Sof 2021 01
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Sof 2021 01
©UCLouvain-Geomatics
Chapitre 1
Introduction
Deuxième plus grand bloc de forêts denses humides après
l’Amazonie, les forêts d’Afrique centrale représentent un
réservoir exceptionnel de carbone et de biodiversité pour les pays
concernés et pour la planète entière. Ces forêts offrent des moyens
de subsistance à 60 millions de personnes et contribuent à en
nourrir 40 millions d’autres dans les centres urbains à proximité.
Elles jouent un rôle social et culturel essentiel pour les peuples
autochtones et les communautés locales. L’importance des forêts
d’Afrique centrale sur les plans écologique, économique, social et
culturel a placé celles-ci au cœur des discussions internationales
ayant comme objectif de préserver ces écosystèmes uniques et
indispensables au bon fonctionnement de la planète.
La nouvelle génération d’images satellitaires constitue une source de données précieuses pour suivre
à grande échelle les forêts tropicales souvent difficiles d’accès. Les données d’inventaire d’un grand
nombre de concessions forestières ont tout récemment permis de proposer une synthèse de la diversité
fonctionnelle des forêts tandis que l’inauguration de la première tour à flux en forêt naturelle augure
d’une meilleure compréhension de leur flux de carbone. Toutefois, la rareté des observations de terrain
continue de limiter la cartographie de la distribution spatiale des stocks de carbone forestier à l’échelle
du bassin.
Ce chapitre propose une synthèse des connaissances en matière de cartographie des forêts
tant sur le plan floristique, physionomique qu’au niveau du carbone, fait le point sur l’évolution
des dynamiques forestières et analyse l’impact de l’affectation des terres sur la préservation des
écosystèmes forestiers. La dernière section rapporte l’investissement des pays dans le processus
REDD+ après avoir introduit les mécanismes du NERF et sa mise en place opérationnelle à l’échelle
d’une province.
Les travaux se basant sur une étude phytogéographique des forêts s’intéressent à la composition
floristique sur base des individus inventoriés sur le terrain. C’est le cas de la synthèse exceptionnelle
de Réjou-Méchain et al. (2021) qui décrit les compositions floristiques et fonctionnelles des forêts
d’Afrique centrale. De manière complémentaire, les nouvelles données d’observation par satellites
à haute résolution spatiale ont permis d’appréhender la structure de la canopée à l’échelle du
peuplement forestier pour établir une nouvelle cartographie grâce à la collaboration étroite entre les
experts nationaux et l’université Catholique de Louvain. Enfin, une analyse critique des informations
cartographiques disponibles sur les stocks de carbone fait le point sur l’état des connaissances.
La distribution conjointe de l’abondance de l’ensemble de ces taxons, moyennée sur des mailles de
10x10 km², a été modélisée à partir de 24 variables climatiques, d’informations relatives aux types
de sols (sableux vs argileux) et d’un indice de pression anthropique, sur une zone couvrant 85 % des
forêts denses de terre ferme d’Afrique centrale.
Trois gradients floristiques majeurs ont été mis en évidence par une analyse factorielle des
correspondances (AFC), réalisée sur les abondances prédites des taxons à l’échelle régionale : 1) le
gradient floristique le plus prononcé est fortement corrélé au climat, qui sépare les zones à saison
sèche fraîche et à faible intensité lumineuse (zone atlantique) et les zones ayant un taux élevé
d’évapotranspiration (limite nord des forêts d’Afrique centrale) ; 2) le deuxième gradient floristique
est fortement corrélé à la saisonnalité et à la température maximale, établissant un contraste entre
les zones équatoriales à faible déficit en eau et les zones à fort déficit en eau vers les limites des
tropiques ; 3) le troisième gradient floristique met en évidence des variations floristiques plus
locales, principalement dues à l’impact de l’homme.
Figure 1.1 : Composition fonctionnelle prédite des forêts d’Afrique centrale. A-C, valeurs
prédites des traits fonctionnels pondérés par la communauté. La couleur grise représente
les zones forestières en dehors du domaine de calibration.
En remplaçant les compositions floristiques des peuplements par la valeur moyenne de trois grands
traits fonctionnels, la densité du bois, la déciduité et la hauteur maximale potentielle des espèces
d’arbres (voir la figure 1.1), plusieurs tendances apparaissent. La densité moyenne du bois (voir la
figure 1.1A) est plus élevée sur les sols sableux, aux frontières du Cameroun, de la République du
Congo et de la République centrafricaine – la zone bien connue des grès de Carnot/Bambio – où
prédominent les espèces d’arbres ayant des stratégies d’utilisation conservatrice des ressources.
Cette valeur moyenne est plus faible dans les zones où la pression anthropique est plus élevée,
les peuplements concernés étant principalement composés de taxons à croissance rapide. Ces
zones perturbées présentent également une forte proportion d’arbres pouvant atteindre un grand
diamètre. Ces deux résultats indiquent que les forêts touchées par l’activité humaine sont dominées
par des taxons pionniers à longue durée de vie, caractérisés par une faible densité de bois mais
avec un grand volume potentiel. Par ailleurs, un gradient marqué de déciduité s’étend des forêts
sempervirentes de la côte gabonaise à la limite nord des forêts d’Afrique centrale (voir la figure 1.1B),
exception faite des sols sableux.
Ces résultats combinés ont permis de caractériser 10 grands types floristiques présents dans la
région (voir la figure 1.2). La plus forte dissimilarité floristique est apparue entre les forêts atlantiques
(types 1 à 3) et les autres types de forêts (4 à 10), au sein desquelles les forêts semi-décidues ont
été clairement distinguées (types 4 à 6). Des convergences fonctionnelles entre des types de forêts
présentant une dissimilarité floristique importante, et vice versa, ont été observées. Par exemple,
bien qu’elles possèdent un pool d’espèces régional similaire à celui des forêts semi-décidues (types 4
et 6), les forêts sur grès de Carnot/Bambio (type 5) ont une composition fonctionnelle plus proche
des groupes forestiers éloignés (par exemple, les types 2, 3, 7 et 8), avec une forte densité de bois et
une faible déciduité. Le type de sol modifie en effet l’abondance relative des espèces, les sols sableux
pauvres favorisant certains traits fonctionnels. En revanche, si les forêts atlantiques (types 1 à 3) ont
peu d’affinités taxonomiques avec les forêts du Centre-Est et du Sud (types 7 et 8), elles présentent
une composition fonctionnelle similaire en raison de conditions climatiques plus proches. Cela
confirme que si la composition taxonomique des peuplements est liée à la biogéographie, leur
composition fonctionnelle peut converger dans des conditions environnementales similaires.
Les caractéristiques floristiques et fonctionnelles des peuplements les rendent plus ou moins vulnérables
aux évolutions possibles du climat et des activités humaines dans les décennies à venir. Modélisée jusqu’en
2085, la vulnérabilité écologique des peuplements, combinant leur sensibilité, leur exposition et leur
capacité d’adaptation au changement climatique, est apparue indépendante de la pression anthropique :
cela signifie que les peuplements d’Afrique centrale cumulent de manière indépendante les deux risques
liés au climat et à l’homme. Selon les résultats, cette vulnérabilité combinée sera élevée pour les forêts
de la côte gabonaise, dans de vastes zones de la RDC et dans la marge nord du domaine forestier. Les
Figure 1.2 : Principaux types de forêts en Afrique centrale sur la base de leur composition
fonctionnelle. A, Classification des types de forêts obtenue par regroupement hiérarchique des
gradients floristiques prédits. Les couleurs traduisent les trois traits fonctionnels moyens des
espèces correspondant à chaque type de forêt, à savoir la densité du bois (rouge), la déciduité
(vert) et le diamètre maximum (bleu). Ainsi, des couleurs similaires illustrent une composition
fonctionnelle similaire. B, Relations taxonomiques entre les types de forêts illustrées par un
dendrogramme (en haut) et un boxplot de la composition fonctionnelle prédite standardisée (en
bas), avec la densité du bois en rouge, la déciduité en vert et le diamètre maximum en bleu. Noms
des types de forêts : (1) sempervirente des hauts plateaux atlantiques, (2) sempervirente côtière
atlantique (3) sempervirente intérieure atlantique, (4) semidécidue marginale, (5) sempervirente-
semidécidue sur grès, (6) semidécidue, (7) sempervirente centrale, (8) sempervirente mixte,
(9) semidécidue dégradée (10) transition semidécidue-sempervirente. Le caractère de déciduité
(perte simultanée des feuilles au cours d’une année) est un caractère botanique à l’échelle des
individus. Les frontières des pays sont représentées en noir et les forêts en dehors du domaine
de calibration sont en gris.
Source : Réjou-Méchain et al. (2021)
technologique (plusieurs satellites) et un accès libre. À la faveur d’une stratégie d’acquisition continue
avec des résolutions spatiales de 10-20 m et temporelle de 5 à 12 jours respectivement, les satellites
Sentinel 1 et 2 constituent les nouveaux instruments de référence pour un suivi régulier sur le long terme
des écosystèmes forestiers. En parallèle, la disponibilité croissante de mosaïques de type Planet à très
haute résolution spatiale, mais de qualité plus variable, constitue aussi une nouvelle source de données
particulièrement adaptée à l’interprétation visuelle d’échantillons répartis sur l’ensemble du bassin.
Dans le cadre de l’Observatoire des Forêts d’Afrique Centrale, une typologie régionale harmonisée
des types de forêts couvrant les 10 pays de la COMIFAC a été élaborée depuis 2018 grâce à plusieurs
ateliers régionaux rassemblant les experts nationaux. Les 13 catégories forestières de cette typologie
sont définies à l’aide du Land Cover Classification System (LCCS) relatif à la norme ISO 19144-1 et
illustrées en partie à la figure 1.4.
Cette cartographie régionale réalisée à la faveur d’une bonne collaboration entre les experts
nationaux et l’Université Catholique de Louvain fournit la répartition spatiale des différents types
forestiers décrits sur base physionomique à partir de variables telles que le pourcentage de couvert
végétal des différentes strates de végétation, la saisonnalité du couvert, le régime d’inondation ou
encore l’altitude.
L’ensemble des données des satellites Sentinel-2 acquises en 2020 dans les différentes bandes
spectrales ont permis la production d’un composite annuel cohérent grâce au développement d’une
nouvelle méthode de correction des images et à un algorithme améliorant la détection des nuages
(voir la figure 1.3). Les zones nuageuses ont été comblées par des observations de 2018 et 2019. Les
observations des satellites Sentinel-1 de type radar, insensibles aux perturbations nuageuses, ont
été utilisées en complément pour la classification des types de forêts là où les séries temporelles
d’images Sentinel-2 se sont révélées très nuageuses.
L’étape de classification utilise des données collectées par les experts nationaux qui sont appliquées
ensuite aux métriques spectro-temporelles issues des données Sentinel-1 et Sentinel-2 pour entraîner
les algorithmes de classification. La cartographie des types de forêts produites à 20 m de résolution
fournit une information sur les types forestiers à un niveau de détail spatial jamais atteint pour une
telle couverture géographique. La figure 1.4 présente la cartographie régionale obtenue avec toute la
diversité de classes forestières identifiées illustrée par 3 zooms sur la République du Congo.
Figure 1.3 : Mosaïque Sentinel-2 sans nuage sur la zone des forêts humides d’Afrique centrale
pour l’année 2020. La composition colorée innovante permet de caractériser des types
fonctionnels de forêt impossibles à identifier par satellite auparavant.
Le bassin du Congo présente trois grands ensembles de forêts humides dont le plus caractéristique
couvre le centre de la cuvette avec les forêts édaphiques. Les forêts édaphiques sont cartographiées entre
forêts marécageuses inondées de manière permanente (voir la figure 1.5) (inondation > 9 mois), forêts
marécageuses périodiquement inondées (inondation de 4 à 9 mois) et forêts ripicoles (voir la figure
1.6). Le couvert de la strate arborée des forêts marécageuses inondées périodiquement ou de manière
permanente est supérieur à 60 % et celui des forêts ripicoles se situe entre 30 et 60 %. Les forêts ripicoles
se trouvent en fond de vallée ou sur des pentes faibles en bordure de rivière. La grande majorité du bassin
Figure 1.4 : Carte des types forestiers du bassin du Congo à 20 m de résolution dont le niveau
de détail est illustré par 3 zooms sur la République du Congo.
Figure 1.5 : Forêts inondées Figure 1.6 : Forêts ripicoles. Figure 1.7 : Forêts denses
de manière permanente. humides à distribution en
âge irrégulière.
Figure 1.8 : Forêts denses Figure 1.9 : Forêts ouvertes. Figure 1.10 : Forêts denses
humides à distribution en humides sempervirentes.
âge régulière.
est couverte par des forêts denses humides avec une distribution en âge irrégulière (voir la figure 1.7). Ce
type de forêts est défini par une strate arborée dense (> 60 %), riche en espèces, notamment décidues
et présentant de nombreux arbres émergents à cime imposante. Dans la moitié est du bassin, des forêts
denses humides avec une distribution en âge régulière (voir la figure 1.8) présentant moins de grandes
cimes que les forêts à distribution en âge irrégulière semblent dominer davantage le paysage. Des
îlots de forêts denses humides sempervirentes monospécifiques (voir la figure 1.10), le plus souvent de
l’espèce Gilbertiodendron dewevrei, ponctuent ces grands massifs. Enfin, les forêts montagnardes et sub-
montagnardes bordent la région des grands lacs marquée par des altitudes supérieures à 1100 m. Dans
l’ensemble du bassin, des forêts ouvertes (voir la figure 1.9), caractérisées par une densité de couvert entre
30 et 60 %, sont également identifiées traduisant souvent un gradient de dégradation.
observée (cf. section 1.2.3 Estimation des taux de changements) menant ainsi à une future saturation
des capacités d’absorption des forêts intactes en Afrique centrale malgré leur stabilité observée
jusqu’ici (Hubau et al. 2020).
Cependant, la distribution spatiale des stocks de carbone forestier à l’échelle de l’Afrique centrale reste
largement méconnue, principalement du fait de la rareté des observations de terrain – notamment
sur la moitié est de la région (www.afritron.org) – et des difficultés liées à l’extrapolation des stocks
de carbone par télédétection.
Ces difficultés n’ont pas été surmontées dans les études actuellement disponibles sur la répartition
spatiale de la biomasse forestière dans la région. Ces études ont utilisé des données de télédétection
satellitaire pour extrapoler des mesures de biomasse de référence estimées depuis le sol, excepté
Santoro et al. (2020) qui se sont passés de mesures de référence en utilisant des modèles purement
physiques. Malgré des approches similaires, les différentes cartes produites montrent des types de
distribution très différents (voir la figure 1.11-a) menant à des estimations par pays radicalement
différentes (voir la figure 1.11-b). Au Gabon, par exemple, la quantité de biomasse aérienne moyenne
à l’hectare pour les forêts humides est d’environ 375 t.ha-1 selon la carte de Avitabile et al. (2016),
contre seulement 210 t.ha-1 selon celle de Baccini et al. (2012), avec donc des estimations de biomasse
totale variant du simple au double (10 gigatonnes dans un cas, 5,7 gigatonnes dans l’autre, voir la
figure 1.11-b). Des cartes de biomasse locales très précises, réalisées à partir de LiDAR aérien, ont
montré que l’ensemble de ces cartes ne prédisait que très mal les variations de biomasse observées
(Réjou-Méchain et al. 2019). De manière similaire, ces cartes régionales ne reflètent pas les variations
de biomasse obtenues à partir de données d’inventaires forestiers (Ploton et al. 2020). Ainsi, ces
cartes doivent donc être considérées avec le niveau de précaution approprié.
En l’absence de données satellitaires appropriées pour extrapoler la biomasse forestière, seules les
approches basées sur un échantillonnage statistique représentatif des différents types de forêts
permettent actuellement de fournir des estimations fiables avec une incertitude associée. En outre,
le LiDAR aérien fournit des estimations fiables de la biomasse. A l’aide d’un échantillonnage large
et aléatoire et en utilisant des données LiDAR, Xu et al. (2017) ont pu cartographier la distribution
du carbone à l’échelle nationale en RDC. En utilisant les données LiDAR collectées en RDC pour
la zone d’Afrique Centrale ainsi qu’en les combinant à d’autres échantillons, à l’échelle mondiale,
provenant de diverses études, Xu et al. (2021) ont fait le suivi global de l’AGB entre 2000 et
2019. Ces différentes estimations de la biomasse gagnent probablement en qualité du fait de
l’utilisation d’un échantillonnage large et de données LiDAR. L’ensemble de ces approches, basées
sur un échantillonnage statistique représentatif des différents types de forêts et sur l’utilisation
de données LiDAR, montrent que l’utilisation des cartes de biomasses basées uniquement sur des
données optiques permet, malgré leurs importantes erreurs systémiques, d’améliorer de manière
substantielle la précision des estimations moyennes de hauteur et de biomasse aérienne au niveau
Figure 1.11 : Comparaison de la biomasse aérienne (AGB, en t.ha-1) des forêts humides d’Afrique
centrale issue des cartes de Avitabile et al. (2016), Baccini et al. (2012), Saatchi et al. (2011) et
Santoro et al. (2020). a. Distribution spatiale de la biomasse. b. Histogrammes de densité
représentant les valeurs de biomasse aérienne à l’hectare par pays (axe X) et par carte (code
couleur). La moyenne de chaque distribution est représentée par un point de couleur, et la
biomasse cumulée (en Gt) sur l’ensemble des forêts humides de chaque pays est donnée
(quadrant haut-droit).
local (par exemple Næsset et al. 2020). Par ailleurs, une carte mondiale des hauteurs des canopées
forestières a été produite à 30 m en utilisant conjointement les satellites GEDI et Landsat (Potapov
et al. 2021).
La fiabilité des cartes de biomasse aérienne à large échelle devrait fortement s’améliorer grâce à la mission
spatiale GEDI de la NASA (2020-2022) et au lancement attendu du satellite radar BIOMASS (bande
P) par l’ESA en 2022. Contrairement aux données satellitaires précédentes, ces nouveaux capteurs ont
été spécifiquement conçus pour cartographier la biomasse forestière. Ils sont notamment sensibles à la
biomasse même dans les valeurs les plus élevées (Minh et al. 2016). Les données LiDAR GEDI, qui sont
en cours d’acquisition et d’analyse, fournissent notamment des mesures de hauteurs des canopées sur
l’ensemble des tropiques, avec une densité d’échantillonnage telle que plusieurs mesures devraient être
disponibles par kilomètre carré (Patterson et al. 2019). La relation forte liant la hauteur et la biomasse
des forêts va permettre d’établir des modèles de cartographie de la biomasse très probablement plus
performants que les modèles régionaux.
Afin d’exploiter au mieux ces nouvelles données satellitaires, un enjeu fort pour les pays d’Afrique
centrale réside dans l’établissement de « super-sites » de mesure, où la biomasse forestière est
estimée de façon très précise (Chave et al. 2019), permettant ainsi de mieux ajuster et évaluer
localement les cartes produites.
Ainsi, on peut observer qu’au centre de la République du Congo la classe floristique 7 (sempervirente
centrale) correspond à la classe « forêt dense humide ouverte » de la carte physionomique détaillée.
La forêt avec une densité de couvert entre 30 et 60 % semble correspondre aux taxons à diamètre
maximum potentiel faible, mais avec une densité de bois élevée. L’utilisation conjointe des
deux produits permet d’identifier une forêt dégradée, mais composée d’espèces à densité de bois
élevée témoignant d’une croissance lente et d’un stockage important en carbone dans les arbres
restants.
De la même manière, la classe floristique 6 (semidécidue) se superpose dans le Nord Congo aux
classes « forêt dense humide avec distribution en âge régulière » et « forêt dense humide avec
distribution en âge irrégulière » de la cartographie physionomique détaillée. Cette classe 6 est
définie par des espèces ayant une densité de bois intermédiaire, par un diamètre maximal dans la
moyenne et par un mélange entre espèces décidues et sempervirentes. Les caractéristiques de cette
classe montrent un équilibre dans les espèces qui la constituent entre des taxons à croissance rapide
avec des densités en bois plus faibles, mais des volumes potentiels élevés et des taxons à croissance
lente possédant les caractéristiques inverses. L’approche physionomique converge avec cette
description tout en distinguant deux classes dans cette région selon la présence plus importante
d’arbres à grandes cimes dans la forêt à distribution en âge irrégulière par rapport à celle ayant une
distribution en âge régulière.
La richesse respective des informations produites aux différentes échelles montre l’importance et
la complémentarité des différentes approches pour la gestion de l’utilisation des sols opérée à une
échelle locale et la conservation des forêts face aux défis régionaux et mondiaux. Combinant scénarios
de changement climatique, projections de pression humaine et répartition spatiale détaillée de la
forêt, la vulnérabilité des communautés forestières aux changements peut être prédite pour guider
les stratégies de conservation. Ainsi, le fait de préserver les potentiels évolutifs et fonctionnels des
forêts actuelles, ou du moins, maintenir leur connectivité pourra limiter les impacts régionaux et
mondiaux qu’auront les changements attendus.
La cartographie exhaustive à haute résolution spatiale des forêts tropicales humides (TMF en
anglais) sur les 30 dernières années (de l’an 1990 à 2020) nous a livré de nouvelles données sur ces
espaces forestiers (voir la figure 1.12). Leur étendue, les perturbations qu’ils subissent (déforestation
et dégradation), puis la régénération qui leur fait suite sont documentées tous les ans (Vancutsem et
al. 2021). Ces données annuelles sur les forêts denses humides (ou produit TMF) et celles de Global
Forest Watch (Hansen et al. 2013), disponibles depuis 2013, sont les seules informations cohérentes
et à jour pour suivre la déforestation des forêts d’Afrique centrale depuis l’an 2000. La cohérence de
la méthode est un élément déterminant du suivi des forêts et la couverture annuelle et globale des
produits de GFW et du CCR est un avantage majeur de ces produits. Les informations du produit
TMF de Vancutsem et al. (2021) sont très détaillées sur le plan thématique ; c’est un document sans
précédent sur la déforestation en Afrique centrale, qui présente la déforestation après la dégradation
et la déforestation suivie d’une régénération, qui identifie une conversion précise des forêts au profit
de commodités ou de l’eau et expose aussi l’évolution des mangroves. Cela a été possible grâce à
l’analyse de chaque observation valide des images d’archives Landsat qui permet de constater les
perturbations de courte durée telles que la coupe sélective et les phénomènes météorologiques
extrêmes. Actuellement, le produit TMF et les données de GFW sont les principales sources qui nous
alertent sur les activités responsables de la déforestation et sont utiles pour la stratification d’un
plan d’échantillonnage sur le terrain. Le principal avantage de l’échantillonnage est la possibilité de
quantifier les incertitudes dans les estimations.
Un espace déboisé désigne la conversion permanente d’un couvert forestier humide au profit d’une
autre occupation des sols tandis qu’une forêt dégradée est un couvert forestier humide où des
perturbations (ouvertures de la canopée dans un pixel Landsat de 0,09 ha) ont été observées sur une
courte durée. Ici, la durée de la perturbation (et par conséquent de la période au cours de laquelle
cette perturbation est détectée sur les images satellite) sert d’indicateur de l’impact de celle-ci, c.-
à-d. que plus la durée de la perturbation détectée est longue, plus l’impact sur le couvert forestier est
important et plus fort est le risque de conversion permanente de la forêt dense humide. Toutes les
perturbations dont les effets ont été observés sur plus de 2,5 ans (ou 900 jours) ont été considérées
comme des processus de déforestation. Dans les perturbations de courte durée sont inclus les
travaux d’exploitation forestière, les incendies et les phénomènes naturels dommageables tels que
les tempêtes de vent et les périodes d’extrême sécheresse. Cette définition se rapproche de celle de
la dégradation de la forêt adoptée par Thompson et al. (2013) qui tient compte des critères suivants :
perte de productivité, appauvrissement de la biodiversité, perturbations inhabituelles (sécheresse,
chablis), et réduction du stockage du carbone.
Deux niveaux de dégradation ont été identifiés de façon empirique : dégradation avec impacts de
courte durée (observés sur une durée maximum d’un an), qui comprend la majorité des travaux
d’exploitation forestière, et dégradation avec impacts de longue durée (entre 1 et 2,5 ans) qui
correspond principalement aux grands incendies (forêts brûlées). 50 % des effets de la dégradation
s’observent sur moins de six mois. En ce qui concerne les perturbations dont les impacts ont été
observés sur plus de 2,5 ans et qui ont donc été considérés comme des processus de déforestation,
68 % de ceux-ci ont été observés sur plus de 5 ans.
La régénération forestière est une transition en deux phases, de la forêt humide (i) à une étendue
déboisée et ensuite (ii) à un recrû. Il est nécessaire d’observer la présence d’une forêt humide
permanente sur une durée minimum de trois ans pour classer un pixel en régénération forestière
(afin d’éviter une confusion avec des cultures).
La collection de 30 cartes issues des données Landsat fournit la superficie de la forêt dense
humide et les catégories de perturbations pour chaque année, de 1990 à 2020 (voir figure 1.12).
Figure 1.12 : Carte des forêts tropicales humides non perturbées d’Afrique centrale (haut)
avec trois vues rapprochées ; Nord de la République du Congo (gauche), Guinée équatoriale/
Gabon (milieu) et Est de la RDC (droite) pour 1990 (haut) et 2019 (bas).
Ces cartes servent à documenter les perturbations annuelles sur la totalité de la période, avec
neuf catégories de transition pour chaque statistique annuelle : (i) dégradation survenant avant
la déforestation, (ii) dégradation de courte durée non suivie de déforestation, (iii) dégradation de
longue durée non suivie de déforestation, (iv) déforestation directe (sans dégradation préalable)
non suivie de régénération forestière, (v) déforestation directe suivie d’une régénération forestière,
(vi) déforestation après dégradation suivie d’une régénération forestière, (vii) déforestation après
dégradation non suivie d’une régénération forestière, (viii) conversion de la forêt au bénéfice
d’étendues d’eau et (ix) conversion de la forêt au profit de plantations d’arbres.
Les perturbations sont surveillées à date unique avec une classification sur chaque image de l’archive
Landsat. Cela permet (i) de détecter les perturbations qui sont visibles de l’espace uniquement
sur une courte période, comme les travaux d’exploitation forestière et (ii) d’enregistrer pour ces
perturbations la période concernée et leur nombre. Une « perturbation observée » désigne l’absence
de couverture arborée sur un pixel Landsat. Le nombre de perturbations observées constitue un
indicateur de l’intensité de la perturbation.
Enfin, pour obtenir une carte plus conservative des forêts non perturbées en excluant les zones
impactées par l’exploitation forestière et éventuellement non décelées, on crée des zones tampons
de perturbation à une distance seuil de 120 m autour des pixels indiquant une perturbation. Cette
distance correspond à la distance moyenne observée entre deux parcs à bois et est cohérente avec
les distances utilisées dans des études précédentes destinées à évaluer les forêts intactes (Qie et
al. 2017).
Ces résultats soulignent l’importance du processus de dégradation dans ces écosystèmes qui aboutit
à deux constatations : les forêts dégradées en Afrique centrale représentent environ 7 % de la surface
restante de TMF (jusqu’à 30 % si l’on considère les forêts situées en bordure des zones perturbées), et
environ 40 % de toutes les perturbations forestières (déforestation, régénération et dégradation).
Avec 105,8 millions ha, la République démocratique du Congo est le pays d’Afrique qui présente
la plus vaste superficie restante de forêt tropicale humide non perturbée, et c’est le deuxième du
monde tropical, après le Brésil et avant l’Indonésie. Le Gabon, le Cameroun et la République du
Congo affichent des superficies similaires de forêts intactes (entre 19,8 et 23,4 millions ha in 2019).
En République du Congo et au Gabon, le déclin est peu marqué pour la période 2000-2019 (0,03-
0,1 million ha/an) par rapport au chiffre de la RDC (1,4 million ha/an) (Vancutsem et al. 2020). Depuis
2009, le taux annuel des perturbations a augmenté dans tous les pays d’Afrique centrale. Si le taux
actuel des perturbations se poursuit (celui des 10 dernières années), la République démocratique du
Congo aura perdu d’ici 2050 22 % de ses forêts humides (leur surface passant de 116,9 millions ha
en 2020 à 91 millions ha en 2050) et 33 % de ses forêts humides non perturbées (qui régresseront de
105,8 à 71,4 millions ha).
Forêt
dégradée
Planta�ons Eau
Tableau 1.1 : Taux annuels de pertes de forêts non perturbées selon TMF entre 2000 et 2020
sur des périodes de 5 ans par pays (taux annuels en %). Les taux des autres pays ne sont pas
disponibles dans l’étude.
Étude Période Cameroun RCA Congo RDC Gabon
D’une étude provenant des principales sources de données à l’autre, les taux annuels de déforestation
sont extrêmement variables (voir le tableau 1.2). TMF a été choisi comme référence parce qu’il s’agit
de la seule étude cohérente et actualisée qui fait la différence entre déforestation et dégradation
depuis l’an 2000. D’une part, les données transmises par un pays pour l’évaluation des ressources
forestières mondiales de la FAO correspondent aux statistiques nationales officielles. D’autre part,
GFC et TMF sont des sources de données mondiales basées sur une méthode standardisée. GFC
et TMF publient des taux annuels à partir des relevés de télédétection, tandis que l’évaluation des
ressources forestières mondiales s’appuie sur des statistiques nationales évaluant les superficies
forestières tous les cinq ans pour en déduire la surface de forêt détruite à l’échelle nationale. Le
tableau 1.1 fournit des informations sur le taux annuel de perte de forêt humide tropicale non
perturbée de 2000 à 2020 par pays. D’autres études nationales des relevés de télédétection donnent
des évaluations du recul de la forêt. Cependant, compte tenu des méthodes disparates, des mesures
non reproductibles, des couverts forestiers concernés qui sont différents et de la palette de définitions
de la forêt, il est indispensable de réfléchir à une stratégie adaptée pour comparer les résultats au fil
du temps et entre divers pays.
La figure 1.14 présente la proportion de forêt non perturbée, de forêt dégradée et de non-forêt au
niveau sous-national. Les territoires administratifs ayant moins de forêts non perturbées présentent
habituellement une plus forte proportion de forêts dégradées, ce qui révèle la fragilité de ces zones.
Enfin, la plus grande partie des zones boisées converties en plantations d’arbres au cours de ces
trente années en Afrique se situent en RDC, au Cameroun, et au Gabon (80 000 ha, 70 000 ha et
40 000 ha respectivement).
Figure 1.14 : Proportion de forêts intactes (vert foncé), forêts dégradées (vert clair) et non-
forêts (orange) par second niveau administratif (districts, sous-préfectures, départements ou
communes) selon le produit Tropical Moist Forest pour l’année 2019. Dans la représentation,
les zones déforestées avant 2019 sont classées en non-forêt.
En Afrique centrale, le principe de forêts communautaires existe depuis la fin des années 1990 initié
par le Cameroun. La reconnaissance des droits coutumiers des communautés forestières, incluant
leurs droits fonciers, est considérée comme l’une des meilleures solutions pour protéger efficacement
les forêts tout en luttant contre la pauvreté (Rainforest Foundation UK 2019). Malheureusement,
les résultats au Cameroun ne sont pas très convaincants, notamment en raison de la bureaucratie
et de la difficulté de mettre en place des actions collectives au sein des villages camerounais. Le
Gabon, qui a autorisé ce type d’affectations il y a quelques années, rencontre les mêmes difficultés.
La RDC a finalisé le texte relatif aux forêts communautaires en 2016 autorisant les communautés
à gérer leurs forêts conformément à leurs coutumes ancestrales et ce, à perpétuité assurant selon
Ewango et al. (2019) une meilleure gestion forestière. En RCA, la première forêt communautaire a
vu le jour en 2019 couvrant une superficie d’environ 15 000 hectares. La Guinée équatoriale a des
catégories particulières de titularisation, mais celles-ci ne donnant pas le privilège d’exploiter des
ressources spécifiques, elles ne sont pas considérées comme forêts communautaires. La République
du Congo n’a quant à elle toujours pas autorisé les forêts communautaires. Cependant, des « Séries
de Développement Communautaire » ont été mises en place autour des villages enclavés dans les
concessions afin de permettre une activité agricole, la chasse et la collecte de bois d’œuvre pour
les besoins locaux (Karsenty and Vermeulen 2016). Les compagnies peuvent toujours exploiter ces
espaces moyennant un payement envers les communautés.
Afin de diminuer la pression sur les forêts, de préserver les écosystèmes riches en faune et flore et
d’en faire bénéficier les populations avoisinantes, de nombreuses aires protégées ont été créées en
Afrique centrale durant les deux dernières décennies (Bowker et al. 2016). Cependant, le manque de
financements, les faibles ressources techniques et humaines, l’instabilité politique, la corruption et
les conflits existants dans de nombreux pays de cette région rendent la bonne gestion de ces aires
protégées difficile. La question de l’efficacité des aires protégées pour diminuer la déforestation est
au cœur de nombreuses réflexions (Aubréville 1957 ; Troupin 1966 ; White 1986 ; Bowker et al. 2016 ;
Vancutsem et al. 2020). Il est difficile de conclure sur le rôle que jouent les aires protégées dans la
conservation de la forêt. Certaines études (Joppa and Pfaff 2011 ; Bowker et al. 2016 ; Bruggeman
et al. 2018) montrent qu’elles sont en général situées dans des zones à faible risque de conversion
en une autre utilisation des terres et présentent donc un faible risque de déforestation de par
leurs caractéristiques. Bowker et al. (2016) exposent qu’une grande divergence existe au sein d’un
même pays dans l’efficacité de protection des forêts des différentes aires protégées. Ainsi, malgré
l’importance d’une bonne gouvernance dans la gestion de ces aires protégées, ce n’est pas le seul
élément déterminant leur efficacité en termes de protection de la forêt. La taille et l’accessibilité
sont en effet d’autres caractéristiques décisives. Les plus grands parcs, sans doute grâce à leur faible
ratio limite/superficie, sont plus efficaces que les plus petits. En effet, les possibilités de violations
des limites sont plus faibles à superficie protégée égale. En RDC notamment, les parcs plus isolés
affichent un plus grand potentiel de conservation. Certaines aires protégées sont performantes
principalement grâce à leur terrain accidenté alors que d’autres sont particulièrement menacées et
difficiles à protéger de par leur facilité d’accès et leur proximité des lieux habités (Joppa and Pfaff
2011). Ces résultats mettent en avant la nécessité d’optimiser les zones à protéger en tenant compte
de leur risque éventuel de dégradation et du coût de leur protection (Joppa and Pfaff 2011).
L’établissement de concessions forestières certifiées ou non permet de définir les zones d’exploitation
forestière et de limiter les exploitations illégales. Les forêts de production, si elles sont gérées de
manière durable et établies en périphérie de zones à haute valeur de conservation, peuvent jouer un
rôle crucial dans la conservation de la biodiversité (Duveiller et al. 2008). Il a également été montré
que les exploitations forestières sélectives avaient un faible impact sur la perte de biodiversité
et qu’en se tenant à une intensité d’exploitation conforme à la certification FSC, la majorité des
groupes taxonomiques pouvait être résiliente (Lhoest et al. 2020). Cependant, les perturbations
locales (exploitation, chasse, braconnage), favorisées par l’augmentation de l’accessibilité à des
zones reculées, peuvent impacter la conservation.
Les informations de surface totale calculée ici à une échelle nationale (voir la figure 1.15) pour
les différentes affectations ont été extraites des données WDPA de l’UICN de 2020 pour les aires
protégées et extraites du recensement fait en 2019 pour les concessions forestières. Les données
des forêts communautaires et forêts communales du Cameroun ainsi que les données des forêts
nationales et communales de la Guinée équatoriale sont issues du WRI. Les données de permis
miniers proviennent de la base de données SNL Métaux et Mines (consultée le 02/12/2020). Le
niveau de perturbation forestière des différentes affectations a été calculé sur base du produit TMF
du CCR (Vancutsem et al. 2021) qui cartographie les forêts denses humides intactes, forêts n’ayant
jamais été dégradées sur la période d’observation (2000-2019), ainsi que les forêts denses humides
dégradées, forêts ayant subi une dégradation visible sur un maximum de 2,5 années consécutives
sur la période étudiée.
0% 10% 20% 30% 40% 50% 60% 70% 80% 90% 100%
Figure 1.15 : Couvert forestier (intact et dégradé) par affectation par pays (ha).
Remarque: attention que comme il y a des recouvrements entre certaines affectations, certains pays ont un total de couvert forestier
qui est supérieur à 100%
Les perturbations forestières par type d’affectation et par pays (voir les tableaux 1.3 à 1.6) mettent
en avant l’importance de la dégradation forestière et de la déforestation au sein des concessions
forestières en RDC et en RCA par rapport à celles observées au Cameroun ou au Gabon. Les différences
entre pays s’expliquent en partie par des contextes démographiques différents. En effet, en RDC, la
densité de population élevée à proximité des concessions provoque un empiétement entre les zones
de collecte de bois du secteur industriel et du secteur informel au sein des concessions (Karsenty
2016). Les concessions en RDC sont généralement très vastes, ce qui entraîne une gestion difficile et un
grignotage de la forêt par la petite agriculture, les exploitants illégaux et les charbonniers (Karsenty
2016). Les modalités de délimitation peuvent dans certains cas également être responsables d’une
telle différence entre les pays. En effet, le Cameroun a une politique d’affectation des concessions
excluant les zones proches des lieux habités, ce qui n’existe pas en RDC. Les résultats les plus récents
présentés ici sur base d’une résolution de 30 m concordent avec l’étude de Davis et al. (2020) qui
conclut à un bénéfice pour la conservation des forêts dû au statut de concession forestière dans
la majorité des pays forestiers d’Afrique centrale, à l’exception non vérifiée ici de la République
centrafricaine et la République du Congo (Davis et al. 2020). Sur le littoral camerounais où la pression
sur les forêts est importante en raison de la proximité avec la ville portuaire de Douala, l’étude de
Panlasigui et al. (2018) montre comment la présence de concessions forestières a significativement
diminué la perte de couvert forestier. À l’inverse, l’étude de Karsenty and Hardin (2017) mentionne
que dans des régions où la pression de la population sur les forêts est déjà importante, la présence
de concessions forestières peut être un facteur aggravant. De plus, l’ouverture des forêts dans le
cadre d’activités industrielles facilitera également l’accès à des zones initialement inaccessibles à
l’agriculture de subsistance, au braconnage ou à la chasse (Karsenty and Hardin 2017 ; Tyukavina et
al. 2018). Il est probable donc que des biais cachés influencent localement l’effet positif ou négatif
des concessions forestières.
Les taux de déforestation et de dégradation au sein des aires protégées (voir le tableau 1.4) montrent
les mêmes tendances qu’au sein des concessions forestières avec à nouveau des perturbations
forestières plus importantes en RCA et en RDC en opposition aux autres pays forestiers. Entre 2010
et 2020, malgré une augmentation générale des taux de déforestation dans les deux affectations,
la Guinée équatoriale et la RDC ont des taux de déforestation plus de deux fois supérieurs en
concessions forestières qu’en aires protégées. La RCA maintient des taux de déforestation très
légèrement plus importants au sein des aires protégées qu’en concessions forestières. Les taux de
dégradation sont cependant moindres au sein des aires protégées que ceux observés en concessions
forestières excepté en RCA et ce, pour les deux périodes étudiées.
Les taux de déforestation similaires pour certains pays entre aires protégées et concessions
forestières sont surprenants étant donné l’absence de routes d’exploitation dans les aires protégées,
principale source de perturbations forestière au sein des concessions. Cela signifie qu’une part de
la forêt en aires protégées est dégradée de manière illégale. Afin de saisir la diversité des réalités des
aires protégées, la plateforme analytique de l’Observatoire des Forêts (https://www.observatoire-
comifac.net/analytical_platform) prolonge cette analyse pour chaque aire protégée.
Sur l’ensemble du bassin du Congo, 5 % des aires protégées sont chevauchées par des titres miniers
dont 65 % sont occupés par de la forêt (intacte ou dégradée). Bien que le Cameroun l’interdise
actuellement, le recouvrement de titres miniers et de zones de conservation était possible dans le
passé, ce qui explique en partie que l’on trouve des concessions minières sur 24 % des aires protégées
de ce pays. Au Congo, c’est 7 % des aires protégées qui sont chevauchés par des titres miniers, ce
pourcentage étant de 6 % au Gabon et de 3 % en RDC.
Pour les deux périodes couvertes, les taux calculés ici montrent que la dégradation forestière et
la déforestation sont plus importantes dans les zones non affectées qu’en concessions minières
pour l’ensemble des pays forestiers, excepté pour la RDC qui montre une tendance opposée. Les
taux de régénération forestière vont dans le sens inverse et sont même plus élevés en zones non
affectées pour l’ensemble des pays et sur les deux périodes, excepté en RDC. La RDC montre en effet
une recrudescence forestière favorable en concessions minières. Toutefois, sans information sur
l’activité des permis miniers, il est difficile de quantifier son impact sur la perturbation forestière.
Selon le rapport du WWF de 2018, très peu de sites ont déjà initié l’étape de production. Ainsi, si des
réserves conséquentes sont découvertes, de gros dégâts environnementaux pourraient en découler
(Grantham and Tibaldeschi 2018).
La RDC et la RCA subissent les dégradations forestières et déforestations les plus importantes liées
au secteur minier (voir le tableau 1.5). En excluant les exploitations artisanales, il convient de noter
que 11,6 % du territoire congolais (RDC) est couvert par des titres miniers, dont 35 % de forêts, soit
presque 10 milliards d’hectares. L’impact de la mine artisanale et à petite échelle est difficile à mesurer
et à surveiller. À l’échelle de l’exploitation individuelle, les dégâts sont généralement faibles, car de
courte durée et sur des espaces très restreints localement, mais l’effet cumulatif d’impacts locaux
négatifs augmente significativement la pression sur les forêts. Outre l’impact de la déforestation,
l’extraction artisanale alimente également les conflits de l’Est de la RDC et entretient l’insécurité
présente dans cette partie du pays (Hund et al. 2017).
Une étude de 2017 du WWF portant sur le Cameroun, la République démocratique du Congo, le
Gabon et la République du Congo a analysé la situation actuelle de l’exploitation minière et l’impact
de celle-ci sur la conservation de la biodiversité dans le bassin du Congo (Noiraud et al. 2017).
L’activité minière est davantage présente en région forestière que l’extraction de gaz et de pétrole
(Hund et al. 2017). Les pays de la sous-région voient l’activité minière comme un levier important
pour le développement économique de leur pays. Les risques directs et indirects de l’exploitation
minière sur l’environnement sont la déforestation principalement pour la mise en place des
infrastructures nécessaires, la perte de biodiversité et la pollution des milieux aquatiques. Cette
exploitation à grande échelle provoque généralement un déplacement de masses de populations
voulant bénéficier des actifs économiques de cette activité qui engendre dans le même temps le
développement du braconnage et de l’agriculture de subsistance (Hund et al. 2017 ; Noiraud et al.
2017). Le secteur minier industriel au Cameroun est encore à l’état embryonnaire et la dégradation
qu’il occasionne est majoritairement due à l’exploration ou à l’exploitation non industrielle déjà
bien répandue.
La mise en place de plan d’aménagement du territoire aux échelles nationales des différents pays
permettrait une coordination des différents secteurs afin d’éviter les conflits d’usages entre la
production et la conservation, les concessions minières et forestières, le développement de l’agro-
industrie et la protection des moyens de subsistance des populations locales.
Contexte
La Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) encourage
les pays à participer à l’atténuation des changements climatiques en mettant en place, à titre
volontaire, des interventions visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) et à renforcer
l’absorption et le stockage pérenne de ces gaz. Un mécanisme de réduction des émissions provenant
de la déforestation et de la dégradation des forêts (REDD+) encadre ces efforts dans le secteur
forestier en ciblant cinq activités spécifiques : la réduction des émissions liées à la déforestation (1)
et à la dégradation des forêts (2), la conservation des stocks de carbone (3), la gestion durable des
forêts (4) et le renforcement des stocks de carbone forestier (5). Les pays participants à la REDD+
peuvent, par ailleurs, prétendre à des compensations financières s’ils démontrent l’efficacité (ou « la
performance ») des activités REDD+ mises en œuvre.
Afin de faire évoluer le programme européen Copernicus pour intégrer le suivi des forêts,
un projet REDDCopernicus (https://www.reddcopernicus.info ) a été lancé en 2019 dans le
cadre du programme Horizon 2020 de l’Union Européenne (UE). Ce projet de recherche et
développement vise à coordonner et à consolider les capacités existantes de l’UE en matière
de surveillance forestière fondée sur l’Observation de la Terre dans les Services Copernicus
notamment en vue d’appuyer les processus REDD+.
Une première conception de ce futur volet « services REDD+ » de Copernicus a été préparée
avec les principaux éléments techniques et organisationnels. Une procédure d’évaluation
comparative a été appliquée à une liste de produits/méthodes/données potentiellement
appropriés pour la surveillance des forêts et neufs produits ont été sélectionnés couvrant
4 concepts: (1) des données satellitaires prêtes pour l’analyse (composites S2GM et JRC-
L1C-S2), (2) des cartes d’état du couvert forestier / arboré (produits TCD, FTY et TMF) 3)
des cartes de changement du couvert forestier (produits TMF et BFAST) et 4) des cartes
de perturbations forestières et d’alerte (produits FCDM et BAYTS). Outre les concepts
de données ci-dessus, des solutions de plate-forme et de service pour le traitement, le
téléchargement et l’analyse des données sont également prises en compte.
Sentinel-2 Global
Mosaics Tree Cover Density
RADAR Forest (TCD)
Cover Loss Alerts
(BAYTS)
Données & produits sélectionnés dans la conception initiale et présentés lors des ateliers
REDDCopernicus.
Deux ateliers en ligne ont été organisés pour les utilisateurs du Bassin du Congo en
septembre-octobre 2020 afin de consolider cette conception initiale de ce volet Copernicus
REDD + et de collecter les retours des utilisateurs. Initialement planifiés sous la forme de
Suite à la page suivante
Encadré : suite
réunions physiques, les ateliers ont été organisés avec succès sous la forme de webinaires
en ligne avec des sessions interactives à l’aide d’outils en ligne spécialisés combinant
le géoportail et des enquêtes d’experts. Parmi les participants figuraient de nombreux
acteurs nationaux actifs dans la surveillance et la gestion des forêts (ONACC, STREDD+,
CNC, AGEOS, CNIAF, UMNG/LGETA, DIAF, ERAIFT) et certaines institutions régionales ou
internationales (OFAC/COMIFAC, FAO, WRI).
Des études de cas ont été présentées lors de ces ateliers pour les sites d’études au moyen d’un
géoportail, développé spécialement dans le cadre de ce projet REDDCopernicus. Afin d’évaluer la
pertinence de ces produits pour la surveillance et la déclaration des forêts nationales REDD+ un
questionnaire en ligne a permis de collecter le retour d’information des utilisateurs.
Grâce aux nombreux retours positifs des utilisateurs collectés au cours de ces ateliers en
ligne, la définition des produits et services conçus pour une composante potentielle REDD +
du service Land du programme Copernicus sera affinée afin de mieux répondre aux besoins
nationaux en matière de rapports.
Objectifs
La performance des activités REDD+ est évaluée à partir d’une ligne de base dénommée le NERF (Niveau
d’Emissions de Référence pour les Forêts) lorsque ne sont comptabilisées que les émissions de GES, ou le
NRF (Niveau de Référence des Forêts) lorsque sont comptabilisées à la fois les émissions et les absorptions
de GES. Cette évaluation de la performance des activités REDD+ nécessite ainsi de mesurer l’écart entre
les flux de carbone forestier observés après la mise en œuvre des interventions visant la réduction des
émissions de GES, comparativement aux flux qui auraient eu lieu en l’absence de ces interventions
(scénario du « statu quo » ou du « business-as-usual »). C’est l’objectif du NERF, qui constitue donc un
pilier majeur du mécanisme REDD+. L’élaboration d’un NERF permet ainsi à un pays de (1) mesurer sa
contribution à l’atténuation des changements climatiques, par le biais de ses interventions pour limiter
l’impact négatif des activités humaines sur les ressources forestières, (2) exprimer cette contribution
dans le cadre de la CCNUCC, (3) évaluer l’efficacité des politiques et mesures mises en œuvre, ou encore
(4) bénéficier de paiements basés sur les résultats de réduction des émissions de GES (CO2, CH4, N2O).
développée une méthode de suivi des flux de GES, souvent restreints aux émissions de CO2. La méthode
est employée pour quantifier les émissions « historiques » au cours de la période de référence (2000-2014
dans le NERF illustratif en figure 1.16), qui précède la mise en œuvre des interventions visant la réduction
des émissions de GES issus du secteur forestier. Les émissions historiques servent de repère pour estimer
quelle aurait été l’ampleur des émissions sur la période comptable – c’est-à-dire la période suivant
la mise en œuvre des interventions, si ces dernières n’avaient pas eu lieu (scénario du « statu quo »).
Cette projection des émissions sur la période comptable peut être réalisée en utilisant la moyenne des
émissions historiques (comme en figure 1.16). Si des pays estiment que le passé est un mauvais indicateur
prévisionnel de l’avenir du pays en termes d’émissions de GES issus du secteur forestier, notamment
lorsque des émissions sont planifiées avant l’élaboration du NERF (p. ex. entrée en exploitation de
concessions forestières, plan de développement au niveau national, local, etc.), un « ajustement » du
NERF peut être considéré. On parle d’un « ajustement » du NERF lorsque sont pris en compte des critères
autres que les émissions historiques.
Le NERF établi sur la période comptable, et exprimé en tonnes d’équivalent CO2 par année, permet ainsi
par la suite d’évaluer la performance des activités REDD+ en le comparant aux émissions effectives.
Pays Congo Gabon Guinée équatoriale Rép. dém. Congo Rép. centrafricaine
Chapitre 1
Officielle & Technique Officielle & Technique Officielle Technique Officielle Technique Officielle & Technique
Superficie 0,5 ha 1 ha 0,5 ha 1 ha 0,5 ha 0 09 ha 0,81 ha
Définition de la forêt
Hauteur 3m 5m 5m 5m 3m - 5m
Couverture de canopée 30 % 30 % 10 % 30 % 30 % 50 % 10 %
Déforestation Déforestation Déforestation Déforestation Déforestation
Activités
Dégradation Dégradation Dégradation - Dégradation
Réservoirs biomasse souterraine biomasse souterraine biomasse souterraine biomasse souterraine biomasse souterraine
Portée biomasse du bois mort biomasse du bois mort biomasse du bois mort - biomasse du bois mort
Carbone organique du Carbone organique du
sol et litière sol et litière
Produits ligneux
récoltés
Gaz CO2 CO2 CO2 CO2 CO2, CH4, N2O
Échelle Nationale Nationale Nationale Nationale Nationale
Période de référence 2000-2012 2000-2009 2014-2018 2000-2014 2011-2018
Périodes
Période comptable 2015-2020 2010-2018 - 2015-2019 -
Sample-based
(870 points) Sample-based Sample-based Sample-based Sample-based
Méthode
Données d’Activité & Bookkeeping (665 points (PSU)) (1 832 points) (21 323 points) (1 200 points)
(archivage de pixels)
Points de données 1 1 1 2 4
Source IFN IFN IPCC (2006) pre-IFN IFN
Facteurs d’Emission
Nombre de strates 5 7 7 6 4
Approche pour l’établissement Moyenne historique Moyenne historique Moyenne historique Projection linéaire Moyenne historique
NERF
Ajustement Oui Oui - Oui -
Répartition des types de forêts et
évolution selon leur affectation
Une méthode alternative, non retenue à ce stade, consiste à cartographier les changements
d’occupations des terres à partir d’images satellitaires, afin de générer une carte des changements.
Les données d’activité sont alors obtenues en faisant la somme de la surface des pixels associés aux
transitions considérées (de forêt dense humide vers culture, par exemple). Cette approche procédant
par « comptage de pixel » (c.-à-d., ‘pixel-based’) sur base des données du Global Forest Watch, mène
à des résultats fortement biaisés, avec une sous-estimation de l’ordre de 90 % des pertes de couvert
forestier en Afrique tropicale humide (Tyukavina et al. 2015).
Le niveau d’émission de référence a été déduit à partir de la moyenne des deux sous-périodes, 2005-
2009 et 2010-2014, et a été calculé sur base des émissions annuelles de 28 917 393 tCO2/an et des
absorptions annuelles de -1 680 533 tCO2/an, ce qui aboutit à une moyenne de 27 236 859 tCO2/
an. À ce total, 5 788 886 tCO2/an ont été ajoutées résultants de l’ajustement de 0,1 % (cf. Contours
des soumissions NERF) pour un total de 33 025 746 tCO2/an (voir les tableaux 1.4 à 1.7 et la figure
1.17 pour tous les résultats ci-mentionnés). Au cours de la période de référence, il a été noté une
tendance significative à la hausse des émissions, justifiant l’inclusion d’un niveau d’émissions de
référence alternatif basé sur un scénario « statu quo ». Ainsi, le niveau d’émissions 2005-2009
était de 18 092 216 tCO2/an, doublant à 36 971 610 tCO2/an pour 2010-2014. Bien que de nombreux
ajustements statu quo soient possibles, un scénario conservateur par rapport à d’autres options a
été élaboré en utilisant la droite reliant les émissions moyennes des sous-périodes à la première et
la dernière année de la période de référence. Toute autre droite entre les deux périodes serait moins
conservatrice.
Les émissions nettes estimées pour les deux premières années de la période comptable, 2018-2019,
ont été calculées sur base des émissions, s’établissant à 42 854 387 tCO2/an et des absorptions,
calculées à partir des taux projetés de gain forestier, atteignant -2 855 028 tCO2/an. Les émissions
nettes résultantes sont égales à 39 999 359 tCO2/an, nettement supérieures au niveau de référence
du FCPF, mais inférieures à l’ajustement conservateur statu quo de 44 523 368 tCO2/an pour la même
période. Le scénario statu quo a abouti à une réduction des émissions de plus de 4 M tCO2/an en
utilisant la période comptable 2018-2019. En conclusion, les résultats qui indiquent une tendance
d’augmentation des émissions au sein de la période de référence pourraient justifier un ajustement
statu quo dans l’évaluation des performances du programme de réduction des émissions dans la
province du Maï-Ndombe, en R.D. Congo.
Tableau 1.10 : Niveau d’émission de référence révisé basé sur les données d’activité de
l’Université de Maryland et les facteurs d’émissions nationaux.
Les politiques d’affectation des terres sont une aide précieuse dans la lutte contre la déforestation et
la dégradation forestière. Les aires protégées, les concessions forestières et les forêts communautaires
permettent en effet de diminuer considérablement les pertes forestières et d’impliquer les
populations locales dans la conservation des forêts tout en assurant leur subsistance.
Les satellites GEDI et Biomass vont quant à eux permettre une amélioration de la cartographie de la
biomasse qui rencontre encore de nombreuses limitations. Le développement de réseaux de collecte
de données de terrain restera essentiel pour ajuster et évaluer les relations entre les mesures issues
de capteurs et les estimations de biomasse de référence faites au sol.