Le Moyen Âge en Occident (Michel Balard)
Le Moyen Âge en Occident (Michel Balard)
Le Moyen Âge en Occident (Michel Balard)
GENET
2 10) 4:
EN OCCIDENT
hachette
= SUPÉRIEUR
HISTOIRE
LE MOYEN ÂGE
EN OCCIDENT
MICHEL BALARD,
professeur émérite de l’université Paris-l-Panthéon-Sorbonne
JEAN-PHILIPPE GENET,
professeurà l’université Paris-l-Panthéon-Sorbonne
MICHEL ROUCHE,
professeur émérite de l’université Paris-IV-Sorbonne
hachette 5° ÉDITION
SUPÉRIEUR
Série: Histoire de l'Humanité
sous la direction de Michel BALARD
ISBN : 978-2-01-146153-7
Michel BALARD
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in 2022 with funding from
Kahle/Austin Foundation
https://archive.org/details/lemoyenageenocci0000bala_g1a3
Préface
Introduction
or
om
DLE
INTRODUCTION
des évocations qu'en donnent le
La splendeur des monuments qu'il nous a légués, le romanesque
cela fait que le Moyen Âge suscite
cinéma et la littérature, son éloignement par rapport à nous, tout
à qui veut l'explorer. L'étudiant
engouement et passion: mais il ne révèle pas facilement ses secrets
t: dans les dernières classes de l'en-
qui aborde l'histoire médiévale n'est pourtant pas un débutan
d'histoir e quand le Moyen Âge est enseigné
seignement secondaire, ou dans une première année
ances, et le cas échéant il s'est initié à la recherche biblio-
pendant la seconde, il a acquis des connaiss
ts. Mais il n'a plus étudié l'histoire médiévale depuis la cin-
graphique ou à l'explication de documen
autrement dit, tout est
quième, à l'exception d'une éventuelle question du programme de seconde:
de l'histoire lui sera utile,
à faire. Certes, l'expérience qu'il a acquise dans l'étude des autres périodes
défini ce qu'est le
mais il va se heurter à des difficultés propres à la période médiévale. Après avoir
ent ces difficult és, dont il faut
Moyen Âge (ou plutôt ce qu'il n'est pas …), nous évoquerons rapidem
r, et présent erons rapidem ent un certain
avoir clairement conscience pour pouvoir les surmonte
e, proximit é avec les sources, approch e pluridisc ipli-
nombre de pratiques (critique historiographiqu
parvenir, avant de terminer cette introduc tion par quelque s
naire) utilisées par les médiévistes pour y
conseils de travail.
comprendre les problèmes auxquels on est clergé ? Qui se servait des pièces de monnaie,
confronté. Les étudiants sont déroutés par cette et comment? Pourquoi avait-on besoin de
nécessité, qui les oblige à un travail bibliogra- changeurs, et à quoi servait l'outillage de
phique dont les autres périodes de l’histoire les ceux-ci ? Du sens des sources, on passe à leur
dispensent souvent et qui leur donne un sen- matérialité, puis à leur fonction sociale et
timent d'insécurité: ils cherchent une certi- symbolique aussi importantes pour le médié-
tude, et ne découvrent, après beaucoup de viste que les informations qu’elles lui trans-
travail, qu'une certitude relative! Pourtant, ils mettent par leur contenu.
y gagnent d’être plongés directement dans le
travail de recherche des historiens qu'ils lisent,
d’être conduits à comprendre leur démarche et Une troisième pratique est apparue plus
leurs raisonnements, et de pouvoir à leur tour récemment chez les médiévistes, mais elle a
exercer leur réflexion critique. pris chez eux une place essentielle, c'est
l'approche pluridisciplinaire. Les difficultés
Deuxième pratique caractéristique des médié- mêmes du texte de la plupart des sources
vistes, le recours continuel aux sources et, médiévales ont toujours rendu nécessaire un
partant, la nécessité pour l'étudiant d’être travail commun avec les philologues, mais
très tôt capable de s’y reporter pour les inter- l'actuel développement de la pluridisciplina-
roger lui-même. Bien sûr, il y a le problème rité a deux origines. La première est l’élargis-
des langues: sauf s’il est latiniste, un accès sement continu du champ des sources. Il a
direct lui sera difficile. Encore y a-t-il toutes été plus lent en France qu’en Angleterre, en
les sources en langues vulgaires, qui sont Allemagne ou en Scandinavie: l'archéologie
souvent beaucoup plus difficiles que le latin, médiévale n’a derrière elle qu’un demi-siècle
à commencer par le français médiéval. Mais d'expérience, et le recours systématique par
il n’y a pas que les sources textuelles: il y a les historiens aux textes littéraires et aux
aussi les œuvres d'art, les constructions archi- œuvres d'art est plus tardif encore. La liturgie
tecturales, les fouilles archéologiques, les et la musique sont encore loin d’être utilisées
monnaies, la musique, etc. tout, en somme, comme elles le pourraient, mais le mouve-
ce qui est parvenu jusqu’à nous du Moyen ment est désormais bien amorcé. La deuxième
Âge. L'utilisation de ces sources sera facilité origine de cet appel à la pluridisciplinarité est
par des ouvrages dont nous parlerons plus due à la reconnaissance de l'apport des
loin, et l'étudiant dispose aujourd’hui de plu- - sciences sociales. Les historiens de la fin de
sieurs collections de sources traduites et la période médiévale disposent de sources qui
commentées; d’ailleurs, la plupart des livres leur permettent d'utiliser les méthodes de la
des historiens médiévistes (par exemple, ceux sociologie. Surtout, la reconnaissance de
des auteurs dont nous avons cité les noms au l'étrangeté du monde médiéval a conduit les
paragraphe précédent] restent très proches de médiévistes, suivant l'exemple de leurs collè-
leurs sources qu'ils citent abondamment. gues d'histoire ancienne, à se faire anthropo-
Mais les sources médiévales ne doivent pas logues et à reformuler toutes les questions
seulement être interrogées pour ce que nous qu'ils pouvaient se poser sur les comporte-
apprend leur contenu, mais aussi pour leur ments et la signification des pratiques sociales,
forme et pour leur matérialité: qu'implique culturelles et religieuses des hommes du
l'écriture d’une charte, par exemple? Est-elle Moyen Âge. L'anthropologie historique est
faite pour être lue, ou pour être montrée! ainsi devenue un des éléments essentiels de
Quel rapport y a-t-il entre la multiplication la méthode des médiévistes. Ces transforma-
des documents écrits par les administrations tions ont souvent été portées par des histo-
pontificale, d'abord, puis royales et urbaines, riens qui, plus que d’autres, ont pris le risque
et la capacité de lecture et d'écriture des usa- de tester ces méthodes sur les sources et les
gers de ces administrations ? Les fresques des terrains de leur travail: l'étudiant remarquera
églises romanes, les prodigieux cycles de ainsi que les noms de Marc Bloch, Georges
vitraux des grandes cathédrales gothiques Duby et Jacques Le Goff reviennent avec insis-
étaient-ils compréhensibles pour tous, tance dans les bibliographies des chapitres qui
étaient-ils commentés par les membres du suivent, et ce n’est évidemment pas un hasard.
Le Moyen Âge en Occident
Paris, nlle éd., 1994, et la réédition en format À partir de ces bases, l'étudiant peut se lancer
poche des principaux ouvrages de Georges dans son travail personnel. Il se décompose,
Dusy (Féodalité, et L'Art et la ‘Société, en fonction des spécificités que nous avons
(Gallimard-Quarto] Paris, 1997 et 2001) et de évoquées dans cette introduction, en deux
Jacques LE Gorr, Un autre Moyen Âge, Paris, phases principales: il lui faut d’abord maîtri-
(Gallimard-Quarto}, 2000. Ensuite, l'étudiant ser la source qui lui est proposée pour une
dispose de quelques ouvrages destinés à lui explication de documents, puis, d’une façon
faciliter la tâche. Depuis peu, plusieurs dic- plus générale, construire sa bibliographie cri-
tionnaires du Moyen Âge sont disponibles, tique, qu'il s'agisse de faire une explication
l'un, le plus utile à l'étudiant, étant disponible de document ou une dissertation, ou, tout
en format poche: CI. GAUVARD, A. de LIBÉRA simplement, de préparer son programme de
et M. ZIK, Dictionnaire du Moyen Âge, (PUF lectures. Commençons par les sources: une
Quadrige) Paris, 2002. Plus détaillés sont le introduction indispensable est Olivier
Dictionnaire encyclopédique du Moyen Âge, GUYOTJEANNIN, Les Sources de l’histoire
dir A. VAUCHEZ, 2 volumes, (Le Cerf) Paris, médiévale, Paris (Le Livre de poche) 1998, qui
1997 et surtout le Lexikon des Mittelalters, donne lui-même accès à une vaste bibliogra-
(Artemis) Munich, publié par fascicules depuis phie. Quand l'étudiant doit expliquer un texte
1980. Un Dictionnaire de la France au Moyen extrait d'une chronique ou de l’œuvre d’un
Âge, dir. M. BALARD, (Hachette) 2003, existe historien médiéval, il doit consulter Bernard
dans la collection Carré-Histoire. Le GUENÉE, Histoire et culture historique dans
Dictionnaire raisonné de l'Occident Médiéval, l'Occident médiéval, Paris (Aubier] 1980.
dir. J. LE Gorr et J. CL. SCHMITT, (Fayard) Paris, Deux collections seront particulièrement
1999 est différent: il contient peu d'articles, utiles à l'étudiant: en bibliothèque, il pourra
mais qui portent sur quelques-unes des consulter les fascicules de la Typologie des
notions essentielles à la compréhension du Sources du Moyen Âge, publiés par l'Université
Moyen Âge et sont longuement développés. de Louvain chez Brepols: les fascicules (83
Pour mettre en place la chronologie et l’his- sont parus à ce jour) sont consacrés à des sujets
toire événementielle, J.-Ph. GENET, Le Monde très généraux {« les sources de l’histoire éco-
au Moyen Âge, (Hachette) Paris, 1991, est le nomique », par exemple) ou très spécialisés
complément naturel du présent volume. Pour («les livres de cuisine », «les tablettes de cire»,
mieux comprendre le vocabulaire médiéval, «les dents et les ossements humains »...] ; chez
l'étudiant dispose de P. BONNASSIE, Cinquante le même éditeur, il disposera des volumes,
Mots clefs de l'histoire médiévale, (Privat) très accessibles, de l'Atelier du Médiéviste
que dirige Jacques BERLIOZ: ils portent surtout
Toulouse, 1981 et de F.O. TOUATI, Vocabulaire
sur les langues médiévales (allemand, anglais,
historique du Moyen Âge, (Boutique de l’His-
italien; à compléter, pour le latin, par
toire) Paris, 1995. Un bon choix des types
M. PARISSE et M. GOULLET, Apprendre le latin
d'exercice que les enseignants d'histoire
médiéval, Nancy, 1995) et sur les « sciences
médiévale proposent à leurs étudiants est pré-
auxiliaires » (épigraphie, numismatique, diplo-
senté dans Michel KaApPLAN, dir. Le Moyen
matique médiévales).
Âge, (Bréal) Paris, 2 vol., 1994 et J. BERLIOZ, Le
Commentaire de document en histoire médié- Des recueils de textes offrent de nombreux
vale, (Seuil-Poche] Paris, 1996 offre à la fois textes traduits, avec des introductions et des
une méthode et des exemples de corrigé. En présentations utiles (et parfois des corrigés
revanche, les atlas français sont tout à fait d'explication] : Ch.-M. de La RONCIÈRE,
insuffisants: le seul qui soit utilisable est Ph. CONTAMINE, R. DELORT et M. ROUCHE,
G. Dugy, dir, Grand Atlas Historique, L'Europe au Moyen Âge, Paris [Armand
(Larousse), Paris, rééd. 2001, mais il ne dis- Colin} 1971, 3 vol. et deux collections plus
pense pas l'étudiant d’avoir recours aux atlas récentes: G. BRUNEL et E. LALOU, Sources
allemands (Atlas zur Weltgeschichte, d'Histoire Médiévale, Paris, (Larousse) 1992
Westermann, Grosser Historischer Weltatlas), et, chez Fayard, J. P. BRUNTERC'H, Archives
très difficiles d'emploi si l’on ne connaît pas de la France, 1, 1994 et O. GUYOTJEANNIN,
l'allemand. Archives de l'Occident, I, 1992. Pour tous
Le Moyen Âge en Occident
les textes littéraires, il tirera grand profit de point sur la recherche dans un domaine donné
M. GazLzy et Ch. MaARCHELLO-NIZIA, et présentent une abondante bibliographie clas-
Littératures de l'Europe Médiévale, Paris, sée: citons Ph. CONTAMINE, La Guerre au
(Magnard} 1985. De toutes façons, quand le Moyen Âge, 1980; J.P. Poy et E. BOURNAZEL,
document est un texte, l'étudiant a toujours La Mutation féodale, x°-xiu° siècles, 1980;
intérêt à remonter à l'édition originale dont R. Fossier, Enfance de l’Europe. Aspects
le texte est extrait: le meilleur guide pour économiques et sociaux, X°-xIlI° siècles, 1989;
s'y retrouver dans les grandes collections de B. GUENÉE, L'Occident aux xIV* et xv* siècles.
publications de sources reste à ce jour Les États, 5° éd., 1993; F. RAP, L'Église et la
M. PACAUT, Guide de l'étudiant en histoire vie religieuse en Occident à la fin du Moyen
médiévale, Paris, (PUF) 1968, bien qu'il n'ait Âge, Paris, nlle éd., 1999; H. MARTIN,
malheureusement pas été remis à jour. Mentalités médiévales, 2 vol., 1998 et 2001.
On trouvera aussi quelques volumes intéres-
sant le Moyen Âge dans la collection
Pour la bibliographie, il faut bien distinguer
« 1 Cycle » (PUF) comme CI. GAUVARD, La
entre les manuels, accessibles aux étudiants
et les travaux de recherche. D'une façon géné- France au Moyen À ge du v° au xv‘ siècle, Paris,
rale, la recherche bibliographique se fait en 1996; M. ZIK, La Littérature française du
Moyen Âge, 1992, et A. de LiBéRA, La
allant du général au particulier: il faut donc
commencer par les manuels. La principale col- Philosophie médiévale, 1993. Beaucoup plus
rapides et succincts sont en général les volumes
lection générale est The New Cambridge
des collections « Les Fondamentaux »
Medieval History, dont les sept volumes entiè-
(Hachette), « Cursus » (Colin), « Points
rement nouveaux sont en train de finir de
Histoire » (Seuil), « Que sais-je » (PUF) ou
paraître: la couverture du monde médiéval et
des sujets est très large, et les bibliographies,
encore les « Guides » des Éditions Les Belles-
Lettres. Pour aller plus loin, l'étudiant s’'ap-
internationales, très fournies. L'étudiant que
l'anglais effraie, ou auquel ces volumes ne sont puiera sur les conseils bibliographiques donnés
pas accessibles, dispose en France de plusieurs à la fin de chacun des chapitres de ce livre et
bonnes collections, entre lesquelles il choisira par les manuels qui viennent d'être cités.
en fonction des besoins et des disponibilités:
par exemple, la collection « U » chez Armand Et puis, il y a les travaux de recherche que
Colin dont les volumes sont surtout théma- l'étudiant doit savoir consulter quand cela
tiques (citons notamment Ph. CONTAMINE et est nécessaire. La recherche, en histoire
al, L'Économie médiévale, 1993, O. GUILLOT, médiévale, passe d'une part par des publica-
A. RIGAUDIÈRE et Ÿ. SASSIER, Pouvoirs et Institu- tions périodiques, des revues ou des confé-
tions dans la France médiévale, 1994, 2 vol. rences et des colloques; et puis, bien sûr, par
R. Fossier, La Société médiévale, Paris, nlle les thèses. Entre cet océan de publications,
éd., 2002, M. AURELL, La Noblesse en Occident difficile à localiser (revues confidentielles,
au Moyen Àge, 1996, J. MORSEL, L'aristocratie inaccessibles dans trop de nos bibliothèques,
médiévale. La domination sociale en Occident, thèses anciennes et introuvables mais néan-
ve-xve siècle, Paris, 2004, Laurent FELLER, Église moins essentielles...) l'étudiant dispose de
et société en Occident, vrre-xI° siècle, 2004 et livres qui ne sont ni des manuels, ni à pro-
Paysans et seigneurs, Vir‘-xv* siècles, 2007. prement parler des ouvrages donnant des
Dans la collection « Carré Histoire » chez résultats de recherche « bruts », mais qui
Hachette Supérieur, on mentionnera:$. ROUX, entendent traiter à fond une problématique,
Le monde des villes au Moyen Âge, 2° éd, en s'appuyant sur les recherches personnelles
2004, D. LETT, Famille et parenté dans l’Oc- de l’auteur, mais aussi en donnant une vision
cident médiéval, v‘-xv° siècle, 2000, synthétique du sujet grâce à la maîtrise d’un
F. COLLARD, Pouvoirs et culture dans la France vaste corpus de sources. Nous nous en tien-
médiévale, v‘-xv® siècle, 1999, et drons ici aussi aux collections françaises. La
A.-M. HELVETIUS, J.-M. MATZ, Église et société plus prestigieuse est la « Bibliothèque des
au Moyen Âge ve-xve siècle, 2008. À un niveau Histoires » (Gallimard) : si la plupart des
plus ambitieux, les volumes de la Nouvelle titres de Georges DUBY, Ernest KANTOROWICZ
Clio aux PUF offrent des ouvrages qui font le et Jacques LE GOFF sont repris chez Quarto,
Introduction
pour l'aspect événementiel, ont été republiés pas oublier de consulter la New Cambridge
avec un découpage par règne chez Tallandier. Medieval History !
Une bonne histoire de la France en poche est Ces listes sont loin d’être exhaustives. De
celle du Seuil, avec les cinq volumes de plus, elles ne seront déjà plus à jour quand ce
Stéphane LEBECO, Laurent THEIS, Dominique livre sortira de l'imprimerie, puisque, entre
Monique BOURIN, et
BARTHÉLÉMY, ce moment et celui où il a été écrit, quelques
Alain DEMURGER publiés en 1990. Mais une mois se sont écoulés et de nouveaux titres
vision profondément renouvelée est portée par sont parus. De toutes façons, les livres dans
la collection Belin, avec les volumes de les deux catégories que nous venons d'aborder
Geneviève BÜHRER-THIERRY et Charles {manuels, livres traitant une problématique)
MéRIAUD, La France avant la France, 481-888, ne correspondent souvent qu’à une petite par-
Paris, 2010, Florian MaAZze1, Féodalités (888- tie des besoins. L'étudiant doit donc résoudre
1180), Paris, 2010 et Boris BOVE, Le temps de un triple problème: pousser sa recherche
la guerre de Cent Ans, 1328-1453, Paris, 2009. bibliographique jusqu'au bout, c'est-à-dire
Pour les Îles britanniques, il dispose pour l'An- jusqu'aux ouvrages contenant les résultats
gleterre de l'Oxford History of England: l'édi- « bruts » de la recherche historique {articles
tion primitive, en six volumes, est encore utile et thèses) en étant sûr d’être « à jour » et de
mais elle est en cours de remplacement par la n'avoir rien oublié, faire un choix raisonné
New Oxford History of England, qui couvre entre tous les titres qu'il aura rassemblés, et
déjà en trois volumes (par Robert BARTLETT, enfin localiser dans des bibliothèques les
Michael PRESTWICH et Gerald HARRIss) la titres qu'il aura sélectionnés. Pour la produc-
période 1075-1460. Des histoires en trois tion française, par exemple, on utilisera la
volumes sont aussi disponibles chez Methuen Bibliographie de l'Histoire Médiévale en
et Blackwell, qui publie aussi la très utile col- France (1965-1990), publiée sous la direction
lection « À Companion to » avec deux volumes de Michel BALARD en 1992. Pour les parutions
pour le début (Pauline STAFFORD, 2009] et la fin plus récentes on privilégiera l’utilisation d'in-
du Moyen Âge {S. Ricgy, 2003). Il existe trois ternet (voir plus loin}. L'étudiant doit absolu-
histoires de l'Écosse en plusieurs volumes ment se familiariser avec les revues, non
(Oxford University Press, Arnold, et la seulement en raison des articles qu’elles
Edinburgh History of Scotland). Pour l'Irlande, contiennent, mais aussi à cause des comptes
la New History of Ireland (Oxford University rendus critiques des ouvrages qu’elles recen-
Press, 2 volumes pour le Moyen Âge] est la sent. Les principales revues « généralistes »
plus récente, comme pour l'Écosse, la New (les Annales Histoire Sciences Sociales et la
History of Scotland, dirigée par J. WORMALD Revue Historique en France, Past and Present
(Arnold, Londres, 3 volumes). Pour en Angleterre pour ne citer que les plus
l'Allemagne, il choisira entre la Propyläen connues) contiennent de nombreux articles
Geschichte Deutschlands, 3 volumes, Berlin, sur le Moyen Âge, tout comme d’ailleurs une
1984-1994; la Deutsche Geschichte, 5 revue destinée entre autres au public étudiant
volumes, 1984-1986, Güterslohe et la Siedler et qui contient des articles de qualité mais
deutsche Geschichte, 3 volumes, Berlin, 1987- faciles d'accès, L'Histoire. Mais il y a aussi
1991. Pour l'Espagne, la synthèse classique des revues consacrées spécifiquement au
est J.-L. MARTIN, La España Medieval, t. II du Moyen À ge: Le Moyen Âge publié à Liège est
Manual de Historia de España Medieval, la principale revue médiéviste francophone,
Madrid, 1993, mais voir aussi A. DOMINGUEZ et une jeune revue, Médiévales, qui fonc-
ORTIZ, Historia de España, vol. II à IV, tionne par numéros à thème, mérite d’être
Barcelone, 1988-1989. Pour l'Italie, on utili- suivie avec attention. Archéologie Médiévale
sera la Storia d'Italia, dirigée par G. GALASSO, est incontournable dans son domaine.
[UTET) Turin, 1978-1992, vol I-VII, XV et À l'étranger, signalons Speculum (USA) et
XVI, et la Storia della società italiana, (Tetio]} Studi Medievali (Italie). Toutes ces revues
Milan, vol. V-VIII, 1982-1988. De toutes ont des tables, qui permettent d'accéder rapi-
façons, une règle dès qu'on sort de l’espace dement tant aux articles qu'aux recensions.
français et de la bibliographie française: ne Les colloques réguliers permettent aussi de
Introduction
[LRHT.], École Nationale des Chartes, Centre est censée être mise à jour au fur et à mesure
d'Études Supérieures de la Civilisation (dernière révision: juin 2003). La plus complète
Médiévale de Poitiers [C.E.S.C.M.], Laboratoire des bibliographies en ligne (également dispo-
de Médiévistique Occidentale de Paris I nible sur CD-Rom), l'International Medieval
[L.A.M.O.P.]) qui présentent des bases de Bibliography, se trouve sur un site payant,
données et des publications en ligne et les celui de la maison d'édition Brepols, avec plu-
bibliographies de leurs membres. Par ces sites, sieurs autres bases de données d’un très grand
il est souvent possible d'accéder à d’autres, par intérêt: peu d'étudiants pourront y accéder
exemple à ceux des grandes bibliothèques directement, mais la plupart des bonnes biblio-
mentionnées plus haut. Les liens proposés par thèques universitaires sont abonnées à ce site.
le site de l'ILR.H.T. sont ainsi particulièrement De même, plusieurs sites rassemblent des
utiles. Plusieurs bibliothèques, sans parler de grandes quantités de revues en ligne, comme
Google, possèdent des ensembles très impor- JSTOR ou, en France, Persée et revues.org.
tants de textes numérisés et accessibles en Enfin, pour vérifier le contenu et les parutions
ligne: voir par exemple, pour la B.N-F, Gallica. récentes des diverses collections qui ont été
mentionnées plus haut, il est utile d'aller véri-
Au niveau bibliographique, il faut signaler le
site [http/shmesp.sh-lyon.cnrs.fn de la Société des
fier les sites des différents éditeurs (pour les
historiens médiévistes de l’enseignement trouver, il suffit de rechercher leur adresse à
supérieur public, qui permet d'accéder à plus l’aide d’un moteur de recherche comme
de 10 000 titres de livres et d'articles publiés Google). Si l'étudiant place les principaux sites
par les médiévistes depuis 1991: on accède dans ses « favoris » et prend la précaution de
aux titres soit par le nom de l’auteur, soit par partir de Ménestrel pour disposer du maxi-
un mot quelconque du titre, soit par un clas- mum d’information sur les sites qu'il entend
sement matière détaillé. Cette bibliographie explorer, il perdra un minimum de temps!
PARTIE Îl
S0G0
0009
Les dernières invasions,
Empire (888-1002)
l'éclatement féodal et le nouvel
Ils ont tous des rois à leur tête. Les Burgondes, les Vandales et
les Lombards sur l’Elbe sont déjà convertis au christianisme HÉRÉSIE ARIENNE : Fondée par
arien, hérésie condamnée en 381 par l’Église. Les Ostrogoths Arius, elle affirme que Jésus est
et les Wisigoths dans les plaines russes et roumaines ont ren- créé par Dieu, sans être de
même nature que lui.
contré dans ces steppes d’autres peuples comme les Alains
et sont devenus à leur contact des cavaliers consommés. Ce
sont les plus évolués des peuples barbares, bien loin même des
Berbères d'Afrique du Nord qui menacent l'Afrique romaine.
M Les Huns
M Les Anglo-Saxons
Le répit fut court. L'empereur Valentinien III, jaloux des succès
d’Aetius et craignant pour son trône, l’égorgea de sa main. Les
fidèles d’Aetius répliquèrent en assassinant Valentinien. Dès
lors, des empereurs fantoches vont se succéder en Italie et les
peuples barbares fédérés étendre leurs domaines. Le déclin de
l’Empire allait désormais s’accélérer. Déjà, Aetius, peu de temps
avant sa mort, n'avait pu répondre à un appel des Bretons roma-
nisés de Grande-Bretagne. En effet, après une brève restauration
du pouvoir romain en 418, l’île était de nouveau en butte aux
pirateries des Scots et aux assauts des Pictes.
s et
en Sicile, en Illyrie, entre Somme et Loire avec Aegidiu
Syagrius. Mais les royaumes barbares s'étend ent irrésist ible-
ment, rejetant les traités d'alliance fictive avec Rome. Les
Wisigoths, en particulier, finissent par occuper toute la Gaule
la
du Sud-Ouest jusqu’à la Loire, puis la Narbonnaïse, enfin
nnaires impéria ux
Provence en 476; chargés par les fonctio
de faire reculer les Suèves qui voulaient occuper la péninsule
Ibérique dans sa totalité, ce sont eux qui, en les refoulant vers
le Nord-Ouest, finissent pas s'emparer du reste de l'Espagne.
Les Burgondes prennent Lyon et, de là, remontent la Saône
jusqu’à la hauteur de Langres puis descendent le Rhône jusqu’à
la Durance.
vers le
soumission aux Francs, avaient continué à s'étendre
Sud, vers la Franche-Comté, la Suisse dite aujourd’hui alé-
manique, et la rive droite du Rhin jusqu'à un affluent de la
rive droite du Danube, l'Iller, qui forma bientôt la frontière
avec un autre peuple germanique issu des Marcomans et des
Quades, les Bavarois, qui, entre 488 et 539, s'installèrent au
sud du Danube entre l’Iller et l’Enns et finirent même par
déborder les Alpes jusque dans le Haut Adige. Au N ord, enfin,
se trouvaient les Thuringiens sur les rives de la Saale. Tous
ces peuples furent plus ou moins soumis complètement: les
Thuringiens en 531 et les Alamans en 536 par Théodebert,
les Bavarois en 555 par Clotaire. Ainsi, toute la Germanie
méridionale passait sous l'influence franque. Pour la première
fois, Gaule et Germanie entraient en contact dans un cadre
politique commun. Clotaire I”, seul roi à la suite de la mort
de ses frères entre 558 et 561, était à la tête de l’ensemble le
plus imposant de l'Occident. Le royaume des Francs y exerçait
désormais une hégémonie incontestable.
L'état de la recherche
Les sources écrites du Haut Moyen Âge
s.
L'histoire s'écrit avec les documents laissés par les contemporains des événement
our les époques allant du vi° Vénérable (mort en 735) qui a saint ou d’une sainte sous un
Pa vf siècle, ils sont écrits fait des recherches originales triple aspect, historique, spiri-
en latin sur du papyrus puis sur l'installation des Anglo- tuel et miraculeux. Ce dernier
sur du parchemin. Qu'il s'agisse Saxons en Grande Bretagne. point par ses excès de crédu-
d'actes de la pratique (actes de Une excellente traduction lité a exaspéré les historiens
vente, testaments, donations, a été publiée en 1995 par du xx et du xx° siècle qui ont
etc.) ou d'œuvres écrites en P. Delaveau sous le titre Histoire considéré ces textes comme
vue de conserver le passé ecclésiastique du peuple anglais. indignes de recherche et de
(histoire, annales, chroniques, connaissances historiques,
etc.) ces documents sont p°" l'Italie, Paul Diacre et ceci surtout lorsque leurs
relativement peu nombreux a écrit une Histoire des auteurs ont manifestement
car beaucoup ont disparu. Les Lombards qui va de leurs écrit des faux.
archives fiscales, par exemple, origines scandinaves jusqu'en
ont été détruites, vu leur trop 744.F. Bougard vient de publier ujourd'hui, puisqu'une vie
grand nombre et ce n'est que une traduction française aux de saint a deux publics,
tout à fait par hasard qu'ont été éditions Brepols, sous ce titre, les clercs lettrés et le peuple
transmis les documents comp- à Turnhout en 2001. analphabète, le point de vue a
tables de Saint-Martin de Tours changé. Ce sont les documents
à l'époque mérovingienne, es documents d'origine qui reflètent les mentalités
publiés par Pierre Gasnault, Lee sont les plus du temps, l'idéal religieux de
Paris, 1975. nombreux et permettent de l'écrivain mais aussi celui de
bien comprendre les enjeux la foule; ils décrivent le milieu
n ne peut donc négliger des hérésies et l'expansion social du saint, ses rapports
les textes rédigés par missionnaire. La vie interne de avec le pouvoir, son attitude
les grands auteurs. Publiés l'Église peut être découverte devant la mort, etc.
dans la grande collection avec les canons des conciles
des Monumenta Germaniae mérovingiens (v°-vi® siècles) est pourquoi, il vaut mieux
Historica depuis 1830 jusqu'à texte latin et traduction prendre en considération
ce jour, les plus importants française de J. Gaudemet les vies écrites par des auteurs
peuvent maintenant être et B. Basdevant-Gaudemet, contemporains du saint,
abordés avec traduction face Coll. « Sources Chrétiennes » dans lesquelles le fabuleux
au texte latin original comme n® 353-354, Paris, 2 t., 1989. et le merveilleux ont peu de
c'est le cas dans la collection L'œuvre du plus important des place. La vie de saint Martin,
«Sources Chrétiennes ». L'accès papes, Grégoire le Grand (590- écrite par Sulpice Sévère est
direct à certaines grandes 604) est maintenant accessible l'exemple type qui servit plus
œuvres est désormais pos- avec Les Dialogues, 3 t. 1978-80, tard de modèle, d'autant plus
sible pour Grégoire de Tours par À. de Vogüé et la Règle que Martin devint le patron
qui dans l'Histoire des Francs Pastorale 2 t., 1992, par B. Judic. de la Gaule. Elle a été publiée
(plus exactement dix livres et traduite par J. Fontaine, 4t.
d'histoire) écrit depuis les | est beaucoup plus difficile Coll. « Sources Chrétiennes »,
origines jusqu'en 592. Malgré d'aborder pour l'étudiant les n® 133-134-135 et 510, Paris,
des erreurs, la traduction de vies des saints. Or, elles consti- 1967-2006. De même les
Robert Latouche Paris, 2 t, tuent la documentation la plus Vies des Pères du Jura ont
1963-65 et 1999 est toujours nombreuse. Cette littérature été publiées et traduites
à conseiller. Le meilleur histo- est dite hagiographique parce par F. Martine, n° 142, Paris,
rien reste cependant Bède le qu'elle présente la vie d'un 1968. Elles ont l'avantage de
Les premiers royaumes (410-568)
montrer le rôle prédominant son ami saint Ouen en 672. rédigée par Jonas de Bobbio
des ermites aux origines de Ce témoignage remarquable et traduite par A. de Vogüé,
l'Église des Gaules. On trou- sur la vie d'un laïc, ministre de abbaye de Bellefontaine en
vera la description du rôle et Clotaire Il et de Dagobert, puis 1988. Elle vient en effet d'être
de l'influence d'un évêque évêque de Noyon-Tournai, publiée en français et pour la
avec la vie de saint Géry, fourmille de détails concrets première fois in-extenso, sans
évêque de Cambrai, traduite sur la vie quotidienne, la coupure, par |. Westeel, Noyon,
par M. Rouche, Revue du Nord, pauvreté et les problèmes de 2002. L'étudiant pourra y trou-
1986, t. 69 p. 281-288. La plus l'évangélisation. Elle va beau- ver en même temps une bonne
intéressante de toutes reste coup plus loin dans l'analyse présentation de la critique de
la vie de saint Éloi, écrite par que celle de saint Colomban, textes hagiographiques.
Bibliographie
Voir t. 1 de l'Histoire du Moyen Âge, Les Destinées de l'Empire en Occident, de 395 à 888, de F. Lor,
C. Prisrer et F.-L. Ganshor, 1" partie, Paris, 1940; F. Lor, La Fin du Monde antique et les débuts du
Moyen Âge, Paris, 1968, avec bibliographie complémentaire; P. RicHé, Les Invasions barbares,
Paris, 5° éd., 1984.
La meilleure synthèse sur le Bas-Empire reste encore celle de E. Ste, Histoire du Bas-Empire
(284-565), 2 t. Paris, 1949 et 1959, complétée par A. H.-M. Jones, The Later Roman Empire (284-
602), 2 vol. Oxford, 2° éd. 1973, dont un résumé en français est paru sous le titre Le Déclin du
monde antique, Paris, 1970. Le petit manuel de B. LaAnçoN, Le monde romain tardif £-vif siècle,
Paris, 1992, donne les dernières nouveautés. Pour l'Église, J. DameLou et H.-I. Marrou, Nouvelle
Histoire de l'Église, t. 1, Des origines à Grégoire le Grand, Paris, 1963.
Les invasions elles-mêmes et l'installation des Barbares sont étudiées par E. Demouceor, La
Formation de l'Europe et les invasions barbares, t. 2, Paris, 1979 et par P. CourceLce, Histoire litté-
raire des Grandes invasions germaniques, Paris, 3° éd., 1964; pour plus ample information, R.Foz,
A. GuiLou, L. Musser et J. Souroei, De l'Antiquité au monde médiéval, Paris, 1972; L. Musser, Les
Invasions, les vagues germaniques, Paris, 2° éd., 1971 ; H. Wourrau, Histoire des Goths, Paris, 1992.
M. Kazanski, Les Goths, Paris, 1990, complète sur le plan archéologique; I. Bona, Les Huns, Paris,
2002; G. ZeccHni, Attila, Palerme, 2007 ;M. Roucxe, Attila, Paris, 2009.
Pour l'Afrique, Chr. Courtois, Les Vandales et l'Afrique, Paris, 1955, ouvrage dont toutes les
conclusions ne sont pas acceptées par les critiques; pour les Îles Britanniques, J. CAMPBELL,
Anglo-Saxon England, Londres, 1986; À. Gaurier, Arthur, Paris, 2007.
Pour certains points évoqués brièvement, voir G. Fayoer-Feyrmans, La Belgique à l'époque méro-
vingienne, Bruxelles, 1964; R. DE AgaDAL y DE VinyaLs, Del reino de Tolosa alreino de Toledo, Madrid,
1960; pour la querelle sur la date du baptême de Clovis, Revue d'Histoire de l'Église de France,
t.31,1935, p. 161-192, et A. Van DE Vwer, « La chronologie du règne de Clovis d'après la légende
et d'après l’histoire » dans Le Moyen Âge, t. 53, 1947, p. 177-196.
Pour la Gaule, les dernières synthèses sont E. Ewc, Die Merowinger und das Frankenreich, Munich,
2° éd., 1993; M. RoucHe, Clovis, Paris, 1996; M. RoucHE (dir.), Clovis. Histoire et Mémoire, 2 vol.
Paris, 1997; N. GAUTHIER, N. GALNIÉ (dir.), Grégoire de Tours et l'espace gaulois, Tours, 1997.
Permanence romaine
et changements chrétiens
(vi-vu siècles)
local,
au singulier). Dans ces bourgs se maintient un commerce
concrétisé souvent par la présence d’un atelier monétaire.
les
De ces bourgs routiers, il est possible d'accéder aux villes par
routes romaines qui continuent d’être fréquentées. Sauf en
, les villes demeure nt.
Grande-Bretagne, où elles ont disparu
Certes, leur surface est désormais réduite aux enceintes étroites
de la fin du ur siècle, ou à celles de Justinien en Italie et en
Afrique; mais, ainsi rétrécies, elles n’en restent pas moins le
centre d’un type de vie sinon administratif, du moins com-
mercial et, surtout, nous le verrons plus loin, religieux. À côté
=. L du castrum (entre 6 et 30 ha), entouré de murs, il y a souvent
Mac à des faubourgs (suburbia) où l’on note la présence de commer-
Ç PP. 342, A. çants grecs, syriens ou juifs. Ces derniers continuent le grand
commerce du temps de l’Empire et maintiennent très nette-
ment des structures d'échange, au vi‘siècle en particulier. On
retrouve leurs traces jusqu’à la fin du vu‘ siècle. Le papyrus
d'Égypte arrive à Marseille, le blé d'Afrique et de Sicile à Ostie,
l'huile d'olive d'Espagne est vendue jusqu’au Nord de la Gaule,
les épices d’Inde et de Chine sont débarquées à Narbonne. Les
soieries de Constantinople sont achetées par les marchands de
Ravenne. En échange, par Verdun, arrivent les esclaves saxons
qui sont envoyés vers l'Espagne ou l'Orient ; des Pyrénées sont
expédiés en Gaule et jusqu’à Constantinople les marbres sculp-
Narron: produit chimique tés; la verrerie de Cologne, grâce au natron méditerranéen, se
permettant la fusion des répand en Gaule et en Angleterre. Le tour de l'Espagne permet
cristaux. les relations avec l'Irlande. L'Afrique du Nord commerce avec
les côtes espagnoles.
L'étude des monnaies et de leur circulation révèle l'importance
de ce commerce méditerranéen à partir des centres que sont
Ravenne, Marseille et Barcelone. Les imitations barbares du
Nomisma: sou d'or frappé à nomisma byzantin, en particulier à Marseille et à Chalon-
Constantinople ou imité par sur-Saône, prouvent que cette monnaie internationale joue le
les cours barbares. || pèse en
rôle d’une espèce de dollar. Jusqu'en 570-575, tous les pays de
général de 3,89 g à 4,55 g,.
l'Occident barbare sont en relation avec la Méditerranée orien-
tale. Puis la monnaie est exclusivement frappée en or et les
relations par les cols alpestres sont coupées jusqu'au var siècle.
Les sous d'or francs sont abandonnés pour le tiers de sou
(tremissis), lequel disparaît en Provence vers 700. Ce déclin
progressif montre donc la longue résistance des structures
économiques antiques centrées sur la Méditerranée.
# cul
La ture:
Religion mise par écrit dans les Évangiles, le catholicisme ne
pouvait pas, non plus, se désintéresser de la culture intellec-
tuelle romaine. L'école antique se perpétua encore au v* siècle,
puis disparut. La culture devint le privilège des grandes familles
aristocratiques; elle fut reprise en main par l'Église pour en
extirper le paganisme. Le concile de Vaison, en 529, décida la
création, dans le royaume des Francs, d'écoles épiscopales, des-
tinées à l'éducation du clergé. Deux laïcs italiens, Boèce et
Cassiodore, entreprirent, au vi siècle, de sauver les lettres
romaines. Boèce fut le dernier à traduire des ouvrages philoso-
phiques du grec en latin. Il écrivit, dans la prison où l'avait jeté
Théodoric, la célèbre Consolation de Philosophie. Cassiodore, Trivium: premier cycle d'études,
ancien fonctionnaire du royaume ostrogothique, essaya, une comprenant grammaire, rhéto-
rique et dialectique (c'est-à-dire
fois devenu moine à Vivarium en Italie du Sud, de structurer art du discours et art d'opposer
toute l'éducation latine en deux cycles: le trivium et le des arguments).
quadrivium. Cette classification subsista pendant tout le Moyen Quanrivium: second cycle
Âge, mais, inversement, sa tentative d'Université chrétienne d'études comprenant arithmé-
échoua. La meilleure synthèse de la culture romaine fut écrite tique, géométrie, astronomie et
musique.
par Isidore de Séville. Terminées par ses disciples après sa mort,
en 636, les Étymologies furent l'encyclopédie de base du savoir LES SEPT ARTS LIBÉRAUX: ils se
composent du trivium
médiéval. Après l'exposition des sept arts libéraux, Isidore
(grammaire, rhétorique et dia-
expliquait les rudiments de la médecine, du droit et de la chro- lectique) et du quadrivium
nologie, l'interprétation de la Bible, le droit canon et la liturgie. (arithmétique, géométrie
Puis il arrivait à la partie centrale de son exposé: Dieu et ses astronomie et musique).
PARTIE 1 # Le Haut Moyen Âge occidental (410-1050)
l’homme
ED L liens avec l’homme, pour terminer sur les relations de
humain e, le monde animal et la matière.
oit canon, avec l'État, l'anatomie
vieux matéri aux antique s, Isidore fit une nouvel le
pr2ise Avec les
construction intellectuelle entièrement chréti enne.
ent.
Certes, à cette époque, il n’est pas le seul auteur de l'Occid
écrivit l'Histo ire des
Mais Grégoire de Tours (mort en 594), qui
le Grand (590-60 4) dont il reste
Francs, ou le pape Grégoire
Job, le
848 lettres, 22 homélies sur Ézéchiel, les Moralia in
l et les Dialogu es, ne peuven t rivalise r avec l'ample ur
Pastora
des connaissances et la profondeur des vues de l'évêqu e de
Séville. En revanche, ils sont direct ement respons ables de la
vogue des vies de saints. Cette littéra ture hagiog raphiq ue joue
HaGioGRAPHIE : genre littéraire;
vies de saints écrites pour l'édi- un très grand rôle dans la mentalité populaire et représente,
fication des clercs et du peuple aux mains des moines, un instrument idéal d'évangélisation.
auxquels elles sont lues.
LR
aies RTERES EE
ER Expansion et« mission »
7 des moines Irlandais — Pi
0 10 mètres
Expansion de la tradition
monastique romaine
L'état de la recherche
L'anthropologie
sociaux des groupes tribaux qui
Il y a deux sortes d'anthropologies. L une qui étudie les mécanismes
ignorent l'État, l'autre la structure physi que des êtres humains. Cette dernière sera traitée plus loin
(cf. p. 48).
mena à la famille conjugale. les Lombards et les Burgondes, Romain. Une fois fixées au sol,
Mais c'est une exception euro- les parentèles primitives, dites elles n'en survivent pas moins
péenne.ll existe chezles Francs farae, étaient des groupes pratiquant des mariages endo-
avec de nombreuses pratiques familiaux multiethniques se games jusqu'au sixième degré
matrilinéaires survivantes. Chez déplaçant hors de l'Empire de parenté inclus.
Bibliographie
Rares sont les ouvrages portant uniquement sur les civilisations à l’époque barbare. On
consultera cependant F. Priz, Von Konstantin zu Karl dem Grosse, Dusseldorf, 2000; M. BLocH,
Les Invasions germaniques, la pénétration mutuelle du monde barbare et du monde romain, Paris,
2° éd., 1945; E.-A. Thompson, The Goths in Spain, Oxford, 1969; B. Dumézi, Les Racines chrétiennes
de l'Europe, Paris, 2005.
Pour les Burgondes, ©. Perrin, Les Burgondes, Neuchâtel, 1968. Voir aussi Th. PERRENOT,
La Toponymie burgonde, Paris, 1942. Sur les Francs, les ouvrages abondent; commencer par
l'excellent « Que sais-je? » de G. Fournier, Les Mérovingiens, Paris, 4° éd., 1983, puis E. SALIN,
La Civilisation mérovingienne, 4 vol. Paris, 1950-1960; P. RicHé, Dictionnaire des Francs, 1:
Les Mérovingiens, Paris, 1996; le problème de la frontière linguistique est expliqué par
Ch. VERuINDEN, Les Origines de la frontière linguistique en Belgique et la civilisation franque, Bruxelles,
1955. Pour les peuples anglo-saxons, D.H. WhreLock, The Beginnings ofEnglish Society, Londres,
1966, et D. Wicson, The Anglo-Saxons, Londres, 1971. Pour l'apport de l'archéologie, P. Perin et
L.-C. Ferrer, Les Francs, 2 vol. Paris, 1987.
Les questions sociales et économiques sont étudiées dans deux mises au point anciennes:
R. BourrucHE, Seigneurie et Féodalité, le premier âge des liens d'homme à homme, Paris, 2° éd., 1968,
et R. LaroucE, Les Origines de l'économie occidentale, (i#”-xf siècle), Paris, 2° éd., 1970. R. DorHaëro, Le
Haut Moyen Âge occidental, économies et sociétés, « Nouvelle Clio », Paris, 1971, fournit toute biblio-
graphie nécessaire et approfondie. Sur les questions de peuplement, M. Rosu, Le Terroir de Paris
aux époques gallo-romaine et franque, Paris, 2° éd., 1971 et Le Terroir de l'Oise aux époques gallo-
romaine et franque, Paris, 1978; G. Fournier, Le Peuplement rural en Basse Auvergne, Paris, 2° éd. 2003,
et R. Fossier, La Terre et les Hommes en Picardie, t. 1., Paris, 1969. Les questions urbaines sont à étu-
dier à partir de J. Hurt, « Évolution de la topographie et de l'aspect des villes de Gaule du au
x siècle », dans Settimane di studio del Centro italiano di studi sull'alto Medioevo, t. 6, Spolète, 1959,
p. 529-558 et 591-602, et de E. Ewic, « Résidence et capitale, pendant le Haut Moyen Âge », dans
Revue historique, 1963, p. 25-72; L. Pierr,, La Ville de Tours du 1” au vf siècle, Rome, 1983.
L'Église et la vie culturelle doivent être étudiées dans les grands manuels: collection Fliche et
Martin, t. 4 et 5; J. RicHaros, Consul of God. The Life and Times of Gregory the Great, Londres, 1980;
N. GauTHIER, L'Évangélisation des pays de la Moselle, Paris, 1980; J. Decarreaux, Les Moines et la
Civilisation, t. 1, 1962; « Saint-Géry et l'évangélisation dans le nord de la Gaule », dans Revue du
1987. Les
Nord, 1986: J. HeucLIN, Aux origines monastiques de la Gaule du Nord w-xF siècles, Lille,
dernières synthèses à jour sont celles de J. M. WaLLAcE HADRILL, The Frankish Church, Oxford, 1983
moines,
et J.-M. Maveur, C. er L. Pierri, À. VaucHEz, M. VENARD, Histoire du christianisme, t. IV: Evêques,
vif au
empereurs (610-1054), Paris, 1993; F.Boucaro (dir.), Le Christianisme en Occidentdu début du
Pour la
milieu du xF siècle, Paris, 1997; O. GuiuLor, Saint Martin, l'apôtre des pauvres, Paris, 2008;
l'éducation antique
culture, P. RicHé, Éducation et culture dans l'Occident barbare, Paris, 1962 et De
à l'éducation chevaleresque, Paris, 1968. Les problèmes que pose l'évolution artistique sont bien
1967.
résumés par P. Herr, J. PORCHER et V.-F. VousacH, L'Europe des invasions, Paris,
Crises et mutations
des royaumes barbares (550-750)
essayé de transformer
Du milieu du vé siècle au milieu du vif, les deux grandes forces qui avaient
barbares ne peuvent empêcher la disparitio n des habitudes et
les Germains sont en déclin. Les rois
tandis que la manière de penser des aristocrat ies germaniq ues s'impose.
des institutions romaines,
incapable s de résister aux guerres civiles, éclatent :les particula rismes ethniques qui
Les royaumes,
clergé se barbariser
naissent tendent à les morceler. L'Église, en perdant l'appui des rois, voit son
structures économiq ues et de
et sa richesse être convoitée. De ces crises vont naître de nouvelles
nouvelles puissances politiques.
L'homme libre qui veut entrer dans ces groupes se place sous
Maigour :du germanique lati- le patronage ou le mainbour d'un puissant, par la cérémonie
nisé mundeburdium (cf. mund, de la recommandation. Il se remet à lui en plaçant ses mains
p. 32). Protection accordée par dans les siennes. Cette recommandation par les mains estun
le chef ou le roi à un homme
libre qui s'est remis à lui. contrat liant deux hommes libres. Le puissant accorde au
nouveau vassal une protection totale qui se concrétise par le
er a] [ee don de vêtements, de nourriture, d'armes et autres cadeaux
ER anation appelés bienfaits. Parfois, l'entretien de ce guerrier domestique
pp. 65 et 72.
est assuré par un don encore plus apprécié, la jouissance des
revenus d’une terre. En échange, le vassal, désormais lié à son
maître par un lien personnel très fort, lui doit une aide mili-
taire totale et complète.
L'apparition de groupes de puissants dans les royaumes bar- ImMuNITÉ: privilège consistant à
interdire au comte d'entrer sur
bares devint pour l’Église un danger considérable. Elle les terres d'un évêché ou d'une
était désarmée face aux agents royaux dont les excès de pou- abbaye pour y exercer les droits
voir allaient augmentant tandis que la faiblesse royale s’accen- fiscaux. l'évêque ou l'abbé per-
tuait. Le corps épiscopal, surtout dans le royaume mérovingien, cevait ou exerçait lui-même ces
droits, soit à son profit, soit à
chercha dès lors à obtenir des privilèges particuliers pour ses
celui du roi directement.
terres: donation d’un atelier monétaire, exemption d'impôts
et, surtout, immunité. L'Église séculière entra ainsi dans le jeu
politique et son épiscopat perdit rapidement toute influence ORDALIE: épreuve d'origine
paienne du fer rougi à blanc à
religieuse, d'autant plus que les conciles de Gaule cessèrent
laquelle est soumis un accusé
de se réunir à partir de la deuxième moitié du vu‘ siècle. dont on ne peut trancher la
Certains clercs se comportèrent comme des chefs militaires cause. Celui qui triomphe de
ou politiques, d’autres entrèrent dans les liens de vassalité. cette épreuve etn em sort
Certaines pratiques barbares furent même acceptées par indemne est alors considéré
comme sauvé par Dieu: c'est le
l'Église, telle l’ordalie. Ailleurs, en Espagne du Nord par jugement de Dieu (cf p. 119).
exemple, le paganisme renaît.
Partout, un clergé dominé ou laïcisé ne peut empêcher le
développement des superstitions et les excès du culte des
reliques, vénérées parfois comme des talismans, tandis que
triomphe la coutume de se faire enterrer dans l’église et autour
de l’église où se trouve le corps du saint. Les arts et les lettres
sont en régression. Les petits sanctuaires se multiplient;
l’orfèvrerie de type germanique domine de plus en plus. Une
esthétique abstraite insistant sur la couleur et le jeu des
courbes triomphe tant sur les vases sacrés que sur les fibules, FiBULE : agrafe de bronze, de fer,
ou de métal précieux, permet-
les couronnes votives de Guarrazar (Espagne) ou les bijoux de tant d'attacher des vêtements
Monza (Italie). flottants. Elle disparut lors de
Dans ces conditions, le renouveau de l'Église ne pouvait venir l'invention du bouton au
xi° siècle.
que du seul élément resté vivant et dynamique: les moines.
Dans les monastères, en effet, à Bobbio en Italie, à Luxeuil
et Corbie en Gaule, à Ripon et Jarrow en Angleterre, la nou-
velle culture chrétienne prend son essor. Le moine anglais
Bède [673-735] compose des ouvrages scientifiques, gramma-
ticaux ou historiques qui font de lui l’un des plus grands
savants du Haut Moyen Âge. Cette culture, devenue le mono-
pole des clercs, s'inspire d’une nouvelle pédagogie, soucieuse
de l'enfant, et s'exprime dans de nouveaux manuscrits ornés
d'initiales peintes avec entrelacs ou de miniatures délicate-
ment colorées. L'apparition de ces îlots de ferveur religieuse
et de renouveau intellectuel et artistique que sont les monas-
tères annonce que l'Église est peut-être sortie de la période
de crise.
æ Nouvelle économie |
Une même crise frappe aussi les structures économiques aux
vrc et vin: siècles. Si l’agriculture évolue fort peu, l'arrêt des
guerres a pour elle des conséquences néfastes. On constate, en
effet, un ralentissement de la traite des esclaves, accentué par
l'attitude des moines qui encouragent l’affranchissement. Les
grands propriétaires cherchent alors, surtout dans le nord de
la Gaule, à faire travailler les paysans libres sur une partie de
leur domaine, la réserve, en leur imposant des corvées. Les
PARTIE 1 & Le Haut Moyen Âge occidental (410-1050)
maître de la Neustrie depuis 687, prend le titre de prince des NEUSTRIE: nouveau royaume
Francs et tente de redonner au royaume ses anciennes fron- salien, conquis par Clovis. La
tières. Pratiquement, il ne peut que refouler les Frisons vers capitale sstPars
le Nord en prenant Utrecht. Ailleurs, en particulier au sud de
la Loire et en Bourgogne, son autorité est nulle. En 714, sa
mort provoque une crise résolue par son énergique bâtard,
Charles, dont le surnom de Martel exprime bien comment il
sut « marteler » les révoltés neustriens et supprimer l’indé-
pendance des Frisons et des Alamans, tout comme celle des
Bourguignons et des Provençaux. Cependant les autonomismes
régionaux furent durables.
De tels progrès étaient déjà symptomatiques de la puissance
de la nouvelle dynastie qui dirigeait les Francs malgré son
manque de légitimité. En 741, Pépin le Bref succède à Charles
Martel et s'engage à son tour dans des combats continuels
contre les Saxons sur la rive droite du Rhin ou contre les
Bavarois. Pour pouvoir mieux dominer les princes locaux
révoltés, il décide, en 750, de faire appel au pape Zacharie pour
lui demander qui doit être roi: celui qui possède le pouvoir
ou celui qui ne la point ? Le pape ayant déclaré que c'était le
premier, Pépin se fit acclamer roi par les grands à Soissons.
En 754, le pape Étienne II, venu en Gaule pour lui demander ; b.
son appui contre les Lombards, le sacra roi à Saint-Denis, ainsi de » Sacre:
que ses deux fils et sa femme. Une nouvelle dynastie appa- onction, p.40.
raissait, tandis que le dernier Mérovingien, Childéric IT, était
tondu et enfermé dans un monastère. À la race au sang sacré
succède la race sacrée par l’onction. Le charisme païen du sang
s’efface devant le charisme de la grâce divine. Ce ne sont plus
les grands qui font les rois, mais Dieu. Une nouvelle légitimité
naissaïit.
É:
La montée sur le trône de la dynastie carolingienne était due
à deux facteurs qui aurai se contrarier:
L'état de la recherche
L’archéologie des cimetières
nom-
Les fouilles archéologiques des nécropoles datables du vf au vif siècle sont particulièrement
permis d'obtenir de nouvelles connaissan ces sur cette époque.
breuses en France. Elles ont
L'archéologie devient ici une source primaire au même titre que les documents écrits, qui prennent
alors un nouvel éclairage par comparaison avec elle. Les cimetières nous renseignent alors sur les
comportements sociaux, les croyances religieuses, la démographie et l'anthropologie.
DE l'Empire romain, centrale en fer, un scramasaxe, Il faut pour qu'elle soit prouvée
comme dans les royaumes sabre court à un seul tran- qu'il n'y ait plus de mobilier, de
barbares, les morts sont tou- chant. Enfin n'oublions pas les bol pour offrande alimentaire,
jours séparés des vivants. Les fibules, les plaques de ceintu- et d'obole à Charon (pièce de
villes ont des nécropoles en ron en bronze ou en fer niellé monnaie dans la bouche).
dehors de l'enceinte, disper- d'argent, et le baudrier en
sées le long des routes. Paris travers de la poitrine, insigne k e passage au christianisme
en compte ainsi une dizaine. d'une fonction administra- n'est vraiment attesté en
En général les tombes des tive. N'oublions pas non plus Gaule franque qu'à la fin du
premiers évêques ou plus d'autres objets de valeur: vase ui siècle avec inhumation du
rarement des martyrs (comme à carène, bassin de bronze, corps dans un linceul et des
saint Denis) deviennent l'objet corne à boire en verre, ou agrafes à double crochet. Ce
d'un culte avec l'édification de encore bague sigillaire révé- qui signifie que l'éternité n'est
basiliques suburbaines autour lant le nom et donc l'identité plus considérée comme la
desquelles apparaissent par- du mort, une monnaie dans la continuation de la vie anté-
fois des faubourgs. Dans les bouche permettant de dater rieure mais comme une autre
campagnes, les cimetières sont l'ensevelissement. Les femmes vie. D'ailleurs à ce moment les
toujours situés en bordure du quant à elles portent souvent nécropoles quittent la bordure
terroir villageois. Les fouilles des bijoux de grande qualité, du terroir pour se rassembler
de chaque tombe nécessitent des aumônières et des clefs. autour et dans l'Église parois-
un travail minutieux d'iden- Toutes ces tombes privilégiées siale, preuve que la mort a été
tification et de datation des permettent d'apercevoir une apprivoisée et que la société
restes. En général les tombes élite sociale d'origine franque chrétienne des vivants et des
de ces cimetières à rangées ou germanique au milieu morts ne fait plus qu'une.
t
sont disposées, le mort regar- d'autres tombes sans mobilier
dant d'abord vers le Nord, important. uand une nécropole
puis ensuite vers l'Est. Dans peut être fouillée d'une
les parties les plus anciennes (& es cimetières permettent manière exhaustive, l'étude des
(v£ siècle) les hommes sont aussi de connaître les squelettes peut aboutir à des
souvent enterrés avec de très croyances religieuses des résultats statistiques. L'analyse
riches armes, certaines avec populations. Les plus primi- de l'épaisseur du rochet, des
des poignées de métal ciselé tives pratiquent l'incinération : sutures métopiques du crâne,
serties de bijoux. Chez les à la suite d'un grand bûcher de la largeur du bassin permet
guerriers francs, l'armement les os calcinés, les fragments de distinguer le sexe, l'âge de
comporte une épée longue d'armes tordus et les fibules la mort, la taille des individus
avec un fourreau de bois plus ou moins fondues sont et les maladies osseuses dont
terminé par une bouterolle disposées dans une urne. ils ont souffert.
gravée, une francisque, hache C'est le cas des plus anciens
de jet au tranchant courbe, un cimetières anglo-saxons en insi peuvent être dressés
angon (lance à crochets) des Angleterre. Le passage à l'in- des tableaux de paléo-
lances de divers types, un bou- humation n'est pas une preuve démographie et de paléo-
clier de bois, avec une bosse de conversion au christianisme. pathologie pour un même
Permanence romaine et chnagements chrétiens (° et if siècles)
village. Les taux de mortalité brachycéphales dits « néoli- lieu au début du vn° siècle.
et de natalité naturels révè- thiques graciles » d'un mètre Enfin, l'existence de déforma-
lent une pyramide des âges soixante environ, des groupes tions crâniennes volontaires
large à la base, étroite au familiaux dolichocéphales d'un par bandage du crâne des
sommet avec forte mortalité mètre quatre-vingt environ. bébés prouve que dans cer-
infantile, 50% des squelettes Deux cents ans plus tard, dans tains cimetières burgondes,
ayant moins de vingt ans, les la même nécropole tous les par la présence isolée de tels
plus âgés pouvant atteindre squelettes sont mésocéphales crânes, il existait des influences
soixante ans. Dans certains avec une taille moyenne d'un venues d'Asie Centrale encore
cimetières du nord de la Gaule mètre soixante-dix. La fusion aux VE-VIf siècles.
il est possible d'observer à côté des nouveaux venus avec les
d'une majorité de squelettes autochtones a donc bien eu
Bibliographie
Aux ouvrages anciens et récents déjà cités dans les chapitres précédents et qui concernent
le sujet traité ici, il faut ajouter, pour les nouveaux aspects du vif siècle, F.-L. GanNSHor, Qu'est-ce
que la féodalité?, Paris, 1962, et Ph. Conramine, L'Économie médiévale, Paris, 1993, pp. 10-139.
Ces deux ouvrages sont indispensables pour le Moyen Âge, ainsi que G. Fournier, L'Occident
fin du -fin du siècle, Paris, 1970; M. RouckE, Les Racines de l’Europe, Paris, 2003 ;B. Dumézu, La
reine Brunehaut, Paris, 2008.
On peut consulter avec quelques réserves A.-R. Lewis, Naval Power and Trade in the Mediterranean
A.D. 500-1000, Princeton, 1951. Du même auteur, The Northern Sea-Shipping and Commerce in
Northern Europe A.D. 300-1000, Princeton, 1958. Plus utile et plus récent est le t. 5 des Settimane
di Spoleto, Caratteri del secolo VII in Occidente, Spolète, 1958 et S. Legeco, Marchands et Navigateurs
frisons du Haut Moyen Âge, 2 vol. Lille, 1983, À propos de l'interprétation des faits économiques,
deux grandes thèses s'opposent, celle d'H. Pirenne, Mahomet et Charlemagne, Paris, rééd., 1970,
et M. Lomearo, « L'Or musulman du vi au x! siècle », Annales, n° 2, p. 143-160, 1947. Il faut se
reporter à la bibliographie du chapitre 4 pour une orientation critique sur cette polémique qui
concerne surtout l'époque carolingienne. Le fait important, le changement d'étalon monétaire,
est clairement expliqué par J. LArAURIE, Catalogue des deniers mérovingiens de la trouvaille de
Baïs, Paris, 1981. M. RoucHe, Marchés et marchands en Gaule du aux siècle, Settimane di Spoleto,
t. 40, 1993, p. 395-441.
Pour l'Angleterre:
WaLLACE-HADRILL, Early
RH. Loy_w, The Governance, 500-1087, Stanford University Press, 1984; J.M.
Sawver, From Roman
Germanic Kingship in England and on the Continent, Oxford, 1971 et D.H.
Britain to Norman England, Londres, 1978.
PARTIE 1 Le Haut Moyen Âge occidental (410-1050)
Pour l'Espagne:
La thèse de P. CAZIER,
J. OrLAnois, Historia Social y Economica de la España Visigoda, Madrid, 1975.
le notre connais-
Isidore de Séville et la naissance de l'Espagne catholique, Paris, 1994, renouvel
Madrid, 1989. Le livre
sance du grand évêque. L.-A. Garcia Moreno, Historia de la España visigoda,
avec beaucoup de
de J.-H. Roy et J. Deviosse, La Bataille de Poitiers, Paris, 1966, doit être utilisé
précaution pour les dates.
Pour l'Italie:
et à Ch. WickHam,
Se reporter à S. Pricoco, Sicilia e Italia suburbicaria tra IVe VIII secolo, Catana, 1991
de L. HALPHEN,
Italy in the early Middle Age, Londres, 1981. Enfin, il faut voir les premiers chapitres
« La crise de l’Europe dans la
Charlemagne et l'Empire carolingien, Paris, 1968, et M. RoUcHE
seconde moitié du vi siècle et la naissance des régionalismes », dans Annales ESC, 1986, n° 2,
p. 347-360.
L'expansion du royaume
des Francs et la création
de l’Empire (751-840)
Durant la seconde moitié du vif siècle et le début du 1x°, l'Europe occidentale passe du morcel-
lement à l'unité. Le royaume des Francs connaît une expansion générale et devient quasiment
la seule formation politique importante. Son alliance avec l'Église aboutit à la restauration de
l'Empire romain en 800, mais il importe de savoir si cet Empire nouveau est encore romain ou
déjà franc, autrement dit quel est le fondement de cette unité politique chrétienne parfois qua-
lifiée d'Europe par les contemporains. Cela va permettre de comprendre pourquoi les autres
formations politiques sont en marge du nouvel Empire, qui garde encore une belle façade avec
Louis le Pieux.
te
deCharl
conquê
m Les se |
emagn
les deux frères
La division du royaume entre ne dura guère
car le cadet mourut dès 771 et Charles se trouva désormais
le seul maître. Au début, il poursuivit la politique de son
père. Roi à l’âge de vingt et un ans, ce géant de sept pieds
(1,92 m), à la voix fluette et à l’épaisse moustache, était un
chasseur et un soldat aguerri. Il commença ses campagnes
contre les Saxons en 772 par la destruction de leur sanctuaire
païen, l’Irminsul. Puis, appelé par le pape en Italie contre
les Lombards, il assiégea longuement leur capitale, Pavie,
et fit disparaître leur royaume en prenant lui-même le titre
de roi des Lombards (774). Reparti à la conquête de la Saxe,
PARTIE 1 # Le Haut Moyen Âge occidental (410-1050)
s
il en fut détourné par l'appel reçu d’Espagne de révolté
L'année 778 le vit
musulmans et de chrétiens opprimés.
franchir les Pyrénées, mais, incapable de démêler l’imbroglio
hispano-musulman, il échoua et, au passage du col de
Roncevaux, le 15 août, son arrière-garde, commandée par
Roland, fut massacrée par les Basques et les musulmans
réunis. À cette nouvelle, toute la Saxe se révolta.
Charlemagne essaie de triompher de cette première grande
crise des années 778-779 en prenant une série de mesures
opportunistes destinées à calmer les oppositions internes
et à mater les irréductibles à l'extérieur. En 781, il donne
comme rois aux Lombards et aux Aquitains ses deux fils,
Pépin et Louis. Puis il édicte un terrible capitulaire contre
les Saxons, et se lance dans sept années d’expéditions conti-
nuelles: il n'hésite pas à faire exécuter, après une défaite
franque, 4 500 Saxons. Par ailleurs, il accepte la ville de
Gerone [Espagne] que les habitants lui offrent en 785, sou-
met théoriquement le duc lombard de Bénévent qui lui verse
un tribut, envoie en 778 au couvent pour trahison Tassilon Il,
supprimant ainsi définitivement l'indépendance des
Bavarois.
Cf. p. 72 (recommandations). Il faut croire que ces mesures ne suffirent point, car, en 791-
795, une nouvelle crise éclata: raid musulman dans le sud
de la Gaule, révolte du duc de Bénévent, révolte des Saxons,
mauvaises récoltes et famine, enfin tentative d’assassinat
sur sa personne par son fils Pépin le Bossu. Le redressement
fut, une nouvelle fois, assuré grâce à un mélange de souplesse
et de force. Pour supprimer toute possibilité de complot,
Charlemagne fait prêter serment de fidélité à tous ses sujets;
il achève la conquête de la Saxe en 797, en abandonnant le
régime d'exception installé auparavant (en 785) pour mettre
[
à la place un système de pacification. Il dirige enfin de nom-
Avars, p.41. breuses expéditions contre les nomades Avars qui menacent
l'Italie et la Bavière, en 791, 795, 796 et finit par s'emparer
Rinc: sorte de fortification du ring de ce peuple. Ce butin joua un rôle considérable dans
ronde en terre couverte de la puissance de Charlemagne et lui permit de récompenser
palissades dans laquelle se trou- largement ses fidèles serviteurs. La victoire fut la principale
vait tout le butin issu des
pillages de ces nomades.
base de son autorité et du respect qu’on lui porta. Charlemagne
est incompréhensible sans ses défaites qui lui attirèrent la
sympathie, et sans ses triomphes qui lui apportèrent prestige
et grandeur.
2 Lesguerres fratricides
Louis le Pieux était bien trop convaincu de la nécessité de la
défense et de la gloire de l’Église pour voir un danger dans sa
politique de réforme, qui n'avait, à ses yeux, que des intentions
morales. Il abandonna de même la conception laïque de
l’Empire de son père Charlemagne. Dès son avènement, il
renonça aux titres de roi des Francs et de roi des Lombards
auxquels tenait son père et s’intitula: « Par la Providence
divine, empereur auguste ». Le principe unitaire chrétien fut
enfin affirmé à Reims en 816 par le renouvellement du cou-
ronnement de Louis et son sacre par le pape, comme si la céré-
monie laïque de 813 était nulle et que seule l'intervention du
pape faisait l’empereur. Enfin, pour achever la réalisation de
son programme et régler sa succession dans le sens unitaire,
Louis le Pieux émit en 817 l’Ordinatio Imperii. Conformément
aux pratiques germaniques qu'il ne pouvait heurter de front,
il laissa intacts les trois sous-royaumes: l'Italie confiée par
Charlemagne à Bernard, fils de Pépin; la Bavière, royaume créé
en 814, donnée à son fils Louis; l’Aquitaine enfin, attribuée
en 814 à son fils Pépin. Ces trois rois étaient étroitement sou-
mis au fils aîné de Louis, Lothaire, proclamé empereur et
unique héritier de tout l’Empire. Le père couronna d’ailleurs
lui-même son fils Lothaire, comme Charlemagne l'avait fait
en 813. Cette série de mesures mécontenta certains nobles qui
se regroupèrent autour de Bernard d'Italie. Louis le Pieux mata
la révolte et fit crever les yeux à son royal neveu. Ses conseillers
ecclésiastiques lui imposèrent alors une pénitence publique
qu'il accomplit à Attigny en 822. Non contents de ce premier
L'expansion du royaume des Francs et la création de l’Empire (751-840)
L'état de la recherche
Les documents carolingiens
La remise en ordre de la société par Pépin le Bref et ses successeurs, appelée aussi Renovatio, c'est-à-
dire la deuxième naissance, fut systématiquement organisée par un retour aux traditions romaines
dans le domaine des lois, et dans la gestion fiscale des revenus de l'État et de l'Église.
(GE donna naissance ou fit ÉE capitulaires sont les sont qualifiés d'ordinatio ou
réapparaître deux types successeurs des textes de constitutio parce qu'ils
de documents, les capitu- législatifs romains appelés organisent la succession au
laires et les polyptyques. décret, édit, précepte. Le pre- pouvoir et le fonctionnement
Ces documents postulent mier à porter le nom est celui de l'État. Ils émettent un ordre
l'existence d'un État de droit de Herstal en 779; le dernier en vertu du droit de ban du roi
et d'une administration publié est celui de Carloman ou de l'empereur qui s'exprime
publique, ainsi qu'une union Il en 884. Le titre vient du fait comme les empereurs romains
de l'État avec l'Église qui que les articles de lois sont en disant: placuit, ce qu'il faut
date de 392. Ces deux types classés par chapitres (capitula). traduire par: j'ai décidé, alors
de documents sont publiés Mais leur contenu est bien que le monarque d'Ancien
en général en latin dans les plus important que la forme Régime disait, d'une manière
Monumenta Germaniae , par de leur présentation. Ce sont juste mais qu'on comprend de
À. Borerius, Hanovre, 1883, des lois à exécuter pour elles- travers :« Car tel est notre bon
pour les capitulaires, et pour mêmes ou des règlements plaisir » (le verbe placeo veut
les polyptyques, vu l'extrême administratifs. Nous dirions dire à la fois plaire et décider).
dispersion des publications aujourd'hui qu'en ce dernier
mieux vaut se contenter de les cas, ce sont des circulaires a textes sont préparés
aborder par le biais de l'édi- d'application. La nature de ces par un conseil de grands
tion de celui de Saint-Bertin, lois est précisée dans chaque fonctionnaires laïcs et ecclé-
par F.-L. GAnsHor, (Paris, 1975), capitulaire : les uns sont des siastiques avec l'aide de
qui a l'avantage de comporter additifs au code des peuples, jurisconsultes. Ils sont ensuite
un commentaire en français d'autres sont adressés aux présentés au plaid général ras-
abordable par l'étudiant. missi dominici, d'autres encore semblant les ducs, les comtes,
L'expansion du royaume des Francs et la création de l'Empire (751-840)
les évêques et les abbés, et fixes de bois dur, reliées par tableau économique s'ajoute
les hommes libres en général. des lacets « plusieurs fois pliées un tableau fiscal et politique.
Ils constituent le peuple qui sur elles-mêmes » comme par Qu'il soit règlé en espèce ou
accepte ces lois qui leur sont exemple les Tablettes Albertini en nature, le paiement dû en
lues en public. Le consente- qui datent du ® siècle. Souvent sus est celui de l'impôt foncier
ment (consensus) est obliga- citées par le code théodosien ou personnel. Le droit de
toire. Il ne valide pas la loi, les polyptyques sont des réquisition est pratiqué sous
puisque le roi ou l'empereur registres d'impôts pesant sur forme de charrois de vins ou
en est la source. Néanmoins, les personnes et sur les biens. de blés vers un port ou des
on constate qu'avec les greniers, ou encore sous forme
guerres civiles, l'aristocratie eux dressés par l'État ont de jours de corvée. Les impôts
des fonctionnaires négocie disparu. N'ont survécu que indirects sont prélevés sur les
son consentement. Cela ceux établis par des établisse- terres incultes, propriété de
apparaît dès le capitulaire de ments monastiques, comme l'État, sous la forme du droit
Coulaines en 843. Il s'agit alors par exemple Saint-Victor de paisson. Enfin l'impôt pour
d'une convenientia, c'est-à-dire de Marseille en 814, Saint- l'armée (hostilitium) est payé
d'un pacte de droit romain Germain-des-Prés vers 820, sous la forme de l'octroi des
contracté entre deux parties, Saint-Bertin entre 844 et 859.
impôts d'une terre à un che-
le roi et l'assemblée. Dès lors le Les derniers s'arrêtent à la fin
valier (miles seu caballarius).
pouvoir du roi n'est plus absolu du x° siècle.
Dans le cas du polyptyque
juridiquement parlant. Néan- de Saint-Bertin, les produits
n premier niveau de
moins tous ces capitulaires et les sommes perçus à partir
lecture permet de bien
recopiés dans de nombreuses des 10 000 hectares de la
saisir l'existence des grands
collections furent continuel- mense conventuelle servent à
domaines avec réserve et
lement appliqués jusqu'aux xi° la nourriture et à l'instruction
manses, les statuts sociaux
et x siècles. des moines. Le dernier polyp-
des tenanciers, parfois même
leur démographie et leur tyque connu qui est en même
out aussi riches d'enseigne- densité au kilomètre carré, les temps le plus parfait est le
ments nouveaux sont les différents produits agricoles et Domesday Book, description
polyptyques. Comme leur nom d'élevage, les bois et les articles fiscale et économique de toute
l'indique il s'agit de plaquettes issus du tissage, etc. Mais à ce l'Angleterre, dressé en 1086.
Bibliographie
les ouvrages généraux
Les renseignements les plus importants devront être cherchés, outre
en, Paris, rééd., 1968;
cités au chapitre 1, dans L. HaLpHEN, Charlemagne et l’Empire carolingi
Tessier, Charlemagne, Paris,
R. Fozz, Le Couronnement impérial de Charlemagne, Paris, 1964; G.
Paris, 1967; J. Boussaro, Charlemagne et son Temps,
1967 :D. BuuLoucH, Le Siècle de Charlemagne,
Charlemagne, Paris, 1999; E. James, Les
Paris, 1968; R. DeLorr, Charlemagne, Paris, 1986; J. Faver,
par J. NELSON vient d'être
Origines de la France, Paris, 1988; la biographie de Charles le Chauve
traduite en français, Paris, 1994.
Reputation, Londres, 1999. T.E.X. Nogce, The Republic of St Peter: the Birth ofthe Papal State (680-
825), Londres, 1984. Les nouveaux manuels de O. GuiLLor, À. RIGAUDIÈRE et Y. SASsiEr, Pouvoirs et
Institutions dans la France médiévale, Paris, 1994, et de Y. Sassier, Royauté et Idéologie au Moyen
Âge (Bas-Empire, monde franc, France) #-xf siècles, Paris, 2002, renouvellent nos connaissances
sur l'État et ses rapports avec l'Église.
L'existence d'un grand espace politique d'environ un million deux cent mille kilomètres carrés
peuplés peut-être de quinze millions d'habitants sous l'autorité de Charlemagne et de Louis le
Pieux ne pouvait que favoriser l'établissement d'une civilisation commune. Sa quasi-coïncidence
avec le monde chrétien romain incita l'Église à proposer un programme de Renovatio regni
Francorum. | s'agit de créer une nouvelle entité politique par le baptême des païens. Ce baptême
ou cette christianisation fait que l'on peut parler d'une deuxième naissance du monde barbare,
ou, plus précisément, d'une re-naissance tant au niveau politique par les innovations de
Charlemagne, qu'au niveau religieux par les réformes de Louis le Pieux, et qu'au niveau social et
économique par l'introduction de la vassalité dans les structures de l'« État » et par la création
d'une monnaie unique. Ainsi s'explique l'importance de la Rénovation ou de la Renaissance
carolingienne.
L. La notion d« État »
M Le
gouvernement
central etsesagents |
Le gouvernement de Charlemagne et de Louis le Pieux est
donc une tentative permanente pour sortir de l'héritage pri-
mitif et le faire évoluer vers une conception plus romaine
d'esprit et plus efficace. Le palais commence à se fixer sur le
domaine d'Aix en 794 et Charlemagne y réside sans cessé à
partir de 807. Autour de lui, les grands officiers l’aident dans
sa tâche, avec une confusion très caractéristique de l’époque
SénécHaL: de siniskalk: le plus entre tâches publiques et tâches privées. Le sénéchal et le
vieux des valets. Officier de la bouteiller s'occupent des valets, de l’approvisionnement de la
cour chargé de présenter les
table en nourriture et en vins. Ils ont pour principale occupa-
plats.
tion la gestion des domaines impériaux ou fisci et en sur-
veillent les intendants ou domestici. Le chambrier, outre la
chambre du roi, tient en bon ordre le trésor et l’administre
par l'intermédiaire de sacellaires. Le connétable, avec ses deux
maréchaux-ferrants, assure la remonte des chevaux, les trans-
ports de ravitaillement de l'armée, etc. Le comte du palais
remplace le souverain pour les procès en appel qu'il ne peut
trancher pendant ses absences de la cour. L'organisme qui
CHAPELLE: la Chapelle est ainsi
ressemblerait le plus à un début d'administration centrale est
nommée parce qu'elle contient
la relique la plus insigne du la Chapelle, qui n’assure pas seulement le service religieux
royaume des Francs, la chape, de la cour car, dirigée par un archichapelain de rang épiscopal,
ou cape, de saint Martin. elle comporte tout un personnel de clercs, alors seuls lettrés,
La rénovation de la civilisation par les Carolingiens
Vassi DomINIcI: Vassaux parti- subordinations se créa. Charlemagne lui-même s’attacha des
culiers du roi. vassi dominici qu’il chasa sur ses terres. Il obligea évêques
CHaser: installer à demeure et abbés à entrer eux aussi en recommandation. Par ce réseau
quelqu'un sur ses terres. de fidélités s’entrecroisant et aboutissant à sa personne,
l'empereur espérait faire reposer l'édifice politique sur le
respect de la parole donnée, sur la foi jurée par un serment
prêté sur les Évangiles ou des reliques et, surtout, sur les
obligations mutuelles du seigneur et du vassal.
Il. L'Église
évêque d'Orléans et
m LEéletes
Le premier ordre comprend les évêques, les prêtres et les cha-
noines. La réforme épiscopale fut à peu près terminée vers 814
avec l'établissement des archevêchés à la place des métropoles
disparues. L'évêque a de multiples tâches: visiter chaque année
les paroisses rurales et les églises privées appartenant aux
grands propriétaires qui les ont construites sur leurs domaines,
créer des écoles de chantres et de lecteurs, surveiller les monas-
CHORÉVÊQUE : évêque itinérant tères, nommer des chorévêques si son évêché est trop grand,
nommé par un évêque en titre prêcher et défendre la foi, enfin s'occuper du service de la
dans son propre diocèse pour cathédrale avec les chanoines. Ces derniers, depuis l’époque
l'aider à administrer la
de Chrodegang, évêque de Metz au milieu du vu siècle, sont
campagne.
soumis à une règle commune (généralisée au concile d'Aix en
816). Les chanoines peuvent posséder quelques biens en propre,
MENSE (LA) : à ne pas confondre mais sont astreints au réfectoire et au dortoir communs. Les
avec le manse, voir p. /4.
revenus de l'évêché sont divisés en deux parts: la mense (ou
table] épiscopale, et la mense capitulaire (ou table des cha-
PRÉBENDE : part du revenu de la noines|. La deuxième mense est divisée en autant de prébendes
mense réservée à un chanoine qu’il y a de chanoines; la prébende subvient aux besoins du
pour sa nourriture et son
chanoine. Enfin une législation épiscopale, les statuts syno-
entretien.
daux, apparut et régla la situation des diacres et prêtres. Elle
s’occupa en particulier de leur instruction et renforça la pra-
tique du célibat. Au niveau des moyens matériels du clergé
paroissial, le problème de la confiscation des terres d'Église
Dime: dixième partie de la par le souverain fut résolu par une compensation imposée en
récolte versée au clergé dans le 779 par un capitulaire: désormais toute terre, y compris les
cadre de la paroisse. terres royales, était redevable de la dîme aux églises rurales.
Un quart de la dîme devait aller à l'évêché.
L'état de la recherche
La numismatique
La rareté des documents économiques pour le Haut Moyen Âge fait que l'on a souvent recours aux
pièces de monnaie. En effet, émises par l'État qui leur donne une valeur officielle souvent supérieure
à la valeur réelle en métal de la pièce, ces moyens d'échange apportent à l'historien de nombreux
renseignements.
que la masse monétaire est d'argent appelées pence en une économie en expansion.
trop importante par rapport à Angleterre et sceattas en Frise. La monnaie carolingienne
la demande. On s'adapte à un Le royaume mérovingien se répand à travers l'Europe
marché qui se restreint. Vient s'adapte alors à ce nouveau jusqu'en Scandinavie. Cette
ensuite l'apogée du royaume commerce de produits lourds. richesse ne tarde pas à provo-
franc sous Clotaire Il et Childeric Il en 673-675 lance le
quer les pillages des Vikings
Dagobert. L'unité du royaume denier d'argent de 1,36 g dont
qui extorquent aux pays enva-
et la prospérité permirent à le pouvoir d'achat est douze
his 60 000 livres d'argent. Les
leur « ministre des finances » fois inférieur à celui de l'or.
Éloi, de réévaluer le tiers de Cette révolution monétaire troubles politiques entraînent
sou, qu'il fait frapper aussi casse la déflation créée par alors à partir du capitulaire
bien à Paris, qu'à Marseille et une monnaie d'or à trop fort de Pitres de 864 la perte de
Arles. On constate en effet pouvoir d'achat et permet contrôle de l'administration sur
que le titre tombé à 16 carats de développer l'utilisation les émissions de deniers. Les
remonte à 20 carats. Cette de la monnaie dans d’autres dévaluations réapparaissent,
réévaluation prouve qu'il y a couches sociales jusque sur les imitations et falsifications
prospérité économique. Mais les marchés ruraux. Ces inno- se multiplient. Les princes féo-
cet effort est le dernier pour vations monétaires prouvent daux s'emparent du privilège
revitaliser l'économie antique que l’Europe se tourne vers
royal de la frappe. Le denier
méditerranéenne. les zones en expansion de
carolingien est uniformément
l'Europe du Nord.
frappé selon le type « immobi-
n effet, la deuxième moitié lisé » de Charles le Chauve. Ces
du vi siècle voit les tiers ne fois l'ordre revenu avec monnaies ne permettent plus
de sou perdre leur pouvoir les Carolingiens, le pouvoir la datation. Mais leur multi-
d'achat, tomber à 14 carats, politique peut alors consolider plication et leur faible rayon
avec un alliage à base d'ar- le nouvel espace économique.
de circulation prouvent que
gent au point que les pièces La réforme de l'hiver 793-794
l'économie de l'époque féo-
deviennent blanches. En fait passer malgré les résis-
tances, le denier d'un poids dale est certes morcelée, mais
même temps les trouvailles de
monnaies byzantines dispa- de 1,30 g à 1,70 g. Cette réé- dynamique. La numismatique
raissent, tandis qu'en mer valuation en poids d'un tiers révèle donc des liens étroits
du Nord circulent des pièces correspond à l'adaptation à entre économie et politique.
EE
Bibliographie
On se reportera tout d'abord à la bibliographie du chapitre 2 pour les questions institutionnelles,
sociales, économiques et intellectuelles (en général ces ouvrages couvrent tout le haut
Moyen Âge).
e
Ilfaut connaître l'ouvrage monumental collectif en quatre volumes, Karl der Grosse, Lebenswerk
und Nachleben, Düsseldorf, 1965-1966.
Pour lesinstitutions:
Du même auteur,
E.-L. Ganskor, The Frankish Institutions under Charlemagne, Providence, 1968.
Kingship and the
Recherches sur les Capitulaires, Paris, 1958; J.-M. WaLLAcE-HADRILL, English
Continent, Oxford, 1971.
Surl’Église:
Histoire de l'Église, t. 2,
E. Aman, L'Époque carolingienne, Paris, 1941 ; C. BiHLMAYER et H. TucHe,
1933-1938;
Mulhouse, 1963; G. SCHNURER, L'Église et la Civilisation au Moyen Âge, Paris,
PARTIE 1 # Le Haut Moyen Âge occidental (410-1050)
M. Ausrun, La Paroisse en France des origines au x siècle, Paris, 1986; J. CHELINI, L'Aube du Moyen
rites funéraires et
Âge, Paris, 1991; C. TREFFORT, L'Église carolingienne et la mort. Christianisme,
du début du vif au
pratiques commémoratives, Lyon, 1996; L. Feer, Église et société en Occident
De la destructi on à la restaurati on. L'idéologie du
milieu du xF siècle, Paris, 2004. Th. DeswarTe,
royaume d'Oviedo-Leon (vii-xf siècle), Turnhout, 2003.
Pour la culture:
and Letters in
J. DE GHELUINCK, Littérature latine au Moyen Âge, Paris, 1939; M. LAISTNER, Thought
et
Western Europe, A.D. 500-900, Londres, 2° éd., 1957. La meilleure synthèse est P. RicHé, Écoles
enseignement dans le Haut Moyen Âge, Paris, 1989. L'ensemble de la culture carolingienne est
revu par M. Sor, Un historien et son Église. Flodoard de Reims, Paris, 1993.
- pour le premier, l'empire de Charlemagne est un monde agraire replié sur lui-même sans
aucun lien avec l'économie maritime. Cette thèse de la coupure due à l'Islam a été en grande
partie contredite par E. Sage: « L'importation des tissus orientaux en Europe occidentale au
Haut Moyen Âge, x° et x° siècles », dans Revue belge de Philologie et d'Histoire, t. 14, 1935,
p. 80-107;
La rénovation de la civilisation par les Carolingiens
— pour le second, les besoins musulmans en fer, bois et esclaves ont créé un commerce avec
l'empire carolingien, l'Islam payant en or. Cette thèse de l'injection d'or musulman en Europe
a été contestée par Ph. GRIERSoN, « Carolingian Europe and the Arabs:the myth of the mancus »,
dans Revue belge de Philologie et d'Histoire, t. 23, 1954, p. 53-75. Une synthèse des positions
avec leur critique a été faite par E. Perroy, « Encore Mahomet et Charlemagne », dans Revue
historique, t. 21, 1954, p. 24-43. Une nouvelle mise au point a été faite sous la direction de
A.F. Havic-Nursr, The Pirenne thesis, analysis, criticism and revision, Cambridge, 1976.
Il faut terminer avec la synthèse mise à jour de J. DHonor par M. Roucr, Le Haut Moyen Âge, vuf-
x° siècle, Paris, 1976 et la consultation des Actes des Settimane di Spoleto, notamment, t. 6,
La Città nell'alto Medioevo, 1959; t.8, Moneta e scambi nell'alto Medioevo, 1961; t. 7, L'Occidente
e l'Islam, 1965; t. 13, Agricoltura e mondo rurale in Occidente nell'alto Medioevo, 1966; et surtout
t. 1, Problemi della civiltà carolingia, 1954 et t. 27, Nascità dell'Europa ed Europa carolingia :un
equazione da verificare, 1981. Voir également P. Touserr, L'Europe dans sa première croissance,
Paris, 2004; J.-P. Devroey, Économie rurale et société dans l'Europe franque (v£-x siècle), 2 vol. Paris,
2003; L. FeLer, La Fortune de Kazol. Marché de la terre et liens personnels dans les Abruzzes au haut
Moyen Âge, Rowe, 2005; Paysans et seigneurs au Moyen Âge vuf-xw siècle, Paris, 2006; C. WickHam,
Framing the Early Middle Ages, Oxford, 2005.
L'échec de l’unité carolingienne
(840-888)
de division, ni
L'Empire de Charlemagne, l'idéal de Louis le Pieux, ne purent ni freiner les causes
moyens d'assurer l'ordre
accélérer l'unité. Techniquement parlant, les Carolingiens n'avaient pas les
révèle, même sous un déguisem ent
dans un aussi vaste empire. La résurrection de l'Empire romain
fils de Louis le Pieux conduisen t à une divi-
franc, un idéal sans lien avec la réalité. Les querelles des
vagues
sion définitive de l'Europe en trois royaumes et à la disparition de l'Empire. De nouvelles
des Vikings, achèvent cette séparation . L'œuvre carolingie nne est
d'invasions, en particulier celles
alors bloquée dans son essor; institution s, sociétés et économies doivent réenvisage r leur situation
respective devant un « État » qui n'est pas arrivé à jouer son rôle.
B La disparition de l’Empire
Le sort de l’Empire pendant la deuxième moitié du ix° siècle
montre bien qu'il se vide inexorablement de toute réalité. Les
trois frères essayèrent de vivre en bonne entente: ce fut le
régime dit de fraternité qui dura à peu près jusqu’à la mort de
Lothaire en 855, malgré des heurts et des alliances à deux
conclues au cours de nombreuses entrevues. Mais lorsque
l’empereur fut mort en laissant son territoire partagé entre ses
trois fils, le titre subit une nouvelle dégradation. En effet, Louis
Il ne possède que l'Italie, tandis que Charles obtient la Provence (es
et Lothaire II, la Lotharingie proprement dite. Oncles et neveux pouce
cf. p. 85.
ne tardèrent pas à s'opposer. En 858, Louis le Germanique,
allié avec l’empereur, tenta d’envahir la Francie occidentale et
d'en expulser Charles le Chauve, qui fut sauvé grâce à l'inter-
vention énergique du clergé de son royaume dirigé par Hincmar.
Puis la crise du divorce de Lothaire II (861-869) fit intervenir
vigoureusement dans les affaires d'Occident le pape Nicolas I”,
qui devint ainsi l'arbitre du monde carolingien. Comme
Lothaire II mourut sans héritier, le partage de son royaume
entre les rois de Francie orientale et de Francie occidentale à
Meersen, le 8 août 870, fut à l’origine d’une rivalité qui dura
jusqu'aux alentours de l’an Mil. Charles le Chauve, après avoir
acquis une bonne part de la Lotharingie et augmenté son lot
de la Provence, apparut alors comme le seul homme fort de
l'Occident. Après la mort sans héritier de l’empereur Louis Il,
le monde intellectuel clérical estima que Charles pouvait réta-
blir l’unité impériale. Soutenu par la papauté, le fils de Louis
le Pieux fut proclamé empereur. En fait, sa politique impériale,
entre 875 et 877, ne fut qu’une longue série d'échecs face aux
fils de Louis le Germanique et aux révoltes italiennes. L'Empire
resta vacant de 877 à 881, tandis que des trois fils de Louis le
Germanique, seul Charles le Gros parvenait à réunifier la
Francie orientale et à établir une nouvelle entente entre les
rois carolingiens. C'est pourquoi, à la demande du pape, il fut
couronné empereur. En juin 885, il avait même reconstitué
théoriquement l'unité de l’Empire franc. Alors apparurent les
Louis |° le Pieux
empereur (1) 814-840
ee]N
L'échec de l'unité carolingienne (840-888)
M Les Vikings
Le royaume de Charles le Chauve fut d'autant plus visé qu'il
était le plus attirant. Duurstede fut pillée en 840, Quentovic
PARTIE 1 » Le Haut Moyen Âge occidental (410-1050) ©... 0
É, 346, À. La colonisation des îles Shetland et Far Oer fut suivie de celle
de l'Islande à partir de 870. En Irlande, de petits royaumes
norvégiens se créèrent sur les côtes, en guerre continuelle avec
les roitelets irlandais. En Angleterre, où les raids avaient com-
mencé dès 793, la menace fut beaucoup plus grave. À partir
de 866, la Northumbrie fut conquise, puis la Mercie, puis
l'East-Anglie. C’est alors que se révéla le plus grand homme
d'État anglo-saxon de cette époque, Alfred (871-899), roi du
Wessex. Par ses victoires, et notamment par la prisé .de
Londres, il parvint à bloquer l'avance danoise en laissant par
traité de paix aux envahisseurs un territoire qui comprenait
plus du tiers de l’île, et qui fut appelé le Danelaw.
M Les Sarrasins
Le même phénomène se produisit en Méditerranée. L'apparition
en Tunisie d'un nouvel émirat, dirigé par les Aghlabides, ren-
força la piraterie musulmane. À partir de 827, les Sarrasins
s’attaquèrent à la Sicile byzantine qu'ils conquirent ville après
ville: la dernière, Taormine, succomba en 902. De là, ils ne
furent que plus à l'aise, malgré la résistance de Louis II et des
Byzantins, pour installer des bases dans la péninsule: Bari,
Tarente, et surtout celles qui furent les plus néfastes pour
l'habitant, La Garde-Freinet en Provence (à partir de 888] et la
base de l'embouchure du Garigliano {après 882). Ces bases leur
permettaient d'aller impunément piller les monastères et les
villes de l’intérieur et de se livrer en toute quiétude à la chasse
L'échec de l'unité carolingienne (840-888)
L'état de la recherche
L'archéologie maritime
Les fouilles archéologiques de tombes à bateau dans les pays anglo-saxons, frisons et scandinaves
ont permis d'augmenter considérablement nos connaissances sur les causes de la création de l'es-
pace économique maritime de la mer du Nord et la supériorité des techniques navales des Vikings
par rapport à l'Empire carolingien.
D: v® au xfsiècle s'échelon- troncs de chêne ou de sapin mais le plat bord étant bas, il
nent les découvertes des fendues dans le sens de la devait facilement embarquer
bateaux de Nydam (Schleswig), longueur. Elles sont donc très l'eau, ce qui nécessitait d'éco-
d'Utrecht (Pays-Bas) de Sutton élastiques. Elles sont posées per souvent.
Hoo (Suffolk, Grande-Bretagne), non point bord à bord mais
de Kvalsund (Norvège), de posées en partie sur la précé-
Vendel (Suède), de Gockstad partir du vf siècle, le
dente et liées entre elle par
et d'Oseberg (Norvège) enfin gréement, le mât et la
des clous rivetés. Une planche
de Roskilde (Danemark). Ces voile rectangulaire appärais-
de carlingue d'un seul tenant
bateaux-tombes contenant le sent, ceci évidemment avec
tient lieu de quille. À l'arrière
corps d'un chef de guerre avec un retard considérable sur la
droit une rame sert de gou-
tous ses objets familiers, ses Méditerranée. La quille est
vernail latéral. Trente tolets alors nécessaire pour sup-
armes et parfois même les corps permettent aux trente rameurs
de ses serviteurs témoignent porter l'implanture du mât.
de faire avancer le bateau qui Désormais la navigation en
d'abord des croyances paiennes n'a point de mât. Celui de
de ces peuples en une conti- droiture et non en cabotage,
Nydam qui a dû permettre aux est possible et même en haute
nuation de la vie terrestre dans
Anglo-Saxons de débarquer mer. Il y un mât secondaire sur
l'au-delà. Ils furent retrouvés
en Grande-Bretagne faisait le bateau d'Oseberg. Si les
presque intacts, conservés par
un peu plus de 23 mètres de dimensions restent à peu près
l'énorme tumulus de terre qui
long et presque trois mètres les mêmes on constate que les
les recouvrait.
de large, la coque allant en se performances augmentent.
rétrécissant vers les extrémités Une réplique exacte du bateau
[5 progrès des techniques effilées. Le tirant d'eau faible de Gokstad a pu traverser faci-
est continuel. Les planches permettait d'échouer facile- lement l'Atlantique, ce qui cor-
sont fabriquées à partir de ment le bateau sur une plage, robore la saga d'Éric le Rouge
L'échec de l'unité carolingienne (840-888)
Bibliographie
Se reporter d’abord aux bibliographies des chapitres 1 et 4, avant de consulter R. Dion, Les
Frontières de la France, Paris, 1947 : J. CALMETTE, L'Effondrement d'un Empire et la Naissance d'une
Europe, Paris, 1941 ; P. ZumrHor, Charles le Chauve, Paris, 1957; F. Lor, Naissance de la France, Paris,
rééd., 1971: J. Devisse, Hincmar, archevêque de Reims, 3 vol., Genève, 1975; P. RicHé, Les
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G. Buurer-THierry — Ch. Meriaux, La France avant la France 481-888, Paris, 2010; Collectif, Eltiempo
de los Barbaros, Madrid, 2002.
Pour le maintien de la culture, voir J. Huserr, L'Art préroman, Paris, 2° éd., 1939; P. ZumTHoR,
Histoire littéraire de la France médiévale (vf-xvf siècle), Paris, 1954.
et Allemands
Pour le partage de l’Empire, voir C. R. Bruk., Naissance de deux peuples. Français
(pe-xf siècles), Paris, 1995.
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Sur les invasions, H. Argmann, The Vikings, Londres, 1962; P-H. Sawver, The Age
J. STEENSTRUP,
Londres, 1962; Fr. H. Sawver, Les Vikings, Paris, 1965; Fr. Durano, Les Vikings, Paris, 1965;
en Belgique
Les Invasions normandes en France, Paris, 1969; A. D'HAENENS, Les Invasions normandes
A. D'HAENENS, Les Invasions normande s, une catastrop he ? Paris, 1971;
aux siècle, Louvain, 1967;
1965, et 16,
et les t. 7, 1.2, des Settimane di Spoleto, L'Islam e l'Occidente nell'alto Medioevo,
Medioevo, 1969. L. Musser, Les invasions germa-
| Normani e la loro espansione in Europa nell’ Alto
2° éd., 1971; P. H. Sawver, The Oxford
niques, le second assaut contre l'Europe chrétienne, Paris,
Illustrated History ofthe Vikings, Oxford, 1997.
Les dernières invasions,
l'éclatement féodal et le nouvel
Empire (888-1002)
de siècle obscur,
Le x siècle est une époque haute en contrastes, qualifiée par certains historiens
et ses violences ne sont que la preuve
par d’autres de nouvelle renaissance. En fait, ses désordres
dernières invasions scandinave s, sarrasines et hon-
d'un nouvel équilibre qui se cherche. Une fois les
ques se consoliden t tandis que d’autres naissent. L'ancien
groises terminées, les États périphéri
princi-
domaine de Charlemagne voit triompher à l'Ouest des principautés territoriales, à l'Est des
nnes archaïques qui finissent par aboutir à la création de l'Empire germaniqu e.
pautés carolingie
M Sarrasins et Hongrois
En Méditerranée, les Sarrasins ne furent que très lentement
délogés. Ils gardèrent même les Baléares, prises en 902, et toute
Les dernières invasions, l'éclatement féodal et le nouvel Empire (888-1002)
EH Les reconstructions
Les conséquences de ces invasions au niveau de l’Europe furent
importantes. Une fois la peur disparue et les dégâts réparés,
on s’aperçut qu’elles avaient renforcé les États périphériques
et confirmé les fragmentations régionales dans le domaine
carolingien.
En Angleterre
En effet, les apports nordiques sont particulièrement nets en
Normandie et en Angleterre, au niveau du droit et des tech-
niques maritimes. Les rois anglo-saxons à partir d'Alfred (871-
899] incarnèrent l’idée de l'unité anglaise. En créant une armée,
une flotte et un code de droit commun à tous les Saxons de
l'Ouest, le roi concrétisa l'unité nationale, ainsi qu’en traduisant
en anglo-saxon l'Écriture, des ouvrages patristiques et surtout
l'Histoire ecclésiastique de Bède. Cette renaissance anglo-
saxonne explique la faible influence des conquérants
scandinaves.
En Espagne
Le royaume chrétien a surtout lutté contre les musulmans.
Alphonse III (866-911) parvint jusqu'aux bords du Douro. Il
poussa, comme ses prédécesseurs, à la colonisation rurale de
l'immense no man's land qui séparait l’État chrétien de l'État
musulman. Le sud de la Galice comporte aujourd’hui mille
quatre cents noms de lieux wisigothiques, témoins de ce repeu-
plement. Il fortifia Burgos et couvrit la région de châteaux, au
point qu’elle prit le nom de Castille. Son comte Fernan Gonzalez
(923-970) se rendit indépendant et en fut le premier souverain.
À l'Est, en 905, la Navarre s’érigea en royaume. Dans les hautes
vallées pyrénéennes s'éveilla l’Aragon. Enfin, la marche franque
d'Espagne se détacha lentement de la Francie. De 878 à 897,
Wilfred le Velu, dernier comte de Barcelone nommé par le roi
de Francie occidentale, fortifia son pouvoir local, s’appropria
les droits fiscaux et rendit le titre de comte héréditaire dans sa
famille. Il fut quasiment indépendant, se contentant d’un
PARTIE 1 # Le Haut Moyen Âge occidental (410-1050)
de
théorique serment de fidélité au légitime souverain. Autour
musulm ans purent certes razzier Barcelo ne et
lan Mil, les
Saint-J acques- de-Comp ostelle , mais les princes chrétie ns
étaient en réalité très puissants. Depuis 906, les pèlerins étaient
L
très nombreux à se rendre à Saint-Jacques-de-Compostelle.
Cluny, p. 105. Leurs liens religieux avec l’ordre monastique de Cluny, leurs
attaches dynastiques avec les nobles français, rendirent ces
princes espagnols batailleurs perméables aux nouveaux cou-
rants européens. L'expansion de la principale capitale, Léon,
vers lan Mil, avec ses trois faubourgs, ses six églises extérieures
au rempart et son marché royal, le prouvaïit.
En Italie
L'extrémité méridionale de la péninsule italienne est encore
morcelée. L'empereur d'Orient est toujours maître de la Calabre
et de la Pouille. Il parvient à reprendre Bari et Bénévent et à
faire entrer dans sa clientèle les princes lombards de Bénévent,
d'Apulie et de Capoue. Même les grands ports, Amalfi, Gaète
et Salerne reviennent dans l'orbite byzantine, surtout lors du
règne triomphal de Basile II (976-1025). La culture grecque y est
particulièrement brillante, tant dans les monastères que dans
certaines villes épiscopales bien que le clergé latin ne vive pas
en bonne intelligence avec le clergé oriental. De toute façon,
l'influence byzantine est prédominante, en particulier dans le
domaine de l'architecture et de l’enluminure grâce aux monas-
tères de Rossano et de Tarente. Le monde des affaires se déve-
loppe à Gaète et Amalfi, grâce au commerce avec Constantinople.
Mais c’est surtout Venise qui profite de ses liens (de plus en plus
théoriques] avec l’Empire. Non seulement les doges sont en bons
termes avec les rois de Germanie, et font de la contrebande avec
l'Islam (poix et bois pour les bateaux, fer pour les armes, esclaves
pour la chiourme), mais encore ils parviennent, en prêtant leur
flotte aux Byzantins pour lutter contre les Bulgares, à obtenir
en échange de gros avantages commerciaux (992) dans le port
de Constantinople, notamment une diminution de moitié des
Doc: déformation vénitienne droits de douane sur leurs marchandises. En 996, le doge Pierre
du titre byzantin de dux. Voir Il Orseolo attaque la Dalmatie, s'empare de Zadar, Biograd,
DS: Trogir, Split et Raguse [Dubrovnik]. En 1000, il se proclame duc
des Dalmates. Après avoir anéanti le nid de pirates slaves de
l'estuaire de la Neretva, les Vénitiens repoussent les musulmans
en 1002-1003 hors du canal d'Otrante. L'Adriatique est devenue
un lac vénétien. Venise, trait d'union entre l'Occident et l'Orient,
est prête à prendre son essor.
Aux marges de l’Europe
Ainsi les marges de l’Europe occidentale passent peu à peu de
la défensive à l'offensive. De plus, elles s’élargissent par l’appa-
rition de nouveaux États. Sous l'influence des missions chré-
tiennes, des rois convertis organisent des ensembles politiques
qui échappent à l'influence germanique. C'est le cas du
Danemark avec Harald à la Dent bleue, baptisé en 966, de la
Norvège avec Olaf Tryggvasson qui propage activement la foi
ALTHING : assemblée de tous les nouvelle avant de mourir en 1000. La même année, l’Althing
hommes libres d'Islande. d'Islande accepte officiellement le christianisme. Le pape
Les dernières invasions, l'éclatement féodal et le nouvel Empire (888-1002)
Sylvestre Il, en créant deux métropoles, Gniezno pour les MÉTROPOLE :terme ancien pour
Polonais et Esztergôm pour les Hongrois, soustrait ces jeunes désigner un archevêché, lequel
États aux ambitions germaniques. C'était reconnaître que regroupe plusieurs évêchés.
Voir p. 68.
Miezko et son peuple convertis en 966 d’un côté, et Vajk baptisé
sous le nom d’Etienne en 995 de l’autre, faisaient entrer Polonais
et Hongrois dans le cadre d’une civilisation occidentale variée,
qui a renoncé à l'unité carolingienne.
des-
s'étend jusqu'aux comtés de Mâcon et de Lyon, mais ses
cendants se font enlever des territoi res et le titre par le comte
du Poitou, tout en étant tenus en échec par la famille de
Raymond, fondateur du comté de Toulouse. Poitou et Aquitaine
sont en rivalité continuelle pendant tout le x° siècle. Sur la rive
gauche de la Garonne, une famille comtale parvient à s'impo-
ser et s'approprie le titre de duc de Gascogne après 977. Dans
le nord de la Bourgogne, Richard, comte d’Autun, Mâcon et
Chalon finit, à partir de 890, après avoir agrandi ses posses-
sions, par se faire reconnaître le titre de duc de Bourgogne par
le roi. En Bretagne, toujours indépendante, les comtes locaux
se disputent le titre de duc pendant tout le siècle, à l'inverse
de la Normandie, où nous avons vu l'extraordinaire pouvoir
centralisé de la famille ducale. Dans le Nord, un comte de
Flandre, Baudouin, profite des invasions scandinaves pour créer
sa principauté. En 891, il s'empare de l’Artois, s'en fait recon-
naître la possession par Eudes et fonde une autre principauté.
Enfin, la famille d'Eudes, qui vient d'obtenir la royauté en 888,
est elle-même issue d’un comte, Robert le Fort, installé par
Charles le Chauve en Touraine, en Anjou et en Blésois. Elle y
ajoute le comté de Paris et de nombreuses abbayes.
deux
et l’oblige à devenir vassal. Il crée, sur l'Elbe et la Saale,
marches, qu'il confie l’une à Hermann Billung, l’autre à Gero.
Tandis qu'ils atteignent l’Oder par leurs attaques répétées, le roi
crée un monastère à Magdebourg en 937, transformé en évêché
en 955, puis en archevêché en 968, pour en faire la base de départ
des missions en pays slave. Dès 947, trois nouveaux évêchés
apparaissent. Enfin, sa retentissante victoire du Lechfeld sur les
Hongrois le 10 août 955 fait de lui le sauveur de l'Occident.
Witukind, moine de Corvey en Saxe, sut dans ses Res Gestae,
louer la gloire du peuple guerrier saxon, vainqueur définitif des
hordes orientales. Il est désormais Otton le Grand, celui qui a
DranG nach OSsTEN: marche déclenché l'expansion germanique vers l'Est, le Drang nach
vers l'Est; mouvement de peu- Osten. Que l’on ajoute à cela l'incorporation de la Lorraine, qu'il
plement et de défrichement arrache au roi de Francie à partir de 942 et à la tête de laquelle
germaniques chez les Slaves.
il met son frère Brunon, déjà archevêque de Cologne, et, pour
finir, la vassalité dans laquelle est constamment maintenu le
roi de Bourgogne! Otton est déjà plus qu’un roi, il est « le tuteur
et le proviseur de l'Occident ».
En
Robert. En effet, le règne d’Eudes (888-898) avait été une catas-
trophe. Après avoir abandonné, l'usage des missi dominici et
dominici, p.65.
avoir considérablement amoindri ce qui restait du fisc royal,
Eudes avait laissé la place à l'héritier carolingien légitime,
Charles le Simple. Malgré sa conquête de la Lorraine, ce dernier
avait vu les nobles s'opposer à cet accroissement de puissance,
l'incarcérer en 922, élire Robert, le frère d'Eudes, puis Raoul,
duc de Bourgogne (923-936). Le fils de Robert, Hugues le Grand,
rendu prudent par ces mésaventures, fit élire un carolingien,
Louis IV (936-954). Vaincu à la fin du règne, il dut laisser le fils
de Louis IV, Lothaire, monter sur le trône. Trop jeune, celui-ci
fut placé sous tutelle de Brunon, archevêque de Cologne. Cette
protection germanique empêcha la royauté française de dispa- S L
raître, mais aussi de se relever, tandis que le fils de d'Hugues le
Grand, surnommé Capet à cause des nombreuses chapes d'abbé Abbé laïc, p. 67.
laïc qu'il détenait, guettait le moment où Lothaire en serait
réduit à la dernière extrémité. Duc des Francs, théoriquement
duc d'Aquitaine et de Bourgogne, il est plus puissant que
Lothaire, réduit aux domaines d’Attigny, Compiègne et Laon.
De plus, Lothaire, en tentant à plusieurs reprises de réoccuper
la Lorraine, fait peur à l'archevêque de Reims, Adalbéron, et au
maître de l'école de Reims, Gerbert d'Aurillac, partisans d'Otton.
Ceux-ci misèrent alors sur Hugues Capet après le court règne
de Louis V (986-987). Ils le firent élire à l'unanimité par les
grands et sacrer roi à Noyon le 3 juillet 987. Hugues Capet eut
beau faire disparaître l'héritier carolingien légitime en prison
et faire sacrer roi son fils Robert de son vivant, il n'était qu'un
parvenu, possesseur de quelques terres éparses entre Senlis et
Orléans, soumis à l'influence de l’Empire.
Ainsi l'équilibre politique n'existe pas vraiment au début du
xr siècle dans l’Europe chrétienne. Malgré tout, l’ère des grands
bouleversements est close. L'élan vers l’ordre est définitive-
ment donné. Le renouveau a commencé. Les Barbares ont été
intégrés dans des royaumes chrétiens qui tournent les yeux
vers Rome. La Rome antique, prise en 410, est bien morte, la
Rome franque de 800 n’a pu faire l’unité, la Rome universelle
de l'an Mil n’est qu’un mythe. Mais ce mythe politique ani-
mera tout le Moyen Âge, et jusqu’à son plus grand poète:
Dante.
PARTIE 1 Le Haut Moyen Âge occidental (410-1050)
L'état de la recherche
L'archéologie des mottes féodales
puis des chatellenies corres-
La fin de l'empire carolingien et la création des principautés féodales,
des fonction naires s'implantant sur
pond à une phase d'accaparement des prérogatives roya les par
ou les Sarrasins pousse alors ces chefs
leurs circonscriptions. L'insécurité entretenue par les Vikings
ion. Ainsi se créent des unités de commandement
improvisés à s'emparer du droit royal de fortificat
ions originale s: les mottes féodales. Un exemple de sei-
et de pouvoir appuyées sur des construct
féodale et château se trouve dans M. RoucHE — M. JANTZEN — À. CRETÉ
gneurie ecclesiastique avec motte
— N. Lapiace, L'église de Bredons, Aurillac, 2008.
endant la première moitié ais bientôt une innovation a tour construite au sommet
l'emporte après 960, la de la motte comporte un
du x siècle, rois, princes et
motte. Il s'agit d'un amoncel- ou deux étages reliés par des
évêques (lesquels ont parfois
lement de terre d'un diamètre échelles. Au rez-de-chaussée
reçu ce privilège régalien)
variant de 50 à 100 mètres, d'une sont accumulées les provisions,
s'efforcent de bloquer ces
hauteur moyenne de 15 mètres. à l'étage vivent et couchent le
constructions de mottes. Le
Le sommet sert à y élever une châtelain et sa famille.
comte de Flandres en 946
tour d'abord en bois. La motte
construit une motte avec une es mottes castrales qui
est entourée d'un fossé, mis
tour en bois à Douai, mais le bese multiplient dans le
en eau si possible, tandis que
roi de France Lothaire s'en la terre extraite du fossé sert à royaume de France entre 990
empare et y ajoute une deu- construire un rempart circulaire et 1050 sont de plus en plus
xième motte en 967. En 977, surmonté d'une palissade de complexes. Soit elles dominent
l'évêque de Cambrai fait raser pieux épointés. la basse-cour en se tenant sur
en une seule nuit la motte une extrémité, et dans ce
édifiée clandestinement par cas elles constituent l'ultime
un chevalier à Vinchy aux FE:général, mais pas toujours, refuge en cas de siège, soit
confins de son territoire. Mais cet ensemble est doublé par elles barrent l'accès à la basse-
le mouvement finit par devenir une grande enceinte, ou basse- cour. Leur situation dépend
irrésistible. Ces constructions cour, fermée par une autre levée des orientations politiques ou
sont élevées souvent dans les de terre avec une palissade et un militaires de leur auteurs. Soit
zones de marche, forestières fossé. Pour entrer, dans la basse- elles ont été bâties aux fron-
ou marécageuses, sortes de cour puis dans la motte propre- tières d'une circonscription,
no man's land où l'autorité du ment dite, deux accès sont duché ou comté, bien délimité,
prince est plus lointaine. C'est aménagés sous forme d'une soit dans des zones où il n'y a
porte creusée dans le talus et pas de pouvoir réellement
le cas de la Lotharingie et de
surmontée d'une tour-porche, exercé.
la Champagne, du Vexin, etc.
chacune des deux portes étant
Au nord de la Loire, ducs et
précédée par un pont ou une ans le premier cas il s'agit
comtes résistent plus long-
passerelle en bois, franchissant de garder et surveiller le
temps en Flandre, Picardie, territoire par des tours de garde
le fossé et facilement levable et
Normandie et Mâconnais. Au contre un ennemi plus ou
retirable.
sud en Auvergne, Limousin, moins permanent (Gascogne
Rouergue, et Provence les contre les Basques, Catalogne
usurpations individuelles sont DX* la basse-cour se trou- contre les Arabes). Dans le
plus précoces. Souvent il s'agit vent, écuries, silos, greniers second cas il s'agit de gagner
d'anciens complexes forti- et granges, logement des à la culture des terres en friche,
fiés naturellement, plateaux hommes d'armes et parfois une comme les chevaliers paysans
rocheux (oppida) éperons chapelle. Il arrive même qu'il y du lac de Paladru. Soit enfin il
barrés, tour sur un piton, etc. ait plusieurs basses-cours. s'agit d'un acte de conquête
Les dernières invasions, l'éclatement féodal et le nouvel Empire (888-1002)
du territoire d'un adversaire continue après 1080. Cette des plaines à l'assaut des mon-
comme Foulques Nerra le fait course à l'établissement tagnes au fur et à mesure des
en construisant aux dépens du du pouvoir sur des unités progrès du peuplement. Ainsi
comte de Blois, vers 994, un territoriales anciennes puis la seigneurie, en exerçant le
donjon rectangulaire en pierre nouvelles aboutit à un émiet- droit de ban, en multipliant les
sur une motte (à Langeais).
tement féodal qui varie selon redevances sur une population
et élan de construction les régions. En Normandie, en pleine croissance a-t-elle
des châteaux, d'abord en Guillaume le Conquérant pour marque visible la motte
bois puis en pierre, sur des rétablit son monopole ducal et sa tour, même si la garnison
terres déjà peuplées, puis de fortifications. En Auvergne qui s'y trouve ne dépasse pas
sur des terres défrichées, mottes et châteaux partent la demi-douzaine d'hommes.
Bibliographie
Voir d'abord les bibliographies des chapitres 1, 4 et 5, avant de compulser le volume suivant
de la collection Glotz, A. Fuck, L'Europe occidentale de 888 à 1125, Paris, 1941 ; O. Berrouni, Roma
di fronte a Bisancio e ai Longobardi, Bologne, 1941; J. Perez DE Urget, R DEL ARcO Y Garay, España
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Empire, Paris, 1967 ; H. ZimmEermanN, Das Dunkle Jahrhundert, Graz, 1971.
R. Decorr et Ph. BRAUNSTEIN, Venise, portrait historique d'une cité, Paris, 1971 ; F. Dvornk, Les Slaves,
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t. 58, 2010.
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L'Aquitaine carolingienne, Toulouse, 1937. On ajoutera Ch. CHaumE, Les Origines du duché de
Bourgogne, 4 vol. Dijon, 1925, et M. Bur, La Formation du Comté de Champagne, Nancy, 1977;
F. Neveux, La Normandie des ducs aux rois (X-xif siècles), Rennes, 1998; N.-Y. Tonnerre, Naissance
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Pour la France:
Normands peu
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DELORT
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M. Parisse (dir.),
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Atlas de la France de l'an Mil, Paris, 1988; L. THeis, Robert le Pieux, roi de l'an
(dir.), Palais et Séjours royaux et princiers au Moyen Âge, Le Mans, 1996.
Lents renouveaux du x° siècle
se prétendre romains
Si les peuples de l'Europe ne sont plus au x° siècle des Barbares et ne peuvent
plan économiq ue, ils vivent déjà dans un monde qui
malgré l'idéal officiel, que sont-ils? Sur le
des langues et du peupleme nt, malgré la fragment ation féodale,
s'anime du Sud au Nord; sur le plan
sociaux se créent. L'Église, enfin, accablée par le poids des charges poli-
de nouveaux groupements
abri des cloîtres, tout
tiques qu'elle a assumées, tombe aux mains des laïcs et se rénove dans l'obscur
en inspirant la création artistique et littéraire, prémices d'un nouvel état d'esprit.
L. Destructions et reconstructions
EH Le réveil des campagnes
Sur le moment, Vikings et Musulmans semblèrent avoir fait
reculer, par leurs destructions, la vie rurale et la production
agricole. En fait, les dommages furent vite réparés. Les trou-
peaux n'avaient pas été partout enlevés, les chaumières brûlées
pouvaient être réédifiées rapidement. Bientôt, une certaine
augmentation démographique se devine dans la deuxième moi-
tié du siècle: les forêts du Mâconnais sont attaquées par les
défricheurs; en Auvergne, les défrichements ont même débuté
Complant: association entre à la fin du rx° siècle. En Flandre, à la même époque, on com-
un propriétaire et un paysan qui mence à dessécher les marais maritimes. En Espagne du Nord,
met la terre de son associé en Galiciens, Cantabres et Basques remettent en culture les terres
culture et en garde la moitié désertes de la rive droite du Douro, conjointement avec des
pour lui.
mozarabes émigrés de l'Espagne musulmane. En Italie, se mul-
tiplient les contrats de complant et de livello (Latium).
LiveLLo: contrat de 29 années, Cependant, ce ne sont que des signes avant-coureurs+ Rien
renouvelable par tacite recon- encore d’un grand mouvement. Quelques progrès techniques
duction, aliénant la terre d'un
apparaissent, avec un emploi du fer plus courant, puisque le
grand propriétaire en faveur
d'un paysan libre. fer à cheval se répand à partir du début du siècle et que la char-
rue à roues qui permet de retourner les sols lourds est utilisée
dans les pays germaniques, venant de l'Italie lombarde, et
atteint le Danemark à la fin du x° siècle. En même temps se
développe le collier d'épaule, tandis que le moulin à eau se fait
moins rare.
d'autres cités, des guildes apparaissent, à Tiel sur le Rhin, qui Guilde, p.152.
M Le commerce
La fonction commerciale, elle aussi, continue malgré les inter-
ruptions dues aux guerres et aux troubles. Les pirates vikings
se transforment facilement en marchands et fréquentent cou-
ramment le port de York dans la deuxième moitié du siècle.
Les Anglo-Saxons reprennent le chemin de Rome par les cols
alpestres, où des droits de douane spéciaux leur sont accordés,
et Pavie, où ils rencontrent Vénitiens, Amalfitains, Salernitains
et Gaétanais. Les moyens monétaires deviennent plus abon-
dants, les trésors razziés par les Vikings reviennent dans la
ARGENT HACHÉ: Morceaux
circulation sous la forme d'argent haché. Otton le Grand ouvre d'argent coupés à la hache pour
les mines d'argent du Rammelsberg en Saxe. Si les ateliers servir de moyens d'échange.
monétaires ont tous été accaparés par les princes et seigneurs
locaux laïcs ou ecclésiastiques, cette abondance des frappes
PARTIE 1 Le Haut Moyen Âge occidental (410-1050)
x Ailleurs
Cet état de choses règne particulièrement entre la Loire et le
Rhin. Ailleurs, l’évolution vers une société féodale s’est plus
ou moins interrompue.
& La noblesse
Quoi qu'il en soit de son organisation en groupes bien ordon-
nés ou en lignages fluctuants, la noblesse européenne existe
PARTIE 1 Le Haut Moyen Âge occidental (410-1050)
P..
& Simonie et nicolaïsme
La puissance de la noblesse en Francie et celle du roi en
Germanie vient de leur mainmise sur l’Église. L'essor de la
Avoué, p. 65. féodalité s’est fait aux dépens des clercs. Les avoués se sont
taillé des fiefs dans les domaines ecclésiastiques. Rois et princes
nomment évêques et abbés laïques, exigent d’eux les services
d’ost et d'assistance aux tribunaux. Devant les usurpations de
biens fonciers par les laïcs, les gens d’Église entrent alors à leur
tour dans les liens de féodalité, même s'ils ne pratiquent pas
officiellement la recommandation par les mains. Il leur faut
défendre leur domaine, certes, mais leur inclusion dans ce
monde guerrier, la pratique des droits de frappe monétaire,
l'exercice du droit de ban leur font rapidement oublier leur
statut religieux. De la défense, ils passent à l'accroissement de
leur domaine par tous les moyens: dons extorqués en spécu-
lant sur la peur de l'enfer, ventes des sacrements, etc. Tout
cela était souvent exigé par le propriétaire de l’église rurale ou
de l'évêché qui prélevait sa quote-part sur les bénéfices du clerc
ou, plus souvent encore, vendait au postulant la charge épis-
copale, abbatiale, ou paroissiale. À ce trafic entre clercs et laïcs
s'ajoutait celui qui régnait dans le monde clérical. Voici les
plaintes d’un clerc, par exemple: « Je viens d’être ordonné
évêque par mon archevêque; j'ai donné cent sous pour qu’il
me conférât l’épiscopat. »
Depuis le serf ignare affranchi par son châtelain pour devenir
curé du village jusqu’à l'évêque qui désigne son fils comme
successeur à sa mort, jamais l’Église ne fut aussi abaissée. La
papauté elle-même tomba aux mains de l'aristocratie romaine,
Lents renouveaux du x° siècle
er
Enfin, les moines prirent l'habitude de se faire tous ordonn
ration de
prêtres pour célébrer quotidiennement la conséc
l’histoi re de
l’'Eucharistie. Avec le moine-prêtre, une page de
tion
l'Église est définitivement tournée. Désormais, la concep
des
augustinienne et carolingienne qui séparait les clercs
moines devient périmée . Une nouvell e milice chrétie nne aux
ordres de Rome voit le jour, prête à satisfaire les besoins d'ordre
et capable d'intervenir dans le monde grâce à son influence.
ce de
Trèves, Echternach, Cologne, etc. En général, l’absen
doré, l'attitu de hiérati que des personn ages,
perspective, le fond
ont pour but de créer une atmosp hère sacrée et de faire naître
un respect religieux.
La musique aussi a considérablement progressé au cours du
siècle. Ogier de Laon fait, dans le De Harmonica Institutione,
la théorie du contrepoint mélodique. Le chant à deux voix en
opposition ou en parallèle se répand. La polyphonie se déve-
loppe d’abord en Francie: le plus ancien texte en langue fran-
çaise, la Cantilène de sainte Eulalie, vers 980, était
9 L probablement chanté à l’aide d’une partition. En Germanie,
les musicographes de Reichenau, Bernon, Aribon de Freising,
Trope, p. 69. Hermann le Contrefait perfectionnent le plain-chant par l’'em-
ploi du trope. Enfin, l'orgue devient l'instrument fondamental
de la musique religieuse. Gerbert, vers 972, en perfectionne à
Reims la facture, tandis qu'en Angleterre à Winchester, appa-
raît dans la cathédrale un instrument à quatre cents tuyaux.
Au total, la même impression se dégage: suprématie de
l’Empire germanique appuyé sur l’héritage carolingien, mais
naissance des véritables nouveautés en Francie.
L'état de la recherche
Mutations ou non de l'an Mil
« Les ténèbres s'éclairent » écrivait R. S. Lopez en 1962 (Naissance de l’Europe) à propos des x° et
x£ siècles. Il présentait le Moyen Âge selon deux faces contrastées: l'Europe envahie du v‘ au x siècle,
l'Europe rayonnante du x° au xv siècle. Cette thèse du grand changement appuyée sur la phrase de
Raoul Glaber décrivant « le blanc manteau d'églises » apparaissant après l'an Mil, fut illustrée par des
travaux historiques nombreux avant d'être contestée récemment. Pour les uns tout bouge, pour les
autres tout continue.
BE les livres qui ont alentours de l'an Mil. Avant, trentaine d'exemples concer-
orienté la recherche vers les institutions carolingiennes nant ce village et arguant de
l'approfondissement de la résistent. Après, la seigneurie la continuité de l'esclavage
notion de mutation autour de châtelaine l'emporte. Mais antique démontrée par
l'an Mil, celui de Marc Bloch, La déjà sa notion de seigneu- M. Rouche dans sa thèse sur
Société féodale, pensé et écrit rie banale était contestée. l'Aquitaine ( Paris, 1979), Guy
vers 1939-1940, fut publié plus Certains estimèrent que Bois conclut que le schéma
tard. Il distinguait deux âges rien ne prouvait que le droit selon lequel à l'Antiquité
féodaux. Le premier serait germanique du ban, droit de correspond le moulin à bras
issu des troubles créés par les contrainte et de pouvoir, fut
et l'esclavagisme, au Moyen
invasions vikings, aux tour- accaparé par les châtelains.
Âge le moulin à eau et le ser-
nants des 1x° et x° siècles. Le vage, est à corriger. En réalité,
second, une reprise en main M en 1987, une opposi-
estime-t-il, le cas de Lournand
de la féodalité par l'État, aurait tion aux thèses de Marc
prouve que l'esclavage se
débuté vers 1100. Georges Bloch et de Georges Duby fut
termine en l'an Mil et qu'il est
Dusy, à propos de sa thèse sur posée par Guy Bois, avec son
ouvrage intitulé, La Mutation alors remplacé par le servage.
le Mâconnais en 1962, modifia
de l'an Mille :Lournand, village Les critiques ne manquèrent
cette chronologie et plaça la
mâconnais, de l'Antiquité au féo- pas de souligner la faiblesse
coupure entre le premier et
dalisme. À partir d'une petite documentaire de cette thèse.
le deuxième âge féodal aux
PARTIE 1 Le Haut Moyen Âge occidental (410-1050)
eci suscita une série d'entre eux. Il n'y aurait donc et chevaliers. Le servage
d'ouvrages plus appro- pas de premier âge féodal. La continue depuis l'Antiquité
fondis sur la question. Celui seigneurie châtelaine ne fait romaine. Il y avait en réalité
qui résume le mieux la nou- qu'encadrer les noyaux de par continuité des structures
velle tendance s'appelle Les défrichement sur les confins sociales, une « révélation féo-
Féodalités sous la direction des anciennes circonscriptions. dale » de 970 à 1150. Les peurs
d’E. Bournazel et de J.-P. Poly Les nouveaux pouvoirs issus de l'an Mil n'ont pas existé et
(Paris, 1998). Formulé dès 1980, des anciens fonctionnaires et n'ont donc rien changé dans
leur point de vue est celui de la violence chevaleresque les structures sociales.
d'historiens du droit sensibles ont créé un ordre féodal
aux significations politiques du achevé vers 1050, tandis que
vocabulaire féodal. Pour eux les clercs composent avec un e débat est largement
dans le royaume de France, les certain paganisme populaire Ge pour les autres
mouvements populaires de la rémanent. historiens européens qui
Paix suivis de la Trève de Dieu, estiment qu'il s'agit là d'une
à partir de 989, sont la preuve LS
ee thèse mutationniste querelle typiquement franco-
d'une grave crise sociale qui s'opposa bientôt celle française. Il a néanmoins l'avan-
permet à la « révolution » de l'anti-mutationnisme. tage de faire progresser la
ou à la « mutation » féodale D. Barthélémy en est l'actuel recherche. Il pose trois grandes
de triompher. Ce nouveau tenant dans La Société dans le questions. Quels sont les diffé-
pouvoir serait à l'origine de la comté de Vendôme de l'an Mil rents types d'esclavage depuis
grande expansion du Moyen au XIVE siècle. (Paris, 1993). Il l'Antiquité jusqu'en 918, date
Âge classique. n'y a pas de justice dégradée, de l'apparition du mot sclavus,
de chevalerie déchaînée, de preuve de la naissance de la
es fiefs se généralisent, paysannerie à la dérive. La traite moderne ? Pourquoi et
les paysans sont soumis société carolingienne était comment le lignage capétien
en dépendance sous le déjà féodale. Les cataclysmes, a-t-il démantelé l'État de 888
poids des « banalités », mais les constructions de châteaux à 1035? Quand l'hérédité des
avec maintien d'anciennes périphériques n'ont rien fiefs et des honneurs a-t-elle
solidarités et entrées dans changé. Deux strates aristo- été reconnue officiellement et
la noblesse des plus riches cratiques continuent, nobles définitivement?
Pour l’Église:
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Lents renouveaux du x° siècle
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Paris, 2008.
PARTIE
En Le renouveau de l'État
En Le renouveau du commerce
alité de la population de
Au Moyen Âge, la terre est tout. Elle procure sa subsistance à la quasi-tot
et de la puissance. Toute l'exis-
l'Occident. Elle est la base de la vie matérielle, la source de la richesse
agricoles. Mais, aux alen-
tence des hommes, même des citadins, est réglée par le cycle des saisons
à la limite de la famine,
tours de l'an mil, la terre est encore bien mal exploitée. Les hommes, vivant
isolées les unes des autres par
s'entassent sur d'étroits terroirs, des « clairières cultivées » (M. Bloch)
du »*° siècle, un effort
d'immenses déserts de bois, de broussailles et de landes. Pourtant, dès le milieu
hostile est entrepris . À son terme (x! siècle),
de conquête et de domination par l'homme d'une nature
d'exploit ation agricole modifiée s, la conditio n des pay-
les espaces cultivés sont élargis, les formes
Ces transfor mations du monde rural sont un des aspects de l'essor
sans dans bien des cas améliorée.
général de l'Occident, quand elles n'en sont pas à l'origine même.
dans des
principautés et rois favorisent la colonisation rurale
zones peu habitées ou disputé es. Planter des village s neufs,
des routes
c'est asseoir une domination contestée, contrôler
ne
et obtenir de nouveaux revenus. La croissance des Etats
peut être séparée de l'essor rural qui en assure les bases.
M L'organisation de la seigneurie
de
Du point de vue foncier, la seigneurie rurale est l’héritière
une héritiè re fidèle en Anglete rre, dans
la villa carolingienne,
s'écarte
le centre et le nord de l'Allemagne, mais qui ailleurs
de plus en plus du modèle ancien dès la fin du x‘ siècle. Comme
e
le domaine, la seigneurie est de taille variable: d’une centain
30 000 hectare s (Saint -Pierr e-de-L eeuw en
d'hectares à 20 ou
le
Brabant, Saint-Germain-des-Prés). Elle peut coïncider avec
terroir d’un village mais plus souvent compre nd des terres
dispersées sur plusieurs paroisses, parfois même sur plusieurs
régions. Le jeu des donations, des divisions et aliénations
modifie sans cesse ses contours, mais pas toujours dans le
sens d’un démembrement continu. Des temporels ecclésias-
tiques et même laïques ont résisté à la dégradation, et la réduc-
tion des biens domaniaux, plus précoce en Italie et en France,
plus tardive en Angleterre et en Allemagne, « s'étala sur un
demi-millénaire » (R. Boutruche).
leur
pressoirs seigneuriaux contre redevances, ou à écouler
Pour autant qu’on puisse le savoir,
vin après celui du maître.
es
toutes ces redevances, qualifiées d’exactions ou de nouvell
es, rapport aient plus que les profits tirés de la terre.
coutum
, minis-
MAIRE (mM4Jor) : ce mot désigne Une armée d'administrateurs, maires, prévôts, sergents
l'ancien du village, servant d'au- teriales, percevait tous ces prélèvements pour le compte du
xiliaire au prévêt. maître, non sans profiter de ces ponctions.
SERGENT :agent subalterne de
l'administration domaniale.
& Les franchises rurales
Prévôr :du latin praepositus. À
l'origine, intendant d'un Le caractère irrégulier et arbitraire des exactions banales ren-
domaine; ensuite, agent du roi. dit vite insupportable la « protection » seigneuriale. Dans un
monde rural en profonde mutation, la fuite, facilitée par l'appel
des entrepreneurs de colonisation, pouvait être un remède, à
condition que le nouveau joug fût plus léger. Le sort enviable
offert aux paysans dans les nouveaux villages ou dans les
terres conquises sur les Sarrasins en Espagne, menaçait de
dépeupler les anciens terroirs. C'était là un moyen de pression
pour arracher des privilèges, à tout le moins un allégement
des coutumes. Chartes de franchises, dont les plus célèbres,
et les plus souvent imitées, furent celles de Lorris en Gâtinais
et de Beaumont en Argonne (xu° siècle), fueros en Espagne,
statuti en Italie, records de coutume ou Weistümer en
Germanie, autant de textes, de nature diverse, qui apportèrent
aux paysans des « libertés », synonymes d’un sort meilleur.
Ces chartes codifient les usages, fixent les coutumes, préci-
sent les devoirs des dépendants dont elles suppriment les plus
dures obligations. Parfois elles reconnaissent quelques préro-
gatives administratives aux communautés paysannes, deve-
nues maîtresses de la justice, libres — rarement — de s'ériger
en communes ou en consulats. De telles concessions ne sont
jamais gratuites; des paysans s’endettent pour obtenir un
abonnement de la taille, des exemptions fiscales, l’améliora-
tion de leur statut personnel. Franchises ou libertés ne signi-
fient pas indépendance économique.
(homme propre de son corps) ou villain, utilisés en Allemagne ViLLains : le mot désigne en
et en Angleterre pour désigner des états de dépendance mou- Angleterre, à partir du xif siècle,
vants et sensiblement différents. Entre un esclave carolingien le paysan non libre.
et un serf du xmm° siècle, la distance est grande.
Le passage de l'esclavage au servage est un problème d’origine,
diversement résolu. Selon M. Bloch, la servitude, encore peu
répandue au 1x° siècle, a progressivement englobé non seule-
ment les descendants des esclaves casés de l’époque carolin-
gienne, et ceux d’affranchis et de colons incapables de résister
à la pression des maîtres, mais aussi des alleutiers dont le
niveau économique se dégradait alors que grandissait leur
besoin de trouver un protecteur. Vers 1200, la masse rurale
est en majorité composée de serfs, embrigadés dans le cadre
de la seigneurie et uniformément astreints à trois charges
spécifiques: le chevage, le formariage et la mainmorte. Au
xu' siècle, le progrès économique conduit les maîtres à accor-
der des affranchissements individuels ou collectifs, de telle
sorte que le servage est désormais le lot des plus démunis.
À cette fresque, ici simplifiée, la critique récente a apporté
des retouches, voire de sérieux remaniements. Avec fougue,
Léo Verriest a soutenu que les serfs du xrr° siècle, beaucoup
moins nombreux qu'on ne le pense, sont les descendants par
les femmes des esclaves carolingiens; il est vrai que le critère
déterminant est la naissance. Chevage, formariage et main-
morte ne sont nullement des redevances spécifiques du servage
et les affranchissements du xm° siècle ont eu une portée limi-
tée. Georges Duby, lui, discerne trois âges de la dépendance:
les serfs des x° et x1° siècles considérés comme « les descen-
dants directs des esclaves carolingiens », la masse rurale du
x1r° siècle confondue sous une même dénomination, une nou-
velle servitude réapparaissant vers 1175 et pesant sur les
hommes incapables de se libérer de certaines charges et inca-
pacités. Robert Boutruche enfin, refusant la coupure du
xur° siècle, définit deux âges dans l’histoire de la servitude:
jusque vers 1150, « un progressif arrachement à l'esclavage au
bénéfice d’une conception différente de la non-liberté », mar
quée par le poids plus lourd de contraintes personnelles et
fiscales frappant l’ensemble des ruraux, mais de manière iné-
gale selon les régions; « un nouveau servage » à partir de la
fin du xn° siècle, influencé par des définitions juridiques plus
claires de la liberté et de la non-liberté, redonnant vigueur à
des obligations exigées arbitrairement de tous ceux qui
n'avaient pu se ranger sous la loi commune des tenanciers
libres. Villains anglais, serfs de Champagne, de Bourgogne,
de Provence, de Lorraine et des marches germaniques, telles
étaient surtout les victimes d’une dépendance personnelle et
réelle (« l'attache à la glèbe »), tracassière et durable.
N'étant pas un
maîtres, est tenu à l'écart des ordres religieux.
il ne peut ester en justice ni dispos er librement
homme libre,
à la défense du
de ses biens; il ne participe généralement pas
e l'on ait vu en Germanie
village ou de la seigneurie quoiqu
ine servile , recevo ir l’'ado ubement
certains ministériaux, d'orig
Il ne peut se déplac er librem ent; il est à la merci
des chevaliers.
seigne ur exerça nt contre les fuyard s un droit de « suite »
du
ou de « poursuite », plus menaçant qu'efficace.
minime,
Le serf paie aussi certaines taxes, le chevage, redevance
ance
jadis acquittée par les affranchis et symbolisant une dépend
de formari age par lequel les maîtres ont
Formariace :taxe levée sur les personnelle; le droit
dépendants se mariant hors de assoupli l'interd iction de l’exoga mie imposée aux serfs. Ceux-ci
la seigneurie de leur maître. désirent-ils épouser un conjoint étranger à la seigneurie? Ils
doivent solliciter la permission du seigneur et le dédommager
s'ils quittent la seigneurie. Des règles minutieuses définissaient
la propriété des enfants nés d’unions entre deux personnes ne
dépendant pas du même seigneur ou n'ayant pas le même statut
personnel; dans ce cas, la macule servile était généralement, à
partir de 1200, transmise par le père à ses enfants. Enfin les
biens des serfs ne passent pas normalement à leurs héritiers qui
MainmorTe: les paysans doivent les racheter au seigneur, le serf ayant « la mainmorte »
dépendants ne peuvent rien en cette matière. Des usages se sont établis, variables selon les
tenir en propre; leur main est régions. En Angleterre et en Allemagne moyenne triomphe le
morte, ce qui signifie que,
lorsqu'ils meurent, leurs biens
système de l'échoite, le seigneur renonçant à ses droits en cas
doivent normalement revenir de succession en ligne directe ou s'emparant de l'héritage dans
au seigneur. le cas contraire. Ailleurs (Allemagne du Nord, Pays-Bas, France
du Sud}, le maître se contente d’une partie de l'héritage ou d'une
pièce de choix, le « meilleur catel », c'est-à-dire la plus belle
pièce de bétail.
Si l'on ajoute à ces exigences la taille « à merci », les corvées
dues par les serfs tenanciers, on mesure l'importance des pré-
lèvements effectués sur les serfs, sans compter les brimades
humiliantes qu'ils endurent. Sombre tableau, qu'éclairent à
peine les affranchissements individuels ou collectifs accordés
au x siècle. «
anciens serfs de leur contado. Enfin, en vendant la liberté, les ConrTapo: petites villes et
maîtres voulurent éviter que les serfs ne la prennent d’eux- campagnes sur lesquelles
mêmes, en fuyant vers les villes - qui n’acceptèrent pas tou- une grande ville étend sa
juridiction.
jours les intrus — et vers les villages neufs où, bénéficiant du
statut d'hôtes, ils pouvaient espérer échapper à la servitude.
S'endettant souvent pour obtenir des « libertés », les serfs
affranchis connurent une nouvelle forme de dépendance.
B Types de servage
Un tel recul du servage au xin° siècle n’est en Occident ni
général, ni simultané. Écartons d’abord les régions sans ser-
vage, Picardie, Normandie et Forez, Saxe et Lombardie. En
Germanie, où la société garde bien des traits archaïques, l’évo-
lution constatée ailleurs est plus lente. Une classe d'hommes
libres, relevant des tribunaux comtaux, s'est maintenue, tan-
dis que dès le xn° siècle un servage de forme réelle apparaît:
la concession d’une tenure servile par un seigneur attache le
tenancier au sol et le fait entrer dans les liens de la sujétion
héréditaire (Hôrig). Un servage personnel (Leibigen) astrei-
gnant à des services de caractère arbitraire et illimité s'ajoute
au groupe des censuales, hommes qui se sont donnés à un
établissement religieux et qui glissent au xm° siècle vers la
servitude. Le nombre des serfs est moins élevé en France qu’en
Germanie. En Angleterre, les strates inférieures de la paysan-
nerie, sokemen, bordiers, cottiers, passent sous le pouvoir privé
des seigneurs et forment un villainage héréditairement atta-
ché à la glèbe.
Le passage d’une forme de servage personnel, marquée par
l'attache héréditaire à un maître, à une forme de servage réel
— la terre déterminant la condition juridique de celui qui la
cultive — n’est en somme que le signe d’une différenciation
sociale progressive au sein du monde rural. Les paysans les
plus aisés, laboureurs, tenanciers devenus presque les maîtres
de leur tenure, ont secoué les vieilles dépendances et gagné
chèrement leur liberté; les « pauvres villageois », liés par un
nouveau servage, furent les victimes du progrès économique
dont tiraient profit leurs maîtres et leurs voisins.
L'état de la recherche
Le village médiéval
On considère généralement que la naissance du village n'est pas antérieure au xi° siècle. Elle implique
en effet un approfondissement de la sédentarisation, une organisation collective de l'espace habité
et des lieux de rencontre où s'exprime une sociabilité commune.
EL 7 D PA En D AS te CRE MEN
Bibliographie
Quatre manuels fondamentaux: G. Dusy, L'Économie rurale et la vie des campagnes dans l'Occi-
dent médiéval, 2 vol. Paris, rééd., 1978; G. Dusy et A. WaLLon (dir.), Histoire de la France rurale, t.1,
Paris, 1975; R. Fossier, Paysans d'Occident, Paris 1984, livre auquel on pourra adjoindre du même
auteur, Le Travail au Moyen Âge, Paris 2001; L. FeuLER, Paysans et seigneurs au Moyen Âge vir-
x siècle, Paris, 2006.
«Voulez-vous être mon homme? » « Je le veux. » Tout au long du Moyen Âge, seigneurs et vassaux ont
échangé ces formules rituelles que nous rapportent de nombreux actes de la pratique. Il n'était même
pas besoin de contrat pour sanctionner l'entrée d'un homme dans la vassalité d'un autre: un ensemble
de gestes, précisément réglés, accomplis devant de nombreux témoins, suffisait pour que se nouent
entre les membres des classes dominantes de la société des liens personnels et hiérarchiques. En son
sens étroit, technique, le mot féodalité désigne l'ensemble de ces liens unissant seigneurs et vassaux,
liens qui créent chez les parties contractantes un certain nombre de droits et de devoirs, au premier
rang desquels figure l'octroi au vassal d'un bénéfice, en échange des services multiples qu'il doit au
seigneur. Le bénéfice étant le plus souvent une terre, la féodalité a une assise rurale évidente; elle est
par là un système de possession et d'exploitation de la terre au profit des classes dominantes de la
société, pour certains même un mode de production, qui subsiste jusqu'à la destruction du régime
féodal par l'Assemblée constituante en août 1789. Cependant, il ne faudrait point négliger un autre
aspect de la féodalité: à la faveur du morcellement de l'autorité publique, la féodalité est apparue
comme un système de gouvernement, s'efforçant d'établir un ordre politique fondé sur des solidarités
volontaires et privées. Les rites de l'hommage, maintes fois répétés, ont servi aux détenteurs de chà-
teaux puis aux princes et enfin aux rois, à restaurer l'autorité et, en fin de compte, la notion même de
l'État. || y eut donc évolution des relations féodo-vassaliques, diversité dans le temps et dans l'espace,
même si les couches dominantes de la société partageaient le même genre de vie.
EH Les rites
Issue de la recommandation, couramment pratiquée pendant
tout le haut Moyen Âge, la vassalité demeure un contrat conclu
entre deux individus et n’engageant que deux personnes, au
cours d’une cérémonie dont l'hommage est l'acte essentiel.
Décrit par les chroniqueurs et les actes de la pratique, illustré
par maintes représentations figurées, le rite comporte un don
de soi-même du dépendant au seigneur. Le futur vassal se pré-
sente tête nue, sans armes, s'agenouille, place ses mains dans
celles du seigneur fimmixtio manuum), geste qui rappelle
PARTIE 2 Le Moyen Âge classique (x°-xni° siècle)
non-
sans doute le mélange des sangs qui scellait les compag
me, puisqu e les mains
nages anciens ou le don total de soi-mê
r. Ge
sont sans armes. Il devient ainsi l’homme du seigneu
Vvil à créer les liens de subordi nation, mais
geste rituel suffirait
r que la déditio n est l'acte volonta ire d'un
afin de précise
de
homme libre, il est souvent accompagné d'une déclaration
volonté qui en renforce la portée. La subord inatio n du vassal,
ie.
contrairement à celle de l’esclave, est librement consent
Le rite de l'homm age ne compor tait aucune emprei nte chré-
tienne. Aussi les homme s d’Églis e, tel Fulbert de Chartre s,
ayant à décrire la nature des obligations vassaliques, insiste nt-
Le serment d'Harold
Harold prête sermentà ils davantage sur le second acte qui suit immédiatement le
Guillaume de Normandie, une geste des mains, la fidélité. Il s’agit d’une formule plus ou
main sur chacun des deux moins longue par laquelle le vassal précise la nature de son
engagement qui le fait entrer dans l'amitié de son seigneur.
reliquaires.
EH Primauté du fief
Dès le xr° siècle, le lien réel l'emporte sur le lien personnel.
L'aspect économique des relations féodo-vassaliques passe au
premier plan: le vassal convoite des biens que lui accorde le
seigneur en contrepartie des services attendus. Le mot béné-
fice, qui impliquait l’idée d’une récompense, s'efface devant
PARTIE 2 & Le Moyen Âge classique (u°-xn* siècle)
p:
Mais d’autres catégories de fiefs n'avaient aucune assise fon-
cière; ce pouvaient être des droits de commandement, une
*
Avoué, p. 87.
avouerie ecclésiastique, des revenus et biens d'Église usurpés
par des laïcs, des justices, des péages, des tonlieux, des dîmes,
des fonctions de toutes sortes, et jusqu’à ces fiefs-rentes appa-
rus plus tardivement, qui permettent d'engager pour une cam-
pagne de pauvres chevaliers sans terre auxquels l’on assigne
une rente sur le trésor seigneurial. Par là, le régime féodal sut
s'adapter au développement de l'économie monétaire.
Entre la rigueur des relations féodo-vassaliques et les ruptures
de contrat engendrant les violences que décrivent les chansons
de geste et les récits féodaux, la marge est grande. Trop de
conflits d'intérêt venaient briser la fidélité du vassal et du sei-
gneur. Celui-ci abuse-t-il de son pouvoir? Le vassal pouvait jeter
à ses pieds le fétu, dans un geste de défi, provoquant la guerre
entre les deux parties si le fidèle ne renonçait pas au fief. La
rupture pouvait être le fait du seigneur estimant son vassal
félon; il décidait alors, avec l'accord de ses autres vassaux, de
saisir temporairement le fief ou de le confisquer de manière
Commise ou FIEF: l'exemple le
définitive (commise du fief). L'équilibre fragile des obligations
plus célèbre est la confiscation réciproques se trouvait rompu au profit du plus fort; c'est le
des fiefs français de Jean sans signe d’une subordination de la vassalité à la féodalité, privilé-
Terre réalisée par Philippe giant non plus les relations personnelles entre deux hommes,
Auguste en 1202.
mais le fief devenu la raison d’être de la vassalité.
glissant
échappant progressivement au contrôle du maître et
dans le patrimoine du fidèle.
Le droit héréditaire au fief fut imposé par la haute aristocratie
aux
dès le x‘ siècle en France et progressivement étendu
er est-il mineur ?
moindres bénéfices et aux autres pays. L'hériti
bien nomme un baillist re.
Le maître exerce la garde du fief ou
La succession est-elle dévolue à une fille? Le seigneur désigne
un remplaçant ou veille au mariage de l’héritière. Y a-t-il plu-
sieurs héritiers ? L'on hésite alors entre une inféodation collec-
PaRAGE : association des des- tive, le parage, confiant à l'aîné la responsabilité des services
cendants d'un même père. dus en raison du fief (cas le plus fréquent en Angleterre et en
Normandie}, ou bien le frérage, obligeant les frères cadets à
prêter hommage à l'aîné qui le prête à son tour au seigneur. En
l'absence d’héritiers directs, l’on va jusqu’à admettre la dévo-
lution du fief à des collatéraux. Le seigneur réussit à préserver
quelques droits en exigeant de l'héritier un droit de relief dont
le taux fut fixé par les coutumes locales: soit une somme fixe,
soit au maximum le revenu d’un an du fief.
Si en droit le caractère inaliénable des fiefs était admis, la pres-
sion des nécessités économiques imposa que l’on reconnût sous
ALIÉNATION DU FIEF: possibilité certaines conditions l’aliénation du fief. Des tenures féodales
pour le vassal de transmettre servirent de gage temporaire à l’occasion de prêts en numéraire,
son fief à titre gratuit ou
surtout lors des départs pour la croisade; il semble que les sei-
onéreux.
gneurs se soucièrent peu de ces hypothèques foncières. En
revanche, ils firent mieux respecter leurs droits dans les cas
d'aliénations définitives: par le retrait féodal, ils pouvaient
exercer un droit de préemption sur les biens de leurs vassaux;
en exigeant des droits de mutation {lods et ventes, quint et
requint}, ils se firent payer leur consentement. Les dons de fiefs
à l'Église étaient plus graves encore, puisque si les clercs
s'inséraient sans trop de difficulté dans la hiérarchie féodale, ils
ne pouvaient rendre les services du fief, en particulier le devoir
militaire, ni acquitter de droits de mutation, la tenure ecclésias-
tique n'étant pas transmissible par héritage. Les seigneurs laïcs
réussirent à la fin du xnr° siècle à compenser la perte de‘leurs
droits de propriété éminente, en obtenant de l’Église le versement
d’un droit de franc fief ou d'amortissement.
Hommages multiples, patrimonialité du fief eurent pour consé-
quences un relâchement et une codification des services vassa-
liques. Les coutumes limitèrent le nombre des convocations
annuelles auxquelles devaient répondre les vassaux. L'aide maté-
rielle aux trois ou quatre cas fut ponctuellement exigée jusqu'au
xu° siècle, réservée plus tard au rachat du seigneur fait prison-
nier. L'aide militaire elle-même, après avoir donné à l'Occident
sa principale force armée, perdit de sa vigueur; le service de
chevauchée fut limité à 40 jours et, faute d’un concours durable
des dépendants, l’on dut proposer une solde à des chevaliers sans
terre. Chez les Plantagenêts, l’aide militaire fut remplacée par
le versement d’une taxe de remplacement, l'écuage; ailleurs, par
la livraison de pièces d'équipement. Les services vassaliques
ainsi tarifés aigrirent les rapports des parties contractantes. Au
lieu d'assurer l'encadrement des couches dominantes de la
Féodalités et sociétés féodales
B Géographie de la féodalité
Tous les pays d'Occident ne connurent pas la même évolution.
Dans la France du Nord, où naquirent les institutions féodo-
vassaliques, la féodalisation fut plus rapide et plus complète
qu'ailleurs. Mais c’est là également qu’eut lieu le redressement
des Capétiens qui se servirent du droit féodal pour fonder
l'exercice de leur pouvoir, et, en exigeant la réserve de fidélité
et en nouant des relations directes avec leurs arrière-vassaux,
réussirent à faire aboutir au roi toutes les relations féodales et
à agrandir leur domaine propre par le moyen du droit féodal
(commise des fiefs de Jean sans Terre, 1202). À mesure que l’on
avance vers les régions méditerranéennes, la féodalisation fut
plus tardive et incomplète; la résistance de l’alleu en témoigne.
En Germanie, la force de la monarchie qui s’appuyait sur
l'organisation carolingienne de l’État et sur une Église impé-
riale fut brisée par la Querelle des Investitures. Au xrr° siècle,
la féodalisation apparaît triomphante, surtout à l’époque de
Frédéric I‘ Barberousse qui organise l’État sur la base des rela-
tions féodo-vassaliques; les couches dominantes de la société
sont soumises au système hiérarchique du bouclier chevale-
resque dominé par un groupe puissant de princes d'Empire
faisant écran entre le souverain et ses sujets. En même temps,
l'investiture obligatoire des fiefs d'Empire tombés en déshé-
rence accroît une féodalisation de l’État, contre laquelle
Henri VI et Frédéric II furent impuissants.
Dans l'Italie du Nord et du Centre, l’hérédité du fief s'affirme
tôt, le droit féodal est fixé par écrit et l’existence de villes
importantes entrave la féodalisation du pays.
L'Angleterre connut d’abord une forme primitive de régime
vassalique (thegns anglo-saxons), remplacée après 1066 par
une féodalité au service de la monarchie: toute terre appar-
tient au roi par droit de conquête, donc tout fief dépend du roi,
et les tenants en chef qui tiennent directement leurs terres
du roi (ceux qu’on appellera les barons) ne font pas écran entre
le roi et leurs propres vassaux.
En Espagne, un régime vassalique subsista jusqu’au x1i‘ siècle;
les rois castillans eurent alors assez de pouvoir grâce à la guerre
pour coiffer la féodalité à la française qui apparaissait.
En Italie du Sud et dans les États francs de Syrie-Palestine, la
féodalité fut introduite par la conquête; là, les souverains nor-
mands réussirent à tenir leurs « hommes » ; ici, les luttes entre LES FIEFS-RENTES OÙ FIEFS DE SOU-
lignages firent sombrer le pouvoir supérieur, malgré les efforts DÉE:récompensent en argent le
des premiers rois de Jérusalem pour exiger sévèrement les ser- vassal prestataire de services
vices vassaliques et rendre l’aide militaire quasi permanente. militaires contraignants.
M L'expansion de la chevalerie
L'expansion de la chevalerie a été rapide, au moins en France.
Le mot miles, apparu dans le dernier tiers du x° siècle, rem-
place vers 1060 les autres vocables tant en Mâconnais qu’en
Île-de-France et en Provence. À la fin du xr° siècle, il s'étend
à toutes les couches de l'aristocratie laïque. Dans les provinces
Féodalités et sociétés féodales
CHRONOLOGIE SOMMAIRE vallées et assurant derrière ses murailles de pierre une auto-
DES CHÂTEAUX nomie certaine à ses détenteurs. La châtellenie est la cellule
Morre: tour en bois, ceinte de base de la féodalité: l'extension du droit de ban facilité par
d'une palissade et élevée sur la possession d’un château est source de puissance. Le noble
une motte de terre: fin du x°- se nourrit du travail d’autres hommes. La chasse mais surtout
début du xf siècle. la guerre « fraîche et joyeuse » (Bertrand de Born) constituent
DonJonN EN PIERRE: Seconde son activité essentielle: le combat est un remède contre l’en-
moitié du x! siècle, nui, une source de profit grâce aux pillages et aux rançons. Il
CHÂTEAU FORT: xII° siècle; avec rassemble les éléments du lignage, soudés par une solidarité
enceinte double: x siècle. essentielle, et oppose les compagnies de jeunes qui forment
« l'élément de pointe de l'agressivité féodale » (G. Duby). Il
donne au combattant un certain mépris de la vie et de la souf-
france humaine, tout juste atténué par l'influence de l'Église
qui, à partir du xi° siècle, promeut l'idéal du combattant de
Dieu, le miles Christi, et par celle de la littérature courtoise;
véritable idéologie de classe, celle-ci exalte le faste, la généro-
sité et l'art d'aimer qui, par le service de la dame, doit conduire
l’homme noble aux sommets de la vertu et du bien. La culture
nobiliaire contribue à dresser une barrière infranchissable
entre la noblesse et la vilenie.
Genre de vie, morale, supériorité économique consolident
l'aristocratie en une classe nobiliaire, amenée à reconnaître
au xur° siècle la souveraineté des rois qui surent utiliser les
liens de dépendances personnelles et la hiérarchie des fiefs
pour reconstruire l'État.
recherche
Le château (x°-xn° siècle)
Le milieu du Moyen Âge a vu se multiplier le nombre des constructions castrales. Différents par leur
type et les matériaux qui les constituent, ces édifices complexes étaient destinés à assurer le pouvoir
des seigneurs sur les terres et sur les hommes, à maintenir la sécurité sur le milieu environnant ét à
abriter la vie quotidienne des maîtres du sol.
la fin du xif siècle, ces nouveaux les angles morts. Un chemin rgane de défense et lieu
châteaux de pierre ne se distin- de ronde est aménagé. Le de refuge, le château
guent guère de ceux en terre donjon, circulaire, renforcé comporte une basse-cour
ou en bois: le donjon de pierre, d'un éperon, comme à suffisamment vaste pour
protégé par un fossé, domine Château-Gaillard, est bâti soit accueillir une population
une basse-cour entourée d'une dans la basse-cour, soit sur le nombreuse. La défense est
enceinte extérieure, elle aussi rempart extérieur; parfois assurée par des milites castri,
maçonnée et précédée d'un même il disparaît, chaque vassaux du châtelain, chargés
fossé. Simples tours carrées où tour d'enceinte faisant alors par roulement de la garde (l’es-
grands donjons plurifonction- office de donjon. tage) de la fortification. Centre
nels, ces édifices sont renforcés économique, le château
par des contreforts, protégés recueille les produits et rede-
dans leur partie inférieure par e château médiéval est vances versés par les hommes
un talus de pierre et ouverts à d'abord la résidence de de la seigneurie et comporte,
l'extérieur par une porte située la famille dont l'ancêtre en à ce titre, un certain nombre
à plusieurs mètres au-dessus du avait été le constructeur ou le d'installations agricoles. Il est
sol. Dans la seconde moitié du bénéficiaire de la part d'une aussi le cadre d'exercice de la
xi® siècle, le donjon cylindrique autorité supérieure. L'Histoire justice seigneuriale, de récep-
devient de règle (par exemple des comtes de Guines et des sei- tions où le châtelain est tenu
la Tour du Louvre, édifiée par gneurs d'Ardres, rédigée par le de bien traiter son entourage
Philippe-Auguste avant 1202). curé Lambert d'Ardres, donne (banquets, divertissements, art
une idée de l'agencement d'un de la conversation), et un lieu
ee progrès de la poliorcé- donjon du début du xif siècle: de dévotion grâce à l'église
tique à la fin du xi° siècle le rez-de-chaussée reçoit les fondée par les soins du sei-
conduisent à remanier provisions de nourriture, de gneur et dont le service est fré-
les châteaux existants de boisson et de fourrage; une quemment confié à un ordre
manière plus ou moins grande pièce servant de salle religieux ou à un chapitre.
radicale ou à en concevoir de réception et d'appartement
de nouveaux. Les bâtiments privé occupe presque toute la F xerçant une attraction
jusque-là dispersés dans la superficie du premier étage, remarquable sur les
basse-cour sont regroupés et dont un des côtés comporte hommes, la plupart des châ-
adossés au rempart. Celui-ci plusieurs pièces plus petites; teaux ont été générateurs de
est fréquemment doublé au deuxième étage sont instal- peuplement et ont contribué
par un mur extérieur, moins lées une chapelle et des petites ainsi à modifier profondément
haut, l'espace intermédiaire chambres pour les enfants, les l'environnement. L'architecture
formant les lices. Le fossé sergents et les domestiques. militaire évolua peu du xuif
se fait plus large et plus Des escaliers, appuyés aux au xv° siècle, si l'on excepte
profond. Des organes de parois intérieures, permettent l'aménagement des bâtiments
flanquement sont appliqués le passage d'un étage à l'autre. résidentiels et l'apparition des
au mur d'enceinte, sous la Un bâtiment annexe abrite au maisons fortes, aux mains
forme de tours et de tourelles rez-de-chaussée une porcherie d'hommes nouveaux cher-
circulaires, résistant mieux et la volaille, au premier étage chant à acquérir les préroga-
aux projectiles et supprimant une cuisine. tives des seigneurs châtelains.
SPRL SORTE
PER
Bibliographie
Sur la féodalité:
Un manuel et deux grands classiques: F-L. GansHor, Qu'est-ce que la féodalité ?, Paris, rééd., 1982;
M. BLoct, La Société féodale, Paris, rééd., 1968 et R. BourrucHE, Seigneurie et Féodalité, t. 2: L'Apogée
(xie-xn£ s.), Paris, 1970. Les principaux ouvrages de G. Dusy sur ces questions ont été réunis en
deux volumes : Qu'est-ce que la société féodale ?, Paris, 2002 et Féodalité, Paris, 1996; E. BOURNAZEL
et J.P. Pour, Les Féodalités, Paris, 1998; F. Maza, Féodalités (888-1180), Pa ris, 2010.
PARTIE 2 # Le Moyen Âge classique («°-xn siècle)
Sur l'idéologie:
sme, Paris, 1978, Le Chevalier, la femme et
Voir G. Dev, Les Trois Ordres ou l’Imaginaire du féodali
96. Dans Un autre Moyen Âge, J. LE GorF
le prêtre, Paris, 1981, Dames du xif siècle, 3 vol. Paris 1995-19
, Foi et Fidélité, Toulouse, 1976.
rassemble ses principaux articles. Voir aussi E. Macnou-Norrier
ée par S. Reynouns, Fiefs and
Une réinterprétation complète des institutions féodales est propos
Vassals. The medieval Evidence reinterpreted, Oxford, 1994.
La noblesse et chevalerie:
Le débat sur noblesse et chevalerie a fait l'objet de nombreux travaux récents. Voir surtout les
ouvrages de J. Fort, L'Idéologie du glaive. Préhistoire de lachevalerie, Genève, 1983, L'épanouissement
de la chevalerie, Genève, 1985, La Chevalerie en France au Moyen Âge, Paris, 1995, Chevaliers et
Chevalerie au Moyen Âge, Paris, 1998. Voir aussi E. KoënLer, L'Aventure chevaleresque, Paris, 1974;
M. Aureui, Les Noces du comte. Mariage et pouvoir en Catalogne (785-1213), Paris, 1995 et La Noblesse
en Occident (#-x® siècle), Paris, 1998; M.-C. Ger8er, Les Noblesses espagnoles au Moyen Âge,
xE-xv® siècle, Paris 1994; L. Macé, Les Comtes de Toulouse et leur entourage xif-xuf siècles. Rivalités,
alliances et enjeux de pouvoir, Toulouse 2000. Sur un destin hors de pair, voir l'ouvrage de G. Dusy,
Guillaume le Maréchal, Paris, 1984: D. BarrHéLemy, La Chevalerie, Paris, 2007 ;Chevaliers et Miracles.
La violence et le sacré dans la société médiévale, Paris, 2004; J. Morse, L'Aristocratie médiévale.
La domination sociale en Occident ®-x siècle, Paris, 2004.
impérial,
Barberousse (1152-1190). Ou bien, par fidélité au mythe
l'hosti lité des commu nes et du
préférer l'Italie mais s'exposer à
aband onner aux prince s une part de
pape et, en Germanie,
fut la voie choisie par les dernie rs Staufe n, Henri VI
l'autorité? Ce
mère
et Frédéric II, d'autant plus que celui-ci avait hérité de sa
de Sicile. Les empe-
Constance, épouse d'Henri VI, le royaume
le
reurs s'épuisèrent à réaliser cette difficile union; la Querel
du Sacerd oce et de l'Empi re en furent
des Investitures, la lutte
é; il ne
les conséquences. Le pouvoir impérial en sortit diminu
e certai nes
réussit jamais à échapper au système électif, quoiqu
se soient transm is le
familles ducales (Saxe, Saliens, Staufen)
titre pendant plusieurs décenn ies sans pouvoi r créer toutef ois
de dynastie. Il ne put asseoir sa puissance sur de vastes posses-
sions territoriales et dut, avant même l'échec italien de Frédéric
II, céder le pas à des principautés. Après 1250, l’idée impériale
survécut dans la conscience populaire; elle ne comptait plus
dans les réalités politiques.
de ses
toutefois, c'est le domaine qui fournit au roi l'essentiel
ressources.
B L'administration » princière
Aux xr° et xnr° siècles, le prince est le plus souvent aidé par des
« amateurs », barons fidèles de sa cour, vassaux directs et clercs:
ils forment la curia regis. Les souverains germaniques confient
les offices de cour aux représentants les plus éminents de l’aris-
tocratie princière — ducs, comtes palatins, archevêques —,
s'entourent pour administrer la Germanie de leurs vassaux
directs et de domestiques d’origine servile, des ministériaux,
qu'ils élèvent à la chevalerie. Frédéric I‘ fait de l’épiscopat qu'il
contrôle un corps d’administrateurs mais accorde à ses vassaux
directs, les princes ou Fürsten, de grands privilèges limitant
l'intervention royale dans les grands duchés. La constitution de
ces fortes principautés fit rapidement écran entre l'empereur et
ses sujets. Au terme d’une progressive féodalisation de l'État,
PARTIE 2 # Le Moyen Âge classique (x-xni siècle)
des
Frédéric IL, par le Statutum de 1231, abandonna aux princes
militai re et judiciai re. En Anglete rre,
droits excessifs en matière
de la
les souverains normands s’entourèrent de représentants
roturièr e, tel
moyenne noblesse et de clercs, parfois d’origine
Thomas Becket; c'était là pour le Plantag enêt un moyen d’éta-
blir un gouvernement centralisé ne devant rien à la haute
ns,
noblesse des barons. Dans la France des premiers Capétie
évêques et puissan ts du royaum e s’efface nt devant de petits vas-
À
saux d'Île-de-France qui reçoivent les grands offices de cour.
la fin du xr' siècle, toutefois, reparai ssent dans les chartes royales
de grands officiers, comme ces comtes de Champagne auxquels
p L est réservée la charge de sénéchal (dapiférat] ; des clercs entrent
ancelier, à l'Hôtel du Roi, occupent la chancellerie, deviennent les
p.65. conseillers privilégiés du souverain, tels Suger sous Louis VI,
frère Guérin sous Philippe Auguste. À partir de ce dernier règne,
des petits vassaux de plus en plus nombreux, quelques bourgeois
même sont admis à la cour, participent aux affaires publiques.
Ils sont à l'origine de ces « professionnels » de l'administration,
techniciens du droit, qui remplacent au xu' siècle les conseillers
féodaux des époques antérieures.
M Le gouvernement central
Nourris de droit romain, ces légistes - Philippe de Beaumanoir,
Pierre de la Brosse en France, Pierre de la Vigne auprès de
Frédéric II - n’excluent pas totalement nobles et chefs du clergé
de la cour du monarque. Ils leur laissent les grands offices de
cour, devenus pour certains des charges sans importance poli-
tique - bouteiller ou chambrier — ou requérant une compétence
militaire — connétable —, alors qu'après le règne de Philippe
Auguste chancellerie et dapiférat demeurent sans titulaire. Ils
forment autour du souverain un conseil sans compétence par-
ticulière, sans composition fixe, sans sessions régulières, mais
où s'élaborent les décisions importantes. Lié à la constitution
du Parlement, cet organisme de consultation peut devenir sous
la forme d’un Conseil privé, regroupant favoris et serviteurs du
souverain, un véritable gouvernement: ce fut le cas en Angleterre
sous Henri III et Édouard I.
L'ancienne cour féodale {curia regis), grossie de clercs, de petits
nobles et de bourgeois, se scinde, plus tôt en Angleterre, plus
tard en France, en sessions spécialisées qui réunissent un per-
sonnel compétent, soit en matière de finances, soit en matière
ÉcHiquiER: le nom vient d'un de justice. Auprès des Plantagenêts, l’Échiquier, formé d’une
tapis quadrillé sur lequel on trésorerie et d’une Chambre des comptes, examine et note les
contrôlait les comptes des comptes des agents locaux, les sheriffs. En France se détache de
sheriffs à l'aide de jetons.
l'Hôtel du Roi, à la fin du règne de Louis IX, une commission
TEMPLE: jusqu'en 1295, les temporaire qui se réunit au Temple où se trouve déposé le trésor
Templiers de Paris ont la garde
du trésor royal.
royal pour recevoir les comptes des prévôts et des baillis; elle
formera au début du xiv° siècle la Chambre des comptes. En
matière de justice, la cour des Plantagenêts devient un tribunal
ordinaire; elle aide le roi à légiférer et à unifier le droit par la
procédure des Assises (Assises de Clarendon, Grande Assise,
Assise des Armes}, se divise en un Banc du Roi et en une
Commission itinérante, l’Eyre. Examinant les pétitions, la
Le renouveau de l'État
E Le gouvernement local
Au plan de l'administration locale, France et Angleterre se sépa-
rent. Ici, les souverains normands héritèrent des Saxons l'insti-
tution du sheriff, placé à la tête d'un comté (shire) ; en le
contrôlant par l'envoi d'enquêteurs, ils lui confièrent le pouvoir
de maintenir l’ordre, de rendre la justice, de lever les taxes et les
contingents militaires. Dans la France capétienne, le prévôt est Baiii: agent royal chargé
d'une mission temporaire
d'abord un agent domanial à la fois receveur et payeur, juge et (baillie) de contrôle, puis vers
enquêteur. Vers 1185, pour surveiller la gestion des prévôts, 1250, de l'administration d'une
Philippe Auguste charge des familiers d’une mission d'enquête circonscription bailliagère.
temporaire. Ces personnages, qui reçoivent au xII° siècle le titre
de bailli, se voient attribuer une circonscription bailliagère fixe L
en 1254 et 1256, à l'intérieur de laquelle ils jugent en appel,
encaissent les recettes royales, lèvent l’ost et transmettent les Ost, p.65.
A
sonnelles accordées à des clercs ne dissimulent pas un certain
malaise. L'Église revendique la liberté des élections épiscopales
et la libre disposition de ses biens, refusant ainsi les droits de
régale et de dépouille communément pratiqués par les souve-
LS ”
Régale, p. 143.
Bibliographie
aphie aidera l'étudiant à les
L'exposé qui précède ayant brisé les cadres nationaux, la bibliogr
reconstituer.
L'histoire politique:
sous la direction
Elle connaît aujourd’hui un regain de faveur. En dehors de l'Histoire de France
ra surtout CI. GAUVARD,
d'E. Lavisse et des volumes de la collection Glotz, bien vieillis, on consulte
la France : origines et
La France au Moyen Âge du v au x siècle, Paris, 1996; R. LE AN, Histoire de
e de l'État moderne
premier essor 480-1180, Paris, 1996 ;J. KERHERVÉ, Histoire de la France : la naissanc
Y, Paris,
1180-1492, Paris, 1998: le t. 3 de la Nouvelle Histoire de la France médiévale par D. BarTHÉLEM
de J.-F. LEMARIGNIE R, La France médiéval e, Paris, 2000 et ©. GuILLOT,
1990, la rééd. de l'ouvrage
ns dans la France médiéval e, t. 2, Paris, 1994. Pour une
À. IGAUDIèRE et Y. Sassier, Pouvoirs et Institutio
L'Occident
perspective européenne, voir L. GÉNICOT, Le xur siècle européen, Paris, 1968, G. Devaiiy,
du x au milieu du xur siècle, Paris, 1970 et surtout R. Fossier, Enfance de l'Europe X-xf siècle, 2 vol.
Paris, 1982.
Quelques monographies:
M. Bur, Suger, Paris, 1991 ; Y. Sassier, Louis VII, Paris, 1993; R. H. Baurier (dir.), Philippe Auguste en
son temps, Actes du colloque international du CNRS, Paris, 1982; J. Bacowin, Philippe Auguste,
Paris, 1991 ; G. Due, Le Dimanche de Bouvines, Paris, 1973; J. Le Gorr et D. O'Conner, Les Propos
de Saint Louis, Paris, 1974; W. C. Joroan, Louis IX and the Challenge of the Crusades, Princeton,
1979: J. RicHaro, Saint Louis, Paris, 1983 ; G. Sivery, Saint Louis, Paris, 1983; J. R. Srraver, Philip the
Fair, Princeton, 1980. G. Sivery, Louis VIII, Paris, 1995; J, LE Gorr, Saint Louis, Paris, 1996; J. Le GoFF
(dir.), Le Sacre royal à l'époque de Saint Louis, Paris, 2001; J. Faver, Philippe IV Le Bel, Paris, 1978.
Le renouveau de l'État
Sur l'Empire:
Voir surtout M. Parisse, Allemagne et Empire au Moyen Âge, Paris, 2002 et F. Rapr, Le Saint Empire
romain-germanique, Paris, 2000. Plus complexe J.-P. Cuir, L'Allemagne médiévale, 2 vol. Paris,
1979-1984. Sur l'idéologie impériale, voir R. Forz, L'Idée d'Empire en Occident du Ÿ au x siècle,
Paris, 1953; F. Rapr, Les Origines médiévales de l'Allemagne moderne, Paris, 1989. Monographies
d'empereurs: M. Pacaur, Frédéric Barberousse, Paris, 1967; T. Van CLeve, The Emperor Frederik Il of
Hohenstaufen, Immutator Mundi, Oxford 1972; E. Kanrorowicz, L'Empereur Frédéric Il, Paris, 1987;
P. Tougerr (dir.), Federico Il, 3 vol. Palerme, 1994; P. RaQNE, Federico II. Un monarca medievale alle
prese con la sorte, Milan, 1998; Frédéric Barberousse (1152-1190), Paris, 2009.
Sur l'Italie:
Voir d'abord J.-P. Decumeau et I. HEULLANT-Donar, L'Italie au Moyen Âge w-xv siècle, Paris, 2000; puis
D. WaLey, Les Républiques médiévales italiennes, Paris, 1969; E.-G. Leonaro, Les Angevins de Naples,
Paris, 1954; P. RaQNE, L'Occident chrétien au xuf siècle : le Saint-Empire et l'Italie, Paris, 1994; H. Tavani-
Carozz, Robert Guiscard et la conquête normande en Italie, Paris, 1996; C. Maire-ViGuEuUR (dir.),
| podestà dell'Italia comunale, Rome, 2000; E. CrouzeT-Pavan, Enfers et Paradis. L'Italie de Dante et
de Giotto, Paris, 2001 ; J.-M. Mari, /talies normandes xF-xf siècles, Paris, 1994; La Pouille du vf au
xIf siècle, Rome, 1993.
de Vérone au * siècle.
Le marchand: « un esclave du vice, un amant de l'argent », s'écrie l'évêque Rathier
en raison de leur
Vers 1300, les marchands sont maîtres des villes, admis par l'Église, enviés par tous
l'an Mil et la situation
puissance et de leur richesse. Entre le mépris dont les clercs les accablaient vers
Elle symbolise l'importa nce crois-
privilégiée qui est la leur à la fin du xu siècle, la distance est grande.
r de produits de luxe réservés à
sante des activités commerciales dans la vie des hommes; pourvoyeu
commerce en l'espace de trois siècles s'est étendu à
une infime minorité de puissants avant l'an Mil, le
t indispen-
des matières premières, à des denrées alimentaires, à des produits fabriqués qui deviennen
en plus larges de consomma teurs. Même s'il est exercé par une fraction
sables à des groupes de plus
n européen ne médiévale , le commerce est devenu «le moteur principal du pro-
minime de la populatio
économiq ue » (R. S. Lopez) et l'on peut justement parler d’une « révolution commercia le » qui, au
grès
temps
Moyen Âge, aurait eu des effets comparables à ceux que provoqua la révolution industrielle des
modernes. Cette révolution fut lente, progressive, n'investit pas tous les pays d'Europe; elle se caracté-
s
rise par de nombreuses innovations dans la technique des affaires; elle crée un vaste réseau d'échange
qui s'étend au xnf siècle sur la plus grande partie de l'Europe.
M Transports maritimes
Sur mer, les conditions sont tout autres, les transports mari-
times s’adaptant mieux à la diversité des cargaisons et permet-
tant de véhiculer des « marchandises pauvres » sur de grandes
distances. Pourtant, là encore, les obstacles ne manquent pas:
la piraterie opposant d’abord Chrétiens et Sarrasins, puis les
=
Chrétiens entre eux au hasard des rivalités politiques et des
concurrences économiques, les risques de mer imposant une Navire à gouvernail d'étambot, 1250.
D'après le sceau de Wismar.
navigation au plus près des côtes et excluant les longs voyages
d'hiver. Pour diviser ces risques, les navires et leur cargaison
sont répartis en parts, vendables et transmissibles (loca, sortes,
carats), créant entre leurs propriétaires des associations éphé-
mères renforcées dès la fin du xm° siècle par des contrats d’as-
surance maritime; d'autre part les villes maritimes italiennes
font escorter par des navires de guerre les bateaux marchands
groupés en convoi (mude à Venise). Malgré l'amélioration des
techniques de construction navale, la capacité des bâtiments
reste faible; dans les mers nordiques, le knar scandinave est
remplacé à la fin du xu‘ siècle par des navires ronds et pontés,
Nef méditerranéenne, xiv° siècle
les koggen, maniables et rapides, dont les plus gros transpor-
tent moins de 500 tonnes de marchandises. En Méditerranée,
l'on utilise longtemps la nave à deux mâts, portant la voile
latine, avant que se répande, sous l'influence de traditions
romano-byzantines, la galère à pont unique servant à la guerre
comme au commerce. Sa capacité ne dépasse pas 600 tonnes
au xur siècle. À cette date, quelques inventions qui améliorent
les techniques de navigation commencent à apparaître:
le gouvernail d'étambot, la boussole, les astrolabes et les ASTROLABE: instrument per-
premières cartes maritimes ou portulans. mettant de déterminer la hau-
teur des astres au-dessus de
l'horizon.
E Les foires PorTULAN: carte marine don-
Les escales nombreuses ne suffisent pas aux marchands nant la description des ports et
des côtes.
itinérants. Il leur faut des rendez-vous périodiques, où ils
PARTIE 2 Le Moyen Âge classique (x°-xii* siècle)
y en eut dans
puissent traiter d’affaires en gros, les foires. Il
toutes les régions animées par le comme rce: foires d'Angleterre
Ives, Stamfo rd), de Flandr e (Bruge s, Ypres,
(Winchester, Saint
ut}, d'Itali e (Véron e, Milan} , du domai ne royal
Lille, Thouro
agne. Celles-ci
français (Saint-Denis) et surtout de Champ
mble du comme rce
dominent aux xnet x siècles l’ense
n’est pas dû aux hasard s de la
international. Leur succès
t de la Champ agne l'étape interm édiair e
géographie, faisan
des
entre les Flandres et l'Italie, mais à l’action intelligente
t » des foires
comtes accordant aux marchands par le « condui
s
une protection qu'ils s'efforcent d'étendre au-delà des limite
des gardes de foires chargé s
de leur comté, instituant aussi
i
de veiller à la sécurité des marchands, d'exercer sur ceux-c
une juridi ction, de rédige r en leur faveur des contra ts de
toutes sortes, exécutoires dans tout l'Occident. Les comtes
favorisent aussi la venue des étrangers en construisant des
logements où se regroupent, sous la direction d’un consul,
les marchands de même origine: Italiens, Languedociens,
Provençaux, Catalans, Flamands et Français du Nord
(Arrageois) forment ainsi des communautés protégées par
l'autorité comtale.
B La monnaie
Vers l'an Mil, l'Occident connaissait un système monétaire
proche de celui qu'avait institué Charlemagne: une monnaie
En |
d'argent, le denier, douzième partie du sou; deux monnaies
de compte, la livre et le sou, vingtième partie de la livre. Les
deniers, frappés par une multitude d'ateliers monétaires uti-
lisant plus de cuivre que d'argent, s'étaient avilis. En raison
des besoins du commerce renaissant, on mit en circulation
les métaux précieux immobilisés dans les trésors laïques ou
ecclésiastiques. On s’efforça de développer l'extraction minière
en Saxe, dans le Harz et en Bohème, sans grand résultat; grâce
aux excédents du commerce italien, on recueillit dans les
ports de Berbérie l'or du Sénégal. Ces nouveaux apports de
métaux précieux furent utilisés dans la frappe d'espèces moné-
taires de valeur supérieure par leur poids et leur titre aux
deniers post-carolingiens: Venise en 1202, suivie par d’autres
villes italiennes, émit des « gros » d'argent ou matapans, copiés GROS: Un gros vaut un sou;
ensuite dans tout l'Occident. Saint Louis en 1266 limita les c'est, pour le sou, le retour à la
frappes seigneuriales et créa le gros tournois (4,22 g d'argent), monnaie réelle.
H Le problème du crédit
Ce n'était pas chose facile. L'Église condamnant l'usure en
confondant celle-ci avec le prêt à intérêt, l’on dut rechercher
des solutions satisfaisant à la fois la conscience des marchands
et les besoins du commerce: prêts gratis et amore, selon les
PARTIE 2 » Le Moyen Âge classique (x°-xii° siècle)
mes et
termes des contrats, dissimulant l'intérêt, prêts mariti
lesque ls les risque s courus par les
contrats de change dans
aient la percep tion d'un intérêt , lettres de
créanciers justifi
de change
paiement et lettres de foire, annonçant la lettre
années
dont les premiers exemples remontent aux dernières
pratiq ues s'illus trèrent moins
du xnr siècle. Dans toutes ces
gages, les Cahors ins, interm édiair es
les Juifs, prêteurs sur
Langu edoc et l'Angle terre, les Lombar ds, gens d’Asti
entre le
et de
et de Chieri établis dans certaines villes de Flandre
s apparu s au xIr° siècle dans
France, que des banquiers italien
les principales places de comme rce de la pénins ule; spécia-
,
listes du change manuel, ils se mirent à recevoir des dépôts
à effectuer des paiements pour le compte de leurs clients, des
VIREMENT: transfert de fonds virements et des compensations d'une place à l’autre, par
d'un compte d'une personne exemple entre les villes d'Italie et les foires de Champagne.
au compte d'une autre On l'a maintes fois souligné, la banque est née du change.
personne.
EE En Méditerranée
En Méditerranée la reconquête chrétienne et les croisades ont
chassé les Musulmans du grand commerce maritime qui passe
aux mains des Italiens et à un moindre degré à celles des
Catalans. Aucune spécialisation dans les échanges quoique
les épices l’emportent dans le sens est-ouest, les étoffes dans [S
l'autre. Mais le trafic porte aussi sur des matières premières
nécessaires à l'industrie textile, l’alun d'Asie Mineure, le coton
Alun, p. 276.
pro-
exportés d'Asie Mineure et d'Afrique du Nord; sur des
blés de Crimée , des régions danubi ennes
duits alimentaires,
et de
et de Sicile, vins des îles grecques, sel des Baléares
et de Chypre ; sur
Provence, sucre de canne de Mésopotamie
uant par leur coût une grande
des produits de luxe provoq
du
concentration de capital, les épices, dont le manuel
Florent in Pegolot ti énumèr e près de trois cents types — drogues ,
médicaments, condiments et colorants — , les tissus de soie,
MoussELINE :de Mossoul. Toile mousselines et damas, les fourrures venues des terres russes
de coton fine et apprêtée. par la mer Noire. À partir de la fin du xn‘ siècle, la large dif-
Damas: du nom de la ville fusion des draps flamands, assurée par les Italiens, équilibre
syrienne. Étoffe de soie à des- dans la balance des comptes l'importation des denrées
sins en relief mêlant ensemble orientales.
satin et taffetas.
On aurait tort de négliger les profits que procure le transport
des hommes, pèlerins et croisés s'embarquant sur les navires
génois et vénitiens, esclaves provenant des régions pontiques
et vendus à Alexandrie par des maquignons italiens.
Denrées alimentaires et matières premières constituent la
plus grande partie des cargaisons, mais en valeur épices et
tissus de luxe l’emportent. Le commerce méditerranéen
s'ordonne donc autour des routes des épices plus ou moins
contrôlées par Byzance et les pays musulmans: routes de la
mer Rouge et du golfe Persique, routes continentales aboutis-
sant à Tana, au fond de la mer d'Azov, à Trébizonde ou en
Petite Arménie. Les Italiens cherchent par tous les moyens à
s'en rendre maîtres: détournement de la quatrième croisade
et création d’un Empire latin dominé par Venise, croisades
contre l'Égypte, luttes pour maintenir les États francs de Syrie-
Palestine. Mais loin d’être unis, les marchands chrétiens sont
en concurrence très vive; la rivalité entre Gênes et Venise,
les projets angevins en Méditerranée empoisonnent les
rapports entre l'Orient et l'Occident, troublent les échanges.
B L'expansion germanique
L'expansion germanique, favorisée par la fondation de Lübeck
en 1158 et par la paix conclue en 1161 entre Allemands et
Gotlandais, touche tous les secteurs géographiques. C’est vers
l'est, la colonisation des côtes de la Baltique - Rostock,
Stralsund, Stettin -, la fondation de Riga en 1201, l'occupation
de la Lituanie par les Chevaliers teutoniques en 1236; vers le
nord, la fondation de Stockholm en 1251, l’afflux des mar-
chands en Suède, en Scanie, en Norvège, pays fournisseurs de
cuivre, de poisson salé et de peaux; vers l’ouest, l'association
des Esterlins réalise la liaison maritime régulière entre la mer EsTerLiNs: marchands en
du Nord et la Baltique dans la seconde moitié du xur° siècle, provenance de l'Est, venant
s'établit à Londres où elle fusionne avec la Hanse des gens de a En PANAEESREN
Cologne, à Bruges, obtenant en 1252-1253 de grands privilèges 4 |
commerciaux. À la fin du xur siècle des accords conclus entre
les villes de la Baltique annoncent la création de la Hanse des
villes, dominée par les Lübeckois.
Entre ces deux ensembles commerciaux, Méditerranée et mers
nordiques, des liens se tissent très tôt. Liens terrestres par les
cols des Alpes, la vallée du Rhône et, bien sûr, les foires de
Champagne; liens maritimes avec l'installation des Italiens
à Southampton, à Londres et à Bruges, et la création au début
du xiv* siècle de lignes maritimes régulières entre l'Italie et
les Flandres, avec aussi l’intense activité des flottes nordiques
descendant jusque sur les côtes atlantiques françaises où elles
chargent le sel de Bourgneuf et le vin d'Aquitaine, consommé
en Angleterre (750 000 hl par an, pense-t-on).
L'état de la recherche
Le commerce des épices
aste ensemble de produits poivre et le gingembre que l'on a longtemps considéré
Net tincto- le sucre, l'alun et le coton, les comme le facteur essentiel
riaux et pharmaceutiques, épices ont été dans le monde du renouveau du grand com-
comprenant aussi bien le médi l'objet d'untraficque
éval merce international à partir
PARTIE 2 Le Moyen Âge classique (x®-xuf siècle)
Bibliographie
On lira les pages célèbres d'H. PIRENNE, Histoire économique et sociale du Moyen Âge, Paris, rééd.
1969, p. 75-143, que vient fortement nuancer l'ouvrage de R. Hooces et D. WhrreHouse, Mahomet,
Charlemagne et les origines de l'Europe, Paris, 1983. Deux synthèses aisément accessibles: J. Le Gorr,
Marchands et Banquiers du Moyen Âge, Paris, rééd. 1969 et R. S. Lopez, La Révolution commerciale
dans l’Europe médiévale, Paris, 1974, à compléter par J. Far, De l'or et des épices. Naissance de
Lé renouveau du commerce
l'homme d'affaires au Moyen Âge, Paris, 1987 et par la publication de la Société des Historiens
médiévistes de l'Enseignement supérieur public, Le marchand au Moyen Âge, Nantes, 1992.
La meilleure synthèse sur le commerce en Méditerranée est encore celle de W. Hevo, Histoire
du commerce du Levant au Moyen Âge, 2 vol. rééd., Amsterdam, 1967, à compléter par les
ouvrages de F. THirier, La Romanie vénitienne au Moyen Âge, Paris, 1959, de M. BaLaro, La Romanie
génoise (x°-début du x siècle), 2 vol., Rome, 1978 et d'E. Ashror, The Levant Trade in the Later
Middle Ages, Princeton, 1983; Relazioni economiche tra Europa e mondo islamico, secc. XIII-XVIII,
Atti della Settimana di Studi - Istituto internazionale di Storia economica «F. Datini » Prato, 2 vol.
Florence, 2007.
des gens de ce
Civitas, burgus, castrum, villa, oppidum, la terminologie hésitante reflète l'embarras
maîtrisé par l'outillage conceptuel
temps devant l'apparition de l'essor du phénomène urbain « mal
classée depuis Adalbéron de Laon en trois
et verbal du Moyen Âge » (J. Le Gorr). Dans une société
est un étranger,
états, l'ordre des clercs, l'ordre des combattants, l'ordre des travailleurs, le citadin
une forme de vie, des activités et des mentalités nouvelles au sein
mal assimilable, car il représente
tradi-
d'un monde rural et d'une société féodale (voir pp. 114 et 127). Le contraste entre les ordres
et les citadins est rendu encore plus vif par la rapide croissance des villes dès la fin du
tionnels
€ siècle, une croissance née pour certaines d'un réseau urbain ancien, pour d'autres de nouvelles
agglomérations suscitées par la renaissance du grand commerce. Rupture ou continuité de l'histoire
urbaine ?Grande question, à laquelle on apporte aujourd'hui des réponses moins tranchées que
jadis. De même l'opposition entre une société urbaine et une société féodale, dans laquelle les his-
toriens du xx siècle voyaient l'origine du mouvement communal, doit être aujourd'hui nuancée. Car
la société urbaine elle-même, partagée entre une élite aristocratique — qu'elle soit d'origine mar-
chande ou foncière - et une masse populaire, n'est pas exempte de tensions; des conflits sociaux à
l'intérieur des villes déclenchent les crises urbaines du xu° siècle.
1550
àde
900
enceinte
d'une
entourées
Nord
du
villes
de
Nombre
MB Types de villes
Le développement urbain se remarque à certains signes. De
0
nouvelles paroisses se créent, au fur et à mesure que des fau-
RER
bourgs s'étendent. Des enceintes de plus en plus larges réunis-
L'expansion urbaine après le x° siècle sent anciens et nouveaux quartiers, débordent sur des espaces
Extension de 28 villes du Nord encore non bâtis, marquent les phases successives de l'essor
de 900 à 1550 d'après la date
urbain qu'elles anticipent parfois. Quelques villes, plus fortu-
de construction de leurs
enceintes. nées, cherchent à dominer la campagne d’alentour, où elles
D'après R. S. Lopez, La Naissance de étendent par la force, par traité ou par achat, la compétence de
l'Europe. leurs propres institutions administratives et judiciaires, en un
mot leur droit de ban. Elles n’y réussissent pas toujours. Elles
connaissent en effet un développement inégal selon qu’elles
L. remplissent un plus ou moins grand nombre de fonctions,
its de ban, qu’elles commandent à une région plus ou moins vaste. Une
p.65. s
hiérarchie se forme: à la base, un grand nombre de petites
Villes et sociétés urbaines
M Le clergé urbain
EH Le « patriciat » urbain
Potentes, meliores, cives, « riches hommes », tels sont les
qualificatifs attribués par les textes à l'élite urbaine; ils indi-
quent à la fois sa domination politique et matérielle. Une
domination née d’un remarquable esprit d'entreprise, d’un
goût du risque amenant les marchands à accepter une longue
existence itinérante, à tenter des coups de fortune qui souvent
réussissent. La révolution commerciale des xi° et xu° siècles
procure aux plus entreprenants des bénéfices considérables;
elle leur offre une constante possibilité d'ascension sociale.
Le patriciat ou « méliorat » réunit des nobles de seconde zone,
des ministériaux, agents des seigneurs, de petits chevaliers
qui, tant à Florence qu’en Flandre, sont bien souvent à l’origine
des familles patriciennes (Hucquedieu à Arras, Clutinc à
Bruxelles). Ailleurs, les puissants du x‘ siècle sont les des-
cendants de gens enrichis par le change, par le commerce local
ou bien le trafic international de produits de luxe ou de
consommation courante: les Tolomei de Sienne assoient leur
fortune sur le commerce des étoffes et des cuirs, les Uten
Hove de Gand sur le trafic de la laine.
D'origines diverses, le patriciat a des caractéristiques com-
munes. Il possède le sol urbain, tire de la terre et des maisons
de gros revenus; il se constitue une clientèle d'obligés, de
domestiques qui aident chaque clan familial (paraiges à Metz,
alberghi à Gênes, case à Venise) à dominer un quartier de la
ville où il manifeste sa puissance par l'érection de tours
(Bologne, San Gimignano]. Il dispose des capitaux indispen-
sables pour toutes les formes d'activité économique: trafic des
denrées de grande consommation -— et par là il se rend maître
PARTIE 2 = Le Moyen Âge classique (x°-xni° siècle)
de qua-
du ravitaillement des villes -, fabrication des étoffes
lité dont il contrôle la commer cialis ation, opérati ons de
princes et aux rois (les Bardi de Florenc e
change, de crédit aux
plus de 900 000 florins aux Plantag enêts}, afferm age
prêtent
des revenus directs ou indirects et par là contrôle des finances
urbaines, achat de terres, de maisons et même de seigneuries.
p:
é en
Les dispositions juridiques réservent au patriciat, regroup
guilde ou hanse, le monopole du grand commerce et de l’ac-
«Art», p.271. tivité industrielle: dès la fin du xm siècle sont en place à
Florence les sept « arts majeurs », instrument de domination
économique, mais aussi politique.
M Le « peuple »
Le « peuple » constitue un milieu non homogène: à la fois
une classe moyenne de commerçants et d'artisans possédant
quelques biens, des « plumitifs », robins, notaires, avocats,
facteurs des grands marchands, des « ouvriers de la grande
industrie » si l’on peut déjà utiliser un tel terme dans les villes
drapantes de Flandre et d'Italie, une masse de malheureux
venant, comme à Paris sur la place de Grève, chercher l’em-
bauche à la tâche ou à la journée. Les corps de métiers — arti
en Italie —, nés avant 1200 d'associations religieuses de tra-
vailleurs urbains (charités, confréries}, cherchent avec l'appui
des pouvoirs publics à contrôler les artisans. Ils réservent à
leurs membres le monopole de l'exercice du métier, l’exclusi-
vité du marché de la ville, réglementent la fabrication, les
horaires de travail, les salaires, tout en protégeant les consom-
mateurs contre les malfaçons. Ils organisent une
Villes et sociétés urbaines
L'état de la recherche
La rue au Moyen Âge
étroites et sombres, véritables
La ville médiévale présente généralement un réseau confus de voies
créent des liens de voisinage et d’interd épendance mêlant les arti-
égouts à ciel ouvert, mais où se
étals à une infra-soc iété marginali sée. La voie publique est aussi une unité
sans qui travaillent à leurs
s solennelles et aussi
de répartition de charges fiscales et militaires, le lieu des «entrées » princière
des émois révolutionnaires.
7 ea u Bourg
Philippe Auguste. Seuls les
= -
CSS
SAS
Paroisse Saint-Germain-l'Auxerrois
Annexe paroissiale n
de Saint-Barthélemy
Paroisse du bourg
Saint-Martin-des-Champs
Paroisse Saint-Jacques
Paroisse Saint-Merry
Paroisse Saint-Gervais
Paroisse Saint-Paul-des-Champs
Paroisse du bourg
Saint-Germain-des-Prés
Paroisse Saint-Séverin
Paroisse Saint-Benoît
Paroisse Saint-Hilaire
Paroisse du bourg
Sainte-Geneviève
grands axes et les ponts béné- au niveau du bloc d'habitation et processions, carnavals ou
ficient de cette amélioration, ou de l'étage des maisons entrées princières. La rue est
le reste de la voirie baignant que par la différenciation des enfin un rouage de la vie admi-
dans la fange. Des mesures quartiers: riches et pauvres nistrative locale. La délimi-
d'assainissement, encore rares, se trouvent ainsi confrontés tation des fiefs, l'établissement
sont décidées au xu° siècle, quotidiennement. de l'assiette des impôts, l'orga-
comme la création d'égouts nisation militaire de la milice
à Troyes, Amiens où Sens, e monde de la rue est et du guet, le découpage des
l'interdiction de l'élevage des d'une diversité étonnante:
circonscriptions électorales
il est à la fois un passage, un
animaux de basse-cour en ville, pour le choix des responsables
atelier, un bureau où se traitent
ou le déménagement hors de des métiers et des administra-
les affaires, un marché perma-
l'enceinte urbaine des activi- teurs urbains reposent sur le
nent. Artisans et boutiquiers
tés polluantes (Sens, Meaux). réseau des rues. On comprend
travaillent à leur ouvroir dont
L'onomastique des rues n'est dès lors que ce soit aussi le
les volets abaissés présen-
pas antérieure au xii° siècle: les lieu des « émois » populaires,
tent leur production. Des
appellations sont données par petits métiers ambulants,
des agitations sociales et des
les usagers et peuvent changer une masse flottante de révoltes urbaines qui s'exacer-
d'une génération à l’autre. Elles travailleurs désœuvrés, des bent dans la rue contre ceux
proviennent soit des activités délinquants, des déclassés, qui disposent de la fortune et
dominantes, soit de l'édifice des infirmes, des pauvres, du pouvoir. Une violence qui
religieux où d'ouvrages civils des professionnels du crime, entraîne toujours une répres-
ou militaires que la rue dessert, parfois en bandes organisées, sion impitoyable, comme
soit du patronyme d'un grand font de la rue le domaine par dans le cas de la Harelle de
propriétaire. Un décor végétal excellence de la marginalité, Rouen, des Maillotins à Paris
puis, à partir du xuf siècle, des de l'agitation sociale et parfois ou des affrontements entre
enseignes servent à repérer de la fête, lorsque s'y produi- Armagnacs et Bourguignons
les maisons. La ségrégation sent bateleurs et jongleurs, dont les rues parisiennes sont
sociale s'effectue davantage lorsque s'y déroulent défilés le théâtre.
Bibliographie
Des manuels: on trouvera un résumé des idées d'H. PiRENNE sur le développement des villes
dans l'ouvrage posthume, Les Villes au Moyen Âge, Paris, 1971. Parmi les manuels, voir surtout
G. Dusy (dir.), Histoire de la France urbaine. t. 2: La ville médiévale, Paris, 1980; J. Heers, La Ville au
Moyen Âge en Occident, Paris, 1990; S. Roux, Le Monde des villes au Moyen Âge xF-x siècle,
Paris, 1994 et pour approfondir la recherche Recueils de la société Jean Bodin, t. 6-7: La Ville,
Bruxelles, 1954-1955.
on municipale suburbaine
1994 : M. BocHaca, La Banlieue de Bordeaux. Formation d'une juridicti
et Lisieux, villes épiscopa les de Normandie à la fin
(v. 1250-v. 1550), Paris, 1997; F. Neveux, Bayeux
de la ville. Espaces et sociétés à Tours
du Moyen Âge, Caen, 1996; H. Norzer, La Fabrique
VaucHEz, Rome au Moyen Âge,
(ne-xn siècle), Paris, 2007 ; J. Bacowin, Paris en 1200, Paris, 2006; À.
é au Moyen Âge,
Paris, 2010; J.-L. Fra, Villes et bourgs de Lorraine. Réseaux urbains et centralit
pouvoirs et société,
Clermont-Ferrand, 2008; L. Jean-Marie, Caen aux xf et x siècles. Espace urbain,
Paris, 2000.
Pour l'Italie:
avant d'aborder
On utilisera les ouvrages de Y. Renouaro, F. THIRIET, R. Derorr et Ph. BRAUNSTEIN,
C. VIOLANTE,
D. Herumy, Pisa in the early Renaissance. À Study of urban growth, New Haven, 1958;
Città medievale ita-
La Società milanese nell'età precomunale, Bari, 1953; G. Fasoui et F. Boccni, La
Venise,
liana, Florence, 1973: P. RaQNE, Plaisance du X à la fin du xuf siècle, Lille, 1979; F. C. LANE,
une république maritime, Paris, 1985; E. Hugerr, Rome aux xIif-xXIW siècles, Rome, 1993; O. REDON,
1995-
L'Espace d'une cité: Sienne et le pays siennois, Rome, 1994; Storia di Venezia, 6 vol., Rome,
et société, 715-1230, Rome, 1996: S. A. EpsteN, Genoa and the
1997; J-P. DeLumeAu, Arezzo, espace
Genoese 958-1528, 1996: L. FeLLer, Les Abruzzes médiévales . Territoire, économie et société en Italie
centrale du x au xF siècle, Rome, 1998; E. CrouzeT-Pava, Venise triomphante; Les horizons d'un
mythe, Paris, 1999; P. Gi, Villes et sociétés urbaines en Italie milieu x-milieu xw° siècle, Paris, 2005;
F. MENANT, L'Italie des communes (1100-1350), Paris, 2005; F. Masé, Patrimoines immobiliers eccle-
siastiques dans la Venise médiévale x°-xv siècle). Une lecture de la ville, Rome, 2006.
Voir Ch. Perr-Duraiuuis, Les Communes françaises, caractères et évolution, des origines au xvif siècle,
Paris, rééd., 1970; A. VermEEscH, Essai sur les origines et la signification de la commune dans le nord
de la France, (x-xf siècle), Namur, 1966 et P. Brezzi, / comuni medioevali nella storia d'Italia, Turin,
1965. Deux recueils de colloque: Villes de l’Europe méditerranéenne et de l'Europe occidentale,
du Moyen Âge au xx siècle, Nice, 1969 et La Charte de Beaumont et les franchises municipales
entre Loire et Rhin, Nancy, 1988.
Voir Ph. Worr et Fr. Mauro, Histoire générale du travail, t. 2, Paris, 1960; E. Coonaerr, Les Corporations
en France avant 1789, Paris, rééd., 1968; J. Heers, Le Travail au Moyen Âge, Paris, 1968 ;B. GEREMEK,
Le Salariat dans l'artisanat parisien aux xuf-x siècles, Paris, 1969 et R. Fossier, Le Travail au Moyen
Âge, Paris, 2000.
D. Caroon, La Draperie au Moyen Âge:essor d'une grande industrie européenne, Paris, 1999.
Voir B. BLumENkRANz et ali, Histoire des Juifs en France, Toulouse, 1972 ; N. Gous, Les Juifs de Rouen
au Moyen Âge, Rouen, 1985; Ch. Veruinoen, L'Esclavage dans l'Europe médiévale, 2 vol.
Bruges-Gand, 1955-1977; B. GereMEK, Les Marginaux parisiens aux x et xv° siècles, Paris, 1976
et J. Rossiauo, Amours vénales. La prostitution en Occident X-xvi siècles, Paris, 2010; F. BeriAc,
Histoire des lépreux au Moyen Âge, Paris, 1988; F.-O. Touan, Maladie et Société au Moyen Âge.
La Lèpre, lépreux et léproseries dans la province ecclésiastique de Sens jusqu'au milieu du x siècle,
Bruxelles, 1998.
L'Église et la société politique
universel dont les fins se
En l'an 1001, l'empereur Otton III, qui avait cherché à construire un empire
clandest inement, à la suite d'une
confondaient avec celles de la Chrétienté, devait quitter Rome
VIII, qui s'était fait le héraut de la sou-
révolte de la population locale. Trois siècles plus tard, Boniface
par les envoyés de Philippe IV le Bel dans sa rési-
veraineté absolue du pontife romain, était humilié
ne sont pas sans analogie; ils marquent tous deux l'échec du
dence d’Anagni (1303). Les deux faits
d'origine impériale ou pontifical e. Au début du x siècle, les empereur s
rêve universaliste, qu'il soit
caroling ienne;
germaniques entendaient diriger l'Église, au nom de la double tradition romaine et
rois, princes et seigneurs disposaie nt librement des fonctions ecclésias tiques de leur
à leur suite,
laïcs provoqua dans
ressort, dont ils investissaient les candidats de leur choix. La mainmise des
l'Église une effroyable crise morale, dont on ne sortit qu'au prix d'une réforme, lentemen t élaborée
le de
dans les milieux monastiques, avant d'être imposée par la papauté régénérée à l'ensemb
Investitu res ne constitue qu'un aspect. l'émanci pation
l'Occident, lors de luttes dont la Querelle des
de l'Église rehaussa considérablement le prestige de son chef; pour le pape, la tentation fut grande
de reprendre à son compte l'idée d'un empire universel, de prétendre exercer une puissance souve-
raine qui lui permettrait de dispenser les charges politiques et de juger leurs titulaires. Dès la seconde
moitié du xnr siècle, le pouvoir impérial dut se défendre contre ces prétentions: ce fut la lutte du
Sacerdoce et de l'Empire, au cours de laquelle le choc des idées cacha mal des ambitions territoriales
évidentes, telles que la domination de l'Italie. Avec la disparition de Frédéric II (1250), la papauté
sembla triomphante; en fait, l'effacement de l'Empire était largement compensé par la montée des
monarchies. Au moment où la théocratie pontificale s'exprimait de manière exacerbée dans les
bulles de Boniface VIII, elle était déjà démentie par les réalités du temps.
se
sanctions, amendes, dépositions et châtiments corporels
révélèrent ineffica ces. La réforme du clergé devait commen cer
au plus haut niveau, celui de la papauté.
M La réforme pontificale
Dès son élection, Léon IX entreprit de lancer de solennelles
condamnations contre les clercs simoniaques et de veiller lui-
même à leur application en assistant à des conciles nationaux
qui déposèrent divers prélats simoniaques. Après sa mort
(1054), le parti réformateur profita de la disparition d'Henri II
qui laissait un héritier de quatre ans, pour faire élire le car-
dinal Frédéric de Lorraine (Étienne IX) sans l’assentiment
impérial (1059), puis Nicolas II (1059-1061), dans les mêmes
conditions. Ce dernier fit réglementer l'usage ainsi établi: le
décret d'avril 1059 réservait l'élection pontificale aux seuls
cardinaux dont le choix serait ratifié par acclamation du clergé
et du peuple romain. La papauté était ainsi affranchie de la
tutelle impériale. Le concile du Latran en 1060 condamna le
principe de l'investiture laïque, la simonie et le nicolaïsme.
Bien que très court, le pontificat de Nicolas IT engageait ainsi
sur de bonnes voies la réforme de l'Église et annonçait celui
de Grégoire VII.
M Papes et empereurs
Les multiples péripéties importent peu. Elles opposent
Frédéric I‘, qui soutient plusieurs antipapes, et Alexandre III
qui acquiert l'alliance des villes lombardes, inquiètes des
prétentions impériales. Impuissant à dissocier ses adver-
saires, vaincu à Legnano par les troupes de la Ligue lombarde,
l’empereur dut à la paix de Venise (1177) abandonner son
L'Église et la société politique
Lothaire de Segni avait été l'élève d’un grand canoniste de Henri V (1106-1125)
l’école de Bologne, Huguccio, qui lui inspira une pensée poli- Lothaire || (1125-1138)
tique connue sous le nom de théocratie pontificale. Ce pro- Conrad II| (1138-1152)
gramme, plus souple que la théorie grégorienne, distinguait Frédéric l®’ Barberousse (1152-1190)
Henri VI (1190-1197)
la pleine souveraineté {auctoritas) que seul le pape détient, de
la puissance politique (potestas) que les souverains reçoivent
directement de Dieu. La primauté romaine a en effet une ori-
gine divine, le Christ ayant conféré à saint Pierre et à ses
successeurs la plénitude du pouvoir; en conséquence, toutes
les Églises nationales sont subordonnées au Saint-Siège qui
les contrôle par ses légats. Les États et les souverains n’échap-
pent pas à l'autorité du souverain pontife, car rois et empereurs
ont des devoirs envers Dieu, dont le pape est juge. Il s'ensuit
que le pouvoir spirituel qui a trait aux choses célestes est
supérieur au pouvoir temporel qui regarde les affaires ter-
restres, quoique Innocent III admette que dans les choses
temporelles l’empereur puisse l'emporter sur le pape. En ce
domaine, l'intervention pontificale se limite à trois cas: péché
grave des princes, nécessité urgente {soin de trancher un pro-
blème que nulle juridiction n’a pu régler), défense du domaine
ecclésiastique contre les usurpations des souverains. Vicaire
du Christ, le pape est maître des âmes et des corps.
L'application de ces idées se fit dans plusieurs domaines. Avec
Innocent III commence la centralisation romaine, marquée
par le développement d’une importante administration ecclé-
siastique et par les progrès de la fiscalité pontificale. La papauté
voulut aussi être le guide de la société chrétienne, le berceau
de son unité, l’Église devant être la réalisation terrestre de la
cité de Dieu, sous la direction du pape. À cet effet, Innocent III
encouragea la conquête et la christianisation des régions
d'Occident restées aux mains des Infidèles ou des païens
(Espagne musulmane, Prusse) ; il chercha à établir son auto-
rité temporelle sur Rome où un sénateur unique remplaça les
organismes municipaux, et sur les Etats de l'Eglise qui
PARTIE 2 Le Moyen Âge classique (x°-xn° siècle)
Æ La victoire de la papauté
LES PAPES DU XIII° SIÈCLE Le triomphe de la papauté était néanmoins fragile. Frédéric II,
Honorius Ill (1216-1227)
en se faisant couronner empereur en 1220 et en réunissant
Grégoire IX (1227-1241) de fait en sa main les sceptres sicilien et germanique, allait
Innocent IV (1243-1254) faire entrer la lutte du Sacerdoce et de l’Empire dans une phase
Alexandre |V (1254-1261) nouvelle, violente et incertaine. Son programme impérial en
Urbain IV (1261-1264) est responsable: il prétendait à un pouvoir universel; empereur
Clément IV (1265-1268)
romain, il disposait d’une souveraineté absolue [influence du
Grégoire X (1271-1276)
droit romain] ; empereur de droit divin, médiateur entre Dieu
et les hommes, il considérait l’Église comme incluse dans
l'Empire. En face, deux papes énergiques, Grégoire IX (1227-
1241] et Innocent IV (1243-1254), qui reprirent, sous une forme
exacerbée, les théories d’Innocent III, justifiant la souverai-
| neté absolue du pape dans tous les domaines par des argu-
& nation de ments aussi divers que la fausse donation de Constantin, le
Constantin, p.51. transfert du pouvoir impérial d'Orient en Occident, la consé-
cration par laquelle seul le pape fait l’empereur, la théorie des
deux glaives montrant que le souverain pontife dispense le
pouvoir temporel. La polémique fut violente, les chancelleries
s'affrontèrent. En fait, le véritable enjeu était la domination
de l'Italie, les questions religieuses se voyant reléguées au
second plan.
Une lutte sans merci absorba les énergies des deux parties,
regroupa leurs partisans en deux factions, Guelfes et Gibelins.
p. 147. Frédéric IT fut une première fois excommunié en 1227 pour
avoir différé son départ pour la croisade, puis traita avec
Grégoire IX [traité de San Germano, 1230). Après sept ans
d’accalmie, le conflit rebondit quand Frédéric eut châtié les
villes lombardes (Cortenuova, 1237); il fut une deuxième fois
excommunié en 1239, occupa les États de l’Église et empêcha
le pape de tenir un concile à Rome en 1241. Innocent IV, plus
ferme encore, s'enfuit à Lyon où il convoqua en 1245 un concile
qui prononça l’excommunication et la déposition de Frédéric II.
L'empereur mourut en 1250 sans avoir pu reprendre l'avantage
en Italie. De ce duel sans merci, l’Empire sortait vaincu; il
devait rester sans titulaire après la mort de Conrad IV, le fils
de Frédéric, jusqu’en 1273 [le grand interrègne}. Le succès de
L'Église et la société politique
L'état de la recherche
La paroisse en France
« La chrétienté se couvre d'un blanc mantea u d'églises
», écrivait le chroniqueur Raoul Glaber au
s dans la chrétienté en plein
début du x= siècle, pour marquer la création d'un réseau de paroisse
t à l'époque carolingienne, bien que
essor. Les historiens ont longtemps cru que la paroisse remontai
la paroisse elle-même. Dans les zones
le mot parochia ait longtemps désigné le diocèse plutôt que
constitué le noyau des paroisses,
d'ancienne chrétienté, la plebs antique, église de plein exercice, a
des petites églises de création domaniale. En
accru par la multiplication des oracula (oratoires) et
orientale, le r éseau régulier des paroisses n'existait pas
revanche dans les pays du Nord ou d'Europe
place progress ivement à partir de l'an Mil et est décalé dans le
au début du x° siècle: il se met en
temps à mesure que l'on se dirige vers l'est de l’Europe.
PQ A EL DE 2 D REA
Bibliographie
La lecture essentielle est l'ouvrage dirigé par A. VaucHez, Histoire du christianisme, t. V, 1054-1274,
Paris, 1993. Un résumé commode de l'histoire de la période est fourni par J. CHeun, Histoire
religieuse de l'Occident médiéval, Paris, 1968.
L'œuvre grégorienne:
Elle a fait l'objet de multiples travaux en allemand, anglais et italien (G. TELLENBACH, J. GiLCHRIST,
G. Miccou, O. CapiTani...). Le plus accessible est encore M. Pacaur, La Théocratie. L'Église et le Pouvoir
au Moyen Âge, Paris, 1957, p. 63-102, à compléter par le petit livre d'A. Fuicxe, La Querelle des
Investitures, Paris, 1946; S. GouGuEenHEIM, La réforme grégorienne, Paris, 2010; J.-H. FouLon, Église
et réforme au Moyen Âge. Papauté, milieux réformateurs et ecclésiologie dans les pays de Loire au
tournant des xf-xf siècles, Bruxelles, 2008.
CET 1. Cluny
p. 105. Au début du xr° siècle, Cluny est déjà solidement établi.
Poursuivant l’œuvre de Maïeul (948-994), deux grands abbés,
Odilon (994-1049] et Hugues (1049-1109), donnent à la congré-
gation une puissance matérielle et un rayonnement spirituel
considérables, en même temps qu'ils se rangent parmi les
personnages les plus importants de la chrétienté.
M L'expansion de Cluny
L'abbé Maïeul avait propagé la réforme monastique dans de
nombreuses abbayes de France et de Bourgogne, et commencé
à nouer entre Cluny et les établissements ainsi réformés des
liens institutionnels, annonçant la création d’un ordre. Ses
deux successeurs, grâce à la longueur exceptionnelle de leur
abbatiat, réalisèrent ce dessein. Avec eux, les coutumes cluni-
siennes, c'est-à-dire la règle bénédictine réformée par Cluny,
sont adoptées dans maint monastère du Massif Central, du
Poitou, de Provence, du Languedoc, du Bassin parisien, du
nord et de l’est de la France. Elles gagnent d’autres contrées,
Le monachisme et la recherche du salut
EÆ L'ordre clunisien
L'organisation rigide et monarchique de l’ordre ne lui avait
pas permis de s'adapter à une aussi vaste extension. Elle repo-
sait sur un homme, l'abbé de Cluny, élu par les moines de
l’abbaye-mère, exerçant sur tous les établissements dépendants
une autorité sans partage, chargé de veiller par d’incessants
voyages au respect des coutumes clunisiennes, d’arbitrer les
conflits, de recevoir le serment de fidélité des prieurs qu'il
nomme, d'établir les règlements qu'il juge utiles, d'organiser
enfin la vie d'environ dix mille moines, répartis entre divers
établissements qui ne sont pas tous rattachés à Cluny de la
même manière. En dépendance directe sont les prieurés, com- PRIEURÉ: monastère dont le
munautés monastiques placées sous la direction d’un prieur supérieur est nommé
par l'abbé
de l'abbaye-mère.
nommé par l'abbé de Cluny, auquel elles doivent un cens
annuel. Parmi elles se distinguent les « cinq filles de Cluny »,
Souvigny, La Charité-sur-Loire, Sauxillanges, Saint-Martin-
des-Champs à Paris et Lewes en Angleterre qui ont propagé
la réforme monastique et rattaché à l’abbaye-mère de nom-
breux prieurés par essaimage ou par filiation. Le nombre des
filiales est tel qu’au xn‘ siècle, tous ces établissements sont
regroupés en dix provinces, sans que soit pour autant diminué
le pouvoir de l'abbé de Cluny. Celui-ci exerce aussi son auto-
rité sur les abbayes-sujettes dont il contrôle la gestion; maïs
ces communautés, dont le nombre ne dépassa jamais une
quinzaine, ont la faculté de placer à leur tête un abbé libre-
ment élu. Le rapport de dépendance est bien plus lâche avec
les abbayes affiliées, qui s'engagent à respecter les coutumes
clunisiennes sans dépendre à proprement parler de l'abbé de
Cluny, qui se contente de ratifier l'élection de leur propre abbé.
Au début du xn° siècle, pour donner plus de cohésion à la fami-
lia clunisienne et plus de souplesse à une organisation criti- FamiLia: ensemble des moines,
frères convers et serviteurs laïcs
quée pour son « impérialisme », Pierre le Vénérable décide de qui gravitent autour du père
réunir abbés et prieurs en un chapitre général, au cours duquel abbé.
ceux-ci pourront, sous la présidence de l'abbé de Cluny, par-
ticiper aux décisions.
PARTIE 2 # Le Moyen Âge classique (u°-xn* siècle)
partage
Des coutumes communément observées, l'autorité sans
de l'abbé de Cluny donnaie nt à l’ensem ble de la congrég ation
E
grande unité spiritue lle. Grâce à l'exemp tion qu'Urba in IT
da Lis une
étend en 1097 à tous les monastères sur lesquels l'abbé de Cluny
p.105.
exerce sa juridiction directe, l’ordre a pu échapper à la main-
mise des évêques mais aussi des seigneurs laïcs, aider au relè-
vement du clergé en propageant la réforme pontificale.
La spiritualité clunisienne se fonde sur une restauration de
la règle bénédictine, non sans certains infléchissements. Elle
privilégie l'office choral, les temps de prière et de recueille-
ment, en dehors desquels l’activité du moine est réduite: il
travaille à des ateliers de copie, au point que Cluny possède
l’une des plus riches bibliothèques de tout l'Occident. Quoique
chaque établissement soit à la tête d'immenses propriétés
foncières, le moine clunisien ne s'adonne guère aux travaux
manuels; il laisse les soins de la terre à des serfs, à des pay-
sans salariés puis, au xnr siècle, à des frères convers. En consé-
quence, les vastes domaines monastiques ne sont pas toujours
exploités comme il le faudrait; la subsistance de nombreux
improductifs, moines et domestiques, conduit au x1° siècle
mainte abbaye à une situation financière difficile. En fait la
crise des abbayes bénédictines à cette époque n’est pas géné-
rale; plus qu’à l'introduction de l'économie monétaire dans
les campagnes, les difficultés sont dues à l’impéritie de cer-
tains abbés et prieurs et à l’aggravation de la fiscalité princière
et pontificale.
BE Les expériences
La richesse de Cluny, fort critiquée, donnait par contraste
une réputation de sainteté à ceux qui avaient accepté de tout
quitter pour vivre dans un isolement total, les ermites.
À l'exemple de Nil de Rossano qui avait regroupé en Calabre
à la fin du x° siècle des adeptes de l’anachorétisme, plusieurs ANACHORÉTISME : vie Contem-
ermites italiens s’efforcèrent de concilier vie cénobitique et plative menée dans la solitude
érémitisme en donnant une règle aux disciples qu'ils avaient d'une retraite,
rassemblés: Romuald créa les Camaldoli en 1012, Jean
Gualbert de Florence l'établissement de Vallombreuse (1039).
L'exemple fut suivi en Bavière et en France, particulièrement
par Étienne de Thiers, fondateur de Grandmont (1074) autour
duquel se développa un ordre. Plus décidé encore à rompre
totalement avec le monde, tout en assurant la stabilité monas-
tique à ses disciples, saint Bruno alla s'établir en 1084 au
cœur des Alpes pour jeter dans un « désert » les fondements
de la Grande Chartreuse; aidés par des frères convers, les
moines vivent en ermitages dont ils ne sortent que pour par-
ticiper aux offices et assister au chapitre réuni par le prieur
qu'ils élisent. Vers 1200, trente-neuf établissements avaient
adopté la règle de la Chartreuse.
aient
le nom d'ordre des Chevaliers Teutoniques. En eux se rejoign
l'esprit chevaleresque et l'idéal péniten tiel de la croisad e.
HE Ciîteaux
Une autre fondation allait dominer l’histoire du monachisme
la
au x1r siècle: Cîteaux. En 1098, quelques moines, sous
direction de Robert de Molesme, vont s'établir à Citeaux en
Bourgogne pour vivre intégralement la règle de saint Benoît:
rupture totale avec le monde, pauvreté, silence, travail manuel,
dépouillement des édifices cultuels et de la liturgie, telles
sont les exigences que sanctionne la « charte de charité »,
règle promulguée en 1118 par le troisième abbé de Cîteaux,
Étienne Harding. À cette date, la nouvelle fondation connaît
déjà un lustre exceptionnel, grâce à l’action de Bernard de
Fontaine (saint Bernard) qui entre à Cîteaux en 1112 avec une
vingtaine de compagnons et va ensuite fonder Clairvaux en
1115. Avec saint Bernard, Cîteaux devient un ordre regroupant
à la fin du xir° siècle 530 maisons réparties de l'Espagne à la
Pologne et de l'Irlande à la Terre Sainte. Tous ces établisse-
ments forment une véritable congrégation; ils sont rattachés
à l’une des cinq grandes abbayes, Cîteaux, La Ferté, Pontigny,
Clairvaux et Morimond, mais gardent une totale autonomie
interne, à peine limitée par la visite annuelle de l'abbé de la
maison mère. Un abbé général siégeant à Cîteaux, un chapitre
général, innovation cistercienne qui eut par la suite beaucoup
de succès, donnent au système une cohésion souple mais cer-
taine. La congrégation adopte la loi de pauvreté: les moines
cultivent eux-mêmes leurs domaines en s'intéressant aux
techniques nouvelles de mise en valeur; ils s'interdisent de
posséder des églises privées et d’en toucher les revenus.
E Saint Bernard
Sous l'influence de saint Bernard, « praticien de l'amour
ŒUVRES DE SAINT BERNARD divin », la spiritualité cistercienne exige une rupture totale
(1090-1153) :
avec le monde. Une pénitence sévère, des exercices ascétiques
Sermons à la louange et spirituels variés mènent à la connaissance et à la contem-
de la Vierge mère,
plation de Dieu. Pauvreté, mortification, chasteté sont des
Traité de l'amour de Dieu,
Sur les degrés de l'humilité moyens de parvenir aux joies de la mystique, de pratiquer une
et de l'orgueil, religion d'amour dont saint Bernard se fait l’apôtre, amour de
Sur la grâce et le libre arbitre, Dieu et de la Vierge, objet d’une grande dévotion. À sa suite,
Éloge de la nouvelle chevalerie, une pléiade d'écrivains cisterciens, dont Guillaume de Saint-
Sermons sur le Cantique
Thierry et Aelred de Rielvaux, élabora une doctrine de l'union
des Cantiques,
Traité contre les erreurs
mystique avec Dieu. Formé aux arts libéraux et possédant
d'Abélard, une bonne culture, Bernard considérait néanmoins que la
La Considération, connaissance est la servante de la foi et se défiait de l'orgueil
Lettres, de l'intelligence voulant tout expliquer: par là s'explique la
etc. vigueur de ses interventions contre Abélard. Pénitence et
humilité seules conduisent à Dieu. Mais, plus intéressé aux
exemples du passé qu'aux recherches de son temps, saint
Bernard, s’il freina certaines évolutions philosophiques
comme celle d'Abélard, favorisa l’approfondissement du mysti-
cisme médiéval.
Le monachisme et la recherche du salut
de raïi-
l'influence des transformations économiques, autant
ques de critiqu er la richess e de l’Églis e et
sons pour les héréti
ation admini strati ve qu'ils oppose nt à l'esprit évan-
son organis
e. Le
gélique, fait de pauvreté et de charité communautair
mouvement réformateur du xn‘ siècle qui a suscité tant de
rs
troubles dans l'Église et dans ses rapports avec les pouvoi
u
établis, favorise aussi l’éclosion des hérésies. Quant au conten
re:
religieux, il varie selon les mouvements que l’on considè
certains ne touchent pas au dogme que d’autres veulent chan-
de
ger. Les plus radicaux tirent l'essentiel de leur doctrine
sources tout à fait étrangè res à l'Évang ile.
& Le valdéisme
Parmi les premiers, le plus important est sans conteste la secte
des Pauvres de Lyon, créée vers 1170 par Pierre Valdès. Riche
marchand de Lyon, il résolut de tout quitter pour prêcher avec
ses disciples la pénitence et la pauvreté. Mais les propos qu'il
EXCOMMUNICATION : sentence tint dans ses prédications l’exposèrent à l’'excommunication,
prononcée contre un fidèle prononcée au concile de Vérone (1184). Il n’en continua pas
sorti de l'Église à la suite de moins à prêcher en accentuant son hostilité à la hiérarchie
paroles ou d'actes contraires à
l'enseignement officiel de
catholique. Une partie des Vaudois s'établit dans le sud de la
l'Église. France, s’opposa aux Cathares et fut récupérée par la prédica-
tion de saint Dominique. Une autre fraction passa en Italie
puis en Europe centrale et fut pourchassée par l'autorité
ecclésiastique.
& Le catharisme
Beaucoup plus dangereuse pour l'Église était la religion cathare.
Introduite vers 1150 par des seigneurs revenus de la seconde
croisade, elle se répand d’abord en Allemagne et dans le nord
de la France avant de s'implanter en Italie (Lombardie, Toscane,
Marches), en Catalogne, et particulièrement dans le Languedoc
et dans la région d'Albi, d’où le nom d’Albigeoïis. La doctrine
se rattache au manichéisme oriental: deux principes fondamen-
taux et antagonistes, le bien et le mal; deux mondes: celui de
la matière et celui de l'esprit. La masse des adeptes n’est sou-
mise à aucune obligation particulière; l'élite des parfaits mène
au contraire une vie très austère, répandant la doctrine et récon-
ciliant les pécheurs à leurs derniers instants par une sorte de
sacrement, le consolamentum. Cette doctrine se répandit rapi-
dement dans le Midi, les hérétiques reçurent l'appui des sei-
gneurs locaux, profitèrent de l’infériorité morale du clergé
méridional, s'imposèrent grâce à l’action de parfaits répandant
l'instruction, les soins médicaux et vivant d'aumônes, grâce
aussi à la tolérance du comte de Toulouse, Raymond VI. Ils
organisèrent dans le Lauraguais, autour de Fanjeaux, de Montréal
et de Laurac, une véritable Église avec six évêchés soutenus par
l'aristocratie locale et les masses populaires.
M La réponse de l’Église
L'extension de l’hérésie risquait de détruire l’unité de la chré-
tienté. Aussi, tout en s’occupant de relever le niveau moral du
Le monachisme et la recherche du salut
MH Les dominicains
SAINT DOMINIQUE
En 1215, le Castillan Dominique de Caleruega [1170/1175-1221), (1170/1175-1221)
sous-prieur d'Osma, après avoir parcouru le Languedoc, instal-
lait ses prédicateurs itinérants à Toulouse et demandait à
Innocent III de confirmer l’organisation de sa communauté.
L'année suivante, Honorius III lui accordait de créer un ordre
PARTIE 2 & Le Moyen Âge classique (xI°-xii° siècle)
Dominique
qui serait celui des frères prêcheurs. Aussitôt,
répand re par-
envoya ses compagnons à travers le monde pour
et 1221, le fon-
tout le nouveau style de prédication. Entre 1218
nt son ordre dans
dateur déploya une activité inlassable, étenda
re de Bologn e de 1220
toute l’Europe et lui donnant au chapit
tête, un maître généra l auquel
ses premières structures. À la
l réuni
sont soumis tous les prêcheurs, et un chapitre généra
ant les règlem ents de l’ordre et dispos ant du
tous les ans, élabor
ire. En 1221, les couven ts furent réparti s en pro-
pouvoir judicia
dirigée s par un prieur et un chapit re provinc ial. À la
vinces,
mort de Dominique (1221), l’ordre comptait déjà une vingtaine
de couvents de prêcheurs et quatre de moniales.
nine La règle adoptée par les prêcheurs est celle des chanoines de
p. 58. saint Augustin. Elle fait une large place à la prière liturgique,
à la méditation et accorde de grands pouvoirs à un prieur élu,
responsable de l’organisation conventuelle. Deux traits carac-
térisent le nouvel ordre: la fidélité à la « vie apostolique »,
l'importance de la formation intellectuelle des frères. « Vie
apostolique », cela signifie une exigence de pauvreté telle que
l'ordre ne doit avoir ni revenus, ni propriétés, et doit pratiquer
la mendicité conventuelle. Seule est admise la possession du
couvent par chaque communauté, de livres par chacun des
frères ;chaque couvent se transforme en maison d'études ou
studium; chaque province dispose de centres d'études bibliques
et théologiques; les prêcheurs se fixent enfin dans les villes
universitaires (Bologne, Paris, Toulouse, Oxford, Cologne) où
la qualité de leur enseignement leur permet de briguer rapi-
dement les chaires de Faculté.
Æ Les franciscains
Au même moment, en Italie, naissait l’ordre des frères mineurs.
Mineurs (0.F.M.) : l'Ordo fratrum Jeune bourgeois d'Assise, né vers 1182, François Bernadone
minorum est le nom porté par rompit en 1205 avec les usages familiaux pour mener une vie
les franciscains en signe
d'humilité.
de retraite, de prière et de mendicité. En 1209, il décida de Vivre
dans le dénuement absolu, suivi rapidement par des émules
SAINT FRANÇOIS (1182-1226).
(Bernard de Quintavalle, Pierre de Catane] décidés à imiter la
vie apostolique et constitués en une fraternité de pénitents.
Ces premiers adeptes en entraînèrent d’autres, se livrant à la
prédication sur des sujets de morale, les seuls que les autorisait
à traiter le pape Innocent III. Les conditions dans lesquelles la
communauté s'organisa en ordre sont encore peu claires:
François, attentif à l'exigence radicale de pauvreté, s'opposa-
t-il à cette transformation ? La papauté, soucieuse de contrôler
la diffusion des mineurs et d'en faire une milice de l'Église,
imposa-t-elle au petit pauvre d'Assise (Poverello) une organi-
sation et une règle? Toujours est-il qu'après une infructueuse
mission de François en Égypte, et quelques désordres nés d’une
crise d'autorité, François laissa à ses premiers disciples la direc-
tion de la communauté, après avoir élaboré une règle
qu'Honorius III promulgua en 1223. Il se retira sur le mont
Alverne en Toscane et mourut en 1226.
Le monachisme et la recherche du salut
À cette date, l'ordre des frères mineurs avait reçu une organi-
sation et s’efforçait de vivre selon les principes ayant présidé
à sa fondation. Il était dirigé par un ministre général assisté
d'un chapitre général. Au niveau inférieur, les chapitres pro-
vinciaux puis les couvents dirigés par un custode. Un cardinal
protecteur veillait à la stricte subordination de l’ordre au Saint-
Siège. À la fin du xur‘ siècle, avec plus de 1 500 maisons répar-
ties en 34 provinces, l’ordre s'étendit du Portugal à la
Scandinavie et de l'Irlande en Tartarie. Le réseau des couvents
était surtout très dense en Italie; il se complétait par les éta-
blissements des clarisses, ordre féminin créé par Claire de
Favorino. Saint François avait voulu développer chez ses dis-
ciples le sens de la pauvreté, l'amour mutuel, l'humilité et la
patience, comme le rappelle son testament. Mais, dès la mort
du fondateur, l’on s’interrogea sur le sens de la pauvreté dans
la spiritualité des mineurs: s’interdirait-on de construire cou-
vents et basiliques, de posséder des livres? Certains, qu'on
appela les « spirituels », étaient les zélateurs d’une pauvreté
absolue et dénonçaient les interprétations que la papauté don-
nait au testament de saint François. Ce groupe accueillit les
idées hérétiques d’un moine cistercien, Joachim de Flore, dont
l'ouvrage sur l'unité de la Trinité avait été condamné au
ve concile du Latran (1215). D'autres, ou « conventuels »,
acceptaient avec le frère Elie de Cortone, ministre général de
1232 à 1239, certains accommodements avec l'exigence de
pauvreté. Le conflit, un moment apaisé par les constitutions
promulguées à Narbonne par saint Bonaventure en 1260, reprit
après la mort de ce ministre général en 1274 et se prolongea
jusqu'au cœur du xiv° siècle.
292),
saint Thomas d'Aquin (1226-1274), Roger Bacon (1210-1
pour ne citer que les plus célèbres .
Duns Scot (1226-1308),
L'éclat des ordres mendiants ne va pas sans ombres. Dès 1231-
1233, ils prirent en main l’Inquisition. Jusque vers 1260, ils
se heurtèrent au clergé séculier à propos de leur place dans
les universités; sous Boniface VIII encore, ils étaient en conflit
avec les évêques qui supportaient mal de les voir remplacer
les desservants de paroisses dans la prédication et la direction
de conscience.
Malgré tout, les ordres mendiants exercent une profonde
influence dans tous les domaines du ressort de l'Église. Ils
représentent une éclatante adaptation des clercs aux besoins
du temps et de l’Église aux nouvelles structures sociales.
Bibliographie
Le vocabulaire du christianisme:
me. On
Il est indispensable d'avoir une certaine connaissance du vocabulaire du christianis
pourra l'acquérir en consultant l'introduction de l'ouvrage de J. CHeun, Histoire religieuse de
l'Occident médiéval, Paris, 1968, l'index du t. 3 de l'Histoire des institutions françaises au Moyen
Âge: institutions ecclésiastiques, Paris, 1962.
Sur le monachisme:
Parmi les synthèses générales sur le monachisme, on peut citer M. Pacaur, Les Ordres monas-
tiques et religieux au Moyen Âge, Paris, 2° éd., 1993 et J. Beruioz (dir.), Moines et religieux au Moyen
Âge, Paris, 1994; N. Deriou-Leca, Saint-Germain d'Auxerre et ses dépendances (#-xuf siècle),
Le monachisme et la recherche du salut
Saint-Étienne, 2010; V. Gazeau, Normannia monastica. Princes normands et abbés bénédictins (x-
x£ siècle), Caen, 2007.
Sur Cluny, l'ouvrage fondamental est désormais celui de M. Pacaur, L'Ordre de Cluny, Paris, 1986,
à compléter par les études de quelques grands abbés de Cluny, comme celle de J. Lecuerco,
Pierre le Vénérable, Paris, 1946; P. RaQNET, Crises et Renouveaux: les monastères clunisiens à la fin
du Moyen Âge (xuf-xv siècles), Arras, 1997 ;D. loGna-Prar, Ordonner et Exclure, cf. p. 187.
Sur le monachisme féminin, voir M. Parisse, Les Nonnes au Moyen Âge, Paris, 1983; du même
auteur, Les Religieuses en France au xuf siècle, Nancy, 1985 et P. Lecuerco-L'HermiTe, Le Monachisme
féminin dans la société de son temps. La Celle-lès-Brignoles, xf-xvf siècle, Paris, 1989; J. DaLARUN,
Claire de Rimini, Paris, 1999.
L'ordre cistercien:
L'ordre cistercien fait l'objet de l'étude fondamentale de M. Pacaur, Les Moines blancs. Histoire
de l’ordre de Ciîteaux, Paris, 1993; voir aussi P. AuBé, Saint Bernard de Clairvaux, Paris, 2003.
Pour saint Bernard, la synthèse la plus accessible est celle de J. Lecrerco, Saint Bernard etl'Esprit
cistercien, Paris, 1966, à compléter par J. Vercer et J. Jouiver, Bernard et Abélard ou le cloître et
l'école, Paris, 1982 et A. Breoero, Cluny et Citeaux au xiF siècle, Lille, 1983.
l. Conquêtes et reconquêtes
M L'expansion normande
, . APR +
Au début du xr° siècle, l’'expansionnisme des Scandinaves; et
particulièrement des Danois, obtient ses plus beaux résultats.
ME | Vers l'an Mil, croit-on, à partir de leurs bases d'Islande et du
7 | Groenland, des Norvégiens vont explorer le Labrador. On a
», p. 90.
p
déjà vu la fortune éphémère de l'empire de Knut le Grand.
Celui-ci aide à l’évangélisation de la Scandinavie qui entre
ainsi pleinement dans la Chrétienté. Danois et Varègues
(Suédois) pénètrent d'autre part au cœur du monde slave et
gagnent par les fleuves russes les pays byzantins et musul-
mans, comme mercenaires ou comme marchands.
Au moment même où la mort de Knut le Grand (1035) pro-
voque la dislocation du grand Empire danois, d’autres
Scandinaves, fixés ceux-là en Normandie, prennent le relais
GUILLAUME LE CONQUÉRANT, de l'expansion. Le duc de Normandie, Guillaume, à la mort
duc de Normandie (1035-1087) d'Édouard le Confesseur (1066), affirme ses prétentions à la
couronne d'Angleterre, organise une expédition outre-Manche
qui écrase les Anglo-Saxons à la bataille d'Hastings (octobre
1066). L'histoire du duché de Normandie se trouve ainsi liée
L'expansion de l'Occident
M L'Europe centrale
En Europe centrale, la chrétienté progresse également. Le chef
hongrois Vajk, baptisé sous le nom d’Étienne vers 996, reçoit
du pape Silvestre II la couronne royale en l’an Mil. Ses popu-
lations se convertissent et se sédentarisent peu à peu. Les
Slaves de Bohême conservent les traditions de saint Wenceslas,
sont ouverts à la culture latine, mais subissent de fortes pres-
sions germaniques. La Pologne avec Miezko I“ entre dans la
chrétienté vers 966, réussit un moment à regrouper la majeure
partie des Slaves du Nord, mais est incapable, à partir du xn°
siècle, de résister à la colonisation germanique poursuivie par
les ordres militaires, Teutoniques et Porte-Glaives.
M La Reconquista
En Espagne, la conquête musulmane avait laissé subsister Rois D'ARAGON
quelques petits royaumes chrétiens dans les régions monta- Ramire 1° (1035-1063)
gneuses du nord de la péninsule: Léon, Navarre et comté de Sanche (1063-1094)
Barcelone, sans cesse menacés par les incursions sarrasines Pierre 1 (1094-1104)
Alphonse 1° (1104-1134)
(occupation de Saint-Jacques de Compostelle en 997). Malgré
Ramire || (1134-1137)
leur faiblesse, ces petits États, au nom de la foi religieuse et des Pétronille (1137-1162)
traditions romaines et wisigothiques, entreprennent, mais en Alphonse 11 (1162-1196)
ordre dispersé, l’œuvre de la Reconquête, marquée parfois de Pierre 11 (1196-1213)
revers et de temps d'arrêt, mais aussi d’heureux succès. Rejoints Jacques |° (1213-1276)
par des chevaliers d'outre-monts, parfois mal acceptés, et par jerre ll (1276-1285)
ÙU
cet
Tage. Malgré l'arrivée massive de chevaliers français comme
re dynasti e portuga ise,
Henri de Bourgogne, ancêtre de la premiè
Valence
malgré des exploits individuels comme ceux du Cid à
ns sont réduits à la défensi ve jusqu’a u début
en 1095, les chrétie
se
du xrr' siècle où les conquêtes reprennent: Tudèle [11 14), Saragos
(1118}, la vallée de l’Ebre occupée par Alphon se I‘ qui prépare
1137.
l'union de l’Aragon avec le comté de Barcelone, réalisée en
se Henriq uez s'empa re de Lisbonn e, libère la
À l'ouest, Alphon
majeure partie du Portugal et prend le titre royal en 1139. Des
ne
querelles dynastiques et la désunion des royaumes chrétiens
AimoHaDEs: dynastie musul-
mane d'origine berbère qui t plus qu’une
permettent pas de poursuivre ces avantag es d'autan
occupe l'Andalousie à partir de
1147. nouvelle vague sarrasine, celle des Almohades, recouvre lente-
ment l'Espagne.
Aussi, au début du x‘ siècle, Innocent III confie à l'archevêque
Rois DE CASTILLE de Tolède le soin d'organiser une nouvelle croisade. Des cheva-
Ferdinand 1° (1037-1065) liers sont recrutés dans tout l'Occident; une forte armée chré-
Sanche || (1065-1072) tienne, conduite par les rois de Castille, d'Aragon et de Navarre,
Alphonse VI(1072-1109) écrase les forces du calife almohade à Las Navas de Tolosa
Urraca (1109-1126)
(1212). Les Musulmans sont refoulés dans le sud de la péninsule
Alphonse VII (1126-1157)
Alphonse VII (1158-1214)
et forment le royaume de Grenade qui subsiste jusqu'en 1492.
Ferdinand Il le Saint La Castille et l’'Aragon se partagent les terres conquises.
(1217-1252) Ferdinand III annexe l’Andalousie avec Cordoue [1236] et Séville
Alphonse X le Sage (1248] ; quant à Jacques I‘ d'Aragon, il s'empare du royaume de
(1252-1284) Valence et des Baléares. Son fils Pierre III met à profit la voca-
tion maritime de ses États, pour mener une grande politique
né
n L méditerranéenne, recherchant l'alliance byzantine pour expul-
p.185. ser les Angevins de Sicile [(Vêpres siciliennes-1282).
La Reconquête a marqué profondément l’histoire de l'Espagne.
Elle a détourné les énergies vers une guerre interminable, au
détriment d'activités plus créatrices. Elle a livré aux royaumes
chrétiens d'importantes minorités non chrétiennes, juives ou
musulmanes, soigneusement protégées parfois par les souve-
rains. Elle a fait naître, à côté d'ordres militaires nationaux
(Alcantara, Calatrava), une féodalité turbulente que les rois ont
peine à discipliner; elle a favorisé les libertés des communautés
urbaines, garanties par des fueros, et le droit d'opinion des dif-
férentes classes de la population qui peuvent s'exprimer dans
des assemblées consultatives ou Cortes. Surtout la Reconquista,
marquée par l'union de l'épée et de la croix, a, dès les années
1050, préparé la voie aux croisades.
de la
populaire. D'un autre côté se précise, SOUS l'influence
la notion de guerre pour Dieu: lutter pour déli-
Reconquista,
le Saint- Sépulc re c’est mériter , si l'on meurt en état de
vrer
ant aux fidèles d'aller
grâce, la palme du martyre. En propos
défendre les chrétiens d'Orient, Urbain II définit au concile
disait
de Clermont la notion même de croisade, ou, comme l’on
alors, de « voyage de Jérusa lem » ou de « passag e » (vers l’outre-
mer}. C'est un pèlerinage en armes, qui se donne pour objet
la délivrance des chrétiens d'Orient; il est placé sous l'autorité
de l'Église (le pape est représenté par un légat}, ouvert par une
bulle pontificale; ses participants se reconnaissent à certains
signes extérieurs (port d'une croix, mot de passe] et bénéficient
de privilèges spirituels et temporels (indulgences, moratoire
INDULGENCE: rémission par des dettes).
l'Église des peines temporelles
que les péchés méritent.
Æ Les caractères de la croisade
L'appel de Clermont eut un retentissement considérable. Une
cohue d'hommes, mais aussi de vieillards et de femmes, suivit
quelques prédicateurs populaires, dont Pierre l'Ermite, alors que
les troupes de chevaliers s’organisaient plus lentement. La croi-
sade populaire précède la croisade hiérarchique, double courant
que l’on retrouve jusqu'au xm° siècle. Malgré la diversité de leur
organisation et de leur sort, les huit croisades ont un certain
nombre de traits communs. Dans leur déclenchement, l'initia-
tive revient au Saint-Siège. Alerté par les revers subis par les
chrétiens en Orient, le pape, par le moyen d’une bulle pontifi-
cale ou à l’occasion d’un concile, lance un appel aux souverains,
aux nobles et aux chevaliers d'Occident. La prédication de la
croisade est assurée spontanément par des clercs et des ermites,
tels Pierre l’'Ermite en 1096, le moine Raoul en 1145-1146, le
curé Foulques de Neuilly en 1198-1201, ou par des prédicateurs
mandatés par la papauté, comme saint Bernard, lors des assem-
blées de Vézelay et de Spire (1146). À l'appel répondent grands
et petits, pauvres et puissants. Près de 150 000 hommes et
femmes suivent Pierre l’Ermite sur les routes de l'Europe cen-
trale, foules indisciplinées, prêtes à des enthousiasmes subits
et à de prompts découragements; en 1212, des enfants suivent
Étienne de Cloyes et le jeune Allemand Nicolas et sont disper-
sés ou vendus comme esclaves. Les chevaliers de Flandre, de
Lorraine, du Languedoc et d'Italie du Sud organisent quatre
expéditions en 1096, qui rejoignent en Asie Mineure les débris
de la croisade populaire. Les déboires de celle-ci conduisent les
souverains, puis la papauté, à organiser les départs. Mais la
mésentente trop fréquente des princes nuit à la cohésion des
troupes. Le caractère international de la croisade n'empêche pas
qu’à l’intérieur de chaque expédition, l'esprit de nationalité et
de classe l'emporte.
Le but de la croisade est Jérusalem au moins jusqu’à la fin du
x siècle. Les soldats du Christ empruntent, pour s'y rendre,
des itinéraires variés: soit les routes de terre, par la vallée du
Danube, la Serbie, la Thrace, Constantinople et l'Asie Mineure,
soit les routes de mer, depuis Gênes, Marseille ou Venise, ces
dernières étant préférées à partir de la troisième croisade.
L'expansion de l'Occident
lonique,
en Grèce par des chefs croisés (royaume de Thessa
duché d'Athènes, principauté de Morée).
Une des créations les plus originales fut le royaume de
de
Jérusalem, dont les institutions furent calquées sur celles
la France au xr siècle. À sa tête, un roi, dont le pouvoir,
trans-
s'appuyant sur la possession d’un vaste domaine et la
mission héréditaire de la couronne , reste fort jusqu'en 1174.
date, le royaume de Jérusal em devient une sorte
Après cette
de république féodale dirigée par les barons réunis en Haute
Cour et qui profitent des minorités des rois où de l’absentéisme
des souverains [les Staufen puis les Lusignan) pour se disputer
la direction du royaume. Une hiérarchie de grands officiers et
de fonctionnaires subalternes, une organisation judiciaire
diversifiée en autant de cours que de groupés sociaux, une
défense assurée par les levées féodales, les contingents fournis
Le krak des Chevaliers (Syrie) par les villes, les Syriens chrétiens et les indigènes ainsi que
D'après J. Le Gorr, La Civilisation de
l'Occident médiéval, Arthaud.
par les grands ordres militaires (Hospitaliers, Templiers) tenant
les forteresses (Beaufort, krak des Chevaliers, Montfort), tels
sont les principaux traits originaux d’un royaume où se côtoient
Francs et Musulmans, Italiens et Juifs, Chrétiens et Sarrasins.
M Les missions
Le zèle missionnaire des ordres mendiants s'épanouit aussi
dans d’autres régions marginales de la chrétienté. Saint
François d'Assise espérait convertir les Sarrasins d'Égypte; à
son exemple, des frères mineurs s'établirent en terre d’Islam
(Maroc et Tunisie). Saint Dominique, avant de se fixer en
Languedoc, projetait d'évangéliser les Coumans des régions
pontiques. Au milieu du xur siècle, des missionnaires parcou-
rurent le monde mongol, tels Jean de Plan Carpin (1246-1247)
et Guillaume de Rubrouck (1253-1255). Croyant au succès de
l'entreprise, la papauté reconstitua une hiérarchie épiscopale
en Perse et envoya à Pékin Jean de Montecorvino pour y orga-
niser une Église. La désagrégation de l’Empire mongol après
1350 ruina ces espérances. En Afrique, vers 1260, un domi-
nicain pénétra en Éthiopie où l’on n'allait pas tarder à recon-
naître le légendaire royaume du prêtre Jean.
Des marchands accompagnaient ou suivaient les mission-
naires. Des hommes d’affaires italiens, à la suite des Polo,
s'établirent en Extrême-Orient; des Génois cherchèrent à
atteindre l'or du Soudan et même les Indes par les routes de
l'Océan: les frères Vivaldi, partis en 1291, disparurent. Leur
entreprise montrait la voie aux explorateurs de l'Atlantique.
L'expansion de l'Occident
L'état de la recherche
Un exemple d'expansion: Gênes
Sur la côte de la Crimée, dominant une petite plaine alluviale ourlée d'une plage de sable doré, se
dresse une citadelle impressionnante: des remparts crénelés grimpent à l'assaut des derniers contre-
forts des monts Aïla qui tombent de manière abrupte sur la mer. Les pentes basses sont elles aussi
ceintes de murs coupés par une porte puissamment fortifiée, derrière laquelle s'étendent de vastes
espaces, jadis habités, qui attendent aujourd'hui la pioche des archéologues pour livrer leurs secrets.
Nous sommes à Soldaïa, vieille cité byzantine, passée au pouvoir des Mongols en 1249, puis devenue
colonie vénitienne. C'est de là que partirent pour leur lointaine expédition vers la Chine le père et
l'oncle de Marco Polo. En 1365, enfin, les Génois s'en emparèrent et en firent le centre des villages
de Gothie, une concurrente de leur principale colonie, Caffa, située un peu plus à l'est sur cette même
Riviera criméenne.
conquiert ou qu'elle reçoit en les ressources des territoires profits, tout en maintenant le
concession, Gênes doit faire d'outre-mer pour satisfaire les petit peuple dans sa condition
appel à ses citoyens de la ville, besoins de la métropole et, ancestrale. Les Génois ne
bien sûr, mais aussi de toutes au-delà, de tout l'artisanat de s'intéressent guère à la propa-
les communautés des Riviere l'Occident médiéval. gation de la foi chrétienne: les
sur lesquelles elle a étendu son membres des nouveaux ordres
F colonies génoises, en mendiants — franciscains et
pouvoir. Un vaste mouvement
effet, ne manquent pas dominicains — suivent les mar-
d'émigration touche toute la
de ressources. Les rives de chands dans leur progression,
Ligurie et s'étend aux villes qui
Crimée, aux franges du monde créent des églises locales et
entretiennent des rapports
mongol, voient arriver dans une hiérarchie missionnaire
commerciaux avec la Superbe.
leurs ports les produits d'Ex- en pays « tatar », mais elles dis-
Des petites gens, des soldats,
trême-Orient, soie et épices, paraissent avec la domination
des marins, des aventuriers,
si recherchés dans le monde politique occidentale qui leur
mais aussi des jeunes gens
occidental. Elles distribuent a donné le jour. Les phéno-
qui font leur apprentissage
jusqu'au cœur de l'Asie draps et mènes d'acculturation restent
des affaires, des membres
toiles, vin et bimbeloterie que bien limités: l'introduction
de l'aristocratie marchande
celui-ci propose en échange. de quelques mots orientaux
partent pour quelques mois
Elles recueillent les esclaves, dans le vocabulaire courant et
ou quelques années, se fixent
bouches inutiles des tribus la création d'un dictionnaire
outre-mer, prennent femme
caucasiennes, qui vont servir
ou concubine, font venir leur trilingue, persan, couman et
dans les familles aisées des
famille, tout en gardant la latin, dans les milieux génois
villes d'Occident ou mettre en
nostalgie de leur terre natale, de Crimée, ne peuvent cacher
valeur les domaines agricoles
de leur paroisse d'origine qu'ils l'insignifiance des contacts
de Sicile. Elles sont le point de
n'oublient pas dans leurs legs intellectuels entre les deux
rencontre privilégié du monde
testamentaires. Minoritaires mondes. Ligures et Orientaux
de la steppe et de la forêt et
par rapport aux Grecs, aux vivent côte à côte, sans se
des villes marchandes médi-
Arméniens où aux Mongols mélanger sauf au niveau
terranéennes. Intermédiaires
qui les entourent, ces Génois des élites ou de quelques
entre des économies com-
d'outre-mer constituent plus concubinages dans le menu
plémentaires, les colonies
de 80% de la population peuple. Pourtant, à mesure
génoises sont aussi centres
occidentale des comptoirs.
d'exploitation de ressources que s'allonge la domination
Le caractère « national » de la locales d'un grand intérêt: génoise, un processus d'orien-
colonisation est très marqué: cire, miel, fourrures et céréales talisation des élites s'opère,
peu de Vénitiens et de Pisans pour celles de Crimée, alun surtout en milieu hellénique:
dans les colonies génoises, destiné à la fixation des tein- les Giustiniani succombent à
pratiquement pas de Ligures tures sur les draps d'Occident la douceur de l’île d'Homère et
dans les colonies vénitiennes, pour Phocée (Asie Mineure), se détachent peu à peu de leur
Crète, Corfou ou Nègrepont. mastic, ce « chewing-gum du métropole qui leur apporte
L'attachement à la métropole Moyen Âge », pour Chio, qui peu de soutien.
n'exclut pas chez ces expatriés contingente la production et
des mouvements d'humeur, omination politique
organise la commercialisation
lorsque leurs intérêts ne corres- de ces deux monopoles dans ferme, exploitation éco-
pondent pas à ceux qu'affiche nomique pesante, sujétion
l'ensemble du monde. La
la Commune: on verra ainsi, au naissance des premiers cartels culturelle légère: les Gênes
fil du temps, la Mahone de Chio commerciaux doit beaucoup d'outre-mer ont été le « labo-
prendre une certaine distance à l'esprit inventif des Génois ratoire » de la colonisation
et ses membres, les Giustiniani, d'outre-mer. moderne. Les Portugais, dans
pencher pour des compromis leurs comptoirs d'Afrique et
avec le Turc, pour préserver leur our réussir la mise en valeur d'Asie, davantage que les
île le plus longtemps possible. des colonies, point n'est Espagnols dans leurs colonies
Ainsi se constitue une société besoin d'une sujétion pesante de peuplement d'outre-
coloniale dominatrice, dont sur leurs populations. Il suffit Atlantique, ont tiré profit des
l'unique but est de mettre en d'intéresser les élites indigènes expériences menées dans les
exploitation, le mieux possible, et de leur laisser une part des «autres Gênes ».
L'expansion de l'Occident
A A GR EE D D TN A PE A RE
Bibliographie
Sur l'expansion scandinave:
Voir surtout L. Musser, Les Invasions germaniques, le second assaut contre l'Europe chrétienne (vif-
x° siècle), Paris, rééd., 1971, ainsi que le recueil des Settimane di Spoleto, | Normanni e la loro
espansione in Europa nell’Alto Medioevo, Spolète, 1969, et P. Sawver, The Age ofthe Vikings, Londres,
1962; F. NEvEux, L'aventure des Normands vuf-xuf siècles, Paris, 2006.
Sur l'Espagne:
C. Aer, Les Mozarabes, Islamisation, arabisation et christianisme en péninsule ibérique (x-xif siècle),
Madrid, 2010.
1. La vie intellectuelle :
des écoles monastiques aux universités
À côté de rares écoles presbytérales donnant aux enfants
quelques rudiments de grammaire, de lecture et d'écriture,
les seules écoles dignes de ce nom étaient établies, au début
du xi° siècle, auprès des grandes fondations monastiques et de
quelques cathédrales.
À
se couvre l'Occident après l'an Mil, l’art roman s’enracine dans
le passé dont il recueille les goûts et parfois les techniques.
Dans les pays d'Empire, l’art ottonien continue la tradition
carolingienne. En Italie, les traditions byzantines, maintenues p. 107.
par Ravenne, marquent l'architecture religieuse des régions
restées en contact avec l'Orient {Vénétie}, tandis qu’en
Lombardie des innovations dans le plan et le décor des bâti-
ments donnent naissance à un art roman méridional qui gagne
les régions méditerranéennes et la Catalogne où il s'imprègne
d’influences mozarabes. Les emprunts sont donc multiples.
sin-
dominantes rouges et bleues complètent une décoration
gulièrement riche.
maté-
La diversité des solutions architecturales, la variété des
utilisés (calcair e, laves, grès), l’usage auquel étaient des-
riaux
tinées les constructions ont permis de distinguer des écoles
e
régionales. Ainsi la sécheresse des édifices normands s'oppos
à la richesse décorative des églises bourgu ignonn es ou langue-
dociennes. La grandeur des églises de pèlerinage {Conques, Saint-
Sernin de Toulouse] contraste avec les proportions modestes des
sanctuaires provençaux. Le prestige de l’ordre clunisien est tel
que l'abbatiale de Cluny est imitée en Bourgogne et jusqu'en
Espagne du Nord. L'équilibre harmonieux et le dépouillement
caractérisent les édifices cisterciens, qui adoptent les procédés
romans, mais refusent les aspects étranges et tourmentés du
décor. En Rhénanie, en Angleterre et en Italie, de fortes tradi-
tions locales ajoutent à la variété d’un art qui pendant près de
deux siècles domine l'Occident en faisant preuve d'une excep-
tionnelle richesse créatrice.
B La sculpture
La sculpture se dégage plus lentement de l'empire des tradi-
tions romanes. Le développement va dans le sens de la sim-
plicité, de l'harmonie et de la clarté, en même temps que se
renouvellent les thèmes iconographiques. Au foisonnement
d'êtres imaginaires, à la flore capricieuse, aux animaux
grouillants, succèdent des personnages animés plus proches
de l’homme, qui gardent le mystère impénétrable des réalités
intérieures qui les habitent. La statuaire gothique doit beau-
coup aux influences de Saint-Denis et de Chartres dont le
« Portail royal » exécuté entre 1145 et 1156 inaugure le type
du portail dit à « statues-colonnes » que l’on rencontre à
Bourges, à Saint-Bénigne de Dijon, en Languedoc, en Angleterre
(Rochester]) et en Espagne (Saint-Jacques de Compostelle). Au
xi° siècle, la sculpture envahit tous les espaces libres; des
compositions claires et harmonieuses déroulent toute l’his-
toire sainte, des Prophètes jusqu’à l’Apocalypse, s’attardent
sur des scènes mariales traitées avec ferveur et tendresse,
constituent de véritables sommes théologiques, la Bible des
illettrés. Les gestes et les attitudes sont empreints de natura-
lisme, de grâce et de profonde humanité.
L'état de la recherche
Un exemple complexe de construction: l'abbatiale de Cluny
Au moment où l'abbé Bernon (910-927) reçoit de Guillaume le Pieux, duc d'Aquitaine une villa pour
créer le monastère de Cluny, le site comportait un sanctuaire du ix siècle, consacré à la Vierge et aux
apôtres Pierre et Paul: les historiens le nomment Cluny A et le situent à l'emplacement de l’abside
de Cluny 2. Bernon fait construire une église, Cluny 1, sanctuaire tripartite, consacré en 927 et situé
à l'emplacement de la sacristie de Cluny 2. C'est là que l'abbé fondateur est inhumé derrière l'autel
de saint Benoît. L'abbé Odon (927-942) achève la construction de Cluny 1 qui devient bien vite trop
petite en raison de l'afflux des moines.
è
‘abbé Aymard (942-963) Elle possède une nef d'une lar- Jabbé Odilon (993-1048)
décide de construire une geur de 14,70 m, un transept coordonne d'importants
seconde église, Cluny 2, tout de 27,42 m, son abside et ses travaux pour compléter
en laissant Cluny 1 debout, l'œuvre de Mayeul, tant dans
absidioles étant posés sur les
englobé dans le transept de l'église elle-même que dans les
murs de Cluny A. Sa longueur
la nouvelle église, transept bâtiments claustraux qui sont
qui occupe toute la largeur
dut être de l'ordre de 47,60 m entourés d'un mur d'enceinte
de la cour de l'ancienne villa. et ses tours-clochers d'une achevé vers 1045. Pour faciliter
L'abbé Mayeul (963-991) hauteur de 28,50m. Le chœur les grandes processions litur-
poursuit l'œuvre de son pré- était prévu pour abriter une giques, il fait construire vers
décesseur. Le cloître adjacent centaine de moines, les digni- 1010 une galilée, vestibule de
est encore petit, les édifices taires de l'ordre prenant place l'église, et un atrium servant
claustraux s'inscrivant dans d'entrée aux bâtiments claus-
aux deux extrémités du chœur
un carré d'une quarantaine traux. Ceux-ci comprennent
vers le sanctuaire, les moines
de mètres. Cluny 2 représente désormais deux cloîtres, des
une grande construction de près des autels de la nef et les ateliers, une boulangerie,
style roman, qui a influencé novices dans une travée de la deux cuisines, l'édifice des
bien des églises du Mâconnais. paroi occidentale. frères lais, une écurie, un
La vie intellectuelle et artistique
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hospice, un grand cellier, une 200 moines. Sur l'aile orientale la chapelle Sainte-Marie. Le
aumônerie pour loger les du cloître, on trouve la salle cloître lui-même est achevé
pauvres, une hôtellerie pour du chapitre, l’auditorium, la dans les dernières années de
les hôtes de marque et le salle de travail, le dortoir des l'abbatiat d'Odilon. Fait de
moines, la bibliothèque et marbre, son luxe est dénoncé
réfectoire pouvant accueillir
PARTIE 2 Le Moyen Âge classique (x°-xn° siècle)
par saint Bernard, qui prône confiée aux architectes Gauzon des portails comparables à
les constructions cisterciennes et Hézelon, une église destinée celui de Vézelay, la voûte de la
plus sobres. à magnifier la puissance de grande nef, un narthex et des
l'ordre. Commencée en sep- travaux dans le monastère. Un
Jaccroissement du nombre tembre 1088, elle comporte mur d'enceinte à double por-
des moines (près de 250) un vaste déambulatoire à cha- tail réalisé à la fin du xu° siècle
et des visiteurs attirés par la pelles rayonnantes, avec une enferme ce qui devait être l'une
renommée internationale de suite d'absidioles en échelon, des plus grandes églises de la
Cluny pousse l'abbé Hugues un double transept, une nef chrétienté, comparable à la
de Semur (1049-1109) à entre- de 75,13 m de longueur et de grande cathédrale impériale de
prendre de grands travaux. 38,45 m de largeur à doubles Spire où au vieux Saint-Pierre
C'est d'abord la construction collatéraux . La voûte à 29,50 m de Rome. Vendue comme bien
d'un nouvel hospice et d'une de hauteur est soutenue par national sous la Révolution,
infirmerie, l'agrandissement 60 grands piliers portant des Cluny 3 est en partie détruite.
de l'hôtellerie et du réfectoire, arcs brisés. Les successeurs Sur les bases des constructions
l'édification de l'église Sainte- de l'abbé Hugues, Ponce de subsistantes, un programme
Marie du cloître, consacrée Melgueil (1109-1122) et Pierre le informatique a permis de
en septembre 1085. L'œuvre Vénérable (1122-1156) complè- rendre visibles les proportions
majeure reste néanmoins tent l'édifice par la construction majestueuses de l'édifice du
la construction de Cluny 3, de la façade de la grande nef, xi® siècle.
EEE EE
Bibliographie
Sur les écoles monastiques et épiscopales:
t l'Occident chrétien de la fin du
dans
Voir P. RicHé, Les Écoles et l'Enseignemen siècle au milieu du xf siècle,
Paris, 1979: le tome XIX/2 des Settimane del Centroitaliano di Studi sull'alto Medioevo, La scuola nell'Oc-
cidente latino dell’Alto Medio Evo, Spolète, 1972 et J. Vercer, La Renaissance du xf siècle, Paris, 1996.
Sur l’historiographie:
Voir B. Guewée, Histoire et Culture historique dans l'Occident médiéval, Paris, 1980.
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PARTIE 3
18 Le retournement de la conjoncture
Une phase B: crise ou crises?
r catas-
été tout aussi mauvaises, la famine prit une ampleu
à Ypres, 10 % de la popula tion mouru t en six mois
trophique:
les choses redevi en-
(1316). I fallut la récolte de 1317 pour que
irent
nent normales. Les régions méditerranéennes ne souffr
gne en 1333, le Langu edoc en 1335-
que plus tard: la Catalo
l'Italie dans les années 1340. Mais la gravité de la
1337, et
ion géogra phique
famine de 1315-1317 autant que son extens
» une
donnent à cette « crise frumentaire de type classique
: à partir de cette date, le chang ement
valeur particulière
d'atmosphère est évident.
Il, La peste
M La diffusion de l'épidémie
La peste avait délaissé l’Europe occidentale depuis plus long-
temps que la famine: la dernière grande épidémie remontait
au vi‘ siècle. Elle reparaît brusquement à la fin de 1347, et le
Moyen Âge devait la connaître sous ses deux formes, bubo-
nique (mortelle à 80 %] et pulmonaire (mortelle à 100 %) : une
épidémie faisait alors rage en Asie centrale, et des navires
transportant dans leurs cales des rats contaminés amenèrent
g | Pres
rogression le fléau des comptoirs de la mer Noire aux ports méditerra-
Fe 360 À. néens. La maladie se répandit avec régularité, empruntant les
i itinéraires commerciaux: en décembre 1347 elle était à
Marseille, en juin 1348 à Paris et à Venise; en décembre 1349
elle avait ravagé Londres et Francfort, pour n’atteindre la Suède
qu'en 1350. Il est difficile de connaître le nombre des morts:
toutes les régions d'Europe ne furent pas atteintes au même
Le retournement de la conjoncture Une phase B: crise ou crises?
M Peste et mentalités
Les effets de la peste sur les mentalités sont tout aussi impor
tants. Deux faits frappent particulièrement, les pogroms et
l'apparition des flagellants. Les Juifs, rendus en bien des
endroits responsables de l'épidémie, furent accusés d’avoir
empoisonné les puits. C’est en Espagne que le pogrom eut le
plus de violence, mais les Juifs furent aussi massacrés à
Strasbourg et dans d’autres villes de l’Empire. À Strasbourg,
le massacre se voulait préventif: on pensait ainsi éviter que
la peste n’atteignît la ville. Il s’agit là d’un mouvement popu-
laire; les gouvernements tentèrent souvent de protéger les
Juifs, qui leur rendaient des services financiers appréciés
(royaume d'Aragon). Le lien avec la peste ne se retrouve pas,
toutefois, dans le cas du pogrom espagnol de 1391, le plus vio-
lent qu’ait connu l'Espagne; il traduit l’aggravation constante
de la situation des Juifs au xiv° siècle. Ce caractère de réaction
spontanée est également évident dans le cas des flagellants.
En Italie, constitués en associations pénitentielles, ils se fla-
gellaient en public pour implorer le pardon de Dieu. Ces asso-
ciations, qui existaient déjà au xmr° siècle, se multiplièrerent
avec la peste.
Dans le domaine artistique, la peinture florentine se trans-
forme après 1348. Une certaine âpreté du ton est perceptible
dès la fresque du Jugement dernier, qu'a peinte Andrea Orcagna
pour l'église Santa Croce à Florence, tout de suite après l’épi-
démie. Bientôt un nouveau style apparaît, moins narratif, plus
PARTIE 3 La fin du Moyen Âge (xiv‘-xv® siècle)
thèmes
attaché aux aspects rituels ou surnaturels. Certains
p :
l’omnipré-
iconographiques vont s'imposer, qui insistent sur
sence de la mort, la « grande fauche use » : danses macabres,
de
p.312. gisants squelettiques. Plus important, peut-être, est l'effet
tion de l'épidé mie: tout
« rupture » qu'a pu produire l'irrup
semble indiquer que, leur famille disloquée, nombreux sont
ceux qui ont quitté leur domicile, émigré de la campagne à la
s.
ville, ou au contraire cherché refuge dans des régions déserte
de la société s'étaie nt
Tout s'est passé comme si les cadres
rompus: s'ils se sont vite remis en place, ce vacill ement
marquera toute la période.
Il. La conjoncture
Æ La conjoncture démographique
La conjoncture, toile de fond sur laquelle se déroule la vie
économique et sociale des campagnes et des villes, est encore
mal connue car la statistique médiévale est difficile, en raison
de la rareté relative des sources et de leur dispersion dans
l'espace. Leur interprétation est parfois impossible : nul n’est
d'accord sur la capacité des tonneaux de vins de Bordeaux
exportés vers l'Angleterre!
Pour la démographie, les sources sont avant tout des docur-
ments fiscaux, et le feu est en général l’unité de recensement
fiscal. Approximativement, un feu correspond à ce que nous
appelons un foyer. Mais qui compose ce foyer? Une famille
complète? Par combien multiplier le nombre des feux pour
obtenir un nombre d'habitants? Il faut évaluer le nombre
moyen des membres d’une famille de l’époque, done, avant
tout, celui des enfants. Qu'en est-il des veuves, des femmes
seules, ou des domestiques? Bien des historiens ont renoncé
à passer du nombre des feux au nombre des habitants mais
les feux étant souvent d'ampleur variable dans le temps et
dans l’espace, les chiffres exprimés en feux sont parfois même
difficiles à comparer entre eux. Lorsque l’état des feux dressé
en 1328 dans le royaume de France donne 61 098 feux pour
Paris, certains historiens lui accordent 80 000 habitants, et
d'autres plus de 200 000. En Angleterre, M. Postan reproche
à J. C. Russell d’avoir retenu un multiplicateur trop faible (3,5)
du nombre des feux. Nous devons nous contenter
d’estimations.
Toutefois, au xiv* siècle, les salaires agricoles, qui avaient un re exprimé en grain
gros retard à combler, ont augmenté plus vite que les salaires 00
industriels. Mais ces derniers ont continué à augmenter légè- Indice du prix du grain
rement au xv: siècle alors que les salaires agricoles se stabili-
saient très vite ou même commençaient à baisser, si bien que
dans la seconde moitié du xv° siècle, le décalage entre salaires 1300 1340 1380 1420 1460
urbains et ruraux, net au début du xiv® siècle, s'est de nouveau
marqué. L'évolution divergente des prix et des salaires tient
Prix et salaires dans les manoirs
aux conditions démographiques (marché plus restreint, main- de l'évêché de Winchester
d'œuvre rare) mais aussi aux conditions monétaires {la faible D'après Maurice Posran, « Some
quantité du stock de métaux précieux disponible a favorisé la Economic Evidence of Declining
Population in the Later Middle
déflation). Il est possible enfin que l’évolution du rapport prix- Ages », Economic History Review, 1949.
salaires ait correspondu à un accroissement de la
productivité.
PARTIE 3 * La fin du Moyen Âge (xv°-xv° siècle)
L'état de la recherche
Vers de nouvelles interrogations
Beaucoup de flou, de désaccords historiographiques, de questions non résolues, donc, dans ce cha-
pitre. Peut-on essayer d'y voir plus clair? Tout d'abord, il est impossible de minimiser l'impact de la
grande famine, au moins sur l'Europe du Nord-Ouest (et William Jordan montre que son aire de dif-
fusion a été plus vaste). Quant à la Peste Noire, ses ravages, d'abord dans le choc dévastateur de
1348-1349, puis dans ses retours récurrents tous les dix ou onze ans, sont incontestables. Mais les
raisons du retournement de la conjoncture restent peu claires; mais les mécanismes précis de la
démographie nous échappent. Or, quand les sources nous permettent de les entrevoir, elles révèlent
la rapidité et la souplesse de l'adaptation des populations médiévales, dont la logique est plus sociale
qu'économique : comment en serait-il autrement alors que d'autres évènements, comme les guerres
et leurs dévastations, les levées d'impôts et leurs exactions, les bouleversements monétaires, le
Grand schisme et les révoltes populaires, viennent ajouter au sentiment d'insécurité et d'instabilité
qui trouble les esprits?
ñ Florence, les archives du les hommes se marient tard, nonnes ou servantes. Dans les
Catasto (les contribuables entre 25 et 30 ans, une fois campagnes anglaises, les stra-
étant obligés de déclarer leurs qu'ils ont acquis les biens et la tégies démographiques sont
revenus et leurs biens en 1427) stature sociale qui leur permet- tout autres: il s'agit d'ajuster
nous révèlent une pyramide tent de tenir leur rang parmi les la quantité des terres et les
des âges irrégulière et désé- pères de famille dans la grande modes de culture de l'exploi-
quilibrée entre hommes et cité toscane. Au long célibat tation paysanne à l'évolution
femmes. L'âge au mariage est masculin correspond pour les de la cellule familiale selon le
très tardif chez les hommes, jeunes filles un célibat forcé et cycle de vie de ses membres
avec un écart au mariage définitif quand elles ont passé et à la force de travail dont elle
considérable entre hommes l'âge le plus élevé (22 ou 23 peut disposer, en s'ajustant à
et femmes: en ville (les choses ans) auquel elles auraient pu deux variables, le prix du travail
sont différentes à la campagne) se marier: elles deviendront salarié, et le prix des produits
PARTIE 3 La fin du Moyen Âge (xiv°-xv° siècle)
Bibliographie
Pour comprendre les problèmes que pose cette période, E. PERRoY, « À l'origine d'une économie
contractée: les crises du x siècle », dans Annales ESC, II, IV, 1949, pp. 167-182, et L. GENICOT, dans
le ch. VII de la Cambridge Economic History of Europe, t. 1, Cambridge, 2° éd., 1966, pp. 660-739;
J. Heers, L'Occident aux x et xw° siècles; Aspects économiques et sociaux, Paris, 5° éd., 1990;
Ph. Contamine, L'Économie médiévale, Paris, 1973, pp. 271-409; J. GLenisson et J. Day, Textes et
Documents d'histoire du Moyen Âge, x°-xv siècles, Paris, 1970; Ph. Wourr, Automne du Moyen Âge
ou printemps des temps nouveaux ? L'économie européenne aux x et x” siècles, Paris, 1986 ; Europa
en las umbrales de la Crisis 1250-1350, Pampelune, 1995 et G. Bois, La Grande Dépression médié-
vale, x et x siècles:Le précédent d'une crise systémique, Paris, 2000.
Outre l'article d'E. Perroy, consulter, pour comprendre le problème historiographique, M. Dogs
et P. M. Sweezy, Du féodalisme au capitalisme :problèmes de la transition, 2 vol. Paris, 1977; la
thèse de G. Bous, Crise du féodalisme, Paris, 1976; T.H. Aston et C.H.E. Paris, The Brenner Debate:
Agrarian Class Structure and Economic Development in Pre-Industrial Europe, Cambridge, 1987
et les articles essentiels de R. H. Hirron, Class Conflict and the Crisis of Feudalism, Londres, 1985.
Les famines:
H.S. Lucas, « The Great European Famine of 1315 », dans Speculum, XV, 1930, pp. 343-377, et
H. Van WERVEKE, « La famine de l'an 1316 en Flandre et dans les régions voisines », dans Revue du
Nord, XLI, 1959, pp. 5-14. Voir aussi M. BertE, Famines et Épidémies dans les campagnes navarraises
à la fin du Moyen Âge, 2 vol, Paris, 1984. W. C. Joroan, The Great Famine: Northern Europe in the
Early Fourteenth Century, Princeton, 1997.
Sur la peste:
L'ouvrage fondamental est celui de J.-N. Birasen, Les Hommes et la Peste, 2 vol., Paris-La Haye,
1975-1976. Parmi les études régionales: É. Carpentier, Une ville devant la peste :Orvieto et la peste
noire de 1348, Paris, 1962; Ph. Zcer, The Black Death, Londres, 1971.
Sur les conséquences psychologiques, M. Mess, Painting in Florence and Siena after the Black
Death, Princeton, 1951. Voir aussi F. Berac, Histoire des lépreux au Moyen Âge, Paris, 1987.
Sur la démographie:
L'ouvrage de base est R. Mous, /ntroduction à la démographie historique des villes d'Europe du
x au xvuf siècle, 3 vol., Louvain, 1954. Voir aussi J. C. Russe, British Medieval Population,
Albuquerque, 1949 et R. M. Smirx, Population History of England, 1000-1540, Manchester, 1997;
E. Bararier, La Démographie provençale du xuf au xvF siècle, Paris, 1960; É. CarpENTIER, « Autour de la
Peste noire: famines et épidémies dans l’histoire du x siècle », dans Annales ESC, XVII, 1962,
pp. 1062-1092, et surtout H. Dusois dans J. Dupäouier, Histoire de la population française (cité p. 123)
et J.-P. Baroer- J. Dupäqurer, Histoire des populations de l'Europe, Paris, 1997.
Prix et salaires:
M. Posran, « Revision in Economic History:the Fifteenth Century», dans Economic History Review,
IX, 1939, pp. 160-167, et « Some Economic Evidence of Declining Population in the Later Middle
Ages », dans ibidem, 1949, pp. 221-226.
Pour l'Italie, voir Ch.-M. e La Ronaiëre, Prix et Salaires à Florence au x siècle (1280-1380), Rome,
1983.
L'instabilité sociale
Outre le recueil d'articles de R.H. Hirron cité à la page précédente, M. Morrar et Ph. Worr,
Ongles bleus Jacques et Ciompi. Les révolutions populaires en Europe aux xICV° etx siècles, Paris,
1970, reste l'introduction la plus commode au problème. Mais cette analyse est remise en
cause par S.K. Con Jr. Lust for Libery. The politics ofsocial revolt in medieval Europe, 1200-1425,
Cambridge, Mass., 2008 et Rivolte urbane e rivolte contadine nell'Europa del Trecento. Un
and
confronto, dir. par M. Bourin, G. CHerugint et G. Pinro, Florence, 2008 ainsi que par Survival
par R. Gobbarb, J. LANGDON
Discord in Medieval Society. Essays in honour of Christopher Dyer, éd.
et M. Müieer, Turnhout, 2010.
Le destin des États
et la vie politique
manifestation
Éléments de la crise, la guerre et la fiscalité sont liées à l'histoire politique. La guerre,
guerre modifie la carte des
de la « crise de la société féodale » est aussi facteur de mutation actif. La
de l'impôt suscite le perfectio nnement
États, impose la création d'une fiscalité; à son tour la levée
Les épreuves de la guerre forgent le sentiment
de l'appareil d'État et des institutions représentatives.
naître
national. C'est dire la profondeur d'un mouvement qui transforme la hiérarchie sociale et fait
l'État moderne.
I. La noblesse et la guerre
C'est à la mise en place d’une véritable structure de guerre
que l’on assiste depuis la fin du x siècle. Tout d’abord, la
conception du territoire a changé. Dans le cadre des relations
féodales, elle reste souple, puisque l'autorité s'exerce par délé-
gation: ce qui compte, c’est la solidité et l'efficacité du lien
personnel. Avec le retour en force du droit romain et son uti-
lisation par l'État naissant, la notion de souveraineté s'applique
pleinement au territoire. Les frontières se chargent d’une nou-
velle signification, et les possibilités d'appel aux cours de jus-
tice souveraines nouvellement créées rendent beaucoup plus
strict l’exercice de l'autorité royale ou civique, multipliant
ainsi les occasions de conflit. Les états vont aussi utiliser à
leur profit la notion de « guerre juste », définie par l'Église et
son droit canon à l’occasion de la croisade. Lorsque sa souve-
raineté est bafouée par une atteinte à son territoire, le souve-
rain ou le magistrat peut déclencher une « guerre juste » Le
défendre le bien commun, et il peut dès lors faire appel'aux
ressources de ses sujets pour défendre ce territoire.
Mais cette structure se matérialise par des systèmes d'alliance
qui entraînent mécaniquement une amplification des conflits.
Ils ont deux origines principales: à la mort de son ennemi,
l'empereur Frédéric II de Hohenstaufen, la papauté a demandé
à Charles d'Anjou, le frère de saint Louis, de conquérir le
royaume de Naples, ce qu'il a fait. Mais les opposants au régime
sévère qu'il a instauré font appel au roi d'Aragon qui a épousé
une fille de Frédéric: aux Vêpres Siciliennes à Palerme, en
1282, les Français sont massacrés et il y a désormais deux
« royaumes de Naples » : l’un, Capétien, sur la terre ferme,
l'autre, Aragonais, en Sicile. Ce conflit étend à toute l’Europe
les divisions traditionnelles de l'Italie: les Capétiens de Naples,
soutenus par le pape, sont guelfes, les Aragonais de Sicile, se
réclamant de l’empereur, Gibelins. Par l'intermédiaire de la
rivalité entre Gênes et Venise, les alliances gibeline et guelfe
sont même transférées à l'Orient des Mamelouks et des
Le destin des États et la vie politique
Ces nobles sont liés par des mariages, opposés par des querelles
de famille, assistés par des clientèles rivales. Ils ont le souci
Le destin des États et la vie politique
&.
Dès juillet, Jeanne d'Arc emmena Charles se faire sacrer à
Reims (Charles VI était mort en 1422). Jeanne ne put cépen-
dant prendre Paris; faite prisonnière en mai 1430 par les
f #. 362, B. Bourguignons, elle fut livrée aux Anglais qui la firent brûler
comme sorcière à Rouen (1431). Cet épisode important sur le
plan religieux fait apparaître au grand jour la puissance du sen-
timent national, déjà perceptible au moment des désastres de
1356, grâce à la pierre de touche que fut le sacre de Reims.
E La Suisse
La Confédération helvétique est née d’une ligue formée en
1291 par les trois cantons forestiers d'Uri, Schwyz et
Unterwalden révoltés contre leurs seigneurs, les Habsbourg,
et réclamant de dépendre directement de l’empereur. Victorieux
des Habsbourg à Morgarten en 1315, les trois cantons furent
bientôt rejoints par des villes (Lucerne, Zurich, Berne] et peu
à peu se constitua la Confédération helvétique, qui régla défi-
nitivement ses comptes avec les Habsbourg à Sempach (1386)
et à Nähfels (1388). Au xv° siècle, la Confédération s'agrandit
sans cesse grâce aux victoires de ses fantassins armés de lon-
gues piques. Sa victoire sur la Bourgogne fit passer au premier
plan la « Ligue des Confédérés de Haute-Allemagne » qui à la
fin du xv° siècle, sans former à proprement parler une nation,
est pratiquement indépendante de l’Empire.
B L'avance turque
À l'est des terres germaniques, les Jagellons règnent sur la
Pologne, la Lituanie, l'Ukraine, la Bohême et, après la mort de
Corvin, la Hongrie. Toutefois il n'existe qu'un lien familial
entre ces États. Dans la plupart d’entre eux, l'aristocratie
domine: les Turcs ont, dans ces conditions, pu pénétrer en
Europe sans rencontrer une opposition suffisante. Dès 1354, le
souverain ottoman Orchan a obtenu une tête de pont euro-
péenne à Gallipoli. Peu à peu, les Ottomans avancent, profitant
des divisions de l'aristocratie grecque et des faiblesses des
royaumes de l’Europe centrale. Après leur victoire de Kossovo
(1389), les Ottomans mettent la main sur les Balkans: la
conquête de la Thessalie (1391) et l’écrasement de la croisade
levée pour les combattre à Nicopolis (1396) complètent leurs
succès. Les Européens ne savent pas profiter du répit que leur
procure l'invasion de l’Anatolie par Tamerlan (1402). La bataille
de Varna où Polonais et Hongrois, pour une fois unis sous la
conduite de Vladislav II Jagellon, du régent Jean Hunyadi (père
de Mathias Corvin] et du légat Cesarini, furent écrasés, donna
aux Ottomans un nouvel élan (1444). La prise de Constantinople
(1453) en fut la conséquence logique... Le sultan Mahomet IT
se heurta à une résistance mieux organisée dans la Hongrie de
Mathias Corvin, la Moldavie et la Valachie du hospodar Étienne
le Grand (1457-1504) et l'Albanie de Skander-beg, mais l'avance HosPopar: ce terme qui signifie
turque reprit dès la fin du xv‘siècle. Sur mer, Gênes et Venise, simplement « maître » est
employé pour désigner le
incapables de s'entendre, n'avaient pu résister, et leur empire prince qui gouverne la Moldavie
maritime s'était effondré. et la Valachie.
B L'Italie
L'Italie au début du xiv° siècle est elle aussi divisée. Dans les
Alpes et au Sud, on trouve des États féodaux: le comté de
Savoie et le royaume de Sicile, longtemps divisé en deux blocs,
le royaume de Naples (descendants de Charles d'Anjou) et la
Trinacrie (la Sicile proprement dite, avec une dynastie arago-
naise).Tandis que les États du pape se désagrègent en cités et
en seigneuries rivales, les grandes villes dominent l'Italie du
nord et du centre. Elles s'opposent pour des motifs économiques
et commerciaux [cas des cités maritimes], mais aussi
politiques.
p p. 168.
Vérone avec les Della Scala) qui s'appuie sur les couches
modestes de la population. Mais l'opposition entre les propa-
gandistes de la vertu et de la liberté (Florentins]) et ceux d’une
unité italienne que seul pourrait réaliser un Prince (Milanais)
n’est pas la seule. L'Italie est toujours travaillée par les
séquelles de la lutte de la Papauté et de l’Empire: les Guelfes,
partisans de la Papauté (Florence, Angevins de Naples, appuyés
par la France} se heurtent aux Gibelins (Milan, Sicile, appuyés
par l’Aragon}. Le thème de l'Italie unifiée parle au cœur de
tous: il suffit de lire La Divine Comédie de Dante [mort en
1321). Mais lItalie n'existe que comme idée. Tous ceux qui
croyaient pouvoir transformer cette idée en réalité échouèrent,
après de dures guerres, laissant un pays dévasté par des armées
constituées d'étrangers conduits par des chefs qui ont conclu
une condotta, véritable contrat de location, avec la cité ou
l'État qui les emploie.
Au xiv: siècle s’effacent les deux puissances qui s'étaient autre-
fois disputé la suprématie en Italie. La Papauté quitte Rome
pour Avignon: réinstallée en 1378 à Rome, le schisme lui inter-
dit de jouer un rôle de premier plan. Le royaume de Naples,
son allié, s’est épuisé sous le règne du roi Robert (1307-1343)
p. 294. en lutte contre la Sicile, et à partir de Jeanne I" (1343-1382), la
dynastie angevine minée par ses luttes internes, ne connaît
que des déboires. Quant à Florence, le krach de ses compagnies
bancaires (1342-1346) et ses difficultés sociales (révolte des
Ciompi et ses suites, 1378-1382) l'obligent à limiter ses ambi-
tions. Du côté gibelin, l’empereur a disparu de la scène ita-
lienne; Henri VII est mort en 1313 à la veille d’une guerre
contre Naples et la Papauté. Les tentatives de Louis de Bavière,
mal assuré de ses arrières allemands, échouent (1328-1329).
Dès lors, même au temps de Charles IV, l'empereur ne joue
plus qu’un rôle modeste, se bornant le plus souvent à remplir
ses caisses par des ventes de titres (Wenceslas vend un titre
ducal à Jean-Galéas Visconti pour 100 000 florins). Il laisse
ainsi les mains libres aux seigneurs gibelins (Visconti, Della
Scala) qui accroissent nettement leurs domaines: les Visconti
étouffent l'essor de Vérone et Jean-Galéas Visconti (1378-1402)
semble être capable d’unifier autour de Milan l'Italie du Nord.
Gênes et Venise sont absorbées par leur compétition: un
TERRE FERME: ce terme désigne moment mise à mal par la guerre de Chioggia (1377-1381)
les possessions continentales Venise commence à édifier son empire de Terre Ferme.
de Venise en arrière des
lagunes. La péninsule au xv° siècle
Au xv° siècle l’échiquier politique se simplifie, mais les conflits
s'intensifient. Gênes, déchirée par les luttes des factions aris-
tocratiques, s’efface en Italie, confiant souvent son destin à un
étranger (le roi de France, le seigneur de Milan); elle se contente
de faire échec à l'impérialisme aragonais, car l'axe Barcelone-
Naples-Palerme est un danger mortel pour son commerce. La
grande affaire de la première moitié du xv° siècle est la lutte
qui oppose Florence et Milan. Milan, après un recul à la mort
de Jean-Galéas, a retrouvé sa puissance avec Philippe-Marie
Visconti (1412-1447), dont l'œuvre est continuée par l’usurpateur
François Sforza [1450-1466] : Florence et Venise, menacées par
Le destin des États et la vie politique
M La péninsule Ibérique
Les États ibériques ont en effet progressé: trop vite agrandis,
ils étaient mal adaptés à leur tâche au début du xiv‘ siècle. Les
particularismes locaux et les luttes des factions aristocratiques
mêlées aux querelles dynastiques suscitaient le désordre. C'est
en Castille que ces luttes furent les plus graves, depuis les
contestations qui s'élevèrent à propos de la succession
d'Alphonse X le Sage (1276-1325), jusqu’à la lutte de Pierre le
Cruel et d'Henri de Trastamare (1353-1369). En Aragon, le roi
eut à lutter contre l’Union des nobles et des villes: Pierre IV
en vint à bout en 1348, mais dut accorder l'autonomie à la
Catalogne qui l'avait aidé. Très violents, ces « rois cruels » ont
accompli une œuvre institutionnelle qui portera ses fruits. À
partir des années 1380, la péninsule Ibérique s’apaise. Par
d'heureuses combinaisons matrimoniales, la dynastie de
Trastamare installe les siens en Aragon {arbitrage de Caspé,
1412] puis en Navarre (1425). L'histoire de la Castille au
xv: siècle est troublée par la lutte qui oppose les partisans de
la Beltraneja, fille du roi Henri IV (qui passait pour être la fille
du favori Bertrand de la Cueva), et ceux d'Isabelle, sœur du roi,
mariée à Ferdinand, l'héritier de l’Aragon, dont le roi Jean II
sut avec obstination préparer l'unité espagnole. Isabelle et
Ferdinand l’emportent en 1475: avec les « Rois catholiques »
l'Espagne est unifiée de fait. Ses institutions renforcées, ses
souverains reprennent l’œuvre de reconquête, interrompue
après la victoire du Rio Salado en 1340: en 1492, avec la
conquête du royaume de Grenade, disparaît le dernier royaume
musulman de la péninsule. En même temps, les Juifs sont
PARTIE 3 La fin du Moyen Âge (xiv£-xv° siècle)
E L'administration centrale
L'administration centrale dérive, dans presque tous les pays
d'Europe, du vieux schéma féodal, où le prince était assisté à la
fois par les officiers de sa maison et par un conseil formé en
principe de ses vassaux. Les caractères féodaux se sont plus ou
moins conservés: en Allemagne, les officiers des maisons prin-
cières dirigent aussi l'État, mais ailleurs l’évolution a entraîné
une distinction entre ce qui concerne le service du prince et ce
qui touche le service de l'État. L'Hôtel en France, la household
du roi en Angleterre, avec ses deux services essentiels, la
Garderobe et surtout la Chambre (finances), ont pris de l’impor-
tance. Le roi s'appuie d’ailleurs sur ses propres services quand
il a des difficultés avec le reste de son administration: c’est le
cas de Richard II par exemple. Seul officier de la maison royale,
le Chancelier se consacre au service de l’État comme à celui du
Prince: le Chancelier et le Conseil sont les éléments principaux
du gouvernement médiéval. Le Conseil s’est dégagé des tâches
administratives. Les finances sont confiées à l'Échiquier en
Angleterre, au Trésor et à la Chambre des Comptes en France.
La justice est l'affaire en Angleterre du Banc du Roi et du Banc p. 144.
des Plaids communs et en France du Parlement. L'évolution du
PARTIE 3 & La fin du Moyen Âge (xv°-xv° siècle)
E Lesinstitutions représentatives
Mais la grande nouveauté du xIv* siècle est la généralisation
en Europe des institutions représentatives. Pour se faire concé-
der des impôts le souverain recourt à des assemblées censées
représenter l’ensemble de ses sujets. Ceux-ci entendent être
protégés contre les empiètements de l'administration et pou-
voir critiquer l'emploi du produit de l'impôt; dans les Cortes
espagnols, du Parlement anglais aux États français ou aux
Stände germaniques, un dialogue s'établit entre le prince et
une partie du pays. Au Parlement anglais siègent les lords
(barons et magnats laïcs, évêques, abbés, prieurs, etc.) et les
députés des comtés et des boroughs (villes), presque tous
membres de la gentry (la bourgeoisie est peu représentée). Dans
les assemblées d'états françaises, provinciales ou générales, le
« tiers état » (le terme est du xv° siècle) n’est guère composé
que des représentants de l’oligarchie urbaine. Le destin de ces
assemblées est différent: si l'impôt en Angleterre garde son
caractère d’aide consentie par le peuple, et si le Parlement voit
son rôle de contrôle croître, en France et en Aragon les souve-
rains ont réussi à imposer leur théorie; ils « recherchent sim-
plement une approbation ». La vague démocratique est partout
retombée dans la seconde moitié du xv° siècle.
è
B Le personnel de l’État
Les conséquences du développement des institutions adminis-
tratives et politiques sont de deux ordres. Tout d’abord, l’exis-
tence de l’État se marque par une série de signes. Ainsi se
développent les grandes capitales (Paris, Londres, Milan). À
Londres c’est à l'écart de la ville elle-même, à Westminster,
que le centre politique a grandi. Surtout se multiplient les
fonctionnaires et les administrateurs. Leurs nombres sont sans
commune mesure avec ceux du x1° siècle. Pendant son règne,
Édouard I‘ aemployé 1 500 « clercs du roi » : sous le règne de
Richard II la seule chancellerie employait près de 200 per-
sonnes.. Ces professionnels sont de plus en plus souvent recru-
CLerc: lorsqu'il désigne un tés parmi les juristes qui ont reçu une formation universitaire;
administrateur où un bureau- de plus en plus, ce sont des laïcs. Leurs fonctions se diversi-
crate, ce terme n'implique
aucune relation avec le Clergé
fient : au xv° siècle, apparaissent les ambassadeurs permanents;
(cf. en français « clerc de presque toutes les puissances italiennes en entretiennent après
notaire » ou, en angJlais, clerk). la paix de Lodi (1454). Malgré les impôts, le roi n’a guère les
Le destin des États et la vie politique
L'état de la recherche
Une « genèse de l’État moderne »
Tous ces éléments peuvent être interprétés soit comme un profond changement structurel, soit
simplement comme les signes avant-coureurs d'un tel changement.
Pour les tenants de ce dernier modèle, il faut attendre que triomphent au cours du xvi° siècle
l'absolutisme et l'État-nation: dans ce cadre nouveau, les administrations diffuses du Moyen Âge
donnant ainsi
vont se densifier en bureaucraties, et les procédures administratives se rationaliser,
progressivement naissance à l'État moderne.
dernier tiers
Pour les tenants du première modèle, la rupture décisive se produit au contraire dans le
en Angleterre et en France,
du x siècle, quand apparaît, que ce soit dans les royaumes ibériques,
des classes dominantes , aristocratie fon-
une impôt d'État, négocié par le roi avec les représentants
représentat ives se développen t, ainsi
cière, marchands, hommes d'Église. Très vite, les institutions
d'elles. Ce n'est
que les théories de la représentation et de la souveraineté que l'on ne peut dissocier
qui est le plus important: mais il compte, et l'impact de l'impôt
pas l'aspect financier de la fiscalité
durement ressenti par ceux-ci. Le lien de l'impôt et de la guerre est
sur les revenus des sujets est
le meilleur motif pour
également crucial, puisque la guerre, si elle est un gouffre financier, est aussi
obtenir des sujets qu'ils payent!
PARTIE 3 La fin du Moyen Âge (xv‘-xv° siècle)
Hs est que la négo- exemples de cette transfor- Christi), une fête récemment
ciation permanente entre le mation, celle-ci se retrouve acceptée par la Papauté.
souverain et ses sujets donne ailleurs, par exemple dans les Plus important encore, une
à la communauté politique cités-États et dans les princi- idéologie complexe, mise au
sa réalité, sa cohésion et son pautés françaises, allemandes jour par les travaux d'Ernst
identité, tout en donnant ou italiennes. Simplement, la Kantorowicz, a pris corps:
symétriquement au roi une transformation est plus lente, par un long cheminement
stature spécifique: il devient plus difficile, ce qui montre intellectuel qui combine une
le représentant, l'image même bien que, contrairement à réflexion théologique où se
de cette communauté, tout en ce qui se passe dans le cas mêlent la double nature du
étant son chef. À côté des fonc- du premier modèle, l'aspect Christ (à la fois divin et humain)
tions judiciaires et militaires qui « administratif » n'est pas et son rôle de représentant
étaient déjà les siennes dans déterminant: en effet, sur bien symbolique de l'Église (théorie
les monarchies féodales, le roi des points, la « technologie » du corps mystique de l'Église)
en vient à incarner la commu- financière, juridique et admi- et le droit savant (droit des
nauté politique tout entière. nistrative des villes (surtout les « corporations » et des « uni-
Entre le roi et la communauté, villes italiennes) est très supé- versités », personnes morales
un dialogue complexe se déve- rieure à celle des monarchies. qui ne meurent jamais alors
loppe, qui dépend à la fois du Mais sur le plan symbolique, que leurs membres individuels
dynamisme et de la vitalité de villes et principautés sont meurent), se dégage l'idée des
la communauté et des capa- handicapées par rapport aux « deux corps du roi ». Le roi a
cités politiques du souverain: monarchies. deux corps, l'un physique, qui
il est loin de ne concerner meurt, et l’autre éternel, qui
que l'impôt et passe par une ne meurt jamais, qui est en
GE conduit à la deu-
foule de canaux, par exemple
xième remarque. Si l'État fait celui du chef d'État qu'il
par la législation en général est en même temps qu'il est
moderne éclot ainsi dans le
et par le fonctionnement de une personne individuelle.
dernier tiers du x siècle, c'est
la justice. Car nous sommes Aux funérailles d'Edouard II,
que toute une série d'étapes
désormais bien entrés dans un mannequin représentant
décisives ont été franchies.
un monde politique, même le roi dans sa splendeur et
Tout d'abord, en Occident
si les structures sociales sont sa majesté accompagne la
du moins, les cérémonies du
encore largement marquées dépouille mortelle du souve-
sacre et du couronnement
par le féodalisme: il n'y a pas rain à sa dernière demeure; le
(confondues en France et en
d'État moderne sans société mannequin entre dans le rite
Angleterre) et l'hérédité dynas-
politique, que l'on prenne ce funéraire français en 1422, pen-
tique ont mis les rois dans une
terme dans un sens restreint dant l'occupation anglaise de
position à part: le sacre ne
traditionnel (ceux qui partici- Paris, aux obsèques de Charles
les isole pas totalement de
pent au pouvoir ou touchent VI. Celui-ci est d’ailleurs accom-
la société politique, puisque
de près ou de loin, directe- pagné des Parlementaires en
dans le couronnement du roi
ment ou indirectement, à ce robe rouge, car « la justice ne
de France, les douze pairs qui
pouvoir) ou dans un sens large
symbolisent toute la noblesse meurt jamais » et le Parlement
(la société politique inclut alors
du royaume jouent un rôle ne porte donc pas le deuil.
tous ceux qui subissent l’action
important, et il y a bien un À côté du roi, c'est l'État qui
du pouvoir, taxation ou mon-
simulacre d'acclamation (et est désormais au centre de
naie par exemple, même s'ils
donc d'élection) populaire. l'espace cérémoniel, parcouru
ne s'expriment que sporadi-
Cette position exceptionnelle par les processions et les
quement, par des révoltes par
est confortée par des rituels cortèges royaux et princiers
exemple).
appropriés, par exemple pour qui donnent ainsi à voir le
les entrées royales, où le roi politique, dans un processus
L)E remarques s'impo- accède à sa cité (Paris ou une de communication au moins
sent. La première, c'est autre) sous un dais compa- aussi important que celui qui
que si ce sont les monarchies rable à celui qui est promené passe par les textes, politiques
qui fournissent les meilleurs lors de la Fête-Dieu (Corpus ou autres.
— Le destin des Etats et la vie politique
Bibliographie
Histoire événementielle:
B. CHevauer, L'Occident de 1280 à 1492, Paris, 1969; E. Kanrorowicz, Les deux Corps du roi, Paris,
1987, a été réédité dans la collection Quarto en 2000 ainsi que Frédéric II, du même auteur.
Sur la guerre:
Voir Ph. ConraminE, La Guerre au Moyen Âge, Paris, 1980; Azincourt, Paris, 1964; Guerre, État et
Société à la fin du Moyen Âge. Études sur les armées du roi de France, Paris, 1972; Guerre et
Concurrence entre les États européens du x” au x siècle, Paris, 1998;Histoire militaire de la France
|: Des origines à 1715, Paris, 1992 et M. Keen, The Laws of War in the Later Middle Ages, Londres,
1965.
Sur la guerre de Cent Ans: E. Perroy, La Guerre de Cent Ans, Paris, rééd., 1977 ; A. Lecua, La Guerre
de Cent Ans, Paris, 1974; J. Faver, La Guerre de Cent Ans, Paris, 1980; CH. Azmano, La Guerre de
Cent Ans, Paris, 1989 et sur les origines de la guerre: M.G.A. VALr, The Angevin Legacy, Oxford,
1990.
Pour les conséquences en France, voir R. Bourrucxe, La Dévastation des campagnes pendant la
guerre de Cent Ans et la reconstruction agricole de la France, Paris, 1947, et les thèses de R. BoUTRUCHE,
G. Fourauin, et G. Bois, citées p. 269. Aperçus intéressants dans Ph. ConTamine, La Vie quotidienne
en France et en Angleterre pendant la guerre de Cent Ans, Paris, 1978; B. CHevauier et Ph. CONTAMINE,
La France de la fin du xv siècle, Paris, 1985; B. Scners, Les Armagnacs et les Bourguignons, Paris,
1988. On lira avec profit Le Journal d'un bourgeois de Paris, Paris, 1990, présenté par C. BEAUNE.
1987;
(éd.), Genèse médiévale de l'État moderne: la Castille et la Navarre (1250-1370), Valladolid,
du même auteur, Realidad e imagenes del Poder, España a fines de la Edad Media, Valladolid,
1988 et B. Vincenr, 1492. « L'Année admirable », Paris, 1992 ; M. Zimmermann, Histoire de la Catalogne,
Paris, 1998.
Quels sont, parmi les éléments de crise, ceux qui ont eu le plus de répercussion sur le monde rural ?
Quelles ont été, face aux difficultés, les réactions des seigneurs et des paysans ?On a coutume d'op-
poser la fin du xv° siècle au reste de la période: à partir de 1470 il y a un renouveau, une reconstruc-
tion... En réalité, il y a tout au long de la période une transformation profonde, qui se dessine dès le
début du xv° siècle, et qui réussit, tard dans le xv° siècle, à créer un équilibre nouveau. Les procédés
d'exploitation qui permettront d'atteindre cet équilibre sont presque tous apparus dès le xiv° siècle,
même si on leur préfère jusqu'à la fin du siècle des formules anciennes, et si leur prédominance
n'apparaît qu'à partir des années 1430.
[2
ON TON nes
a n
INT
L'AP)
Produits agricoles
livres (1369) à 270 (1402). Mais les dévastations de la région
parisienne au cours des guerres de la première moitié du xv°
1e 1350 1400 1450 1500 1550|
siècle provoquent une chute irrémédiable. En Allemagne, le
chapitre de la cathédrale de Lübeck ne reçoit plus, en 1437,
Le ciseau des prix que le tiers environ de ce qu’il percevait en 1352, alors que ses
D'après É. Perroy, « Les Crises du xIv°
siècle », Annales ESC, 1949.
frais d'exploitation ont, dans l'intervalle, beaucoup augmenté.
La réduction de la rente seigneuriale a-t-elle frappé les grandes
fortunes plus que les petites, ou vice-versa? Il semble surtout
qu'il y ait eu de bonnes et de mauvaises gestions. Les domaines
des Grey of Ruthin en bordure du Pays de Galles sont pros-
pères sous l'administration méticuleuse de Lord Edmund Grey
et promptement ruinés sous celle de son petit-fils.
M La réaction seigneuriale
Dès lors les seigneurs ont cherché à intensifier l'exploitation,
non de leurs terres, mais de leurs hommes. On peut donc par-
ler d’une réaction seigneuriale s'appuyant sur la justice sei-
gneuriale. « La justice rapporte peu par elle-même, mais elle
maintient la cohésion de la seigneurie, en assure le rende-
ment » (B. Guenée). Par sa cour de justice, le seigneur dispose
d'un instrument de contrôle du marché des terres et de la
main-d'œuvre. Instrument coûteux certes: « La justice n’est
pas sans intérêt, mais son intérêt essentiel n'est pas dans ce
qu'elle rapporte » (id.). En fait, le produit des amendes est loin
de toujours payer les frais et les honoraires nécessaires à la
tenue d’une cour. La justice seigneuriale présente d’autres
inconvénients : son ressort est restreint (handicap sérieux face
à une population plus mobile] et elle est souvent concurrencée
par la justice royale. Elle ne peut donc résoudre tous les pro-
blèmes qui se posent aux seigneurs.
Elle a pourtant joué son rôle dans l'effort des seigneurs pour
aggraver la condition paysanne. Dans certains pays, cet effort
s'est exercé en direction du servage, statut idéal pour résoudre
les problèmes de main-d'œuvre, en dépit de l’ample mouvement
La vie économique et sociale du monde rural
Il. La paysannerie
M Les exploitations
Parmi les paysans, les difficultés ont opéré une sélection impi-
toyable. Une charge nouvelle est apparue: l'impôt. Le petit
tenancier ne peut le payer; minime au début du xiv° siècle
l'impôt a vite augmenté. Le petit tenancier ne peut survivre
aux dévastations guerrières ou à une désorganisation [même
temporaire] du marché. Beaucoup sont donc éliminés: ce n’est
pas le seigneur qui hésite à faire travailler ses terres par des
salariés, qui va reprendre leurs tenures, mais plutôt le paysan
qui possède déjà une exploitation de taille moyenne. La raré-
faction des petites exploitations et l'augmentation du nombre
et de l'étendue des grandes ou moyennes exploitations pay-
sannes, travaillées par une famille aidée de quelques valets,
se retrouvent en France, en Italie du Nord, en Toscane et en
Angleterre. Voici quelques exemples anglais: parmi les
manoirs de l’abbaye de Ramsey, Wistow et Houghton n'ont
UNE VERGÉE: 12 hectares en aucune exploitation de plus d’une vergée en 1252. À Wistow,
moyenne. 6% des exploitations dépassent cette superficie en 1368, et
59 % à Houghton en 1403. Seules subsistent les exploitations
compétitives, enrichies des dépouilles des autres. Ainsi s'ex-
plique l'échec de la réaction seigneuriale: la paysannerie se
sent en situation de force, elle est plus solide et plus indépen-
dante. D'où la combativité paysanne, une des constantes de
la période, qui se manifeste par de dures révoltes ou par le
refus du paiement des redevances.
La Jacquerie
La Jacquerie éclate dans une région riche (plaine de France,
Beauvaisis) où la paysannerie ressent durement les effets de la
baisse conjoncturelle du prix des grains et supporte d'autant
plus difficilement le poids d’une fiscalité accrue que les échecs
militaires subis par la France {nous sommes au lendemain de
la bataille de Poitiers] sont retentissants: la haine des nobles et
des soldats confondus, traîtres et dévoreurs d'impôts, est bien
le trait dominant de la Jacquerie. Au départ, une échauffourée
La vie économique et sociale du monde rural
Le Tuchinat
Cette analyse ne s'applique pas automatiquement à tous les
mouvements. Le Tuchinat du Languedoc (1363-1384) est aussi
urbain que rural: il est, avant tout, une fuite devant l'impôt
PARTIE 3 & La fin du Moyen Âge (xiv£-xv® siècles)
M La production agricole
Les changements tiennent aussi à la nature des produits culti-
vés. La place des céréales diminue nettement. Leur bas prix
à la vente les rend moins intéressantes et, paradoxalement,
entraîne une baisse de la consommation. Les céréales acca-
paraient autrefois tout l'argent disponible: ce n’est plus le cas.
Avec l'argent restant, on peut acheter d’autres produits, le vin,
la viande, les fruits... L'alimentation se transforme par l’ex-
LÉGUMINEUSES : fèves, pois et tension des légumineuses dès le début du xiv° siècle, ce qui
autres légumes faciles à conser- marque un double progrès: diversification de l'alimentation
ver l'hiver. de base et amélioration de la productivité. Ensuite, on trouve
les cultures « commerciales » et au premier rang, la vigne.
Nombre de livres Tous les vignobles en profitent, mais plus particulièrement
au tonneau
L'-]
certaines régions. Le goût pour les vins capiteux et lourds
stimule la production bourguignonne, tandis que les aléas de
la guerre franco-anglaise font stagner la production bordelaise.
Par ailleurs, la perte des vignobles orientaux favorise la naïis-
sance, en Europe occidentale, de « vignobles de compensa-
tion », tel le vignoble de Jerez en Espagne, ou les vignobles
ligures ét campaniens {vins grecs). Parmi les cultures com-
OS
NN
Où
on
BR
&
©
1—
merciales, il faut mentionner les fruits: fruits frais, cultivés
Prix des vins de Bordeaux achetés par exemple en Espagne du Sud, sous l'impulsion des mar-
par le roi d'Angleterre chands italiens, et fruits secs récoltés sur les rives de la
D'après M. James, Economic History Méditerranée. Aux cultures commerciales s'ajoutent ,
des
Review, 1951, p. 196.
cultures « industrielles » : plantes textiles, lin {nord de la
France, vallée de la Moselle}, chanvre (Anjou) et plantes tinc-
PasTEL : les feuilles de la guède toriales telle la guède dont on tire le pastel (Picardie, Lombardie,
sont mises en petits pâtés (d'où région d’Erfurt, Toulousain). Ces cultures commerciales et
pastel) ; elles donnent la cou- industrielles sont rarement réalisées en monoculture. Très
leur bleue. souvent elles sont pratiquées côte à côte avec la culture vivrière
et selon des formules très élaborées dans certaines régions
(telle la coltura promiscua en Toscane).
M L'élevage
Mais il y a plus important encore: le changement de rapport
entre agriculture et élevage. Les preuves de l'essor de l'élevage
bovin et de la consommation de la viande sont nombreuses.
La basse plaine de l’Arno (aménagée grâce aux capitaux flo-
rentins), la plaine hongroise {plus de 50% des exportations
hongroises consistent en bœufs}, le Danemark: autant de
régions où l'élevage prend une place considérable. Dans de
nombreuses villes, on trouve des contrats entre les bouchers
La vie économique et sociale du monde rural
La Mesta
Le développement de l'élevage ovin a, lui, créé de nouveaux
problèmes: les moutons ne coexistent pas aisément avec la
culture. Deux pays ont été bien étudiés: l'Angleterre et
l'Espagne. En Espagne, « l'honorable assemblée de la Mesta
des bergers » fondée en 1273 regroupe les grands éleveurs qui
font transhumer leurs troupeaux. Les moutons suivent les
trois « cañadas reales », la « Leonesa » à l’ouest, la « Segoviana »
au centre, la « cañada de la Mancha » à l’est, pour descendre
du nord vers l’Estramadoure ou l’Andalousie; ils traversent
ainsi la péninsule, à deux reprises, en septembre-octobre (vers
le sud] et en avril (vers le nord). En 1477, 2 694 032 animaux
ont ainsi transhumé. Cet élevage est tourné vers la produc-
tion lainière (laine exportée vers la Flandre}, non vers celle
de la viande. Les effets sur l’agriculture sédentaire sont
néfastes: les troupeaux coupent souvent par des raccourcis.
Les bergers ont le droit de brûler les bois pour faire de l’herbe.
D'où des conflits multiples avec les paysans dont les clôtures
ont été abattues et les cultures ravagées, conflits qui tournent
à l'avantage des éleveurs parmi lesquels figurent de grands
propriétaires ecclésiastiques (ordres de Santiago et de
Calatrava, par exemple} et les plus grands seigneurs de
Castille. Les mêmes conflits se retrouvent tout autour de la
Méditerranée, en Provence, en Sardaigne, en Sicile, en Italie
du Sud. Cette conversion massive vers l'élevage a sauvé la
grande seigneurie de ces régions: ici le grand propriétaire
reste roi, il na pas à craindre la concurrence de la « classe
moyenne ». En Angleterre le cas est différent: le développe-
ment de l'élevage ovin s’est fait dans les réserves manoriales
affermées, ou dans les plus grosses exploitations paysannes.
Mais à la fin du xv: siècle les grands propriétaires ont essayé
d’expulser les paysans pour se procurer de nouveaux pâtu-
EncLosures: mise en clôture
rages :quelques bergers suffisaient pour entretenir d'immenses
d'un terroir, ce qui implique la
troupeaux. De cette époque datent vraiment le début du mou- disparition de la vaine pâture et
vement des enclosures et la disparition de nombreux villages. le partage des communaux et
Encore cette transformation n’affecte-t-elle au début que cer- permet la rationalisation de
l'élevage et de la culture.
taines régions (Midlands de l'Ouest).
PARTIE 3 La fin du Moyen Âge (xv®-xv° siècles)
L'état de la recherche
Productivité et diversification
au début du
Les campagnes de l'Europe à la fin du xv° siècle sont donc différentes de ce qu'elles étaient
conservé leurs caractères traditionnel s (grande agriculture céréa-
x siècle. Moins peuplées, elles n'ont
lière, serfs) qu'à l'Est (Allemagne de l'Est, Pologne). Partout ailleurs, les changemen ts sont profonds.
Bibliographie
Partir de Ph. Conramine et al. L'Économie médiévale, Paris, 1993 et de R. Fossier, Histoire sociale de
l'Occident médiéval, Paris, 1970, mais surtout de G. Dusy, L'Économie rurale et la Vie des campagnes
dans l'Occident médiéval, Paris, 1962 et de M. M. Posran, (éd), The Agrarian Life ofthe Middle Ages,
premier volume de la Cambridge Economic History of Europe, Cambridge, 2° éd., 1966.
Pour la France, voir G. Dusy et À. WaLLon (éd), Histoire de la France rurale, t. 1, Paris, 1975. M. BERTHE
(éd.), Endettement paysan et Crédit rural dans l'Europe médiévale et moderne, (Flaran, XVII), 1998.
La vie économique et sociale du monde rural
Études régionales:
R. BourRucHE, La Crise d'une société. Seigneurs et paysans du Bordelais pendant la guerre de Cent
Ans, Paris, 2° éd., 1963; L. Génicor, L'Économie rurale namuroise au bas Moyen Âge (1199-1429),
Louvain, 1960; G. FourQuin, Les Campagnes de la région parisienne à la fin du Moyen Âge, Paris,
1964; G. Bors, Crise du féodalisme (cité p. 234) ; M.-Th. Loraw, Les Campagnes de la région lyon-
naise aux x et x” siècles, Paris, 1974; G. Sivery, Structures agraires et vie rurale dans le Hainaut à
la fin du Moyen Âge, 2 vol. Lille, 1977-1980; H. Neveu, Vie et Déclin d'une structure économique.
Les Grains du Cambrésis (x°-xuif siècle), Paris, 1980. Pour la France méridionale, voir particuliè-
rement J. LARTIGAUT, Les Campagnes du Quercy après la guerre de Cent Ans, Toulouse, 1978 et
P. CHARBONNIER, Une autre France. La Seigneurie rurale en Basse-Auvergne du x au xvi° siècle,
ClermontFerrand, 1978; M. Le Mené, Les Campagnes angevines à la fin du Moyen Âge, Nantes,
1982; J. Tricaro, Les Campagnes limousines du x au xvf siècle, Paris, 1996; M. BertHe, Famines et
Épidémies dans les campagnes navarraiïses à la fin du Moyen Âge, 2 vol. Paris, 1984 ; M. ZERNer, Le
cadastre, le pouvoir et la terre. Le Comtat venaissin pontifical au début du x siècle, Rome, 1993.
B.M.S. Campser, English Seigneurial Administration, 1250-1450, Cambridge, 2000.
Pour l'Angleterre, voir M.W. Beresroro, The Lost Villages of England, New York, 1954.
Pour l'Allemagne, W. Asa, Die Wüstungen des ausgehenden Mittelalters, Stuttgart, 1955.
Pour la productivité:
B. M.S. Cawegeu et M. Overton, Land, Labour and Livestock: Historical Studies of European
Agricultural Productivity, Manchester, 1991 et « Production et productivité dans l'agriculture
anglaise », dans Histoire et Mesure, XI, 1996, pp. 255-297.
Sur l'alimentation:
siècles,
B. Laurioux, Manger au Moyen Âge. Pratiques et discours alimentaires en Europe aux x etxv
Paris, 2002.
Les villes et l'artisanat
ent
Les villes ont souffert des difficultés et de la crise par contrecoup: guerre, famine, développem
de relations de travail nouvelles, baisse de la population. Ces événements ont envenimé les tensions
sociales déjà manifestes au xu° siècle: l'histoire des villes du xiv° siècle est mouvementée! L'étude du
secteur secondaire d'une part, de la vie commerciale de l’autre vont donc nous montrer, comme
dans le domaine rural, des hommes aux prises avec de graves difficultés: ici aussi, l'adaptation va se
faire par l'apport de nouveautés importantes.
H Les métiers
Lieu d'échanges, de refuge, la ville est aussi lieu de production.
Ne nous occupons ici que de l’organisation sociale de cette pro-
duction, les métiers ou corporations, avec leurs trois degrés:
apprentis, valets et maîtres. Ce système devait permettre de
faire régner l'harmonie; il garantissait la qualité de la produc-
tion, puisqu’un long apprentissage et l'obligation de réaliser un
chef-d'œuvre réservaient l'accès de la maîtrise aux meilleurs;
il supprimait la concurrence en réglementant strictement prix
et salaires; il évitait les conflits du travail: tout apprenti était
en principe destiné à devenir valet, et tout valet avait des
chances de devenir maître. Les relations entre maître et
employés étaient des relations de dépendance personnelle qui
renforçaient la cohésion et l’homogénéité du groupe des
artisans.
PARTIE 3 # La fin du Moyen Âge (xiv°-xv° siècles)
E Le textile
L'industrie textile était la grande industrie du xur° siècle. Les
procédés de tissage de la laine n’ont changé que par l'adoption
d’un nouveau type d'armure du tissu {armure « toile »] qui
réduit le temps de travail sans altérer la qualité du tissu. En
revanche, le filage a été bouleversé par la diffusion du rouet
apparu dès le xim° siècle, qui permet de filer cinq ou six fois
plus de fil que le fuseau à crochet. On a même inventé au
xv: siècle un rouet à ailettes qui accroît encore le rendement
de 25 % ; la diffusion en a été lente. Les transformations du
foulage ont été spectaculaires: à côté du foulage au pied est
apparu le moulin à fouler qui s’est répandu du xni* au xv° siècle
dans certaines régions seulement (Angleterre, par exemple).
Il modifiait si profondément l'exercice du métier de foulon
que les règlements des métiers les plus conservateurs en inter-
disaient l'introduction, c'était le cas en Flandre. En effet, un
moulin utilisant l'énergie hydraulique a, vingt-quatre heures
sur vingt-quatre, une puissance de 3,5 CV à l'heure, alors
qu’un ouvrier, qui foule au pied, ne peut fournir plus de
0,3 CV/h, et ce pendant huit heures seulement.
Ces modifications techniques se sont combinées avec d’autres
facteurs (mode, production du textile brut... pour bouleverser
la géographie de l’industrie textile. La primauté des grandes
villes drapantes flamandes spécialisées dans le drap lourd de
qualité a disparu. La résistance des métiers aux innovations
et la nécessité d’être près des cours d’eau (moulin à foulon] ont
PARTIE 3 & La fin du Moyen Âge (xv®-xv° siècles)
vallées des
favorisé les progrès de l'industrie rurale: les petites
Cotswolds se sont emplies de village s animés par cette acti-
ppemen t de la mode des vêteme nts
vité. L'apparition et le dévelo
doublé s de sous-v êtemen ts, a eu deux sortes
souples et légers,
e,
de conséquences: la production d’un drap léger, moins difficil
naux qui ont
était accessible à de nombreux centres artisa
tissus
concurrencé les Flamands. Et l’on fait appel à d'autres
pour les sous-v êtemen ts, coton)
FUTAINE: tissu de coton (soie pour les vêtements, lin
t
(employé pour les sous- qui concurrencent la laine. Les Flamands ne bénéficiaien
plus de leurs relatio ns tradit ionnel les avec l'Angl eterre :
vêtements, etc.). même
Étape:destination obligatoire malgré la création, par Édouard Il, de l'étape de Calais en 1363,
d'un produit qui ne peut être les exportations de laine anglaise diminuèrent du fait de la
guerre de Cent Ans et de l'essor de l'industrie anglaise. La laine
distribué qu'à partir de cet
endroit, notamment pour la
laine en Angleterre. des mérinos espagnols, d'ailleurs de moins bonne qualité, était
accessible aux concurrents des Flamands. Ainsi se multipliè-
rent en Europe les centres de production lainière: par exemple,
signalons l'essor de la Normandie au xiv* siècle, et surtout celui
des industries du Brabant (Bruxelles, Malines}, d'Espagne
(Ségovie), d'Angleterre (Bristol, Salisbury, mais aussi l’industrie
rurale] et d'Italie (Florence, Milan). Au reste, l'Italie excelle
dans la production de la soie (Lucques, Florence), laquelle passe
en France à la fin du xv° siècle (Lyon, Tours}, et du coton (qui
a gagné l'Allemagne du Sud).
& La métallurgie
Une deuxième grande industrie est apparue: la métallurgie.
Les nouveautés techniques font franchir un pas décisif. Des
Four À COUPELLATION: il utilise procédés permettent de mieux raffiner les métaux: le four à
des différences d'affinité des coupellation, apparu dans le Devonshire [mines d'étain] vers
métaux pour les séparer. 1290. De nouveaux alliages se répandent comme le laiton
(calamine et cuivre) tandis qu’en 1451, Funcken met au point
un procédé chimique utilisant le mercure qui sépare l'argent
du cuivre (le minerai de plomb argentifère était jusque-là seul
employé]. Mais le grand progrès est la mise au point du haut-
fourneau, qui vient s'ajouter à l'agrandissement de la forge
traditionnelle. Grâce au perfectionnement d’un système de
soufflets, mû par l'énergie hydraulique qui permet d'envoyer
un jet continu d'air sur le métal en fusion (le premier système
de ce genre semble avoir été établi en 1340 à Liège), les forges
grandissent. Le haut-fourneau a cependant un rendement
supérieur: en outre, la fonte y est soumise à une deuxième
opération pour produire un fer de qualité. L'on exige beaucoup
des métaux: le bronze s’est amélioré parce que l'on s'en servait
pour faire des cloches (on a commencé à fondre de grosses
cloches au xu° siècle; on cherche, en outre, à produire des
cloches qui sonnent juste — carillons anglais ou flamands),
des éléments monumentaux {les portes du baptistère à Florence,
dues à Andrea Pisano et à Ghiberti] ou encore des canons {le
premier emploi certain des canons est de 1347, mais on en a
un dessin de 1327}. Dans ce domaine, le fer prend un temps
la place du bronze: Gand possède le chef-d'œuvre de l’époque,
un canon de fer de 5 mètres de long, fabriqué en 1430. Le fer
sert aussi à fabriquer des instruments de précision comme les
Les villes et l'artisanat
EH Les mines
Pour satisfaire à la demande de minerais, les mines ont elles
aussi progressé. Elles ont connu une première période d’expan-
sion de la fin du xm° siècle jusque vers 1350: d'importantes
améliorations techniques (treuils de grande taille, progrès dans
les charpentes, la ventilation, le pompage), ont permis d’ex-
ploiter les gisements profonds, non plus seulement les veines
superficielles. À cette époque, l'exploitation est le fait des com-
munautés de mineurs surveillées par les représentants du
pouvoir royal (les souverains ont en général fait admettre leur
droit à la propriété du sous-sol) et des seigneurs fonciers qui
prélèvent, les uns et les autres, une partie du revenu. Le mineur
est encore un pionnier, d'autant que la plupart des nouvelles
mines se sont ouvertes dans les montagnes (monts Métallifères,
Bohême, Carpathes, Alpes). Après une période de stabilité rela-
tive, on assiste à une formidable expansion vers 1460. De cette
date à 1530 la production de l’Europe Centrale a quintuplé pour
l'argent et le cuivre, et quadruplé pour le fer. Ces progrès ne se
limitent pas aux mines de métaux: la calamine et le salpêtre
(Pologne), les sulfates (Hongrie), le mercure (Espagne), le sel
gemme (Transylvanie), l’alun (Toscane, et surtout l'énorme ALun: sulfate riche en alumine,
employé comme mordant en
gisement de Tolfa dans les États pontificaux, découvert en
teinturerie.
1461) sont aussi extraits du sous-sol européen.
= Autres industries
Parmi les domaines où les progrès sont sensibles, figure la
verrerie :la consommation du verre s'accroît, car l'usage d'en
garnir les fenêtres se répand. La production s'étend de l'Italie
(Venise) à la Bohème et au Languedoc, et elle s’affine (appari-
tion des lunettes). Quant à l'imprimerie, sa mise au point
définitive est due à la convergence de toute une série d’inno-
vations qui vont permettre de dépasser le stade de la xylogra-
phie (depuis 1147 on savait « imprimer » des figures ou des
majuscules à partir de bois gravés] : ce sont l'adoption géné-
ralisée du papier, l'amélioration des encres (avec les encres à
l'huile élaborées par les miniaturistes), l'apparition des carac-
tères métalliques, mais surtout la solution du problème de
l'assemblage des caractères et de la presse découverte par l’or-
fèvre Gutenberg à Mayence entre 1447 et 1455. Signalons
encore, pêle-mêle: la poudre à canon, les moulins à vent pour
pomper l’eau, l'amélioration des portes d'écluses.
Ces modifications ont amené des formes nouvelles d'organisa-
tion de la production. L'exemple des mines est significatif: l’ex-
ploitation est passée des mains de communautés de mineurs à
celles de véritables sociétés anonymes; en Allemagne, la pro-
priété des mines est souvent divisée en 128 küxen, parts égales,
et les actionnaires vivent en ville. Les mineurs sont devenus
des salariés au service de capitalistes, tels les Fugger qui ont pu
PARTIE 3 w La fin du Moyen Âge (xiv°-xv° siècles)
de Styrie,
édifier une formidable fortune à partir de leurs mines
rs accélè rent cette évo-
du Tyrol, puis d'Espagne. D'autres facteu
à Toulou se, le coût accru du matéri el
lution vers le capitalisme:
s encour us a amené les posses seurs des mouli ns
face aux risque
se sont bien-
de la Garonne à former des sociétés dont les parts
s. La taille des chantiers
tôt négociées comme des action
rtance
(constructions navales, travaux d'irrigation, etc.) l'impo
nts, tout cela a joué. Un capita lisme industr iel,
des investisseme
le domai ne de
fait fondamental, voit donc le jour surtout dans
ue l'essor du capita-
la métallurgie et des mines, ce qui expliq
urg.
lisme dans l'Allemagne du Sud et les territoires des Habsbo
que ce capita lisme indust riel se combi ne souven t
Il est vrai
and et ban-
avec le capitalisme financier et commercial: march
quier sont encore les types de capitalistes les plus fréquents.
0
Bibliographie
dans les chapitres
La meilleure présentation d'ensemble des matières abordées ici se trouve
de L.-H. Parias, t. 2, Paris,
de Ph. Wokrr dans l'Histoire générale du travail, publiée sous la direction
France du x au xvf siècle, Paris, 1982. Voir aussi
1959 et dans B. CHevauer, Les Bonnes villes de
Th.Durour, La ville médiévale, Paris, 2003.
x et x” siècles, Paris,
Sur le plan social, voir notamment B. GEREMEK, Les Marginaux parisiens aux
1976; M. Mouar, Les Pauvres au Moyen Âge, Paris, 1978 et CI. Gauvaro, « De grace especial » (cité
p. 256). Voir aussi J. Favier, François Villon, Paris, 1982; P. Bocuiont, R. Decorr et CI. Gauvaro, Le Petit
Peuple dans l'Occident mediéval, Paris, 2003; J.-P. LeauaY, La Rue au Moyen Âge, Rennes, 1984;
K.Weinenreun, La Police de la petite voierie à Paris à la fin du Moyen Âge, Paris, 1996; O. Faron et
E. Huserr, Le Sol et l'immeuble. Formes de la propriété immobilière dans les villes de France et d'Italie,
x£-xxe siècle, Rome, 1995. ;
Pour la France, se reporter à la Bibliographie d'Histoire des villes de France, Paris, 1967 par
Ph. Douuncer, Ph. Worrr et S. GUENÉE.
Les villes et l'artisanat
Pour l'Angleterre, voir S. Reynouos, An Introduction to the History of English Medieval Towns,
Oxford, 1977; Caroline Barrow, London in the Later Middle Ages, Oxford, 2004.
Pour l'Espagne, A. Rucouoi, Valladolid au Moyen Âge, Paris, 1993 et D. Menor, Murcie castillane:
une ville au temps de la frontière, 1243-milieu du xv siècle, Madrid, 2002.
Pour l'Italie, outre les ouvrages de P. Gui et F. MENANT, cités p. 174, voir Ph. Jones, The Italian City-
State, Oxford, 1997.
Sur les techniques voir M. Daumas (dir.), Histoire générale des techniques, |,Des origines au x siècle,
Paris, 3° éd., 1996 et B. Gi, Les Ingénieurs de la Renaissance, Paris, 1978.
Sur l’industrie textile en particulier, voir G. Espinas, La Draperie dans la Flandre française au Moyen
Âge, 2 vol. Paris, 1925, H. LaurenT, Un grand commerce d'exportation au Moyen Âge: la draperie des
Pays-Bas en France et dans les pays méditerranéens (xif-xv° siècle) (cité p. 161) et G. DE PorrtK, La
Draperie médiévale en France et en Artois:technique et terminologie, 3 vol. Bruges, 1951.
Pour la métallurgie, voir R. Spranvez, Das Eisengewerbe im Mittelalter, Stuttgart, 1968; J. HATCHER,
English Tin Production before 1550, Oxford, 1973 et C. GAIER, L'industrie et le Commerce des armes
(éd),
dans les anciennes principautés belges du xf au x siècle, Paris, 1973; P. Benoïr et D. CaIiLLEAUX
Hommes et travail du métal dans les villes médiévales, Paris, 1988 et C. VerNa, Le Temps des mou-
aussi:
lines. Fer, technique et société dans les Pyrénées centrales (xu-xvf siècle), Paris, 2001. Voir
J.-CI. Hocourr, Le Sel et le pouvoir, Paris, 1985.
I. L'adaptation du commerce
aux conditions difficiles
EH L'insécurité
Les difficultés pour l’activité commerciale sont énormes;
un caractère commun les résume: l'insécurité - politique, mais
aussi économique. Brigands et pirates, révoltes, guerres sont
un danger constant pour le commerce. Les exemples de cargai-
sons perdues sont nombreux; c'est ainsi que le Jugement dernier
de Memling que le Florentin Tani expédiait dans sa patrie
depuis Bruges se trouve aujourd’hui à Dantzig, un corsaire balte
ayant capturé la galère qui le portait. Certaines régions, telle
la Chaïnpagne, qui ont une importance stratégique dans les
conflits de notre période, doivent être abandonnées par les mar-
chands. Les souverains ont découvert que la réglementation
économique était une arme: le prix de la laine anglaise varie
en fonction des appétits fiscaux du roi d'Angleterre qui perçoit
une taxe à l’exportation; les rois de France et d'Angleterre se
livrent une véritable guerre monétaire.
De politique, l'insécurité devient économique. Le marchand
est aux prises avec un monde mouvant: sa cargaison risque
de ne pas arriver, et lorsqu'elle arrive, les cours ont pu s’ef-
fondrer, la monnaie changer de valeur, les acheteurs déserter
une ville frappée par la peste ou bouleversée par l’affronte-
ment de deux métiers. Dans cette instabilité générale, un cas
est plus grave: celui des mutations monétaires. Les mutations
t
DÉGI la Valeur n'étant
CRI ETT DÉCRI: sont de trois sortes: il y a la « mutatio in materia », où le
a le titre des pièces est altéré, la « mutatio in pondere », où le
Re poids de la pièce change, et la « mutatio in appellatione »,
par laquelle le cours de l'unité monétaire réelle est modifié
par rapport à la monnaie de compte. Ces trois types de muta-
tions peuvent se combiner. Les mutations sont en général
annoncées officiellement: on crie la nouvelle monnaie ou le
nouveau cours, tandis que l’on décrie l’ancienne. La cause
fondamentale de ces mutations réside dans la raréfaction
L'activité commerciale
re navale avec
leur doit les plus grands progrès dans l'architectu
qui allait permettre
la mise au point de la caravelle, le navire
fine que le vaisse au baltique,
les découvertes: la caravelle, plus
robust e que le navire médit erran éen, est
moins élancée et plus
une surfac e de toile consid érable .
capable de porter
les Catalans
On a de meilleurs navires que l'on dirige mieux:
ans » où les ports sont reliés entre eux par
ont dessiné les « portul
dispos és en étoile, corres pondan t à la rose des vents,
des axes
navire sur le
les « rhumbs ». Le pilote cherche donc à placer son
route à l'aide de la bousso le et du
meilleur rhumb, et à garder sa
trigon ométri que simpli fiée qui corrige
« martelogio », table
le Nord géogra phique et le Nord magnét ique. À par-
l'écart entre
des Italien s et des
tir de 1450, les Portugais prennent le relais
onnage en latitud e de la côte
Catalans, et commencent l'étal
r pas vers la astro nomiq ue scient ifique .
d'Afrique, premie
s restent grands néanmo ins. Les march ands les conju-
Les risque
: on
rent par différents procédés. Assurance empirique d’abord
propri été des navires , divisée en
fractionne les cargaisons et la
L Italie, « setzen as » à Barcel one). Le march and
parts (« carats » en
>
Carat, p. 155. diversifie son activité au maximum. Mais les procédés spéci-
fiques d'assurance se répandent bientôt, dont l'assurance à prime:
les premiers exemples ont été relevés en 1343 dans les contrats
notariaux de Gênes. L'assureur touche une prime qui représente
de 15 à 20% de la valeur d’une cargaison mais il prend à son
compte tous les risques. Les primes ont peu à peu diminué: vers
1450, il fallait compter 11 % pour une cargaison transportée par
une nef de Venise à l’Écluse, et seulement 3 % si le navire était
une galère (plus sûre que la nef). Les Hanséates ne firent appel à
ce type d'assurance qu'au xvr' siècle. Le développement de l'as-
surance favorisa d'ailleurs l’uniformisation des lois maritimes
et de grands recueils juridiques sont apparus au xv° siècle (tel le
Libro del Consolat del Mar à Barcelone).
la compagnie des Peruzzi étant une seule entité légale, les mau-
vaises affaires de l’une des succursales se répercutaient sur
l'ensemble. La faillite vint en 1343, lorsqu'il fut impossible de
récupérer les énormes sommes prêtées par les succursales de
Naples et de Londres aux rois de Naples et d'Angleterre. Au
même moment s’effondraient les autres grandes compagnies
florentines (Bardi, Acciaiuoli, Bonaccorsi).
La grande amélioration a été le remplacement de la succursale
par la filiale indépendante. Dans les sociétés à filiales, chaque
filiale est une société indépendante: si une filiale doit être mise
en faillite, le mal ne s'étend pas et la société peut continuer ses
opérations ailleurs. Dans chaque filiale, c'est le même groupe
ou la même personne que l’on retrouve majoritaire. Ainsi en
est-il de la compagnie Datini où Francesco di Marco Datini,
un marchand de Prato en Toscane, contrôle chaque filiale, dont
la raison sociale est presque toujours « Francesco di Marco et
X... ». Les Médicis ont construit dans le cadre de la société à
filiales un complexe remarquable, qui comprenait la banque À| S
Médicis à Florence, des filiales (Rome, Venise, Milan, Londres, Éz 359, C.
Bruges, Lyon, Avignon...) et trois entreprises textiles à Florence
(deux pour la laine et une pour la soie}. Bien gérée par ses pre-
miers dirigeants, la firme des Médicis est la seule qui ait atteint
au xv* siècle la taille des « grands » du xiv° siècle (Peruzzi, Bardi,
Acciaiuoli). Le danger, ici, ne pouvait venir que de la faillite
simultanée de plusieurs filiales. Le détachement de Laurent le
Magnifique, et la maladresse de son directeur, Sassetti, permi-
rent une telle situation: à la suite des fraudes du directeur de
la filiale de Lyon et des prêts excessifs consentis par le direc-
teur de celle de Bruges à Charles le Téméraire, la firme était
pratiquement en faillite lorsque les Médicis perdirent le pou-
voir à Florence, en 1494. Les marchands de moindre envergure,
quant à eux, devaient se contenter d’un réseau de correspon-
dants à l'étranger, constitué par relations personnelles; système
qui réservait bien des déboires.
M Les techniques
Les marchands, sédentarisés, ont pu améliorer leur gestion.
D'abord, ils se sont arrangés pour disposer d'informations fraîches:
correspondants, facteurs, directeurs de succursales ou de filiales
échangent des lettres d’affaires (lettere di compagnia) qui contien-
nent les nouvelles importantes et se terminent toujours par les
cours des monnaies. Ces lettres sont transmises par un système
de poste: ainsi, la « Scarsella » des Catalans quittait Bruges deux
fois par mois et délivrait le courrier à Paris, Montpellier et
Barcelone. Un grand progrès dans le domaine de la gestion a été
la mise au point de la comptabilité à partie double. Dès le
xur siècle, la comptabilité avait progressé :beaucoup de marchands
avaient d’une part un « journal », sur lequel ils notaient toutes
leurs opérations au jour le jour, et d'autre part un « grand livre »
sur lequel ils notaient une seconde fois les opérations, maïs au
nom des tiers avec lesquels elles avaient été effectuées, par
exemple, et en indiquant si elles se soldaient par un crédit ou un
débit. Bientôt le « grand livre » s'organise: il y a une partie débit
PARTIE 3 # La fin du Moyen Âge (uv®-xv° siècles)
laisse de l’espace
et une partie crédit à l’intérieur desquelles on
les transa ctions menée s avec une même per-
libre pour regrouper
t et facilite les
sonne, ce qui donne naissance au compte couran
n'existe
opérations de virement. La comptabilité à partie double
se retrou ve dans les
que lorsqu'un article inscrit au « Journal »
au débit, mais avec des
deux parties du « grand livre », une fois
l » que le
signes inverses (par exemple, s'il figure au « journa
livres à X, le compt e de X aura un
je avril la firme a versé 50
compt e caisse un débit de 50 livres, cela
crédit de 50 livres, et le
>»). Il est ainsi facile de retrou ver les erreur s
sur le « grand livre
s’équi-
de comptabilité (le total des débits et des crédits devant
des profits
librer] et possible à tout moment d'évaluer le niveau
iel du capita lisme
et des pertes: c'est là un instrument essent
bilité à partie double
financier. Les premières ébauches de compta
très
datent de la fin du xmr° siècle (Toscane) mais la diffusion,
du milieu du xive siècle. Seuls les
lente, ne s'est faite qu’à partir
e: la compta bilité perfec tionné e de chang eurs
Italiens l'ont utilisé
brugeois comme Colard de Marke n'est pas à partie double.
La lettre de change
Abordons enfin la nouveauté qui présente peut-être le plus
grand nombre d'avantages, la lettre de change dont le premier
exemple remonte à 1291.
Voici une lettre des archives Datini:
à GÈNES a à BARCELONE
Donneur doit payer à rest ti
ou Bartolomeo GARZONI Giovanni ASOPARDO bénéficiaire
remetteur
_change
crédit (usance)
de numéraire)
, soit pour
italiens, tandis que des concurrents apparaissent
ter l'itiné raire atlant ique (Alle mands du Sud) soit
court-circui
Portug ais) ou des
pour se passer des Italiens (Espagnols,
Hanséates (Anglais).
& Le domaineitalien
nication
Les Italiens ont en effet le monopole de la commu
les coloni es de la mer Noire
avec l'Orient: jusque vers 1350,
« route mongo le », par laquel le soie et
sont le débouché de la
ent à travers l'Empi re mongol , moins exigea nt
épices circul
e moitié
que l'intermédiaire musulman. Mais dans la second
du xve siècle, cette route est ruinée par la chute de l’Empire
de Tamerl an, puis la montée du péril
mongol, les dévastations
L turc. Venise concen tre son effort sur les produi ts de luxe (soie,
surtout avec Beyrouth
“aa |
r A358, A.
»
épices, objets précieux) et commerce
et Alexandrie. Gênes a au contraire organisé tout un « trafic
n-
de ramassage » autour de Chio où se concentrent les marcha
dises venues de Syrie, de Turqui e et de la mer Noire. Les
Génois recherchent plutôt les produits pondéreux, l'alun
(nécessaire à l’industrie textile) dont ils ont pratiquement le
monopole, les bois précieux, le coton, les vins orientaux, la
soie. Ces produits sont redistribués en Italie, et dans l’Europe
du Nord-Ouest, en Angleterre et en Flandre d'où les navires
italiens reviennent avec draps, laines et fourrures. En tous ces
lieux dominent les marchands italiens, que leur supériorité
technique et leur richesse font parfois détester. Souvent, ils
vivent en groupes, forment une colonie comme dans les villes
d'Orient, ou se retrouvent autour d'une maison commune (la
loge des Génois à Bruges). Au reste, il est impossible de décrire
le marchand italien type, tant le Génois diffère du Florentin
ou du Vénitien: on peut tout au plus décrire quelques points
communs, la culture et la compétence déjà signalées, la piété
aussi (dans le corpo de la compagnie Peruzzi on avait réservé
une part fictive à « Messer Domeneddio » : les bénéfices de
Dieu allaient aux pauvres; et Datini a laissé toute sa fortune
à une institution charitable). Enfin, il est évident qu'en Italie
du Nord au moins, marchands et banquiers constituent la
classe dirigeante au même titre que l'aristocratie foncière: les
marchands vénitiens, génois et même florentins arborent des
titres nobiliaires et contractent mariage au sein des familles
de la plus vieille noblesse.
M Le domaine hanséatique
L'autre grand domaine commercial est celui de la Hanse.
Formée des villes des quatre quartiers (westphalien - Cologne,
wende — Lübeck, saxon — Brunswick, et prussien — Dantzig),
la Hanse dispose de comptoirs, le Peterhof à Novgorod,
le Brücke à Bergen, le Stahlhof à Londres et le Marchand alle-
É EU mand à Bruges. Ses marchands apportent à Bruges et à Londres
, À 358, À. des produits bruts (ambre, fourrure, cire, bois, blé, poix et gou-
dron, cendres — pour le savon et la teinturerie -, fer, harengs)
et remportent d'Angleterre les laines (depuis Hull, Boston,
Londres] et de Flandre les draps et les produits apportés par les
L'activité commerciale
Se constitue un
une partie de ses bénéfices en terres et
répart ies surtou t le long de la vallée
ensemble de seigneuries
exploi te les mines de plomb argentifère du
de la Loire. Il
Languedoc.
Lyonnais et du Beaujolais ainsi que les salines du
d'autr e part ne fait
Tout cela excite la jalousie; Jacques Cœur
et celui du roi. Arrêté
pas assez la différence entre son argent
il meurt en défen dant Chio contre
en 1451, condamné, évadé,
telles entrep rises n'étai t pas encore venue
les Turcs. L'heure de
le du déclin comme rcial frança is, l’acti vité
en France. Symbo
Chalo n-sur -
d'échange est rejetée vers les foires périphériques,
e) et d'autr e part
Saône, Lyon (qui supplante cependant Genèv
de terre de
Pézenas et Montagnac en Languedoc. La route
l'Italie à la Flandre n’est pas tout à fait morte : mais elle s’est
déplacée vers l'Est pour conto urner le royau me.
L'Allemagne du Sud
Les
C'est là une des raisons de l'essor de l'Allemagne du Sud.
s'ar-
marchands qui ont passé le Simplon traversent le Jura,
rêtent à Chalon et remontent par la Lorraine et le Luxemb ourg,
ceux qui ont passé le Saint-Gothard rejoignent Bâle et l'axe
t
rhénan, tandis que ceux qui ont emprunté le Brenner gagnen
Nüremberg, Francfort et Cologne, ou l’Europe de l'Est. Les
bourgeoisies locales, enrichies par la prospérité du textile et
des mines, sont capables de jouer leur rôle. De grandes com-
pagnies se forment qui étendent au loin le réseau de leurs
activités, même si leur organisation reste rudimentaire
D
'T
Ÿ
? FA 359/B:
(Grande Société de Ravensburg, Stromer, Fugger}). La consti-
tution de l’Empire habsbourg leur permet dès la fin du siècle
de réaliser des progrès décisifs.
L'Angleterre
En Angleterre l'activité commerciale s'intensifie. Le commerce
des produits de luxe reste aux mains des étrangers, Hanséates
fourrures] et Italiens (produits de l'Orient). Mais les Anglais
sont actifs dans d’autres domaines: celui du sel par exemple,
Exportations annuelles de laine et de ou celui du vin (ce sont eux qui assurent le commerce des
drap anglais par les nationaux vins de Bordeaux}. La grande affaire, en Angleterre, c’est le
D'après Carus-WiLsON et COLEMAN, textile. La laine brute d'abord: les membres de la « Fellowship
England Export Trade.
Milliers de draps
Milliers de sacs
Exportations
de laine brute
=]
1300 1350 1400 1450 1500
L'activité commerciale
EH Les découvertes
Mais les découvertes qui vinrent couronner le xv‘ siècle finis-
sant furent le fait des Ibériques. La circumnavigation de
l'Espagne, puis les troubles de la Méditerranée orientale avaient
amené les Italiens et surtout les Génois à s'intéresser à
l'Andalousie (Cadix, Séville) et au Portugal. Initiés par de tels
maîtres, les Ibériques se trouvent dès le début du xv° siècle
dans tous les ports, commerçant des richesses de leur pays Mérinos : mouton à laine fine,
importé d'Algérie vers 1340.
(laine des moutons mérinos, vins de Jerez, fruits, etc.). Ils dis-
posent d'excellents navires, et, sans espoir du côté de la
Méditerranée orientale, pensent aller chercher les épices et
l'or du Soudan vers le Sud. Si c’est encore un Génois qui a
découvert les Canaries (1312), Portugais, Catalans et Castillans
fréquentent ces parages à partir des années 1340. Madère était
peut-être connue dès la fin du x siècle et il semble que des
Portugais aient découvert les Açores en 1341. Mais la mise en
valeur de cette « Méditerranée atlantique » commence vers
1402-1403 pour les Canaries, vers 1425 pour Madère, et dans
les années 1440 pour les Açores: cultures vivrières, mais
PARTIE 3 » La fin du Moyen Âge (xv®-xvf siècles)
s'intéressent aussi au
surtout sucre et épices. Les Ibériques
leur parvi ennen t — mais en quantité insuffi-
ee T7 Ne Maghreb, par où
les Portugais
es 1 =) sante — or, esclaves noirs et épices. En 1415,
e à la fois la continuation
Z S prennent Ceuta: l'événement marqu
nouvelle, la
Cp Ven LE RIQUE de la « Reconquista » et le début d’une entreprise
» qui comm ence par la recon naiss ance de
« Conquista
ateur »
——"+Y ue l'Afrique, patronnée par le prince Henri « le Navig
les éléments
OCÉAN
Di (1394-1460). Dans son château de Sagres, il réunit
animé à la fois par l'idéal du croisé
( nécessaires aux conquêtes,
ATLANTIQUE
me du Prêtre Jean), l'appét it de gloire et le
L ÀET (recherche du royau
Portug ais recon-
goût pour l'or et les richesses. Peu à peu les
2 000 km LE
l'océan Indien
naissent la côte et voient s'ouvrir devant eux
1488, et de Vasco de Gama jusqu’à
Découverte descôtes de l'Afrique [voyages de Cao, 1486, Diaz,
l'Inde, 1497-14 99). Les difficu ltés n'ont pas manqué : il a fallu
par les Portugais qui, une
compter avec les Castillans. Ce sont les Espagn ols
, patron nèrent l’entre-
fois les difficultés de l'Espagne apaisée
Colomb , müûrie au Portuga l: parti
prise du gênois Christophe
août 1492, Colomb découvr it l'Améri que, décou-
de Palos en
uences
verte d’une portée immense, mais qui par ses conséq
appartient à la période suivante.
Progrès décisifs donc que ceux qui sont accomplis pendant
ces siècles difficiles: tandis que sont forgés les instruments
du capitalisme financier {lettre de change, comptabilité à par-
tie double] l’espace dans lequel va s'exercer l'impérialisme
européen a été reconnu [ouverture de l'océan Indien, décou-
verte de l'Amérique). Tout le monde s'aperçoit de l'importance
primordiale de l’activité commerciale, à commencer par les
souverains: Édouard IV arme un navire pour commencer en
Méditerranée, Henri VII en Angleterre et Louis XI en France
prennent des mesures pour stimuler la vie économique de leur
pays en protégeant la production et le commerce: une poli-
tique déjà protectionniste, une doctrine déjà mercantiliste.
Les princes et les souverains portugais, les « Rois Catholiques »
en Espagne sont à l’origine des grandes expéditions de décou-
verte. Une nouvelle ère s'ouvre.
Bibliographie
Utiliser d'abord Ph. ConTaminE (dir), cité p. 11 et P. Chaunu, L'Expansion européenne du xuf au
x siècle, Paris, 1969, et The Cambridge Economic History of Europe, t. 2, Trade and Industry in the
Middle Age, Cambridge, 1952 (vieilli), et t. 3, Economic Organization and Policies in the Middle
Ages, Cambridge, 1965. Pour l'histoire des villes, voir les chapitres de P. BoucHeron et D. MENJOT
dans le vol. lde l'Histoire de l'Europe urbaine, Paris, 2003, dirigé par J.-L. PinoL.
Pour l'Italie:
Voir Y. ReNOUARD, Les Hommes d'affaires italiens au Moyen Âge, Paris, 2° éd., 1968; J. Heers, Gênes
au x siècle. Activité économique et problèmes sociaux, Paris, 1961 ; Ch. e La Ronaière, Un chan-
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Andrea Barbarigo, Merchantof Venice, Baltimore, 1944. Des textes, dans R.S. Lopez et I. W.Raymono,
Medieval Trade in the mediterranean world, New York, 1955. Pour un produit très particulier,
le sel, voir J.-C. Hocaurr, Le Sel et la Fortune de Venise (cité p. 161). P. BoucHeroN, Le pouvoir de
bâtir. Urbanisme et politique édilitaire à Milan (xW°-x siècle), Rome, 1998 et J.-C. MAIRE-VIGUEUR,
L'autre Rome. Une histoire des Romains à l'époque communale (x£- xi® siècle), Paris, 2010.
Pour la France:
M. Mouuar, Le Commerce maritime normand à la fin du Moyen Âge, Paris, 1952; Ph. Wourr, Commerces
et Marchands de Toulouse (vers 1350-vers 1450), Paris, 1954; J. ToucHaro, Le Commerce maritime
breton à la fin du Moyen Âge, Nantes, 1967 ;H. Dusors, Les Foires de Châlon et le Commerce dans
la vallée de la Saône à la fin du Moyen Âge, Paris, 1976 et J. Hers, Jacques Cœur, Paris, 1997. B. Bove,
Dominer la ville: prévôts des marchands et échevins parisiens de 1260 à 1350, Paris, 2004 et les
volumes 3 et 4 de la Nouvelle histoire de Paris, 1975, dus respectivement à R. CazeLLes et à J. FAVIER.
Pour l’Angleterre:
T.H. Liovo, The English Woo! Trade in the Middle Ages, Cambridge, 1977; E. Power, Medieval English
Wool Trade, Oxford, 1941 : E. Carus-WiLson et O. CoLeman, England's Export Trade 1275-1547 Londres,
1962: E. Carus-Wison, Medieval Merchant Venturers, Londres, 1954; S.L. THrupr, The Merchant
Class of Medieval London, Chicago, 1950. C. Barrow, London in the Later Middle Ages, Oxford,
2004.
Sur l'Espagne:
CI. Carrère, Barcelone, centre économique à l'époque des difficultés, 1380-1462, 2 vol. Paris, 1962
et J. Guira-Havziossir, Valence, port méditerranéen au xv siècle (1410-1525), Paris, 1986; D. CouLon,
Barcelone et le grand commerce d'Orient au Moyen Âge. Un siècle de relations avec l'Égypte et la
Syrie-Palestine (ca. 1350-ca. 1430), Madrid-Barcelone, 2004. D. Menuor, Murcie castillane. Une ville
au temps de la frontière (1243-milieu du x siècle), Madrid, 2002, 2 vol.
PARTIE 3 * La fin du Moyen Âge (xv®-xv° siècles)
Sur la Flandre:
Market and the European Economy (XIVth-X Vth
Voir H. Van ver WEr, The Growth of the Antwerp's
centurie), 3 vol. Louvain, 1963.
Quelles ont été les réactions des hommes face aux bouleversements auxquels ils ont assisté ? On aurait
pu s'attendre à ce que ces réactions se situent entièrement sur le plan religieux, tant le christianisme
nourrit et façonne les mentalités au x siècle. Il en fut largement ainsi: la force des hérésies, le carac-
tère violent et sensible de la foi l'attestent. Mais, confrontés à ces élans passionnés et divers, l'Église n'a
pu maintenir ses positions. Les papes, désireux de ne pas faillir à leur tâche de guides spirituels, ont
estimé qu'ils devaient pour cela renforcer le gouvernement pontifical. Absorbés par cette tâche, ils ont
déçu les aspirations des masses chrétiennes et de beaucoup d'hommes d'Église, tandis que le dessè-
chement de la pensée scolastique favorisait la découverte de voies nouvelles. Crise de l'Église donc et
crise de la papauté, mais aussi mutation de la pensée et de la sensibilité occidentale.
M L'installation à Avignon
Peu après l'attentat d'Anagni, le pape Boniface VIII mourait:
une ère d'incertitude s'ouvrait. Bertrand de Got, archevêque de
Bordeaux, pape (1305-1314) sous le nom de Clément V, régla le
contentieux avec la France. Il sauvegarda l'essentiel: s’il dut
absoudre Nogaret et Colonna, il évita la condamnation officielle
de Boniface VIII, qui seule aurait justifié l’action de Philippe le
Bel. Et s’il ne put empêcher ce dernier d’abattre l’ordre du Temple
(1307-1314), au moins prit-il les devants en dissolvant l'ordre
(1311). Soucieux de la réforme de l’Église, il convoqua le concile
de Vienne qui prit des mesures propres à renforcer l'unité de CANON DES LANGUES: projet de
l'Église et à stimuler son activité intellectuelle (canon des lan- création de chaires de langues
orientales dans les universités
gues). Ces négociations avaient obligé le pape à ne pas s'éloigner
(concile de Vienne).
de la France. Les États pontificaux étaient le théâtre de luttes
GUELFES ET GIBELINS :Voir p. 248.
violentes entre Guelfes et Gibelins, arrivées par la « descente »
de l’empereur Henri VII (1312) : il était dangereux de résider à CaPTIVITÉ DE BaAaBYLONE: le
clergé italien désigne ainsi le
Rome. Clément VII s'installa à Avignon (1309) : calme, pros-
séjour de la papauté à Avignon.
père, sise près du Comtat Venaissin, Avignon, qui appartenait
aux Angevins de Naples, était bien placée à mi-chemin de Rome
et de Paris. Jean XXII (1316-1334), évêque d'Avignon, y fixa le
siège de la papauté. La « captivité de Babylone » commençait.
La prépondérance dans l’Église passait des Italiens aux Français,
surtout méridionaux: cinq papes français se succédèrent et plus
de 80% des cardinaux furent français.
Æ La monarchie pontificale
Les papes d'Avignon voulurent avant tout renforcer la papauté,
seule capable, à leurs yeux, de réformer l'Église et de protéger
son indépendance. Au défi des monarchies, la papauté répon-
dit en s’organisant en monarchie centralisée.
PARTIE 3 # La fin du Moyen Âge (xv°-xv° siècles)
té avignon-
De fait, tout tourne autour de la fiscalité :la papau
er son retour:
naise a d'énormes besoins. Exilée, elle doit prépar
menèr ent de dures
de grands légats, tel le cardinal Albornoz,
pontif icaux. Ces guerres
campagnes pour pacifier les États
50% des revenu s. Exilée , la papauté
engloutissaient plus de
son presti ge: d’où la constr uction d’un splen-
devait maintenir
et d’autr es bâtim ents (15 % des revenu s] et d'abon-
dide palais
services de
dantes distributions d’aumônes (10 %). Quant aux
la Chamb re Aposto lique,
l'administration pontificale, telle
Financ es, dirigé e par le caméri er, bras
véritable ministère des
la Chance llerie , la Pénite ncerie , l'Aum ôneri e
droit du pape,
du bud-
et le tribunal de la Rote, ils absorbaient environ 20 %
s
get. Celui-ci eut beau augmenter sans cesse (de 228 000 florin
re XI,137 0-1378 ), il fut
sous Jean XXII à 481 000 sous Grégoi
pourtant insuffisant.
sur les
Plus de la moitié de ces sommes provenait de taxes
bénéfices :ainsi les revenus d’un bénéfic e vacant, dont le pape
on, étaient- ils perçus par ce dernier . Le nouvea u
avait la collati
bénéficiaire devait verser à Avignon des services, payer de
lourds droits de chancellerie. Pour un bénéfice majeur, il effec-
tuait la visite ad limina, c'est-à-dire qu'il venait à Avignon,
occasion de nouvelles taxes. À sa mort, ses « dépouilles »
allaient au pape. Une nuée de collecteurs au service de la
Chambre Apostolique percevait ces sommes. Bien que certains
papes aient été austères [Benoît XII, 1334-1342), sa fiscalité fit
beaucoup de mal à la papauté. Si elle lui permit de renforcer
ses moyens, elle ternit son image et fit oublier aux contem-
porains ses réalisations, la pacification des États pontificaux,
l'approfondissement du droit canon et l'établissement d’un
« modus vivendi » avec les États.
En 1377, lorsque Grégoire XI rentra à Rome, la papauté parais-
sait plus forte qu’en 1303. Elle avait triomphé de Louis de Bavière
qui avait essayé de provoquer un schisme en donnant la tiare
à un franciscain (Nicolas V), en lui suscitant un rival heureux,
Charles de Luxembourg. Elle n'avait guère été mise en danger
par Cola di Rienzo. Pourtant, à l’occasion de ces épisodes, des
idées dangereuses pour la papauté avaient cheminé: dans son
Defensor Pacis, Marsile de Padoue, l’un des conseillers de Louis
de Bavière, soumettant l'Église au pouvoir laïque, proposait aux
Chrétiens d’autres recours que le pape pour la réforme: l'État
d’une part, le concile de l’autre. Moins systématique, plus pro-
fond, le franciscain anglais Guillaume d'Ockham, par ses idées
démocratiques, minait le principe même de la monarchie
pontificale. Avec le schisme, ces idées allaient reparaître.
M Le schisme
Le retour à Rome s'était effectué dans l'enthousiasme: ses
suites furent malheureuses. À la mort de Grégoire XI, une
agitation se déclencha dans la foule romaine: les Romains ne
voulaient pas d’un pape français qui, croyaient-ils, ramènerait
la papauté en Avignon; le conclave, sous la pression de la foule,
choisit donc un pape italien, Bartolomeo Prignano, devenu
La vie religieuse
dut en 1413
cependant, aux prises avec le roi de Naples,
le futur empereur
solliciter l'appui du roi des Romains,
appui à la condit ion que le
Sigismond. Celui-ci accorda son
e; ce fut le concil e de Consta nce.
pape convoque un concil
problème,
satisfaction générale: si en Italie il n’y eut guère de
dat de Vienne (1448) provoq ua l’indi-
en Allemagne le concor
des clercs allema nds, persua dés d’avoir été privés de
ConcorpaT: accord entre le gnation
conclu rent pas de
Pape et un État pour régler leurs libertés traditionnelles. Deux pays ne
l'Angle terre. En France, dès
(entre autres) l'organisation concordat avec Rome: la France et
ecclésiastique de l'État en remise des difficu ltés du début du règne
que la monarchie se fut
sans
de Charles VII, les libertés de l'Église gallicane furent
question.
Bourges
cesse mises en avant. La « Pragmatique Sanction » de
(1438), imprégnée des doctrines concili aires chères aux univer-
incorp orée aux lois du royaum e,
sitaires parisiens, et bientôt
s,
rétablissait le principe de la liberté des élections ecclésiastique
limitant l'intervention de la papauté au niveau du clergé. Elle
profita aux rois de France plus qu’à l'Église gallicane: les rois
l'utilisèrent contre le pape, n’hésitant pas à se servir du pape
contre les gallicans qui n'étaient pas de leur goût. L'Angleterre,
elle, n'eut guère de difficultés avec la papauté car les rois anglais
avaient, dès le xrv° siècle, pris leurs distances avec Rome. Cette
évolution eut deux conséquences importantes: tout d’abord,
« … l'Église ne pouvait plus tirer des royaumes sa richesse et
sa force. Elle n'était plus un État dans les États; elle se replia
sur son patrimoine italien et devint un État parmi les États »
(F. Rapp}. Ensuite la conscience de l'unité de la société chré-
tienne s’estompa: l’horizon des chrétiens fut borné par leurs
problèmes nationaux.
M La situation du clergé
On a exagéré la dépravation du clergé. Les conditions étaient
difficiles. La crise économique avait éprouvé le temporel
ecclésiastique, et les épidémies décimé le clergé. Pour regar-
nir les rangs, on n'a pas toujours pris garde à la pureté des
vocations: dominicains et franciscains n’hésitaient pas à
prendre en charge l'instruction de jeunes enfants pour qu’ils
entrent, ensuite, dans les ordres. D'autre part, l'Église a été
La vie religieuse
ouailles. La
sermons leur permettant de prêcher devant leurs
était l’un des moyen s d'actio n essenti els de l’Église:
prédication
en déplaç ant des
un saint Vincent Ferrier parcourait l’Europe
des témoin s pour mesu-
foules immenses. Il faut lire les récits
grands prédic ateurs : « (Frère Richar d)
rer la popularité des
son sermon vers cinq heures du matin et il durait
commençait
six mille
jusqu’entre dix et onze heures, et tous les jours cinq à
ois de Paris (un chanoi ne
personnes y assistaient », et le Bourge
parti armag nac et au roi Charle s
de Notre-Dame, hostile au
VII), dans son /ournal , de racont er comme nt, au retour du ser-
mon, les Parisiens jetaient au feu leurs dés, leurs cartes à jouer,
leurs billards, tandis que les femmes brülaient leurs atours et
leurs coiffures extravagantes |
Æ La sensibilité religieuse
Dans la ligne tracée par le concile de Latran IV, en s'appuyant
sur les travaux des théologiens de l’université de Paris, l'Église
a renforcé son contrôle sur les âmes et sur les individus: les
prêtres qui recueillent les confessions (la confession est désor-
mais obligatoire, au moins une fois par an) et surtout les prédi-
cateurs, le plus souvent membres des ordres mendiants, insistent
sur la nécessité pour chaque chrétien d'assurer son salut éternel.
La messe est restructurée: l'élévation du calice est introduite,
insistant sur la place centrale de l’eucharistie et du sacrifice du
Christ pour le rachat des péchés de l'humanité dans la cérémo-
nie. Une cérémonie qui, de ce fait, devient efficace: c'est une
« œuvre » dotée de puissance, non seulement au bénéfice de
celui qui y participe, mais aussi de ceux pour lesquels il prie,
même s'ils sont déjà morts. En effet, parallèlement, tout le dis-
positif symbolique du salut est réorganisé: si la peur de l'enfer
est constamment ranimée par les représentations (Jugement
Dernier, Danse macabre, ete.) et par l’irruption d’un personnage
nouveau, le diable, la mort est rendue plus présente par la proxi-
mité entre les vivants et les morts; les cimetières sont désormais
situés à proximité immédiate des églises paroissiales, au cœur
de la ville (les Innocents à Paris, l’aître Saint-Maclou à Rouen)
et les plaques mortuaires toujours plus nombreuses marquent
l'inhumation des fidèles à l’intérieur des églises. Surtout, le pur-
gatoire, « inventé » par les maîtres parisiens vers 1200 comme
un « entre-deux » entre enfer et paradis est désormais désigné
comme le lieu où les âmes attendent dans la souffrance leur
entrée au paradis. Le purgatoire est un prodigieux levier entre
les mains de l'Église: si le fidèle qui mène de son vivant une vie
vertueuse et suit les recommandations de l’Église peut gagner
le paradis en évitant le purgatoire ou n'y effectuer qu’un court
séjour, il peut au-delà de la mort voir son temps de purgatoire
raccourci, grâce aux vertus efficaces de la messe.
Ainsi se développe rapidement ce que Jacques Chiffoleau a
appelé « la comptabilité de l'au-delà ». La messe est au centre
de cette économie du salut qui se met en place: lorsqu'il fait
son testament, le mourant consacre s’il le peut des sommes
exorbitantes à des fondations de messe. L'unité de base est le
« trentain » (30 messes), mais ce sont souvent parfois des
La vie religieuse
t en langue
observance. Vivant en commun, les frères priaien
ance à l'éducation.
vulgaire et accordaient une grande import
Leurs collèges furent l’un des foyers les plus actifs de l'expansion
fut élève.
de l'humanisme dans l’Europe du Nord-Ouest: Érasme y
Autre preuve de leur succès: la popula rité de l’Imita tion de Jésus-
sept
Christ [titre significatif...) de Thomas a Kempis dont plus de
d'inno mbrabl es édi-
cents manuscrits ont survécu et qui connut
a, la vie intérie ure du fidèle passait
tions. Avec la devotio modern
impo-
au premier plan, avant l’accomplissement public des rites
sés par l'Église.
Le hussisme
La descendance de Wyclif, on la trouve en Bohême avec le
mouvement hussite. Les idées de Wyclif ont vite été connues
en Bohême, les contacts entre universitaires de Prague et
d'Angleterre étant fréquents, en Angleterre même ou bien à
Paris. À l’université de Prague (fondée par Charles IV de
Luxembourg}, maîtres et étudiants étaient répartis en trois
nations allemandes et une nation tchèque: le réalisme du
maître d'Oxford offrait aux Tchèques un moyen de se distin-
guer des Allemands, très attachés au nominalisme. Dès lors,
un terrain favorable était trouvé: l'hostilité des Tchèques
envers les Allemands grandissait dans tout le pays. En outre,
prospère sous le règne de Charles IV, la Bohème connaissait
des difficultés économiques et sociales. Les universitaires
PARTIE 3 x La fin du Moyen Âge (xv®-xv siècles)
uences
n’hésitèrent pas à tirer des idées de Wyclif leurs conséq
ire: pour eux la seigne urie est liée à la grâce, et
révolutionna
son autorité
un souverain ou un seigneur qui pèche peut voir
t les
mise en cause. Or les universitaires tchèques avaien
re: les prédic ations étaient nom-
moyens de se faire entend
particu lier à la chapel le de Bethlé em, fondée à
breuses, en
l’unive rsité était
Prague pour le peuple tchèque en 1391, et
'en
devenue le centre de la vie nationale en Bohème, lorsqu
ns Wences las avait donné aux Tchèqu es
1409, le roi des Romai
les Allema nds. C'est, en 1412, la vente d’indu lgence s
le pas sur
prédic ateur de
à Prague qui mit le feu aux poudres: le
son
Bethléem, Jean Hus, remarquable orateur, fit partager
indignation au peuple de Prague ; l'émeu te éclata et fut dure-
ment réprimée. Hus était déjà considéré par l'Église comme
un hérétique; il avait été excommunié en 1409. Pourtant, le
seul point sur lequel il rejoignait Wyclif était sa doctrine
ecclésiale: pour les deux hommes, l'Église était la commu-
nauté des croyants élus, non la hiérarchie officielle à laquelle
ils déniaient tout rôle d’intermédiaire. L'agitation continua et
fut bientôt telle que de nombreux ecclésiastiques « ortho-
doxes » quittèrent Prague: ils firent à Hus une fort mauvaise
réputation après des Pères du concile de Constance. Muni d'un
sauf-conduit du roi des Romains, Sigismond, Jean Hus accepta
pourtant de se rendre à Constance, où les Pères l'avaient convo-
qué. Il espérait y développer ses idées: arrêté, puis condamné,
il fut brûlé (6 juillet 1415).
L'état de la recherche
Réprimer ou réformer ?
Le xv® siècle voit l'aboutissement des réformes officialisées par le Concile de Latran IV en 1215: deux
contradictions apparaissent désormais de façon éclatante: en se séparant des États, l'Église n'est-elle
pas, en réalité, devenu à son tour un État? Et l'approfondissement de la foi et de la piété des laïcs
justifie-t-elle une distinction aussi stricte entre le statut des clercs et celui des laïcs?
u'il s'agisse de mouve- eux-mêmes n'échappent pas, tenus pour sorciers: la peur
ments tolérés par l'Église en fin de compte, à une remise du déraisonnable provoque
(observance, frères de la vie en cause. les premières chasses aux
commune) ou de tentatives sorcières (notamment dans le
de réforme (Wyclif, Hus), la vie ‘Église s'efforce donc Dauphiné entre 1424 et 1445)
religieuse connaît donc à la fin de mieux contrôler les et cette « croisade des gens
du Moyen Âge de profondes fidèles tout comme ses du livre contre le syncrétisme
mutations. Au cœur de cette propres membres. Juristes paysan » selon l'expression
mutation, l'intériorisation et et inquisiteurs vont peu à de Pierrette Paravy allume les
l'individualisation de l'expé- peu apprendre à repérer et à premiers büûchers. La bulle
rience religieuse apparaissent nommer des comportements Summis desiderantes d'Inno-
comme les raisons essentielles maintenant considérés comme cent VIII légitime cette chasse
de la remise en cause de déviants: les uns seront consi- aux sorcières qui Va ravager
l'institution ecclésiastique. dérés comme hérétiques et l'Europe au xvi° siècle. D'une
Rendu nécessaire par l'évolu- condamnés comme tels, les façon générale, les laïcs ont
tion sociale et notamment le autres, notamment pour des acquis une autonomie et une
développement des villes, le pratiques superstitieuses responsabilité nouvelles: et
changement a été largement jusqu'ici considérées avec un ceci devait aussi avoir des
encouragé et encadré par simple mépris et désormais répercussions dans le domaine
les ordres mendiants: mais assimilés à la magie, seront culturel.
PS
Bibliographie
L'ouvrage fondamental est ici F. Rapr, L'Église et la Vie religieuse en Occident à la fin du Moyen Âge,
Paris, 1971. Voir aussi J. Le Gorr et R. Rémono, Histoire de la France religieuse, | et Il, Paris, 1988;
A. VaucHez (dir.), Histoire du christianisme, t. VI, Paris, 1990.
Sur Jeanne d'Arc, voir G. et A. Dusrv, Les Procès de Jeanne d'Arc, Paris, 1973 et C. BEAUNE, Jeanne
d'Arc, Paris, 2004.
Sur Wyclif, K.B. McFarLaAnE, John Wycliffe and The Beginnings of English Non-Conformity, Londres,
1972 ; surtout une vision d'ensemble indispensable dans A. Hupson, The Premature Reformation,
Oxford, 1988.
Pour le hussisme, voir P. De Vocr, L'hérésie de Jean Hus, Louvain, 1960; J. Macek, Jean Hus et les
traditions hussites, Paris, 1973: F. SmaHet, La Révolution hussite, une anomalie historique, Paris,
1985.
Sur les béguines et beghards, J.-CI. Schmirr, Mort d'une hérésie. L'Église et les clercs face aux
béguines et aux beghards du Rhin supérieur du x au xw siècle, Paris, 1978.
Aux alentours de 1400, et spécialement en Italie, les historiens ont perçu une mutation, essentielle-
ment culturelle, qu'ils ont dénommée « Renaissance », empruntant le terme au peintre et critique
Vasari qui l'employait déjà au milieu du xvi° siècle. En fait, si le terme est commode, on reconnaît
aujourd'hui que la « Renaissance » a été un mouvement de longue durée, qui a affecté l'Europe
entière, et dont les manifestations culturelles, pour spectaculaires qu'elles soient, renvoient en pro-
fondeur à des évolutions sociales, politiques et religieuses que nous avons déjà analysées. Trois de
ces évolutions doivent être ici rappelées: le développement des États nationaux, gros consomma-
teurs d'administrateurs compétents, et qui ont donc fait appel à des juristes laïcs mais néanmoins
formés à l'université et cultivés; autour d'eux, autour des riches marchands qui brassent des affaires
complexes, autour des cours plus nombreuses et plus brillantes a pris son essor une culture laïque,
et ce dans un cadre national, tenant donc compte des langues nationales. Ensuite, le poids relatif
des villes et donc des préoccupations bourgeoises s'est fortement accru. Enfin, la religiosité s'est
faite à la fois plus exigeante et plus individuelle, entraînant hommes et femmes de ce temps dans
une recherche, une remise en cause des idées reçues qui culminera avec la Réforme au début du xvi°
siècle, mais dont les racines plongent dans les débats religieux et intellectuels du xiv® siècle. La cour,
la ville, la découverte enfin de l'expérience individuelle se conjuguent ainsi pour donner naissance
à des expressions artistiques originales.
s (duché de
(domaines français du roi d'Angleterre}, de Nante
Bourges) ou
Bretagne}, de Poitiers (pour Charles VII replié à
de St. Andrews (Écosse).
qui les
Beaucoup de ces universités ne survivront pas aux États
univers ités dans
ont suscitées. Les conséquences de l'essor des
plus
l’Empire et dans le monde germanique s'avèrent beaucoup
aussi, pour répondr e à des besoins poli-
importantes: nées, elles
IV de
tiques comme l’université de Prague fondée par Charles
sent un
Luxembourg, empereur et roi de Bohème, elles connais
ent qui vide Paris et
rapide essor avec le Grand Schisme d'Occid
les universités clémentistes de leurs étudian ts alleman ds: Erfurt
(1379), Vienne (1384), Heidelberg (1385) progressent rapidement,
n
Cologne connaît une nouvelle vie, et le mouvement de créatio
se poursuit au xv° siècle sous l'impulsion, à nouveau, des Etats
princiers, avec Leipzig (Saxe, 1409), Louvain (Brabant, 1425),
Fribourg (Bade, 1455) et des cités (Bâle, 1459). Cet essor se conju-
gue avec les mouvements religieux évoqués au chapitre précé-
dent (devotio moderna) pour donner à la vie intellectuelle dans
les pays d'Empire et notamment les villes d'Empire un éclat et
une intensité exceptionnels: il n’y a rien de surprenant à ce que
les premiers imprimeurs aient été allemands.
Le développement des États explique aussi la « Renaissance ».
Les administrateurs qu'emploient les États ont souvent reçu une
formation juridique universitaire: ainsi naît et croît un milieu
cultivé mais laïque. La nécessité de posséder une solide culture
s'impose à ceux qui exercent une « profession » (médecins,
juristes, etc.) et à ceux qui entendent faire carrière au service
du roi. Il faut aussi aux marchands et aux hommes d’affaires,
au moins en Italie, un solide bagage de connaissances. Ce sont
des juges et des notaires de Padoue (Lovato Lovati, mort en 1309
et Albertino Mussato, mort en 1329] et de Vérone qui ont les
premiers commencé à rechercher les textes latins oubliés ou
perdus et en ont réutilisé les formes, les idées et les thèmes
antiques pour les appliquer à des situations contemporaines.
Des disciplines jusque-là négligées retiennent l’attentiontd'un
public cultivé laïque: les mathématiques, l’histoire, la géogra-
phie par exemple. En outre se développe le fait littéraire: il existe
un public qui ne se résume plus au clergé et à l'aristocratie cour-
DaNTE (1265-1321) : ce noble toise. Dante, Boccace, Chaucer, ou Christine de Pisan sont déjà
florentin, très cultivé bien que des gens de lettres au sens moderne du terme, même si l'Anglais
laïc, est un immense poëte qui et la Française doivent à la cour leur position. Écrivant dans ce
impose le toscan comme la
langue littéraire de l'Italie. Il
cadre, pour un public plus nombreux et qui n'a pas toujours
compose sa Divine Comédie autant de culture qu'eux, la plupart de ces auteurs sont bilin-
en exil, mais aussi une impor- gues, voire trilingues: ils écrivent en latin, mais aussi dans les
tante œuvre latine, exaltant différentes langues vernaculaires. Dès le xmr‘ siècle, une littéra-
l'humanitas, les valeurs
ture en français s’est développée, suivie de peu par l'Italie (Dante)
d'humanité (raison, courage,
amour de la beauté). et, plus tard, par l'Allemagne, l'Espagne et enfin l'Angleterre —
où l'aristocratie a longtemps été francophone. Il s’agit bien d’une
littérature, au sens moderne du terme, et non plus de poèmes
destinés à être dits et non lus, comme dans le cas des chansons
de geste. Et pour ce nouveau public, on se met à traduire les
textes de l'Antiquité, et même les textes religieux ou scienti-
fiques, jusqu'ici accessibles aux seuls clercs.
Le mouvement des idées et la vie artistique
M La mort de la scolastique
Enfin, si l’Église a abandonné sa domination sur la vie intel-
lectuelle, c'est aussi qu’elle n'avait peut-être plus grand-chose
à proposer. La théologie connaît en effet une grave crise. La
synthèse thomiste, dont les succès ultérieurs ont fait sures-
timer l'influence immédiate, a surtout fourni une base pour
de nouvelles discussions. Le xiv° siècle a vu se produire de
violentes luttes doctrinales. Duns Scot (1266-1308) et
Guillaume d'Ockham (1300 ?-1348) refusent l'équilibre que
saint Thomas avait essayé d'établir entre raison et foi. L'un
comme l’autre, ils estiment qu'il s’agit d’un scandaleux rétré-
cissement de l'absolue liberté divine. Mais à partir de là ils
prennent des chemins opposés. Pour Scot, l’homme accède à
la connaissance par les essences, les idées, qui ont une réalité
qui nous vient de l’illumination de notre esprit par la grâce
divine, même si cette illumination n’a laissé que des traces
ténues, ce qui nous oblige à lutter sans cesse à la fois pour
aller vers le bien et pour acquérir la connaissance. Pour
Ockham, nous sommes totalement privés de la lumière divine
- nous ne savons de Dieu que ce que nous dit le message divin,
la Bible, qu'il faut donc étudier de près — et nous devons partir
de ce que nous observons par l'expérience sensible, si trom-
peuse soit-elle. Or, cette expérience ne peut être que du sin-
gulier, de l’individuel: pour Ockham, les idées ou les essences
ne sont que des mots, des noms et leur existence est purement
linguistique: il est nominaliste. Pour Scot, les idées, les
essences, ont une réalité; c’est un réaliste. Mais on voit bien RÉALISME: il reconnaît une réa-
qu'au-delà de cette opposition fondamentale, les deux philo- lité aux espèces, alors que le
: : N : nominalisme estime GUÉIEETÉ
sophes insistent sur le problème de la connaissance; leur réalité s'arrête aux mots qui
; 11526 à j dr .
théologie irrigue leur philosophie, et celle-ci, à son tour, rigou- désignent les espèces.
reuse et exigeante, appelle une méthode qui permet de déjouer
les illusions des sens: la logique, les mathématiques et la phy-
sique connaissent un développement prodigieux, que les uni-
versitaires qui en sont les auteurs soient réalistes ou
nominalistes. Les deux grandes universités d'Oxford
(Bradwardine, Burley, Dumbleton, Heytesbury) et de Paris
(Autrecourt, Buridan, Oresme] connaissent un véritable âge
d’or dans ces domaines, interrompu pour Paris par le Grand
Schisme et le départ des urbanistes, pour Oxford par la crise
du wycliffisme. Ajoutons que l’exégèse biblique progresse
aussi, notamment avec les travaux de Nicolas de Lyre.
& L'humanisme
gie et une
contenter de textes religieux. Une nouvelle idéolo
commu nicat ion: la Réfor me allait
nouvelle technologie de
t produire.
bientôt montrer ce que cette conjonction pouvai
L'architecture
La peinture italienne semble avoir alors perdu l'initiative.
L'architecte Brunelleschi (1377-1446), qui travailla à l’édifica-
tion de la coupole de la cathédrale de Florence, reprit le flam-
beau abandonné par les successeurs de Giotto. Il proposa, en
fait, une nouvelle conception de l’espace: sa coupole n’enfer-
mait pas un espace clos; elle était, au contraire, une ouverture.
Sa tension vers le haut, ses facettes, mettaient en relation l’es-
pace intérieur de la cathédrale avec le ciel, avec l'univers.
L'espace était décomposé de façon rationnelle et le travail de
l'architecte consistait à en concevoir une organisation elle-
même rationnelle. Ces idées développées et liées au courant
humaniste par Léon Battista Alberti (1404-1472), employé à la
Curie romaine, architecte de la façade de Santa Maria Novella
et du Palazzo Ruccellai à Florence, eurent une profonde
influence ;non seulement les statuts de l’art et de l'artiste (qui
n'était plus un simple technicien] en furent transformés, mais
encore les artistes découvrirent le problème auquel ils étaient
confrontés: la reconstruction d’un espace qui corresponde à
la nouvelle compréhension du monde, celle des humanistes
du xv° siècle: il s’agit de construire mathématiquement l’es-
pace, de lui donner un rôle structurant, qu'il s'agisse d’une
mise en volume (sculpture, architecture), ou de l'exploitation
d’une surface plane (dessin, peinture).
ualise
faire triompher leur propre « manière », qui les individ
misme du « gothiqu e
et fait leur célébrité. Alors que le confor
entre l’artist e et le spectat eur, l'art
international » s’interposait
le
de la Renaissance exige au contraire que l'artiste prenne
risque d'affir mer sa personn alité.
par
Le Quattrocento (c'est-à-dire le xv° siècle] est ainsi marqué
une pléiade d'artist es excepti onnels. Les sculpte urs toscans
Donatello (1386-1466) et Verrochio (1435-1488] et des archi-
tectes, comme les Florentins Michelozzo (1396-1472), Filarete
[1400-1469] et Giuliano da Sangallo (1443-1516), ainsi qu'un
architecte formé à la cour des Montefeltre à Urbino, Donato
Bramante (1444-1514), qui travaille surtout à Rome et à Milan,
se sont immédiatement inspirés de Brunelleschi et diffusent
rapidement dans toute l'Italie la technique et le style nouveaux.
Chez les peintres, ceux-ci sont mis en œuvre de façon éclatante
par Masolino (1383-1447) et surtout par son élève Masaccio
(1401-1428] dans les fresques de la chapelle Brancacci au
Carmine de Florence, mais il faut attendre plusieurs décennies
pour que les peintres reprennent pour leur compte le travail
de réflexion sur l’espace, la perspective et la représentation
spatiale. Le Florentin Paolo Uccello (1397-1475) peint ainsi pour
les Médicis la Bataille de San Romano en trois panneaux où
il expérimente des solutions totalement originales mais qui
resteront sans lendemain, tandis qu’à la cour des Montefeltre
à Urbino le Toscan Piero della Francesca (1410/20-1492) reprend
les idées de Brunelleschi et d’Alberti non seulement dans ses
œuvres, mais aussi dans ses traités de mathématique à l'usage
des peintres et des marchands: il manie avec virtuosité les
techniques les plus raffinées de la construction spatiale, et son
influence sur les autres peintres, notamment son élève Luca
Signorelli (1445-1523) qui décore la cathédrale d'Orvieto, sera
déterminante. Une autre cour princière, celle des Gonzague à
Mantoue, donne aussi l’occasion au Padouan Andrea Mantegna
(1431-1506) d'expérimenter ses propres solutions.
Ces nouvelles approches sont reprises par les artistes apparte-
nant aux deux grandes écoles de peinture qui dominent alors
l'Italie. Florence, avec Filippo Lippi (1406-1469), Andrea del
Castagno (1419-1457), Benozzo Gozzoli (1420-1497), Domenico
Ghirlandaio (1449-1494) et Sandro Botticelli (1445-1510) connaît
une extraordinaire vitalité, en raison de l’importance des com-
mandes passées par les Médicis et les grandes familles mar-
chandes. Le style des peintres de l’'Ombrie, le Pérugin (1448-1523)
et le Pintoricchio [1454-1513] est très proche de celui des
Florentins, avec lesquels ils travaillent souvent. Venise, dont
les peintres bénéficient de riches commandes à Venise même
mais aussi à Padoue, Vicence, Vérone et Trévise, possède de
grands peintres comme Jacopo Bellini (1395-1471) et ses fils
Gentile (1429-1507) et Giovanni (1425-1516), beaux-frères de
Mantegna, et Vittore Carpaccio (1465-1526) ; l'école de Ferrare
se rapproche de celle de Venise. Un seul peintre italien, le
Napolitain Antonello de Messine (1430-1479), s'inspire des
techniques et du style des peintres flamands; pourtant, il ne
faut pas oublier que la peinture flamande est connue et
Le mouvement des idées et la vie artistique
de
les plus beaux monuments perpendiculaires se distinguent
dge. Le gothiq ue
nombreux collèges d'Oxford et de Cambri
subit
flamboyant se répand dans l’ensemble de l’Europe, mais il
ormati ons. Dans les Pays-Ba s, en
de nombreuses transf
et jusqu’e n Italie du Nord (cathéd rale de Milan) on
Allemagne
l’adapte à la forme qui a la faveur des architectes: celle des
Hallenkirchen, les églises à trois nefs égales. Ailleurs les chan-
gements, sous l'influence des traditions locales, sont plus pro-
fonds. Le gothique vénitien vivifie par le décor flamboyant les
schémas byzantins (la Ca’ d'Oro). En Espagne, où la Catalogne
reste fidèle à un gothique rigoureux, les artistes de la Castille
et de l’Aragon fondent dans l’exubérant style mudéjar éléments
gothiques et éléments islamiques (cathédrale de Séville, 1432) ;
au Portugal le monastère de Batalha offre le plus bel exemple
du style manuelin (du nom du roi Manuel, 1495-1521).
HE L'art flamand
L'Europe du Nord-Ouest, où la création artistique s’est concen-
trée autour des princes et des élites urbaines, est elle aussi
restée fidèle au gothique. Le style gothique est devenu celui
par excellence de la cour de Paris, et les cours alliées ou
parentes des Valois l'ont adopté comme marque de distinction.
Les Luxembourg l'ont répandu en Allemagne et à partir de
Prague dans toute l’Europe centrale et les artistes de Charles
IV, notamment les membres de la famille Parler, vont en faire
un art allemand. C’est aussi dans les châteaux des ducs Valois
de Bourgogne et du duc de Berry (et pour leurs collections) que
s’est préparée l’éclosion de l’art flamand: des miniaturistes
comme les frères de Limbourg réalisent les Très Riches Heures
du duc de Berry, le Bruxellois Claus Sluter (1350-1406) vient
travailler aux tombeaux des ducs de Bourgogne à la chartreuse
de Champmol et y élève le Puits de Moïse. La miniature fait
office de laboratoire: de cette origine vient l’une des caracté-
ristiques flamandes, la préciosité de la couleur et la richesse
des teintes; les Italiens, formés à la fresque, ont longtemps
évité les tons foncés ou soutenus, jusqu'à ce que, sous l'in-
fluence des Flamands, Antonello da Messina et les Vénitiens
donnent à la couleur une valeur nouvelle.
Mais l’art flamand, bien qu'il reste fidèle au décor gothique et
paraisse, à première vue, plus « médiéval » que « renaïissant »,
exprime au même titre que l’art italien l'esprit nouveau de son
époque. Le terreau fécond est ici la religiosité si particulière
des Pays-Bas, qui a donné vie à la devotio moderna, ou à des
mouvements comme ceux des frères de la vie commune, la
congrégation de Windesheim, ou les béguinages (encore qu’il
s'agisse plus d’une atmosphère que de liens institutionnels
entre les artistes et ces groupes). L'originalité flamande réside
dans un double mouvement, en apparence contradictoire: un
réalisme figuratif strict (les larmes, les étoffes, la vaisselle sont
rendues avec une exactitude scrupuleuse), mais combiné avec
un symbolisme poussé. Ainsi, dans le Retable de l’Agneau
Mystique, les fleurs qui parsèment la prairie céleste où trône
l'agneau sont « réalistes », reconnaissables, parce qu’elles ont
Le mouvement des idées et la vie artistique
BE La musique
Dans le domaine musical, les musiciens français (Philippe de
Vitry, 1291-1361, et surtout Guillaume de Machaut) ont fait
triompher ce que Vitry a appelé l’Ars Nova. La nouvelle musique
rompt avec les règles traditionnelles: les rythmes sont dislo-
qués, les vocalises s'accumulent en toute liberté. Nous avons
là un équivalent du gothique flamboyant, la virtuosité de l’orne-
mentation étant plus importante que la structure de l’œuvre
musicale. L'Ars Nova permit le renouvellement des moyens
d'expression musicaux, même si une virtuosité gratuite
encombre bien des morceaux. Les difficultés de la France
PARTIE 3 & La fin du Moyen Âge (xv®-xv° siècles)
L'état de la recherche
Vers la maîtrise du réel
La mutation de l'éducation entamée sous l'impulsion de l'Église qui, pour réaliser la réforme dite
« grégorienne » devait disposer d'éducateurs et de prédicateurs hors pair, a abouti à un profond
renouvellement des savoirs et à l'essor d'une riche culture savante. Mais, parallèlement, les savoirs
se sont diffusés dans un large public, de plus en plus laïc, et les textes en langue vernaculaire se sont
multipliés. Une mentalité et une culture nouvelles caractérisent ainsi la fin du Moyen Âge.
DÉS à partir du écoles urbaines, certains ont culture rencontre aussi des
x siècle, sont apparues fréquenté les universités, pratiques venues des métiers,
ces figures nouvelles qui font d'autres des écoles spécifiques arithmétique et mathématique
toujours aujourd'hui partie de - les /nns of Court anglaises ou des marchands, des arpenteurs
notre civilisation commune: les écoles de notariat italiennes; et des maçons bâtisseufs, des
l'artiste, l’auteur, l'architecte, d'autres enfin se sont contentés cathédrales: tout un savoir
l'ingénieur, l'imprimeur. Dans les d'un apprentissage auprès d'un technique se développe ainsi et
villes, dans les cours princières, maître. Tous savent lire et écrire, engendre un nouveau rapport
dans les grandes églises, ils et beaucoup d'entre eux ont un au réel, qu'il s'agisse d'intervenir
côtoient des juges, des notaires, accès aux textes de la « culture sur lui (les ingénieurs, les maîtres
des médecins, des banquiers, savante », même s'ils se conten- de mines, les architectes) ou de
des grands marchands et des tent le plus souvent d'extraits le représenter (les artistes).
artisans d'un niveau technique et de traductions en langues
élevé (les orfèvres, les armuriers, vernaculaires. Ils y puisent des Kore société diversifiée est
les apothicaires par exemple), idées, des enseignements et irriguée par un système
mais aussi des administrateurs des valeurs qui ne sont plus de communication ouvert:
qui travaillent, au service des celles de la seule Église, même les textes circulent par le livre,
États, des princes et des villes si leurs lectures et leurs médi- d'autant qu'il est, à la fin de
dans les cours de justice ou tations leur permettent aussi notre période, imprimé. Les
dans les chambres des comptes. d'approfondir leur foi et de grands monuments, églises et
Certains de ces hommes sont développer une piété et des palais, sont couverts de repré-
nobles, les autres sont des pratiques dévotionnelles indivi- sentations (sculptures, vitraux,
bourgeois. Après les petites duelles et originales. Mais cette fresques) ; des performances
Le mouvement des idées et la vie artistique
de toutes natures (fêtes, pro- de l'Église, fermement gou- mouvement de long terme
cessions, mystères et pièces vernée par une Papauté réno- qui plonge ses racines dans
de théâtre) culminant en vée. En réalité, une société ce qu'il est convenu d'appeler
général au moment du carna- diversifiée, un nouveau la Réforme Grégorienne et
val et des grandes fêtes reli- rapport au réel, un système tout ce qu'elle instaure: le
gieuses, animent les artères de communication trans- réaménagement des rapports
principales et les espaces formé et ouvert, un espace entre les laïcs et les clercs, les
cérémoniels; les écrits circu- public dynamisé, se sont nouveaux rapports entre le
lent avec une relative liberté. lentement construits depuis pouvoir pontifical et ceux
Certes, ni l'essor des États, ni le xu° siècle, et ont engendré des rois et de l'empereur, et
la timidité des mouvements une profonde mutation de l'importance de l'exercice
réformateurs encore conte- la culture médiévale. Si elle individuel de la piété et de la
nus, ne paraissent remettre en apparaît en pleine lumière dévotion, y compris chez les
cause le pouvoir symbolique dès le xv° siècle, il s'agit d'un laïcs.
Bibliographie
Sur la Renaissance et la fin du Moyen Âge:
Vues d'ensemble dans J.-Ph. Gewer, La Mutation de l'éducation et de la culture médiévale, 2 vol.,
Paris, 1999 et I. HeuLLANT Donar (dir.), Éducation et Culture, Occident chrétien xif-mi-x siècle, 2 vol.
Paris, 1999: voir J. Derumeau, La Civilisation de la Renaissance, Paris, 1973 et deux grands clas-
siques: J. Huzinca, L'Automne du Moyen Âge, avec une préface de J. Le Gorr, Paris, rééd., 1987 et
J. BurkHaror, La Civilisation de la Renaissance en Italie, Paris, rééd., 1958; ainsi que H. Baron, The
Crisis of the Early Italian Renaissance, Princeton, 1966; E. CRouzET-PAVAN, Renaissances Italiennes,
1380-1500, Paris, 2007 :B. Laurioux, Une histoire culinaire du Moyen Âge, Paris, 2005.
Sur les universités, commencer par J. Vercer, Les Universités au Moyen Âge, Paris, 1973, puis
H. De Riooer-Symoens, À History ofthe Universities in Europe, |, Cambridge, 1992; J. Vercer, Les Gens
de savoir dans l'Europe à la fin du Moyen Âge, Paris, 1997; pour les universités françaises, partir
de S. Guenée, Les Universités des origines à la Révolution, Paris, 1982 et voir J. Vercer, Les Universités
françaises au Moyen Âge, Leyde, 1995; on dispose d'une très bonne histoire de l'université d'Ox-
ford, The History of the University of Oxford, t. 1, par J. Carro, Oxford, 1984 et t. 2 par J. Carro et
R. Evans, Oxford, éd. corrigée, 1995. Pour Paris, voir N. GorocHov, Le Collège de Navarre de sa fon-
dation (1305) au début du x siècle (1418), Paris, 1997 ; Th. Kouamé, Le collège de Dormans-Beauvais
à la fin du Moyen Âge, Leyde, 2005 et J.-P. Bouoer, Entre Science et Nigromancie. Astrologie, divi-
nation et magie dans l'Occident médiéval (x-x” siècle), Paris, 2006.
ce England, New
Pour les écoles, voir N. ORmE, Medieval Schools : from Roman Britain to Renaissan
Haven, 2006 et M. RouckE, Antiquité et Moyen Âge, t. | de L.-H. Parias, Histoire générale de l'ensei-
gnement et de l'éducation, Paris, 1981.
Pour la philosophie:
et J. PinsorG, The
Voir A. De LigerA, La Philosophie médiévale, Paris, 2004. N. KkeTzmanN, A. Kenny
pour la logique et
Cambridge History of Medieval Philosophy, Cambridge, 1982, est essentiel
Age, Paris, 1991, est
l'essor des sciences, mais difficile d'emploi; A. De Ligera, Penser au Moyen
une lecture stimulante.
PARTIE 3 # La fin du Moyen Âge (xv°-xv° siècles)
Pour l'art:
l’ordre visuel
Les ouvrages de P. FrancasTez, Peinture et Société, Paris, 1965 et La Figure et le Lieu:
La Perspective
du Quattrocento, Paris, 1967, sont une bonne base de réflexion. Voir aussi E. Panorsky,
d'Occi-
comme forme symbolique, Paris, 1975 et La Renaissance et ses avant-courriers dans l'art
L'hypothèse
dent, Paris, 1976: J. Biaosrocki, L'Art du xv siècle de Parler à Dürer, Paris, 1993 ; D. Raynauo,
d'Oxford. Essai sur les origines de la perspective, Paris, 1998.
Pour l'Italie: voir L. H. HeyoenreicH, Éclosion de la Renaissance, Italie 1400-1460, Paris, 1972; À.
CHasre., Le Grand Atelier. Italie 1460-1500, Paris, 1965 et Renaissance méridionale en Italie 1460-
1500, Paris, 1965, ainsi que Art et Humanisme à Florence au temps de Laurent le Magnifique, Paris,
1961 ; et C. Ginzeurc, Enquête sur Piero della Francesca, Paris, 1983; M. BaxaNDALL, L'Œil du
Quattrocento, Paris, 1985.
Pour l’Europe du Nord-Ouest: voir A. CHareLer et R. RecHT, Le Monde gothique. Automne et renou-
veau, Paris, 1983; E. Panorsky, La Peinture flamande, Paris, 1992 et G. VAN DER Osren et H. VEy, Painting
and Sculpture in Germany and in the Netherlands, Harmondsworth, 1969, ainsi que S. CASSAGNES,
D'or et d'argent. Les artistes et leurs clients dans l'Europe du Nord (xw-x siècles), Rennes, 2001.
Pour la France: F. Avr, L'Enluminure à la Cour de France au xW siècle, Paris, 1978; M. Mess, French
Painting in the Time of Jean de Berry, 4 vol., New York, 1969-1974; F. Roain, La Cour d’Anjou-Pro-
vence, la vie artistique sous le règne de René, Paris, 1983; M. Lacorre et D. THiBauir, L'École d'Avi-
gnon, Paris, 1983 et Ch. Prienr, Pouvoir ducal, religion et production artistique en Basse-Bretagne,
1350-1575, Paris, 1992 :A. CHATELET, La Peinture française x°-xvF siècles, Genève, 1992 ;Ch. PRIGENT
(dir.), Art et Société en France au xv siècle, Paris, 1999; et les catalogues des expositions L'art à la
cour de Bourgogne, Dijon-Cleveland, 2004 et Paris 1400. Les arts sous Charles VI, Paris, 2004.
Pour la musique:
«Le xw siècle » et le «xw siècle », pp. 365-571 et 573-724 dans F. FERRAND (dir.), Guide de la Musique
au Moyen Âge, Paris, 1999, ainsi que B. Gacepan, Histoire de la musique au Moyen Âge, 1, xf-x°
siècle, Paris, 1996. Moyen Âge entre ordre et désordre, Paris, 2004.
A 263, 282
- Vie religieuse 298
— Mines 275
— Société 253, 263
Abbé 67, 68, 188, 189, 190, 192, — Ville 164, 165, 270, 271 — Vie religieuse 293
217
Anglo-Saxons 21, 25, 29, 42, 91, Bonne ville 147 167
Abbé laïc 67, 97 101 Borough 87, 252
Adoptianisme 54 Apanages 142 Bourgogne 121, 139, 218, 238,
Adoubement 122, 134, 135 Arengo 167 243, 287
Aide 119, 129, 133 Argent haché 101 Bouteiller 64, 144
Aix 54, 55, 58, 64, 68, 71, 80, 82, Arianisme 31 Bretagne, Bretons 21, 29, 41,
95 281, 308
Ariens 22, 24, 30
Alamans 19, 20, 23, 24, 25, 29, 41, Broigne 66, 75
Aristocratie 33, 42, 46, 71, 72, 85,
45, 51
86, 95, 104, 133, 134, 169 Bruges 152, 154, 158, 228, 262,
Albigeois 142, 194, 195 Armagnac 238, 241, 242, 300 270, 273, 274, 281, 282, 287
Aliénation du fief 132 Arti 170, 247 Bulle pontificale 204
Allemagne de l'Est 116, 226, 268 Arts libéraux 35, 214 Burgondes 19, 23, 25, 28, 30, 64
Allemagne du Sud 276, 278, 288 Assolement 115 Byzance, Byzantins 24, 25, 41,
Allemagne (ou Germanie) Assurance maritime 153 47, 53, 54, 83, 92, 107, 200, 201
— Agriculteurs 259
Astrolabe 153
- Agriculture 114, 265, 266,
Austrasie 41 (e
267
Avars 25, 41, 52, 65, 91 Canon des langues 293
— Art 316
Avoué, Avouerie 65, 104, 130 Capital, Capitalisme 226, 282,
— Commerce 150, 151, 152,
284, 287, 289
155, 158, 159
— Institutions 133 B Capitulaire 52, 64, 66
Caravelle 282
— Société 123, 134, 236, 277, Baillis 144
278 Castille 56
Ban 32, 64, 87, 99, 101, 104, 119,
- Vie religieuse 193, 295, 298, 134, 136, 164
Catharisme. cf. Albigeois
304
Banalités 119 Cénobitisme 188
— Ville 164, 229, 270 Cens 46, 118
Banquier 143, 2/8
Alleu, alleutier 73, 101, 117 119 Censuales 123
Basileus 205
Almohades 202 Chambre Apostolique 294
Basques 41, 52, 55, 281
Almoravides 201 Chambre des comptes 144
Bastides 116, 164
Althing 92 Chambrier 64, 144
Bavarois 24, 25, 29, 41, 45, 51, 52,
Alun 157 207 277, 281, 286 Champagne 121, 128, 154, 159,
64, 7/1, /4
Anachorétisme 191 Béguinage 168
280, 287
Angevin 143, 202, 248, 293 Chancelier 65, 144, 213
Behetria 103
Angleterre Change 154, 156, 169
Behour 135
- Agriculture 115 Chanoines 58, 68, 76, 191, 19%
Bénédictin 36, 299
— Art 218, 220, 315, 316
Bénéfice 65, 72, 86, 102, 127, 129,
Chapelle 64
— Commerce 156, 157 281, Charités 152, 170
294, 299
285, 286, 287, 288, 289 Charruée 101
Bienfait 42, 45
— Histoire politique 236, 250
Billet à ordre 154 Chaser 66
— Institutions 145, 251
Châteaux 94, 119, 127 136, 220
— Laine 275, 280, 288, 289 Bohême
— Histoire politique 236 Chevalier 106, 129, 130, 134, 135,
— Société 123, 227, 228, 236,
Index
— Art 217, 218, 219, 220, 315, Hides 118 — Rome 18, 20, 28, 31, 37, 41,
316, 317, 318 Hommage 102, 127, 128, 131, 141 47, 51, 53, 54, 57, 80, %6, 97, 101,
— Commerce 154, 157, 287, 288 Hommes de corps 120 105, 106, 139, 169, 188, 243, 246,
— Histoire politique 236 270, 273, 283, 293, 294
Hongrie 91, 219, 244, 277, 295
— Institutions 145, 146, 251, — Serrata del Consiglio 170
Hongrois 91, 93, 95, %6, 201
252 — Sicile 145, 247
Honneur 65, 86, 102, 130
— Politique 139, 140, 142, 144, — Société 123, 156, 282, 283
145, 146, 147, 237, 243 Hürig 120
— Venise 55, 102, 151, 153,154,
— Société 134, 168, 169, 226, Hospitaliers 191, 206
158, 169, 1/0, 203, 204, 205, 228,
227, 228,236, 203 Hospitalité 28, 29 248, 270, 277, 281, 282, 283, 314
— Vie religieuse 188, 193, 293, Hospodar 247
— Vie religieuse 188, 193
298, 300 Hôte 123
- Ville 163, 165, 167, 169, 170,
— Ville 162, 163, 164, 167 Hôtel 251 171, 270, 271, 274, 275
Franchises (charte de) 120, 163, Hôtel du Roi 144
167, 261
Francie 80, 93
Hôtises 118
Hufe 118
J
Franciscains. Voir Frères Jacquerie 262
Humanisme 302, 310, 311
mineurs Jérusalem 55, 188, 200, 203, 204,
Huns 20, 21
Francs 18, 19, 22, 23, 29, 30, 40, 205, 206
Hussisme. Voir BOHÊME
41, 45, 47, 51, 58, 63, 64, 71 John Wyclif 302
Freda 66
Frères 207
I Juifs 34, 40, 75, 87, 143, 150, 156,
171, 206
Frères convers 116, 189, 190 Iconoclasme 47, 54 Justice 119, 252
Immixtio manuum 127 Justice royale 141, 145
Frères de la Vie Commune 301,
311 Immunité 43,65, 95
Justice seigneuriale 260
Frères mineurs 196, 197 Indulgence 204
Frères prêcheurs 168, 1% Inquisition 195, 198, 250
Frisons 19, 45, 64 Instruction. Voir Écoles
Irlandais 21, 37, 84 Knar 153
Fueros 120, 167, 202
Italie Koggen 153, 281
Futaine 276
— Agriculture 117, 259, 265
G — Aragon 249
— Art 217, 220, 313, 314, 315 Laine 143, 152, 157
Galées 281 — Ciompi 274
Languedoc 167, 193, 204, 208,
Galère 153, 281 — Commerce 151, 153, 156,
219, 228, 271
Gand 152, 164, 169, 171, 270, 272, 157, 285, 286
Latin 29, 31,35
273, 274, 276 - Compagnie 156, 282, 283
— États du pape 247 Légumineuses 266
Gardingos 42, 56
Gibelins 147, 236 — États pontificaux 277, 293, Leibigen 120, 123
Gonfalonier de Justice 274 294 Lettre de change 156, 284, 290
— Florence 154, 164, 165, 170, Lettre de foire 154
Grande Charte 141, 146
229, 247, 248, 271, 274, 275, 276,
Grod 164 Lige. Voir Hommage
297, 313, 314
Gros 155 Limes 19
— Gênes 151, 155, 158, 171, 203,
Guelfe 147, 248, 293 204, 248, 270, 281, 282, 284, L'indulgence 301
Guilde 101, 152 285, 286 Livello 100
— Histoire politique 247, 248 Livre 155
H - Institutions 167 Locatores 116
— Lombardie 117, 123, 167, 189,
Hagiographie 36 Lods et ventes 118, 132
193
Hanse 152, 159, 170 Lollard 302, 303, 309
— Milan 165, 168, 229, 247, 248,
Hanséate 282, 285, 286 270, 276, 310 Lombard 19, 25, 29, 30, 31, 41,
Haubert 129, 135 — Naples 213, 248, 249, 283, A5 47/52 55,58, 64, 11, 22/1547
293 156
Hérésie 19, 188, 193, 194, 293,
303 — Révolte 274 Lotharingie 81
Index
Socages 118 Université 197, 212, 213, 295, 300, Wisigoths 19, 20, 21, 24, 25, 28,
303, 307, 308, 309 30, 32, 41, 46, 64, 71, 91
Societas maris 156
Sociétés. Voir Compagnies Usance 284
Le Moyen Âge en Occident
Faits militaires
Faits politiques
Faits militaires
Faits politiques
è "
1118 É
Les Aragonnais prennent Saragosse
1122 Concordat de Worms
1125 Lothaire || empereur
ET LE ILE
Faits politiques
Traité de Paris. Annexion du Languedoc 1229 1226-1270 Louis IX, roi de France
Les Aragonais prennent Majorque.
Frédéric Il se fait céder Jérusalem
Faits militaires
Faits politiques
000
009
O0
00L'extension du domaine royal en 1180 La France et l'Angleterre en 1461
La France et l'Angleterre en 1498
vil 350-351
L'État bourguignon
A L'extension du domaine royal en 1226
D Le Languedoc cathare au début XIV 364-365
du x siècle Bruges
Paris (début du xuif siècle) Florence
D L'extension du domaine royal en 1270 La poussée ottomane
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