,
c'est ce que font journeUement les membres de
2) présumer qu'il n'est guère posstble à nouveau
S.A.T. Mais ainsi ils travaillent à l'émancipation
qu'une lançue nationale puisse retrouver l'extraor-
dinaire concours de circonstances (en particulier la
des travailleurs, et cela par leur propre effort.
Leur programme, sur un plan müturet plus géné-
mort du latin) qui ont élevé le français au niveau
ral, correspond mot pour mot à ce programme de
de langue internationale. la « Ligue syndicaliste » que la R.P. imprime en-
Le cosmopolitisme du XVIII• siècle, étape inté-
core en tête de chaque numéro, et que, il faut l'es-
ressante dans le conflit éternel et toujours actuel
pérer, on relit encore quelquefois.
entre l'universalisme et le nationalisme, cosmopoli-
SAT forme des « cercles d'étude », étant avant
tisme d'élites éclairées, est bien passé. Le cosmo-
tout amvre d'instruction et de culture.
politisme du XX• siècle sera d'une autre nature.
S,AT fait « prédmniner l'esprit de classe sur l'es-
Mais est-ce en vain que les mouvements ouvriers
ont ému depuis plus d'un siècle les masses oppri- prit de tendance ».
SAT « lutte contre le chauvinisme ». C'est unE
mées ? Au dire même d'un historien, la solidarité
prolétarienne internationale, si elle est inexistante
« internationale qui appelle avec plus de force qu'il
y a cent ans les travaibleurs à s'unir » (plut' de for-
(378, p. 299), c'est qu'il manque à l'internationale
ce çràce à l'instrument de compréhension), qui
ouvrière ce que les autres expériences d'universalis-
veut s'édijier « sur les triples fondations de l'indé-
me, l'Orbis romanus, la chrétienté « catholique »
pendance, de la lutte à~e classes et de l'internatio-
du moyen âge, possédaient : une langue universelle
nalisme », - avec cette réserve qu'il vaudrait mieux
(Réau, L'Europe française au siècle des lumières, p.
dire : anationalisme et non internationalisme, or-
6). ganisdtion mondiale et non internationale.
On nous dit : « les citoyens du monde sont des
millions » (Jacquet, n° 379, p. 347) ; ef le « 'parti· SAT croit aussi que « chaque effort donné à une
américain » n'empêche pas Louzon de revendiquer institution gouvernementale est un effort volé à
aussi cette qualité (377, p. 258). Or, il n'est de vrai l'anationalisme prolétarien ».
citoyen du monde. que celui qui a ~u s'abstraire de Tandis que Louzon, qui nous disait autrefois (no
sa nationalité ; et cela n'est possible qu'à celui qui 285, p. 385) : « Plus que jamais sortir de la na-
s'est arraché à sa umçue maternelle, et à tout ce tion », se retrouve, il faut bien le répéter, avec le
complexe de notions, d'habitudes et de préjugés bilinçuisme franco-anglais, objet de la sollicitude de
qu'elle implique, par le moyen d'une langue neu- MM. Cornu et Marie.
tre ; qui s'est efforcé à penser, à sentir et à agir Le soutien officiel n'a pa:, empêché de récents
extranationalement, a.nationalement. C'est ce qu'ont échecs du bilinguisme, à l'assemblée de Strasbourg
fait les espérantistes prolétariens groupés au se.in (24-9-1953), aux états généraux des communes d'Eu-
de S.A.T. Sennacieca Asocio Tutmonda, l'associa- rope (16-10-1953), au conseil supérieur de l'éducation
. tion anationaliste mondiale (S.A.T., 67, avenue nationale (12-1-1954). Le bulletin syndical du 1-2-
Gambetta, Paris XX•). Internationalisme, c'est 1954 du syndicat de l'enseignement secondaire
s'appuyer sur les nations, Anationalisme, c'est les (FEN autonome) publie en tribune libre deux vives
écarter. critiques du bilinguisme, non seulement sur le plan
Ce n'est pas le lieu ici de développer l'aspect pu- pédagogique. Je m'approprie contre Louzon leur
rement linguistique de resperanto. Qu'il suffise de protestation à l'encontre d'une tendance « non à
dire que ce n'est pas un ersatz, mais bien une vraie ouvrir l'esprit des enfants vers le monde extérieur »,
,langue vivante, quoique construite. Mais son aspect mais « à les orienter vers le monde anglo-saxon »,
social doit être mieux connu. Ce n'est pas ha- ce qui éventueillement leur permettrait « d'exécu-
sard si toutes les dictatures successivement ont in- ter les ordres de quelque adjudant ou contremaître
terdit l'esperanto. Ce qu'elles ont proscrit, ce nest chargé de les encadrer ».
pas un code, un système donné de mots et de struc- Nous ne voulons être ni orientés ni accidentés !
tures, mais bien l'idée ; et cette idée est essentiel- Louzon répète : « Nous allons vers l'empire »
lement révolutionnaire. (346, p. 375) ; « L'Etat mondial sortira de la guer-
Il faut que les lecteurs de la R.P. sachent (R.P. re » (349, p. 101). Ce ne serait donc pas envers et
veut peut-être encore dire Révolution Prolétarien- contre les prolétaires ?
ne ?) que les membres de S.A.T., cette poignée Et ceux qui se disent révolutionnaires se laisse-
d'hommes disséminés, quelques milliers, sur toute ront-ils aller au fatalisme désespéré ?
la terre, sont des hommes d'action, qui prouvent
Ou les mots n'ont plus de sens, ou bien
le mouvement en marchant. Ils ont agi en appre-
nant l'esperanto, au prix d'efforts réduits, mais in- Révolution prolétarienne = a.nationalisme.

12-44
EN BEAUJOLAIS

.i ILA CRO·SE V U.T ico ILE


Lorsque, sortant de Villefranche, vous prenez un terroir s'altère · plus vite qu'on ne réussit à
la route qui vous conduit à Saint-Etienne des le régénérer.
Oullières en passant par Grange-Perret, Saint- Dans notre Beaujolais, le système du mé-
Julien-sous-Montmelas, Blacé et Salles, vous tra- tayage 'a ruiné la terre, surtout lorsque le pro-
versez d'abord le minuscule Nizerand (souvent priétaire s'est trouvé d'être peu fortuné et de
à sec) puis, à droite et à gauche de la route, résider au Join : il n'a vu que le partage du
vous voyez des terres riches depuis longtemps fer- vin. Il y a, en effet, propriétaires et propriétaires
tilisées par les gadoues de la ville toute proche. comme il y a fagot et fagot.
Belles prairies que paissent des vaches laitières T... travaille à la carrière du pont Mathivet.
de bonne race, cultures fourragères à grand ren- C'est un garçon intelligent. Il a été vigneron ;
dement, céréales participant à un assolement de chez lui on l'était de père en fils. Il a renoncé
longue durée frappent par leur bel aspect et et m'explique pourquoi :
leur parfaite tenue. - Mon propriétaire était un Lyonnais tirant
Cependant une surprise vous attend : dès que le diable par la queue. Pas embêtant, bien sùr,
se présente une pente légère à bonne exposition, mais très strict pour le partage du pinard. A
la vigne apparaît avec son cépage bien connu, mon « Monsieur », il ne fallait parler ni de fu-
le gamay, dont la précocité (l'altitude n'est en- mier, ni d'amendements, ni d'engrais chimiques. Il
core que de 200 mètres) garantit une bonne me disait : « Faites donc du blé, ça vous donne-
maturité à l'automne. ra votre pain et la paille servira de litière à vos
Grange-Perret, à 3 kilomètres de Villefranche, bêtes. » J'ai essayé, pour voir. Le terrain était
est un fort hameau dépendant de la commune trop maigre, trop sec. Donc désastre ! J'ai résilié
d'Arnas. Grange-Perret est habité par de nom- mon contrat. Un voisin, déjà propriétaire, a pris
breux citadins travaillant à Villefranche et s'y ma succession et il a obtenu de bonnes condi-
rendant par le car, en auto, en moto et à bicy- tions. Il achètera un jour car plus on en a
clette. Arnas est, au contraire, 'un bourg de gros- grand, par ici, mieux on s'en sort, surtout si on
ses exploitations agricoles. peut tenir de bonnes vaches.
Le hameau traversé, la pente s'accentue, la vi- Plus heureux, B... me déclare :
gne et les prés accaparent Je terrain et les cul- - Mon patron, vous le connaissez, c'est une
tures se raréfient. Nous entrons au pays où grande gueule, mais c'est un bon bougre. Quand
l'on produit le vin du Beaujolais, le pays où je lui demande quelque chose, il commence tou-
d'extension en extension la vigne a constamment jours par crier. Ensuite il se calme. Comme il a
gagné du terrain, tout simplement parce qu'elle à Lyon une bonne affaire qui marche bien, il
est la culture qui, à l'hectare, rapporte Je plus. finit toujours par céder. Il a fait drainer le do-
Le Beaujolais étant surpeuplé, il a besoin de maine, ce qui l'a valorisé. Un propriétaire d'ici
la vigne. aurait reculé devant les frais.
Pour prendre une idée · juste de cette surpo- T... , mon ancien élève, est découragé :
pulation, il suffit de se rendre, entre Salles et
Blacé, au lieu dit La Croix Polage, où se croisent -- JE' fais bon, c'est entendu, et je tire de mon
de nombreuses routes. Le spectacle est saisissant. vin un prix élevé, mais lé terrain du secteur est
Le regard, vers Je Nord, porte loin et il s'étend sur devenu si pauvre (bien que les racines de la vigne
une fourmilière de maisons aux toits rouges grou- aillent profond) que le rendement est insuffi-
pées en hameaux et villages. On comprend aus- sant : pas même 10 pièces à l'hectare ; et il
sitôt que les exploitations sont trop nombreuses faut partager. Pour les fumiers, ça va encore,
et par là même trop exiguës pour donner l'aisance mais mon propriétaire ne veut rien entendre
à la population du pays.
quand je lui parle de chauler et d'employer des
Autre élément de faiblesse. Vues de loin, par engrais complémentaires. Mon beau-frère, à Bla-
beau temps, les collines du Beaujolais donnent ceret, est bien plus heureux que moi. Pour la
l'impression d'un massif ruiné, aux pentes molles même le triple
unité de. surface sa récolte est au moins
de la mienne. Quand je vends 10 pièces
et douces. Sur place, le jugement change. On
est tout surpris, à partir de 300 mètres d'alti- à 20.00ü francs l'une, il vend 30 pièces à 16.000
tude, de découvrir des montées très raides. C'est francs. Ça fait une sacrée différence !
d'ailleurs la terre. d'élection de la vigne. Au fur M... , à Blaceret, est un vieil ami qui a pu
et à mesure que l'on se rapproche des sols où pratiquer la bonne combinaison : vigne, prairie
poussent spontanément bruyères, fougères et digi- riche. Le domaine est d'un seul tenant. On pousse
tales pourpres, le gamay fournit des vins plus une barrière et on est dans la propriété.
tendres, plus bouquetés : le vrai beaujolais, quoi ! Nous conversons:
Et c'est justement là que le drame commence. - Pourquoi, camarade Jacquet, arracherais-je
Sur les pentes, le travail des eaux d'orage est mes vignes pour faire 'du blé ? D'abord il y en
considérable et· ses effets désastreux s'accumulent a trop "à ce qu'on dit et il J:larait que la consom-
car on ne remonte plus la terre. Elles ravinent mation du pain diminue...
le terrain, détruisant le complexe argilo-humique - Exact. Le pain est mauvais.
qui donnait quelque « corps » et fertilité au sol. - Ça ne me surprend pas. Depuis que je suis
D'année en année, ·1a cohésion des particules ici.. mon idée est de produire autant de vin c;ue
terreuses diminue ; peu à peu il ne reste que possible. Mes terres fortes me permettent d'en-
des sables lessivés; les rendements à l'hectare tretenir quatre bonnes vaches et un cheval. J'achè-
s'abaissent dans des proportions alarmantes. D'où te ma paille et j'ai du fumier en abondance.
prix de revient élevé de la pièce de vin. L'engrais chimique fertilise mes prairies. Il se
· Rendre au sol sa fertilité perdue ? La chose retrouve en partie dans le fumier. Ici, pour la
est certes possible mais à lointaine échéance, car vigne, le fumier est presque tout. Il rend la
_13-45
terre moins collante, plus facile à travailler, plus Condrieu, Cornas, Tain-1'.Hermitage,ils donnent
rapide à se réchauffer au printemps. des vins remarquables. Les bonnes années sont
» Mon vin ? Bien sûr qu'il ne vaut pas ceux nettement plus nombreuses que les mauvaises.
du Gonut ou du Vortillon ; mais je suis équipé Il pleut peut-être autant qu'en Beaujolais, mais
à la moderne, je vinifie avec soin et je vends les pluies sont à la fois plus copieuses et plus
mon pinard à un cafetier. rares. D'où une insolation meilleure. Si la ma-
. Prudent, M... me dit : turité est tardive on peut attendre pour vendan-
- Camarade Jacquet, je ne suis pas partisan ger, ce qui fait compensation.
de tout le baratin qu'on .fait autour de notre Et puis tout évolue. Cet été il s'est tenu, sous
beaujolais. Ça m'inquiète ! A force de répéter une forme caravanière, dans plusieurs localités
que le vin doit « tenir son prix », nos vins moyens de la Drôme et de l'Ardèche, des assises pay-
pourraient bien être délaissés. On dit partout sannes ayant pour objet de développer la culture
que les vins des Côtes du Rhône se vendent de de vignes issues d'hybrides méritants. Si ces
mieux en mieux à Lyon. Est-ce vrai ? derniers n'ont pas encore fourni le cépage par-
- Bien sûr que c'est vrai et vos gros dirigeants fait qui associera aux rendements élevés des pro-
n'y songent guère. duits excellents, du moins se rapproche-t-on cha-
De fait, ce sont des « notables » bien relation- que année de cet idéal. Et Monsieur-tout-le-monde
nés qui, sous prétexte de défendre le vin du fera volontiers sa boisson d'un bon vin de prix
Beaujolais et de se vouer à sa glorieuse expansion abordable.
ont surtout travaillé pour leur propre compte La crise affecte diversement les régions s'adon-
en poussant à la hausse des prix. nant à la. culture de la vigne, car les producteurs
Aujourd'hui, on parle couramment du « fleu- se heurtent les uns les autres. Les viticulteurs
ve ,> beaujolais coulant à Lyon et commençant de la métropole maudissent leurs concurrents de
à conquérir Paris. Le cinéma va même être l'Afrique du Nord.
utilisé. Croire ainsi que la propagande déchainera Revenir en arrière ? Remplacer la culture de
la demande est un peu naïf car, dans le temps la vigne par des cultures vivrières ? J'ai entendu
même où l'on célèbre le beaujolais, on chante soutenir cette thèse par des « notables » qui la
ailleurs les mérites du traminer, du muscadet, du teintaient de philanthropie à l'égard des Tuni-
vouvrav, du chinon, etc. Ces propagandes s'annu- siens, des Algériens, des Marocains : « Ces mal-
lent. Le fait capital c'est le marché rétréci, le heureux ne mangent pas à leur faim. Il faut
marché peau de chagrin, lea prix demandés fai- arracher la vigne et faire du blé ». C'était oublier
sant reculer un consommateur sans pouvoir que le pauvre fellah a un faible pouvoir d'achat,
d'achat suffisant. fixant sa « ration » à un niveau très bas. Que
Vin de café et de restaurant, le vin du Beau- l'année soit bonne ou mauvaise il achète un chiffre
jolais tend à devenir un vin cher, un vin pour presque fixe de kilogrammes de froment. D'où
gosiers de riches, alors qu'il a été longtemps un parfois une surproduction relative ainsi qu'il vient
vin démocratique, un pinard qui coulait à flots d'arriver aux colons du Maroc qui ne savent quoi
dans de modestes bistrots de Lyon d'où il est faire de leurs excédents de blé.
éliminé peu à peu. Qu'il s'agisse de la métropole ou de ses colo-
Preuves tangibles. nies, les partisans de la reconversion (de la re-
Partout le « godet » remplace l'honnête « ca- conversion pour les autres) négligent ce fait que
non ». Jadis la demi-bouteille (22 centilitres) était le travail de la vigne s'effectue tout au long de
pour ainsi dire inconnue. Dans nos villages elle l'année et que c'est lui qui exige le plus de main-
faisait pauvre, voire même un peu miteux. Au- d 'œuvre stable. La reconversion (céréalière ou
jourd'hui elle est d'utilisation courante, même à autre) n'emploierait plus que de la main-d'œuvre
deux. Conséquence : le « · fleuve » beaujolais saisonnière et pas de main-d'œuvre salariée quand
pourrait bien se muer en ruisseau puis en ruisse- il s'agirait de petites surfaces.
let car il faut bien des « godets » pour faire un C'est un fait - d'ailleurs assez paradoxal -
litre. que la consommation du pain diminue lentement
Lyon est une ville de traditions. Dans certains d'année en année, bien que les études chimiques
quartiers à clientèle nombreuse et aisée (ainsi et techniques sur la meunerie et la boulangerie
le secteur de la halle des Cordeliers) les cafetiers permettent de faire du pain excellent. Bientôt
croiraient déroger s'ils servaient autre chose que 3 millions d'hectares suffiront à nous donner
du beaujolais (et même une gamme de crus). notre pain quotidien. En cette année 1953 nous
Mais les prix sont là qui deviennent vite prohi- allons exporter 300.000tonnes de blé. Nos gou-
bitifs pour les bourses modestes. D'où, hors des vernants en feront en partie les frais et c'est le
coins privilégiés, l'extension que prennent les vins contribuable qui paiera. Donc vanité de la re-
de la vallée du Rhône, moins fruités, mais moins conversion !
acides et d'une qualité plus constante que les En agriculture, il faut considérer comme fon-
vins du Beaujolais. damentaux les rapports et les équilibres entre
On pourrait dire à propos du Beaujolais qu'il cultures diverses. On ne gagne rien à vouloir
présente une alternance assez régulière de bon- transformer celles-ci par voie d'autorité, car les
nes et de mauvaises années allant souvent par mesures prises font naître de nouvelles relations
deux. Ainsi 1928 et 1929 furent des années re- qui s'enchevêtrent dangereusement attendu qu'on
marquables tandis que 1930 et 1931 donnèrent ne peut jamais prévoir avec exactitude toutes
des vins au-dessous du médiocre. Plus récemment leurs incidences et implications. Aux déséquili-
1950 et 1951 fournirent des vins tout juste passa- bres naturels qui lentement s'apaisent par voie
bles, alors que les vins de 1952 et de 1953 ont été d'adaptation, de compensation, voire même de
remarquables-; et en 1953 la quantité a accom- désuétude ou d'usure, on substitue des déséquili-
pagné la qualité. bres plus graves et plus pernicieux.
La concurrence faite aux vins du Beaujolais Un agronome, M. René Dumont, qui a le grand
par ceux de la vallée du Rhône s'explique aisé- mérite de lutter contre le protectionnisme, a noté
ment. à diverses reprises qu'en plusieurs régions de
Dès que vous avez dépassé Lyon et ses brouil- France la production a stagné et parfois reculé
lards, le climat change. A Millery, un peu avant par suite de la dégradation des sols, de la fai-
Givors, les vins issus du gamay sont de qualité blesse des trésoreries particulières et de l'ignorance
supérieure. Passé Givors, de nouveaux cépages de trop d'agriculteurs. Tout récemment, il écri-
(syrah. viognier) font leur apparition. A Ampuis, vait encor'e: « Nous avons moins de conseillers

14-46
agricoles en France qu'au Danemark pour onze d'un pâtissier, un fabricant de produits chimi-
fciis plus de fermes et une surface agricole mul- ques, sont des citadins.
tipliée par douze ». On parle beaucoup du Crédit mutuel agri-
cole. Il a une succursale à Villefranche. Il ne
En Beaujolais la dégradation de certains sols peut satisfaire aux besoins réels qui se manifes-
est évidente. Quand, par exemple, une vigne tent car il ne peut prêter aux uns que les som-
manifeste une «· fatigue » résultant de sa culture mes que d'autres lui confient sous la forme de
prolongée, son arrachage est souvent suivi d'une dépôts à court terme de bons à intérêts pro-
luzerne qui permet au sol de se « reposer », gressifs d'emprunts à moyen terme. Au moment
c'est-à-dire d'éliminer les produits nocifs élaborés où je relève cet article, le ministre de l'agricul-
par la vigne et contraires à sa prospérité. Or ture, M. Houdet, lance un emprunt à quinze ans.
presque toujours on se plaint de la faible durée Un autre avait déjà été lancé en février. Comme
de la luzernière. Rien de surprenant à cela. Les de juste on se réjouira des résultats obtenus, mais
sols en se décalcifiant deviennent acides, la lu- quand on songe qu'un milliard c'est tout juste
zerne disparait ; elle est en quelque sorte chassée cinq millions-or, ce n'est pas 10 milliards-papier
par des graminées médiocres et des plantes de c'est au moins 200 milliards-papier que l'on devrait
terrains · pauvres en chaux. La vigne réussit de recueillir.
moins en moins bien et son cycle cultural devient
de plus en plus court. ./'*
La faiblesse des trésoreries particulières ne per- Pour les vignerons du Beaujolais l'année 1953
met pas de se lancer dans des voies progressives. a été bonne. La qualité a été supérieure, la quan-
Le rythme des dévaluations, de 1914 à 1953, a été tité a dépassé la moyenne et, pour l'instant, les
beaucoup plus rapide que celui de l'enrichisse- prix sont à la hausse. Les inquiétudes sont moins
ment nominal. La fortune-papier de 1953 est très vives qu'en 1952 et surtout qu'en 1951. On en-
loin de valoir, nominalement, 200 fois le capital- tend moins dire : « Ça ne peut plus durer !
or de 1914. On s'est donc appauvri. D'une façon ou d'une autre il faut que ça pète. »
Que les trésoreries rurales se soient affaiblies La crise ministérielle qui a porté au pouvoir
c'est ce dont on se rend compte lorsqu'un domaine M. Laniel, la grève des P.T.T. ont été regardées
avec philosophie. Dame ! on voyait venir la bon- ·
est mis en vente. ne réèolte ! Cela portait à l'indulgence et j'ai
A Salles, le « château » est devenu la propriété entendu déclarer : « Si' les grévistes ne causaient
d'un riche industriel protestant. pas de l'embarras, s'ils ne gênaient personne ils
A Blacé, le domaine de Champrenard qui, en n'obtiendraient jamais rien ·, »
ce dernier tiers de siècle, passa par bien des Il reste que l'asphyxie économique provoquée
mains et connut divers procédés de faire-valoir, par un régime autarchique où l'on produit peu
a été finalement acheté par un homme de loi. et cher est un fait très grave. La crise est assou-
A Saint-Julien-sous-Montmelas, c'est un pâtis- pie plutôt qu'apaisée et la prospérité réelle du
sier qui s'est porté acquéreur du vignoble des hos- vignoble beaujolais ne se manifeste par aucun
pices de Villefranche. A Blacé, tous les « gros » signe favorable.
propriétaires : deux marchands de vins, la veuve A.-V. JACQUET.

NOTES· SUR LE MUR D'ARGENT


ET LA POLITIQUE DÉFLATIONNISTE
Une lettre de Péra, publiée dans le dernier Cependant, Messé a été membre de la délégation
numéro, souhaitait entre autres choses que l'on française à la Conférence de Bretton Woods, pré-
aborde les questions du « Mur d'Argent » et de sident de la commission des Méthodes au minis-
la politique des derniers gouvernements en ma- tère de l'Economie nationale et conseiller écono-
mique à l'O.N.U. Il semblerait donc au commun
tière d'inflation. des mortels qu'il soit un initié. Èt il avoue qu'il
Aucun de nous - et sans doute personne en ne sait rien, ou pas grand-chose sur l'origine des
France - n'est probablement capable de voir décisions. A peine indique-t-Il, fort discrètement :
clair dans ces questions particulièrement diffi- « Contrairement à une opinion très répandue,
ciles. Mais on peut essayer d'apporter quelques mais peut-être en régression, nous pensons qu'une
éléments au débat. connaissance qui prétend atteindre la plénitude de
. Voici tout d'abord ce que dit, à propos du mys- la compréhension ne doit pas hésiter à reconnaître
tère des décisions concernant les finances, un la différence entre les représentants qualifiés de
spécialiste de ces questions (R. Mossé, « La Mon- la souveraineté populaire et les descendants (ou
les défenseurs) d'une aristocratie financière. i>
naie », éd. Marcel Rivière) :
« Nous aimerions que l'on nous fasse connaître Ceci dit, est-il possible d'imaginer ce qui se passe
l et comprendre avec une sincérité totale, comment au-delà du Mur ? On peut, sans risque d'erreur,
se déroulent les délibérations sur les questions mo-avancer une chose extrêmement importante : pas
nétaires, au Conseil des ministres, dans le cabinet plus que les autres, les initiés ne disposent d'une
feutré du ministre des Finances, à la commission science suffisante pour éclairer leurs décisions. Ils
des Finances, au Conseil du Crédit, etc... Nous vou-agissent presque à l'aveuglette, sans doute pour la
drions connaitre les préoccupations et les réactionsdéfense d'intérêts immédiats, mais il ne peuvent
des hommes de chair qui les composent et même avoir de politique valable à long terme. C'est ce
être informés des conversations ou négociations qui explique en partie l'incohérence économique
de couloirs ou de cocktail-parties. que nous connaissons.Et surtout, c'est en cela que
réside la vulnérabilité de Mur d'argent. Expnquons-
« Nous inclinons à penser que des Mémoires nous :
d'Outre-Tombe ou des Confessions nous appren- Jusqu'aux toutes dernières décades, l'essor indus-
draient bien des choses essentiellesignorées des ou- triel était suffisamment puissant pour se développer
vrages des spécialistes. » sans souffrir beaucoup d'éventuelles erreurs de po-

15-47
litique financière .. Aussi, l'activité étant tout en- D'autres facteurs sont intervenus, qui ont joué un.
tière orientée vers le profit, la connaissance écono- rôle d'accélérateur, le plus important étant sans
mique s'est surtout développée dans. le domaine de doute la pression des salariés, qui avaient quelques
l'économie en valeur, considérée comme un tout à raisons de n'être pas contents. On leur avait de-
peu près indépendant. · · mandé de retrousser .eurs manches pour recons-
· Aujourd'hui, les choses ont changé. C'est la crise truire le pays. Ils l'on fait. En 1948, ils fournissaient
de '1929 qui est à l'origine, aux u:s.A. en parti- un nombre total d'heures de travail supérieur de
culier, du développement de la science de l'écono- 20 % à celui de 1938, et ils recevaient en échange
mie physique ou économie en nature. (Précisons un pouvoir d'achat inférieur de 5 % à celui dont
qu'il s'agit de la connaissance du réel et non de ils disposaient avant guerre. Sans peut-être savoir
théories abstraites). Il est apparu alors qu'une exactement de quelle manière, ils sentaient donc
étroite interdépendance devait exister entre les qu'ils étaient lésés, qu'ils faisaient les frais de
deux aspects (valeur et pr.oduction physique) de quelque chose. D'où revendications, mais revendi-
l'économie, et qu'il fallait jeter un pont entre les cations mal conduites pour des augmentations gé-
deux. Les Américains s'y sont efforcés, et. ils arri- nérales des salaires.
vent maintenant à doser assez exactement leur in- Que se passait-il ? On accordait des salaires no-
flation. mina.ux accrus. Mais pour que ces augmentations
Mais en France, nous n'en somme pas encore là. se traduisent par une élévation du pouvoir d'achat,
Même les gens qui sont censés régir l'économie il aurait fallu que se produisent 'de nouveaux mou-
n'ont qu'une connaissance très vague de sa struc- vements de main-d'œuvre. Il aurait fallu que les
ture et de ses exigences physiques ; ils sont une effectifs des industries d'équipement ou des indus-
masse d'ignorants prétentieux et ambitieux sous tries produisant des biens de consommation de
laquelle sont écrasés les quelques individus clair- luxe (automobiles par exemple) se dégonflent au
voyants qui essaient de réunir les éléments d'une profit des industries travaillant pour la grande
véritable science économique. Par ailleurs, dans tous consommation. Cela supposait une nouvelle modi-
les milieux, les esprits sont en retard : tout le fication de l'équilibre économique que les salariés
monde, (y compris les industriels qui sont pour- n'étaient ni assez forts ni assez clairvoyants pour
tant au contact de la réalité) raisonne en termes de imposer. Et, en tout état de cause, cela supposait
valeur. des délais. Aussi, l'apparition brutale sur le marché
Il n'y a donc aucune raison de penser que les d'urie masse de salaires accrue se traduisait im-
gens d'au-delà du Mur disposent d'une connaissance manquablement par une hausse correspondante des
de l'économie physique française qui fait totale- prix.
ment défaut. ~t c'est par là qu'on pourrait les atta- Pinay entre alors en scène. Il n'apporte pas
quer. Il n'ei;j, certes pas question, dans l'état actuel d'idées nouvelles, mais sa campagne pour la baisse
des choses, d'abattre le Mur. C'est une question des prix intérieurs est servie par une baisse des
de régime, donc au-dessus de nos forces. Mais si prix mondiaux survenant fort à propos et par un
l'on parvenait à implanter en France une science accroissement des productions agricoles, en parti-
économique concrète, les liens entre finances et culier des « productions animales ». Dans l'ensem-
production apparaîtraient les uns après les autres, ble, les gens n'ont pas cru sérieusement à la baisse,
et les questions qui se poseraient ainsi au grand et cependant de nombreuses commandes ont été
jour feraient progressivement reculer le Mur. différées, ce qui a provoqué un ralentissement sen-
Il n'y a pas d'autre moyen. Mais qui va implan- sible des affaires.
ter en France une véritable science économique ? Quant aux travailleurs, l'assurance d'un réajus-
tement des salaires en cas de hausse du fameux
indice des 213 articles les a probablement incités
Il n'est pas certain que, comme le dit Péra, les à différer leurs revendications. Par la suite, la po-
récents gouvernements n'aient pas fait une politi- litique des prix a été organisée de façon à éviter
que moins inflationniste que leurs prédécesseurs. soigneusement toute hausse importante de cet in-
Bien que, dans ce domaine, les simplifications dice. Et aucun mouvement revendicatif d'enver-
soient particulièrement difficiles et dangereuses, gure n'a eu lieu depuis lors. On a réussi à concen-
essayons de voir simplement ce qui s'est passé au trer !'attention des syndicats sur cet indice, ce qui
cours des dernières années. évite qu'ils fourrent leur nez dans des problèmes
Après la guerre, le pays· prend conscience de ses plus gênants...
besoins énormes en équipement. Les destructions Parallèlement, le volume des investissements a
ont aggravé le retard important qui s'était accu- été comprimé et il n'a cessé de décroître à partir
mulé pendant les années 30. On met en place le de 1950. Il en est résulté une légère baisse de
Commissariat au Plan de Modernisation et d'Equi- l'emploi, dont le volume total s'accroissait réguliè-
pement, On favorise ce que l'on appelle les « in- rement depuis plusieurs années. Conséquence iné-
dustries de base ». Le résultat fut un mouvement vitable : chute correspondante de la masse des
considérable de main-d'œuvre vers les industries salaires, donc du pouvoir d'achat.
productrices de biens d'équipement, et une éléva- D'un autre côté, les prix françafs avaient atteint
tion jusqu'à 45 heures de la durée hebdomadaire un niveau tel qu'ils dépassaient, sur les marchés
moyenne du travail. .mternationaux, les prix concurrents dans des pro-
Fixons nos idées quant à l'importance de l'effort portions énormes, allant jusqu'à 60 % . Seule, une
d'investissement : en 1938, la part des ressources dévaluation aurait pu équilibrer la situation, mais
nationales consacrée aux investissements était à il ne fallait même pas prononcer le mot. Aussi nos
peu près équivalente au tiers de la masse des sa- exportations, qui se débattaient difficilement depuis
laires distribués. En 1951, elle était devenue sensi- la réouverture des marchés internationaux, ont-elles
blement égale à la moitié de cette masse. Il y eut subi une chute sérieuse dans presque tous les do-
donc là une modification très importante de l'équi- maines, entraînant un fléchissement d'activité des
libre des forces économiques, dont on n'a pas suf- industries exportatrices.
fisamment tenu compte par la suite. Quant aux importations, on les a volontairement
Parallèlement, les besoins de biens d'équipement réduites sous prétexte d'équilibre de la balance
provoquaient un appel de moyens de paiement, en commerciale. C'était là un mauvais calcul, parce
particulier un appel au crédit. Et comme, de toute que l'on a provoqué des difficultés (baisse d'acti-
manière, la production n'était pas capable de sa- vité ou travail dans de mauvaises conditions) pour
tisfaire tous les besoins, les prix tendaient à mon- les industries qui utilisaient des produits importés.
ter. D'où appel accru de moyens de paiement, et Enfin, il y avait des facteurs possibles d'expan-
ainsi de suite. sion économique que l'on n'a pas su utiliser :
C'est sur ce terrain, sur cette « économie ten- L'accroissement de la production agricole a fait
le processus inflationniste. Cependant, même en baisser les prix à la production. Si 'cette baisse
l'absence de connaissances (et sans doute de s'était répercutée sur les prix au détail, une partie
moyens) qui auraient permis de doser convenable- du pouvoir d'achat des travailleurs aurait été libé-
ment les émissions monétaires et le crédit, cette rée et se serait reportée sur les produits industriels
seule tension n'était pas suffisante pour provoquer de grande consommation, créant un stimulant im-
une inflation aussi rapide que celle que nous avons portant, de proche en proche, sur l'ensemble de
connue. l'activité industrielle.

16-48
Mais le bénéfice de la baisse a été absorbé par C'est l'effet combiné de tous ces facteurs qui a
les intermédiaires, contre lesquels gouvernement et renversé la situation économique. Actuellement, on
syndicats se sont montrés impuissants. Celà s'est trouve une production agricole excédentaire et l'in-
traduit d'une part par un gonflement des épar- dustrie tourne, dans son ensemble, à 85 % de sa
gnes des commerçants et d'autre part par un sup- capacité. '
plément d'activité d'industries de produits « de
luxe >). Autrement dit, un circuit restreint, une Capacité productrice supérieure à la demande,
« économie dans l'économie )> s'est trouvée stimulée c'est là l'une. des caractéristiques essentielles d'une
sans grand bénéfice pour l'ensemble. (L'activité de période de déflation.
l'industrie automobile française par exemple est Pinay se promène à travers le monde en racon-
beaucoup trop grande par rapport à celle des in- tant qu'il a sauvé la France parce qu'il est à l'ori-
dustries de grande consommation). La baisse des gine de la stabilisation des prix. Mais la France
prix à la production se traduisait donc par une paie cette stabilisation par une stagnation écono-
baisse de 10 % environ des revenus de l'agricul- mique dont on commence à mesurer les consé-
ture (qui est normalement un gros client de l'in- quences tant sur le plan intérieur que sur le plan
dustrie) et cela sans aucune contre-partie notable extérieur.
dans d'autres domaines. A. D.


Réponse d'un ancien de l'usine
à Andrieux et Lignon
Sàus la signature d'Andrieux et Lignon, vous d'existence à l'allocation des sans-travail et distri-
avez publié un long article consacré à Simone buant aux plus déshérités tout le reste. Il faut la
Weil et la condition ouvrière. Ces pages ne sont voir s'entretenir avec les terrassiers de la ville, ser-
pas restées sans résonance chez les syndicalistes rant les mains qui se tendent nombreuses sur sôn
révolutionnaires et je ne serais pas surpris qu'elles passage. Ceci scandalisa des parents d'élèves et lui
aient incité de nombreux lecteurs de votre revue attira de graves observations de l'autorité univer-
à se procurer la Condition ouvrière. Pour juger à sitaire.
leur tour. Je ne sais si les rédacteurs de la Révolution prolé-
Je ne voudrais pas chercher querelle aux auteurs tarienne ont" lu l'article de S. Weil, « Survivance
de cette importante étude, en tout ce qui touche des castes ». C'est déjà toute son âme qui s'y dé-
à leur propre exposé de la condition ouvrière. Et voile, sa recherche de fraternité universelle, son
j'ai même accepté d'emblée certaines de leurs inépuisable besoin du don personnel.
remarques profondes et particuüèrement senties « L'administration universitaire, écrit-elle, est en
touchant aussi bien la misère, la monotonie, l'in- retard de quelques milliers d'années sur la civilisa-
sécurité et la contrainte que l'usure de l'homme tion humaine. Elle en est encore au régime des
par le travail.
castes.
Mais je suis sûr que les auteurs admettront, sans )> Il y a pour elle des intouchables, tout comme
le faire leur, sans doute, un point de vue parfois dans les populations arriérées de l'Inde. Il y a des
opposé d'un ancien compagnon qui, depuis long- gens qu'un professeur de lycée peut bien à la ri-
temps, a quitt€i l'usine. Sans jamais abandonner gueur fréquenter dans le secret d'une salle bien fer-
ses attaches avec le monde du travail. mée, mais à qui il ne faut à aucun prix que les pa-
Si j'ai connu d'abord Simone Weil par ses livres, rents d'élèves voient un professeur serrer la main
j'ai eu le rare bonheur d'entrer dans son intimité sur la place Michelet.
spirituelle, dans des conditions qui dépassent le » Ces gens, bien entendu, ce ne sont pas des ban-
cadre de cet article. Le fait de l'avoir ainsi appro- quiers véreux, des politiciens escrocs,d'anciens gou-
chée me crée une obligation. Celle d'apporter cer- verneurs coupables d'avoir sacrifié sans raison des
tains compléments. Et des rectifications d'impor- vies humaines. Ce sont des travailleurs à qui la
tance qui s'imposent. Sans chercher à entrer à crise interdit l'exercice de leur métier et qui sont
fond dans le vif de la discussion philosophique, ce réduits à casser des pierres au compte de la muni-
qui nécessiterait une longue chronique. cipalité pour un salaire dérisoire. >)
Tout n'est pas conté dans les livres, qui nous
sera appris un jour par ses biographes. Andrieux et Plongée immédiatement dans ce bain de misère
Lignon ont « pris position vis-à-vis des idées » qui l'entoure, Simone Weil ne veut pas seulement
émises dans la Condition, mais ne l'ont-ils pas fait expérimenter, mais subir. Pour comprendre l'in-
en donnant une part importante à « une aversion justice qui frappe l'ouvrier et qui se situe au-delà
que certains de ses écrits avaient provoquée en eux même de sa tâche matérielle, elle deviendra une de
ces filles d'usine qui se distingue de sa compagne
I en 1935-1937 et qui a persisté » ?
...
**
par un numéro de pointage.
Si l'intention, au départ, est d'étudier (< un cer-
Celui qui prendrait Simone Weil au début de tain nombre de questions fort précises », la réalité
son travail chez Alsthom et Renault omettrait un inexorable de l'usine l'empêchera de la mettre sur-
point important. Il convient de le fixer. le-champ à exécution.
Laissant volontairement tout ce qui se rapporte Toute. cette partie vécue, ancrée même dans la
aux brillantes études de l'élève de Le Senne et chair et dans l'esprit, qu'est le journal d'usine, que
d'Alain, nous suivrons le jeune professeur de phi- contient-elle en remarques philosophiques ? C'est
losophie du Puy-en-Velay. Elle n'a que 22 ans. l'emprise totale de la matière et de son implacable
Nous sommes en 1931, soit trois années avant la allié, le temps : ce sera là le souci constant, le
Condition. Nous y trouvons déjà Simone en com- reflet sombre de chacune des journées. Il n'y a pas
pagnie des chômeurs de la Haute-Loire, apportant place pour la philosophie après des heures qui
encouragements, conseils, réduisant ses moyens continuent de peser de tout leur poids. Et jamais

17-49
nous ne trouverons une place pour l'échappatoire. autorités temporelles et spirituelles ont mis une
Cette acceptation volontaire, totale, d'une exis- catégorie d'êtres humains en. dehors de ceux dont
tence beaucoup trop lourde à supporter, cette re- la vie a un prix, il n'est rien de plus naturel à
cherche pour soi, non pour autrui, des sources de l'homme que de tuer. Quand on sait qu'il est possi-
souffrance vaut, à mes yeux, la reconnaissance et ble de tuer sans risquer ni châtiment ni blâme, on
la gratitude des plus petits. Celle qui a davantage tue, ou du moins on entoure de sourires engageants
de prix. ceux qui tuent. S-D par hasard, on éprouve d'abord
un peu de dégoût, on le tait bientôt, on l'étouffe,
*** de peur de manquer de virilité. Il y a là un entraî-
Quelle que soit, par la suite, l'évolution spiri- nement, une ivresse à laquelle il est impossible de
tuelle ou religieuse de Simone Weil, elle a été, à résister, sa.ns une force d'âme qu'il me faut croire
un moment donné, à un moment difficile, un té- exceptionnelle, puisque je ne l'ai rencontrée nulle
moin. part. J'a~ rencontré en revanche, des Français pai-
Les auteurs en conviennent d'ailleurs quand ils sibles, que jusque-là je ne méprisais pas, qui n'au-
écrivent : raient pas eu l'idée d'aller eux-mêmes tuer, mais
« Mais en plus de ses souffrances, Simone Weil qui se baignaient dâns cette atmosphère imprégnée
a noté dans son journal d'usine, souvent soir par du sang avec un visible plaisir. >l
soir, ses expériences et ses observations comme
aussi les revendications que cette vie lui suggère. Que Simone Weil n'ait pas consenti à cet « en-
N'est-ce pas là un document inappréciable sur la traînement, à cette ivresse », que l'assassinat de
vie à l'usine et sur l'homme qu'est l'ouvrier, sur ses deux. curés (ce sont aussi des hommes) et d'un
rapports avec son propre travail, avec ses collègues, jeune garçon de quatorze ans par ses camarades
anarchistes aient émoussé son idéal révolutionnai-
avec ses chefs ? » re, je veux bien l'admettre. Il importait que les
Pourquoi poser la phrase à la forme interroga- faits soient replacés dans le temps.
tive ? Les inégalités reprochées ne sont-elles pas
le fait de journées abrutissantes et Jourdes qui Quant au second peint : « elle ne va pas simple-
placent comme un frein à toute échappée de l'es- ment pour partager le sort de l'ouvrier », je pose-
prit ? Comment demander à un corps vaincu et rai la question : qu'en savent-ils pour lancer une
br isé de laisser l'âme pratiquer sa percée ? affirmation de cette importance ? Qu'elle ait voulu
apporter plus tard des réformes, je l'accepte, mais
' Dans ses Cahiers publiés chez Plon, Simone Weil elle a tenu d'abord à les apporter, compte tenu de
nous donne, dans cette pensée, tout ce qui était besoins d'exigences ressentis clans son être. Non pas
déjà contenu en elle quelques années plus tôt : en observateur. Ce n'est pas en observateur, mais
« Il faut se croire au-dessous des autres pour en témoin, je le répète, qu'elle a vécu, subi puis
s'amener soi-même à se regarder comme leur égal relaté la condition ouvrière.
et à ne pas se préférer. Dès lors qu'on ne peut s'em- Que son expérience ait été trop courte ! A par·
pêcher d'imaginer une hiérarchie, une échelle entre tir de combien de temps la souffrance inscrit-eile
les êtres humains (et la perfection est de ne pas ses traces dans un être ? Ce qui est noté au jour
l'imaginer), il faut se mettre au dernier échelon le Jour n'a pas le magique pouvoir du recul ; la
pour éviter d'être placé au-dessus d'aucun être hu- part de vérité qui en découle serre dans ses moin-
main dans sa propre estime. A force de se mainte- dres détails la réalité. Ces mois passés chez Alsthom
nir au dernier échelon, l'échelle disparaît. » et Renault ont pesé davantage sur elle que sur
*** toute autre de ses compagnes d'usine. Tout s'est
Il est un point encore qui mérite discussion inscrit en elle avec une netteté et une acuité que
celui où Andrieux et Lignon écrivent : n'aurait pas permis une longue accoutumance.
« Ce n'est pas sa conversion au christianisme
qui amène Simone Weil à rompre avec le mouve- ***
ment ouvrier en tant que mouvement de libération J'avais écrit ces pages en attendant le numéro
sociale. Le rapport de cause à effet est plutôt en de !a R.P. de juillet-août qui apporte la conclusion
sens inverse. Son idéal révolutionnaire est enterré d'Andrieux et Lignon. Vos rédacteurs ont voulu
quand, en décembre 1934, elle s'engage .dans son « élargir le débat » avant d'épiloguer sur la « figu-
expérience en usine, plusieurs années avant qu'elle re fascinante et déconcertante à la fois » de Si-
s'éveille à la vie religieuse. » mone Weil. Le second des termes les retient toute-
Au début de l'article publié dans le numéro de fois beaucoup plus que le premier.
février 1953, ils écrivent aussi : · Ma réponse est peut-être trop' longue déjà pour
« Simone Weil ne va pas à l'usine en propagan- qu'il me soit possible de suivre pied à pied ce
diste révolutionnaire, il ne saurait plus, pour elle, troisième chapitre « Simone Weil et les relations
en être question. Toutefois, ce n'est pas non plus humaines ». Une discussion sur cette importante
simplement pour partager le sort de l'ouvrier. ,i question nécessiterait, à elle seule, une étude par-
Les auteurs de l'article ne seraiént-ils pas infor- ticulière ; je préfère la réserver momentanément.
més du séjour de Simone Weil dans les rangs de Je n'irai pas jusqu'à aborder « les grands cou-
l'armée, espagnole en 1936 ? Anarchistes et répu- rants d'idées qui ont exercé sur elle une indénia-
blicains représentaient, à ses yeux, une des formes ble influence », mais je reprendrai une des arnr-
du droit face à l'oppression. Et elle n'avait pas mations de vos rédacteurs (portée d'ailleurs en
franchi la frontière en dilettante, mais bien pour renvoi), pour marquer à quel point elle demande
servir. une prise de position diàmétralement opposée.
C'est peut-être alors qu'elle a vraiment compris, « Il est certain que son expérience vécue de la
non la vanité des efforts pour libérer une classe condition inhumaine faite à l'ouvrier e:t de l'humi-
éprouvée, mais cette sorte de répulsion pour le liation qu'elle-même a éprouvée et dont elle a tant
meurtre quel qu'en soit l'auteur. souffert, venant se greffer sur son pessimisme fon-
Extrayons de ia longue lettre à Bernanos écrite cier, ont agi en Simone Weil quand elle a fait sien
iw retour de Barcelone (je serais surpris que les le fond de la théorie de Rühle. »
rédacteurs de la R.P. l'aie eue entre les mains), L'œuvre de Simone Weil est un tout. J'ai ce-
ces lignes quî leur montreront, sous un jour nou- pendant tenu à avoir en mains l'article publié dans
veau, celle qui porta l'uniforme aux initiales la Critique Sociale de mars 1934 dans lequel j'ai lu
C.N.T. : de très près Ia critique consacrée à l'ouvrage d'Otto
« J'ai eu le sentiment pour moi que lorsque les Rühle.

18-50
Et j'y trouve tout d'abord ce point de vue qui Après maintes difficultés, après deux voyages
vient renforcer ma thèse : « Raconter la vie de Mar;,eille-New-Yorket New-York-Londres,elle s'at-
grands hommes, en la séparant de l'œuvre elle- taque à ce qui restera. un des monuments de notre
même, aboutit à mettre surtout en lumière leurs littérature contemporaine : !'Enracinement. En
petitesses, parce que c'est dans leur œuvre qu'ils trois ou quatre mois, l'œuvre est née. Il faut y
ont mis le meilleur d'eux-mêmes. » ajouter plusieurs articles publiés depuis dans la
Et dans ce même article, Simone Weil écrit : Table ronde, Preuves et autres revues.
« On peut tout expliquer par la matière, sauf la Est-ce encore là œuvre de pessimiste ?
pensée même qui saisit et comprend le rôle de la Pendant la même période, celle qui a rejoint la
matière. Si on le tente, le matérialisme dégénère en France libre s'informe très sérieusement de la con-
un vulgaire pragmatisme. » duite d'un avion, de la façon d'être parachutée.
Si. Simone dit un moment que Rühle a résumé' Car son désir est de revenir sur le territoire même
convenablement le matérialisme. tel que Marx l'a de la patrie, lutter aux côtés des résistants. C'est,
conçu, nous trouvons quelques lignes plus loin : hélas ! l'hôpital, le sanatorium qui l'attendent. Puis
« Rühle apparaît souvent comme un plat phflis- la mort. Le 24 août 1943 elle meurt au sanatorium
tin. Rien n'est plus bas que la manière dont il pré- d'Ashford. Après avoir tout donné de ce qu'un hu-
sente Marx et Engels. » · main peut offrir à ses frères.
Vos rédacteurs n'ont sûrement pas eu le privilège
Un tel éloge est peut-être, après tout, ce qu'on d'entendre la lecture des dernières lettres adressées
appelle « faire sien le fond d'une théorie J>. de Londres. Ils comprendraient alors qu'une jeune
fille qui ne fait aucune allusion à sa fin qu'elle.
Venons au « pessimisme foncier » de notre au- sait prochaine, mais s'intéresse seulement aux êtres
teur.
chers, ne répond pas, là encore, au terme de pessi-
Que Simone Weil se soit sentie brisée, rompue en miste.
1934 comme nous le découvrons parfois dans la Des pages bouleversantes, encore inédites, feront
Condition, quoi d'extraordinaire à cela ! Voudrait- changer plus d'un jugement à l'endroit de Simone
on qu'à ses retours de 'Renault, la fraiseuse nous Weil. Et j'ose croire qu'Andrieux et Lignon seront
parle poésie ou philosophie ? En admettant même appelés un jour à repenser le problème Simone
qu'à cette époque la dure" empreinte de l'usine inhu- Weil.
maine, des méthodes abrutissantes de travail Eugène FLEUR~.
l'aient marquée, malgré sa force de caractère, d'une
teinte de pessimisme, qu'y aurait-il d'extraordi-
naire ?
#
Nous allons toutefois continuer en sa compagnie
sur le chemin de la vie, elle n'a plus que neuf an-
nées pour aller jusqu'au bout.
Albert CANE
Partons, tout d'abord avec elle dans le Midi de Albert Cané vient de mourir, le 25 janvièr, à
la France où elle mène, dans l'été 1941, la vie 1 Menton où il soignait une affection cardiaque
d'une· fille de ferme. dont il souffrait depuis plusieurs années. Il avait
Je ne prendrai pour témoin que la lettre adres- 60 ans et consacrait le meilleur de son temps à
sée à Xavier Vallat, si chargée d'ironie. Qu'un pes- la vie de la coopérative ouvrière d'électricité qu'il
simiste essaye donc de s'atteler à la rédaction d'un avait créée et dont il assuma la direction jusqu'à
pareil document. On y chercherait en vain la ran- sa mort.
cœur, ou méme le mépris. Simone Weil est déjà au- Militant syndicaliste-libertaire il fut dès sa
dessus de cela : prime jeunesse dans les rangs des plus actifs
« Je suis en ce moment vendangeuse,j'ai coupé lutteurs pour la cause de l'émancipation ouvrière.
des raisins, huit heures par jour tous les jours pen- Mais c'est surtout dans le domaine de la soli-
dant quatre semaines, au service d'un viticulteur darité humaine que se manifesta· son action. En
du Gard. Mon patron me fait même l'honneur de dehors de son activité au Syndicat des Industries
me dire que je tiens ma place. Il m'a même fait le électriques dont il fut le secrétaire, il se dépensa
plus grand éloge qu'un agriculteur puisse faire à sans compter au Comité de Défense sociale dont
une jeune fille venue de la ville, en me disant que les vigoureuses campagnes contre la répression
je pourrais épouser un paysan... J> ouvrière et politique, sur le plan national et
Seuls possèdent la nature et la terre ceux à qui international et l'aide aux emprisonnés sont en-
elles sont entrées dans le corps par la souffrance core dans les mémoires de ceux qui vécurent les
quotidienne des membres rompus de fatigue. Les années de l'après-guerre 1914-18. Il batailla par
jours, les mois, les saisons, la voûte céleste qui la suite pour l'institution du Comité du Droit
tourne sans cesse autour de nous, appartiennent à d'asile de la C.G.T. dont il assura le secrétariat
ceux qui doivent franchir l'espace de temps qui jusqu'en septembre 1939 et où, avec l'aide de Capo-
sépare chaque jour le lever et le coucher du soleil rali, secrétaire du service de la main-d'œuvre
en allant péniblement de fatigue en fatigue. Ceux- étrangère, il contribua à la défense des droits
là accompagnent le firmament dans sa rotation, à l'existence et à la liberté d'expression des nom-
ils vivent chaque journée, ils ne la rêvent pas. breux proscrits réfugiés en France.
cc Le gouvernement que vous représentez à mon
La guerre ayant de nouveau bouleversé les con-
ditions d'existence, nombreux furent ceux qui
égard m'a donné tout cela. Vou·s et les autres diri- sollicitèrent son concours pour se soustraire au
geants actuels du pays, vous m'avez donné ce que sort dont ils étaient menacés. Là encore, il s'em-·
vous ne possédezpas. Vous m'avez fait aussi le don ploya malgré de multiples obstacles et rendit de
.infiniment précieux de la pauvreté que vous ne signalés services à beaucoup de camarades en
possédez pas non plus. » posture délicate.
Ne la voyons-nouspas, ouvrière agricole, faire la Il fut enfin, dès la libération, parmi ceux qui
leçon à des enfants de paysans, se pencher sur défendirent les militants et les organisations · syn-
Jeurs petits problèmes, comme une institutrice de dicales contre les calomnies et les· machinations
.campagne ? staliniennes.
C'est en 1943 qu'elle donnera le plus éclatant dé- Le syndicalisme perd en lui un de ses meilleurs
menti à ceux qui emploient à son endroit le terme éléments dont l'exemple ne doit pas être perdu.
.de pessimiste.

19-Sl
la ~aiHe ~ei 1rix . vue .1ar . un vieux HD~irnliif e
Pour bien comprendre la question de la baisse réelle et sensible du coût de la vie. Les grandes
des prix, ses causes et ses conséquences, il faut entreprises publiques et privées peuvent suppor-
la considérer soue deux angles différents : d'abord ter facilement les baisses de prix puisque les
avec une production stable, ensuite· avec un secours de l'Etat, c'est-à-dire l'impôt les met.
accroissement de production. E::mminons le pre- à l'abri de la faillite. Il n'en est pas de même
mier cas, devenu le slogan à la mode. dans les moyennes entreprises, chez les petits
Il faut tout d'abord affirmer qu'une baisse ou paysans, les artisans et les commerçants. ·
une hausse généralisée des prix des produits, Est-ce à dire qu'on ne doit. pas toucher à ces
des salaires et cles services n'a pas de sens. Pour catégories qui constituent le gros des classes
mieux comprendre cela il faut se rappeler que moyennes ? Non. Mais l'inconvénient le plus grave
dans notre économie on· n'échange en· réalité que d'atteindre ainsi certaines activités dites para-
des produits ou des services. Il faut faire ,abstrac- sites c'est que cette action ne donnera que des
tion de l'argent et imaginer que les paiements résultats négatifs. La commission des experts
se font en nature. Celui qui demande pour sa d' « Etudes des prix » a proposé l'élimination,
marchandise ou son travail plus que les autres de 700.000 commerçants marginaux de manière
ne peuvent donner ne peut pas vendre ou chôme. à raccourcir les « cirouits ». Etant donné que
L'argent n'y fait rien et toute mesure d'ordre la baisse des prix peut causer des faillites, des
monétaire quelle qu'elle soit n'y fait rien non fermetures d'ateliers, des licenciements d'ouvriers,
plus. Le pouvoir d'achat n'est en réalité qu'un provoquer un afflux de main-d'œuvre paysanne
pouvoir d'échange. Si une marchandise A dont la dans les villes, c'est peut-être deux millions de
fabrication a demandé 10 .heures de travail personnes qui vont se trouver, en tout ou en
s'échange contre ' 100 unités d'une autre mar- partie, privées de leurs moyens d'existence. Cette
chandise B, et si l'on exige 120 unités de B con- main-d'œuvre inoccupée va peser sur le marché
tre 10 heures de travail, la production devient du travail et contribuer, sous une forme ou sous
impossible, et il en sera ainsi tant que les rap- une autre, à une baisse du salaire et à une
ports d'échange ne seront pas modifiés. Les prix recrudescence du chômage.
sont l'effet et non la cause de cette modification. La diminution autoritaire des prix ·- de cer-
Tout compte fait, une hausse on une baisse tains prix doit-on dire - qui ne comporte aucune
autoritaire des prix ne peut se solder que par compensation de structure ou d'ordre monétaire,
un déplacement du pouvoir d'achat. Ce déplace- présente bien d'autres inconvénients, qui pour
ment peut-il être une meilleure distribution du n'être pas immédiats n'en sont pas moins né-
revenu général ? Si oui le résultat serait appré- fastes. Il est un axiome de l'économie qui dit
ciable. Mais en sera-t-il ainsi ? · qu'une pièce de monnaie ne peut être dépensée
Si les salaires, le prix des services essentiels, qu'une seule fols en même temps. Cela signifie,
les pensions, les secours aux économiquement fai- si j'ai bien compris, qu'on ne peut avec la même
bles, etc., en général. tous les revenus fixes, ne somme d'argent et consommer et produire ; on
sont pas modifiés, il est évident qu'une baisse peut faire l'un ou l'autre, mais pas les deux à
des prix .sera un avantage pour les · catégories · la fois. Dans le cas qui nous préoccupe, il est
dont je viens d'énumérer les ressources. Mais probable que les producteurs qui s'estimeront lé-
les revenus fixes ne sont pas uniquement des re- sés par la baisse feront tout pour ne pas perdre
venus faibles. Les revenus de certaines activités leurs profits. Ils réduiront d'abord - il faut croire
libérales, des gros salariés de la fonction publique, que cela ira de soi - tous les frais de production
de l'industrie, du commerce, des secteurs natio- non indispensables, mais aussi les sommes con-
nalisés seront aussi avantagés et leur situation sacrées à l'entretien, à l'amortissement, à l'ex-
de privilégiés consolidée ; et cela sans bénéfice tension de leurs entreprises. Si cette réduction
pour l'économie générale puisque dans mon hy- se fait à tous les échelons de la production et
pothèse il n'y a pas augmentation de production. de la distribution, on aboutira à une consomma-
Les avantages accordés aux uns· le sont aux dé- tion des biens de production, donc à une dimi-
pens des autres. L'augmentation relative des re- nution de la faculté de prodÙire. La règle citée
venus fixes aura pour contre-partie une diminu- plus haut est immuable : si le pouvoir d'achat
tion, absolue celle-ci, des revenus variables. Or du producteur qui produit s'affaiblit au profit
les revenus variables ce sont ceux du négoce, du du consommateur qui consomme, on assiste à une
monde des affaires, des industriels, des commer- destruction des moyens de production.
çants, des agriculteurs. Ceux-ci accepteront-ils ce Ainsi, pour nous résumer, la baisse des prix
sacrifice ? Le mécontentement des paysans qui sans accroissement correspondant de la produc-
se traduit en ce moment par les manifestations tion sera 'très difficile à réaliser et si elle est
que l'on sait répond à ma question. Et ce refus réalisée ce sera comme toujours au détriment de
sera d'autant plus absolu que la majorité des catégories de producteurs économiquement fai-
législateurs et des membres du gouvernement est bles sans bénéfice pour l'économie générale. Les
entièrement acquise à la défense des revenus des déplacements du pouvoir d'achat ainsi créés ne
catégories précitées. peuvent que troubler l'économie et produire des
D'autre part, ce bouleversement dans la dis- conjonctures artificielles qui s'effondreront les
tribution des revenus peut avoir des conséquences unes après les autres laissant les gens plus pau-
graves, faciiement prévisibles sur la structure de vres qu'avant avec des produits plus chers. La
la production. Une baisse des prix a sa réper- seule baisse des prix profitable et créatrice de bien-
cussion immédiate sur les bénéfices et les profits être pour tous ne peut-être que la conséquence
qu'il est difficile de récupérer en temps de crise. d'une augmentation de la production due à une
Les salariés qui d'habitude font les frais de plus grande productivité, c'est-à-dire à une plus
la diminution des bénéfices n'accepteront pas grande vitesse de production et bien entendu sans
une baisse de salaires et bien que, fort divisés, augmentation ni de la durée ni de l'intensité du
ils sont en mesure de s'opposer à une réduction travail humain.
des salaires, même dans le cas d'une baisse. J. FONTAINE.

20-52
Notes d'Economie et , de · Politique

LE LAICISME ET LE CLERICALISME · La situation de Nequib étant beaucoup plus


forte que celle de Mossadegh du fait qu'il tient
AUX PRISES DANS LE PROCHE-ORIENT l'armée, alors que Mossadegh avait l'ormée con-
tre lui. on peut espérer que cette rupture entre
Nous avons signalé en son temps la tenue du les deux éléments anticolonialistes, le progres-
Congrès panislamique qui eut lieu il y a quel- siste et le réactionnaire, n'aura pas en Egypte
ques années à Karachi, capitale du Pakistan, les funestes conséquences qu'elle eut en Iran .
. au cours duquel deux tendances s'affrontèrent Quoi qu'il en soit, il faut bien se convaincre
vigoureusement. ·· qû'une telle rupture est inévitable. Les pays ara-
L'une était celle de ceux qui sont musulmans bes ne peuvent se libérer qu'en se libérant de
avant tout ; ceux-là considèrent bien, tout com- l'Eglise en même temps que de l'impérialisme.
me leurs adversaires, qu'il est essentiel de se Dans le Proche-Orient tout comme en Europe,
débarrasser de la domination européenne, mais le monde moderne ne peut se bâtir qu'en met-
la suppression de· cette domînation n'est pour tant d'abord ·]es Eglises à la raison. La lutte de
eux que la préface nécessaire au rétablissement l'Etat et de l'Eglise est guelque chose qui n'a rien
des plus vieilles traditions de l'Islam ; ce dont de spécifiquement chretien ; elle est inévitable
ils rêvent, c'est de la restauration d'un nouveau dans tous les pays où il existe une Eglise, de
califat instituant dans tout le monde arabe et quelque foi qu'elle se réclame, et qui veulent se
dans tous les domaines, politique, juridique, so- donner un Etat.
cial. voire économique, la loi unique du Coran.
On l'a déjà bien vu, il y a quelque trente ans,
L'autre tendance était celle des modernistes ; en Turquie : Kemal Pacha n'a pu instituer la Tur-
de ceux qui veulent libérer leurs peuples de l'im- quie moderne qu'au prix d'une lutte ouverte con-
périalisme européen, non pour revenir à la loi tre les congrégations islamiques à côté de la-
islamique, mais pour construire des Etats mo- quelle les « kulturkampf -.. de Bismarck ou de
dernes, bâtis plus ou moins sur le modèle euro- Combes ne furent que jeux d'enfants. Mosquées
péen, et qui devront assurer à leurs citoyens, en fermées, congrégations dissoutes el leurs biens
même temps que la liberté et l'indépendance, le confisqués, clergé séculier soumis à une tutelle
progrès matériel et culturel. · directe de l'Etat, ce n'est que par ces moyens,
Si les deux tendances sont aussi anticolonia- qui, s'il· s'était agi de chrétiens, auraient fait re-
listes l'une que l'autre, elles s'opposent donc pourtentir l'Europe de protestations indignées contre
tout le reste. Il s'ensuit que s'il leur arrive de « la persécution religieuse », qu'Ataturk parvint
à faire appliquer les mesures révolutionnaires
s'unir lorsqu'il s'agit de faire front contre le maî-
tre étranger, dès qu'il faut construire elles se qu'il jugeait nécessaires à la modernisation de
séparent et se combattent. la Turquie, des Turcs... el de leurs femmes.
C'est ce qui est arrivé en Iran où·le renverse- C'est donc bien sur deux fronts que les révolu-
ment des vieilles coteries probritanniques et la tionnaires du Proche-Orient ont à combattre, et
nationalisation des pétroles n'ont été acquis que cela complique leur tâche. Toutes les grandes
par une alliance étroite du Front populaire de tâches sont compliquées, mais plus les complica-
Mossadegh avec la puissante congrégation reli- tions sont grandes, plus elles rendent la victoire
gieuse de Kashani - le premier représentant ardue et difficile, et plus les fruits de cette victoi-
l'élément laïque, moderne et progressiste, la se- re demeurent solidement assurés.
conde personnifiant l'Eglise. Mais l'ambassadeur
ar..glais avait à peine plié bagage que la discor-
de éclatait entre Mossadegh et Kashani, et cette 'BLUFF ET IMPRODUCTIVITÈ
rupture de l'alliance qui avait assuré la victoire
amenait la défaite, au moins temporairement, en II y a vraiment de quoi se taper le cul sur le
permettant au shah de réaliser un coup d'Etat trottoir,· comme l'on 'dit au Canard Enchaîné.
qu'il n'aurait même point essayé de tenter si L'Etat français fait une campagne de tous les
la lutte au couteau qui s'était instituée entre le diables pour accroître la « productivité », il dé-
chef du pouvoir temporel et le tenant du pou- pense je ne sais combien de millions, et. peut-être
voir spirituel ne lui avait ouvert la voie. de milliards, pour entretenir ou subventionner
Or ce sont exactement les débuts de ce même je ne sais combien d'offices qui ont pour objet
processus que nous voyons maintenant se pro- de « promouvoir » la productivité, et il est, en
duire en Egypte. Le coup d'Etat qui mit fin au même temos, le plus grand organisateur d'im-
régime de Farouk et de ses amis anglais put productivité qui soit !
;
réussir sans coup férir grâce à l'union étroite Prenons l'exemple de ce que l'on considère
des éléments révolutionnaires de l'armée, repré- comme étant actuellement la tâche la plus ur-
sentant l'Etat laïque et moderne, avec les « Frè- gente de l'économie française : la construction.
res musulmans », dont le but avoué était d'éta- Pour encourager celle-ci, le Parlement a voté
, blir en Egypte un Etat musulman théocratique. des lois comportant des mesures dont la plupart ·
Or cette alliance n'aura pas plus duré que celle se sont avérées efficaces en ce sens qu'elles ont
de Mossadegh et de Kashani: La rupture vient amené pas mal de gens à vouloir construire. La
d'éclater d'une manière même encore plus TO- plus importante de ces mesures est celle qui
dicale qu'en Iran, avec la. dissolution de la Con- concerne les crédits consentis aux constructeurs.
grégation et l'arrestation de ses leaders, chose
que Mossadegh ne s'était pas, en Ircn. hasardé Or voyons-en l'application !
à faire. La région où je demeure se trouve être celle

21-53
où l'on construit le plus, la seule même peut- construction les plus économiques. Il s'ensuit 9ue
être où l'on construise vraiment. Eh bien ! lors- lorsque le propriétaire fait sa demande de crédit
que vous passez près d'un chantier, vous êtes en présentant les devis qui lui ont été fournis
étonné de constater très souvent que le chantier par ses entrepreneurs, on lui répond : impos-
est désert, et cela souvent pendant de longs mois. sible ! Impossible, parce que vos devis sont
La maison, au tiers, ou à la moitié, ou aux trois trop élevés, il faut les ramener à 20.000 francs,
,1 quarts construite, est en panne. au mètre carré, sans cela vous n'aurez rien.
Pourquoi cela ? « Mais personne ne peut construire à 20.000 fr.
Tout simplement parce que le propriétaire, qui le mètre carré ! » - « Nous le savons bien, lui
comptait sur les prêts qui lui avaient été consen- répond-on, mais lès ordres sont les ordres. Pas
tis et dont le montant devait lui être versé au moyen de prêter quoi que ce soit si vous cons-
fur et à mesure de la construction, n'a encore truisez à plus de 20.000 francs. En conséquence,
rien touché ! Il ne peut donc plus payer ses en- vous n'avez qu'une chose à faire : remettez-nous
trepreneurs, de sorte que ceux-ci, sauf le cas où des devis faux ».
ils possèdent des disponibilités financières con- Et c'est le conseil que chacun, naturellement,
sidérables leur permettant de faire crédit à leurs s'empresse de suivre. On fait faire aux entrepre-
clients, ont été obligés d'arrêter les travaux jus- neurs des devis à 20.000 francs, en s'engageant
qu'à ce que l'Etat se décide à verser les sommes à leur payer en « dessous de table » la diffé-
promises. Il s'ensuit qu'un pavillon qui norma- rence de dix ou quinze mille francs par mètre
lement demanderait six mois pour être achevé avec le devis réel.
n'est jamais terminé avant deux ans ! D'où les deux conséquences suivantes (je laisse
Inutile d'insister sur la diminution de produc- de côté, bien entendu, les conséquences « mo-
tivité que ces arrêts entraînent. L'entreprise est rales » : l'Etat, ce grand moraliste, obligeant,
obligée de faire chômer son personnel pour un en fait, les citoyens à le tromper ! ) :
temps indéterminé. les matériaux commandés 1) Le propriétaire qui a tiré ses plans pour
restent inutilisés, la maison, ouverte aux quatre construire une maison de 3 millions, tout en
vents, se détériore, les capitaux employés à l'a- ne disposant que de 900.000 francs parce qu'il
chat du terrain et aux travaux déjà effectués de- comptait que les établissements d'Etat lui prê-
meurent improductifs, etc... teraient 70 % des 3 millions, soit les 2.100.000
Or c'est là, je le répète, non pas un cas isolé, francs qui lui manquent, et qui, la plupart du
mais la règle générale. Dans mon coin, je ne temps, a commencé ses travaux avant que soit
connais pas une seule maison où les travaux achevée l'interminable instruction concernant
sa demande de prêt, ne pourra finalement em-
n'aient été .interrompus à une ou .plusieurs re- prunter que 70 % de 2 millions (chiffre que por-
prises. ,
teront les devis faux qu'il aura dû fournir afin
Et cependant, rien n'est plus facile à faire de ramener de 30.000 à 20.000 francs le coût
fonctionner correctement que les crédits à la du mètre carré) soit 1.400.000 francs. Il lui man-
construction.·Tout Paris, ou, tout au moins, le quera donc 700.000 francs pour terminer sa mai-
Paris de la seconde moitié du siècle dernier, a son, ce qui fait que celle-ci risque de rester en
été construit avec de tels crédits. Le Sous-Comp- panne sine die ! Les travaux précédemment ef-
toir des Entrepreneurs, filiale du Crédit Foncier, fectués demeureront improductifs pour on ne sait
ou d'autres banques spécialisées, prêtait 60 % combien de temps !
de· la valeur de la construction au fur et à -me- 2) Naturellement, l'entrepreneur ne déclarera
sure de l'avancement des travaux. Dès que les au fisc qu'un chiffre d'affaires et de bénéfices
travaux étaient parvenus à un stade pour lequel correspondant aux devis faux qu'il a fournis, ce
un acompte était prévu, la banque en était avi- qui fera perdre à l'Etat un tiers du montant des
sée, elle envoyait immédiatement. son vérifica- impôts qu'il aurait, autrement, perçus.
teur et, quarante-huit heures après, on pouvait Voilà où conduit le bluff ! Le: tromperie n'abou-
toucher la somme convenue. Je ne crois pas qu'un tit jamais qu'à des pertes pour tout le monde,
seul des immeubles parisiens édifiés avec ce pour le bluffeur comme pour le bluffé !
système ait jamais. été arrêté un seul jour pour
raison d'un retard dans le paiement du crédit Màis qu'importe I du moment que nos solen-
alloué. Si les choses s'étaient passées alors com- nels imbéciles pourront gueuler à la tribune du
me elles se passent aujourd'hui, jamais le Paris Parlement qu'en France on construit pour 20.000
moderne n'aurait pu être construit. francs au mètre carré, que la preuve en est que
le.s tiroirs du Crédit Foncier sont remplis de
Mais il y a mieux encore. A cette première marchés signés par des entrepreneurs à ce taux,
cause d'interruption des travaux, s'en est ajou- et qu'on pourra se targuer de prêter 70 % du
tée depuis quelque temps une seconde, plus coût de la construction, alors qu'on n'en prête
grave encore, et qui provient de ce qu'à l'impé- même pas 50 % ! (2).
ritie des administrations s'est ajouté le bluff
des politiciens. (2) En ce qui concerne les constructions faites di-
On a voulu en mettre plein la vue ! On a rectement par l'Etat, le bluff est d'un autre genre,
déclaré d'une part, que l'on allait prêter jusqu'à mais li est encore plus désastreux au point de vue
70 % de la valeur de la construction et que, de la productivité. Il consiste à entreprendre un grand
d'autre part, les Français étant des as ils allaient nombre de travaux mais à ne les poursuivre qu'à
construire meilleur marché que tous les autres pas de tortue du fait que l'on n'accorde les crédits
pays. nécessaires qu'au compte-gouttes.
Dans mon patelin, également, il y a de cela un
Pour arriver à ce résultat, c'est bien simple ! exemple frappant. La construction d'un hôpital
Le ministre a décrété que la construction d'un y a été entreprise au début de 1936 ; or, cet hôpital
pavillon ne devait pas revenir à plus de 20.000 n'est pas fin( ! Donc, même si vous -dératquez les
francs le mètre carré. Mais .aucun entrepreneur, années de guerre (bien qu'en fait les travaux ont été
par aucun procédé, ne peut actuellement édifier poursulvis pendant la plus grande partie de la guer-
une demeure à moins de 30.000 francs le mètre re), il faudra plus de douze ans - et peut-être beau-
carré (1). même en employant les modes de coup plus - pow· construire l'hôpital d'une ville de
40.000habitants ! Et le département compte actuel-
lement parmi ses députés deux ministres et un type
( 1) Je prends les chiffres de ma région. Dans la qui fut candidat à la présidence de la République -
région parisienne, il faudrait, paraît-li, compter Qu'est-ce que ça doit être dans les départements
35.000 rrancs moins « influents » ! 1

22-54
AUTRE BLUFF qu'elles soient divisées en un grand nombre de
AUTRE CAUSE D'IMPRODUCTIVITE parcelles, généralement très petites (parfois
même incultivables parce que trop exiguës). ce
qui entraîne une perte de temps considérable,
Ce gaspillage d'énergie, d'énergie· humaine, non seulement pour aller· de l'une à l'autre, mais
du fait de l'Etat, dans l'une des plus importantes surtout dans le maniement des engins mécani-
branches de l'activité industrielle française est ques, qui ne donnent vraiment leur plein rende-
si manifeste qu'il n'a pu passer inaperçu et a ment que sur des champs qui soient à leurs di-
déjà soulevé un certain nombre de protestations. mensions.
Mais il est un autre bluff, d'un genre différent,
beaucoup plus profond et plus insidieux, qui a Or ces deux maux sont essentiellement dus à
des conséquences bien plus étendues, et cela la surpopulation. Si la concentration de la pro-
dans un domaine dont la productivité conditionne priété agricole - bien qu'alla ait lieu - est
celle de tout le pays, je veux dire dans le do- si lente et si son « remembrement » ne pro-
maine agricole. La productivité agricole com- gresse qu'à pas de tortue, c'est que les paysans
mande, en effet, la productivité industrielle, car n'ont ducun intérêt à y procéder, car malgré
l'ouvrier d'usine se nourrit, tout comme le pay- tout le gaspillage de temps et d'énergie que leur
san, de produits agricoles, et, si ceux-ci coûtent régime de petites propriétés et de parcelles im-
cher parce qu'ils n'ont été obtenus qu'avec beau- plique, ils suffisent à la tâche ; ils peuvent gas-
coup de travail, la journée de l'ouvrier industriel, piller du temps et de l'énergie car s'ils ne les
et, par conséquent, ce qu'il aura produit, seront gaspillaient pas, si leur productivité se trouvait
chers, même si l'ouvrier doit se contenter de accrue du fait de l'agrandissement des proprié-
fort peu pour vivre. tés et du rassemblement des parcelles, combien
Or je viens d'achever la lecture d'un ouvrage d'entre eux devraient quitter le sol natal où leurs
qui m'avait été chaudement recommandé par feu bras sont devenus inutiles pour aller à la ville
notre camarade Chaneaux, l'apiculteur du Jura, rechercher un emploi incertain ?
qui est intitulé Voyages en France d'un agro- On ne progresse que par nécessité. Le paysan
nome et qui a pour auteur un professeur à l'Ins- qui cultive avec son fils une ferme trop petite
titut agronomique, René Dumont. ou trop morcelée n'a pas d'intérêt à la vendre
Cet ouvrage est constitué par une série de à son voisin, car il ne trouverait pas à s'em-
monographies sur des villages, des hameaux, ployer sur le nouveau domaine, qui, malgré son
des fermes situés dans toutes les parties de agrandissement, n'aurait pas besoin de plus de
la France. J'apprécie beaucoup, pour ma part, main-d'œuvre, car la productivité s'y trouverait
les monographies, car ce n'est qu'à travers elles accrue, et guère plus d'intérêt à la remembrer,
que l'on peut apercevoir la réalité, la réalité car que feraient-ils tous les deux sur une ferme
concrète, la seule qui compte, réalité qui échappe pour laquelle un homme suffirait ?
presque complètement à travers les statistiques C'est pourquoi René Dumont a pu intituler toute
d'ensemble où l'on additionne des poireaux avec une partie de son livre : Le drame de la surpo-
des pommes de terre ! pulation rurale de l'Ouest, et il ressort du res-
Eh bien ! ce qui ressort avant tout de cette tant de son ouvrage que si c'est dans l'Ouest
large enquête, c'est que la campagne française de la France que la surpopulation rurale atteint
est trop peuplée. La surpopulation, telle est la sa plus haute intensité dramatique, elle est, en
raison de la faible productivité du travailleur fait, le drame de toute la France.
agricole français. Or, toujours afin de bluffer, afin de pouvoir
Si, en France, un tiers de la population active prétendre que la France est un grand pays, un
est employé à produire l'alimentation du reste pays à population croissante dont le poids dé-
de la population, alors qu'en Amérique du Nord, mographique pèsera de plus en plus dans la
avec un sol moins fertile, il suffit pour cela de balance du monde, l'Etat français n'a de cesse
17 % de la population active, qui fournit, en de vouloir encore accroître sa population rurale,
plus, de quoi alimenter une large exportation, si largement excédentaire qu'elle soit déjà, et
c'est qu'il y a trop de paysans. Loin que la terre il a notamment, pour cela, créé tout son sys-
manque de bras, elle a trop de bras. Car la tème d'allocations familiales ...
surabondance de bras amène la stagnation tech- Nous avons souvent insisté sur ce point que
nique et maintient, par conséquent, une. faible c'étaient avant tout les hauts salaires qui étaient
productivité. le facteur déterminant de l'accroissement de la
Les raisons du gaspillage de travail dans les productivité. Mais les hauts salaires sont eux-
campagnes françaises sont bien connues : elles mêmes, pour une large part, le produit d'une
sont au nombre de deux, plus ou moins com- rareté de la main-d'œuvre. Les hauts salaires
plémentaires. américains n'ont pas d'autre origine que la pénu-
La première réside dans la trop faible super- rie de main-d'œuvre qualifiée qui a régné pres-
ficie des exploitations ; avec une ferme trop que continuellement en Amérique.
petite, l'amortissement de l'outillage mécanique Dans l'agriculture, on se trouve en présence
est trop élevé, son emploi n'est plus économique; d'une situation analogue. C'est la rareté du culti-
quand une batteuse, comme dans certains petits vateur qui, en permettant à ce dernier d'avoir
domaines où on l'a achetée pour « placer son plus de terre qu'il n'en peut cultiver par les
argent D, ne fonctionne qu'une demi-journée par moyens traditionnels, l'amène à accroître sa pro-
,.. an, ce n'est qu'un luxe dispendieux. Notre au- ductivité et. du même coup, son bien-être.
teur estime que pour s'outiller convenablement La France a le choix entre deux routes : celle
et assurer une utilisation économique des appa- de l'Amérique et celle de l'Italie. L'une qui', par
reils, une ferme (la ferme ordinaire de polycul- un déficit constant de population, a conduit le
ture à base de céréales et d'élevage) ne doit pas pays à la plus haute productivité et au plus
avoir moins de 30 hectares. Or innombrables haut standing de vie ; l'autre qui, par une sur-
sont, en France, les propriétés qui ont moins population chronique, à peine atténuée par une
de 30 hectares, et très nombreux sont les « mi- émigration cependant massive, a engendré une
crofundia » où le paysan vit, au bord de la fa- misère chronique et, malgré la grosse puissance
mine, sur à peine quelques hectares. de travail de ses habitants, une des plus basses
La seconde raison réside dans le fait que, si productivités de tout l'Occident. .
petites que soient ces exploitations, elles ne sont
que rarement d'un seul tenant ; la règle est R. LOUZON,

23-55
DANS LES P.T.T.
La grève des bureaux-gares
Le mouvement de fin d'année, qui a paralysé Sur le plan général les salariés de l'Etat obte-
une grande partie du trafic postal, représente un naient satisfaction, les décrets concernant la
type de grève devenu courant dans les services pu- retraite resteraient lettre morte, mais le gouverne-
blics. Une catégorie part en flèche, spontanément, ment cédait fort peu sur le plan des revendications,
ou sur l'ordre d'un syndicat aux effectifs vraisem- en dépit de la durée et de l'ampleur de la grève.
blablement infimes. Ici nous avons vu surgir une Seuls les postiers devaient rentrer avec des con-
fédération autonome, alors que pendant les grèves cessions intéressantes. Ils n'abusent pas de la grève,
d'août il n'était encore question que de syndicats l'accroissement du trafic est très net dans plu-
autonomes. sieurs branches : téléphone, chèques postaux, on
Bien entendu, les postiers syndiqués (pas telle- reconnaît que les postiers travaillent et que l'ad-
ment nombreux) se partagent déjà entre les gran- ministration postale est efficace.
des (!) confédérations : C.G.T., F.O. et Chrétiens. Le bilan d'août était donc le suivant :
En dehors de ladite fédération autonome il existe 1) Indemnité dégressive de 3.000 francs par mois
encore de minuscules syndicats de catégorie. Ce pour les plus bas traitements (mesure générale
bas corporatiSme n'est même pas une nouveauté pour tous les salariés publics) ;
aux P.T.T., l'actuel préfet de police s'y diStinguait 2) Institution d'une prime de sujétions (ou de
déjà il y a une bonne vingtaine d'années. productivité) fixée à 12.000 francs par an au lieu
Nombreux ou pas, les syndiqués de la fédération de 20.000 demandés.
autonome sont tout de même à I'origine d'une grève Pour les petits salariés à 20.000 francs par mois
dont le public a très vivement senti les effets. Les ces deux mesures représentent une augmentation
postiers en grève n'étaient pas 2.000 mais les bu- de 20 %,
reaux-gares sont des points stratégiques essentiels 3) Titularisation de 25.000 auxiliaires.
pour bloquer le trafic postal en période de pointe. 4) Augmentation des effectifs dans les services
Bien entendu, la fédération postale (C.G.T.), ne débordés par l'extension du trafic.
voulant pas se laisser distancer, s'associa au mou- Ces résultats, pour importants qu'ils soient, n'en-
vement sans toutefois chercher à l'élargir à d'au- chantaient pas les postiers et la rentrée s'était faite
tres services. La fédération syndicaliSte (F.O.), dans des conditions confuses, avec une certaine
quant à elle, limitait l'arrêt du travail dans le amertume.
temps en donnant I'ordrè de reprise après trois Aux salariés moyens, la grève n'avait rien ap-
jours de grève. Dans un communiqué elle précisait porté et on voulait oublier la mise en pièce des
que le travail devait reprendre le 25 décembre à décrets relatifs à l'âge de la retraite. Quant aux
20 heures, en conformité d'ailleurs avec l'ordre de petits salariés, augmentation sensible, mais qui
grève initial de la fédération autonome. peut se satisfaire de 24.000 francs par mois ?
Ces salaires misérables, ils existent aussi dans
Pourtant le mouvement devait se prolonger jus- l'industrie mais on n'y trouve pas, comme chez les
qu'au 4 janvier et se prolonger bien vainement. postiers, quatre ou cinq catégories, côte à côte au
Après des pourparlers avec Bougenot, sous-secré- même travail, chacune ayant sa propre échelle de
taire d'Etat non parlementaire et homme de con- traitement. A la limite, avant le dernier rajuste-
fiance de Laniel, il était convenu : ment, on pouvait voir deux agents rivés au même
1) que les grévistes ne subiraient aucune sanc- travail avec des différences de salaire de l'ordre
tion ; du. simple au triple ! N'est-ce pas là un scandale
2) qu'un acompte de 4.000 francs (à valoir sur plus grand que l'inégalité d'autrefois entre le sa-
la prime de sujétion de 12.000 francs obtenue en laire masculin et féminin ?
août) serait payé en janvier. Force Ouvrière avait déclenché la grève et dé-
Deux semaines de grève, une perturbation con- battu les conditions de reprise et pourtant ·Ja fédé-
sidérable dans le service postal au moment où le ration syndicaliste ne semble pas avoir tiré de ces
public attend beaucoup de la poste, tout cela pour événements tout le bénéfice moral qu'elle en pou-
obtenir que soit un peu avancé le paiement d'une vait escompter.
prime acquise ! li est vrai que nous connaîtrons Dans cette corporation si truffée de Méridionaux
maintenant l'existence de cette fédération autono-' on voulait se croire en 1936. Dans l'enthousiasme
me et tous les syndicats de postiers auront eu l'oc- des réunions, personne ne voulait ajuster les reven-
casion de manœuvrer pour se placer en vue des dications aux possibilités actuelles. Les sùrenchères
prochaines élections corporatives. La grève n'aurait de la C.G.T. et de toutes ces organisations concur-
pas été possible s'il n'existait pas un mécontente- rentes illusionnaient les grévistes. C'est ainsi que
ment latent dans les P.T.T. et il faut revenir sur Ja grève fut inutilement prolongée et que les mili-
, l'issue du mouvement précédent pour comprendre tants de Force Ouvrière appelés à y mettre fin
cet état d'esprit. Ce sont les postiers, et notamment ne se sentirent pas en mesure d'affronter les réu-
ceux de Bordeaux, qui ont donné le signal de cette nions de grévistes. .
vague de fond qui dressait les fonctionnaires et C'est en jouant sur ces rancœurs, c'est dans ce
agents des services publics contre les décrets du climat que s'inscrit le mouvement récent des bu-
gouvernement. ·Mouvementdéfensif, puisqu'il s'agis- reaux-gares et ambulants. Sa conclusion n'a pas
. sait de maintenir les conditions d'âge d'admission été très différente dans la nature des pourparlers
à la retraite. Dans le feu de la grève on ne tarda également séparés, mais cette fois ce fut Je fait
pas à dresser un cahier de revendications et sur des autonomes.
ce terrain les postiers encore furent les premiers. Gréve de fin d'année, parce qu'il s'agissait de

24-56
peser sur le parlement et le gouvernement au mo- du client, le souvenir de la grève d'août la coïnci-
ment du vote du budget. Pour le public, la gêne dence du second mouvement a dû contrarier fort le
était indéniable en cette période de fêtes où cir- rendement de la présentation des calendriers. Mais
culent les échanges de cadeaux et de vœux. Pour est-ce une coutume dont la corporation postale
'les facteurs qui avaient à surmonter, dans l'esprit doive être fière ?
Georges MAUPIOUX.

• •
Les grèves du Livre par1s1en
· Le dernier trimestre de 1953 a été marqué par sous, au moins en ce qui concerne les normes
une certaine agitation, des grèves tournantes par de production et la tarification des heures sup-
services et par l'arrêt total dans quelques impor- plémentaires. Ici la fédération du Livre n'a pas
tantes imprimeries parisiennes. le monopole syndical et il existe des non syndi-
On sait que le Livre est partagé en deux bran- qués.
ches : la presse et les imprimeries de labeur. Cette Les éléments « activistes » représentant le pre-
distinction très nette en ce qui concerne les con- mier type d'imprimerie tentèrent de déborder les
ditions de travail l'est moins quant à sa nature. représentants des syndicats au Comité intersyn-
Les travaux les plus variés sont effectués dans dical (qui groupe les différents syndicats pari-
le labeur... y compris la confection de très im- siens de la Fédération du Livre), ils voulaient
portants périodiques. imposer une grève illimitée.
La presse obtient en général des conditions Ici se place une intéressante réaction des re-
de travail plus favorables parce que la matière présentants de la Chambre syndicale typogra-
imprimée, s'il s'agit d'information, ne supporte phique, Bernard et Waille, et du secrétaire du
pas le moindre retard d'impression et de dis- Syndicat général du Livre, Prudhomme, qui se
tribution. Ajoutons que la presse est syndiquée à refusaient à lancer un ordre de grève avant d'avoir
100 %. Dans le labeur, les salaires sont plus di- épuisé tous les moyens de discussion.
versüiés et les tarifs syndicaux actuels ne sont A titre de premier avertissement le Comité in-
pas encore au niveau d'avant guerre. tersyndical interdisait les heures supplémentaires,
L'échelle mobile d'abord instituée dans la presse, mesure qui perturbait le travail dans de nom-
puis dans le labeur, a empêché que ne se pour- breuses entreprises. Hélas ! dans le Livre comme
suive la dégradation des salaires commencée dans ailleurs les heures supplémentaires sont devenues
les années d'inflation accélérée qui suivirent la pratique courante.
libération. Dans la presse un accord, dont l'ap- Le Comité intersyndical, réformé après ces in-
plication s'étend sur deux années, a consacré cidents, devait passer à des mesures plus nettes
le principe d'un retour au salaire de 1938 par en constatant la persistance des atermoiements
comparaison des indices. Cette revalorisation se patronaux. Par décision unanime il renonçait à
poursuit par paliers de 3 % et doit être terminée la grève illimitée et se prononçait pour un arrêt
en juillet 1954. Précisons que la reprise du pou- du travail d'une journée par semaine.
voir d'achat n'est que partielle, les négociateurs · Chaque maison était laissée libre des modalités
syndicaux ayant dû admettre un correctif tenant d'application. Dans telle imprimerie la journée
compte des avantages sociaux acquis depuis 1938. fut interprétée comme trois arrêts de 8 heures !
Intervient ici la notion de salaire différé : sécurité Ailleurs c'était l'arrêt en bloc d'une journée, plus
sociale plus étendue; allocations familiales, allon- souvent ce fut un système d'arrêts fractionnés de
gement du congé, retraite complémentaire. Tous durée variable et service par service. Les travaux
ces avantages, disent les patrons, doivent venir assez complexes de l'héliogravure permirent d'in-
en déduction du. salaire théorique de 1938, expri- fliger des retards considérables à des publications
mé en francs de 1952. La revalorisation a donc importantes et cela sur plusieurs semaines et pour .
été chiffrée à· un coefficient qui est une cote mal les numéros spéciaux de la période des fêtes.
taillée. Il faut noter que des mouvements de cette
A son tour le labeur devait se battre pour nature exigent beaucoup de discipline et de ré-
décrocher les avantages obtenus dans la presse, solution de la part des grévistes, La résistance
c'est le processus habituel. La retraite complémen- patronale étant d'ailleurs très vive et soutenue
taire entre en application à Paris et la fédéra- le plus souvent par la clientèle. Toutefois, au
tion espère signer un accord national sur ce cours de la troisième semaine, la lassitude attei-
terrain. Le problème de la revalorisation devait gnait visiblement les deux camps. Dans · trois
se poser plus brutalement au cours du dernier imprimeries des incidents transformaient le mou-
trimestre. La méthode des pourparlers, même vement en grève totale.
s'ils sont très longs et parfois décevants, est une Dans ces · conditions les dirigeants de !'Intersyn-
tradition du Livre. Par ces contacts fut acquis dical cherchèrent sagement à conclure et il y eut
l'accord patronal de principe, en vue d'une reva- des contacts officieux préludant à la rentrée et
lorisation des salaires par paliers. Quand il fallut à un accord.
fixer dates et chiffres, la volonté de lanterner La position ouvrière était la suivante En
devint évidente, l'impatience gagna les éléments préambule à toute discussion, pour fixer le niveau
actifs des principales imprimeries parisiennes. de revalorisation à atteindre et la périodicité
L'impression en héliogravure et offset de nom- des paliers, une première mesure doit être prise :
breux périodiques illustrés à · grand tirage a con- le point à 2 fr. ·
centré dans certaines imprimeries des travaux qui Il s'agissait de porter le salaire du typo qua-
permettent aux ouvriers d'exercer une pression lifié, coefficient 100, de 188 à 200 francs l'heure.
aussi efficace que dans la presse. Bien entendu Après discussion les délégués ouvriers transi-
ces imprimeries sont un peu en flèche et les geaient sur le tarif de 195 fr., soit 4 % d'aug-
salaires y dépassent les tarifs syndicaux. mentation. Les patrons s'engageaient à poursuivre
Dans d'autres imprimeries, grandes ou petites, l'étude et la discussion des modalités de récupé-
la situation est moins bonne ; on y travaille à la ration du pouvoir d'achat, terme fixé au 31 mars.
limite des conditions. syndicales, parfois en des- Le mouvement s'est déroulé 'à une période où

25-57
le travail était assez· pressant, on ne peut repro- le nombre des mouvements et mettre tout le poids
cher aux syndicats d'avoir mal choisi. Cependant syndical pour les terminer heureusement.
· il est certain que l'usage des primes de fin d'an- Dans le cas présent, c'est encore une victoire
née dans un certain nombre de maisons était un appréciable ; la Fédération garde des effectüs
moyen de pression patronale non négligeable. syndicaux importants, elle reste une des rares
Les organisations du Livre doivent enregistrer fédérations cégétistes qui conservent crédit et
que le mouvement a marqué des faiblesses. La efficacité.
grève illimitée n'a pas été décidée justement en Dans le dernier numéro de la R.P. notre ami
prévision de défaillances probables. Dans la plus Faucier montrait les atteintes qui y sont portées
importante maison de la place (Lang) il faut à la démocratie syndicale et au libre droit d'ex-
noter le renvoi du délégué général (un correc- pression des syndiqués. Il a raison, si le capital
teur) sans réaction du personnel. Dans une autre syndical que représente la Fédération du Livre
maison renvoi des délégués et de tous les élé- est à peu près intact, c'est parce que l'impor-
ments actifs, la grève de solidarité se termine tante minorité qui se prononça contre le main-
par un échec. tien à la C.G.T. incite les compagnons de route
des communistes à la prudence. La confirmation
C'est dire que les syndicats du Livre n'échap- de l'existence de cette forte minorité et sa ma-
pent qu'en partie à l'actuelle dépression syndi- nüestation nous paraissent une des conditions
cale. Ces dernières années, des grèves à Saint- nécessaires pour préserver les syndicats du Livre
Etienne, à Marseille furent de nets échecs. Le des aventures et du déclin.
Livre plus réformiste que révolutionnaire n'a ja-
mais été gréviculteur, raison de' plus pour limiter ·G. M.

Comment travailler efficacement pour


une Europe favorable aux salariés
Le C.C.N.Force ouvrière a mis la charrue devant raison de l'accumulation d'immeubles, de maté-
les bœufs... riel ou de capitaux due à la sueur des produc-
Il s'est prononcé pour l'Europe. Nous ne vou- teurs, en possession de 100 X ou de 1.000 X
lons pas discuter sur le fond. Syndicalistes, nous milliards. Ce capital social accumulé, représen-
préférons la formule Europe à la mosaïque de tant le fruit d'un effort collectif, est remis à
petits pays qui accumulent les obstacles à un des hommes qui n'ont pas travaillé et ont déjà
redressement économique dont pourraient bénéfi- reçu le paiement de la contribution qu'ils avaient
cier les salariés, en tant que producteurs et en fournie à l'entreprise sous forme d'apport de
tant que consommateurs. Mais avant de pousser capitaux.
au char des Européens qui nous préparent un C'est normal pour des bourgeois, mais ce n'est
Etat européen bourgeois et n'en veulent ni n'en pas normal, ni acceptable pour des salariés.
peuvent produire un autre, nous pensons que Les salariés, eux, non seulement ne reçoivent
les syndicalistes ont d'abord à réaliser les insti- rien de cet immense avoir social qui est le fruit
tutions européennes qui apporteront des garan- de leur travail, mais ils sont souvent mis simple-
ties et des possibilités de défense aux salariés. ment à la porte sans indemnité, sans même une
On a créé le cartel de l'acier et }e cartel du parcelle de ces indemnités de congédiement dont
charbon ; on a même créé des organismes où bénéficient les cadres. Et ils sont sur le pavé
les organisations syndicales ont des représentants .. sans indemnité.
A long terme, les salariés y trouveront peut- Voilà un de ces aspects de la formation de
être des avantages soit comme producteurs, soit l'Europe qui, pour nous, passent avant la cons-
comme consommateurs, mais, dans l'immédiat, titution du gouvernement européen, ou de l'ar-
qu'y gagnent-ils? mée européenne. Et c'est sur ces aspects de la
Ferme-t-on une boîte parce qu'elle ne pro- formation de l'Europe que nous voulons nous
duisait pas dans les conditions les plus avanta- arrêter. Nous voulons bien créer l'Europe,. mais
geuses dans le cadre du plan européen de pro- nous voulons qu'elle ne se fasse pas au détriment
duction ? Opère-t-on une fusion de plusieurs des salariés ; nous voulons même plus, nous
entreprises pour une meilleure coordination de voulons que, dans l'immédiat, les salariés qui
la production ? Les intérêts des actionnaires sont sont appelés à jeter les bases fondamentales de
sauvegardés ; l'actif de toute société qui dis- l'Europe, les bases économiques, aient égale-
parait est pris en charge par un groupe nouveau ment, tout comme les actionnaires, quelques
qui se constitue, les actionnaires déchus ont une garanties, et même quelques avantages et qu'à
part plus que compensatrice de leur avoir an- cette occasion on dise d'une façon concrète ce
cienne forme dans la nouvelle combinaison, les qu'on entend par rénovation sociale. Nous vou-
anciens dirigeants ont des fonctions nouvelles lons autre chose que des fauteuils et des hono-
qui accusent un avancement à la fois honori- raires ou des jetons de présence pour des repré-
fique et rémunérateur. On apprend même que sentants syndicaux qui ne représentent rien dans
tel capital porté pour X milliards de francs les organismes européens ; nous voulons des
dans l'actif vaut en réalité 100 X ou 1.000 X mesures précises quant au sort qui sera fait
milliards et que c'est en fonction de cet avoir aux salariés dont les entreprises sont entraînées
réel que seront déterminés le nombre ou la dans cette première Europe que constituent les en-
valeur des actions nouvelles des actionnaires des sembles productifs, tels que le pool de l'acier et le
sociétés dissoutes. pool du charbon.
En régime bourgeois, pour ceux qui acceptent On nous dira peut-être mais les représen-
le régime bourgeois, c'est normal. Il est normal tants que vous avez dans les organismes diri-
que les actionnaires qui avaient versé X mil- geants de ces ensembles productifs, ne pourront-
lions et avaient déjà reçu une rémunération fort ils pas préconiser des mesures en faveur des
raisonnable de cet argent versé se trouvent, en salariés ?

26-58
Cela ne nous apporte aucune satisfaction, au- dicats avec des bureaux d'études pour tout ce qui
cune garantie. Nos représentants sans mandat concerne les problèmes économiques et sociaux
sont des figurants. Les actionnaires, eux, ont eu que pose l'unification économique ? Des Unions
préalablement des garanties et des avantages, qui délégueraient elles-mêmes leurs représentants
et pour l'immédiat et pour l'avenir. Nous consi- aux organismes de direction créés, qui les man-
dérons que le travail constitue un facteur de deraient et exigeraient d'eux des comptes rendus
production de premier ordre et qu'il a droit précis de mandat et des informations précises
à des égards, qu'il y a droit par priorité, avant sur la vie des organismes considérés ?
méme les actionnaires. Nous allons même plus Le bloc bourgeois s'est créé spontanément au
loin, nous considérons que les droits du travail profit de la bourgeoisie appelée à participer aux
sur le capital social accumulé que constitue mesures d'unification et au profit de la bour-
l'avoir des entreprises arrêtées ou fusionnées geoisie en général.
doivent être reconnus. C'est une belle occasion pour A ce bloc qui est une réalité, qui s'est assuré
poser le problème, pour donner un sens au mot des garanties durables, des privilèges bien déter-
social que les démagogues du socialisme ou minés, il faut opposer le bloc des salariés par
de l'européanisme tout court ne cessent d'em- branche de production, par région, le bloc des·
ployer pour faire avaler les réformes de struc- salariés européens. Il faut donner des organismes
ture dont eux seuls et la bourgeoisie profi- syndicaux aux attributions précises à -ce bloc
teront. des salariés ; il faut en faire des organismes
Si vous voulez faire une Europe acceptable constructifs et des organismes de combat. Et
pour les salariés, si vous voulez que les salariés ce sont ces organismes, qui, en raison de l'atti-
apportent leur contribution à la création de l'Eu- tude des organisateurs bourgeois de l'Europe du
rope, faites-en des agents actifs et non des fer, de la mine... de l'Europe économique ou
résignés sur qui on fait peser d'abord la menace politique, détermineront la position des sala-
du chômage, puis celle d'une surexploitation par riés sur le problème de l'Europe, sur tous les
des organismes centralisés tout-puissants aux problèmes que posent l'unification des forces éco-
ordres des pronriétaires et des gestionnaires in- nomiques et l'unification des Etats de l'Europe.
téressés de leurs biens. Le C.C.N. a mis la charrue devant les bœufs.
Voilà pourquoi nous n'aurions pas voté la réso- Il s'est attelé - inconsciemment sans doute -
lution du C.C.N. sur l'Europe ; voilà pourquoi au char de l'Europe bourgeoise. Ce n'est pas son
nous ne voulons pas à priori prendre parti pour rôle. Son rôle, c'est de promouvoir l'Europe des
l'armée européenne. salariés qui apportera son point de vue sur les
Nous aurions préféré que le C,C.N. fût plus problèmes européens et assurera la défense des
modeste et qu'il s'en tînt à envisager la posi- intérêts ouvriers.
tion des organisations syndicales sur les pro- Avant de parler d'Etats Unis de l'Europe et
blèmes concrets que pose la création de l'Europe d'armée européenne, créons une vraie fédération
au fur et à mesure qu'ils se présentent. européenne des métaux, une vraie fédération
Le pool du fer et le pool du charbon, pre- européenne des mineurs, une vraie confédération
mières bases de l'Europe, les bases essentielles, des ouvriers européens. Et mettons-les au travail.
nécessaires, sont constitués. Nous avons d'abord LE PROLO PROVINCIAL.
à prendre position sur ces réalisations.
Ces bases se sont constituées sans les salariés. P.-S. - Quand je parle de créer des bureaux
Elles ont été opérées par des capitalistes, au d'études syndicaux sur les problèmes européens,
profit des capitalistes, toutes garanties assurées je ne pense pas du tout à élargir les bureaux
aux capitalistes entrainés de gré ou de force confédéraux ou fédéraux. Nous avons huit secré-
dans l'opération. Et nous avons assisté en spec- taires confédéraux, X secrétaires fédéraux aux
tateurs aux importantes transformations de struc- métaux. aux mineurs... Qu'on décide de relever
ture qui ont été effectuées dans la production ; les cotisations et qu'on crée de nouveaux perma-
des ouvriers ont été congédiés en raison de ces nents. Que se passera-t-il ? On en choisira d'au-
transformations sans aucune garantie. tres par cooptation, comme d'habitude, qui vien-
Que nous importe alors que Sinot et Delamare, dront faire de la phraséologie, qui iront prendre
ou tout autre fonctionnaire syndical, soient dans place dans ies organismes européens... pour faire
les organismes de direction ! l'Europe bourgeoise. Mais d'hommes capables de
Le C.C.N., au lieu de parler de l'Europe bour- suivre les problèmes européens tels qu'ils se
geoise qui se prépare et de lui apporter· son posent, on n'en cherchera pas. On n'en est pas
appui, n'aurait-il pas mieux fait d'envisager encore au syndicalisme constructif, on n'en est
d'abord une véritable Union des syndicats ou- qu'au syndicalisme de fonctionnaires syndicaux
vriers d'Europe, d'envisager une véritable Union capables seulement de jouer le rôle de figurants
des syndicats des métallurgistes d'Europe, et une dans des organismes d'administration d'affaires
véritable Union des syndicats de mineurs d'Eu- bourgeoises, da se gargariser de formules éco-
rope, qui se seraient proposé d'envisager toutes nomiques ou sociales conçues ailleurs que dans
'j
les répercussions de l'unification des productions leur cerveau ;· capables de tromper les salariés
métallurgistes et minières... sur la situation des avides de connaitre et de construire en détour-
ouvriers entraînés dans cette unification ? nant leur attention des solutions ouvrières aux
Avant de dire « oui. » à l'Europe bourgeoise, problèmes économiques ou sociaux pour la main-
ne convient-il pas d'abord de dire ce que nous tenir sur les jeux de scène de tous les orga-
'.r- pensons d'une européanisation de la métallurgie nismes bourgeois.
et de l'industrie minière faite par les seuls capi-
talistes et à leur profit immédiat et futur ? De QUELQUES CHIFFRES,
dire ce que nous exigeons en tant que copro- EN ATTENDANT MIEUX
priét.aires de l'avoir social remis aux ensembles Les actionnaires des Aciéries de la Marine-
productifs créés ? Le dire en tant que salariés Saint-Etienne, en entrant dans la Compagnie des
qui n'entendons pas risquer le chômage alors Ateliers et Forges de la Loire, ont reçu 164.500
que les actionnaires sont rassurés et largement actions de 5.000 francs, soit un montant nominal
indemnisés. de 822 millions 500.000 francs, mais les usines et
Ne convient-il pas de rédiger un cahier de fonds de roulement, l'avoir social accumulé avec
revendications ouvrières précises ? la sueur de tous les travailleurs, étaient évalués
Ne convient-il pas de créer les Unions de syn- à 10 milliards 600 millions.

27-59
Ceux des Aciéries et forges de Firminy ont ils ont pu faire profiter de l'augmentation du
reçu 125.500 actions de 5.000 francs, soit un rendement de fond à de nombreux protégés ou
montant nominal de 427 millions 500.000 francs. entrepreneurs. D'ailleurs, on en reparlera. Sinot,
Mais les apports étaient évalués 8 mi).liards qui est administrateur des Charbonnages, et qui
087 millions et comptabilisés 6.012 millions. suit la situation des Charbonnages, nous ren-
Nous allons donc assister à une hausse for- drait bien service en produisant le nombre exact
midable des actions de la nouvelle société, puis- des travailleurs ou hommes considérés comme
que leur montant nominal ne représente qu'une tels occupés dans les Charbonnages, en les clas-
petite fraction de la valeur réelle des biens don- sant par catégories : mineurs de métier, surveil-
nés en échange des actions. Les actionnaires lants, ingénieurs, employés de bureaux, person-
seront bien choyés. Il faudra accorder valeur nel attaché à la maitrise (tous les journaliers
réelle et valeur boursière en faisant intervenir jardiniers occupés par monsieur et les domes-
les milliards de réserves, on parle de plus de tiques de madame). Et ce serait encore mieux
12 ; encore de la sueur d'ouvrier pour augmen- si l'on avait en parallèle le même tableau pour
ter les biens des actionnaires. l'année 1938 par exemple. Voilà deux documents
qui nous permettraient d'émettre un jugement
Rien n'est prévu pour les métallos ! objectif sur les conséquences de la Nationalisa-
tion des mines.

PETITES NOT ES Les graphiques sont éloquents

« La Vie française » du 25 décembre 1953 a


donné « Toute l'année en 13 graphiques ».
Que vaut aux mineurs la nationalisation des mines ? Certains sont contestables parce qu'établis avec-
des chiffres inexacts ou choisis de facon à don-
Si l'on en croit les dirigeants des Charbon- ner une idée inexacte de la réalité que l'on
nages de France, ça marche dans les mines. Le veut souligner : tel le graphique des prix. D'au-
rendement par homme et par jour au fond a tres sont plus précis, tel celui des valeurs fran-
été de 1.473 en 1953 contre 1.361 - en 1952 ; 926 çaises qui donne une idée de l'évolution des
en 1946, 1.229 en 1938; 984 en 1930. profits capitalistes. Cet indice, qui était à 146
Ces chiffres n'ont pas grande signification. La il y a un an, est à 169 aujourd'hui. Ça ne donne
production minière est en effet le résultat d'un pas une idée exacte de l'évolution des biens et
effort collectif, de l'effort de tous ceux qui sont revenus capitalistes, les milliards camouflés en
rétribués par les Charbonnages de France. Pour réserves ou en investissements non inscrits restent
avoir une idée précise du rendement, il faudrait. inconnus, mais ça montre tout de même que
donc avoir d'un côté le total de la production, le capital pur s'est vu attribuer une meilleure rému-
de l'autre le total des heures de travail ou des nération que le travail en 1953.
journées de travail payées par les Charbonnages
à tous ceux qui ont été occupés par eux. Car Journée du 29 janvier 1954
lorsqu'on veut parler de productivité, il ne faut
pas seulement augmenter le rendement du prolo Ce n'est pas de la journée elle-même, de son but
qui tient l'outil, il faut voir l'organisation d'en- et de son efficacité que nous voudrions parler.
semble du travail et.. si, parallèlement à un ac- Simplement de l'impression laissée par la mani-
croissement du rendement, il y a accroissement festation de l'Union des Syndicats F.O. de la Ré-
des dépenses de production, il n'y a, en fait, gion parisienne.
pas d'augmentation de la productivité. Le bureau avait décidé de convoquer simplement
C'est probablement ce qui s'est passé dans les les secrétaires de tous les syndicats parisiens et la
mines. Le prolo du fond a accentué son effort Commission exécutive. On pouvait s'attendre à une
sans voir son gain relevé, mais à l'extérieur, dans réunion réduite à l'effectif d'une délégation ordi-
les bureaux, on a multiplié les fonctions de naire. Or il y avait plusieurs centaines de mili-
surveillance et de direction. Les nombreux servi- tants. 81, rue Mademoiselle, et un nombre nette-
teurs attachés au service de monsieur ou ma- ment plus élevé au point de concentration : dans
dame !'Ingénieur - le nombre augmente avec la cour du 78, rue de l'Université. Tous ces mili-
le grade - sont inscrits comme salariés des Char- tants sont restés sans aucune exception dans le
bonnages (on pourrait appeler ça le salaire ca- cortège qui, par le quartier des Ministères, gagna
mouflé des technocrates). Y a-t-il une réorgani- la Présidence du conseil. On a critiqué l'initiative
sation du travail ? Applique-t-on de nouvelles « humoristique » du corbillard et la couronne au
méthodes de production ? Des ouvriers peuvent « pouvoir d'achat défunt ». C'est une affaire à dis-
être renvoyés, mais jamais des · surveillants, de cuter entre nous. Que MM. les journalistes gar-
sorte que le nombre des sinécures va croissant. dent leur leçon de « bon goût » pour la servir
Et puis ces messieurs les nouveaux maitres lors de certains monômes d'étudiants ou de défi.-
des mines ont un moyen de gonfler les chiffres lés des « .Quat-Zarts » !
pour faire ressortir une prospérité apparente : Ce qui est significatif, c'est que le groupe ne
ils cèdent à des entrepreneurs amis - ça peut- s'est pas dispersé, pendant qu'une délégation ré-
être ceux qui seront appelés à réparer ou cons- duite portait la lettre exprimant les revendications
truire leur propre maison - une quantité formi- générales à la présidence du conseil. C'est en cor-
dable de travaux dans la mine. Ces ouvriers tège que l'on a rejoint la rue de l'Université, cor-
occupés sans même que leur patron les voie tège qui n'était pas muet, d'où s'élevaient des mots
reviennent cher, surtout si le patron est appelé d'ordre et le chant de l'Internationale. Cortège où
à travailler pour leur surveillant ou leur chef, l'on rencontrait avec les « vieux » de nombreux
et ils ne sont pas comptés dans le personnel. jeunes qui n'y « figuraient » pas simplement.
Donc, ils n'entrent pas, pas plus que· les nègres Tirons-en cette leçon, qui confirme tous nos pro-
de madame, dans le diviseur qui est employé pos antérieurs. Que F.O. existe à la base et que
pour calculer le rendement. l'audace des dirigeants d'Union est toujours ren-
En somme, les mineurs travaillent plus table ! La journée du 29 janvier n'aurait-elle que
qu'avant guerre pour un salaire réel moindre, ce résultat, qu'il ne faudrait pas regretter de
mais les technocrates sont mieux rétribués et l'avoir organisée.

28-60
Pour mieux comprendre le problème rocial duction, tels que l'achat et la distillation de 7 mil-
lions d'hectolitres de vin qui coûteront 20 milliards
L'égalité des salaires n'existe pas dans nos aux contribuables ?.
Les salariés n'ont pas à participer à cet étouffe-
colonies, ni même en France, où un Arabe n'oc- ment de l'économie française, et le meilleur moyen
cupe que les emplois les moins rémunérés et d'obliger le patronat à produire dans de meilleures
les plus répugnants ou malsains. conditions pour tous, c'est d'exiger de bons salai-
Aux U.S.A., les syndicats ont fait admettre res. Pour les payer, ils songeront à produire plus
l'égalité de salaire pour le même travail dans économiquement.
les entreprises où ils sont assez forts. Mais les
noirs, à égalité de compétence, passent après les La populotion active en France
blancs. Et, dans le Sud, il y a de plus les iné-
galités de salaires pour le même travail, Le nombre des salariés ne s'est pas sensiblement
Voici le revenu moyen d'une famille blanche modifié au cours des cent dernières années. Il
et d'une famille nègre dans quelques Etats, en s'élève en effet à 10.050.000 dont 7.800.000 pour
l'industrie et les professions libérales, gens de mai-
1949 : son, 1.200.000 pour l'agriculture et 1.050.000 dans
Blancs Nègres les entreprises nationalisées.
Celui des fonctionnaires civils tend à s'accroître
Alabama . . 2.056 882 encore : 966.300 fonctionnaires contre 963.400 en
Arkansas . . .. .. 1.571 726 1950, 1.000,6 en 1947 et 681,7 en 1936 ; celui des
Floride . . . .' 2.323 1.144 militaires de carrière s'élève à 491.783. Les collec-
Géorgie . . . . . . . . 2.159 909 tivités locales occupent 368.479 employés.
Kentucky 1.856 1.110 On compte 825.000 employeurs, 2.825.000 travail-
Louisiane . . . . . . 2.434 1.023 leurs indépendants ou artisans, 300.000 artisans
ruraux et 6.650.000 exploitants agricoles.
Mississipi . . . . . . 1.614 601 En France, sur 100 personnes il y a seulement
Nord Caroline . . 2.215 1.056 55 salariés des entreprises privées et de l'Etat
Oklahoma . . . . . . . . 2.180 962 (dont 8 fonctionnaires) ; en Belgique il y en au-.
~- Sud Caroline 2.391 790 rait 70, en Allemagne 77, aux Etats-Unis 80, en
Tennessee . . . . . . 1.946 1.106 Angleterre 90.
Pourrait-on avoir un tableau semblable pour La structure sociale d'un pays ne permet-elle pas
d'expliquer certains événements politiques et so-
les coloniaux et les colons ? Même pour les tra- ciaux ? Le revenu moyen par habitant serait en
vailleurs de la métropole et les travailleurs colo- France de 225.000 francs (230.000 en 1930) ; 258.000
niaux ? Ça permet de mieux comprendre le francs en Belgique (230.000 en 1930) ; 360.000 fr.
problème racial. en Suède (270.000 en 1930) ; 360.000 fr. en Suisse
(308.000 en 1930) ; 675.000 fr. aux Etats-Unis
(460.000 en 1930).
Un moyen de sortir l'économie d'e la stagnation Voilà le résultat de la dictature des organisations
professionnelles et de l'aide aux entreprises que
Le plan Monnet a poussé au développement des la routine acculerait à la faillite !
secteurs de base : charbon (production passée de
46;3 en 1946 à 57,4 millions de tonnés en 1952),
électricité (23 à 40,8 milliards de kwh.), carbu- Tactique bolchevisante
rants (2,8 à 21,5 millions de tonnes). Mais l'indice
de production de biens de consommation a baissé Des amis me demandent de commenter la déci-
de 12 % en 1952 (de 3 % inférieur à celui de sion du bureau politique du parti communiste,
1929). par laquelle les enseignants (< en uniforme » doi-
Les résultats sont loin d'avoir atteint les possi- vent abandonner la Fédération C.G.T., pour se
bilités de production. En France on a retrouvé à consacrer exclusivement aux syndicats autonomes.
peu près le revenu national de 1929 alors que ce- On s'étonne que cette décision soit exactement
lui-ci s'est accru de 70 % aux Etats-Unis, de 40 % contraire à celle de la quasi-unanimité du congrès
en Grande-Bretagne et a été multiplié par 4 en de la Fédération C.G.T., où les communistes ne
Nouvelle-Zélande et par 5 en U.R.S.S. sont accompagnés que par quelques (( cryptes » ou
On a donc établi un second plan qui se propose quelques (( acheteurs d'indulgences ». C'est que
une augmentation de 25 % de la production na- l'on peut encore être surpris par une banale con-
tionale et qui se traduirait par un relèvement de firmation. Le bureau politique aurait pu commu-
10 à 15 % du niveau de vie seulement en raison niquer ses ordres avant le Congrès. Il aurait été
du déficit de la balance des comptes et de l'aug- obéi. Mais l'humiliation est un des moyens de
mentation des naissances. l'assouplissement, exactement comme « l'auto-criti-
Mais en France l'outillage et la main-d'œuvre que » et les aveux des procès publics. Les jésuites
ne sont pas utilisés au maximum, à cause, pour savaient en user. Staline aussi.
une -grande part, du maintien 'des entreprises L'essentiel n'est pas là. Dans l'Ecole Libératrice
rebelles aux méthodes nouvelles de production du 29 janvier 1954, Pierre Desvalois (que je ne
grâce à la protection dont elles jouissent de la connais pas) le révèle assez clairement. La oolche-
part des organisations professionnelles et de l'Etat. visation des syndicats n'est jamais qu'une opé-
En 1953 c'est à un dixième de la production globale ration préliminaire. Même bolchevisé le syndicat
que peut être évaluée la perte due à !,'insuffisante reste encore perméable à certaines influences, peut
utilisation des facteurs de production, soit 700 mil- encore subir certains débats dangereux. Ce qu'il
liards dont 200 seraient allés grossir les caisses de faut c'est la <( masse » mouvante, imprécise, inor-
l'Etat et 50 celles de la Sécurité sociale. ganisée même, sur laquelle agit facilement la pha-
M. Villiers et ses amis refusent une augmenta- lange de servants <( perinde ad cadaver ». Dans
tion de salaires, la repoussant jusqu'au moment quel but ? Assurer le succès des thèses du parti.
où l'expansion de l'économie aura permis aux pa- Oui, lorsque l'on veut obtenir un effet de propa-
trons de la récupérer. Les obstacles à l'expansion gande. Non, lorsque l'on envisage une opération à
ne sont-ils pas pourtant le fait des organisations longue échéance. Ce qui importe, c'est de placer
professionnelles et des gouvernants qu'elles inspi- par tous les moyens, des hommes sûrs aux points
rent ? N'est-ce pas à eux qu'on doit imputer la · décisifs. C'est ainsi que l'on a opéré dans les « dé-
rigidité de notre système de production ? Ces prix mocraties populaires ». C'est ainsi que l'on a
élevés basés sur le prix de revient des entreprises
marginales et qui empêchent l'exportation de nos noyauté la plupart des administrations. C'est ainsi
productior:is excédentaires ? Le maintien d'un sys- que l'on a conquis la C.G.T. en 1936 et en 1945.
tème coûteux de distribution ? Ces gaspillages et Les dirigeants autonomes sont avertis. S'ils se lais-
ces encouragements aux producteurs agricoles rou- sent faire, ils n'auront pas l'excuse de la sur-
tiniers et rebelles aux méthodes nouvelles de pro- prise. - R. H.

29-61
MESSAGE DE SYMPATHIE
A L'ASSEMBLÉE GÉNÉRALE
DU CERCLE ZIMMERW ALD A PARIS
Chers camarades, On ne sait ce que l'impérialisme prépare contre
les travailleurs nord-africains.
Je profite de cette magnifique occasion pour La répression sanglante en Tunisie, au Maroc
envoyer à l'assemblée générale du cercle Zim- et en Algérie, les milliers d'arrestations, les as-
merwald parisien mes souhaits de réussite et sassinats et les enlèvements sont autant d' événe-
aussi toute ma sympathie et mon amitié. ments qui indiquent que le colonialisme, qui grâ-
Je le fais avec d'autant plus de plaisir qu'il y ce aux dollars a repris du poil de la bête, veut
a à la direction de cette tribune internationale mettre au pas tous les mouvements d'émancipa-
des figures parfaitement sympathiques que j'ai tion pour ensuite mater la classe ouvrière fran-
eu l'honneur de connaître dans ma vie de vieux çaise.
militant. Certaines d'entre elles sont venues tout Si le pont dont il est question au début de ce
près de moi, au moment de la répression, pour message avait véritablement existé en août der-
me manifester et leur solidarité et leur concours. nier au moment des grèves, il était facile de pro-
Par cette action, ces camarades et moi avons, fiter des événements nés à la suite de la déposi-
dans le passé, jeté un pont entre l'Afrique du tion du sultan, pour lier à la fois les grèves au
Nord opprimée et la classe ouvrière française. mouvement de protestation qui a agité des mil-
Ce sentiment de lier le mouvement d' émanci- lions de parias nord-africains.
pation nord-africain aux luttes de la classe ou- Si les grèves d'août dernier ne sont qu'une
vrière française a dominé toute mon activité et explosion d'un régime et de même le méconten-
cela malgré d'énormes difficultés et quelquefois tement nord-africain, qui ne peut que se dévelop-
une incompréhension de la part du peuple fran- per, on peut dire que cet état de choses, tant en
çais. France qu'en Afrique du Nord, doit évoluer vers
une solution commune, effective, féconde.
J'estime que ce sentiment, qui a animé l'ac- En conséquence, la classe ouvrière française a
tion des mouvements politiques nord-africains nés besoin dans sa lutte contre le caP,italisme des for-
au sein du peuple français, sur les bords de la ces des peuples nord-africains en lutte contre
Seine, trouve aujourd'hui toute sa raison d'être l'impérialisme et vice-versa.
en tenant compte de la situation internationale Pour cela tous les cercles où se discutent les
face au problème colonial. problèmes touchant les intérêts de la classe ou-
C'est pourquoi je crois qÛ'il est absolument in- vrière et de l'internationalisme se doivent égale-
dispensable que le problème nord-africain qui ment de lier à Jeurs propres problèmes les pro-
géographiquement, économiquement et stratégi- blèmes propres des Nord-Africains.
quement touche de très près la classe ouvrière Animé du souci permanent de lier le mouve-
française doit se trouver au centre des préoccu- ment d'émancipation des peuples nord-africains
pations du peuple français. à la lutte de la classe o'uvrière française, et con-
Le développement de l'aviation et des moyens sidérant la nécessité qu'il y a pour tous de pro-
de production et de répression unit avec une céder à un rapprochement et à une compréhen-
grande rapidité Paris-Alger-Tunis-Rabat et Dakar. sion des uns et des autres et désirant opposer
L'impérialisme qui dispose de ces moyens d'ac- des forces organisées au colonialisme je propose
tion, de déplacement et de liaison peut avec une en ma qualité de président d'honneur du cercle
facilité extraordinaire se jouer des mouvements Zimmerwald .de Niort que le problème nord-afri-
d'émancipation de ces peuples opprimés et mê- cain figure parmi les autres problèmes cités dans
me de la classe ouvrière française. votre programme.
C'est pour toutes ces considérations que le cer- Je serais très content de voir Je cercle Zimmer-
cle Zimmerwald, qui lutte contre la guerre pour wald de Paris, comme cela se passe à Niort, fai-
la paix et la libération de l'Homme, doit, à mon re des conférences et préparer des contacts entre
avis, et dans la mesure de ses possibilités,' ac- la France et l'Afrique du Nord.
corder une place importante au problème colo- Je·suis convaincu qu'une telle activité peut non
nial d'une façon générale et au problème nord- seulement faire œuvre d'explication des problè-
africain d'une façon particulière. mes nord-africains mais encore développer l'in-
Il y a à peu près un demi-million de Nord- ternationalisme.
Africains en France. Et seulement dans la région Je considère cela comme une œuvre de désin-
parisienne il y a près de 150.000 Algériens. Chas- toxication contre la propagande colonialiste en-
sés de leur pays à la suite d'une expropriation tretenue par les journaux, la radio et la finance.
et d'une exploitation honteuses, ils vivent main- le profite de cette occasion pour adresser au
tenant un peu en marge du peuple français. cercle Zimmewald de Niort mes remerciements
Cette situation n'échappe point à l'impérialisme et ma gratitude pour l'action qu'il a menée dans
qui veut par tous les moyens les isoler de la le domaine anticolonial d'explication et d'infor-
classe ouvrière en orchestrant contre eux sa mation, et même d'action.
presse servile et son appareil répressif. Recevez, chers camarades, mes salutations fra-
D'où l'assassinat de six travailleurs algériens ternelles et révolutionnaires.
à l'occasion de la manifestation du 14 juillet
1953. MESSALI HADJ,
Cette machination policière a été le départ proscrit politique en résidence forcée
de la mise en branle d'une répression qui pénè- à Niort.
tre dans tous les foyers nord-africains en France. Le 15 janvier 1954.

30-62
Au Co.mmiss.ariaf Central de
Càsablanca
Dans la soirée du samedi 6 décembre 1952, on apprenait au Maroc que Farhat Hacheâ,
le syndicaliste tunisien, venait d'être assassiné.
Dans le milieu syndicaliste, nul ne douta que le crime n'ait été commis par des
réactionnaires français, couverts par la police française. (.Aprè~ plus d'tm an, rien
n'est venu infirmer la vraisemblance· aveuglante de cette intuition).
Les syndiqués de Casablanca se réunirent le dimanche 7 dans le local de l'Union des
Syndicats. Une grève de solidarité et de deuil jut décidée pour le lundi 8.
Or il y avait des hommes au Maroc, des hommes très puissants, des hommes de la
Résidence qui avaient décidé qu'il fallait revenir entièrement sur les petites libertés ou
tolérances accordées aux Marocains depuis la « Libération ». L'occasion leur parut bonne.
Dans l'après-midi du 8, le loca~ de I'Unioti des Syndicats fut occupé par là police
en armes et tous les occupants arrêtés.
Ce qui donne tout son sens à cette action c'est que depuis lors, depuis plus d'un an,
le local est toujours interdit, gardé par un factionnaire en armes. Il s'agissait donc non
pas d'une action de circonstance, mais d'un acte à longue portée, aliatit de pair avec la
suppression de la presse, la suppression des partis et l'enlèvement du sultan. Il s'insère
dans une de ces entreprises de réaction totale, comme on en a connu, aux applaudisse-
ments des crétins - et avec les résultats que l'on sait - en Syrie et en Indochine.
Or il se trouvait que tous les syndicalistes de Casablanca n'avaient pas été vprésents
à la réunion du 8 décembre. Certains avaient donc échappé à la « souricière » policière.
Ceux-ci, la police alla les chercher chez eux, les Marocains pour les torturer, les Français
pour les expulser.
M. Robert Barrat, dans un très beau livre (1) publie le récit d'un ouvrier « ratissé »
à cette occasion.

... A 11 h. 30, des coups de klaxon se firent le long d'un vestibule qui mesure au moins
entendre de loin. Un de mes enfants, âgé cinquante mètres. Il fallut donc traverser ce
de huit ans, tout peureux, vint m'apprendre vestibule avant d'arriver à l'escalier. Nous
dans ma chambre, les yeux en larmes, que avançâmes l'un derrière l'autre et les coups
plusieurs agents, mitraillette à la main, étaient commencèrent à pleuvoir sur nos têtes, nos
à ma recherche. dos et nos épaules. L'un d'entre nous en re-
Je pris, sur-le-champ, mon pardessus et çut un qui lui fendit l'arcade sourcilière,
sortis. Je trouvai à la porte trois agents ar- un second reçut un coup au nez, moi-même·
més jusqu'aux dents. Ils m'invitèrent à mon- en reçus un ·à la tempe droite, qui s'enfla
ter dans une camionnette. Je leur demandai rapidement et un autre à la colonne verté-
de dire adieu à mes nombreux enfants. Ils brale, qui m'empêcha pendant un mois de
voulurent me suivre, mais je rebroussai che- me pencher. On nous fit précipiter à l'esca-
min et montai dans la voiture dans laquelle lier qui conduit à la cave
je trouvai quatre compatriotes, parmi les- Nous dégringolâmes quatre ou cinq marches
quels un directeur · d'école. et, presque évanouis, nous nous trouvâmes
En face de chacun de nous s'installa un dans le vestibule de la cave. Là, nous voici
agent qui braquait sa mitraillette sur nous. devant un autre groupe d'agents qui com-
La voiture partit à toute allure, brûlant tous mencèrent à nous insulter : « C'est la Fran-
les feux et les occupants semblaient heureux ce qui vous nourrit, bande d'ingrats », s'écria
d'avoir: fait une bonne chasse. l'un d'eux. Un second nous demanda de nous
déshabiller. Il déchira nos pull-overs et nos
Dix minutes après nous nous trouvâmes chemises et tous se mirent à nous donner
devant la porte du commissariat. On ouvrit des coups de poing au ventre, au dos et à la
la porte et on nous fit descendre rapidement. figure. Le sang coulait de partout et nous
Nous- empruntâmes un escalier étroit et on devînmes presque inconscients. On nous in-
nous fit entrer dans un bureau au premier vita ensuite à ramasser nos habits. Chaque
étage. Là, il y avait plusieurs agents. L'un fois que l'un de nous s'approcha du tas de
d'eux nous invita, un à un, à répondre à vêtements, des coups plurent sur lui, puis
plusieurs questions : nom, prénom, nationa- on nous ouvrit une cellule. C'est une espèce
lité, âge, etc... Un autre nous fouilla et nous de chambre ne dépassant pas trois mètres sur
prit tout ce qu'on avait, papiers, argent, etc... deux et où se trouvaient une quarantaine de ·
Dehors, un agent nous fit signe de le suivre. personnes toutes livides, assises sur le sol
Quelle ne fut pas notre stupéfaction lorsque glacé, ne pouvant même-pas bouger, soit par
nous nous trouvâmes devant une centaine la douleur à la suite des coups qu'elles avaient
d'agents, des gourdins à la main et rangés reçus, soit parce qu'il n'y avait pas de place.
La porte se ferma aussitôt sur nous. Nous
(1) « Justice pour le Maroc » (Seuil). Ouvrage do- restâmes quelques secondes debout pour nous
cumenté, clairvoyant, généreux. (Interdit au Maroc frayer un passage. Nos compatriotes quoique
bien entendu). exténués se levèrent presque tous, nous firent

31-63
asseoir et nous essuyèrent le visage couvert
de sang. Un silence de cimetière planait
cette chambre lugubre, sale, éclairée simple-
sur . La Vie des' Cercles
ment par deux lucarnes et une lampe élec-
trique très faible. Il était à peu près 14 heu-
res. On entendait parfois les gémissements CERCLE ZIMMERWALD
de ceux qui venaient de subir l'interrogatoire ASSEMBLEEGENERALEDU 17 · JANVIER
et que l'on ramenait à leur cellule.
J·'avais soif et voulus boire. Mon voisin Après adoption du rapport moral, compte rendu
m'apprit qu'il n'y avait pas d'eau et qu'il de l'activité et réélection du conseil d'administra-
tion et du bureau pour 1954 (avec les mêmes ca-
fallait attendre que la chasse des w.c. qui se marades qu'en 1953), lecture est faite d'une décla-
trouvait au coin laisse couler un peu d'eau. ration du camarade Messali Hadj au Cercle pari-
Je décidai de ne pas m'y approcher par sien.
crainte d'attraper une dysenterie. ' Puis Mormiche, au nom du Cercle de Niort (re-
L'après-midi fut longue, un froid glacial présenté par quatre membres), nous a parlé de
paralysait nos membres et nous faisait trem- l'activité de ce premier Cercle de province : quel-
bler. On nous avait pris nos montres, nous ques amis niortais, après la première déclaration
nous contentâmes d'attendre la tombée de du Cercle parisien, ont réussi à vaincre l'isolement
la nuit. Il fallait rester assis, on ne pouvait et· l'apathie de l'après-guerre. Grâce à l'aide de
jeunes membres des Aubergesde Jeunesse, d'autono-
même pas étendre nos jambes. C'était vrai- mes de l'enseignement et de quelques éléments F.O.
ment pénible. · ils ont créé un Cercle vivant, autonome bien que
· La nuit, on vint chercher un de mes ca- gardant contact avec nous. L'arrivée d'un exilé po-
marades pour l'interrogatoire. Il pouvait à litique (Messali Hadj) à Niort, en mai 52, a per-
peine se lever et marcher. on· le roua de mis au Cercle de manifester concrètement ses sen-
coups parce qu'il avait mis, parait-il, beau- timents internationalistes. Des conférences suivies
coup de temps pour sortir. de discussion ont eu lieu sur les sujets· suivants :
Des heures s'écoulèrent et le pauvre mal- Tunisie, course aux armements, salaires en U.R.
heureux ne revint pas. L'ont-ils tué, me dis- S.S., situation en Afrique du Nord, histoire du
Premier Mai, situation en Allemagne, question
;e, ou bien, vu son état, l'a-t-on mené à yougoslave,Commune de Paris, grèves d'août 53,
' l'hôpital ? Soudain la porte s'ouvrit et se grève des enseignants, parti américain ou parti
referma aussitôt après. Mon camarade, tout russe, Sont prévues pour les mois qui viennent des
fourbu, les yeux hagards, se jeta par terre causeries sur : la Communauté européenne de dé-
et demanda à boire. Ne disposant pas de bol, fense, le voyage en Afrique de J. Rous (avec la
nous prîmes une chaussure en caoutchouc présence de Masmoudi, du Néo-Destour), les im-
appartenant à un ouvrier et nous la remplî- pressions sur l'Egypte de Chéramy. L'existence du
mes de l'eau qui coula de la chasse et lui Cercle de Niort, comme celles du Cercle parisien,
donnâmes à boire. « C'en est fait de lui », permet des discussionset des confrontations qui se-
raient impossiblesdans les partis et syndicats ac-
m'écriai-je. Il resta plus d'une heure sans tuels ; c'est également un )ieu de rencontre pour
pouvoir parler. Il se contenta de nous mon- des camarades éparpillés. Regrouper et étudier est
trer la plante de ses pieds tout enflée. Il la première tâche ; après viendra l'action.
nous apprit par la suite qu'il avait reçu plus L'essentiel de la réunion a été consacré à la dis-
de cent coups de cravache sur les pieds. Une cussion et Ja mise au point d'une déclaration du
seule question lui fut posée : « Qui a donné Cercle parisien qui, si elle ne donne pas satisfaction
le mot d'ordre pour décréter la grève, et à tous, s'efforce de résumer notre point de vue
quel était son rôle dans le parti ? » sur la Communauté européenne de défense et sur
La porte s'ouvrit de nouveau. On emmena notre attitude internationaliste en dehors des deux
blocs impérialistes. ·
un second camarade. Je me représentais ce
qui m'attendait, mais je me rendis compte SEANCEDU 14 FEVRIER 1954
que je n'avais plus peur. J'avais lu plusieurs
articles sur les supplices que faisaient endu- La prochaine réunion du Cercle Zimmerwald au-
rer les Allemands aux patriotes et je ne ra iieu le 14 février 1954 à 15 heures, 78, rue de
m'étonnais point de ce que nous subissions l'Université, Paris 7•.
de la part de ces gens-là. Maurice Chambelland traitera le sujet
Le camarade dont je viens de parler subit Parti américain ou Parti russe ?
le même sort. On lui fit boire en plus un Le mouvement ouvrier doit-il choisir ?
paquet de sel dans un verre d'eau et on lui Un libre échange de vues suivra son exposé..
plongea la tête daris un seau d'eau bourbeuse. Nos camarades sont priés d'amener, sous leur
Mon tour· ne vint pas cette nuit-là. · responsabilité, leurs amis que l'activité du Cercle
Il devait être plus de minuit quand la porte
Zimmerwald intéresse.
s'ouvrit de nouveau. Ce fut Mahjoub (2) et
quatre autres syndicalistes qui entrèrent. Ils
étaient presque méconnaissables. De Mahjoub Les fruits de la politique
en, particulier, chétif, il ne restait que ses
grands yeux noirs et vifs. Il avait les cheveux Juin-Guillaume
arrachés en partie, la figure brûlée par les Entre la déposition du sultan du Maroc
cigarettes, le dos, les cuisses, les jambes et et le 23 janvier, d'après une déclaration
les bras tout meurtris. Il avait pourtant un de Guillaume lui-même, les terroristes ma-
très bon moral, il encourageait chacun de rocains comptent à leur actif :
nous et souriait à ceux qui s'apitoyaient sur 58 tués, dont 16 Français.
son sort. Sa chemise était couverte de sang. 121 blessés, dont 45 Européens.
Il resta des heures debout, car il avait des 18 bombes furent jetées, 99 incendies al-
douleurs partout. lumés et 65 sabotages exécutés.
Les cinq braves furent conduits de très
bonne heure on ne sait où et ne revinrent
plus ... Le gérant J.-P. FINIDORI

(2) Secrétaire de l'Union générale des syndicats Impr. « Editions Polyglottes»


marocains,filiale marocainede la C.G.T. (N.D.L.R.). 232, rue de Charenton,ParlS-12•
LE LANGAG'E DES CHIFFRES MOIS DE JANVIER 1154
Voici notre bilan 1953 comparé a
celui de Hl52 ; RECETTES
1952 1953 Abonnements ordin&ires 46.770
Abonnements ordinaires 688.990 610.523 Abonnements de soutien 32.200
Abonnements de soutien 332.305 279.550 78.970
Souscription 62.101 82.495 Souscription . . . . . . . . . . 8.650
Vente .. 55.935 50.320 Vente au numéro . 2.210
Publicité .. 36.000 4.000 Souscription « la Chine » .. 12.100
1.175.331 1.026.788 101.930
Impression et papier En caisse au 31 décembre 1953 40.875
•l.031.961 1.019.137
Frais d'expédition .. 86.462 85.609
Frais sur abonnements 142.805
13.368 7.219
Téléphone . 21.737 17.885 DEPENSES
Frais généraux . . . . . . 11.092 10.392
; Impression et papier 94.005
Frais d'expédition .. 5.813
1.164.620 1.140.242 Frais sur abonnements 582
Première constatation : un déficit de 113.554 Téléphone .... 4.120
rrancs en 1953, alors que 1952 nous laissait un béné- Frais généraux 1.000
fice de, 10.000 francs.
A remarquer, en outre, que. pour les deux exercices 105.520
nous n'avons servi que 11 numéros par année. En caisse
Le nombre des abonnés servis au 31 décembre 1953 Espèces 6.815
étaient de 1280 au l!eu de . 1.345 au 31 décembre Chèque postal 30.470
1952, soit 65 de moins. Même à 1.000 francs de 37.285
moyenne (au lieu de 700 francs, prix de l'abonne-
ment) notre perte n'aurait dO. être que de 65.000 142.805
francs. Or elle est de près de 115.000. francs. C'est-à-
dirè que 50 abonnés; au moins, sur les 1.280 à fin,
décembre, ont un sacré retard. Les derniers recouvre, LES ABONNEMENTS DE SOUTIEN
ments datent seulement d'octobre, mals il est évi- Lacrouts (Calvados) 1.200 ; Salmet (Paris) 2.000 ;
dent qu'on n'a voulu prendre personne à la gorge. Mme Guillaume (Loire) 2.000 ; Bonnier (Maroc)
Et cependant la R.P. doit vivre. 2.000 ; Peyrat (Côte-d'Or) 1.000 ; Bardin (Ain)
Les économies sur les dépenses paraissent impos- 2.500 ; Martinollet (Aude) 1.000 ; Croze (Paris)
sibles. Une augmentation des frais d'impression se- 2.000. ; Bourbonneux (Paris) 2.100 ; Bayard (S.-et-
rait plutôt à craindre. 0.) 2.000 ; Fuvel (Rhône) 1.700 ; J. Fontaine (Rhô-
Il faut donc trouver des recettes qui nous permet- ne) 1.500 ; Caminade (Paris) 1.000 ; Y. et R. Ha-
tent de disposer d'au moins 100.000 francs par mois, gnauer (S.-et-0.) 1.000 ; Toesœ (Seine) 1.500 ; Lan-
soit 1.200.000 francs par an. cta (Jura) 1.500 ; M. Korakas (Grèce) 1.200 ; Bory
Le rendement des possibles étant lui très (S.-et-0.) 1.500 ; Delsol (Paris) 1.500 ; G. Mauploux
maigre, c'est aux amis de la R.P. 'de faire un effort (Seine) 2.000. - Total : 32.200 francs.
financier compensateur.
Mettre l'abonnement ordinaire à 1.000 francs paraît
être la solution raisonnable. Cependant, ,cette 'solu-
tion peut être gênante pour beaucoup. Aussi nous
nous bornerons à demander à ceux qui le peuvent,
de considérer ce chiffre de 1.000 francs comme abon-
---
LA SOUSCRIPTION
Sistig (Eure) 50 ; Dumont (Seine-Inférieure) .300 ;
veraeinen (B.-du-R.J 200 ; Valera (Paris) 300 ;
F. Martin (Drôme) 500 ; H. Guye (Suisse) 150 ;
nement ordinaire.
Quant à l'abonnement de soutien, il devrait être Plantier (Paris) 300 ; Gilquin (S.-et-0.) 100 ; Pru-
au moins de 1.500 francs, si l'on tient compte du dhomme (Loir-et-Cher) 100 ; ·Lermillier (Oise) 100 ;·
rapport presque constant de 50 %· entre les recettes Chauvin (Paris) 300 ; G. Nicolas (Paris) 300 ; Vega
fournies par les abonnements ordinaires et celles des (H.-Marne) 300 ; souiacroux (Allier) 100 ; J. Lau-
abonnements de soutien. rent (Allier). 200 ; Garnache (Isère) 300 ; Buisson-
nière (Allier) 200 ; Duval .(Pa.ris) 300 ; Dhier (Indre-
et-Loire) 300 ; Chaillou (Maine-et-Loire) 150 ; Conte
LES FAITS DU MOIS (Paris) 300 ; Mme Allègre (Alger) 300 ; Rondet
(Loire) 300 ; Rivière (-Rhône) 750 ; P. Albert (Hé-
rault) 300 ; Chéron (Paris) 300 ; D. Guérin (Paris)
ffllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllUUUDIIIIIIUOUIIUIIIIIIIIUI
300 ; haplaud (Charente-Maritime) 200 ; G. Rosé
LUNDI 4. - Fin de la grève des 'bureaux-gares des (Paris) 200 ; Salives (Suisse) 150 ; M. M. (Seine)
.P.T.T. . 1.000. - Total : 8.650 francs.
MARDI 19. - Un régent se réclamant de l'ancien
sultan du Maroc serait proclamé à Tétouan, avec
l'accord de l'Espagne.
Sur le Moyen-Mékong,les avant-gardes franco-
laotiennes seraient à 10 km. de Thakhek.
MERCREDI 20. - Débarquement de forces françai-
MOUVEMENT
Situation au l•r-1-54 ..
Abonnements nouveaux
----
DEa ABONNES
1.280
9
ses dans le port de Thuy-Hoa, dans le sud du
Vietnam. 1.289
JEUDI 21. - A Tétouan, réunion de notables qui Désabonnements . . . . 7
récusent l'autorité du nouveau sultan du Ma.
l'OC, Au 31 janvier 1954 .. 1.282

----
Procès à Sousse (Tunisie) de trois manifestants
accusés d'avoir tué le colonel Durand.
SAMEDI 23. - Violentes manifestations antibritan- LES DESABONNEMENTS
niques dans toute l'Espagne.
MARDI 26. - Ouverture à Berlin de la conférence Paris 1 ; Seine-et.Oise 2 ; Seine-Inférieure 1
Bouches-du-Rhône 1 ; Rhône 1 ; Seine-Inférieure 1.

---
des Quatre. - Total : 7.
Manifestations anglophobes d'étudiants à Ma.
drid.
VENDREDI 29. - Journée nationale organisée par LES ABONNEMENTS NOUVEAUX
la C.G.T.-F.O.,la C.F.T.C. et la C.G.T. pour la Paris 3 ; Seine l ; Bouches-du-Rhône 1 Loire-
revalorisation du salaire minimum interpro.fes- Inférieure 1 ; Puy-de-Dôme 1 ; Belgique 1 Suisse
sionnel. 1. - Total : 9.

r
Paraîtra au début du mois prochain :

Collection de la « Révolution Prolétarienne »-III

R. LOUZON

LA· CHINE
·- Ses trois millénaires d'histoire
- Ses cinquante ans de révolution

Prix de souscription : 300 fr. franco.

Prière d'adresser les commandes; avec leur montant, à


La Révolution Prolétarienne, 14, rue 'de Tracy, Paris-2·
C.C. postal PARIS 734-99

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