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Christine Mennesson
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R APPORT DE RECHERCHE
Résumé : Cet article envisage de comparer les processus d’intégration de la pratique des
femmes au sein de sports « masculins » afin de mettre en évidence le rôle des pratiques spor-
tives dans la production et le questionnement des catégories sexuées. On peut en effet consi-
dérer les politiques fédérales et les modes de fonctionnement des commissions féminines
comme un analyseur particulièrement pertinent pour étudier la construction sociale des
genres dans le monde sportif. Le choix du football et de la boxe se justifie par les mises en
jeu corporelles, les sociabilités et les systèmes symboliques typiquement « masculins » de
ces disciplines, et, par là même, par les résistances qu’elles opposent à l’entrée des femmes.
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90 Christine MENNESSON
Au cours du XXe siècle, les revendica- incorporé dans les habitus, qui considère
tions des femmes, relayées par les mouve- l’homme comme un être universel, sociale-
ments féministes, se sont particulièrement ment autorisé et préparé à entrer dans les
affirmées et ont contribué à l’évolution de la luttes de pouvoir (Bourdieu, 1998).
place des femmes dans la société et, Dans cet article, nous proposons d’étu-
conjointement, des représentations collec- dier les manières dont se manifeste la
tives des rôles assignés à l’un ou l’autre domination masculine au sein des fédéra-
sexe. Cependant, les travaux menés sur les tions de football et de boxe française à par-
rapports sociaux de sexe (Kergoat, 1992) ou tir de l’analyse des politiques fédérales à
sur la construction du genre ou « sexe l’égard de la pratique des femmes et du
social » (Mathieu, 1991) montrent que dans mode de fonctionnement des commissions
tous les domaines, du marché du travail à féminines. Ces indicateurs permettent de
l’espace privé, les processus de discrimina- mettre en évidence des différences entre les
tion et de hiérarchisation entre les sexes per- deux disciplines dans le processus de struc-
sistent. Ainsi, si les femmes investissent turation et d’intégration de la pratique des
aujourd’hui massivement le marché du tra- femmes aux fédérations initialement mas-
vail, elles sont plus concernées que les culines (Mennesson, 2000a). Après
hommes par les emplois précaires, à temps quelques précisions sur le cadre d’analyse
partiel, et se trouvent plus exposées au chô- et sur le positionnement très différent des
mage (Maruani, 1998). De la même deux disciplines étudiées dans l’espace des
manière, la meilleure réussite scolaire des sports français, nous aborderons successi-
filles ne se concrétise pas par une égalisa- vement le cas du football puis celui de la
tion des parcours scolaires, les choix boxe française en analysant à chaque fois
d’orientation restant sexués (Baudelot & les relations entre la politique fédérale à
Establet, 1992). Au sein du système sco- l’égard des femmes et les stratégies déve-
laire, comme sur le marché du travail, la loppées par les membres des commissions
mixité n’implique pas la disparition des sté- féminines pour promouvoir la pratique des
réotypes sexués (Fortino, 2002 ; Zaidman, femmes.
1996). Ces processus reposent largement
sur l’idée d’un ordre naturel des sexes, jus-
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de masculinité. Par ailleurs, les manières tique et hygiénique et que la pratique est
de construire les genres diffèrent en fonc- investie majoritairement par les membres
tion des groupes sociaux d’appartenance, des groupes sociaux culturellement favori-
sans que l’on puisse pour autant repérer de sés (Louveau, 1991). En ce sens, la position
principe homogène expliquant les varia- des fédérations au sujet de l’intégration ins-
tions des identités sexuées d’un bout à titutionnelle de la pratique des femmes se
l’autre de l’échelle sociale (de Singly, situe au cœur d’enjeux qui participent à la
1996). L’identité sociale des acteurs insti- définition de l’identité de la discipline
tutionnels influence en partie leurs posi- (Mennesson, 2000a).
tions à l’égard de la pratique des femmes. Enfin, le monde sportif subit les effets
Enfin, le sport moderne peut être considéré des conjonctures historiques successives
comme un lieu privilégié de construction (Clément & Defrance, 1987 ; Clément,
d’une masculinité « virile » dominante Defrance & Pociello, 1994), précisant
(Messner & Sabo, 1990, 1994). Ce lien notamment les représentations domi-
originel entre sport et masculinité reste nantes à un moment donné des rôles fémi-
d’actualité dans la plupart des sports nins et masculins. Autrement dit, la fémi-
médiatisés et, en particulier, dans les sports nisation des pratiques sportives ne peut se
« populaires » mettant en jeu un certain comprendre sans prendre en compte les
niveau de violence physique (Sabo & évolutions sociales et culturelles. Ainsi, il
Panepinto, 1990). On peut donc faire l’hy- s’agit non seulement de considérer l’état
pothèse que le processus d’intégration de du système des sports à un moment donné,
la pratique des femmes dans ces disci- mais également d’analyser l’inscription de
plines pose des problèmes génériques, ce système dans une conjoncture histo-
mais qu’il suscite également des réactions rique particulière. Nous pensons en effet
spécifiques en fonction des enjeux relatifs que ces deux aspects, difficiles à distin-
à la féminisation au sein des différentes guer dans l’analyse, influencent conjointe-
fédérations. ment le processus d’institutionnalisation
Le deuxième axe d’analyse s’appuie sur de la pratique sportive des femmes et
certaines problématiques de la sociologie expliquent en partie les différences impor-
de la culture et de l’histoire sociale appli- tantes constatées au niveau du statut de la
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MÉTHODOLOGIE
MÉTHODOLOGIE
1.2. Des positions différentes dans le effective et 1991 pour la création d’une
champ sportif français coupe du monde féminine.
Le début du processus de reconnais-
La position spécifique des deux pra- sance de la pratique féminine par les ins-
tiques dans le champ sportif français, leur tances nationales et internationales s’effec-
pourcentage respectif de pratiquantes, et la tue au début des années 1970, dans une
différence de conjoncture sportive et conjoncture marquée par un questionne-
sociale au moment de la création des com- ment important des formes d’organisation
missions féminines au sein des deux fédé- sociales dominantes, tant dans le système
rations (1970 pour le football et 1985 pour éducatif, que dans la famille ou le monde
la boxe française), permettent de penser du travail. La question de l’évolution des
que les enjeux relatifs à la féminisation de rôles sociaux dévolus aux femmes occupe
ces deux disciplines ne sont pas compa- une place importante dans ces débats, ani-
rables. més par des mouvements féministes parti-
Historiquement, les premières équipes culièrement actifs (Ergas, 1992). Cepen-
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contrôle des pratiquantes que dans la formes de pratiques dites libres et informa-
« féminisation » de la pratique. Cette tionnelles valorisant de nouveaux modes
absence de politique en faveur de la pra- d’organisation et de motricités (Pociello,
tique féminine s’objective clairement dans 1995). Au-delà de cette « crise » du modèle
l’évolution des effectifs féminins. Après sportif traditionnel, la boxe française, sport
une courte période d’augmentation au relativement marginal, se trouve confrontée
début des années 1970, ces derniers stag- dans le sous-espace des pratiques pugilis-
nent et connaissent même une période de tiques à une concurrence intense pour la
régression au milieu des années 1980. En définition des formes légitimes d’opposi-
2000, les footballeuses représentent seule- tion. Dominée depuis la fin du XIXe siècle
ment 1,4 % des effectifs de la fédération par les valeurs de l’académisme et de l’es-
(soit 28 065 licenciées), soit l’un des taux thétique (Loudcher, 1996), la boxe fran-
les plus faibles des pays occidentaux. La çaise résiste mal à la montée dans les
modification très récente des positions de années 1980 de formes d’affrontements
la fédération à l’égard des femmes résulte plus durs et moins civilisés (kick-boxing,
en fait davantage de la pression des ins- full contact, boxe thaï…). Entre 1982 et
tances internationales (UEFA, FIFA) et 1991, le nombre de licenciés stagne, oscil-
d’une conjoncture nationale particulière lant entre 17 000 et 20 000 (données fédéra-
(politique récente du ministère de la tion). Dans ce contexte, la pratique fémi-
Jeunesse et des Sports en faveur des nine apparaît rapidement comme un enjeu
femmes), que d’une mansuétude soudaine central pour la fédération, devenant ainsi
à l’égard des femmes. l’un des aspects essentiels de l’identité de
Dans le cas de la boxe française, les la discipline. Non seulement les prati-
effets des conjonctures socio-historique et quantes féminines peuvent permettre de
sportive se conjuguent pour placer la pra- limiter les pertes en termes de nombre de
tique des femmes au centre d’enjeux liés à licenciés, mais elles symbolisent parfaite-
l’identité et au développement de la disci- ment la stratégie fédérale consistant à
pline. défendre le « produit » boxe française en
L’institutionnalisation de la pratique vantant ses perspectives éducatives et son
des femmes en boxe française débute au ouverture à différents publics (hommes,
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1. Le taux d’activité des femmes de 25 à 54 ans passe de 45 % en 1968 à 79 % en 1994 (Données sociales,
1996, INSEE).
94 Christine MENNESSON
clubs et du foot d’entreprise (F, février dernières doivent jouer avec un ballon
1999). Ce soutien appuyé d’Aimé Jacquet « minime » et la durée des matchs est limi-
au football féminin a été vécu comme un tée à 2 fois 35 minutes (FFO, avril 1970).
événement important dans le milieu du Le passage de la durée réglementaire des
football, ce qui témoigne paradoxalement matchs féminins à 2 fois 45 minutes est
des pesanteurs de cette institution à l’égard imposé par l’UEFA seulement en 1992,
des femmes. Le premier bilan évoquant le malgré les réticences de nombre de diri-
football féminin en 1998 le situe parmi les geants français. Le dirigeant du club de B.
« actions non réalisées », confirmant ainsi M. déclare par exemple :
cette situation. Plus récemment, l’igno- « Je suis surpris de cette décision, les
rance de la pratique féminine semble pro- filles n’ont pas les mêmes qualités athlé-
gressivement (et timidement) remise en tiques que les garçons » (F, septembre 1993).
question. L’allocution du président à l’as- Ces propos synthétisent les résistances
semblée générale du 12 juin 1999 explique de la plupart des dirigeants fédéraux à
en partie les raisons d’une telle évolution. l’égard de la pratique des femmes.
Signalant la position réservée de beaucoup Difficiles à repérer dans les journaux fédé-
de clubs à l’égard de la pratique féminine, raux en raison de leur position « politique-
il affirme : ment » incorrecte, les propos de respon-
« Cela doit être une de nos priorités dans sables fédéraux stigmatisant le niveau de
les années à venir pour rivaliser avec les jeu des femmes et le manque de conformité
fédérations, notamment en Europe, très en sexuée des joueuses sont récurrents
avance par rapport à nous » (F, juin 1999). (Mennesson, 2000).
Conformément à ce que les historiens
La France fait figure de pays rétrograde du sport et de l’éducation physique repè-
en matière de football féminin et les mau- rent systématiquement, les références au
vais résultats internationaux d’une équipe discours médical pour justifier l’inadapta-
disposant de moyens ridicules comparés à tion des femmes à la pratique, ou tout du
ceux de ses rivales européennes objectivent moins les spécificités de son jeu, sont fré-
l’absence de politique de développement. quentes. Dès 1969, un rapport sur le foot-
Par ailleurs, les récentes incitations minis- ball féminin est demandé à la commission
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quent chez la femme » (F, avril 1998). raine de cette opération consistant à réserver
L’utilisation du conditionnel est surprenante la tribune sud aux femmes. Interrogé sur le
dans un document a priori scientifique ou football féminin lors de la promotion de
tout du moins présenté comme tel. En fait, l’opération, le président déclare : « on ne
aucune étude réellement scientifique n’a été peut pas rester à la traîne » (F, septembre
effectuée. L’utilisation du discours médical 1998), indiquant par là même le chemin à
illustre la force et la permanence des préju- parcourir en la matière.
gés des hommes de la fédération à l’égard Face à l’ignorance, au mépris et aux
de la pratique des femmes. Cet usage très représentations des hommes de la fédéra-
caricatural de la légitimité médicale, systé- tion associant la féminité à un processus de
matique dans la première moitié du séduction fondé sur l’apparence voire le
XXe siècle pour justifier l’éthique de la « sex-appeal », la commission féminine
« modération » et l’exclusion des femmes privilégie deux stratégies : celle de la
des compétitions sportives, situe en réalité modération et celle de l’image.
l’archaïsme du milieu de la fédération de
football dans l’espace sportif, et d’une cer-
taine manière, sa domination « culturelle ». 3. LA COMMISSION FÉMININE AU
Ce discours est en effet non seulement SEIN DE LA FÉDÉRATION DE FOOT-
impensable dans la majorité des disciplines BALL : STRATÉGIE DE LA MODÉ-
sportives, mais souvent stigmatisé. Les RATION ET DE L’IMAGE
commentaires de l’entraîneur de l’équipe
féminine sur le « manque d’agressivité » ou Pour comprendre les stratégies de la
« le laxisme » des filles renforcent ces commission féminine au sein de la fédéra-
représentations (voir F : mars 1991, mars tion française de football, il faut d’abord
1992 et octobre 1993). préciser le mode de désignation des
De la même manière, l’évolution récente membres de cette commission et la nature
et contrainte des positions de la fédération à des liens qui les unissent à cette dernière.
l’égard des femmes n’exclut pas cependant Les membres de cette commission sont
la permanence des stéréotypes sexués. A ce cooptés et proposent à leur tour de nouveaux
sujet, les choix effectués pendant la coupe membres, proches des orientations de la
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2. « Je ne dis pas ça pour la frime, mais j’étais la plus féminine (des candidates) et ça…Il m’a dit (le président)
« il faut ressembler à une fille quand tu viens parmi les machos pour les convaincre », entretien de Marylou réalisé
le 25.03.1996.
LA GESTION DE LA PRATIQUE DES FEMMES DANS DEUX SPORTS « MASCULINS » 97
Première femme au comité directeur de la fédération, Marylou a aussi été pendant de nom-
breuses années la présidente de la commission féminine. Elle débute le football en 1970, à 20 ans,
au sein de l’une des premières équipes alsaciennes. Elevée dans une famille de footballeurs, elle
s’investit dans l’organisation du football féminin en France. Au fil des ans, ses fonctions à la fédé-
ration lui prennent de plus en plus de temps et elle change de situation professionnelle pour rem-
plir pleinement ses fonctions fédérales. Elle quitte son emploi de secrétaire et accepte un poste de
standardiste chez Adidas. Elle considère le football féminin comme toute sa vie. Elle lui sacrifie
ses jours de congé et sa vie familiale (elle décide de ne pas avoir d’enfants). Même si elle critique
en aparté le machisme des hommes de la fédération, elle tient toujours à valoriser leurs efforts en
faveur des « filles » et regrette le manque de conformité corporelle et sexuelle de certaines joueuses.
A l’issue d’une carrière de joueuse internationale remarquée, Babette participe activement aux
travaux de la commission féminine avant d’accepter le poste d’animatrice du football féminin à la
fédération, après avoir échoué au concours d’entrée en STAPS. Seconde d’Aimé Mignot, l’entraî-
neur des féminines pendant plusieurs années, elle lui succède à ce poste après l’obtention de son
brevet d’état. Moins vindicative que Marylou au sujet de la conformité des footballeuses aux
normes sexuées et sexuelles, elle défend cependant ardemment la politique de la fédération à
l’égard de la pratique féminine. Célibataire, elle « joue » elle aussi l’essentiel de son identité sur sa
réussite dans le milieu du football.
Ces précisions permettent de mieux en France était satisfaisante, les uns en dif-
comprendre les deux stratégies collectives fusant périodiquement des dossiers aux
de la commission féminine : la « modéra- titres prometteurs, les autres en appréciant
tion » des revendications, et la mise en une « politique » rarement suivie d’effets.
scène de la « féminité ». La seconde stratégie consiste à
répondre aux attentes (effectives) des
hommes de la fédération en mettant (en
3.1. Etre « modérée » et « féminine » tentant de mettre) en scène la féminité des
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de représentation3. Une double page est des licenciés, représentant une des 13 com-
consacrée à la diffusion de deux photos missions du Conseil National du Football
grand format des joueuses posant en tailleur Amateur, la commission pouvait-elle mettre
Daniel Hechter (F, juillet 1995) (membre en place d’autres stratégies ? Comme l’in-
influent du milieu du football). dique Marylou, « au moins, ils me disent
Cette stratégie4 de la féminité visant à bonjour et m’écoutent quand je prends la
démontrer la conformité sexuée (et sexuelle) parole ». Très attentive aux attentes des
des joueuses ne joue pas uniquement sur hommes pendant des années, elle déclare
l’image. Elle s’exprime également par des récemment être « écoeurée » par des années
prises de position très « traditionnelles » sur de luttes sans de réelles avancées :
les rôles féminins. Il s’agit de rappeler par « Le football féminin en France est dans
tous les moyens la volonté des joueuses une situation critique. Les joueuses ne sont
(telle que la commission féminine l’ima- pas préparées à l’accès au plus haut-
gine) de respecter les définitions dominantes niveau, les résultats ont été désastreux en
des catégories de sexe (tout du moins dans le Norvège. Il n’y a pas de travail en profon-
milieu du football masculin). La conclusion deur dans les districts et dans les ligues. Le
de l’intervention de Babette lors de la confé- nombre d’équipes n’évolue pas. Il n’y a
rence internationale de la FIFA (Fédération pas une grande volonté de mettre en place
Internationale de Football Amateur) sur le un grand football féminin en France. La
football féminin illustre cette stratégie : situation est grave » (F, décembre 1998).
« Je serai tentée de dire, pour conclure, Cette déclaration de la représentante du
que le football féminin « modèle » ses entraî- football féminin au sein du conseil fédéral et
neurs à sa propre image, dans le respect de première animatrice de la commission fémi-
l’individu, et avec un esprit de famille, que, nine illustre l’inertie de la fédération. Elle
peut-être, seules les femmes, grâce à la place suscitera peu de réactions officielles. Le dis-
maternelle importante qu’elles occupent cours de Babette après la même compétition
dans la cellule familiale, savent transposer ne déroge pas à la modération habituelle.
dans leur sport » (Babette, conférence inter- De fait, si les femmes ont récemment
nationale de la FIFA, 7-8 Juillet 1999). obtenu le droit d’utiliser les installations du
centre de formation national de
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3. « Je n’arrête pas de leur dire aux filles (de l’équipe de France) : « soyez féminines, soyez gracieuses, essayer
de ressembler à des filles… ». D’ailleurs, elles vont avoir des tailleurs, c’est plus joli que de se déplacer en survê-
tement ou en jean », Marylou, entretien du 25.03.1996.
4. Nous entendons par stratégie les « procédures mises en œuvre (de façon consciente ou inconsciente) par un
acteur (individuel ou collectif) pour atteindre une ou des finalités (définies explicitement ou se situant au niveau de
l’inconscient), procédures élaborées en fonction de la situation d’interaction, c’est-à-dire en fonction des diffé-
rentes déterminations (socio-historiques, culturelles, psychologiques) de cette situation » (Lipiansky, Taboada-
Léonetti et Vasquez, 1990, p.24).
LA GESTION DE LA PRATIQUE DES FEMMES DANS DEUX SPORTS « MASCULINS » 99
5. D’origine populaire, J. H. effectue ses études de professeur d’EPS à l’Ecole Normale Supérieure
d’Education Physique, tout en acquérant des compétences de haut-niveau dans les sports de combat. Il poursuit son
cursus universitaire en obtenant le diplôme de l’INSEP et en soutenant une thèse de droit sur le sport. Il intègre
ensuite l’Ecole Nationale d’Administration et occupe actuellement un poste de magistrat à la Cour Régionale des
Comptes. On comprend mieux à la fois ses préoccupations éducatives et son souci de préserver l’amateurisme de
la boxe française, en la distinguant des boxes professionnalisées, qu’il considère comme dévoyées.
6. Les membres (ou ex-membres) de la commission féminine de boxe française rencontrées au cours de l’en-
quête possèdent toutes au moins un diplôme supérieur ou égal à bac+2, tandis que les membres de la commission
de football ont un niveau de diplôme inférieur ou égal au baccalauréat. Nos données ne nous permettent cependant
pas de généraliser cette analyse à l’ensemble des membres de ces commissions.
LA GESTION DE LA PRATIQUE DES FEMMES DANS DEUX SPORTS « MASCULINS » 101
Martine et Pascale participent à la commission féminine depuis plus de 10 ans. La première est
l’actuelle présidente de cette commission, tandis que la seconde, première et seule femme
conseillère technique régionale de la fédération est responsable de l’équipe de France féminine.
Leurs parcours universitaire et professionnel présentent de nombreux points communs. Toutes deux
titulaires d’une licence STAPS, elles réussissent l’une le professorat d’EPS, l’autre le professorat
de sport. Leur statut professionnel ne dépend donc pas directement de la fédération, même si la car-
rière de Pascale est partiellement définie par les instances dirigeantes. Elles ne doivent pas non plus
leur reconnaissance à leur parcours sportif, tout à fait honorable, mais ne les positionnant pas
comme sportive de haut-niveau. Bref, leur position au sein de la fédération dépend de leurs com-
pétences objectives, attestées par un niveau de formation supérieur à celui des membres de la com-
mission féminine de football. A ce titre, elles se positionnent comme des actrices relativement indé-
pendantes du pouvoir fédéral et disposent par ailleurs des compétences nécessaires pour s’engager
dans les luttes de pouvoir et de définition de la pratique. Enfin, mariées et mères de famille, menant
de front carrière professionnelle, investissement sportif et vie familiale, elles sont relativement
représentatives des femmes « modernes » et ne se définissent pas uniquement par rapport à leur
investissement au sein de la fédération.
Les échanges de points de vue entre la trer sa désapprobation : « N’ayant pas été
commission féminine et les autres commis- élue par l’assemblée générale pour être un
sions sont nombreux et, s’ils suscitent des mouton, je quitte la commission et le
débats, ils demeurent toujours courtois. De comité directeur »7. Situées au centre d’une
tels échanges sont non seulement inexis- lutte de pouvoir entre différentes tendances
tants mais impensables au sein de la fédé- au sein de la fédération, les membres de la
ration de football. La relative marginalité commission féminine optent pour une stra-
de la boxe française dans le champ sportif tégie d’affirmation volontariste de la place
français favorise ce type de relations. Les de la pratique des femmes. La commission
commissions se réunissent toutes dans les féminine réussit ainsi à imposer à des ins-
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7. Lettre d’E. H. du 06.06.1988, dossier CF. L’absence de documents de ce type et de manière plus générale
de tous documents polémiques dans les documents de la fédération de football auxquels j’ai eu accès ne signifie
pas forcément leur inexistence, mais exprime tout du moins la volonté de masquer systématiquement les désac-
cords à l’égard de la politique fédérale.
8. La commission féminine organise en 1985 des combats féminins. Précédant la demande de la fédération,
elle convoque un médecin qui rédige un rapport favorable, coupant court à l’un des arguments des hommes (compte
rendu de la réunion du 22.11.1985, dossier CF).
102 Christine MENNESSON
5.2. Une commission dominée par le cou- permettre l’accès des femmes à une pra-
rant « académique » tique de haut-niveau, les membres de la
commission engagent une réflexion sur les
Dès 1988, à l’occasion du bilan du pre- moyens à mettre en œuvre pour valoriser la
mier championnat de France de combat, le pratique de l’assaut. Dans son rapport du
débat s’engage au sein de la commission en 19 octobre 1996, la commission affirme :
raison du faible nombre de participantes « la pratique combat doit exister mais ne
(CF du 06.06.1988). La commission main- peut demeurer la seule forme d’expression
tient cependant ce championnat pour per- reconnue sportivement ». La commission
mettre la reconnaissance de la pratique propose également à la fédération de mener
féminine de haut-niveau. Pour compenser une étude sur le développement de la boxe
en quelque sorte cette décision, elle pro- loisir. Une fois encore, elle initie de nou-
pose la création d’une nouvelle forme de velles orientations contribuant à l’évolution
compétition, le duo, « forme de rencontre de la discipline et à sa « modernisation ».
qui oppose des couples de deux tireurs (de Le comité directeur du 22 novembre
même sexe ou de sexe différent) évoluant en 1996 donne son accord pour concevoir une
coopération et présentant une prestation compétition féminine de haut-niveau qui ne
technique et esthétique utilisant la ges- soit pas du combat. Les pratiquantes de
tuelle de la boxe française » (règlement combat rédigent un courrier exprimant leur
fédéral, mémento formation de la fédéra- inquiétude face à cette nouvelle orientation
tion). Cette nouvelle forme de compétition, (Lettre des tireuses Elite et Espoirs, février
approuvée par la fédération, contribue à 1997). Très minoritaires parmi les prati-
renouveler les modalités de pratique. On le quantes (leur lettre ne comportait que 11
voit, la commission féminine participe acti- signatures) et soutenues par des hommes
vement à l’évolution de la discipline en du courant minoritaire au sein de la fédéra-
questionnant les formes de pratiques sym- tion, elles ne parviennent pas à remettre en
boliquement les plus masculines. question cette décision. Un double classe-
En 1990, les critiques à l’égard du com- ment national, en combat et en assaut est
bat féminin au sein de la commission s’in- mis en place chez les femmes (les hommes
tensifient. Martine (future présidente de conservant un classement unique constitué
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les grandes compétitions féminines et mas- En résumé, l’état des rapports de pouvoir
culines sur le même lieu, les championnats entre les sexes au sein des institutions
du monde 1999 de Toulouse proposaient influence les stratégies des actrices et les
pour la première fois un programme définitions du féminin qu’elles proposent.
« mixte ». On retrouve ici les perspectives des travaux
En boxe française, l’opposition entre d’Elias et de Dunning (1991) qui mettent en
deux conceptions de la pratique favorise la évidence l’importance des valeurs
promotion de la pratique féminine. Pour le « machistes » et des processus de ségréga-
moment, la position majoritaire du courant tion à l’égard des femmes dans des condi-
« académique » permet un questionnement tions sociales où le pouvoir penche nette-
relatif des formes de pratiques les plus ment en faveur des hommes. Ce constat
masculines et une certaine évolution des confirme aussi nombre de travaux sur les
définitions de la féminité et de la masculi- rapports sociaux de sexe. C’est bien la hié-
nité. Même si l’ampleur des réticences à rarchie (plus ou moins forte) entre les sexes
l’euphémisation de la discipline au sein de qui crée les différences entre le masculin et
la fédération ne permettra peut-être pas de le féminin (Delphy, 1991). Plus les femmes
mener ce questionnement à son terme, le se situent dans une position dominée et plus
débat existe et occupe une place centrale. elles se définissent avant tout par leur appar-
tenance catégorielle (Hurtig & Pichevin,
1991). De manière générale, les formes
6. CONCLUSION d’expression de la domination masculine
dans les deux pratiques ne sont pas compa-
L’étude de la politique menée par les rables et n’engendrent pas les mêmes consé-
fédérations à l’égard de la pratique des quences. Si cette forme de domination struc-
femmes et des stratégies développées par ture indéniablement le monde social (et plus
les membres des commissions féminines particulièrement le monde sportif), elle se
met en évidence des formes contrastées de révèle d’intensité variable et prend de mul-
la domination masculine. Le contexte insti- tiples visages (de Singly, 1993). Ainsi, pour
tutionnel des deux pratiques produit des reprendre l’expression de François de Singly
effets parfois opposés. En football, tout se (1993), dans le cas de la boxe française, la
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Les relations entre les niveaux institu- de féminisation9. Finalement, les processus
tionnels et individuels de construction des d’institutionnalisation de la pratique des
catégories sexuées apparaissent tout aussi femmes peuvent être considérés comme des
nettement dans ce travail, sans être forcé- révélateurs de l’histoire des disciplines spor-
ment de même nature dans les deux cas tives et de leurs identités successives. En ce
étudiés. En football, les stratégies des sens, la prise en compte des identités
femmes membres de la commission fémi- sexuées au même titre que celle des identités
nine semblent fortement contraintes par la sociales semble indispensable à une
représentation très stéréotypée des femmes meilleure compréhension des évolutions du
dans le milieu du football. En boxe fran- monde sportif.
çaise, si les stratégies des actrices de la
commission féminine s’inscrivent bien évi-
demment dans le cadre d’une politique GLOSSAIRE
fédérale plus favorable aux femmes, elles
orientent à leur tour certains débats et EPS : Education Physique et Sportive
influent partiellement sur le développement FFF : Fédération Française de Football
de la fédération. FFBS & DA : Fédération Française de Boxe
Par ailleurs, l’état des rapports sociaux Française Savate et Disciplines Associées
de sexe dans les fédérations dépend de plu- FIFA : Fédération Internationale de Football
Amateur
sieurs facteurs parfois difficiles à isoler. Les INSEP : Institut National du Sport et de
effets de la conjoncture historique au sens l’Education Physique
large se conjuguent à ceux de la conjoncture UEFA : Union Européenne du Football
sportive et fixent d’une certaine manière Amateur
l’ensemble des stratégies possibles. Dans le STAPS : Sciences et Techniques des
même temps, les acteurs de chaque pratique Activités Physiques et Sportives.
réagissent différemment à ces effets de
conjoncture en fonction de la position de la
discipline dans le champ sportif. Enfin, les BIBLIOGRAPHIE
caractéristiques sociales des acteurs influen-
cent également leurs stratégies et ne sont Baudelot, C. et Establet, R. (1992). Allez les
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