Le Moyen Âge en Occident (Michel Balard)

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M. BALARD |.-Ph.

GENET

2 10) 4:
EN OCCIDENT

hachette
= SUPÉRIEUR
HISTOIRE

LE MOYEN ÂGE
EN OCCIDENT
MICHEL BALARD,
professeur émérite de l’université Paris-l-Panthéon-Sorbonne
JEAN-PHILIPPE GENET,
professeurà l’université Paris-l-Panthéon-Sorbonne

MICHEL ROUCHE,
professeur émérite de l’université Paris-IV-Sorbonne

hachette 5° ÉDITION
SUPÉRIEUR
Série: Histoire de l'Humanité
sous la direction de Michel BALARD

manuels d'initiation complets. La collection


Hachette Université Histoire procure aux étudiants des
thique à nos jours. Une présentation repensée,
couvre l'ensemble de l'histoire de l'Hurnanité, du paléoli
des acquis les plus récents de la recherche,
un texte révisé et partiellement réécrit pour tenir compte
mise à jour et un atlas historique font
augmenté de mises au point ponctuelles, une bibliographie
r éclairé d'Histoire.
de cette collection un outil indispensable pour l'amateu
x

Les Sociétés de la Préhistoire


Le Proche-Orient et l'Égypte antiques
Le Monde grec antique
Rome et son empire
Le Moyen Âge en Occident
Le Moyen Âge en Orient: Byzance et l'Islam
Le xve siècle (1492-1620)
Le xuie siècle (1620-1740)
Le xuie siècle (1715-1815)
Le xx siècle (1815-1914)
+++ Le xx siècle (1914-2001)

Maquette de couverture: Guylaine Moi


Maquette d'intérieur: GRAPH'in-folio
maux. Bas-relief poli-
Illustration de couverture : pèlerins se rendant auprès de saint Sulpice pour la guérison de leurs
chrome (xrrr' siècle). Saint-Sulpice de Favières (Essonne). © La Collection/Jean-Paul Dumontier
Composition/mise en page: I.D.T.

[] hachette s'engage pour


l'environnement en réduisant
l'emprei bone de ses livres.
© HACHETTE LIVRE, 2011, 43 quai de Grenelle, 75905 Paris Cedex 15. ee cn
www.hachette-education.com 1,6 kg éq. CO
PAPIER À BASEDE Rendez-Vous sur
FIBRES CERTIFIÉES www.hachette-durable.fr

ISBN : 978-2-01-146153-7

Tous droits de traduction, de reproduction et d'adaptation réservés pour tous pays.


Le Code de la propriété intellectuelle n’autorisant, aux termes des articles L. 122-4 et L. 122-5, d’une part, que les « copies ou
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« les analyses et les courtes citations » dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou reproduction intégrale ou
partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite ».
Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, sans autorisation de l'éditeur ou du Centre français de
l'exploitation du droit de copie (20, rue des Grands-Augustins 75006 Paris), constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les
articles 425 et suivants du Code pénal.
PRÉFACE
Ouvrage de référence depuis de nombreuses années, les volumes
de la collection Hachette Université « Initiation à l'Histoire »
connaissent un succès auprès des étudiants et du public cultivé,
attesté par les nombreuses rééditions qui ont vu le jour. Aujourd’hui,
cependant, une refonte complète s’imposait, tenant compte des
progrès de la recherche aussi bien que des impératifs pédagogiques
nouveaux.

L'objectif de ces volumes n’a pas changé: offrir à un large public


les connaissances générales sur une période historique en une
synthèse bien informée et clairement présentée. Les étudiants
d'aujourd'hui, confrontés à un savoir que parcellisent les unités de
valeur qu'ils doivent choisir, n’ont pas toujours acquis cette large
base de connaissances qui leur permet de comprendre les grands
traits d'une période et d'y situer les événements et les personnages
qu'ils rencontrent au long de leur formation. Quant aux étudiants
avancés, préparant les concours de recrutement de l’enseignement
secondaire (Agrégation, CAPES), ils ont besoin de synthèses et de
guides, d'un maniement commode, pour la préparation des épreuves
de hors-programme, qui nécessitent aussi l’appréhension rapide
d'une bonne bibliographie.

C'est à tous ces besoins que veulent répondre les collaborateurs de


cette collection. Ils cherchent, avant tout, à faire acquérir aux étu-
diants des méthodes leur permettant d’ordonner leurs connaissances.
Ils livrent ici le fruit d’une longue expérience pédagogique.

Ils veulent aussi transmettre les acquis les plus récents de la


recherche sous une forme accessible au plus grand nombre.
L'introduction à ces volumes, les annotations marginales, les
appendices complétant les chapitres répondent à cette nécessité.
Une présentation claire et structurée du texte, des cartes très
maniables, réunies en un petit atlas historique, de courtes biogra-
phies, des croquis, des tableaux chronologiques, un index développé,
font de ces manuels de commodes instruments de travail.

Michel BALARD
Digitized by the Internet Archive
in 2022 with funding from
Kahle/Austin Foundation

https://archive.org/details/lemoyenageenocci0000bala_g1a3
Préface
Introduction

PARTIE 1 B Le Haut Moyen Âge occidental (410-1050)


Les premiers royaumes (410-568)
L'état de la recherche _Les sources écrites du Haut Moyen Âge
Permanence romaine et changements chrétiens (U° et vif siècles)
L'état de la recherche -L'anthropologie
Crises et mutations des royaumes barbares (550-750)
L'état de la recherche _L'archéologie des cimetières
L'expansion du royaume des Francs et la création de l’Empire (751-840)
L'état de la recherche Les documents carolingiens
La rénovation de la civilisation par les Carolingiens
L'état de la recherche _La numismatique
L'échec de l'unité carolingienne (840-888)
L'état de la recherche _L'archéologie maritime
Les dernières invasions, l'éclatement féodal et le nouvel Empire (888-1002)
L'état de la recherche - L'archéologie des mottes féodales
Lents renouveaux du x° siècle 100
L'état de la recherche Mutations ou non de l’an Mil 109

PARTIE 2 M Le Moyen Âge classique (xi°-xui° siècle)


Les hommes et la terre 114
L'état de la recherche - Le village médiéval 123
Féodalités et sociétés féodales 127
L'état de la recherche -Le château (xi°-xnf siècle) 136
Le renouveau de l'État 139
Le renouveau du commerce 150
L'état de la recherche -Le commerce des épices 159
Villes et sociétés urbaines 162
L'état de la recherche -La rue au Moyen Âge 172
L'Église et la société politique 176
L'état de la recherche -La paroisse en France 186
Le monachisme et la recherche du salut 188
16. L'expansion de l'Occident 200
L'état de la recherche -Un exemple d'expansion: Gênes 209
La vie intellectuelle et artistique bad 212
L'état de la recherche - Un exemple complexe de construction: l’abbatiale de Cluny 220

PARTIE 3 M La fin du Moyen Âge (xive-xv° siècle)


Le retournement de la conjoncture (une phase B: crise ou crises ?) 226
L'état de la recherche -Vers de nouvelles interrogations 253
Le destin des États et la vie politique 236
L'état de la recherche Une « genèse de l’État moderne » 253
La vie économique et sociale du monde rural 258
L'état de la recherche -Productivité et diversification 268
Les villes et l'artisanat 270
L'activité commerciale 280
La vie religieuse 293
L'état de la recherche -Réprimer ou réformer? 305
24. Le mouvement des idées et la vie artistique 307
L'état de la recherche Vers la maîtrise du réel 318
Index 321
Repères chronologiques 326
Cartes 336

or
om
DLE
INTRODUCTION
des évocations qu'en donnent le
La splendeur des monuments qu'il nous a légués, le romanesque
cela fait que le Moyen Âge suscite
cinéma et la littérature, son éloignement par rapport à nous, tout
à qui veut l'explorer. L'étudiant
engouement et passion: mais il ne révèle pas facilement ses secrets
t: dans les dernières classes de l'en-
qui aborde l'histoire médiévale n'est pourtant pas un débutan
d'histoir e quand le Moyen Âge est enseigné
seignement secondaire, ou dans une première année
ances, et le cas échéant il s'est initié à la recherche biblio-
pendant la seconde, il a acquis des connaiss
ts. Mais il n'a plus étudié l'histoire médiévale depuis la cin-
graphique ou à l'explication de documen
autrement dit, tout est
quième, à l'exception d'une éventuelle question du programme de seconde:
de l'histoire lui sera utile,
à faire. Certes, l'expérience qu'il a acquise dans l'étude des autres périodes
défini ce qu'est le
mais il va se heurter à des difficultés propres à la période médiévale. Après avoir
ent ces difficult és, dont il faut
Moyen Âge (ou plutôt ce qu'il n'est pas …), nous évoquerons rapidem
r, et présent erons rapidem ent un certain
avoir clairement conscience pour pouvoir les surmonte
e, proximit é avec les sources, approch e pluridisc ipli-
nombre de pratiques (critique historiographiqu
parvenir, avant de terminer cette introduc tion par quelque s
naire) utilisées par les médiévistes pour y
conseils de travail.

Æ Un Moyen Âge introuvable Ce « Moyen Âge », ce millénaire obscur qui


s'étendait ainsi entre deux périodes glorieuses
Autant le dire tout de suite: s’il existe bien de l’histoire de l'humanité, allait tour à tour
une période médiévale, le Moyen Âge n'existe
servir de repoussoir aux uns et de modèle aux
pas, ou plutôt ce n’est qu’une expression. Elle
autres. Même l'apparition d'une histoire
a été forgée par les hommes de la Renaissance,
«scientifique », dans le courant du xix° siècle,
en particulier les humanistes italiens: ils
ne permit pas de clarifier vraiment cette obs-
voulaient restaurer, tout en restant chrétiens,
curité: au contraire, la recherche d’une fin
la grandeur spirituelle, intellectuelle, artis-
tique et les langues authentiques de la civi- plausible de la période médiévale, ou plus
lisation de Rome et de la Grèce. Entre eux, exactement d’un début crédible de la période
les « restaurateurs », et leurs glorieux modèles, « moderne », aboutit à substituer à la Renaïis-
s'étaient déroulés des temps obscurs, encom- sance italienne, impossible à dater avec pré-
brés de luttes sans gloire, d’écrits sans style, cision (puisque c’est avant tout un phénomène
de monuments difformes: Pétrarque, dès le culturel et qu’elle commence en fait à la fin
xIv: siècle, les appelle les tempora media, les du x siècle] soit la chute de Constantinople
temps intermédiaires. Ils n'étaient pas les (1453), soit la découverte de l'Amérique par
premiers à avoir cette vision: les Carolingiens, Christophe Colomb (1492) : dates essentielles
puis au x1r' siècle, les intellectuels qui sont à certes, mais qui masquaient la logique qui
l'origine de la naissance des universités ont, avait en fait créé le « Moyen Âge », un
eux aussi, et sur des bases différentes, lancé « Moyen À ge » sur l'existence duquel il n’était
des « Renaissance » plus ou moins conscientes:
dès lors plus nécessaire de s'interroger et
mais l'opération qui a réussi est celle des
auquel on allait au contraire s’ingénier à don-
humanistes italiens. Ce faisant, les huma-
ner une unité et une cohérence qu'il ne pou-
nistes donnaient au Moyen Âge un début (la
vait évidemment pas avoir! Le Moyen Âge
chute de l’Empire romain, assimilée à une
fin brutale de la civilisation antique) et une est, plus que toute autre période de l’histoire,
fin {la fin du xv° siècle, quand la reconstruc- une construction intellectuelle, faite pour
tion somptueuse et triomphale de la Rome donner un semblant de cohérence à ce qui
pontificale manifeste le triomphe des valeurs n'est en réalité qu'un « entre-deux ». D'où,
« modernes » fondées sur une redécouverte pour celui qui entreprend de l’étudier, un
savante de la culture antique). certain nombre de difficultés spécifiques.
Introduction

M Des difficultés spécifiques l'est par l’Empire Romain d'Orient devenu


Byzantin, jusqu'à sa chute au début du
La première est celle de la durée de la période:
XII‘ siècle, puis à son remplacement par l’Em-
il s'écoule en gros un millénaire entre la
pire des Tures Ottomans au xv° siècle. À cette
chute de l’Empire romain et l'arrivée des cara-
date, la Lituanie et la Laponie ont été agrégés
velles de Christophe Colomb dans les
à cet ensemble européen, au moment où
Caraïbes. Alors que l'étude de l'Antiquité se
Portugais et Castillans commencent leurs
découpe assez facilement en grands ensembles
navigations atlantiques qui les conduiront
dont l'émergence et la fin sont repérables,
jusqu'en Amérique et jusqu’en Inde.
permettant une approche successive d’en-
sembles (le Proche-Orient, l'Égypte, la Grèce, Dans ces conditions on comprend mieux l’ab-
Rome) qui ont chacun une cohérence fondée sence d'autonomie du Moyen Âge occidental:
notamment sur la langue de leurs sources la coupure Orient-Occident est illusoire, qu'il
respectives et sur leurs caractéristiques s'agisse de la religion, de la politique ou de
archéologiques propres, le Moyen Âge ne se l'économie. Le judaïsme, les christianismes
laisse pas découper aisément: pour les besoins grec et latin et l'Islam sont des religions
de la pédagogie, il est traditionnel de l’arti- monothéistes qui ont beaucoup en commun;
culer en deux grands ensembles géogra- Juifs, Musulmans et Chrétiens {qu’ils soient
phiques, l'Orient (Byzance et l'Islam) et Occidentaux [« Latins »] ou Orientaux
l'Occident, et, pour ce dernier, en trois [« Grecs »]} s'appuient par ailleurs sur un
périodes principales, comme nous l'avons même ensemble de références culturelles et
d'ailleurs fait ici. Mais les frontières entre intellectuelles où les philosophes (Aristote,
Orient et Occident sont en partie factices et Platon), les médecins (Hippocrate, Galien), les
fluctuantes - nous y reviendrons -— les mathématiciens et les savants (Euclide,
contours de ces trois périodes usuelles sont Archimède, Ptolémée] de la Grèce antique
flous, et leurs caractéristiques varient selon occupent une place éminente «Orientret
les régions: quand Florence peut déjà passer Occident reçoivent - comme d’ailleurs la
pour « moderne » au xiv° siècle, l'Irlande Chine à l’autre extrémité du continent asia-
conserve jalousement des institutions et une tique — l'assaut des mêmes peuples venus
culture dont des pans entiers sont antérieurs d'Asie Centrale, Huns, Turcs et Mongols. Sur
à l'an Mil, tandis que la Lituanie ne se conver- le plan économique, les échanges entre ces
tit au christianisme qu’à la fin du Moyen Âge! ensembles politico-religieux n’ont pour ainsi
dire jamais cessé et ils redeviennent de plus
Cette durée accentue une hétérogénéité en plus importants à partir du xI° siècle: qu'il
spatiale, présente dès l’origine: la chute de s'agisse d'apprécier le stock et les cours des
l'Empire romain d'Occident ne fait pas dispa- métaux précieux, les soldes du commerce
raître Rome, sa société et sa culture, mais la international et les évolutions monétaires, il
frontière militaire derrière laquelle s’abritait est impossible de séparer Orient et Occident;
l’Empire. Est ainsi créé un vaste espace ouvert, les marchands italiens sont très tôt présents
où s'interpénètrent une civilisation gréco- dans tout le bassin méditerranéen et vont
romaine christianisée familière de l'écrit et parfois bien au-delà (Marco Polo]; les techno-
une Europe protohistorique païenne, qui est logies orientales de la céramique et du verre
toujours celle de l’âge du fer que seule l’archéo- pénètrent l'Occident. Et à travers le monde
logie permet d'appréhender. C’est de ce contact islamique et ses caravanes, ce sont l'Afrique
plus ou moins violent que la christianisation {où l’Éthiopie est chrétienne}, le sous-conti-
progressive des peuples celtes, germaniques et nent indien et l'Indonésie qui sont mis en
slaves fait peu à peu émerger l'Europe que nous contact avec le monde méditerranéen.
connaissons aujourd’hui: cette limite se Conséquence incontournable: pour com-
déplace alors rapidement vers l’ouest (Islande) prendre l'histoire de l'Occident médiéval, il
le nord [Scandinavie] et vers l'Orient (Bohème, est indispensable de connaître, au moins dans
Pologne, Croatie, Serbie, Hongrie). L'Occident ses grandes lignes, celle de l'Orient.
médiéval n’est alors borné au sud que par la
poussée musulmane en Méditerranée et La quatrième difficulté est l'étrangeté
jusqu'en Espagne à partir du vu‘ siècle, et à profonde du monde médiéval par rapport au
Le Moyen Âge en Occident

nôtre. Or beaucoup d’historiens du xix° et du question incessantes, l'étudiant pourra peu à


début du xx: siècle ont au contraire cherché peu construire sa propre vision et sa propre
à enraciner dans un passé aussi lointain que compréhension d’un monde complexe, loin des
possible l'origine de leurs pays respectifs. Les certitudes toutes faites. L'histoire médiévale
historiographies nationales (même quand est perpétuellement en train de se faire et de
elles ne poursuivent pas un but explicitement se défaire: elle n’est pas seulement affaire de
nationaliste) ont ainsi construit des filiations connaissances, elle implique plus que toute
et des généalogies factices qui créent une autre l'imagination, l'intelligence et la
dangereuse illusion d'optique, rapprochant réflexion personnelle de l'étudiant. Mais pour
de nous ce si lointain Moyen Âge: ce n’est l'aider, comme pour faire progresser leurs
pas un hasard si les débuts de l’histoire recherches, les médiévistes ont recours à des
« scientifique », commençant par un recen- pratiques spécifiques.
sement systématique des sources et par leur
publication, coïncident au xIx° siècle avec la & Des pratiques spécifiques
période la plus intense de l'affirmation des
nationalismes européens; chaque État ou La première est l'importance de la critique
chaque peuple aspirant à en posséder un s'est historiographique, et ceci pour deux raisons
ainsi pourvu d’un passé médiéval dénaturé principales. Nous avons déjà souligné l'impor-
et artificiel. Or, quand on parle de « France » tance des déformations introduites par les
ou d'«Allemagne » pour le x° siècle, cette nationalismes historiographiques, mais cela
France ou cette Allemagne n’ont guère de ne vaut pas seulement pour l’histoire politique
rapports avec ce que nous désignons par les et l'histoire de l’art: les luttes idéologiques du
mêmes termes. Et cette appropriation déna- xIx° et du xx‘ siècle ont ainsi engendré des his-
turante a peu à peu enveloppé tout le Moyen toriographies cléricales ou marxistes qu'il faut
Âge d’une sorte de halo déformant dont il est certes utiliser, mais en connaissance de cause.
difficile de se débarrasser et qui est moins La seconde raison tient à l'extrême morcelle-
aisément repérable que les outrances natio- ment d’un monde dont nous avons déjà souli-
nalistes. En réalité, tous les systèmes de gné l’hétérogénéité spatiale et chronologique.
croyances, de références intellectuelles, La disparition de l’Empire a ouvert la voie à
sociales ou culturelles des hommes de la d'innombrables constructions politiques, plus
période médiévale sont aussi éloignés des ou moins éphémères: les Carolingiens en ont
nôtres que peuvent l'être des nôtres leurs rassemblé un bon nombre dans une construc-
outils et leurs technologies! tion impériale qui s'est à son tour fractionnée
en une multitude d’entités. Les monarchies
Toutes ces difficultés aboutissent, pour l'étu- féodales, les cités-États, les principautés ont à
diant, à un exercice auquel il n’a pas encore leur tour entrepris de rassembler ces entités
été habitué: comprendre exactement le sens plus petites, mais chacune a gardé ses caracté-
des mots qu'il lit et qu'il va devoir employer ristiques propres. D'une ville à l’autre, d’un
à son tour; autrement dit, il lui faut apprendre comté à l’autre, tout peu changer: il n’y a pas
à nommer les choses, les processus et les une féodalité, un servage, un commerce, une
concepts. Cela est évident pour tous les noms structure politique, sociale ou économique
de peuples ou de constructions politiques, évidemment dominante. On doit partir d’un
mais cela l’est plus encore pour des mots dont cas régional, forcément associé au travail des
l'emploi est pourtant courant: propriété, État, historiens qui ont travaillé les sources dont on
esclave, seigneur, religion... Certains mots dispose pour cette région, puis essayer de voir
latins ont plusieurs sens entre lesquels il faut si l’on peut généraliser à partir de ce cas pour
choisir (servus: serf ou esclave?) ou sont carré- proposer — et donc comprendre, un modèle: le
ment intraduisibles (dominium: pouvoir? Mâconnais de Duby, la Catalogne de Bonnassie,
seigneurie ?). Un travail constant de réflexion la Picardie de Fossier, le Latium de Toubert, le
sur les mots et sur les concepts est donc indis- Vendômois de Barthélemy, pour n’évoquer que
pensable. Mais c'est précisément ce qui rend quelques-uns des historiens français les plus
passionnante l’histoire médiévale: sur ses réputés, sont ainsi des comparaisons obligées,
doutes, ses hésitations et ses remises en à l'’aune desquelles on peut essayer de
Introduction

comprendre les problèmes auxquels on est clergé ? Qui se servait des pièces de monnaie,
confronté. Les étudiants sont déroutés par cette et comment? Pourquoi avait-on besoin de
nécessité, qui les oblige à un travail bibliogra- changeurs, et à quoi servait l'outillage de
phique dont les autres périodes de l’histoire les ceux-ci ? Du sens des sources, on passe à leur
dispensent souvent et qui leur donne un sen- matérialité, puis à leur fonction sociale et
timent d'insécurité: ils cherchent une certi- symbolique aussi importantes pour le médié-
tude, et ne découvrent, après beaucoup de viste que les informations qu’elles lui trans-
travail, qu'une certitude relative! Pourtant, ils mettent par leur contenu.
y gagnent d’être plongés directement dans le
travail de recherche des historiens qu'ils lisent,
d’être conduits à comprendre leur démarche et Une troisième pratique est apparue plus
leurs raisonnements, et de pouvoir à leur tour récemment chez les médiévistes, mais elle a
exercer leur réflexion critique. pris chez eux une place essentielle, c'est
l'approche pluridisciplinaire. Les difficultés
Deuxième pratique caractéristique des médié- mêmes du texte de la plupart des sources
vistes, le recours continuel aux sources et, médiévales ont toujours rendu nécessaire un
partant, la nécessité pour l'étudiant d’être travail commun avec les philologues, mais
très tôt capable de s’y reporter pour les inter- l'actuel développement de la pluridisciplina-
roger lui-même. Bien sûr, il y a le problème rité a deux origines. La première est l’élargis-
des langues: sauf s’il est latiniste, un accès sement continu du champ des sources. Il a
direct lui sera difficile. Encore y a-t-il toutes été plus lent en France qu’en Angleterre, en
les sources en langues vulgaires, qui sont Allemagne ou en Scandinavie: l'archéologie
souvent beaucoup plus difficiles que le latin, médiévale n’a derrière elle qu’un demi-siècle
à commencer par le français médiéval. Mais d'expérience, et le recours systématique par
il n’y a pas que les sources textuelles: il y a les historiens aux textes littéraires et aux
aussi les œuvres d'art, les constructions archi- œuvres d'art est plus tardif encore. La liturgie
tecturales, les fouilles archéologiques, les et la musique sont encore loin d’être utilisées
monnaies, la musique, etc. tout, en somme, comme elles le pourraient, mais le mouve-
ce qui est parvenu jusqu’à nous du Moyen ment est désormais bien amorcé. La deuxième
Âge. L'utilisation de ces sources sera facilité origine de cet appel à la pluridisciplinarité est
par des ouvrages dont nous parlerons plus due à la reconnaissance de l'apport des
loin, et l'étudiant dispose aujourd’hui de plu- - sciences sociales. Les historiens de la fin de
sieurs collections de sources traduites et la période médiévale disposent de sources qui
commentées; d’ailleurs, la plupart des livres leur permettent d'utiliser les méthodes de la
des historiens médiévistes (par exemple, ceux sociologie. Surtout, la reconnaissance de
des auteurs dont nous avons cité les noms au l'étrangeté du monde médiéval a conduit les
paragraphe précédent] restent très proches de médiévistes, suivant l'exemple de leurs collè-
leurs sources qu'ils citent abondamment. gues d'histoire ancienne, à se faire anthropo-
Mais les sources médiévales ne doivent pas logues et à reformuler toutes les questions
seulement être interrogées pour ce que nous qu'ils pouvaient se poser sur les comporte-
apprend leur contenu, mais aussi pour leur ments et la signification des pratiques sociales,
forme et pour leur matérialité: qu'implique culturelles et religieuses des hommes du
l'écriture d’une charte, par exemple? Est-elle Moyen Âge. L'anthropologie historique est
faite pour être lue, ou pour être montrée! ainsi devenue un des éléments essentiels de
Quel rapport y a-t-il entre la multiplication la méthode des médiévistes. Ces transforma-
des documents écrits par les administrations tions ont souvent été portées par des histo-
pontificale, d'abord, puis royales et urbaines, riens qui, plus que d’autres, ont pris le risque
et la capacité de lecture et d'écriture des usa- de tester ces méthodes sur les sources et les
gers de ces administrations ? Les fresques des terrains de leur travail: l'étudiant remarquera
églises romanes, les prodigieux cycles de ainsi que les noms de Marc Bloch, Georges
vitraux des grandes cathédrales gothiques Duby et Jacques Le Goff reviennent avec insis-
étaient-ils compréhensibles pour tous, tance dans les bibliographies des chapitres qui
étaient-ils commentés par les membres du suivent, et ce n’est évidemment pas un hasard.
Le Moyen Âge en Occident

& Quelques conseils de travail images ?, (Gallimard), Paris, 2007 et La double


perspective: la science arabe et l'art de la
Le premier et le plus pressant est de s’immer- Renaissance, (PUL|, Lyon, 2010. Surtout, en
ger dans le Moyen Âge, pour le découvrir et France au moins comme dans la plupart des
l'aimer: l'étude suivra. D'abord, la Bible: la pays européens, l'étudiant n’a qu’à sortir de
lire, si possible, et s’aider pour la comprendre chez lui et se ruer au musée le plus proche
d'un guide (par exemple, P. RICHÉ et (par exemple, à Paris, au Musée du Moyen
G. LOBRICHON, éd., Le Moyen Âge et la Bible, Âge à l'hôtel de Cluny} ou dans l’une des
Paris, 1984]. Ensuite, lire les grands textes grandes cathédrales ou des grandes églises
littéraires: quatre collections de poche sont abbatiales pour en admirer l'architecture, les
particulièrement riches, Lettres gothiques fresques, les vitraux et la sculpture. Enfin,
que dirige M. ZINK au Livre de Poche {la plu- qu’il n'oublie pas les images (J. DALARUN, dir.
part des grands textes français comme le Le Moyen Âge en lumière, (Fayard) Paris,
Roman de la Rose et les Chansons de Trouvère 2002, accompagné d'un DVD et d’un CD ainsi
et, pour la fin du Moyen Âge, le Journal d’un que d’un site internet}, et surtout la musique,
Bourgeois de Paris, COMMYNES et les Lettres pour laquelle l’excellent Guide de la Musique
de Louis XI}, la série « Classique » chez Folio- au Moyen Âge dirigé par Fr. FERRAND, (Fayard)
Gallimard (les Contes de Canterbury de Paris, 1999, lui ouvrira les portes d’un univers
CHAUCER), la Bibliothèque Médiévale de la
foisonnant. De même, il aura profit à se repor-
collection 10/18 [une version particulière-
ter à Olivier CULIN, Brève histoire de la
ment abordable des Romans de la Table musique médiévale, Paris, (Fayard), 2002.
Ronde}, la collection bilingue Garnier- Comme introduction générale à l’histoire de
Flammarion (des textes philosophiques essen- la culture médiévale, on peut utiliser
tiels et la Divine Comédie de DANTE) La J.-Ph. GENET, La Mutation de l'éducation et
Pochothèque (Le Livre de Poche) publie un de la culture médiévales, Paris, 2 vol. (Arslan
Dante intégral et un instrument de travail Seli}, 1999, qui donne par ailleurs la biblio-
indispensable, G. GRENTE, Dictionnaire des
graphie essentielle pour aborder tous ces
Lettres Françaises. Le Moyen Âge, réédition
domaines: quant à la culture savante et uni-
en 1992 d'un ouvrage paru en 1964 avec une
versitaire, l'étudiant lira notamment avec
remise à jour complète par les membres de
profit Jacques VERGER, Les gens de savoir en
l’Institut de Recherche et d'Histoire des
Europe à la fin du Moyen Âge, (PUF)
Textes. De la même façon, les étudiants doi-
Paris 1997
vent s'initier à l’art médiéval: ils disposent
pour cela de deux bonnes histoires de l’art Venons-en à l'étude proprement dite. La meil-
médiéval récentes [M. BARRUCAND, leure introduction à l’histoire médiévale reste
J.-P. CaiLLeT, C. JOLIVET-LÉVY et F. JOUBERT, Jacques LE Gorr, La Civilisation de l'Occident
L'Art du Moyen Âge, (Gallimard) Paris, 1995 Médiéval, (Champs-Flammarion]) Paris, nou-
et Ch. HECK, dir., Moyen Âge: Chrétienté et velle éd., 1997 ou Robert FOSSIER, Le Moyen
Islam, (Flammarion) Paris, 1996]. L'histoire Âge, (Armand Colin] Paris, 3 vol. On y ajou-
de l’art connaît aujourd’hui un renouvelle- tera J. BASCHET, La Civilisation féodale,
ment profond grâce notamment au travaux (Aubier} Paris, 2004, qui propose des perspec-
de Jean WiRTH, L'image médiévale, tives très neuves. L'essai stimulant et polé-
Klincksieck, Paris, 1989, L'image à l'époque mique d'Alain GUERREAU aide à comprendre
romane, (Cerf), Paris, 1998 et L'image à la genèse de l’idée de Moyen Âge et les diffi-
l'époque gothique, (Cerf), 2008; de Roland cultés qu’elle pose à l'historien: L'avenir d'un
RECHT, Le croire et le voir. L'art des cathé- passé incertain : quelle histoire du Moyen Âge
drales, xr1°-xv° siècle, (Gallimard), Paris, 1999 au xxI° siècle {, (Seuil}, Paris, 2001. R. FOSSIER,
et Hans BELTING, L'image et son public au Ces Gens du Moyen Âge, (Fayard) Paris, 2007.
Moyen Âge, (Gérard Montfort}, Paris, 1998, Comme nous l'avons dit plus haut, l'étudiant
Pour une anthropologie des images, aura tout intérêt à s'imprégner de la pensée
(Gallimard), Paris, 2004, Image et culte: une des grands médiévistes en lisant Marc BLOCH,
histoire de l'art avant l'époque de l'art, (Cerf), Les Rois thaumaturges, (Gallimard), Paris,
Paris, 2007, La vraie image. Croire aux ni éd. 1983; La Société féodale, (Albin Michel)
Introduction

Paris, nlle éd., 1994, et la réédition en format À partir de ces bases, l'étudiant peut se lancer
poche des principaux ouvrages de Georges dans son travail personnel. Il se décompose,
Dusy (Féodalité, et L'Art et la ‘Société, en fonction des spécificités que nous avons
(Gallimard-Quarto] Paris, 1997 et 2001) et de évoquées dans cette introduction, en deux
Jacques LE Gorr, Un autre Moyen Âge, Paris, phases principales: il lui faut d’abord maîtri-
(Gallimard-Quarto}, 2000. Ensuite, l'étudiant ser la source qui lui est proposée pour une
dispose de quelques ouvrages destinés à lui explication de documents, puis, d’une façon
faciliter la tâche. Depuis peu, plusieurs dic- plus générale, construire sa bibliographie cri-
tionnaires du Moyen Âge sont disponibles, tique, qu'il s'agisse de faire une explication
l'un, le plus utile à l'étudiant, étant disponible de document ou une dissertation, ou, tout
en format poche: CI. GAUVARD, A. de LIBÉRA simplement, de préparer son programme de
et M. ZIK, Dictionnaire du Moyen Âge, (PUF lectures. Commençons par les sources: une
Quadrige) Paris, 2002. Plus détaillés sont le introduction indispensable est Olivier
Dictionnaire encyclopédique du Moyen Âge, GUYOTJEANNIN, Les Sources de l’histoire
dir A. VAUCHEZ, 2 volumes, (Le Cerf) Paris, médiévale, Paris (Le Livre de poche) 1998, qui
1997 et surtout le Lexikon des Mittelalters, donne lui-même accès à une vaste bibliogra-
(Artemis) Munich, publié par fascicules depuis phie. Quand l'étudiant doit expliquer un texte
1980. Un Dictionnaire de la France au Moyen extrait d'une chronique ou de l’œuvre d’un
Âge, dir. M. BALARD, (Hachette) 2003, existe historien médiéval, il doit consulter Bernard
dans la collection Carré-Histoire. Le GUENÉE, Histoire et culture historique dans
Dictionnaire raisonné de l'Occident Médiéval, l'Occident médiéval, Paris (Aubier] 1980.
dir. J. LE Gorr et J. CL. SCHMITT, (Fayard) Paris, Deux collections seront particulièrement
1999 est différent: il contient peu d'articles, utiles à l'étudiant: en bibliothèque, il pourra
mais qui portent sur quelques-unes des consulter les fascicules de la Typologie des
notions essentielles à la compréhension du Sources du Moyen Âge, publiés par l'Université
Moyen Âge et sont longuement développés. de Louvain chez Brepols: les fascicules (83
Pour mettre en place la chronologie et l’his- sont parus à ce jour) sont consacrés à des sujets
toire événementielle, J.-Ph. GENET, Le Monde très généraux {« les sources de l’histoire éco-
au Moyen Âge, (Hachette) Paris, 1991, est le nomique », par exemple) ou très spécialisés
complément naturel du présent volume. Pour («les livres de cuisine », «les tablettes de cire»,
mieux comprendre le vocabulaire médiéval, «les dents et les ossements humains »...] ; chez
l'étudiant dispose de P. BONNASSIE, Cinquante le même éditeur, il disposera des volumes,
Mots clefs de l'histoire médiévale, (Privat) très accessibles, de l'Atelier du Médiéviste
que dirige Jacques BERLIOZ: ils portent surtout
Toulouse, 1981 et de F.O. TOUATI, Vocabulaire
sur les langues médiévales (allemand, anglais,
historique du Moyen Âge, (Boutique de l’His-
italien; à compléter, pour le latin, par
toire) Paris, 1995. Un bon choix des types
M. PARISSE et M. GOULLET, Apprendre le latin
d'exercice que les enseignants d'histoire
médiéval, Nancy, 1995) et sur les « sciences
médiévale proposent à leurs étudiants est pré-
auxiliaires » (épigraphie, numismatique, diplo-
senté dans Michel KaApPLAN, dir. Le Moyen
matique médiévales).
Âge, (Bréal) Paris, 2 vol., 1994 et J. BERLIOZ, Le
Commentaire de document en histoire médié- Des recueils de textes offrent de nombreux
vale, (Seuil-Poche] Paris, 1996 offre à la fois textes traduits, avec des introductions et des
une méthode et des exemples de corrigé. En présentations utiles (et parfois des corrigés
revanche, les atlas français sont tout à fait d'explication] : Ch.-M. de La RONCIÈRE,
insuffisants: le seul qui soit utilisable est Ph. CONTAMINE, R. DELORT et M. ROUCHE,
G. Dugy, dir, Grand Atlas Historique, L'Europe au Moyen Âge, Paris [Armand
(Larousse), Paris, rééd. 2001, mais il ne dis- Colin} 1971, 3 vol. et deux collections plus
pense pas l'étudiant d’avoir recours aux atlas récentes: G. BRUNEL et E. LALOU, Sources
allemands (Atlas zur Weltgeschichte, d'Histoire Médiévale, Paris, (Larousse) 1992
Westermann, Grosser Historischer Weltatlas), et, chez Fayard, J. P. BRUNTERC'H, Archives
très difficiles d'emploi si l’on ne connaît pas de la France, 1, 1994 et O. GUYOTJEANNIN,
l'allemand. Archives de l'Occident, I, 1992. Pour tous
Le Moyen Âge en Occident

les textes littéraires, il tirera grand profit de point sur la recherche dans un domaine donné
M. GazLzy et Ch. MaARCHELLO-NIZIA, et présentent une abondante bibliographie clas-
Littératures de l'Europe Médiévale, Paris, sée: citons Ph. CONTAMINE, La Guerre au
(Magnard} 1985. De toutes façons, quand le Moyen Âge, 1980; J.P. Poy et E. BOURNAZEL,
document est un texte, l'étudiant a toujours La Mutation féodale, x°-xiu° siècles, 1980;
intérêt à remonter à l'édition originale dont R. Fossier, Enfance de l’Europe. Aspects
le texte est extrait: le meilleur guide pour économiques et sociaux, X°-xIlI° siècles, 1989;
s'y retrouver dans les grandes collections de B. GUENÉE, L'Occident aux xIV* et xv* siècles.
publications de sources reste à ce jour Les États, 5° éd., 1993; F. RAP, L'Église et la
M. PACAUT, Guide de l'étudiant en histoire vie religieuse en Occident à la fin du Moyen
médiévale, Paris, (PUF) 1968, bien qu'il n'ait Âge, Paris, nlle éd., 1999; H. MARTIN,
malheureusement pas été remis à jour. Mentalités médiévales, 2 vol., 1998 et 2001.
On trouvera aussi quelques volumes intéres-
sant le Moyen Âge dans la collection
Pour la bibliographie, il faut bien distinguer
« 1 Cycle » (PUF) comme CI. GAUVARD, La
entre les manuels, accessibles aux étudiants
et les travaux de recherche. D'une façon géné- France au Moyen À ge du v° au xv‘ siècle, Paris,
rale, la recherche bibliographique se fait en 1996; M. ZIK, La Littérature française du
Moyen Âge, 1992, et A. de LiBéRA, La
allant du général au particulier: il faut donc
commencer par les manuels. La principale col- Philosophie médiévale, 1993. Beaucoup plus
rapides et succincts sont en général les volumes
lection générale est The New Cambridge
des collections « Les Fondamentaux »
Medieval History, dont les sept volumes entiè-
(Hachette), « Cursus » (Colin), « Points
rement nouveaux sont en train de finir de
Histoire » (Seuil), « Que sais-je » (PUF) ou
paraître: la couverture du monde médiéval et
des sujets est très large, et les bibliographies,
encore les « Guides » des Éditions Les Belles-
Lettres. Pour aller plus loin, l'étudiant s’'ap-
internationales, très fournies. L'étudiant que
l'anglais effraie, ou auquel ces volumes ne sont puiera sur les conseils bibliographiques donnés
pas accessibles, dispose en France de plusieurs à la fin de chacun des chapitres de ce livre et
bonnes collections, entre lesquelles il choisira par les manuels qui viennent d'être cités.
en fonction des besoins et des disponibilités:
par exemple, la collection « U » chez Armand Et puis, il y a les travaux de recherche que
Colin dont les volumes sont surtout théma- l'étudiant doit savoir consulter quand cela
tiques (citons notamment Ph. CONTAMINE et est nécessaire. La recherche, en histoire
al, L'Économie médiévale, 1993, O. GUILLOT, médiévale, passe d'une part par des publica-
A. RIGAUDIÈRE et Ÿ. SASSIER, Pouvoirs et Institu- tions périodiques, des revues ou des confé-
tions dans la France médiévale, 1994, 2 vol. rences et des colloques; et puis, bien sûr, par
R. Fossier, La Société médiévale, Paris, nlle les thèses. Entre cet océan de publications,
éd., 2002, M. AURELL, La Noblesse en Occident difficile à localiser (revues confidentielles,
au Moyen Àge, 1996, J. MORSEL, L'aristocratie inaccessibles dans trop de nos bibliothèques,
médiévale. La domination sociale en Occident, thèses anciennes et introuvables mais néan-
ve-xve siècle, Paris, 2004, Laurent FELLER, Église moins essentielles...) l'étudiant dispose de
et société en Occident, vrre-xI° siècle, 2004 et livres qui ne sont ni des manuels, ni à pro-
Paysans et seigneurs, Vir‘-xv* siècles, 2007. prement parler des ouvrages donnant des
Dans la collection « Carré Histoire » chez résultats de recherche « bruts », mais qui
Hachette Supérieur, on mentionnera:$. ROUX, entendent traiter à fond une problématique,
Le monde des villes au Moyen Âge, 2° éd, en s'appuyant sur les recherches personnelles
2004, D. LETT, Famille et parenté dans l’Oc- de l’auteur, mais aussi en donnant une vision
cident médiéval, v‘-xv° siècle, 2000, synthétique du sujet grâce à la maîtrise d’un
F. COLLARD, Pouvoirs et culture dans la France vaste corpus de sources. Nous nous en tien-
médiévale, v‘-xv® siècle, 1999, et drons ici aussi aux collections françaises. La
A.-M. HELVETIUS, J.-M. MATZ, Église et société plus prestigieuse est la « Bibliothèque des
au Moyen Âge ve-xve siècle, 2008. À un niveau Histoires » (Gallimard) : si la plupart des
plus ambitieux, les volumes de la Nouvelle titres de Georges DUBY, Ernest KANTOROWICZ
Clio aux PUF offrent des ouvrages qui font le et Jacques LE GOFF sont repris chez Quarto,
Introduction

on y trouve des volumes indispensables de nombreux volumes dédiés à de grandes


comme ceux de Bernard GUENÉE, Entre figures médiévales (Clovis, Philippe Auguste,
l'Église et l'État. Quatre vies de prélats fran- Charles V Charles. Viet Jean de Berri par
çais à la fin du Moyen Âge, 1987, Un meurtre, exemple) , tandis que plusieurs livres de la
une société. L'assassinat du duc d'Orléans, collection « La vie Quotidienne » (Hachette)
23 novembre 1407, 1992, C. BEAUNE Naissance concernent le Moyen Âge. Mais ce panorama
de la nation France, 1985, E. LEROY-LADURIE se termine en insistant sur l'intérêt et la nou-
Montaillou, village occitan de 1294 à 1324, veauté de la démarche de la collection « Le
1975, E. KANTOROWICZ, Les deux corps du Temps des Images » (Gallimard) qui tente de
Roi, (Gallimard), Paris, 1989, J. KRYNEN réinsérer l’image et son interprétation dans
L'Empire du Roi. Idées et croyances poli- le champ des sciences sociales: plusieurs
tiques en France, x11I°-XV° siècle, 1993, ouvrages fondamentaux y sont déjà parus, J.
J.-CL. SCHMITT (La Raison des gestes, 1990, LE Gorr, J.-C. BONNE, E. PALAZZO, M.-N.
Les Revenants. Les vivants et les morts dans CoLETTE et M. GOULLET, Le Sacre royal à
la société médiévale, Le corps, les rites, les l'époque de Saint Louis, 2001; Jérôme
rêves, le temps. Essais d'anthropologie médié- BASCHET, Le Sein du père. Abraham et la
vale, 2001. Une autre collection, la paternité dans l'Occident médiéval, 2000;
« Collection Historique » (Aubier) a publié J.-CI. SCHMITT, Le Corps des images. Essai
aussi des ouvrages importants: citons, parmi sur la culture visuelle au Moyen Âge, 2002.
les derniers parus, Charles HIGOUNET, Les
Allemands en Europe centrale et orientale Au reste, nous nous sommes contentés 1C1
au Moyen Âge, 1989; F. Rapr, Les Origines d’un horizon bibliographique limité à la fois
médiévales de l'Allemagne moderne, 1989; à la France et à l’histoire médiévale propre-
D. LETT, L'Enfant des miracles. Enfance et ment dite. Le médiéviste aura besoin des his-
société au Moyen Âge (xur--xrr° siècle), 1997; toires littéraires, des histoires des sciences
Michel LAUWERS, Naissance du cimetière. et des techniques, des manuels d'archéologie
Lieux sacrés et terre des morts dans l’Occi- et d'histoire de l’art, des histoires de la philo-
dent médiéval, 2005. D. IOGNA-PRAT, sophie, et des dictionnaires spécialisés de
Ordonner et exclure. Cluny et la société chré- théologie, d'histoire et d'archéologie reli-
tienne face à l’hérésie, au judaïsme et à l'Is- gieuses, de droit canon et de droit romain. Il
lam, 1000-1150, 1998. D'autres collections lui faudra consulter les grandes histoires
sont apparues plus récemment et méritent publiées dans chaque pays d'Europe, car le
d'être suivies avec attention: la nouvelle col- cadre national, surimposé au xix° siècle au
lection « L'évolution de l'humanité » (Albin moment où l’histoire se constitue comme
Michel) où sont parus par exemple, H. science dans les universités à un monde
WoLFRAM, Les Goths, 1990; H. NEVEUX, Les médiéval qui l’ignore en général, structure
Révoltes paysannes en Europe (XIV*-XVII* toujours nos bibliographies. On trouvera une
siècles), 1997, J.-M. MOEGLIN, Les Bourgeois approche originale de la globalisation de l’his-
de Calais. Essai sur un mythe historique, toire du monde pour le xv° siècle dans Histoire
2002, E. CROUZET-PAVAN, Enfers et paradis. du Monde au xv° siècle, éd. P. BOUCHERON,
L'Italie de Dante et de Giotto, 2001 et Paris (Fayard) 2009. La collection « Carré-
Renaissances italiennes, 1380-1500, 2007; Histoire » chez Hachette Supérieur dont beau-
« Le Nœud Gordien » (PUF) où l’on notera coup de volumes présentent des histoires
les ouvrages essentiels de Serge LUSIGNAN, La nationales: Histoire de la France, vol. I, par
langue des rois au Moyen Àge. Le français en Régine LE JAN [1996] et II par Jean KERHERVÉ
Dte
eeetue
Vo
ANT
NS
NP
DS
PRET
PT
ER
France et en Angleterre, 2004 et de (1998) ; Les Espagnes médiévales, par Denis
D. NIRENBERG, Violence et minorités au MENJOT (1996) ; Allemagne et Empire au
Moyen Âge, 2001; « Les Médiévistes Moyen À ge, par Michel PARISSE (2002) ; L'Italie
Français » (Picard), où on citera R. LE JAN, au Moyen Âge par I. HEULLANT-DONAT et
Dominique IOGNA-PRAT, Pierre MONNET, J.-P. DELUMEAU (2000) ; Les îles Britanniques
Claude GAUvARD, Michel BALARD, Jean-Louis au Moyen À ge par Jean-Philippe GENET (2005).
BIGET, Hélène Micer et Olivier MATTÉONI. Pour la France, les volumes de la vieille col-
Les biographies de chez Fayard comportent lection Lavisse, toujours précieux, notamment
Le Moyen Âge en Occident

pour l'aspect événementiel, ont été republiés pas oublier de consulter la New Cambridge
avec un découpage par règne chez Tallandier. Medieval History !
Une bonne histoire de la France en poche est Ces listes sont loin d’être exhaustives. De
celle du Seuil, avec les cinq volumes de plus, elles ne seront déjà plus à jour quand ce
Stéphane LEBECO, Laurent THEIS, Dominique livre sortira de l'imprimerie, puisque, entre
Monique BOURIN, et
BARTHÉLÉMY, ce moment et celui où il a été écrit, quelques
Alain DEMURGER publiés en 1990. Mais une mois se sont écoulés et de nouveaux titres
vision profondément renouvelée est portée par sont parus. De toutes façons, les livres dans
la collection Belin, avec les volumes de les deux catégories que nous venons d'aborder
Geneviève BÜHRER-THIERRY et Charles {manuels, livres traitant une problématique)
MéRIAUD, La France avant la France, 481-888, ne correspondent souvent qu’à une petite par-
Paris, 2010, Florian MaAZze1, Féodalités (888- tie des besoins. L'étudiant doit donc résoudre
1180), Paris, 2010 et Boris BOVE, Le temps de un triple problème: pousser sa recherche
la guerre de Cent Ans, 1328-1453, Paris, 2009. bibliographique jusqu'au bout, c'est-à-dire
Pour les Îles britanniques, il dispose pour l'An- jusqu'aux ouvrages contenant les résultats
gleterre de l'Oxford History of England: l'édi- « bruts » de la recherche historique {articles
tion primitive, en six volumes, est encore utile et thèses) en étant sûr d’être « à jour » et de
mais elle est en cours de remplacement par la n'avoir rien oublié, faire un choix raisonné
New Oxford History of England, qui couvre entre tous les titres qu'il aura rassemblés, et
déjà en trois volumes (par Robert BARTLETT, enfin localiser dans des bibliothèques les
Michael PRESTWICH et Gerald HARRIss) la titres qu'il aura sélectionnés. Pour la produc-
période 1075-1460. Des histoires en trois tion française, par exemple, on utilisera la
volumes sont aussi disponibles chez Methuen Bibliographie de l'Histoire Médiévale en
et Blackwell, qui publie aussi la très utile col- France (1965-1990), publiée sous la direction
lection « À Companion to » avec deux volumes de Michel BALARD en 1992. Pour les parutions
pour le début (Pauline STAFFORD, 2009] et la fin plus récentes on privilégiera l’utilisation d'in-
du Moyen Âge {S. Ricgy, 2003). Il existe trois ternet (voir plus loin}. L'étudiant doit absolu-
histoires de l'Écosse en plusieurs volumes ment se familiariser avec les revues, non
(Oxford University Press, Arnold, et la seulement en raison des articles qu’elles
Edinburgh History of Scotland). Pour l'Irlande, contiennent, mais aussi à cause des comptes
la New History of Ireland (Oxford University rendus critiques des ouvrages qu’elles recen-
Press, 2 volumes pour le Moyen Âge] est la sent. Les principales revues « généralistes »
plus récente, comme pour l'Écosse, la New (les Annales Histoire Sciences Sociales et la
History of Scotland, dirigée par J. WORMALD Revue Historique en France, Past and Present
(Arnold, Londres, 3 volumes). Pour en Angleterre pour ne citer que les plus
l'Allemagne, il choisira entre la Propyläen connues) contiennent de nombreux articles
Geschichte Deutschlands, 3 volumes, Berlin, sur le Moyen Âge, tout comme d’ailleurs une
1984-1994; la Deutsche Geschichte, 5 revue destinée entre autres au public étudiant
volumes, 1984-1986, Güterslohe et la Siedler et qui contient des articles de qualité mais
deutsche Geschichte, 3 volumes, Berlin, 1987- faciles d'accès, L'Histoire. Mais il y a aussi
1991. Pour l'Espagne, la synthèse classique des revues consacrées spécifiquement au
est J.-L. MARTIN, La España Medieval, t. II du Moyen À ge: Le Moyen Âge publié à Liège est
Manual de Historia de España Medieval, la principale revue médiéviste francophone,
Madrid, 1993, mais voir aussi A. DOMINGUEZ et une jeune revue, Médiévales, qui fonc-
ORTIZ, Historia de España, vol. II à IV, tionne par numéros à thème, mérite d’être
Barcelone, 1988-1989. Pour l'Italie, on utili- suivie avec attention. Archéologie Médiévale
sera la Storia d'Italia, dirigée par G. GALASSO, est incontournable dans son domaine.
[UTET) Turin, 1978-1992, vol I-VII, XV et À l'étranger, signalons Speculum (USA) et
XVI, et la Storia della società italiana, (Tetio]} Studi Medievali (Italie). Toutes ces revues
Milan, vol. V-VIII, 1982-1988. De toutes ont des tables, qui permettent d'accéder rapi-
façons, une règle dès qu'on sort de l’espace dement tant aux articles qu'aux recensions.
français et de la bibliographie française: ne Les colloques réguliers permettent aussi de
Introduction

suivre l’évolution de la recherche: c’est le cas thèses américaines via l’Université du


en France pour ceux de la Société des Michigan à Ann Arbor. En tout état de cause,
Historiens Médiévistes de l'Enseignement l'étudiant doit apprendre à se colleter avec la
supérieur, publiés chaque année aux recherche de ses prédécesseurs, pour faire
Publications de la Sorbonne, ou pour les siennes les démarches et les pratiques de
Cahiers de Fanjeaux (histoire du Midi} et, l'historien: le débutant fera des erreurs, des
pour l’histoire rurale, les recueils Flaran. confusions, et puis, peu à peu, les choses
À l'étranger, on signalera notamment pour le s'amélioreront, il commencera à s'y retrouver,
Haut Moyen Âge, les Settimane publiées par découvrant pas à pas un métier qu'il com-
le Centro Italiano di studi sull' alto Medioevo prendra ainsi de mieux en mieux, et qu’on
di Spoleto. lui demande de se risquer à faire, puisqu'il
ne dispose pas de faits et d’interprétations
Restent les thèses. Il ne faut pas en avoir peur,
marqués du sceau de la certitude, mais il doit
malgré leur épaisseur et leur complexité! Une
lui-même comparer, interroger, critiquer!
thèse ne se lit pas comme un livre normal,
Bientôt, espérons-le, ce sera à son tour de
c'est-à-dire en commençant au début et en
s'exercer à interpréter les sources, pas forcé-
finissant à la fin, sauf si l’on est déjà un spé-
ment d’ailleurs des sources médiévales: mais
cialiste averti du sujet traité. La thèse est
le passage par l’histoire médiévale, son ins-
avant tout un exercice universitaire: il peut
tabilité, ses interrogations permanentes qui
se faire qu’une thèse soit un grand livre (La
conduisent à une remise en cause incessante
Société aux XI° et X1I° siècles dans la région
des positions apparemment les mieux éta-
mâconnaise de Georges DUBY, par exemple)
blies, sa relation permanente aux sources,
mais c’est plutôt rare, et il s’agit d’abord d’un
l’auront sans nul doute aidé!
travail de recherche à consulter: l'étudiant
abordera donc la thèse par son introduction, Enfin, l'apprenti médiéviste n’oubliera pas
pour connaître les objectifs de l’auteur et sa internet, Tout d’abord, il dispose d’un « por-
position par rapport à l’historiographie exis- tail » {le portail est un site internet qui réper-
tante, puis il sautera directement à la conclu- torie de manière commode les autres sites)
sion Où, en principe, l’auteur est censé faire extrêmement bien fait, et régulièrement mis
le point sur ses principaux apports à la ques- à jour, Ménestrel: http;//www.menestrelfr}. Le
tion traitée. Il examinera ensuite la table des répertoire des liens et des ressources en ligne
matières, puis l'index, pour revenir enfin au donne accès, grâce à un classement théma-
cœur du texte: il glanera alors, en sautant tique et à une série de mots-clés, à un très
d’une page à l’autre, ce dont il aura besoin grand nombre de sites utiles, présentés par des
pour sa propre démonstration, pour sa propre textes clairs et concis. C’est à l'heure actuelle
construction. Encore, à ce propos, un avertis- le meilleur outil bibliographique dont on
sement: les thèses diffèrent selon les exi- puisse disposer. Il permet d'accéder aux sites
gences du système académique. Par exemple, étrangers du même genre, parmi lesquels il
les thèses françaises « nouveau régime » cou- faut accorder une mention particulière au site
vrent des domaines plus restreints et sont italien, particulièrement riche, Reti Medievali,
souvent plus courtes que les thèses françaises qui est tout à la fois un portail et une revue
dites d’« ancien régime ». Les thèses anglaises en ligne. Une université française, celle de
ou américaines sont beaucoup plus courtes Caen, a mis en place une revue en ligne consa-
que les françaises ou les allemandes, etc. : les crée au Moyen Âge en Normandie, Tabularia.
résultats des recherches et leur présentation Le catalogue de la plupart des grandes biblio-
sont étroitement dépendants de ces normes. thèques (Bibliothèque Nationale de France,
Enfin, le livre publié n’est pas la thèse elle- British Library à Londres, Library of Congress
même, souvent plus volumineuse, et conte- à Washington) est accessible sur internet:
nant de ce fait des informations qui ont pu Ménestrel donne une description des fonds de
être coupées à la publication: les thèses fran- nombreuses bibliothèques et permet d'accéder
çaises sont souvent disponibles sur des micro- facilement aux sites des principaux labora-
fiches publiées par l’Université de Lille, toires de recherche en histoire médiévale
tandis qu'il est possible de se procurer les (Institut de Recherche et d'Histoire des Textes
TER
QU
SRE
PES
TARN
EU
CS
APS
RS
RS
PEOUI
ET
SA
GE
CE
REP
RER
PR
Le Moyen Âge en Occident

[LRHT.], École Nationale des Chartes, Centre est censée être mise à jour au fur et à mesure
d'Études Supérieures de la Civilisation (dernière révision: juin 2003). La plus complète
Médiévale de Poitiers [C.E.S.C.M.], Laboratoire des bibliographies en ligne (également dispo-
de Médiévistique Occidentale de Paris I nible sur CD-Rom), l'International Medieval
[L.A.M.O.P.]) qui présentent des bases de Bibliography, se trouve sur un site payant,
données et des publications en ligne et les celui de la maison d'édition Brepols, avec plu-
bibliographies de leurs membres. Par ces sites, sieurs autres bases de données d’un très grand
il est souvent possible d'accéder à d’autres, par intérêt: peu d'étudiants pourront y accéder
exemple à ceux des grandes bibliothèques directement, mais la plupart des bonnes biblio-
mentionnées plus haut. Les liens proposés par thèques universitaires sont abonnées à ce site.
le site de l'ILR.H.T. sont ainsi particulièrement De même, plusieurs sites rassemblent des
utiles. Plusieurs bibliothèques, sans parler de grandes quantités de revues en ligne, comme
Google, possèdent des ensembles très impor- JSTOR ou, en France, Persée et revues.org.
tants de textes numérisés et accessibles en Enfin, pour vérifier le contenu et les parutions
ligne: voir par exemple, pour la B.N-F, Gallica. récentes des diverses collections qui ont été
mentionnées plus haut, il est utile d'aller véri-
Au niveau bibliographique, il faut signaler le
site [http/shmesp.sh-lyon.cnrs.fn de la Société des
fier les sites des différents éditeurs (pour les
historiens médiévistes de l’enseignement trouver, il suffit de rechercher leur adresse à
supérieur public, qui permet d'accéder à plus l’aide d’un moteur de recherche comme
de 10 000 titres de livres et d'articles publiés Google). Si l'étudiant place les principaux sites
par les médiévistes depuis 1991: on accède dans ses « favoris » et prend la précaution de
aux titres soit par le nom de l’auteur, soit par partir de Ménestrel pour disposer du maxi-
un mot quelconque du titre, soit par un clas- mum d’information sur les sites qu'il entend
sement matière détaillé. Cette bibliographie explorer, il perdra un minimum de temps!
PARTIE Îl

Le Haut Moyen Âge occidental


(410-1050)

Les premiers royaumes (410-568)

Permanence romaine et changements chrétiens (If et vif siècles)

Crises et mutations des royaumes barbares (550-750)

L'expansion du royaume des Francs et la création de l'Empire


(751-840)

La rénovation de la civilisation par les Carolingiens

L'échec de l'unité carolingienne (840-888)

S0G0
0009
Les dernières invasions,
Empire (888-1002)
l'éclatement féodal et le nouvel

Lents renouveaux du x° siècle


Les premiers royaumes
(410-568)
livre au pillage de ses
En 410, Alaric, roi des Wisigoths, entre en vainqueur dans la ville de Rome qu'il
roi des Francs, entre dans Rome, accueilli par le pape pour y être couronné
guerriers. En 800, Charles,
se fait-il qu'en l'espace de quatre siècles, le Barbare germaniqu e, d'abord enva-
empereur. Comment
qui font dispa-
hisseur brutal, se soit mué en restaurateur de l'Empire romain ?Pourquoi les peuples
renaître une construction
raître l'Empire au v® siècle, voient-ils, au ix°, l'un d'entre eux chercher à faire
politique évanouie?

I L'installation des premiers Barbares (410-450)


THéoDosE : dernier empereur & État de l’Empire romain
romain qui ait régné seul sur À D . L ARS
De l'Empire de Las grec à À la mort de Théodose, en 395, l'Empire romain avait été défi-
l'Occident romain. nitivement partagé en deux: l'Orient sous la direction
d'Arcadius, l'Occident sous celle de son frère Honorius.
Apparemment, la façade de chaque Empire était toujours majes-
tueuse, l’État romain aussi impressionnant.

L'empereur est un monarque absolu, entouré de fonctionnaires


régulièrement payés et servi par une bureaucratie minutieuse.
Les ordres sont transmis par les trois préfets du Prétoire
jusqu'aux comtes dirigeant les cités, par l'intermédiaire des
vicaires dans les diocèses et des juges dans les provinces. Mais,
au niveau de la fiscalité, très lourde et très compliquée, appa-
raissent déjà des difficultés. Les impôts rentrent difficilement,
les arriérés sont importants. La société est très hiérarchisée,
au point que les classes sont figées en castes. Au sommet se
trouvent les sénateurs, grands propriétaires fonciers, chargés
de magistratures officielles civiles et de dignités honorifiques.
Leur puissance politique est nulle, mais leur puissance écono-
mique est telle que, petit à petit, ils s’arrogent des droits de
PATRONAGE :pouvoir de protec- patronage sur des villages entiers et obtiennent la fixation à la
tion d'un grand propriétaire k es à
ie terre des colons, cultivateurs juridiquement libres. L'esclavage
paysans. est peu important. Quant aux artisans et aux gens des villes,
ils sont groupés en corporations dont personne ne peut sortir:
l'étudiant sera fonctionnaire, le fils de boulanger fera obliga-
toirement le métier de son père. Étant donné les besoins fis-
caux et militaires de l’État, la société est figée dans l'intérêt
général, et pour son propre salut.
Deux faits particulièrement nouveaux expliquent la suite
des événements. Depuis 392, le christianisme est religion
d'État. L'Église, corps nouveau dans l’Empire, prend une impor-
tance grandissante. Le paganisme est officiellement déraciné,
mais subsiste encore dans les campagnes. Les cadres hiérar-
chiques de l'Église imitent ceux de l’Empire :l’évêque de Rome
Les premiers royaumes (410-568)

cherche déjà à faire reconnaître son autorité aux métropolitains


MÉTRoPOLITAIN :l'évêque qui est
dans les provinces et aux évêques dans les cités. Les conciles à la tête des évêchés de sa
provinciaux permettent au clergé de coordonner son action province (cf. p. 68).
d'évangélisation et de combat contre les hérésies. Les moines
se répandent dans tout l'Occident selon la règle des Pères égyp-
Cité: territoire doté d'une ville
tiens du désert. Le type parfait en est saint Martin, mort en comme chef-lieu. Le mot de
397, après avoir prèché et lutté contre le paganisme dans les « cité » fut remplacé plus tard
pays de la Loire. Cette Église d'Occident se sent si totalement par celui de « diocèse ».

romaine que les mots de Romain et de Chrétien deviennent


alors synonymes et que l’évêque trouve normal de défendre
Rome face au Barbare.
Si l'Église peut renforcer l'Empire, l’armée, elle, peut l’abattre.
Théoriquement, il y a deux cent mille hommes aux frontières, et
cinquante mille hommes d'armée de manœuvre. Pratiquement,
seule cette dernière est opérationnelle. Le limes n’est qu’une fron- Limes: mot latin (prononcer
tière ouverte, mais les villes peuvent s’enfermer dans d’étroites limesse) désignant une zone de
postes frontières fortifiés.
enceintes. Le soldat romain est très souvent un Barbare germa-
nique. Pratiquement, et ce n'est pas un paradoxe, l’armée est aux
mains des futurs envahisseurs. Rome, sans s’en rendre compte,
a remis son sort entre les mains de ses ennemis.

& Les Barbares


Face à cet énorme corps, lourd et malhabile, les Barbares
entourent l'Occident de trois manières. Les peuples de la mer
comprennent les Angles et les Saxons le long des côtes de la
mer du Nord jusqu'aux îles; dans la péninsule danoise et sur
les bouches de l’Elbe, les Jutes et les Frisons; dans la Grande-
Bretagne et l'Irlande, les Calédoniens et les Scots. Ces peuples
sont encore à l’âge de fer, vivent dans un cadre tribal, en clans
plus ou moins liés. Ils font des raids maritimes constants sur
les côtes romaines de Grande-Bretagne et de Gaule.

Dans les forêts germaniques vivent des peuples de soldats et


de paysans: les Francs aux bouches du Rhin, les Alamans entre
Rhin et Danube, les Marcomans et les Quades sur le moyen
Danube. Tous sont païens. Plus on va de l’est vers l’ouest, plus
ces peuples germaniques sont civilisés.

Ils ont tous des rois à leur tête. Les Burgondes, les Vandales et
les Lombards sur l’Elbe sont déjà convertis au christianisme HÉRÉSIE ARIENNE : Fondée par
arien, hérésie condamnée en 381 par l’Église. Les Ostrogoths Arius, elle affirme que Jésus est
et les Wisigoths dans les plaines russes et roumaines ont ren- créé par Dieu, sans être de
même nature que lui.
contré dans ces steppes d’autres peuples comme les Alains
et sont devenus à leur contact des cavaliers consommés. Ce
sont les plus évolués des peuples barbares, bien loin même des
Berbères d'Afrique du Nord qui menacent l'Afrique romaine.

L'entrée des Barbares dans l’Empire se fait en deux temps. Les


Huns, venus d'Asie centrale, franchissent le Don en 375. Les
Wisigoths, battus, cherchent à se réfugier en territoire romain
au titre d’auxiliaires de l’armée romaine. Mais l'entente ne dure
pas. En 378, à Andrinople, la cavalerie gothique écrase l’armée
romaine par une charge de flanc: la fin de l'Empire s'annonce.
PARTIE 1 & Le Haut Moyen Âge occidental (410-1050)

Les Wisigoths errent dans l’Empire à la recherche d’une terre


où demeurer: leur roi Alaric les emmène piller l'Illyrie, puis
l'Italie. Enfin, il s'empare de la Ville Éternelle en 410. Le choc
moral fut immense dans tout l'Empire, mais il n’y eut aucune
réaction. En 418, l’empereur Honorius accepte de fixer les
FéDÉRÉs: barbares qui ont Wisigoths en Aquitaine, sous la fiction juridique de fédérés,
conclu un traité d'alliance c'est-à-dire d’alliés du peuple romain. En fait, c’est la naissance
(foedus) avec Rome, sur un pied du premier royaume barbare d'Occident (cf. carte numéro 1).
d'égalité avec elle; en échange

À la même époque, le 31 décembre 406, les Vandales, les


d'un territoire et de la recon-
naissance de leurs coutumes,ils
rendent à l'Empire le service Suèves et les Alamans avaient franchi le Rhin dégarni de
militaire. troupes et avaient envahi toute la Gaule, la pillant à plaisir.
Les Burgondes les avaient suivis et s'étaient installés sur la rive
gauche du Rhin, de même que les Alamans. Mais Suèves et
Vandales n’en restent pas là:passant les Pyrénées, ils dévastent
l'Espagne avant de succomber à la famine, si bien que l’empe-
reur Honorius peut commencer à négocier leur installation.
Les Suèves finissent par recevoir le statut de fédérés avec un
territoire situé à l'embouchure du Douro et en Galice, autour
de Braga: c’est le deuxième royaume barbare. Les Vandales,
après un bref séjour en Bétique, à laquelle ils laissèrent leur
nom, l’Andalousie, franchissent le détroit en 429 au nombre de
quatre-vingt mille. Genséric, leur roi, s'empare, en août 431, de
BONE
:auj. Annaba, Algérie. Bône où venait de mourir saint Augustin, obtient le statut de
fédéré en 435, et après avoir saccagé Carthage, peut s'installer
définitivement dans la partie orientale de l'Afrique du Nord.
Be
ae X
Rome vient de perdre, avec la création de ce troisième royaume
5 A 339,8. barbare, son grenier à blé et la maîtrise de la Méditerranée.

Désormais, par suite de la puissance de Genséric (mort en 477),


qui occupe les Baléares, la Sardaigne, la Corse et même la Sicile,
tout effort de défense en Occident est paralysé. Valentinien III
et son général Aetius n’en luttent pas moins pour enrayer les
progrès des Barbares. Ce général romain formé à la cour des
Huns, où il avait été gardé comme otage, sut, mieux que
d’autres, contenir la progression de chaque peuple, repoussant
les Wisigoths chez eux, refoulant les Francs vers le Nord et la
rive droite du Rhin. Les Burgondes, ayant voulu récupérer leur
p L
habitat de la rive droite du Rhin, furent écrasés par les Huns
r
Épopée, p. 70. (il en naquit la célèbre épopée des Niebelungen), au point d’être
transférés en Sapaudia, c'est-à-dire en Suisse romande et dans
le Jura du Sud, après 436, avec le titre de fédéré.

I, La mort lente de l’Empire d'Occident


(450-476)

M Les Huns

Le dernier acte d’Aetius fut important pour l'Occident. En


effet, surgis du fond des steppes de l'Asie centrale, les Huns
avaient continué d'avancer et s'étaient installés dans les
plaines de la Hongrie actuelle. Depuis leur campement, ils
Les premiers royaumes (410-568)

attaquent sans cesse l'Orient, puis, unifiés par Attila, se tour-


nent, vers 449-450, contre l'Occident. Précédés par une répu-
tation de terreur, ils s'avancent vers le Rhin, incendient Metz,
pillent Reims, s'emparent d'Orléans puis en sont chassés par
Aétius parvenu alors à regrouper quelques troupes romaines
et surtout obtient des Wisigoths qu'ils appliquent le traité
d'alliance avec Rome. Ce fut une armée plus barbare que
romaine qui fit reculer les Huns d’Attila au Campus Mauriacus,
peut-être Moirey, près de Troyes, dans l'été 451. L'année sui-
vante, le chef hunnique réitéra son entreprise, mais en Italie.
Après la chute d’Aquilée il entreprit une marche sur Rome.
Dans la panique générale, le pape Léon parvint, grâce à une
négociation coûteuse, à le détourner de la Ville Éternelle. Peu
après, Attila mourut en dormant, étouffé par un saignement
de nez en 453. Son empire s'écroula en 469. L'Occident romain
était sauvé.

M Les Anglo-Saxons
Le répit fut court. L'empereur Valentinien III, jaloux des succès
d’Aetius et craignant pour son trône, l’égorgea de sa main. Les
fidèles d’Aetius répliquèrent en assassinant Valentinien. Dès
lors, des empereurs fantoches vont se succéder en Italie et les
peuples barbares fédérés étendre leurs domaines. Le déclin de
l’Empire allait désormais s’accélérer. Déjà, Aetius, peu de temps
avant sa mort, n'avait pu répondre à un appel des Bretons roma-
nisés de Grande-Bretagne. En effet, après une brève restauration
du pouvoir romain en 418, l’île était de nouveau en butte aux
pirateries des Scots et aux assauts des Pictes.

Des chefs bretons, voyant leur pays coupé de Rome, appelè-


rent vers 450-455 à leur secours comme fédérés des groupes
de Saxons, qui retrouvèrent sur place les débris des garnisons
germaniques « romaines ». Ceux-ci, après avoir repoussé les
envahisseurs, ne tardèrent pas à se révolter contre leurs hôtes,
tandis que les Jutes, les Angles et d’autres Saxons, glissant le
long des côtes danoises, frisonnes et gauloises, débarquaient
dans le Kent et dans les estuaires de la Tamise, du Wash et
de la Humber. Au début du vi‘ siècle, cette colonisation se
développa, refoulant les Bretons vers l'Ouest et le Nord. Les
Irlandais (ou Scots}, devenus chrétiens après 461, cessèrent
leurs raids de pillage, mais n’en continuèrent pas moins de
coloniser certaines régions de la grande île, en particulier le
Nord, auquel ils finirent par donner leur nom: Scotland, Écosse,
ou pays des Scots. Coincés entre Irlandais et Anglo-Saxons, les
Bretons n’eurent plus qu’une ressource: traverser la Manche
pour s'installer en Armorique. L'apogée de cette émigration eut
lieu vers 550-560 et la péninsule prit alors le nom de Bretagne.

Rongé sur le pourtour, l’Empire, de plus, vient d’être frappé une


nouvelle fois au cœur: en 455, Genséric pille Rome pendant
plus d’un mois. L'Empire passe alors aux mains d’un général
Patrice: dignité romaine,
« romain » de race suève, le patrice Ricimer, qui fait et défait venant dans la hiérarchie après
les empereurs: c’est l’agonie. De-ci, de-là, surgissent des la dignité impériale.
défenseurs isolés de la Romanité, en Auvergne, en Catalogne,
RE ——_—_—_—...——_——.—
PARTIE 1 # Le Haut Moyen Âge occidental (410-1050)

s et
en Sicile, en Illyrie, entre Somme et Loire avec Aegidiu
Syagrius. Mais les royaumes barbares s'étend ent irrésist ible-
ment, rejetant les traités d'alliance fictive avec Rome. Les
Wisigoths, en particulier, finissent par occuper toute la Gaule
la
du Sud-Ouest jusqu’à la Loire, puis la Narbonnaïse, enfin
nnaires impéria ux
Provence en 476; chargés par les fonctio
de faire reculer les Suèves qui voulaient occuper la péninsule
Ibérique dans sa totalité, ce sont eux qui, en les refoulant vers
le Nord-Ouest, finissent pas s'emparer du reste de l'Espagne.
Les Burgondes prennent Lyon et, de là, remontent la Saône
jusqu’à la hauteur de Langres puis descendent le Rhône jusqu’à
la Durance.

& Le dernier empereur romain


En Italie, la dernière armée « romaine » sous la direction
d'Odoacre, de race probablement hunnique, finit par se révolter
et réclamer le même statut que les peuples fédérés. Le jeune
Romulus Augustule est dépouillé de ses insignes impériaux
le 4 septembre 476, puis exilé en Campanie. L'Empire romain
d'Occident avait disparu: il n’y avait plus qu’un seul empereur,
celui de Constantinople. C’est ainsi que les contemporains
interprétèrent l'événement. Personne ne fit attention à cette
date que nous considérons à tort comme la fin de l'Antiquité
et le début du Moyen Âge. L'empereur d'Orient, Zénon, ne
reconnut d’ailleurs pas le pouvoir d'Odoacre. Puis, comme le
peuple ostrogoth, fixé depuis 471 en Pannonie (Hongrie occi-
dentale actuelle}, avait épuisé les ressources de son territoire
et menaçait Constantinople, Zénon, se considérant à juste
titre comme le seul maître de tout l’Empire, chargea leur roi
Théodoric de mener les Ostrogoths en Italie chasser Odoacre
en son nom. L'armée ostrogothique, après de durs combats,
parvint à éliminer ses adversaires et, à partir de 493, il y eut
un royaume ostrogothique d'Italie. Théodoric, en tant que
représentant du pouvoir impérial, tenta alors d'étendre son
(es hégémonie jusqu’au Danube et sur les autres royaumes bar-
Ariens, p. 19.
bares: wisigoth, burgonde et vandale, qui étaient ariens comme
le sien. Un nouvel équilibre apparaissait ainsi en Occident,
fondé sur une domination germanique et arienne aux dépens
Rss c. des peuples romains, et cela malgré une fiction de fidélité à
l'Empire de la Nouvelle Rome, Constantinople.

Il. Les royaumes barbares


& La création du royaume des Francs:
Clovis (481-511)
Pas plus qu'Aetius, Théodoric ne put réussir dans son entreprise
de stabilisation. De nouveaux peuples apparurent et boule-
versèrent sa construction. Le plus important de tous est, sans
conteste, celui des Francs. Divisés en deux groupes, les Saliens,
sur le Rhin inférieur, et les Rhénans {autrefois appelés à tort
Les premiers royaumes (410-568)

Ripuaires), les Francs sont le seul peuple barbare à ne jamais


perdre contact avec leur patrie d’origine, au contraire de tous
les autres, déracinés, isolés au milieu des populations romaines.
Longtemps alliés du peuple romain, les Saliens avaient profité
des désordres pour progresser lentement vers le Sud, colonisant
l'actuelle Belgique du Nord, installant leur capitale à Tournai, où
est enterré en 481 leur roi Childéric. Son fils Chlodweg, que nous
connaissons sous le nom de Clovis, entreprend alors d'éliminer
un général romain, Syagrius, qui dirigeait le pays situé entre la
Somme et la Loire. Il s'empare de sa capitale, Soissons, en 486,
puis parvient à rejeter les Alamans en direction des Burgondes
à la bataille de Zulpich, plus connue sous le nom de Tolbiac. Il
devient maître du Bassin Parisien jusqu’à la Loire. C’est alors
qu'il se tourne vers les royaumes ariens du Midi. Son invasion
du royaume burgonde échoue vers 500-501 et il préfère s’en
faire un allié. Malgré les efforts diplomatiques de Théodoric,
qui cherchait à protéger son gendre Alaric II, roi des Wisigoths,
Clovis parvient à franchir la Loire; il écrase les Wisigoths et tue
leur roi à Vouillé en 507. Le royaume wisigoth se serait alors
totalement effondré, si Théodoric n'était intervenu, bloquant
les Francs dans leur avance et récupérant la Septimanie (Bas- SEPTIMANIE: la conquête de
Languedoc) et la Provence. Clovis supprime les roitelets francs Clovis ne put atteindre
Carcassonne, Béziers, Agde,
par la ruse, unifiant ainsi son peuple. La nouvelle puissance
Lodève, Nîmes, Uzès et Elne.
franque bouleversait ainsi l’état de l'Occident, sans pour autant Ces sept cités formèrent la
déboucher sur la Méditerranée. Septimanie qui resta wisigo-
thique jusqu'en 718.
Clovis fut baptisé à Reims par saint Remi le 25 décembre 498
ou 499: ce fait ne favorisa guère la conquête du sud-ouest de
la Gaule qu'il entreprit. Les évêques catholiques du royaume
wisigoth, exaspérés par l’arianisme des occupants, firent
appel à lui. Seul roi barbare catholique, Clovis, appuyé de
surcroît par l’empereur Anastase qui venait de se brouiller
avec Théodoric, mena donc jusqu’à Toulouse une véritable
guerre de libération. Lorsque, après avoir réuni les évêques en
concile à Orléans, Clovis mourut dans sa nouvelle capitale,
Paris, le 27 novembre 511, il venait de poser les fondations
d'un nouveau type de royaume germanique où les relations
entre les vainqueurs et les populations romaines étaient plus
solides que partout ailleurs. La preuve en est que l’élan donné
à son royaume se poursuivit après sa mort, malgré le partage
entre ses quatre fils. Le royaume burgonde, qui avait connu
son apogée sous le roi Gondebaud (485-516), fut anéanti en
deux campagnes, en 523 et 536, puis partagé. La Provence
finit par être annexée à la suite de sa cession volontaire par
les Ostrogoths en difficulté avec l’Empire, puis partagée entre
les quatre frères. Cependant, les plus grands succès francs se
situent à l'Est, au-delà du Rhin.

BH Les autres royaumes


D'autres peuples germaniques avaient, en effet, occupé les
territoires laissés vides. Les Alamans, issus de tribus dispersées
comme l'indique leur nom (alle männer: tous les hommes),
installés en Palatinat et en Alsace depuis 406, malgré leur
PARTIE 1 Le Haut Moyen Âge occidental (410-1050)

vers le
soumission aux Francs, avaient continué à s'étendre
Sud, vers la Franche-Comté, la Suisse dite aujourd’hui alé-
manique, et la rive droite du Rhin jusqu'à un affluent de la
rive droite du Danube, l'Iller, qui forma bientôt la frontière
avec un autre peuple germanique issu des Marcomans et des
Quades, les Bavarois, qui, entre 488 et 539, s'installèrent au
sud du Danube entre l’Iller et l’Enns et finirent même par
déborder les Alpes jusque dans le Haut Adige. Au N ord, enfin,
se trouvaient les Thuringiens sur les rives de la Saale. Tous
ces peuples furent plus ou moins soumis complètement: les
Thuringiens en 531 et les Alamans en 536 par Théodebert,
les Bavarois en 555 par Clotaire. Ainsi, toute la Germanie
méridionale passait sous l'influence franque. Pour la première
fois, Gaule et Germanie entraient en contact dans un cadre
politique commun. Clotaire I”, seul roi à la suite de la mort
de ses frères entre 558 et 561, était à la tête de l’ensemble le
plus imposant de l'Occident. Le royaume des Francs y exerçait
désormais une hégémonie incontestable.

Les trois autres royaumes ariens germaniques subsistant font,


en effet, piètre figure. Le gouvernement brutal des Vandales
successeurs de Genséric exploitant les vaincus en Afrique, les
persécutions des catholiques, violentes sous Huneric (477-484)
et sévères sous Thrasamund (496-523), empêchent de bons
rapports avec les Romains. La lutte contre les montagnards
berbères et les grands nomades chameliers du Sud mine lente-
ment la royauté vandale. En Espagne, les Wisigoths, ébranlés
par leurs défaites devant les Francs, n'arrivent pas, malgré la
tutelle de Théodoric, à retrouver une royauté et une organi-
sation stables. Incapables de se choisir un roi unique et de
conquérir le sud de la péninsule peuplé de catholiques hostiles
à leur arianisme, les Wisigoths sont au bord de la catastrophe,
lorsqu'une faction militaire porte au pouvoir Athanagild, en
550. Enfin, en Italie ostrogothique, le règne brillant et très
habile de Théodoric se termine fort mal: sa rigoureuse sépa-
ration des deux peuples, Goths ariens d'une part et Romains
catholiques d'autre part, se retourne contre lui. Juste avant sa
mort, en 526, le conflit religieux ne peut être évité. Les Goths,
exaspérés, portent alors au pouvoir Théodahat qui revient à
une politique de domination.

M La reconquête par l'Empire d'Orient: Justinien


C'est au milieu de ces trois crises qu'intervint l’empereur
romain d'Orient. Justinien (525-568), qui rêvait de reconquérir
tout l'Occident pour reconstituer l'unité disparue, va renverser
la situation. En 533, le royaume vandale s'écroule, et l'Afrique
du Nord passe sous l'autorité de Byzance. En 535, les troupes
impériales débarquent en Sicile et s’attaquent à l'Italie ostro-
gothique. Mais, ici, le peuple barbare résiste désespérément
pendant vingt ans. Après ces luttes terribles, la péninsule,
redevenue partie intégrante de l’Empire, se trouve très affaiblie.
Enfin, en Espagne, Athanagild appelle les troupes byzantines
à son secours. Il consolide ainsi son pouvoir et doit céder à
Les premiers royaumes (410-568)

l'Empire, en remerciement pour cette aide, les provinces du


sud-est de l'Espagne. À la mort de Justinien, la Méditerranée
était presque redevenue romaine.

Cette reconquête n'aurait pu aboutir que si la Gaule franque


avait été soumise mais ce n'était pas le cas. De plus, les suc-
cesseurs de Justinien ne purent poursuivre son effort. Quant à
l'Italie très affaiblie, ravagée par la peste, elle resta totalement Peste: la grande peste du
passive devant l'invasion des Lombards qui, en quatre ans, de v® siècle, dont l'ampleur peut
568 à 572, s'emparèrent de toute la partie nord de la pénin- être comparée à celle de 1348
(cf. p. 224) ravagea à plusieurs
sule et créèrent des principautés en Toscane, à Spolète, et à reprises l'Italie, les côtes médi-
Bénévent. Les Byzantins parvinrent à résister dans un réduit terranéennes, remonta le
allant de Venise à Rome par Ravenne et Pérouse, tandis que Rhône et la Saône, atteignit
Naples, la Calabre, le Bruttium et la Sicile restaient intacts. même l'Irlande et la Grande-
Bretage celtes. Elle creusa des
Enfin, prenant la place des Lombards dans la plaine du Danube,
vides démographiques surtout
des nomades asiatiques à cheval, les Avars, y installèrent dans le vieux monde romain.
des bases de départ pour de nombreux raids de pillage dans
le monde germanique, de sorte qu'ils le forcèrent à passer de
plus en plus dans l'orbite franque. Désormais, la situation de
l'Occident barbare est fixée pour deux siècles.

Ainsi, l'Empire romain d'Occident a mis plus de cent cinquante


ans à disparaître, en raison surtout de la politique d’alliance
avec les Germains et du puissant retour en arrière que fut la
Reconquête. Cela explique le maintien et la survie de la civilisa-
tion romaine et de l’idée impériale. La première génération des
royaumes barbares [( Wisigoths, Suèves, Burgondes, Ostrogoths
et Vandales) était composée de peuples ariens qui ne pouvaient,
à cause de leur petit nombre, s'installer de manière durable dans
l’Empire qu’en pratiquant une politique de séparation d'avec
les populations romaines. Les différences étaient telles que
ces peuples ne pouvaient se maintenir qu’en consentant à de
profondes transformations. C’est pourquoi la plupart disparu-
rent ou furent sérieusement ébranlés. La deuxième génération
d'États barbares, en général païens et gardant le contact avec
leur arrière-pays germanique (Anglo-Saxons, Francs, Alamans,
Bavarois), avait, en revanche, beaucoup plus de chances de
stabilité, grâce à la conversion de ces États, tardive ou précoce
selon les cas, au catholicisme, ce qui facilitait le contact avec
les Romains. Seule exception notable: le royaume arien des
Lombards qui, à l'exemple des Vandales, s'impose par la force
et expulse les occupants des terres.

La cause immédiate du succès des Barbares réside dans la


faiblesse de l’Empire et dans leur incontestable supériorité
en matière de technique militaire (et même navale pour les
Anglo-Saxons). L'épée longue germanique, par la qualité de son
tranchant, est bien supérieure à l'épée romaine. L'aptitude des
Germains orientaux à utiliser la cavalerie leur permet d'obtenir
des succès décisifs. Ainsi s’explique que, dans la deuxième
moitié du vr siècle, l'Occident disloqué est dominé par deux
puissances, le royaume des Francs en pleine expansion et l’Em-
pire romain de Byzance sur la défensive face aux Lombards.
Que va donner le contact des deux civilisations ?
PARTIE 1 Le Haut Moyen Âge occidental (410-1050)

L'état de la recherche
Les sources écrites du Haut Moyen Âge
s.
L'histoire s'écrit avec les documents laissés par les contemporains des événement

our les époques allant du vi° Vénérable (mort en 735) qui a saint ou d’une sainte sous un
Pa vf siècle, ils sont écrits fait des recherches originales triple aspect, historique, spiri-
en latin sur du papyrus puis sur l'installation des Anglo- tuel et miraculeux. Ce dernier
sur du parchemin. Qu'il s'agisse Saxons en Grande Bretagne. point par ses excès de crédu-
d'actes de la pratique (actes de Une excellente traduction lité a exaspéré les historiens
vente, testaments, donations, a été publiée en 1995 par du xx et du xx° siècle qui ont
etc.) ou d'œuvres écrites en P. Delaveau sous le titre Histoire considéré ces textes comme
vue de conserver le passé ecclésiastique du peuple anglais. indignes de recherche et de
(histoire, annales, chroniques, connaissances historiques,
etc.) ces documents sont p°" l'Italie, Paul Diacre et ceci surtout lorsque leurs
relativement peu nombreux a écrit une Histoire des auteurs ont manifestement
car beaucoup ont disparu. Les Lombards qui va de leurs écrit des faux.
archives fiscales, par exemple, origines scandinaves jusqu'en
ont été détruites, vu leur trop 744.F. Bougard vient de publier ujourd'hui, puisqu'une vie
grand nombre et ce n'est que une traduction française aux de saint a deux publics,
tout à fait par hasard qu'ont été éditions Brepols, sous ce titre, les clercs lettrés et le peuple
transmis les documents comp- à Turnhout en 2001. analphabète, le point de vue a
tables de Saint-Martin de Tours changé. Ce sont les documents
à l'époque mérovingienne, es documents d'origine qui reflètent les mentalités
publiés par Pierre Gasnault, Lee sont les plus du temps, l'idéal religieux de
Paris, 1975. nombreux et permettent de l'écrivain mais aussi celui de
bien comprendre les enjeux la foule; ils décrivent le milieu
n ne peut donc négliger des hérésies et l'expansion social du saint, ses rapports
les textes rédigés par missionnaire. La vie interne de avec le pouvoir, son attitude
les grands auteurs. Publiés l'Église peut être découverte devant la mort, etc.
dans la grande collection avec les canons des conciles
des Monumenta Germaniae mérovingiens (v°-vi® siècles) est pourquoi, il vaut mieux
Historica depuis 1830 jusqu'à texte latin et traduction prendre en considération
ce jour, les plus importants française de J. Gaudemet les vies écrites par des auteurs
peuvent maintenant être et B. Basdevant-Gaudemet, contemporains du saint,
abordés avec traduction face Coll. « Sources Chrétiennes » dans lesquelles le fabuleux
au texte latin original comme n® 353-354, Paris, 2 t., 1989. et le merveilleux ont peu de
c'est le cas dans la collection L'œuvre du plus important des place. La vie de saint Martin,
«Sources Chrétiennes ». L'accès papes, Grégoire le Grand (590- écrite par Sulpice Sévère est
direct à certaines grandes 604) est maintenant accessible l'exemple type qui servit plus
œuvres est désormais pos- avec Les Dialogues, 3 t. 1978-80, tard de modèle, d'autant plus
sible pour Grégoire de Tours par À. de Vogüé et la Règle que Martin devint le patron
qui dans l'Histoire des Francs Pastorale 2 t., 1992, par B. Judic. de la Gaule. Elle a été publiée
(plus exactement dix livres et traduite par J. Fontaine, 4t.
d'histoire) écrit depuis les | est beaucoup plus difficile Coll. « Sources Chrétiennes »,
origines jusqu'en 592. Malgré d'aborder pour l'étudiant les n® 133-134-135 et 510, Paris,
des erreurs, la traduction de vies des saints. Or, elles consti- 1967-2006. De même les
Robert Latouche Paris, 2 t, tuent la documentation la plus Vies des Pères du Jura ont
1963-65 et 1999 est toujours nombreuse. Cette littérature été publiées et traduites
à conseiller. Le meilleur histo- est dite hagiographique parce par F. Martine, n° 142, Paris,
rien reste cependant Bède le qu'elle présente la vie d'un 1968. Elles ont l'avantage de
Les premiers royaumes (410-568)

montrer le rôle prédominant son ami saint Ouen en 672. rédigée par Jonas de Bobbio
des ermites aux origines de Ce témoignage remarquable et traduite par A. de Vogüé,
l'Église des Gaules. On trou- sur la vie d'un laïc, ministre de abbaye de Bellefontaine en
vera la description du rôle et Clotaire Il et de Dagobert, puis 1988. Elle vient en effet d'être
de l'influence d'un évêque évêque de Noyon-Tournai, publiée en français et pour la
avec la vie de saint Géry, fourmille de détails concrets première fois in-extenso, sans
évêque de Cambrai, traduite sur la vie quotidienne, la coupure, par |. Westeel, Noyon,
par M. Rouche, Revue du Nord, pauvreté et les problèmes de 2002. L'étudiant pourra y trou-
1986, t. 69 p. 281-288. La plus l'évangélisation. Elle va beau- ver en même temps une bonne
intéressante de toutes reste coup plus loin dans l'analyse présentation de la critique de
la vie de saint Éloi, écrite par que celle de saint Colomban, textes hagiographiques.

RS PE PER RL PE NOR DDER REA ECRSR

Bibliographie
Voir t. 1 de l'Histoire du Moyen Âge, Les Destinées de l'Empire en Occident, de 395 à 888, de F. Lor,
C. Prisrer et F.-L. Ganshor, 1" partie, Paris, 1940; F. Lor, La Fin du Monde antique et les débuts du
Moyen Âge, Paris, 1968, avec bibliographie complémentaire; P. RicHé, Les Invasions barbares,
Paris, 5° éd., 1984.

La meilleure synthèse sur le Bas-Empire reste encore celle de E. Ste, Histoire du Bas-Empire
(284-565), 2 t. Paris, 1949 et 1959, complétée par A. H.-M. Jones, The Later Roman Empire (284-
602), 2 vol. Oxford, 2° éd. 1973, dont un résumé en français est paru sous le titre Le Déclin du
monde antique, Paris, 1970. Le petit manuel de B. LaAnçoN, Le monde romain tardif £-vif siècle,
Paris, 1992, donne les dernières nouveautés. Pour l'Église, J. DameLou et H.-I. Marrou, Nouvelle
Histoire de l'Église, t. 1, Des origines à Grégoire le Grand, Paris, 1963.

Les invasions elles-mêmes et l'installation des Barbares sont étudiées par E. Demouceor, La
Formation de l'Europe et les invasions barbares, t. 2, Paris, 1979 et par P. CourceLce, Histoire litté-
raire des Grandes invasions germaniques, Paris, 3° éd., 1964; pour plus ample information, R.Foz,
A. GuiLou, L. Musser et J. Souroei, De l'Antiquité au monde médiéval, Paris, 1972; L. Musser, Les
Invasions, les vagues germaniques, Paris, 2° éd., 1971 ; H. Wourrau, Histoire des Goths, Paris, 1992.
M. Kazanski, Les Goths, Paris, 1990, complète sur le plan archéologique; I. Bona, Les Huns, Paris,
2002; G. ZeccHni, Attila, Palerme, 2007 ;M. Roucxe, Attila, Paris, 2009.

Pour l'Afrique, Chr. Courtois, Les Vandales et l'Afrique, Paris, 1955, ouvrage dont toutes les
conclusions ne sont pas acceptées par les critiques; pour les Îles Britanniques, J. CAMPBELL,
Anglo-Saxon England, Londres, 1986; À. Gaurier, Arthur, Paris, 2007.

Pour certains points évoqués brièvement, voir G. Fayoer-Feyrmans, La Belgique à l'époque méro-
vingienne, Bruxelles, 1964; R. DE AgaDAL y DE VinyaLs, Del reino de Tolosa alreino de Toledo, Madrid,
1960; pour la querelle sur la date du baptême de Clovis, Revue d'Histoire de l'Église de France,
t.31,1935, p. 161-192, et A. Van DE Vwer, « La chronologie du règne de Clovis d'après la légende
et d'après l’histoire » dans Le Moyen Âge, t. 53, 1947, p. 177-196.
Pour la Gaule, les dernières synthèses sont E. Ewc, Die Merowinger und das Frankenreich, Munich,
2° éd., 1993; M. RoucHe, Clovis, Paris, 1996; M. RoucHE (dir.), Clovis. Histoire et Mémoire, 2 vol.
Paris, 1997; N. GAUTHIER, N. GALNIÉ (dir.), Grégoire de Tours et l'espace gaulois, Tours, 1997.
Permanence romaine
et changements chrétiens
(vi-vu siècles)

Aux ve et vi siècles, apports barbares et civilisation romaine se rejoignent profondément. Certaines


particularités germaniques sont parfois un obstacle à la fusion, mais le christianisme, en revanche,
la favorise. Germanité, Romanité et Chrétienté vont donc se mélanger, au niveau des hommes et des
institutions, des sociétés et de l'économie, de la religion et de la culture surtout. L'héritage romain,
en particulier, demeure et passe dans les mentalités barbares par l'intermédiaire du christianisme
qui l'a transformé et mieux adapté aux besoins du temps.

L. Les apports barbares

Quel était l'apport spécifique des Barbares? Leur arrivée ne


bouleversa en rien la démographie romaine. Il s'agissait d’une
migration d'hommes en armes accompagnés par leurs femmes,
leurs enfants, leurs esclaves et suivis de leurs bagages et de
transfuges, Romains déracinés ou Germains détribalisés. Leur
cohésion raciale ou religieuse était faible. La rapide disparition
des Vandales ou des Ostrogoths le prouve. Il est impossible
d'estimer leur nombre, mais l’on est actuellement d'accord
pour considérer qu'ils ne formaient pas plus de cinq pour cent
de la population totale de l'Occident romain. La peur qu'ils
avaient de disparaître à cause de leur insuffisance numérique
et d’être absorbés par les vaincus se remarque par le fait qu’ils
interdisaient les mariages mixtes, ce qui fut rigoureusement
observé chez les Wisigoths et les Ostrogoths. Chez
les Ostrogoths et les Lombards, le port des armes leur était
exclusivement réservé. ;
Les Barbares préservèrent également leur originalité grâce au
os p LC système de l'hospitalité. Du point de vue juridique, le Barbare
Ne |es est lié à l’Empire par un traité d'alliance: le foedus. Chaque
_ fédérés, p. 20. peuple fédéré doit le service militaire à Rome; en échange, il
garde ses lois, ses propres chefs ou rois et reçoit, pour son
entretien et sa nourriture, un ensemble de propriétés foncières.
C'est ce que l’on appelle le contrat de l'hospitalité. Il fut pra-
tiqué avec les Wisigoths autour de Toulouse, puis dans les
Campos Visigoticos entre Calatayud, Tolède, Burgos. Les
SorTes: selon les historiens, ce Burgondes obtinrent des « sortes » entre Lyon et Genève; les
mot peut avoit deux sens: Ostrogoths enfin, autour de Pavie. Ce contrat était différent
terres accordées aux Barbares
selon les peuples. Pour les Burgondes, il s'agissait, par un
pour les uns; part d'impôt
pesant sur une terre, pour système compliqué de partage des terres des Romains et de
d'autres. Les sortes servent à péréquation, d'attribuer au Barbare deux tiers des terres culti-
payer les soldats germaniques. vées, un tiers des esclaves et la moitié des bois, bâtiments et
vergers. Pour les Wisigoths, les bois restaient indivis; on attri-
bua aux Ostrogoths un tiers de l'impôt prélevé sur la terre.
Permanence romaine et changements chrétiens (vi et vif siècles)

Ainsi cantonnés dans certaines régions, les Germains conti-


nuaient à former une communauté bien délimitée tout en
prenant contact avec le système économique romain. Certains
commencèrent même à vendre leur lot, tandis que d’autres
cherchèrent souvent à usurper les parts qui appartenaient
encore aux propriétaires romains.

Il n’y eut de dépossession franche et brutale que dans trois


cas. Les Vandales exproprièrent les grands domaines autour
de Carthage et en exilèrent les propriétaires en Mauritanie.
Les Lombards firent de même dans la plaine du P6, transfor-
mant les Romains en tenanciers. Les Anglo-Saxons expul-
sèrent les Bretons, les repoussant peu à peu vers l’ouest et le
nord de l’île. L'installation des Francs fut différente car ils
s'implantèrent dans le nord de la Gaule en colonisant des
terres vides et abandonnées. Les Alamans et les Bavarois firent
de même.
Alors que le contrat d’hospitalité protégeait vaille que vaille
la Romanité, il n’en était pas de même dans ces trois der-
niers cas. Si Vandales et Lombards détruisirent le système
économico-social, Anglo-Saxons et Francs firent définitive-
ment reculer la langue latine et sa civilisation. La Grande-
Bretagne, qui peut dès lors s'appeler Angleterre, est maintenant
divisée en deux domaines linguistiques: Écosse, Galles et
Cornouailles parlent la langue celtique ainsi que la Bretagne,
tandis que le reste de l’île parle l’anglo-saxon. En Gaule, la
langue germanique progressa moins. La frontière linguistique
se stabilisa dès le vi‘ siècle sur une ligne qui, partant de la
Picardie, s’infléchit au nord de Tournai, longe la Sambre et
la Meuse jusqu’à Maestricht et Aix, continue vers le Sud,
laissant Trèves et Metz en territoire de langue latine, suit la
crête des Vosges, coupe en deux la Suisse à l’est d'Avenches,
aboutit à la ligne de partage des eaux que constituent les
chaînes alpines. Désormais, il n’est plus question du Rhin e Larin: le latin parlé pendant le
t du Danube comme bornes du latin. Mais, en revance, au Bas-Empire est appelé « latin
sud de cette nouvelle ligne, cette langue subsista et évolua vulgaire ». Il change fondamenta-
par la suite sous forme de langues romanes qui donnèrent lement de structure au vif siècle
et devient ensuite une langue de
l'espagnol, le français, l'italien, le portugais et le roumain. culture, parlée par les clercs.
Le dernier apport spécifique du Barbare, après sa langue, fut
son droit, expression de ses conceptions sociales. En règle
générale, les lois barbares étaient entièrement orales et trans-
mises par la mémoire collective. La procédure, elle aussi orale,
était confiée à des spécialistes — les rachimbourgs chez les
Francs — qui laissaient à l'accusé le soin de faire la preuve de
son innocence avec l’aide de co-jureurs; ils décidaient ensuite, Co-sureurs: hommes prêtant
pour arrêter la vengeance (faida), de faire payer au coupable serment pour disculper l'accusé.
Plus ils sont nombreux, plus
une certaine somme tarifée, selon un catalogue très précis de l'accusé a de chances d'être
dommages, appelée wergeld, le prix de l’homme. Cette concep- acquitté
tion très archaïque de la justice faisait évidemment piètre
figure face aux monuments du droit romain qui venaient d'être
compilés :le Code Théodosien en 438 et le Code Justinien en
529. De plus, rapidement, se posèrent des cas de procès mixtes
(entre Romains et Barbares). Il fallut donc mettre par écrit les
PARTIE 1 # Le Haut Moyen Âge occidental (410-1050)

lois germaniques, tandis que l’on rédigeait des abrégés de droit


romain, pour chacune des deux populations. Ainsi apparut la
personnalité des lois. Chaque peuple eut la sienne: les
PERSONNALITÉ DES LOIS :chaque Wisigoths le Code d’Euric, les Burgondes la Loi Gombette (du
peuple a son droit, qu'il soit nom du roi Gondebaud), les Francs la Loi Salique, les Lombards
germanique où romain. Pour les l'Édit de Rothari, etc. Toutes sont rédigées en latin, sauf les
juristes, le droit romain est
applicable à tous, donc territo-
lois d’Ethelbert, roi anglo-saxon du Kent. Quant aux Romains,
rial, les droits germaniques ils eurent en Aquitaine et en Espagne le Bréviaire d’Alaric,
concernant uniquement le droit en Burgondie la loi romaine des Burgondes, en Provence et en
privé de chaque peuple. Ainsi le Italie l'Édit de Théodoric, etc. Chacun était justiciable de la
droit publie romain serait appli-
loi de sa propre nation, tandis que l'égalité des peuples était
cable aux Barbares.
maintenue strictement.

Le Barbare était séparé du Romain par sa langue, par son


cantonnement, par son métier militaire, par sa loi, mais sur-
tout par sa religion arienne ou païenne. Tant que le problème
de l’arianisme ne fut pas résolu, la stabilité de l'Occident
romain demeura en péril. Le refus de l’hérésie fut l’une des
causes essentielles des succès de Clovis et de Justinien appe-
lés par des populations romaines catholiques. Mis à part les
L
Vandales, violents persécuteurs, les autres peuples barbares
Arianisme, p. 19. ariens se montrèrent plus ou moins tolérants. Les Burgondes,
en particulier, furent très pacifiques en ce domaine. En effet,
le peuple ne suivit guère la conversion au catholicisme de
son roi Sigismond (505-523). Théodoric, admirateur de la
civilisation romaine, chercha à établir l’Église arienne de son
propre peuple sur un pied d'égalité avec l’Église catholique,
mais il échoua devant l'attitude anti-arienne de Constantinople
et la résistance du pape qu'il avait emprisonné. Son succes-
seur Théodahat, en liant trop étroitement le sentiment
gothique à l’arianisme, força l’empereur Justinien à envoyer
une expédition, ce qui provoqua la disparition du royaume.
Pour les Wisigoths, expulsés d'Aquitaine en grande partie à
cause de leur arianisme, le même problème se reposa
lorsqu'ils se furent installés en Espagne.

Sous le règne de Léovigild (567-586), l'incapacité mentale des


hommes de l’époque à séparer unité du royaume et unité reli-
gieuse poussa d’abord le roi à supprimer la puissance des Suèves
qui venaient de se convertir au catholicisme, à écraser la
révolte de son fils Hermenegild, converti par l'évêque Léandre
de Séville qui fut exilé, enfin, à empêcher toute conversion
des Wisigoths au catholicisme. Il faut croire que cette poli-
tique ne pouvait réussir, car son fils Reccared, converti dès
587, malgré quelques révoltes, proclama au concile de Tolède
(589) la religion catholique dans toute l'Espagne. La dispari-
tion de l’arianisme sous ses successeurs favorisa l'élimination
Liger Jupiciorum :code de droit
des Byzantins qui occupaient les côtes du sud et du sud-est
romain et chrétien promulgué
par Receswinthe en 655.IL de la péninsule, et aboutit à la création de l'unanimité
s'applique à toutes les popula- nationale. La fusion des deux peuples au niveau juridique eut
tions de la péninsule lbérique lieu sous Receswinthe (653-672) avec la publication du Liber
jusqu'au xuf siècle (cf p. 55). Judiciorum.
Permanence romaine et changements chrétiens (vif et vif siècles)

Restait encore le peuple lombard. Pour éviter qu’il ne s'empa-


rât de Rome, le pape Grégoire le Grand abandonna l'appui
byzantin et préféra conclure la paix avec les Barbares pour
mieux les convertir ensuite. Il obtint deux trêves, en 598 et
en 608, et il espérait que le baptême du fils du roi Agilulf selon
le rite catholique amènerait la conversion de tout le peuple.
En fait, l'opposition était trop forte pour qu’elle fût aussi rapide.
Il fallut attendre Pertharit vers 650-680 pour qu’elle devint
réelle et complète. Dès lors, par le biais du christianisme com-
mun aux Germains et aux Romains, la fusion allait devenir
possible entre les deux civilisations.

Il, La fusion entre Romains et Barbares

Cette fusion se fit en grande partie au profit des Romains, sauf,


évidemment, dans les régions entièrement sous l'influence
germanique. De même que l’arianisme avait été moins prosé-
lyte que le catholicisme, les institutions et les habitudes
sociales romaines furent plus attractives que celles des Barbares.
Un exemple précis montrera les modalités de cette fusion,
celui des cimetières. Du Rhin à la Loire, entre 450 et 550,
apparaît un nouveau type d’inhumation associant la pratique
romaine du sarcophage à l'habitude germanique d’enterrer le
mort habillé et armé. Ces cimetières sont dits « à rangées »
car les sarcophages sont alignés, les pieds du mort vers l'Est.
Mais, à l’intérieur de ce type d'inhumation, les variétés abon-
dent. À partir de l’Escaut jusqu’à la Loire, le type franc diminue
graduellement; armes et poteries deviennent de plus en plus
rares. Dans le nord-est de la Gaule, le type alaman avec épée
longue et poteries sphériques domine, puis disparaît vers le
Sud-Est où, si armes et bijoux sont absents, on rencontre la
poterie gallo-romaine et des inscriptions. Ainsi s'expliquent
les nombreux aspects régionaux de cette Romanité occidentale
de plus en plus soumise à l'influence des Barbares au fur et à
mesure que l’on va vers le Nord, ou des Celtes à l'Ouest.
Les premières monarchies barbares furent infiniment respec-
tueuses des institutions romaines. Celles-ci restèrent intactes,
après la disparition du gouvernement central impérial, avec,
à côté d'elles, des royautés utilisant souvent des fonctionnaires
romains. Théodoric fait même renaître le Sénat et les consuls.
Il se contente simplement d'ajouter, pour les affaires militaires,
un comte des Goths à côté du comte romain dans chaque cité.
Dans les cours royales de Ravenne ou de Tolède, on imite le
cérémonial byzantin. On y parle latin, les actes officiels repro-
duisent les formules romaines, et même si les monnaies wisi-
gothiques ou franques portent l’image du roi, elles sont
frappées avec le poids, le titre et les inscriptions de l’Empire.
En Gaule, le souverain franc est successeur direct du fisc Fisc: ce terme désigne les terres
romain, devenu le fisc royal. Il est maître des domaines impé- de l'État et les revenus de
l'impôt.
riaux et des terres incultes.
PARTIE 1 & Le Haut Moyen Âge occidental (410-1050)

Les véritables nouveautés institutionnelles se trouvent au niveau


du choix du roi. En Espagne, les Wisigoths ne surent jamais,
comme mode de succession, choisir entre l’hérédité et l'élection.
Leurs princes essayèrent alors de consolider leur pouvoir en
s'appuyant sur les conciles qu’ils réunissaient à Tolède et qui
les soutenaient dans les grands procès et les décisions législa-
tives contre les ambitions de la noblesse. En Gaule, si l’hérédité
dans la famille issue de Mérovée (d’où le nom de Mérovingiens)
fut rarement mise en question, en revanche une pratique ger-
mani ’implanta: le È ume entre les fils du roi.
organe du bien public,
recule ici devant la pratique germanique du partage entre les
enfants du roi, quelle que soit la mère. Cette succession matri-
linéaire devint une coutume qui dura jusqu'au 1x° siècle. Les
rois germaniques sont, en tant que chefs militaires, dotés du
pouvoir d’ordonner et de contraindre (droit de ban), parce qu’il
émane d'eux une puissance de protection dont l'esprit est encore
Munp: mot germanique païen: le mund. Tout tourne donc autour d'eux, à commencer
désignant la capacité de proté- par leur « palais » peuplé de membres de l'aristocratie et de ser-
ger les faibles, les enfants et les viteurs que l'on peut appeler fonctionnaires, bien que leurs
femmes. À ne pas confondre
avec le heil, force divine qui
emplois soient à la fois domestiques et publics.
rend tabou. C'est au niveau local que la permanence romaine réapparaît.
Un fonctionnaire récemment créé au Bas-Empire, le comte de
la cité, détient tous les pouvoirs royaux. Il préside le tribunal
des hommes libres (le mallus), dirige et lève l’armée, recueille
les impôts, etc. Au vi‘ siècle, le système fiscal romain fonc-
tionne encore à peu près normalement en Espagne, en Gaule
et en Italie. Les impôts indirects, en particulier les taxes sur
ToNLiEU: droit de douane payé les transports et les objets importés aux lieux de passage (ton-
au passage d'un pont, d'un lieux, péages, etc.}, tendent à représenter la source essentielle
fleuve, d'une porte, etc.
des revenus royaux.

En général, les principales fonctions « publiques » sont aux


mains des hautes classes des sociétés romano-germaniques.
L'aristocratie sénatoriale romaine, qui groupait à la fin de
l’Empire trois à quatre mille personnes, demeure influente
jusqu'au vi siècle. Sa richesse, qu’elle doit à ses grands
domaines, et sa culture lui permettent de monopoliser souvent
les charges de comte et presque toutes les fonctions épisco-
pales. Elle ne tarde pas d’ailleurs à prendre contact, dans les
cours royales, avec l'aristocratie germanique, d’origine guer-
rière, à laquelle elle se mêle lentement au cours des vi et
vu: siècles, en particulier en Gaule et en Espagne, maïs pas en
Lombardie. Le changement des noms témoigne de cette fusion.
Peu à peu, le système des trois noms romains disparaît et le
nom unique romain s’efface lui-même devant la mode des
noms germaniques. À partir de 700, on ne peut plus déceler
l’origine ethnique des membres de l'aristocratie. En revanche,
en Angleterre, l'aristocratie germanique subsiste à l’état ori-
ginel. Le roi n’est ici que le chef d’une bande de guerriers
professionnels, les thanes. Jeunes, ils s’entraînent auprès de lui.
Vieux, ils forment une assemblée de sages, le witenagemot, dont
Permanence romaine et changements chrétiens (U° et vi° siècles)

l'accord lui est souvent indispensable. Mais, là aussi, comme


sur le continent, une aristocratie foncière, les ceorls, apparaît.

Nobles romains et germains possèdent sur leurs terres un


certain nombre d'esclaves. Malgré les invasions, l'esclavage
continue d’être pratiqué. L'origine en est la guerre et le com-
merce; les nombreuses campagnes franques en territoire
romain Où germanique alimentèrent en main-d'œuvre domes-
tique ou rurale les propriétaires, grands ou petits. Mais
l'esclavage des royaumes barbares tend déjà à se distinguer de
celui de l'Antiquité. Peu à peu, les conditions économiques se
différencient des conditions juridiques. Certains esclaves
étaient depuis longtemps attachés à un lot de terre. Leur condi-
tion se rapproche alors de celle des paysans libres romains,
appelés colons, qui ont donné leurs terres à un grand proprié-
taire; celui-ci doit les protéger et, en échange, ils sont fixés
héréditairement sur leurs anciennes possessions. Ainsi, une
servitude juridique coexiste avec une liberté juridique: toutes
deux sont liées par un même attachement à la terre. Esclaves
et colons se trouvent soumis à une même condition écono-
mique. Tout cela n'empêche pas les paysans libres d’être très
nombreux. Ces petits propriétaires apparaissent au hasard
d’une documentation éparse, mais jouent probablement un
rôle économique important.

L'essentiel des ressources économiques vient de la terre et c'est


pourquoi les Barbares cherchèrent à s’en emparer. Leur instal-
lation n’abolit pas cependant le système agraire romain. Tout
au plus, donnèrent-ils leurs noms à certains lieux et la topony- ToPoNYMIE : science des noms
mie en garde quelques traces en Lombardie, ou bien en de lieu. Le nom d'un village où
d'un lieu-dit peut révéler son
Aquitaine avec les noms de lieux terminés par « ens », en origine historique.
Bourgogne par « ans », en Lorraine par « ange ». Sur les côtes
du Boulonnais, les Saxons ont crée des installations agricoles
dont le nom se termine en « thun ». Ils adoptèrent le système
romain du grand domaine, la villa. Il s'agit, en général, d’une Vicra: terme qui désigne
superficie moyenne de deux mille à quatre mille hectares divi- d'abord un domaine, puis un
ensemble d'habitations, le
sée en deux parties: l’ager et le saltus. L'ager est constitué par
village qui exploite le terroir.
la terre cultivée, avec les bâtiments d'exploitation, la résidence
du maître, les cabanes des esclaves ou des paysans. Cette clai-
rière de culture qui rassemble terres de labour, prés et vignes,
est entourée par le saltus, terres non cultivées, mais utilisées
abondamment pour les ressources en produits de cueillette,
gibier, poisson et bois. Il est fort probable que ces terres incultes
ont parfois été défrichées, mais rares sont les textes qui le signa-
lent. Finalement, terres incultes et bois forment la majeure
partie du paysage.
À côté du grand domaine souvent morcelé par les héritages, Manse: unité d'exploitation
des familles de paysans libres cultivent des petites surfaces de familiale réunissant autour de
l'habitation et de ses dépen-
terre de 5 à 30 hectares parfois appelées manses. En cas dances la quantité de terre culti-
d'insécurité, on les voit se grouper sur des plateaux facilement vable par une famille. Voir aussi
fortifiables ou dans des bourgades routières appelées vici (vicus p. 74,
PARTIE 1 Le Haut Moyen Âge occidental (410-1050)

local,
au singulier). Dans ces bourgs se maintient un commerce
concrétisé souvent par la présence d’un atelier monétaire.
les
De ces bourgs routiers, il est possible d'accéder aux villes par
routes romaines qui continuent d’être fréquentées. Sauf en
, les villes demeure nt.
Grande-Bretagne, où elles ont disparu
Certes, leur surface est désormais réduite aux enceintes étroites
de la fin du ur siècle, ou à celles de Justinien en Italie et en
Afrique; mais, ainsi rétrécies, elles n’en restent pas moins le
centre d’un type de vie sinon administratif, du moins com-
mercial et, surtout, nous le verrons plus loin, religieux. À côté
=. L du castrum (entre 6 et 30 ha), entouré de murs, il y a souvent
Mac à des faubourgs (suburbia) où l’on note la présence de commer-
Ç PP. 342, A. çants grecs, syriens ou juifs. Ces derniers continuent le grand
commerce du temps de l’Empire et maintiennent très nette-
ment des structures d'échange, au vi‘siècle en particulier. On
retrouve leurs traces jusqu’à la fin du vu‘ siècle. Le papyrus
d'Égypte arrive à Marseille, le blé d'Afrique et de Sicile à Ostie,
l'huile d'olive d'Espagne est vendue jusqu’au Nord de la Gaule,
les épices d’Inde et de Chine sont débarquées à Narbonne. Les
soieries de Constantinople sont achetées par les marchands de
Ravenne. En échange, par Verdun, arrivent les esclaves saxons
qui sont envoyés vers l'Espagne ou l'Orient ; des Pyrénées sont
expédiés en Gaule et jusqu’à Constantinople les marbres sculp-
Narron: produit chimique tés; la verrerie de Cologne, grâce au natron méditerranéen, se
permettant la fusion des répand en Gaule et en Angleterre. Le tour de l'Espagne permet
cristaux. les relations avec l'Irlande. L'Afrique du Nord commerce avec
les côtes espagnoles.
L'étude des monnaies et de leur circulation révèle l'importance
de ce commerce méditerranéen à partir des centres que sont
Ravenne, Marseille et Barcelone. Les imitations barbares du
Nomisma: sou d'or frappé à nomisma byzantin, en particulier à Marseille et à Chalon-
Constantinople ou imité par sur-Saône, prouvent que cette monnaie internationale joue le
les cours barbares. || pèse en
rôle d’une espèce de dollar. Jusqu'en 570-575, tous les pays de
général de 3,89 g à 4,55 g,.
l'Occident barbare sont en relation avec la Méditerranée orien-
tale. Puis la monnaie est exclusivement frappée en or et les
relations par les cols alpestres sont coupées jusqu'au var siècle.
Les sous d'or francs sont abandonnés pour le tiers de sou
(tremissis), lequel disparaît en Provence vers 700. Ce déclin
progressif montre donc la longue résistance des structures
économiques antiques centrées sur la Méditerranée.

II. Le rôle de l’Église


n l'évêque!
La permanence romaine qui caractérise ce monde est renforcée
par le changement qu'y opère l’Église. Héritière de la Romanité,
elle la continue au niveau de la civilisation, en choisissant ce
qui est nécessaire à sa croissance, et étend son influence en
convertissant les peuples païens. L'Église se trouve partout:
après avoir aidé et soutenu les populations au cours des inva-
sions, les évêques deviennent, dans leurs diocèses qui
Permanence romaine et changements chrétiens (vi° et vif siècles)

perpétuent le cadre de la cité romaine, les véritables chefs, non


seulement spirituels, mais aussi temporels. Ces anciens séna-
teurs, par leurs dons à l’église cathédrale, augmentent la fortune
foncière ecclésiastique. Grâce à ces revenus, ils deviennent les
seuls bâtisseurs dans les villes où ils perpétuent les traditions
artistiques et architecturales romaines. Les rois les suivent dans
ces initiatives, tel Clovis faisant bâtir Saint-Pierre- et Saint-Paul
à Paris (Sainte-Geneviève aujourd’hui disparue, près du
Panthéon). Dans ces nouvelles basiliques urbaines ou sub-
urbaines, accourent des foules de pèlerins venus vénérer les
reliques des saints qui s’y trouvent conservées. Peu à peu, la RELIQUES : corps où partie de
ville a comme fonction essentielle d’être un centre de vie reli- corps d'un saint, parfois même
gieuse. Entourée de cimetières et de nécropoles, elle possède étoffe ou objet l'ayant touché,
vénéré par les fidèles et imploré
de nombreux sanctuaires ; chaque évêché a un groupe cathédral pour ses vertus, ses possiblités
d'au moins trois églises dont un baptistère. Chaque bâtiment de miracles et de guérison.
est souvent précédé d'un atrium (portique à colonnes entourant
une cour) où tout criminel peut se réfugier pour y jouir du droit
d'asile. L'évêque encourage l’affranchissement des esclaves,
surtout le rachat des captifs de guerre. Il entretient un certain
nombre de pauvres, appelés marguilliers et immatriculés sur MATRICULE : liste des pauvres
une liste. Enfin, il fait créer, dans les vici et les oratoires privés entretenus par une église où un
monastère.
des grands domaines, des paroisses rurales. Son influence est
telle que les rois préfèrent rechercher l'appui du corps épiscopal
réuni en conciles comme en Espagne et en Gaule; ils nomment
tous les évêques élus par leurs collègues de la même province
qui deviennent alors de véritables fonctionnaires dont la fidé-
lité est essentielle pour les monarchies.

# cul
La ture:
Religion mise par écrit dans les Évangiles, le catholicisme ne
pouvait pas, non plus, se désintéresser de la culture intellec-
tuelle romaine. L'école antique se perpétua encore au v* siècle,
puis disparut. La culture devint le privilège des grandes familles
aristocratiques; elle fut reprise en main par l'Église pour en
extirper le paganisme. Le concile de Vaison, en 529, décida la
création, dans le royaume des Francs, d'écoles épiscopales, des-
tinées à l'éducation du clergé. Deux laïcs italiens, Boèce et
Cassiodore, entreprirent, au vi siècle, de sauver les lettres
romaines. Boèce fut le dernier à traduire des ouvrages philoso-
phiques du grec en latin. Il écrivit, dans la prison où l'avait jeté
Théodoric, la célèbre Consolation de Philosophie. Cassiodore, Trivium: premier cycle d'études,
ancien fonctionnaire du royaume ostrogothique, essaya, une comprenant grammaire, rhéto-
rique et dialectique (c'est-à-dire
fois devenu moine à Vivarium en Italie du Sud, de structurer art du discours et art d'opposer
toute l'éducation latine en deux cycles: le trivium et le des arguments).
quadrivium. Cette classification subsista pendant tout le Moyen Quanrivium: second cycle
Âge, mais, inversement, sa tentative d'Université chrétienne d'études comprenant arithmé-
échoua. La meilleure synthèse de la culture romaine fut écrite tique, géométrie, astronomie et
musique.
par Isidore de Séville. Terminées par ses disciples après sa mort,
en 636, les Étymologies furent l'encyclopédie de base du savoir LES SEPT ARTS LIBÉRAUX: ils se
composent du trivium
médiéval. Après l'exposition des sept arts libéraux, Isidore
(grammaire, rhétorique et dia-
expliquait les rudiments de la médecine, du droit et de la chro- lectique) et du quadrivium
nologie, l'interprétation de la Bible, le droit canon et la liturgie. (arithmétique, géométrie
Puis il arrivait à la partie centrale de son exposé: Dieu et ses astronomie et musique).
PARTIE 1 # Le Haut Moyen Âge occidental (410-1050)

l’homme
ED L liens avec l’homme, pour terminer sur les relations de
humain e, le monde animal et la matière.
oit canon, avec l'État, l'anatomie
vieux matéri aux antique s, Isidore fit une nouvel le
pr2ise Avec les
construction intellectuelle entièrement chréti enne.
ent.
Certes, à cette époque, il n’est pas le seul auteur de l'Occid
écrivit l'Histo ire des
Mais Grégoire de Tours (mort en 594), qui
le Grand (590-60 4) dont il reste
Francs, ou le pape Grégoire
Job, le
848 lettres, 22 homélies sur Ézéchiel, les Moralia in
l et les Dialogu es, ne peuven t rivalise r avec l'ample ur
Pastora
des connaissances et la profondeur des vues de l'évêqu e de
Séville. En revanche, ils sont direct ement respons ables de la
vogue des vies de saints. Cette littéra ture hagiog raphiq ue joue
HaGioGRAPHIE : genre littéraire;
vies de saints écrites pour l'édi- un très grand rôle dans la mentalité populaire et représente,
fication des clercs et du peuple aux mains des moines, un instrument idéal d'évangélisation.
auxquels elles sont lues.

Au fur et à mesure que le clergé tombait sous l'autorité des


rois germaniques, les éléments les plus dynamiques de l'Église
se trouvèrent, en effet, dans l’ordre monastique. Un premier
mouvement, venu d'Égypte, avait implanté des monastères
dans tout l'Occident romain au 1v° siècle. Le principal repré-
sentant en Gaule avait été saint Martin [mort en 397). Fondé
ÉRÉMITISME :recherche de Dieu sur l’ascétisme individuel et l'érémitisme, cet idéal se répandit
dans la solitude. partout et aboutit, en particulier, à la conversion de l'Irlande
par saint Patrick (mort en 461). Une Église nouvelle s'y créa,
constituée de monastères presque uniquement. Les écoles de
ces monastères adoptèrent le latin et la nouvelle culture chré-
tienne qui s'élaborait sur le continent. L'île devint rapidement
un foyer de rayonnement missionnaire : en 590, saint Colomban
débarqua en Gaule, ré-évangélisa le nord de la Gaule et fonda
de nouveaux monastères comme Luxeuil, Saint-Gall et Bobbio.
p.37. Face à ces moines individualistes et dynamiques, d’autres bien-
tôt apparurent. Le Romain saint Benoît, avec sa règle de vie
commune écrite entre 530 et 556, a fondé un monachisme aux
institutions souples, mais régulières. Les moines bénédictins
apportèrent à l’Europe chrétienne un sens de l'organisation;
leurs contacts permanents avec le monde rural grâce au travail
des champs les mit de plain-pied avec la mentalité médiévale;
la beauté de la liturgie romaine créa une atmosphère presti-
gieuse autour du service divin; enfin, leur travail intellectuel
Scrirorium: atelier de copie de entretint dans les scriptoria et les écoles de chaque monastère
manuscrits. la nouvelle culture et la développa. La règle bénédictine se
répandit en Europe à partir de 630-650.

Rome devient alors, sous l'influence de Grégoire le Grand, le


premier pape moine, un foyer de rayonnement missionnaire.
Ne pas confondre Ce pape envoya en 597 Augustin avec un groupe de moines
Augustin de Cantorbery, convertir l'Angleterre redevenue totalement païenne. Des mis-
évangélisateur de l'Angleterre sions romaines s’y succédèrent en 601 et 668. Bientôt, malgré
(mort en 605) avec Augustin
des retours en force du paganisme, le Kent se convertit défini-
de Hippône (mort en 430)
et Père de l'Église (cf p. 20). tivement et l'Église métropolitaine d'Angleterre s'installa à
Permanence romaine et changements chrétiens (U et vif siècles)

Canterbury. Les moines irlandais venus par les pays celtiques


du Nord évangélisèrent à leur tour la grande île en s'appuyant
sur les monastères de Lindisfarne et Iona. Les deux mouvements
missionnaires finirent par s’unifier lors du synode de Whitby
en 664. Vers la fin du vr' siècle, l'Angleterre était devenue chré-
tienne. La même rencontre permit la ré-évangélisation du nord
de la Gaule, de la Belgique actuelle, grâce à saint Amand et
saint Éloi. Au début du vu siècle, le christianisme avait de
nouveau atteint le Rhin, tandis que les premières bases d’une
organisation par diocèses étaient posées en Alémanie et en
Bavière, au sud du Danube. En Italie enfin, le dernier bastion
arien ayant disparu, comme nous l'avons vu, la Papauté pouvait
diriger un Occident chrétien qui, non seulement avait atteint
les frontières de l’ancien Empire, mais les avait même dépas-
sées, en particulier en Irlande. Cette autorité des papes sur tous
ces territoires se constate par exemple au fait que, désormais,
tout évêque missionnaire reçoit de Rome le pallium, bande
d’étoffe de laine blanche marquée de croix noires, symbole de
la délégation des pouvoirs spirituels qu’il reçoit. La ville des
empereurs est devenue la ville des papes, parce que c’est là que
se trouvent les reliques de saint Pierre; elle devient ainsi la
capitale d'un monde nouveau, et l’on comprend alors beaucoup
mieux pourquoi les premiers royaumes barbares, aux v° et
vi: siècles, se laissent imprégner par la civilisation romaine et
sont transformés par le christianisme.

LR
aies RTERES EE
ER Expansion et« mission »
7 des moines Irlandais — Pi
0 10 mètres
Expansion de la tradition
monastique romaine

© Angleterre (@) Écosse @ Irlande


Plan du monastère irlandais
de Kildrenagh
Les missions
PARTIE 1 Le Haut Moyen Âge occidental (410-1050)

L'état de la recherche
L'anthropologie
sociaux des groupes tribaux qui
Il y a deux sortes d'anthropologies. L une qui étudie les mécanismes
ignorent l'État, l'autre la structure physi que des êtres humains. Cette dernière sera traitée plus loin
(cf. p. 48).

(5 peuples germaniques et deviennent incestueuses et vêtements que l'on appelle la


slaves qui se sont implantés l’'adultère féminin n'existe pas. morgengabe: le don du matin.
dans l’Empire Romain et en La succession aux biens, et au
pouvoir a lieu entre enfants. Le [© descendance est alors
Europe, du v° au x° siècle, étaient
frère succède au frère décédé. authentifiée comme étant
au stade tribal. Les anthropo-
C'est la succession par tanistry issue de la mère et du père, ce
logues y découvrent les mêmes
mot irlandais qui signifie suc- qui est impossible en système
pratiques que chez les Indiens
cession par le second. Elle est matrilinéaire où seule la mère
d'Amérique ou les Papous de
pratiquée par les Vandales. peut être désignée sûrement.
Nouvelle-Guinée. La conjugalité
Mais elle peut être aussi Les autres épouses sont dites
est une dimension inconnue
simultanée. C'est le partage à friedelehen (gages de paix)
car le groupe familial large ou
égalité, comme chez les fils de chez les Francs ou frilla chez
parentèle est censé descendre
Clovis, ou ceux de Clotaire l*" ou les Vikings, parce qu'elles
d'un même ancêtre, en général
encore chezles Carolingiens. Ce contribuent à consolider la
un dieu comme Wodan pour les
système engendre des guerres paix avec leur parentèle d'ori-
premiers rois Anglo-Saxons ou
civiles inéluctables durant le gine. Certaines sont même
Neptune Quinotaure pour les
Haut Moyen Âge. De plus, à de statut servile. La filiation,
Mérovingiens.
chaque mort d'un frère, l'autre c'est-à-dire, la définition de sa
hérite de la veuve qui épouse propre origine est dite alors
es mariages sur décision unilinéaire, patrilinéaire ou
ainsi son beau-frère. Ainsi fait
des parents ont lieu selon encore agnatique, l'individu
Clotaire I* avec la veuve de
deux modes d'échange entre tirant son nom et ses biens du
Thibaud.
parentèles. On échange deux côté paternel.
hommes qui viennent épou-
ser chacun une femme dans ÉÉ deuxième mode d'échange lus les peuplades germa-
l'autre parentèle. Puisque les par mariage entre paren- niques ou slaves sont frot-
femmes restent dans leur tèles est celui de deux femmes tées de romanité et plus l'on
parentèle d'origine, le système passant chacune dans le clan passe à un troisième système
est dit matrilinéaire. En ce cas, du mari. Le système est alors de parenté. Quelle que soit l'ori-
les enfants appartiennent à dit patrilinéaire. En ce cas les gine de l'épouse ou de l'époux,
la mère qui les dirige. C'est le enfants appartiennent au père. la parenté est bilinéaire. Tout
cas de Clothilde avec ses fils, La résidence du nouveau couple ce qui appartient au père va à
de Brunehaut avec son fils, peut être patrilocale, c'est-à- la fille et tout ce qui appartient
ses petits-fils et ses arrières- dire dans la parentèle du mari à la mère va au fils (bilinéaire
petits-fils. En Irlande, la femme ou matrilocale (parentèle de croisé). Tout ce qui appartient
est polyandre. Elle vit avec l'épouse) s'il y a des survivances au père va au fils et tout ce qui
plusieurs hommes, souvent de régime matrilinéaire. appartient à la mère va à la fille
des frères. Elle désigne comme (bilinéaire parallèle).
père putatif de ses enfants, E° général l'homme est
son propre frère aîné. L'oncle polygame, soit de manière lé résidence du nouveau
maternel est donc le père des successive, soit simultanément. couple est souvent néo-
enfants. Donc neveu et fils Au matin des noces, l'époux locale, c'est-à-dire en dehors
signifient la même chose. Ces donne à celle qu'il a trouvé des deux parentèles. C'est ce
mariages se répètent de géné- vierge, un ensemble de biens système d'égalité des époux
ration en génération, les unions mobiliers: bijoux, revenus, qui fut favorisé par l'Église. Il
Permanence romaine et changements chrétiens (vie-viie siècles)

mena à la famille conjugale. les Lombards et les Burgondes, Romain. Une fois fixées au sol,
Mais c'est une exception euro- les parentèles primitives, dites elles n'en survivent pas moins
péenne.ll existe chezles Francs farae, étaient des groupes pratiquant des mariages endo-
avec de nombreuses pratiques familiaux multiethniques se games jusqu'au sixième degré
matrilinéaires survivantes. Chez déplaçant hors de l'Empire de parenté inclus.

Bibliographie
Rares sont les ouvrages portant uniquement sur les civilisations à l’époque barbare. On
consultera cependant F. Priz, Von Konstantin zu Karl dem Grosse, Dusseldorf, 2000; M. BLocH,
Les Invasions germaniques, la pénétration mutuelle du monde barbare et du monde romain, Paris,
2° éd., 1945; E.-A. Thompson, The Goths in Spain, Oxford, 1969; B. Dumézi, Les Racines chrétiennes
de l'Europe, Paris, 2005.

Pour les Burgondes, ©. Perrin, Les Burgondes, Neuchâtel, 1968. Voir aussi Th. PERRENOT,
La Toponymie burgonde, Paris, 1942. Sur les Francs, les ouvrages abondent; commencer par
l'excellent « Que sais-je? » de G. Fournier, Les Mérovingiens, Paris, 4° éd., 1983, puis E. SALIN,
La Civilisation mérovingienne, 4 vol. Paris, 1950-1960; P. RicHé, Dictionnaire des Francs, 1:
Les Mérovingiens, Paris, 1996; le problème de la frontière linguistique est expliqué par
Ch. VERuINDEN, Les Origines de la frontière linguistique en Belgique et la civilisation franque, Bruxelles,
1955. Pour les peuples anglo-saxons, D.H. WhreLock, The Beginnings ofEnglish Society, Londres,
1966, et D. Wicson, The Anglo-Saxons, Londres, 1971. Pour l'apport de l'archéologie, P. Perin et
L.-C. Ferrer, Les Francs, 2 vol. Paris, 1987.

Les questions sociales et économiques sont étudiées dans deux mises au point anciennes:
R. BourrucHE, Seigneurie et Féodalité, le premier âge des liens d'homme à homme, Paris, 2° éd., 1968,
et R. LaroucE, Les Origines de l'économie occidentale, (i#”-xf siècle), Paris, 2° éd., 1970. R. DorHaëro, Le
Haut Moyen Âge occidental, économies et sociétés, « Nouvelle Clio », Paris, 1971, fournit toute biblio-
graphie nécessaire et approfondie. Sur les questions de peuplement, M. Rosu, Le Terroir de Paris
aux époques gallo-romaine et franque, Paris, 2° éd., 1971 et Le Terroir de l'Oise aux époques gallo-
romaine et franque, Paris, 1978; G. Fournier, Le Peuplement rural en Basse Auvergne, Paris, 2° éd. 2003,
et R. Fossier, La Terre et les Hommes en Picardie, t. 1., Paris, 1969. Les questions urbaines sont à étu-
dier à partir de J. Hurt, « Évolution de la topographie et de l'aspect des villes de Gaule du au
x siècle », dans Settimane di studio del Centro italiano di studi sull'alto Medioevo, t. 6, Spolète, 1959,
p. 529-558 et 591-602, et de E. Ewic, « Résidence et capitale, pendant le Haut Moyen Âge », dans
Revue historique, 1963, p. 25-72; L. Pierr,, La Ville de Tours du 1” au vf siècle, Rome, 1983.

L'Église et la vie culturelle doivent être étudiées dans les grands manuels: collection Fliche et
Martin, t. 4 et 5; J. RicHaros, Consul of God. The Life and Times of Gregory the Great, Londres, 1980;
N. GauTHIER, L'Évangélisation des pays de la Moselle, Paris, 1980; J. Decarreaux, Les Moines et la
Civilisation, t. 1, 1962; « Saint-Géry et l'évangélisation dans le nord de la Gaule », dans Revue du
1987. Les
Nord, 1986: J. HeucLIN, Aux origines monastiques de la Gaule du Nord w-xF siècles, Lille,
dernières synthèses à jour sont celles de J. M. WaLLAcE HADRILL, The Frankish Church, Oxford, 1983
moines,
et J.-M. Maveur, C. er L. Pierri, À. VaucHEz, M. VENARD, Histoire du christianisme, t. IV: Evêques,
vif au
empereurs (610-1054), Paris, 1993; F.Boucaro (dir.), Le Christianisme en Occidentdu début du
Pour la
milieu du xF siècle, Paris, 1997; O. GuiuLor, Saint Martin, l'apôtre des pauvres, Paris, 2008;
l'éducation antique
culture, P. RicHé, Éducation et culture dans l'Occident barbare, Paris, 1962 et De
à l'éducation chevaleresque, Paris, 1968. Les problèmes que pose l'évolution artistique sont bien
1967.
résumés par P. Herr, J. PORCHER et V.-F. VousacH, L'Europe des invasions, Paris,
Crises et mutations
des royaumes barbares (550-750)
essayé de transformer
Du milieu du vé siècle au milieu du vif, les deux grandes forces qui avaient
barbares ne peuvent empêcher la disparitio n des habitudes et
les Germains sont en déclin. Les rois
tandis que la manière de penser des aristocrat ies germaniq ues s'impose.
des institutions romaines,
incapable s de résister aux guerres civiles, éclatent :les particula rismes ethniques qui
Les royaumes,
clergé se barbariser
naissent tendent à les morceler. L'Église, en perdant l'appui des rois, voit son
structures économiq ues et de
et sa richesse être convoitée. De ces crises vont naître de nouvelles
nouvelles puissances politiques.

I. Déclin des royaumes barbares

Les nouveautés introduites par les Barbares dans l'édifice bran-


lant du Bas-Empire romain font, en effet, lentement leur che-
min. Leurs conséquences apparaissent bientôt. Le partage du
royaume chez les Francs entraîne de terribles guerres fratri-
cides: les premières éclatent après les partages de 561.
Interrompues par le traité d'Andelot et illustrées par les démé-
lés de Frédégonde et de Brunehaut, elles ne se terminent qu’en
613, après l’horrible supplice infligé à cette dernière que l'on
attacha à la queue d’un cheval. Le royaume est alors réunifié
par Clotaire IT, qui meurt en 629, et par son fils Dagobert (mort
en 639). Les guerres civiles éclatèrent de nouveau, lors des
partages ultérieurs. Childéric II fut le dernier roi mérovingien
qui tentât cette unification, mais il fut assassiné en 675. De
plus, un nouvel élément était apparu: le maire du palais, admi-
nistrateur des domaines royaux, prit la tête de la noblesse et
tenta de réunifier le royaume, comme Ebroïn, ou de dominer
la personne royale, comme Pépin I“, son fils Grimoald et son
petit-fils Pépin II de Herstal. En 687, à la bataille de Tertry, ce
dernier écrasa ses adversaires et dirigea pratiquement le
royaume des Francs en laissant en place les rois
mérovingiens.
L'Espagne wisigothique connaît, elle aussi, le même type de
guerre civile. L’aristocratie cherche à porter sur le trône son
candidat. L'Église a beau accepter le principe de l'élection et
Oncriow: fait de répandre une renforcer le prestige du souverain par l’onction royale, qui
huile sainte sur le front d'un devient générale à partir de Wamba, en 672, les révoltes
*
n’en
NPA
prince à l'instar de ce que fit ; x FE Pre
Sante) pour David, continuent pas moins. L'influence de l’Église est même réduite
par la royauté qui lui impose une législation antijudaïque. Si
bien qu’en 711, lorsque les Arabes vont débarquer et que
l'Espagne wisigothique est dirigée par un roi, Rodrigue, que
ne reconnaissent pas les fils d’un autre roi, Wittiza, les Juifs
Crises et mutations des royaumes barbares (550-750)

sont prêts à recevoir tout étranger comme un libérateur, et


les esclaves s'enfuient des domaines. Il règne une grande
confusion dans la péninsule.
En Italie, la royauté lombarde se reconstitue en imitant les
usages de Byzance. Mais les rois comme les princes lom-
bards du Centre et du Sud cherchent à faire disparaître toute
dépendance envers l’Empire. La lutte entre les deux adversaires
continue sporadiquement : lentement, le territoire byzantin
d'Italie se réduit, éclate en morceaux épars. Si bien qu’au début
du vint siècle, le pape, qui veut protéger de toute influence
étrangère sa ville de Rome, devenue une capitale religieuse,
cherche à substituer à la protection impériale celle d’un
royaume barbare plus lointain et moins dangereux que celui
des Lombards. En Grande-Bretagne, les Anglo-Saxons tentent,
eux aussi, l'unification. Tour à tour, Kent, Northumbrie et
Mercie parviennent à une éphémère hégémonie sur les autres
royaumes. En pratique, les royaumes anglo-saxons restent
divisés et n’obtiennent de succès qu’en face de l'ennemi com-
mun, les Bretons. Ils les repoussent de l'Est vers l'Ouest et
font éclater leur front en trois principautés: le Strathclyde, le
Pays de Galles et la Cornouaille.

& Échecs extérieurs


Aux divisions et aux crises internes s'ajoutent les défaites à
l'extérieur. Chez les Francs, les échecs de la fin du vi‘ siècle,
face aux Wisigoths, aux Lombards et aux autres peuples ger-
maniques, s’accentuent après la disparition de Dagobert.
Thuringiens, Alamans et Bavarois reprennent leur indépen-
dance. De nouveaux peuples jamais soumis menacent les
frontières: les Frisons sur le Bas-Rhin, les Bretons dans l’an-
cienne Armorique, et surtout les Vascons ou Basques descen-
dus des Pyrénées. En Espagne, les rois wisigoths échouent
régulièrement chaque fois qu’ils veulent contenir les mêmes
incursions basques. Enfin, en Europe orientale apparaissent
de nouveaux envahisseurs, les nomades Avars, qui menacent Avars : peuplade de cavaliers
asiatiques installés dans la
les Bavarois, et les Slaves sédentaires qui s'installent en plaine du Danube au vf siècle;
Bohême et sur la rive droite de l’Elbe. VOD 251etph52.

Dans ce contexte de crise générale, des processus de régiona-


lisation apparaissent. Les luttes entre Francs renforcent l’op-
position entre le royaume de l'Est, l’Austrasie, et le royaume
de l'Ouest, la Neustrie, qui va de la Somme à la Loire, tandis
qu'au sud de ce même fleuve et du plateau de Langres, les
terres de civilisation romaine sont de moins en moins sou-
mises à l'influence franque. L'Aquitaine devient une puissante
principauté dirigée par une dynastie; la Bourgogne se frag-
mente en petites cités, la Provence se détache à son tour du
royaume. En Espagne, la Septimanie (Languedoc méditerra-
Fe mans
eptimanie,
p.23
néen) et la Tarraconnaise cherchent sans relâche à s’ériger en
royaume wisigoth de l'Est. De même, en Italie, le duc de
Bénévent, le duc de Spolète ou le duc de Frioul refusent
constamment d’obéir au roi des Lombards.
PARTIE 1 Le Haut Moyen Âge occidental (410-1050)

Il. Nouvelles solutions

L'émiettement des royaumes, leur régionalisation et l'échec


des moyens politiques inspirés des conceptions romaines pous-
sent ces sociétés nouvelles issues de la fusion à chercher des
solutions neuves. La sécurité, n’est plus assurée par un Etat,
elle est tombée aux mains de l'aristocratie. Celle-ci a consolidé
son pouvoir en utilisant des pratiques communes aux fonds
celtique, romain et germanique.

Pour les Romains, il s’agit d’abord des liens de clientèle appe-


lés patronat ou encore comitatus (compagnonnage) ; le foste-
rage chez les Anglo-Saxons consiste, pour un chef puissant, à
prendre dans sa demeure des jeunes gens qu'il éduque et pro-
tège. Ce sont les « nourris » que l’on trouve aussi bien dans
les cours franques que wisigothiques ou anglo-saxonnes.
Devenus adultes, ces jeunes gens forment un groupe de com-
pagnons d'armes, personnellement dévoués à leur chef, au
point de le suivre dans la mort au combat.

Les antrustions mérovingiens, les thanes anglo-saxons, les


gardingos Wisigoths ou les gasindi lombards forment un groupe
de guerriers domestiques protégés par le chef ou le roi, avec
Fe Wergeld, p. 29. un wergeld plus élevé que celui des hommes libres. Un nom
commun finit par les désigner: vassus, qui donne vassal en
français et qui désigne un jeune homme costaud, par opposi-
tion au senior, le vieux, le patron qui les dirige et qui a fini
par donner en français: seigneur.

L'homme libre qui veut entrer dans ces groupes se place sous
Maigour :du germanique lati- le patronage ou le mainbour d'un puissant, par la cérémonie
nisé mundeburdium (cf. mund, de la recommandation. Il se remet à lui en plaçant ses mains
p. 32). Protection accordée par dans les siennes. Cette recommandation par les mains estun
le chef ou le roi à un homme
libre qui s'est remis à lui. contrat liant deux hommes libres. Le puissant accorde au
nouveau vassal une protection totale qui se concrétise par le
er a] [ee don de vêtements, de nourriture, d'armes et autres cadeaux
ER anation appelés bienfaits. Parfois, l'entretien de ce guerrier domestique
pp. 65 et 72.
est assuré par un don encore plus apprécié, la jouissance des
revenus d’une terre. En échange, le vassal, désormais lié à son
maître par un lien personnel très fort, lui doit une aide mili-
taire totale et complète.

Ainsi, des clientèles domestiques on est passé à la vassalité


et à l'entretien du vassal par le bienfait. Mais ces deux
faits sont rigoureusement différents. Le don que fait le prince,
ou le chef, dépend de sa générosité. Le lien primordial est
un lien personnel, qui crée une véritable « parenté supplé-
mentaire ». Ainsi le besoin de sécurité et de protection
peut être satisfait. Encore faut-il signaler que cette évolution
s'effectue aux dépens des rois dont la souveraineté et la puis-
sance foncière sont fractionnées et disséminées par les dons
qu'ils font aux nobles et aux vassaux pour conserver leur
fidélité.
Crises et mutations des royaumes barbares (550-750)

L'apparition de groupes de puissants dans les royaumes bar- ImMuNITÉ: privilège consistant à
interdire au comte d'entrer sur
bares devint pour l’Église un danger considérable. Elle les terres d'un évêché ou d'une
était désarmée face aux agents royaux dont les excès de pou- abbaye pour y exercer les droits
voir allaient augmentant tandis que la faiblesse royale s’accen- fiscaux. l'évêque ou l'abbé per-
tuait. Le corps épiscopal, surtout dans le royaume mérovingien, cevait ou exerçait lui-même ces
droits, soit à son profit, soit à
chercha dès lors à obtenir des privilèges particuliers pour ses
celui du roi directement.
terres: donation d’un atelier monétaire, exemption d'impôts
et, surtout, immunité. L'Église séculière entra ainsi dans le jeu
politique et son épiscopat perdit rapidement toute influence ORDALIE: épreuve d'origine
paienne du fer rougi à blanc à
religieuse, d'autant plus que les conciles de Gaule cessèrent
laquelle est soumis un accusé
de se réunir à partir de la deuxième moitié du vu‘ siècle. dont on ne peut trancher la
Certains clercs se comportèrent comme des chefs militaires cause. Celui qui triomphe de
ou politiques, d’autres entrèrent dans les liens de vassalité. cette épreuve etn em sort
Certaines pratiques barbares furent même acceptées par indemne est alors considéré
comme sauvé par Dieu: c'est le
l'Église, telle l’ordalie. Ailleurs, en Espagne du Nord par jugement de Dieu (cf p. 119).
exemple, le paganisme renaît.
Partout, un clergé dominé ou laïcisé ne peut empêcher le
développement des superstitions et les excès du culte des
reliques, vénérées parfois comme des talismans, tandis que
triomphe la coutume de se faire enterrer dans l’église et autour
de l’église où se trouve le corps du saint. Les arts et les lettres
sont en régression. Les petits sanctuaires se multiplient;
l’orfèvrerie de type germanique domine de plus en plus. Une
esthétique abstraite insistant sur la couleur et le jeu des
courbes triomphe tant sur les vases sacrés que sur les fibules, FiBULE : agrafe de bronze, de fer,
ou de métal précieux, permet-
les couronnes votives de Guarrazar (Espagne) ou les bijoux de tant d'attacher des vêtements
Monza (Italie). flottants. Elle disparut lors de
Dans ces conditions, le renouveau de l'Église ne pouvait venir l'invention du bouton au
xi° siècle.
que du seul élément resté vivant et dynamique: les moines.
Dans les monastères, en effet, à Bobbio en Italie, à Luxeuil
et Corbie en Gaule, à Ripon et Jarrow en Angleterre, la nou-
velle culture chrétienne prend son essor. Le moine anglais
Bède [673-735] compose des ouvrages scientifiques, gramma-
ticaux ou historiques qui font de lui l’un des plus grands
savants du Haut Moyen Âge. Cette culture, devenue le mono-
pole des clercs, s'inspire d’une nouvelle pédagogie, soucieuse
de l'enfant, et s'exprime dans de nouveaux manuscrits ornés
d'initiales peintes avec entrelacs ou de miniatures délicate-
ment colorées. L'apparition de ces îlots de ferveur religieuse
et de renouveau intellectuel et artistique que sont les monas-
tères annonce que l'Église est peut-être sortie de la période
de crise.

æ Nouvelle économie |
Une même crise frappe aussi les structures économiques aux
vrc et vin: siècles. Si l’agriculture évolue fort peu, l'arrêt des
guerres a pour elle des conséquences néfastes. On constate, en
effet, un ralentissement de la traite des esclaves, accentué par
l'attitude des moines qui encouragent l’affranchissement. Les
grands propriétaires cherchent alors, surtout dans le nord de
la Gaule, à faire travailler les paysans libres sur une partie de
leur domaine, la réserve, en leur imposant des corvées. Les
PARTIE 1 & Le Haut Moyen Âge occidental (410-1050)

grands marchands grecs et syriens disparaissent. Le monnayage


d'or est arrêté même en Espagne après 711, maïs pas en Italie.
Les liens économiques avec l’Empire byzantin se distendent,
tandis que les régions d’ancienne économie méditerranéenne
périclitent. On abandonne les importations de papyrus ou
d'huile, les anciens ateliers de céramique arrêtent leur fabri-
cation. Des villes même disparaissent, comme en Espagne.
Mais, en même temps que meurt l'économie antique, une autre
apparaît. Les Frisons, dès 650, créent une monnaie d'argent:
les sceattas (du mot latin siliquas qui désignait une pièce d’ar-
gent). Sous Childéric IT, vers 670, une nouvelle unité monétaire
est créée:le denier d’argent. Cette pièce, qui pèse environ 1,30
g, devient l’étalon d’un nouveau système monétaire qui repose
sur le monométallisme argent. Son pouvoir d’achat, plus faible
que celui de l’ancienne pièce d’or, permet de généraliser l’éco-
nomie monétaire dans des classes sociales nouvelles. L'étude
des trésors monétaires révèle une nouvelle circulation com-
merciale. La grande voie de transit qui allait des ports de
Provence aux ports du Rhin passe désormais, depuis la mer
Monnaie d'or de Clovis Il Adriatique, par des cols alpestres et rejoint les ports de Frise
On lit à l'avers: CHLODOVEUS et d'Angleterre. Dans le nord de l’Europe, on trouve de moins
REX FR (ancorum) et au revers:
en moins de pièces byzantines, lombardes ou wisigothiques.
(Paris) IUS IN CIVIT (ate). La pièce
porte la signature d'ELIGI (us),
Au début du var siècle, toutes les monnaies découvertes sont
maître des monnaies de Clovis, en argent, et en majeure partie d’origine anglo-saxonne, rhé-
ce quisignifie
:Clovis (11), roi des nane ou frisonne. Le grand courant international va en s’ame-
Francs, dans la Villede Paris, Éloi nuisant, tandis que les courants régionaux à court rayon
(saint). d'action se développent de plus en plus. Une conclusion s’im-
pose: le centre de gravité économique s’est lentement déplacé
du Midi méditerranéen vers le Nord européen. Face au Midi
ruiné, se dresse un espace nordique prospère avec de nouveaux
ports comme Quentovic à l'embouchure de la Canche et
Duurstede sur le Lek (vieux Rhin} que fréquentent marchands
anglo-saxons et frisons. La Meuse, le long de laquelle, de
Verdun à Liège, apparaissent des bourgs actifs, devient l'axe
économique européen.

m Les nouveaux puissants


Les trois crises, politique, religieuse et intellectuelle — sans
parler de la crise économique — ont mis en évidence trois fac-
teurs nouveaux: la puissance des grandes familles nobles entou-
rées de guerriers domestiques, le renouveau monastique et la
pré-renaissance intellectuelle et artistique, et le nouvel espace
économique centré sur la mer du Nord. Ces trois forces neuves
posent, durant la première moitié du vin siècle, les bases de
ce qui va devenir le système carolingien. En effet, le berceau
de la famille austrasienne des Pippinides se trouve situé le long
du nouvel axe économique, la Meuse. Plus de quatre-vingt-dix
grands domaines agricoles leur appartenant ont été recensés
de part et d'autre du fleuve dans la partie wallonne de la
Belgique actuelle. Les principaux sont Herstal, Jupille, les
AUSTRASIE: royaume de l'Est, Estinnes, etc. Rien n'indique d’ailleurs qu'il se soit agi là de
ancien royaume rhénan des toutes leurs possessions. Ce n’en était probablement qu'une
Francs dits Ripuaires. La capitale partie. Maître d’un capital foncier et financier aussi important,
est Metz. Pépin de Herstal, maire du palais d'Austrasie depuis 679 et
Crises et mutations des royaumes barbares (550-750)

maître de la Neustrie depuis 687, prend le titre de prince des NEUSTRIE: nouveau royaume
Francs et tente de redonner au royaume ses anciennes fron- salien, conquis par Clovis. La
tières. Pratiquement, il ne peut que refouler les Frisons vers capitale sstPars
le Nord en prenant Utrecht. Ailleurs, en particulier au sud de
la Loire et en Bourgogne, son autorité est nulle. En 714, sa
mort provoque une crise résolue par son énergique bâtard,
Charles, dont le surnom de Martel exprime bien comment il
sut « marteler » les révoltés neustriens et supprimer l’indé-
pendance des Frisons et des Alamans, tout comme celle des
Bourguignons et des Provençaux. Cependant les autonomismes
régionaux furent durables.
De tels progrès étaient déjà symptomatiques de la puissance
de la nouvelle dynastie qui dirigeait les Francs malgré son
manque de légitimité. En 741, Pépin le Bref succède à Charles
Martel et s'engage à son tour dans des combats continuels
contre les Saxons sur la rive droite du Rhin ou contre les
Bavarois. Pour pouvoir mieux dominer les princes locaux
révoltés, il décide, en 750, de faire appel au pape Zacharie pour
lui demander qui doit être roi: celui qui possède le pouvoir
ou celui qui ne la point ? Le pape ayant déclaré que c'était le
premier, Pépin se fit acclamer roi par les grands à Soissons.
En 754, le pape Étienne II, venu en Gaule pour lui demander ; b.
son appui contre les Lombards, le sacra roi à Saint-Denis, ainsi de » Sacre:
que ses deux fils et sa femme. Une nouvelle dynastie appa- onction, p.40.
raissait, tandis que le dernier Mérovingien, Childéric IT, était
tondu et enfermé dans un monastère. À la race au sang sacré
succède la race sacrée par l’onction. Le charisme païen du sang
s’efface devant le charisme de la grâce divine. Ce ne sont plus
les grands qui font les rois, mais Dieu. Une nouvelle légitimité
naissaïit.

É:
La montée sur le trône de la dynastie carolingienne était due
à deux facteurs qui aurai se contrarier:

Charles Martel et Pépin, afin d'augmenter le nombre


leurs vassaux sans voir diminuer leur fortune personnelle
comme cela était arrivé aux Mérovingiens, nommèrent des
abbés ou des évêques laïcs pour jouir des revenus des terres
ecclésiastiques ou bien encore accordèrent directement ou
indirectement à leurs fidèles, en bienfait, la jouissance de terres
d'Église. Les troupes de guerriers ainsi rémunérés par les princes
austrasiens furent donc sans commune mesure avec celles
ces
qu'avaient pu aligner leurs adversaires. En même temps,
princes surent ne pas s’aliéner l'Église en encourag eant renou-
veau et réforme. Dès 690, Pépin de Herstal prend sous sa pro-
Ie
tection militaire le missionnaire anglo-saxon Willibrord et
à partir de la ville d'Utrecht .
charge d’évangéliser les Frisons
anglo-
Charles Martel suit les conseils d’un autre missionnaire
saxon, Winfrid, plus connu sous son nom de baptême Boniface,
isme
martyrisé en Frise en 754. Il protège l'avancée du christian
telle manière que
en Hesse, en Thuringe et en Bavière de
PARTIE 1 & Le Haut Moyen Âge occidental (410-1050)

l’évangélisation, qui, jusqu'alors, avait été l'œuvre d'hommes


isolés, mais libres de toute influence politique, devient une
véritable entreprise publique, assimilant baptême et conquête
franque. Non contents de surveiller ainsi l'élément le plus
vivant de l'Église, les nouveaux maîtres encouragèrent la réu-
nion des conciles — disparus depuis soixante ans — pour assurer
une meilleure discipline ecclésiastique, préparer une réforme
liturgique et surtout, en 743-744, régler le problème des confis-
cations des terres d'Église. Il fut convenu que, pour aider
l'armée, ces biens accordés à un fidèle par le prince resteraient
au bénéficiaire à condition que ce dernier reconnaisse les titres
de propriété de l’Église par le versement d'un cens. C'est ce
PRécaIRE : bien d'Église repris qu’on appela la précaire sur demande du roi (precaria verbo
par le roi et accordé temporai- regis). Ainsi, lorsque Pépin le Bref devient roi, il est maître
rement à un laïc qui en reçoit
des deux grandes forces de l’époque: l'aristocratie et l'Église.
l'usufruit.
Cette dernière, surtout, ne le menace plus sur le plan
économique et lui est même redevable, dans le domaine de la
foi, de son renouveau.

& Faiblesse des autres royaumes barbares


Les premiers Carolingiens apparurent comme les seuls capables
de restaurer l’ordre en Europe méridionale. En effet, autant
l'Empire byzantin était présent en Méditerranée occidentale
au vr° siècle, autant, depuis l’arrivée au pouvoir d'empereurs
grecs, il en est absent aux vi et vu siècles. Son autorité n’est
plus sensible que dans le sud de l’Italie et sur la rive nord de
l'Adriatique. Une nouvelle grande puissance vient d'apparaître:
l'Islam, qui, après lui avoir arraché la moitié de ses territoires
orientaux, attaque Constantinople, s'empare définitivement
de l'Afrique du Nord, en prenant Carthage en 702. Puis, ne
rencontrant aucune résistance dans le domaine hispano-
wisigoth, les Arabes écrasent le roi Rodrigue sur le rio
Guadalete en 711. En 718, ils occupent Narbonne, mais, en
721, connaissent un grave échec face à Eudes, duc d'Aquitaine,
près de Toulouse. Ils se déplacent alors vers la vallée du Rhône
et pillent Autun en 725. En 732, après avoir ravagé l’Aquitaine,
ils rencontrent Charles Martel à Poitiers et subissent leur deu-
xième défaite. Cependant il fallut attendre une grave crise
intérieure dans l'Espagne musulmane pour que Pépin le Bref
puisse réoccuper Narbonne en 752-759, au moment où l’émir
Abd-Er-Rhâman fondait avec peine, en 756, l’'émirat de Cordoue.
Antérieurement, en 722, des Hispano-Wisigoths sous la direc-
tion de Pélage, profitant de la victoire de Toulouse, avaient
écrasé une autre armée musulmane à Covadonga. Ce fut le
début du royaume chrétien des Asturies. Le principal résultat
de l’irruption de l'Islam dans l’Europe méridionale fut de rame-
ner la maîtrise byzantine des mers à la partie adriatique et
sud-tyrrhénienne de la Méditerranée centrale, tandis que le
seul adversaire qui avait su lui résister, le royaume des Francs,
en tirait un surcroît de prestige. Désormais, en effet, la pénin-
sule était au pouvoir des Musulmans, et le petit royaume
chrétien d'Alphonse I‘ (739-757) se montrait incapable, à lui
seul, de reconquérir l’ancien royaume wisigoth.
Crises et mutations des royaumes barbares (550-750)

L'appel aux Francs s'était produit en Espagne, mais aussi en L


Italie. En effet, le royaume des Lombards se renforce sous la LE
direction de Liutprand (712-744) qui parvient à expulser les " ?. 345, C.
Byzantins de tous les territoires de l'Italie du Nord, sauf de la
côte nord de l’Adriatique. Il veut ensuite occuper Rome où le
pape, désormais sans soutien militaire, sans lien important
avec l'Orient, devenu même hérétique après l'adoption de l'ico- ICONOCLASME: positions refu-
noclasme par l’empereur, est conduit à rechercher de nouveaux sées par Rome des empereurs
byzantins hostiles à la vénéra-
appuis. Dès 739, Grégoire II avait appelé Charles Martel, mais tion des icônes, peintures repré-
en vain. Lorsque Étienne II vint demander à Pépin une aide sentant la Vierge ou les saints.
contre les Lombards, en 754, en lui accordant la fonction de
patrice des Romains, le roi des Francs hésita. L'Italie lombarde PATRICE :Voir p. 21. La dignité est
était devenue une grande puissance économique. Les produits devenue une fonction au
ve siècle, celle de l'exarque de
de luxe orientaux qu’elle importait alimentaient, par les cols Ravenne,
des Alpes, toute l'Europe du Nord-Ouest. Sur le plan artistique
et intellectuel, un renouveau très net s'était produit, comme
en témoignent les fresques de Castelseprio, les sculptures du
tempietto de Cividale ou l'apparition de lettrés laïcs issus des
écoles monastiques. L'armée était désormais constituée par
tous les hommes libres, y compris les marchands des villes.
Lutter contre un tel royaume impliquait chez les Francs un
changement fondamental de politique et le passage d’une
vision nordique et franque à une conception européenne,
multinationale et déjà quasi impériale.
Au milieu du vur siècle, là où s'étaient succédé huit royaumes
barbares, il n’en reste plus que deux qui soient vraiment impor-
tants. On peut négliger, en effet, l'influence des royaumes
anglo-saxons qui ne sont toujours pas unifiés et qui, s'ils sont
bien reliés au continent, ne l’influencent que dans les domaines
religieux et intellectuel. De même, le royaume des Asturies
n’est qu'un résidu de l'Espagne wisigothique. Francs et
Lombards sont les seuls à être sortis indemnes - et même
renforcés - des crises et des mutations du vu‘ siècle. Mais les
premiers, maîtres du nouvel espace économique nordique,
amis et protecteurs de l'Église, forts d’une nouvelle légitimité,
adversaires résolus de tout pouvoir régional et de toute puis-
sance religieuse hérétique ou étrangère comme Byzance ou
l'Islam, ne peuvent qu'être poussés à l'hégémonie par la
papauté. Ainsi s'explique le renversement d’attitude du Barbare
germanique. En 410, il pillait une Rome en grande partie
païenne; trois siècles plus tard, il va devenir le sauveur de la
Rome chrétienne, parce qu’entre-temps l’ancien Empire romain
d'Occident s’est radicalement transformé, dans ses structures
et dans sa pensée.
PARTIE 1 Le Haut Moyen Âge occidental (410-1050)

L'état de la recherche
L’archéologie des cimetières
nom-
Les fouilles archéologiques des nécropoles datables du vf au vif siècle sont particulièrement
permis d'obtenir de nouvelles connaissan ces sur cette époque.
breuses en France. Elles ont
L'archéologie devient ici une source primaire au même titre que les documents écrits, qui prennent
alors un nouvel éclairage par comparaison avec elle. Les cimetières nous renseignent alors sur les
comportements sociaux, les croyances religieuses, la démographie et l'anthropologie.

DE l'Empire romain, centrale en fer, un scramasaxe, Il faut pour qu'elle soit prouvée
comme dans les royaumes sabre court à un seul tran- qu'il n'y ait plus de mobilier, de
barbares, les morts sont tou- chant. Enfin n'oublions pas les bol pour offrande alimentaire,
jours séparés des vivants. Les fibules, les plaques de ceintu- et d'obole à Charon (pièce de
villes ont des nécropoles en ron en bronze ou en fer niellé monnaie dans la bouche).
dehors de l'enceinte, disper- d'argent, et le baudrier en
sées le long des routes. Paris travers de la poitrine, insigne k e passage au christianisme
en compte ainsi une dizaine. d'une fonction administra- n'est vraiment attesté en
En général les tombes des tive. N'oublions pas non plus Gaule franque qu'à la fin du
premiers évêques ou plus d'autres objets de valeur: vase ui siècle avec inhumation du
rarement des martyrs (comme à carène, bassin de bronze, corps dans un linceul et des
saint Denis) deviennent l'objet corne à boire en verre, ou agrafes à double crochet. Ce
d'un culte avec l'édification de encore bague sigillaire révé- qui signifie que l'éternité n'est
basiliques suburbaines autour lant le nom et donc l'identité plus considérée comme la
desquelles apparaissent par- du mort, une monnaie dans la continuation de la vie anté-
fois des faubourgs. Dans les bouche permettant de dater rieure mais comme une autre
campagnes, les cimetières sont l'ensevelissement. Les femmes vie. D'ailleurs à ce moment les
toujours situés en bordure du quant à elles portent souvent nécropoles quittent la bordure
terroir villageois. Les fouilles des bijoux de grande qualité, du terroir pour se rassembler
de chaque tombe nécessitent des aumônières et des clefs. autour et dans l'Église parois-
un travail minutieux d'iden- Toutes ces tombes privilégiées siale, preuve que la mort a été
tification et de datation des permettent d'apercevoir une apprivoisée et que la société
restes. En général les tombes élite sociale d'origine franque chrétienne des vivants et des
de ces cimetières à rangées ou germanique au milieu morts ne fait plus qu'une.
t
sont disposées, le mort regar- d'autres tombes sans mobilier
dant d'abord vers le Nord, important. uand une nécropole
puis ensuite vers l'Est. Dans peut être fouillée d'une
les parties les plus anciennes (& es cimetières permettent manière exhaustive, l'étude des
(v£ siècle) les hommes sont aussi de connaître les squelettes peut aboutir à des
souvent enterrés avec de très croyances religieuses des résultats statistiques. L'analyse
riches armes, certaines avec populations. Les plus primi- de l'épaisseur du rochet, des
des poignées de métal ciselé tives pratiquent l'incinération : sutures métopiques du crâne,
serties de bijoux. Chez les à la suite d'un grand bûcher de la largeur du bassin permet
guerriers francs, l'armement les os calcinés, les fragments de distinguer le sexe, l'âge de
comporte une épée longue d'armes tordus et les fibules la mort, la taille des individus
avec un fourreau de bois plus ou moins fondues sont et les maladies osseuses dont
terminé par une bouterolle disposées dans une urne. ils ont souffert.
gravée, une francisque, hache C'est le cas des plus anciens
de jet au tranchant courbe, un cimetières anglo-saxons en insi peuvent être dressés
angon (lance à crochets) des Angleterre. Le passage à l'in- des tableaux de paléo-
lances de divers types, un bou- humation n'est pas une preuve démographie et de paléo-
clier de bois, avec une bosse de conversion au christianisme. pathologie pour un même
Permanence romaine et chnagements chrétiens (° et if siècles)

village. Les taux de mortalité brachycéphales dits « néoli- lieu au début du vn° siècle.
et de natalité naturels révè- thiques graciles » d'un mètre Enfin, l'existence de déforma-
lent une pyramide des âges soixante environ, des groupes tions crâniennes volontaires
large à la base, étroite au familiaux dolichocéphales d'un par bandage du crâne des
sommet avec forte mortalité mètre quatre-vingt environ. bébés prouve que dans cer-
infantile, 50% des squelettes Deux cents ans plus tard, dans tains cimetières burgondes,
ayant moins de vingt ans, les la même nécropole tous les par la présence isolée de tels
plus âgés pouvant atteindre squelettes sont mésocéphales crânes, il existait des influences
soixante ans. Dans certains avec une taille moyenne d'un venues d'Asie Centrale encore
cimetières du nord de la Gaule mètre soixante-dix. La fusion aux VE-VIf siècles.
il est possible d'observer à côté des nouveaux venus avec les
d'une majorité de squelettes autochtones a donc bien eu

Bibliographie
Aux ouvrages anciens et récents déjà cités dans les chapitres précédents et qui concernent
le sujet traité ici, il faut ajouter, pour les nouveaux aspects du vif siècle, F.-L. GanNSHor, Qu'est-ce
que la féodalité?, Paris, 1962, et Ph. Conramine, L'Économie médiévale, Paris, 1993, pp. 10-139.
Ces deux ouvrages sont indispensables pour le Moyen Âge, ainsi que G. Fournier, L'Occident
fin du -fin du siècle, Paris, 1970; M. RouckE, Les Racines de l’Europe, Paris, 2003 ;B. Dumézu, La
reine Brunehaut, Paris, 2008.

On peut consulter avec quelques réserves A.-R. Lewis, Naval Power and Trade in the Mediterranean
A.D. 500-1000, Princeton, 1951. Du même auteur, The Northern Sea-Shipping and Commerce in
Northern Europe A.D. 300-1000, Princeton, 1958. Plus utile et plus récent est le t. 5 des Settimane
di Spoleto, Caratteri del secolo VII in Occidente, Spolète, 1958 et S. Legeco, Marchands et Navigateurs
frisons du Haut Moyen Âge, 2 vol. Lille, 1983, À propos de l'interprétation des faits économiques,
deux grandes thèses s'opposent, celle d'H. Pirenne, Mahomet et Charlemagne, Paris, rééd., 1970,
et M. Lomearo, « L'Or musulman du vi au x! siècle », Annales, n° 2, p. 143-160, 1947. Il faut se
reporter à la bibliographie du chapitre 4 pour une orientation critique sur cette polémique qui
concerne surtout l'époque carolingienne. Le fait important, le changement d'étalon monétaire,
est clairement expliqué par J. LArAURIE, Catalogue des deniers mérovingiens de la trouvaille de
Baïs, Paris, 1981. M. RoucHe, Marchés et marchands en Gaule du aux siècle, Settimane di Spoleto,
t. 40, 1993, p. 395-441.

Pour le phénomène régional, le passage de l'Antiquité au Moyen Âge et les ori-


gines carolingiennes:
M. RouckE, L'Aquitaine des Wisigoths aux Arabes (418-781), Paris, 1979; M. Le Mené et H. GUILLOTEL,
La Bretagne durant le Haut Moyen Âge, Rennes, 1984; F. Carpor, L'Espace et le Pouvoir. Étude sur
l’Austrasie mérovingienne, Paris, 1987; La Neustrie. Les Pays au nord de la Loire, vf-X siècles, cata-
n,
logue établi par P. Per et L.-C. Ferrer, Paris, 1985 et actes édités par H. Arsma, Sigmaringe
Londres, 1979;
1989. Voir aussi K.-F. Werner, Structures politiques du monde franc, vé-xr siècles,
du même auteur, Naissance de la noblesse, Paris, 1998.

Pour l'Angleterre:
WaLLACE-HADRILL, Early
RH. Loy_w, The Governance, 500-1087, Stanford University Press, 1984; J.M.
Sawver, From Roman
Germanic Kingship in England and on the Continent, Oxford, 1971 et D.H.
Britain to Norman England, Londres, 1978.
PARTIE 1 Le Haut Moyen Âge occidental (410-1050)

Pour l'Espagne:
La thèse de P. CAZIER,
J. OrLAnois, Historia Social y Economica de la España Visigoda, Madrid, 1975.
le notre connais-
Isidore de Séville et la naissance de l'Espagne catholique, Paris, 1994, renouvel
Madrid, 1989. Le livre
sance du grand évêque. L.-A. Garcia Moreno, Historia de la España visigoda,
avec beaucoup de
de J.-H. Roy et J. Deviosse, La Bataille de Poitiers, Paris, 1966, doit être utilisé
précaution pour les dates.

Pour l'Italie:
et à Ch. WickHam,
Se reporter à S. Pricoco, Sicilia e Italia suburbicaria tra IVe VIII secolo, Catana, 1991
de L. HALPHEN,
Italy in the early Middle Age, Londres, 1981. Enfin, il faut voir les premiers chapitres
« La crise de l’Europe dans la
Charlemagne et l'Empire carolingien, Paris, 1968, et M. RoUcHE
seconde moitié du vi siècle et la naissance des régionalismes », dans Annales ESC, 1986, n° 2,
p. 347-360.
L'expansion du royaume
des Francs et la création
de l’Empire (751-840)
Durant la seconde moitié du vif siècle et le début du 1x°, l'Europe occidentale passe du morcel-
lement à l'unité. Le royaume des Francs connaît une expansion générale et devient quasiment
la seule formation politique importante. Son alliance avec l'Église aboutit à la restauration de
l'Empire romain en 800, mais il importe de savoir si cet Empire nouveau est encore romain ou
déjà franc, autrement dit quel est le fondement de cette unité politique chrétienne parfois qua-
lifiée d'Europe par les contemporains. Cela va permettre de comprendre pourquoi les autres
formations politiques sont en marge du nouvel Empire, qui garde encore une belle façade avec
Louis le Pieux.

I. Les guerres de Charlemagne (768-814)

L'appel de Rome, nous l'avons vu, domine le règne de Pépin


ainsi que celui de Charlemagne (768-814). Il est possible
qu'au cours de l’entrevue à Ponthion, le pape Étienne II ait
montré la fausse donation de Constantin au roi Pépin. Ce
texte célèbre prétendait que Constantin, avant de partir pour
l'Orient, avait donné toute l'Italie au pape Silvestre. Quoi
qu'il en soit, Pépin promit certainement assistance au trône
de saint Pierre et intervint à deux reprises, en 754 et 756,
dans la péninsule. Il donna officiellement à la papauté vingt-
deux villes d'Italie centrale. C'est le début de l’État pontifical
qui devait durer jusqu’en 1870. L'autre fait important du
règne de Pépin le Bref fut la conquête systématique du Midi, ES |
d'abord de la Septimanie, puis de l’Aquitaine, de 760 à 768. * )Séprimanie,
Ses expéditions contre les Alamans, les Saxons ou les Bavaroïis p.23.
n’eurent pas le même succès. Pourtant, lorsqu'il mourut, il
laissait à ses deux fils, Carloman et Charles, un royaume
fortement agrandi et soutenu par la papauté.

te
deCharl
conquê
m Les se |
emagn
les deux frères
La division du royaume entre ne dura guère
car le cadet mourut dès 771 et Charles se trouva désormais
le seul maître. Au début, il poursuivit la politique de son
père. Roi à l’âge de vingt et un ans, ce géant de sept pieds
(1,92 m), à la voix fluette et à l’épaisse moustache, était un
chasseur et un soldat aguerri. Il commença ses campagnes
contre les Saxons en 772 par la destruction de leur sanctuaire
païen, l’Irminsul. Puis, appelé par le pape en Italie contre
les Lombards, il assiégea longuement leur capitale, Pavie,
et fit disparaître leur royaume en prenant lui-même le titre
de roi des Lombards (774). Reparti à la conquête de la Saxe,
PARTIE 1 # Le Haut Moyen Âge occidental (410-1050)

s
il en fut détourné par l'appel reçu d’Espagne de révolté
L'année 778 le vit
musulmans et de chrétiens opprimés.
franchir les Pyrénées, mais, incapable de démêler l’imbroglio
hispano-musulman, il échoua et, au passage du col de
Roncevaux, le 15 août, son arrière-garde, commandée par
Roland, fut massacrée par les Basques et les musulmans
réunis. À cette nouvelle, toute la Saxe se révolta.
Charlemagne essaie de triompher de cette première grande
crise des années 778-779 en prenant une série de mesures
opportunistes destinées à calmer les oppositions internes
et à mater les irréductibles à l'extérieur. En 781, il donne
comme rois aux Lombards et aux Aquitains ses deux fils,
Pépin et Louis. Puis il édicte un terrible capitulaire contre
les Saxons, et se lance dans sept années d’expéditions conti-
nuelles: il n'hésite pas à faire exécuter, après une défaite
franque, 4 500 Saxons. Par ailleurs, il accepte la ville de
Gerone [Espagne] que les habitants lui offrent en 785, sou-
met théoriquement le duc lombard de Bénévent qui lui verse
un tribut, envoie en 778 au couvent pour trahison Tassilon Il,
supprimant ainsi définitivement l'indépendance des
Bavarois.

Cf. p. 72 (recommandations). Il faut croire que ces mesures ne suffirent point, car, en 791-
795, une nouvelle crise éclata: raid musulman dans le sud
de la Gaule, révolte du duc de Bénévent, révolte des Saxons,
mauvaises récoltes et famine, enfin tentative d’assassinat
sur sa personne par son fils Pépin le Bossu. Le redressement
fut, une nouvelle fois, assuré grâce à un mélange de souplesse
et de force. Pour supprimer toute possibilité de complot,
Charlemagne fait prêter serment de fidélité à tous ses sujets;
il achève la conquête de la Saxe en 797, en abandonnant le
régime d'exception installé auparavant (en 785) pour mettre
[
à la place un système de pacification. Il dirige enfin de nom-
Avars, p.41. breuses expéditions contre les nomades Avars qui menacent
l'Italie et la Bavière, en 791, 795, 796 et finit par s'emparer
Rinc: sorte de fortification du ring de ce peuple. Ce butin joua un rôle considérable dans
ronde en terre couverte de la puissance de Charlemagne et lui permit de récompenser
palissades dans laquelle se trou- largement ses fidèles serviteurs. La victoire fut la principale
vait tout le butin issu des
pillages de ces nomades.
base de son autorité et du respect qu’on lui porta. Charlemagne
est incompréhensible sans ses défaites qui lui attirèrent la
sympathie, et sans ses triomphes qui lui apportèrent prestige
et grandeur.

Il, La marche à l’Empire

On comprend qu’en même temps dans les milieux ecclésias-


tiques soit né un courant d'idées politiques issu de la nou-
velle culture dont le prince attirait les meilleurs représentants
à sa cour, l’Anglo-Saxon Alcuin en 781, le Lombard Paul
Diacre en 782, l’Hispano-Wisigoth Théodulf, etc. Cet
ensemble d'idées politiques s'était manifesté par
L'expansion du royaume des Francs et la création de l'Empire (751-840)

la restauration de l’idée royale dans l’onction de 754, et la L


restauration du pape comme maître de Rome. Le parallèle Onction,
avec le prophète Samuel faisant roi David par une onction | p.40etp.45.
revient donc sans cesse sous la plume de certains lettrés,
notamment d’Alcuin. Le pape Hadrien I‘ n’hésita pas à décer-
ner à Charles l’épithète impériale romaine de Magnus (grand)
qui lui est restée. Puis, il fut comparé à l’empereur chrétien Sacre: Le sacre de David se
et romain par excellence, Constantin, sur une mosaïque de trouve danslaBible, Samuel XVI,
Saint-Jean de Latran où il est représenté en train de recevoir, REA GEEEESiES
comme Constantin, l’étendard, symbole du pouvoir, des
mains de saint Pierre.

Il y a donc deux mouvements idéologiques, l’un autour de


Charlemagne, l’autre autour de la papauté, qui cherchent
obscurément ou consciemment, on ne sait, à mener le roi
des Francs vers un pouvoir qu'Alcuin qualifie en 778
d’empire. Mais, si, pour la papauté, la restauration de l’Empire
a pour but de lui permettre de retrouver son autorité spiri-
tuelle sur le patriarche de Constantinople et l'Empire
d'Orient, il semble que l'entourage de Charlemagne ait des
vues plus laïques sur le sujet: Théodulf n'hésite pas à sup-
primer l’idée de la suprématie juridictionnelle du pape sur
l'Église romaine, dont il aurait été investi par saint Pierre;
Charlemagne lui-même, par la plume d’Alcuin, précise que,
s’il appartient au pape d'aider Charles par la prière pour qu'il
soit victorieux, à lui seul revient « de défendre partout au-
dehors l’Église du Christ contre les attaques des païens et
les ravages des infidèles et de veiller au-dedans à faire recon-
naître la foi catholique ». Pour l'entourage du roi franc, il y
a séparation des deux pouvoirs; pour les clercs pontificaux,
les deux pouvoirs, papauté et empire, viennent de saint Pierre,
donc le spirituel est supérieur au temporel.

C'est dans cette ambiguïté des idées politiques sur la restau-


ration de l’Empire que le « projet impérial » se matérialise
brusquement. À Byzance, l’impératrice Irène fait crever les
yeux à son fils Constantin VI et prend le pouvoir à sa place.
Pour les Francs, c’est la preuve qu'il n’y a plus d'empereur.
Le 25 avril 799, le pape Léon III est emprisonné par des nobles
romains. Il s'échappe et parvient à se réfugier auprès de
Charles à Paderborn. C’est là, probablement, qu’eurent li
initifs. Des
seule cette dernière, représentée par
es Francs, était encore en place. Il appartenait donc à
ce prince de restaurer la deuxième et de prendre le premier
devenu vacant. C’est ce qu'il fait à la fin de l’année 800. Le
25 décembre, à Rome, dans la basilique Saint-Pierre, le pape
pose la couronne impériale sur la tête de Charles, puis la
foule acclame le nouvel empereur: « À Charles couronné par
Dieu, grand et pacifique empereur des Romains, vie et vic-
toire. » Enfin, le pape s’agenouille devant le nouvel empereur.
PARTIE 1 # Le Haut Moyen Âge occidental (410-1050)

Le roi des Francs sort furieux de cette cérémonie, aux dires


d'Eginhard, son biographe.

En effet, le cérémonial n'avait pas suivi l'ordre traditionnel. À


Byzance, où l’on avait gardé le protocole romain, les acclama-
tions de la foule et de l’armée précédaient le couronnement
par le patriarche. C'était montrer que le pouvoir impérial venait
du peuple et des victoires de l’empereur. En couronnant d’abord
Charles, avant les acclamations, Léon IT avait affirmé que tout
pouvoir vient de Dieu (donc, par l'intermédiaire du pape). La
conception laïque du pouvoir qu'avait Charlemagne était ainsi
battue en brèche, d’où sa fureur. Cela est capital pour la
compréhension de tout l'idéal politique du Moyen Age: ainsi
commencent les difficiles rapports de l’Empire et de la Papauté.
Cela explique aussi pourquoi Napoléon, en 1804, se couvrit
lui-même de la couronne impériale.

Charlemagne, durant les dernières quatorze années de son


règne, ne songe qu’à clarifier cette notion d'Empire et à faire
triompher sa conception. Il pense d’abord en Franc, et n’aban-
donne jamais ses titres de roi des Francs et de roi des Lombards.
En 806, il prévoit qu’à sa mort son royaume sera partagé entre
ses trois fils, Louis, Pépin et Charles, exactement à la manière
mérovingienne.

La mort de Pépin et de Charles, avant celle de leur père,


explique l’abandon de ce projet, mais il est très symptomatique
de l’état d'esprit de l’empereur. Son Empire est franc; il englobe
le peuple très chrétien et, par voie de conséquence, l'Église. La
manière dont, lors du concile de Francfort, en 794, il avait fait
ADoPTiANISME: hérésie affir- condamner l’adoptianisme, une hérésie espagnole, et l’icono-
mant que Jésus-Christ est, non clasme byzantin, sans tenir compte de l'avis du pape, prouvait
pas le fils de Dieu, mais son fils combien, pour lui, le pape n’était que le premier de ses évêques.
adoptif.
Pour le titre impérial, il agit également en Franc, en refusant
» L de s'engager dans une guerre contre Byzance ulcérée par. ce
oclasme,
qu'elle considérait comme une « usurpation ». Il engagea des
p.47.
négociations à deux reprises en 802 et en 812. La seconde fois,
il obtint, en échange de la restitution de Venise qu’il venait
de prendre, que Constantinople le reconnaisse comme empe-
reur {sans qu'il soit qualifié d'empereur « des Romains »).
D'ailleurs, à partir de ce moment, Charles se fait appeler
« empereur et auguste ». Lorsqu'il fut évident que son fils Louis
lui succéderait, le problème impérial fut clarifié. En 813, à Aix
devenue depuis 794 le palais et la résidence de l’empereur par
excellence, il fit acclamer par les grands le titre impérial pour
son fils et posa lui-même la couronne sur la tête de Louis dans
la chapelle où il fut enterré quelques mois plus tard, le
28 janvier 814. Il avait fait triompher enfin sa conception d’un
Empire où Rome et les Romains n'avaient plus rien à voir. Les
nouveaux Romains étaient les Francs et Rome était désormais
dans Aix.
L'expansion du royaume des Francs et la création de l'Empire (751-840)

Il, La fin du règne de Charlemagne

= Les dernières conquêtes |


Occupé par le gouvernement de l’Empire, Charlemagne semble
avoir ralenti ses conquêtes entre 800 et 814. Au début, il se
déplaça souvent, puis, à partir de 794, passa tous ses hivers
dans Aix où les constructions du palais et de la chapelle l’oc-
cupèrent. Ses armées firent cependant encore de nets progrès
en Espagne avec la prise de Barcelone en 801 et de Tarragone + L
en 808, mais il ne conserva pas Pampelune qu'il avait prise n° 6 ÿ

en 811 et le pays des Basques (Navarre et Gascogne) ne fut A 341,B.


soumis qu’en théorie. Seule la marche d’Espagne, plus tard cs L
appelée Catalogne, fut solidement tenue. En Italie, les
Byzantins continuèrent à posséder Venise, l’Istrie, les Pouilles Marche, p. 65.
et la Calabre, la Sicile et la Sardaigne. Le duc lombard de
Bénévent resta pratiquement indépendant. En revanche, en
Saxe, Charles fit des efforts constants pour consolider la fron-
tière avec les Slaves. En 804, il déporta les Nordalbingiens et SLaves: peuples situés en
colonisa les deux rives de l'embouchure de l’Elbe où il fonda général au-delà de l'Elbe et du
quadrilatère de Bohême.
Hambourg. Il lança des expéditions contre les Souabes en 806,
les Tchèques en 805-806, les Wilzes en 809-812, contre les
Linons en 808-811. Du même coup, il se trouva face aux Danois
dont le roi Gotfrid devint menaçant entre 810 et 813. Ce roi
barra l’isthme danois par un mur de terre et de bois: le
Danewirk, et déjà, les raids de piraterie de ses compatriotes,
appelés Vikings, atteignaient les côtes de l'Empire.
Ainsi l’empereur, en 47 années de règne, a regroupé tout le
monde germanique et tout le monde latin. Mais cette unifica-
tion due soit au hasard de circonstances favorables, soit à son
obstination persévérante (33 ans pour conquérir la Saxe!} n’a
pas fait disparaître les originalités régionales en Aquitaine, en
Lombardie, en Bavière, etc. Le rayonnement de Charlemagne
et son prestige furent grands, puisque le calife Haroun Al Rachid
échangea avec lui des ambassades à propos du sort des pèlerins
à Jérusalem. De même, il entretint des relations d'amitié avec
le roi des Asturies, ainsi qu'avec Offa, roi de Mercie, qui accepta
de ratifier un traité économique. Mais ces deux pays restèrent
en dehors de l’Empire.

En effet, tandis que l’émirat de Cordoue devient de plus en


plus puissant, le royaume des Asturies est séparé du nouvel
Empire par la création, en Pays Basque, de la principauté navar-
raise farouchement indépendante et non encore christianisée.
Le roi Alphonse II (791-842) commence à harceler sérieusement
les musulmans par des raids lointains dont l’un va jusqu’à
Lisbonne. Il installe sa capitale à Oviedo, y bâtit églises et
palais, se libère de l'influence de l'Église wisigothique et crée
lui-même des évêchés nouveaux. Ce royaume néo-wisigoth
s'appuie toujours sur les lois de Receswinthe, le Forum
Forum Jupicum: autre nom du
Liber Judiciorum promulgué par
Judicum, et sur une noblesse de fidèles ou d'hommes libres Receswinthe; voir p. 30.
entretenus par le roi ou payés par des dons de terre révocables.
PARTIE 1 Le Haut Moyen Âge occidental (410-1050)

Cette société reste au niveau juridique romain et au stade pré-


féodal du patronage. Le système féodo-vassalique carolingien
lui est inconnu jusqu’au xr° siècle. Le roi, en effet, toujours à
D L court de soldats, n'hésite pas à donner des armes à tout homme
ardingos, libre et à l'intégrer parmi ses gardingos. C’est lui, enfin, qui
p.42. accorde aux hommes libres les terres vacantes à défricher; ils
en deviennent propriétaires au bout de trente ans de mise en
valeur. C’est le contrat dit de pressura. Ainsi, la structuration
du peuplement de la haute vallée du Minho commença en
même temps que celui de la haute vallée de l’Ebre. Cette der-
nière région, hérissée de châteaux pour lutter contre l'Islam,
ne tarda pas à prendre le nom de Castille. Enfin, tandis que
cette société de paysans-soldats, petits propriétaires, se conso-
lidait, un événement religieux d’une importance capitale se
produisit aux alentours de 800 en Galice: on découvrit un sar-
cophage et des reliques qui furent prises pour celles de l’apôtre
saint Jacques, alors qu'il s'agissait probablement de celle d’un
saint Jacques de Merida transportées là lors de la fuite devant
les Musulmans. Saint- Jacques-de-Compostelle devint bientôt,
par son pèlerinage, une affirmation de la foi chrétienne face à
l'Islam, un encouragement à la lutte, pour une libération de
l'âme espagnole. Comme Charlemagne, les rois asturiens déve-
loppèrent un esprit de pré-Croisade. Tout était prêt pour une
reconquête de la péninsule.

En dépit de bonnes relations, le monde celtique et anglo-saxon


échappe à Charlemagne. La Bretagne, d’abord, malgré les expé-
ditions de 786, 799 et 811, resta totalement indépendante, avec
ses chefs locaux et son organisation ecclésiastique particulière.
Les interventions de l’empereur pour soutenir tel ou tel roi
anglo-saxon ne se traduisirent jamais dans l’île de la Grande-
Bretagne par une influence réelle. En effet, sous la direction
du roi Offa (757-796), la Mercie faillit unifier toute la partie
méridionale de l’île. Offa parvint à annexer le Sussex et l'East-
Anglie; il établit son protectorat sur le Wessex et, pour mieux
lutter contre les Bretons du Pays de Galles, fit construire une
Le à puissante fortification de terre surmontée de palissades, appe-
. 341,B. lée le Dyke d'Offa. Enfin, en 780, il créa une pièce d'argent, le
penny, qui inspira la réforme monétaire de Charlemagne. Le
royaume de Northumbrie fut même son allié. Cependant, cette
ébauche d'unité ne dura guère. À la mort d'Offa, les anciens
royaumes réapparurent. La Northumbrie se rendit indépen-
dante, tandis que le Wessex, sous la direction d’Egbert (802-
839), finissait par dominer tout l’ancien royaume d’Offa, jusqu’à
obliger, lui aussi, la Northumbrie à se placer sous sa protec-
tion. Entre 815 et 839, Egbert annexe le royaume breton de
Cornouaille. Pour la première fois, l’hégémonie du Wessex
rassemblait en une seule formation toute l'Angleterre.
Les peuples celtiques d'Écosse, de Galles et d’Irlande sont très
mal connus, très divisés, sans économie monétaire et ils
demeurent en dehors des grands courants commerciaux. En
revanche, l'Angleterre, en relations étroites avec la Chrétienté,
L'expansion du royaume des Francs et la création de l'Empire (751-840)

exerce une forte influence intellectuelle à la cour de


Charlemagne par l'intermédiaire de ses moines et de ses écri-
vains. La qualité des miniatures irlandaises et anglo-saxonnes
se retrouve dans les ateliers graphiques de Corbie et de Saint-
Martin de Tours. Ses marchands vendent des manteaux anglais
dans l’Empire, ses pèlerins vont jusqu’à Rome.

Les contemporains eurent donc l'impression qu'il y avait un


grand empire et deux petits royaumes, l'espagnol et l'anglais,
aux extrémités de la péninsule européenne. Le mot Europe
change alors de sens. De géographique qu'il était, ce terme se
charge d’un sens politique et religieux. Un clerc irlandais,
Cathuulf, qualifie Charlemagne de « chef du royaume de
l'Europe ». Le petit-fils du souverain, l'historien laïc Nithard,
déclara plus tard: « Charles, appelé par toutes les nations le
grand empereur, a laissé l’Europe entière assouvie de ses bon-
tés. » Ce concept d'Europe intéresse tous les peuples chrétiens
latins et romains, car, selon Théodulf, évêque d'Orléans (mais
parlant en Hispano-Wisigoth imprégné de foi romaine), « c'est
l'Église de Rome qui fixe la foi chrétienne ». Ainsi tout
Européen est Romain au sens religieux, non plus au sens poli-
tique, tandis que le non-Européen est celui qui ne parle pas le
latin, mais le grec. Une coupure mentale se crée ainsi entre
Occident et Orient bien avant le schisme de 1054. Avec
Charlemagne, l'Occident - ou l’Europe -— vient de prendre
conscience de lui-même.

IV. Le difficile maintien de l’Empire (814-840)


Cette prise de conscience d’une unité religieuse et intellec-
tuelle aboutit même à un véritable programme idéologique et
politique sous Louis le Pieux (814-840), aidé par des clercs qui
le conseillaient dans le sens d’une unité impériale de plus en
plus forte et d’une rationalisation des institutions en accord
avec l'Église, seule détentrice de la véritable justice. Parmi
ses conseillers aux projets européens, signalons les Espagnols
saint Benoît d’'Aniane et Agobard, archevêque de Lyon, ou les
anciens conseillers de Charlemagne, tels Adalhard, abbé de
Corbie, puis son frère Wala. Entouré d’un véritable gouverne-
ment de clercs, Louis le Pieux, au début de son règne, put
croire son programme applicable, grâce au prestige de son père
et au hasard qui avait fait de lui le seul survivant des trois
frères, supprimant ainsi toute possibilité de partage à la
manière germanique. De plus, la guerre à l'extérieur et les
victoires, élément indispensable d'autorité et de richesse,
continuèrent jusqu’en 825, avec des expéditions contre les
Obodrites sur l’Elbe en 817, contre les Croates en 820-821-822,
contre les Bretons en 818-822-824 et contre les Musulmans
d'Espagne enfin, en 822 et 824. Les quelques raids de pillage
des Vikings sur les côtes ne parurent pas dangereux.
PARTIE 1 w Le Haut Moyen Âge occidental (410-1050)

Ce qui comptait aux yeux de Louis, c'était sa politique reli-


gieuse et impériale. Contrairement à son père qui avait refusé
de faire évangéliser les Danois, il profita du baptême du roi
Harald, réfugié à la cour, pour envoyer le missionnaire saint
Anschaire au Danemark, puis en Suède à Birka. Malgré la
création d’un immense archevêché à Hambourg, confié à saint
Anschaire revenu de ses voyages, les résultats furent très
maigres. En revanche, sous l'inspiration de Benoît d'Aniane,
l'empereur fit tenir toute une série de conciles à Aïx en 816,
817, 818, 819, qui réorganisèrent l'Église en imposant le sys-
CHANOINE :membre du clergé tème des chanoines aux clercs des cathédrales, la règle béné-
épiscopal durant le Haut Moyen dictine à tous les monastères et en rappelant la discipline
Âge soumis à une règle monas- canonique aux clercs qui se comportaient en laïcs. En même
tique comportant au minimum
dortoir et réfectoire communs;
temps, il renonçait à la possibilité de transformer en précaire
voir p. 68. les terres d’Église dépassant pour chaque abbaye ou évêché le
minimum vital. Du coup, la propriété ecclésiastique recom-
mença de croître sans risque. Enfin, lors d’une entrevue en
816 à Reims avec le pape Étienne IV, il reconnut l'existence
de l’État pontifical. Ainsi, l'Église se réformait et se soustrayait
à l'influence des laïcs, mais, contrairement à ce qu'avait voulu
Charlemagne, qui tenait à la surveiller, elle pouvait désormais,
par cette indépendance, devenir une puissance extérieure à
l'Empire.

2 Lesguerres fratricides
Louis le Pieux était bien trop convaincu de la nécessité de la
défense et de la gloire de l’Église pour voir un danger dans sa
politique de réforme, qui n'avait, à ses yeux, que des intentions
morales. Il abandonna de même la conception laïque de
l’Empire de son père Charlemagne. Dès son avènement, il
renonça aux titres de roi des Francs et de roi des Lombards
auxquels tenait son père et s’intitula: « Par la Providence
divine, empereur auguste ». Le principe unitaire chrétien fut
enfin affirmé à Reims en 816 par le renouvellement du cou-
ronnement de Louis et son sacre par le pape, comme si la céré-
monie laïque de 813 était nulle et que seule l'intervention du
pape faisait l’empereur. Enfin, pour achever la réalisation de
son programme et régler sa succession dans le sens unitaire,
Louis le Pieux émit en 817 l’Ordinatio Imperii. Conformément
aux pratiques germaniques qu'il ne pouvait heurter de front,
il laissa intacts les trois sous-royaumes: l'Italie confiée par
Charlemagne à Bernard, fils de Pépin; la Bavière, royaume créé
en 814, donnée à son fils Louis; l’Aquitaine enfin, attribuée
en 814 à son fils Pépin. Ces trois rois étaient étroitement sou-
mis au fils aîné de Louis, Lothaire, proclamé empereur et
unique héritier de tout l’Empire. Le père couronna d’ailleurs
lui-même son fils Lothaire, comme Charlemagne l'avait fait
en 813. Cette série de mesures mécontenta certains nobles qui
se regroupèrent autour de Bernard d'Italie. Louis le Pieux mata
la révolte et fit crever les yeux à son royal neveu. Ses conseillers
ecclésiastiques lui imposèrent alors une pénitence publique
qu'il accomplit à Attigny en 822. Non contents de ce premier
L'expansion du royaume des Francs et la création de l’Empire (751-840)

succès, Adalhard, Wala, Agobard et Hilduin, abbé de Saint-


Denis, firent envoyer Lothaire comme roi en Italie et le firent
couronner et sacrer empereur par le pape Pascal I‘, à Rome en
823, comme si le couronnement de 816 avait été, lui aussi,
insuffisant. De plus en plus, le titre impérial était lié au sacre
et au couronnement; celui-ci devenait une prérogative du pape
et ne pouvait être conféré qu’en Italie.
Désormais, Louis le Pieux va être tiraillé entre des influences
contradictoires, celles des clercs partisans de l'unité et celle
de sa femme Judith, une Bavaroise, épousée en 819, qui, dès
la naissance en 823 de son fils, le futur Charles le Chauve,
n'eut de cesse que l’on appliquât le principe du partage en
royaumes en faveur du nouvel héritier. Ce fut à qui dominerait
la volonté du monarque. D'un côté Lothaire et les ecclésias-
tiques favorables à l’Empire; de l’autre Pépin et Louis, qui
cherchent à agrandir leur part, et Judith. Une première crise
en 826-829 se termina par le triomphe du principe des partages:
Charles eut un territoire formé par l’Alémanie, la Rhétie,
l'Alsace et une partie de la Bourgogne.
La deuxième crise en 830-831 vit les trois frères unis rétablir
Lothaire comme empereur associé, puis, divisés par leur père,
obtenir des agrandissements considérables pour leurs royaumes
respectifs. Ce fut un deuxième triomphe du principe des
partages, surtout lorsque Pépin d'Aquitaine fut dépossédé au
profit de Charles le Chauve.
La troisième crise, de 832 à 835, n’est qu'une répétition du
même processus. Le parti unitaire, exaspéré, poussa contre
Louis le Pieux les trois frères que soutenait le pape. La bataille
allait avoir lieu près de Colmar, lorsque tous les nobles aban-
donnèrent l’empereur (champ du Mensonge: juin 833). Louis
le Pieux fut obligé de faire pénitence à Saint-Médard de Soissons
et de se retirer dans un monastère, en laissant ainsi l'Empire à
Lothaire. Les prétentions de ce dernier furent telles qu’elles
renouèrent l'alliance de Pépin d'Aquitaine et de Louis de Bavière
en faveur du père. En février 835, Louis le Pieux fut solennel-
lement réintronisé empereur par les évêques. Ainsi, par suite
de l'incapacité des laïcs à faire triompher le programme unitaire,
le clergé devint détenteur de la fonction impériale.

Les dernières années du malheureux empereur tournent autour


d'une obsession: créer un royaume pour Charles le Chauve. En
837, il lui donne un lot de terres entre Seine, Meuse et Frise.
Puis, à la mort de Pépin, il lui accorde l'Aquitaine (838), ce qui
provoque un soulèvement des grands d'Aquitaine, lesquels pro-
clament roi un bâtard de Pépin, Pépin IL. Tandis que l’Aquitaine
retournait à l'indépendance, la Bavière en faisait autant avec
Louis qui se révoltait contre son père. Ainsi, vingt ans de crises
successives aboutissaient à la renaissance des principautés régio-
deux
nales. Louis le Pieux, de guerre lasse, partagea alors en
l'Empire de part et d'autre du Rhône, de la Saône et de la Meuse:
PARTIE 1 Le Haut Moyen Âge occidental (410-1050)

l'Ouest à Charles, l'Est à Lothaire. Il allait affronter une nou-


velle fois Louis de Bavière, lorsqu'il mourut le 20 juin 840.
L'Empire se trouvait alors complètement démantelé.
L'expansion s'était arrêtée, le fisc royal avait vu ses biens fon-
ciers considérablement diminuer, la fidélité des nobles et des
vassaux rudement mise à l'épreuve par les partages successifs
et les réitérations de serments à de nouveaux rois. L'unité
vécue au niveau intellectuel et religieux n’avait pu se concré-
tiser politiquement. La politique prudente et empirique de
Charlemagne avait été abandonnée au profit d’une politique
favorable à l’Église, qui ne sortait pas sans dommage de ce
tourbillon. L'Empire de Charlemagne avait néanmoins marqué
définitivement l’Europe occidentale.

L'état de la recherche
Les documents carolingiens
La remise en ordre de la société par Pépin le Bref et ses successeurs, appelée aussi Renovatio, c'est-à-
dire la deuxième naissance, fut systématiquement organisée par un retour aux traditions romaines
dans le domaine des lois, et dans la gestion fiscale des revenus de l'État et de l'Église.

(GE donna naissance ou fit ÉE capitulaires sont les sont qualifiés d'ordinatio ou
réapparaître deux types successeurs des textes de constitutio parce qu'ils
de documents, les capitu- législatifs romains appelés organisent la succession au
laires et les polyptyques. décret, édit, précepte. Le pre- pouvoir et le fonctionnement
Ces documents postulent mier à porter le nom est celui de l'État. Ils émettent un ordre
l'existence d'un État de droit de Herstal en 779; le dernier en vertu du droit de ban du roi
et d'une administration publié est celui de Carloman ou de l'empereur qui s'exprime
publique, ainsi qu'une union Il en 884. Le titre vient du fait comme les empereurs romains
de l'État avec l'Église qui que les articles de lois sont en disant: placuit, ce qu'il faut
date de 392. Ces deux types classés par chapitres (capitula). traduire par: j'ai décidé, alors
de documents sont publiés Mais leur contenu est bien que le monarque d'Ancien
en général en latin dans les plus important que la forme Régime disait, d'une manière
Monumenta Germaniae , par de leur présentation. Ce sont juste mais qu'on comprend de
À. Borerius, Hanovre, 1883, des lois à exécuter pour elles- travers :« Car tel est notre bon
pour les capitulaires, et pour mêmes ou des règlements plaisir » (le verbe placeo veut
les polyptyques, vu l'extrême administratifs. Nous dirions dire à la fois plaire et décider).
dispersion des publications aujourd'hui qu'en ce dernier
mieux vaut se contenter de les cas, ce sont des circulaires a textes sont préparés
aborder par le biais de l'édi- d'application. La nature de ces par un conseil de grands
tion de celui de Saint-Bertin, lois est précisée dans chaque fonctionnaires laïcs et ecclé-
par F.-L. GAnsHor, (Paris, 1975), capitulaire : les uns sont des siastiques avec l'aide de
qui a l'avantage de comporter additifs au code des peuples, jurisconsultes. Ils sont ensuite
un commentaire en français d'autres sont adressés aux présentés au plaid général ras-
abordable par l'étudiant. missi dominici, d'autres encore semblant les ducs, les comtes,
L'expansion du royaume des Francs et la création de l'Empire (751-840)

les évêques et les abbés, et fixes de bois dur, reliées par tableau économique s'ajoute
les hommes libres en général. des lacets « plusieurs fois pliées un tableau fiscal et politique.
Ils constituent le peuple qui sur elles-mêmes » comme par Qu'il soit règlé en espèce ou
accepte ces lois qui leur sont exemple les Tablettes Albertini en nature, le paiement dû en
lues en public. Le consente- qui datent du ® siècle. Souvent sus est celui de l'impôt foncier
ment (consensus) est obliga- citées par le code théodosien ou personnel. Le droit de
toire. Il ne valide pas la loi, les polyptyques sont des réquisition est pratiqué sous
puisque le roi ou l'empereur registres d'impôts pesant sur forme de charrois de vins ou
en est la source. Néanmoins, les personnes et sur les biens. de blés vers un port ou des
on constate qu'avec les greniers, ou encore sous forme
guerres civiles, l'aristocratie eux dressés par l'État ont de jours de corvée. Les impôts
des fonctionnaires négocie disparu. N'ont survécu que indirects sont prélevés sur les
son consentement. Cela ceux établis par des établisse- terres incultes, propriété de
apparaît dès le capitulaire de ments monastiques, comme l'État, sous la forme du droit
Coulaines en 843. Il s'agit alors par exemple Saint-Victor de paisson. Enfin l'impôt pour
d'une convenientia, c'est-à-dire de Marseille en 814, Saint- l'armée (hostilitium) est payé
d'un pacte de droit romain Germain-des-Prés vers 820, sous la forme de l'octroi des
contracté entre deux parties, Saint-Bertin entre 844 et 859.
impôts d'une terre à un che-
le roi et l'assemblée. Dès lors le Les derniers s'arrêtent à la fin
valier (miles seu caballarius).
pouvoir du roi n'est plus absolu du x° siècle.
Dans le cas du polyptyque
juridiquement parlant. Néan- de Saint-Bertin, les produits
n premier niveau de
moins tous ces capitulaires et les sommes perçus à partir
lecture permet de bien
recopiés dans de nombreuses des 10 000 hectares de la
saisir l'existence des grands
collections furent continuel- mense conventuelle servent à
domaines avec réserve et
lement appliqués jusqu'aux xi° la nourriture et à l'instruction
manses, les statuts sociaux
et x siècles. des moines. Le dernier polyp-
des tenanciers, parfois même
leur démographie et leur tyque connu qui est en même
out aussi riches d'enseigne- densité au kilomètre carré, les temps le plus parfait est le
ments nouveaux sont les différents produits agricoles et Domesday Book, description
polyptyques. Comme leur nom d'élevage, les bois et les articles fiscale et économique de toute
l'indique il s'agit de plaquettes issus du tissage, etc. Mais à ce l'Angleterre, dressé en 1086.

Bibliographie
les ouvrages généraux
Les renseignements les plus importants devront être cherchés, outre
en, Paris, rééd., 1968;
cités au chapitre 1, dans L. HaLpHEN, Charlemagne et l’Empire carolingi
Tessier, Charlemagne, Paris,
R. Fozz, Le Couronnement impérial de Charlemagne, Paris, 1964; G.
Paris, 1967; J. Boussaro, Charlemagne et son Temps,
1967 :D. BuuLoucH, Le Siècle de Charlemagne,
Charlemagne, Paris, 1999; E. James, Les
Paris, 1968; R. DeLorr, Charlemagne, Paris, 1986; J. Faver,
par J. NELSON vient d'être
Origines de la France, Paris, 1988; la biographie de Charles le Chauve
traduite en français, Paris, 1994.

Sur les idées politiques, l’Église et l'État:


s de l'État pontifical, Paris, 1933;
L. LeviLAIN, L'Avènement de la dynastie carolingienne et les origine
ère, L'Augustinisme politique, Paris,
R. Fouz, L'idée d'Empire en Occident, Paris, 1953; H.-X. ArouILLi
gienne, Paris, 1939; L. HaLPHEN, « L'Idée
1934: R. Bonnauo-DeLama«RE, L'Idée de paix à l'époque carolin
Âge, Paris, 1950, p. 92-104;
d'État sous les Carolingiens », dans À travers l'histoire du Moyen and
D. Buuouc, Alcuin, Achievement
L. WauAcH, Alcuin and Charlemagne, New York, 1959.
PARTIE 1 Le Haut Moyen Âge occidental (410-1050)

Reputation, Londres, 1999. T.E.X. Nogce, The Republic of St Peter: the Birth ofthe Papal State (680-
825), Londres, 1984. Les nouveaux manuels de O. GuiLLor, À. RIGAUDIÈRE et Y. SASsiEr, Pouvoirs et
Institutions dans la France médiévale, Paris, 1994, et de Y. Sassier, Royauté et Idéologie au Moyen
Âge (Bas-Empire, monde franc, France) #-xf siècles, Paris, 2002, renouvellent nos connaissances
sur l'État et ses rapports avec l'Église.

Sur les événements et la royauté:


Les deux mises au point les plus récentes sont F.-L. Ganshor, The Carolingians and the Frankish
Monarchy, Londres, 1971; W. Uuumann, The Carolingian Renaissance and the idea of kingship,
Londres, 1969 et J.-M. WaLLAce-Hapriu., Early Germanic Kingship (cité p. 47).

Pour certains points particuliers, consulter R. Fouz, Le Souvenir et la Légende de Charlemagne


dans l'Empire germanique médiéval, Dijon, 1950; G. Musca, Carlo Magnoe l'Inghilterra, Bari, 1964;
du même, Carlo Magno e Harun al Rachid, Bari, 1963; F.-L. GansHor, La Belgique carolingienne,
Bruxelles, 1958: C.-G. Mor, L'Età feudale, Milan, 1952; L. DE VaLDEAvELLANo, Historia de España,
Madrid, 1968: R. DE Agaoa., Historia dels Catalans, Genève, 1969; J.-J.-S. AgeNGoCHEA et L.-A.-G. MORENo,
Romanismo y germanismo: el despertar de los pueblos hispanicos (s. 1“-x), Madrid, 1984;
V. FumaGaLui, Il regno ltalico, Turin, 1978.

Pour les autres pays européens:


Se reporter aux livres cités chapitre 1. Ne pas oublier, même s'ils paraissent marginaux pour
la question, E. Levi-PRroveNÇAL, Histoire de l'Espagne musulmane, Paris, 1901, et G. OsrRocorsky,
Histoire de l'État byzantin, Paris, rééd., 1970. Pour approfondir tous ces problèmes, L. Musser,
Les Invasions germaniques et le Second Assaut contre l'Europe chrétienne, Paris, 2° éd., 1971.
La rénovation de la civilisation
par les Carolingiens

L'existence d'un grand espace politique d'environ un million deux cent mille kilomètres carrés
peuplés peut-être de quinze millions d'habitants sous l'autorité de Charlemagne et de Louis le
Pieux ne pouvait que favoriser l'établissement d'une civilisation commune. Sa quasi-coïncidence
avec le monde chrétien romain incita l'Église à proposer un programme de Renovatio regni
Francorum. | s'agit de créer une nouvelle entité politique par le baptême des païens. Ce baptême
ou cette christianisation fait que l'on peut parler d'une deuxième naissance du monde barbare,
ou, plus précisément, d'une re-naissance tant au niveau politique par les innovations de
Charlemagne, qu'au niveau religieux par les réformes de Louis le Pieux, et qu'au niveau social et
économique par l'introduction de la vassalité dans les structures de l'« État » et par la création
d'une monnaie unique. Ainsi s'explique l'importance de la Rénovation ou de la Renaissance
carolingienne.

L. La notion d« État »

Dès que l’on aborde le problème de l'unité politique et de


l’organisation commune qui administre les sujets, c'est-à-dire
l'« État », on se trouve déjà en face de deux conceptions. Pour
les Francs qui dirigent le royaume, le pouvoir est exercé
conjointement par la noblesse des hommes libres et par le roi.
Ces deux éléments forment l'« État », sorte de communauté
de personnes sans domicile fixe, qui est parvenue à se sou-
mettre d’autres peuples. Cet « État » est renforcé par le ser-
ment de fidélité et la guerre de conquête. Charlemagne fit
prêter à plusieurs reprises ce serment à tout homme âgé de
douze ans; bien que la signification en ait été précisée à chaque
fois de mieux en mieux, ces prestations de serment furent mal
comprises par les sujets; pour eux, le souverain exigeait ces
serments parce qu'il avait besoin d’être appuyé et cela fut
interprété comme un aveu de faiblesse. En revanche, la guerre
était nécessaire car elle empêchait la noblesse occupée à se
battre de s’arroger localement trop de pouvoirs. C'était donc
une conception concrète que celle de cet « État » qui ne tenait
que par la victoire. Les clercs essayèrent alors de faire réappa-
raître la notion romaine d’État avec l’expression, abstraite
cette fois-ci, de respublica, c'est-à-dire la chose publique, le
ajou-
bien commun. Ils « rénovèrent » cette expression en y
tant le mot christiana. La Respublica christiana, sous Louis
le
le Pieux, fut constamment affirmée. L'empereur, comme
veille sur l'Église, maintient la
dit un capitulaire de 823-825,
paix et la justice, mais sa charge est en fait divisée de telle
social
façon que « chacun de vous, là où il habite et au rang
PARTIE 1 # Le Haut Moyen Âge occidental (410-1050)

où il est placé,sache qu’il a une part de notre fardeau; il s’en-


suit que je dois être votre admoniteur à tous et que vous devez
être tous mes auxiliaires ». Cette conception était encore
beaucoup trop élevée pour être comprise par tous, mais elle
ne devait plus disparaître.
L'unité de l’État devait être complétée par l'unité de la légis-
lation. Charlemagne utilisa le rassemblement annuel de tous
Pain : réunion bi-annuelle des les hommes libres au Champ de Mai, appelé plaid général,
hommes libres sur l'ordre du roi avant le départ en expédition militaire, pour obtenir l’accord
germanique pour prendre des des grands, laïcs et ecclésiastiques, sur ses décisions. Ces
décisions où partir en expédi-
tion militaire. dernières étaient alors proclamées et mises par écrit, chapitre
par chapitre (capitula), d'où le mot de capitulaire qui désigna
ces documents officiels. Elles étaient applicables du même
coup par suite de la proclamation verbale du souverain et de
son droit de ban, droit de contrainte et de punition.
Charlemagne innova en les faisant mettre par écrit, afin de
renforcer et même d'effacer l’ordre oral. Les capitulaires réso-
lurent beaucoup plus de questions d'ordre réglementaire que
d'ordre législatif. En effet, chaque peuple à l’intérieur de
l'Empire garda sa loi. Les Romains gardèrent la leur, de même
que les Lombards, les Hispano-Wisigoths en Septimanie, les
Bavarois, les Burgondes, les Francs, etc. Charlemagne fit rédi-
ger la loi des Frisons et la loi des Saxons. La personnalité des
lois continua donc à exister et empêcha l'unité de l’Empire.
Un autre obstacle à l’unité fut la création des sous-royaumes,
Aquitaine, Italie, Bavière, mais nous avons vu pourquoi les
empereurs carolingiens durent procéder ainsi. La diversité
ethnique et régionale de l’Empire fut la principale cause de
l'échec de l'unité.

M Le
gouvernement
central etsesagents |
Le gouvernement de Charlemagne et de Louis le Pieux est
donc une tentative permanente pour sortir de l'héritage pri-
mitif et le faire évoluer vers une conception plus romaine
d'esprit et plus efficace. Le palais commence à se fixer sur le
domaine d'Aix en 794 et Charlemagne y réside sans cessé à
partir de 807. Autour de lui, les grands officiers l’aident dans
sa tâche, avec une confusion très caractéristique de l’époque
SénécHaL: de siniskalk: le plus entre tâches publiques et tâches privées. Le sénéchal et le
vieux des valets. Officier de la bouteiller s'occupent des valets, de l’approvisionnement de la
cour chargé de présenter les
table en nourriture et en vins. Ils ont pour principale occupa-
plats.
tion la gestion des domaines impériaux ou fisci et en sur-
veillent les intendants ou domestici. Le chambrier, outre la
chambre du roi, tient en bon ordre le trésor et l’administre
par l'intermédiaire de sacellaires. Le connétable, avec ses deux
maréchaux-ferrants, assure la remonte des chevaux, les trans-
ports de ravitaillement de l'armée, etc. Le comte du palais
remplace le souverain pour les procès en appel qu'il ne peut
trancher pendant ses absences de la cour. L'organisme qui
CHAPELLE: la Chapelle est ainsi
ressemblerait le plus à un début d'administration centrale est
nommée parce qu'elle contient
la relique la plus insigne du la Chapelle, qui n’assure pas seulement le service religieux
royaume des Francs, la chape, de la cour car, dirigée par un archichapelain de rang épiscopal,
ou cape, de saint Martin. elle comporte tout un personnel de clercs, alors seuls lettrés,
La rénovation de la civilisation par les Carolingiens

qui doivent assurer la publication de la législation ecclé-


siastique, l'envoi de la correspondance officielle et la promul-
gation des diplômes royaux. Parmi tous ces scribes et notaires,
apparaît, à la fin du règne de Charlemagne, un protonotaire,
appelé aussi chancelier parce qu'il se tient debout près du
chancel (clôture en pierre sculptée] de la Chapelle. Il prend
soin des archives du palais, récemment créées, où sont conser-
vés tous les documents envoyés au roi et les copies de tous Pacus:il coïncide avec le comté
à l'époque mérovingienne et
ceux qu'il a expédiés.
devient souvent une subdivi-
L'ordre intimé du palais était exécuté au niveau du comté. Il sion du comté à l'époque
y a environ trois cents comtés dans l'Empire, divisés en pagi carolingienne.
ou en gau. Le comté est dirigé par un comte, le pagus par un
vicaire, le gau par un centenier. Choisi par le roi, le comte
peut être déplacé à volonté ou révoqué. Il est rémunéré par la
jouissance de revenus de biens fonciers impériaux que l’on p? [
appelle honor ou comitatus. Ses fonctions sont très nom- à Honneur,
72 et p. 86.
breuses :il exécute les ordres royaux et il convoque les hommes
libres pour l'expédition annuelle (l'ost}. Il assure la présidence Osr: armée. Le mot vient du
du tribunal royal, le mall public, à raison d'au moins trois latin hostis, l'ennemi.

sessions par an dans chaque subdivision du comté pour toutes


les causes majeures. Il devait avoir autour de lui de dix à douze Mai: tribunal royal, présidé
personnes, ce qui faisait au total environ trois mille personnes par le comte.
chargées d’administrer l'Empire carolingien, alors que l'’Em-
pire romain entretenait dans la seule ville de Trèves deux
mille fonctionnaires! On comprend donc que Charlemagne
ne pouvait tenir en main tous ses territoires avec si peu d’en-
cadrement. L'Empire est sous-administré. Charlemagne groupa
parfois des comtés, les confiant à un duc ou à un markgraf.
Ces territoires situés aux frontières étaient en état de guerre MarkGRAF (MarouIs) : c'est-à-dire
perpétuelle: il y fallait donc un chef doté de tous les pouvoirs. comte d'une marche.

Les marches les plus importantes étaient celles d’Espagne, de


Bretagne et celles qui étaient établies face aux Danois, aux MarcHe :zone frontalière indé-
Wendes et aux Avars. cise tournée contre les païens
ou les musulmans à l'exception
Pour empêcher que ces agents si peu nombreux ne deviennent de la Bretagne.
des despotes locaux, Charlemagne renforça l'institution des
missi dominici. Ces envoyés royaux, circulant au nombre
de deux ou trois, souvent un comte et un évêque, apparaissent
vers 779. Ils sont chargés d’enquêter sur les abus, proposent
des sanctions, président le tribunal, etc. Ce furent eux qui
assurèrent un minimum de cohésion à l’Empire. Quand ils
L
ne parvenaient pas à faire cesser les excès de pouvoir des
comtes, Charlemagne pouvait alors utiliser un autre moyen: Immunité, p. 43.
l'immunité qu’il crut renforcer par la création de l'avoué laïc
L
chargé d'assurer la défense des biens de l’immuniste et
d'administrer ses gens. Ainsi l'arbitraire du comte ne pouvait Avoué, p. 104.
plus s'exercer. Charlemagne enfin, toujours dans le même
désir de renforcer la solidité de son empire, introduisit la
vassalité dans l'État en systématisant l’union du bénéfice
avec le lien personnel. Il exhorta tous les hommes libres à L
entrer dans l’obéissance d’un seigneur par la cérémonie de
mmandation,
p.42 etp.72.
la recommandation. En échange du service militaire de cet
homme, le seigneur est alors tenu de lui offrir l’usufruit à
vie d’un de ses propres biens fonciers. Le service du vassal
est la cause du bénéfice. Ainsi, toute une hiérarchie de
PARTIE 1 # Le Haut Moyen Âge occidental (410-1050)

Vassi DomINIcI: Vassaux parti- subordinations se créa. Charlemagne lui-même s’attacha des
culiers du roi. vassi dominici qu’il chasa sur ses terres. Il obligea évêques
CHaser: installer à demeure et abbés à entrer eux aussi en recommandation. Par ce réseau
quelqu'un sur ses terres. de fidélités s’entrecroisant et aboutissant à sa personne,
l'empereur espérait faire reposer l'édifice politique sur le
respect de la parole donnée, sur la foi jurée par un serment
prêté sur les Évangiles ou des reliques et, surtout, sur les
obligations mutuelles du seigneur et du vassal.

Conception et organisation politiques étaient soutenues par


de puissants moyens d'action. L'armée en est le principal
puisque la guerre est une institution publique, la plus impor-
tante de toutes. Théoriquement, tous les hommes libres doi-
vent le service militaire, à leurs frais, et sont convoqués au
Champ de Mai pour une expédition qui dure souvent trois
mois et plus. Pratiquement, on finit par convoquer seulement
tous les vassaux et les hommes libres habitant près de la
région où l’on allait se battre. Les cas de désertion étaient
punis de mort. L'infanterie ne jouait en général qu'un faible
rôle. C'était souvent la cavalerie lourde qui faisait la décision
grâce à son équipement. Le cavalier portait, en effet, une
BrolGne: tunique de cuir cou- broigne, une épée longue et une lance. Mais, comme cet arme-
verte de plaques de fer cousues. ment revenait environ au prix [très élevé) d’une vingtaine de
vaches, le nombre de ces cavaliers était faible. En 811, quatre
armées opéraient sur l’Elbe, le Danube, l’Ebre et en Bretagne.
Chacune comprenait de 6 à 10 000 fantassins et de 2 500 à
3 000 cavaliers dont 800 cuirassés. Comme elles étaient sou-
vent trop faibles numériquement, cela explique que
Charlemagne ait recouru au massacre et à la terreur pour
[ts s'assurer la victoire.
e
Fisc, p.31. Un autre moyen d'action de Charlemagne était sa richesse et,
tout particulièrement, sa richesse foncière. Il prit un soin jaloux
à bien gérer ses domaines {fiscs) comme nous le montre son
capitulaire de villis. Il pouvait puiser dans ce capital pour
4 6 x
Villa, p. 33.
accorder à ses vassaux des terres qu'il récupérait ensuite à leur
CapiTULaAIRE : textes législatifs mort. Mais, sous Louis le Pieux, l'accroissement de ce capital
classés par chapitres (capitula) s'arrêta avec la fin des guerres et, de plus, l’empereur accorda
proclamés oralement puis mis souvent des terres en pleine propriété et non plus à titre d’usu-
par écrit. voir p. 60. fruit viager, ce qui amorça sa diminution. Les autres revenus
Freoa: tiers des amendes judi- consistaient surtout en amendes judiciaires [les freda), en
ciaires qui Va au roi. amendes pour refus d'aller à l’armée (heriban), en impôts indi-
rects, tels que péages, tonlieux, etc. L'impôt direct romain,
devenu coutumier, est maintenu sous des formes et des
vocables mal élucidés. Au total, des ressources liées plus à la
guerre extérieure qu’à la paix intérieure.
Pour obtenir cette paix, il fallait une justice efficace. C'est
dans ce domaine que l'influence de Charlemagne fut la plus
ÉcHEviNAGE: de scabinat forte. Ses capitulaires comportent de nombreuses prescriptions
(carolingien). Corps de magis- pour améliorer la justice du tribunal du comte. En particulier,
trats municipaux jugeant au
nom du seigneur, puis diri-
il créa des juges professionnels, les échevins, sept par tribunal
geant l'administration des de comté. Il tenta de développer la preuve par témoin ou par
communes. enquête pour enrayer une procédure orale dont les principaux
La rénovation de la civilisation par les Carolingiens

moyens d'action restaient les co-jureurs ou l’ordalie. Il orga- L


nisa l'appel au tribunal du palais en cas de faux jugement. A
Cependant, malgré tous ces efforts et malgré l'influence de Ordalie, p. 43.

l'Eglise qui intervenait souvent pour humaniser les sentences,


la cruauté des peines, la perpétuation des faides, la corruption FAIDE: vengeance obligatoire
des juges continuèrent. Rien n’est plus dramatique et plus du parent d'une victime sur la
parenté du meurtrier.
révélateur que ce monde de violence aux prises avec les efforts
continuels de paix et d'ordre des empereurs carolingiens.

Il. L'Église

La faiblesse de ce gouvernement qui n'arrive pas à saisir cet


agglomérat de royaumes et de peuples si divers dans sa tota-
lité explique le recours continuel à l'Église, seule force morale
et matérielle répandue à travers tout l’Empire au point de se
confondre avec lui. Elle est le ciment d’une unité toujours
poursuivie, mais jamais achevée. Mieux que le service mili-
taire ou le serment exigé de chaque homme libre, mieux que
les comtes, les missi ou les vassaux, le sermon du prêtre de
paroisse peut transmettre la volonté royale et la renforcer par
l’obéissance que doit tout chrétien au roi, jusqu'aux lieux les
plus reculés de l’Empire. Elle est donc le principal auxiliaire
de l'État qu’elle a tenté de rénover, comme elle a rénové l’idée
royale ou l'idée impériale. Nous avons vu comment
Charlemagne, au contraire de Louis le Pieux, voulut la tenir
totalement en main. La décision de l’empereur est indispen-
sable pour entrer dans la cléricature. Il nomme tous les
évêques et même parfois les abbés, ou bien il nomme, à côté
des abbés réguliers, des abbés laïcs. Il fait entrer le clergé dans Agé LAÏC: sorte de vassal du
la vassalité, oblige les grands dignitaires à participer aux plaids prince qui rend le service mili-
généraux, à diriger leur contingent d'hommes libres à la taire en échange de la jouis-
sance d'une partie des terres
guerre, à surveiller les comtes en les nommant missi domi- monastiques.
nici, etc. Ses capitulaires légifèrent pour l’Église et sont rem-
plis de considérations de morale chrétienne. Enfin, il préside
les conciles.
Cette confusion du spirituel et du temporel eut pour principal
résultat d'aider l’Église à accélérer sa réforme entreprise au
A
vine siècle. Deux générations de grands év résentent
cette double renaissance de l’Église,

évêque d'Orléans et

mière est au niveau de l'apprentissage des lettres, and que


la seconde, avec Claude de Turin et Jean Scott Erigène, élabore
une pensée qui va déboucher sur le renouveau de la philo-
rticulier, qui pense la structu
PARTIE 1 # Le Haut Moyen Âge occidental (410-1050)

m LEéletes
Le premier ordre comprend les évêques, les prêtres et les cha-
noines. La réforme épiscopale fut à peu près terminée vers 814
avec l'établissement des archevêchés à la place des métropoles
disparues. L'évêque a de multiples tâches: visiter chaque année
les paroisses rurales et les églises privées appartenant aux
grands propriétaires qui les ont construites sur leurs domaines,
créer des écoles de chantres et de lecteurs, surveiller les monas-
CHORÉVÊQUE : évêque itinérant tères, nommer des chorévêques si son évêché est trop grand,
nommé par un évêque en titre prêcher et défendre la foi, enfin s'occuper du service de la
dans son propre diocèse pour cathédrale avec les chanoines. Ces derniers, depuis l’époque
l'aider à administrer la
de Chrodegang, évêque de Metz au milieu du vu siècle, sont
campagne.
soumis à une règle commune (généralisée au concile d'Aix en
816). Les chanoines peuvent posséder quelques biens en propre,
MENSE (LA) : à ne pas confondre mais sont astreints au réfectoire et au dortoir communs. Les
avec le manse, voir p. /4.
revenus de l'évêché sont divisés en deux parts: la mense (ou
table] épiscopale, et la mense capitulaire (ou table des cha-
PRÉBENDE : part du revenu de la noines|. La deuxième mense est divisée en autant de prébendes
mense réservée à un chanoine qu’il y a de chanoines; la prébende subvient aux besoins du
pour sa nourriture et son
chanoine. Enfin une législation épiscopale, les statuts syno-
entretien.
daux, apparut et régla la situation des diacres et prêtres. Elle
s’occupa en particulier de leur instruction et renforça la pra-
tique du célibat. Au niveau des moyens matériels du clergé
paroissial, le problème de la confiscation des terres d'Église
Dime: dixième partie de la par le souverain fut résolu par une compensation imposée en
récolte versée au clergé dans le 779 par un capitulaire: désormais toute terre, y compris les
cadre de la paroisse. terres royales, était redevable de la dîme aux églises rurales.
Un quart de la dîme devait aller à l'évêché.

Si l’évêque carolingien eut un rôle brillant et se trouva souvent


au premier rang de l’action politique, le principal personnage
de l’ordre des moines, l'abbé, fut en revanche plus effacé. Il
semble d'abord que Charlemagne se soit méfié des monastères
où s’enfermaient des hommes libres, ce qui diminuaïit d'autant
son potentiel militaire. Il n’aimait pas l'élection libre de l'abbé
par ses moines et nommait souvent, outre l'abbé régulier, un
abbé laïc, qui, en échange de la jouissance des terres abbatiales,
lui rendait le service militaire. Il utilisa les moines comme
missionnaires essentiellement en Saxe et en Carinthie, en
mélangeant prédication et terreur, installation de la hiérarchie,
création de monastères et baptêmes forcés. Mais jamais
Charlemagne n’encouragea de missions à l'extérieur de
l’Empire, comme le fit plus tard son fils. Louis le Pieux eut,
en effet, une tout autre attitude envers les moines qu'il révé-
rait particulièrement. Saint Benoît d’Aniane le poussa à mettre
en pratique une réforme générale du monde monastique. Le
capitulaire du 10 juillet 817 réaffirma l'obligation de la règle
de saint Benoît dans chaque couvent, masculin ou féminin,
dans le dessein de rendre au culte et à la prière un primat absolu
OgLars: jeunes gens « offerts »
(oblati) par leurs parents aux aux dépens des fonctions d’évangélisation et de culture. Le
moines pour qu'ils se chargent travail manuel redevint obligatoire, l’école monastique fut
de leur éducation. réservée aux oblats, la clôture des moniales sévèrement
La rénovation de la civilisation par les Carolingiens

observée. Cette réforme finit par s'établir petit à petit, non


sans résistance, car les laïcs répugnaient à accepter la liberté
de l'élection de l'abbé. De toute façon; les monastères devin-
rent des centres à multiples fonctions: agricole, spirituelle et
intellectuelle.

Si les monastères par leurs deux écoles, intérieure et extérieure, D L


leur bibliothèque et leur scriptorium furent à la base de la L.:
riptorium,
Renaissance carolingienne, ils n’en furent cependant pas les p.36.

initiateurs. L'œuvre de Charlemagne fut ici capitale. C’est lui


qui ordonna, dans le célèbre capitulaire dit Admonitio Generalis
de 789, « que, dans chaque évêché, dans chaque monastère, on
enseigne les psaumes, les notes, le chant, le comput, la gram- Compur: calcul des jours et des
maire et qu'on ait des livres soigneusement corrigés ». Dans mois pour les fêtes mobiles
religieuses.
les vingt dernières années du vin‘ siècle, un immense effort fut
accompli. Il fallait d’abord, après avoir réformé le clergé, passer
à la réforme de la liturgie. Charlemagne demanda au pape en
774 une collection entière des textes conciliaires et décrets
pontificaux pour unifier la législation ecclésiastique sur un
texte de base. En 786, il obtint de Paul I‘ un sacramentaire SACRAMENTAIRE : livre liturgique
contenant les formules pour la
grégorien qui lui permit d'introduire la liturgie romaine et
délivrance des sacrements.
d'éliminer les liturgies locales, gallicane, wisigothique ou irlan-
daise. De là partit toute une révolution musicale avec l’inven-
tion de la polyphonie, par le biais du neume, signe qui permet
de marquer la hauteur d’un son sur une partition, et du trope,
TrRoPe: juxtaposition d'une
syllabe d’un texte placée sous un neume, et de conserver une
syllabe d'un texte avec une
composition musicale. Ainsi furent posées les bases du contre- note de la mélodie.
point mélodique qui dura jusqu’au Traité d'harmonie de
ConTREPOINT :technique musi-
Rameau en 1750. cale juxtaposant neumes et
L'amélioration des manuscrits se traduisit par d’autres progrès. tropes en deux ou trois mélo-
dies, ou bien sur deux rythmes
Certains scribes de l’abbaye de Corbie mirent au point vers
différents, sans possibilité de
770, à partir d’une minuscule anglo-saxonne, une lettre minus- supprimer les dissonances.
cule ronde que nous appelons maintenant minuscule caroline.
Encore aujourd’hui, elle est, sous le nom de « romain », le
caractère de base de tous les typographes. Grâce à cette cal-
ligraphie plus claire et plus nette, de nombreux manuscrits
furent recopiés. Avec l'augmentation du nombre des écoles,
surtout après le concile de Mayence de 813 qui ordonna la
création d'écoles rurales pour la formation de jeunes prêtres,
il fallut de nombreuses bibles. Alcuin en fit établir une, tandis
que Théodulf publia une Bible critique avec les différentes
variantes des manuscrits. Les auteurs païens ne furent pas
laissés de côté. Les bibliothèques monastiques d'Occident se
remplirent alors de textes latins classiques ou patristiques,
mais fort peu de grecs. Sur les 840 auteurs latins sauvés par
ces manuscrits, beaucoup d'éditions actuelles d'ouvrages
antiques reposent sur des manuscrits carolingiens duix° siècle.
Naissance des langues européennes
Le plus étonnant fut que cette redécouverte du latin classique
s'opérait alors même que l'on cessait de parler cette langue.
Le concile de Tours en 813 ordonna à tous les prêtres de prê-
cher désormais « en langue romaine rustique ou germanique ».
Eee M
PARTIE 1 & Le Haut Moyen Âge occidental (410-1050)

L'ancien français ou le haut-allemand sont donc déjà largement


répandus à cette époque. En même temps qu’apparaissent les
premiers textes en langue germanique, le catalan commence
à se différencier du futur castillan. En Gaule même, un frac-
tionnement linguistique se produit entre la langue au nord de
la Loire qui fut plus tard appelée langue d'oïl (prononcez oui,
puisque c’est ainsi que l’on acquiesce en français actuel) et
celle, plus proche du latin, qui va s'appeler occitan où langue
d'oc. Ainsi les langues européennes apparaissent nettement
constituées au moment où le latin prend son essor de langue
morte universelle. Dans ces différentes langues naît une autre
culture. Charlemagne fit mettre par écrit les poèmes épiques
germaniques. Il n’en subsista rien malheureusement. Des
ÉPoPéE: poème composé à épopées en langue romane étaient véhiculées oralement de
propos d'un événement mili- génération en génération comme la célèbre Chanson de
taire, appris par cœur, transmis Roland. Toute une culture populaire d'illettrés a dû exister,
de bouche à oreille, amplifié par
mais il ne nous en est presque rien resté.
l'imagination créatrice des
conteurs au fur et à mesure de La première génération de lettrés
la transmission.
Les cleres ont ainsi le quasi-monopole de la culture lettrée
L savante. Les grands écrivains carolingiens qui, sortis de
- s libéraux, l'apprentissage du psautier et des deux cycles des arts libéraux,
232: prennent la plume, sont presque tous d'Église. Les ouvrages
pédagogiques d’Alcuin, l'Histoire des Lombards de Paul
Diacre, les poèmes de Théodulf, les Annales écrites dans les
monastères sont œuvres de clercs. Seul laïc de sa génération
qui ait écrit, et encore sur le tard, Eginhard a laissé une bio-
graphie classique de Charlemagne, encombrée de tournures
issues de Suétone, mais de très grande valeur historique. À la
deuxième génération, les fruits de cette renaissance intellec-
tuelle sont plus importants. La deuxième génération de lettrés
a une originalité plus nette. L'exégèse, en particulier avec les
traités de Claude évêque de Turin qui commente les lettres
de saint Paul, voit ce dernier démontrer que l'esclavage est
incompatible avec le christianisme. Les ouvrages de réflexion
politique de Jonas, d'Agobard, ou d’Adalhard, la poésie reli-
gieuse de Walafrid Strabon ou de Sedulius Scott, les lettrés de
Loup, abbé de Ferrières, révèlent une plus grande maturité et
une originalité plus nette. L'Histoire des fils de Louis le Pieux
par Nithard est une œuvre historique d’un laïc soucieux d’au-
ments. thenticité et d'exactitude: c'est grâce à lui qu'a été conservé
rasbourg, le texte des serments de Strasbourg de 842 qui sont les plus
p. 80.
anciens témoins des langues française et germanique. Les
progrès furent tels que les destructions des bibliothèques par
les Scandinaves n’entravèrent point cette renaissance.

Cette renaissance se traduisit aussi au plan architectural et


pictural. Le culte des reliques, l'adoption d’une nouvelle litur-
gie, nécessitèrent de nouveaux types d’églises ou de monastères.
Les « cryptes », sortes de constructions voûtées à moitié enter-
rées aux extrémités occidentale ou orientale des nefs, se déve-
loppèrent. On ajouta des mausolées au chevet, des sanctuaires
- tribunes au premier étage des tours de façade. L'édifice le plus
La rénovation de la civilisation par les Carolingiens

beau et le plus complet est évidemment la Chapelle d'Aix qui,


par son plan et son symbolisme, rappelle les palais byzantins,
le Saint-Sépulcre de Jérusalem et le baptistère de Saint-Jean-de-
Latran à Rome. Cet art carolingien qui se veut antique fait
alterner les marbres de couleur, la pierre blanche taillée en cube
avec la brique longue, telle la porte triomphale de Lorsch.
L'intérieur des églises était somptueusement orné de mosaïques
à fond doré comme celle qui a subsisté à Germigny-des-Prés,
ou de fresques couvrant tous les murs comme à Saint-Germain-
d'Auxerre ou à Saint-Jean-de-Mustair. La sculpture réapparaît,
en méplat, sur les chancels. Le travail de l’ivoire et des métaux
précieux permet la création de calices, de reliquaires et de L'abbaye carolingienne
châsses somptueux destinés à créer une impression de puissance de Saint-Riquier
hors du commun. Les miniatures des manuscrits où convergent Fe CORs RAA AE
influences byzantines, irlandaises ou antiques révèlent des US
tempéraments artistiques nouveaux, des coups de plume d’une
finesse extraordinaire de suggestion comme chez l’auteur du
Psautier d'Utrecht, ou des atmosphères tourmentées d’une
grande intensité chez le miniaturiste de l'Évangéliaire d'Ebbon.
Toutes les bases de l’art occidental sont ainsi posées: sens de
la ligne et du volume, jeu des couleurs, refus de l’art pour l’art,
affirmation d’une grandeur humaine et divine.

III. Les laïcs

Face à la puissance de l’Église, le troisième ordre, celui des laïcs,


est nettement en position d’infériorité. C'est à partir de l’époque
carolingienne que l'identification entre laïc et illettré s’installe.
Parmi les Grands, les hommes cultivés sont très rares, ce qui
n'empêche pas les familles nobles de dominer le monde laïc et
d'évoluer grâce à l'étendue de l’Empire et aux faveurs impériales
vers un véritable cosmopolitisme. Par leurs alliances avec la
famille royale ou avec les noblesses locales, par les nominations
dans les comtés, elles s’implantent rapidement à peu près par-
tout, absorbant anciennes familles sénatoriales, ou anciens
chefs de tribus germaniques. Charlemagne choisissait comme
comtes presque exclusivement des Francs d'Austrasie, des
Hispano-Wisigoths, des Lombards ou des Bavaroïs, afin de ralen-
tir la tendance de cette aristocratie à s'implanter dans les régions
administrées. C’est ainsi que l’Austrasien Guillaume fut anson
nommé comte de Toulouse en 790. Ce héros de chanson de Dr de geste,
FRA
geste, victorieux des musulmans, se retira dans un couvent
qu’il avait fondé en 804. Mais on retrouve un peu plus tard son
fils Bernard, marquis de Septimanie, puis chambrier de Louis
le Pieux. Comploteur hardi et sans scrupule, il finit par être
condamné pour lèse-majesté par Charles le Chauve et exécuté
en 844. Son fils aîné, Guillaume, trahit et fut exécuté à
Barcelone en 850. Son fils cadet, Bernard Plantevelue, fit de
même, mais il retrouva la faveur du souverain et devint mar-
enfin,
quis de Septimanie et comte d'Auvergne. Le petit-fils,
Guillaume, assoit définitivemen t l'indépendan ce du duché
PARTIE 1 Le Haut Moyen Âge occidental (410-1050)

d'Aquitaine et fonde le monastère de Cluny en 902. Les biens


de cette famille germanique « importée » dans le Midi s'éten-
daient alors de l’Austrasie au Toulousain en passant par
l’'Autunois, le Mâconnais et l'Auvergne. Il avait suffi de deux
générations pour que la politique de Charlemagne échouût.
Cependant, on peut dire que, jusqu’en 840 environ, cette aris-
tocratie resta fidèle aux empereurs et aux rois.

Comment se fait-il que Charlemagne ait vu le danger de la crois-


sance du pouvoir des nobles et n'ait pu l'empêcher? C'est en
réalité son fils qui a rompu l'équilibre entre les biens fonciers
fiscaux et les biens fonciers accordés en jouissance à la noblesse.
À partir de son règne, les premiers diminuent régulièrement au
profit des seconds. De plus, un simple comte peut avoir sous sa
direction trois sortes de biens: ses propriétés personnelles ou
4 L familiales, acquises par achat ou reçues par dot ou testament,
Honores, puis ses honores, biens reçus à titre temporaire pour son service
de comte, enfin ses bénéfices reçus à titre viager après le serment
ù <
p.65 et p. 86.
de recommandation. Dernière source de puissance pour ce noble,
les vassaux qu'il a rassemblés autour de lui. Charlemagne a
d'ailleurs encouragé cette évolution vers une société vassalique
englobant tous les hommes libres, par la cérémonie de recom-
mandation. Celle-ci était pratiquée aussi pour les simples vassaux.
Après la remise des mains dans celles du seigneur et le serment
RecomMaNDATION : ainsi celle de de recommandation, il y avait investiture du bénéfice, à l’aide
Tassilon en 757 « qui se recom- d'un symbole: motte de terre ou branche garnie de feuilles, cen-
mande en vasselage par les sée représenter la jouissance de la terre accordée {et non sa pro-
mains. || jura de multiples et
innombrables serments, en
priété]. Ainsi, par une chaîne de serments, on descendait du roi
mettant les mains sur les par les vassaux royaux aux vassaux ordinaires. Charlemagne pré-
reliques des saints. Et il promit cisa bien que les contrats ainsi conclus étaient indissolubles, sauf
fidélité au roi Pépin et à ses fils en cas de crime ou d’injustice du seigneur envers le vassal. Cela
susdits, les seigneurs Charles et
Carloman, ainsi que par droit un
était valable aussi pour les vassaux ecclésiastiques. L'empereur
vassal doit le faire avec un esprit espérait renforcer ainsi l'État, alors qu’en fait son fils Louis le
loyal et un ferme dévouement, Pieux laissa se développer la puissance de l'aristocratie. Les par-
comme un vassal doit l'être à tages de son règne obligèrent les nobles qui changeaient de roi à
l'égard de son seigneur. »
de nouvelles prestations de serments, affaiblissant ainsi la force
du lien personnel au profit du lien matériel.
Précisons bien que ces institutions vassaliques se répandent
surtout en pays germanique et tout particulièrement entre
Rhin et Loire. Dans le Midi et en Lombardie, malgré l’encou-
ragement que leur donnent les rois carolingiens, elles restent
embryonnaires. Seul existe le serment de fidélité. Le bénéfice
ne lui est jamais lié, sauf évidemment dans le cas des agents
royaux francs. Il en fut de même pour les autres catégories
sociales laïques, celles du monde rural où esclaves, colons et
libres entrent petit à petit dans le cadre de la seigneurie rurale.

La plus grande partie de la population est alors au travail dans


(s
les campagnes, sur ces grandes propriétés foncières aristocra-
Villae, p.33. tiques appelées villae. L'esclave de type antique ne subsiste
La rénovation de la civilisation par les Carolingiens

vraiment que dans le Midi ou bien dans la maisonnée pour


les services domestiques. Il est très souvent casé sur un manse
qu'il cultive et, insensiblement, sa condition économique dif-
fère de plus en plus de sa condition juridique. La traite des
esclaves, après avoir connu un regain important sous le règne
de Charlemagne, diminue avec l'arrêt des guerres. Comme il
est désormais interdit de réduire un chrétien en esclavage, il
faut aller à la chasse à l’homme chez les Slaves païens.
L'apparition du terme Sclavus en 918 pour désigner un Slave ScLavus: Slave, nom propre
prisonnier réduit en servitude prouve que la traite des esclaves désigant des tribus païennes
d'Europe Centrale. || devient un
depuis les pays danubiens jusqu’en Espagne devient la source nom commun, esclave, pour
d’un nouveau type de commerce à destination des pays musul- désigner des personnes réduites
mans. Comme l'Église reconnaît la validité du mariage des à l'état de marchandise bien loin
esclaves, ordonne prêtres des esclaves affranchis et encourage du servus antique désormais
disparu.
les affranchissements, la personnalité juridique de l’esclave
apparaît. Comme enfin il est plus facile d'exiger d'un esclave
ou d’un colon des corvées quelques jours par an sur les terres
du maître, que de surveiller tous les jours des troupeaux d’es-
claves, on comprend que pour toutes ces raisons l'esclavage
ait très sérieusement décliné au point de se fondre avec le
régime des colons. Ces derniers, en effet, incapables de Le
répondre aux convocations au mall comtal ou empêchés par all, p. 32
et p.65.
leur maître, tombèrent sous son pouvoir de contrainte. Leur
condition juridique empira jusqu’à une demi-liberté analogue
à celle des esclaves. De plus, les terres qu'ils occupaient étaient
appelées comme leur usufruitier: manses libres, alors que les
terres des esclaves étaient appelées serviles. Dès le règne de
Charlemagne, on trouve des esclaves sur des manses libres et
vice-versa. Dans cette confusion des statuts, le passage de
l'esclavage et du colonat à un nouvel état appelé servage se fit
insensiblement « sans grande secousse sociale ». Le serf
esquissé au 1x° siècle, dépendant total d'un seigneur, est un
« non-libre ». Pour distinguer le paysan libre du serf, il n’y a
désormais, vu l'identité de condition économique et le mélange
des statuts juridiques, qu'un seul critère: la naissance. On est
libre ou non-libre par naissance. Quant aux petits propriétaires
libres dont les terres commencent à être désignées par le terme
d'alleu, notre documentation très rare ne doit pas cependant
faire conclure à leur petit nombre. Ils existent, mais nous ne
les connaissons pas.

Les pauvres libres en cas de famine ou d'épidémie où même


en temps ordinaires sont sous la menace d’une mort immi-
nente. Depuis l’époque mérovingienne l'Église a créé des ins-
titutions caritatives financées par les revenus des terres
écclesiastiques. La matricule des pauvres comporte une liste
de mendiants entretenus par chaque église. Les hôpitaux, les
orphelinats prennent en charge les malades et les enfants
abandonnés. Chaque évêché a son Hotel-Dieu. Dans les monas-
tères les services de la porterie et de l’hotellerie accueillent
les pauvres de passage, mendiants et pelerins. « Que les
"
= —_—_—_—_—— I
PARTIE 1 # Le Haut Moyen Âge occidental (410-1050)

pauvres, les orphelins et les veuves soient sous la paix de


l'Église » ordonne le capitulaire pour les missi en 810.

m Legrand domaine sur le grand domaine qui semble avoir


Le système agraire repose
PoLyPTYQUE: registre de droits été créé à l'état parfait entre Seine et Rhin, comme nous le prou-
et de redevances écrit d'abord vent les polyptyques, en particulier celui d’Irminon, abbé de
sur des tablettes attachées les Saint-Germain-des-Prés, au début du 1x° siècle. Désormais, au
unes aux autres, puis sur un centre se trouve la réserve (terra indominicata), ensemble de
ensemble de feuilles de
parchemin.
terres labourables, vignes et pâtures, avec un centre d’exploita-
tion appelé curtis ou cour, c’est-à-dire des maisons d'habitation
du maître, des bâtiments d'exploitation, moulin, pressoir, bras-
Manse: théoriquement, le serie, etc. Toute cette partie était mise en faire-valoir direct.
manse est censé nourrir une
famille de paysans. Sa superficie Mais par qui, puisque les esclaves ont diminué en nombre? Par
est calculée en conséquence; il les tenanciers des terres situées dans la deuxième partie du
peut être labouré par un araire domaine: les manses. En dehors du travail qu'ils font sur leurs
et un attelage de deux où tenures, les tenanciers doivent donc aider à la culture de la
quatre bœufs. Cette superficie
varie énormément selon les
réserve. C’est une manière de payer le loyer de leur manse au
régions et selon le statut, servile maître. Certains, qui ont reçu un lot-corvée inclus dans la
ou libre. De toute façon, tous les réserve, doivent le cultiver en entier sur tout le cycle annuel.
manses appartiennent au pro- D'autres doivent un certain nombre de jours de travail sur la
priétaire et constituent une
réserve, par exemple trois jours par semaine chez les Bavaroïs,
unité fiscale. Voir aussi p. 33.
pour y accomplir les grandes opérations agricoles: labourer,
semer, moissonner, vendanger, battre le seigle ou l'orge, etc. Ils
doivent aussi accomplir des travaux de clôture ou faire des char-
rois avec leur propre attelage afin de transporter les excédents
de la réserve, appelée aussi domaine, vers tel ou tel lieu de vente.
Ajoutons enfin comme autres prestations, des redevances en
nature ou plus rarement en argent. De toute façon, comme à
l’époque mérovingienne, la forêt et les espaces incultes étaient
communs aux troupeaux de pores du maître et du tenancier. Le
bois, le miel, la venaison, les fruits et baies sauvages constituent
toujours un appoint indispensable aux légumes du potager et au
pain. L'économie de cueillette ne perd pas ses droits.
Ce mode de production agraire, appelé aussi dans les PaystBas
et en Angleterre le système du manoir, fut rentable. Appelé
bifang en Bavière, aprision en Aquitaine et Septimanie, ces
contrats de défrichement sont analogues à la pressura en Galice
(cf p. 56). Les rendements furent certainement supérieurs à
trois pour un, quand on peut les saisir. L'outillage est insuf-
p L fisant, le fer manque, l'absence de fumure est totale, sauf pour
Se Rotation les potagers, la rotation triennale des cultures est peu répan-
triennale, p.115. due. Ainsi s'expliquent, malgré une certaine augmentation de
la population sous Charlemagne, la menace constante de la
sous-alimentation. Les grands domaines ne sont encore que
des îlots de culture, parfois surpeuplés, au milieu d'espaces
vides. Ils s'étendirent jusqu’à la Loire. Rares sont les défriche-
ments, sauf aux extrémités de l’Empire, en Bavière ou en
Septimanie. Quant aux autres types d'exploitation, ils sont
caractérisés par la séparation de la réserve et des tenures. En
Lombardie, des baux temporaires existaient entre propriétaires
et paysans. Le grand domaine produisait des excédents à écou-
ler et à commercialiser.
La rénovation de la civilisation par les Carolingiens

Ne pas confondre les unités


monétaires avec les unités de
En effet, même le grand domaine classique ne pouvait se suf- poids. La livre-poids passe de
fire: il fallait toujours se procurer, soit du fer pour les outils, 327 q. à l'époque romaine à
soit du sel pour la conservation de la viande, soit du vin dans 409 g. sous Charlemagne. Le
marc, unité germanique pesant
les régions non vinicoles. Mais, pour cela, il fallait une mon-
244,5 g, apparaît alors.
naie au pouvoir d'achat faible et accessible à tous. C’est pour-
quoi Charlemagne adopta définitivement l'argent comme 1 Livre = 20 sous = 240 deniers.
étalon monétaire. Par sa réforme de l'hiver 794, il réévalua le 1 sou = 12 deniers.
denier d'argent de 25 pour 100; désormais, il pèse 1,70 g, à
Seule circule la pièce appelée
partir d’une livre de 409 g. Le système comporte deux mon- denier. || en faut 240 pour faire
naies de compte, la livre et le sou utilisés pour les transac- une livre. Ce système de la livre,
tions. L'empereur sut, en même temps, supprimer les frappes du sou et du denier s'étendit à
privées, maintenir dans des ateliers au nombre fixe son mono- toute l'Europe occidentale. Il
dura en France jusqu'à la
pole royal. C'était donc orienter l'économie vers l’espace nor- Révolution et en Angleterre
dique et encourager les échanges locaux. Un capitulaire de jusqu'en février 1971.
Charles Martel en 744 autorisa la création de marchés ruraux MONNAIE DE COMPTE: Unité
dans les vici. Ils se multiplièrent :on y échangeait les produits monétaire fictive qui ne corres-
de première nécessité, avec un seul denier (per denarata), pond pas à une pièce réelle-
expression qui est à l’origine du mot denrée: ce que l’on achète ment frappée, mais permet
d'additionner et de multiplier
avec un denier. toute monnaie, frappée ou
À ces faibles échanges régionaux, se juxtaposèrent des échanges non.
internationaux. Les grands marchands juifs continuèrent à
importer les produits orientaux, étoffes de soie, épices, et à
vendre à l'extérieur de l’Empire esclaves et bois en utilisant L
comme lieux de transit Verdun et Troyes. Les marchands
Vici, p. 33.
d'abbayes importent le sel des marais salants ou bien les vins
des vignobles les plus proches. Des Francs vendent aux Slaves ; L
et aux Normands des armes, des cuirasses et du bétail, en AY
FA 343,8.
\,

échange de fourrures et d'esclaves, au point qu'en 805


Charlemagne est obligé, pour des raisons de sécurité, de mettre
l'embargo sur l'exportation des épées et des broignes. Les nou-
veaux courants économiques se manifestent par l'apparition
de nouveaux ports. Au débouché du Rhin, de la Meuse et de
l’Escaut, qui deviennent de grandes voies commerciales et
transportent des blés germaniques vers les pays du Nord, se
développe surtout Duurstede. À l'embouchure de la Canche,
Quentovic prend un essor remarquable grâce à ses relations
avec l'Angleterre. La grande nouveauté est l'apparition de
Doce: le plus haut magistrat
Venise. Après le premier doge élu, Maurice (764-787), les îlots vénitien depuis la fin du
de la lagune groupés autour du Rialto deviennent un centre vie siècle. Élu à vie d'abord par
important de commerce local et international portant sur le le peuple entier, puis par un
bois, les esclaves, les épices d'Alexandrie, les soieries de collège restreint de patriciens, il
incarne la majesté de la
Constantinople, le poisson et le sel de l’Adriatique. En 828, République.
deux marchands vénitiens parviennent à voler les reliques de
saint Marc à Alexandrie et celui-ci devient le patron de la
nouvelle puissance. Cet essor était prometteur mais fragile,
car il ne concernait encore que quelques privilégiés.
Au niveau régional, les échanges n'ont donc que peu d'influence
sur l'évolution urbaine, sauf dans les régions nordiques où le
commerce fluvial est à l'origine de l'apparition du portus, le
plus souvent une plage ou une grève sur laquelle les marchands
débarquent leurs ballots, au pied de l'enceinte d'une abbaye
ou à la limite d’un domaine. C'est le cas de Gand qui se
PARTIE 1 Le Haut Moyen Âge occidental (410-1050)

développe autour des abbayes de Saint-Pierre au Mont-Blandin


et Saint-Bavon, ou bien sur l'estuaire de l’Aa, de Saint-Bertin
et Saint-Omer, qui deviennent le centre d’une agglomération
urbaine. Ailleurs, le caractère religieux de la ville reste domi-
nant. Les faubourgs se développent autour des vieilles fortifi-
cations. À l'intérieur de ces dernières d’ailleurs, l'introduction
des chapitres de chanoines oblige à de nouvelles constructions
et à expulser hors des murs les anciens habitants. Parfois
même, les anciennes murailles furent abattues. Sous
Charlemagne, 232 monastères, 7 cathédrales et 65 palais furent
construits. Néanmoins, ce renouveau dura peu et l'impression
demeure finalement d’une certaine fragilité. Les bases du
Moyen Àge ont donc été posées par les Carolingiens au niveau
de la royauté, de la vassalité, de l'Église, de la culture intel-
lectuelle et artistique, du servage, de la monnaie, mais, au
total, ce n’est qu’une ébauche d'Europe. Cette esquisse sera
bouleversée par les héritiers de Charlemagne.

L'état de la recherche
La numismatique
La rareté des documents économiques pour le Haut Moyen Âge fait que l'on a souvent recours aux
pièces de monnaie. En effet, émises par l'État qui leur donne une valeur officielle souvent supérieure
à la valeur réelle en métal de la pièce, ces moyens d'échange apportent à l'historien de nombreux
renseignements.

Ce sont d'abord, grâce à menace de guerre ou lors La proportion idéale est de


un type monétaire (en d'une fuite devant un ennemi. vingt-trois carats d'or contre
général portrait sur le côté C'est ainsi qu'en reliant par un un carat de cuivre. L'émission
face, inscription sur le côté trait sur une carte les trésors des monnaies correspond en
pile) des témoins de la propa- enfouis à une même date, il est Gaule au développement des
gande politique du moment. possible de dessiner les voies bourgs agricoles, des mines
Circulant entre toutes les de progression d'une invasion. de sel et des ports, en Espagne
mains, leur lecture touche au maintien des villes. À partir
toutes les catégories sociales M: les nouvelles connais- de 580, les trésors monétaires
les plus diverses. Elles sont sances apportées par la permettent de s'apercevoir
ensuite, grâce aux titulatures, numismatique sont surtout que le commerce byzantin
à leur degré d'usure ou de d'ordre économique. Depuis emprunte à partir de Fos et de
fraîcheur (pièces dites à fleur Clovis et même avant, tous les Marseille, la route du Rhône,
de coin), des instruments rois germaniques ont imité le de la Saône de la Meuse et
de datation, importants en sou d'or romain (4,5 g) et son du Rhin. Les monnaies frap-
archéologie. Cette datation sous-multiple, le tiers de sou. pées à Constantinople sont
est dite post quem, c'est-à-dire, Les poids sont en général les découvertes jusqu'en Frise et
après la date de frappe plus ou mêmes ainsi que les titres. On en Angleterre. L'unité écono-
moins soignée du moment de appelle titre la proportion de mique méditerranéenne est
l'enfouissement. Ceci est vrai métal pur par rapport à celle donc toujours maintenue.
aussi bien pour les découvertes d'un autre métal, argent ou
de monnaies isolées que pour cuivre, destiné à durcir cet M ais les dévaluations des
celles de trésors cachés préci- alliage pour le rendre plus pièces franques tant
pitamment au moment d'une résistant et moins ductile. en poids qu'en titre prouvent
La rénovation de la civilisation par les Carolingiens

que la masse monétaire est d'argent appelées pence en une économie en expansion.
trop importante par rapport à Angleterre et sceattas en Frise. La monnaie carolingienne
la demande. On s'adapte à un Le royaume mérovingien se répand à travers l'Europe
marché qui se restreint. Vient s'adapte alors à ce nouveau jusqu'en Scandinavie. Cette
ensuite l'apogée du royaume commerce de produits lourds. richesse ne tarde pas à provo-
franc sous Clotaire Il et Childeric Il en 673-675 lance le
quer les pillages des Vikings
Dagobert. L'unité du royaume denier d'argent de 1,36 g dont
qui extorquent aux pays enva-
et la prospérité permirent à le pouvoir d'achat est douze
his 60 000 livres d'argent. Les
leur « ministre des finances » fois inférieur à celui de l'or.
Éloi, de réévaluer le tiers de Cette révolution monétaire troubles politiques entraînent
sou, qu'il fait frapper aussi casse la déflation créée par alors à partir du capitulaire
bien à Paris, qu'à Marseille et une monnaie d'or à trop fort de Pitres de 864 la perte de
Arles. On constate en effet pouvoir d'achat et permet contrôle de l'administration sur
que le titre tombé à 16 carats de développer l'utilisation les émissions de deniers. Les
remonte à 20 carats. Cette de la monnaie dans d’autres dévaluations réapparaissent,
réévaluation prouve qu'il y a couches sociales jusque sur les imitations et falsifications
prospérité économique. Mais les marchés ruraux. Ces inno- se multiplient. Les princes féo-
cet effort est le dernier pour vations monétaires prouvent daux s'emparent du privilège
revitaliser l'économie antique que l’Europe se tourne vers
royal de la frappe. Le denier
méditerranéenne. les zones en expansion de
carolingien est uniformément
l'Europe du Nord.
frappé selon le type « immobi-
n effet, la deuxième moitié lisé » de Charles le Chauve. Ces
du vi siècle voit les tiers ne fois l'ordre revenu avec monnaies ne permettent plus
de sou perdre leur pouvoir les Carolingiens, le pouvoir la datation. Mais leur multi-
d'achat, tomber à 14 carats, politique peut alors consolider plication et leur faible rayon
avec un alliage à base d'ar- le nouvel espace économique.
de circulation prouvent que
gent au point que les pièces La réforme de l'hiver 793-794
l'économie de l'époque féo-
deviennent blanches. En fait passer malgré les résis-
tances, le denier d'un poids dale est certes morcelée, mais
même temps les trouvailles de
monnaies byzantines dispa- de 1,30 g à 1,70 g. Cette réé- dynamique. La numismatique
raissent, tandis qu'en mer valuation en poids d'un tiers révèle donc des liens étroits
du Nord circulent des pièces correspond à l'adaptation à entre économie et politique.

EE

Bibliographie
On se reportera tout d'abord à la bibliographie du chapitre 2 pour les questions institutionnelles,
sociales, économiques et intellectuelles (en général ces ouvrages couvrent tout le haut
Moyen Âge).
e
Ilfaut connaître l'ouvrage monumental collectif en quatre volumes, Karl der Grosse, Lebenswerk
und Nachleben, Düsseldorf, 1965-1966.

Pour lesinstitutions:
Du même auteur,
E.-L. Ganskor, The Frankish Institutions under Charlemagne, Providence, 1968.
Kingship and the
Recherches sur les Capitulaires, Paris, 1958; J.-M. WaLLAcE-HADRILL, English
Continent, Oxford, 1971.

Surl’Église:
Histoire de l'Église, t. 2,
E. Aman, L'Époque carolingienne, Paris, 1941 ; C. BiHLMAYER et H. TucHe,
1933-1938;
Mulhouse, 1963; G. SCHNURER, L'Église et la Civilisation au Moyen Âge, Paris,
PARTIE 1 # Le Haut Moyen Âge occidental (410-1050)

M. Ausrun, La Paroisse en France des origines au x siècle, Paris, 1986; J. CHELINI, L'Aube du Moyen
rites funéraires et
Âge, Paris, 1991; C. TREFFORT, L'Église carolingienne et la mort. Christianisme,
du début du vif au
pratiques commémoratives, Lyon, 1996; L. Feer, Église et société en Occident
De la destructi on à la restaurati on. L'idéologie du
milieu du xF siècle, Paris, 2004. Th. DeswarTe,
royaume d'Oviedo-Leon (vii-xf siècle), Turnhout, 2003.

Pour la culture:
and Letters in
J. DE GHELUINCK, Littérature latine au Moyen Âge, Paris, 1939; M. LAISTNER, Thought
et
Western Europe, A.D. 500-900, Londres, 2° éd., 1957. La meilleure synthèse est P. RicHé, Écoles
enseignement dans le Haut Moyen Âge, Paris, 1989. L'ensemble de la culture carolingienne est
revu par M. Sor, Un historien et son Église. Flodoard de Reims, Paris, 1993.

Pour les langues:


Ph. Wourr, Les Origines linguistiques de l'Europe occidentale, Toulouse, 2° éd. 1983; du même
auteur, L'Éveil intellectuel de l'Europe, Paris, 1971.

Pour les questions artistiques:


Quatre livres importants: C. Herz, Recherches sur les rapports entre architecture et liturgie à
l'époque carolingienne, Paris, 1963, et J. Huerr, J. PorcHer et W.-F. VoLBAcH, L'Empire carolingien,
Paris, 1968; C. Herz, L'Architecture religieuse carolingienne, Paris, 1980 ;du même auteur, La France
préromane, Paris, 1987. Ph. Bernaro, Du chant romain au chant grégorien, Paris, 1996.

Pour la société, les institutions vassaliques et la seigneurie rurale:


Voir les livres cités au chapitre 2. Ajouter M. BLocH, La Société féodale, Paris, rééd., 1968. Du même
auteur, Les Caractères originaux de l'histoire rurale française, 2 vol. Paris, 1961-1964, et surtout,
G. Duay, L'Économie rurale et la vie des campagnes dans l'Occident médiéval (France-Angleterre-
Empire) w-x siècle, 2 vol. Paris, 1962; Guerriers et paysans, Paris, 1973. Ces questions ont été
renouvelées par K. F. Werner, Naissance de la noblesse, Paris, 1998 et J.-P. Pory et E. BOURNAZEL,
Les Féodalités, t. |, Paris, 1998.

Pour les villes:


F. VERCAUTEREN, Les Civitates de la Belgique Seconde, Bruxelles, 1934; E. Ennen, Frühgeschichte der
europäischen Stadt, Bonn, 1953; F.-L. GansHor, Étude sur le développement des villes entre Loire
et Rhin, Paris, 1943 ;A. VERHULST, « An aspect of continuity between Antiquity and Middle Ages:
the origin of Flemish cities » dans Journal of Medieval History, n° 3, 1977, pp. 175-205 ; M. RoucHE
(dir.), Histoire de Douai, Lille, 1985; J. Lusse, Naissance d'une cité. Laon et Laonnois du # au X siècle,
Nancy, 1992. importante vue d'ensemble sur les mentalités: P. RicHé, La Vie quotidienne à
l'époque carolingienne, Paris, 1973.

Dans le domaine économique:


L'évolution de la recherche dans le domaine économique à propos des deux grandes thèses
d'H. Pirenne et de M. LomBarp peut être saisie à travers les articles suivants:

- pour le premier, l'empire de Charlemagne est un monde agraire replié sur lui-même sans
aucun lien avec l'économie maritime. Cette thèse de la coupure due à l'Islam a été en grande
partie contredite par E. Sage: « L'importation des tissus orientaux en Europe occidentale au
Haut Moyen Âge, x° et x° siècles », dans Revue belge de Philologie et d'Histoire, t. 14, 1935,
p. 80-107;
La rénovation de la civilisation par les Carolingiens

— pour le second, les besoins musulmans en fer, bois et esclaves ont créé un commerce avec
l'empire carolingien, l'Islam payant en or. Cette thèse de l'injection d'or musulman en Europe
a été contestée par Ph. GRIERSoN, « Carolingian Europe and the Arabs:the myth of the mancus »,
dans Revue belge de Philologie et d'Histoire, t. 23, 1954, p. 53-75. Une synthèse des positions
avec leur critique a été faite par E. Perroy, « Encore Mahomet et Charlemagne », dans Revue
historique, t. 21, 1954, p. 24-43. Une nouvelle mise au point a été faite sous la direction de
A.F. Havic-Nursr, The Pirenne thesis, analysis, criticism and revision, Cambridge, 1976.

Il faut terminer avec la synthèse mise à jour de J. DHonor par M. Roucr, Le Haut Moyen Âge, vuf-
x° siècle, Paris, 1976 et la consultation des Actes des Settimane di Spoleto, notamment, t. 6,
La Città nell'alto Medioevo, 1959; t.8, Moneta e scambi nell'alto Medioevo, 1961; t. 7, L'Occidente
e l'Islam, 1965; t. 13, Agricoltura e mondo rurale in Occidente nell'alto Medioevo, 1966; et surtout
t. 1, Problemi della civiltà carolingia, 1954 et t. 27, Nascità dell'Europa ed Europa carolingia :un
equazione da verificare, 1981. Voir également P. Touserr, L'Europe dans sa première croissance,
Paris, 2004; J.-P. Devroey, Économie rurale et société dans l'Europe franque (v£-x siècle), 2 vol. Paris,
2003; L. FeLer, La Fortune de Kazol. Marché de la terre et liens personnels dans les Abruzzes au haut
Moyen Âge, Rowe, 2005; Paysans et seigneurs au Moyen Âge vuf-xw siècle, Paris, 2006; C. WickHam,
Framing the Early Middle Ages, Oxford, 2005.
L'échec de l’unité carolingienne
(840-888)
de division, ni
L'Empire de Charlemagne, l'idéal de Louis le Pieux, ne purent ni freiner les causes
moyens d'assurer l'ordre
accélérer l'unité. Techniquement parlant, les Carolingiens n'avaient pas les
révèle, même sous un déguisem ent
dans un aussi vaste empire. La résurrection de l'Empire romain
fils de Louis le Pieux conduisen t à une divi-
franc, un idéal sans lien avec la réalité. Les querelles des
vagues
sion définitive de l'Europe en trois royaumes et à la disparition de l'Empire. De nouvelles
des Vikings, achèvent cette séparation . L'œuvre carolingie nne est
d'invasions, en particulier celles
alors bloquée dans son essor; institution s, sociétés et économies doivent réenvisage r leur situation
respective devant un « État » qui n'est pas arrivé à jouer son rôle.

I. Le partage de Verdun (843) et la disparition


de l’Empire

LE SERMENT DE STRASBOURG Æ Le serment de Strasbourg et le partage de Verdun


(prononcé par Louis le Germanique) : À peine leur père était-il mort que Charles le Chauve et Louis
Al! « Pro Deo amur et pro chris- le Germanique se liguèrent contre l'aîné, Lothaire, qui vou-
tian poblo et nostro commun lait réunir tout l'héritage impérial sous sa direction sans leur
salvament, d'ist di in avant in
quant Deus savir et podir me
reconnaître de royaume autonome. Ils l'écrasèrent à Fontenoy-
dunat, si salvarai eo cist meon en-Puisaye le 25 juin 841, puis se promirent avec tous leurs
Fradre Karlo et in aiudha et in vassaux une aide mutuelle totale contre leur frère. Ils échan-
cadhuna cosa, si cum om per gèrent leurs serments à Strasbourg, le 14 février 842.
dreit son Fradra salvat dift, in o
quid il mi altresi fazet et ab
L'historien Nithard nous en a gardé les textes respectifs dans
Ludher nul plaid nunquam prin- la langue maternelle de l’autre parti; l’un et l’autre sont les
drai, qui, meon vol, cist meon plus anciens textes d’ancien français et de haut-allemand qui
fradre Karle in damno sit. » ll aient été conservés. Cette division en deux langues est déjà
l'annonce du partage qui va se produire. Finalement, les trois
frères, après un an de laborieuses discussions, et grâce aux
expertises de 120 arbitres, aboutirent à un accord sur un
partage de l’Empire qui fut ratifié à Verdun en août 843. Trois
principes ont guidé ces partages :égalité des trois parts, unité
de chacune et intégralité des trois principautés ou royaumes
de Bavière, Italie et Aquitaine. On compléta ensuite les trois
lots pour que chaque roi ait un nombre égal de fiscs. Les pays
de l’est du Rhin furent attribués à Louis le Germanique, ceux
à l’ouest de l’Escaut, de la Meuse, de la Saône et du Rhône à
FRANCIE OU ROYAUME DES FRANCS Charles le Chauve. On les appela Francie orientale et Francie
sont les seuls termes officiels
qui désignent la France
occidentale. Au centre, de la Frise à la Provence, et jusqu’à
jusqu'en 1204. Spolète, une longue bande de territoires, avec les deux capi-
tales Aix et Rome, était attribuée à l'aîné Lothaire qui por-
tait le titre impérial. Théoriquement, aux yeux des
contemporains, il y avait un Empire à l’intérieur duquel se
trouvaient trois royaumes. En fait, il y avait surtout trois
royaumes aux frontières étrangement compliquées, sans unité
L'échec de l'unité carolingienne (840-888)

économique et sans unité linguistique, en particulier la L.


Lotharingie; ce dernier était évidemment le plus fragile des ea
trois. ë PA 344, À.

B La disparition de l’Empire
Le sort de l’Empire pendant la deuxième moitié du ix° siècle
montre bien qu'il se vide inexorablement de toute réalité. Les
trois frères essayèrent de vivre en bonne entente: ce fut le
régime dit de fraternité qui dura à peu près jusqu’à la mort de
Lothaire en 855, malgré des heurts et des alliances à deux
conclues au cours de nombreuses entrevues. Mais lorsque
l’empereur fut mort en laissant son territoire partagé entre ses
trois fils, le titre subit une nouvelle dégradation. En effet, Louis
Il ne possède que l'Italie, tandis que Charles obtient la Provence (es
et Lothaire II, la Lotharingie proprement dite. Oncles et neveux pouce
cf. p. 85.
ne tardèrent pas à s'opposer. En 858, Louis le Germanique,
allié avec l’empereur, tenta d’envahir la Francie occidentale et
d'en expulser Charles le Chauve, qui fut sauvé grâce à l'inter-
vention énergique du clergé de son royaume dirigé par Hincmar.
Puis la crise du divorce de Lothaire II (861-869) fit intervenir
vigoureusement dans les affaires d'Occident le pape Nicolas I”,
qui devint ainsi l'arbitre du monde carolingien. Comme
Lothaire II mourut sans héritier, le partage de son royaume
entre les rois de Francie orientale et de Francie occidentale à
Meersen, le 8 août 870, fut à l’origine d’une rivalité qui dura
jusqu'aux alentours de l’an Mil. Charles le Chauve, après avoir
acquis une bonne part de la Lotharingie et augmenté son lot
de la Provence, apparut alors comme le seul homme fort de
l'Occident. Après la mort sans héritier de l’empereur Louis Il,
le monde intellectuel clérical estima que Charles pouvait réta-
blir l’unité impériale. Soutenu par la papauté, le fils de Louis
le Pieux fut proclamé empereur. En fait, sa politique impériale,
entre 875 et 877, ne fut qu’une longue série d'échecs face aux
fils de Louis le Germanique et aux révoltes italiennes. L'Empire
resta vacant de 877 à 881, tandis que des trois fils de Louis le
Germanique, seul Charles le Gros parvenait à réunifier la
Francie orientale et à établir une nouvelle entente entre les
rois carolingiens. C'est pourquoi, à la demande du pape, il fut
couronné empereur. En juin 885, il avait même reconstitué
théoriquement l'unité de l’Empire franc. Alors apparurent les

GÉNÉALOGIE SIMPLIFIÉE DES DESCENDANTS DE LOUIS LE PIEUX

Louis |° le Pieux
empereur (1) 814-840

Lothaire l° Louis le Germanique Charles le Chauve


empereur (2) 840-855 roi (Francie orientale) 840-876 roi (Francie occidentale)
840-877

Lothaire Il Charles le Gros


Louis Il
empereur (3) 855-875 roi 855-869 empereur (5) 881-887
PARTIE 1 à Le Haut Moyen Âge occidental (410-1050)

véritables causes de l'impossibilité de l'unité occidentale :écar-


telé entre les appels des populations assaillies par les envahis-
seurs scandinaves ou musulmans et les révoltes des grands,
Charles le Gros mourut, déposé, en 888 au milieu de l'anarchie
générale.
Cette chute de l’Empire s'accompagna, au niveau de l’idée
politique, d’une coloration de plus en plus cléricale. La concep-
tion laïque de Charlemagne disparut insensiblement. Déjà,
sous l'influence des clercs, nous l'avons vu, Lothaïire avait été
couronné empereur à Rome en 823 par le pape Pascal I‘, au
contraire de son père qui l'avait été à Aix. Après 843, le mou-
vement se précipita: sacre et couronnement furent de plus en
plus liés, le lieu et l’auteur tendant à devenir désormais l'Italie
et le pape. En 850, Louis II est sacré et couronné par Jean IV
sans acclamation des grands. C’est un empereur italo-romain.
En 875, c’est Jean VIII qui appelle Charles le Chauve, le sacre,
le couronne et lui fait prêter serment d’être le défenseur de
l'Église. Les grands acceptent cette proclamation impériale
sans y participer. Il en est de même pour Charles le Gros.
Ainsi la papauté a fait triompher sa conception d’un Empire
romain et non plus franc, conféré dans la Ville éternelle par
le Vicaire de saint Pierre. L'idée impériale est devenue une
prérogative des papes, par suite de l'incapacité des laïcs à l'as-
sumer. Les pontifes assurent l'unité morale de la Chrétienté,
10 20 mètres
inspirent et contrôlent les rois, définissent ce qu'est l’Empire
romain par opposition à l’Empire d'Orient ravalé au rang d'Em-
pire des Grecs. C'est ce que dit Louis IT à l’empereur Basile I“
en 871 : « Nous sommes les successeurs des anciens empereurs
par l’assentiment de Dieu et du pape ». En rejetant ainsi l’Em-
pire byzantin, la papauté prend mieux conscience des nouvelles
réalités politiques que sont Rome et l'Occident. L'Antiquité
est bien finie. La preuve en est que le pape Jean VIII n'hésite
pas à prendre le titre qui avait été attribué à Charlemagne:
« Recteur de l’Europe ». L'échec des Carolingiens a fait glisser
leur héritage dans les mains de l’Église. Cet héritage va
fructifier. +

M Prestige de la culture carolingienne


Car contrairement à ce que l’on pourrait croire, le déclin de
l’Empire carolingien ne s’est pas répercuté au niveau intellec-
tuel et artistique. Bien mieux, l'apogée de la Renaissance caro-
lingienne se situe à cette époque. La troisième génération des
lettrés carolingiens dépasse de fort loin les précédentes. La
théologie renaît de ses cendres avec les polémiques entre Raban
Maur, abbé de Fulda puis archevêque de Mayence, et le moine
Gottschalk, accusé de croire à la prédestination au salut de
certains fidèles seulement et non pas de tous. Ce lointain pré-
curseur du jansénisme fut condamné en 849. Un Irlandais, Jean
Scot Erigène, traduisit depuis l'original grec les textes du
Pseudo-Denys l’Aréopagite et créa la philosophie chrétienne
avec le De Divisione Naturae, vaste synthèse terminée en 866,
Plan de l'église abbatiale de Corvey
de tendance néo-platonicienne. La pensée politique se précisa
Âge
délit
Ocadent
photocopie
La
est
Moyen
autorisée
Hachette
Le
©non
Livre
un
en—
davantage avec l’œuvre d'Hincmar, archevêque de Reims de

ee]N
L'échec de l'unité carolingienne (840-888)

845 à 882, à travers ses lettres et son De ordine Palatii. Il est


un de ceux qui ont le plus insisté sur le respect dû au roi et la
fidélité au prince légitime, plutôt qu'à l’Empire. Il sauva
d’ailleurs le roi de Francie occidentale à trois reprises. Il fit de
Reims un centre intellectuel et historique en écrivant la troi-
sième partie des Annales de Saint-Bertin. Il fit surtout de Reims
un haut lieu de la royauté française, tout comme Walafrid
Strabon de l’abbaye de Fulda pour la royauté germanique.

Dans les monastères plus récents de l'Est, Lorsch, Wurzbourg,


Reichenau, Saint-Gall, de nombreux manuscrits antiques sont
recopiés. Si l'essor intellectuel ne s’y est pas encore manifesté,
celui de l'architecture et de l’orfèvrerie est net dans les abbayes
de Corvey et de Saint-Gall dont le célèbre plan (voir plan page
précédente) est la première tentative connue d'organisation de
l’espace au Moyen Âge. Les plats de reliure de l'évangéliaire
de saint Gauzlin de Metz montrent combien le sens de la
richesse et l’habileté technique vont de pair chez les orfèvres
de cette époque. Mais la palme revient surtout aux sculpteurs
de plaques d'ivoire des monastères germaniques (reliures du S L
psautier de Charles le Chauve, sacramentaire de Gauzlin, etc.) mentaire,
qui, par leur souple modelé des représentations humaines et p.62;
le hiératisme des attitudes, montrent leur maîtrise d’un art
qui n’est plus la propriété exclusive des Byzantins. On pourrait
citer bien d’autres réussites pour l’enluminure ou les fresques,
bien d’autres édifices, mais il importe surtout de saisir que le
désordre de cette époque n’engendre pas de recul de la
civilisation.

Il. Les invasions scandinaves et sarrasines


Après l'échec de l’unité, le deuxième élément de la crise réside
dans la seconde vague d’invasions qui s’abat sur l’Europe, à
partir de 840. Les causes des attaques des Scandinaves sont
difficilement explicables: faim de terre, surpeuplement ou
réchauffement climatique de la Scandinavie semblent avoir
moins joué que le désir de piller un empire si riche, si désuni
et si désarmé. Les monastères, en particulier, avec leurs trésors
et leurs vases sacrés, les attirèrent souvent. Tandis que les
Suédois s’intéressaient surtout à la Baltique et aux pays russes,
les Norvégiens s'attaquèrent aux îles anglo-saxonnes et les
Danois à la Manche et aux côtes atlantiques. Grâce à une
incontestable supériorité technique en matière navale, sur
leurs drakkars de vingt-cinq mètres de long, dotés d’une grande
voile et de quinze paires de rames, à raison d'une centaine
d'hommes par bateau, ils pouvaient faire des raids très rapides,
et repartir aussi vite qu'ils étaient arrivés. L'effet de terreur Un drakkar
était immédiat et l'absence de réaction totale.

M Les Vikings
Le royaume de Charles le Chauve fut d'autant plus visé qu'il
était le plus attirant. Duurstede fut pillée en 840, Quentovic
PARTIE 1 » Le Haut Moyen Âge occidental (410-1050) ©... 0

pillée et détruite en 842, Nantes prise, pillée et incendiée en


843, Bordeaux en 844 et en 847-848, Hambourg complètement
ruinée en 845. On pourrait faire ainsi toute une litanie des
villes et des monastères pris et pillés. Chaque fois, les Danois
remontaient les fleuves jusqu’à la limite de navigabilité,
volaient des chevaux et surprenaient les moines confiants dans
leurs hautes terres. À partir de 850, les Danois s’installèrent à
l'embouchure des fleuves: à Walcheren pour l’Escaut, Jeufosse
pour la Seine, Noirmoutier pour la Loire. Désormais, ils pou-
vaient hiverner près du continent et coordonner leurs attaques.
Ils exigèrent alors, à chaque succès, le paiement d’un tribut,
le danegeld, que les populations devaient donner pour qu'ils
se retirent. À partir de 860, Charles le Chauve tenta de réagir,
les populations locales essayèrent de résister. La victoire du
roi de Francie Louis III à Saucourt-en-Vimeu en 881 et celle
du comte Eudes en 885, repoussant les Danois qui assiégeaient
Paris, annoncèrent un lent relèvement.

Les Vikings n’en continuaient pas moins leurs pillages sur


d'autres côtes. Celles de l'Espagne chrétienne ou musulmane
les virent remonter les fleuves, saccageant Séville en 844; en
Méditerranée, ils remontèrent le Rhône et pillèrent le port
italien de Luni en 859-860. Seul le royaume de Francie orien-
tale semble avoir été peu touché par eux. En revanche, dans
la mer du Nord, pour la première fois l’action des Norvégiens
et des Danois déboucha sur une colonisation et une occupation
(e de territoires.

É, 346, À. La colonisation des îles Shetland et Far Oer fut suivie de celle
de l'Islande à partir de 870. En Irlande, de petits royaumes
norvégiens se créèrent sur les côtes, en guerre continuelle avec
les roitelets irlandais. En Angleterre, où les raids avaient com-
mencé dès 793, la menace fut beaucoup plus grave. À partir
de 866, la Northumbrie fut conquise, puis la Mercie, puis
l'East-Anglie. C’est alors que se révéla le plus grand homme
d'État anglo-saxon de cette époque, Alfred (871-899), roi du
Wessex. Par ses victoires, et notamment par la prisé .de
Londres, il parvint à bloquer l'avance danoise en laissant par
traité de paix aux envahisseurs un territoire qui comprenait
plus du tiers de l’île, et qui fut appelé le Danelaw.

M Les Sarrasins
Le même phénomène se produisit en Méditerranée. L'apparition
en Tunisie d'un nouvel émirat, dirigé par les Aghlabides, ren-
força la piraterie musulmane. À partir de 827, les Sarrasins
s’attaquèrent à la Sicile byzantine qu'ils conquirent ville après
ville: la dernière, Taormine, succomba en 902. De là, ils ne
furent que plus à l'aise, malgré la résistance de Louis II et des
Byzantins, pour installer des bases dans la péninsule: Bari,
Tarente, et surtout celles qui furent les plus néfastes pour
l'habitant, La Garde-Freinet en Provence (à partir de 888] et la
base de l'embouchure du Garigliano {après 882). Ces bases leur
permettaient d'aller impunément piller les monastères et les
villes de l’intérieur et de se livrer en toute quiétude à la chasse
L'échec de l'unité carolingienne (840-888)

à l’esclave. Face aux Sarrasins, l'avenir était encore plus sombre


à la fin du x‘ siècle que face aux Vikings car personne n'avait
pu les arrêter vraiment et l’espace méditerranéen occidental
paraissait de plus en plus voué à l'insécurité et à l’asphyxie
économique.

Ill, L'effondrement des royautés


M Les révoltes régionales
Pourquoi les royaumes européens avaient-ils si peu réagi ? Parce
que les rois eux-mêmes avaient vu leur pouvoir contesté par
une aristocratie qui avait pris, avec les partages et les guerres
civiles, l'habitude de passer d’un souverain à l’autre sans dif-
ficulté. De plus, les anciennes formations territoriales écrasées
par Charlemagne étaient réapparues, en Francie occidentale,
en Bretagne et en Aquitaine. Certes, la péninsule armoricaine
n'avait jamais été soumise. Tout au plus avait-elle accepté,
après une interminable guérilla, un fonctionnaire franc,
Nominoé. Celui-ci profita du partage de Verdun pour se rendre
indépendant, battre Charles le Chauve et créer une nouvelle
hiérarchie ecclésiastique indépendante du reste du royaume.
À la fin du 1rx° siècle, son petit-fils s’intitula roi de Bretagne.

En Aquitaine, dès 838, les grands avaient proclamé roi un


bâtard de Pépin I‘, Pépin IL, tandis que l’un d’entre eux tentait
de s'emparer de la marche d'Espagne pour son compte person-
"OL
n'7

nel. Charles le Chauve passa de longues années à mater le ù #. 344, À.


Le

particularisme aquitain et à réprimer les révoltes de fonction-


naires francs installés dans le royaume. Souvent, il fut même
obligé de créer de grands commandements cumulant plusieurs
comtés en faveur d’un de ces nobles qui lui étaient si peu
fidèles afin de répondre aux besoins militaires de la défense
contre les Scandinaves. En Lotharingie, les mêmes intrigues LOTHARINGIE Où royaume des
gens de Lothaire: Lôthringen.
aristocratiques et les mêmes soulèvements se produisirent, Le mot a donné Lorraine.
en particulier ceux du comte Boson qui se proclame roi en
Bourgogne et en Provence en 879. En Francie orientale, les fils
de Louis le Germanique se liguèrent contre leur père. À la
mort de Charles le Gros, tout l'Occident carolingien n'était
que révoltes et soulèvements.

m L'Église au secours de la royauté


Face à cette anarchie, l'Église essaya d'intervenir en renforçant
l'idée royale. Les évêques insistèrent sur l’idée que seule
l’onction, et non l'élection des grands, faisait le roi. Sous
l'impulsion d'Hinemar, en particulier, après le sacre de Charles
le Chauve en 848, toute révolte contre le roi apparut comme
une impiété. Lors du sacre de Charles le Chauve en 869 comme
roi de Lorraine, Hincmar affirma que l’onction était le signe
certain que Dieu l'avait choisi. Lors du couronnement de Louis
II le Bègue en 877, le roi reçut le sceptre, symbole du royaume
du
qu'il devait conduire au royaume de Dieu. Ainsi, à la fin
PARTIE 1 x Le Haut Moyen Âge occidental (410-1050)

xe siècle, tout le cérémonial du sacre du roi de Francie occi-


dentale à Reims était en place, et la légende de la Sainte
Ampoule venait de se propager. Pratiquement, la création du
roi était devenue une prérogative ecclésiastique.

M La vassalité à l'assaut de la royauté


En fait, ce renforcement de l'idéologie royale n’empêcha pas la
souveraineté de se recroqueviller sous les attaques de la grande
aristocratie. Charles le Chauve avait beau être intouchable, il
ne se faisait obéir que dans la mesure où il pouvait accorder
des faveurs. Or, à l'assemblée de Coulaines (843), il dut pro-
mettre à l'Église de ne pas la dépouiller de ses biens et aux
Honneur: bien foncier accordé grands de ne pas leur enlever leurs charges (honores). S'il n’ap-
en salaire pour l'exercice d'une pliquait pas ces décisions, les sujets pouvaient se considérer
fonction politique. La jouis-
comme déliés de leur serment de fidélité. Le roi renonçait ainsi
sance de ce bien dure le temps
de l'exercice de la fonction. À ne à tout moyen de pression et donnait à la royauté une allure
pas confondre avec bienfait où contractuelle. Le pouvoir royal est alors limité d’un côté par la
bénéfice. loi divine, de l’autre par l'avis des grands. De même, le système
vassalique mis au point par Charlemagne se retourne contre la
royauté. À la fin du 1x° siècle, le roi n’a presque plus de terres
fiscales. Charles le Chauve a distribué quatre fois plus de terres
à ses fidèles dans son royaume que Charlemagne pour tout son
L
empire. Les vassaux qui n’ont plus rien à attendre de lui en
échange de leur fidélité s’en détournent. De plus, au cours des
ve
Bienfait, p. 42.
guerres civiles, chaque vassal est convoqué à l’ost, mais quel
chef va-t-il suivre, son seigneur immédiat obéissant au révolté,
ou son roi ? Presque automatiquement, le vassal suit le seigneur
le plus proche. Là aussi, le contrat efface le pouvoir direct,
puisque le seigneur s’interpose entre le roi et le vassal. Les
terres dont disposent les comtes, les honores, sont déjà assimi-
lées aux bénéfices viagers, et l'impossibilité de muter un comte
d'un poste à un autre est totale à la fin du siècle. Le roi peut
cependant récupérer ses biens fiscaux et ses bénéfices à la mort
du détenteur. Mais bientôt cette possibilité disparaît. Le lignage
du défunt s’interpose et cherche à convaincre le roi ou le puis-
sant qu'il est opportun pour des raisons d'intérêt bien compris
de donner les bénéfices à l'héritier. Dès 868, Hincmar trouve
normal de laisser « les bénéfices en vue du service militaire
aux fils des pères qui ont bien servi l'Église... ». En 877, Charles
le Chauve, par le capitulaire de Quierzy-sur-Oise, tout en
essayant de sauvegarder son droit de disposition des honores
et des bénéfices, constate que l’hérédité est devenue la norme
courante. Insensiblement, elle s’installe en effet et fait dispa-
raître le lien personnel derrière le lien réel. Le bénéfice devient
la cause réelle des obligations vassaliques. Il glisse de plus en
plus des mains du propriétaire à celles du détenteur. Le pouvoir
suit le même chemin. Après être passé de l’Empire à la Royauté,
il descend du roi aux puissants locaux.

M Naissance des pouvoirs locaux


La preuve en est que ces petits potentats tout à leurs intérêts,
mais aussi soucieux de défendre leur région contre les Vikings
ou les Sarrasins, construisent des châteaux, malgré
L'échec de l'unité carolingienne (840-888)

l'interdiction royale faite par l’édit de Pîtres de 864; chacun


en élève en Catalogne, en Provence, en Italie du Nord. En
BorouGH: lieu habité qui, une
Angleterre, le roi Alfred prend l'initiative de fortifier les fois fortifié, prit ce nom. Certains
boroughs. Appuyée sur ses châteaux, l'aristocratie renforce la devinrent des villes.
seigneurie rurale. Les avoués des abbayes immunistes s'empa-
rent de la justice dans les terres qu’ils administrent. Les grands p L
propriétaires laïcs font de même. Les comtes accaparent le + an, pp. 32,
droit de ban sur les hommes libres. Comme la structure des 42 et 104.

grands domaines se relâche par le biais des partages et héritages


entre tenanciers, les statuts des paysans s’uniformisent autour
Avoué (aDvocATUs) : laïc habilité
de la condition servile, et le maître en profite pour imposer de par un abbé ou un évêque pour
nouvelles charges ou « mauvaises coutumes » avec d'autant accomplir sur des terres ecclé-
plus d’impunité qu'il est devenu le protecteur obligatoire en siastiques des tâches militaires
cas d’invasion ou de guerre civile. et judiciaires interdites aux
clercs.

III, Le blocage de la vie économique


Tandis que la condition paysanne s’affaisse, le monde urbain
fait de même. Brusquement, devant les Scandinaves et les
Sarrasins, les villes se fortifient ou se déplacent sur des pla-
teaux ou des rochers imprenables comme en Provence. Ailleurs,
à Saint-Omer par exemple, les deux abbayes sont entourées
d’une même enceinte à partir de 879. L'évêque de Metz recons-
truit la muraille romaine en y englobant une église extérieure.
À Troyes, après l'incendie de 887, la population est regroupée
dans l'enceinte romaine qui est réédifiée. L’essor urbain est
donc bloqué et l'aspect militaire des villes est renforcé, mais
il faut signaler, en même temps, que la fortification d’abbayes
suburbaines ou de portus fluviaux a permis de conserver l’ac-
quis précédent. Il y a stagnation urbaine, mais non recul.
Les échanges commerciaux sont affectés par les événements
dans la même proportion. Les marchés et les foires locales,
tout comme les grands courants internationaux, nous sont mal
connus, mais l’on peut deviner qu'ils n'ont pas totalement
disparu. En effet, la circulation monétaire se rétrécit aux cadres
régionaux, puisque par l'édit de Pîtres de 864, Charles le Chauve
tenta de ramener à neuf le nombre des ateliers monétaires.
Mais, pratiquement, les lieux de frappe se multiplièrent, car
les échanges se faisant à courte distance, il fallait que la petite
monnaie de base puisse être facilement procurée à ses utilisa-
teurs. Les invasions scandinaves ont pour résultat de faire dis-
paraître, sur le moment, or et argent, et même le vin que les
hommes du Nord recherchent avec avidité. Le commerce en
mer du Nord ne se réduit pas uniquement aux esclaves razziés :
poisson et sel y circulent encore. En Méditerranée, le commerce
des esclaves venus de Verdun par l'Espagne ou l'Italie se main-
tient en direction des pays musulmans, et celui des produits
de luxe d'Alexandrie ou de Constantinople vers Venise et l’Ita-
lie du Sud. Les Juifs rhadanites, peut-être ainsi appelés parce
qu’ils commercent le long du Rhône, ont un réseau commer-
cial qui s'étend de l'Espagne et de la Francie jusqu’à la Chine.
sa
Mais le grand commerce survit surtout à Venise qui, par
PARTIE 1 Le Haut Moyen Âge occidental (410-1050)

flotte, assure la paix dans la mer Adriatique. À partir de 883,


elle frappe sa propre monnaie et développe de plus en plus son
commerce international de transit en direction de Pavie et de
l'intérieur de l'Europe. Dans le sud de l'Italie, Amalfi et Gaète
deviennent indépendants et n'hésitent pas à commercer avec
les Sarrasins. Ce n’est donc qu'entre le Tibre et Barcelone que
le grand commerce semble avoir été bloqué.
Au total, la deuxième moitié du 1x° siècle constitue un grand
moment de l’histoire européenne, celui où apparaissent des
fractionnements qui durent encore aujourd’hui sur le conti-
nent. L'unité s'avère impossible, l’ordre ne se révèle praticable
qu'au niveau local, mais l'idéal culturel et religieux des
Carolingiens reste intact ;guerres civiles et invasions bloquent
l'essor, mais cette fois, il n’y a pas de pertes graves comme au
vue siècle.

L'état de la recherche
L'archéologie maritime
Les fouilles archéologiques de tombes à bateau dans les pays anglo-saxons, frisons et scandinaves
ont permis d'augmenter considérablement nos connaissances sur les causes de la création de l'es-
pace économique maritime de la mer du Nord et la supériorité des techniques navales des Vikings
par rapport à l'Empire carolingien.

D: v® au xfsiècle s'échelon- troncs de chêne ou de sapin mais le plat bord étant bas, il
nent les découvertes des fendues dans le sens de la devait facilement embarquer
bateaux de Nydam (Schleswig), longueur. Elles sont donc très l'eau, ce qui nécessitait d'éco-
d'Utrecht (Pays-Bas) de Sutton élastiques. Elles sont posées per souvent.
Hoo (Suffolk, Grande-Bretagne), non point bord à bord mais
de Kvalsund (Norvège), de posées en partie sur la précé-
Vendel (Suède), de Gockstad partir du vf siècle, le
dente et liées entre elle par
et d'Oseberg (Norvège) enfin gréement, le mât et la
des clous rivetés. Une planche
de Roskilde (Danemark). Ces voile rectangulaire appärais-
de carlingue d'un seul tenant
bateaux-tombes contenant le sent, ceci évidemment avec
tient lieu de quille. À l'arrière
corps d'un chef de guerre avec un retard considérable sur la
droit une rame sert de gou-
tous ses objets familiers, ses Méditerranée. La quille est
vernail latéral. Trente tolets alors nécessaire pour sup-
armes et parfois même les corps permettent aux trente rameurs
de ses serviteurs témoignent porter l'implanture du mât.
de faire avancer le bateau qui Désormais la navigation en
d'abord des croyances paiennes n'a point de mât. Celui de
de ces peuples en une conti- droiture et non en cabotage,
Nydam qui a dû permettre aux est possible et même en haute
nuation de la vie terrestre dans
Anglo-Saxons de débarquer mer. Il y un mât secondaire sur
l'au-delà. Ils furent retrouvés
en Grande-Bretagne faisait le bateau d'Oseberg. Si les
presque intacts, conservés par
un peu plus de 23 mètres de dimensions restent à peu près
l'énorme tumulus de terre qui
long et presque trois mètres les mêmes on constate que les
les recouvrait.
de large, la coque allant en se performances augmentent.
rétrécissant vers les extrémités Une réplique exacte du bateau
[5 progrès des techniques effilées. Le tirant d'eau faible de Gokstad a pu traverser faci-
est continuel. Les planches permettait d'échouer facile- lement l'Atlantique, ce qui cor-
sont fabriquées à partir de ment le bateau sur une plage, robore la saga d'Éric le Rouge
L'échec de l'unité carolingienne (840-888)

décrivant la découverte du un mât de 10 à 13 mètres de rame-gouvernail tenue d'une


Vinland (Amérique) en venant haut pouvant porter une voile seule main. || peuvent virer
de l'Islande et du Groenland carrée de 11 mètres de large. lof pour lof. Leur tirant d'eau
par le Labrador. Si la longueur Il est planté dans une quille est faible :0,90 m à 0,95 m, ce
du bateau n'augmente guère, d'un seul tenant en forme de qui permet un échouage facile
en revanche sa largeur est T. La coque est composée de sur n'importe quelle plage.
désormais de 5,25 m et sa planches posées à clin avec Ils peuvent donc permettre
profondeur de 1,95 m. Certes des chevilles et des clous. La aussi bien le cabotage que la
il n'y a pas de pont, mais les proue très effilée se termine navigation en haute mer. Leur
bancs de nage permettent souvent par une tête de grande maniabilité faisait
aux rameurs d'être au niveau dragon sculptée amovible. d'eux l'instrument idéal pour
du plat-bord et de manier une Elle est censée attirer la mort surprendre l'adversaire. Ainsi
rame de 5,8 m de long enga- sur les adversaires. Aussi la s'expliquent les succès de
gée dans un tolet qui traverse retire-t-on quand on rentre petites troupes de Vikings sur-
la coque au lieu d'être attaché dans ses foyers. De là vient le gissant sur des côtes mal sur-
dessus. nom de drakkar pour désigner veillées. Quand on ajoute à ces
ces bateaux à tête de dragons. navires de guerre, les navires
BE plus, ils sont protégés marchands capables de trans-
par les boucliers accrochés es bateaux sont, pour porter des chevaux, comme
sur le bordage. Le navire pèse l'époque, relativement les bateaux de Roskilde datant
neuf tonnes à vide, dix-huit en rapides. Leur vitesse est de de l'an Mil, on comprend
pleine charge avec soixante- dix nœuds à l'heure soit envi- mieux le débarquement réussi
dix hommes dont trente ron dix-huit kilomètres. Il sont des Normands qui conquirent
rameurs. || comporte au centre très maniables grâce à une l'Angleterre en 1066.

Bibliographie
Se reporter d’abord aux bibliographies des chapitres 1 et 4, avant de consulter R. Dion, Les
Frontières de la France, Paris, 1947 : J. CALMETTE, L'Effondrement d'un Empire et la Naissance d'une
Europe, Paris, 1941 ; P. ZumrHor, Charles le Chauve, Paris, 1957; F. Lor, Naissance de la France, Paris,
rééd., 1971: J. Devisse, Hincmar, archevêque de Reims, 3 vol., Genève, 1975; P. RicHé, Les
Carolingiens, Paris, 1982; P. RicHé, Dictionnaire des Francs, 2: Les Carolingiens, Paris, 1997;
G. Buurer-THierry — Ch. Meriaux, La France avant la France 481-888, Paris, 2010; Collectif, Eltiempo
de los Barbaros, Madrid, 2002.

Pour le maintien de la culture, voir J. Huserr, L'Art préroman, Paris, 2° éd., 1939; P. ZumTHoR,
Histoire littéraire de la France médiévale (vf-xvf siècle), Paris, 1954.

et Allemands
Pour le partage de l’Empire, voir C. R. Bruk., Naissance de deux peuples. Français
(pe-xf siècles), Paris, 1995.

of the Vikings,
Sur les invasions, H. Argmann, The Vikings, Londres, 1962; P-H. Sawver, The Age
J. STEENSTRUP,
Londres, 1962; Fr. H. Sawver, Les Vikings, Paris, 1965; Fr. Durano, Les Vikings, Paris, 1965;
en Belgique
Les Invasions normandes en France, Paris, 1969; A. D'HAENENS, Les Invasions normandes
A. D'HAENENS, Les Invasions normande s, une catastrop he ? Paris, 1971;
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1965, et 16,
et les t. 7, 1.2, des Settimane di Spoleto, L'Islam e l'Occidente nell'alto Medioevo,
Medioevo, 1969. L. Musser, Les invasions germa-
| Normani e la loro espansione in Europa nell’ Alto
2° éd., 1971; P. H. Sawver, The Oxford
niques, le second assaut contre l'Europe chrétienne, Paris,
Illustrated History ofthe Vikings, Oxford, 1997.
Les dernières invasions,
l'éclatement féodal et le nouvel
Empire (888-1002)
de siècle obscur,
Le x siècle est une époque haute en contrastes, qualifiée par certains historiens
et ses violences ne sont que la preuve
par d’autres de nouvelle renaissance. En fait, ses désordres
dernières invasions scandinave s, sarrasines et hon-
d'un nouvel équilibre qui se cherche. Une fois les
ques se consoliden t tandis que d’autres naissent. L'ancien
groises terminées, les États périphéri
princi-
domaine de Charlemagne voit triompher à l'Ouest des principautés territoriales, à l'Est des
nnes archaïques qui finissent par aboutir à la création de l'Empire germaniqu e.
pautés carolingie

I. Scandinaves, Sarrasins et Hongrois


& La sédentarisation des hommes du Nord
À partir du début du siècle, les Danois cherchent visiblement
à s'installer en Occident. En 911, une armée commandée par
Rollon est tellement menaçante que le roi de Francie occiden-
tale, Charles le Simple, préfère lui accorder la jouissance des
terres situées de part et d'autre de la Seine autour de Rouen
et d'Évreux [traité de Saint-Clair-sur-Epte). Rapidement conver-
tis et installés, les Normands ne tardent pas à occuper Bayeux,
Sées, Avranches, Coutances et même le Maine au début du
xI° siècle. Un duché où le duc est particulièrement puissant
s'est ainsi créé très rapidement sans que l’on sache très bien
dans quelles conditions. En tout cas, le dynamisme de la
Normandie est étonnant. Dès 1016, des Normands louent leurs
services aux princes lombards d'Italie du Sud et de Sicile, au
point que l’un d'eux obtient la principauté d’Aversa. C'est là
l'origine du royaume normand d'Italie du Sud et de Sicile.
Dans les pays celtiques et anglo-saxons, leur installation fut
différente. En Bretagne, ils échouèrent et furent chassés après
937. En Angleterre, le Danelaw où s'étaient installés les Danois
ne put jamais connaître une stabilité comparable à celle de la
Normandie. Lentement, les rois anglo-saxons, profitant de
l'anarchie, le soumirent. En 937, Aethelstan, se proclama « roi
de toute la Grande Bretagne ». Mais, à partir de 1002, on atteint
# k 2
un nouveau et dernier paroxysme. Les rois danois, Svend à la
Barbe fourchue, puis Knut, s'emparèrent de toute l’île. Ce der-
Der
| 7. 347, B. nier créa un grand empire maritime réunissant la Norvège, le
Danemark et l'Angleterre. Mais cet ensemble hétéroclite ne
survécut pas au-delà de l’année 1035. En réalité, les Scandinaves
venaient d’être intégrés à l'Occident.

M Sarrasins et Hongrois
En Méditerranée, les Sarrasins ne furent que très lentement
délogés. Ils gardèrent même les Baléares, prises en 902, et toute
Les dernières invasions, l'éclatement féodal et le nouvel Empire (888-1002)

la Sicile. Quant aux pirates, leurs bases du Garigliano et de La


Garde-Freinet disparurent en 916 et en 972-973. C'est dire
combien l'insécurité qu'ils entretenaient dura longtemps.
Finalement, les invasions les plus dangerueses du x‘ siècle furent
celles des Hongrois. Ces cavaliers nomades turco-mongols s’ins-
tallèrent dans le pays des Avars, que Charlemagne avait écrasés.
Ils donnèrent d’ailleurs leurs noms à ces plaines: la Hongrie.
Dès 862, leur premier raid s'était abattu sur les pays germaniques.
À partir de 899, leurs ravages sont constants. Ils pillent les monas-
tères, dévastent et dépeuplent les campagnes, évitant les villes
fortifiées. Lorsqu'il ne reste plus rien à emporter et que toute
l'herbe est brûlée, ils s'en vont. Leur sauvagerie était telle qu'ils
laissèrent leur nom dans le folklore européen à un géant dévo-
rant: l'ogre. En 955, ils furent décimés sur les bords du Lech par
le roi de Germanie, Otton I". Dès lors, ils se fixèrent dans la
plaine du Danube central et se stabilisèrent définitivement.

EH Les reconstructions
Les conséquences de ces invasions au niveau de l’Europe furent
importantes. Une fois la peur disparue et les dégâts réparés,
on s’aperçut qu’elles avaient renforcé les États périphériques
et confirmé les fragmentations régionales dans le domaine
carolingien.

En Angleterre
En effet, les apports nordiques sont particulièrement nets en
Normandie et en Angleterre, au niveau du droit et des tech-
niques maritimes. Les rois anglo-saxons à partir d'Alfred (871-
899] incarnèrent l’idée de l'unité anglaise. En créant une armée,
une flotte et un code de droit commun à tous les Saxons de
l'Ouest, le roi concrétisa l'unité nationale, ainsi qu’en traduisant
en anglo-saxon l'Écriture, des ouvrages patristiques et surtout
l'Histoire ecclésiastique de Bède. Cette renaissance anglo-
saxonne explique la faible influence des conquérants
scandinaves.
En Espagne
Le royaume chrétien a surtout lutté contre les musulmans.
Alphonse III (866-911) parvint jusqu'aux bords du Douro. Il
poussa, comme ses prédécesseurs, à la colonisation rurale de
l'immense no man's land qui séparait l’État chrétien de l'État
musulman. Le sud de la Galice comporte aujourd’hui mille
quatre cents noms de lieux wisigothiques, témoins de ce repeu-
plement. Il fortifia Burgos et couvrit la région de châteaux, au
point qu’elle prit le nom de Castille. Son comte Fernan Gonzalez
(923-970) se rendit indépendant et en fut le premier souverain.
À l'Est, en 905, la Navarre s’érigea en royaume. Dans les hautes
vallées pyrénéennes s'éveilla l’Aragon. Enfin, la marche franque
d'Espagne se détacha lentement de la Francie. De 878 à 897,
Wilfred le Velu, dernier comte de Barcelone nommé par le roi
de Francie occidentale, fortifia son pouvoir local, s’appropria
les droits fiscaux et rendit le titre de comte héréditaire dans sa
famille. Il fut quasiment indépendant, se contentant d’un
PARTIE 1 # Le Haut Moyen Âge occidental (410-1050)

de
théorique serment de fidélité au légitime souverain. Autour
musulm ans purent certes razzier Barcelo ne et
lan Mil, les
Saint-J acques- de-Comp ostelle , mais les princes chrétie ns
étaient en réalité très puissants. Depuis 906, les pèlerins étaient
L
très nombreux à se rendre à Saint-Jacques-de-Compostelle.
Cluny, p. 105. Leurs liens religieux avec l’ordre monastique de Cluny, leurs
attaches dynastiques avec les nobles français, rendirent ces
princes espagnols batailleurs perméables aux nouveaux cou-
rants européens. L'expansion de la principale capitale, Léon,
vers lan Mil, avec ses trois faubourgs, ses six églises extérieures
au rempart et son marché royal, le prouvaïit.
En Italie
L'extrémité méridionale de la péninsule italienne est encore
morcelée. L'empereur d'Orient est toujours maître de la Calabre
et de la Pouille. Il parvient à reprendre Bari et Bénévent et à
faire entrer dans sa clientèle les princes lombards de Bénévent,
d'Apulie et de Capoue. Même les grands ports, Amalfi, Gaète
et Salerne reviennent dans l'orbite byzantine, surtout lors du
règne triomphal de Basile II (976-1025). La culture grecque y est
particulièrement brillante, tant dans les monastères que dans
certaines villes épiscopales bien que le clergé latin ne vive pas
en bonne intelligence avec le clergé oriental. De toute façon,
l'influence byzantine est prédominante, en particulier dans le
domaine de l'architecture et de l’enluminure grâce aux monas-
tères de Rossano et de Tarente. Le monde des affaires se déve-
loppe à Gaète et Amalfi, grâce au commerce avec Constantinople.
Mais c’est surtout Venise qui profite de ses liens (de plus en plus
théoriques] avec l’Empire. Non seulement les doges sont en bons
termes avec les rois de Germanie, et font de la contrebande avec
l'Islam (poix et bois pour les bateaux, fer pour les armes, esclaves
pour la chiourme), mais encore ils parviennent, en prêtant leur
flotte aux Byzantins pour lutter contre les Bulgares, à obtenir
en échange de gros avantages commerciaux (992) dans le port
de Constantinople, notamment une diminution de moitié des
Doc: déformation vénitienne droits de douane sur leurs marchandises. En 996, le doge Pierre
du titre byzantin de dux. Voir Il Orseolo attaque la Dalmatie, s'empare de Zadar, Biograd,
DS: Trogir, Split et Raguse [Dubrovnik]. En 1000, il se proclame duc
des Dalmates. Après avoir anéanti le nid de pirates slaves de
l'estuaire de la Neretva, les Vénitiens repoussent les musulmans
en 1002-1003 hors du canal d'Otrante. L'Adriatique est devenue
un lac vénétien. Venise, trait d'union entre l'Occident et l'Orient,
est prête à prendre son essor.
Aux marges de l’Europe
Ainsi les marges de l’Europe occidentale passent peu à peu de
la défensive à l'offensive. De plus, elles s’élargissent par l’appa-
rition de nouveaux États. Sous l'influence des missions chré-
tiennes, des rois convertis organisent des ensembles politiques
qui échappent à l'influence germanique. C'est le cas du
Danemark avec Harald à la Dent bleue, baptisé en 966, de la
Norvège avec Olaf Tryggvasson qui propage activement la foi
ALTHING : assemblée de tous les nouvelle avant de mourir en 1000. La même année, l’Althing
hommes libres d'Islande. d'Islande accepte officiellement le christianisme. Le pape
Les dernières invasions, l'éclatement féodal et le nouvel Empire (888-1002)

Sylvestre Il, en créant deux métropoles, Gniezno pour les MÉTROPOLE :terme ancien pour
Polonais et Esztergôm pour les Hongrois, soustrait ces jeunes désigner un archevêché, lequel
États aux ambitions germaniques. C'était reconnaître que regroupe plusieurs évêchés.
Voir p. 68.
Miezko et son peuple convertis en 966 d’un côté, et Vajk baptisé
sous le nom d’Etienne en 995 de l’autre, faisaient entrer Polonais
et Hongrois dans le cadre d’une civilisation occidentale variée,
qui a renoncé à l'unité carolingienne.

Il, Les principautés territoriales


B Disparition de l’Empire
Que reste-t-il en effet de l'édifice politique impérial après la
crise de 888 {voir p. 84) Tout d’abord l’Empire disparaît. Après
Guy de Spolète, puis Arnulf de Germanie, Louis de Provence
et Béranger de Frioul qui n’eurent aucun pouvoir réel, le titre
d’empereur n’est plus décerné à partir de 924 par une papauté
qui cherche désespérément des protecteurs contre les seigneurs
romains ou italiens. Dans les royaumes, l'élection par les Grands
triomphe. En Germanie, un bâtard carolingien, Arnulf, est élu.
En Francie, on choisit Eudes, célèbre pour avoir su tenir tête aux
Danois, aux dépens de l'héritier carolingien. En Bourgogne, le
duc Rodolphe se fait acclamer roi. En Provence, Louis, le fils de
l’usurpateur Boson, parvient à garder le titre royal et à se mettre
à la tête du royaume. Finalement, en 933, ces deux derniers
royaumes sont réunis en un seul, appelé le royaume d'Arles.
Mais, dans la pratique, ces rois ne sont pas obéis. Tous les grands
ne les reconnaissent pas comme souverains légitimes, complo-
tent, se révoltent et sont en réalité maîtres chez eux. La véritable
unité politique, on la trouve au x° siècle, dans la principauté
territoriale. On appelle ainsi un « territoire dans lequel le roi
n'intervient plus que par l'intermédiaire du prince ». Ce prince
est un ancien administrateur carolingien; il a ses terres person-
nelles et ses bénéfices royaux dans une région; il prend l'habitude
d'y exercer à son profit et à celui des populations locales les
droits régaliens. Il se contente du serment de fidélité au roi, mais
ignore la souverainté royale. Ce grand propriétaire attire à Jui
tous les nobles voisins par des dons de terres en échange de leur
serment de recommandation. Il s'appuie sur les particularismes
locaux, langues ou dialectes, civilisations ou tribalismes réma-
nents. Les principautés territoriales naissent de l'accord de
quelques ambitieux et de vieilles aspirations régionales. Cette
poussée décentralisatrice cherche à créer l’ordre au niveau d’en-
sembles plus homogènes que les royaumes.

Æ Naissance des principautés


C'est le cas notamment de la Francie où les anciennes princi-
pautés du vin‘ siècle réapparaissent. La plus ancienne, l’Aqui-
taine, renaît la première. Après de nombreuses révoltes et la
disparition du titre de royaume en 877, elle éclate en deux
morceaux. Guillaume le Pieux, maître de l'Auvergne et du
Limousin, se proclame duc des Aquitains en 909. Son domaine
PARTIE 1 # Le Haut Moyen Âge occidental (410-1050) a]

des-
s'étend jusqu'aux comtés de Mâcon et de Lyon, mais ses
cendants se font enlever des territoi res et le titre par le comte
du Poitou, tout en étant tenus en échec par la famille de
Raymond, fondateur du comté de Toulouse. Poitou et Aquitaine
sont en rivalité continuelle pendant tout le x° siècle. Sur la rive
gauche de la Garonne, une famille comtale parvient à s'impo-
ser et s'approprie le titre de duc de Gascogne après 977. Dans
le nord de la Bourgogne, Richard, comte d’Autun, Mâcon et
Chalon finit, à partir de 890, après avoir agrandi ses posses-
sions, par se faire reconnaître le titre de duc de Bourgogne par
le roi. En Bretagne, toujours indépendante, les comtes locaux
se disputent le titre de duc pendant tout le siècle, à l'inverse
de la Normandie, où nous avons vu l'extraordinaire pouvoir
centralisé de la famille ducale. Dans le Nord, un comte de
Flandre, Baudouin, profite des invasions scandinaves pour créer
sa principauté. En 891, il s'empare de l’Artois, s'en fait recon-
naître la possession par Eudes et fonde une autre principauté.
Enfin, la famille d'Eudes, qui vient d'obtenir la royauté en 888,
est elle-même issue d’un comte, Robert le Fort, installé par
Charles le Chauve en Touraine, en Anjou et en Blésois. Elle y
ajoute le comté de Paris et de nombreuses abbayes.

Æ La châtellenie contre la principauté


Toutes ces principautés territoriales sont donc reconnues en
Francie par le roi: elles sont de droit public, puisque le roi lui-
même en est issu. Elles n’en manquent pas moins de stabilité
et, à la fin du x° siècle, nous les voyons pratiquement vidées
à leur tour de tout contenu politique. Le successeur d’Eudes
et de Robert, Hugues le Grand en inféodant Touraine, Anjou
et Blésois à d’autres comtes, n’est plus le maître de ces terri-
toires. Si le prince a dépouillé le roi, les comtes et les châte-
lains dépouillent à leur tour le prince. La puissance appartient
à celui qui a des terres et des paysans qu'il protège par un
château. C'est d'ailleurs dans les années 950-1000 qu'appa-
raissent, d’après les dernières découvertes archéologiques, les
châteaux en bois construits sur des grosses mottes de terres
rondes, en plaine près d’un village ou à l'angle d’un gros bourg.
Les maîtres de ces châteaux sont d'anciens gardiens, nommés
par le vicomte ou le comte. Détenteurs de la puissance
publique, ils finissent par l’accaparer et se libérer de la tutelle
du pouvoir central. Ainsi, le royaume vers l'an Mil, est devenu
une mosaïque de pouvoirs locaux s’étageant de la base vers le
haut, la réalité de l'exercice du pouvoir se trouvant au niveau
du village et du château.

M Principautés italiennes et germaniques


En Italie et dans les pays germaniques, la fragmentation en prin-
cipautés territoriales se produit aussi, mais selon des modalités
propres à ces régions. La plaine lombarde se morcelle en prin-
cipautés laïques ou ecclésiastiques. Les évêques s'emparent de
leur cité et la dirigent en toute indépendance: Modène, Parme,
Plaisance, Crémone, Bergame, etc. Ils perçoivent les droits
royaux et construisent des châteaux. Le marquis de Frioul est
Les dernières invasions, l'éclatement féodal et le nouvel Empire (888-1002)

tout aussi indépendant que celui d’Ivrée, maître des comtés de


Turin et d’Asti. Il en est de même pour la Toscane et Spolète.
En Germanie, l’'émiettement est moins général. Il se produit en
fonction des anciens particularismes régionaux et ethniques,
parfois même des vieux cadres tribaux. Il donne naissance aux
Stämme, unis par la même loi, devenue territoriale, et la même STämme: anciennes tribus
organisation militaire. Il semble que l’origine en soit le plus germaniques.

souvent militaire, par suite de la nécessité d'organiser la défense


contre les Hongrois. Les chefs régionaux relèvent le titre ducal
et font ainsi réapparaître Bavière, Franconie, Souabe et Saxe. La
Lorraine, disputée par la Francie, forme le cinquième duché,
tandis qu'une région reste tout à fait à part, la Frise. De même,
la Thuringe et les marches orientales de Bohême et de Carinthie
forment des entités politiques menées par des ambitieux capables
de s'emparer des régions voisines. Malgré tout, ces ducs ne par-
viennent jamais, comme en Francie, à rendre leur titre hérédi-
taire et le roi ne leur reconnaît jamais d'existence juridique. De
toute façon, l’Europe carolingienne paraît alors vouée au
morcellement, tandis que disparaît la vieille dynastie.

Il, La puissance du Saint-Empire


& De la royauté saxonne à l'Empire
De toutes les principautés germaniques, la plus récemment civi-
lisée et la plus proche de ses origines barbares était la Saxe. Mais
conquise et organisée par Charlemagne, elle apparaissait en
même temps comme le type du pays neuf par excellence où le
souvenir carolingien restait le plus vif. En 918, son prince Henri
l'Oiseleur est élu roi de Germanie par les grands et relève le pres-
tige du royaume en repoussant Slaves et Hongrois. Son fils Otton
lui succède en 936 et révèle tout de suite par son programme
qu'il entend restaurer l'héritage du grand empereur. Dès son avè-
nement, il se fait couronner et sacrer roi à Aix-la-Chapelle. Face
aux ducs révoltés, il montre rapidement ses qualités de chef de
guerre, les écrase tour à tour et nomme à la tête des duchés des
membres de sa famille qu'il révoque à sa guise. Parfois même il
supprime le duché, comme en Franconie, qu'il réunit à la Saxe,
sa possession personnelle. Après avoir bloqué le processus de
morcellement du royaume en matant l'aristocratie laïque, il
s'appuie systématiquement sur les évêques, dont il fait ses agents
et de véritables seigneurs temporels. En effet, il les investit direc-
tement, après leur élection, aussi bien au spirituel qu’au temporel,
en leur accordant la crosse. Ces comtes-évêques assurent la levée
des droits royaux par la grâce du privilège d'immunité, amènent
leur contingents militaires au roi à son appel; à leur mort, leur
domaine épiscopal revient au roi puisque, juridiquement, ils ne
peuvent avoir de successeur par hérédité. Et d’ailleurs les choix
d'Otton sont tels que, par leur valeur morale, ses évêques
s'imposent. Ainsi, il est mieux obéi et son pouvoir ne peut être
accaparé. De plus, il reprend le programme d'expansion des
Germains aux dépens des Slaves inauguré par Charlemagne et
Louis le Pieux. Il fait admettre au duc de Bohême sa suprématie
PARTIE 1 # Le Haut Moyen Âge occidental (410-1050)

deux
et l’oblige à devenir vassal. Il crée, sur l'Elbe et la Saale,
marches, qu'il confie l’une à Hermann Billung, l’autre à Gero.
Tandis qu'ils atteignent l’Oder par leurs attaques répétées, le roi
crée un monastère à Magdebourg en 937, transformé en évêché
en 955, puis en archevêché en 968, pour en faire la base de départ
des missions en pays slave. Dès 947, trois nouveaux évêchés
apparaissent. Enfin, sa retentissante victoire du Lechfeld sur les
Hongrois le 10 août 955 fait de lui le sauveur de l'Occident.
Witukind, moine de Corvey en Saxe, sut dans ses Res Gestae,
louer la gloire du peuple guerrier saxon, vainqueur définitif des
hordes orientales. Il est désormais Otton le Grand, celui qui a
DranG nach OSsTEN: marche déclenché l'expansion germanique vers l'Est, le Drang nach
vers l'Est; mouvement de peu- Osten. Que l’on ajoute à cela l'incorporation de la Lorraine, qu'il
plement et de défrichement arrache au roi de Francie à partir de 942 et à la tête de laquelle
germaniques chez les Slaves.
il met son frère Brunon, déjà archevêque de Cologne, et, pour
finir, la vassalité dans laquelle est constamment maintenu le
roi de Bourgogne! Otton est déjà plus qu’un roi, il est « le tuteur
et le proviseur de l'Occident ».

EH L'Empire romain ottonien


La marche vers l'Empire est dès lors toute tracée. Profitant de
l'anarchie italienne, en 951, Otton s'empare de la couronne
d'Italie et épouse la dernière reine légale du royaume, Adélaïde.
En 961, à l'appel du pape qui cherche à se libérer des seigneurs
romains, il entre dans Rome et se fait couronner empereur le
2 février 962. Il montre alors tout de suite qu'il est le maître en
promulguant un édit qui met sous son contrôle les élections
pontificales : désormais aucun pape ne pourra être consacré s’il
n’a prêté auparavant serment à l'empereur. C'était renouer avec
le programme de Charlemagne. D'ailleurs, Otton prend le même
titre que lui: « Empereur auguste ». Personne ne remarque sur
le moment que cet Empire est réduit aux pays germaniques et
italiens. D'ailleurs, les révoltes des princes italiens et des papes
montrent aussitôt que la ressemblance est trompeuse. Otton
doit encore mener d'autres expéditions pour mater l'Italie, faire
sacrer son fils Otton II et s'emparer de la Pouille et de la Calabre
afin d'obtenir, en échange, la main de la princesse byzantine
Théophano pour son héritier en 972. Lorsqu'il meurt en 973, il
est le souverain le plus puissant d'Europe, mais il n'a pas recréé
l'Empire franc de Charlemagne. Il n'a fondé qu’un Empire
romain germanique.
Otton II (973-983] voulut terminer la construction impériale en
achevant la conquête de l’Italie. Mais il lui fallut au préalable
réprimer les révoltes de princes germaniques et repousser le roi
de Francie. Quand il vint en Italie, ce fut pour y connaître une
sanglante défaite devant les musulmans au cap Colonne et mou-
rir peu après de la malaria. Otton IIT (983-1002) n'ayant que trois
ans, sa mère Théophano et sa grand-mère Adélaïde surent assu-
rer la régence et lui laisser un Empire intact. Ce jeune homme
de dix-huit ans, en entrant dans Rome, caressait un rêve mys-
tique et politique: recréer l’Empire de Constantin et de
Charlemagne en faisant résider l’empereur et le pape dans la
Ville éternelle. Pour le soutenir dans cet idéal d'Empire
Les dernières invasions, l'éclatement féodal et le nouvel Empire (888-1002)

universel, il éleva au pontificat Gerbert d'Aurillac, qui prit le


nom significatif de Silvestre IL. Il voulait un Empire qui fût une
société de rois, une fédération de royaumes. Ses premiers actes
politiques révélèrent un homme lucide dans l'application de son
programme. Mais, pratiquement, les intrigues recommencèrent
et, lorsqu'il mourut à vingt-deux ans en 1002, suivi en 1003 par
Silvestre II, l’image d'une Rome éternelle qui avait été leur idéal SILVESTRE Il: Gerbert prit
comme nom de pape Silvestre
se révéla sous son véritable aspect: un mirage. I. Le premier pape du nom de
Silvestre fut contemporain de
B L'arrivée au pouvoir des Capétiens Constantin, le premier empe-
reur chrétien. Voir aussi p. 92 et
Au tournant de l'an Mil, rien ne paraissait cependant concur- 106.
rencer la suprématie de l’Empire romain germanique. Le
royaume de Francie occidentale n'avait plus à sa tête qu'un petit
seigneur, Hugues Capet, fils d'Hugues le Grand et petit-fils de

En
Robert. En effet, le règne d’Eudes (888-898) avait été une catas-
trophe. Après avoir abandonné, l'usage des missi dominici et
dominici, p.65.
avoir considérablement amoindri ce qui restait du fisc royal,
Eudes avait laissé la place à l'héritier carolingien légitime,
Charles le Simple. Malgré sa conquête de la Lorraine, ce dernier
avait vu les nobles s'opposer à cet accroissement de puissance,
l'incarcérer en 922, élire Robert, le frère d'Eudes, puis Raoul,
duc de Bourgogne (923-936). Le fils de Robert, Hugues le Grand,
rendu prudent par ces mésaventures, fit élire un carolingien,
Louis IV (936-954). Vaincu à la fin du règne, il dut laisser le fils
de Louis IV, Lothaire, monter sur le trône. Trop jeune, celui-ci
fut placé sous tutelle de Brunon, archevêque de Cologne. Cette
protection germanique empêcha la royauté française de dispa- S L
raître, mais aussi de se relever, tandis que le fils de d'Hugues le
Grand, surnommé Capet à cause des nombreuses chapes d'abbé Abbé laïc, p. 67.
laïc qu'il détenait, guettait le moment où Lothaire en serait
réduit à la dernière extrémité. Duc des Francs, théoriquement
duc d'Aquitaine et de Bourgogne, il est plus puissant que
Lothaire, réduit aux domaines d’Attigny, Compiègne et Laon.
De plus, Lothaire, en tentant à plusieurs reprises de réoccuper
la Lorraine, fait peur à l'archevêque de Reims, Adalbéron, et au
maître de l'école de Reims, Gerbert d'Aurillac, partisans d'Otton.
Ceux-ci misèrent alors sur Hugues Capet après le court règne
de Louis V (986-987). Ils le firent élire à l'unanimité par les
grands et sacrer roi à Noyon le 3 juillet 987. Hugues Capet eut
beau faire disparaître l'héritier carolingien légitime en prison
et faire sacrer roi son fils Robert de son vivant, il n'était qu'un
parvenu, possesseur de quelques terres éparses entre Senlis et
Orléans, soumis à l'influence de l’Empire.
Ainsi l'équilibre politique n'existe pas vraiment au début du
xr siècle dans l’Europe chrétienne. Malgré tout, l’ère des grands
bouleversements est close. L'élan vers l’ordre est définitive-
ment donné. Le renouveau a commencé. Les Barbares ont été
intégrés dans des royaumes chrétiens qui tournent les yeux
vers Rome. La Rome antique, prise en 410, est bien morte, la
Rome franque de 800 n’a pu faire l’unité, la Rome universelle
de l'an Mil n’est qu’un mythe. Mais ce mythe politique ani-
mera tout le Moyen Âge, et jusqu’à son plus grand poète:
Dante.
PARTIE 1 Le Haut Moyen Âge occidental (410-1050)

L'état de la recherche
L'archéologie des mottes féodales
puis des chatellenies corres-
La fin de l'empire carolingien et la création des principautés féodales,
des fonction naires s'implantant sur
pond à une phase d'accaparement des prérogatives roya les par
ou les Sarrasins pousse alors ces chefs
leurs circonscriptions. L'insécurité entretenue par les Vikings
ion. Ainsi se créent des unités de commandement
improvisés à s'emparer du droit royal de fortificat
ions originale s: les mottes féodales. Un exemple de sei-
et de pouvoir appuyées sur des construct
féodale et château se trouve dans M. RoucHE — M. JANTZEN — À. CRETÉ
gneurie ecclesiastique avec motte
— N. Lapiace, L'église de Bredons, Aurillac, 2008.

endant la première moitié ais bientôt une innovation a tour construite au sommet
l'emporte après 960, la de la motte comporte un
du x siècle, rois, princes et
motte. Il s'agit d'un amoncel- ou deux étages reliés par des
évêques (lesquels ont parfois
lement de terre d'un diamètre échelles. Au rez-de-chaussée
reçu ce privilège régalien)
variant de 50 à 100 mètres, d'une sont accumulées les provisions,
s'efforcent de bloquer ces
hauteur moyenne de 15 mètres. à l'étage vivent et couchent le
constructions de mottes. Le
Le sommet sert à y élever une châtelain et sa famille.
comte de Flandres en 946
tour d'abord en bois. La motte
construit une motte avec une es mottes castrales qui
est entourée d'un fossé, mis
tour en bois à Douai, mais le bese multiplient dans le
en eau si possible, tandis que
roi de France Lothaire s'en la terre extraite du fossé sert à royaume de France entre 990
empare et y ajoute une deu- construire un rempart circulaire et 1050 sont de plus en plus
xième motte en 967. En 977, surmonté d'une palissade de complexes. Soit elles dominent
l'évêque de Cambrai fait raser pieux épointés. la basse-cour en se tenant sur
en une seule nuit la motte une extrémité, et dans ce
édifiée clandestinement par cas elles constituent l'ultime
un chevalier à Vinchy aux FE:général, mais pas toujours, refuge en cas de siège, soit
confins de son territoire. Mais cet ensemble est doublé par elles barrent l'accès à la basse-
le mouvement finit par devenir une grande enceinte, ou basse- cour. Leur situation dépend
irrésistible. Ces constructions cour, fermée par une autre levée des orientations politiques ou
sont élevées souvent dans les de terre avec une palissade et un militaires de leur auteurs. Soit
zones de marche, forestières fossé. Pour entrer, dans la basse- elles ont été bâties aux fron-
ou marécageuses, sortes de cour puis dans la motte propre- tières d'une circonscription,
no man's land où l'autorité du ment dite, deux accès sont duché ou comté, bien délimité,
prince est plus lointaine. C'est aménagés sous forme d'une soit dans des zones où il n'y a
porte creusée dans le talus et pas de pouvoir réellement
le cas de la Lotharingie et de
surmontée d'une tour-porche, exercé.
la Champagne, du Vexin, etc.
chacune des deux portes étant
Au nord de la Loire, ducs et
précédée par un pont ou une ans le premier cas il s'agit
comtes résistent plus long-
passerelle en bois, franchissant de garder et surveiller le
temps en Flandre, Picardie, territoire par des tours de garde
le fossé et facilement levable et
Normandie et Mâconnais. Au contre un ennemi plus ou
retirable.
sud en Auvergne, Limousin, moins permanent (Gascogne
Rouergue, et Provence les contre les Basques, Catalogne
usurpations individuelles sont DX* la basse-cour se trou- contre les Arabes). Dans le
plus précoces. Souvent il s'agit vent, écuries, silos, greniers second cas il s'agit de gagner
d'anciens complexes forti- et granges, logement des à la culture des terres en friche,
fiés naturellement, plateaux hommes d'armes et parfois une comme les chevaliers paysans
rocheux (oppida) éperons chapelle. Il arrive même qu'il y du lac de Paladru. Soit enfin il
barrés, tour sur un piton, etc. ait plusieurs basses-cours. s'agit d'un acte de conquête
Les dernières invasions, l'éclatement féodal et le nouvel Empire (888-1002)

du territoire d'un adversaire continue après 1080. Cette des plaines à l'assaut des mon-
comme Foulques Nerra le fait course à l'établissement tagnes au fur et à mesure des
en construisant aux dépens du du pouvoir sur des unités progrès du peuplement. Ainsi
comte de Blois, vers 994, un territoriales anciennes puis la seigneurie, en exerçant le
donjon rectangulaire en pierre nouvelles aboutit à un émiet- droit de ban, en multipliant les
sur une motte (à Langeais).
tement féodal qui varie selon redevances sur une population
et élan de construction les régions. En Normandie, en pleine croissance a-t-elle
des châteaux, d'abord en Guillaume le Conquérant pour marque visible la motte
bois puis en pierre, sur des rétablit son monopole ducal et sa tour, même si la garnison
terres déjà peuplées, puis de fortifications. En Auvergne qui s'y trouve ne dépasse pas
sur des terres défrichées, mottes et châteaux partent la demi-douzaine d'hommes.

Bibliographie
Voir d'abord les bibliographies des chapitres 1, 4 et 5, avant de compulser le volume suivant
de la collection Glotz, A. Fuck, L'Europe occidentale de 888 à 1125, Paris, 1941 ; O. Berrouni, Roma
di fronte a Bisancio e ai Longobardi, Bologne, 1941; J. Perez DE Urget, R DEL ARcO Y Garay, España
cristiana (711-1038), Madrid, 1956, t. 4 de l'Historia de España; R. Forz, La Naissance du Saint-
Empire, Paris, 1967 ; H. ZimmEermanN, Das Dunkle Jahrhundert, Graz, 1971.

Pour les marges de la chrétienté:

R. Decorr et Ph. BRAUNSTEIN, Venise, portrait historique d'une cité, Paris, 1971 ; F. Dvornk, Les Slaves,
Paris, 1970; L. Musser, Les Peuples scandinaves au Moyen Âge, Paris, 1951 ; A. P. SmyrH, Scandinavian
Kings in the British Isles (850-880), Oxford 1977 ; G. BÜHRER-THIERRY, Évêques et Pouvoir dans le royaume
de Germanie. Les Églises de Bavière etdeSouabe (876-973), Paris, 1997. DaigHi o CRoNIN, Early Medieval
Ireland (400-1200), Dublin, 1995. Le relazioni internazionali nell'alto Medievo, Settimane di Spoleto,
t. 58, 2010.

Sur les principautés:

J. DHowor, Étude sur la naissance des principautés territoriales en France, Bruges, 1948; L. Auzias,
L'Aquitaine carolingienne, Toulouse, 1937. On ajoutera Ch. CHaumE, Les Origines du duché de
Bourgogne, 4 vol. Dijon, 1925, et M. Bur, La Formation du Comté de Champagne, Nancy, 1977;
F. Neveux, La Normandie des ducs aux rois (X-xif siècles), Rennes, 1998; N.-Y. Tonnerre, Naissance
de la Bretagne, Angers, 1994.

Pour la France:
Normands peu
P. Ricé, Gerbert d'Aurillac, Paris, 2° éd., 2006; O. GuiLor, « La Conversion des
DELORT
après 911 », dans Cahiers de civilisation médiévale, 1981, pp. 101-116 et pp. 181-219; R.
1987; L. THeis, Le
(dir.), La France de l'an Mil, Paris, 1990. E. Pocnon, Hugues Capet, Paris,
M. Parisse (dir.),
Couronnement de Hugues Capet, Paris, 1985 ; Y. Sassier, Hugues Capet, Paris, 1987;
Mil, Paris, 1999; A. RENOUX
Atlas de la France de l'an Mil, Paris, 1988; L. THeis, Robert le Pieux, roi de l'an
(dir.), Palais et Séjours royaux et princiers au Moyen Âge, Le Mans, 1996.
Lents renouveaux du x° siècle

se prétendre romains
Si les peuples de l'Europe ne sont plus au x° siècle des Barbares et ne peuvent
plan économiq ue, ils vivent déjà dans un monde qui
malgré l'idéal officiel, que sont-ils? Sur le
des langues et du peupleme nt, malgré la fragment ation féodale,
s'anime du Sud au Nord; sur le plan
sociaux se créent. L'Église, enfin, accablée par le poids des charges poli-
de nouveaux groupements
abri des cloîtres, tout
tiques qu'elle a assumées, tombe aux mains des laïcs et se rénove dans l'obscur
en inspirant la création artistique et littéraire, prémices d'un nouvel état d'esprit.

L. Destructions et reconstructions
EH Le réveil des campagnes
Sur le moment, Vikings et Musulmans semblèrent avoir fait
reculer, par leurs destructions, la vie rurale et la production
agricole. En fait, les dommages furent vite réparés. Les trou-
peaux n'avaient pas été partout enlevés, les chaumières brûlées
pouvaient être réédifiées rapidement. Bientôt, une certaine
augmentation démographique se devine dans la deuxième moi-
tié du siècle: les forêts du Mâconnais sont attaquées par les
défricheurs; en Auvergne, les défrichements ont même débuté
Complant: association entre à la fin du rx° siècle. En Flandre, à la même époque, on com-
un propriétaire et un paysan qui mence à dessécher les marais maritimes. En Espagne du Nord,
met la terre de son associé en Galiciens, Cantabres et Basques remettent en culture les terres
culture et en garde la moitié désertes de la rive droite du Douro, conjointement avec des
pour lui.
mozarabes émigrés de l'Espagne musulmane. En Italie, se mul-
tiplient les contrats de complant et de livello (Latium).
LiveLLo: contrat de 29 années, Cependant, ce ne sont que des signes avant-coureurs+ Rien
renouvelable par tacite recon- encore d’un grand mouvement. Quelques progrès techniques
duction, aliénant la terre d'un
apparaissent, avec un emploi du fer plus courant, puisque le
grand propriétaire en faveur
d'un paysan libre. fer à cheval se répand à partir du début du siècle et que la char-
rue à roues qui permet de retourner les sols lourds est utilisée
dans les pays germaniques, venant de l'Italie lombarde, et
atteint le Danemark à la fin du x° siècle. En même temps se
développe le collier d'épaule, tandis que le moulin à eau se fait
moins rare.

Les troubles et la montée démographique ont fait évoluer le


système carolingien du grand domaine. Celui-ci, en effet, tend
à disparaître. La réserve est cédée morceau par morceau en
tenure à des paysans, par suite soit de l'augmentation du patri-
moine, soit des partages successoraux. Elle devient ainsi de
plus en plus réduite. Le faire-valoir direct à l'aide de corvées
commence à être concurrencé par le salariat. Le manse souvent
surpeuplé est de plus en plus fractionné. On n'évalue plus la
terre en unités d'exploitation mais en mesures de superficie
Lents renouveaux du x° siècle

comme en Normandie: la charruée. Les dépendants ruraux CHARRUÉE : étendue de terre


voient ainsi leur sort réglé, non plus par le système agraire, qu'on peut mettre en valeur
mais par la puissance et la volonté du seigneur. En effet, le avec une charrue en une
journée.
nouveau système, appelé seigneurie rurale, est entièrement
tourné vers le maître, que ce soit un gros possesseur d’alleux
épars sur le territoire ou un grand vassal qui jouit de plusieurs Alleu: terre dont le statut est le
plus proche de la pleine pro-
bénéfices. C’est lui qui peut fixer les taux de redevances, le priété. Les droits de celui qui la
nombre de jours de corvées et perçoit les taxes sur les hommes, possède ne sont pas limités par
le loyer de la terre, etc. En général, sa domination porte surtout un pouvoir supérieur.
sur les non-libres; les serfs, depuis la disparition de l'esclavage,
constituent l'essentiel de la population dans certaines régions.
Dans d’autres, les libres dominent. Le seigneur s'appuie souvent
sur des serfs domestiques à qui il confie des tâches d'adminis-
tration {ministeria). Ces ministeriales deviennent petit à petit
des hommes indispensables, en particulier en Germanie. Enfin,
le seigneur, en tant qu'immuniste, comte ou viguier, Juge ses
paysans dans les tribunaux qu'il a installés sur ses terres et,
par le droit de ban, comme par le château qu'il a construit,
peut les protéger et les dominer. Tel est le nouveau cadre de
base du monde rural: la châtellenie.

Æ Les villes s’animent


Le monde urbain renaît lentement lui aussi. Pavie, à moitié
détruite par les Hongrois en 924, est un centre commercial
cinquante ans plus tard, aux dires d’une abbesse allemande.
Asti, ravagée par les Sarrasins de La Garde-Freinet, étonne peu
après un voyageur arabe par l’organisation de son commerce.
Les villes européennes enfermées dans leurs murailles n’en
sortent pas encore, certes, mais elles secouent déjà leur engour- L
dissement. Gênes reconstruit ses murailles après 950. Dans #

d'autres cités, des guildes apparaissent, à Tiel sur le Rhin, qui Guilde, p.152.

remplace Duurstede détruite, à Léon et Najera en Espagne, à


Rome, Ravenne et Pavie. En 945, Lothaire reconnaît les assem-
blées de citoyens de Mantoue, Vérone et Brescia. En 916, les
ministeria de Saint-Omer construisent le château de leur com-
munauté. En 958, la première conjuration a lieu contre l’évêque L
à Cambrai. Un phénomène de développement urbain s’esquisse njuration,
p. 166.
donc principalement en Italie et en Flandre.

M Le commerce
La fonction commerciale, elle aussi, continue malgré les inter-
ruptions dues aux guerres et aux troubles. Les pirates vikings
se transforment facilement en marchands et fréquentent cou-
ramment le port de York dans la deuxième moitié du siècle.
Les Anglo-Saxons reprennent le chemin de Rome par les cols
alpestres, où des droits de douane spéciaux leur sont accordés,
et Pavie, où ils rencontrent Vénitiens, Amalfitains, Salernitains
et Gaétanais. Les moyens monétaires deviennent plus abon-
dants, les trésors razziés par les Vikings reviennent dans la
ARGENT HACHÉ: Morceaux
circulation sous la forme d'argent haché. Otton le Grand ouvre d'argent coupés à la hache pour
les mines d'argent du Rammelsberg en Saxe. Si les ateliers servir de moyens d'échange.
monétaires ont tous été accaparés par les princes et seigneurs
locaux laïcs ou ecclésiastiques, cette abondance des frappes
PARTIE 1 Le Haut Moyen Âge occidental (410-1050)

privées n’est pas un obstacle au commerce. Combien de moné-


taires et de changeurs devinrent marchands à cette époque!
Ainsi commerces régionaux et internationaux se maintiennent
et même progressent dans certains cas, notamment en mer du
Nord et en Baltique d’un côté, dans l’Adriatique de l’autre, où
CommENDA: contrat conclu à Venise, dès 976, pratique le contrat de commenda. Vin, sel,
des fins commerciales entre un poissons et fourrures intéressent le Nord, esclaves, brocarts,
marchand sédentaire appor- draps et épices le Midi. Nous savons même qu'au x° siècle des
foires existent en Champagne. Ainsi les fondations du com-
tant son capital et un marchand
itinérant se chargeant de faire
fructifier les sommes qu'on lui merce entre l’Europe du Nord et l'Orient sont déjà posées. Face
confe. à l’éparpillement et à l'isolement des cellules rurales, naît un
courant général d'échanges.
Les sociétés européennes sont donc en mouvement au x° siècle.
Leurs langues elles-mêmes s’individualisent. Désormais, en
France, il y a deux langues; leur frontière se stabilise autour
d’une ligne: Bordeaux, Angoulême, Guéret, Gannat, Saint-
Étienne, Grenoble. La région méridionale est le domaine de
l’occitan, celle du Nord du gallo-roman. La région de Lyon
parle un dialecte particulier, le franco-provençal. En Germanie,
il y a plusieurs groupes de dialectes du Sud vers le Nord: haut,
moyen et bas-allemand. En Italie, règne la même fragmenta-
tion. Dans la péninsule ibérique, rivalisent galicien, léonais,
aragonais et catalan. En Angleterre, tandis que le celte recule,
le vieil-anglais est concurrencé par le danois et le norvégien.
Mais ces morcellements sont réduits par l'usage du latin
comme langue universelle de culture. Ainsi coexistent
diversité et unité.

Il. Naissance de la féodalité


BH Entre Rhin et Loire
Les structures sociales connaissent la même opposition. C'est
l'époque où se prépare le premier âge féodal. La vassalité dévient
la féodalité. En effet, le terme de bénéfice est remplacé au début
du x° siècle par le mot fief. La terre donnée en usufruit viager
L devient la base de tout système de relations. Le fief qui confond
onneurs, maintenant honneurs et bénéfices est la cause du serment de
p.72 et p. 86. recommandation par lequel on devient l’homme d’un autre
homme. Du coup, le serment prend le nom d'hommage. Chacun
essaie d’avoir le plus de fiefs possibles et prête alors plusieurs
hommages. La vassalité multiple se généralise et embrouille
les relations entre seigneurs. Enfin, l’hérédité du fief devient
LiGNAGE: groupe noble de peu à peu la règle, dépouillant le seigneur au profit du lignage.
parents regroupant ascendants, Dans un très grand désordre s’échafaudent alors des hiérarchies
descendants collatéraux, alliés incomplètes de pouvoirs politiques et de puissances foncières.
par mariage et remontant à une
souche commune.
En bas, très près des paysans, les petits vassaux, guerriers indo-
ciles, tout juste capables de s’équiper à leurs frais et d’avoir un
cheval, puis les vassaux du comte, moyens propriétaires convo-
qués à sa cour de justice ou à son ost, enfin les comtes, ducs
ou anciens marquis se qualifiant de princes, qui ont gardé pour
eux les droits royaux et cherchent à affermir une autorité qu'ils
Lents renouveaux du x° siècle

se contestent mutuellement. Ces dynastes locaux s’affirment


les fidèles du roi, mais, en fait, ils ne lui doivent rien. Ce ne
sont que mosaïques de pouvoirs enchevêtrés, de droits épar-
pillés et de devoirs plus ou moins acquittés.

x Ailleurs
Cet état de choses règne particulièrement entre la Loire et le
Rhin. Ailleurs, l’évolution vers une société féodale s’est plus
ou moins interrompue.

En Angleterre, il y a toujours des nobles propriétaires liés par


le serment de fidélité au roi. En Espagne, si la behetria récom- Bekerria: du latin benefactoria,
pense le fidèle guerrier, elle n’est pas un droit. D'ailleurs, le le bienfait primitif.
besoin d'hommes pour la guerre est tel que n'importe quel
paysan peut accéder directement à ce statut s'il sait bien se
battre avec le cheval et les armes que le prince lui a donnés.
En Italie, investiture du fief et hommage sont radicalement
séparés. Le noble vit plus souvent à la ville que dans ses terres.
En Germanie, enfin, le système féodal ne pénètre pas en Frise
et en Saxe qui gardent leur ancienne structure par groupes de
paysans libres. Ailleurs, dans les autres duchés, son influence
est nette, mais avec une forte teinte d’archaïsme carolingien.
Si bien qu'autour de l'an Mil, les deux sociétés française et
allemande sont très différentes l’une de l’autre. Dans l'empire
d'Otton, le roi, la noblesse et l’Église dominent de très haut
les autres groupes sociaux, en particulier les Kônigsfreie, les
libres du roi, paysans attachés au sol qui payent la capitation,
l'impôt foncier, et un impôt de rachat du service militaire.
En dessous d'eux, se trouvent des serfs (leibigen), c'est-à-dire
des hommes doués d’une certaine liberté de mouvement, mais
appartenant en toute propriété le plus souvent à des évêques
ou à des abbés. Ils dépendent directement du seigneur ecclé-
siastique et non du vogt, le prévôt local, ancien juge de cen-
taine carolingien. C’est parmi eux que se recrutent ministeriales, MinisrTeriauis: Serviteur sei-
gneurial non libre dans l'Empire
artisans, marchands, etc. L'organisation sociale germanique germanique. Voir aussi p. 101.
reste donc très hiérarchisée, par suite de la forte organisation
militaire et du culte rendu aux institutions carolingiennes.
Face à cette société figée, la Francie présente un véritable état
de fluidité et d’anarchie sociale. Le passage du milieu paysan
au milieu noble se fait facilement. La frontière entre libre et
non-libre est très floue. Si l'Empire romain germanique domine
politiquement le x‘ siècle au point de faire entrer la Francie
dans sa clientèle, l'avenir appartient à cette dernière car elle
n’est pas attachée à un idéal impérial abandonné; libres, non-
libres et noblesse, sans crainte d’un roi puissant, peuvent se
livrer à toutes les initiatives économiques ou belliqueuses. À
l'archaïsme germanique s'oppose le dynamisme anarchique
social français.

& La noblesse
Quoi qu'il en soit de son organisation en groupes bien ordon-
nés ou en lignages fluctuants, la noblesse européenne existe
PARTIE 1 Le Haut Moyen Âge occidental (410-1050)

alors certainement. Issue d’une fusion entre aristocrates


romains, chefs de tribus germaniques, nobles de service suc-
cessivement favorisés par les rois, elle a évolué sans grande
rupture de la fin de l'Antiquité aux alentours de l’an Mil,
s'agrégeant tous les parvenus, mais maintenant aussi l’ancien-
neté de ses origines. Il y a d’une part l'aristocratie d'Empire
proche des familles impériales et implantée souvent dans les
comtés, tel ce Witukind originaire de Saxe, ancêtre de Robert
le Fort et de toute la race capétienne, à la suite de son instal-
mini
i dominici,
p. 66.
lation en Touraine, d'autre part les comtes, vicomtes et vassi
dominici. Cette aristocratie régionale se constitue lentement
en lignages familiaux. Sa noblesse lui vient indistinctement
par les femmes ou les hommes, comme dans le cas de Baudouin
de Flandre qui s’est marié avec la fille de Charles le Chauve
après l'avoir enlevée, ou dans celui de Géraud d'Aurillac dont
l'origine sénatoriale remonte à saint Césaire d'Arles et à saint
Aridius de Limoges au vr siècle! Là encore, derrière la diver-
sité et l’évolution rapide, on découvre la continuité d’une
noblesse qui, tantôt en Francie ignore le roi, tantôt en Germanie
lui est soumise...

Ill, Déclin de l’Église et réforme clunisienne

P..
& Simonie et nicolaïsme
La puissance de la noblesse en Francie et celle du roi en
Germanie vient de leur mainmise sur l’Église. L'essor de la
Avoué, p. 65. féodalité s’est fait aux dépens des clercs. Les avoués se sont
taillé des fiefs dans les domaines ecclésiastiques. Rois et princes
nomment évêques et abbés laïques, exigent d’eux les services
d’ost et d'assistance aux tribunaux. Devant les usurpations de
biens fonciers par les laïcs, les gens d’Église entrent alors à leur
tour dans les liens de féodalité, même s'ils ne pratiquent pas
officiellement la recommandation par les mains. Il leur faut
défendre leur domaine, certes, mais leur inclusion dans ce
monde guerrier, la pratique des droits de frappe monétaire,
l'exercice du droit de ban leur font rapidement oublier leur
statut religieux. De la défense, ils passent à l'accroissement de
leur domaine par tous les moyens: dons extorqués en spécu-
lant sur la peur de l'enfer, ventes des sacrements, etc. Tout
cela était souvent exigé par le propriétaire de l’église rurale ou
de l'évêché qui prélevait sa quote-part sur les bénéfices du clerc
ou, plus souvent encore, vendait au postulant la charge épis-
copale, abbatiale, ou paroissiale. À ce trafic entre clercs et laïcs
s'ajoutait celui qui régnait dans le monde clérical. Voici les
plaintes d’un clerc, par exemple: « Je viens d’être ordonné
évêque par mon archevêque; j'ai donné cent sous pour qu’il
me conférât l’épiscopat. »
Depuis le serf ignare affranchi par son châtelain pour devenir
curé du village jusqu’à l'évêque qui désigne son fils comme
successeur à sa mort, jamais l’Église ne fut aussi abaissée. La
papauté elle-même tomba aux mains de l'aristocratie romaine,
Lents renouveaux du x° siècle

avec la famille des Théophylactes. C’est ainsi que sa princi-


pale représentante, Marozie, désigna comme pape son bâtard
né de ses relations avec le pape Serge Ill; il devint Jean XI
(931-935), puis elle lui fit succéder son petit-fils Jean XII (935-
964). Il fallut les interventions des Ottoniens pour que les
désignations pontificales soient moins scandaleuses, avec, en
particulier, la nomination de la plus grande figure intellec-
tuelle de l’époque, Gerbert. Le plus grave n'était pas tant la
simonie et le nicolaïsme que la confusion opérée entre les SimontE : achat et vente des
charges temporelles et les fonctions spirituelles. pouvoirs sacramentaux et des
charges ecclésiastiques, à l'ins-
tar de ce que voulut faire Simon
B La réforme clunisienne le Magicien avec les Apôtres.
NicoLaisme: désordre des
Un tel état de choses devait susciter des réactions. Elles ne
mœurs des clercs.
pouvaient venir ni du clergé séculier totalement domestiqué,
ni des moines encombrés par la présence de l'abbé laïque ou
envahis à périodes régulières par le seigneur et ses guerriers
venant se faire héberger en vertu du droit de gîte. Ce furent
les laïcs qui trouvèrent la solution, dès lex‘ siècle, avec Gérard
de Roussillon, fondateur des monastères de Pothières et de
Vézelay, avec Géraud qui créa Saint-Clément d’Aurillac vers
871 et surtout Guillaume le Pieux, duc d'Aquitaine, fondateur
de Cluny (11 septembre 909).
D'après la charte de fondation, le domaine et le monastère de
Cluny appartenaient en toute propriété au trône de Saint-Pierre
à Rome. C'était soustraire le monastère à toute ingérence
laïque; Bernon, son premier abbé, obtint la libre élection de
l'abbé par les moines et la suppression de la juridiction de
l'ordinaire, c’est-à-dire de l’évêque de Mâcon. Cluny vit ses
privilèges d’exemption confirmés par le pape Jean XI. Puis, en EXEMPTION: par exception au
droit de l'Église, on soustrait les
951, l'abbé de Cluny reçut l'autorisation de placer sous son terres d'un monastère à tout
autorité tous les monastères qu'il réformerait. Les abbés Odon pouvoir politique ou ecclésias-
(926-942) et Maïeul (954-994) eurent une influence énorme sur tique, saufà celui du pape.
leur époque, le second en particulier, par son rôle auprès d'Ot-
ton le Grand.

Lorsque Odilon devint abbé (994-1049), il y avait déjà trente-


sept monastères réformés en France et en Italie. Certes, le
mouvement clunisien ne fut pas le seul en Europe. Gérard de
Brogne, abbé du monastère de même nom fondé sur son alleu,
et Jean de Vandières, restaurateur de Gorze en 933, sont à l’ori-
gine de tout un mouvement monastique lorrain qui fut hau-
tement prisé et favorisé par les Ottoniens. Le dynamisme de
la centralisation clunisienne paraissait cependant irrésistible
vers l’an Mil.
En effet, en appliquant la règle bénédictine, les moines de
Cluny insistent essentiellement sur l’opus Dei, la célébration
chorale de l'office divin. Ils donnent le primat à la liturgie
qu'ils veulent splendide et attirante, préfigurant les gloires de
la vie éternelle. La messe devient également chorale et se
transforme en une espèce de prière perpétuelle. Les innovations
en faveur des morts (fondations de messes) répondent à
l'angoisse des foules du x‘siècle.
PARTIE 1 Le Haut Moyen Âge occidental (410-1050)

er
Enfin, les moines prirent l'habitude de se faire tous ordonn
ration de
prêtres pour célébrer quotidiennement la conséc
l’histoi re de
l’'Eucharistie. Avec le moine-prêtre, une page de
tion
l'Église est définitivement tournée. Désormais, la concep
des
augustinienne et carolingienne qui séparait les clercs
moines devient périmée . Une nouvell e milice chrétie nne aux
ordres de Rome voit le jour, prête à satisfaire les besoins d'ordre
et capable d'intervenir dans le monde grâce à son influence.

M Vers la paix de Dieu


Si le mouvement clunisien est apparu dans la partie méridio-
nale de la Francie, cela est dû au fait que cette région était la
plus chaotique et la moins touchée par l’ordre local féodal. La
disparition de l’ordre public a provoqué un regain des violences,
un retour au paganisme parfois. Les famines et les épidémies
contribuent à entretenir la crainte de la mort et à troubler des
sensibilités inquiètes, tel le mystérieux mal des Ardents en
ESCHATOLOGIE : science des fins 997. Un état d'esprit eschatologique se développe alors, à partir
dernières de l'homme.
des commentaires de l’Apocalypse.

Devant le triomphe du Mal, face aux ravages de bandes armées


de féodaux se battant entre elles aux dépens des villageois, les
écrivains ecclésiastiques guettent les événements annoncia-
teurs de la fin du monde. Otton II, lors de son couronnement,
portait un vêtement sur lequel étaient brodées des scènes
de l’Apocalypse. Les terreurs de l'an Mil, la peur de voir s’écrou-
ler le monde mille ans après la mort du Christ, n’ont sans
doute pas existé: mais elles ont constitué une phase, certes
capitale, de l’histoire des mentalités de l’Europe occidentale,
car, petit à petit, à travers les méditations claustrales, les pèle-
rinages populaires et les pénitences spectaculaires, la foi cessa
d'être axée sur la colère de Dieu pour déboucher sur le culte
de la Croix et la vision de Jésus souffrant pour les hommes.
L'état d'esprit eschatologique engendra par conséquent une
action politique. Devant le scandale du fort opprimant le
pauvre, « à cause de l’imbécilité du roi », comme le dit un
évêque, des initiatives nouvelles apparurent. Un concile tenu
à Charroux, près de Poitiers, le 1‘ juin 989, décide de lancer
le mouvement de la paix de Dieu en excommuniant, avec
l'approbation générale, tout individu qui aura dépouillé un
paysan de ses biens ou brutalisé un clerc désarmé.
D'autres conciles se tinrent à Narbonne et en Aquitaine. Au
cours de grandes assemblées pénitentielles, on faisait prêter
serment de paix aux guerriers féodaux que l’on commence à
nommer chevaliers. Ainsi, face à la violence apparaissait un
désir général de paix qui n'allait pas tarder à s'étendre. Mais
lancée par des évêques, trop compromis avec les pouvoirs poli-
tiques locaux, la paix de Dieu eut des résultats limités.
Lents renouveaux du x° siècle

IV. La renaissance ottonienne


& Dansles lettres
On comprend qu’une telle atmosphère n'ait guère été favorable
aux loisirs intellectuels et artistiques. Le royaume de Francie
brille par la faiblesse de ses productions. Signalons cependant
le rôle de Reims où écrivaient l’annaliste Flodoard et l’histo-
rien Richer, très féru de Salluste. Il faut dire que les écoles de
Reims furent illustrées par Gerbert qui en devint le maître,
après avoir fait ses études à Ripoll en Catalogne. C'est proba-
blement le seul savant de l’époque, arithméticien, musicien,
astronome et médecin (cf. p. 96). L'Espagne ne fait que recopier
sans cesse dans ses monastères l’Apocalypse de Beatus de
Liebana. L'Angleterre saxonne ne retrouve pas la splendeur du
temps d'Alfred malgré Aelfric (vers 955-1020) qui traduit la
Genèse en vieil-anglais et rédige sermons et vies de saints.
L'Italie, avec Liutprand de Crémone {mort vers 970), auteur de
la Legatio, histoire passionnée de son ambassade à
Constantinople, nous révèle l'importance du monde laïc cultivé
en Lombardie, tandis que Rathier de Vérone {mort en 974),
dans les Praeloquia, cherche à mettre au point une nouvelle
conception de la société. En réalité, il faut aller en Germanie
pour trouver un grand mouvement littéraire et artistique.

On peut, en effet, parler de véritable renaissance ottonienne


avec les grands monastères de Saint-Gall et de Corvey. Dans
le premier travaillèrent Notker le Bègue (mort en 912), auteur
d’une vie romancée de Charlemagne, Notker le Lippu (mort
en 1022), le seul qui ait fait des traductions en haut-allemand
de Boèce, Caton, Virgile, Térence, Aristote; dans le second,
Witukind (925-1004 ?) écrit les Res Gestae Saxonicae, ouvrage
historique rédigé en un fort bon latin qui rapporte les hauts
faits de la dynastie ottonienne. Cette renaissance est archaï-
sante, car l’on écrit maintenant les épopées germaniques en
latin comme le Waltharius tandis que Hroswitha, abbesse de
Gandersheim, écrit six drames en prose latine à la manière
de Térence.

& Dansles arts


De même, l'héritage carolingien et paléo-chrétien est brillam-
ment repris en architecture. Les basiliques à double chœur et
à double transept comme à Hildesheim (voir ci-contre), aux
longs murs rythmés par une alternance de piliers et de
colonnes séparant la nef des bas-côtés, constituent le type
essentiel des grands monuments de cette époque. Un nouveau
type de chapiteau de forme cubique est utilisé. Dans ces édi-
fices généralement non voûtés reparaît une sculpture monu-
mentale, comme la Vierge d'Or d'Essen ou les portes de bronze
de Saint-Michel de Hildesheim ornées d’un cycle de bas-reliefs
par l'évêque Bernward. Mais les sommets de l’art ottonien Coupe axonométrique
furent atteints dans l’enluminure. Des manuscrits comman- de Saint-Michel de Hildesheim
dés souvent par l’empereur furent copiés et ornés sur des D'après L. Grodecki

modèles carolingiens et byzantins, en particulier à Reichenau,


PARTIE 1 Le Haut Moyen Âge occidental (410-1050)

ce de
Trèves, Echternach, Cologne, etc. En général, l’absen
doré, l'attitu de hiérati que des personn ages,
perspective, le fond
ont pour but de créer une atmosp hère sacrée et de faire naître
un respect religieux.
La musique aussi a considérablement progressé au cours du
siècle. Ogier de Laon fait, dans le De Harmonica Institutione,
la théorie du contrepoint mélodique. Le chant à deux voix en
opposition ou en parallèle se répand. La polyphonie se déve-
loppe d’abord en Francie: le plus ancien texte en langue fran-
çaise, la Cantilène de sainte Eulalie, vers 980, était
9 L probablement chanté à l’aide d’une partition. En Germanie,
les musicographes de Reichenau, Bernon, Aribon de Freising,
Trope, p. 69. Hermann le Contrefait perfectionnent le plain-chant par l’'em-
ploi du trope. Enfin, l'orgue devient l'instrument fondamental
de la musique religieuse. Gerbert, vers 972, en perfectionne à
Reims la facture, tandis qu'en Angleterre à Winchester, appa-
raît dans la cathédrale un instrument à quatre cents tuyaux.
Au total, la même impression se dégage: suprématie de
l’Empire germanique appuyé sur l’héritage carolingien, mais
naissance des véritables nouveautés en Francie.

V. Conclusion : une définition de la féodalité


Le x°siècle est donc écartelé entre ce qui meurt et ce qui naît.
Il voit disparaître le grand domaine carolingien, s’éparpiller les
droits royaux en Francie, se fragmenter les royaumes en plu-
sieurs langues, s’avilir l'Église séculière. Mais à travers les
invasions, les guerres et les catastrophes, triomphent la vio-
lence et la féodalité. En même temps, ces écroulements portent
en eux-mêmes leur remède: la féodalité, comme le dit Georges
Duby, c’est « le fractionnement de l'autorité en multiples cel-
lules autonomes. Dans chacune de celles-ci un maître détient
à titre privé le pouvoir de commander et de punir; il exploite
cette puissance comme une part de son patrimoine héréditaire.
Par un tel cloisonnement s'opère donc la parfaite adaptation
des relations politiques et sociales à la réalité concrète d’une
civilisation primitive et toute rurale où l’espace était immense
et coupé d'innombrables obstacles, où les hommes étaient
rares, séparés par des distances mal franchissables et d’une
culture intellectuelle si fruste que leur conscience se montrait
impuissante à percevoir les notions abstraites d'autorité: un
chef ne pouvait obtenir obéissance s’il ne se montrait pas en
personne et s’il ne manifestait pas physiquement sa présence ».
Cette présence renforce la seigneurie rurale. La sécurité que
le maître crée à l’ombre du château facilite un renouveau des
échanges. Le désordre qu'il entretient par ses querelles avec
d’autres puissants ou sa mainmise sur l'Église font naître des
protestations et des réformes. Apparemment, le x° siècle est
un siècle obscur en Francie, un apogée dans l’Empire où la
féodalité se heurte à un roi puissant. En réalité, l’évolution
amorcée par le triomphe de la féodalité prépare le renouveau
d’un vieux pays tandis que le blocage d'un pays neuf au stade
Lents renouveaux du x° siècle

carolingien amorce son éclatement. La preuve nous en est


donnée par trois écrivains aussi éloignés l’un de l’autre que
l’Anglo-Saxon Aelfric, le Lotharingien Rathier de Vérone et le
Français Adalbéron de Laon. Ce dernier, vers 1020, écrit au roi
Robert le Pieux: « La cité de Dieu que l’on croit une est donc
divisée en trois: certains prient, d’autres combattent et d’autres,
enfin, travaillent. Ces trois ordres qui coexistent ne souffri-
raient pas d’être séparés; les services rendus par l’un permet-
tent les travaux des deux autres, chacun à son tour se charge
de soulager l’ensemble. Tant que cette loi a pu triompher, le
monde a joui de la paix. Aujourd'hui les lois s’affaiblissent et
déjà toute paix a disparu. Les mœurs des hommes changent
comme change aussi la division de la société. » Il n’est donc
plus question des clercs, des moines et des laïcs, mais des
clercs, des guerriers et des travailleurs. Cette vieille division
indo-européenne qui reparaît aussi sous la plume des deux
autres auteurs est elle-même déjà changeante, comme le dit
Adalbéron. Elle survivra jusqu’à la Révolution française. Le
Haut Moyen Âge est bien fini.

L'état de la recherche
Mutations ou non de l'an Mil
« Les ténèbres s'éclairent » écrivait R. S. Lopez en 1962 (Naissance de l’Europe) à propos des x° et
x£ siècles. Il présentait le Moyen Âge selon deux faces contrastées: l'Europe envahie du v‘ au x siècle,
l'Europe rayonnante du x° au xv siècle. Cette thèse du grand changement appuyée sur la phrase de
Raoul Glaber décrivant « le blanc manteau d'églises » apparaissant après l'an Mil, fut illustrée par des
travaux historiques nombreux avant d'être contestée récemment. Pour les uns tout bouge, pour les
autres tout continue.

BE les livres qui ont alentours de l'an Mil. Avant, trentaine d'exemples concer-
orienté la recherche vers les institutions carolingiennes nant ce village et arguant de
l'approfondissement de la résistent. Après, la seigneurie la continuité de l'esclavage
notion de mutation autour de châtelaine l'emporte. Mais antique démontrée par
l'an Mil, celui de Marc Bloch, La déjà sa notion de seigneu- M. Rouche dans sa thèse sur
Société féodale, pensé et écrit rie banale était contestée. l'Aquitaine ( Paris, 1979), Guy
vers 1939-1940, fut publié plus Certains estimèrent que Bois conclut que le schéma
tard. Il distinguait deux âges rien ne prouvait que le droit selon lequel à l'Antiquité
féodaux. Le premier serait germanique du ban, droit de correspond le moulin à bras
issu des troubles créés par les contrainte et de pouvoir, fut
et l'esclavagisme, au Moyen
invasions vikings, aux tour- accaparé par les châtelains.
Âge le moulin à eau et le ser-
nants des 1x° et x° siècles. Le vage, est à corriger. En réalité,
second, une reprise en main M en 1987, une opposi-
estime-t-il, le cas de Lournand
de la féodalité par l'État, aurait tion aux thèses de Marc
prouve que l'esclavage se
débuté vers 1100. Georges Bloch et de Georges Duby fut
termine en l'an Mil et qu'il est
Dusy, à propos de sa thèse sur posée par Guy Bois, avec son
ouvrage intitulé, La Mutation alors remplacé par le servage.
le Mâconnais en 1962, modifia
de l'an Mille :Lournand, village Les critiques ne manquèrent
cette chronologie et plaça la
mâconnais, de l'Antiquité au féo- pas de souligner la faiblesse
coupure entre le premier et
dalisme. À partir d'une petite documentaire de cette thèse.
le deuxième âge féodal aux
PARTIE 1 Le Haut Moyen Âge occidental (410-1050)

eci suscita une série d'entre eux. Il n'y aurait donc et chevaliers. Le servage
d'ouvrages plus appro- pas de premier âge féodal. La continue depuis l'Antiquité
fondis sur la question. Celui seigneurie châtelaine ne fait romaine. Il y avait en réalité
qui résume le mieux la nou- qu'encadrer les noyaux de par continuité des structures
velle tendance s'appelle Les défrichement sur les confins sociales, une « révélation féo-
Féodalités sous la direction des anciennes circonscriptions. dale » de 970 à 1150. Les peurs
d’E. Bournazel et de J.-P. Poly Les nouveaux pouvoirs issus de l'an Mil n'ont pas existé et
(Paris, 1998). Formulé dès 1980, des anciens fonctionnaires et n'ont donc rien changé dans
leur point de vue est celui de la violence chevaleresque les structures sociales.
d'historiens du droit sensibles ont créé un ordre féodal
aux significations politiques du achevé vers 1050, tandis que
vocabulaire féodal. Pour eux les clercs composent avec un e débat est largement
dans le royaume de France, les certain paganisme populaire Ge pour les autres
mouvements populaires de la rémanent. historiens européens qui
Paix suivis de la Trève de Dieu, estiment qu'il s'agit là d'une
à partir de 989, sont la preuve LS
ee thèse mutationniste querelle typiquement franco-
d'une grave crise sociale qui s'opposa bientôt celle française. Il a néanmoins l'avan-
permet à la « révolution » de l'anti-mutationnisme. tage de faire progresser la
ou à la « mutation » féodale D. Barthélémy en est l'actuel recherche. Il pose trois grandes
de triompher. Ce nouveau tenant dans La Société dans le questions. Quels sont les diffé-
pouvoir serait à l'origine de la comté de Vendôme de l'an Mil rents types d'esclavage depuis
grande expansion du Moyen au XIVE siècle. (Paris, 1993). Il l'Antiquité jusqu'en 918, date
Âge classique. n'y a pas de justice dégradée, de l'apparition du mot sclavus,
de chevalerie déchaînée, de preuve de la naissance de la
es fiefs se généralisent, paysannerie à la dérive. La traite moderne ? Pourquoi et
les paysans sont soumis société carolingienne était comment le lignage capétien
en dépendance sous le déjà féodale. Les cataclysmes, a-t-il démantelé l'État de 888
poids des « banalités », mais les constructions de châteaux à 1035? Quand l'hérédité des
avec maintien d'anciennes périphériques n'ont rien fiefs et des honneurs a-t-elle
solidarités et entrées dans changé. Deux strates aristo- été reconnue officiellement et
la noblesse des plus riches cratiques continuent, nobles définitivement?

2 NL SE RP ETS LI SEC IEP EP D RE PRE


DR ESRI
t
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en l'an mille, Paris, 1999; P. BonNassE, Les Sociétés de l'an Mil: un monde entre deux âges, Bruxelles,
1999; M. Bourin-M. Parisse, L'Europe au siècle de l'an Mil, Paris, 1999; L. GrooecI, L'Architecture otto-
nienne, Paris, 1958; H. BuscH, B. Lonse et E.-M. Wacner, Le Pré-Roman, Paris, 1968; A. Gragar et
C. NoroENFALK, La Peinture dans le Haut Moyen Âge occidental, Paris, 1957 ; CI. Carozzi et H. CAROoZzI-
Taviani, La Fin des temps, Paris, 1982; Le Paysage monumental de la France en l'an Mil, X. BarraL
1 Aurer (dir.), Paris, 1987; P. Coreer, Autour de Burchard de Worms, les interdits de parenté dans
l'Empire (x°-xr° siècles), Francfort, 2001 ; M. Roucxe (dir). Fulbert, précurseur de l'Europe médiévale ?,
Paris, 2008.
PARTIE

Le Moyen Âge classique


Qu-xm° siècle)

F3 Les hommes et la terre

ED Féodalité et sociétés féodales

En Le renouveau de l'État

En Le renouveau du commerce

113 Villes et sociétés urbaines

En L'Église et la société politique


115. Le monachisme et la recherche du salut

116 L'expansion de l'Occident

La vie intellectuelle et artistique


Les hommes et la terre

alité de la population de
Au Moyen Âge, la terre est tout. Elle procure sa subsistance à la quasi-tot
et de la puissance. Toute l'exis-
l'Occident. Elle est la base de la vie matérielle, la source de la richesse
agricoles. Mais, aux alen-
tence des hommes, même des citadins, est réglée par le cycle des saisons
à la limite de la famine,
tours de l'an mil, la terre est encore bien mal exploitée. Les hommes, vivant
isolées les unes des autres par
s'entassent sur d'étroits terroirs, des « clairières cultivées » (M. Bloch)
du »*° siècle, un effort
d'immenses déserts de bois, de broussailles et de landes. Pourtant, dès le milieu
hostile est entrepris . À son terme (x! siècle),
de conquête et de domination par l'homme d'une nature
d'exploit ation agricole modifiée s, la conditio n des pay-
les espaces cultivés sont élargis, les formes
Ces transfor mations du monde rural sont un des aspects de l'essor
sans dans bien des cas améliorée.
général de l'Occident, quand elles n'en sont pas à l'origine même.

L. L'essor du monde rural (x°-xui° siècle)

B Les causes de l'essor rural


Bien des facteurs ont contribué au progrès de l’agriculture
médiévale. On voit parfois dans les changements climatiques
l'origine de la grande entreprise de défrichement qui a trans-
formé l'aspect de l'Occident. Mais les avis des spécialistes
divergent: réchauffement pour les uns (Le Roy Ladurie), per-
sistance de périodes froides pour d’autres (Broocks), en tout cas
phases sèches s'étendant de la fin du x° à la fin du xmi siècle
qui auraient facilité la mise en culture de nouveaux espaces.
L'essor démographique, si souvent invoqué, est plutôt le résul-
tat d’une amélioration des conditions de vie qu'un stimulant
PTE poussant les hommes à dépasser les horizons habituels. Il
contribue puissamment à l'essor du monde rural. Comment
le quantifier, alors que les chiffres manquent et que l'on doit
se contenter d’estimations ? La population de l’Europe occiden-
° tale serait passée de 22 millions en 950 à 54 millions au début
du xiv° siècle, alors que la population de l'Angleterre triplait
2 Poll Tax*
entre 1086 et 1346. D'après les relevés effectués dans des cime-
tières d'Allemagne et de Scandinavie, la durée moyenne de la
{L,*"Domesday Book vie augmente à cette époque, tandis que les taux de natalité
relevés dans le Namurois et en Picardie s'élèvent entre 1075
et 1250. Partout la croissance résulte d’une victoire de la nata-
lité sur la mortalité, victoire favorisée par l'amélioration et la
| 1100 1200 1300 1400 1500
diversification de la nourriture. Mais les rythmes en sont sans
Un exemple d'essor doute inégaux selon les régions. Aux chiffres si rares, s'ajoutent
démographique: la population de nombreux témoignages indirects: la hausse du prix des
A LS terres, alors que les salaires agricoles stagnent ou baissent; la
Roputatlon. croissance des villes, alors que se poursuit l'extension des terres
arables; la création des villes neuves, le fractionnement des
Les hommes et la terre

domaines et des manses, les migrations humaines vers des


zones jusque-là désertes, autant d'indices concordant avec un
dynamisme démographique général, dont l'ampleur est surtout
évidente en Angleterre, dans les Flandres, en Île-de-France, en
Lombardie et en Toscane, à proximité des rivages maritimes
et sur les terroirs les plus féconds, céréaliers et viticoles. L'essor
s'arrête inégalement selon les régions: plus tôt en France du
Nord et du Nord-Ouest, où les difficultés frumentaires des
années 1315-1318 brisent l'élan, plus tard dans les régions méri-
dionales où l’entassement des hommes se prolonge jusque dans
les années 1340.
Des changements sociaux et économiques ont également joué
un rôle notable. La ruralisation des classes dominantes a incité
les paysans à mieux produire pour satisfaire les exigences
croissantes des maîtres du sol. En même temps, l'effacement
de la famille large, de type patriarcal, pousse les jeunes couples
à quitter le manse exigu, pour créer de nouvelles unités d’ex-
ploitation. Le lent développement des échanges, dès la fin du
x° siècle, accroît les besoins en denrées agricoles de populations
non productrices et introduit dans les campagnes le stimulant
du profit. Par ailleurs, le changement des habitudes alimen- Charrue à avant-train (xu° siècle)
taires impose des productions plus variées et plus riches
(froment).
L'essor rural ne peut se concevoir sans un progrès des tech-
niques. Le Moyen Âge applique et généralise des inventions
anciennes plutôt qu'il n’en crée de nouvelles. Ainsi la multi-
plication des moulins à eau, l'apparition des moulins à vent
au xnr° siècle épargnent de la main-d'œuvre, utilisable pour
d'autres travaux. L'emploi croissant du fer dans l'outillage
agricole soutient l'effort des défricheurs; les outils de bois se
revêtent de plaques et de lamelles de métal. La charrue, avec
son coutre, son soc dissymétrique et son versoir, connue dès
l'époque carolingienne, l'emporte en dehors du domaine médi- Rorarion: alternance régulière
des cultures sur une même
terranéen, sur l’araire qui a subi peu de modifications depuis
terre. La rotation peut être bien-
l'Antiquité. Les techniques d'attelage s'améliorent; le joug nale ou triennale. Elle a pour
frontal pour les bœufs, le collier d'épaule, l’attelage en file but au Moyen Âge l'aménage-
pour les chevaux facilitent les travaux des champs. L'emploi ment de la jachère. Ne pas
confondre avec assolement.
généralisé du cheval permet de multiplier les labours. La rota-
tion triennale, connue dès le vin‘ siècle, gagne lentement l'Eu- AssoLeMENT: division de la
masse des terres d'une commu-
rope occidentale où elle est de règle à la fin du xm' siècle; ainsi nauté villageoise en plusieurs
augmente la surface cultivée, sont introduites de nouvelles quartiers ou soles. Sur chacun
cultures (céréales de trémois). La publication de traités d’agri- de ces quartiers, chaque agri-
culture (Walter de Henley, Housebonderie, Pierre de Crescent) culteur est tenu de procéder
aux mêmes cultures en même
montre le souci de diffuser les connaissances agronomiques. temps. || peut ÿ avoir rotation
Il n’en faut point exagérer la portée; l'insuffisance des engrais sans assolement.
tant naturels que végétaux constitue un handicap certain; les CÉRÉALES DE TRÉMOIS :Céréales
techniques, bien qu'améliorées, restent rudimentaires et ne du troisième mois, c'est-à-dire
permettent pas de franchir un seuil encore bas dans l’ordre de printemps.
des rendements.
Enfin de nouvelles conditions politiques favorisent l'essor
rural. Les institutions de paix disciplinent la violence féodale,
protègent les clercs mais aussi les producteurs. Seigneurs de
PARTIE 2 & Le Moyen Âge classique (x°-xni siècle)

dans des
principautés et rois favorisent la colonisation rurale
zones peu habitées ou disputé es. Planter des village s neufs,
des routes
c'est asseoir une domination contestée, contrôler
ne
et obtenir de nouveaux revenus. La croissance des Etats
peut être séparée de l'essor rural qui en assure les bases.

EH Les grands défrichements


Dans tous les pays d'Occident, des toponymes fort nombreux
Essarr: terre défrichée d'où [villeneuve, sauveterre, les bordes, les essarts, noms germaniques
l'on a Ôté toutes les broussailles avec suffixes en -rode, -feld, -dorf, etc.) attestent l'ampleur des
par arrachement ou brülage. grands défrichements des xi°, xni‘ et xIn° siècles. Les artisans de
la conquête du sol échappent souvent à l’histoire: ermites arron-
dissant leur jardin, charbonniers ouvrant une clairière puis une
autre, paysans isolés grignotant des terres sur la friche et le bois
proches ou s'installant au cœur des marais, autant d'obscurs
défricheurs moins bien connus, mais tout aussi efficaces, que
les groupes ruraux encouragés, installés par des maîtres sou-
cieux d'obtenir redevance. Des ordres religieux nouveaux
(Grandmont, Cîteaux}, donataires de biens incultes, utilisent
FRÈRES CONVERS : religieux qui des frères convers et des paysans salariés à créer des granges,
ne sont pas soumis à toutes les centres d'élevage. Des paysans quittent des régions surpeuplées
obligations de la vie monas- à l'appel de seigneurs et d'entrepreneurs de défrichement {loca-
tique et qui sont chargés des
tâches matérielles dans un tores). Ces hôtes obtiennent des lots de terre et des redevances
couvent. allégées; ainsi fut colonisée l'Allemagne de l'Est. En Italie, des
villes prennent l'initiative pour affermir leur pouvoir politique
et économique sur le plat pays (contado). Souvent seigneurs
laïques et seigneurs ecclésiastiques collaborent, les uns appor-
tant terres et hommes, les autres les capitaux nécessaires à la
mise en valeur; ces accords ou contrats de pariage partagent
revenus et pouvoirs entre les nouveaux maîtres.
Les types de défrichement. En dépit d'extrèmes variétés régio-
nales, les types de défrichement peuvent être ramenés à trois.
L'élargissement des terroirs anciens résulte de l’action de pay-
sans isolés créant des essarts ou bien d’une communauté vil-
lageoise attaquant sous la conduite d’un seigneur la forêt, la
friche, les broussailles. De cette époque date le recul de l'arbre
dans la France du Nord, l'Angleterre et l'Allemagne, régions de
plaine, alors que la forêt se maintient mieux dans les massifs
montagneux. D’autres entreprises collectives aboutissent à la
création de villages neufs dans des solitudes boisées ou maré-
cageuses. Sur les routes de Saint-Jacques de Compostelle, appa-
raissent les sauvetés du Sud-Ouest {xr°-xn° siècles), lieux d'asile
et de défrichement et les castelnaux, villages créés par des sei-
gneurs à l'ombre de leurs châteaux; puis les bastides (xmm° siècle)
jalonnant surtout la limite entre les terres anglaises et fran-
çaises. Dans le nord de l'Espagne les défrichements continuent
comme aux siècles précédents, intensifiés par la Reconquête.
Dans le Bassin parisien, comme dans la plaine du P&, le grand
nombre de « villeneuves » rappelle quelle part les rois, des
monastères ou des villes, ont eue dans la création de nouveaux
lieux habités, villes ou villages. Sur les franges maritimes
(Flandre, Fens anglais, marais de la côte atlantique}, les travaux
d'endiguement, d’'assèchement et de drainage sont des
Les hommes et la terre

entreprises collectives dirigées par des abbayes et des seigneurs


laïques. Enfin, au xur° siècle, des maisons religieuses ou des
paysans pionniers s'établissent dans des régions désertes et
créent ce peuplement intercalaire caractérisant les sols pauvres
plus aptes à l'élevage qu’à la culture {(G. Duby|. Cet individua-
lisme agraire serait en partie à l’origine du paysage de bocage
qui pourrait avoir aussi des sources germaniques et celtiques.

Mais les défrichements se ralentissent. Commencés dès 950 en


Flandre ou en Normandie, atteignant leur apogée au xn° siècle,
ils s'étendent plus tardivement dans les pays aquitains, en
Lombardie, en Angleterre et dans les plaines germaniques où
en plein xiv° siècle l'arbre et la friche reculent encore, alors que
dès 1230-1250 l'élan est brisé au cœur du Bassin parisien. À
l'arrêt de ce défrichement, plusieurs raisons: la forêt est indis- Forër :espace inculte réservé à
pensable pour assurer un fragile équilibre alimentaire tant aux la pêche et à la chasse.

hommes qu'aux bêtes; trop de terres médiocres ont été livrées


à la culture, ne payant pas les paysans de leur peine. L'accrois-
sement du cheptel rompt l'équilibre entre pâture et labours que
la croissance démographique exige de multiplier. L'insuffisance
des techniques agraires ne permet pas de résoudre la contra-
diction qui mène aux graves crises du xiv° siècle.
Les grands défrichements ont néanmoins modifié profondé-
ment l'aspect et la vie des campagnes. Le paysage rural s’est
transformé: de nouveaux terroirs, de nouveaux villages, des
bocages sont nés au détriment du bois et de la friche. Le pro-
grès des rendements, qui doublent entre l'époque carolingienne
et le x1° siècle, apporte aux paysans une alimentation
meilleure. La commercialisation des surplus agricoles (céréales
et vin surtout) fait entrer les campagnes dans une vie
d'échanges. L’essor rural transforme les rapports entre sei-
gneurs et paysans, le cadre de vie (la seigneurie) comme les
conditions sociales.

Il. Le problème de la seigneurie


Groupe économique réunissant seigneurs et paysans dans une
commune utilisation de la terre et organisme de commande-
ment aux mains d’un maître pliant ses sujets à l’obéissance, la
seigneurie n’est pas uniformément triomphante. Elle l'emporte
de l'Italie du Nord à l'Angleterre et des Pyrénées à l'est de
l'Allemagne, quoique l’origine seigneuriale et ecclésiastique de
nos sources laisse dans l’ombre les paysans maîtres de leurs
biens, les alleutiers. Mais ailleurs, dans les régions méditerra-
néennes et les pays nordiques, des communautés paysannes
échappent à l'encadrement seigneurial. Selon les régions, le pou-
voir des maîtres s’est tantôt renforcé, tantôt allégé entre le x° et
le xur° siècle. Surtout, la nature de ce pouvoir a changé; à l'ex-
ploitation organisée de biens fonciers s'est ajoutée une autorité
nouvelle sur les paysans, s'exerçant en matière de justice, de
réquisitions, de levées plus ou moins arbitraires. Il n’y a pas un
seul, mais plusieurs types de seigneuries.
PARTIE 2 # Le Moyen Âge classique (x°-xn* siècle)

M L'organisation de la seigneurie
de
Du point de vue foncier, la seigneurie rurale est l’héritière
une héritiè re fidèle en Anglete rre, dans
la villa carolingienne,
s'écarte
le centre et le nord de l'Allemagne, mais qui ailleurs
de plus en plus du modèle ancien dès la fin du x‘ siècle. Comme
e
le domaine, la seigneurie est de taille variable: d’une centain
30 000 hectare s (Saint -Pierr e-de-L eeuw en
d'hectares à 20 ou
le
Brabant, Saint-Germain-des-Prés). Elle peut coïncider avec
terroir d’un village mais plus souvent compre nd des terres
dispersées sur plusieurs paroisses, parfois même sur plusieurs
régions. Le jeu des donations, des divisions et aliénations
modifie sans cesse ses contours, mais pas toujours dans le
sens d’un démembrement continu. Des temporels ecclésias-
tiques et même laïques ont résisté à la dégradation, et la réduc-
tion des biens domaniaux, plus précoce en Italie et en France,
plus tardive en Angleterre et en Allemagne, « s'étala sur un
demi-millénaire » (R. Boutruche).

Le régime domanial impliquait une union étroite entre la


réserve, exploitée directement par les agents du maître, et les
tenures concédées à des paysans astreints à des services. Entre
les deux fractions, le divorce éclate dans la seigneurie. Dès la
fin du 1x° siècle, la « débandade des corvées » est générale. Ici
encore la France du Nord précède l'Angleterre et la Germanie,
alors qu’au sud de la Loire les services ont toujours été légers.
Le paysan tenancier rachète les corvées, n'est plus sollicité
qu'aux époques cruciales de la vie agricole, alors que les tra-
vaux de routine sont assurés par des salariés. Les services de
culture se maintiennent plus longtemps que les services de
RENTE SEIGNEURIALE : elle est fabrication ou les « lots-corvées ». Ne pouvant toujours faire
constituée de toutes les rede- appel aux prébendiers de sa cour ou à des auxiliaires salariés,
vances en monnaie et en nature
le maître se résigne au démembrement de la réserve, distri-
perçues par le seigneur.
buée par lots à de nouveaux tenanciers: des baux perpétuels
et des contrats temporaires, sous forme de fermage et de
métayage, sanctionnent le grignotage lent et inégal des biens
Ÿ, Mencaudées
domaniaux, au terme duquel le seigneur devient un rentier
du sol dont il a souvent perdu la domination directe.

Les tenures, elles aussi, changent de nature. Manses, hufe,


hides étaient à l’époque franque des unités d'exploitation mais
aussi des centres de perception des droits seigneuriaux. Les
partages entre leurs occupants font subsister des demi-manses
puis des quartiers qui se fractionnent rapidement et perdent
toute signification. À leur place prennent vie de nouveaux
types de tenures issues du démembrement des réserves ou de
l'extension des terroirs: hôtises, masures, casaux, socages ou
villainages, elles étaient concédées contre une redevance fixe
en argent ou en nature, le cens, perpétuel et imprescriptible,
le champart, proportion déterminée de la récolte. Le seigneur
1220 1240 1260 1280 1300 | exigeait un droit d'entrée lors de la conclusion du contrat, se
réservait d'opérer le retrait de la tenure à la mort du tenancier,
Taille moyenne des parcelles
des exploitations paysannes en d'exiger des taxes de mutations {lods et ventes) compensant
Picardie au xin° siècle la lente dégradation du cens, provoquée par l'érosion moné-
D'après R. Fossier, La Terre et les taire. Toutes ces précautions n’empêchaient point que la tenure
Hommes en Picardie.
à cens ou à champart ne devînt lentement perpétuelle,
Les hommes et la terre

héréditaire et aliénable, et que la notion nouvelle de propriété


ne profitât plus au tenancier qu’au seigneur lui-même. Enfin,
dès le xn° siècle, la tenure allait servir à asseoir des rentes,
rentes foncières ou rentes constituées, intéressant à l’exploi-
tation du sol des gens étrangers au monde rural, rentes qui
portaient souvent atteinte aux droits des seigneurs.

B La seigneurerie banale et ses aspects économiques


S'ils perdaient parfois la maîtrise directe de la terre, les sei-
gneurs avaient accru leurs pouvoirs sur les hommes. Seigneurie
banale? justicière? politique? Le désaccord est grand sur les
mots et sur les origines. Par le ban, des maîtres s’arrogent le BAnNuM: pouvoirs de comman-
droit d’ordonner, de contraindre et de punir, s'approprient l’au- dement et de contrainte, appar-
tenant autrefois au roi, et
torité sur un ensemble de paysans débordant leurs propres
accaparés par le seigneur.
domaines, tenanciers de seigneurs fonciers moins puissants,
ou alleutiers contraints à rechercher une protection. La genèse
de la seigneurie banale est encore discutée: est-elle le fait de
grands propriétaires exigeant des cadeaux et des redevances
en échange d’une protection (théorie domaniale) ? Vient-elle
plutôt de l’affaissement de la monarchie carolingienne grâce
auquel des grands bénéficiant d’une immunité ont pu se subs-
tituer à l'autorité de l'État, et, s'appuyant sur leurs châteaux
et maisons fortes, imposer leur justice, leur police, leur pro-
tection, et faire glisser dans leur dépendance alleutiers et
tenanciers? Le ban, né de la richesse des plus forts et de la
faiblesse de l’État, serait alors l’ensemble des pouvoirs de com-
mandement, à l'origine délégués, puis passés dans le patri-
moine de ceux qui les exercent. En conséquence, les paysans
astreints aux banalités ne sont en rien des locataires ou des
tenanciers des terres du seigneur banal.
En France du moins -— car la puissance publique s'est mainte-
nue plus longtemps en Germanie et a été relevée en Angleterre
par les Plantagenêts - le droit de ban est d’abord un pouvoir
judiciaire, Le tribunal seigneurial, dont les membres sont
choisis au gré du maître ou des usages locaux, juge tous les
dépendants selon une procédure simpliste, faisant appel à des
témoins, aux coutumes, à la pratique des ordalies ou du duel ORDALIES :épreuve par le feu ou
l'eau glacée exposant un cou-
judiciaire. D'âpres rivalités seigneuriales imposent des limites pable présumé au jugement de
de justice, précisent la compétence de chaque plaid {haute et Dieu.
basse justice). De telles concurrences étaient inévitables, car
l'exercice de la justice rapportait honneur et profits, une com-
position pécuniaire (amende) terminant le plus souvent les
débats. L'extrême fragmentation des pouvoirs judiciaires ne
fut guère corrigée par les efforts des premiers Capétiens.
À cela ne se limitait pas le droit de ban. La protection sei-
gneuriale exigeait d’autres contreparties: taxes sur les mar-
chandises ou tonlieux, droit de gîte et réquisitions, taxes de
garde du château, droits sur les transactions, corvées de charroi
ou de labour, la taille, aide ou « queste » exceptionnelle, pesant
BANALITÉS: profits écono-
bien vite et régulièrement sur tous les sujets de la seigneurie, miques tirés de monopoles
obligations de caractère économique enfin, les banalités, découlant du droit de ban.
contraignant tous les dépendants à utiliser moulins, fours,
PARTIE 2 & Le Moyen Âge classique (xi°-xinf siècle)

leur
pressoirs seigneuriaux contre redevances, ou à écouler
Pour autant qu’on puisse le savoir,
vin après celui du maître.
es
toutes ces redevances, qualifiées d’exactions ou de nouvell
es, rapport aient plus que les profits tirés de la terre.
coutum
, minis-
MAIRE (mM4Jor) : ce mot désigne Une armée d'administrateurs, maires, prévôts, sergents
l'ancien du village, servant d'au- teriales, percevait tous ces prélèvements pour le compte du
xiliaire au prévêt. maître, non sans profiter de ces ponctions.
SERGENT :agent subalterne de
l'administration domaniale.
& Les franchises rurales
Prévôr :du latin praepositus. À
l'origine, intendant d'un Le caractère irrégulier et arbitraire des exactions banales ren-
domaine; ensuite, agent du roi. dit vite insupportable la « protection » seigneuriale. Dans un
monde rural en profonde mutation, la fuite, facilitée par l'appel
des entrepreneurs de colonisation, pouvait être un remède, à
condition que le nouveau joug fût plus léger. Le sort enviable
offert aux paysans dans les nouveaux villages ou dans les
terres conquises sur les Sarrasins en Espagne, menaçait de
dépeupler les anciens terroirs. C'était là un moyen de pression
pour arracher des privilèges, à tout le moins un allégement
des coutumes. Chartes de franchises, dont les plus célèbres,
et les plus souvent imitées, furent celles de Lorris en Gâtinais
et de Beaumont en Argonne (xu° siècle), fueros en Espagne,
statuti en Italie, records de coutume ou Weistümer en
Germanie, autant de textes, de nature diverse, qui apportèrent
aux paysans des « libertés », synonymes d’un sort meilleur.
Ces chartes codifient les usages, fixent les coutumes, préci-
sent les devoirs des dépendants dont elles suppriment les plus
dures obligations. Parfois elles reconnaissent quelques préro-
gatives administratives aux communautés paysannes, deve-
nues maîtresses de la justice, libres — rarement — de s'ériger
en communes ou en consulats. De telles concessions ne sont
jamais gratuites; des paysans s’endettent pour obtenir un
abonnement de la taille, des exemptions fiscales, l’améliora-
tion de leur statut personnel. Franchises ou libertés ne signi-
fient pas indépendance économique.

Il. La condition des paysans


« Il n'y a rien de plus que le libre et l’esclave », répondait un
agent de Charlemagne à un missus au début du 1x siècle. Cette
logique simplificatrice étonne, quand on sait que des généra-
tions d’historiens ont cherché à cerner les contours flous de la
liberté et de la servitude, pour conclure à l'ambiguïté de ces
notions et à l'existence de nombreux états intermédiaires.

M Qu'est-ce qu'un serf?


La terminologie est fort imprécise. Liber peut désigner à la fois
l'homme de condition juridique libre et celui qui est exempt de
charges. Le non-libre est qualifié de servus, de même que celui
qui sert le maître d’un domaine. Le vocable s’efface d’ailleurs
» au xn siècle et laisse place à d’autres expressions, hommes de
Leibigen, corps, hommes propres, questaux, couchants et levants, manants,
p. 123. villains, sans parler des mots Hôrig (attaché au sol}, Leibigen
Les hommes et la terre

(homme propre de son corps) ou villain, utilisés en Allemagne ViLLains : le mot désigne en
et en Angleterre pour désigner des états de dépendance mou- Angleterre, à partir du xif siècle,
vants et sensiblement différents. Entre un esclave carolingien le paysan non libre.
et un serf du xmm° siècle, la distance est grande.
Le passage de l'esclavage au servage est un problème d’origine,
diversement résolu. Selon M. Bloch, la servitude, encore peu
répandue au 1x° siècle, a progressivement englobé non seule-
ment les descendants des esclaves casés de l’époque carolin-
gienne, et ceux d’affranchis et de colons incapables de résister
à la pression des maîtres, mais aussi des alleutiers dont le
niveau économique se dégradait alors que grandissait leur
besoin de trouver un protecteur. Vers 1200, la masse rurale
est en majorité composée de serfs, embrigadés dans le cadre
de la seigneurie et uniformément astreints à trois charges
spécifiques: le chevage, le formariage et la mainmorte. Au
xu' siècle, le progrès économique conduit les maîtres à accor-
der des affranchissements individuels ou collectifs, de telle
sorte que le servage est désormais le lot des plus démunis.
À cette fresque, ici simplifiée, la critique récente a apporté
des retouches, voire de sérieux remaniements. Avec fougue,
Léo Verriest a soutenu que les serfs du xrr° siècle, beaucoup
moins nombreux qu'on ne le pense, sont les descendants par
les femmes des esclaves carolingiens; il est vrai que le critère
déterminant est la naissance. Chevage, formariage et main-
morte ne sont nullement des redevances spécifiques du servage
et les affranchissements du xm° siècle ont eu une portée limi-
tée. Georges Duby, lui, discerne trois âges de la dépendance:
les serfs des x° et x1° siècles considérés comme « les descen-
dants directs des esclaves carolingiens », la masse rurale du
x1r° siècle confondue sous une même dénomination, une nou-
velle servitude réapparaissant vers 1175 et pesant sur les
hommes incapables de se libérer de certaines charges et inca-
pacités. Robert Boutruche enfin, refusant la coupure du
xur° siècle, définit deux âges dans l’histoire de la servitude:
jusque vers 1150, « un progressif arrachement à l'esclavage au
bénéfice d’une conception différente de la non-liberté », mar
quée par le poids plus lourd de contraintes personnelles et
fiscales frappant l’ensemble des ruraux, mais de manière iné-
gale selon les régions; « un nouveau servage » à partir de la
fin du xn° siècle, influencé par des définitions juridiques plus
claires de la liberté et de la non-liberté, redonnant vigueur à
des obligations exigées arbitrairement de tous ceux qui
n'avaient pu se ranger sous la loi commune des tenanciers
libres. Villains anglais, serfs de Champagne, de Bourgogne,
de Provence, de Lorraine et des marches germaniques, telles
étaient surtout les victimes d’une dépendance personnelle et
réelle (« l'attache à la glèbe »), tracassière et durable.

M Les charges serviles


Bien que les charges serviles varient selon les régions et selon
les époques, elles n’en présentent pas moins certains traits
communs. Des entraves d’abord. Le serf, ne pouvant avoir deux
PARTIE 2 æ Le Moyen Âge classique (x°-xn siècle)

N'étant pas un
maîtres, est tenu à l'écart des ordres religieux.
il ne peut ester en justice ni dispos er librement
homme libre,
à la défense du
de ses biens; il ne participe généralement pas
e l'on ait vu en Germanie
village ou de la seigneurie quoiqu
ine servile , recevo ir l’'ado ubement
certains ministériaux, d'orig
Il ne peut se déplac er librem ent; il est à la merci
des chevaliers.
seigne ur exerça nt contre les fuyard s un droit de « suite »
du
ou de « poursuite », plus menaçant qu'efficace.
minime,
Le serf paie aussi certaines taxes, le chevage, redevance
ance
jadis acquittée par les affranchis et symbolisant une dépend
de formari age par lequel les maîtres ont
Formariace :taxe levée sur les personnelle; le droit
dépendants se mariant hors de assoupli l'interd iction de l’exoga mie imposée aux serfs. Ceux-ci
la seigneurie de leur maître. désirent-ils épouser un conjoint étranger à la seigneurie? Ils
doivent solliciter la permission du seigneur et le dédommager
s'ils quittent la seigneurie. Des règles minutieuses définissaient
la propriété des enfants nés d’unions entre deux personnes ne
dépendant pas du même seigneur ou n'ayant pas le même statut
personnel; dans ce cas, la macule servile était généralement, à
partir de 1200, transmise par le père à ses enfants. Enfin les
biens des serfs ne passent pas normalement à leurs héritiers qui
MainmorTe: les paysans doivent les racheter au seigneur, le serf ayant « la mainmorte »
dépendants ne peuvent rien en cette matière. Des usages se sont établis, variables selon les
tenir en propre; leur main est régions. En Angleterre et en Allemagne moyenne triomphe le
morte, ce qui signifie que,
lorsqu'ils meurent, leurs biens
système de l'échoite, le seigneur renonçant à ses droits en cas
doivent normalement revenir de succession en ligne directe ou s'emparant de l'héritage dans
au seigneur. le cas contraire. Ailleurs (Allemagne du Nord, Pays-Bas, France
du Sud}, le maître se contente d’une partie de l'héritage ou d'une
pièce de choix, le « meilleur catel », c'est-à-dire la plus belle
pièce de bétail.
Si l'on ajoute à ces exigences la taille « à merci », les corvées
dues par les serfs tenanciers, on mesure l'importance des pré-
lèvements effectués sur les serfs, sans compter les brimades
humiliantes qu'ils endurent. Sombre tableau, qu'éclairent à
peine les affranchissements individuels ou collectifs accordés
au x siècle. «

& Les affranchissements


Les premiers laissent peu de traces dans l’histoire. Sur son lit
de mort, le maître pouvait accorder la liberté à quelques-uns
de ses serfs. Les seconds au contraire ont donné lieu à la rédac-
tion de chartes de franchise concédées par des rois, des princes,
des communautés religieuses, des villes même, depuis le milieu
du x siècle dans l’Europe de l'Ouest, jusque vers 1350 en
Pologne et en Europe centrale. Le progrès économique, créant
de nouveaux besoins d'argent, poussait les maîtres à monnayer
l'octroi d’une franchise: ainsi plusieurs monastères d’Île-de-
France libérèrent-ils leurs serfs à prix d'argent vers 1250, de
Déame (à ne pas confondre nouvelles constructions et le versement de décimes pour la
avec « dîme ») : levée royale où croisade de saint Louis ayant mis à rude épreuve leurs réserves
pontificale sur les revenus des financières. Les rois de France, de saint Louis à Philippe le Bel,
églises. Elle a un caractère
exceptionnel.
trouvèrent quelque profit à affranchir les serfs du domaine
royal, de même que les villes italiennes attirant vers elles les
Les hommes et la terre

anciens serfs de leur contado. Enfin, en vendant la liberté, les ConrTapo: petites villes et
maîtres voulurent éviter que les serfs ne la prennent d’eux- campagnes sur lesquelles
mêmes, en fuyant vers les villes - qui n’acceptèrent pas tou- une grande ville étend sa
juridiction.
jours les intrus — et vers les villages neufs où, bénéficiant du
statut d'hôtes, ils pouvaient espérer échapper à la servitude.
S'endettant souvent pour obtenir des « libertés », les serfs
affranchis connurent une nouvelle forme de dépendance.

B Types de servage
Un tel recul du servage au xin° siècle n’est en Occident ni
général, ni simultané. Écartons d’abord les régions sans ser-
vage, Picardie, Normandie et Forez, Saxe et Lombardie. En
Germanie, où la société garde bien des traits archaïques, l’évo-
lution constatée ailleurs est plus lente. Une classe d'hommes
libres, relevant des tribunaux comtaux, s'est maintenue, tan-
dis que dès le xn° siècle un servage de forme réelle apparaît:
la concession d’une tenure servile par un seigneur attache le
tenancier au sol et le fait entrer dans les liens de la sujétion
héréditaire (Hôrig). Un servage personnel (Leibigen) astrei-
gnant à des services de caractère arbitraire et illimité s'ajoute
au groupe des censuales, hommes qui se sont donnés à un
établissement religieux et qui glissent au xm° siècle vers la
servitude. Le nombre des serfs est moins élevé en France qu’en
Germanie. En Angleterre, les strates inférieures de la paysan-
nerie, sokemen, bordiers, cottiers, passent sous le pouvoir privé
des seigneurs et forment un villainage héréditairement atta-
ché à la glèbe.
Le passage d’une forme de servage personnel, marquée par
l'attache héréditaire à un maître, à une forme de servage réel
— la terre déterminant la condition juridique de celui qui la
cultive — n’est en somme que le signe d’une différenciation
sociale progressive au sein du monde rural. Les paysans les
plus aisés, laboureurs, tenanciers devenus presque les maîtres
de leur tenure, ont secoué les vieilles dépendances et gagné
chèrement leur liberté; les « pauvres villageois », liés par un
nouveau servage, furent les victimes du progrès économique
dont tiraient profit leurs maîtres et leurs voisins.

L'état de la recherche
Le village médiéval
On considère généralement que la naissance du village n'est pas antérieure au xi° siècle. Elle implique
en effet un approfondissement de la sédentarisation, une organisation collective de l'espace habité
et des lieux de rencontre où s'exprime une sociabilité commune.

ESA nous fait perchés et fortifiés comme place publique, cadre de la


connaître une grande Rougiers (Var), castelnaux sociabilité masculine, villages
variété de villages médié- aquitains en anneaux d'Auvergne serrés autour d'un
vaux: villages méditerranéens concentriques avec une château, villages du nord de la
PARTIE 2 Le Moyen Âge classique (xif=xii® siècle)

pratique, le nombre des enfants aux maisons des villageois, mais


France, d'Angleterre ou d'Alle-
est supérieur à 5 par famille au la vie paroissiale paraît occuper
magne établis en terrain plat et
x® siècle, malgré une très forte une place plus primordiale dans
composés de maisons légères,
mortalité infantile. Les partages les solidarités paysannes dans
bâties dans un enclos (Wharram
successoraux avantagent l'aîné les pays du Nord et de l'Est
Percy, Hohenrode...). Ils peu-
et les garçons, au détriment des plutôt que dans le Midi.
vent résulter d'une entreprise
seigneuriale de défrichement cadets et des filles. Le village
L a messe dominicale, qui
où de regroupement (incas- se caractérise généralement
s'accompagne d'un prône
tellamento dans le Latium), ou par une forte endogamie, l'aire
comportant des annonces
d'une croissance spontanée matrimoniale coïncidant avec le
sacrées et profanes, les
mais manifestant une organi- village lui-même ou les villages
grandes fêtes annuelles du
sation collective plus ou moins limitrophes. Ainsi, à Montaillou,
calendrier liturgique, les
consciente de l'espace (Dracy, sur 63 femmes, sept seulement
enterrements et les baptêmes
val de Loire, Biterrois). se marient à l'extérieur entre
1294 et 1325. Un réseau de constituent les moments forts
de la vie villageoise. Les soli-
le es maisons rurales appar- familles dominantes, différen-
darités paysannes s'expriment
tiennent à trois types ciées par la nature de l'habita-
différents: la maison élémen- tion, exerce un réel pouvoir sur aussi dans la création des
taire d'une ou deux pièces des familles clientes. confréries qui créent des liens
réservée à l'habitation humaine spécifiques d'amitié, de cha-
(Montaillou, Dracy), la maison a vie paroissiale est la mani- rité et d'entraide entre leurs
mixte où une partie de l'espace festation la plus visible de membres, et dans la floraison
accueille les animaux (Pen er la collectivité villageoise; elle des hôpitaux et des léproseries
Malo), la maison à étage fré- s'incarne dans un bâtiment, de village, à partir du xu° siècle.
quente dans les villages à struc- l'église, où se célèbrent les Ces institutions, dont le patri-
ture serrée du Midi (Rougiers). La messes, les fêtes religieuses, moine est souvent constitué
pierre commence à remplacer les processions, où se délivrent par des familles nobles, assu-
le bois, mais il est rare qu'une aussi les sacrements. Le bâti- rent l'essentiel de l'assistance
maison, ainsi construite, dure ment est en perpétuels travaux, au monde des campagnes.
plus de deux générations. Le bien qu'il soit plus solide que les L'autorité seigneuriale, partie
mobilier est toujours simple: maisons du village. Géré par les prenante de l'édification du vil-
des bancs, une table, des coffres villageois eux-mêmes, dans le lage, impose aux paysans des
et les lits. La cheminée occupe cadre des « œuvres de l'église » usages communs et une soli-
une place centrale, car c'est ou des fabriques, il sert de darité forcée de voisinage, qui
autour du feu que s'élabore et se maison commune pour la litur- peut contribuer à faire prendre
transmet la culture familiale et gie mais aussi pour les réunions conscience de l'identité de
villageoise. En milieu paysan, la publiques, et de lieu de refuge la communauté et amener
cellule conjugale reste la norme, en vertu du droit d'asile qui lui celle-ci à défendre ses usages
bien que l'on voit apparaître est reconnu. Autour s'étend le et à acquérir des franchises. Le
plusieurs types de groupements cimetière, espace sacré joux- village devient alors le cadre
familiaux, comme les commu- tant les demeures paysannes, d'une démocratie reposant sur
nautés « taisibles », les frérèches de sorte que la communauté l'assemblée des villageois et
et des groupements de type paroissiale s'articule sur celle sur les élus de la communauté,
patriarcal, moins fréquents. des morts. Il sert en effet de recrutés le plus souvent dans
lieu de réunion, de pratique les familles aisées.
D es réseaux de familles religieuse, de foire et de marché
conjugales constituent et parfois même d'habitation.
l'essentiel des solidarités L'église-cimetière est souvent
familiales. Selon les actes de la en position centrale par rapport
Les hommes et la terre

EL 7 D PA En D AS te CRE MEN

Bibliographie
Quatre manuels fondamentaux: G. Dusy, L'Économie rurale et la vie des campagnes dans l'Occi-
dent médiéval, 2 vol. Paris, rééd., 1978; G. Dusy et A. WaLLon (dir.), Histoire de la France rurale, t.1,
Paris, 1975; R. Fossier, Paysans d'Occident, Paris 1984, livre auquel on pourra adjoindre du même
auteur, Le Travail au Moyen Âge, Paris 2001; L. FeuLER, Paysans et seigneurs au Moyen Âge vir-
x siècle, Paris, 2006.

Sur l’histoire de la population:


Voir les pages consacrées à ce sujet par R. Fossier dans Enfance de l'Europe. Aspects économiques
et sociaux, X-xif siècle, 2 vol. Paris, 1982, et par H. Dusois dans J. Dupräquier, Histoire de la popula-
tion française, t. 1 : Des origines à la Renaissance, Paris, 1988.

Sur l'essor des techniques:


Voir L. Ware (Jr.), Technologie médiévale et transformations sociales, Paris-La Haye, 1969; Ph. Wourr
et F. Mauro, Histoire générale du travail, t. 2, Paris, 1960; M. Daumas, Histoire générale des tech-
niques, t. 1, Paris, 1962; P. Mawe, Calendriers et Techniques agricoles en France et en Italie, xif et
xu£ siècles, Paris, 1983; G. Comer, Le paysan et son outil, Rome, 1992. Suggestif est le livre de
M. Bouri et R. Durano, Vivre au village au Moyen Âge, Paris, 1984. Villages et villageois au Moyen
Âge, Actes du xx° congrès de la Société des Historiens médiévistes, Paris, 1992.

Sur les défrichements:


En dehors des manuels cités supra, voir M. BLocH, Les Caractères originaux de l'histoire rurale
française, Paris, rééd., 1988, et les études nationales suivantes : E. Seren, Histoire du paysage rural
italien, Paris, 1964; A. VErHULsT, Histoire du paysage rural en Flandre de l'époque romaine au x siècle,
Bruxelles, 1966; P-H. Sawver (éd.), Medieval Settlement, Londres 1976; Ch. HiGouner, Les Allemands
en Europe centrale et orientale au Moyen Âge, Paris 1989. On tirera partie également des col-
loques Castrum, 7 vol. École Française de Rome-Casa de Velazquez, 1983-2002; M. Bouin, Pour
une anthropologie du prélèvement seigneurial dans les campagnes médiévales xf-xW siècle, 2 vol.,
Paris, 2004-2007; Jean-Loup Agé, À la conquête des étangs. L'aménagement de l'espace en
Languedoc méditerranéen (xf-x siècle), Toulouse, 2006.

De nombreuses études régionales:


L. Génicor, L'Économie rurale namuroise au Bas Moyen Âge, t. 1, Louvain-Namur, 1943; G. Dusy, La
Société aux x° et xf siècles dans la région mâconnaïise, Paris, rééd., 1971 ; R. Fossier, La Terre et les
Hommes en Picardie jusqu'à la fin du xuf siècle, 2 vol. Paris-Louvain, 1968; À. CHepeviuue, Chartres
et ses Campagnes, x°-xuf siècle, Paris, 1973; G. Devaiuuv, Le Berry du x au milieu du xuf siècle, Paris-La
Haye, 1973; R. Durano, Les Campagnes portugaises entre Douro et Tage, x-xu siècles, Lisbonne,
1982: M. Bourin-Derruau, Villages médiévaux en Bas-Languedoc. Genèse d'une sociabilité, x°-
x siècle, 2 vol., Paris, 1987; F. MENANT, Campagnes lombardes au Moyen Âge, Rome, 1993;
J.-P. Moenar, Campagnes et monts de Tolède, Madrid, 1997; D. PicHor, Le Bas-Maine du x au xir siècle.
Étude d'une société, Société d'Histoire et d'Archéologie de la Mayenne, 1996; M. Mouse, La
Gascogne toulousaine aux x et xuf siècles: une dynamique spatiale et sociale, Toulouse, 1997;
B. CURSENTE, Des maisons et des hommes. Essai surlaGascogne médiévale, Toulouse, 1998; A. Duranb,
Les Paysages médiévaux du Languedoc (X-xf siècle), Toulouse, 1998; L. Verpon, La Terre et les
hommes en Roussillon aux x° et xué siècles: structures seigneuriales, rente et société d'après les
société dans les
sources templières, Aix-en-Provence, 2001; D. PicHor, Le Village éclaté, habitat et
campagnes de l'Ouest au Moyen Âge, Rennes, 2002; Stéphane BoisseLier, Le peuplement médiéval
PARTIE 2 # Le Moyen Âge classique (xi°-xni° siècle)

réseau d'habitats et de territoires (xi-


dans le sud du Portugal. Constitution et fonctionnement d'un
x siècle), Paris, 2003.

Sur le servage au Moyen Âge:


1968; L. VERRIEST, Institutions médié-
Voir le maître livre de M. BLocx, La Société féodale, Paris, rééd.,
des Sciences historiques,
vales, Mons, 1946: les Relazioni, t. 3 du x° Congrès international
BarTHÉLEMY, « Qu'est-ce que
Florence, 1955: les ouvrages cités supra de R. FossiEr, l'article de D.
1992, p. 233-284 et du même,
le servage en France au xi° siècle ? », dans Revue Historique, t. 287,
serfs de Saint-Claude. Étude
Les deux âges de la seigneurie banale, Paris, 2000; Vincent Corrioi, Les
sur la condition servile au Moyen Âge, Rennes 2009.
Féodalités et sociétés féodales

«Voulez-vous être mon homme? » « Je le veux. » Tout au long du Moyen Âge, seigneurs et vassaux ont
échangé ces formules rituelles que nous rapportent de nombreux actes de la pratique. Il n'était même
pas besoin de contrat pour sanctionner l'entrée d'un homme dans la vassalité d'un autre: un ensemble
de gestes, précisément réglés, accomplis devant de nombreux témoins, suffisait pour que se nouent
entre les membres des classes dominantes de la société des liens personnels et hiérarchiques. En son
sens étroit, technique, le mot féodalité désigne l'ensemble de ces liens unissant seigneurs et vassaux,
liens qui créent chez les parties contractantes un certain nombre de droits et de devoirs, au premier
rang desquels figure l'octroi au vassal d'un bénéfice, en échange des services multiples qu'il doit au
seigneur. Le bénéfice étant le plus souvent une terre, la féodalité a une assise rurale évidente; elle est
par là un système de possession et d'exploitation de la terre au profit des classes dominantes de la
société, pour certains même un mode de production, qui subsiste jusqu'à la destruction du régime
féodal par l'Assemblée constituante en août 1789. Cependant, il ne faudrait point négliger un autre
aspect de la féodalité: à la faveur du morcellement de l'autorité publique, la féodalité est apparue
comme un système de gouvernement, s'efforçant d'établir un ordre politique fondé sur des solidarités
volontaires et privées. Les rites de l'hommage, maintes fois répétés, ont servi aux détenteurs de chà-
teaux puis aux princes et enfin aux rois, à restaurer l'autorité et, en fin de compte, la notion même de
l'État. || y eut donc évolution des relations féodo-vassaliques, diversité dans le temps et dans l'espace,
même si les couches dominantes de la société partageaient le même genre de vie.

I. Les institutions féodo-vassaliques :


leur mise en place
À l'aube du xr siècle, les institutions féodo-vassaliques sont
en place: rites, droits et devoirs des parties ne varient plus.
Pourtant des changements de vocabulaire - la substitution du
mot fief au mot bénéfice — ont après cette date une grande
portée. Les liens entre seigneurs et vassaux n’ont plus le même
sens. La hiérarchie des personnes et des terres, les rapports
juridiques entre maîtres et dépendants se précisent. Les rela-
tions féodo-vassaliques évoluent lentement en dépit de l'im-
mutabilité apparente des rites.

EH Les rites
Issue de la recommandation, couramment pratiquée pendant
tout le haut Moyen Âge, la vassalité demeure un contrat conclu
entre deux individus et n’engageant que deux personnes, au
cours d’une cérémonie dont l'hommage est l'acte essentiel.
Décrit par les chroniqueurs et les actes de la pratique, illustré
par maintes représentations figurées, le rite comporte un don
de soi-même du dépendant au seigneur. Le futur vassal se pré-
sente tête nue, sans armes, s'agenouille, place ses mains dans
celles du seigneur fimmixtio manuum), geste qui rappelle
PARTIE 2 Le Moyen Âge classique (x°-xni° siècle)

non-
sans doute le mélange des sangs qui scellait les compag
me, puisqu e les mains
nages anciens ou le don total de soi-mê
r. Ge
sont sans armes. Il devient ainsi l’homme du seigneu
Vvil à créer les liens de subordi nation, mais
geste rituel suffirait
r que la déditio n est l'acte volonta ire d'un
afin de précise
de
homme libre, il est souvent accompagné d'une déclaration
volonté qui en renforce la portée. La subord inatio n du vassal,
ie.
contrairement à celle de l’esclave, est librement consent
Le rite de l'homm age ne compor tait aucune emprei nte chré-
tienne. Aussi les homme s d’Églis e, tel Fulbert de Chartre s,
ayant à décrire la nature des obligations vassaliques, insiste nt-
Le serment d'Harold
Harold prête sermentà ils davantage sur le second acte qui suit immédiatement le
Guillaume de Normandie, une geste des mains, la fidélité. Il s’agit d’une formule plus ou
main sur chacun des deux moins longue par laquelle le vassal précise la nature de son
engagement qui le fait entrer dans l'amitié de son seigneur.
reliquaires.

Un serment l'accompagne, qui doit être prêté sur des livres


Tapisserie de Bayeux.

saints ou sur une châsse contenant des reliques, afin que la


promesse du vassal soit sous la protection de Dieu et prenne
un caractère sacré tel que la rupture de l'engagement fasse du
coupable un parjure. Au cours du xr siècle, le serment de fidé-
lité devient la partie essentielle de l'hommage. Il est renforcé
par un autre geste rituel, symbolique, le baiser de paix, qui a
aussi une valeur religieuse puisqu'il est signe d'amitié et de
fidélité mutuelles, comme le rappelle la liturgie catholique.
Cette pratique, habituelle en France et dans l'Angleterre nor-
mande, reste rare en Italie et dans l’Empire.

EH Deux types particuliers d'hommage


La coloration chrétienne des rites vassaliques apparaît dans des
formes particulières de l'hommage, l'hommage de paix et
l'hommage en marche. Le premier, qui n’est pas assorti de la
concession d’un fief et ne crée pas de véritable subordination
personnelle, est utilisé pour apaiser un conflit entre deux adver-
saires conduits par des amis communs ou par d’autres seigneurs
à restaurer entre eux la concorde et l'amitié. L'hommage en
marche, conclu à la limite de deux principautés - par exémple
entre le duc de Normandie et le roi de France — lie de très grands
personnages qui se promettent sûreté réciproque. À la faveur de
la croissance du pouvoir royal en France, cet hommage se trans-
forme en un véritable lien vassalique par lequel le duc de
Normandie ou le comte de Champagne se reconnaissent vas-
saux du roi capétien. Lorsqu'il s’agit de personnages aussi impor-
tants, l'hommage, rendu dans un dessein politique, est précisé
par une charte définissant les obligations des contractants.
Entre des seigneurs de moindre rang, l'acte écrit n'était point
nécessaire. En effet l'hommage crée normalement une union
presque charnelle entre le maître et le fidèle;le premier accep-
tant de protéger son vassal, de l’entretenir, de l'aider matériel-
lement et militairement, le second mettant sa personne et ses
biens au service du seigneur. Engagement total, qui ne souffre
point de limites, mais dans lequel les obligations du fidèle
sont beaucoup plus astreignantes que celles de son maître. Au
xI° siècle, les devoirs du vassal, qui répondent aux habitudes
Féodalités et sociétés féodales

de vie d’une classe turbulente et guerrière, sont encore impré-


cis. La fidélité implique que l’on s’abstienne de tout acte pré-
judiciable à la personne ou aux biens du seigneur d'autant plus
que les devoirs généraux d’assistance et de protection envers
celui-ci passent, selon certains témoignages, avant les obliga-
tions nées des liens du sang. Le service vassalique comporte
en outre des aspects plus positifs, l’aide et le conseil.

M Les obligations contractuelles


L'aide. L'aide militaire est la raison d’être du contrat vassalique,
HauBERT :tunique de mailles de
à tel point qu’en Normandie et en Angleterre, les fiefs de haubert métal rivetée sans doublure,
et de chevalier établissent un lien direct entre l'octroi d’un béné- portée par dessus un vêtement
fice et le service dû par le vassal. Ce service revêt plusieurs d'étoffe rembourré.
formes: service d’ost pour assurer la sécurité du territoire sei-
gneurial aussi longtemps que celui-ci est menacé; service de
chevauchée désignant une expédition offensive de courte durée,
service d’escorte, service de garde au château seigneurial. Des
usages définissent progressivement la nature et la durée de cette
aide militaire, selon la qualité du vassal et la nature de son
hommage. L'aide, c'est encore l'assistance judiciaire, le fidèle
acceptant de servir de répondant à son maître et de prêter ser-
ment avec lui; l’aide matérielle, par laquelle en des circonstances AIDE AUX QUATRE Cas :en France
exceptionnelles, le vassal est tenu de mettre ses biens à la dis- et en Angleterre, rançon du
seigneur, chevalerie du fils aîné,
position du seigneur. On limitait les exactions seigneuriales en
mariage de la fille aînée, départ
réglementant l’aide dans ses mobiles et dans son montant. pour la croisade.
Le conseil. Le conseil comporte le service de cour et le service
de plaid. « Civilisation du geste », le Moyen Âge connaît ces
grandes assemblées où tous les vassaux viennent entourer leur
seigneur et rehausser son prestige, à l’occasion par exemple des
grandes fêtes liturgiques. Les rapports humains s’y trouvaient
resserrés, la cohésion de la clientèle vassalique raffermie. Fêtes,
repas et cadeaux compensaient les frais engagés par le vassal.
À d’autres moments, les fidèles devaient fournir des avis au
maître, participer avec lui à une cour d'arbitrage ou au tribunal
que réunissaient régulièrement les princes, les comtes, les châ-
telains et les grands seigneurs ecclésiastiques. Là encore, les
usages limitèrent ces obligations astreignantes.
Synallagmatique, le contrat vassalique créait pour le seigneur CONTRAT SYNALLAGMATIQUE :
un certain nombre de devoirs. Le maître était tenu de défendre contrat comportant des obliga-
tions réciproques pour les deux
et de garantir son fidèle contre ses ennemis, de lui rendre bonne parties en présence.
justice et de se porter garant de son vassal devant tout autre
seigneur, de lui accorder enfin une aide et une protection maté-
rielles, en particulier d'assurer l'entretien de ses subordonnés.
Dans la majorité des cas, la rémunération du vassal consiste
en l'octroi d’un fief foncier, concédé à l’occasion d’une céré-
monie qui suit immédiatement l'hommage: l'investiture.

EH Primauté du fief
Dès le xr° siècle, le lien réel l'emporte sur le lien personnel.
L'aspect économique des relations féodo-vassaliques passe au
premier plan: le vassal convoite des biens que lui accorde le
seigneur en contrepartie des services attendus. Le mot béné-
fice, qui impliquait l’idée d’une récompense, s'efface devant
PARTIE 2 & Le Moyen Âge classique (u°-xn* siècle)

le fief, qui devient la condition et la raison d'être des dévoue-


r se
ments personnels. Au cours de l'investiture, le seigneu
le de son bien, en remett ant au vassal un objet sym-
dépouil

bolique - motte de terre, étendard, verge, gant ou anneau
selon la nature du fief qu'il concède . Ou bien, s’il s’agit d'un
nou-
fief de reprise, le seigneur se contente de restituer à son
de
veau vassal la terre que celui-ci lui avait offerte pour prix
presqu e
la protection qu'il recherchait. Dans une société
exclusivement rurale, le bien tenu en fief était généra lement
la
un bien foncier, de plus ou moins grande extension, selon
qualité du dépend ant. Entre un royaum e vassal comme l’An-
gleterre de Henri III soumise à la papauté et quelques lopins
de terre, les formes concrètes du fief sont multiples: princi-
pautés tenues en fief d’un roi, comtés, honneurs regroupant
des seigneuries rurales et des pouvoirs régaliens, baronnies
comportant plusieurs forteresses, châtellenies surtout, pla-
cées au xr° siècle au centre des structures politiques.

p:
Mais d’autres catégories de fiefs n'avaient aucune assise fon-
cière; ce pouvaient être des droits de commandement, une
*
Avoué, p. 87.
avouerie ecclésiastique, des revenus et biens d'Église usurpés
par des laïcs, des justices, des péages, des tonlieux, des dîmes,
des fonctions de toutes sortes, et jusqu’à ces fiefs-rentes appa-
rus plus tardivement, qui permettent d'engager pour une cam-
pagne de pauvres chevaliers sans terre auxquels l’on assigne
une rente sur le trésor seigneurial. Par là, le régime féodal sut
s'adapter au développement de l'économie monétaire.
Entre la rigueur des relations féodo-vassaliques et les ruptures
de contrat engendrant les violences que décrivent les chansons
de geste et les récits féodaux, la marge est grande. Trop de
conflits d'intérêt venaient briser la fidélité du vassal et du sei-
gneur. Celui-ci abuse-t-il de son pouvoir? Le vassal pouvait jeter
à ses pieds le fétu, dans un geste de défi, provoquant la guerre
entre les deux parties si le fidèle ne renonçait pas au fief. La
rupture pouvait être le fait du seigneur estimant son vassal
félon; il décidait alors, avec l'accord de ses autres vassaux, de
saisir temporairement le fief ou de le confisquer de manière
Commise ou FIEF: l'exemple le
définitive (commise du fief). L'équilibre fragile des obligations
plus célèbre est la confiscation réciproques se trouvait rompu au profit du plus fort; c'est le
des fiefs français de Jean sans signe d’une subordination de la vassalité à la féodalité, privilé-
Terre réalisée par Philippe giant non plus les relations personnelles entre deux hommes,
Auguste en 1202.
mais le fief devenu la raison d’être de la vassalité.

Il. L'évolution des institutions


féodo-vassaliques (x°-xn° siècle)
M Les âges de la féodalité
Les institutions féodo-vassaliques subissent le sort de toute
institution: elles se transforment et passent par des âges suc-
cessifs, aux contours imprécis. M. Bloch distinguait ainsi un
premier âge féodal, s'étendant des invasions du x° siècle à l’ex-
trême fin du xr' siècle, au cours duquel se seraient formées les
institutions féodo-vassaliques dans une atmosphère
Féodalités et sociétés féodales

d'économie contractée; puis un second âge féodal naîtrait aux


alentours de 1100 sous l'influence du renouveau économique
transformant les conditions de vie de la classe féodale, et
s'épanouirait jusqu'à la fin du xmf siècle. G. Duby, dans son
étude sur la région mâconnaise, propose un autre découpage
chronologique: au cours du x° siècle les institutions carolin-
giennes encadrent toujours la société quoique se nouent déjà
les premiers liens féodaux entre les membres des classes domi-
nantes. Au tournant du x°et du xr° siècle, s'ébauche l'ère des
seigneuries châtelaines marquée par la disparition de l’auto-
rité publique, la généralisation des liens féodaux, l'apparition
d’un ordre lié à la chevalerie et à la puissance des châtelains.
Enfin, à partir de 1150, les transformations économiques bou-
leversent la hiérarchie des fortunes, affaiblissent la seigneurie
châtelaine au profit des grands seigneurs et surtout des rois:
ce second âge féodal est celui des monarchies féodales.
Au cours de cette évolution, dont la chronologie s'applique
surtout à la France du Nord, les changements affectent à la
fois les relations vassaliques et le fief; ils mettent au jour les
faiblesses de l'encadrement féodal, incapable de maintenir le
fragile équilibre des obligations réciproques du seigneur et du
vassal. Celles-ci reposaient sur la dédition totale du fidèle à
un maître, ce qui semblait exclure que l’on puisse se donner à
deux ou à plusieurs seigneurs. Or, dès la fin du ix° siècle (895),
la pluralité des hommages est admise; elle s'étend au cours du
premier âge féodal à l’ensemble de la classe chevaleresque,
devient générale au x1r' siècle, à tel point que l’on cite un minis-
térial d'Empire tenant ses fiefs de 46 seigneurs et recevant les
hommages de 100 chevaliers. À cette pratique contribuent pour
beaucoup l’attrait de bénéfices plus nombreux, l’hérédité des
fiefs et le foisonnement des relations féodales. Mais la cohé-
sion des compagnies vassaliques s'en trouvait brisée, les ser-
vices attendus des vassaux difficilement exigibles.
On imagina diverses solutions pour redonner une efficacité aux
relations féodales: la réserve de fidélité (premier exemple connu
en 996] consentie par le vassal en faveur du premier seigneur,
mais elle ne put empêcher que le vassal servit mieux le seigneur
qui le payait le plus largement; l'hommage supérieur ou
hommage-lige (premier exemple connu en 1046] par lequel le
vassal promettait une foi complète à l’un de ses seigneurs, mais
Lice:de l'allemand /edig = libre.
tous les seigneurs se mirent à exiger un hommage-lige. Dès la
Hommage réservé au seigneur
fin du xr siècle, la pluralité des ligesses ruinait à nouveau les principal qui doit être servi
principes de la vassalité. La multiplication des sous-inféoda- avant tous les autres.
tions concourait au même résultat, le seigneur supérieur se
trouvant incapable d'exiger les services dus par de nombreux
vassaux détenant chacun une fraction infime du même fief.

Æ Le lignage s'empare du fief


Du côté du fief, les changements sont tout aussi grands. Un
premier débat porte sur les droits respectifs du seigneur et du
vassal sur le fief. L'on reconnaît au premier des droits théo-
riques, la propriété éminente (dominium), au second l’usufruit,
c'est-à-dire la jouissance pleine et entière du bien qui lui avait
été concédé. Mais, en pratique, le partage était inégal, le fief
PARTIE 2 w Le Moyen Âge classique (x®-xf siècle)

glissant
échappant progressivement au contrôle du maître et
dans le patrimoine du fidèle.
Le droit héréditaire au fief fut imposé par la haute aristocratie
aux
dès le x‘ siècle en France et progressivement étendu
er est-il mineur ?
moindres bénéfices et aux autres pays. L'hériti
bien nomme un baillist re.
Le maître exerce la garde du fief ou
La succession est-elle dévolue à une fille? Le seigneur désigne
un remplaçant ou veille au mariage de l’héritière. Y a-t-il plu-
sieurs héritiers ? L'on hésite alors entre une inféodation collec-
PaRAGE : association des des- tive, le parage, confiant à l'aîné la responsabilité des services
cendants d'un même père. dus en raison du fief (cas le plus fréquent en Angleterre et en
Normandie}, ou bien le frérage, obligeant les frères cadets à
prêter hommage à l'aîné qui le prête à son tour au seigneur. En
l'absence d’héritiers directs, l’on va jusqu’à admettre la dévo-
lution du fief à des collatéraux. Le seigneur réussit à préserver
quelques droits en exigeant de l'héritier un droit de relief dont
le taux fut fixé par les coutumes locales: soit une somme fixe,
soit au maximum le revenu d’un an du fief.
Si en droit le caractère inaliénable des fiefs était admis, la pres-
sion des nécessités économiques imposa que l’on reconnût sous
ALIÉNATION DU FIEF: possibilité certaines conditions l’aliénation du fief. Des tenures féodales
pour le vassal de transmettre servirent de gage temporaire à l’occasion de prêts en numéraire,
son fief à titre gratuit ou
surtout lors des départs pour la croisade; il semble que les sei-
onéreux.
gneurs se soucièrent peu de ces hypothèques foncières. En
revanche, ils firent mieux respecter leurs droits dans les cas
d'aliénations définitives: par le retrait féodal, ils pouvaient
exercer un droit de préemption sur les biens de leurs vassaux;
en exigeant des droits de mutation {lods et ventes, quint et
requint}, ils se firent payer leur consentement. Les dons de fiefs
à l'Église étaient plus graves encore, puisque si les clercs
s'inséraient sans trop de difficulté dans la hiérarchie féodale, ils
ne pouvaient rendre les services du fief, en particulier le devoir
militaire, ni acquitter de droits de mutation, la tenure ecclésias-
tique n'étant pas transmissible par héritage. Les seigneurs laïcs
réussirent à la fin du xnr° siècle à compenser la perte de‘leurs
droits de propriété éminente, en obtenant de l’Église le versement
d’un droit de franc fief ou d'amortissement.
Hommages multiples, patrimonialité du fief eurent pour consé-
quences un relâchement et une codification des services vassa-
liques. Les coutumes limitèrent le nombre des convocations
annuelles auxquelles devaient répondre les vassaux. L'aide maté-
rielle aux trois ou quatre cas fut ponctuellement exigée jusqu'au
xu° siècle, réservée plus tard au rachat du seigneur fait prison-
nier. L'aide militaire elle-même, après avoir donné à l'Occident
sa principale force armée, perdit de sa vigueur; le service de
chevauchée fut limité à 40 jours et, faute d’un concours durable
des dépendants, l’on dut proposer une solde à des chevaliers sans
terre. Chez les Plantagenêts, l’aide militaire fut remplacée par
le versement d’une taxe de remplacement, l'écuage; ailleurs, par
la livraison de pièces d'équipement. Les services vassaliques
ainsi tarifés aigrirent les rapports des parties contractantes. Au
lieu d'assurer l'encadrement des couches dominantes de la
Féodalités et sociétés féodales

société, le système féodal ainsi dégénéré en opposait les membres


en de multiples conflits d'intérêts.

B Géographie de la féodalité
Tous les pays d'Occident ne connurent pas la même évolution.
Dans la France du Nord, où naquirent les institutions féodo-
vassaliques, la féodalisation fut plus rapide et plus complète
qu'ailleurs. Mais c’est là également qu’eut lieu le redressement
des Capétiens qui se servirent du droit féodal pour fonder
l'exercice de leur pouvoir, et, en exigeant la réserve de fidélité
et en nouant des relations directes avec leurs arrière-vassaux,
réussirent à faire aboutir au roi toutes les relations féodales et
à agrandir leur domaine propre par le moyen du droit féodal
(commise des fiefs de Jean sans Terre, 1202). À mesure que l’on
avance vers les régions méditerranéennes, la féodalisation fut
plus tardive et incomplète; la résistance de l’alleu en témoigne.
En Germanie, la force de la monarchie qui s’appuyait sur
l'organisation carolingienne de l’État et sur une Église impé-
riale fut brisée par la Querelle des Investitures. Au xrr° siècle,
la féodalisation apparaît triomphante, surtout à l’époque de
Frédéric I‘ Barberousse qui organise l’État sur la base des rela-
tions féodo-vassaliques; les couches dominantes de la société
sont soumises au système hiérarchique du bouclier chevale-
resque dominé par un groupe puissant de princes d'Empire
faisant écran entre le souverain et ses sujets. En même temps,
l'investiture obligatoire des fiefs d'Empire tombés en déshé-
rence accroît une féodalisation de l’État, contre laquelle
Henri VI et Frédéric II furent impuissants.
Dans l'Italie du Nord et du Centre, l’hérédité du fief s'affirme
tôt, le droit féodal est fixé par écrit et l’existence de villes
importantes entrave la féodalisation du pays.
L'Angleterre connut d’abord une forme primitive de régime
vassalique (thegns anglo-saxons), remplacée après 1066 par
une féodalité au service de la monarchie: toute terre appar-
tient au roi par droit de conquête, donc tout fief dépend du roi,
et les tenants en chef qui tiennent directement leurs terres
du roi (ceux qu’on appellera les barons) ne font pas écran entre
le roi et leurs propres vassaux.
En Espagne, un régime vassalique subsista jusqu’au x1i‘ siècle;
les rois castillans eurent alors assez de pouvoir grâce à la guerre
pour coiffer la féodalité à la française qui apparaissait.
En Italie du Sud et dans les États francs de Syrie-Palestine, la
féodalité fut introduite par la conquête; là, les souverains nor-
mands réussirent à tenir leurs « hommes » ; ici, les luttes entre LES FIEFS-RENTES OÙ FIEFS DE SOU-
lignages firent sombrer le pouvoir supérieur, malgré les efforts DÉE:récompensent en argent le
des premiers rois de Jérusalem pour exiger sévèrement les ser- vassal prestataire de services
vices vassaliques et rendre l’aide militaire quasi permanente. militaires contraignants.

Entre toutes ces féodalités, les décalages sont évidents.


Pourtant, seigneurs et vassaux de France, d'Angleterre ou
d'Allemagne ont des genres de vie semblables. Ils constituent
une aristocratie de spécialistes de la guerre, formés dans le
cadre de la chevalerie et regroupés en une classe nobiliaire.
PARTIE 2 & Le Moyen Âge classique (x-xif siècle)

II. Les classes dominantes et leur genre de vie


Æ Noblesse et chevalerie
Pour les scribes et les clercs du x‘siècle, le sommet de la hié-
rarchie sociale était occupé par un groupe de seigneurs fon-
ciers vivant de l'exploitation de leurs terres et des redevances
que leur versaient les paysans. Le vocabulaire appliqué à cette
aristocratie était incertain: senior, fidelis, nobilis, ce dernier
terme définissant un niveau social supérieur caractérisé par
un genre de vie, en aucune façon par des privilèges. Peu à peu,
dès le premier tiers du xi° siècle, un mot nouveau s'impose,
miles (chevalier), qualificatif dont se parent les membres de
la classe seigneuriale, en même temps que s’efface le mot
nobilis. Un tel glissement est lié à des transformations tech-
niques et mentales faisant de la cavalerie la reine des batailles
et des chevaliers l'élite de la société. Noblesse et chevalerie:
deux mots aux contours incertains, qui ont opposé les histo-
riens en longues controverses.
L'aristocratie du premier âge féodal est-elle l’héritière de la
noblesse franque? se sont demandé tour à tour Guilhiermoz,
M. Bloch, L. Verriest, L. Génicot et G. Duby, pour ne citer que
les principaux hérauts d’un débat encore ouvert. Qu'il n'y ait
rien de commun, comme le pensait M. Bloch, entre la noblesse
du haut Moyen Âge, remontant à l’ordre sénatorial romain ou
bien aux auxiliaires des rois barbares ou carolingiens, et l’aris-
tocratie dominante du premier âge féodal semble aujourd’hui
réfuté. À travers les documents des xI°et xn siècles, on discerne
l'existence d’une authentique noblesse de sang, et non de rang
social, composée d'anciens lignages accrus d'apports nouveaux:
chevaliers, serviteurs des princes, acquéreurs de fiefs, paysans
riches capables de se battre et de vivre en chevaliers. Mais cette
noblesse est toujours fondée sur l'honneur d’une ascendance;
elle est indépendante de la chevalerie et lui est antérieure.
Quel en est le mode de transmission ? Certaines œuvres litté-
raires, certaines généalogies ont fait dire à L. Verriest que la
noblesse était prouvée par l’ascendance féminine, les héritages
se faisant par les femmes, les hommes tirant tout leur honneur
de l'exercice de fonctions auliques. Dans l’Empire, au xrr siècle
encore, c'est le sang maternel qui anoblit. Mais ailleurs, la
famille noble se restreint plus tôt à un lignage, descendant
d’un même ancêtre. Sous l'influence de l’hérédité du fief, de
l'exercice du droit de ban et surtout de l’exaltation de la voca-
tion guerrière, la qualité nobiliaire est transmise en ligne mas-
culine. Pour reprendre l'expression de M. Bloch, il y a
cristallisation de la noblesse autour du rite de l’adoubement
chevaleresque, réservé aux hommes.

M L'expansion de la chevalerie
L'expansion de la chevalerie a été rapide, au moins en France.
Le mot miles, apparu dans le dernier tiers du x° siècle, rem-
place vers 1060 les autres vocables tant en Mâconnais qu’en
Île-de-France et en Provence. À la fin du xr° siècle, il s'étend
à toutes les couches de l'aristocratie laïque. Dans les provinces
Féodalités et sociétés féodales

germaniques, en Lotharingie, l’évolution est plus lente; en


raison de l'existence d’une chevalerie servile, la distinction
entre nobles et chevaliers subsiste jusqu'au xin° siècle. En
Espagne, il y a deux chevaleries, celle des ricos hombres et
celle des paysans libres ou caballeros villanos. Le succès du
vocable s'explique d’abord par des faits techniques.
L'introduction de l'étrier en Occident permet au cavalier de
se vêtir d’un armement défensif plus lourd, le haubert ou cotte
de mailles, le heaume ou casque conique, le bouclier ou écu,
et d'utiliser une nouvelle méthode de combat faisant de la
lance non plus une arme de jet mais une arme de choc. La
lourdeur du harnachement, les qualités nécessaires pour pra-
tiquer « la nouvelle escrime à la lance » exigent une force BeHour : Mannequin bourré de
physique peu commune, entretenue dès le plus jeune âge par paille que le cavalier devait
transpercer de sa lance.
un entraînement intensif: chasse, épreuves du behour et de
la quintaine, exercices collectifs de combat et tournois. QUINTAINE :panoplie placée sur
une branche d'arbre que le
Une mutation profonde au niveau des mentalités s'observe cavalier lancé au galop devait
aussi. La théorie des ordines distingue ceux qui servent par décrocher.
la prière ou par les armes de ceux qui travaillent la terre, sont
désarmés et vulnérables: opposition classique entre les puis- L
sants et les pauvres. L'Église, sous l'influence des institutions " rdines, p. 109.
de paix, propose aux combattants (bellatores) de mettre leurs
armes au service de la paix de Dieu, de constituer une milice
du Christ. Enfin, seuls les pauvres subissent les exactions du
seigneur banal; les chevaliers en sont exempts. La frontière
de l'aristocratie sépare ainsi les chevaliers du peuple, les exploi-
tés des non-exploités. Dès le x1r° siècle, les différents niveaux
de l'aristocratie se fondent dans la chevalerie dont les membres
ont en commun des rites — l’adoubement par lequel l’Église ADOUBEMENT : Cérémonie d'ac-
cès à la chevalerie, au cours de
sacralise l’activité guerrière -, une morale, un genre de vie. Il laquelle le futur chevalier reçoit
suffit qu’en raison de la montée du patriciat urbain et de la ses armes et est frappé d'une
reconstitution des États, cette classe se ferme, dès la fin du colée à la base du cou.
xr siècle selon G. Duby, pour que naisse une noblesse de droit
regroupant tous ceux qui sont « de lignée de chevaliers »,
classe dominante bénéficiant d’un statut juridique à part et atriciat, p. 169.

de privilèges transmis par hérédité. L'évolution est différente


dans les autres pays d'Occident.
En Angleterre la noblesse constitue une classe restreinte aux
contours plus juridiques que sociaux: l’adoubement est réservé
au libre possesseur d’une certaine quantité de terres, pour
lesquelles est dû un service armé et n’en fait pas pour autant
un noble.
En Espagne, la permanence de la guerre et la nécessité d’avoir
de nouveaux chevaliers empêchent la noblesse de devenir une
classe fermée.
Dans l’Empire, la hiérarchie rigoureuse du bouclier chevale-
resque n’est pas un obstacle à l'assimilation de la chevalerie
servile et de la ministérialité avec la noblesse.
Qu'ils soient nobles ou chevaliers, les aristocrates se caracté-
risent par un genre de vie identique. Le cadre en est le château,
manoir champêtre fortifié ou « ferté », hâtive construction en
bois du x‘siècle assurant une protection contre l’envahisseur,
forteresse plus solide des xi‘et xnr° siècles contrôlant routes et
PARTIE 2 Le Moyen Âge classique (x°-xni° siècle)

CHRONOLOGIE SOMMAIRE vallées et assurant derrière ses murailles de pierre une auto-
DES CHÂTEAUX nomie certaine à ses détenteurs. La châtellenie est la cellule
Morre: tour en bois, ceinte de base de la féodalité: l'extension du droit de ban facilité par
d'une palissade et élevée sur la possession d’un château est source de puissance. Le noble
une motte de terre: fin du x°- se nourrit du travail d’autres hommes. La chasse mais surtout
début du xf siècle. la guerre « fraîche et joyeuse » (Bertrand de Born) constituent
DonJonN EN PIERRE: Seconde son activité essentielle: le combat est un remède contre l’en-
moitié du x! siècle, nui, une source de profit grâce aux pillages et aux rançons. Il
CHÂTEAU FORT: xII° siècle; avec rassemble les éléments du lignage, soudés par une solidarité
enceinte double: x siècle. essentielle, et oppose les compagnies de jeunes qui forment
« l'élément de pointe de l'agressivité féodale » (G. Duby). Il
donne au combattant un certain mépris de la vie et de la souf-
france humaine, tout juste atténué par l'influence de l'Église
qui, à partir du xi° siècle, promeut l'idéal du combattant de
Dieu, le miles Christi, et par celle de la littérature courtoise;
véritable idéologie de classe, celle-ci exalte le faste, la généro-
sité et l'art d'aimer qui, par le service de la dame, doit conduire
l’homme noble aux sommets de la vertu et du bien. La culture
nobiliaire contribue à dresser une barrière infranchissable
entre la noblesse et la vilenie.
Genre de vie, morale, supériorité économique consolident
l'aristocratie en une classe nobiliaire, amenée à reconnaître
au xur° siècle la souveraineté des rois qui surent utiliser les
liens de dépendances personnelles et la hiérarchie des fiefs
pour reconstruire l'État.

recherche
Le château (x°-xn° siècle)
Le milieu du Moyen Âge a vu se multiplier le nombre des constructions castrales. Différents par leur
type et les matériaux qui les constituent, ces édifices complexes étaient destinés à assurer le pouvoir
des seigneurs sur les terres et sur les hommes, à maintenir la sécurité sur le milieu environnant ét à
abriter la vie quotidienne des maîtres du sol.

ntre la fin du x° et le début la plate-forme sommitale du Nord-Ouest, et s'enrichit


du x° siècle, s'édifient les dominée par une tour de d'une enceinte maçonnée
premiers châteaux à motte, bois, tandis qu'un plan incliné édifiée au sommet de la butte
dans les pays compris entre donne accès à la basse-cour (motte à shell-keep).
le Rhin et la Loire moyenne. (bailey en Angleterre, Vorburg
Faite de matériaux rapportés dans les pays germaniques), À cette date, se sont déjà
ou englobant un accident de qui se développe au pied de multipliés les châteaux
terrain en saillie, la butte ou la motte et est séparée de à donjon maçonné (le plus
tertre est édifiée en premier et l'extérieur par un talus de ancien en France est celui de
est entourée d'un fossé assez terre précédé d'un fossé. À Langeais, 994), installé sur une
large. Un rempart, en pierres la fin du x siècle, le château motte plus où moins arasée ou
sèches ou sous la forme d'une à motte gagne l'Angleterre sur un site neuf, proche d'une
palissade charpentée, entoure et l'Allemagne du Nord et ancienne construction. Jusqu'à
Féodalités et sociétés féodales

la fin du xif siècle, ces nouveaux les angles morts. Un chemin rgane de défense et lieu
châteaux de pierre ne se distin- de ronde est aménagé. Le de refuge, le château
guent guère de ceux en terre donjon, circulaire, renforcé comporte une basse-cour
ou en bois: le donjon de pierre, d'un éperon, comme à suffisamment vaste pour
protégé par un fossé, domine Château-Gaillard, est bâti soit accueillir une population
une basse-cour entourée d'une dans la basse-cour, soit sur le nombreuse. La défense est
enceinte extérieure, elle aussi rempart extérieur; parfois assurée par des milites castri,
maçonnée et précédée d'un même il disparaît, chaque vassaux du châtelain, chargés
fossé. Simples tours carrées où tour d'enceinte faisant alors par roulement de la garde (l’es-
grands donjons plurifonction- office de donjon. tage) de la fortification. Centre
nels, ces édifices sont renforcés économique, le château
par des contreforts, protégés recueille les produits et rede-
dans leur partie inférieure par e château médiéval est vances versés par les hommes
un talus de pierre et ouverts à d'abord la résidence de de la seigneurie et comporte,
l'extérieur par une porte située la famille dont l'ancêtre en à ce titre, un certain nombre
à plusieurs mètres au-dessus du avait été le constructeur ou le d'installations agricoles. Il est
sol. Dans la seconde moitié du bénéficiaire de la part d'une aussi le cadre d'exercice de la
xi® siècle, le donjon cylindrique autorité supérieure. L'Histoire justice seigneuriale, de récep-
devient de règle (par exemple des comtes de Guines et des sei- tions où le châtelain est tenu
la Tour du Louvre, édifiée par gneurs d'Ardres, rédigée par le de bien traiter son entourage
Philippe-Auguste avant 1202). curé Lambert d'Ardres, donne (banquets, divertissements, art
une idée de l'agencement d'un de la conversation), et un lieu
ee progrès de la poliorcé- donjon du début du xif siècle: de dévotion grâce à l'église
tique à la fin du xi° siècle le rez-de-chaussée reçoit les fondée par les soins du sei-
conduisent à remanier provisions de nourriture, de gneur et dont le service est fré-
les châteaux existants de boisson et de fourrage; une quemment confié à un ordre
manière plus ou moins grande pièce servant de salle religieux ou à un chapitre.
radicale ou à en concevoir de réception et d'appartement
de nouveaux. Les bâtiments privé occupe presque toute la F xerçant une attraction
jusque-là dispersés dans la superficie du premier étage, remarquable sur les
basse-cour sont regroupés et dont un des côtés comporte hommes, la plupart des châ-
adossés au rempart. Celui-ci plusieurs pièces plus petites; teaux ont été générateurs de
est fréquemment doublé au deuxième étage sont instal- peuplement et ont contribué
par un mur extérieur, moins lées une chapelle et des petites ainsi à modifier profondément
haut, l'espace intermédiaire chambres pour les enfants, les l'environnement. L'architecture
formant les lices. Le fossé sergents et les domestiques. militaire évolua peu du xuif
se fait plus large et plus Des escaliers, appuyés aux au xv° siècle, si l'on excepte
profond. Des organes de parois intérieures, permettent l'aménagement des bâtiments
flanquement sont appliqués le passage d'un étage à l'autre. résidentiels et l'apparition des
au mur d'enceinte, sous la Un bâtiment annexe abrite au maisons fortes, aux mains
forme de tours et de tourelles rez-de-chaussée une porcherie d'hommes nouveaux cher-
circulaires, résistant mieux et la volaille, au premier étage chant à acquérir les préroga-
aux projectiles et supprimant une cuisine. tives des seigneurs châtelains.

SPRL SORTE
PER

Bibliographie
Sur la féodalité:
Un manuel et deux grands classiques: F-L. GansHor, Qu'est-ce que la féodalité ?, Paris, rééd., 1982;
M. BLoct, La Société féodale, Paris, rééd., 1968 et R. BourrucHE, Seigneurie et Féodalité, t. 2: L'Apogée
(xie-xn£ s.), Paris, 1970. Les principaux ouvrages de G. Dusy sur ces questions ont été réunis en
deux volumes : Qu'est-ce que la société féodale ?, Paris, 2002 et Féodalité, Paris, 1996; E. BOURNAZEL
et J.P. Pour, Les Féodalités, Paris, 1998; F. Maza, Féodalités (888-1180), Pa ris, 2010.
PARTIE 2 # Le Moyen Âge classique («°-xn siècle)

Sur l'idéologie:
sme, Paris, 1978, Le Chevalier, la femme et
Voir G. Dev, Les Trois Ordres ou l’Imaginaire du féodali
96. Dans Un autre Moyen Âge, J. LE GorF
le prêtre, Paris, 1981, Dames du xif siècle, 3 vol. Paris 1995-19
, Foi et Fidélité, Toulouse, 1976.
rassemble ses principaux articles. Voir aussi E. Macnou-Norrier
ée par S. Reynouns, Fiefs and
Une réinterprétation complète des institutions féodales est propos
Vassals. The medieval Evidence reinterpreted, Oxford, 1994.

Les études des sociétés féodales ne manquent pas:


la seigneurie banale. Coucy
On consultera surtout les ouvrages de D. BARTHÉLEMY, Les Deux Âges de
, de l'an Mil au x siècle, Paris,
aux xe-xuf siècles, Paris, 1984, La Société dans le comté de Vendôme
la France des X et xf siècles,
1993, La Mutation de l'an Mil a-t-elle eu lieu ? Servage et chevalerie dans
980-1060, Paris, 1999.
Paris, 1997 et L'An Mil et la paix de Dieu. La France chrétienne et féodale,
les pays de la Charente X°-xif siècle, Paris, 1984; G. Bois,
Voir aussi À. Desoro, La Société laïque dans
siècle, Rome, 1993 ; B. LEMESLE,
La Mutation de l'An Mil, Paris, 1989; J-M. Marin, La Pouille du vf au xf
Rennes, 1999; P. BONNASSIE, Les Sociétés
La Société aristocratique dans le Haut-Maine (x£-xi siècles.)
méridionale
de l'an Mil:un monde entre deux âges, Bruxelles, 2001 ; Fiefet Féodalité dans l'Europe
La Féodalit é langue-
(Italie, France du Midi, Espagne) du x au xur siècle, Toulouse, 2002; H. Degax,
et groupes
docienne (xe-xr siècles.) Toulouse, 2002; Frédéric BouTouILLe, Le duc et la société. Pouvoirs
sociaux dans la Gascogne bordelaise au xif siècle, Bordeaux, 2007. L. Macé, Les comtes de Toulouse
méridionales.
et leur entourage (xf-xnf siècles), Toulouse, 2000; Didier Paru, Aristocraties
Toulousain-Quercy (x°-xif siècles), Rennes, 2010.

La noblesse et chevalerie:

Le débat sur noblesse et chevalerie a fait l'objet de nombreux travaux récents. Voir surtout les
ouvrages de J. Fort, L'Idéologie du glaive. Préhistoire de lachevalerie, Genève, 1983, L'épanouissement
de la chevalerie, Genève, 1985, La Chevalerie en France au Moyen Âge, Paris, 1995, Chevaliers et
Chevalerie au Moyen Âge, Paris, 1998. Voir aussi E. KoënLer, L'Aventure chevaleresque, Paris, 1974;
M. Aureui, Les Noces du comte. Mariage et pouvoir en Catalogne (785-1213), Paris, 1995 et La Noblesse
en Occident (#-x® siècle), Paris, 1998; M.-C. Ger8er, Les Noblesses espagnoles au Moyen Âge,
xE-xv® siècle, Paris 1994; L. Macé, Les Comtes de Toulouse et leur entourage xif-xuf siècles. Rivalités,
alliances et enjeux de pouvoir, Toulouse 2000. Sur un destin hors de pair, voir l'ouvrage de G. Dusy,
Guillaume le Maréchal, Paris, 1984: D. BarrHéLemy, La Chevalerie, Paris, 2007 ;Chevaliers et Miracles.
La violence et le sacré dans la société médiévale, Paris, 2004; J. Morse, L'Aristocratie médiévale.
La domination sociale en Occident ®-x siècle, Paris, 2004.

Sur le château et le village:


Voir les thèses de P. Touserr et P. BONNASSIE (citées p. 109) et les ouvrages de G. FouRNiER (cité
p. 109) de R. Fossier et J. CHapeor, Le Village et la maison au Moyen Âge, Paris, 1980, et de
M. Bouri-R. Duran» (cité p. 123) ; B. PHaur, Seigneurs et Bâtisseurs. Le château et l'habitat seigneu-
rial en Haute-Auvergne et Brivadois, xf-x siècle, Clermont-Ferrand, 1993; M. Bu, Le Château,
Turnhout, 1999 et A. Bazzana, À. Desoro et J-M. Poisson, Aristocratie et Pouvoir. Le Rôle du château
dans la France médiévale, Paris, 2000; P.-Y. Larronr, Châteaux, pouvoirs et peuplement du Haut
Moyen Âge au xif siècle, Rennes, 2009.
Le renouveau de l’État
Aux abords de l'an Mil, les conséquences de la désagrégation de l'Empire carolingien sont éclatantes
sur le plan politique :à l'autorité de l’État s'est substitué le pouvoir de princes territoriaux, eux-mêmes
menacés par l'irrésistible ascension des châtellenies. Seule subsiste l'idée d'une Chrétienté, commur-
nauté idéale et à prétention universelle, dirigée par deux personnages, le pape et l'empereur. Otton III
(983-1002), investi de la charge impériale, rêve, en faisant de Rome la capitale du monde, de construire
un empire universel englobant dans sa souveraineté principautés et royaumes, Slaves et Grecs, domi-
nant même l'Église que conduit alors Silvestre Il, confident de l’empereur. Le rêve est éphémère; à
l'évidence, s'impose la vision d'une Chrétienté divisée en royaumes dirigés progressivement par des
rois autonomes. Ils créent une souveraineté impersonnelle qui cherche enfin à s'imposer aux diverses
communautés, clergé, aristocratie, monde des villes. La réussite du prince varie selon les pays, mais,
quelque forme que revête le pouvoir monarchique, l'État redevient au xuf siècle une réalité.

1. Le prince et son image


… L'Empire
Au début du xi° siècle, le premier des princes occidentaux est
incontestablement l’empereur. Le pouvoir des Ottoniens était
d'autant plus éclatant qu’en recréant l’Empire en 962 {Renovatio
imperii) Otton le Grand avait pris soin d’apparaître comme cn p. ,6
l'héritier de Charlemagne dont le souvenir et la légende allaient _P feconcept
être pour les empereurs germaniques d’un constant secours. FR SONerIons
Au-delà du grand Carolingien, on invoquait aussi l’Empire
romain pour justifier des ambitions territoriales et la préten-
tion de construire autour de Rome un empire universel. Mais
que serait cet empire ? Le regroupement de rois-vassaux autour
d’un seigneur revêtu de la dignité impériale? C'est ce
qu’envisageait Henri VI qui n'eut guère le temps de le réaliser.
Une sorte de présidence officielle de la communauté des gou-
vernants ? Frédéric II semble y avoir songé, mais il hésita entre
l'idée d’une domination universelle héritée des Staufen, et une
prééminence honorifique appuyée sur un empire plus restreint
mais cohérent.
Entre ces tendances hégémoniques et les réalités du temps, le
fossé était grand. Malgré quelques velléités d'intervention dans
les affaires françaises, les empereurs germaniques durent se
résoudre à limiter leurs efforts aux trois royaumes qui consti-
tuaient leurs États, Bourgogne, Italie, Germanie. Mais là encore,
des choix s’imposaient. En dehors du royaume de Bourgogne,
annexé en 1038 et vite retourné à une vie autonome, il était CTa
évident que l'union de l'Italie et de la Germanie constituait | 4 D. 353,
l'Empire. Mais quel élément privilégier ? Les pays germaniques,
quitte à leur demander de lourdes contributions pour dominer
l'Italie? Ce fut la politique des Saliens et de Frédéric [*
PARTIE 2 & Le Moyen Âge classique (xi°-xn siècle)

impérial,
Barberousse (1152-1190). Ou bien, par fidélité au mythe
l'hosti lité des commu nes et du
préférer l'Italie mais s'exposer à
aband onner aux prince s une part de
pape et, en Germanie,
fut la voie choisie par les dernie rs Staufe n, Henri VI
l'autorité? Ce
mère
et Frédéric II, d'autant plus que celui-ci avait hérité de sa
de Sicile. Les empe-
Constance, épouse d'Henri VI, le royaume
le
reurs s'épuisèrent à réaliser cette difficile union; la Querel
du Sacerd oce et de l'Empi re en furent
des Investitures, la lutte
é; il ne
les conséquences. Le pouvoir impérial en sortit diminu
e certai nes
réussit jamais à échapper au système électif, quoiqu
se soient transm is le
familles ducales (Saxe, Saliens, Staufen)
titre pendant plusieurs décenn ies sans pouvoi r créer toutef ois
de dynastie. Il ne put asseoir sa puissance sur de vastes posses-
sions territoriales et dut, avant même l'échec italien de Frédéric
II, céder le pas à des principautés. Après 1250, l’idée impériale
survécut dans la conscience populaire; elle ne comptait plus
dans les réalités politiques.

& Les monarchies


Entre-temps, des monarchies s'étaient affirmées. Certes, ilen
existait au début du xr° siècle, mais la royauté se confondait
alors avec le pouvoir personnel d’un prince et était étroitement
tributaire de la force ou de la faiblesse de ce personnage.
Souverain et souveraineté ne se distinguaient pas. D'autre part
des princes territoriaux avaient usurpé des droits régaliens,
réduisant les rois à une relative impuissance. Le relèvement
des monarchies, œuvre de longue haleine, devait être favorisé
par l'Église, utiliser les liens féodaux et déboucher sur une
définition plus ample des prérogatives régaliennes.
Tant en France qu’en Angleterre, les clercs ont soutenu la
monarchie en attribuant au roi une mission religieuse, en lui
SacrE :cérémonie qui fait du roi accordant par le sacre un prestige inégalé, assimilant l'office
un élu de Dieu et un protecteur monarchique à une fonction quasiment sacerdotale. La coutume
de l'Église. Célébré àReims pour du sacre a consolidé la légitimité des Capétiens et des
la première fois en 816 en faveur
de Louis le Pieux, le sacre devint Plantagenêts: onction, remise des emblèmes royaux, acclama-
en trois siècles l'exclusivité de tion, rappelant l’ancienne désignation par le peuple et les grands,
cette ville où avait été célébré le ont pour contrepartie le serment que prête le souverain de
baptême de Clovis. défendre l'Église, d'assurer la paix et de rendre bonne et misé-
ricordieuse justice. L'oint de Dieu est réputé jouir d’un pouvoir
thaumaturgique (guérison des écrouelles), qui place sa personne
au-dessus de tous les autres mortels: le roi est intouchable. Le
prestige accordé par le sacre est tel qu’en le conférant à leur fils
aîné les premiers Capétiens, de leur vivant, assurent la conti-
nuité dynastique, sans grande réticence. La bulle de canonisa-
VERTU: force miraculeuse que tion de 1297 consacre en la personne de Louis IX les « vertus »
possède le saint du Moyen Âge. particulières du souverain capétien, qui, dans la légende royale,
prend place à côté de Charlemagne. Des clercs, servant habile-
ment la propagande royale, vont jusqu’à exalter l’origine divine
de l'autorité du roi; la formule, aux antipodes des théories
grégoriennes, annonce l’absolutisme.
Le roi et les seigneurs. À l'égard des grands féodaux, la politique
royale ne pouvait être la même en France et en Angleterre. Ici
Le renouveau de l'État

la conquête de 1066 avait permis au souverain normand de


reprendre les traditions saxonnes, d'acquérir un vaste domaine
royal et de n’accorder aux grands que des biens limités et dis-
persés. La prérogative royale fortement affirmée par Henri II
Plantagenêt (1154-1189) ne fut contestée qu’en raison des
absences, des défaites ou de la faiblesse de ses successeurs. La
Grande Charte de 1215 et les Provisions d'Oxford de 1258 mar-
quent la réaction des barons et de la noblesse rurale limitant
l'arbitraire royal. En France, la faiblesse de la monarchie capé-
tienne à ses débuts a été maintes fois soulignée. Mais, en répri-
mant la turbulence féodale, en tirant ensuite de leur prérogative
de suzerain de grands avantages, les Capétiens surent placer la SuZERAIN : seigneur de l'arrière-
royauté au sommet de la hiérarchie vassalique et créer une vassal (attention à l'usage de ce
mot).
monarchie féodale, caractéristique du x siècle. Pour ce faire,
tous les moyens furent bons: enquêtes sur les obligations vas-
saliques ponctuellement exigées, généralisation de l’'hommage-
lige aux arrière-vassaux, interventions dans les successions des
grands fiefs, extension de la procédure d'appel à la justice royale,
promulgation d'ordonnances avec le consentement des barons,
affirmation surtout que le roi de France n’est vassal de personne,
qu'il est « empereur en son royaume ».

Une nouvelle conception du roi. La suzeraineté rejoint alors la


souveraineté. Le serment du sacre en exprime le contenu: le roi
doit défendre l’Église, en particulier les évêchés et les monas-
tères royaux dont il nomme les titulaires. Il assure la paix, et
c'est à ce titre que Louis IX interdit les guerres privées et le port
d'armes, que les empereurs germaniques promulguent des paix
d'empire. Il distribue la justice et c’est ainsi que les procédures
d'enquête, d'appel et d'arbitrage utilisées par les Capétiens au
x siècle confèrent au souverain « la garde générale de tout le
royaume ». L'exercice des droits régaliens se renforce d’une défi-
nition nouvelle de l'autorité publique, grâce à la renaissance du
droit romain; indépendante de son titulaire, l'autorité est supé-
rieure aux princes et n’a pour limite que l'utilité générale; elle
est inaliénable et indivisible. C’est en son nom que le roi fait
les lois, qu’il est même au-dessus de la loi, comme l’affirment
les juristes au service de Frédéric II. La pérennité du pouvoir
royal redonne vigueur à l’idée d'État. Il n’en reste pas moins que
pour la faire vivre, la valeur du prince reste un élément fonda-
mental. Le souverain doit avoir les moyens d'imposer à tous sa
prérogative.

Il. Les moyens du prince


Aussi longtemps que la royauté se confondit avec le pouvoir
personnel du prince, prévalut l'idée que celui-ci devait « vivre
du sien », c'est-à-dire de ses biens propres. Les moyens du
prince furent donc limités, particulièrement dans la France DanEGELD : impôt personnel
capétienne, qui ignora l’idée d'impôt, alors qu’en Angleterre levé dans toute l'Angleterre
les souverains normands reprirent à leur avantage les tradi- pour assurer la défense du pays
tions fiscales saxonnes (le danegeld). Dans les deux pays contre les Danois.
PARTIE 2 æ Le Moyen Âge classique (xif-xii* siècle)

de ses
toutefois, c'est le domaine qui fournit au roi l'essentiel
ressources.

M Le domaine royal et ses ressources


Le domaine royal ne se réduit pas à l’ensemble des terres direc-
fait
tement administrées par le roi ou ses représentants. Il est
droits, profits de justice, taxes de cir-
aussi d’une poussière de
culation, revenus de nature féodale que perçoit le roi en tant
que seigneur foncier, haut justicier et suzerain. En son sens
étroit, le domaine des premiers Capétiens a une assise terri-
toriale limitée, quelques 8 000 km”? répartis entre la Loire et
l'Oise. Au contraire, la conquête normande a livré au souve-
rain anglais un septième des terres de l'aristocratie saxonne
La Forér :ensemble de bois, de et lui a permis de constituer un domaine fort étendu, la Forêt;
landes, de terres de pâture et de il garde aussi la haute main sur l’ensemble des terres du
villages que les Plantagenêts se royaume. Dans l’Empire, la tradition carolingienne oblige le
souverain à réinféoder un fief qui lui revient; il ne peut donc
sont réservé pour la chasse
(sens anglais; voir p. 115 pour le
sens général). réunir autour de la couronne un ensemble de biens, chaque
empereur devant se contenter des possessions entrées dans le
patrimoine de son lignage.

Dès lors, au souci de bien administrer le domaine, ce en quoi


excellèrent les Capétiens, s'ajoute la préoccupation de l'ac-
croître afin d'augmenter les ressources royales. L'avènement
d'Henri II Plantagenêt, en 1154, entraîne la formation d'un
vaste ensemble, étendu des Pyrénées à l'Écosse, recouvrant la
moitié occidentale de la France. Pour n’avoir pas su le main-
tenir, Jean sans Terre et Henri III perdirent une partie de leur
autorité. Édouard I‘ (1272-1307) reconstitue le domaine royal
en soumettant à la couronne le pays de Galles et les marches
du Nord; en tentant même de conquérir l'Écosse. Les Capétiens
patiemment accroissent le domaine; ils achètent des terres
(Bourges-1106, comté de Mâcon-1239, Quercy-1286), recueillent
des successions en déshérence (comté de Perche, héritage tou-
lousain d'Alphonse de Poitiers-1271), des dots rondelettes
(l'Artois apporté par Isabelle de Hainaut et conservé pär la
couronne-1189}, confisquent les biens de vassaux rebelles
(commise des fiefs Plantagenèts en 1202, du comté de Boulogne
en 1212}, mènent de grandes opérations de conquête plus ou
moins fructueuses {le midi de la France à la suite de la croi-
sade contre les Albigeois, les expéditions en Flandre qui appor-
tent à Philippe IV le Bel plus de difficultés que de châtellenies
(1297-1305). La politique d'accroissement n'est pas toujours
APANAGE: avance d'hoirie cohérente: des dons amoindrissent le domaine, ainsi que la
consentie aux fils cadets du roi, constitution d’apanages au profit des fils cadets; par le plus
en échange de leur renoncia- grand des hasards, la plupart de ces territoires aliénés revin-
tion totale au reste de la succes-
rent ensuite à la couronne.
sion royale.

H Ressources tirées de la fonction royale


À mesure que se constituaient des monarchies organisées, les
revenus du domaine ne pouvaient plus suffire. Capétiens et
Plantagenêts s’efforcèrent de tirer des ressources de l'exercice
de leur droit de suzeraineté: droits de relief et de mutation,
Le renouveau de l'État

échoites, aide aux trois ou quatre cas, particulièrement quand


s'organisent les croisades (dîme saladine de Philippe Auguste
en 1188, décimes prélevés sur les biens d’Église), remplacement
de l’aide féodale par une taxe en argent: l’'écuage en Angleterre,
l’aide de lost progressivement étendue à tout le royaume capé-
tien et d’où sortit la notion de l'impôt dû non plus par des tenan-
ciers ou des vassaux mais par des sujets [le « fouage », 1303]. FouAGE : levée royale répartie
par feu entre les familles du
Les souverains usent surtout de leurs droits régaliens pour royaume. Cette contribution à
accroître leurs ressources: profits du monnayage royal - les un caractère encore irrégulier.
manipulations monétaires de Philippe le Bel sont célèbres -, RÉGALE: perception par le roi
perception de la régale sur les évêchés, produits du sceau royal, des profits d'un évêché royal
des douanes — les taxes d'exportation sur les laines anglaises pendant la Vacance du siège
apportent à Édouard I‘ de gros revenus -, taxes sur les étran- épiscopal.
gers, confiscations des biens des Juifs, impositions extraordi-
naires sur l’Église, emprunts forcés sur les villes, taxes sur
les biens meubles en Angleterre, monopole royal du trafic de
certaines denrées dans la Sicile des Staufen et des Angevins,
sans parler de multiples expédients, au premier rang desquels
figurent les emprunts consentis aux Plantagenèêts par les ban-
quiers italiens {les Riccardi leur avancent 400 000 livres de BANQUIER:à l'origine, changeur
1272 à 1294, les Frescobaldi 122 000 livres de 1280 à 1310). installé à un banc où il se livre
au change manuel des espèces.
Les souverains ne disposent donc pas encore de finances régu-
lières; toutefois à la fin du xm° siècle, s'établit le principe de
la fiscalité moderne, encore qu'il n’y ait pas de périodicité des
levées, en même temps que naissent des organismes adminis-
tratifs chargés de faire rentrer ces revenus.

Ill. Les serviteurs du prince


Le développement de l'office monarchique et des moyens à la
disposition des souverains allait de pair avec la mise en place
d’une administration progressivement spécialisée. Contribuèrent
à sa formation la suite de la couronne, les vassaux périodique-
ment réunis à la cour pour rendre au souverain leurs devoirs de
conseil, avant qu'à ces diverses catégories ne se substitue, à la
fin du x siècle, un personnel stable de juristes et d'officiers
royaux, formés dans les nouvelles universités.

B L'administration » princière
Aux xr° et xnr° siècles, le prince est le plus souvent aidé par des
« amateurs », barons fidèles de sa cour, vassaux directs et clercs:
ils forment la curia regis. Les souverains germaniques confient
les offices de cour aux représentants les plus éminents de l’aris-
tocratie princière — ducs, comtes palatins, archevêques —,
s'entourent pour administrer la Germanie de leurs vassaux
directs et de domestiques d’origine servile, des ministériaux,
qu'ils élèvent à la chevalerie. Frédéric I‘ fait de l’épiscopat qu'il
contrôle un corps d’administrateurs mais accorde à ses vassaux
directs, les princes ou Fürsten, de grands privilèges limitant
l'intervention royale dans les grands duchés. La constitution de
ces fortes principautés fit rapidement écran entre l'empereur et
ses sujets. Au terme d’une progressive féodalisation de l'État,
PARTIE 2 # Le Moyen Âge classique (x-xni siècle)

des
Frédéric IL, par le Statutum de 1231, abandonna aux princes
militai re et judiciai re. En Anglete rre,
droits excessifs en matière
de la
les souverains normands s’entourèrent de représentants
roturièr e, tel
moyenne noblesse et de clercs, parfois d’origine
Thomas Becket; c'était là pour le Plantag enêt un moyen d’éta-
blir un gouvernement centralisé ne devant rien à la haute
ns,
noblesse des barons. Dans la France des premiers Capétie
évêques et puissan ts du royaum e s’efface nt devant de petits vas-
À
saux d'Île-de-France qui reçoivent les grands offices de cour.
la fin du xr' siècle, toutefois, reparai ssent dans les chartes royales
de grands officiers, comme ces comtes de Champagne auxquels
p L est réservée la charge de sénéchal (dapiférat] ; des clercs entrent
ancelier, à l'Hôtel du Roi, occupent la chancellerie, deviennent les
p.65. conseillers privilégiés du souverain, tels Suger sous Louis VI,
frère Guérin sous Philippe Auguste. À partir de ce dernier règne,
des petits vassaux de plus en plus nombreux, quelques bourgeois
même sont admis à la cour, participent aux affaires publiques.
Ils sont à l'origine de ces « professionnels » de l'administration,
techniciens du droit, qui remplacent au xu' siècle les conseillers
féodaux des époques antérieures.

M Le gouvernement central
Nourris de droit romain, ces légistes - Philippe de Beaumanoir,
Pierre de la Brosse en France, Pierre de la Vigne auprès de
Frédéric II - n’excluent pas totalement nobles et chefs du clergé
de la cour du monarque. Ils leur laissent les grands offices de
cour, devenus pour certains des charges sans importance poli-
tique - bouteiller ou chambrier — ou requérant une compétence
militaire — connétable —, alors qu'après le règne de Philippe
Auguste chancellerie et dapiférat demeurent sans titulaire. Ils
forment autour du souverain un conseil sans compétence par-
ticulière, sans composition fixe, sans sessions régulières, mais
où s'élaborent les décisions importantes. Lié à la constitution
du Parlement, cet organisme de consultation peut devenir sous
la forme d’un Conseil privé, regroupant favoris et serviteurs du
souverain, un véritable gouvernement: ce fut le cas en Angleterre
sous Henri III et Édouard I.
L'ancienne cour féodale {curia regis), grossie de clercs, de petits
nobles et de bourgeois, se scinde, plus tôt en Angleterre, plus
tard en France, en sessions spécialisées qui réunissent un per-
sonnel compétent, soit en matière de finances, soit en matière
ÉcHiquiER: le nom vient d'un de justice. Auprès des Plantagenêts, l’Échiquier, formé d’une
tapis quadrillé sur lequel on trésorerie et d’une Chambre des comptes, examine et note les
contrôlait les comptes des comptes des agents locaux, les sheriffs. En France se détache de
sheriffs à l'aide de jetons.
l'Hôtel du Roi, à la fin du règne de Louis IX, une commission
TEMPLE: jusqu'en 1295, les temporaire qui se réunit au Temple où se trouve déposé le trésor
Templiers de Paris ont la garde
du trésor royal.
royal pour recevoir les comptes des prévôts et des baillis; elle
formera au début du xiv° siècle la Chambre des comptes. En
matière de justice, la cour des Plantagenêts devient un tribunal
ordinaire; elle aide le roi à légiférer et à unifier le droit par la
procédure des Assises (Assises de Clarendon, Grande Assise,
Assise des Armes}, se divise en un Banc du Roi et en une
Commission itinérante, l’Eyre. Examinant les pétitions, la
Le renouveau de l'État

session judiciaire de la Cour reçoit, après les Provisions d'Ox-


ford (1258), des attributions politiques et fiscales et se transforme
en Parlement où sont admis, à la fin du xm° siècle (1295), des
représentants des bourgs et des comtés, à côté des barons ecclé-
siastiques (évêques, abbés, etc.) ou laïcs.
En France l'accroissement des prérogatives royales dans le
domaine judiciaire oblige une partie de la cour à siéger en ses-
sions temporaires à partir de 1247, à s'adjoindre des conseillers
et des juges: ainsi naît le Parlement qui se divise en plusieurs
Chambres (ordonnance de 1307}. Contrairement à son homo-
logue anglais, il ne jouit pas encore d’un rôle politique.
L'Italie angevine adopte des institutions proches de celles de ITALIE ANGEVINE :elle comprend
la France capétienne. l'Italie du Sud et la Sicile,
conquises par Charles d'Anjou à
Dans l’Empire, la Diète réunissant les grands ne fut jamais
partir de 1266.
qu'un organisme de consultation, sans grande efficacité. Une
justice royale, représentée par des tribunaux comtaux, survécut
jusqu’à la victoire des forces de dissociation au xur° siècle. Alors,
chaque principauté territoriale eut son droit propre (Landrecht)
et ses institutions particulières, de même que les communes
italiennes, dirigées par un collège de consuls puis par un
podestat, avant de passer au pouvoir d’un « capitaine du peuple ».

E Le gouvernement local
Au plan de l'administration locale, France et Angleterre se sépa-
rent. Ici, les souverains normands héritèrent des Saxons l'insti-
tution du sheriff, placé à la tête d'un comté (shire) ; en le
contrôlant par l'envoi d'enquêteurs, ils lui confièrent le pouvoir
de maintenir l’ordre, de rendre la justice, de lever les taxes et les
contingents militaires. Dans la France capétienne, le prévôt est Baiii: agent royal chargé
d'une mission temporaire
d'abord un agent domanial à la fois receveur et payeur, juge et (baillie) de contrôle, puis vers
enquêteur. Vers 1185, pour surveiller la gestion des prévôts, 1250, de l'administration d'une
Philippe Auguste charge des familiers d’une mission d'enquête circonscription bailliagère.
temporaire. Ces personnages, qui reçoivent au xII° siècle le titre
de bailli, se voient attribuer une circonscription bailliagère fixe L
en 1254 et 1256, à l'intérieur de laquelle ils jugent en appel,
encaissent les recettes royales, lèvent l’ost et transmettent les Ost, p.65.

ordres du roi. Les sénéchaux, installés dans les territoires du


midi et de l’ouest du royaume, ont des attributions semblables.
Malgré des abus, l’absence de spécialisation, l’insuffisance des
effectifs, ces serviteurs du prince ont facilité l'extension du
pouvoir royal à l’ensemble du royaume, alors qu'en Angleterre
ils ne pouvaient empêcher que s’esquisse la possibilité pour
les gouvernés d'exprimer leur consentement ou leurs réticences
face à l'autorité monarchique (le Parlement).

IV. Le prince et le pays


EH Leroiet le clergé
Pour asseoir durablement son pouvoir, le prince doit s'imposer
aux principales collectivités que comporte le pays. Cela ne va
pas toujours sans mal. Le clergé, en raison de ses traditions de
PARTIE 2 # Le Moyen Âge classique (x°-xni siècle)

culture, occupa très tôt une place de choix dans l’administra-


tion royale et s’y maintint longtemps. Les Plantagenêts confé-
raient à de simples clercs de grandes charges à la cour et les
élevaient ensuite à l’épiscopat. En Germanie, les empereurs
trouvèrent dans les évêques des auxiliaires souvent plus fidèles
à leur maître qu'au pontife romain. Les Capétiens admirent des
clercs à l'Hôtel, à la chancellerie, à la garde du trésor; ils choi-
sirent parmi eux leurs plus fidèles conseillers. Les faveurs per-

A
sonnelles accordées à des clercs ne dissimulent pas un certain
malaise. L'Église revendique la liberté des élections épiscopales
et la libre disposition de ses biens, refusant ainsi les droits de
régale et de dépouille communément pratiqués par les souve-
LS ”

Régale, p. 143.

DROIT DE DÉPOUILLE : droit pOur


rains. Elle prétend consentir à l'impôt et maintenir ses privi-
le souverain de prendre les lèges judiciaires, immunités et tribunaux d'officialité. Tout en
biens d'un évêque défunt. acceptant le triomphe des idées grégoriennes, les princes main-
OFFICIALITÉ : organe judiciaire tiennent un contrôle discret sur les élections épiscopales, impo-
présidé par l'official, agent sent des décimes aux églises, s'efforcent de réduire les immunités
chargé par un évêque de la juri- et l'exercice du for ecclésiastique.
diction épiscopale.
For ECCLÉSIASTIQUE : privilège Sauf dans l’Empire où les princes ecclésiastiques reçoivent en
qu'avait l'Église hiérarchique de 1213 et en 1220 de larges privilèges, les rois tiennent en main
juger ses propres membres. leur clergé national: le soutien qu'apportent les clercs du
royaume à Philippe le Bel dans sa lutte contre Boniface VIII
est à cet égard très probant.

H Leroiet les grands


Avec l’aristocratie, les souverains doivent composer, mais savent
aussi diviser pour régner. Les barons anglais, après avoir créé
des difficultés à Henri II (révolte des barons, 1173-1174), réus-
sissent, en imposant leur pétition à Jean sans Terre, à limiter
l'arbitraire royal et à faire respecter leurs coutumes anciennes
(Grande Charte, 1215). À la suite d’une nouvelle révolte, les
provisions d'Oxford (1258) organisent une autre forme de col-
laboration entre le monarque et le baronnage, celui-là acceptant
de consulter le Parlement, celui-ci de limiter sa turbulence en
entrant dans les conseils gouvernementaux.
Dans l’Empire, le souverain résiste d'abord aux puissants — les
démêlés de Frédéric I‘ Barberousse avec Henri le Lion sont
p. 143. célèbres —- mais doit ensuite abdiquer (Statutum de 1231 en
faveur des princes laïques]. La réaction de Rodolphe I“, après
1273, est vaine.

Tant en Germanie qu'en Italie, l'autorité impériale disparaît


devant la montée des princes, des seigneuries et des répu-
bliques urbaines. La politique royale a plus de succès dans la
France capétienne ; elle sait jouer des divisions de la noblesse,
attirer ses représentants dans la vassalité royale et dans les
institutions monarchiques. Les barons doivent admettre la
conversion de leurs alleux en fiefs, l'extension du monnayage
et de la juridiction du Capétien, l'emprise royale sur leurs
châteaux. La monarchie féodale en France absorbe les princi-
pautés, domestique l'aristocratie, mais toujours en s'appuyant
sur le droit féodal.
Le renouveau de l'État

E Leroiet les villes


Restent les villes, force politique non négligeable. Au xn' siècle,
Capétiens et Plantagenêts ont toléré le mouvement commu-
nal, ont accordé des chartes de franchise faisant de certains
bourgs des organismes autonomes. Mais les « libertés
urbaines » représentent une entrave à l'essor de l'État.
Édouard I établit sa tutelle sur Londres et surveille les villes
aquitaines. Frédéric II en Italie du Sud impose aux cités le
contrôle des agents royaux et bloque leurs velléités
d'autonomie.
Les Capétiens au xm° siècle reprennent en main les villes du
royaume, exigeant un concours militaire et financier des com-
munes, quitte à accorder leur lourde protection à quelques L
«bonnes villes ». onne ville,
p. 167.
En Germanie, Frédéric II par le statut de 1231 sacrifie aux
princes les villes qui auraient pu être les meilleurs soutiens
d’un pouvoir impérial fort, comme le montrent les tentatives
de la ligue rhénane au temps de Richard de Cornouaille.
Du côté italien, les rapports entre l’empereur et les villes se
placent sous le signe de l’affrontement. La Ligue lombarde se
constitue en 1167 pour défendre l'autonomie municipale mena-
cée par Frédéric I‘ Barberousse qui dut reconnaître son échec
au traité de Constance (1183). En 1226, de nouveau, la Ligue
se reforme pour résister à Frédéric II qui l'emporte à Cortenuova
(1237) sans pouvoir rétablir l’hégémonie impériale sur les villes
italiennes. Celles-ci sont déchirées par des luttes de tendances,
d'ordre politique, social ou simplement local; l'opposition
entre guelfes, défenseurs des libertés urbaines et plutôt favo- GueLre: de Welf, patronyme
rables à la papauté, et gibelins, souhaitant un pouvoir impérial de la famille d'Otton IV, rival
unificateur, est célèbre. L'empereur sut plutôt ameuter ses de Frédéric Il; désigne les
adversaires des empereurs
adversaires que s'appuyer sur ses partisans. germaniques.
Giseui: de Waiblingen,
À la fin du x° siècle, Empire et Chrétienté ne s'imposent nom d'un château des
plus. Des États sont nés, selon des modalités différentes, les Hohenstaufen; désigne les
uns en marche vers l’absolutisme, les autres vers un contrôle partisans d'un pouvoir
impérial fort.
du pouvoir royal, tandis que l’Empire se morcelle en princi-
pautés, en seigneuries, en communes autonomes. Les rouages
administratifs des États modernes donnent aux souverains
une autorité incontestée, tandis que le cloisonnement poli-
tique ôte aux débris de l’Empire toute possibilité de former
avant longtemps des États cohérents. En dépit de ces évolu-
tions différentes, dans tout l'Occident commencent à s'expri-
mer des sentiments nationaux favorisés par l'unification
progressive du droit, l'essor d’une langue vernaculaire, les
succès d’une littérature nationale, les heurts militaires avec
l'étranger. Les nations européennes connaissent alors leurs
premiers balbutiements.
PARTIE 2 & Le Moyen Âge classique (x°-xn siècle)

Bibliographie
aphie aidera l'étudiant à les
L'exposé qui précède ayant brisé les cadres nationaux, la bibliogr
reconstituer.

L'histoire politique:
sous la direction
Elle connaît aujourd’hui un regain de faveur. En dehors de l'Histoire de France
ra surtout CI. GAUVARD,
d'E. Lavisse et des volumes de la collection Glotz, bien vieillis, on consulte
la France : origines et
La France au Moyen Âge du v au x siècle, Paris, 1996; R. LE AN, Histoire de
e de l'État moderne
premier essor 480-1180, Paris, 1996 ;J. KERHERVÉ, Histoire de la France : la naissanc
Y, Paris,
1180-1492, Paris, 1998: le t. 3 de la Nouvelle Histoire de la France médiévale par D. BarTHÉLEM
de J.-F. LEMARIGNIE R, La France médiéval e, Paris, 2000 et ©. GuILLOT,
1990, la rééd. de l'ouvrage
ns dans la France médiéval e, t. 2, Paris, 1994. Pour une
À. IGAUDIèRE et Y. Sassier, Pouvoirs et Institutio
L'Occident
perspective européenne, voir L. GÉNICOT, Le xur siècle européen, Paris, 1968, G. Devaiiy,
du x au milieu du xur siècle, Paris, 1970 et surtout R. Fossier, Enfance de l'Europe X-xf siècle, 2 vol.
Paris, 1982.

Sur l'idéologie du pouvoir:


Voir C. BEAUNE, Naissance de la nation France, Paris, 1985 ; E. KaANTOROWICZ, Les Deux Corps du roi, Paris,
1989: J. Krven, L'Empire du roi. Idées et croyances politiques en France xf-xv siècle, Paris, 1993;
A. CHauou, L'idéologie Plantagenêt. Royauté arthurienne et monarchie politique dans l'espace
Plantagenêt (aFxur siècle), Rennes, 2001 ; F. LACHAUD, L'Éthique du pouvoir au Moyen Âge. L'office dans
la culture politique (Angleterre, vers 1150-vers 1330), Paris, 2010.

Sur la France capétienne:


En dehors des ouvrages cités au paragraphe précédent, voir F. Lor et R. Fawrier, Histoire des ins-
titutions françaises au Moyen Âge, t. 2: Les Institutions royales, Paris, 1958; M. BLocH, La France
sous les derniers Capétiens (1223-1328), Paris, rééd., 1964; J.-F. LemarIGNIER, Le Gouvernement royal
aux premiers temps capétiens (987-1108), Paris, 1968; E. Bournazet, Le Gouvernement capétien au
x siècle (1108-1180), Paris, 1975 ;M.-Th. Loran, La France au xuf siècle, Paris, 1975; À. SainT-DeNis,
Le Siècle de Saint Louis, Paris, 1994; H. MarTin, F. MENANT, B. MErDRIGNAC et M. CHAUVIN, Les Capétiens.
Histoire et dictionnaire, 987-1328, Paris, 1999; H. Couorrc-Barraun, La violence, l'ordre et la paix.
Résoudre les conflits en Gascogne du XI° au début du xuf siècle, Toulouse, 2008; B. LEMEsLE, Conflits
et justice au Moyen Âge. Normes, loi et résolution des conflits en Anjou au xF-xif siècle, Paris, 2008.

Quelques monographies:
M. Bur, Suger, Paris, 1991 ; Y. Sassier, Louis VII, Paris, 1993; R. H. Baurier (dir.), Philippe Auguste en
son temps, Actes du colloque international du CNRS, Paris, 1982; J. Bacowin, Philippe Auguste,
Paris, 1991 ; G. Due, Le Dimanche de Bouvines, Paris, 1973; J. Le Gorr et D. O'Conner, Les Propos
de Saint Louis, Paris, 1974; W. C. Joroan, Louis IX and the Challenge of the Crusades, Princeton,
1979: J. RicHaro, Saint Louis, Paris, 1983 ; G. Sivery, Saint Louis, Paris, 1983; J. R. Srraver, Philip the
Fair, Princeton, 1980. G. Sivery, Louis VIII, Paris, 1995; J, LE Gorr, Saint Louis, Paris, 1996; J. Le GoFF
(dir.), Le Sacre royal à l'époque de Saint Louis, Paris, 2001; J. Faver, Philippe IV Le Bel, Paris, 1978.
Le renouveau de l'État

Sur l'Empire:
Voir surtout M. Parisse, Allemagne et Empire au Moyen Âge, Paris, 2002 et F. Rapr, Le Saint Empire
romain-germanique, Paris, 2000. Plus complexe J.-P. Cuir, L'Allemagne médiévale, 2 vol. Paris,
1979-1984. Sur l'idéologie impériale, voir R. Forz, L'Idée d'Empire en Occident du Ÿ au x siècle,
Paris, 1953; F. Rapr, Les Origines médiévales de l'Allemagne moderne, Paris, 1989. Monographies
d'empereurs: M. Pacaur, Frédéric Barberousse, Paris, 1967; T. Van CLeve, The Emperor Frederik Il of
Hohenstaufen, Immutator Mundi, Oxford 1972; E. Kanrorowicz, L'Empereur Frédéric Il, Paris, 1987;
P. Tougerr (dir.), Federico Il, 3 vol. Palerme, 1994; P. RaQNE, Federico II. Un monarca medievale alle
prese con la sorte, Milan, 1998; Frédéric Barberousse (1152-1190), Paris, 2009.

Sur l'Italie:
Voir d'abord J.-P. Decumeau et I. HEULLANT-Donar, L'Italie au Moyen Âge w-xv siècle, Paris, 2000; puis
D. WaLey, Les Républiques médiévales italiennes, Paris, 1969; E.-G. Leonaro, Les Angevins de Naples,
Paris, 1954; P. RaQNE, L'Occident chrétien au xuf siècle : le Saint-Empire et l'Italie, Paris, 1994; H. Tavani-
Carozz, Robert Guiscard et la conquête normande en Italie, Paris, 1996; C. Maire-ViGuEuUR (dir.),
| podestà dell'Italia comunale, Rome, 2000; E. CrouzeT-Pavan, Enfers et Paradis. L'Italie de Dante et
de Giotto, Paris, 2001 ; J.-M. Mari, /talies normandes xF-xf siècles, Paris, 1994; La Pouille du vf au
xIf siècle, Rome, 1993.

Sur l'Angleterre médiévale:


L'ouvrage de base est l'Oxford History of England, R. Barterr, England under the Norman and
Angevin Kings 1075-1225, Oxford, 2000 et M. PresrwicH, Plantagenet England, 1225-1360, Oxford,
2005 à compléter par les ouvrages de J. Le Paroure, The Norman Empire, Oxford, 1976, J. GiLuiNGHAM,
The Angevin Empire, Londres, 2001 et J.-R. Mappicorr, Simon de Montfort, Cambridge, 1994.
En français, on dispose des livres de R. Forever, L'Église et la Royauté en Angleterre sous Henri Il
Plantagenèt (1154-1189), Paris, 1943, de J. Boussaro, Le Gouvernement d'Henri Il Plantagenêt, Paris,
1955 et de M. 0e Boüaro, Guillaume le Conquérant, Paris, 1984; J. Fiori, Richard Cœur de Lion, le
roi chevalier, Paris, 1999. Voir aussi La Cour Plantagenêt (1154-1204), Poitiers, 2000 et M. AUREL,
L'Empire des Plantagenêt 1154-1224, Paris, 2003; J. Favier, Les Plantagenêts. Origines et destin d'un
Empire, Paris, 2004.

Pour l’histoire politique des autres pays occidentaux:


Voir les histoires nationales citées dans l'introduction et B. Bennassar (dir.), Histoire des Espagnols,
t. 1, Paris, 1985; B. Leroy, Le Royaume de Navarre. Les Hommes et le pouvoir xué-xv siècle, Biarritz,
1995. E. ZoeLLner, Histoire de l'Autriche, Roanne, 1986; L. Musser, Les Peuples scandinaves au Moyen
Âge, Paris, 1951 et O. Kammerer, Entre Vosges et Forêt Noire : pouvoirs, terroirs et villes de l'Oberrhein
1250-1350, Paris, 2001.
Le renouveau du commerce

de Vérone au * siècle.
Le marchand: « un esclave du vice, un amant de l'argent », s'écrie l'évêque Rathier
en raison de leur
Vers 1300, les marchands sont maîtres des villes, admis par l'Église, enviés par tous
l'an Mil et la situation
puissance et de leur richesse. Entre le mépris dont les clercs les accablaient vers
Elle symbolise l'importa nce crois-
privilégiée qui est la leur à la fin du xu siècle, la distance est grande.
r de produits de luxe réservés à
sante des activités commerciales dans la vie des hommes; pourvoyeu
commerce en l'espace de trois siècles s'est étendu à
une infime minorité de puissants avant l'an Mil, le
t indispen-
des matières premières, à des denrées alimentaires, à des produits fabriqués qui deviennen
en plus larges de consomma teurs. Même s'il est exercé par une fraction
sables à des groupes de plus
n européen ne médiévale , le commerce est devenu «le moteur principal du pro-
minime de la populatio
économiq ue » (R. S. Lopez) et l'on peut justement parler d’une « révolution commercia le » qui, au
grès
temps
Moyen Âge, aurait eu des effets comparables à ceux que provoqua la révolution industrielle des
modernes. Cette révolution fut lente, progressive, n'investit pas tous les pays d'Europe; elle se caracté-
s
rise par de nombreuses innovations dans la technique des affaires; elle crée un vaste réseau d'échange
qui s'étend au xnf siècle sur la plus grande partie de l'Europe.

I. Les origines du renouveau commercial


À l'époque carolingienne, les spécialistes du commerce étaient
encore peu nombreux: quelques milliers de Juifs, d’Italiens,
originaires des régions restées longtemps byzantines, s'ajou-
taient à des négociants indigènes pour lesquels les activités
commerciales n'étaient pas les seules ressources. Or, entre le
x° et le xr siècle, le groupe jusque-là restreint des marchands
s'enrichit d'apports nouveaux: des intermédiaires que des sei-
gneurs chargent de vendre quelques surplus agricoles, des
débardeurs et bateliers, des fils de paysans préférant à la misère
des manses surpeuplés les hasards du colportage, des déraci-
nés de toutes origines qui se joignent à quelque caravane ou
s 0 s'engagent comme marins dans les villes ouvertes sur la mer.
nd ; C'est le signe d’un renouveau commercial dont les origines
Gi p.101. sont encore mal distinguées.

& Le rôle de la Méditerranée


Pour certains (M. Lombard), l'Orient musulman, où se forment
de grandes villes consommatrices - Bagdad, Damas, Le Caire,
Kairouan, Cordoue -, manque de matières premières telles
que le bois, le fer, l’étain, et de main-d'œuvre. Il incite donc
l'Occident à exporter des esclaves, des minerais et du bois. En
ce sens, contrairement à ce que pensait H. Pirenne, la forma-
tion du monde musulman aurait provoqué le réveil commer-
cial de l'Occident chrétien. Pour d’autres {Lynn White jr.}, les
origines du renouveau ne viennent en rien d’une incitation
extérieure; le progrès des techniques agricoles et militaires
Le renouveau du commerce

aurait stimulé la production occidentale, de telle sorte que


des surplus agricoles se trouvaient disponibles; les premiers
marchands occidentaux ont eu pour rôle de les écouler.

Ces explications sont sans doute trop systématiques. Plutôt que


de rechercher une cause unique, il vaut mieux constater que
dans des régions diverses existent des éléments de renouveau.
À partir de ces premiers foyers, le progrès commercial gagne
lentement des pays tout entiers. C’est le cas de l'Italie et du nord
de l'Occident. En Italie, l'occupation des régions intérieures par
les Lombards a obligé les villes côtières restées byzantines à se
procurer par mer des moyens de subsistance. Gaète, Amalfi,
Salerne, Bari et Venise peuvent aussi acquérir à bon compte les
objets exportés de Byzance; pour ces raisons une bourgeoisie
marchande, d’origine italo-byzantine, se forme qui supplée les
Orientaux dans leurs fonctions d’intermédiaires et obtient de
pouvoir fonder des établissements commerciaux à Constantinople
dès le commencement du x‘ siècle. En mer Tyrrhénienne, des
villes comme Pise et Gênes chassent les Sarrasins de Corse et
de Sardaigne, les poursuivent jusqu’en Berbérie et accumulent
dans ces expéditions punitives un butin qu’elles investissent
ensuite dans le commerce. À cela s'ajoutent les gains obtenus
par la vente des produits agricoles; dans certains cas, les profits
de la richesse foncière ont donné naissance à un capitalisme
commercial. L'essor démographique, que ne suit pas le progrès
des terres disponibles, pousse des cadets de familles nobles à
quitter la terre. Le commerce est pour eux une « frontière ». On
emprunte enfin des traditions byzantines et musulmanes, en
matière de constructions navales et de contrats d'association,
favorisant la réunion de capitaux.

À partir des régions côtières, l'élan gagne les villes de l’intérieur.


Dès la seconde moitié du xr‘ siècle, les populations urbaines de
l'Italie sont suffisamment habituées aux affaires pour saisir les
chances que leur offre la première croisade: construction de
navires pour l’acheminement des croisés et l'envoi de troupes
de secours, participation aux opérations militaires en Syrie-
Palestine, à la suite desquelles les grandes cités italiennes obtien-
nent un quartier ou fondouk dans les villes conquises, diverses
exemptions fiscales, l'autonomie judiciaire. D'autre part Venise,
1082: Alexis | Comnène
Pise et Gênes, entre 1082 et 1155, renforcent leurs privilèges à
concède à Venise un chryso-
Constantinople ou s/y établissent. Ces conditions favorables bulle (bulle d'or) exemptant les
stimulent les échanges entre l'Orient et l'Italie. Important les marchands vénitiens de tout
précieuses épices, la soie et le coton, la péninsule devient droit de douane dans l'Empire
l'intermédiaire obligatoire entre l'Occident et les mondes byzan- byzantin.
tin et musulman lorsqu'elle se charge d'y répandre dès le xn°
siècle la draperie des Flandres.

Æ Le rôle des mers nordiques


Le nord de l’Europe aussi connut un essor commercial précoce.
Dans le monde scandinave des lieux d'échange ou wiks, tel
Haithabu dans le Jutland, jalonnent les routes de la Baltique.
À la croisée de ces routes se trouve l’île de Gotland dont les
habitants fondent un comptoir à Novgorod vers 1080, tandis
PARTIE 2 Le Moyen Âge classique (xf-xnf siècle)

que des Russes gagnent le Danemark. Vers l’ouest, les voies


fluviales de la Meuse et du Rhin n’ont pas cessé d’être animées:
des Mosans se rendent en Angleterre, de même que des
Allemands de Cologne et de Brême qui obtiennent un comptoir
à Londres vers 1130 (le Guildhall). Mais surtout les progrès de
la draperie des Pays-Bas incitent les Flamands à compléter leur
production de laine par des achats en Angleterre et à exporter
leurs draps dans toutes les régions nordiques. Gand et surtout
Bruges deviennent de grandes places commerciales avant même
que s’y établissent les marchands allemands au début du
xt siècle, les Italiens dans les décennies suivantes.

& La vie du marchand


Tant en Italie que dans le nord de l’Europe, les marchands
connaissent une extrême mobilité, se déplaçant toute l’année,
sauf pendant les mois d’hiver. Mais les colporteurs à la merci
des seigneurs pillards, des nobles refusant de payer leurs dettes,
des villes aux taxes outrancières, savent très vite se grouper
GUILDE :association de secours pour se défendre. Les premières « guildes » ou « charités » appa-
mutuel entre marchands, puis raissent dans les Flandres à la fin du xi‘ siècle et se répandent
groupement professionnel. dans la région rhénane, en Angleterre et dans le Bassin parisien.
Ces associations, qui ont à l’origine un caractère religieux et
charitable, deviennent des groupements professionnels organi-
sant des caravanes, regroupant des capitaux, installant dans les
villes étrangères un consul chargé de défendre leurs ressortis-
sants. L'une des plus célèbres est l'« association des marchands
allemands saisonniers de Gotland », fondée en 1161, et qui est
à l'origine de la Hanse germanique. À Paris, la Hanse des mar-
chands de l'Eau entend réserver à ses membres le monopole de
la navigation sur la Seine jusqu'à Rouen. Les difficultés du
commerce imposaient de tels regroupements.

Il. Les conditions techniques du commerce,


M Transports terrestres
Sur sa route, le marchand rencontre bien des obstacles. Le
réseau routier romain, mal entretenu, a été progressivement
abandonné au profit de nouveaux tracés, plus sinueux, reliant
monastères et châteaux, pénétrant dans de nouvelles aires de
défrichement, portant l'empreinte de volontés politiques,
comme celles des rois capétiens faisant de Paris leur capitale.
On se soucie peu d'entretenir ces nouveaux chemins et si cer-
tains, comme le montre l'archéologie, ont pu supporter le poids
de lourds chariots, la route médiévale est plutôt le chemin où
l'on s'efforce de passer. Franchir les montagnes ou plus sim-
plement fleuves et rivières n'est pas chose aisée, malgré
l’ardeur de confraternités, de communautés d'usagers ou de
villes pour aménager des ponts à grands frais: la route du
Saint-Gothard, la plus courte entre l'Allemagne et l’Italie, fut
ouverte en 1237 quand y fut jeté un pont suspendu. Ces
Le renouveau du commerce

travaux ont pour contrepartie la multiplication des péages


dont la charge peut détourner des trafics. Aussi, plutôt que
des chariots lourds, ce sont des charrettes, des convois de
mulets, de chevaux transportant des marchandises de valeur
et de faible poids qui circulent sur la route médiévale. Le coût
du transport par voie de terre exclut les denrées pondéreuses,
« les marchandises pauvres ».

On réserve celles-ci aux voies fluviales. Grâce à des barques


à fond plat, de lourdes charges peuvent être portées fort en
amont de rivières jugées aujourd’hui peu navigables. Le P6 et
ses affluents sont remontés au-delà de Pavie; sur la Loire le
trafic est intense. Meuse et Moselle prolongent vers le nord
la navigation rhodanienne; la Seine fit la fortune de Paris et
de Rouen, la Tamise celle de Londres, le Rhin celle de Cologne.
En Flandre un réseau de canaux construits à partir du xio‘siècle
relie entre elles les grandes villes. Mais ici encore de trop
nombreux péages élèvent le coût du transport.

M Transports maritimes
Sur mer, les conditions sont tout autres, les transports mari-
times s’adaptant mieux à la diversité des cargaisons et permet-
tant de véhiculer des « marchandises pauvres » sur de grandes
distances. Pourtant, là encore, les obstacles ne manquent pas:
la piraterie opposant d’abord Chrétiens et Sarrasins, puis les
=
Chrétiens entre eux au hasard des rivalités politiques et des
concurrences économiques, les risques de mer imposant une Navire à gouvernail d'étambot, 1250.
D'après le sceau de Wismar.
navigation au plus près des côtes et excluant les longs voyages
d'hiver. Pour diviser ces risques, les navires et leur cargaison
sont répartis en parts, vendables et transmissibles (loca, sortes,
carats), créant entre leurs propriétaires des associations éphé-
mères renforcées dès la fin du xm° siècle par des contrats d’as-
surance maritime; d'autre part les villes maritimes italiennes
font escorter par des navires de guerre les bateaux marchands
groupés en convoi (mude à Venise). Malgré l'amélioration des
techniques de construction navale, la capacité des bâtiments
reste faible; dans les mers nordiques, le knar scandinave est
remplacé à la fin du xu‘ siècle par des navires ronds et pontés,
Nef méditerranéenne, xiv° siècle
les koggen, maniables et rapides, dont les plus gros transpor-
tent moins de 500 tonnes de marchandises. En Méditerranée,
l'on utilise longtemps la nave à deux mâts, portant la voile
latine, avant que se répande, sous l'influence de traditions
romano-byzantines, la galère à pont unique servant à la guerre
comme au commerce. Sa capacité ne dépasse pas 600 tonnes
au xur siècle. À cette date, quelques inventions qui améliorent
les techniques de navigation commencent à apparaître:
le gouvernail d'étambot, la boussole, les astrolabes et les ASTROLABE: instrument per-
premières cartes maritimes ou portulans. mettant de déterminer la hau-
teur des astres au-dessus de
l'horizon.
E Les foires PorTULAN: carte marine don-
Les escales nombreuses ne suffisent pas aux marchands nant la description des ports et
des côtes.
itinérants. Il leur faut des rendez-vous périodiques, où ils
PARTIE 2 Le Moyen Âge classique (x°-xii* siècle)

y en eut dans
puissent traiter d’affaires en gros, les foires. Il
toutes les régions animées par le comme rce: foires d'Angleterre
Ives, Stamfo rd), de Flandr e (Bruge s, Ypres,
(Winchester, Saint
ut}, d'Itali e (Véron e, Milan} , du domai ne royal
Lille, Thouro
agne. Celles-ci
français (Saint-Denis) et surtout de Champ
mble du comme rce
dominent aux xnet x siècles l’ense
n’est pas dû aux hasard s de la
international. Leur succès
t de la Champ agne l'étape interm édiair e
géographie, faisan
des
entre les Flandres et l'Italie, mais à l’action intelligente
t » des foires
comtes accordant aux marchands par le « condui
s
une protection qu'ils s'efforcent d'étendre au-delà des limite
des gardes de foires chargé s
de leur comté, instituant aussi
i
de veiller à la sécurité des marchands, d'exercer sur ceux-c
une juridi ction, de rédige r en leur faveur des contra ts de
toutes sortes, exécutoires dans tout l'Occident. Les comtes
favorisent aussi la venue des étrangers en construisant des
logements où se regroupent, sous la direction d’un consul,
les marchands de même origine: Italiens, Languedociens,
Provençaux, Catalans, Flamands et Français du Nord
(Arrageois) forment ainsi des communautés protégées par
l'autorité comtale.

Les six foires établies dans quatre villes (Provins, Troyes,


Lagny, Bar-sur-Aube] forment un cycle couvrant presque toute
l'année. De 1150 à la fin du x siècle, toute l’Europe mar-
chande se retrouve en Champagne: les Flamands y vendent
draps et toiles, les Italiens les soieries, épices et produits de
luxe, les gens du Midi français des cuirs, les Allemands des
fourrures et des cuirs. Les échanges ne se règlent pas néces-
sairement au comptant; on prend l'habitude de régler les dettes
par compensation, de transférer des créances de foire en foire.
Sous l'influence des Italiens, en particulier des gens de Sienne,
de Florence et de Plaisance faisant connaître à tout l'Occident
BILLET À ORDRE: Promesse l'usage des lettres de foire, des billets à ordre, des contrats de
écrite par laquelle un débi- change, les foires de Champagne perdent une partie de leur
teur s'engage à rembourser importance commerciale et deviennent dans la seconde moi-
son créancier à échéance
déterminée. tié du xur siècle la grande place de change de toute l’Europe.
L'apogée des foires précède de peu leur déclin. Dès le début
du xiv° siècle s’efface leur rôle financier. Des Italiens vont
s'établir en Flandre, en Angleterre où ils achètent directement
draps et laines, à Paris même qui devient grâce aux Lombards
une grande place financière. Le développement d’une industrie
textile en Italie crée des difficultés à la draperie flamande. De
nouvelles voies, s'écartant de la Champagne, relient l'Italie
au nord de l’Europe, par les Alpes suisses et, par mer, de Gênes
et Venise à Bruges et Southampton.

Surtout, un changement des structures commerciales entraîne


le remplacement progressif du marchand itinérant par un
$ :
acteur, p. 282. marchand sédentaire représenté par des associés et des fac-
teurs dans les principales places de commerce. Les rendez-vous
périodiques aux foires sont désormais inutiles. Les foires de
change qui survivent à la fin du Moyen Âge ne sont plus que
des rencontres de spécialistes, et non ce vaste concours des
Le renouveau du commerce

marchands de toute l’Europe que connurent les quatre villes


de Champagne.

Ill, Problèmes de la monnaie et du crédit


L'intense essor commercial, stimulé par les foires, supposait
que fût accru le volume des moyens de paiement à la disposi-
tion des marchands, et résolu le problème du crédit, que com-
pliquaient les interdictions canoniques en matière d'intérêt.

B La monnaie
Vers l'an Mil, l'Occident connaissait un système monétaire
proche de celui qu'avait institué Charlemagne: une monnaie
En |
d'argent, le denier, douzième partie du sou; deux monnaies
de compte, la livre et le sou, vingtième partie de la livre. Les
deniers, frappés par une multitude d'ateliers monétaires uti-
lisant plus de cuivre que d'argent, s'étaient avilis. En raison
des besoins du commerce renaissant, on mit en circulation
les métaux précieux immobilisés dans les trésors laïques ou
ecclésiastiques. On s’efforça de développer l'extraction minière
en Saxe, dans le Harz et en Bohème, sans grand résultat; grâce
aux excédents du commerce italien, on recueillit dans les
ports de Berbérie l'or du Sénégal. Ces nouveaux apports de
métaux précieux furent utilisés dans la frappe d'espèces moné-
taires de valeur supérieure par leur poids et leur titre aux
deniers post-carolingiens: Venise en 1202, suivie par d’autres
villes italiennes, émit des « gros » d'argent ou matapans, copiés GROS: Un gros vaut un sou;
ensuite dans tout l'Occident. Saint Louis en 1266 limita les c'est, pour le sou, le retour à la
frappes seigneuriales et créa le gros tournois (4,22 g d'argent), monnaie réelle.

très prisé dans le commerce international. Entre-temps, après


que la Catalogne en 1035 et la Castille en 1172 eurent imité
les monnaies d’or musulmanes, Gênes et Florence avaient
émis en 1252 des pièces d’or, le génois et le florin pesant 3,53 g.
Le succès de ce monnayage incita Venise à frapper dès 1284
le ducat, qui devint rapidement l'instrument des échanges
internationaux, le « dollar du Moyen Âge ». Saint Louis avec
l'écu, Henri III avec le penny d’or émirent eux aussi des pièces
d’or qui n’eurent pas grand succès.

Malgré ces nouvelles frappes, le volume des moyens de paie-


ment ne s’ajustait pas au volume des transactions commer- Le retour à la monnaie d'or:
ciales. On eut recours à des expédients dangereux, les refontes le florin d'or de Florence (1252)
accompagnées de dévaluations, qui, comme au temps de
Philippe IV le Bel, bouleversèrent le jeu économique. On fit
appel de plus en plus à la monnaie scripturaire et au crédit.

H Le problème du crédit
Ce n'était pas chose facile. L'Église condamnant l'usure en
confondant celle-ci avec le prêt à intérêt, l’on dut rechercher
des solutions satisfaisant à la fois la conscience des marchands
et les besoins du commerce: prêts gratis et amore, selon les
PARTIE 2 » Le Moyen Âge classique (x°-xii° siècle)

mes et
termes des contrats, dissimulant l'intérêt, prêts mariti
lesque ls les risque s courus par les
contrats de change dans
aient la percep tion d'un intérêt , lettres de
créanciers justifi
de change
paiement et lettres de foire, annonçant la lettre
années
dont les premiers exemples remontent aux dernières
pratiq ues s'illus trèrent moins
du xnr siècle. Dans toutes ces
gages, les Cahors ins, interm édiair es
les Juifs, prêteurs sur
Langu edoc et l'Angle terre, les Lombar ds, gens d’Asti
entre le
et de
et de Chieri établis dans certaines villes de Flandre
s apparu s au xIr° siècle dans
France, que des banquiers italien
les principales places de comme rce de la pénins ule; spécia-
,
listes du change manuel, ils se mirent à recevoir des dépôts
à effectuer des paiements pour le compte de leurs clients, des
VIREMENT: transfert de fonds virements et des compensations d'une place à l’autre, par
d'un compte d'une personne exemple entre les villes d'Italie et les foires de Champagne.
au compte d'une autre On l'a maintes fois souligné, la banque est née du change.
personne.

B Les formes d'association commerciale


À mesure que se développaient les activités commerciales, les
capitaux propres aux marchands ne pouvaient suffire. L'appel
au crédit fut facilité par des associations financières et com-
merciales, de durée plus ou moins limitée. Dans les villes
p. 102. maritimes italiennes, l'on adopta généralement les contrats
de commenda, de collegantia et de societas maris, conclus
devant un notaire. Ces accords mettent en présence un ou
plusieurs commanditaires, et un ou plusieurs marchands iti-
nérants. Dans la commenda, le marchand reçoit un capital
sans en apporter lui-même; dans la collegantia et la societas
maris, le commanditaire avance les deux tiers du capital qui
CONTRATS COMMERCIAUX
s'ajoutent à l'apport personnel du marchand (un tiers). Les
CAPITAL | BÉNÉRICE
pertes sont supportées par le prêteur, les bénéfices répartis
Commenda
entre l’emprunteur et le commanditaire, en proportions
variables. Les contrats sont généralement limités à la durée
Marchand sédentaire | Totalité | 3/4
Marchand itinérant 1/4
d'un voyage; ils permettent à de petites gens de participer aux
==} risques du commerce, à côté de gros commanditaires, À des
CAPITAL BÉNÉFICE marchands entreprenants de réunir de gros capitaux, sans
Societas maris apport personnel, et si la chance les aide, de se hisser dans
ou Collegantia l'aristocratie des hommes d’affaires.
Marchand sédentaire | 2/3 1/2
Marchand itinérant 1/3 Ve En Italie toujours, mais surtout dans les villes de l'intérieur,
l'on vit naître d’autres associations, les « compagnies », regrou-
pant autour d’un noyau familial plusieurs associés, bailleurs
de fonds, mettant toute leur activité au service de la société,
allant diriger des succursales dans les plus grandes places
commerciales du monde méditerranéen et occidental. Ces
compagnies acceptaient des dépôts constitués par leur person-
nel ou par des tiers auxquels un intérêt était versé. Elles
n'avaient généralement pas d'activités spécialisées, faisant
commerce de tout, dirigeant la fabrication ou la finition des
draps, se livrant à des opérations bancaires: change, virements,
règlements de place à place et surtout prêts aux papes, aux rois,
aux princes et aux villes, dont elles percevaient les revenus ou
qu’elles conseillaient en matière de finances. Dans la seconde
moitié du x siècle, les plus connues de ces compagnies furent
Le renouveau du commerce

celles des Tolomei et des Buonsignori de Sienne, des Frescobaldi


de Florence. Réalisant un chiffre d’affaires largement supérieur
aux revenus habituels des princes, elles étaient cependant « des
colosses aux pieds d'argile » (A. Sapori), menacées de faillite
car les prêts inévitables consentis aux princes {les Frescobaldi
ont avancé 122 000 livres au roi d'Angleterre) rendaient insuf- p. 143.
fisante la couverture des dépôts. La moindre panique provo-
quait le rush des déposants et la banqueroute.

Toutes ces associations, temporaires ou durables, mirent à la


disposition des hommes d’affaires des capitaux abondants,
particulièrement en Italie où la baisse des taux d'intérêt de
20-25 à 8-12 % prouve que le crédit commercial est devenu
une pratique habituelle, que le monde des affaires a gagné des
couches de plus en plus larges de la société. Tant par leurs
techniques que par leur place dans les échanges, les Italiens
s'imposent partout en Occident à la fin du xur siècle.

IV. Le grand commerce international


au x* siècle
Les années 1250-1290 sont considérées comme l’époque d’apo-
gée de la révolution commerciale de l’Europe médiévale. Les
cités italiennes ont réussi à créer le plus vaste empire écono-
mique que le monde ait connu, un empire qui s'étend de
l'Angleterre à la mer Noire, des oasis du Sahara jusqu'au cœur
de l'Asie où se risquent aventuriers et marchands (Marco Polo
et bien d’autres). Les effets du grand commerce et de l’écono-
mie monétaire se font sentir dans toute l’Europe, isolant
quelques zones peu animées, mettant face à face des écono-
mies peu développées (Allemagne du Sud, Angleterre, pénin-
sule Ibérique à l'exception de la Catalogne, et dans une moindre
mesure France méridionale) et des économies dominantes
(Flandre et Allemagne du Nord, Italie}. De grandes sociétés,
de véritables cartels non spécialisés, s'appuyant sur la puis-
sance politique d’une ville ou d’un État, dominent le monde
des échanges. Deux grands axes commerciaux l’emportent, la
Méditerranée et les mers nordiques; entre ces deux ensembles,
les routes terrestres et maritimes créent de multiples liens.

EE En Méditerranée
En Méditerranée la reconquête chrétienne et les croisades ont
chassé les Musulmans du grand commerce maritime qui passe
aux mains des Italiens et à un moindre degré à celles des
Catalans. Aucune spécialisation dans les échanges quoique
les épices l’emportent dans le sens est-ouest, les étoffes dans [S
l'autre. Mais le trafic porte aussi sur des matières premières
nécessaires à l'industrie textile, l’alun d'Asie Mineure, le coton
Alun, p. 276.

du Proche-Orient, la laine d'Afrique du Nord; sur le bois et


les métaux transportés par les Italiens en Égypte, malgré la
rigueur des interdictions pontificales; sur les cuirs et les peaux
PARTIE 2 & Le Moyen Âge classique (xi*-xn° siècle)

pro-
exportés d'Asie Mineure et d'Afrique du Nord; sur des
blés de Crimée , des régions danubi ennes
duits alimentaires,
et de
et de Sicile, vins des îles grecques, sel des Baléares
et de Chypre ; sur
Provence, sucre de canne de Mésopotamie
uant par leur coût une grande
des produits de luxe provoq
du
concentration de capital, les épices, dont le manuel
Florent in Pegolot ti énumèr e près de trois cents types — drogues ,
médicaments, condiments et colorants — , les tissus de soie,
MoussELINE :de Mossoul. Toile mousselines et damas, les fourrures venues des terres russes
de coton fine et apprêtée. par la mer Noire. À partir de la fin du xn‘ siècle, la large dif-
Damas: du nom de la ville fusion des draps flamands, assurée par les Italiens, équilibre
syrienne. Étoffe de soie à des- dans la balance des comptes l'importation des denrées
sins en relief mêlant ensemble orientales.
satin et taffetas.
On aurait tort de négliger les profits que procure le transport
des hommes, pèlerins et croisés s'embarquant sur les navires
génois et vénitiens, esclaves provenant des régions pontiques
et vendus à Alexandrie par des maquignons italiens.
Denrées alimentaires et matières premières constituent la
plus grande partie des cargaisons, mais en valeur épices et
tissus de luxe l’emportent. Le commerce méditerranéen
s'ordonne donc autour des routes des épices plus ou moins
contrôlées par Byzance et les pays musulmans: routes de la
mer Rouge et du golfe Persique, routes continentales aboutis-
sant à Tana, au fond de la mer d'Azov, à Trébizonde ou en
Petite Arménie. Les Italiens cherchent par tous les moyens à
s'en rendre maîtres: détournement de la quatrième croisade
et création d’un Empire latin dominé par Venise, croisades
contre l'Égypte, luttes pour maintenir les États francs de Syrie-
Palestine. Mais loin d’être unis, les marchands chrétiens sont
en concurrence très vive; la rivalité entre Gênes et Venise,
les projets angevins en Méditerranée empoisonnent les
rapports entre l'Orient et l'Occident, troublent les échanges.

M Dans les mers nordiques


Dans les mers nordiques, le contraste avec le commerce médi-
terranéen est vif. Plus de soieries, d'épices, de produits de luxe,
mais des denrées alimentaires et des matières brutes. Des
pays peuplés, comme la Flandre, le Brabant, dépendent de
l'étranger pour leur ravitaillement; le nord de la France et les
régions rhénanes leur fournissent des grains, la Hollande et
la Scandinavie du beurre, la Scandinavie des harengs, le
Lunebourg en Saxe et la baie de Bourgneuf sur la côte atlan-
tique du sel. Le bois de construction vient d'Allemagne du
Sud, de Scandinavie, de Pologne et de Russie qui fournit aussi
la poix. La laine est achetée en Angleterre qui exporte près
de 30 000 sacs par an à la fin du xmr siècle, les métaux cou-
rants en Saxe et en Suède. Les draps flamands exportés partout
servent de monnaie d'échange.
Si les routes italiennes atteignent vers les années 1300 les
ports de Flandre et d'Angleterre, au-delà de Bruges s'étend
l'empire commercial germanique couvrant la mer du Nord, la
Baltique, la Scandinavie et les terres de l'Est jusqu’à Novgorod.
Le renouveau du commerce

B L'expansion germanique
L'expansion germanique, favorisée par la fondation de Lübeck
en 1158 et par la paix conclue en 1161 entre Allemands et
Gotlandais, touche tous les secteurs géographiques. C’est vers
l'est, la colonisation des côtes de la Baltique - Rostock,
Stralsund, Stettin -, la fondation de Riga en 1201, l'occupation
de la Lituanie par les Chevaliers teutoniques en 1236; vers le
nord, la fondation de Stockholm en 1251, l’afflux des mar-
chands en Suède, en Scanie, en Norvège, pays fournisseurs de
cuivre, de poisson salé et de peaux; vers l’ouest, l'association
des Esterlins réalise la liaison maritime régulière entre la mer EsTerLiNs: marchands en
du Nord et la Baltique dans la seconde moitié du xur° siècle, provenance de l'Est, venant
s'établit à Londres où elle fusionne avec la Hanse des gens de a En PANAEESREN
Cologne, à Bruges, obtenant en 1252-1253 de grands privilèges 4 |
commerciaux. À la fin du xur siècle des accords conclus entre
les villes de la Baltique annoncent la création de la Hanse des
villes, dominée par les Lübeckois.
Entre ces deux ensembles commerciaux, Méditerranée et mers
nordiques, des liens se tissent très tôt. Liens terrestres par les
cols des Alpes, la vallée du Rhône et, bien sûr, les foires de
Champagne; liens maritimes avec l'installation des Italiens
à Southampton, à Londres et à Bruges, et la création au début
du xiv* siècle de lignes maritimes régulières entre l'Italie et
les Flandres, avec aussi l’intense activité des flottes nordiques
descendant jusque sur les côtes atlantiques françaises où elles
chargent le sel de Bourgneuf et le vin d'Aquitaine, consommé
en Angleterre (750 000 hl par an, pense-t-on).

Ce tableau donne l'impression d’une vie économique intense,


de formes commerciales précapitalistes. En fait les échanges
restent, en volume, très limités sauf pour le vin d'Aquitaine:
ils satisfont les besoins des classes les plus élevées des villes
qui regroupent une proportion minime de la population occi-
dentale. La lenteur des transports, la faiblesse des tonnages,
l'insécurité permanente des marchands, les confiscations et
dévaluations monétaires constituent des freins évidents à la
révolution commerciale. Même les pays les plus évolués
comme l’Italie et la Flandre restent plus ruraux qu'urbains.
Les grandes affaires sont à la merci de l'humeur des princes
ou de leur solvabilité. Si l'économie monétaire réussit lente-
ment à l'emporter sur l'économie naturelle, le grand commerce,
dans ses techniques comme dans ses débouchés, « ne touche
encore qu’une minorité » [L. Génicot).

L'état de la recherche
Le commerce des épices
aste ensemble de produits poivre et le gingembre que l'on a longtemps considéré
Net tincto- le sucre, l'alun et le coton, les comme le facteur essentiel
riaux et pharmaceutiques, épices ont été dans le monde du renouveau du grand com-
comprenant aussi bien le médi l'objet d'untraficque
éval merce international à partir
PARTIE 2 Le Moyen Âge classique (x®-xuf siècle)

italiens et catalans se livrent Rouge la voie privilégiée vers


de l'an Mil. Dans sa Pratica
della mercatura, manuel de à une concurrence sévère. l'Extrême-Orient par Aden.
Les Vénitiens l'emportent Des Indes, leurs navires arri-
commerce rédigé vers 1340,
le Florentin Pegolotti donne de loin en acheminant vers vent à Aydhab, d'où les épices
une liste de 286 épices pro- Alexandrie une à trois galères sont transportées à dos de
venant de l'Extrême-Orient, par an à la fin du xv° siècle, chameau vers le Nil, à Assouan
de la Chine et de l'Inde, de trois à cinq, cent ans plus tard, d'abord puis à Qus; elles
la Perse et de l'Asie centrale, et deux à trois galères vers descendent alors le fleuve
du Proche-Orient et de Beyrouth où les chargements vers Fustat (Le Vieux Caire)
l'Égypte, aussi bien que des de coton syrien rivalisent et Alexandrie. Au milieu du
régions riveraines du bassin avec les balles d'épices. Fort x siècle, la conquête mon-
méditerranéen et de ses mers d'investissements annuels gole de Bagdad et la création
annexes. C'est dire la diversité de l’ordre de 400 000 ducats, des khanats tatars redonnent
des trafics selon la provenance le commerce vénitien des vie aux vieux itinéraires ter-
et la nature des produits qui, épices atteint son apogée à restres vers la Chine et l'Inde,
après avoir suivi les flux cara- la veille des conquêtes por- connus dès l'Antiquité, et
vaniers, transitent par les pays tugaises. Génois, Catalans parcourus à la fin du xii° siècle
de l'Orient méditerranéen, et Anconitains, qui envoient par Marco Polo et ses émules
pour passer ensuite aux mains une ou deux galères par an vénitiens et génois. Jusque
des hommes d'affaires italiens. à Alexandrie et Beyrouth, vers 1350, les épices et la soie
occupent le second rang. d'Orient arrivent surtout par la
[ee commerce des épices Barcelone et les grands ports mer Noire. La levée des inter-
présente deux caractères italiens deviennent les grands dits pontificaux du commerce
majeurs: sa segmentation centres de redistribution avec les Sarrasins, contem-
dans l'espace et la fluctuation en Occident et jusque dans poraine de la désagrégation
desitinéraires qu'il emprunte. l'Europe du Nord. des khanats mongols, attire
Bien que les navires du Golfe à nouveau les Occidentaux
Persique arrivent jusqu'à dre grandes voies intercon- vers Alexandrie et Beyrouth
Canton, Chinois et Indiens tinentales ont été succes- qui restent jusqu'à la fin du
dominent le commerce des sivement ou simultanément Moyen Âge les grands mar-
épices entre l'Extrême-Orient utilisées pour le commerce chés des épices d'Orient,
et l'Inde. Les Arabes prennent des épices entre l'Extrême- dont le contrôle engendre de
alors le relais et préservent Orient et la Méditerranée. véritables querres coloniales
jalousement leur monopole Dès les premières conquêtes entre Venise et Gênes. Leur
du trafic jusqu'en Égypte de l'Islam, le Golfe Persique suprématie n'est remise en
par la mer Rouge, ou en devient la principale voie cause qu'en 1498 avec l'arrivée
Syrie-Palestine par le Golfe vers les Indes et la Chine, à aux Indes de Vasco de Gama,
Persique et le trafic carava- partir de Basra, d'Oman et ouvrant la voie portugaise des
nier du Croissant fertile. Dans de Siraf. installés en Égypte épices par le contournement
les ports du Proche-Orient en 969, Les Fatimides veulent de l'Afrique.
(Alexandrie, Acre et Beyrouth) concurrencer les Abbassides
les hommes d'affaires de Bagdad et faire de la mer

TE EN TNT NT NUS ES EEE


RSA

Bibliographie

Sur le renouveau commercial:

On lira les pages célèbres d'H. PIRENNE, Histoire économique et sociale du Moyen Âge, Paris, rééd.
1969, p. 75-143, que vient fortement nuancer l'ouvrage de R. Hooces et D. WhrreHouse, Mahomet,
Charlemagne et les origines de l'Europe, Paris, 1983. Deux synthèses aisément accessibles: J. Le Gorr,
Marchands et Banquiers du Moyen Âge, Paris, rééd. 1969 et R. S. Lopez, La Révolution commerciale
dans l’Europe médiévale, Paris, 1974, à compléter par J. Far, De l'or et des épices. Naissance de
Lé renouveau du commerce

l'homme d'affaires au Moyen Âge, Paris, 1987 et par la publication de la Société des Historiens
médiévistes de l'Enseignement supérieur public, Le marchand au Moyen Âge, Nantes, 1992.

Sur les constructions navales:


Voir les actes des colloques internationaux d'Histoire maritime publiés par M. Morar, Paris,
1957-1980; C. ViLLAIN-Ganoossi, S. BussuriL et P. Anam, Medieval Ships and the Birth of Technological
Societies, 2 vol. Malte, 1989-1991 et Ch. Sicer, History of Technology, t. 1, Oxford 1956; R.W. UNGer,
The Ship in the Medieval Economy 600-1600, Londres, 1982.

Sur les foires et la monnaie:


Voir le t. 5 des Recueils de la société Jean Bodin, Bruxelles, 1953 (article de R-H. Bautier sur les
foires de Champagne); S. CavacioccHi (éd), Fieri e mercati nella integrazione delle economie europee
(secc. XIII-XVIII). Atti della Settimana di Studi dell'Istituto internazionale di storia economica
«F. Datini », Florence, 2001: E. FourniaL, Histoire monétaire de l'Occident médiéval, Paris, 1970;
Ph. GRiERsON, Monnaie et Monnayage, Paris, 1976; P. Spurroro, Money andits use in medieval Europe,
Cambridge, 1988 et J. Day, Monnaies et Marchés au Moyen Âge, Paris, 1994.

Sur les hommes d'affaires et leurs techniques:


Voir A. Sapori, Le Marchand italien au Moyen Âge, Paris, 1952 (abondante bibliographie) ;
Y. Renouaro, Les Hommes d'affaires italiens du Moyen Âge, Paris, 1968 et du même, Études d'His-
toire médiévale, 2 vol. Paris, 1968; J. Le Gorr, La Bourse et la Vie, Paris, 1986. Exemples de contrats
commerciaux dans R. S. Lopez et I. W. Raymono, Medieval Trade in the Mediterranean World, New
York, 1955: J.-C. Hocauer, Venise et la mer xf-xvif siècle, Paris, 2006.

Sur le commerce en Méditerranée:

La meilleure synthèse sur le commerce en Méditerranée est encore celle de W. Hevo, Histoire
du commerce du Levant au Moyen Âge, 2 vol. rééd., Amsterdam, 1967, à compléter par les
ouvrages de F. THirier, La Romanie vénitienne au Moyen Âge, Paris, 1959, de M. BaLaro, La Romanie
génoise (x°-début du x siècle), 2 vol., Rome, 1978 et d'E. Ashror, The Levant Trade in the Later
Middle Ages, Princeton, 1983; Relazioni economiche tra Europa e mondo islamico, secc. XIII-XVIII,
Atti della Settimana di Studi - Istituto internazionale di Storia economica «F. Datini » Prato, 2 vol.
Florence, 2007.

Sur les mers nordiques:


Voir surtout Ph. Douuncer, La Hanse (xi-xvi siècle), Paris, rééd., 1989.

Sur différents produits du commerce:


Quelques monographies: E. Power, Medieval English Wool Trade, Londres, 1941; H. LAURENT,
Un grand commerce d'exportation au Moyen Âge: la draperie des Pays-Bas en France et dans les
:
pays méditerranéens (xr-xvsiècle), Paris, 1935; E. CRAEYBECKX, Un grand commerce d'exportation
R. Dezorr, Le Commerce des
les vins de France aux anciens Pays-Bas (xuf-xvr siècle), Paris, 1959;
et la Fortune
fourrures en Occident à la fin du Moyen Âge, 2 vol. Rome, 1978 et J.-C. HOCQUET, Le Sel
dans
de Venise, 2 vol. Lille, 1979; M. OuerreLu,, Le sucre: production, commercialisation et usages
e à la fin
la Méditerranée médiévale, Leiden, 2008; J.K. Nam, Le commerce du coton en Méditerrané
du Moyen Âge, Leiden, 2007.
Villes et sociétés urbaines

des gens de ce
Civitas, burgus, castrum, villa, oppidum, la terminologie hésitante reflète l'embarras
maîtrisé par l'outillage conceptuel
temps devant l'apparition de l'essor du phénomène urbain « mal
classée depuis Adalbéron de Laon en trois
et verbal du Moyen Âge » (J. Le Gorr). Dans une société
est un étranger,
états, l'ordre des clercs, l'ordre des combattants, l'ordre des travailleurs, le citadin
une forme de vie, des activités et des mentalités nouvelles au sein
mal assimilable, car il représente
tradi-
d'un monde rural et d'une société féodale (voir pp. 114 et 127). Le contraste entre les ordres
et les citadins est rendu encore plus vif par la rapide croissance des villes dès la fin du
tionnels
€ siècle, une croissance née pour certaines d'un réseau urbain ancien, pour d'autres de nouvelles
agglomérations suscitées par la renaissance du grand commerce. Rupture ou continuité de l'histoire
urbaine ?Grande question, à laquelle on apporte aujourd'hui des réponses moins tranchées que
jadis. De même l'opposition entre une société urbaine et une société féodale, dans laquelle les his-
toriens du xx siècle voyaient l'origine du mouvement communal, doit être aujourd'hui nuancée. Car
la société urbaine elle-même, partagée entre une élite aristocratique — qu'elle soit d'origine mar-
chande ou foncière - et une masse populaire, n'est pas exempte de tensions; des conflits sociaux à
l'intérieur des villes déclenchent les crises urbaines du xu° siècle.

I. L'essor urbain : origines et modalités


& La thèse de Pirenne
Expliquer l'essor urbain que connut l'Occident entre le xi° et
le xm° siècle, c'est rencontrer, dès l’abord, la vaste synthèse
conçue par Henri Pirenne. Résumons-en les grandes lignes.
Les conquêtes musulmanes qui font de la Méditerranée un
« lac sarrasin » mettent un terme au grand commerce entre
l'Orient et l'Occident. L'arrêt des courants commerciauxpro-
voque à partir du vin siècle le déclin des villes occidentales
qui avaient survécu, à l'époque mérovingienne. Les invasions
normandes amènent à la fin du 1x° siècle une rupture plus
brutale encore dans la vie urbaine; le commerce s'arrête, les
villes se replient sur elles-mêmes. Ne subsistent que deux
types d’agglomérations: la cité, ancienne capitale de circons-
cription administrative sous le Bas Empire, devenue le siège
d'un évêché, la résidence de clercs entourant leur pasteur et
administrant les biens fonciers du diocèse; le bourg ou
castrum, organisme militaire créé pour résister aux invasions
d«IIn'y
aguère deport sans une normandes. Cités et bourgs, en complet déclin, à la fin du
brêche du côté du continent.» IB x° siècle, constituent des noyaux préurbains.
F. BaUDEL La renaissance des villes au xr° siècle est uniquement liée au
nouvel essor du grand commerce. Au terme de leurs voyages,
2 L des marchands établissent leurs entrepôts et leurs activités au
voisinage d’un noyau préurbain; ils créent un portus qui par
©” Portus, p.75. d : 1 , : = à =
son dynamisme l'emporte sur l’ancienne agglomération voisine;
Villes et sociétés urbaines

ou bien ils s'installent dans un faubourg {ce qui est en dehors


du bourg: foris burgus) sans liaison avec le noyau préurbain,
ni avec le milieu rural. Ce sont des errants et des déracinés qui
se sont joints à quelque caravane ou enrôlés sur quelque navire
et qui ont fait fortune en se livrant au commerce lointain, avant
de s'établir dans les nouveaux faubourgs. L'agglomération mar-
chande est le germe de la ville médiévale.
Ces nouveaux venus ont sur la propriété du sol, les droits de
justice, la liberté des transactions commerciales, des idées
nouvelles. Ils entrent vite en conflit avec l’organisation sei-
gneuriale préexistante, forment des associations jurées qui
sont à l’origine du mouvement communal. Ils réussissent à
vaincre la résistance des seigneurs laïcs et ecclésiastiques
auxquels ils arrachent des chartes de franchise. Ainsi les com-
munes, comme la renaissance des villes, ont pour cause unique
le phénomène commercial. Les premières générations de mar-
chands enrichis se retirent des affaires, achètent des terres et
une nouvelle couche de « capitalistes » leur succède. Deux
exemples illustrent la thèse de Pirenne: l’histoire de Godric
de Finchal, né de pauvres paysans et devenu par le commerce
l'un des hommes les plus riches en mer du Nord; celle de
Saint-Omer, ville marchande née au xr° siècle à côté d’une
abbaye carolingienne.

Æ Les corrections actuelles


Cette synthèse séduisante qui suppose une rupture de la vie
urbaine et fait du renouveau commercial l’origine de l'essor
urbain, suscita bien des objections. La coupure, qu'auraient
provoquée les invasions normandes, n’a jamais été vraiment
constatée, Comme on l’a vu plus haut, le renouveau des villes
a commencé dès le x° siècle. Les marchands ne sont pas ces
étrangers dont on évoquait les aventures. Beaucoup proviennent
de l'entourage des évêques, serviteurs chargés de vendre les
surplus agricoles des domaines ecclésiastiques; d’autres vien-
nent de la campagne voisine, anciens paysans ayant pris goût
au commerce des denrées locales, ou artisans venus s'établir
en ville. Les marchands du xr° siècle ne sont pas de nouveaux
riches, mais les fils des riches des époques précédentes, nés
comme leurs ancêtres dans la ville même ou dans un rayon
d'une trentaine de kilomètres (Metz, Amiens, Paris). La ville
médiévale est incrustée dans la campagne et ses habitants ont
bien souvent une origine rurale, certains d’entre eux conservant
même une activité agricole. Les plus grandes villes d'Occident
s'épanouissent au débouché des grandes routes commerciales
mais aussi dans les plus riches terroirs agricoles (Italie du Nord,
France du Nord-Est, Flandre]. Enfin l'essor commercial n'est
pas l'unique cause du mouvement communal. Un besoin de
paix et de sécurité pousse des citadins à s'unir; certaines villes
créées par un prince ou par un roi dans un dessein politique ou
militaire ont reçu des franchises de leur fondateur.
Sans mettre en doute l'importance de l'impulsion commer-
ciale dans l'essor urbain, il faut bien admettre que les villes
PARTIE 2 # Le Moyen Âge classique (x°-xni° siècle)

médiévales ont des origines diverses et qu’existent de grandes


es
différences régionales et locales. D'anciennes villes romain
ont subsisté sans solution de continu ité, conserv ant même
une certaine activité industrielle ou commerciale (Pavie), de
nouveau stimulée à partir du xr° siècle. D’autres villes sont
des créations nouvelles, qu’elles soient nées près d’un monas-
tère (Saint-Omer, Malines] ou d’un château (Gand, Douai),
dans une nature hostile mais pouvant servir de refuge (Venise),
qu’elles soient issues d'entreprises de défrichement comme
les bastides du Sud-Ouest, les villeneuves du Bassin parisien
et de la plaine padane, ou qu’elles résultent de préoccupations
stratégiques et politiques, comme certaines villes de Flandre
ou de Castille abritant une aristocratie militaire ou formant
un centre d'attraction religieuse, et les agglomérations fondées
en Angleterre par Édouard I‘ pour asseoir son autorité aux
confins du pays de Galles et de l'Écosse.
Avec E. Ennen, on distinguera ainsi trois grandes aires
géographiques.
En Europe du Nord, en Angleterre, dans les pays slaves, où de
grands propriétaires fonciers dominent une population clair-
semée, les villes médiévales prolongent des créations primi-
tives, grod slave à fonction militaire [villes polonaises comme
Kalisz}, wik nordique servant d'étape à quelques marchands
(Lübeck et les principales villes de la Baltique).
Dans l’Europe de l'Ouest, F. Vercauteren a montré que les tra-
ditions romaines ont été souvent préservées; les agglomérations
marchandes se juxtaposant aux cités et aux bourgs l'ont, dans
bien des cas, emporté sur le noyau ancien. H. Pirenne trouvait
TE ICO ON PL TE 1 2 là un terrain de choix pour développer ses thèses.
Population dans la première enceinte Dans la zone méditerranéenne, au contraire, le réseau urbain
@ 900 à1000 (7) 1250 à1300 antique, extrêmement dense, s’est maintenu. Les cités se sont
@) 1000 à1050 €) 1300 à1350
@)1050 à1100 @) 1350 à1400 transformées en forteresses, aux temps troublés; elles
@)1100 à1150 (0) 1400 à1450 accueillent les nobles, propriétaires fonciers, les clercs et les
@) 1150 à1200 () 1450 à1500
(G)1200 à1250 (2) 1500 à1550 marchands. Pourtant des glissements ont eu lieu, avantageant
d'anciennes petites villes de l'Antiquité et du Haut Moyen
Population dans les faubourgs
Âge (Gênes, Florence, Pise) au détriment de cités romäines
10 jadis importantes (Ravenne).

1550
àde
900
enceinte
d'une
entourées
Nord
du
villes
de
Nombre
MB Types de villes
Le développement urbain se remarque à certains signes. De
0
nouvelles paroisses se créent, au fur et à mesure que des fau-
RER
bourgs s'étendent. Des enceintes de plus en plus larges réunis-
L'expansion urbaine après le x° siècle sent anciens et nouveaux quartiers, débordent sur des espaces
Extension de 28 villes du Nord encore non bâtis, marquent les phases successives de l'essor
de 900 à 1550 d'après la date
urbain qu'elles anticipent parfois. Quelques villes, plus fortu-
de construction de leurs
enceintes. nées, cherchent à dominer la campagne d’alentour, où elles
D'après R. S. Lopez, La Naissance de étendent par la force, par traité ou par achat, la compétence de
l'Europe. leurs propres institutions administratives et judiciaires, en un
mot leur droit de ban. Elles n’y réussissent pas toujours. Elles
connaissent en effet un développement inégal selon qu’elles
L. remplissent un plus ou moins grand nombre de fonctions,
its de ban, qu’elles commandent à une région plus ou moins vaste. Une
p.65. s
hiérarchie se forme: à la base, un grand nombre de petites
Villes et sociétés urbaines

villes, comptant quelques milliers d'habitants, vivant du mar-


ché hebdomadaire, des travaux des champs ou de quelques
activités artisanales. Au-dessus, les capitales de province et
de diocèse regroupant des marchands, des artisans en plus
grand nombre, des clercs, les agents du roi ou du prince. Au
sommet, les grandes métropoles médiévales ayant réussi à
diversifier la gamme de leur production, attirant marchands,
artisans et paysans en quête d'emploi, vivant d'activités com-
merciales, industrielles et financières, ayant un rayonnement
international. Même celles-là, en comparaison des villes
d'aujourd'hui, gardaient des proportions modestes: Paris,
Venise et Milan seules devaient compter à la fin du xm siècle
" L
plus de 100 000 habitants. Florence, Bologne approchaïent ce
chiffre. Les grosses villes de Flandre, d'Angleterre [Londres] et DE B.
d'Allemagne du Nord ne dépassaient pas 40 000 habitants.
Une dernière originalité des villes dans la société féodale a
été maintes fois soulignée. Leurs habitants ont conscience de
former une communauté ayant des intérêts communs, véné-
rant les mêmes saints patrons, participant aux mêmes fêtes.
Ils affichent un amour de leur ville, un orgueil municipal et
une constante volonté de supériorité, au point que l’on a pu
dire qu’au Moyen Âge « une cité est un état d'esprit » et un
« état d'âme » (R. S. Lopez et Y. Renouard). Le fait n’est guère
étonnant, puisque les citadins bénéficient très tôt de fran-
chises, organisent des institutions particulières, obtiennent
de gérer eux-mêmes leurs propres affaires. Le mouvement
communal accompagne pas à pas l'essor urbain.

Il. Le mouvement communal


et les institutions urbaines
« Commune, nom nouveau et détestable », s'écrie le clerc
Guibert de Nogent au début du x1r siècle. Les historiens avides
de trouver dans les luttes médiévales la préfiguration de 1789
ont mis en valeur l’exécration du chroniqueur et ont voulu voir
dans le mouvement communal la révolte d'une bourgeoisie
naissante arrachant des libertés à la vieille aristocratie ter-
rienne et aux gens d’Église. Un tel schématisme est déformant;
le mouvement communal est moins un défi à la féodalité qu'un
mode d'insertion des villes dans la société féodale.

Æ Qu'est-ce qu’une commune ?


L'origine et la définition des communes médiévales sont encore
controversées. On y voit généralement une association jurée,
obtenant la confirmation de ses usages et de ses coutumes, le
droit de choisir en son sein des magistrats chargés de défendre
ses privilèges et d'exercer en son nom une juridiction plus ou
moins étendue. Mais l'examen attentif du contexte dans lequel
se sont formées les communes montre à la fois qu’elles rem-
plissent un vide politique en répondant aux besoins des
groupes sociaux urbains et qu’elles sont fondamentalement
PARTIE 2 Le Moyen Âge classique (u°-xni° siècle)

des institutions de paix insérant le monde des villes dans le


mouvement de paix qui se développe dès la fin du x° siècle
sous l'influence des clercs.
Au moment où renaissent les villes en Occident, l'autorité
publique est encore dans bien des cas impuissante. Le pouvoir
appartient aux châtelains, aux maîtres des principautés qui
résident à la campagne et y exercent leurs droits de justice, de
police et leur protection; leur puissance s'arrête aux portes de
la ville. Quant aux évêques, défenseurs des cités, qui se sont
arrogé une partie de la puissance publique, ils tombent dans
le discrédit que provoque la féodalisation des fonctions cléri-
cales. Les jeunes organismes urbains se développent ainsi dans
un certain vide politique qui les livre à l'autorité des citadins
les plus entreprenants. Par ailleurs, les besoins et les tendances
des groupes urbains - marchands, artisans, immigrés de fraîche
date — heurtent directement la société « dominée matérielle-
ment par la grande propriété foncière, spirituellement par
l'Église ayant l’aversion du commerce » (F.-L. Ganshof). Besoin
de liberté, d'autonomie juridique et administrative, de sécurité
contre les pillages des seigneurs, souci surtout d'échapper aux
multiples tracasseries féodales, telles sont les principales reven-
dications des marchands qui, dans le mouvement communal,
occupent le devant de la scène. Dans d’autres régions, comme
en Italie, la volonté de résister au pouvoir impérial (Frédéric
Barberousse), cherchant à imposer aux villes une autorité cen-
tralisée et unificatrice, cimente l’union des classes urbaines
soucieuses de préserver une autonomie que l'éloignement pro-
longé de l’empereur leur avait de fait permis d'acquérir.
Plus qu’à ces incitations extérieures, la commune médiévale
répond, -sous des formes nouvelles, au contexte général du
mouvement de paix. Une paix qui n’est pas seulement une
vague entente des groupes urbains, mais un pacte volontaire
entre tous les citadins, scellé par un serment et cherchant
autant que possible l'appui du clergé local et des grands. Cette
ConJuRATIO : au sens étymolo- conjuratio qui met sur un pied d'égalité tous ses membres,
gique de serment prêté veut assurer la défense des citadins et en particulier des mar-
ensemble.
chands, la protection contre les violences et les exactions, d'où
qu’elles viennent, des seigneurs ou des citadins eux-mêmes;
elle fait de la ville et de sa banlieue une oasis de paix. Ce pacte
prend parfois racine dans les associations diocésaines de paix,
plus souvent dans des regroupements de quartiers ou de
métiers (frairies, charités, guildes) ayant habitué les citadins
à l'entraide et à la défense mutuelles. La paix urbaine suppo-
sait que fût limité l'arbitraire seigneurial. C'est en ce sens que
les communes devaient dans bien des cas se heurter aux déten-
teurs de l'autorité et obtenir plus ou moins de succès, selon
la force des « conjurés » ou la résistance du pouvoir local.

M Sociétés urbaines et pouvoirs féodaux


Seigneurs laïcs et rois n’ont pas manifesté une opposition
irréductible au mouvement communal. Les premiers ont sou-
vent compris qu’en limitant leurs exactions, ils favorisaient
Villes et sociétés urbaines

le commerce et pouvaient accroître la perception des tonlieux;


entrant dans la conjuratio, ils se portaient garants du main-
tien de la paix. Les souverains ont parfois favorisé les com-
munes, en échange de quelques compensations financières ou
militaires; ce fut le cas de Philippe Auguste sanctionnant
l'institution de communes dans les provinces limitrophes du
domaine Plantagenêt. Au contraire, en Italie du Sud, l'autorité
sans partage de Frédéric II empêcha l’affranchissement des
villes. Les clercs, eux aussi, firent longtemps obstacle au mou-
vement communal qui dépouillait, sans contrepartie, l'évêque
de son autorité, faisait passer les institutions de paix aux mains
des laïcs et introduisait un ferment égalitaire dans une société
hiérarchique. De là naquirent des révoltes souvent sanglantes
(Laon-1112), alors que dans d’autres cas (Le Mans-1070, Noyon-
1108) le clergé appuyait la commune urbaine. En Italie du
Nord, l'aristocratie foncière résidant en ville et la bourgeoisie,
maîtresse des corporations et du grand commerce, surent col-
laborer pour reléguer l’évêque dans un rôle de représentation
et confier à des consuls élus la réalité du pouvoir. Le mouve-
ment communal s'épanouit ainsi en Lombardie, Ligurie et
Toscane entre 1050 et 1130. En Espagne, les privilèges urbains
sont garantis par des fueros royaux dès le xr° siècle.
La rédaction d’une charte exprime la reconnaissance de la
commune par l'autorité locale. Ces textes sont avant tout une
garantie contre l'arbitraire; ils accordent aux conjurés la liberté
personnelle, corollaire de la paix, limitent les taxes, réquisi-
tions et corvées, fixent les devoirs militaires des citadins tenus
de répondre à toute convocation de la milice communale. Ils
instituent des arbitres chargés de veiller au maintien de la
paix, de juger, d'appliquer des sanctions : un maire et des jurés,
choisis parmi les citadins. Parfois, l'autonomie judiciaire,
administrative et politique est plus large; un organisme coopté
ou élu par l'assemblée du peuple - l'arengo en Italie - rend la
justice, gère les finances de la ville et en organise la défense:
échevinage dans les villes du nord de la France et des Pays-
Bas, collège de consuls, recrutés parmi l'aristocratie et la
bourgeoisie marchande, dans les communes italiennes, LES COMMUNES ITALIENNES:
gérées par des consuls au
provençales et languedociennes. xIf siècle, puis par des podestats
étrangers à la ville, les com-
Une telle évolution vers l'autonomie urbaine ne fut pas géné- munes englobent tous les
rale. Certaines communes, voulant aller trop loin, rompirent domaines de la vie publique,
leurs engagements (Saint-Quentin) et furent reprises en main fiscalité, défense, voirie, ravi-
par le pouvoir comtal (Flandre) ou monarchique (France capé- taillement et interfèrent par des
lois somptuaires dans la vie
tienne). D’autres villes, restées sous l'autorité d’un prince, quotidienne des habitants.
reçurent des franchises mais peu ou pas de privilèges admi-
nistratifs ou politiques: ainsi les Plantagenêts choisirent le
maire des villes régies par les Établissements de Rouen dans
leurs possessions continentales. Louis IX distingue soigneu-
sement les communes des « bonnes villes » ayant obtenu
Bonne viLLe : l'expression, appa-
rue vers 1220, désigne à la fin du
quelques franchises sous contrôle royal. Paris et Orléans, les Moyen Âge toute ville forte ou
plus importantes villes du domaine capétien, se virent recon- chef-lieu, dominé par la bour-
naître des libertés, sans avoir formé de conjuratio. Villes geoisie marchande, point d'ap-
pui de l'État monarchique.
franches et bonnes villes l'emportèrent au xm* siècle sur les
PARTIE 2 # Le Moyen Âge classique (x°-xn° siècle)

communes, d'autant plus que ces dernières perdirent alors de


leur dynamisme. Leurs ennuis financiers furent parfois tels
que le roi en prit le contrôle.

Dans le cadre renaissant des États, le maintien de la paix


n'incombait plus aux milices communales mais au pouvoir
royal. Le serment unissant les citoyens devenait secondaire,
la solidarité citadine se désagrégeait; il ne restait plus que les
privilèges urbains, détournés au profit d'une oligarchie mar-
chande et financière, accaparant le pouvoir et suscitant contre
elle l'opposition du moyen et du petit peuple. Des crises
sociales et politiques minèrent peu à peu les communes, obli-
gées de faire appel à l'arbitrage royal ou seigneurial, ou bien
de placer à leur tête un étranger chargé d'assurer la paix
publique - le podestat en Italie - en attendant que certaines
d'entre elles ne passent au pouvoir de personnages puissants,
créant sur les ruines des libertés urbaines des seigneuries plus
ou moins durables (della Torre et Visconti à Milan). La soli-
darité communale s’efface devant les rivalités économiques.

Il. Les sociétés urbaines


Alors que le monde rural évoluait lentement, que la paysan-
nerie tardait à se scinder en classes diverses, le monde des
villes voyait naître des catégories sociales diversifiées et de
plus en plus cloisonnées, l'argent constituant entre elles le
critère le plus évident de différenciation. C’est ainsi que l’on
a souvent opposé les puissants, regroupés sous le vocable tar-
dif de patriciat, aux faibles constituant le commun, les « riches
hommes » aux « povres », le popolo grasso au popolo minuto,
pour reprendre des termes médiévaux. La distinction est fon-
damentale, mais risque de faire oublier qu’à côté d’une aris-
tocratie de l'argent et d’une masse de travailleurs, les villes
médiévales abritent d’autres groupes sociaux, les uns, privés
de tout droit, comme les étrangers, les Juifs et les mendiañts,
les autres, anciennes élites, participant plus ou moins au dyna-
misme urbain, comme les clercs et l'aristocratie féodale.

M Le clergé urbain

CHaNoinEs: ils sont soit régu-


Les clercs, s'ils sont souvent écartés des privilèges urbains,
liers (règle de saint Augustin) n'en gardent pas moins une grande importance par leur nombre
soit séculiers et desservent alors et par leurs fonctions. Curés et desservants de paroisses - une
une cathédrale ou une collé- paroisse pour près de 200 âmes dans les villes anglaises au
giale. Voir p. 58.
x siècle ! -, chanoines de la cathédrale regroupés en chapitre,
BéGuINAGE
: du néerlandais beg- et clercs constituant la familia de l'évêque, moines noirs et
gaert: mendiant. Communauté
religieuse de femmes se
blancs établis aux portes de la ville - Saint-Germain-des-Prés,
groupant, sans prononcer de Saint-Victor à Paris —, frères mineurs et prêcheurs s’établissant
vœux, pour vivre l'idéal de la au cœur des cités, congrégations de toute nature, béguinages,
pauvreté. les clercs des villes ne peuvent être coupés des citadins parmi
Moines 8LANcs: les chanoines lesquels ils se recrutent dans leur grande majorité. Les auto-
réguliers et les cisterciens. rités ecclésiastiques sont maîtresses de l’enseignement placé
Moines Noirs: les bénédictins. sous le contrôle de l’écolâtre de l’évêque, de la bienfaisance,
Villes et sociétés urbaines

la gestion des tables des pauvres, fabriques et hôpitaux étant


tout au plus partagée avec des laïques. Dans l'administration
urbaine les clercs aident de leur compétence les bourgeois, car
les officiers publics et les robins laïcs sont rares au xnr° siècle.
Même si les horloges publiques commencent à scander le tra-
vail urbain, la ville médiévale vit au rythme des heures litur-
giques que sonnent les cloches de ses églises et de ses
couvents.

B Les nobles urbains


La ville n’a pas non plus rejeté les anciens lignages descendant
de l'aristocratie urbaine antique ou des chefs barbares. Avec
l'appui de leurs vassaux, certains d’entre eux réussissent encore
à dominer temporairement les villes (Rome avec les Orsini),
alors que dans le centre de la France ou en Castille, des sei-
gneurs gardent un pied dans les organismes municipaux. Ce
sont plutôt des cadets de familles nobles qui émigrent en ville,
s’y installent, s’adonnent aux affaires, tout en possédant des
domaines à la campagne. Chevaliers et vavasseurs, ils se VavassEURs : Vassal n'ayant pas
mêlent aux marchands de plus basse origine pour constituer lui-même de vassaux.
ces cives, ces burgenses que l’on commence à distinguer à la
fin du xnr siècle des trois classes traditionnelles de la société.

EH Le « patriciat » urbain
Potentes, meliores, cives, « riches hommes », tels sont les
qualificatifs attribués par les textes à l'élite urbaine; ils indi-
quent à la fois sa domination politique et matérielle. Une
domination née d’un remarquable esprit d'entreprise, d’un
goût du risque amenant les marchands à accepter une longue
existence itinérante, à tenter des coups de fortune qui souvent
réussissent. La révolution commerciale des xi° et xu° siècles
procure aux plus entreprenants des bénéfices considérables;
elle leur offre une constante possibilité d'ascension sociale.
Le patriciat ou « méliorat » réunit des nobles de seconde zone,
des ministériaux, agents des seigneurs, de petits chevaliers
qui, tant à Florence qu’en Flandre, sont bien souvent à l’origine
des familles patriciennes (Hucquedieu à Arras, Clutinc à
Bruxelles). Ailleurs, les puissants du x‘ siècle sont les des-
cendants de gens enrichis par le change, par le commerce local
ou bien le trafic international de produits de luxe ou de
consommation courante: les Tolomei de Sienne assoient leur
fortune sur le commerce des étoffes et des cuirs, les Uten
Hove de Gand sur le trafic de la laine.
D'origines diverses, le patriciat a des caractéristiques com-
munes. Il possède le sol urbain, tire de la terre et des maisons
de gros revenus; il se constitue une clientèle d'obligés, de
domestiques qui aident chaque clan familial (paraiges à Metz,
alberghi à Gênes, case à Venise) à dominer un quartier de la
ville où il manifeste sa puissance par l'érection de tours
(Bologne, San Gimignano]. Il dispose des capitaux indispen-
sables pour toutes les formes d'activité économique: trafic des
denrées de grande consommation -— et par là il se rend maître
PARTIE 2 = Le Moyen Âge classique (x°-xni° siècle)

de qua-
du ravitaillement des villes -, fabrication des étoffes
lité dont il contrôle la commer cialis ation, opérati ons de
princes et aux rois (les Bardi de Florenc e
change, de crédit aux
plus de 900 000 florins aux Plantag enêts}, afferm age
prêtent
des revenus directs ou indirects et par là contrôle des finances
urbaines, achat de terres, de maisons et même de seigneuries.

p:
é en
Les dispositions juridiques réservent au patriciat, regroup
guilde ou hanse, le monopole du grand commerce et de l’ac-
«Art», p.271. tivité industrielle: dès la fin du xm siècle sont en place à
Florence les sept « arts majeurs », instrument de domination
économique, mais aussi politique.

Dans une première période qui se termine vers les années


1200, le patriciat partage d’abord le gouvernement des villes
avec la noblesse foncière, les officiers du comte ou de l’évêque.
Des conflits d'intérêts opposent les deux groupes. Après avoir
eu recours à l’arbitrage d’un étranger — le podestat des com-
munes italiennes -, la bourgeoisie d’affaires, en prenant appui
sur les corporations de métiers qu’elle domine, réussit à obte-
nir le monopole des fonctions publiques. Elle désigne les titu-
laires des magistratures urbaines, élabore des statuts réservant
au patriciat l'exercice des charges publiques. Les communes
italiennes, les villes flamandes et rhénanes passent sous le
contrôle des citoyens les plus riches: le drapier Jehan
Boinebroke, qui domine l’économie de Douai, est neuf fois
échevin; le plus riche Génois de la fin du xur° siècle, Benedetto
Zaccaria, oriente la politique méditerranéenne de sa ville.
Cette classe dirigeante, jouissant de grands privilèges poli-
tiques et d’une puissance économique considérable, se ferme
progressivement; dans les villes du nord de la France et de
Flandre, elle s'organise en paraiges dont les membres tiennent
SERRATA DEL CONSIGLIO (= ferme- les magistratures urbaines; à Venise, la Serrata del Consiglio
ture du Grand Conseil) : à partir réserve l'accès du Grand Conseil à ceux dont les ancêtres en
de 1297, l'accès au Grand avaient été membres. L'exercice des fonctions publiques se
Conseil, à Venise, est réservé à confond avec la défense de privilèges. Les nouveaux riches, le
une élite aristocratique.
commun sont exclus du pouvoir.
t

M Le « peuple »
Le « peuple » constitue un milieu non homogène: à la fois
une classe moyenne de commerçants et d'artisans possédant
quelques biens, des « plumitifs », robins, notaires, avocats,
facteurs des grands marchands, des « ouvriers de la grande
industrie » si l’on peut déjà utiliser un tel terme dans les villes
drapantes de Flandre et d'Italie, une masse de malheureux
venant, comme à Paris sur la place de Grève, chercher l’em-
bauche à la tâche ou à la journée. Les corps de métiers — arti
en Italie —, nés avant 1200 d'associations religieuses de tra-
vailleurs urbains (charités, confréries}, cherchent avec l'appui
des pouvoirs publics à contrôler les artisans. Ils réservent à
leurs membres le monopole de l'exercice du métier, l’exclusi-
vité du marché de la ville, réglementent la fabrication, les
horaires de travail, les salaires, tout en protégeant les consom-
mateurs contre les malfaçons. Ils organisent une
Villes et sociétés urbaines

stricte hiérarchie de leurs membres: à leur tête, des maîtres,


propriétaires de l'outillage et pourvoyeurs de matières pre-
mières; des valets soumis aux maîtres et sans espoir d'accéder
à la maîtrise; à l'échelon inférieur, des apprentis exposés au
licenciement immédiat. Dans les métiers assurant la vie quo-
tidienne des cités, les maîtres n’occupent qu'une situation
médiocre; au contraire, les métiers pourvoyant aux besoins
du grand commerce international sont tenus par les marchands
en gros, particulièrement la fabrication des draps, des toiles
et des soieries, la « seule véritable industrie » qu’ait connue
le Moyen Age. Dans les villes de Flandre et d'Italie ces métiers
regroupent une masse de prolétaires — plus de 4 000 tisserands, FouLon: artisan qui donne de
de 1 200 foulons à Gand — dont l'existence, soumise aux aléas l'apprêt au drap de laine en
l'écrasant avec ses pieds où
du grand commerce, dépend totalement des hommes d’affaires, avec l'aide d'un moulin à
le capital et le travail étant dissociés. fouler.
Au bas de la hiérarchie, les exclus. La ville médiévale reçoit
constamment les paysans déracinés, journaliers, serfs en rup-
ture de maître, qu’elle assimile mal et rejette dans ces troupes
de vagabonds et de gueux, vivant d'aumônes ou de rapines,
tant qu'ils ne sont pas expulsés par les organismes munici-
paux. Comme les lépreux, parqués aux portes de la ville, ils
font horreur et attirent à la fois, donnant aux citadins l’occa-
sion de faire la charité et d’avoir bonne conscience. Quant aux
Juifs, tolérés jusqu'au xi° siècle, jamais très nombreux, sauf en
Espagne, en Italie du Sud et dans les pays slaves, ils subissent
maintes persécutions après 1100. L'antijudaïsme qui accom-
pagne l’idée de croisade, la haine envers les Juifs, prêteurs sur
gages, provoquent des saisies de biens, des expulsions, parfois
même des pogroms. Les étrangers, eux aussi, sont tenus en
suspicion: gens « sans aveu », qu'on peut emprisonner ou
expulser sur les routes où ils vont grossir le nombre des errants.

& Les crises urbaines


Entre le patriciat et le « peuple » ainsi encadré, le divorce
éclate au xur° siècle. L'augmentation de la population urbaine,
une réglementation de plus en plus tatillonne du travail au
profit de la haute bourgeoisie, une hausse très rapide du prix
des vivres et des loyers, que ne suit pas la progression des
salaires, créent une situation explosive. Il suffit d’une réces-
sion de l’industrie flamande dans la seconde moitié du
x siècle, de difficultés financières à Florence, pour que des
soulèvements soient inévitables. Grèves à Douai en 1245, pro-
clamation d’une commune populaire à Florence en 1250,
« tyrannie » de Guglielmo Boccanegra à Gênes en 1256,
émeutes à Douai, à Ypres et Bruges vers 1280 annonçant les
mouvements révolutionnaires qui s'étendent en Flandre de
1296 à 1311, autant de réactions populaires contre l'oppression
du patriciat. Ces soubresauts furent sans avenir: en Italie,
comme en Flandre, le patriciat reprit le dessus. Toutefois, la
vie urbaine allait être désormais troublée par des problèmes
sociaux, qui inquiétèrent les élites et l'État, mais ne reçurent
aucune solution.
PARTIE 2 & Le Moyen Âge classique (xif-xii siècle)

L'état de la recherche
La rue au Moyen Âge
étroites et sombres, véritables
La ville médiévale présente généralement un réseau confus de voies
créent des liens de voisinage et d’interd épendance mêlant les arti-
égouts à ciel ouvert, mais où se
étals à une infra-soc iété marginali sée. La voie publique est aussi une unité
sans qui travaillent à leurs
s solennelles et aussi
de répartition de charges fiscales et militaires, le lieu des «entrées » princière
des émois révolutionnaires.

L a voirie urbaine médiévale empiètements des riverains: et pentues, dépourvues de


est étroite, sinueuse et encorbellements des étages, tous travaux de nivellement
encombrée, à l'exception de maisons à piliers de bois ou de et d'aplanissement. L'absence
quelques artères maîtresses: pierre, auvents et cornières nui- de commodités collectives
moins de 3,50 m le plus sou- sent à la circulation, à l'éclairage ou privées, la divagation des
vent et moins de 2 m. pour les et aggravent la promiscuité. Au animaux en pleine ville et la
venelles constituant un laby- centre, un caniveau recueille pollution provoquée par les
rinthe de couloirs tortueux, les eaux vannes et usées qui activités urbaines facilitent la
sombres et sales. Le profil en forment de véritables torrents propagation des épidémies
largeur est déterminé par les dans les rues montueuses contre lesquelles l'unique
défense est la fuite dans les
campagnes environnantes.
0 300 m
À ” St Martin des ne.
A
71
©
| faut attendre la fin du
= FSt Nifolas xif siècle pour voir entre-
prendre quelques travaux
de voirie, comme le pavage
des chaussées de Paris sous

7 ea u Bourg
Philippe Auguste. Seuls les
= -
CSS
SAS

Paroisse Saint-Germain-l'Auxerrois
Annexe paroissiale n
de Saint-Barthélemy
Paroisse du bourg
Saint-Martin-des-Champs
Paroisse Saint-Jacques
Paroisse Saint-Merry
Paroisse Saint-Gervais
Paroisse Saint-Paul-des-Champs
Paroisse du bourg
Saint-Germain-des-Prés
Paroisse Saint-Séverin
Paroisse Saint-Benoît
Paroisse Saint-Hilaire
Paroisse du bourg
Sainte-Geneviève

D'après À. FREDMANN, Paris, ses rues, ses paroisses


72 We Plon, 1959.
Ste Geneviève

PARIS AU XII° SIÈCLE


Villes et sociétés urbaines

grands axes et les ponts béné- au niveau du bloc d'habitation et processions, carnavals ou
ficient de cette amélioration, ou de l'étage des maisons entrées princières. La rue est
le reste de la voirie baignant que par la différenciation des enfin un rouage de la vie admi-
dans la fange. Des mesures quartiers: riches et pauvres nistrative locale. La délimi-
d'assainissement, encore rares, se trouvent ainsi confrontés tation des fiefs, l'établissement
sont décidées au xu° siècle, quotidiennement. de l'assiette des impôts, l'orga-
comme la création d'égouts nisation militaire de la milice
à Troyes, Amiens où Sens, e monde de la rue est et du guet, le découpage des
l'interdiction de l'élevage des d'une diversité étonnante:
circonscriptions électorales
il est à la fois un passage, un
animaux de basse-cour en ville, pour le choix des responsables
atelier, un bureau où se traitent
ou le déménagement hors de des métiers et des administra-
les affaires, un marché perma-
l'enceinte urbaine des activi- teurs urbains reposent sur le
nent. Artisans et boutiquiers
tés polluantes (Sens, Meaux). réseau des rues. On comprend
travaillent à leur ouvroir dont
L'onomastique des rues n'est dès lors que ce soit aussi le
les volets abaissés présen-
pas antérieure au xii° siècle: les lieu des « émois » populaires,
tent leur production. Des
appellations sont données par petits métiers ambulants,
des agitations sociales et des
les usagers et peuvent changer une masse flottante de révoltes urbaines qui s'exacer-
d'une génération à l’autre. Elles travailleurs désœuvrés, des bent dans la rue contre ceux
proviennent soit des activités délinquants, des déclassés, qui disposent de la fortune et
dominantes, soit de l'édifice des infirmes, des pauvres, du pouvoir. Une violence qui
religieux où d'ouvrages civils des professionnels du crime, entraîne toujours une répres-
ou militaires que la rue dessert, parfois en bandes organisées, sion impitoyable, comme
soit du patronyme d'un grand font de la rue le domaine par dans le cas de la Harelle de
propriétaire. Un décor végétal excellence de la marginalité, Rouen, des Maillotins à Paris
puis, à partir du xuf siècle, des de l'agitation sociale et parfois ou des affrontements entre
enseignes servent à repérer de la fête, lorsque s'y produi- Armagnacs et Bourguignons
les maisons. La ségrégation sent bateleurs et jongleurs, dont les rues parisiennes sont
sociale s'effectue davantage lorsque s'y déroulent défilés le théâtre.

Bibliographie
Des manuels: on trouvera un résumé des idées d'H. PiRENNE sur le développement des villes
dans l'ouvrage posthume, Les Villes au Moyen Âge, Paris, 1971. Parmi les manuels, voir surtout
G. Dusy (dir.), Histoire de la France urbaine. t. 2: La ville médiévale, Paris, 1980; J. Heers, La Ville au
Moyen Âge en Occident, Paris, 1990; S. Roux, Le Monde des villes au Moyen Âge xF-x siècle,
Paris, 1994 et pour approfondir la recherche Recueils de la société Jean Bodin, t. 6-7: La Ville,
Bruxelles, 1954-1955.

Parmi les études régionales:


On retiendra surtout M. Beresroro, New Towns of the Middle Ages. Town Plantations in England,
Wales and Gascony, Londres, 1967;Y. RENOUARD, Les Villes d'Italie de la fin du X au début du x siècle,
2 vol. Paris, 1969 et E. Enwen, Storia della città medievale, Bari, 1983.

Les monographies urbaines:


Elles font l'objet de deux collections, aux éditions Privat (Toulouse) et aux Presses Universitaires
de Lille, pour les villes du nord de la France. À titre d'exemple: J. ScHneiner, La Ville de Metz aux
(dir.),
xur etx siècles, Nancy, 1950; Ph. Worrr, Histoire de Toulouse, Toulouse, 1959; Ch. HiGouneT
Histoire de Bordeaux, Bordeaux, 1964; J.-A. Van HourTE, Bruges, essai d'histoire urbaine, Bruxelles,
1967;
1967 : E. FourniaL, Les Villes et l'Économie d'échanges en Forez aux xif et xW° siècles, Paris,
la fin du Moyen
P. Desporres, Reims et les Rémois aux xuf etx siècles, Paris, 1979; L. STOUFF, Arles à
siècles, Nancy,
Âge, Aix, 1986; A. SainT-Denis, Apogée d'une cité. Laon et Le Laonnais aux xi£ et xu
PARTIE 2 & Le Moyen Âge classique (x-xni siècle)

on municipale suburbaine
1994 : M. BocHaca, La Banlieue de Bordeaux. Formation d'une juridicti
et Lisieux, villes épiscopa les de Normandie à la fin
(v. 1250-v. 1550), Paris, 1997; F. Neveux, Bayeux
de la ville. Espaces et sociétés à Tours
du Moyen Âge, Caen, 1996; H. Norzer, La Fabrique
VaucHEz, Rome au Moyen Âge,
(ne-xn siècle), Paris, 2007 ; J. Bacowin, Paris en 1200, Paris, 2006; À.
é au Moyen Âge,
Paris, 2010; J.-L. Fra, Villes et bourgs de Lorraine. Réseaux urbains et centralit
pouvoirs et société,
Clermont-Ferrand, 2008; L. Jean-Marie, Caen aux xf et x siècles. Espace urbain,
Paris, 2000.

Pour l'Italie:
avant d'aborder
On utilisera les ouvrages de Y. Renouaro, F. THIRIET, R. Derorr et Ph. BRAUNSTEIN,
C. VIOLANTE,
D. Herumy, Pisa in the early Renaissance. À Study of urban growth, New Haven, 1958;
Città medievale ita-
La Società milanese nell'età precomunale, Bari, 1953; G. Fasoui et F. Boccni, La
Venise,
liana, Florence, 1973: P. RaQNE, Plaisance du X à la fin du xuf siècle, Lille, 1979; F. C. LANE,
une république maritime, Paris, 1985; E. Hugerr, Rome aux xIif-xXIW siècles, Rome, 1993; O. REDON,
1995-
L'Espace d'une cité: Sienne et le pays siennois, Rome, 1994; Storia di Venezia, 6 vol., Rome,
et société, 715-1230, Rome, 1996: S. A. EpsteN, Genoa and the
1997; J-P. DeLumeAu, Arezzo, espace
Genoese 958-1528, 1996: L. FeLLer, Les Abruzzes médiévales . Territoire, économie et société en Italie
centrale du x au xF siècle, Rome, 1998; E. CrouzeT-Pava, Venise triomphante; Les horizons d'un
mythe, Paris, 1999; P. Gi, Villes et sociétés urbaines en Italie milieu x-milieu xw° siècle, Paris, 2005;
F. MENANT, L'Italie des communes (1100-1350), Paris, 2005; F. Masé, Patrimoines immobiliers eccle-
siastiques dans la Venise médiévale x°-xv siècle). Une lecture de la ville, Rome, 2006.

Sur le mouvement communal:

Voir Ch. Perr-Duraiuuis, Les Communes françaises, caractères et évolution, des origines au xvif siècle,
Paris, rééd., 1970; A. VermEEscH, Essai sur les origines et la signification de la commune dans le nord
de la France, (x-xf siècle), Namur, 1966 et P. Brezzi, / comuni medioevali nella storia d'Italia, Turin,
1965. Deux recueils de colloque: Villes de l’Europe méditerranéenne et de l'Europe occidentale,
du Moyen Âge au xx siècle, Nice, 1969 et La Charte de Beaumont et les franchises municipales
entre Loire et Rhin, Nancy, 1988.

Le patriciat et les marchands: :


Ces sujets sont étudiés par J. Lesrocauor, Les Villes de Flandre et d'Italie sous le gouvernement des
patriciens (x°-x siècle), Paris, 1952; J. Le Gorr, Marchands et Banquiers du Moyen Âge, Paris, 1969;
Y. Renouaro, Les Hommes d'affaires italiens au Moyen Âge, Paris, 1968 et J. Favier, De l'or et des
épices. Naissance de l'homme d'affaires au Moyen Âge, Paris, 1987; Les Élites urbaines au Moyen
Âge, Actes du xxvi® Congrès de la Société des historiens médiévistes de l'Enseignement supé-
rieur public, Rome-Paris, 1997; B. Bove, Dominer la ville. Prévôts des marchands et échevins pari-
siens (1263-1350), Paris, 2004. Les sociétés urbaines n'ont pas fait l'objet de réelles synthèses.

Sur les sociétés urbaines et leurs activités:


Voir C. Vincenr, Les Confréries dans le royaume de France, xuf-xw siècle, Paris, 1994; P. RicHé et
D. AcexanDre-Bipon, L'Enfance au Moyen Âge, Paris, 1994. J. VerpoN, La Nuit au Moyen Âge, Hachette,
1995 ; du même auteur, Le Plaisir au Moyen Âge, Perrin, 1996; Voyager au Moyen Âge, Paris, 1998
et La Femme au Moyen Âge, Paris, 1999; D. AcexanDre-Binon et D. Lerr, Les Enfants au Moyen Âge,
Æ-xw siècle, Paris, 1997 ; D. Lerr, L'Enfant des miracles. Enfance et Société au Moyen Âge (x£-xv siècle),
Paris, 1997.
Villes et sociétés urbaines

Sur le monde du travail:

Voir Ph. Worr et Fr. Mauro, Histoire générale du travail, t. 2, Paris, 1960; E. Coonaerr, Les Corporations
en France avant 1789, Paris, rééd., 1968; J. Heers, Le Travail au Moyen Âge, Paris, 1968 ;B. GEREMEK,
Le Salariat dans l'artisanat parisien aux xuf-x siècles, Paris, 1969 et R. Fossier, Le Travail au Moyen
Âge, Paris, 2000.

Sur l’industrie textile:

D. Caroon, La Draperie au Moyen Âge:essor d'une grande industrie européenne, Paris, 1999.

Sur les exclus:

Voir B. BLumENkRANz et ali, Histoire des Juifs en France, Toulouse, 1972 ; N. Gous, Les Juifs de Rouen
au Moyen Âge, Rouen, 1985; Ch. Veruinoen, L'Esclavage dans l'Europe médiévale, 2 vol.
Bruges-Gand, 1955-1977; B. GereMEK, Les Marginaux parisiens aux x et xv° siècles, Paris, 1976
et J. Rossiauo, Amours vénales. La prostitution en Occident X-xvi siècles, Paris, 2010; F. BeriAc,
Histoire des lépreux au Moyen Âge, Paris, 1988; F.-O. Touan, Maladie et Société au Moyen Âge.
La Lèpre, lépreux et léproseries dans la province ecclésiastique de Sens jusqu'au milieu du x siècle,
Bruxelles, 1998.
L'Église et la société politique
universel dont les fins se
En l'an 1001, l'empereur Otton III, qui avait cherché à construire un empire
clandest inement, à la suite d'une
confondaient avec celles de la Chrétienté, devait quitter Rome
VIII, qui s'était fait le héraut de la sou-
révolte de la population locale. Trois siècles plus tard, Boniface
par les envoyés de Philippe IV le Bel dans sa rési-
veraineté absolue du pontife romain, était humilié
ne sont pas sans analogie; ils marquent tous deux l'échec du
dence d’Anagni (1303). Les deux faits
d'origine impériale ou pontifical e. Au début du x siècle, les empereur s
rêve universaliste, qu'il soit
caroling ienne;
germaniques entendaient diriger l'Église, au nom de la double tradition romaine et
rois, princes et seigneurs disposaie nt librement des fonctions ecclésias tiques de leur
à leur suite,
laïcs provoqua dans
ressort, dont ils investissaient les candidats de leur choix. La mainmise des
l'Église une effroyable crise morale, dont on ne sortit qu'au prix d'une réforme, lentemen t élaborée
le de
dans les milieux monastiques, avant d'être imposée par la papauté régénérée à l'ensemb
Investitu res ne constitue qu'un aspect. l'émanci pation
l'Occident, lors de luttes dont la Querelle des
de l'Église rehaussa considérablement le prestige de son chef; pour le pape, la tentation fut grande
de reprendre à son compte l'idée d'un empire universel, de prétendre exercer une puissance souve-
raine qui lui permettrait de dispenser les charges politiques et de juger leurs titulaires. Dès la seconde
moitié du xnr siècle, le pouvoir impérial dut se défendre contre ces prétentions: ce fut la lutte du
Sacerdoce et de l'Empire, au cours de laquelle le choc des idées cacha mal des ambitions territoriales
évidentes, telles que la domination de l'Italie. Avec la disparition de Frédéric II (1250), la papauté
sembla triomphante; en fait, l'effacement de l'Empire était largement compensé par la montée des
monarchies. Au moment où la théocratie pontificale s'exprimait de manière exacerbée dans les
bulles de Boniface VIII, elle était déjà démentie par les réalités du temps.

I. L'Église et la féodalité au x° siècle


En raison du déclin de la puissance publique au x° siècle, les
clercs comme les laïcs recherchèrent la protection des puis-
sants, en contrepartie, ces derniers s’approprièrent le droit de
disposer des biens des églises et de désigner les titulaires des
charges ecclésiastiques. La mainmise des laïcs sur l’Église
s'exerça à tous les niveaux.

B La crise de la hiérarchie ecclésiastique


orne Dre à .
a PE A papauté. La papauté était passée après 962 sous la tutelle
ps des empereurs germaniques. Otton III avait mis sur le trône
Léon IX (1049-1054) pontifical Grégoire V, puis l'avait remplacé à sa mort par l’un
Alexandre Il (1061-1073) de ses anciens maîtres, Gerbert d'Aurillac, qui, sous le nom
Grégoire VII (1073-1085) de Silvestre II, élabora avec l’empereur l’'éphémère construc-
Urbain || (1088-1099) tion d’un empire
p chrétien ayant
y pitale. Quelques
Rome P pour capital
Pascal Il (1099-1118) décennies plus tard, en l’espace de trois ans, l'empereur Henri
III, bien que très pieux, régla le sort de trois papes rivaux et
nomma successivement à la fonction des prélats de sa suite
ou de sa famille (1045-1048).
L'Église et la société politique

Evêques et abbés. Tout aussi grave était au xI° siècle la féoda-


lisation des charges épiscopales et abbatiales. Les premiers
Capétiens, qui passèrent pour des hommes de grande piété,
ne se privaient pas de vendre au plus offrant les évêchés royaux
dont ils disposaient, allant jusqu’à utiliser la force pour impo-
ser les candidats de leur choix. Le domaine royal étant encore
exigu et de peu de rapport, la vente des évêchés procurait de
bons revenus à la trésorerie royale. En Angleterre, sous le
faible Édouard le Confesseur, l'aristocratie locale était maî-
tresse des dignités ecclésiastiques; après la conquête de 1066,
Guillaume [°, tout en relevant le niveau moral du clergé, dis-
tribua les sièges épiscopaux à des clercs normands et subor-
donna l'Église d'Angleterre à la couronne. Dans l’Empire, les
souverains avaient pris l'habitude de désigner les évêques,
d'autant plus qu'ils avaient accordé à ceux-ci des fonctions
comtales s'ajoutant aux charges pastorales. Théoriquement
élus par le peuple, les évêques étaient en fait des créatures des
empereurs qui leur accordaient l'investiture en leur remettant
la crosse et l'anneau, symboles de leur fonction. Le nouveau
pasteur prêtait le plus souvent hommage au souverain pour
les terres de l'évêché, de telle sorte que la charge épiscopale,
au même titre que les droits de gouvernement (regalia) qui y Agé: du syriaque abba, père, le
étaient attachés, apparaissait comme un don du roi. L'investiture mot désigne le supérieur d'une
communauté monastique. |l est
laïque marquait l’intrusion de la puissance temporelle dans élu par les moines
le domaine spirituel. Il en était de même pour les charges
abbatiales.
[es
Quant aux paroisses rurales, elles étaient devenues de véri- x:
Paroisse,
cf. infra p. 186.
tables fiefs dépendant de grands propriétaires, héritiers des
fondateurs de ces églises. Aussi, des seigneurs s’arrogeaient
le droit de désigner les desservants qui leur prêtaient un
serment de fidélité et leur laissaient percevoir une part des
revenus attachés à ces églises.
Ainsi, à tous les niveaux, s'opère une confusion entre la fonc-
tion ecclésiastique et le bénéfice temporel. Cela engendre chez
les clercs une grave crise morale qui se manifeste de deux
façons, par la simonie et le nicolaïsme. On désigne par simo- imonie, p. 104.

nie le trafic des choses saintes, et leur détournement à des


fins profanes. Ainsi les clercs donnent de l'argent pour obtenir
une dignité ecclésiastique et, une fois désignés, se font payer
pour tous les actes de leur ministère, pour administrer les
sacrements ou conférer à leur tour des offices ecclésiastiques.
Jusqu'au début du xr‘ siècle, les condamnations de ces pratiques
simoniaques réitérées par des conciles nationaux, des évêques
ou des papes, n’ont eu aucune efficacité. En dépit des canons
astreignant les clercs des ordres majeurs à la continence, la
clérogamie ou nicolaïsme était très répandue. Atton de Verceil
et Pierre Damien dénoncent dans toute la péninsule italienne
les clercs concubinaires ou mariés.
La situation n'était pas meilleure en France, en Germanie et
dans un grand nombre de monastères. Certaines charges épis-
copales se transféraient même par voie héréditaire. Ici encore,
de nombreux conciles dénoncèrent le mal, mais toutes les
PARTIE 2 æ Le Moyen Âge classique (x°-xni° siècle)

se
sanctions, amendes, dépositions et châtiments corporels
révélèrent ineffica ces. La réforme du clergé devait commen cer
au plus haut niveau, celui de la papauté.

M L'influence de l’Église sur la féodalité


I] serait toutefois inexact de limiter les rapports entre l'Église
et la féodalité à cette contamination des clercs et à l'emprise
des laïcs sur les fonctions ecclésiastiques. En effet, même aux
moments les plus sombres de son histoire, l'Église s'est effor-
cée de proposer un idéal approprié aux besoins du temps. La
multiplication des liens personnels à l'époque féodale provo-
quait l'usage constant des serments; les clercs font respecter
la foi jurée en menaçant les parjures des pires châtiments. Ils
orientent l'action des rois en leur rappelant par le serment du
sacre leur devoir: maintenir la paix et la justice, défendre les
faibles et les opprimés. L'Église met aussi la chevalerie au
service d’un idéal religieux, bénissant les armes du chevalier
et lui précisant dès la fin du xi‘ siècle le contenu de ses devoirs.
Homicides, pillages, guerres privées ou faides, violences de
toutes sortes sont les grands maux du premier âge féodal. En
Paix DE Dieu: mouvement proposant la paix de Dieu comme un rite éminent de péni-
conciliaire, né d'une alliance tence et de purification, l'Église au début du xi° siècle prend
circonstancielle du clergé et de la tête du mouvement de paix. À la suite des premières ten-
la paysannerie pour lutter
contre les violences de l'aristo- tatives pour instaurer la paix de Dieu (cf. p. 106), les évêques
cratie. La première assemblée organisent des ligues pour la paix, mettent sur pied une force
de paix se tient en 972 à de police pour réprimer les infractions. Puis entre 1027 et
Aurillac-Coler (Auvergne). 1041, sous l'impulsion de Cluny, est organisée la trêve de Dieu,
TRÊVE DE DIEU: mouvement qui obligeant les professionnels de la guerre à suspendre les hos-
à partir de 1027 (concile de tilités pendant les temps consacrés (Avent, Carême, période
Toulouges) cherche à limiter pascale). Enfin le concile de Narbonne (1054) codifie paix et
l'activité militaire de
l'aristocratie. trêve de Dieu, interdit la guerre privée. Les résultats ne furent
pas toujours à la hauteur des ambitions; le mouvement de
trêve, né en France du Sud, s'étendit à la fin du xr° siècle à
l'Espagne, au royaume anglo-normand, à la Germanie et à
l'Italie. Au concile de Clermont (1095), le pape Urbain II consa-
cra le mouvement de la trêve de Dieu mais sut aussi détourner
l’activité belliqueuse des chevaliers vers la croisade. À cètte
d
D
[=
=]
date, l'Église pouvait d'autant mieux influencer la société
17
1]
uv
nl
politique qu'elle avait commencé à s’en rendre indépendante,
2
E=] grâce au succès de la réforme pontificale.
©
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11, La réforme grégorienne
FEd
pe]
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[e}
=ci]
M La réforme monastique
v
; OO
T
Fevd La réforme générale de l’Église avait été précédée d’une réforme
a
&e
= monastique, mise en œuvre dès le x° siècle. On a déjà vu à
LAm
ll quel point l'influence de Cluny avait été déterminante.
F2
5E
a p. 104. L'exemption dont jouissait le monastère permit aux premiers
=
=©=] s de revenir à la règle primitive de saint Benoît et de placer
m
bo
© sous leur autorité toutes les abbayes qui acceptèrent les
L'Église et la société politique

coutumes de Cluny. Les clunisiens propagèrent dans tout


l'Occident les idées réformatrices qui pénétrèrent d’autres
milieux monastiques, restés à l'écart de Cluny (Camaldoli de
saint Romuald et Vallombreuse de saint Jean Gualbert en
Toscane, Gorze en Lorraine).

En dehors de Cluny et de ses filiales, deux foyers de réforme


se distinguèrent: l'Italie et la Lorraine. En Italie, dès le
x° siècle, l'évêque de Verceil, Atton, dénonçait l'investiture
laïque comme la source de tous les maux. Pierre Damien,
évêque d'Ostie, s'attacha à refréner le désordre des mœurs
cléricales par de nombreux traités, lettres et sermons, mais
attendait tout de l’union du pape et de l’empereur. Les idées
réformatrices gagnaient même les milieux populaires: à
Milan, les patarins poursuivirent les clercs simoniaques et Pararin (= loqueteux) : on
mariés, se dressèrent contre le haut clergé aristocratique et désigne ainsi à Milan les parti-
aidèrent au relèvement moral du clergé. En Lorraine, la réforme sans de la réforme de l'Église,
hostiles au haut clergé et recru-
fut propagée par les abbayes bénédictines de Gorze et de tés dans les milieux populaires
Brogne. Humbert de Moyenmoutier dans son traité Contre les (1045-1085).
simoniaques analysait les conséquences de la simonie, mon-
trait la nécessité de supprimer l'investiture laïque et le rôle
prépondérant que devait jouer le Saint-Siège dans la réforme.
Un moine italien, Hildebrand, venu dans un monastère alle-
mand, fut acquis à ces idées de même que l’Alsacien Brunon,
évêque de Toul. Ce dernier, désigné comme pontife par
Henri II, en 1049, prit le nom de Léon IX et s’entoura de clercs
gagnés aux idées réformatrices. La papauté pouvait dès lors
diriger la régénération de l’Église.

M La réforme pontificale
Dès son élection, Léon IX entreprit de lancer de solennelles
condamnations contre les clercs simoniaques et de veiller lui-
même à leur application en assistant à des conciles nationaux
qui déposèrent divers prélats simoniaques. Après sa mort
(1054), le parti réformateur profita de la disparition d'Henri II
qui laissait un héritier de quatre ans, pour faire élire le car-
dinal Frédéric de Lorraine (Étienne IX) sans l’assentiment
impérial (1059), puis Nicolas II (1059-1061), dans les mêmes
conditions. Ce dernier fit réglementer l'usage ainsi établi: le
décret d'avril 1059 réservait l'élection pontificale aux seuls
cardinaux dont le choix serait ratifié par acclamation du clergé
et du peuple romain. La papauté était ainsi affranchie de la
tutelle impériale. Le concile du Latran en 1060 condamna le
principe de l'investiture laïque, la simonie et le nicolaïsme.
Bien que très court, le pontificat de Nicolas IT engageait ainsi
sur de bonnes voies la réforme de l'Église et annonçait celui
de Grégoire VII.

Après un intermède de douze ans au cours duquel Alexandre II


fit appliquer les décrets contre la simonie et le nicolaïsme, le
moine Hildebrand, le plus illustre réformateur encore en vie
en 1078, fut porté au pontificat par la vague populaire. Doué
d'une inlassable énergie, conscient d’être l'instrument de Dieu
pour établir dans l'Église et dans le monde la justice et la paix,
PARTIE 2 « Le Moyen Âge classique (x®-xni* siècle)

Grégoire VII (1073-1085) allait donner à la réforme un rythme


gré-
plus vif, de sorte que l’on appelle habituellement réforme
gorienne l’ensem ble du mouvem ent réforma teur du xi° siècle.
Il commença par renouveler les condamnations de la simonie
et du nicolaïsme: des décrets de 1074 prononcèrent la déchéance
des clercs coupables, que des légats envoyés dans tous les pays
d'Occident eurent pour mission de déposer. L'obligation ren-
forcée du célibat ecclésiastique va de pair avec le contrôle que
l'Église s'efforce d'imposer sur le fonctionnement du mariage
(exclusion des consanguins] et de la parenté symbolique (choix
des parrain et marraine}. Les décrets de 1074 eurent peu de
succès :en Allemagne, en Italie du Nord, en France et dans le
royaume anglo-normand, souverains et noblesse laïque sou-
tinrent leur clergé. Ces résistances raidirent le pape dans son
attitude. En 1075 de nouveaux décrets interdirent aux évêques
de recevoir leur charge des mains d’un laïc; surtout, un recueil
de 27 propositions, les Dictatus papae, définirent les pouvoirs
du pontife et justifièrent son programme; seul le pape a, par
le Christ, un pouvoir absolu et universel; il est le maître de
l'Église, il est au-dessus de tous les princes laïques qu'il peut
déposer s'ils ne respectent pas les droits de Dieu et de l'Église.
L'excommunication et la déposition des empereurs s’en trou-
vent justifiées. De l'investiture laïque, on est passé à la supé-
riorité de l'autorité spirituelle sur l'autorité temporelle:
désormais est en jeu la domination du monde.

Les princes ne s'y trompèrent pas; pour eux, les décrets de


1075 étaient une atteinte à leur autorité. Ils ne furent publiés
ni en Angleterre - mais Guillaume le Conquérant y avait
combattu la simonie -, ni en Espagne, ni dans l’Empire. En
France, le légat Hugues de Die put épurer l’épiscopat, malgré
les résistances de Philippe If et de la noblesse. Dans l’Empire
les évêques, qui ne voulaient pas perdre leur rôle politique,
soutinrent Henri IV lorsque celui-ci ouvrit la lutte, à propos
de la succession archiépiscopale de Milan, en proclamaritla
déposition de Grégoire VII, qu'il fit ratifier par les évêques
allemands et lombards [janvier 1076). Le pape répliqua.en
excommuniant l’empereur, en le destituant et en déliant ses
sujets de leur serment de fidélité. Menacé par des révoltes
en Germanie et par l'abandon des évêques, Henri IV, dans
un geste politique, se soumit à une pénitence publique et
Canossa: château du nord de implora le pardon du pape au château de Canossa [janvier
l'Italie, près de Reggio Emilia où 1077). Quoiqu'il refusât à l’empereur de le rétablir dans ses
Henri IV se présenta en tenue droits politiques, Grégoire VII fut moralement obligé de
de pénitent devant le pape,
pour obtenir la levée de son
l’absoudre, ce qui permit à Henri IV de reprendre la lutte. Le
excommunication. pape renouvela ses sentences d’excommunication et de dépo-
sition; l’empereur fit élire un antipape, Clément II, qu'il ne
réussit pas à imposer hors de l’Empire. Grégoire VII, contraint
de rechercher la protection des Normands, mourut en 1085,
apparemment vaincu, ayant en fait réussi à rendre la papauté
indépendante et à faire appliquer en partie la réforme
ecclésiastique.
L'Église et la société politique

M La Querelle des Investitures


La Querelle des Investitures allait se prolonger pendant près
de quarante ans. Les successeurs de Grégoire VII reprirent le
programme grégorien avec moins de raideur.
Urbain II (1088-1099) cherche à se concilier les clergés natio-
naux en supprimant les légats permanents. Il veut surtout
isoler l'empereur, en faisant naître en Allemagne un parti
romain, et l’antipape, en se réinstallant à Rome et en réunis-
sant deux conciles à Plaisance et à Clermont (1095) qui mani-
festent le prestige de la papauté. Après lui, la pratique de
l'investiture laïque disparaît en France, puis en Angleterre, à
la suite d’un violent conflit entre Henri I‘ Beauclerc et
l'archevêque de Canterbury, Anselme. Chez les Capétiens, en
application des idées professées par un célèbre canoniste, Yves
de Chartres, l’on distingua deux investitures, la première
conférée par le métropolitain au nouvel évêque élu par le clergé
et le peuple, la seconde accordée par le roi pour le temporel
de l'évêché. En Angleterre, si le roi renonçait à l'investiture
par la crosse et l'anneau, il exigeait des évêques un serment
de fidélité.
Dans l’Empire, la question des investitures restait entière,
après qu'Henri V, qui avait flatté le parti grégorien pour éli-
miner son père du trône, eut refusé un compromis du type
français. Sous la menace des armées allemandes descendues
en Italie, la négociation reprit avec le faible Pascal IT à Sutri
(1111) : une solution radicale, par laquelle l’empereur se désin-
téressait des investitures et les évêques du temporel de leur
évêché, fut repoussée par les évêques allemands. Le pape
malmené finit par accorder à l’empereur l'investiture par la
crosse et l'anneau, après une élection libre, mais se rétracta
devant les protestations du parti réformateur. La lutte reprit
jusqu’au moment où Henri V, gêné par des révoltes en
Allemagne, accepta les ouvertures que lui faisait un nouveau
pape, Calixte Il, réformateur mais diplomate. De longues
discussions aboutirent à l'accord connu sous le nom de
Concordat de Worms (1122). ConcorparT: convention qui
règle en termes de droit les
Ce texte distinguait dans la fonction épiscopale l'aspect spi- relations entre la papauté et les
rituel et l’aspect temporel. Les élections épiscopales et abba- États.
tiales seraient libres mais se dérouleraient en présence d’un
délégué de l’empereur; le métropolitain accorderait l'investi-
ture ecclésiastique au nouvel élu. L'empereur renonçait à
l'investiture par la crosse et l'anneau mais obtenait en échange
le droit de remettre au nouvel évêque les biens et les fonctions
politiques attachés à sa charge, en procédant à une investiture
par le sceptre, suivie d’un serment de fidélité.
Ce compromis, limité aux évêchés et aux abbayes, mettait fin
à la Querelle des Investitures. Mais, outre qu'il était diffici-
lement applicable, il ne réglait en rien le problème du dominium
mundi, posé avec tant de vigueur par les Dictatus papae.
L'Église s'est déféodalisée, le prestige de son chef s’est accru,
comme le montre la grande assemblée conciliaire réunie au
Latran en 1123, qui codifia tous les décrets constitutifs de la
PARTIE 2 Le Moyen Âge classique (x°-xi° siècle)

réforme grégorienne. La faiblesse du pouvoir impérial, après


la disparition d'Henri V, reporte à plus tard le conflit dont la
domination de la Chrétienté était l'enjeu. Avec l'avènement
de Frédéric I Barberousse en 1152, commence la lutte du
Sacerdoce et de l’Empire.

Il. La lutte du Sacerdoce et de l'Empire


M Papes et rois
LES PAPES DU XI° SIÈCLE « Rome est la tête du monde », proclame en 1139 le second
concile du Latran, au cours duquel s'exprime l’idée que Dieu
Calixte 11 (1119-1124)
Honorius |! (1124-1130) a confié au successeur de Pierre la disposition des royaumes
Innocent || (1130-1143) et des empires. En réalité, le triomphe de la papauté était
Eugène Ill (1145-1153) moins éclatant. En France, l’excommunication de Philippe [*
Hadrien IV (1154-1159) sanctionne son adultère avec Bertrade de Montfort, femme
Alexandre || (1159-1181) du comte d'Anjou. La réforme grégorienne est introduite dans
Lucius 11 (1181-1185)
le royaume sans le concours du roi. En Angleterre, Henri IT
Urbain II (1185-1187)
Grégoire VIII (1187-1188)
Plantagenêt, par les Constitutions de Clarendon (1164), voulut
Clément Ill (1188-1191) affermir l'autorité royale sur son clergé, en contrôlant l’élec-
Célestin |1l (1191-1198) tion des nouveaux prélats. La résistance de l'Église anglaise
Innocent Ill (1198-1216) fut dirigée par Thomas Becket, mais Henri II, tout en s’hu-
miliant publiquement après l'assassinat de l'archevêque de
Canterbury, et en renonçant officiellement aux « coutumes »
qu'il avait introduites, réussit en fait à maintenir sa domina-
tion sur l’Église. Dans l’Empire, Frédéric Barberousse annon-
çait dès son élection qu’il voulait rendre à la dignité impériale
son ancienne splendeur; il reprenait en main son clergé, en
contrôlant les élections épiscopales et abbatiales, en faisant
des évêques et des abbés des « fonctionnaires » au service de
l'empereur. En Italie même, un groupe d’hérétiques, conduit
par Arnaud de Brescia, préconisait la pauvreté radicale et
voulait forcer la papauté à renoncer à tout pouvoir temporel;
Eugène III dut faire appel à Frédéric Barberousse pour réduire
la République romaine et éliminer le chanoine « révolution-
naire » (1155). Enfin, tandis qu’à l'extérieur de l’Église, sous
l'influence des mutations économiques, naïissait un « esprit
laïc », à l'intérieur certains clercs mettaient en doute la
tradition selon laquelle les successeurs de Pierre jouissent
d’un pouvoir supérieur à celui des autres princes. Dans ces
conditions, la lutte du Sacerdoce et de l’Empire, menée au
nom d’enjeux politiques, sous le couvert d’une violente polé-
mique, intéressa moins l'Occident que ne l'avait fait la réforme
grégorienne, conduite au nom d’un idéal religieux.

M Papes et empereurs
Les multiples péripéties importent peu. Elles opposent
Frédéric I‘, qui soutient plusieurs antipapes, et Alexandre III
qui acquiert l'alliance des villes lombardes, inquiètes des
prétentions impériales. Impuissant à dissocier ses adver-
saires, vaincu à Legnano par les troupes de la Ligue lombarde,
l’empereur dut à la paix de Venise (1177) abandonner son
L'Église et la société politique

antipape et reconnaître Alexandre II. Il n’en continua pas


moins à contrôler en Allemagne les élections épiscopales et
à refuser de rendre à la papauté l'héritage de la comtesse
Mathilde de Toscane. Il obtint en outre des faibles succes-
seurs d'Alexandre III qu'ils acquiescent au mariage de son
fils et héritier, Henri, avec Constance, héritière éventuelle
du roi de Sicile, Guillaume II. Cette union allait être, après
la mort de Barberousse au cours de la troisième croisade et
celle de Guillaume II quelques mois plus tôt, la source de
nouvelles tensions entre la papauté et Henri VI dont toute
la politique fut de réunir l'Italie du Sud à l’Empire germa-
nique, en refusant au Saint-Siège le serment de vassalité que
prêtaient les rois normands. Ce faisant, il menaçait le pontife
romain dans son indépendance. Mort jeune en 1197, il ne put
réaliser ses desseins.

B La théocratie d’'Innocent Ill


La disparition d'Henri VI est contemporaine de l'élévation au
pontificat d’Innocent III (janvier 1198). Avant son élection, LES EMPEREURS DU XIl° SIÈCLE

Lothaire de Segni avait été l'élève d’un grand canoniste de Henri V (1106-1125)
l’école de Bologne, Huguccio, qui lui inspira une pensée poli- Lothaire || (1125-1138)
tique connue sous le nom de théocratie pontificale. Ce pro- Conrad II| (1138-1152)
gramme, plus souple que la théorie grégorienne, distinguait Frédéric l®’ Barberousse (1152-1190)
Henri VI (1190-1197)
la pleine souveraineté {auctoritas) que seul le pape détient, de
la puissance politique (potestas) que les souverains reçoivent
directement de Dieu. La primauté romaine a en effet une ori-
gine divine, le Christ ayant conféré à saint Pierre et à ses
successeurs la plénitude du pouvoir; en conséquence, toutes
les Églises nationales sont subordonnées au Saint-Siège qui
les contrôle par ses légats. Les États et les souverains n’échap-
pent pas à l'autorité du souverain pontife, car rois et empereurs
ont des devoirs envers Dieu, dont le pape est juge. Il s'ensuit
que le pouvoir spirituel qui a trait aux choses célestes est
supérieur au pouvoir temporel qui regarde les affaires ter-
restres, quoique Innocent III admette que dans les choses
temporelles l’empereur puisse l'emporter sur le pape. En ce
domaine, l'intervention pontificale se limite à trois cas: péché
grave des princes, nécessité urgente {soin de trancher un pro-
blème que nulle juridiction n’a pu régler), défense du domaine
ecclésiastique contre les usurpations des souverains. Vicaire
du Christ, le pape est maître des âmes et des corps.
L'application de ces idées se fit dans plusieurs domaines. Avec
Innocent III commence la centralisation romaine, marquée
par le développement d’une importante administration ecclé-
siastique et par les progrès de la fiscalité pontificale. La papauté
voulut aussi être le guide de la société chrétienne, le berceau
de son unité, l’Église devant être la réalisation terrestre de la
cité de Dieu, sous la direction du pape. À cet effet, Innocent III
encouragea la conquête et la christianisation des régions
d'Occident restées aux mains des Infidèles ou des païens
(Espagne musulmane, Prusse) ; il chercha à établir son auto-
rité temporelle sur Rome où un sénateur unique remplaça les
organismes municipaux, et sur les Etats de l'Eglise qui
PARTIE 2 Le Moyen Âge classique (x°-xn° siècle)

s’accrurent de la marche d'Ancône et du duché de Spolète.


Tuteur du jeune Frédéric Roger, héritier d'Henri VI, il obtint
la réduction des pouvoirs régaliens sur l'Église de Sicile et la
vassalité du prince pour son royaume. Il arbitra la compétition
entre les prétendants à l’Empire, favorisant Otton de Brunswick
contre Philippe de Souabe, puis Frédéric Roger (le futur
Frédéric II) contre Otton IV, lorsque celui-ci fut revenu sur ses
promesses. Il usa de sanctions spirituelles contre Philippe
Auguste qui avait répudié sa première femme ét contre Jean
sans Terre qui s’opposait au cardinal Langton; les deux sou-
verains s’inclinèrent. De nombreux royaumes (Angleterre,
Aragon, Portugal, Pologne...) se déclarèrent vassaux du Saint-
Siège. La réunion du 1v° concile æcuménique du Latran (1215)
marqua l’apothéose du système théocratique développé par
Innocent III.

Æ La victoire de la papauté
LES PAPES DU XIII° SIÈCLE Le triomphe de la papauté était néanmoins fragile. Frédéric II,
Honorius Ill (1216-1227)
en se faisant couronner empereur en 1220 et en réunissant
Grégoire IX (1227-1241) de fait en sa main les sceptres sicilien et germanique, allait
Innocent IV (1243-1254) faire entrer la lutte du Sacerdoce et de l’Empire dans une phase
Alexandre |V (1254-1261) nouvelle, violente et incertaine. Son programme impérial en
Urbain IV (1261-1264) est responsable: il prétendait à un pouvoir universel; empereur
Clément IV (1265-1268)
romain, il disposait d’une souveraineté absolue [influence du
Grégoire X (1271-1276)
droit romain] ; empereur de droit divin, médiateur entre Dieu
et les hommes, il considérait l’Église comme incluse dans
l'Empire. En face, deux papes énergiques, Grégoire IX (1227-
1241] et Innocent IV (1243-1254), qui reprirent, sous une forme
exacerbée, les théories d’Innocent III, justifiant la souverai-
| neté absolue du pape dans tous les domaines par des argu-
& nation de ments aussi divers que la fausse donation de Constantin, le
Constantin, p.51. transfert du pouvoir impérial d'Orient en Occident, la consé-
cration par laquelle seul le pape fait l’empereur, la théorie des
deux glaives montrant que le souverain pontife dispense le
pouvoir temporel. La polémique fut violente, les chancelleries
s'affrontèrent. En fait, le véritable enjeu était la domination
de l'Italie, les questions religieuses se voyant reléguées au
second plan.
Une lutte sans merci absorba les énergies des deux parties,
regroupa leurs partisans en deux factions, Guelfes et Gibelins.
p. 147. Frédéric IT fut une première fois excommunié en 1227 pour
avoir différé son départ pour la croisade, puis traita avec
Grégoire IX [traité de San Germano, 1230). Après sept ans
d’accalmie, le conflit rebondit quand Frédéric eut châtié les
villes lombardes (Cortenuova, 1237); il fut une deuxième fois
excommunié en 1239, occupa les États de l’Église et empêcha
le pape de tenir un concile à Rome en 1241. Innocent IV, plus
ferme encore, s'enfuit à Lyon où il convoqua en 1245 un concile
qui prononça l’excommunication et la déposition de Frédéric II.
L'empereur mourut en 1250 sans avoir pu reprendre l'avantage
en Italie. De ce duel sans merci, l’Empire sortait vaincu; il
devait rester sans titulaire après la mort de Conrad IV, le fils
de Frédéric, jusqu’en 1273 [le grand interrègne}. Le succès de
L'Église et la société politique

la papauté n'était pas sans ombres; à se battre pour des motifs


politiques, elle avait perdu du prestige; surtout, les rois, et en
particulier les Capétiens, avaient profité de la lutte pour
prendre leurs distances vis-à-vis des deux pouvoirs et pour
affirmer leur autonomie au temporel.
Après 1250, la papauté s’affaiblit en fait. Les théories politiques
qu'elle affiche sont démenties par la réalité. Elle croit tenir
l'Italie du Sud en en confiant l'investiture à Charles d'Anjou,
mais les papes tombent sous l'influence angevine. Au second
concile de Lyon (1274) elle exprime sa suprématie sur l’Église
universelle et sur les puissances laïques en rétablissant l'union
des Églises latine et grecque, mais quelques années plus tard,
les Grecs font défection. Elle croit dominer l'Italie avec l'appui
des Gueltes; or le renversement amorcé par les « Vêpres sici- Les VÉPRES SICILIENNES :Soulève-
liennes » (1282) ruine les plans angevins et permet aux ment populaire des Siciliens
Gibelins de relever la tête. contre la domination angevine
(avril 1282).

& Un durcissement de la théocratie :Boniface VIII


Boniface VIII (1294-1303) entendit rehausser le prestige de la
papauté. Le bilan de ses interventions dans les différents
royaumes d'Occident se solde par un échec total. À la bulle
Clericis laicos (1296) qui rappelait à Philippe le Bel et à
ÉdouardI‘ d'Angleterre l’exemption fiscale des clercs, le
Capétien répliqua en interdisant les transferts de fonds vers
Rome. Le pape céda. À la bulle Ausculta fili (1301) qui mori-
génait le roi de France pour avoir décrété d’arrestation l’évêque
de Pamiers, Philippe le Bel répondit en faisant proclamer l’in-
dépendance de la monarchie au temporel par l'assemblée des
États, auxquels le légiste Pierre Flote avait présenté une bulle
falsifiée. Boniface VIII alors éleva le débat; la bulle Unam
Sanctam (1302) reprit sur un ton fort véhément les idées d’In-
nocent IV: le pape jouit d’une double autorité, spirituelle et
temporelle. Il délègue celle-ci aux princes qui l’exercent au
nom de l’Église, le souverain pontife garantit l'unité et la
sainteté de l'Église, juge rois et empereurs, fait de la soumis-
sion à sa personne une question de salut. Devant cette suprême
expression de la théocratie pontificale, Philippe le Bel et ses
conseillers firent déclarer le pape schismatique et hérétique
et en appelèrent au concile général. Une mission, dirigée par
Guillaume de Nogaret, partit sommer le pape de se présenter
devant le concile. L'humiliation de Boniface VIII à Anagni
(septembre 1303) marque la déroute de la théocratie pontifi-
cale. La papauté ne pouvait plus prétendre gouverner le monde.
PARTIE 2 Le Moyen Âge classique (xif-xi° siècle)

L'état de la recherche
La paroisse en France
« La chrétienté se couvre d'un blanc mantea u d'églises
», écrivait le chroniqueur Raoul Glaber au
s dans la chrétienté en plein
début du x= siècle, pour marquer la création d'un réseau de paroisse
t à l'époque carolingienne, bien que
essor. Les historiens ont longtemps cru que la paroisse remontai
la paroisse elle-même. Dans les zones
le mot parochia ait longtemps désigné le diocèse plutôt que
constitué le noyau des paroisses,
d'ancienne chrétienté, la plebs antique, église de plein exercice, a
des petites églises de création domaniale. En
accru par la multiplication des oracula (oratoires) et
orientale, le r éseau régulier des paroisses n'existait pas
revanche dans les pays du Nord ou d'Europe
place progress ivement à partir de l'an Mil et est décalé dans le
au début du x° siècle: il se met en
temps à mesure que l'on se dirige vers l'est de l’Europe.

es origines et modalités xi® siècle: Saint-Gervais et honorifiques vont unir l'ecclesia


de création des paroisses Saint-Germain-l'Auxerrois. matrix et ses filiales qui verse-
peuvent être très diverses. Le Au x siècle, apparaissent de ront à l'église cathédrale une
regroupement du cimetière nouvelles paroisses, Saint- petite redevance annuelle.
autour d’une église, la création Laurent, Saint-Méry, Saint-
d'une zone de paix autour du Jacques-de-la-Boucherie, âtiment de pierres,
cimetière, de l'aître ou de Saint-Paul, Saint-Martin-des- B souvent de dimensions
l'église, le développement des Champs et Saint-Nicolas-des- modestes dans les villages,
faubourgs, progressivement Champs, suivies plus tard l'église paroissiale comporte
enserrés dans de nouvelles par Saint-Jean-en-Grève et un mobilier très simple: un
enceintes, la progression Saint-Eustache. Sur la rive autel, quelques statues, des
des défrichements qui s'ac- gauche, existaient au début bannières et des peintures
compagne de la création de du xr siècle de vieilles églises sur les murs glorifiant le saint
nouveaux villages dotés d'une mérovingiennes, Saint-Séverin, patron. Elle est entourée du
église, autant d'occasions pour Saint-Benoit et Notre-Dame- cimetière, lieu de rencontre,
créer de nouvelles paroisses. des-Champs, ainsi que des lieu du marché parfois, pour
C'est ainsi que Dijon qui ne chapelles monastiques, Sainte- signifier l'intime communion
comptait que trois paroisses Geneviève, Saint-Marcel, entre les vivants et les morts.
vers 1150 (Notre-Dame, Saint- Saint-Germain-des-Prés. Avec Dans les pays du nord et de
Jean, Saint-Médard) se dote de l'accroissement de la popula- l'est de la France, l'église est
quatre nouvelles paroisses à la tion estudiantine et la création souvent l'unique pôle du
fin du xi° siècle, en liaison avec de l'enceinte de Philippe village, le château se situant à
la croissance urbaine. Auguste, viennent s'ajou- l'écart. Dans les pays méridio-
ter Saint-André-des-Arts en naux, en revanche, l'église est
À Paris, le cadre paroissial 1211, Saint-Étienne-du-Mont plutôt dominée par le château.
est corrélé à l'organisation en 1202 et Saint-Nicolas-du- Des oratoires et des croix de
domaniale. Dans la Cité, il n'y Chardonnet en 1240. Ainsi des carrefour, souvent érigés sur
eut longtemps qu'une paroisse, paroisses minuscules comme des lieux sacrés du paga-
celle de l'évêque, Notre-Dame. celles de la Cité coexistent nisme, jalonnent le territoire
Mais en 1183, Maurice de Sully, avec de très grandes paroisses, paroissial.
initiateur de la reconstruction comme Saint-Eustache sur la
de la cathédrale, réorganise rive droite ou Saint-Étienne- M odèle d'organisation
le réseau paroissial de la Cité, du-Mont sur la rive gauche. religieuse, la paroisse
qui compte désormais douze l'évêque va chercher à représente au Moyen Âge la
centres paroissiaux, en dehors imposer son autorité sur ces seule forme locale d'organi-
de Notre-Dame. Sur la rive paroisses établies soit sur des sation politique et sociale, un
droite, deux paroisses se parta- terres royales, soit sur des élément essentiel de l'enca-
geaient le territoire jusqu'au biens monastiques. Des liens drement du monde rural.
L'Église et la société politique

PQ A EL DE 2 D REA

Bibliographie
La lecture essentielle est l'ouvrage dirigé par A. VaucHez, Histoire du christianisme, t. V, 1054-1274,
Paris, 1993. Un résumé commode de l'histoire de la période est fourni par J. CHeun, Histoire
religieuse de l'Occident médiéval, Paris, 1968.

Sur les institutions de paix:


On consultera surtout le t. 14 des Recueils de la Société Jean Bodin: la Paix, Bruxelles, 1962 et le
premier chapitre de l'ouvrage de J. FLori, Croisade et Chevalerie xF-x siècles, Paris-Bruxelles, 1998.

L'influence de Cluny sur la réforme ecclésiastique:


Elle est étudiée par M. Pacaur, L'Ordre de Cluny, Paris 1986 et par D. locnar-Prar, Ordonner et exclure.
Cluny et la société chrétienne face à l'hérésie, au judaïsme et à l'Islam 1000-1150, Paris, 1998.

L'œuvre grégorienne:
Elle a fait l'objet de multiples travaux en allemand, anglais et italien (G. TELLENBACH, J. GiLCHRIST,
G. Miccou, O. CapiTani...). Le plus accessible est encore M. Pacaur, La Théocratie. L'Église et le Pouvoir
au Moyen Âge, Paris, 1957, p. 63-102, à compléter par le petit livre d'A. Fuicxe, La Querelle des
Investitures, Paris, 1946; S. GouGuEenHEIM, La réforme grégorienne, Paris, 2010; J.-H. FouLon, Église
et réforme au Moyen Âge. Papauté, milieux réformateurs et ecclésiologie dans les pays de Loire au
tournant des xf-xf siècles, Bruxelles, 2008.

Pour les rapports entre l’Église et les pouvoirs politiques:


Voir R. Forz, L'Idée d'Empire en Occident du # au x siècle, Paris, 1953, M. Pacaur, Louis VII et les
Élections épiscopales dans le royaume de France, Paris, 1957 et E. MacNou-Norrier, La Société laïque
et l'Église dans la province ecclésiastique de Narbonne de la fin du vu à la fin du xf siècle, Toulouse,
1974; L. Feuuer, L'Église et la Société en Occidentdu vif au xF siècle, Paris, 2004. La lutte du Sacerdoce
et de l’Empire peut être étudiée à travers les ouvrages de M. Pacaur, Frédéric Barberousse, Paris,
1967 et d’E. Kanrorowicz, L'Empereur Frédéric II, Paris, 1988. Sur le conflit entre Boniface VIII et
la monarchie française, voir J. Faver, Philippe le Bel, Paris, 1978; A. Paravicit BAGLIAN, Boniface
VIII, Paris, 2003. Les idées politiques de la papauté et leurs applications sont étudiées par W.
UrLmany, The Growth of Papal Government in the Middle Ages, Londres, 1970; J. Avr, Le gouver-
nement des évêques et la vie religieuse dans le diocèse d'Angers (1148-1240), Paris, 1984; J. BASCHET,
Les justices de l'au-delà. Les représentations de l'enfer en France et en Italie
(uE-x siècle), Rome, 1993; Nicole Bériou, L'avènement des maîtres de la parole. La prédication à
Paris au x siècle, Paris, 1998; Edina Bozoky, La politique des reliques de Constantin à Saint Louis:
protection collective et légitimation du pouvoir, Paris, 2006; P. Demovr, Les archervêques de Reims
et leur Église aux xF et xif siècles (997-1210), Langres, 2005.

Sur la place des laïcs:


Voir G. Dusy, Le Chevalier, lafemme etle prêtre, Paris, 1981 et A. Vaucez, Les Laïcs au Moyen Âge. Pratiques
et Expériences religieuses, Paris, 1987. G. LosricHon, La Religion des laïcs au Moyen Âge, Paris, 1994;
N.-Y. Tonnerre, Être chrétien au Moyen Âge, Paris, 1996; P. L'HERMITTE-LECLERCO, L'Église et les Femmes,
Turnhout, 1998; D. Lerr, Famille et Parenté au Moyen Âge, -x” siècle, Paris, 2000; E. PaLazz0, Liturgie
et Société au Moyen Âge, Paris, 2000; P. Henker, La Parole et la Prière au Moyen Âge, Bruxelles, 2000.
Sur l’histoire des conciles:
Voir R. Forever, Latran |, Il, Ill et Latran IV, Paris, 1965 et H. Worrer et H. HOLSTEIN, Lyon l'et Lyon II,
Paris, 1967.
Le monachisme
et la recherche du salut

aidés par des cohortes d'anges,


Au porche des cathédrales, l'échelle de Jacob représente les hommes,
fait. Symbole de cette obsession du salut
qui se hissent vers l'au-delà, sans pouvoir l’atteindre tout à
pour qui toute destinée humaine, à l'image
communément répandue chez les hommes de ce temps,
la création et s'acheva nt par le jugemen t dernier, est une
de l'histoire du monde commençant avec
moyens de mériter l'au-delà : des moyens négatifs, par
marche vers l'éternité. Mais il y a plusieurs
ns et les persécut ions du Diable, présent à tout instant de la vie, sous
exemple repousser les séductio
à un certain nombre
la forme d'une femme où d'un démon grimaçant; des moyens positifs: se livrer
stie et la Vierge, dona-
de pratiques, jeünes prolongés, dévotions envers le Christ souffrant, l'Euchari
les soins donnés aux lépreux,
tions testamentaires à l'Église, œuvres multiples de miséricorde comme
de Compostelle
participation aux plus grands pèlerinages, ceux qui mènent vers Rome, Saint-Jacques
de vénérer des reliques, source de puissanc e et de
et Jérusalem et qui permettent à chaque étape
l'Église propose comme idéal la fuite du monde; des chevalier s,
salut pour les fidèles. Mieux encore:
, des marchand s, fortune faite, abandon nent tout pour finir leurs jours dans
au soir de leurs aventures
de
un couvent à l'écart du monde: des grands seigneurs et rois revêtent l'habit monastique à l'article
Des ermites, pauvrem ent vêtus, vivent reclus dans des « déserts » et n'en sortent que pour
la mort.
exhorter à la pénitence et donner aux humains de pieux conseils. La fuite du monde est une tradition
ancienne dans l'Église : fuite solitaire, sous la forme de l'érémitisme; fuite communautaire, sous l'aspect
s,
du cénobitisme. Mais ici et là, le monde fait encore peser son influence; l'évolution des mentalité
les transformations de la société et de l'économie impriment à la recherche du salut des formes nou-
velles qui tendent à correspondre aux besoins du temps: les unes, en réaction contre l'Église établie,
mènent à l’hérésie: les autres, fidèles au Saint-Siège, donnent à la vie religieuse un nouvel essor.

CET 1. Cluny
p. 105. Au début du xr° siècle, Cluny est déjà solidement établi.
Poursuivant l’œuvre de Maïeul (948-994), deux grands abbés,
Odilon (994-1049] et Hugues (1049-1109), donnent à la congré-
gation une puissance matérielle et un rayonnement spirituel
considérables, en même temps qu'ils se rangent parmi les
personnages les plus importants de la chrétienté.

M L'expansion de Cluny
L'abbé Maïeul avait propagé la réforme monastique dans de
nombreuses abbayes de France et de Bourgogne, et commencé
à nouer entre Cluny et les établissements ainsi réformés des
liens institutionnels, annonçant la création d’un ordre. Ses
deux successeurs, grâce à la longueur exceptionnelle de leur
abbatiat, réalisèrent ce dessein. Avec eux, les coutumes cluni-
siennes, c'est-à-dire la règle bénédictine réformée par Cluny,
sont adoptées dans maint monastère du Massif Central, du
Poitou, de Provence, du Languedoc, du Bassin parisien, du
nord et de l’est de la France. Elles gagnent d’autres contrées,
Le monachisme et la recherche du salut

l'Italie (La Cava, Farfa), les royaumes chrétiens d'Espagne (San


Juan de la Pena), l'Empire, l'Angleterre (Lewes) et même la
Terre Sainte, après les succès de la première croisade. Le réseau
clunisien s'étend ainsi à la plus grande partie de l'Occident,
mais est surtout très dense au long des grandes voies de pas-
sage (sillon rhodanien, route de Saint-Jacques de Compostelle)
et dans les riches plaines agricoles (Bassin parisien, Aquitaine,
' Le
Lombardie). À la fin du xr° siècle, l'abbé de Cluny dirigeait
plus ou moins directement près de 1 450 établissements, dont É» 354, À.
815 en France. Au moment où la congrégation construit à
Cluny même la plus grande église de la chrétienté médiévale
et voit deux de ses moines (Urbain II et Pascal Il} élevés au
pontificat, l'expansion est déjà arrêtée. La politique des abbés,
qui ne s'accorde plus toujours avec celle de la papauté, est
contestée; de graves difficultés financières secouent l’ordre
qui malgré les efforts remarquables de Pierre le Vénérable
(1122-1157) prend le chemin du déclin.

EÆ L'ordre clunisien
L'organisation rigide et monarchique de l’ordre ne lui avait
pas permis de s'adapter à une aussi vaste extension. Elle repo-
sait sur un homme, l'abbé de Cluny, élu par les moines de
l’abbaye-mère, exerçant sur tous les établissements dépendants
une autorité sans partage, chargé de veiller par d’incessants
voyages au respect des coutumes clunisiennes, d’arbitrer les
conflits, de recevoir le serment de fidélité des prieurs qu'il
nomme, d'établir les règlements qu'il juge utiles, d'organiser
enfin la vie d'environ dix mille moines, répartis entre divers
établissements qui ne sont pas tous rattachés à Cluny de la
même manière. En dépendance directe sont les prieurés, com- PRIEURÉ: monastère dont le
munautés monastiques placées sous la direction d’un prieur supérieur est nommé
par l'abbé
de l'abbaye-mère.
nommé par l'abbé de Cluny, auquel elles doivent un cens
annuel. Parmi elles se distinguent les « cinq filles de Cluny »,
Souvigny, La Charité-sur-Loire, Sauxillanges, Saint-Martin-
des-Champs à Paris et Lewes en Angleterre qui ont propagé
la réforme monastique et rattaché à l’abbaye-mère de nom-
breux prieurés par essaimage ou par filiation. Le nombre des
filiales est tel qu’au xn‘ siècle, tous ces établissements sont
regroupés en dix provinces, sans que soit pour autant diminué
le pouvoir de l'abbé de Cluny. Celui-ci exerce aussi son auto-
rité sur les abbayes-sujettes dont il contrôle la gestion; maïs
ces communautés, dont le nombre ne dépassa jamais une
quinzaine, ont la faculté de placer à leur tête un abbé libre-
ment élu. Le rapport de dépendance est bien plus lâche avec
les abbayes affiliées, qui s'engagent à respecter les coutumes
clunisiennes sans dépendre à proprement parler de l'abbé de
Cluny, qui se contente de ratifier l'élection de leur propre abbé.
Au début du xn° siècle, pour donner plus de cohésion à la fami-
lia clunisienne et plus de souplesse à une organisation criti- FamiLia: ensemble des moines,
frères convers et serviteurs laïcs
quée pour son « impérialisme », Pierre le Vénérable décide de qui gravitent autour du père
réunir abbés et prieurs en un chapitre général, au cours duquel abbé.
ceux-ci pourront, sous la présidence de l'abbé de Cluny, par-
ticiper aux décisions.
PARTIE 2 # Le Moyen Âge classique (u°-xn* siècle)

partage
Des coutumes communément observées, l'autorité sans
de l'abbé de Cluny donnaie nt à l’ensem ble de la congrég ation
E
grande unité spiritue lle. Grâce à l'exemp tion qu'Urba in IT
da Lis une
étend en 1097 à tous les monastères sur lesquels l'abbé de Cluny
p.105.
exerce sa juridiction directe, l’ordre a pu échapper à la main-
mise des évêques mais aussi des seigneurs laïcs, aider au relè-
vement du clergé en propageant la réforme pontificale.
La spiritualité clunisienne se fonde sur une restauration de
la règle bénédictine, non sans certains infléchissements. Elle
privilégie l'office choral, les temps de prière et de recueille-
ment, en dehors desquels l’activité du moine est réduite: il
travaille à des ateliers de copie, au point que Cluny possède
l’une des plus riches bibliothèques de tout l'Occident. Quoique
chaque établissement soit à la tête d'immenses propriétés
foncières, le moine clunisien ne s'adonne guère aux travaux
manuels; il laisse les soins de la terre à des serfs, à des pay-
sans salariés puis, au xnr siècle, à des frères convers. En consé-
quence, les vastes domaines monastiques ne sont pas toujours
exploités comme il le faudrait; la subsistance de nombreux
improductifs, moines et domestiques, conduit au x1° siècle
mainte abbaye à une situation financière difficile. En fait la
crise des abbayes bénédictines à cette époque n’est pas géné-
rale; plus qu’à l'introduction de l'économie monétaire dans
les campagnes, les difficultés sont dues à l’impéritie de cer-
tains abbés et prieurs et à l’aggravation de la fiscalité princière
et pontificale.

& L'influence de Cluny


L'influence de Cluny sur la société de son temps a été consi-
dérable. Liée à la société féodale par le choix de ses chefs, par
la mentalité de ses membres recrutés en majeure partie dans
l'aristocratie, par le système de dépendance unissant ses divers
établissements, la congrégation en donnant son appui aux
mouvements de paix a contribué à un certain adoucissement
des mœurs et a endigué la violence en incitant les coupables
à la pénitence. Cluny a collaboré avec la papauté pour arracher
aux laïcs les temporels ecclésiastiques, pour restaurer la dis-
cipline du clergé et aider les réformateurs. Elle prit toutefois
ses distances dans la Querelle des Investitures, en marquant
ses réserves devant les proclamations grégoriennes de la toute-
puissance pontificale; elle resta aussi à l’écart des premières
croisades lorsqu'un pape clunisien en prit l'initiative (Urbain
II à Clermont, 1095). Le grand nombre de constructions monas-
tiques favorisa l'essor de l’art roman, des édifices comme ceux
de Moissac et de Cluny servant de modèles à plusieurs autres.
Un tel éclat ne doit pas cacher l’essoufflement de l'expérience
clunisienne au xir' siècle. À force d'intervenir dans les affaires
de la chrétienté, les abbés de Cluny ont perdu de vue l'idéal
monastique fondé sur le retrait du monde; à force de vouloir
regrouper sous leur autorité toutes les formes du monachisme
occidental, ils ont poussé abbayes et prieurés dépendants à
relâcher leurs liens avec la maison mère, ils ont laissé les
Le monachisme et la recherche du salut

nouvelles recherches spirituelles se développer hors de leur


congrégation. Des exigences plus sévères de retrait du monde,
de pauvreté, de mysticisme même ont trouvé pour s'exprimer
d’autres voies.

Il. Le retrait du monde: le renouveau


de l’érémitisme et Citeaux

BE Les expériences
La richesse de Cluny, fort critiquée, donnait par contraste
une réputation de sainteté à ceux qui avaient accepté de tout
quitter pour vivre dans un isolement total, les ermites.
À l'exemple de Nil de Rossano qui avait regroupé en Calabre
à la fin du x° siècle des adeptes de l’anachorétisme, plusieurs ANACHORÉTISME : vie Contem-
ermites italiens s’efforcèrent de concilier vie cénobitique et plative menée dans la solitude
érémitisme en donnant une règle aux disciples qu'ils avaient d'une retraite,
rassemblés: Romuald créa les Camaldoli en 1012, Jean
Gualbert de Florence l'établissement de Vallombreuse (1039).
L'exemple fut suivi en Bavière et en France, particulièrement
par Étienne de Thiers, fondateur de Grandmont (1074) autour
duquel se développa un ordre. Plus décidé encore à rompre
totalement avec le monde, tout en assurant la stabilité monas-
tique à ses disciples, saint Bruno alla s'établir en 1084 au
cœur des Alpes pour jeter dans un « désert » les fondements
de la Grande Chartreuse; aidés par des frères convers, les
moines vivent en ermitages dont ils ne sortent que pour par-
ticiper aux offices et assister au chapitre réuni par le prieur
qu'ils élisent. Vers 1200, trente-neuf établissements avaient
adopté la règle de la Chartreuse.

D'autres expériences menaient à la réforme du monachisme


bénédictin ou à des fondations nouvelles. La règle de saint
Benoît était infléchie dans le sens d’une plus rude ascèse dans
des abbayes comme celle d'Hirsau, de La Chaise-Dieu fondée
en 1043 par Robert de Turlande, et surtout de Fontevrault où
Robert d’Arbrissel établit dans un monastère double ses dis-
ciples, hommes et femmes soucieux de pénitence, qui avaient
suivi ses prédications. Chaque monastère double est dirigé
par une abbesse, choisie parmi des femmes veuves.

Sans abandonner d’aussi rudes exigences, d’autres adoptaient


la règle plus souple de saint Augustin, permettant à des com-
munautés canoniales de se tourner vers une vie active de pré-
dication et d'enseignement: en 1110, Guillaume de Champeaux
fondait la collégiale Saint-Victor de Paris; dix ans plus tard, CoucéGiace: église non
Norbert de Xanten s’établissait à Prémontré d’où se développa cathédrale dotée d'un corps
un ordre de chanoines prédicants. En Terre Sainte, pour assurer el
la protection des pèlerins, se créaient des ordres religieux et
militaires, celui des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem,
celui des Chevaliers du Temple ou Templiers, fondé par Hugues
de Payns en 1119, ainsi qu'une autre confrérie qui prit en 1198
PARTIE 2 æ Le Moyen Âge classique (xi°-xii° siècle)

aient
le nom d'ordre des Chevaliers Teutoniques. En eux se rejoign
l'esprit chevaleresque et l'idéal péniten tiel de la croisad e.

HE Ciîteaux
Une autre fondation allait dominer l’histoire du monachisme
la
au x1r siècle: Cîteaux. En 1098, quelques moines, sous
direction de Robert de Molesme, vont s'établir à Citeaux en
Bourgogne pour vivre intégralement la règle de saint Benoît:
rupture totale avec le monde, pauvreté, silence, travail manuel,
dépouillement des édifices cultuels et de la liturgie, telles
sont les exigences que sanctionne la « charte de charité »,
règle promulguée en 1118 par le troisième abbé de Cîteaux,
Étienne Harding. À cette date, la nouvelle fondation connaît
déjà un lustre exceptionnel, grâce à l’action de Bernard de
Fontaine (saint Bernard) qui entre à Cîteaux en 1112 avec une
vingtaine de compagnons et va ensuite fonder Clairvaux en
1115. Avec saint Bernard, Cîteaux devient un ordre regroupant
à la fin du xir° siècle 530 maisons réparties de l'Espagne à la
Pologne et de l'Irlande à la Terre Sainte. Tous ces établisse-
ments forment une véritable congrégation; ils sont rattachés
à l’une des cinq grandes abbayes, Cîteaux, La Ferté, Pontigny,
Clairvaux et Morimond, mais gardent une totale autonomie
interne, à peine limitée par la visite annuelle de l'abbé de la
maison mère. Un abbé général siégeant à Cîteaux, un chapitre
général, innovation cistercienne qui eut par la suite beaucoup
de succès, donnent au système une cohésion souple mais cer-
taine. La congrégation adopte la loi de pauvreté: les moines
cultivent eux-mêmes leurs domaines en s'intéressant aux
techniques nouvelles de mise en valeur; ils s'interdisent de
posséder des églises privées et d’en toucher les revenus.

E Saint Bernard
Sous l'influence de saint Bernard, « praticien de l'amour
ŒUVRES DE SAINT BERNARD divin », la spiritualité cistercienne exige une rupture totale
(1090-1153) :
avec le monde. Une pénitence sévère, des exercices ascétiques
Sermons à la louange et spirituels variés mènent à la connaissance et à la contem-
de la Vierge mère,
plation de Dieu. Pauvreté, mortification, chasteté sont des
Traité de l'amour de Dieu,
Sur les degrés de l'humilité moyens de parvenir aux joies de la mystique, de pratiquer une
et de l'orgueil, religion d'amour dont saint Bernard se fait l’apôtre, amour de
Sur la grâce et le libre arbitre, Dieu et de la Vierge, objet d’une grande dévotion. À sa suite,
Éloge de la nouvelle chevalerie, une pléiade d'écrivains cisterciens, dont Guillaume de Saint-
Sermons sur le Cantique
Thierry et Aelred de Rielvaux, élabora une doctrine de l'union
des Cantiques,
Traité contre les erreurs
mystique avec Dieu. Formé aux arts libéraux et possédant
d'Abélard, une bonne culture, Bernard considérait néanmoins que la
La Considération, connaissance est la servante de la foi et se défiait de l'orgueil
Lettres, de l'intelligence voulant tout expliquer: par là s'explique la
etc. vigueur de ses interventions contre Abélard. Pénitence et
humilité seules conduisent à Dieu. Mais, plus intéressé aux
exemples du passé qu'aux recherches de son temps, saint
Bernard, s’il freina certaines évolutions philosophiques
comme celle d'Abélard, favorisa l’approfondissement du mysti-
cisme médiéval.
Le monachisme et la recherche du salut

Son éloquence, sa générosité, son activité inlassable le mêlè-


rent à toutes les affaires importantes de l'Église pendant la
première moitié du xu° siècle: il défend le pape légitime
Innocent IT contre son concurrent schismatique Anaclet; il est
le conseiller écouté du pape Eugène III, le prédicateur enthou-
siaste de la seconde croisade lors des assemblées de Vézelay et
de Spire. Dans les affaires politiques, on le choisit comme
arbitre. Il morigène Louis VI et exhorte princes et évêques à
accomplir leurs devoirs. Après sa mort (1153), les cisterciens,
à son exemple, sortent de leur retraite pour participer à quelques
grandes entreprises ecclésiastiques: ils sont appelés par la
papauté pour relever le niveau spirituel de l’épiscopat et pour
combattre l’hérésie qui se développe en Languedoc.
Il y avait là quelque contradiction avec les exigences de la
règle cistercienne. L'action contre les hérétiques, bien souvent
infructueuse, la participation aux grandes tâches de l’Église
entravaient la contemplation et la fuite du monde. La richesse
des maisons cisterciennes acquise grâce à une bonne gestion,
posait de redoutables problèmes. Faute de pouvoir concilier
l'idéal originel et les réalités du temps, l'expérience cister-
cienne perdit de son dynamisme dès la fin du xu° siècle.

Ill. Les hérésies et leur répression


M Origine des hérésies
Les mouvements hérétiques ne sont pas particuliers à l'Occi- HÉRÉSIE :choix, à l'intérieur de
dent du x siècle. Dès les années 1020, les chroniqueurs nous la Révélation, d'une vérité par-
signalent des prédicateurs professant des doctrines contraires tielle qui devient erreur par
« l'exclusion des vérités
aux dogmes catholiques: il y en a à Arras, à Orléans, à Châlons- primitivement connexes »
sur-Marne, en Aquitaine, à Goslar en Germanie, en Lombardie. (M.-D. CHENU).
Ils professent un spiritualisme exacerbé, interprètent de
manière allégorique la Révélation évangélique, pratiquent une
pauvreté communautaire qui leur attire beaucoup d’adeptes.
Ces éclosions sporadiques sont peu de chose à côté du foison-
nement des hérésies au xn° siècle. L'on s'interroge encore sur
la nature et le sens de ces mouvements: sont-ils l’aboutisse-
ment d’authentiques exigences spirituelles que l’Église offi-
cielle n'arrive pas à satisfaire? Ou au contraire couvrent-ils,
sous un voile religieux, des troubles révolutionnaires nés de
revendications sociales ? Il semble bien que de réelles aspira-
tions morales, des oppositions à un clergé contaminé par
le siècle, aient été à l’origine de ces mouvements qui trouvè-
rent dans les antagonismes sociaux un aliment supplémen-
taire, mais non primordial.
En fait un profond désir de retour à l'Église des origines est
commun à toutes les hérésies, quel qu’en soit le contenu reli-
gieux. La richesse de l’épiscopat souvent recruté dans une
noblesse sans réelle vocation religieuse, les désarrois et les
ignorances d’un bas clergé appauvri, le relâchement dans l’ob-
servance de la règle tant chez les clunisiens que chez les cis-
terciens, une certaine paganisation des milieux laïques sous
PARTIE 2 # Le Moyen Âge classique (xi°-xn siècle)

de raïi-
l'influence des transformations économiques, autant
ques de critiqu er la richess e de l’Églis e et
sons pour les héréti
ation admini strati ve qu'ils oppose nt à l'esprit évan-
son organis
e. Le
gélique, fait de pauvreté et de charité communautair
mouvement réformateur du xn‘ siècle qui a suscité tant de
rs
troubles dans l'Église et dans ses rapports avec les pouvoi
u
établis, favorise aussi l’éclosion des hérésies. Quant au conten
re:
religieux, il varie selon les mouvements que l’on considè
certains ne touchent pas au dogme que d’autres veulent chan-
de
ger. Les plus radicaux tirent l'essentiel de leur doctrine
sources tout à fait étrangè res à l'Évang ile.

& Le valdéisme
Parmi les premiers, le plus important est sans conteste la secte
des Pauvres de Lyon, créée vers 1170 par Pierre Valdès. Riche
marchand de Lyon, il résolut de tout quitter pour prêcher avec
ses disciples la pénitence et la pauvreté. Mais les propos qu'il
EXCOMMUNICATION : sentence tint dans ses prédications l’exposèrent à l’'excommunication,
prononcée contre un fidèle prononcée au concile de Vérone (1184). Il n’en continua pas
sorti de l'Église à la suite de moins à prêcher en accentuant son hostilité à la hiérarchie
paroles ou d'actes contraires à
l'enseignement officiel de
catholique. Une partie des Vaudois s'établit dans le sud de la
l'Église. France, s’opposa aux Cathares et fut récupérée par la prédica-
tion de saint Dominique. Une autre fraction passa en Italie
puis en Europe centrale et fut pourchassée par l'autorité
ecclésiastique.

& Le catharisme
Beaucoup plus dangereuse pour l'Église était la religion cathare.
Introduite vers 1150 par des seigneurs revenus de la seconde
croisade, elle se répand d’abord en Allemagne et dans le nord
de la France avant de s'implanter en Italie (Lombardie, Toscane,
Marches), en Catalogne, et particulièrement dans le Languedoc
et dans la région d'Albi, d’où le nom d’Albigeoïis. La doctrine
se rattache au manichéisme oriental: deux principes fondamen-
taux et antagonistes, le bien et le mal; deux mondes: celui de
la matière et celui de l'esprit. La masse des adeptes n’est sou-
mise à aucune obligation particulière; l'élite des parfaits mène
au contraire une vie très austère, répandant la doctrine et récon-
ciliant les pécheurs à leurs derniers instants par une sorte de
sacrement, le consolamentum. Cette doctrine se répandit rapi-
dement dans le Midi, les hérétiques reçurent l'appui des sei-
gneurs locaux, profitèrent de l’infériorité morale du clergé
méridional, s'imposèrent grâce à l’action de parfaits répandant
l'instruction, les soins médicaux et vivant d'aumônes, grâce
aussi à la tolérance du comte de Toulouse, Raymond VI. Ils
organisèrent dans le Lauraguais, autour de Fanjeaux, de Montréal
et de Laurac, une véritable Église avec six évêchés soutenus par
l'aristocratie locale et les masses populaires.

M La réponse de l’Église
L'extension de l’hérésie risquait de détruire l’unité de la chré-
tienté. Aussi, tout en s’occupant de relever le niveau moral du
Le monachisme et la recherche du salut

clergé, Innocent III fait appel à des cisterciens pour rétablir


par la prédication l'unité de foi et la paix, pour mener le
negotium fidei et pacis, rechercher les hérétiques. Les légats
pontificaux n’ont aucun succès. Deux clercs espagnols, Diego,
évêque d'Osma, et Dominique de Caleruega le constatent et
demandent à se joindre aux cisterciens. À partir de 1206 et
pendant dix ans, ils imposent un style de prédication plus
humble, verbo et exemplo. Dominique, après la mort de son
compagnon, s’installe à Prouille, puis en 1215 à Toulouse où
le noyau de prédicateurs va former l'Ordre des prêcheurs. PRÊCHEURS : l'Ordo praedicatorum
est le nom de l'ordre des
Entre-temps, à la suite de l'assassinat du légat pontifical, Pierre dominicains.
de Castelnau, une croisade contre les Albigeoïs avait été prê-
chée; y participèrent des seigneurs du nord de la France, sous
la direction de Simon de Montfort. Le massacre de Béziers
(1209), la victoire de Muret (1213) sur le comte de Toulouse et
Pierre II d'Aragon, venu à son secours, sont les principaux
moments d’une guerre sanglante où les prétextes religieux
cachèrent mal les appétits territoriaux des barons du Nord:
les biens de Raymond VI passèrent à Simon de Montfort puis
au roi de France, lors du traité de Paris (1229).
Au même moment s'organisait l’Inquisition, c'est-à-dire la
recherche et la poursuite des hérétiques. Le concile de Vérone
(1184) en définit les principes qui furent repris par le 1v° concile
du Latran (1215). La procédure est fixée au concile de Toulouse
en 1229, procédure d'exception confiant à l’évêque la sentence,
au bras séculier l'exécution de l’hérétique par le feu, ou la
confiscation de ses biens. En 1231, par suite de l'échec de l’in-
quisition épiscopale, Grégoire IX crée l’'Inquisition proprement
dite qu'il confie dans les années suivantes aux ordres men-
diants. À côté d’incontestables excès, comme ceux de Robert
le Bougre dans le nord de la France, les tribunaux des prêé-
cheurs, particulièrement à Toulouse, condamnèrent moins
qu'on ne le dit; des princes, comme Jacques I‘ d'Aragon et
Frédéric II, les masses populaires favorisèrent ces procédures
d'exception qui n’eurent toutefois aucun caractère systéma-
tique. La tolérance, en matière de religion, n’est encore le fait
que d’une infime minorité, Raymond Lull par exemple.

IV. Les ordres mendiants


Les fondateurs des nouveaux ordres religieux reprirent aux héré-
tiques leurs méthodes et leur genre de vie: prédication itinérante,
exigence radicale de pauvreté. Ce furent les raisons de leur
succès.

MH Les dominicains
SAINT DOMINIQUE
En 1215, le Castillan Dominique de Caleruega [1170/1175-1221), (1170/1175-1221)
sous-prieur d'Osma, après avoir parcouru le Languedoc, instal-
lait ses prédicateurs itinérants à Toulouse et demandait à
Innocent III de confirmer l’organisation de sa communauté.
L'année suivante, Honorius III lui accordait de créer un ordre
PARTIE 2 & Le Moyen Âge classique (xI°-xii° siècle)

Dominique
qui serait celui des frères prêcheurs. Aussitôt,
répand re par-
envoya ses compagnons à travers le monde pour
et 1221, le fon-
tout le nouveau style de prédication. Entre 1218
nt son ordre dans
dateur déploya une activité inlassable, étenda
re de Bologn e de 1220
toute l’Europe et lui donnant au chapit
tête, un maître généra l auquel
ses premières structures. À la
l réuni
sont soumis tous les prêcheurs, et un chapitre généra
ant les règlem ents de l’ordre et dispos ant du
tous les ans, élabor
ire. En 1221, les couven ts furent réparti s en pro-
pouvoir judicia
dirigée s par un prieur et un chapit re provinc ial. À la
vinces,
mort de Dominique (1221), l’ordre comptait déjà une vingtaine
de couvents de prêcheurs et quatre de moniales.
nine La règle adoptée par les prêcheurs est celle des chanoines de
p. 58. saint Augustin. Elle fait une large place à la prière liturgique,
à la méditation et accorde de grands pouvoirs à un prieur élu,
responsable de l’organisation conventuelle. Deux traits carac-
térisent le nouvel ordre: la fidélité à la « vie apostolique »,
l'importance de la formation intellectuelle des frères. « Vie
apostolique », cela signifie une exigence de pauvreté telle que
l'ordre ne doit avoir ni revenus, ni propriétés, et doit pratiquer
la mendicité conventuelle. Seule est admise la possession du
couvent par chaque communauté, de livres par chacun des
frères ;chaque couvent se transforme en maison d'études ou
studium; chaque province dispose de centres d'études bibliques
et théologiques; les prêcheurs se fixent enfin dans les villes
universitaires (Bologne, Paris, Toulouse, Oxford, Cologne) où
la qualité de leur enseignement leur permet de briguer rapi-
dement les chaires de Faculté.

Æ Les franciscains
Au même moment, en Italie, naissait l’ordre des frères mineurs.
Mineurs (0.F.M.) : l'Ordo fratrum Jeune bourgeois d'Assise, né vers 1182, François Bernadone
minorum est le nom porté par rompit en 1205 avec les usages familiaux pour mener une vie
les franciscains en signe
d'humilité.
de retraite, de prière et de mendicité. En 1209, il décida de Vivre
dans le dénuement absolu, suivi rapidement par des émules
SAINT FRANÇOIS (1182-1226).
(Bernard de Quintavalle, Pierre de Catane] décidés à imiter la
vie apostolique et constitués en une fraternité de pénitents.
Ces premiers adeptes en entraînèrent d’autres, se livrant à la
prédication sur des sujets de morale, les seuls que les autorisait
à traiter le pape Innocent III. Les conditions dans lesquelles la
communauté s'organisa en ordre sont encore peu claires:
François, attentif à l'exigence radicale de pauvreté, s'opposa-
t-il à cette transformation ? La papauté, soucieuse de contrôler
la diffusion des mineurs et d'en faire une milice de l'Église,
imposa-t-elle au petit pauvre d'Assise (Poverello) une organi-
sation et une règle? Toujours est-il qu'après une infructueuse
mission de François en Égypte, et quelques désordres nés d’une
crise d'autorité, François laissa à ses premiers disciples la direc-
tion de la communauté, après avoir élaboré une règle
qu'Honorius III promulgua en 1223. Il se retira sur le mont
Alverne en Toscane et mourut en 1226.
Le monachisme et la recherche du salut

À cette date, l'ordre des frères mineurs avait reçu une organi-
sation et s’efforçait de vivre selon les principes ayant présidé
à sa fondation. Il était dirigé par un ministre général assisté
d'un chapitre général. Au niveau inférieur, les chapitres pro-
vinciaux puis les couvents dirigés par un custode. Un cardinal
protecteur veillait à la stricte subordination de l’ordre au Saint-
Siège. À la fin du xur‘ siècle, avec plus de 1 500 maisons répar-
ties en 34 provinces, l’ordre s'étendit du Portugal à la
Scandinavie et de l'Irlande en Tartarie. Le réseau des couvents
était surtout très dense en Italie; il se complétait par les éta-
blissements des clarisses, ordre féminin créé par Claire de
Favorino. Saint François avait voulu développer chez ses dis-
ciples le sens de la pauvreté, l'amour mutuel, l'humilité et la
patience, comme le rappelle son testament. Mais, dès la mort
du fondateur, l’on s’interrogea sur le sens de la pauvreté dans
la spiritualité des mineurs: s’interdirait-on de construire cou-
vents et basiliques, de posséder des livres? Certains, qu'on
appela les « spirituels », étaient les zélateurs d’une pauvreté
absolue et dénonçaient les interprétations que la papauté don-
nait au testament de saint François. Ce groupe accueillit les
idées hérétiques d’un moine cistercien, Joachim de Flore, dont
l'ouvrage sur l'unité de la Trinité avait été condamné au
ve concile du Latran (1215). D'autres, ou « conventuels »,
acceptaient avec le frère Elie de Cortone, ministre général de
1232 à 1239, certains accommodements avec l'exigence de
pauvreté. Le conflit, un moment apaisé par les constitutions
promulguées à Narbonne par saint Bonaventure en 1260, reprit
après la mort de ce ministre général en 1274 et se prolongea
jusqu'au cœur du xiv° siècle.

& L'influence des ordres mendiants


L'influence des ordres mendiants fut considérable au xm° siècle.
Prêcheurs et mineurs suppléèrent en partie le clergé séculier
dans ses tâches essentielles, la prédication et l’enseignement.
Ils comprirent que c’est au cœur des villes, et non plus dans
les solitudes rurales, qu'il fallait planter le monachisme, prê-
cher contre les hérétiques, assurer la direction spirituelle des
masses, proposer à l’âme des dévotions plus sensibles, aux
artistes (Cimabue, Giotto]) un art religieux moins rigide, enca-
drer enfin les nombreux adeptes laïcs de ces nouvelles formes
de spiritualité par la création de tiers-ordres qui eurent grand
succès. À l’idée de croisade, les ordres mendiants substituè-
rent le projet de convertir les infidèles: des missions célèbres
(Guillaume de Rubrouck, Jean de Plan Carpin) s’enfoncèrent
au cœur de l'Asie, sans grand résultat.
Dans les Universités, et malgré la résistance du clergé séculier,
illustrée par l’œuvre de Guillaume de Saint-Amour accusant
les mendiants d’être de faux docteurs, prêcheurs et mineurs
occupèrent une place de choix, surtout dans les Facultés de
théologie. De leurs rangs proviennent tous les grands intellec-
tuels et théologiens du xmf siècle: Alexandre de Hales (1180-
1245), saint Bonaventure (1221-1274), Albert le Grand(1200-1280),
PARTIE 2 Le Moyen Âge classique (x°-xn siècle)

292),
saint Thomas d'Aquin (1226-1274), Roger Bacon (1210-1
pour ne citer que les plus célèbres .
Duns Scot (1226-1308),
L'éclat des ordres mendiants ne va pas sans ombres. Dès 1231-
1233, ils prirent en main l’Inquisition. Jusque vers 1260, ils
se heurtèrent au clergé séculier à propos de leur place dans
les universités; sous Boniface VIII encore, ils étaient en conflit
avec les évêques qui supportaient mal de les voir remplacer
les desservants de paroisses dans la prédication et la direction
de conscience.
Malgré tout, les ordres mendiants exercent une profonde
influence dans tous les domaines du ressort de l'Église. Ils
représentent une éclatante adaptation des clercs aux besoins
du temps et de l’Église aux nouvelles structures sociales.

Bibliographie
Le vocabulaire du christianisme:
me. On
Il est indispensable d'avoir une certaine connaissance du vocabulaire du christianis
pourra l'acquérir en consultant l'introduction de l'ouvrage de J. CHeun, Histoire religieuse de
l'Occident médiéval, Paris, 1968, l'index du t. 3 de l'Histoire des institutions françaises au Moyen
Âge: institutions ecclésiastiques, Paris, 1962.

Sur le comportement religieux :


Le comportement religieux est analysé par J. LecLERco, F. VANDENBROUKE et L. Bouyer, La Spiritualité
du Moyen Âge, Paris, 1961 ; R. ManseLu, La Religion populaire au Moyen Âge, Montréal-Paris, 1975;
E. DeLarueLLe, La Piété populaire au Moyen Âge, Turin, 1975; A. Vauckez, La Spiritualité du Moyen Âge
occidental, Paris, rééd., 1994; du même auteur, Saints, prophètes, visionnaires. Le Pouvoir surna-
turel au Moyen Âge, Paris, 1999. P. A. SicaL, Les Marcheurs de Dieu. Pèlerinages et Pèlerins au Moyen
Âge, Paris, 1974; du même auteur, Miracles et Société xF-x1f siècle, Paris, 1985; N. CHAREYRON, Les
Pèlerins de Jérusalem au Moyen Âge. L'Aventure du saint voyage d'après journaux et mémoires, Paris,
2000; D. Péricaro-Méa, Le Culte de saint Jacques. Pèlerins de Compostelle et pèlerinages en France à
la fin du Moyen Âge, Paris, 2000; J. Le Gorr, La Naissance du Purgatoire, Paris, 1981 ; J.-CI. SCHMITT,
Les Revenants, les vivants et les morts dans la société médiévale, Paris, 1994 et J. Lecuerco, Le Mariage
vu par les moines au xif siècle, Paris, 1983; P. RicHé et G. LosricHon, Le Moyen Âge et la Bible, Paris,
1984: J. Daarun, Robert d'Arbrissel, fondateur de Fontevraud, Paris, 1986. A. VaucHez (dir.), Storia
dell'Italia religiosa, 3 vol., Rome-Bari, 1993-1995; D. ALexanDre-Bipon, La Mort au Moyen Âge (xué-
xvf£ siècle), Paris, 1998; C. Carozzi et H. Tavani-Carozzi, La Fin des temps. Terreurs et prophéties au
Moyen Âge, Paris, 1999. C. Caëy, De l'érémitisme rural au monachisme urbain. Les Camaldules en
Italie à la fin du Moyen Âge, Rome, 1999; P. Herrer, La Parole et la Prière au Moyen Âge, Bruxelles,
2000: M. Lauwers, L'Église, la terre et les morts. Lieux sacrés, espace funéraire et propriété ecclésiale
dans l'Occident médiéval, Paris, 2002; M. Lauwers (dir.), Guerriers et moines. Conversion et sainteté
aristocratique dans l'Occident médiéval, Turnhout, 2002; D. logna-Prar, La Maison Dieu. Une histoire
monumentale de l'Église au Moyen Âge (v. 800-v. 1200), Paris, 2006.

Sur le monachisme:
Parmi les synthèses générales sur le monachisme, on peut citer M. Pacaur, Les Ordres monas-
tiques et religieux au Moyen Âge, Paris, 2° éd., 1993 et J. Beruioz (dir.), Moines et religieux au Moyen
Âge, Paris, 1994; N. Deriou-Leca, Saint-Germain d'Auxerre et ses dépendances (#-xuf siècle),
Le monachisme et la recherche du salut

Saint-Étienne, 2010; V. Gazeau, Normannia monastica. Princes normands et abbés bénédictins (x-
x£ siècle), Caen, 2007.

Sur Cluny, l'ouvrage fondamental est désormais celui de M. Pacaur, L'Ordre de Cluny, Paris, 1986,
à compléter par les études de quelques grands abbés de Cluny, comme celle de J. Lecuerco,
Pierre le Vénérable, Paris, 1946; P. RaQNET, Crises et Renouveaux: les monastères clunisiens à la fin
du Moyen Âge (xuf-xv siècles), Arras, 1997 ;D. loGna-Prar, Ordonner et Exclure, cf. p. 187.

Sur le monachisme féminin, voir M. Parisse, Les Nonnes au Moyen Âge, Paris, 1983; du même
auteur, Les Religieuses en France au xuf siècle, Nancy, 1985 et P. Lecuerco-L'HermiTe, Le Monachisme
féminin dans la société de son temps. La Celle-lès-Brignoles, xf-xvf siècle, Paris, 1989; J. DaLARUN,
Claire de Rimini, Paris, 1999.

L'ordre cistercien:
L'ordre cistercien fait l'objet de l'étude fondamentale de M. Pacaur, Les Moines blancs. Histoire
de l’ordre de Ciîteaux, Paris, 1993; voir aussi P. AuBé, Saint Bernard de Clairvaux, Paris, 2003.

Pour saint Bernard, la synthèse la plus accessible est celle de J. Lecrerco, Saint Bernard etl'Esprit
cistercien, Paris, 1966, à compléter par J. Vercer et J. Jouiver, Bernard et Abélard ou le cloître et
l'école, Paris, 1982 et A. Breoero, Cluny et Citeaux au xiF siècle, Lille, 1983.

Sur les hérésies:


Sur les hérésies, et particulièrement sur le catharisme, la bibliographie est immense. On pourra
en prendre connaissance en consultant C. THouzeLuier, Catharisme et Valdéisme en Languedoc à
la fin du x et au début du xur siècle, Paris, 1965, les Cahiers de Fanjeaux résumant les colloques
tenus à Fanjeaux depuis 1965, et le recueil collectif, Hérésies et Sociétés dans l'Europe pré-indus-
trielle, x£-xvif siècle, Paris, 1968. Voir aussi E. Le Roy Laourie, Montaillou, village occitan de 1294 à
1324, Paris, 1975; J. DuverNoy, La Religion des cathares, Toulouse, 1976; du même auteur, Inquisition
à Pamiers :cathares, juifs, lépreux devant leurs juges, Paris, 1986; J. Beruioz (dir.), Le Pays cathare.
Les Religions médiévales et leurs expressions méridionales, Paris, 2000.

Sur l’Inquisition, on se contentera du petit livre de G. et J. Testas, L'Inquisition, Paris, 1966.

Sur les ordres mendiants:


Les ordres mendiants et la personnalité de leurs fondateurs ont été maintes fois étudiés. Voir
M.-H. Vicare, Histoire de saint Dominique, 2 vol. Paris, 1957, G. Bevoueute, Dominique ou la Grâce de la
Parole, Paris, 1982; J. Le Gorr, Saint François d'Assise, Paris, 1999; J. DaLarun, François d'Assise ou le pour-
voir en question. Principes et modalités du gouvernement dans l'ordre des Frères mineurs, Bruxelles, 1999;
J. DaLarun, La Malaventure de François d'Assise, Paris, 2004. L'influence des ordres mendiants n'a pas
fait l'objet d'une synthèse mais voir H. Marnin, Les Ordres mendiants en Bretagne (1230-1530), Paris,
1975. La seule biographie utilisable de Thomas d'Aquin est celle de J.-A. WesHelt, Frère Thomas
d'Aquin, Paris, 1993; P. Berrrano, Commerce avec Dame Pauvreté. Structure et fonction des couvents
mendiants à Liège (xuf-xv siècles), Liège, 2004; André VaucHez, François d'Assise, Paris, 2009.

Sur les missions:


sous la
Pour les missions, on se référera au t. 1 de l'Histoire universelle des missions publiée
RicHaro, La
direction de M5" S. Decacroix, Les Missions, des origines au xvf siècle, Paris, 1957; J.
s
Papauté et les Missions d'Orient au Moyen Âge (xu-xv siècle), Rome, 1977. R. Durano, Musulman
et Chrétiens en Méditerranée occidentale x-xur siècle. Contacts et échanges, Rennes, 2001; J. TOLAN,
Le Saint et le Sultan, Paris, 2007.
L'expansion de l'Occident
mouvements d'extension
En apparence, rien ne sépare les conquêtes carolingiennes des différents
élargir la Chrétienté, c'est-
que connut l'Occident à partir du xf siècle. Les objectifs sont communs:
sur les nations païennes appelées à se convertir.
à-dire la domination politique des princes chrétiens
n et annexion vont de pair. Les moyens ne diffèrent
Comme aux temps de Charlemagne, conversio
mais les armées, au lieu de répondre aux convocati ons du souve-
guère; c'est la conquête militaire,
composée s de volontaire s, encadrées par des grands, et stimulées par les
rain carolingien, sont
spirituels que leur prometten t les clercs. Pourtant, à partir du x° siècle, l'expansi on n'est
avantages
aux,
pas seulement le fait d'hommes de guerre et de prosélytes. Il s'y mêle des appétits commerci
qui pousse à dépasser les
l'attrait des richesses fabuleuses de l'Orient, le goût de l'aventure aussi,
s carolingi ennes, intéressan t épi-
limites du monde jusqu'alors connu. Contrairement aux conquête
sodiquement le roi et ses guerriers qui devinrent les « preux » de la légende, l'expansion de l'Occi-
dent est, à partir des dernières années du xf siècle, un phénomène de masse, lançant sur les routes
de terre et de mer des troupes de chevaliers et de pauvres pénitents cherchant à gagner Jérusalem
pour assurer leur salut, mais aussi de marchands de plus en plus nombreux, soucieux d'établir des
liens avec les pays d'Orient sans passer par l'entremise des Byzantins et des Sarrasins. Croisades et
expansion économique, conquêtes territoriales et comptoirs commerciaux, explorations et missions,
tout se mêle à partir du xi° siècle dans ces mouvements qui portent les chrétiens d'Occident à gagner
les pays slaves, byzantins, musulmans et jusqu'à la Chine des Khans mongols. Cette expansion a
toutefois été précédée de migrations régionales et de conquêtes qui, sans avoir autant de portée,
ont néanmoins fourni à l'Occident des modèles.

l. Conquêtes et reconquêtes
M L'expansion normande
, . APR +
Au début du xr° siècle, l’'expansionnisme des Scandinaves; et
particulièrement des Danois, obtient ses plus beaux résultats.
ME | Vers l'an Mil, croit-on, à partir de leurs bases d'Islande et du
7 | Groenland, des Norvégiens vont explorer le Labrador. On a
», p. 90.
p
déjà vu la fortune éphémère de l'empire de Knut le Grand.
Celui-ci aide à l’évangélisation de la Scandinavie qui entre
ainsi pleinement dans la Chrétienté. Danois et Varègues
(Suédois) pénètrent d'autre part au cœur du monde slave et
gagnent par les fleuves russes les pays byzantins et musul-
mans, comme mercenaires ou comme marchands.
Au moment même où la mort de Knut le Grand (1035) pro-
voque la dislocation du grand Empire danois, d’autres
Scandinaves, fixés ceux-là en Normandie, prennent le relais
GUILLAUME LE CONQUÉRANT, de l'expansion. Le duc de Normandie, Guillaume, à la mort
duc de Normandie (1035-1087) d'Édouard le Confesseur (1066), affirme ses prétentions à la
couronne d'Angleterre, organise une expédition outre-Manche
qui écrase les Anglo-Saxons à la bataille d'Hastings (octobre
1066). L'histoire du duché de Normandie se trouve ainsi liée
L'expansion de l'Occident

aux destinées du royaume d'Angleterre. D’autres Normands,


en quête d'aventures et de terres, partent pour l'Italie du Sud Ducs ET ROIS DE SICILE
où les appelle un Lombard révolté contre l'autorité byzantine.
Robert Guiscard (1061-1085)
L'un d'eux, Renouf, se fait reconnaître comme maître du comté
Roger l°, duc (1062-1101)
d'Aversa, puis les fils de Tancrède de Hauteville se taillent Roger 11 (1113-1154), duc
des principautés, au détriment de Byzance. Le plus heureux, puis roi en 1130
Robert Guiscard, est reconnu duc des Pouilles et de la Calabre Guillaume [° (1154-1166)
Guillaume 1| (1166-1189)
par le pape Nicolas II en 1059. Il réussit à expulser les Byzantins
Tancrède de Lecce (1189-1194)
d'Italie du Sud (occupation de Bari en 1071] et va les combattre Henri VI, empereur (1194-1197)
sur l’autre rive de l’Adriatique. Ses successeurs chassent les
musulmans de Sicile; enfin, Roger II qui a placé sous son
autorité toutes les possessions normandes, obtient en 1130 la
couronne royale et poursuit la politique antibyzantine de
Robert Guiscard. Les apports normands, byzantins et musul-
mans se fondent dans ce royaume original où l'autorité du
prince, s'appuyant sur une administration perfectionnée,
est très forte, où Palerme devient un éclatant foyer culturel,
véritable creuset de civilisations.

M L'Europe centrale
En Europe centrale, la chrétienté progresse également. Le chef
hongrois Vajk, baptisé sous le nom d’Étienne vers 996, reçoit
du pape Silvestre II la couronne royale en l’an Mil. Ses popu-
lations se convertissent et se sédentarisent peu à peu. Les
Slaves de Bohême conservent les traditions de saint Wenceslas,
sont ouverts à la culture latine, mais subissent de fortes pres-
sions germaniques. La Pologne avec Miezko I“ entre dans la
chrétienté vers 966, réussit un moment à regrouper la majeure
partie des Slaves du Nord, mais est incapable, à partir du xn°
siècle, de résister à la colonisation germanique poursuivie par
les ordres militaires, Teutoniques et Porte-Glaives.

M La Reconquista
En Espagne, la conquête musulmane avait laissé subsister Rois D'ARAGON
quelques petits royaumes chrétiens dans les régions monta- Ramire 1° (1035-1063)
gneuses du nord de la péninsule: Léon, Navarre et comté de Sanche (1063-1094)
Barcelone, sans cesse menacés par les incursions sarrasines Pierre 1 (1094-1104)
Alphonse 1° (1104-1134)
(occupation de Saint-Jacques de Compostelle en 997). Malgré
Ramire || (1134-1137)
leur faiblesse, ces petits États, au nom de la foi religieuse et des Pétronille (1137-1162)
traditions romaines et wisigothiques, entreprennent, mais en Alphonse 11 (1162-1196)
ordre dispersé, l’œuvre de la Reconquête, marquée parfois de Pierre 11 (1196-1213)
revers et de temps d'arrêt, mais aussi d’heureux succès. Rejoints Jacques |° (1213-1276)

par des chevaliers d'outre-monts, parfois mal acceptés, et par jerre ll (1276-1285)
ÙU

des moines clunisiens fort actifs sur les routes de Compostelle,


Castillans et Navarrais organisent la « croisade » contre les
Sarrasins. Ils profitent de la dislocation du califat de Cordoue
en petits royaumes, dits de taifas, pour mener de grandes che-
vauchées (algarades) au cœur de la péninsule. Ferdinand I
reconquiert ainsi la région du bas Douro puis son fils, ALmoraviDes: dynastie
Alphonse VI, occupe Tolède en 1085, après un siège de deux ans. musulmane originaire de
Mauritanie et du Sud maro-
L'invasion des Almoravides semble remettre ces succès en ques- cain, qui soumit le Maroc
tion. Dès 1086, les Castillans sont défaits et refoulés au nord du puis le sud de l'Espagne.
PARTIE 2 & Le Moyen Âge classique (xf-xiif siècle)

cet
Tage. Malgré l'arrivée massive de chevaliers français comme
re dynasti e portuga ise,
Henri de Bourgogne, ancêtre de la premiè
Valence
malgré des exploits individuels comme ceux du Cid à
ns sont réduits à la défensi ve jusqu’a u début
en 1095, les chrétie
se
du xrr' siècle où les conquêtes reprennent: Tudèle [11 14), Saragos
(1118}, la vallée de l’Ebre occupée par Alphon se I‘ qui prépare
1137.
l'union de l’Aragon avec le comté de Barcelone, réalisée en
se Henriq uez s'empa re de Lisbonn e, libère la
À l'ouest, Alphon
majeure partie du Portugal et prend le titre royal en 1139. Des
ne
querelles dynastiques et la désunion des royaumes chrétiens
AimoHaDEs: dynastie musul-
mane d'origine berbère qui t plus qu’une
permettent pas de poursuivre ces avantag es d'autan
occupe l'Andalousie à partir de
1147. nouvelle vague sarrasine, celle des Almohades, recouvre lente-
ment l'Espagne.
Aussi, au début du x‘ siècle, Innocent III confie à l'archevêque
Rois DE CASTILLE de Tolède le soin d'organiser une nouvelle croisade. Des cheva-
Ferdinand 1° (1037-1065) liers sont recrutés dans tout l'Occident; une forte armée chré-
Sanche || (1065-1072) tienne, conduite par les rois de Castille, d'Aragon et de Navarre,
Alphonse VI(1072-1109) écrase les forces du calife almohade à Las Navas de Tolosa
Urraca (1109-1126)
(1212). Les Musulmans sont refoulés dans le sud de la péninsule
Alphonse VII (1126-1157)
Alphonse VII (1158-1214)
et forment le royaume de Grenade qui subsiste jusqu'en 1492.
Ferdinand Il le Saint La Castille et l’'Aragon se partagent les terres conquises.
(1217-1252) Ferdinand III annexe l’Andalousie avec Cordoue [1236] et Séville
Alphonse X le Sage (1248] ; quant à Jacques I‘ d'Aragon, il s'empare du royaume de
(1252-1284) Valence et des Baléares. Son fils Pierre III met à profit la voca-
tion maritime de ses États, pour mener une grande politique

n L méditerranéenne, recherchant l'alliance byzantine pour expul-
p.185. ser les Angevins de Sicile [(Vêpres siciliennes-1282).
La Reconquête a marqué profondément l’histoire de l'Espagne.
Elle a détourné les énergies vers une guerre interminable, au
détriment d'activités plus créatrices. Elle a livré aux royaumes
chrétiens d'importantes minorités non chrétiennes, juives ou
musulmanes, soigneusement protégées parfois par les souve-
rains. Elle a fait naître, à côté d'ordres militaires nationaux
(Alcantara, Calatrava), une féodalité turbulente que les rois ont
peine à discipliner; elle a favorisé les libertés des communautés
urbaines, garanties par des fueros, et le droit d'opinion des dif-
férentes classes de la population qui peuvent s'exprimer dans
des assemblées consultatives ou Cortes. Surtout la Reconquista,
marquée par l'union de l'épée et de la croix, a, dès les années
1050, préparé la voie aux croisades.

Il. Les croisades : origines et caractères


CRolsADE: le mot n'apparaît À côté de quelques entreprises isolées et sans lendemain, les
qu'après 1250 pour désigner huit grandes croisades sont une des plus éclatantes manifesta-
l'expédition vers Jérusalem des tions de l'essor de l’Europe. Lorsque Urbain II, au dernier jour
soldats du Christ. AUX xi°-
du concile de Clermont {27 novembre 1095}, prêche la croisade,
xi® siècles, on parle plutôt de
« voyage de Jérusalem », de il lui imprime un double caractère que garderont de manière
pèlerinage ou d'expédition, plus ou moins vive les expéditions suivantes: la croisade est une
sans autre précision. opération militaire qui se donne un but religieux. Sa réussite
suppose un dynamisme plus actif de l'Occident par rapport à
l'Orient. Qu'en est-il exactement à la fin du xr° siècle?
L'expansion de l'Occident

Alors que, jusque-là, l'Orient opposait à l'Occident des États


à forte cohésion territoriale, des civilisations urbaines, une
économie commerciale évoluée, un brillant héritage culturel,
l'équilibre des forces tend à se renverser à la fin du xt siècle.
L'Empire byzantin est affaibli par les heurts entre l’aristocra-
tie civile et la grande noblesse militaire; les changements
dynastiques y sont fréquents. Dans le monde musulman, les
califats se décomposent. Les Turcs Seldjoukides s'emparent
de Bagdad (1055), conquièrent une grande partie de l'Asie
Mineure, la Syrie et la Palestine, mais se séparent en plusieurs
émirats hostiles dont l'impuissance facilitera la marche des
croisés et la reconquête byzantine. L'invasion des Turcs n’a
guère troublé les sectes chrétiennes de Palestine ni gêné les
pèlerinages vers Jérusalem. Au point de vue économique, la
Méditerranée cesse d’être au xI° siècle un « lac musulman » ;
les villes italiennes, Venise, Bari ou Amalfi, ont établi des
liens commerciaux avec l'Orient, tandis que Pise et Gênes
nettoyaient la mer Tyrrhénienne de l'emprise sarrasine et
préparaient ainsi leur prochain essor.

&Æ Les causes de la croisade


Doit-on dès lors attribuer aux causes matérielles un rôle essen-
tiel dans le déclenchement des croisades ? Le développement
commercial des villes italiennes a-t-il par exemple poussé les
marchands à mettre la main sur les ports du Proche-Orient ?
En fait, les hommes d’affaires, au moins lors des premières
croisades, ont eu peur d’une aventure guerrière qui risquait
de rompre des solidarités commerciales préexistantes. Leur li! « || importe que, sans tarder,
réticence s’affaiblit ensuite, lorsqu'ils virent dans les croisades VOUS VOUS portiez au secours de
vos frères qui habitent les pays
la possibilité d'élargir le champ de leurs activités, et de faire d'Orient et qui déjà bien
sauter les verrous byzantin et musulman pour acheter les souvent ont réclamé votre
produits d'Orient à leur source même. L'Europe, a-t-on dit aide... Un peuple venu de
également, aurait eu un trop-plein de population; des cheva- Perse, les Turcs, a envahi leur
pays … Beaucoup sont tombés
liers sans terre, des paysans déracinés auraient été poussés
sous leurs coups; beaucoup ont
vers l'Orient par goût de l'aventure, désir de fiefs et de terres. été réduits en esclavage. » Ill
Mais il n’y a guère de lien entre une pression démographique
Urgain || au concile de Clermont,
qui n'avait rien d’excessif au xr° siècle et le départ précis vers d'après FOUCHER DE CHARTRES
Jérusalem. Incontestablement, l'existence d’une classe cheva-
leresque prolifique a permis d'envoyer sans cesse de nouveaux
contingents vers l'Orient, mais on ne peut réduire la croisade
à un phénomène d’exutoire démographique.

La véritable cause de la croisade, c'est l’état mental et psycho-


logique de l'Occident à la fin du xr' siècle. La croisade résulte
en fait d’un double courant: la tradition des pèlerinages, l’idée
nouvelle d’une guerre pour Dieu. Le pèlerinage, rite éminent
de pénitence, est considéré comme l’accomplissement d'une
destinée religieuse; supposant un dépouillement préalable, il
est un exercice individuel de purification, accompli dans la
pauvreté. Le but privilégié est Jérusalem, car les souffrances
endurées par le pèlerin sur une route aussi longue lui permet-
tent de s'unir à celles du Christ et de mériter la Jérusalem
céleste. Sous l'influence de l'Ancien Testament, la recherche
du salut collectif s’inséra peu à peu dans une démarche
PARTIE 2 & Le Moyen Âge classique (x°-xn° siècle)

de la
populaire. D'un autre côté se précise, SOUS l'influence
la notion de guerre pour Dieu: lutter pour déli-
Reconquista,
le Saint- Sépulc re c’est mériter , si l'on meurt en état de
vrer
ant aux fidèles d'aller
grâce, la palme du martyre. En propos
défendre les chrétiens d'Orient, Urbain II définit au concile
disait
de Clermont la notion même de croisade, ou, comme l’on
alors, de « voyage de Jérusa lem » ou de « passag e » (vers l’outre-
mer}. C'est un pèlerinage en armes, qui se donne pour objet
la délivrance des chrétiens d'Orient; il est placé sous l'autorité
de l'Église (le pape est représenté par un légat}, ouvert par une
bulle pontificale; ses participants se reconnaissent à certains
signes extérieurs (port d'une croix, mot de passe] et bénéficient
de privilèges spirituels et temporels (indulgences, moratoire
INDULGENCE: rémission par des dettes).
l'Église des peines temporelles
que les péchés méritent.
Æ Les caractères de la croisade
L'appel de Clermont eut un retentissement considérable. Une
cohue d'hommes, mais aussi de vieillards et de femmes, suivit
quelques prédicateurs populaires, dont Pierre l'Ermite, alors que
les troupes de chevaliers s’organisaient plus lentement. La croi-
sade populaire précède la croisade hiérarchique, double courant
que l’on retrouve jusqu'au xm° siècle. Malgré la diversité de leur
organisation et de leur sort, les huit croisades ont un certain
nombre de traits communs. Dans leur déclenchement, l'initia-
tive revient au Saint-Siège. Alerté par les revers subis par les
chrétiens en Orient, le pape, par le moyen d’une bulle pontifi-
cale ou à l’occasion d’un concile, lance un appel aux souverains,
aux nobles et aux chevaliers d'Occident. La prédication de la
croisade est assurée spontanément par des clercs et des ermites,
tels Pierre l’'Ermite en 1096, le moine Raoul en 1145-1146, le
curé Foulques de Neuilly en 1198-1201, ou par des prédicateurs
mandatés par la papauté, comme saint Bernard, lors des assem-
blées de Vézelay et de Spire (1146). À l'appel répondent grands
et petits, pauvres et puissants. Près de 150 000 hommes et
femmes suivent Pierre l’Ermite sur les routes de l'Europe cen-
trale, foules indisciplinées, prêtes à des enthousiasmes subits
et à de prompts découragements; en 1212, des enfants suivent
Étienne de Cloyes et le jeune Allemand Nicolas et sont disper-
sés ou vendus comme esclaves. Les chevaliers de Flandre, de
Lorraine, du Languedoc et d'Italie du Sud organisent quatre
expéditions en 1096, qui rejoignent en Asie Mineure les débris
de la croisade populaire. Les déboires de celle-ci conduisent les
souverains, puis la papauté, à organiser les départs. Mais la
mésentente trop fréquente des princes nuit à la cohésion des
troupes. Le caractère international de la croisade n'empêche pas
qu’à l’intérieur de chaque expédition, l'esprit de nationalité et
de classe l'emporte.
Le but de la croisade est Jérusalem au moins jusqu’à la fin du
x siècle. Les soldats du Christ empruntent, pour s'y rendre,
des itinéraires variés: soit les routes de terre, par la vallée du
Danube, la Serbie, la Thrace, Constantinople et l'Asie Mineure,
soit les routes de mer, depuis Gênes, Marseille ou Venise, ces
dernières étant préférées à partir de la troisième croisade.
L'expansion de l'Occident

Emprunter la voie continentale pose de redoutables problèmes


de ravitaillement et de sécurité. Les Byzantins, habitués à
recevoir des mercenaires occidentaux, n’ont jamais accepté
l'idée de croisade et se méfient de foules sans discipline et
sans grande valeur militaire. Ils leur marchandent le ravi-
taillement nécessaire et mesurent leurs renforts selon la situa-
tion politique locale. La sécurité des communications est
difficilement assurée: les troupes de ConradIll, après Dorylée,
celles de Louis VII à Attalia sont décimées par les Turcs, pous-
sés en sous-main par le basileus. Que ce soit par terre ou par BasiLEus: titre porté par
mer, le financement de l'expédition provoque l'appauvrisse- l'empereur de Byzance depuis
Héraclius (610-641).
ment des partants, souvent obligés de vendre ou de mettre en
gage leurs biens, et l'enrichissement des intermédiaires,
comme les Génois et les Vénitiens qui mettent leur flotte à
la disposition des croisés. De nouveaux rapports internatio-
naux se nouent: si les croisades élargissent le fossé entre les
chrétientés latine et grecque, elles voient aussi l'Occident se
rapprocher des Mongols qu'on veut opposer aux Sarrasins et
aux Turcs. Les relations diplomatiques nouées avec les Tartares
ont peu de résultats immédiats; elles font toutefois connaître
à l'Occident la lointaine Asie. Enfin les croisades provoquent
le développement en Orient d’une importante chrétienté
d'outre-mer.

Ill, Les croisades : conséquences politiques,


économiques et culturelles
n À
B Les États francs d'Orient y 356, À.
Du point de vue politique, la conséquence directe des croi-
sades fut la création des États francs d'Orient. Encore convient-
il de distinguer ceux qui sont issus de la première croisade et
qui furent arrachés aux infidèles, des États nés sur des débris
de l’Empire byzantin, à l’occasion des troisième et quatrième
croisades. Parmi les premiers, la principauté d’Antioche, fon-
dée en 1098 par le prince italo-normand Bohémond et qui resta
aux mains des Latins jusqu’en 1268; le comté d’Édesse, créé
par Baudouin de Boulogne en 1098, mais qui disparut dès 1144
lorsque l’atabeg Zengî s'empara de sa capitale; le comté de
Tripoli, fondé par le comte de Toulouse, Raymond de Saint-
Gilles, en 1102 et qui survécut jusqu’en 1289; enfin le royaume
de Jérusalem, établi en 1099 par Godefroy de Bouillon et qui,
après la perte définitive de Jérusalem en 1244, se maintint
jusqu’en 1291 sous la forme d’un petit royaume d’Acre, réduit
à une étroite bande côtière. Sur les lambeaux de l’Empire
byzantin naissent le royaume de Chypre, enlevé en 1191 par
Richard Cœur de Lion à Isaac Comnène, et qui passe pour de
longs siècles à la famille des Lusignan puis à Venise, et sur-
tout, à la suite de la « déviation » vers Byzance de la quatrième
croisade, l’Empire latin de Constantinople (1204-1261) que
complètent les possessions vénitiennes en mer lonienne et en
mer Égée (Crète, îles de l’Archipel] et les principautés fondées
PARTIE 2 & Le Moyen Âge classique (xi°-xti® siècle)

lonique,
en Grèce par des chefs croisés (royaume de Thessa
duché d'Athènes, principauté de Morée).
Une des créations les plus originales fut le royaume de
de
Jérusalem, dont les institutions furent calquées sur celles
la France au xr siècle. À sa tête, un roi, dont le pouvoir,
trans-
s'appuyant sur la possession d’un vaste domaine et la
mission héréditaire de la couronne , reste fort jusqu'en 1174.
date, le royaume de Jérusal em devient une sorte
Après cette
de république féodale dirigée par les barons réunis en Haute
Cour et qui profitent des minorités des rois où de l’absentéisme
des souverains [les Staufen puis les Lusignan) pour se disputer
la direction du royaume. Une hiérarchie de grands officiers et
de fonctionnaires subalternes, une organisation judiciaire
diversifiée en autant de cours que de groupés sociaux, une
défense assurée par les levées féodales, les contingents fournis
Le krak des Chevaliers (Syrie) par les villes, les Syriens chrétiens et les indigènes ainsi que
D'après J. Le Gorr, La Civilisation de
l'Occident médiéval, Arthaud.
par les grands ordres militaires (Hospitaliers, Templiers) tenant
les forteresses (Beaufort, krak des Chevaliers, Montfort), tels
sont les principaux traits originaux d’un royaume où se côtoient
Francs et Musulmans, Italiens et Juifs, Chrétiens et Sarrasins.

La bigarrure de la société est extrême. Les barons vassaux directs


du roi manifestent de grandes velléités d'indépendance et pro-
clament leurs droits dans les grands textes juridiques du
xurt siècle, les Assises. Les ordres militaires, tout en constituant
une armée de campagne toujours prête, se jalousent entre eux,
développent leur puissance financière et leur autonomie par
rapport au pouvoir royal. L'Église, dirigée par le patriarche latin,
possède des biens étendus, a la charge des pèlerins, des écoles
et des lépreux, observe une grande tolérance à l'égard des Églises
orientales. Parmi les bourgeois et colons, jamais assez nombreux
pour assurer une bonne défense du royaume, se mêlent Français
et Allemands, Italiens et Provençaux, Hongrois et Poulains, ces
derniers issus de mariages entre Francs et indigènes. Parmi
ceux-ci, les Musulmans sont tolérés; ils doivent une capitation
et diverses redevances, de même que les Syriens chrétiens, dont
certains sont admis dans la noblesse franque. Complètent cette
mosaïque de races et de religions des Juifs, nombreux dans les
villes côtières, des Bédouins dans l’intérieur, et surtout des mar-
chands italiens solidement installés dans leurs comptoirs ou
« fondouks » de la côte, et dont les rivalités intestines contri-
buent pour beaucoup à la désagrégation du royaume d’Acre à la
fin du xur° siècle.

M Les conséquences économiques et culturelles


des croisades
Au point de vue économique, les croisades ont donné une
grande impulsion aux échanges entre l'Orient et l'Occident.
Le transport des pèlerins et des croisés a poussé les villes
maritimes italiennes à accroître la capacité de leurs navires
pour assurer le ravitaillement et le soutien des places franques
de Syrie. Y ayant obtenu des privilèges commerciaux étendus,
les marchands italiens deviennent les intermédiaires obligés
L'expansion de l'Occident

entre l'Orient et l'Occident, poussent les États francs à mener


une politique conforme à leurs intérêts économiques, dévient
la croisade vers Constantinople et l'Égypte, clefs du commerce
oriental. La draperie française et flamande prend le chemin
de l'Orient sur les navires italiens qui rapportent en Occident
soieries, étoffes de luxe et épices avant que ne s'ajoutent aux
cargaisons des denrées alimentaires (céréales, vins et fruits]
et des produits miniers (l’alun). À partir de leurs places de
Syrie ou de Romanie, les Italiens s'aventurent vers l'Extrême- ROMANIE: le mot désigne
Orient; le souci de prospection commerciale n’est pas étranger l'Empire byzantin, héritier de
l'Empire romain.
aux Polo lors de leurs voyages en Chine, décrits par le jeune
Marco dans Le Livre des Merveilles.
Les croisades ont eu également des conséquences culturelles
qu'on ne peut négliger. Une Église latine s’est implantée en
Orient et par l'intermédiaire des ordres mendiants a noué avec
les Églises orientales des contacts fructueux qui firent passer
les Maronites dans le monde catholique. Au xm° siècle, alors
que la croisade devient une entreprise politique organisée dans
laquelle l'élan religieux s’affaiblit, frères mineurs et prêcheurs
exaltent l’idée de mission et élaborent des plans et des méthodes
d'évangélisation. Les croisades ont contribué à l'ouverture des
horizons intellectuels de l'Occident: découverte de pays incon-
nus, remise en question de traditions livresques héritées de
l'Antiquité et démenties par l'expérience, premiers contacts avec
la science musulmane permettant de redécouvrir l'Antiquité
grecque par les traductions arabes (à Tolède] ou syriaques (à Acre)
d'œuvres antiques. Même si, à la fin du xm° siècle, l'élan reli-
gieux des premières expéditions a disparu, même si la plupart
des États francs d'Orient s’effondrent, même si les appels répétés
des papes ne suscitent plus après 1291 que de brèves tentatives
avortées, le recul des limites du monde connu, la multiplication
des contacts entre l'Orient et l'Occident sont des faits acquis en
grande partie grâce aux croisades.

IV. Aux marges de la Chrétienté


H L'expansion germanique
Au x siècle, l'épée et la croix ne se dissocient pas encore
complètement. En Europe orientale, la poussée germanique
vers l'Est, œuvre de conquête et de conversion, se poursuit.
Elle avait atteint dès les années 1150-1200 des résultats écla-
tants. Les grands vassaux de l’empereur en avaient pris la
direction: Albert l'Ours occupe en 1150 le Brandebourg et
l'organise jusqu’à sa mort en 1170. Henri le Lion, après avoir
fondé une nouvelle Lübeck en 1158, lutte contre les Obodrites,
organise les marches de l'Est et la Poméranie. À mesure
qu'avance la conquête, des colons sont appelés pour occuper
les territoires arrachés aux Slaves. Des entrepreneurs de colo-
nisation embauchent les immigrants en Franconie, en
Hollande, prennent en charge leur installation et perçoivent
PARTIE 2 « Le Moyen Âge classique (x°-xn* siècle)

sur les terres mises en culture. Plus de


des redevances
Silésie.
PE L 1 200 nouveaux villages sont ainsi créés dans la seule
nds
Cy 366, À. Le Drang nach Osten se poursuit au xIN° siècle. Les Allema
le littoral de la Baltiqu e -
fondent toute une série de villes sur
Stralsu nd en 1234 - occupe nt
Rostock en 1200, Wismar en 1228,
allema nd en 1237, Dantzi g en 1238,
Stettin qui reçoit le droit
(vers
tandis qu’à l'intérieur, se développent Brandebourg, Berlin
1230), Francfo rt-sur- l’Oder (1253). Dès 1201, avec l'appui d’In-
nocent Ill, l'évêque Albert fondait Riga et entreprenait avec
l'ordre des moines soldats, les Porte-glaives, la conquête et la
christianisation de la Livonie. En 1205-1207, les Allemands
obtenaient à Novgorod des privilèges commerciaux importants,
tandis que le prince de Polotsk leur reconnaissait des droits à
Vitebsk et Smolensk. En 1230, le duc Conrad de Mazovie appe-
CHEVALIERS TEUTONIQUES : Ordre lait imprudemment les Chevaliers teutoniques pour convertir
caritatif né en Terre Sainte à la les Prussiens; le grand maître de l’ordre, Hermann de Salza,
fin du x siècle, qui se trans- commença la conquête violente de la Prusse achevée en 1283.
Ailleurs (plaine polonaise et montagnes de Bohême), la pénétra-
forme en ordre militaire en 1198
et entreprend la conquête de la
Prusse, à partir de 1230. tion allemande s’imposa pacifiquement grâce à sa supériorité
technologique. La poussée germanique vers l'Est ne fut pas tou-
jours aussi efficace: le prince russe Alexandre Nevski arrêta
l'Ordre Teutonique sur le lac Peïpous; au même moment les
Mongols recouvraient la Russie et l'Ukraine, s'avançaient en
Europe centrale (1241-1242) puis se retiraient sur le Dniepr et la
Volga. À la fin du xm° siècle, la Lituanie résistait encore à
l'expansion germanique et à la conversion, malgré les efforts
des dominicains qui se chargèrent de christianiser les peuples
encore païens d'Europe orientale.

M Les missions
Le zèle missionnaire des ordres mendiants s'épanouit aussi
dans d’autres régions marginales de la chrétienté. Saint
François d'Assise espérait convertir les Sarrasins d'Égypte; à
son exemple, des frères mineurs s'établirent en terre d’Islam
(Maroc et Tunisie). Saint Dominique, avant de se fixer en
Languedoc, projetait d'évangéliser les Coumans des régions
pontiques. Au milieu du xur siècle, des missionnaires parcou-
rurent le monde mongol, tels Jean de Plan Carpin (1246-1247)
et Guillaume de Rubrouck (1253-1255). Croyant au succès de
l'entreprise, la papauté reconstitua une hiérarchie épiscopale
en Perse et envoya à Pékin Jean de Montecorvino pour y orga-
niser une Église. La désagrégation de l’Empire mongol après
1350 ruina ces espérances. En Afrique, vers 1260, un domi-
nicain pénétra en Éthiopie où l’on n'allait pas tarder à recon-
naître le légendaire royaume du prêtre Jean.
Des marchands accompagnaient ou suivaient les mission-
naires. Des hommes d’affaires italiens, à la suite des Polo,
s'établirent en Extrême-Orient; des Génois cherchèrent à
atteindre l'or du Soudan et même les Indes par les routes de
l'Océan: les frères Vivaldi, partis en 1291, disparurent. Leur
entreprise montrait la voie aux explorateurs de l'Atlantique.
L'expansion de l'Occident

L'expansion de la chrétienté est incontestable; mais elle fit


naître des oppositions tranchées, celle de la Russie, qui pour
de longs siècles se ferma à l’Europe; celle de Byzance, livrée à
elle-même face aux Turcs; celle de l'Islam, qui, après 1291,
retrouva ses positions anciennes, renforcées même par
l'influence croissante des Turcs.

L'état de la recherche
Un exemple d'expansion: Gênes
Sur la côte de la Crimée, dominant une petite plaine alluviale ourlée d'une plage de sable doré, se
dresse une citadelle impressionnante: des remparts crénelés grimpent à l'assaut des derniers contre-
forts des monts Aïla qui tombent de manière abrupte sur la mer. Les pentes basses sont elles aussi
ceintes de murs coupés par une porte puissamment fortifiée, derrière laquelle s'étendent de vastes
espaces, jadis habités, qui attendent aujourd'hui la pioche des archéologues pour livrer leurs secrets.
Nous sommes à Soldaïa, vieille cité byzantine, passée au pouvoir des Mongols en 1249, puis devenue
colonie vénitienne. C'est de là que partirent pour leur lointaine expédition vers la Chine le père et
l'oncle de Marco Polo. En 1365, enfin, les Génois s'en emparèrent et en firent le centre des villages
de Gothie, une concurrente de leur principale colonie, Caffa, située un peu plus à l'est sur cette même
Riviera criméenne.

L e touriste contemporain ne expériences de colonisation. n revanche, à partir de


peut être qu'impressionné Dès le début du xi° siècle, dans la seconde moitié du
par la puissance de ces autres le sillage des troupes de la x siècle, la colonisation
Gênes établies sur les rives de croisade, s'étaient formées de génoise prend de tout autres
la mer Noire, aussi bien que petites communautés ligures dimensions. L'élargissement
sur celles de la mer Egée. Au dans les principaux ports de dans l'espace est spectaculaire:
cœur d'Istanbul, sur l'autre Syrie-Palestine où la Superbe de petites communautés s'éta-
bord de la Corne d'Or, se dresse avait obtenu des concessions blissent tout autour de la mer
aujourd'hui encore la tour de foncières, juridictionnelles et Noire, des villes comme Caffa,
Galata, qui fut le pivot de la Péra et Chio connaissent un
douanières, en récompense
défense de la colonie génoise essor spectaculaire, se dotent
de son aide navale dans la
de Péra au cours des xiv° et d'enceintes successives, ani-
conquête de la Terre Sainte.
xv® siècles. Deux îles grecques, ment la vie économique régio-
Mais ces quartiers, mis à part
Chio et Mytilène, conservent nale, résistent aux assauts des
celui d'Acre que les Génois
leur enceinte construite par les Grecs et des Mongols, pour ne
durent abandonner en 1258 à
Génois, les Giustiniani d'un côté, tomber que deux siècles plus
la suite de rixes violentes avec tard au pouvoir des Ottomans,
les Gattilusio de l'autre. Des les Pisans et les Vénitiens des
inscriptions commémoratives, supérieurs en nombre, en
quartiers voisins, ne furent navires et en puissance de feu.
préservées dans les musées
jamais très peuplés: quelques Ces expériences de colonisa-
locaux ou encore en place,
familles de marchands, sous tion ont une large portée: elles
rappellent l'œuvre constructrice
l'autorité d'un consul, y constituent les antécédents
des podestats et des consuls
représentaient les hommes médiévaux de la colonisation
qui firent de toutes ces colonies
d'affaires de la métropole et moderne.
d'outre-mer d'autres Gênes,
préparaient l'intense mou-
puissantes et respectées.
vement commercial que Iles reposent d'abord sur de
AVE ces établissements déclenchait deux fois par an larges brassages humains.
criméens ou égéens, Gênes l'arrivée des galères et des nefs Pour peupler ces établis-
génoises. sements d'outre-mer qu'elle
n'en était pas à ses premières
PARTIE 2 Le Moyen Âge classique (x1-xI1° siècle)

conquiert ou qu'elle reçoit en les ressources des territoires profits, tout en maintenant le
concession, Gênes doit faire d'outre-mer pour satisfaire les petit peuple dans sa condition
appel à ses citoyens de la ville, besoins de la métropole et, ancestrale. Les Génois ne
bien sûr, mais aussi de toutes au-delà, de tout l'artisanat de s'intéressent guère à la propa-
les communautés des Riviere l'Occident médiéval. gation de la foi chrétienne: les
sur lesquelles elle a étendu son membres des nouveaux ordres
F colonies génoises, en mendiants — franciscains et
pouvoir. Un vaste mouvement
effet, ne manquent pas dominicains — suivent les mar-
d'émigration touche toute la
de ressources. Les rives de chands dans leur progression,
Ligurie et s'étend aux villes qui
Crimée, aux franges du monde créent des églises locales et
entretiennent des rapports
mongol, voient arriver dans une hiérarchie missionnaire
commerciaux avec la Superbe.
leurs ports les produits d'Ex- en pays « tatar », mais elles dis-
Des petites gens, des soldats,
trême-Orient, soie et épices, paraissent avec la domination
des marins, des aventuriers,
si recherchés dans le monde politique occidentale qui leur
mais aussi des jeunes gens
occidental. Elles distribuent a donné le jour. Les phéno-
qui font leur apprentissage
jusqu'au cœur de l'Asie draps et mènes d'acculturation restent
des affaires, des membres
toiles, vin et bimbeloterie que bien limités: l'introduction
de l'aristocratie marchande
celui-ci propose en échange. de quelques mots orientaux
partent pour quelques mois
Elles recueillent les esclaves, dans le vocabulaire courant et
ou quelques années, se fixent
bouches inutiles des tribus la création d'un dictionnaire
outre-mer, prennent femme
caucasiennes, qui vont servir
ou concubine, font venir leur trilingue, persan, couman et
dans les familles aisées des
famille, tout en gardant la latin, dans les milieux génois
villes d'Occident ou mettre en
nostalgie de leur terre natale, de Crimée, ne peuvent cacher
valeur les domaines agricoles
de leur paroisse d'origine qu'ils l'insignifiance des contacts
de Sicile. Elles sont le point de
n'oublient pas dans leurs legs intellectuels entre les deux
rencontre privilégié du monde
testamentaires. Minoritaires mondes. Ligures et Orientaux
de la steppe et de la forêt et
par rapport aux Grecs, aux vivent côte à côte, sans se
des villes marchandes médi-
Arméniens où aux Mongols mélanger sauf au niveau
terranéennes. Intermédiaires
qui les entourent, ces Génois des élites ou de quelques
entre des économies com-
d'outre-mer constituent plus concubinages dans le menu
plémentaires, les colonies
de 80% de la population peuple. Pourtant, à mesure
génoises sont aussi centres
occidentale des comptoirs.
d'exploitation de ressources que s'allonge la domination
Le caractère « national » de la locales d'un grand intérêt: génoise, un processus d'orien-
colonisation est très marqué: cire, miel, fourrures et céréales talisation des élites s'opère,
peu de Vénitiens et de Pisans pour celles de Crimée, alun surtout en milieu hellénique:
dans les colonies génoises, destiné à la fixation des tein- les Giustiniani succombent à
pratiquement pas de Ligures tures sur les draps d'Occident la douceur de l’île d'Homère et
dans les colonies vénitiennes, pour Phocée (Asie Mineure), se détachent peu à peu de leur
Crète, Corfou ou Nègrepont. mastic, ce « chewing-gum du métropole qui leur apporte
L'attachement à la métropole Moyen Âge », pour Chio, qui peu de soutien.
n'exclut pas chez ces expatriés contingente la production et
des mouvements d'humeur, omination politique
organise la commercialisation
lorsque leurs intérêts ne corres- de ces deux monopoles dans ferme, exploitation éco-
pondent pas à ceux qu'affiche nomique pesante, sujétion
l'ensemble du monde. La
la Commune: on verra ainsi, au naissance des premiers cartels culturelle légère: les Gênes
fil du temps, la Mahone de Chio commerciaux doit beaucoup d'outre-mer ont été le « labo-
prendre une certaine distance à l'esprit inventif des Génois ratoire » de la colonisation
et ses membres, les Giustiniani, d'outre-mer. moderne. Les Portugais, dans
pencher pour des compromis leurs comptoirs d'Afrique et
avec le Turc, pour préserver leur our réussir la mise en valeur d'Asie, davantage que les
île le plus longtemps possible. des colonies, point n'est Espagnols dans leurs colonies
Ainsi se constitue une société besoin d'une sujétion pesante de peuplement d'outre-
coloniale dominatrice, dont sur leurs populations. Il suffit Atlantique, ont tiré profit des
l'unique but est de mettre en d'intéresser les élites indigènes expériences menées dans les
exploitation, le mieux possible, et de leur laisser une part des «autres Gênes ».
L'expansion de l'Occident

A A GR EE D D TN A PE A RE

Bibliographie
Sur l'expansion scandinave:
Voir surtout L. Musser, Les Invasions germaniques, le second assaut contre l'Europe chrétienne (vif-
x° siècle), Paris, rééd., 1971, ainsi que le recueil des Settimane di Spoleto, | Normanni e la loro
espansione in Europa nell’Alto Medioevo, Spolète, 1969, et P. Sawver, The Age ofthe Vikings, Londres,
1962; F. NEvEux, L'aventure des Normands vuf-xuf siècles, Paris, 2006.

Sur les croisades:


Un guide bibliographique fait le point de l'énorme production historique consacrée aux croisades:
H.E. Mayer dans À History ofthe Crusades, t.6, Madison, Wisconsin, 1989, pp. 511-664. On abordera
le problème des croisades par la lecture du petit livre de €. Morrisson, Les Croisades, Paris, 1969 et
par celui de M. Bararo, Croisades et Orient latin, Paris, 2001, avant de chercher des détails dans les
deux grandes histoires des croisades, S. Runciman, À History ofthe Crusades, 3 vol. Cambridge, 1951-
1954, et K. M. Serron (dir.), À history of the Crusades, 6 vol., University of Pennsylvania Press, 1955-
1990; voir aussi J. RiLey-SmrrH, Les Croisades, Paris, 1990; J. Richaro, Histoire des Croisades, Paris, 1996.
J. Riey-SmrH, Atlas des Croisades, Paris, 1996; G. LosricHoN, Jérusalem conquise, 1099, Paris, 1998.
Sur l’idée de croisade, voir le petit livre d'A. Demurcer, La Croisade. Idées et pratiques, Paris 1999 et
l'ouvrage très riche de P. AuPHanoéry et À. Dupronr, La Chrétienté etl'Idée de croisade, Paris, rééd., 1995.
De lecture plus difficile A. Dupronr, Le Mythe de croisade, 4 vol. Paris, 1997. On complétera par l'ou-
vrage collectif Le concile de Clermont de 1095 et l'appel à la croisade, Rome 1997 et par les travaux
de J. FLon, Croisade et Chevalerie x£-xrf siècles, Paris, 1998, Pierre l'Ermite et la Première Croisade, Paris,
1999, La Guerre sainte. La formation de l'idée de croisade dans l'Occident chrétien, Paris, 2001 ; Guerre
sainte, croisade et jihâd. Violence et religion dans le christianisme et l'Islam, Paris, 2002; La croix, la
tiare et l'épée, Paris, 2010.

Sur l'Espagne:
C. Aer, Les Mozarabes, Islamisation, arabisation et christianisme en péninsule ibérique (x-xif siècle),
Madrid, 2010.

Sur l’histoire des États francs d'Orient:


On citera CI. CaHen, La Syrie du Nord à l'époque des croisades et la Principauté franque d'Antioche,
Paris, 1940: J. RicHaro, Le Royaume latin de Jérusalem, Paris, 1953, plus accessible que les volumes
de J. Prawer, Histoire du royaume latin de Jérusalem, 2 vol. Paris, 1969-1970 ;European Colonialism
in the Middle Ages, Londres, 1975 et Crusader Institutions, Oxford, 1980. Voir aussi M. Amouroux-
Mourao, Le Comté d'Édesse, Paris, 1989; J. Fiori, Bohémond d'Antioche, Paris, 2007.

Sur les ordres militaires:


Voir A. Demurcer, Les Templiers. Une chevalerie chrétienne au Moyen Âge, Paris, 2005; Chevaliers du
Christ. Les Ordres religieux militaires au Moyen Âge x°-xvf siècle, Paris, 2002 et Jacques de Molay,
Paris, 2002; D. Carraz, L'Ordre du temple dans la basse vallée du Rhône (1124-1312), Lyon, 2005.

Sur les conséquences de l'expansion occidentale en Orient:


Voir M. Bauaro (éd), État et Colonisation au Moyen Âge et à la Renaissance, Lyon, 1989; M. BaLarD et
A. Duceuur (dir), Coloniser au Moyen Âge, Paris, 1995; Le Partage du monde. Échanges et colonisation
siècle),
dans la Méditerranée médiévale, Paris, 1998; Migrations et Diasporas méditerranéennes (-xvr
Paris, 2006.
Paris 2002; M. BaLaro (éd), Autour de la Première Croisade, Paris, 1996; Les Latins en Orient,

Sur la colonisation germanique en Europe orientale: |


au Moyen Âge, Paris, 1989.
Voir surtout Ch. Hicouner, Les Allemands en Europe centrale et orientale
La vie intellectuelle
et artistique
s
De Gerbert d'Aurillac à Duns Scot, de l'austérité massive des églises ottoniennes aux élancement
audacieux de la cathédrale de Beauvais, que de progrès dans le savoir et dans la création artistique!
Limitées au temps de Gerbert (voir p. 215) à quelques clercs s'efforçant de faire revivre la renaissance
carolingienne et de nouer les premiers contacts avec les mondes orientaux, les connaissances sont,
à partir du xi° siècle, de plus en plus largement diffusées. Des écoles épiscopales se développent au
cœur des villes; des maîtres illustres y attirent une population estudiantine très mêlée qui les suit
dans leurs pérégrinations; au xii° siècle, maîtres et élèves créent les universités ouvertes aux nou
veaux courants de pensée, confrontrant l'héritage antique avec les données de la foi. Car l'enseigne-
ment reste d'Église, les clercs sont à peu près les seuls lettrés; le latin est leur langue commune,
véhicule de la science et de la pensée, alors que dans les œuvres littéraires, l'usage des langues vul-
gaires se généralise. Contenus et méthodes de l'enseignement se transforment; la grammaire est
délaissée au profit de la dialectique et de la philosophie; la théologie devient spéculative. Dans tous
les domaines, on cherche à établir des méthodes sûres, fondées sur l'observation et l'usage de la
raison. Le goût pour les synthèses s'exprime dans la rédaction de « sommes », fort nombreuses au
x siècle. Dans le domaine artistique, les progrès du savoir alliés à la passion de bâtir conduisent à
donner plus de grandeur, d'harmonie et d'éclat aux édifices religieux; aux églises romanes se subs-
tituent progressivement les cathédrales gothiques; dominant de leur masse le cœur des cités, elles
proclament la puissance de Dieu et fournissent au peuple un commentaire imagé des grandes véri-
tés de la foi. Les sources d'inspiration, les réalisations sont diverses, mais, tant à l'âge roman qu'à
l'âge gothique, les modèles français s'imposent à une grande partie de l'Occident.

1. La vie intellectuelle :
des écoles monastiques aux universités
À côté de rares écoles presbytérales donnant aux enfants
quelques rudiments de grammaire, de lecture et d'écriture,
les seules écoles dignes de ce nom étaient établies, au début
du xi° siècle, auprès des grandes fondations monastiques et de
quelques cathédrales.

M Les écoles monastiques


Les écoles monastiques, célèbres dès le Haut Moyen Âge, gar-
dèrent un grand rayonnement jusqu'au xn° siècle: Lanfranc,
moine italien, puis saint Anselme {vers 1033-1109), auteur d’un
traité sur l'existence et l'essence de Dieu, illustrèrent l’école
monastique du Bec en Normandie; à l’abbaye de Cluny étaient
rattachées une école et une riche bibliothèque. Les grandes
abbayes du pays mosan, de Liège et d'Italie (le Mont-Cassin)
étaient d’illustres centres d'études, de même que les écoles des
abbayes de Saint-Victor et de Sainte-Geneviève de Paris où ensei-
gnèrent Guillaume de Champeaux et Abélard. Mais ces écoles
monastiques déclinèrent au xn° siècle; elles étaient destinées à
La vie intellectuelle et artistique

assurer la formation des moines, alors que se répandait l’idée


qu'une formation trop poussée nuit à la vocation monastique.
A l'écart des villes, dispensant un enseignement traditionnel,
les écoles monastiques furent délaissées par les jeunes généra-
tions urbaines éprises d'indépendance intellectuelle.

B Les écoles épiscopales


Placées sous la dépendance d’un écolâtre, représentant l’évêque,
les écoles épiscopales fondées dans quelques grands centres
urbains eurent plus de célébrité. Leur rayonnement dépendait
de la personnalité du maître qui les animait; quittait-il sa
chaire, l’école déclinait. Bérenger de Tours, Fulbert de Chartres,
l’'Aquitain Raymond de Sédirac, archevêque de Tolède, firent
la gloire de leur école au xr° siècle; Anselme et Abélard illus-
trèrent celles de Laon et de Paris à la période suivante.
Progressivement ces centres devinrent célèbres dans une
branche de l’enseignement: la grammaire et la rhétorique à
Orléans, la dialectique puis la philosophie à Paris, le droit à
Bologne fondé sur le droit romain, la médecine à Salerne et à
Montpellier, fondée sur le legs de la médecine hippocratique
revue par les Arabes. Les plus grandes étouffèrent le dévelop-
pement de leurs voisines: ainsi, dès 1150, Paris l'emporte sur
les écoles de Laon, de Chartres et de Melun, attire maîtres et
élèves étrangers, regroupe dans l’Ile de la Cité et sur la rive
gauche une population estudiantine nombreuse et turbulente.
Ces écoles secouent la tutelle épiscopale: en Italie certaines
passent en partie sous l'autorité des communes; à Paris,
maîtres et élèves ayant des intérêts matériels et-spirituels
identiques forment une association qui est à l’origine de l’Uni-
versité, corps autonome en matière de juridiction et de gestion,
et soustrait à l'autorité royale.
La naissance de l’université de Paris ne va pas sans luttes:
conflits entre les élèves, les bourgeois, le prévôt royal et le chan-
celier épiscopal, interventions pontificales, exil volontaire des
maîtres et des élèves en 1229. Robert de Courçon donne à
l'Université — le mot dans son sens actuel n'apparaît que vers
1260 — son premier statut en 1215, fixant les conditions de
recrutement des maîtres, la discipline et l’objet de l’enseigne-
ment. Après l'exil de 1229, Grégoire IX, par la bulle Parens dndation des Universités}
scientiarum (1231), prend sous sa protection l’Université qui Oxford 2 Paris

obtient de régler elle-même l’enseignement et la collation des


4 Montpellier
avant :Eur 6 Bologne
eggi
grades, en particulier des licences (Jicentia docendi ou droit 1209 1 Salerne

d'enseigner). Au même moment, d’autres universités s'épanouis-


8 Cambridge 9 Orléans
10 Toulouse 11 Palencia

sent: l’école de Bologne, qu'a rendue illustre l'enseignement e 12 Salamanque 13 Lisbonne


1200 14 Lérida 15 Verceil
d'Irnerius (1100-1135) en droit civil et de Gratien en droit canon, à 16 Plaisance
18 Padoue
17
19
Vicence
Arezzo
devient une université à la suite d'un conflit entre les autorités rome 20 Sienne 21 Rome

communales et les élèves, soutenus par la papauté (1219). Oxford


22 Naples
23 Angers 24 Cahors
se développe sous la direction du chancelier Robert Grosseteste à [25 Valladolid
21 Avignon
26
28
Perpignan
Grenoble
entre 1225 et 1230; Montpellier, sous l'impulsion de Juifs chas- 1300 29 Trévise 30
32
Pise
Pérouse
sés d'Andalousie, devient un centre d’études médicales puis
à 31 Florence
1350 33 Prague

juridiques (1221), une université à la fin du siècle; Orléans se


spécialise dans l’enseignement du droit romain. D’autres uni- Les universités

versités sont des fondations princières: Naples créée par


PARTIE 2 æ Le Moyen Âge classique (x°-xui° siècle)

Frédéric II en 1224 pour former des fonctionnaires, Toulouse


établie en 1229 pour lutter contre l’hérésie, Coïmbra au Portugal,
Palencia, Salamanque, Valladolid fondées en Espagne à mesure
qu'avance la Reconquête. Seul l’Empire n'a pas vu naître d’uni-
versité. Grands ou petits, tous ces centres suivent le modèle
des deux prototypes, Paris et Bologne.

& Un exemple: l’université de Paris


Au xm° siècle, l’université de Paris est organisée en quatre
Facultés regroupant maîtres et élèves d'une même discipline.
Les adolescents fréquentent d’abord la Faculté des Arts et suivent
l'enseignement des sept « arts libéraux » répartis en deux cycles
traditionnels, le trivium et le quadrivium. À l'issue de chacun
de ces cycles, qui ne sont pas toujours suivis de façon complète,
on obtient le baccalauréat ès-arts, puis la licence. Viennent
ensuite trois facultés spécialisées: Droit, Médecine et Théologie,
délivrant le titre de docteur. Chacune est dirigée par un doyen
élu, celui de la Faculté des Arts devenant recteur de l’Université.
L'enseignement se fait dans des cloîtres ou dans des salles louées
à cet usage (rue Garlande, rue de la Huchette à Paris par exemple).
Vestiges de cette époque: la place Maubert (place de maître-
Albert-le-Grand), la rue du Fouare, où les élèves suivaient des
cours, assis sur des bottes de paille. Les étudiants de même ori-
gine se regroupent en associations de secours mutuel, les
Narion : groupement universi- « nations », dirigées par un procureur: à Paris l’on parle des
taire, apparu à Bologne en nations française, normande, picarde et anglaise. Dès la fin du
1180, à Paris, en 1222. Base de xnr' siècle, afin d'offrir gîte et nourriture aux étudiants étrangers,
l'organisation universitaire, les
« nations » élisent des
des mécènes et des ordres religieux fondent des collèges dont
procureurs qui participent au l’un des plus célèbres est celui que créa Robert de Sorbon en 1257
gouvernement de l'université. pour seize étudiants se destinant à la théologie. Bien qu'ils ne
soient pas entrés dans les ordres, les étudiants sont des clercs et
dépendent d’un maître; l’enseignement est en théorie gratuit car
ces maîtres jouissent d’un bénéfice ecclésiastique ou sont entre-
tenus par leur ordre; en fait, les contrats d'honoraires et les
cadeaux sont des pratiques fréquentes.

EH Programmes et méthodes de l’enseignement


Si l’enseignement repose toujours sur l'étude de modèles
anciens, la lecture et le commentaire de textes, les méthodes
se sont affinées, grâce à l'usage de la dialectique qui envahit
le champ des autres disciplines, et de la scolastique, qui pro-
pose l’imitation de textes reçus d'autorité. L'enseignement se
décompose en plusieurs temps: la lecture {lectio) qui donne
l'explication grammaticale puis littéraire d’un texte et enfin
son contenu doctrinal; une discussion qui porte sur les diffi-
cultés du texte ou de la doctrine (questio et disputatio) et
s'organise en un système d’argumentation pour ou contre,
pour déboucher sur la fixation de la doctrine définitive par le
maître résolvant les contradictions (determinatio). Les résul-
tats acquis s'expriment en « sentences » portant sur des sujets
de morale et de théologie, dont on élabore des manuels - le
plus célèbre est celui de Pierre Lombard — et qu’on organise
en un ordre logique: c'est alors « une somme ».
La vie intellectuelle et artistique

Le contenu de l’enseignement s’est profondément modifié. À la


fin du x‘ siècle, Gerbert, à l’école épiscopale de Reims, délaissait
la grammaire pour la rhétorique et la logique, donnait à ses
élèves le goût pour les auteurs antiques, s’efforçait de concilier
foi et raison, s’intéressait aux sciences — arithmétique et astro-
nomie — mais était loin d'élaborer une philosophie réellement
originale. Au xr° siècle, saint Anselme, par un usage étendu et
rigoureux de la logique et de la dialectique, cherche à démontrer
les raisons nécessaires à l'existence de Dieu (Monologion et
Proslogion, 1076-1078, Cur Deus homo, 1098). Au cours de la
« renaissance » du xn siècle, les modèles anciens adoptés se
multiplient: Donat, Priscien et les poètes latins pour l’enseigne-
ment de la grammaire; Cicéron, Sénèque et Quintilien pour la
rhétorique; Boèce, Porphyre, Platon et les premières œuvres
d'Aristote, retrouvées dès 1150, pour la dialectique. Grâce à
Abélard {vers 1079-1142), cette dernière discipline est réhabilitée
avec éclat; dans son Sic et non, le maître parisien explique les
contradictions relevées dans les Écritures et chez les Pères de
l'Église; dans son Introduction à la théologie il élabore une DROIT CANON (DU GREC : RÈGLE) :
grande synthèse doctrinale, spéculation rationnelle sur le donné étude de l'ensemble des déci-
sions solennelles de l'autorité
révélé. La méthode dialectique permet à Gratien de résoudre ecclésiastique en matière de foi
vers 1140 les conflits de la tradition canonique et de jeter les et de discipline.
bases de l’enseignement du droit canon.
Au cours du xur° siècle, la spécialisation de l’enseignement s’ac-
centue. La Faculté des Arts, la plus fréquentée, annexe la phi-
losophie et l’ensemble des sciences. Deux grands problèmes se
posent à elle: quelle place accorder à la pensée antique et en
particulier à l’aristotélisme? Quels rapports le savoir profane
doit-il entretenir avec la science sacrée? L'Occident reçut les
œuvres d'Aristote grâce aux traductions et aux commentaires
arabes (Averroës] ou juifs du philosophe grec, eux-mêmes connus
par les centres de traduction de Tolède et de Palerme {xnf siècle),
tandis qu'au xur° siècle les maîtres d'Oxford recourent de plus
en plus aux textes originaux grecs. Vers 1160, les œuvres de
philosophie naturelle d'Aristote sont accessibles: l’'Organon et
l'Éthique; vers 1200, la Métaphysique et les Libri naturales; au
milieu du xnr siècle, les œuvres morales. On se trouvait ainsi
en présence d’un système philosophique cohérent; fallait-il le
condamner comme contraire à la vérité révélée? l’adopter tel
quel? l'utiliser? Certains, comme Guillaume de Saint-Amour,
étaient les défenseurs d’un néo-augustinisme influencé par la
pensée de Platon; d’autres, comme Siger de Brabant, penchaient
pour un aristotélisme néo-platonicien intransigeant, interprété
à la manière d'Averroës. Il appartenait aux représentants des
ordres mendiants de réaliser l'indispensable synthèse. Ce fut
l'œuvre de deux hommes: Albert le Grand [1206-1280] et Thomas
d'Aquin (1225-1274). Esprit encyclopédique, Albert le Grand,
encore influencé par l’augustinisme, repense la révélation chré-
tienne à l’aide des concepts de la philosophie aristotélicienne
qu'il veut rendre accessible à la chrétienté (Summa theologiae
vers 1270). II s'intéresse aussi bien aux sciences de la nature qu’à
la théologie. Son disciple, Thomas d'Aquin, auteur de nombreux
commentaires sur Aristote et sur les livres sacrés, est surtout
célèbre par ses deux sommes (Summa contra Gentiles, Saumma
PARTIE 2 & Le Moyen Âge classique (x°-xi* siècle)

theologiae) où il fait œuvre d’apologète et de philosophe, élabo-


rant un système qui concilie les exigences propres de l'intelligence
chrétienne et les apports de la pensée antique. La Faculté de
Théologie n’entendait pas aller aussi loin dans cette voie: la
condamnation d’une partie des thèses de saint Thomas et des
écrits des averroïstes comme Siger de Brabant en 1277 jette la
suspicion sur l’aristotélisme et favorise indirectement l'augus-
tinisme relancé par le franciscain Duns Scot (1266-1308). En
matière scientifique, les Anglais Robert Grosseteste et Roger
Bacon [vers 1210-1299) font faire ses premiers pas à la méthode
expérimentale.
Les études juridiques, indispensables à la formation des auxi-
liaires des princes, sont au xm° siècle en plein essor. Partout
l'on recueille les textes et les coutumes, on élabore les premiers
codes, on rassemble les gloses des commentateurs. Rejeté de
Paris, parce qu’il est le droit de l’empereur, le droit romain aide
à la formulation des grandes doctrines politiques du xmr siècle.
La médecine, mise à l'honneur par l’école de Salerne, favorise
trop la tradition livresque au détriment de l’expérimentation.
La vitalité de la création intellectuelle est donc éclatante: la
soif de connaître et d’ordonner le savoir caractérise le xrm° siècle.
La création littéraire s'épanouit aussi: par les chansons de geste
et la littérature courtoise elle répond aux goûts de la noblesse;
en adoptant la langue vulgaire et en diversifiant les genres —
roman en prose, fabliau, satire, histoire, miracles représentés
sur les parvis des cathédrales — elle atteint un public plus large,
bourgeois et parfois même populaire.

Il, La vie artistique


Art roman; art gothique. Deux styles, deux périodes que l’on
a longtemps opposés, au risque de simplifications abusives.
L'architecture romane symboliserait la soumission d’une
société mal dégrossie à un Dieu terrible; l'architecture
gothique la spiritualité confiante d’une société plus affermie
magnifiant le Créateur. Du point de vue formel, les critères
de distinction mis en avant sont tantôt l'arc brisé, tantôt la
croisée d’ogives, mais l’on oublie que ces techniques, qui par-
fois ne sont que les simples éléments d'un décor, sont utilisées
dans des édifices appartenant par leur style architectural à
l’âge roman. En fait, l’on insiste beaucoup plus aujourd’hui
sur la continuité historique: l’art roman s'est lui-même len-
tement dégagé d'obscurs tâtonnements avant de dominer pen-
dant deux siècles la plus grande partie de l'Occident; l’art
gothique, en lente gestation au xn' siècle, s'est épanoui au siècle
suivant, alors même que son devancier survit en certaines
régions du Midi. Vers 1260-1280, le gothique triomphe et se
prolonge jusqu'au début du xvi° siècle non sans subir de pro-
fondes altérations (style flamboyant).
Art roman. Le mot forgé au xix° siècle rappelle les traditions
romaines avec lesquelles architectes et créateurs des xI° et
La vie intellectuelle et artistique

xIr' siècles renouent à bien des égards. La circulation plus grande


des hommes et des objets favorise le renouvellement des visions
et des images. Les artistes, clercs ou laïcs, appelés par les grands
abbés bâtisseurs - ceux de Cluny, de Fleury-sur-Loire, du Mont-
Cassin —, par des évêques, des rois et de grands féodaux puisent
en Orient et dans le folklore européen la vision de ces animaux
étranges qui envahissent la statuaire romane, empruntent à
l'Antiquité le mur romain, les colonnes supportant des enta-
blements, les frontons triangulaires, à l’art paléochrétien le
plan basilical et les aménagements du sanctuaire, à Byzance
la construction des coupoles, à l’art barbare plusieurs éléments
iconographiques. Loin d'être ce brusque surgissement dont
parle Raoul Glaber évoquant la « blanche robe d'églises » dont

À
se couvre l'Occident après l'an Mil, l’art roman s’enracine dans
le passé dont il recueille les goûts et parfois les techniques.
Dans les pays d'Empire, l’art ottonien continue la tradition
carolingienne. En Italie, les traditions byzantines, maintenues p. 107.
par Ravenne, marquent l'architecture religieuse des régions
restées en contact avec l'Orient {Vénétie}, tandis qu’en
Lombardie des innovations dans le plan et le décor des bâti-
ments donnent naissance à un art roman méridional qui gagne
les régions méditerranéennes et la Catalogne où il s'imprègne
d’influences mozarabes. Les emprunts sont donc multiples.

M Les églises romanes


À partir des années 1050, les nouveautés décisives dans la
structure des édifices et dans le style de la statuaire se géné-
ralisent. Des traits communs se dégagent. Les constructeurs
adoptent généralement le plan basilical, le culte des reliques
et la multiplication des clercs rendent ces ajouts nécessaires.
Un transept, parfois double comme à Cluny II, souligne le
plan en forme de croix latine, tandis que la nef, simple ou
triple, s'ouvre parfois par un petit sanctuaire, clocher-porche
(Saint-Benoît-sur-Loire) ou narthex (Vézelay). La voûte est la
conquête décisive: voûtes en berceau soutenues par des arcs csx
doubleaux, voûtes d’arêtes adoptées dans les collatéraux,
voûtes en coupole sur trompes ou sur pendentifs. Quelle qu’elle
soit, « la voûte crée l’église romane et l'explique » (É. Mâle] :
EE
massivité des piliers, renforcement des murs par des contre-
forts, étroitesse et rareté des fenêtres. ><
[lr-ull
_ÙY
1
La décoration des édifices est soumise au programme archi-
tectural. Les images s’étalent sur les façades, règnent en
maîtres aux tympans où se développent quelques grands
thèmes iconographiques: Jugement dernier, Pentecôte, ED
Apocalypse. L'extrême variété des chapiteaux est surprenante:
les uns stylisent le décor végétal, les autres illustrent des récits
bibliques ou enseignent sous forme symbolique les grandes 1 Chapelies rayonnantes

vérités de la foi. Tous les thèmes se mêlent en des oppositions


2 Absidioles
3 Doubleau
tranchées: écrasante majesté d’un Dieu-juge, représentation 4
5
Croisillon Nord
Croisée du transept
familière des travaux et des jours, laideur grotesque des péchés 6 Croisillon Sud

capitaux et des monstres. Des fresques sur fonds sombres ou


Un plan «basilical » d'église romane
sur fonds clairs, des dallages de mosaïques, des vitraux aux
PARTIE 2 æ Le Moyen Âge classique (x°-xn° siècle)

sin-
dominantes rouges et bleues complètent une décoration
gulièrement riche.
maté-
La diversité des solutions architecturales, la variété des
utilisés (calcair e, laves, grès), l’usage auquel étaient des-
riaux
tinées les constructions ont permis de distinguer des écoles
e
régionales. Ainsi la sécheresse des édifices normands s'oppos
à la richesse décorative des églises bourgu ignonn es ou langue-
dociennes. La grandeur des églises de pèlerinage {Conques, Saint-
Sernin de Toulouse] contraste avec les proportions modestes des
sanctuaires provençaux. Le prestige de l’ordre clunisien est tel
que l'abbatiale de Cluny est imitée en Bourgogne et jusqu'en
Espagne du Nord. L'équilibre harmonieux et le dépouillement
caractérisent les édifices cisterciens, qui adoptent les procédés
romans, mais refusent les aspects étranges et tourmentés du
décor. En Rhénanie, en Angleterre et en Italie, de fortes tradi-
tions locales ajoutent à la variété d’un art qui pendant près de
deux siècles domine l'Occident en faisant preuve d'une excep-
tionnelle richesse créatrice.

& L'art gothique


Arcs
Bientôt l'apparition de l’art cistercien, réaction contre la pro-
clef diagonaux fusion romane, annonce une nouvelle mentalité artistique.
Au moment où s'achève la construction de la basilique de
Vézelay, est consacré le chœur de Saint-Denis, premier exemple
d'un nouvel art (1144). Qualifié de « gothique » par les clas-
siques en signe de mépris à l'égard des œuvres du Moyen Âge,
le nouveau style naît d’une évolution insensible. La voûte sur
croisée d'ogives, longtemps considérée comme le critère archi-
tectural des tendances nouvelles, se rencontre dès le début du
x1r° siècle en Italie du Nord et en Angleterre, à la cathédrale
de Durham. Elle est utilisée par des architectes français dans
Croisée d'ogives des églises rurales, proches de Paris (Morienval). Son emploi
D'après J. Le Gorr, La Civilisation de
l'Occident médiéval.
généralisé permet de construire plus grand et plus haut. Les
expériences se succèdent à un rythme soutenu dans les régions
du nord de la France et particulièrement dans le domaine
capétien: cathédrale de Sens construite entre 1130 et 1164,
abbatiale de Saint-Denis élevée par Suger entre 1135 et 1144,
puis toute une série d'édifices audacieux à plusieurs étages,
grandes arcades, tribunes, triforium, fenêtres hautes: Senlis,
Noyon, Tournai, Laon, Arras, Notre-Dame de Paris érigée par
Maurice de Sully à partir de 1163 et terminée en 1200. Le
premier gothique français s'impose à toute l’Europe: en
Angleterre (Canterbury), au Danemark et jusqu’en Norvège,
Opus FRANCIGENUM: cette on imite l’opus francigenum, dont s'inspire l'architecture des
expression désigne l'art né en cloîtres, des hospices, des châteaux et des tours.
Ile-de-France.
L'invention vers 1180 de l’arc-boutant permet de multiplier
les audaces. Autant l'art roman recherchait l'équilibre des
volumes, autant l’art gothique fait appel à l'élan de la pure
ligne géométrique. Il semble qu'il n’y ait plus de limite au
développement de l'église en hauteur, à l'élargissement des
fenêtres. Les maîtres d'œuvre, influencés, dit-on, par les
constructions rationnelles des philosophes et des théologiens,
La vie intellectuelle et artistique

croient à leur logique mais restent malgré tout des artisans


adoptant des solutions empiriques ou tombant dans l'erreur
(effondrement des voûtes de Beauvais en 1284]. Les excès ne
doivent pas cacher les grandes réussites :Chartres (1195-1260),
Reims (1221-1287), Amiens, Bourges et cette merveille d’équi-
libre et de sagesse qu'est la Sainte-Chapelle construite pour
le palais du roi entre 1243 et 1248.

B La sculpture
La sculpture se dégage plus lentement de l'empire des tradi-
tions romanes. Le développement va dans le sens de la sim-
plicité, de l'harmonie et de la clarté, en même temps que se
renouvellent les thèmes iconographiques. Au foisonnement
d'êtres imaginaires, à la flore capricieuse, aux animaux
grouillants, succèdent des personnages animés plus proches
de l’homme, qui gardent le mystère impénétrable des réalités
intérieures qui les habitent. La statuaire gothique doit beau-
coup aux influences de Saint-Denis et de Chartres dont le
« Portail royal » exécuté entre 1145 et 1156 inaugure le type
du portail dit à « statues-colonnes » que l’on rencontre à
Bourges, à Saint-Bénigne de Dijon, en Languedoc, en Angleterre
(Rochester]) et en Espagne (Saint-Jacques de Compostelle). Au
xi° siècle, la sculpture envahit tous les espaces libres; des
compositions claires et harmonieuses déroulent toute l’his-
toire sainte, des Prophètes jusqu’à l’Apocalypse, s’attardent
sur des scènes mariales traitées avec ferveur et tendresse,
constituent de véritables sommes théologiques, la Bible des
illettrés. Les gestes et les attitudes sont empreints de natura-
lisme, de grâce et de profonde humanité.

M Les arts mineurs


Les arts mineurs évoluent également, certains avec quelque
retard. La nouvelle architecture toute en évidements crée l’art
du vitrail, les verrières commandées par Suger pour le déam-
bulatoire de Saint-Denis, la Vierge de la belle verrière de
Chartres exercent une influence profonde. Au xm° siècle, les
grands programmes réalisés à Chartres, à Bourges ou à Paris
(Sainte-Chapelle] filtrent la lumière à travers des couleurs
profondes et concourent à la même œuvre didactique que les
sculptures des portails. L'ampleur des verrières réduit la place
de la peinture murale qui subsiste néanmoins pour souligner
les volumes de l'architecte. L'art du vitrail et la statuaire
influencent l'enluminure: psautiers et bibles s'ornent de scènes
vivantes où le peintre de livres se libère des anciennes
contraintes et propose des modèles d'une grande pureté et
d’une rare distinction.
Art de l’Île-de-France, le gothique gagne d’autres régions où
tout en maintenant une certaine unité de style, il s'épanouit
en variantes provinciales: tribunes et balcons en Normandie,
voûtes bombées en Anjou. L'architecte visionnaire Villard de
Honnecourt est appelé en Hongrie. L'art gothique s'étend à
tout l'Occident, non sans rencontrer de sérieuses résistances.
PARTIE 2 Le Moyen Âge classique (x1®-xn° siècle)

En Angleterre, l’early english conserve des survivances


e
romanes (Lincoln, Salisbury), avant que l'influence français
des
ne triomphe avec la construction de Westminster. L'action
cisterciens ouvre l'Italie à l’art nouveau; mais si les techniq ues
le
du gothique s'imposent (larges façades, nefs spacieuses},
refus de la lumière, une sculptu re s'inspir ant de l'Antiqu ité,
l'emploi de fresques et de mosaïques donnent un style parti-
culier aux grandes réalisations de la péninsule {double basi-
lique d'Assise). En Espagne, les deux grandes cathédrales de
Burgos et de Tolède se rattachent à l'influence française, de
même que les édifices de Terre Sainte et de Chypre (Famagouste).
Les innovations du gothique ne concernent pas seulement les
cathédrales et les cloîtres. Les remparts des villes (Carcassonne,
Provins), des palais, des châteaux forts [le Louvre de Philippe
Auguste, le Castel del Monte de Frédéric Il) en adoptent les tech-
niques; le style des maisons emprunte au gothique l'ogive et des
éléments décoratifs. Ainsi, à la fin du xur siècle, et en grande
partie grâce aux modèles français, le gothique est l'art de
l'Occident. Il atteint un degré de pureté tel qu’il ne peut ensuite
que s’affadir dans la monotonie ou tomber dans les excès, lorsqu'il
privilégie le décor au détriment des formes architecturales.

L'état de la recherche
Un exemple complexe de construction: l'abbatiale de Cluny
Au moment où l'abbé Bernon (910-927) reçoit de Guillaume le Pieux, duc d'Aquitaine une villa pour
créer le monastère de Cluny, le site comportait un sanctuaire du ix siècle, consacré à la Vierge et aux
apôtres Pierre et Paul: les historiens le nomment Cluny A et le situent à l'emplacement de l’abside
de Cluny 2. Bernon fait construire une église, Cluny 1, sanctuaire tripartite, consacré en 927 et situé
à l'emplacement de la sacristie de Cluny 2. C'est là que l'abbé fondateur est inhumé derrière l'autel
de saint Benoît. L'abbé Odon (927-942) achève la construction de Cluny 1 qui devient bien vite trop
petite en raison de l'afflux des moines.
è

‘abbé Aymard (942-963) Elle possède une nef d'une lar- Jabbé Odilon (993-1048)
décide de construire une geur de 14,70 m, un transept coordonne d'importants
seconde église, Cluny 2, tout de 27,42 m, son abside et ses travaux pour compléter
en laissant Cluny 1 debout, l'œuvre de Mayeul, tant dans
absidioles étant posés sur les
englobé dans le transept de l'église elle-même que dans les
murs de Cluny A. Sa longueur
la nouvelle église, transept bâtiments claustraux qui sont
qui occupe toute la largeur
dut être de l'ordre de 47,60 m entourés d'un mur d'enceinte
de la cour de l'ancienne villa. et ses tours-clochers d'une achevé vers 1045. Pour faciliter
L'abbé Mayeul (963-991) hauteur de 28,50m. Le chœur les grandes processions litur-
poursuit l'œuvre de son pré- était prévu pour abriter une giques, il fait construire vers
décesseur. Le cloître adjacent centaine de moines, les digni- 1010 une galilée, vestibule de
est encore petit, les édifices taires de l'ordre prenant place l'église, et un atrium servant
claustraux s'inscrivant dans d'entrée aux bâtiments claus-
aux deux extrémités du chœur
un carré d'une quarantaine traux. Ceux-ci comprennent
vers le sanctuaire, les moines
de mètres. Cluny 2 représente désormais deux cloîtres, des
une grande construction de près des autels de la nef et les ateliers, une boulangerie,
style roman, qui a influencé novices dans une travée de la deux cuisines, l'édifice des
bien des églises du Mâconnais. paroi occidentale. frères lais, une écurie, un
La vie intellectuelle et artistique

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Paris, 1968, p. 139.


G. Devians d'Archimeauo, Histoire artistique de l'Occident médiéval, À. Colin,

PLAN DE L'ABBAYE DE CLUNY.

hospice, un grand cellier, une 200 moines. Sur l'aile orientale la chapelle Sainte-Marie. Le
aumônerie pour loger les du cloître, on trouve la salle cloître lui-même est achevé
pauvres, une hôtellerie pour du chapitre, l’auditorium, la dans les dernières années de
les hôtes de marque et le salle de travail, le dortoir des l'abbatiat d'Odilon. Fait de
moines, la bibliothèque et marbre, son luxe est dénoncé
réfectoire pouvant accueillir
PARTIE 2 Le Moyen Âge classique (x°-xn° siècle)

par saint Bernard, qui prône confiée aux architectes Gauzon des portails comparables à
les constructions cisterciennes et Hézelon, une église destinée celui de Vézelay, la voûte de la
plus sobres. à magnifier la puissance de grande nef, un narthex et des
l'ordre. Commencée en sep- travaux dans le monastère. Un
Jaccroissement du nombre tembre 1088, elle comporte mur d'enceinte à double por-
des moines (près de 250) un vaste déambulatoire à cha- tail réalisé à la fin du xu° siècle
et des visiteurs attirés par la pelles rayonnantes, avec une enferme ce qui devait être l'une
renommée internationale de suite d'absidioles en échelon, des plus grandes églises de la
Cluny pousse l'abbé Hugues un double transept, une nef chrétienté, comparable à la
de Semur (1049-1109) à entre- de 75,13 m de longueur et de grande cathédrale impériale de
prendre de grands travaux. 38,45 m de largeur à doubles Spire où au vieux Saint-Pierre
C'est d'abord la construction collatéraux . La voûte à 29,50 m de Rome. Vendue comme bien
d'un nouvel hospice et d'une de hauteur est soutenue par national sous la Révolution,
infirmerie, l'agrandissement 60 grands piliers portant des Cluny 3 est en partie détruite.
de l'hôtellerie et du réfectoire, arcs brisés. Les successeurs Sur les bases des constructions
l'édification de l'église Sainte- de l'abbé Hugues, Ponce de subsistantes, un programme
Marie du cloître, consacrée Melgueil (1109-1122) et Pierre le informatique a permis de
en septembre 1085. L'œuvre Vénérable (1122-1156) complè- rendre visibles les proportions
majeure reste néanmoins tent l'édifice par la construction majestueuses de l'édifice du
la construction de Cluny 3, de la façade de la grande nef, xi® siècle.

EEE EE

Bibliographie
Sur les écoles monastiques et épiscopales:
t l'Occident chrétien de la fin du
dans
Voir P. RicHé, Les Écoles et l'Enseignemen siècle au milieu du xf siècle,
Paris, 1979: le tome XIX/2 des Settimane del Centroitaliano di Studi sull'alto Medioevo, La scuola nell'Oc-
cidente latino dell’Alto Medio Evo, Spolète, 1972 et J. Vercer, La Renaissance du xf siècle, Paris, 1996.

Sur les universités:


La bibliographie sur les universités est considérable. Voir surtout les ouvrages de J. VERGER, Les
Universités au Moyen Âge, Paris, 1973; Histoire des universités en France, Toulouse, 1986; Les uni-
versités françaises au Moyen Âge, Leiden, 1995 (recueil d'articles), L'Essor des universités au xuf siècle,
Paris, 1997. Y ajouter S. LusiGnAN, « Vérité garde le roy ». Construction d'une identité universitaire
en France (xu°-xv° siècle), Paris, 1999. *

Sur les intellectuels:


Voir J. Le Gorr, Les intellectuels au Moyen Âge, Paris, rééd., 1985; J. VERGER, Les Gens de savoir en Europe
à la fin du Moyen Âge, Paris, 1997 et avec J. Jouver, Bernard-Abélard ou Le cloître et l'école, Paris, 1982.

Pour l’enseignement et l'éducation en général:


Voir M. Rouce, Histoire générale de l'enseignement et de l'éducation en France, t.1, Des origines à
la Renaissance, Paris, rééd. 2003 ; J.-P. Bouoer et P. Giuu, Former, enseigner, éduquer dans l'Occident
médiéval 1100-1450, Paris, 1999; J-Ph. Gener, La Mutation de l'éducation et de la culture médiévale,
xe-milieu du xv siècle, 2 vol. Paris, 1999; J. VerGer, Culture, enseignement et société en Occident
aux x et x siècles, Rennes, 1999, C. Girauo, Per verba magistri. Anselme de Laon et son école au
x siècle, Turnhout, 2010; E. MaRMURSZTENN, L'Autorité des maîtres. Scolastique, normes et société au
x siècle, Paris, 2007.

Sur le contenu et les méthodes d'enseignement:


On consultera l'ouvrage collectif La Production du livre universitaire au Moyen Âge, Paris, 1988 et
les travaux d'A. De Lisera, Penser au Moyen Âge, Paris, 1991 ; La Philosophie médiévale, Paris, 1993.
= La vie intellectuelle etartistique

Sur la réflexion théologique:


La réflexion théologique ne saurait être comprise sans la lecture des ouvrages de M.-D. CHENU,
La Théologie au xif siècle, Paris, 1957; La Théologie comme science au xuf siècle, Paris, rééd., 1957;
Saint Thomas d'Aquin et la théologie, Paris, 1960. À. 0e Lisera, La Querelle des universaux, Paris, 1996.

Sur l’évolution de la littérature:


Voir J. Beoier et P. Hazaro, Littérature française, t. 1, Paris, rééd., 1948, P. Renucai, L'Aventure de
l'humanisme européen au Moyen Âge (#-xw siècle), Clermond-Ferrand, 1953 et M. Gay et
Ch. MarceuLo-Nizia, Littératures de l'Europe médiévale, Paris, 1985; M. Zn, Introduction à la
littérature française du Moyen Âge, Paris, 1993.

Sur l’historiographie:
Voir B. Guewée, Histoire et Culture historique dans l'Occident médiéval, Paris, 1980.

Sur la vie artistique:


La bibliographie concernant la vie artistique est extrêmement riche. On citera d'abord les
beaux ouvrages de G. Duy, Adolescence de la chrétienté occidentale (980-1160), Genève, 1967;
L'Europe des cathédrales, fondements d'un nouvel humanisme, Genève, 1966; L'Europe au Moyen
Âge. Art roman et art gothique, Paris, 1981. Plus récemment, A. ERLANDE-BRANDENBURG, De Pierre,
d'or et de feu. La création artistique au Moyen Âge 1-xr siècles, Paris, 1999; J. WirrH, L'Image à
l'époque romane, Paris, 1999; H. Belting, Image et culte. Une histoire de l'art avant l'époque de
l'art, Paris, 2007; R. Recht, Le Croire et le voir. L'art des cathédrales, xf-xÿ siècle, Paris, 1999.

Sur les problèmes de construction:


Voir P. ou CoLomaier, Les Chantiers des cathédrales, Paris, 2° éd., 1973 et H. Kraus, Gold with the
Mortar. The Economy of Cathedral Building, Londres, 1979; X. Barrar et |. ALTET (dir.), Artistes,
artisans et production artistique au Moyen Âge, 3 vol. Paris, 1984-1990 et R. RecHT (dir.), Les
Bâtisseurs des cathédrales gothiques, Strasbourg, 1989; M. Lauwers, Naissance du cimetière:lieux
sacrés et terre des morts dans l'Occident médiéval, Paris, 2005; P.-Y. Le Pocam, De la « Cité de Dieu »
au « Palais du Pape » : les résidences pontificales dans la seconde moitié du xif siècle, Rome, 2004;
Ph. Bernaroi, Bâtir au Moyen Âge, Paris, 2011.

Sur l’art roman:


Une synthèse commode sur l'art roman est fournie par R. Crozer, L'Art roman, Paris, 1981 ; Puic
| CaoaraLch, La Géographie et les Origines du premier art roman, Paris, 1935, et M. AUserT, L'Art
roman en France, Paris, 1961. Voir aussi G. Dusy, Saint Bernard. L'Art cistercien, Paris, 1976 et X. BARRAL
et I. Arer (dir.), Le Paysage monumental autour de l'an Mil, Paris, 1987.

Sur l’art gothique:


Parmi les études sur le gothique, s'imposent celles de F. SALET, L'Art gothique, Paris, 1963, de M.
Paris,
AuserT, Le Gothique à son apogée, Paris, 1964, d'É. MaLr, L'Art religieux du xur siècle en France,
NDENBURG, L'Art
rééd., 1958, de R. Juin, La Sculpture gothique, Paris, 1965 et d'A. ERLANDE-BRA
MITT, Le Limousin gothique, Paris,
gothique, Paris, 1983 et La Cathédrale, Paris, 1989; C. AnoRAULT-SCH
1997 et la collection sur l'art gothique publiée chez Picard.

Sur l'architecture des châteaux:


Le Château dans la France
Voir J.-F. Fino, Forteresses de la France médiévale, Paris, 1970 ; G. Fournier,
Fo, L'Atlas des châteaux forts en France,
médiévale, Paris, 1978 et Ch.-L. SaLcH, J. BurNour et J.-F.
Strasbourg, 1977.
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PARTIE 3

La fin du Moyen Âge


(xiv®-xv® siècle)

18 Le retournement de la conjoncture
Une phase B: crise ou crises?

En Le destin des États et la vie politique

[20 | La vie économique et sociale du monde rural

ED Les villes et l'artisanat

[22 L'activité commerciale

[23 La vie religieuse

[24 | Le mouvement des idées et la vie artistique


Le retournement
de la conjoncture
Une phase B: crise ou crises ?
ntent une phase B, une période de
Pour les historiens « économistes », les xiv° et xv° siècles représe
À de croissance et d'expansion. AUX
dépression économique, qui s'oppose aux xi et x siècles, phase
siècle (naissance du grand commerce,
progrès spectaculaires de l'économie occidentale du xi° au xn°
dépression. Quelles en sont les causes,
extension et amélioration des cultures) succède une période de
brigandage, pauvreté, désertion
les limites? Famine, peste, guerre, mutations monétaires, fiscalité,
qu'il s'agit de déchiffr er et de mettre à leur juste place.
de villages, dépopulation, autant de signes
entre ces divers phénom ènes? Certains historiens restent pru-
Faut-il établir, a priori, un lien étroit
sement durable et prolongé
dents: ainsi E. Perroy prend-il soin de distinguer « les crises » de « l'affais
de crises rapprochées — crise
de l'économie », deux phénomènes qu'a connus le xiv® siècle:«une série
aphique de 1348-
frumentaire de 1315-1320, crises financière et monétaire de 1335-1345, crise démogr
ue, pour un siècle, dans un
1350 - ont exercé une action paralysante sur l'économie et l'ont mainten
globale — celle de Pirenne déjà - en
état de contraction durable ». D'autres ont adopté une vision
Maurice Postan ont abouti à une interprétation
essayant de lui donner une base statistique, et comme
lement a provoqu é la catastr ophe, renvers ant la tendance
essentiellement malthusienne: le surpeup
et famine conduis ent au sous-pe uplemen t. Le facteur démogra-
démographique, puisque peste
hypothè se l'élémen t moteur. D'autres enfin, plus attentif s au sort des pays
phique est dans cette
ranéens , se sont demand é si la crise n'était pas surtout locale, n'affect ant que l'Europe du
méditer
voir
Nord-Ouest: J. Heers ne parle plus de crises, mais seulement de malheurs... Mais on peut aussi
profond e de la « société
dans la « dépression » la traduction, dans le domaine économique, d’une crise
ues), qui
féodale » (terme qui englobe ici à la fois institution seigneuriale et structures féodo-vassaliq
est en pleine mutation et dès le xv° siècle fait souvent place à des formes nouvelle s qui sont déjà celles
du capitalisme. On peut ainsi respecte r les nuances indispe nsables : les régions qui n'ont connu qu'une
féodalisation partielle (Italie) ou tardive (Allemagne de l'Est) et sont restées fidèles à un système
domanial original ont évolué de façon différente. Dans cette hypothèse, le monde rural est atteint de
plein fouet, car la « société féodale » est rurale dans son essence: le grand commerce et dans une
moindre mesure l'artisanat urbain s'adaptèrent moins difficilement. è

I. Le déséquilibre de l’économie rurale


et les famines
& La situation démographique et ses conséquences
Ce qui frappe dans les campagnes de l’Europe occidentale au
début du xrv° siècle, c'est la faim de terres. Dès les années
1280, les défrichements se sont arrêtés, sauf en certaines
régions (Lombardie, Prusse}, mais l'expansion démographique
s'est poursuivie quelque temps encore. Les terres sont sur-
chargées; le jeu des héritages et des partages successoraux,
l’action des seigneurs heureux de l'accroissement du nombre
de leurs dépendants amènent, en même temps que la multi-
plication des exploitations paysannes, leur dangereux ame-
nuisement. En Artois-Tardenois les parcelles n'ont plus en
1310 que le tiers de leur superficie moyenne de 1240. En
Le retournement de la conjoncture Une phase B: crise ou crises?

Angleterre, en 1279, 46% des paysans ne disposent déjà plus


que d’une exploitation d’une superficie égale ou inférieure à
6 hectares! Or, pour faire vivre une famille de cinq personnes,
il faut 4 à 5 hectares (toutes les ressources, une fois payées les
redevances dues au seigneur et mise de côté la semence de
l'année suivante, étant consacrées à la seule nourriture de la
famille). Et l’on s'aperçoit que, dès la fin du xmr° siècle, plus de
36% des paysans anglais ne disposent qu’à peine de ce strict
minimum vital ou même ne l’atteignent pas. Cette situation,
qui n’a cessé de se détériorer, se retrouve, avec bien sûr des
nuances, en France, dans l’Europe du Nord-Ouest, voire dans
certaines régions d'Italie.
Elle entraîne deux conséquences. D'abord, l'essor démogra-
phique se ralentit. Les mariages sont plus tardifs, des pratiques
de restriction des naissances apparaissent: la proportion des
familles picardes ayant plus de deux garçons tombe de 43%
en 1200-1225 à 34 % en 1275-1300. Ensuite, le paysan est forcé
de chercher d’autres sources de revenus: il s'essaye au travail
artisanal, et le développement de l'artisanat rural qui s'ensuit
étend les difficultés des campagnes aux villes, concurrencées
dans leurs activités. Au reste les salaires sont médiocres et
les obstacles à la commercialisation sérieux. Le paysan peut
encore s'engager comme ouvrier agricole saisonnier; mais cela
nuit à sa propre exploitation, et, là encore, les salaires sont
bas, la main-d'œuvre étant abondante. D'ailleurs, les
employeurs (seigneurs ou fermiers) sont peu disposés à inves-
tir dans des terres dont ils ne tirent plus le revenu escompté:
les prix des produits agricoles stagnent dès le début du
xiv: siècle, le bas niveau de vie d’une grande partie de la popu-
lation déséquilibrant le marché, et il est impossible d'augmen-
ter les redevances perçues sur des paysans au bord de la faillite!
Dans ces conditions les grands propriétaires préfèrent calmer
leurs paysans par des distributions charitables plutôt que de
les embaucher. La croissance est bloquée: nul ne peut faire
les investissements qui, améliorant la productivité, permet-
traient de briser le cercle vicieux, ni les paysans dont le niveau
de vie se détériore sans cesse, ni les seigneurs dont les revenus
stagnent et qui se refusent aussi bien à réduire leur train de
vie qu’à relâcher la pression économique qu'ils exercent sur
les paysans. La « société féodale » qui avait assuré à l'Occident
une croissance économique de près de trois siècles, se trouve
profondément minée.

H Les grandes famines


Le mal allait se révéler par l'effondrement démographique. La
famine devait en être la première cause. Longtemps absente
des campagnes européennes, elle recommence à rôder dès le
début du xiv° siècle. Les comptes de l'évêché de Winchester Sououre: période, plus ou
permettent de découvrir une étroite relation entre climat et moins longue, où l'on attend
décès: l’année est-elle mauvaise, le nombre des morts dépasse ue .
aussitôt la moyenne. En 1314, toute l’Europe du Nord-Ouest le de née eee
connut le mauvais temps: dès la soudure de 1315, une grave étant presque épuisée entre
crise de subsistance se déclarait. Les années 1315-1316 ayant mai et juillet.
PARTIE 3 w La fin du Moyen Âge (xv®-xv£ siècle)

r catas-
été tout aussi mauvaises, la famine prit une ampleu
à Ypres, 10 % de la popula tion mouru t en six mois
trophique:
les choses redevi en-
(1316). I fallut la récolte de 1317 pour que
irent
nent normales. Les régions méditerranéennes ne souffr
gne en 1333, le Langu edoc en 1335-
que plus tard: la Catalo
l'Italie dans les années 1340. Mais la gravité de la
1337, et
ion géogra phique
famine de 1315-1317 autant que son extens
» une
donnent à cette « crise frumentaire de type classique
: à partir de cette date, le chang ement
valeur particulière
d'atmosphère est évident.

La famine est la première manifestation éclatante du blocage


de la « société féodale ». La peste, qui a pourtant amené une
brutale décompression démographique, ne supprimera pas les
famines, fréquentes jusque bien avant dans le xv° siècle. L'étude
de la production agricole et de ses fluctuations est donc essen-
tielle, on ne peut se contenter d'une simple explication mal-
thusienne qui attribuerait au seul surpeuplement la
responsabilité de la famine: le surpeuplement est toujours
relatif à la capacité de production. Techniquement rien ne
s'opposait à l'accroissement de la production. Les obstacles
sont avant tout sociaux. En outre la famine n’a pu connaître
une telle gravité qu’en raison du cloisonnement des marchés.
Si 10 % de la population disparaissent à Ypres, il ne meurt que
5 % des habitants de Bruges. Cette ville a en effet pu importer
des blés méditerranéens: une distance d’une vingtaine de
kilomètres à l'intérieur des terres entraîne quantité de morts
supplémentaires !Les conditions du marché accentuent donc
le phénomène et les moindres variations dans les récoltes ont
eu des effets importants. Enfin, la famine ne frappe pas seule;
elle est accompagnée d’un cortège de « pestilences », maladies
épidémiques (typhus, typhoïdes) qui se répandaient parmi les
populations affaiblies. C'est dans ce contexte que se situe
l'intrusion de la peste.

Il, La peste

M La diffusion de l'épidémie
La peste avait délaissé l’Europe occidentale depuis plus long-
temps que la famine: la dernière grande épidémie remontait
au vi‘ siècle. Elle reparaît brusquement à la fin de 1347, et le
Moyen Âge devait la connaître sous ses deux formes, bubo-
nique (mortelle à 80 %] et pulmonaire (mortelle à 100 %) : une
épidémie faisait alors rage en Asie centrale, et des navires
transportant dans leurs cales des rats contaminés amenèrent
g | Pres
rogression le fléau des comptoirs de la mer Noire aux ports méditerra-
Fe 360 À. néens. La maladie se répandit avec régularité, empruntant les
i itinéraires commerciaux: en décembre 1347 elle était à
Marseille, en juin 1348 à Paris et à Venise; en décembre 1349
elle avait ravagé Londres et Francfort, pour n’atteindre la Suède
qu'en 1350. Il est difficile de connaître le nombre des morts:
toutes les régions d'Europe ne furent pas atteintes au même
Le retournement de la conjoncture Une phase B: crise ou crises?

degré. La Flandre, le Béarn, Milan, la Bohême, furent épargnés


ou presque. En comparant des groupes sociaux homogènes,
comme les conseils communaux des villes de l'Allemagne du
Nord, on voit que 35 % de leurs membres ont péri à Lübeck,
36% à Lunebourg, 42% à Wismar, 70% à Brême et jusqu’à
76% à Hambourg! Les villes furent sans doute plus atteintes
que les campagnes: les exemples de paroisses rurales dévas-
tées par la peste ne manquent pourtant pas, telles ces huit
paroisses de l’Isère qui perdirent 50 % de leur population. De
même, offrant un terrain favorable à la contagion, les couvents
et les chapitres furent décimés. On tombe d'accord sur une
proportion de décès variant selon les cas des deux tiers au
huitième de la population.
L'effet démographique de cette première ponction (1347-1350)
fut aggravé par les récurrences de la maladie, qui n'allait plus
quitter l’Europe jusqu'au xvm siècle. Voici pour l'Angleterre
l'étendue des dégâts causés par chaque épidémie: en 1348,
25 % de la population, en 1360, 22,7 %, en 1369, 13,1 % et en
1375, 12,5 %. Le chiffre décroît peu à peu, la population étant
de plus en plus immunisée contre la maladie. La peste a alors
tendance à s'attaquer aux jeunes, non encore immunisés,
aggravant ses conséquences sur le plan démographique. La
répétition des épidémies a pour effet d’abaisser durablement
et dans des proportions considérables la population de l’Europe;
famines et guerres y ont également contribué.

M Peste et mentalités
Les effets de la peste sur les mentalités sont tout aussi impor
tants. Deux faits frappent particulièrement, les pogroms et
l'apparition des flagellants. Les Juifs, rendus en bien des
endroits responsables de l'épidémie, furent accusés d’avoir
empoisonné les puits. C’est en Espagne que le pogrom eut le
plus de violence, mais les Juifs furent aussi massacrés à
Strasbourg et dans d’autres villes de l’Empire. À Strasbourg,
le massacre se voulait préventif: on pensait ainsi éviter que
la peste n’atteignît la ville. Il s’agit là d’un mouvement popu-
laire; les gouvernements tentèrent souvent de protéger les
Juifs, qui leur rendaient des services financiers appréciés
(royaume d'Aragon). Le lien avec la peste ne se retrouve pas,
toutefois, dans le cas du pogrom espagnol de 1391, le plus vio-
lent qu’ait connu l'Espagne; il traduit l’aggravation constante
de la situation des Juifs au xiv° siècle. Ce caractère de réaction
spontanée est également évident dans le cas des flagellants.
En Italie, constitués en associations pénitentielles, ils se fla-
gellaient en public pour implorer le pardon de Dieu. Ces asso-
ciations, qui existaient déjà au xmr° siècle, se multiplièrerent
avec la peste.
Dans le domaine artistique, la peinture florentine se trans-
forme après 1348. Une certaine âpreté du ton est perceptible
dès la fresque du Jugement dernier, qu'a peinte Andrea Orcagna
pour l'église Santa Croce à Florence, tout de suite après l’épi-
démie. Bientôt un nouveau style apparaît, moins narratif, plus
PARTIE 3 La fin du Moyen Âge (xiv‘-xv® siècle)

thèmes
attaché aux aspects rituels ou surnaturels. Certains

p :
l’omnipré-
iconographiques vont s'imposer, qui insistent sur
sence de la mort, la « grande fauche use » : danses macabres,
de
p.312. gisants squelettiques. Plus important, peut-être, est l'effet
tion de l'épidé mie: tout
« rupture » qu'a pu produire l'irrup
semble indiquer que, leur famille disloquée, nombreux sont
ceux qui ont quitté leur domicile, émigré de la campagne à la
s.
ville, ou au contraire cherché refuge dans des régions déserte
de la société s'étaie nt
Tout s'est passé comme si les cadres
rompus: s'ils se sont vite remis en place, ce vacill ement
marquera toute la période.

Il. La conjoncture
Æ La conjoncture démographique
La conjoncture, toile de fond sur laquelle se déroule la vie
économique et sociale des campagnes et des villes, est encore
mal connue car la statistique médiévale est difficile, en raison
de la rareté relative des sources et de leur dispersion dans
l'espace. Leur interprétation est parfois impossible : nul n’est
d'accord sur la capacité des tonneaux de vins de Bordeaux
exportés vers l'Angleterre!
Pour la démographie, les sources sont avant tout des docur-
ments fiscaux, et le feu est en général l’unité de recensement
fiscal. Approximativement, un feu correspond à ce que nous
appelons un foyer. Mais qui compose ce foyer? Une famille
complète? Par combien multiplier le nombre des feux pour
obtenir un nombre d'habitants? Il faut évaluer le nombre
moyen des membres d’une famille de l’époque, done, avant
tout, celui des enfants. Qu'en est-il des veuves, des femmes
seules, ou des domestiques? Bien des historiens ont renoncé
à passer du nombre des feux au nombre des habitants mais
les feux étant souvent d'ampleur variable dans le temps et
dans l’espace, les chiffres exprimés en feux sont parfois même
difficiles à comparer entre eux. Lorsque l’état des feux dressé
en 1328 dans le royaume de France donne 61 098 feux pour
Paris, certains historiens lui accordent 80 000 habitants, et
d'autres plus de 200 000. En Angleterre, M. Postan reproche
à J. C. Russell d’avoir retenu un multiplicateur trop faible (3,5)
du nombre des feux. Nous devons nous contenter
d’estimations.

B Les diversités régionales


La courbe de la population anglaise établie par J.C. Russell
restitue le mouvement de la population à l'échelle d’un pays.
sé L
Elle appelle des réserves: chiffres absolus trop faibles, point
p. 114. de départ de la reprise trop avancé (1420-1430 pour Russell,
alors qu'une peste a frappé l'Europe du Nord-Ouest en 1438-
1440). Mais on y voit bien que la baisse démographique est un
phénomène de longue durée, et que le point extrême du déclin
n’est pas atteint au moment le plus spectaculaire
Le retournement de la conjoncture Une phase B: crise ou crises?

des épidémies, mais au cours du xv‘ siècle. En Artois, si l’on


perçoit une reprise après la crise de 1414-1415, la peste de 1438
provoque une baisse si sensible que la progression ne reprend
que vers 1460. Encore est-elle aussitôt arrêtée par les guerres
de Charles le Téméraire et de Louis XI. Enfin, la courbe de
J.-C. Russell démontre l'ampleur du phénomène; pendant un
siècle, la population anglaise est inférieure de plus de 40% à
ce qu'elle était avant 1348. Ce niveau ne sera dépassé qu’au
xvir* siècle.
Toutefois, les diversités régionales sont grandes. Elles sont
accentuées par un phénomène nouveau apparu après 1348-1350:
la mobilité de la population. Si la population de la Catalogne
décroît, c'est que ses habitants émigrent vers le royaume de
Valence, où la population croît. Il y a donc une sensibilité accrue
aux conditions économiques locales. En outre la mobilité de la » LL
population joue aussi à l’intérieur d’une même région, entre
1 ouages, p. 143.
ville et campagne. Dans le comté de Coutances, le compte des
fouages de 1365 nous montre une campagne complètement
vidée de ses habitants, mais Saint-Lô, avec 2 450 feux {soit près
de 13 000 habitants) paraît énorme; au contraire en 1368, il y
a à la fois une baisse à Saint-Lô et une remontée dans les cam-
pagnes; une partie de la population, réfugiée un moment à la
ville, a regagné son domicile campagnard.

&Æ Prix et salaires


Pour les prix et les salaires, contentons-nous d’un tableau
général fondé sur les comptes de l'évêché de Winchester. On
y remarque la baisse de longue durée du prix des céréales, qui
affecte toute l’Europe. Tous les prix agricoles n’ont pas baissé
mais, dans l’ensemble, ils ont baissé par rapport aux prix arti-
sanaux. Il est certain que la stricte organisation par les villes
et les corporations du marché de leurs produits y a favorisé la
résistance des prix. Au reste, l'essentiel est sans doute, face à
des prix agricoles en baisse ou en légère augmentation (vin,
viande, beurre), la très nette augmentation des salaires et des
Indice du salaire
prix artisanaux. D'où une « scission des prix » dès la crise journalier
frumentaire de 1315-1317, qui s’est accentuée après 1348-1350 des paysans
200
malgré une montée temporaire des céréales et s’est aggravée exprimé LE
en grain Indice du salaire
après 1380, pour rester à peu près stable au cours du xv‘ siècle. mi journalier des artisans

Toutefois, au xiv* siècle, les salaires agricoles, qui avaient un re exprimé en grain

gros retard à combler, ont augmenté plus vite que les salaires 00
industriels. Mais ces derniers ont continué à augmenter légè- Indice du prix du grain
rement au xv: siècle alors que les salaires agricoles se stabili-
saient très vite ou même commençaient à baisser, si bien que
dans la seconde moitié du xv° siècle, le décalage entre salaires 1300 1340 1380 1420 1460
urbains et ruraux, net au début du xiv® siècle, s'est de nouveau
marqué. L'évolution divergente des prix et des salaires tient
Prix et salaires dans les manoirs
aux conditions démographiques (marché plus restreint, main- de l'évêché de Winchester
d'œuvre rare) mais aussi aux conditions monétaires {la faible D'après Maurice Posran, « Some
quantité du stock de métaux précieux disponible a favorisé la Economic Evidence of Declining
Population in the Later Middle
déflation). Il est possible enfin que l’évolution du rapport prix- Ages », Economic History Review, 1949.
salaires ait correspondu à un accroissement de la
productivité.
PARTIE 3 * La fin du Moyen Âge (xv°-xv° siècle)

IV. L'instabilité sociale


L'une des manifestations les plus frappantes des mutations de
la période est l'apparition de violents et fréquents soulève-
ments. Ces « émotions », comme on les appelle alors, sont le
plus souvent traitées par les historiens comme des révoltes
rurales (voir p. 255-7) ou urbaines (voir p. 266-7), ce qui per-
met de comprendre leurs causes spécifiques. Mais, du coup,
c'est la généralité du phénomène qui est oubliée. Pour bien
comprendre l'apparition et le développement de ce phénomène,
il faut le replacer dans un cadre général. Les soulèvements,
relativement rares et surtout isolés auparavant, commencent
à se multiplier en Italie et dans les villes de Flandre de langue
française (Douai, Saint-Omer) ou flamande (Gand, Bruges,
Ypres|, ou encore en Frise dès la seconde moitié du xui° siècle,
au moment où la conjoncture se retourne. La première révolte
parisienne, suscitée cette fois par une levée fiscale, a lieu en
1306. Parmi les causes les plus fréquemment invoquées au
xive siècle pour expliquer ces soulèvements, figure l'impôt,
qu’il soit levé par un état monarchique ou pour une cité, et à
travers lui sa cause première, c’est-à-dire la guerre. Mais il est
rare que ces soulèvements n'aient qu’une seule cause. En fait,
le passage à l'acte qu'est la révolte manifeste à la fois un refus
de l’ordre établi, et la volonté des révoltés de s'assurer une
place nouvelle - même si cette revendication est souvent pré-
sentée comme un retour à une situation antérieure fortement
idéalisée — dans un ordre « réformé » — le désir de réforme est
une constante. Quel que soit leur statut, ceux qui se révoltent
veulent faire valoir leur point de vue ou celui du groupe auquel
ils appartiennent, affichant ainsi leur désir de liberté ou
d'autonomie.
Une telle agitation endémique traduit l'instabilité d’une
société dont la progression de l’état (qu'il soit monarchique
ou civique) a fait une société politique. Il s'agit bien entendu,
comme dans toute révolte, d’un refus de la domination: mais
la complexité et la diversité des lignes de fracture sociale que
les soulèvements permettent de déchiffrer montrent que cette
domination n’est pas clairement identifiée. D'où les insuffi-
sances de l’historiographie marxiste (on est rarement dans le
« classe contre classe »] comme celles de l'approche empiriste
qui la critique et rejette toute explication structurelle. En
effet, les membres de la noblesse, partie prenante des luttes
de faction et dont les idéaux de classe sont mis à mal par leur
entrée au service de l’état même s'ils en retirent des avantages
indispensables à leur survie, s’allient souvent à des couches
populaires elles-mêmes divisées: les métiers s'opposent les
uns aux autres dans des alliances d’opportunisme, libres et
non libres n'ont pas les mêmes intérêts etc. Autrement dit, ce
sont les transformations sociales rapides de l'aristocratie, de
la bourgeoisie et des classes laborieuses des villes et des cam-
pagnes, confrontées entre autres, aux besoins et aux contraintes
de l’État naissant et de la structure de guerre qu’il génère (voir
p. 233), qui se conjuguent pour créer cette instabilité. De la
Le retournement de la conjoncture Une phase B: crise ou crises?

révolte de la Flandre maritime en 1323-1328 à la guerre des


paysans en Allemagne en 1525, en passant par la Jacquerie de cu à
la plaine de France, la révolte des « Travailleurs » anglais et . p.274
celle des Ciompi de Sienne et de Florence, la grande vague des mens
pogroms ibériques et les remensas catalanes, l'agitation inces- es .
sante doit s'interpréter sur le fond des innombrables révolu- <P do
tions et coups d'état de la période et surtout sur celui, tragique,
que colorent de sang les armées de la guerre de Cent Ans et
de tous les conflits qui gravitent autour d'elle, dans une Europe
qui subit de surcroît la poussée turque. Ces soulèvements ne
sont donc que l’une des faces du bouleversement qui trans-
forme les sociétés européennes en sociétés politiques et remet
en cause les fondements sociaux, culturels et bientôt religieux
de la civilisation occidentale: ce bouleversement dont les his-
toriens n'ont surtout identifié jusqu'ici que le versant intel-
lectuel et artistique, la « Renaissance »...

L'état de la recherche
Vers de nouvelles interrogations
Beaucoup de flou, de désaccords historiographiques, de questions non résolues, donc, dans ce cha-
pitre. Peut-on essayer d'y voir plus clair? Tout d'abord, il est impossible de minimiser l'impact de la
grande famine, au moins sur l'Europe du Nord-Ouest (et William Jordan montre que son aire de dif-
fusion a été plus vaste). Quant à la Peste Noire, ses ravages, d'abord dans le choc dévastateur de
1348-1349, puis dans ses retours récurrents tous les dix ou onze ans, sont incontestables. Mais les
raisons du retournement de la conjoncture restent peu claires; mais les mécanismes précis de la
démographie nous échappent. Or, quand les sources nous permettent de les entrevoir, elles révèlent
la rapidité et la souplesse de l'adaptation des populations médiévales, dont la logique est plus sociale
qu'économique : comment en serait-il autrement alors que d'autres évènements, comme les guerres
et leurs dévastations, les levées d'impôts et leurs exactions, les bouleversements monétaires, le
Grand schisme et les révoltes populaires, viennent ajouter au sentiment d'insécurité et d'instabilité
qui trouble les esprits?

ñ Florence, les archives du les hommes se marient tard, nonnes ou servantes. Dans les
Catasto (les contribuables entre 25 et 30 ans, une fois campagnes anglaises, les stra-
étant obligés de déclarer leurs qu'ils ont acquis les biens et la tégies démographiques sont
revenus et leurs biens en 1427) stature sociale qui leur permet- tout autres: il s'agit d'ajuster
nous révèlent une pyramide tent de tenir leur rang parmi les la quantité des terres et les
des âges irrégulière et désé- pères de famille dans la grande modes de culture de l'exploi-
quilibrée entre hommes et cité toscane. Au long célibat tation paysanne à l'évolution
femmes. L'âge au mariage est masculin correspond pour les de la cellule familiale selon le
très tardif chez les hommes, jeunes filles un célibat forcé et cycle de vie de ses membres
avec un écart au mariage définitif quand elles ont passé et à la force de travail dont elle
considérable entre hommes l'âge le plus élevé (22 ou 23 peut disposer, en s'ajustant à
et femmes: en ville (les choses ans) auquel elles auraient pu deux variables, le prix du travail
sont différentes à la campagne) se marier: elles deviendront salarié, et le prix des produits
PARTIE 3 La fin du Moyen Âge (xiv°-xv° siècle)

susceptibles d'être écoulés mais ces bouleversements les premiers balbutiements


sur le marché. Le statut des s'opèrent dans un espace que de la Réforme ne peuvent se
femmes est partie intégrante la poussée turque va bientôt comprendre si l'on ne relie
de ces modèles complexes et réduire, contraignant les pas tous ces développements
difficiles à cerner. Ceci nous marchands et les marins à se à l'instabilité fondamentale
incite - comme nous venons lancer dans des expéditions engendrée par la crise démo-
de le faire pour la Peste, mais maritimes hasardeuses; ils vont graphique et par la ou les crises
cela vient aussi d'être fait pour de pair avec les transformations économiques. Inversement,
la Grande Famine, à revenir de la piété et du sentiment ces crises ne peuvent se
aux réactions immédiates des religieux qu'une Papauté de comprendre qu'en tenant
populations, à chercher com- plus en plus administrative et compte à la fois du désarroi
ment elles ont réagi, et pas politicienne peine à canaliser, et du dynamisme des acteurs
seulement sur les plans démo- avec la montée des pouvoirs économiques, qui essaient
graphique et économique, de l'État moderne, qu'elle se tous de trouver des réponses
mais aussi sur les plans cultu- déroule dans les monarchies et des adaptations face aux
rel, religieux ou politique, aux d'Occident, ou dans les princi- difficultés qu'ils éprouvent. Le
maux qui les frappaient. pautés qui se développent contraste entre cet arrière-plan
un peu partout à partir de de crise grave et les réussites
a réalise alors à quel cités-États ou de dominations spectaculaires, artistiques mais
point l'opposition entre féodales, avec une mutation aussi technologiques et même
« la crise » et « les crises » sur culturelle qui répand l'écrit et économiques, que l'on observe
des bases strictement écono- l'image et fait de plus en plus ça et là, est un trait constant de
miques est simpliste. La Grande de place aux laïcs. Les deux der- la période: nous ne devrons
Famine et la Peste Noire ont niers siècles du Moyen Âge qui pas, dans les sept chapitres qui
bouleversé les sociétés médié- voient naître l'humanisme et composent cette partie, perdre
vales du début du xv° siècle, l'art de la Renaissance comme de vue cette réalité.

Bibliographie
Pour comprendre les problèmes que pose cette période, E. PERRoY, « À l'origine d'une économie
contractée: les crises du x siècle », dans Annales ESC, II, IV, 1949, pp. 167-182, et L. GENICOT, dans
le ch. VII de la Cambridge Economic History of Europe, t. 1, Cambridge, 2° éd., 1966, pp. 660-739;
J. Heers, L'Occident aux x et xw° siècles; Aspects économiques et sociaux, Paris, 5° éd., 1990;
Ph. Contamine, L'Économie médiévale, Paris, 1973, pp. 271-409; J. GLenisson et J. Day, Textes et
Documents d'histoire du Moyen Âge, x°-xv siècles, Paris, 1970; Ph. Wourr, Automne du Moyen Âge
ou printemps des temps nouveaux ? L'économie européenne aux x et x” siècles, Paris, 1986 ; Europa
en las umbrales de la Crisis 1250-1350, Pampelune, 1995 et G. Bois, La Grande Dépression médié-
vale, x et x siècles:Le précédent d'une crise systémique, Paris, 2000.
Outre l'article d'E. Perroy, consulter, pour comprendre le problème historiographique, M. Dogs
et P. M. Sweezy, Du féodalisme au capitalisme :problèmes de la transition, 2 vol. Paris, 1977; la
thèse de G. Bous, Crise du féodalisme, Paris, 1976; T.H. Aston et C.H.E. Paris, The Brenner Debate:
Agrarian Class Structure and Economic Development in Pre-Industrial Europe, Cambridge, 1987
et les articles essentiels de R. H. Hirron, Class Conflict and the Crisis of Feudalism, Londres, 1985.

Sur la situation économique des populations:


La situation économique des populations est présentée de façon concrète par C. DYer,
Standards of Living in the Later Middle Ages, Cambridge, 1989 et Making a Living in the Middle
Ages, Yale, 2002. Des perspectives plus larges sont ouvertes par W. A8e, Crises agraires en Europe
(u-xx siècle), Paris, 1973; F. BraueL et F. SpooNER au ch. 1 du t. 4 de la Cambridge Economic History
Le retournement de la conjoncture Une phase B: crise ou crises?

of Europe, Cambridge, 1967 et F. Brauoer, Civilisation matérielle, économie et capitalisme


vE-xvif siècle), 3 vol. Paris, 1979.

Les famines:
H.S. Lucas, « The Great European Famine of 1315 », dans Speculum, XV, 1930, pp. 343-377, et
H. Van WERVEKE, « La famine de l'an 1316 en Flandre et dans les régions voisines », dans Revue du
Nord, XLI, 1959, pp. 5-14. Voir aussi M. BertE, Famines et Épidémies dans les campagnes navarraises
à la fin du Moyen Âge, 2 vol, Paris, 1984. W. C. Joroan, The Great Famine: Northern Europe in the
Early Fourteenth Century, Princeton, 1997.

Sur la peste:
L'ouvrage fondamental est celui de J.-N. Birasen, Les Hommes et la Peste, 2 vol., Paris-La Haye,
1975-1976. Parmi les études régionales: É. Carpentier, Une ville devant la peste :Orvieto et la peste
noire de 1348, Paris, 1962; Ph. Zcer, The Black Death, Londres, 1971.

Sur les conséquences psychologiques, M. Mess, Painting in Florence and Siena after the Black
Death, Princeton, 1951. Voir aussi F. Berac, Histoire des lépreux au Moyen Âge, Paris, 1987.

Sur la démographie:
L'ouvrage de base est R. Mous, /ntroduction à la démographie historique des villes d'Europe du
x au xvuf siècle, 3 vol., Louvain, 1954. Voir aussi J. C. Russe, British Medieval Population,
Albuquerque, 1949 et R. M. Smirx, Population History of England, 1000-1540, Manchester, 1997;
E. Bararier, La Démographie provençale du xuf au xvF siècle, Paris, 1960; É. CarpENTIER, « Autour de la
Peste noire: famines et épidémies dans l’histoire du x siècle », dans Annales ESC, XVII, 1962,
pp. 1062-1092, et surtout H. Dusois dans J. Dupäouier, Histoire de la population française (cité p. 123)
et J.-P. Baroer- J. Dupäqurer, Histoire des populations de l'Europe, Paris, 1997.

Le problème de la mobilité de la population est illustré par A. Hicouner-Nabar, Périgueux aux


xx siècles, Bordeaux, 1978. L'ouvrage de D. HeruHy et Ch. KrariscH, Les Toscans et leurs familles,
Paris, 1978, contient les résultats d'une énorme enquête informatisée. Voir aussi M.-Th. Lorcin,
Vivre et Mourir en Lyonnais à la fin du Moyen Âge, Lyon, 1981.

Prix et salaires:
M. Posran, « Revision in Economic History:the Fifteenth Century», dans Economic History Review,
IX, 1939, pp. 160-167, et « Some Economic Evidence of Declining Population in the Later Middle
Ages », dans ibidem, 1949, pp. 221-226.

Pour l'Italie, voir Ch.-M. e La Ronaiëre, Prix et Salaires à Florence au x siècle (1280-1380), Rome,
1983.

L'instabilité sociale
Outre le recueil d'articles de R.H. Hirron cité à la page précédente, M. Morrar et Ph. Worr,
Ongles bleus Jacques et Ciompi. Les révolutions populaires en Europe aux xICV° etx siècles, Paris,
1970, reste l'introduction la plus commode au problème. Mais cette analyse est remise en
cause par S.K. Con Jr. Lust for Libery. The politics ofsocial revolt in medieval Europe, 1200-1425,
Cambridge, Mass., 2008 et Rivolte urbane e rivolte contadine nell'Europa del Trecento. Un
and
confronto, dir. par M. Bourin, G. CHerugint et G. Pinro, Florence, 2008 ainsi que par Survival
par R. Gobbarb, J. LANGDON
Discord in Medieval Society. Essays in honour of Christopher Dyer, éd.
et M. Müieer, Turnhout, 2010.
Le destin des États
et la vie politique
manifestation
Éléments de la crise, la guerre et la fiscalité sont liées à l'histoire politique. La guerre,
guerre modifie la carte des
de la « crise de la société féodale » est aussi facteur de mutation actif. La
de l'impôt suscite le perfectio nnement
États, impose la création d'une fiscalité; à son tour la levée
Les épreuves de la guerre forgent le sentiment
de l'appareil d'État et des institutions représentatives.
naître
national. C'est dire la profondeur d'un mouvement qui transforme la hiérarchie sociale et fait
l'État moderne.

I. La noblesse et la guerre
C'est à la mise en place d’une véritable structure de guerre
que l’on assiste depuis la fin du x siècle. Tout d’abord, la
conception du territoire a changé. Dans le cadre des relations
féodales, elle reste souple, puisque l'autorité s'exerce par délé-
gation: ce qui compte, c’est la solidité et l'efficacité du lien
personnel. Avec le retour en force du droit romain et son uti-
lisation par l'État naissant, la notion de souveraineté s'applique
pleinement au territoire. Les frontières se chargent d’une nou-
velle signification, et les possibilités d'appel aux cours de jus-
tice souveraines nouvellement créées rendent beaucoup plus
strict l’exercice de l'autorité royale ou civique, multipliant
ainsi les occasions de conflit. Les états vont aussi utiliser à
leur profit la notion de « guerre juste », définie par l'Église et
son droit canon à l’occasion de la croisade. Lorsque sa souve-
raineté est bafouée par une atteinte à son territoire, le souve-
rain ou le magistrat peut déclencher une « guerre juste » Le
défendre le bien commun, et il peut dès lors faire appel'aux
ressources de ses sujets pour défendre ce territoire.
Mais cette structure se matérialise par des systèmes d'alliance
qui entraînent mécaniquement une amplification des conflits.
Ils ont deux origines principales: à la mort de son ennemi,
l'empereur Frédéric II de Hohenstaufen, la papauté a demandé
à Charles d'Anjou, le frère de saint Louis, de conquérir le
royaume de Naples, ce qu'il a fait. Mais les opposants au régime
sévère qu'il a instauré font appel au roi d'Aragon qui a épousé
une fille de Frédéric: aux Vêpres Siciliennes à Palerme, en
1282, les Français sont massacrés et il y a désormais deux
« royaumes de Naples » : l’un, Capétien, sur la terre ferme,
l'autre, Aragonais, en Sicile. Ce conflit étend à toute l’Europe
les divisions traditionnelles de l'Italie: les Capétiens de Naples,
soutenus par le pape, sont guelfes, les Aragonais de Sicile, se
réclamant de l’empereur, Gibelins. Par l'intermédiaire de la
rivalité entre Gênes et Venise, les alliances gibeline et guelfe
sont même transférées à l'Orient des Mamelouks et des
Le destin des États et la vie politique

Mongoles! La seconde origine remonte au Traité de Paris en


1259: saint Louis avait cru régler la rivalité franco-anglaise
en faisant du roi anglais le vassal du roi de France pour toutes
ses terres continentales, dont en contrepartie il lui reconnais-
sait la maîtrise. Mais la logique féodale n’est pas celle de l’État
et de son droit: les incessants appels des Gascons au Parlement
de Paris vont miner la maîtrise du roi anglais sur l'Aquitaine.
À partir de 1290, la guerre entre les deux royaumes reprend,
même si elle s’intensifiera encore avec la guerre de Cent Ans,
à partir de 1337. Le roi de France s'appuie sur l'Écosse et bien-
tôt sur la Castille, le roi d'Angleterre sur les Flamands et des
principautés des Pays-Bas, et bientôt sur l’Aragon et le Portugal,
rivaux de la Castille. Le croisement des deux systèmes d’al-
liance fait de la mosaïque des états européens un ensemble
inflammable.
Cependant, cette structure n'aurait pu se consolider si elle
n'avait pas reçu un soutien social fort.

M La guerre, une industrie nobiliaire


Le xiv° et le xv° siècle sont l’âge des monarchies, maïs aussi
celui des princes, celui de l'aristocratie. Les revenus de l’aris-
tocratie terrienne ont diminué au fil des ans. Pour compenser
cette diminution, les nobles et tous ceux qui vivaient des rentes
de la terre se tournent vers d’autres sources de revenus, par
exemple le banditisme qui, en ces périodes troublées, compor-
tait peu de risques; il y a des exemples célèbres en France et
en Angleterre de nobles bandits {les Folville par exemple), mais
les empiétements systématiques sur la propriété d'autrui aux-
quels se livraient bien des propriétaires terriens étaient plus
graves. En tout cas, partout, les nobles pauvres vont chercher
dans le métier des armes la source de revenus que la terre leur
refuse; ils sont présents dans ces armées de mercenaires qui
dévastent l’Europe, se payant sur l'habitant quand les soldes
de leurs employeurs officiels se tarissent: les « routes » de
nobles faméliques comme les Basques de Navarre et de Castille,
les Bretons et les Gascons, les bandes anglaises, brabançonnes,
hongroises, les compagnies de lansquenets (Landknecht} alle-
mands ou d’arbalétriers génois, comptent aussi dans leurs rangs
de nombreux paysans ambitieux, qui comptent sur la guerre
pour s'élever dans l'échelle sociale. Les troupes suisses, qui
s'imposent à la fin du xv: siècle sur les champs de bataille, sont
essentiellement formées de paysans.
En Allemagne surtout la petite noblesse eut systématiquement
recours au banditisme: aux avantages économiques, s’ajoutait
une manifestation politique d'indépendance à l'égard des princes
et des villes. En France et en Angleterre, on entre dans les rangs
de ce que les historiens anglais ont appelé la « féodalité bâtarde ».
Un seigneur inscrit dans sa retenue celui qu'il retient à sa suite,
en lui versant une somme d’argent tous les ans et en lui procu-
rant divers avantages. Dans les grandes occasions, les membres
de ces retenues portent la livrée de leur patron. En France les
accords entre deux nobles se font souvent par « traités
PARTIE 3 & La fin du Moyen Âge (xv°-xv° siècle)

d'alliance ». Que ce soit par alliance ou par retenues, de vastes


clientèles se créent ainsi, fondées sur l'intérêt. Mais pour payer
leurs retenues, princes et grands seigneurs, frappés par la chute
de la rente foncière, ont besoin d’une part des deniers publics.
Ils se disputent le gouvernement et le contrôle des dépenses
publiques. Par là, la féodalité bâtarde mena forcément à la guerre
et, à défaut de conflit extérieur, à la guerre civile. La guerre en
elle-même est une source de revenus. Les « lois » de la guerre
de l’époque le montrent bien: rançons, pillages et rapines sont
de bons rapports, de même que les soldes régulières. Surtout, la
guerre est le prétexte dont tous les États ont besoin pour lever
l'impôt qui retourne avant tout à la classe seigneuriale; la fonc-
tion économique et sociale de la guerre est primordiale. L'impôt,
prélèvement complémentaire, permet de compenser la chute de
la rente seigneuriale. Ainsi la guerre, en aggravant par ses dévas-
tations la crise du monde rural, créait les conditions de son propre
développement. Elle était un facteur permanent d’'instabilité.
Pensant en retirer un profit, l'aristocratie pousse à la guerre exté-
rieure: si au xu siècle, les barons anglais rechignent à assister
le Plantagenêt dans sa lutte pour conserver son domaine conti-
nental, Édouard III bénéficie de l'appui enthousiaste de sa
noblesse pour ses campagnes. Mais dès que les échecs ou la
conjoncture diplomatique mettent fin à la guerre, les luttes des
factions pour contrôler le gouvernement prennent le relais.
L'histoire de la France et de l'Angleterre est ainsi faite d’un
enchevêtrement de guerres entre les deux pays et de guerres
civiles, les périodes de paix extérieure étant des périodes de guerre
civile, au moins dans le pays qui a eu le dessous lors de la dernière
passe d'armes, parfois dans les deux pays en même temps...

Le premier pe LA Poe célèbre & L'aristocratie en France et en Angleterre


est un marchand de Hull qui fait
fortune en finançant les guerres En Angleterre, l'aristocratie est dominée par les « magnats »,
d'Edouard II. Son fils, Michaël, pourvus d’un titre (ducs ou comtes]. Parmi eux, les princes de
devient comte de Suffolk et sang royal jouent le rôle de leaders, avec quelques puissantes
meurt en exil, ses biens confis-
familles (Beauchamp, de la Pole, Neville, Percy). Au-dessous
qués. Son fils fut tué en 1415 au
siège de Harfleur, l'un de ses d'eux, des lords, dont certains sont presque aussi riches et puis-
petit-fils quelques jours plus sants que les magnats. Le renouvellement de ces deux catégo-
tard à la bataille d'Azincourt. ries est rapide, car les titres ne vont qu'aux héritiers mâles. La
L'autre, William, duc de Suffolk,
guerre et les luttes civiles déciment les familles, accentuant la
fut décapité en 1450 par un
pirate qui l'avait capturé alors mobilité sociale. La gentry, enfin, est une catégorie aussi
qu'il s'enfuyait en France. Si son ouverte: la fortune, le genre de vie (surtout le service militaire
fils put mourir en paix, trois de accompli comme homme d'arme à cheval) agrègent vite à l’aris-
ses cinq petits-fils (les deux tocratie. La situation n’est guère différente en France: on voit
autres étant ecclésiastiques)
eurent une fin mouvementée:
dans le Forez un brassage aussi rapide qu’en Angleterre. Les
John et Edmond sur l'échafaud, princes de sang royal jouent aussi le rôle de leaders: les ducs
Richard, entré au service du roi de Bourbon, Robert d'Artois, Charles le Mauvais, les frères de
de France, à la bataille de Pavie, Charles V (Berry, Bourgogne et Anjou), le frère de Charles VI,
comme prétendant yorkiste au
trône d'Angleterre.
Louis d'Orléans. À leurs côtés se trouvent les grands seigneurs
du Midi (comte d'Armagnac, comte de Foix, familles d’Albret
: L et de Grailly}, et les ducs de Bretagne et de Lorraine, bien
un,
A 362, B. qu'extérieurs au royaume.

Ces nobles sont liés par des mariages, opposés par des querelles
de famille, assistés par des clientèles rivales. Ils ont le souci
Le destin des États et la vie politique

de leur prestige et de leur gloire, le désir de fonder des dynas-


ties. Vivant au milieu de cours fastueuses, disposant d’une
administration copiée sur celle du roi, ils n'hésitent pas à
s'engager dans des aventures glorieuses: Jean de Gand en
Castille, Humphrey de Gloucester en Flandre, les comtes de
Foix en Navarre, les ducs d'Anjou à Naples. Pour tous, la
guerre est une nécessité: elle est le prétexte et la justification
des impôts qu'ils lèvent ou dont ils profitent. Elle est aussi un
genre de vie: elle n’a jamais autant fasciné par son aspect che-
valeresque, alors qu’elle est devenue, bien souvent, un prosaïque
gagne-pain. En témoignent les ordres de chevalerie que créent
les souverains (la Jarretière, 1351 ; ordre de l'Étoile, 1351; Toison
d'Or, 1430; ordre de Saint-Michel, 1469).

B Une guerre de professionnels


La guerre, dans ces conditions, présente un visage nouveau.
Peu à peu les armées n’ont plus été composées que de profes-
sionnels soldés, y compris les nobles qui combattent à cheval.
Les souverains ont bien tenté de se procurer des soldats autre-
ment : mais les premiers échecs français ont montré qu'il était
impossible de compter sur la levée féodale traditionnelle, et
les essais de service militaire obligatoire n’ont rien donné de
bon, excepté le cas des communes flamandes. L'emploi de pro-
fessionnels soldés n’est pas en soi une nouveauté: les
Hohenstaufen, Henri II en avaient engagé à leur service, mais
jamais dans d'aussi importantes proportions. Ces troupes
soldées sont plus ou moins efficaces. La paix pose toujours un
grave problème: souvent, les soldats essayent de s’accrocher à
un château d'où ils rançonnent le plat pays. Fiscalité irrégu- Paris: traité de composition par
lière, au fond, qui fait que, en France surtout, la paix ne vaut lequel une ville ou un village paie
un chef de bande pour qu'il
guère mieux que la guerre. Les « Grandes Compagnies », les l'épargne.
« Écorcheurs » ont peut-être causé autant de dommages aux
campagnes françaises que les Anglais. Peu à peu on en vint
à l’idée que l’armée soldée devait être au moins en partie per-
manente : Charles VII, le premier, réussit en 1445 à mettre sur
pied une armée permanente de gendarmes et d’archers.

Cause et conséquence de cette évolution, le coût de l'armement


augmente. Grâce à sa solde ou aux équipements mis à sa dispo-
sition par le prince, le professionnel dispose d’armures et de
chevaux de prix. En outre seul le prince a les moyens de béné-
ficier des progrès techniques, telle l'artillerie. On a pu soutenir
que la monarchie avait survécu aux épreuves de cette période
parce que seul le prince peut entretenir une artillerie (au moins
une artillerie mobile, car les villes consentiront souvent de gros L
s rle canon,
sacrifices financiers pour faire fondre des canons: c’est le cas de p. 276.
Bordeaux au xv° siècle). Seuls des professionnels peuvent s’oc-
cuper du parc d'artillerie, des réserves de poudre, des moyens
logistiques. Enfin, le rôle dévolu à des armes non nobles (l'arc
en Angleterre, l’arbalète en France) oblige à avoir recours à des
mercenaires entraînés (arbalétriers génois, archers gallois).
L'entretien de cette armée est en tout cas l’une des causes qui
contribuent le plus au renforcement de l'État.
PARTIE 3 La fin du Moyen Âge (xv®-xv® siècle)

Il. La France et l'Angleterre :


la guerre de Cent Ans (1337-1455)
E Les origines de la guerre de Cent Ans
La guerre de Cent Ans est en réalité une série de conflits dis-
tincts qui, de 1337 à 1455, ont opposé la France et l'Angleterre,
provoquant des luttes annexes (Bretagne, Castille) que nous
négligerons. Elle a des origines directes, dynastiques, féodales
et économiques. Dynastiques d’abord: l'extinction de la ligne
capétienne directe en 1328 a amené sur le trône Philippe de
Valois, descendant du second fils de Philippe III le Hardi,
puisque, depuis 1316, il semblait admis que les femmes ne
pouvaient succéder à la couronne de France [la loi salique est
une « redécouverte » du temps de Charles V}. Or, si l’on admet-
tait que les femmes pouvaient au moins transmettre leurs
droits, deux candidats étaient aussi bien placés que Philippe:
Charles le Mauvais, qui par sa mère Jeanne de Navarre était
de la lignée de Louis X, et Édouard III, le roi d'Angleterre, qui
par sa mère Isabelle descendait de Philippe le Bel. L'élément
dynastique a joué tout au long de la guerre un rôle de propa-
gande et de justification, mais il n’a été évoqué qu'au dernier
moment :nul n’a réellement contesté en 1328 l'accession de
Philippe VI de Valois, y compris Édouard III qui dès 1329 lui
prêtait l'hommage pour la Guyenne. C’est en réalité la
5 L. Guyenne qui a joué le rôle principal dans le déclenchement
du conflit. À plusieurs reprises des contestations s'étaient
y. 361,B. élevées entre le suzerain français et son vassal anglais (confis-
cation de la Guyenne, 1294-1297, guerre de Saint-Sardos, 1323-
1327), surtout du fait des empiétements français. Les
négociations durèrent six ans: Édouard III était prêt à des
concessions à propos de la Guyenne, à condition qu'on lui
laisse les mains libres en Écosse, où il avait imposé le préten-
dant pro-anglais Édouard Balliol (bataille d'Halidon Hill, 1333).
Enfin en Flandre, les milices urbaines avaient été écrasées par
Philippe VI à Cassel, et les Anglais voyaient d’un mauvais œil
l'accroissement de l'influence française dans ce pays impor-
tant pour leur économie. En 1337, Édouard, las de négocier,
revendiqua la couronne de France.

BH La première phase: les succès anglais


La guerre de Cent Ans peut être divisée en quatre périodes. La
première, de 1337 à 1360, est celle des succès anglais. À deux
reprises, la tactique défensive utilisée par les Anglais qui acca-
blent sous leurs traits la chevalerie française désordonnée leur
vaut la victoire (Crécy-1346, Poitiers-1356) : victoires sans
appel, surtout la seconde, où le roi de France Jean le Bon est
fait prisonnier.
En outre, la victoire navale de l’Écluse (1340) et la prise de
Calais (1347) garantissent aux Anglais la possibilité de passer
en France quand ils le veulent. Les assemblées représentatives,
lasses de payer des impôts qui ne rapportent que des défaites,
Le destin des États et la vie politique

les partis aristocratiques (en 1356 celui de Charles le Mauvais,


roi de Navarre) se lancent à l'assaut d’un pouvoir central qui
cumule défaites et faiblesses. Le dauphin Charles [le roi Jean
étant prisonnier à Londres), habile, s'incline d’abord devant
= L
les exigences du parti navarrais et celles de la bourgeoisie
urbaine dont le meilleur représentant aux États de langue d'oïl p. 252.
est le prévôt des marchands de Paris, Étienne Marcel. Mais
lorsque Marcel, pour forcer le dauphin à prendre des mesures
décisives, eut assassiné deux de ses conseillers (février 1358),
le dauphin s'enfuit; devenu rebelle, Marcel perd son audience
et est assassiné au moment de s'allier avec le Navarrais. En
1360, en refusant obstinément le combat, le dauphin met en
fâcheuse posture Édouard III, lancé dans une imprudente che-
vauchée. La paix devenait donc possible: le traité de Brétigny
laisse aux Anglais Calais, Guines, le Ponthieu et une grande
Aquitaine qui comprenait Guyenne, Gascogne, Quercy,
Rouergue, Limousin et Poitou, territoires sur lesquels le roi nn.
x

de France abandonnaiïit ses droits de souveraineté. €#, 363,E.:

M La deuxième phase: les succès français


La deuxième phase est celle des succès français. Charles V,
devenu roi en 1364, s'était donné les moyens de faire la guerre,
en restaurant le pouvoir monarchique. Engageant des compa-
gnies soldées, il les confia à un chef remarquable, Bertrand Du
Guesclin, prêt à appliquer cette stratégie défensive qui avait
si bien réussi en 1359-1360. L'appui de l'Écosse et de la Castille
{où le prétendant pro-français Henri de Trastamare s'était
emparé du trône avec l’aide de Du Guesclin), la neutralité
bienveillante de la Flandre dont l’héritière venait d’épouser le
frère du roi Philippe, duc de Bourgogne, assuraient de solides
arrières au roi de France. Il reçut donc l’appel qu'au mépris du
traité de Brétigny lui adressèrent le comte d’Armagnac et le
sire d'Albret. Au bout de quatre ans, Édouard III avait presque
tout perdu (1369-1373). Une seconde série de campagnes fut
moins heureuse pour les Français (1376-1380) ; mais la domi-
nation anglaise en France était réduite et des trêves écartèrent
les Anglais de France pendant trente-cinq ans.

Ce fut au tour des Anglais de souffrir de graves désordres inté-


rieurs: Édouard III avait laissé l'aristocratie prendre une très
grande place et, dès la fin de son règne, les luttes de faction
affaiblirent la monarchie. Ce fut pis avec son successeur,
Richard Il, qui en 1388 dut s’humilier devant la grande noblesse
menée par son oncle, Thomas de Gloucester. Il ne put prendre
qu’une courte revanche en 1397, car dès 1399, il était renversé
et mis à mort par son cousin Henri de Lancastre. Devenu le roi
Henri IV, celui-ci fondait la dynastie lancastrienne. Maïs en
France, on était incapable de tirer parti des victoires de
Charles V: pendant la minorité de Charles VI (1380-1388) puis
pendant sa maladie [le roi était devenu fou en 1392), les
« princes » se disputèrent le pouvoir: Jean de Berry, Louis I‘ et
Louis II d'Anjou, Philippe le Hardi, duc de Bourgogne et comte
de Flandre, et bientôt Louis d'Orléans, frère de Charles VI.
PARTIE 3 La fin du Moyen Âge (xiv°-xv° siècle)

La rivalité des partis aristocratiques se résuma bientôt en une


rivalité Orléans-Bourgogne qui prit une tournure violente
lorsque à Philippe le Hardi succéda son fils, Jean sans Peur
(1404) ; celui-ci fit assassiner Louis d'Orléans que soutenait
une solide faction où se distinguait le comte d'Armagnac. Dès
lors, les deux partis, le Bourguignon [très fort dans les villes)
et l'Armagnac (où figuraient les autres princes, Berry, Bourbon,
Anjou, le Dauphin, la Reine, etc., effrayés par la puissance du
Bourguignon) firent appel aux Anglais.

M La troisième phase: l'occupation anglaise


En Angleterre était monté sur le trône Henri V (1413-1422). Il
envahit la France et à Azincourt (1415), sa petite troupe mas-
sacra la chevalerie française. Une réconciliation générale aurait
pu sauver la France: or en 1419, au cours d'une entrevue à
Montereau avec le dauphin Charles, le duc de Bourgogne, Jean
sans Peur, fut assassiné. Dès lors, son fils Philippe le Bon (1419-
1467) soutint les prétentions d'Henri V, contre le parti
Armagnac lié au roi de France. Le traité de Troyes consacra la
victoire du roi d'Angleterre. Henri n’enlevait pas sa couronne
à Charles VI, mais en devenait l'héritier par son mariage avec
Catherine de France (1420). Le dauphin ne pouvait accepter ce
traité. La France se trouva divisée en deux. Ce fut la période
la plus dure de la guerre, aucun parti n'étant assez fort pour
l'emporter: la mort d'Henri V (1422) avait laissé la couronne
à un enfant et l'Angleterre connaissait à son tour les difficultés
d’une régence. Ici se situe l'épisode de Jeanne d'Arc. Cette
jeune Lorraine avait dès 1425 entendu des voix qui lui enjoi-
gnaient d'aller au secours du roi de France. Aiïdée par le capi-
taine Robert de Vaucouleurs, elle se rendit auprès du roi qui
la soumit à l'examen d’une commission de théologiens à
Poitiers. L'examen ayant été favorable, Jeanne d'Arc prit la tête
de l’armée et marcha sur Orléans qui fut enlevée en mai 1429.

&.
Dès juillet, Jeanne d'Arc emmena Charles se faire sacrer à
Reims (Charles VI était mort en 1422). Jeanne ne put cépen-
dant prendre Paris; faite prisonnière en mai 1430 par les
f #. 362, B. Bourguignons, elle fut livrée aux Anglais qui la firent brûler
comme sorcière à Rouen (1431). Cet épisode important sur le
plan religieux fait apparaître au grand jour la puissance du sen-
timent national, déjà perceptible au moment des désastres de
1356, grâce à la pierre de touche que fut le sacre de Reims.

M La quatrième phase: la reconquête française


L'événement capital reste le traité d'Arras (1435) : Philippe le
se L Bon abandonnaiït l'alliance anglaise, le roi le dispensant d’hom-
mage pour ses domaines français et lui laissant les villes de la
Cy 362, C. Somme qu'il avait occupées. Bientôt il ne restait aux Anglais
à L que la Guyenne et la Normandie, reconquises après Formigny
[1450] et Castillon (1453). L'Angleterre sombrait dans les luttes
y 365, D.
civiles: en 1453 éclatait la guerre des Deux Roses où s’affron-
tèrent tenants de la rose blanche (Yorkistes, partisans de Richard
d’York et de son fils Édouard] et de la rose rouge (Lancastriens,
Le destin des États et la vie politique

partisans d'Henri VI}. York fut tué mais Édouard, victorieux à


Towton (1461), évinça Henri VI. Édouard IV réussit, malgré une
chaude alerte (1470-1471), à se maintenir sur le trône (1461-
1483), mais son frère Richard III fut écrasé à Bosworth en 1485
par Henri Tudor qui établissait solidement son pouvoir.
Dans le même temps, les rois de France avaient facilement
disposé des révoltes aristocratiques (Praguerie-1440, Guerre
du Bien Public-1465}, mais ils avaient dû user leurs forces
contre le duc de Bourgogne: l’imprudence de Charles le
Téméraire permit à Louis XI de mettre la main sur ses és” Le
domaines français après sa mort devant Nancy (1477). Dans #. 362, C.
tout ce conflit, la subtilité de Louis XI fut remarquable; il sut
diviser les princes, alliés du Téméraire, puis à partir de 1474
sa diplomatie tissa autour du Bourguignon un filet dont celui-ci
ne put s'échapper: le roi acheta la neutralité d'Édouard IV au
traité de Picquigny (1475) et se lia aux Suisses. La fin de la
dynastie angevine et l'effondrement de la famille d'Armagnac
avaient accru la puissance du roi de France. Le mariage de
Charles VIII avec Anne de Bretagne (1491) parachevait l’œuvre
de Louis XI, bien continuée par la régence de Pierre et
d'Anne de Beaujeu (1483-1491). Au sortir des difficultés de la
guerre de Cent Ans, au moment où l'économie se faisait plus
prospère, la monarchie des Valois paraissait l'État le plus puis-
sant d'Occident. »: 362, D.

IH, Les autres États d'Europe


m L'Empire
Dans l’Empire, le pouvoir central n’a jamais pu s'imposer sans
conteste. En Italie, d’abord, l'Empereur ne joue plus qu'un rôle
très effacé. Jusqu'en 1452, il est couronné à Rome. Mais que
retire-t-il de cette consécration? Pas grand-chose; si l'idée
d'Empire est encore vivace, le pouvoir réel de l'Empereur est
réduit. Il dispose certes d’une administration centrale, avec
chancellerie, trésor, et cour de justice. Mais le personnel de la
chancellerie est peu nombreux, les rentrées fiscales minimes...
La Diète (Reichstag) est une arène politique, où s'affrontent
princes, nobles, et représentants des « villes libres » (80 à 90 cités
sont représentées}, et sa législation n’est guère respectée. Les
sept Électeurs constituent à la Diète un collège distinct. Seuls
avantages que l’empereur retire de sa position: une certaine
facilité pour accroître ses domaines et l'espoir de fonder une
dynastie. Louis IV de Bavière (1314-1346) et Charles IV ont ainsi
pu exalter la puissance des Wittelsbach pour le premier, des
Luxembourg pour le second. Les Luxembourg [avec Charles IV,
1346-1378, Wenceslas, 1378-1409 et Sigismond, 1410-1437), et
les Habsbourg (Albert II, 1438-1439, Frédéric IT, 1440-1493,
Maximilien, 1493-1519) ont tour à tour réussi à réserver à leur
famille le titre impérial. Ces souverains ont mis leur prestige
au service d'entreprises extérieures aux pays germaniques sinon
à l’Empire, en Italie (Louis IV), en Bohême (Charles IV et
PARTIE 3 # La fin du Moyen Âge (xv°-xv° siècle)

Wenceslas), en Hongrie (Sigismond et Albert Il). Sigismond joua


également un rôle dans les affaires religieuses.
Les empereurs tirent leur puissance de leurs principautés ter-
ritoriales. Les princes allemands, en tout cas au moins les
ÉLECTEURS :sont électeurs à la Électeurs dont les droits souverains ont été implicitement
fin du xv° siècle les arche- reconnus par la fameuse Bulle d'Or (1356) de Charles IV doivent
vêques de Cologne, Mayence
être comparés au duc de Bourgogne, plus qu'aux « princes »
et Trêves, le comte Palatin du
Rhin, le duc de Saxe, le mar- de France ou d'Angleterre. Les Luxembourg tirent leur force
grave de Brandebourg et le roi d'un agrégat d'États mouvants qui comporta outre le duché
de Bohême. de Luxembourg et le royaume de Bohême, le Brabant, le
Hainaut, la Moravie, la Lusace, la Silésie, le Brandebourg et
avec Sigismond le royaume de Hongrie. Quant aux Habsbourg,
ils commencent à jouer un rôle lorsque Maximilien, héritier
de son épouse Marie de Bourgogne pour les domaines de la
maison de Bourgogne qui faisaient partie de l’Empire, eut
rétabli son pouvoir sur les domaines familiaux longtemps
divisés (vallée du Rhin alémanique, Autriche, Styrie,
Carinthie). La multiplicité de ces États en lutte les uns contre
les autres a aggravé l'insécurité; menacées, les villes se sont
groupées en ligues (ligue Souabe, ligue Rhénane, et l’on peut
inclure ici aussi la Hanse, que sa lutte contre le roi de
Danemark contribua à unir) pour mettre fin aux déprédations
des nobles et des chevaliers pillards. Mais battues en 1388-
1389, elles durent renoncer à pacifier la Germanie, et tout le
xv° siècle est fait de guerres entre princes et villes. L'absence
de pouvoir central est au xv° siècle très sensible: Wenceslas
et Sigismond sont occupés par la Bohême révoltée, par la
Hongrie attaquée par les Turcs, et les Habsbourg, incapables
de se maintenir dans ces royaumes sont d’une dérisoire
faiblesse jusqu'au redressement opéré par Maximilien.

M Les domaines bourguignons


Dans ces conditions, de nombreux territoires se sont détachés
de l'Empire. L'emprise germanique recule. Princes français, les
ducs de Bourgogne ont inclus dans leurs États nombre dé ter-
ritoires de l’Empire. Par mariage, par achat (Namur), par héri-
tage ou par violence (Gueldre), ils ont regroupé les domaines
des Wittelsbach (Hainaut, Hollande) et des Luxembourg
(Brabant, Luxembourg) dans l’ouest de l’Empire, et imposé leurs
candidats sur les sièges épiscopaux de Liège, Cambrai et Utrecht.
Les Pays-Bas, ainsi constitués, ont été organisés en État cen-
tralisé pourvu de ses Chambres des comptes, d’un Trésor, d’un
grand conseil ducal et plus tard d’une armée permanente.
L'activité des ducs ne se limita pas aux Pays-Bas. Détournés de
France après le traité d'Arras qui leur faisait abandonner la
Champagne, ils cherchèrent à relier leurs territoires du Nord à
la Bourgogne en acquérant de nouveaux domaines d'Empire.
Charles le Téméraire rêva de reconstituer la Lotharingie. Il
réussit certes à dominer la Lorraine et à acheter le landgraviat
de Haute-Alsace: mais voulant installer sur le siège archiépis-
copal de Cologne un candidat de son choix, il se heurta à une
violente opposition, fomentée par le roi Louis XI et les Suisses.
Son échec devant Neuss {1475} provoqua la révolte de l'Alsace,
Le destin des États et la vie politique

tandis que le duc de Lorraine entrait en guerre contre lui. Les


armées suisses, aidées par l'argent français, firent s'effondrer la
Bourgogne, par leurs victoires de Grandson et de Morat (1476|.
La mort du Téméraire devant Nancy (1477] mit fin au rêve
lotharingien. La cohésion des Pays-Bas fut maintenue: la fille
du Téméraire, Marie de Bourgogne, et son mari, Maximilien
d'Autriche, profitant des erreurs de Louis XI trop avide, résis-
tèrent aux Français, grâce au soutien des États Généraux des
Pays-Bas, acquis au prix de la reconnaissance des libertés locales.
La paix de Senlis (1492) entérinait la victoire de Maximilien.

E La Suisse
La Confédération helvétique est née d’une ligue formée en
1291 par les trois cantons forestiers d'Uri, Schwyz et
Unterwalden révoltés contre leurs seigneurs, les Habsbourg,
et réclamant de dépendre directement de l’empereur. Victorieux
des Habsbourg à Morgarten en 1315, les trois cantons furent
bientôt rejoints par des villes (Lucerne, Zurich, Berne] et peu
à peu se constitua la Confédération helvétique, qui régla défi-
nitivement ses comptes avec les Habsbourg à Sempach (1386)
et à Nähfels (1388). Au xv° siècle, la Confédération s'agrandit
sans cesse grâce aux victoires de ses fantassins armés de lon-
gues piques. Sa victoire sur la Bourgogne fit passer au premier
plan la « Ligue des Confédérés de Haute-Allemagne » qui à la
fin du xv° siècle, sans former à proprement parler une nation,
est pratiquement indépendante de l’Empire.

& L'Europe centrale: l'expansion de la Pologne


et l'ascension de la Russie moscovite
La Pologne s'accroît ainsi de façon spectaculaire mais elle se
heurte à une puissance nouvelle, la Moscovie. Les Moscovites
doivent à l’origine leur fortune aux Tatars: ils les ont aidés à
se débarrasser de leur rival, le prince de Tver. Leur prince, Ivan
« Kalita » (l’escarcelle}, devient le principal responsable de la
perception du tribut des princes russes aux Tatars. Prestigieux
intermédiaire, il rachète les principautés incapables de
s'acquitter du tribut et rassemble ainsi un vaste territoire. En
1326, il transfère à Moscou le métropolite de Kiev, réfugié à
Vladimir après la ruine de sa ville: dès lors Moscou est la capi-
tale de l’orthodoxie russe. Le prince Dimitri, vainqueur des
Tatars et les Lituaniens coalisés à Koulikovo sur le Don (d'où
son surnom « Donskoï »}, est assez fort pour rejeter la tutelle
tartare. Cette victoire est, après l'installation du métropolite
à Moscou, la deuxième pierre fondatrice de l'État russe: le
grand-prince de Moscou apparaît dès lors comme le champion
des Slaves contre les Tartares. Il devient aussi le champion de
l'orthodoxie grecque contre le catholicisme latin: en 1448,
Basile II fait arrêter le métropolite Isidore qui avait participé
au concile de Florence en 1439, et proclamé l'union des Églises
latine et orthodoxe. Basile II, soutenu par le clergé et l'opinion
populaire, refuse cette mesure acceptée par les Grecs dans le
seul but de sauver Constantinople. De sa propre autorité, il fait
désigner Jonas de Riazan pour succéder à Isidore, sans même
PARTIE3 s La fin du Moyen Âge (xv£-xv° siècle)

l'avis du patriarche de Constantinople. C'est là un pas décisif


vers l’autocratie russe, qui subordonne l'Église au souverain;
en même temps, Constantinople étant prise par les Turcs en
1453, le prestige de Moscou, défenseur de la vraie foi orthodoxe
et troisième Rome, est définitivement affirmé. Ivan III (1462-
1505) parachève l’œuvre de son prédécesseur avec vigueur.
Après avoir éliminé les princes russes, il s'attaque à Novgorod,
prise en 1471 et annexée en 1477. Profitant de la rivalité entre
Casimir Jagellon et Mathias Corvin, il prend Viazma aux
Jagellons et à l’est, il progresse aux dépens des Tatars: il impose
son protectorat au khan de Kazan en 1487 et, allié au khan de
Crimée, finit par abattre la Grande Horde en 1502. En 1494
comme en 1503, Ivan III se proclame souverain tsar de toute
la Russie: un nouvel Empire est né.

Affaibli, l'Empire n’a pu soutenir l'influence germanique à l'Est.


"# 366, A. Le xv° siècle a renforcé l'influence française sur l’Europe cen-
trale: Louis I‘ de Hongrie (1342-1382), un prince angevin qui
constitua un immense empire, incluant la Dalmatie, des ves-
tiges de l'empire serbe d'Étienne Douchan (la Bosnie, une partie
de la Serbie et de la Bulgarie) et la Pologne, et Charles de
Luxembourg, roi de Bohême avant d’être empereur, puisèrent
en France leur inspiration. Mais dans toute l'Europe centrale
la puissance de l'aristocratie s’opposa au développement d’un
État stable capable de résister aux Turcs. Les empereurs
Luxembourg usèrent leurs forces en Bohême (Wenceslas) et en
Hongrie (Sigismond) tandis que le plus puissant souverain de
la seconde moitié du xv‘ siècle, Mathias Corvin (roi de Hongrie)
guerroya surtout contre la Bohème et l'Autriche au lieu de
concentrer ses efforts contre les Turcs: il pensait qu'il devait
s'assurer une base de départ dans l’Empire. Les conséquences
du déclin de l’Empire ont donc une portée considérable. Des
dynasties nationales se sont établies en Hongrie (Hunyadi) et
en Pologne {Jagellonides originaires de Lituanie qui s'installent
aussi en Bohême à la mort du roi tchèque Georges de Podiebrad,
1457-1471) et les Allemands ont vu leur échapper nombre de
territoires: lorsque, après s'être fait baptiser, le prince, de
Lituanie Jagellon devint en épousant la fille de Louis de Hongrie,
Edwige, roi de Pologne sous le nom de Vladislav IT Jagellon
(1386-1434), l'Ordre teutonique se trouva face à un puissant
rival. Vaincus à Tannenberg (1410) les Teutoniques durent se
résigner, à la paix de Thorn (1466), à être coupés de leurs bases
allemandes. Il ne possédèrent plus que la Prusse orientale et la
Livonie, théoriquement dépendantes du royaume de Pologne.

& La Hanse et la Scandinavie


Le recul germanique en Baltique est accentué au xv° siècle par
le déclin de la puissance hanséatique. Les Hanséates, capables
au xIv* siècle d'imposer au Danemark la paix de Stralsund (1370)
leur assurant le libre passage dans les détroits ont, dans la
seconde moitié du xv° siècle, dû tolérer de nouveaux venus en
Baltique (Anglais, et surtout Hollandais protégés par le duc de
Bourgogne). Les Scandinaves, ouverts à l'influence hanséatique
sous le règne de Margaret qui, après l’Union de Kalmar (1397),
Le destin des États et la vie politique

est reine de Norvège, Suède et Danemark, se rebellent : en 1472


les droits perçus au passage du Sund sont augmentés, tandis
que le roi de Danemark a vu ses forces accrues par l'acquisition
du Holstein et du Schleswig (1460). Le prince de Moscovie ayant
saisi Novgorod en 1494, le recul hanséatique est manifeste.

B L'avance turque
À l'est des terres germaniques, les Jagellons règnent sur la
Pologne, la Lituanie, l'Ukraine, la Bohême et, après la mort de
Corvin, la Hongrie. Toutefois il n'existe qu'un lien familial
entre ces États. Dans la plupart d’entre eux, l'aristocratie
domine: les Turcs ont, dans ces conditions, pu pénétrer en
Europe sans rencontrer une opposition suffisante. Dès 1354, le
souverain ottoman Orchan a obtenu une tête de pont euro-
péenne à Gallipoli. Peu à peu, les Ottomans avancent, profitant
des divisions de l'aristocratie grecque et des faiblesses des
royaumes de l’Europe centrale. Après leur victoire de Kossovo
(1389), les Ottomans mettent la main sur les Balkans: la
conquête de la Thessalie (1391) et l’écrasement de la croisade
levée pour les combattre à Nicopolis (1396) complètent leurs
succès. Les Européens ne savent pas profiter du répit que leur
procure l'invasion de l’Anatolie par Tamerlan (1402). La bataille
de Varna où Polonais et Hongrois, pour une fois unis sous la
conduite de Vladislav II Jagellon, du régent Jean Hunyadi (père
de Mathias Corvin] et du légat Cesarini, furent écrasés, donna
aux Ottomans un nouvel élan (1444). La prise de Constantinople
(1453) en fut la conséquence logique... Le sultan Mahomet IT
se heurta à une résistance mieux organisée dans la Hongrie de
Mathias Corvin, la Moldavie et la Valachie du hospodar Étienne
le Grand (1457-1504) et l'Albanie de Skander-beg, mais l'avance HosPopar: ce terme qui signifie
turque reprit dès la fin du xv‘siècle. Sur mer, Gênes et Venise, simplement « maître » est
employé pour désigner le
incapables de s'entendre, n'avaient pu résister, et leur empire prince qui gouverne la Moldavie
maritime s'était effondré. et la Valachie.

B L'Italie
L'Italie au début du xiv° siècle est elle aussi divisée. Dans les
Alpes et au Sud, on trouve des États féodaux: le comté de
Savoie et le royaume de Sicile, longtemps divisé en deux blocs,
le royaume de Naples (descendants de Charles d'Anjou) et la
Trinacrie (la Sicile proprement dite, avec une dynastie arago-
naise).Tandis que les États du pape se désagrègent en cités et
en seigneuries rivales, les grandes villes dominent l'Italie du
nord et du centre. Elles s'opposent pour des motifs économiques
et commerciaux [cas des cités maritimes], mais aussi
politiques.

Oligarchie et tyrannie dans les villes italiennes


Deux types de régime se rencontrent dans ces villes: à
Florence, par exemple, le popolo organisé en arti détient la
réalité du pouvoir et dirige la Seigneurie. Ce peuple se limite
au popolo grasso, à l'oligarchie financière et commerciale.
SEIGNEURIE : en Italie, ce terme
désigne l'État urbain, qu'il ait ou
À ce type de gouvernement oligarchique s'oppose celui de non un seigneur à sa tête.
villes gouvernées par un seul homme (Milan avec les Visconti,
PARTIE 3 & La fin du Moyen Âge (xv°-xv° siècle)

p p. 168.
Vérone avec les Della Scala) qui s'appuie sur les couches
modestes de la population. Mais l'opposition entre les propa-
gandistes de la vertu et de la liberté (Florentins]) et ceux d’une
unité italienne que seul pourrait réaliser un Prince (Milanais)
n’est pas la seule. L'Italie est toujours travaillée par les
séquelles de la lutte de la Papauté et de l’Empire: les Guelfes,
partisans de la Papauté (Florence, Angevins de Naples, appuyés
par la France} se heurtent aux Gibelins (Milan, Sicile, appuyés
par l’Aragon}. Le thème de l'Italie unifiée parle au cœur de
tous: il suffit de lire La Divine Comédie de Dante [mort en
1321). Mais lItalie n'existe que comme idée. Tous ceux qui
croyaient pouvoir transformer cette idée en réalité échouèrent,
après de dures guerres, laissant un pays dévasté par des armées
constituées d'étrangers conduits par des chefs qui ont conclu
une condotta, véritable contrat de location, avec la cité ou
l'État qui les emploie.
Au xiv: siècle s’effacent les deux puissances qui s'étaient autre-
fois disputé la suprématie en Italie. La Papauté quitte Rome
pour Avignon: réinstallée en 1378 à Rome, le schisme lui inter-
dit de jouer un rôle de premier plan. Le royaume de Naples,
son allié, s’est épuisé sous le règne du roi Robert (1307-1343)
p. 294. en lutte contre la Sicile, et à partir de Jeanne I" (1343-1382), la
dynastie angevine minée par ses luttes internes, ne connaît
que des déboires. Quant à Florence, le krach de ses compagnies
bancaires (1342-1346) et ses difficultés sociales (révolte des
Ciompi et ses suites, 1378-1382) l'obligent à limiter ses ambi-
tions. Du côté gibelin, l’empereur a disparu de la scène ita-
lienne; Henri VII est mort en 1313 à la veille d’une guerre
contre Naples et la Papauté. Les tentatives de Louis de Bavière,
mal assuré de ses arrières allemands, échouent (1328-1329).
Dès lors, même au temps de Charles IV, l'empereur ne joue
plus qu’un rôle modeste, se bornant le plus souvent à remplir
ses caisses par des ventes de titres (Wenceslas vend un titre
ducal à Jean-Galéas Visconti pour 100 000 florins). Il laisse
ainsi les mains libres aux seigneurs gibelins (Visconti, Della
Scala) qui accroissent nettement leurs domaines: les Visconti
étouffent l'essor de Vérone et Jean-Galéas Visconti (1378-1402)
semble être capable d’unifier autour de Milan l'Italie du Nord.
Gênes et Venise sont absorbées par leur compétition: un
TERRE FERME: ce terme désigne moment mise à mal par la guerre de Chioggia (1377-1381)
les possessions continentales Venise commence à édifier son empire de Terre Ferme.
de Venise en arrière des
lagunes. La péninsule au xv° siècle
Au xv° siècle l’échiquier politique se simplifie, mais les conflits
s'intensifient. Gênes, déchirée par les luttes des factions aris-
tocratiques, s’efface en Italie, confiant souvent son destin à un
étranger (le roi de France, le seigneur de Milan); elle se contente
de faire échec à l'impérialisme aragonais, car l'axe Barcelone-
Naples-Palerme est un danger mortel pour son commerce. La
grande affaire de la première moitié du xv° siècle est la lutte
qui oppose Florence et Milan. Milan, après un recul à la mort
de Jean-Galéas, a retrouvé sa puissance avec Philippe-Marie
Visconti (1412-1447), dont l'œuvre est continuée par l’usurpateur
François Sforza [1450-1466] : Florence et Venise, menacées par
Le destin des États et la vie politique

son expansion, lui livrent une guerre sans merci. À la faveur


des difficultés nées de ces guerres, les Médicis s'installent en
maîtres à Florence (Côme de Médicis, 1434), tandis que la Terre
Ferme vénitienne s'accroît lentement (Bergame et Brescia]. La
lutte des deux rivaux se retrouve aussi à Naples, où Milan sou-
tient le roi d'Aragon Alphonse V le Magnanime et Florence
René d'Anjou; l’Aragonais l'emporte (1443).
Tout paraît s'apaiser. La paix de Lodi (1454) traduit à la fois
l'équilibre entre les deux partis et la lassitude des Italiens,
effrayés par la menace turque. Mais aucun problème n'est
réglé, et surtout pas le litige qui oppose Angevins et Aragonais
(guerres de Jean de Calabre, fils de René d'Anjou, contre les
Aragonais, 1456-1462). Louis XI, jaloux de ses parents, interdit
aux princes Valois toute action en Italie, supprimant ainsi l’une
des causes du conflit. Il intervient encore pour rétablir la paix
(1480) lorsque le pape Sixte IV mène l'assaut contre Florence où
Laurent le Magnifique vient d’écraser la conjuration des Pazzi.
Les regards se tournent donc vers la France chaque fois que le
désordre reprend en Italie; les droits de la famille d'Anjou et
ceux des Orléans {héritiers des Visconti à la suite du mariage de
Louis d'Orléans et de Valentine Visconti} n’obligent-ils par le roi
de France à se pencher sur l’écheveau italien? L'affrontement
angevin-aragonais n’est plus très loin de donner naissance à
l'affrontement franco-espagnol, autrement grave...

M La péninsule Ibérique
Les États ibériques ont en effet progressé: trop vite agrandis,
ils étaient mal adaptés à leur tâche au début du xiv‘ siècle. Les
particularismes locaux et les luttes des factions aristocratiques
mêlées aux querelles dynastiques suscitaient le désordre. C'est
en Castille que ces luttes furent les plus graves, depuis les
contestations qui s'élevèrent à propos de la succession
d'Alphonse X le Sage (1276-1325), jusqu’à la lutte de Pierre le
Cruel et d'Henri de Trastamare (1353-1369). En Aragon, le roi
eut à lutter contre l’Union des nobles et des villes: Pierre IV
en vint à bout en 1348, mais dut accorder l'autonomie à la
Catalogne qui l'avait aidé. Très violents, ces « rois cruels » ont
accompli une œuvre institutionnelle qui portera ses fruits. À
partir des années 1380, la péninsule Ibérique s’apaise. Par
d'heureuses combinaisons matrimoniales, la dynastie de
Trastamare installe les siens en Aragon {arbitrage de Caspé,
1412] puis en Navarre (1425). L'histoire de la Castille au
xv: siècle est troublée par la lutte qui oppose les partisans de
la Beltraneja, fille du roi Henri IV (qui passait pour être la fille
du favori Bertrand de la Cueva), et ceux d'Isabelle, sœur du roi,
mariée à Ferdinand, l'héritier de l’Aragon, dont le roi Jean II
sut avec obstination préparer l'unité espagnole. Isabelle et
Ferdinand l’emportent en 1475: avec les « Rois catholiques »
l'Espagne est unifiée de fait. Ses institutions renforcées, ses
souverains reprennent l’œuvre de reconquête, interrompue
après la victoire du Rio Salado en 1340: en 1492, avec la
conquête du royaume de Grenade, disparaît le dernier royaume
musulman de la péninsule. En même temps, les Juifs sont
PARTIE 3 La fin du Moyen Âge (xiv£-xv° siècle)

chassés d’Espagne: le désir d'unité nationale poussait à sup-


primer les différences religieuses dans ce pays où convertis de
plus ou moins fraîche date côtoyaient Juifs et Musulmans (mise
en place de l’Inquisition dirigée par Torquemada). En cette
y ee même année 1492, un Génois, Colomb, partait pour l'Amérique.
Ex 366, À. La Castille s'était en effet lancée, comme le Portugal, dans les
explorations lointaines. Le Portugal, sous la dynastie d’Aviz
qui devait son installation à l'appui de la petite noblesse et des
marchands, avait consacré le plus gros de ses efforts à la
recherche de la route des épices. Au traité de Tordesillas (1494),
la Castille et le Portugal se partageaient le monde...
L'histoire des xiv® et xv° siècles est donc un étonnant catalo-
gue de guerres et de luttes intestines. L'Europe a payé un lourd
prix pour ses divisions et ses querelles: l'avancée turque en
témoigne. Mais le solde n’est pas entièrement négatif. À lafin
du xv° siècle, au moment où les conditions économiques se
font meilleures, quelques puissances ont perfectionné et ren-
forcé leur organisme d’État.

IV. La vie politique


& La théorie
Aux xrv° et xv° siècles se multiplient les « miroirs au prince »
(traités du bon gouvernement royal} et les ouvrages théoriques
sur le gouvernement. L'image royale exaltée est médiévale:
majesté, justice, beauté (physique ou à défaut apparat...), bonté,
sont les qualités du prince. Schéma de plus en plus éloigné de
la vérité; Louis XI, Philippe le Bon, Jean II d'Aragon sont plus
proches du Prince de Machiavel que du saint Louis de Joinville:
ce qui a plus particulièrement fasciné Commynes chez
Louis XI, c’est sa ruse et sa capacité à imposer sa vision poli-
tique. Dans ces œuvres (comme le Governance of England de
Sir John Fortescue] les préoccupations financières tiennent la
première place: si la plupart des théoriciens rappellent obsti-
nément la vieille théorie médiévale {« le roi doit vivre du sien »,
c'est-à-dire de son domaine), il leur faut bien accepter l’impor-
tance croissante des revenus extraordinaires: impôts, directs
ou indirects. La guerre joue ici un rôle essentiel: elle justifie
la levée de l'impôt. Obligeant « les États à résoudre de difficiles
problèmes financiers, administratifs et politiques », la guerre
qui nécessite l'entretien d’une armée soldée de plus en plus
coûteuse, a été l’un des moteurs essentiels de l’évolution des
États à la fin du Moyen Âge.

& L'administration locale


Pour l'aider dans sa tâche, le roi dispose d’une administration
mieux entraînée et plus nombreuse. Dans la première moitié
du xiv* siècle le nombre des serviteurs de l’État s'accroît len-
tement: mais ces hommes administrent une population dimi-
nuée de moitié par rapport à celle du xm° siècle... Pour
Le destin des États et la vie politique

l'administration locale, deux solutions assez différentes ont


été adoptées en France et en Angleterre. Ici, la monarchie a
édifié un système à la fois souple et peu coûteux: les sheriffs,
les juges de paix (établis au xiv° siècle pour assurer le maintien
de l’ordre public}, les escheators (qui gèrent le domaine royal
dans les comtés et s'occupent des biens des mineurs dont la p. 144.
garde revient au roi}, n’ont aucun salaire. Dans ces conditions,
seuls les membres de l'aristocratie terrienne occupent ces
postes: cette administration ne coûte rien mais sa docilité et
son impartialité sont sujettes à caution. En outre, la proliféra-
tion des franchises a soustrait à ces administrateurs publics
bon nombre de leurs prérogatives.
Le roi de France, quant à lui, a adopté d’autres systèmes: les
baillis étaient devenus des administrateurs sédentaires,
comme les sénéchaux. Dès le xu° siècle, on leur avait adjoint
des receveurs (pour les activités financières), tandis qu'au xiv°
ils sont assistés par des lieutenants qui les remplacent dans
leurs fonctions judiciaires aux assises et par un capitaine
général qui prend en main leurs fonctions militaires. La levée
de l'impôt, trop complexe, leur échappe: des « élus » (atten-
tion! ces « élus » sont des officiers nommés) répartissent le
montant des aides dans le cadre de l'élection, tandis que des
receveurs les perçoivent. Le baïlli (comme le sheriff) a perdu
nombre de ses attributions. Tous ces officiers reçoivent des
gages: cette administration est donc coûteuse mais obéit
mieux au pouvoir central. Excepté quelques pays (Brabant), le
modèle français a généralement été adopté en Europe. Or le
système anglais seul permettait un dialogue entre le roi et
une partie [même limitée) de la population: les institutions
représentatives, vivaces dans toute l’Europe au xiv* siècle, ne
se sont pleinement développées par la suite qu’en Angleterre.

E L'administration centrale
L'administration centrale dérive, dans presque tous les pays
d'Europe, du vieux schéma féodal, où le prince était assisté à la
fois par les officiers de sa maison et par un conseil formé en
principe de ses vassaux. Les caractères féodaux se sont plus ou
moins conservés: en Allemagne, les officiers des maisons prin-
cières dirigent aussi l'État, mais ailleurs l’évolution a entraîné
une distinction entre ce qui concerne le service du prince et ce
qui touche le service de l'État. L'Hôtel en France, la household
du roi en Angleterre, avec ses deux services essentiels, la
Garderobe et surtout la Chambre (finances), ont pris de l’impor-
tance. Le roi s'appuie d’ailleurs sur ses propres services quand
il a des difficultés avec le reste de son administration: c’est le
cas de Richard II par exemple. Seul officier de la maison royale,
le Chancelier se consacre au service de l’État comme à celui du
Prince: le Chancelier et le Conseil sont les éléments principaux
du gouvernement médiéval. Le Conseil s’est dégagé des tâches
administratives. Les finances sont confiées à l'Échiquier en
Angleterre, au Trésor et à la Chambre des Comptes en France.
La justice est l'affaire en Angleterre du Banc du Roi et du Banc p. 144.
des Plaids communs et en France du Parlement. L'évolution du
PARTIE 3 & La fin du Moyen Âge (xv°-xv° siècle)

terme de Parlement est significative: il s’agit d’abord, en France


comme en Angleterre, du conseil siégeant en « Parlement », in
parliamento. En France c’est seulement en 1360 que le nom se
fixe sur la section spécialisée du Conseil qui siège « en parle-
ment », celle qui s'occupe de la justice. Quelles que soient à
l'origine ses attributions judiciaires, le Parlement anglais prend
vite une autre importance. Le Conseil n’est donc plus qu’un
organe politique, qui aide le roi à prendre les grandes décisions.
Est-ce à dire que le roi est libre de choisir ses membres? En fait,
sous la pression des factions aristocratiques, les souverains doi-
vent parfois admettre leurs ennemis au sein du Conseil qui n’est
donc pas entièrement l'instrument du roi.

E Lesinstitutions représentatives
Mais la grande nouveauté du xIv* siècle est la généralisation
en Europe des institutions représentatives. Pour se faire concé-
der des impôts le souverain recourt à des assemblées censées
représenter l’ensemble de ses sujets. Ceux-ci entendent être
protégés contre les empiètements de l'administration et pou-
voir critiquer l'emploi du produit de l'impôt; dans les Cortes
espagnols, du Parlement anglais aux États français ou aux
Stände germaniques, un dialogue s'établit entre le prince et
une partie du pays. Au Parlement anglais siègent les lords
(barons et magnats laïcs, évêques, abbés, prieurs, etc.) et les
députés des comtés et des boroughs (villes), presque tous
membres de la gentry (la bourgeoisie est peu représentée). Dans
les assemblées d'états françaises, provinciales ou générales, le
« tiers état » (le terme est du xv° siècle) n’est guère composé
que des représentants de l’oligarchie urbaine. Le destin de ces
assemblées est différent: si l'impôt en Angleterre garde son
caractère d’aide consentie par le peuple, et si le Parlement voit
son rôle de contrôle croître, en France et en Aragon les souve-
rains ont réussi à imposer leur théorie; ils « recherchent sim-
plement une approbation ». La vague démocratique est partout
retombée dans la seconde moitié du xv° siècle.
è

B Le personnel de l’État
Les conséquences du développement des institutions adminis-
tratives et politiques sont de deux ordres. Tout d’abord, l’exis-
tence de l’État se marque par une série de signes. Ainsi se
développent les grandes capitales (Paris, Londres, Milan). À
Londres c’est à l'écart de la ville elle-même, à Westminster,
que le centre politique a grandi. Surtout se multiplient les
fonctionnaires et les administrateurs. Leurs nombres sont sans
commune mesure avec ceux du x1° siècle. Pendant son règne,
Édouard I‘ aemployé 1 500 « clercs du roi » : sous le règne de
Richard II la seule chancellerie employait près de 200 per-
sonnes.. Ces professionnels sont de plus en plus souvent recru-
CLerc: lorsqu'il désigne un tés parmi les juristes qui ont reçu une formation universitaire;
administrateur où un bureau- de plus en plus, ce sont des laïcs. Leurs fonctions se diversi-
crate, ce terme n'implique
aucune relation avec le Clergé
fient : au xv° siècle, apparaissent les ambassadeurs permanents;
(cf. en français « clerc de presque toutes les puissances italiennes en entretiennent après
notaire » ou, en angJlais, clerk). la paix de Lodi (1454). Malgré les impôts, le roi n’a guère les
Le destin des États et la vie politique

moyens d'assurer des gages réguliers convenables à tout le


monde: les cadeaux compensent, que ce soient les dons du roi
ou « les épices » qu'offrent les administrés aux officiers aux-
quels ils ont recours. Bien vite aussi apparaît la vénalité des
offices: alors qu’au xiv° siècle, il semble y avoir eu en France
une tendance à l’« élection » des officiers par leurs pairs, au
xv° siècle la vénalité s'affirme. De toute façon, la présence de
ce groupe d’administrateurs, d'officiers, d'hommes de loi qui
vient s'ajouter dans les villes aux marchands élargit « la société
politique » qui ne se limite plus à l'aristocratie terrienne et au
haut clergé.
Enfin, le renforcement de l'État a favorisé la montée du senti-
ment national. Il est vrai que tous n’entendent pas le mot
« nation » dans le même sens. En France, on a l'impression
que c’est le fait de vivre ensemble, le fait de créer une com-
munauté politique qui constitue l'essence de l’idée nationale
(les choses étant très différentes dans l’Empire, par exemple).
Dans cette conception, le sentiment national s’est cristallisé
autour du pouvoir royal et une administration centralisée ne
pouvait que contribuer à son développement, favorisé par les
épreuves de la guerre de Cent Ans. Il en est ainsi en Angleterre,
alors qu’en Italie ou en Allemagne l’idée nationale a beaucoup
plus de mal à s'affirmer; elle prend une coloration très intel-
lectuelle, presque mythique, tant elle est éloignée d’une réalité
faite des affrontements incessants d’États qui n’ont guère de
rapports avec une nation, quel que soit le sens dans lequel on
entend ce terme. La Bohême, enfin, fournirait encore un
exemple différent. Il n’y a donc, là aussi, aucune uniformité
dans cette Europe de la fin du Moyen Âge.

L'état de la recherche
Une « genèse de l’État moderne »
Tous ces éléments peuvent être interprétés soit comme un profond changement structurel, soit
simplement comme les signes avant-coureurs d'un tel changement.
Pour les tenants de ce dernier modèle, il faut attendre que triomphent au cours du xvi° siècle
l'absolutisme et l'État-nation: dans ce cadre nouveau, les administrations diffuses du Moyen Âge
donnant ainsi
vont se densifier en bureaucraties, et les procédures administratives se rationaliser,
progressivement naissance à l'État moderne.
dernier tiers
Pour les tenants du première modèle, la rupture décisive se produit au contraire dans le
en Angleterre et en France,
du x siècle, quand apparaît, que ce soit dans les royaumes ibériques,
des classes dominantes , aristocratie fon-
une impôt d'État, négocié par le roi avec les représentants
représentat ives se développen t, ainsi
cière, marchands, hommes d'Église. Très vite, les institutions
d'elles. Ce n'est
que les théories de la représentation et de la souveraineté que l'on ne peut dissocier
qui est le plus important: mais il compte, et l'impact de l'impôt
pas l'aspect financier de la fiscalité
durement ressenti par ceux-ci. Le lien de l'impôt et de la guerre est
sur les revenus des sujets est
le meilleur motif pour
également crucial, puisque la guerre, si elle est un gouffre financier, est aussi
obtenir des sujets qu'ils payent!
PARTIE 3 La fin du Moyen Âge (xv‘-xv° siècle)

Hs est que la négo- exemples de cette transfor- Christi), une fête récemment
ciation permanente entre le mation, celle-ci se retrouve acceptée par la Papauté.
souverain et ses sujets donne ailleurs, par exemple dans les Plus important encore, une
à la communauté politique cités-États et dans les princi- idéologie complexe, mise au
sa réalité, sa cohésion et son pautés françaises, allemandes jour par les travaux d'Ernst
identité, tout en donnant ou italiennes. Simplement, la Kantorowicz, a pris corps:
symétriquement au roi une transformation est plus lente, par un long cheminement
stature spécifique: il devient plus difficile, ce qui montre intellectuel qui combine une
le représentant, l'image même bien que, contrairement à réflexion théologique où se
de cette communauté, tout en ce qui se passe dans le cas mêlent la double nature du
étant son chef. À côté des fonc- du premier modèle, l'aspect Christ (à la fois divin et humain)
tions judiciaires et militaires qui « administratif » n'est pas et son rôle de représentant
étaient déjà les siennes dans déterminant: en effet, sur bien symbolique de l'Église (théorie
les monarchies féodales, le roi des points, la « technologie » du corps mystique de l'Église)
en vient à incarner la commu- financière, juridique et admi- et le droit savant (droit des
nauté politique tout entière. nistrative des villes (surtout les « corporations » et des « uni-
Entre le roi et la communauté, villes italiennes) est très supé- versités », personnes morales
un dialogue complexe se déve- rieure à celle des monarchies. qui ne meurent jamais alors
loppe, qui dépend à la fois du Mais sur le plan symbolique, que leurs membres individuels
dynamisme et de la vitalité de villes et principautés sont meurent), se dégage l'idée des
la communauté et des capa- handicapées par rapport aux « deux corps du roi ». Le roi a
cités politiques du souverain: monarchies. deux corps, l'un physique, qui
il est loin de ne concerner meurt, et l’autre éternel, qui
que l'impôt et passe par une ne meurt jamais, qui est en
GE conduit à la deu-
foule de canaux, par exemple
xième remarque. Si l'État fait celui du chef d'État qu'il
par la législation en général est en même temps qu'il est
moderne éclot ainsi dans le
et par le fonctionnement de une personne individuelle.
dernier tiers du x siècle, c'est
la justice. Car nous sommes Aux funérailles d'Edouard II,
que toute une série d'étapes
désormais bien entrés dans un mannequin représentant
décisives ont été franchies.
un monde politique, même le roi dans sa splendeur et
Tout d'abord, en Occident
si les structures sociales sont sa majesté accompagne la
du moins, les cérémonies du
encore largement marquées dépouille mortelle du souve-
sacre et du couronnement
par le féodalisme: il n'y a pas rain à sa dernière demeure; le
(confondues en France et en
d'État moderne sans société mannequin entre dans le rite
Angleterre) et l'hérédité dynas-
politique, que l'on prenne ce funéraire français en 1422, pen-
tique ont mis les rois dans une
terme dans un sens restreint dant l'occupation anglaise de
position à part: le sacre ne
traditionnel (ceux qui partici- Paris, aux obsèques de Charles
les isole pas totalement de
pent au pouvoir ou touchent VI. Celui-ci est d’ailleurs accom-
la société politique, puisque
de près ou de loin, directe- pagné des Parlementaires en
dans le couronnement du roi
ment ou indirectement, à ce robe rouge, car « la justice ne
de France, les douze pairs qui
pouvoir) ou dans un sens large
symbolisent toute la noblesse meurt jamais » et le Parlement
(la société politique inclut alors
du royaume jouent un rôle ne porte donc pas le deuil.
tous ceux qui subissent l’action
important, et il y a bien un À côté du roi, c'est l'État qui
du pouvoir, taxation ou mon-
simulacre d'acclamation (et est désormais au centre de
naie par exemple, même s'ils
donc d'élection) populaire. l'espace cérémoniel, parcouru
ne s'expriment que sporadi-
Cette position exceptionnelle par les processions et les
quement, par des révoltes par
est confortée par des rituels cortèges royaux et princiers
exemple).
appropriés, par exemple pour qui donnent ainsi à voir le
les entrées royales, où le roi politique, dans un processus
L)E remarques s'impo- accède à sa cité (Paris ou une de communication au moins
sent. La première, c'est autre) sous un dais compa- aussi important que celui qui
que si ce sont les monarchies rable à celui qui est promené passe par les textes, politiques
qui fournissent les meilleurs lors de la Fête-Dieu (Corpus ou autres.
— Le destin des Etats et la vie politique

Bibliographie
Histoire événementielle:
B. CHevauer, L'Occident de 1280 à 1492, Paris, 1969; E. Kanrorowicz, Les deux Corps du roi, Paris,
1987, a été réédité dans la collection Quarto en 2000 ainsi que Frédéric II, du même auteur.

Sur la guerre:
Voir Ph. ConraminE, La Guerre au Moyen Âge, Paris, 1980; Azincourt, Paris, 1964; Guerre, État et
Société à la fin du Moyen Âge. Études sur les armées du roi de France, Paris, 1972; Guerre et
Concurrence entre les États européens du x” au x siècle, Paris, 1998;Histoire militaire de la France
|: Des origines à 1715, Paris, 1992 et M. Keen, The Laws of War in the Later Middle Ages, Londres,
1965.
Sur la guerre de Cent Ans: E. Perroy, La Guerre de Cent Ans, Paris, rééd., 1977 ; A. Lecua, La Guerre
de Cent Ans, Paris, 1974; J. Faver, La Guerre de Cent Ans, Paris, 1980; CH. Azmano, La Guerre de
Cent Ans, Paris, 1989 et sur les origines de la guerre: M.G.A. VALr, The Angevin Legacy, Oxford,
1990.
Pour les conséquences en France, voir R. Bourrucxe, La Dévastation des campagnes pendant la
guerre de Cent Ans et la reconstruction agricole de la France, Paris, 1947, et les thèses de R. BoUTRUCHE,
G. Fourauin, et G. Bois, citées p. 269. Aperçus intéressants dans Ph. ConTamine, La Vie quotidienne
en France et en Angleterre pendant la guerre de Cent Ans, Paris, 1978; B. CHevauier et Ph. CONTAMINE,
La France de la fin du xv siècle, Paris, 1985; B. Scners, Les Armagnacs et les Bourguignons, Paris,
1988. On lira avec profit Le Journal d'un bourgeois de Paris, Paris, 1990, présenté par C. BEAUNE.

Sur la noblesse et la féodalité bâtarde:


Voir B. D. Lvon, From Fiefto Indenture. The Transition from Feudal to Non-Feudal Contract in Western
Europe, Cambridge (Mass.), 1957; K.B. Mc FarLaNE, The Nobility of Later Medieval England, Oxford,
1973; England in the Fifteenth Century, Londres, 1981 ; Ph. Conramine, La Noblesse au Moyen Âge,
Paris, 1976, et M. Th. Caron, La Noblesse dans le duché de Bourgogne 1315-1477, Lille, 1987 et
M.-CI. Gereer, Les Noblesses espagnoles au Moyen Âge, x-xv siècles, Paris, 1994; Ph. CoNTAMINE, La
Noblesse au royaume de France de Philippe le Bel à Louis XII. Essai de synthèse, Paris, 1997; J. Morse,
La Noblesse contre le prince. L'espace social des Thüngen, Stuttgart, 2000; R. BORDONE, G. CASTELNUOVO
et G.M. Varanin, Le aristocrazie dai signori rurali al patriziato, Bari, 2004.

Pour les différents pays, se reporter à l'introduction et consulter:


Une comparaison éclairante entre la France et l'Angleterre dans R.-W. KaeuPer, Guerre, justice
et ordre public en France et en Angleterre, Paris, 1994. Ajouter M. H. Keen, England in the later
Middle Ages, Londres, 1973; G. Harris, Shaping the Nation. England 1360-1461, Oxford, 2005;
2003;
J.-P. Gener, La Genèse de l'État moderne. Culture et société politique en Angleterre, PUF, Paris,
1986; Charles
P.S. Lewis, La France à la fin du Moyen Âge, Paris, 1977 ; Fr. AUTRAND, Charles VI, Paris,
mondes, Paris,
V, Paris, 1994 et Jean de Berry, Paris, 2001; P. R. Gauss, Louis XI, un roi entre deux
de la nation France, Paris, 1985 et J. KerHervé, L'État breton aux x et
1976: C. BEauNE, Naissance
XI, Paris, 2002; R. VAUGHAN, Valois Burgundy, Londres, 1976;
x# siècles, Paris, 1987; J. Favier, Louis
de la Renaissance. Un monde en mutation, 1378-
C. Bec, |. Crouras, B. Jesraz et A. TENENTI, L'Italie
moderne, Paris, 1989; E. CROUZET-
1494, Paris, 1990; F. Rapr, Les Origines médiévales de l'Allemagne
I. Cuouras, Laurent le
Pavan, Entre Enfer et Paradis. L'Italie de Dante et de Giotto, Paris, 2001;
1986; À. Rucauoi
Magnifique, Paris, 1982 ;du même auteur, Charles VIII et le Mirage italien, Paris,
PARTIE 3 & La fin du Moyen Âge (xiv®-xv® siècle)

1987;
(éd.), Genèse médiévale de l'État moderne: la Castille et la Navarre (1250-1370), Valladolid,
du même auteur, Realidad e imagenes del Poder, España a fines de la Edad Media, Valladolid,
1988 et B. Vincenr, 1492. « L'Année admirable », Paris, 1992 ; M. Zimmermann, Histoire de la Catalogne,
Paris, 1998.

Sur les États et leur développement:


L'ouvrage fondamental est B. GUENÉE, L'Occident aux x et x” siècles, les États, Paris, 5°éd,.1993;
Ph. ConTamInE, Des pouvoirs en France 1300-1500, Paris, 1992; CL. Gauvaro, « De grace especial »
Crime, État et Société en France à la fin du Moyen Âge, 2 vol, Paris, 1991, et B. GUENÉE, Un meurtre,
une société. L'Assassinat du duc d'Orléans, 23 novembre 1407, Paris, 1992; B. GUENÉE, L'Opinion
publique à la fin du Moyen Âge d'après la « Chronique de Charles VI » du Religieux de Saint-Denis,
Paris, 2002; A. Ricauoière, Penser et construire l'État dans la France du Moyen Âge (xuf-xv siècle),
Paris, 2003 ; N. OFFENSTADT, FAIRE LA PAIX AU MOYEN ÂGE, Paris, 2007 ; M. Gauoe-FerraGu, D'or et de cendres.
La mort et les funérailles des princes dans le royaume de France au bas Moyen Âge, Lille, 2005. Voir
également J. Krynen, L'Empire du roi (cité p. 148) ; B. SCHNERG, L'État bourguignon, 1363-1477, Paris,
1999: M. Sommé, Isabelle de Portugal, duchesse de Bourgogne, une femme au pouvoir au x” siècle,
Villeneuve d'Ascq, 1998; A. Leone, Le Temps des libertés en Dauphiné. L'intégration d'une prin-
cipauté à la Couronne de France (1349-1408), Paris, 2002; W. BLockmans et W. PREVENIER, The Low
Countries under Burgundian Rule, 1369-1530, PHLADELPHIE, 1999.

Sur le fonctionnement de l’administration médiévale:


Un ouvrage collectif, The English Government atwork, 1327-1336, 3 vol., Cambridge (Mass.), 1940-
1947: H. Muier et É. Morner, /canonici allo servizio dello Stato, Ferrara, 1992 ; M.-A. LADERO QUESADA,
Fiscalidad y poder real en Castilla, Madrid, 1993 ; O. Martéont, Servir le prince. Les Officiers des ducs
de Bourbon à la fin du Moyen Âge (1356-1523), Paris, 1998; Ph. ContaminE et O. Marron (dir.), La
France des principautés. La Chambre des Comptes x° et x” siècles, Paris, 1996.

Sur les finances et l'impôt:


M. Rey, Les Finances royales sous Charles VI, Paris, 1965 et J.F. LassaLmoNE, La Boîte à l'enchan-
teur. Politique financière de Louis XI, Paris, 2002; le recueil de textes de J. Faver, Finances et Fiscalité
au bas Moyen Âge, Paris, 1970; J.-P. Genet et M. Le MENÉ, Genèse de l'État moderne. Prélèvement et
Redistribution, Paris, 1986; R. Bonwey, Système économique et Finances publiques, Paris, 1996;
Ph. ConTAMINE, J. KERHERvÉ et A. RiGauDièRE, L'Impôt au Moyen Âge, 3 vol., Paris, 2002; D. MEN)oT,
À. RiGAUDIËRE et M. SANCHEZ MarTiNEz, L'Impôt dans les villes de l'Occident méditerranéen, xuf-x\ siècle,
Paris, 2005; À. Ricauoière, dir. De l'estime au cadastre en Europe. Le Moyen Âge, Paris, 2006.

Sur les assemblées représentatives:


Un ouvrage général: À. Maronaiu, Medieval Parliaments. À comparative study, Londres, 1968.
Le cas français est étudié par N. Bursr, Die Franzôsischen Generalstände von 1468 und 1484,
Sigmaringen, 1993.
Le cas anglais est étudié par G. O. Savies, The King's Parliament of England, Londres, 1975.

Sur le personnel du gouvernement et de la justice:


Citons: B. Guenée, Tribunaux et Gens de justice duns le bailiiage de Senlis à la fin du Moyen Âge (vers
1300-vers 1550), Paris, 1963 et F. Aurrano, Naissance d'un grand corps de l'État. Les Gens du parle-
ment de Paris: 1345-1454, Paris, 1981; J. CLausrre, Dans les geôles du roi. L'emprisonnement pour
dettes à Paris à la fin du Moyen Âge, Paris, 2007.
Le destin des États et la vie politique

Sur le développement de l’idée nationale et les idées politiques:


W. RenHaro, Les Élites du pouvoir et la construction de l'État en Europe, Paris, 1996. J.-Ph. GEner et
G. Lorres, éd. L'État moderne et les Élites xuf-xvuf siècle, Paris, 1996.Voir les articles de B. GUENÉE,
Politique et Histoire au Moyen Âge, Paris, 1981. Voir aussi les articles dans Culture et Idéologie dans
la genèse de l'État moderne, Rome, 1985; J. CoLemaN, L'Individu dans la théorie politique et dans la
pratique, Paris, 1996; A. VaucHez, La Religion civique à l'époque médiévale et moderne, Rome, 1995;
R. Baser et J.-M. MoEcuin, /dentité régionale et Conscience nationale en France et en Allemagne du
Moyen Âge à l'époque moderne, Paris-Munich, 1997; A. Biack, Political Thought in Europe 1250-
1450, Cambridge, 1992; A. Bourreau, La Religion de l'État. La construction de la république étatique
dans le discours théologique de l'Occident médiéval (1250-1350), Paris, 2006 et M. SeneLLART, Les
arts de gouverner. Du regimen médiéval au conceptde gouvernement, Paris, 1995 ; C. BEAUNE, Jeanne
d'Arc, Paris, 2004.
La vie économique
et sociale du monde rural

Quels sont, parmi les éléments de crise, ceux qui ont eu le plus de répercussion sur le monde rural ?
Quelles ont été, face aux difficultés, les réactions des seigneurs et des paysans ?On a coutume d'op-
poser la fin du xv° siècle au reste de la période: à partir de 1470 il y a un renouveau, une reconstruc-
tion... En réalité, il y a tout au long de la période une transformation profonde, qui se dessine dès le
début du xv° siècle, et qui réussit, tard dans le xv° siècle, à créer un équilibre nouveau. Les procédés
d'exploitation qui permettront d'atteindre cet équilibre sont presque tous apparus dès le xiv° siècle,
même si on leur préfère jusqu'à la fin du siècle des formules anciennes, et si leur prédominance
n'apparaît qu'à partir des années 1430.

l. Les conditions difficiles


M Le climat et les effets de la conjoncture
Les conditions naturelles elles-mêmes sont défavorables.
Les xiv° et xv° siècles auraient été une période froide et
humide, marquée par l’avance vers le sud de l’inlandsis
polaire. Beaucoup de faits s'expliqueraient ainsi: le déclin
relatif à la céréaliculture en Islande et en Norvège, l’aban-
don du Groenland par les Scandinaves. De même, la culture
de la vigne est abandonnée en Angleterre et la viticulture
allemande n’a connu que peu de « bonnes années ». Les
TREE-RING: année sèche et études sur la largeur des tree-rings ont confirmé que le
chaude: l'arbre croît peu et l'an- xiv* siècle était une période froide et humide. En revanche,
neau de croissance que l'on
peut mesurer sur le tronc sera
il n’est pas impossible que l’Europe méditerranéenne ait
étroit: c'est l'inverse si l'année bénéficié plutôt que souffert de cette situation.
est froide et humide. t
Restent les effets de la conjoncture. D'abord le bas prix des
céréales. Les cours, très hauts pendant la famine de 1315-
1316, se sont ensuite effondrés durablement (abstraction faite
des pointes saisonnières ou des périodes de famine}. Plus
grave, peut-être, est le problème de la main-d'œuvre: la sen-
sibilité des possédants face à cette question est évidente. En
Angleterre, dès la première épidémie de peste, le roi
Édouard III prit une ordonnance imposant le retour des
salaires à leur niveau d'avant la peste. Mais la raréfaction
de la main-d'œuvre est telle que les salaires continuent à
augmenter (60 % dans les manoirs de l’évêque de Winchester):
aussi le Parlement, où siègent lords et membres de la gentry
des comtés, transforme l'ordonnance en « statut », c'est-à-
dire en loi du royaume, en renforce les dispositions et confie
la répression des délits aux juges de paix. Cette mesure n'eut
guère d'effets. En France, au Portugal et en Castille où Pierre
La vie économique et sociale du monde rural

le Cruel promulgue des édits aux Cortes de 1351, on prend


des mesures du même type.

M Les villages désertés


L'abandon des terres a pu paraître le symptôme le plus net de
ces difficultés. Les routiers ont-ils dévasté les campagnes ? Le
paysan s'est-il endetté? Le seigneur essaie-t-il d'accroître les
redevances, le roi les impôts? Le paysan, après 1350, n'hésite
plus à aller là où il sait qu'il y a des terres libres et de bons
salaires. Ainsi s'expliquerait le phénomène des villages déser-
tés, conséquence des ravages de la guerre et de la pression
fiscale, mais avant tout des désastres démographiques.
En Allemagne, W. Abel estime que ce seraient les pertes
humaines qui, en diminuant la demande des denrées alimen-
taires, auraient provoqué l'abandon des terres. Mais les vil-
lages désertés (Wüstungen) ne représentent en fait que 20 %
de l’ensemble des villages allemands de la fin du xmir° siècle;
ot, si l’on estime à 50 % la diminution maximale de la popu-
lation, une conclusion s'impose: le cadre villageois a relati-
vement bien résisté. On n'abandonne, en effet, qu’à regret le
village lui-même, avec sa couronne de vergers et de jardins
et les champs entretenus depuis des générations; on délaisse
d'abord les parcelles éloignées ou infertiles (souvent les der-
nières défrichées, à la périphérie du terroir).
Autre type de zone marginale: les régions infertiles aux-
quelles les agriculteurs ne s'étaient intéressés que poussés
par l’excessive faim de terre du début du xiv° siècle. Si la
riche plaine de France conservait de fortes densités, l’aban-
don des terres affectait durement le pauvre Hurepoix.
Qu'implique cet abandon ? Un retour aux friches improduc-
tives ? Cela n'arrive qu’à la suite des dévastations de la guerre,
et ne dure pas longtemps. Un réaménagement ou un chan-
gement de destination des terroirs? C'est plus souvent ce
qui se produit: ainsi Vieux-Rougiers, un village provençal
accroché à flanc de montagne, est habité de 1340 à 1420.
Mais sa population, qui l’abandonnait déjà avant 1340, le
quitte définitivement au milieu du xv° siècle. L'abandon ne
coïncide pas avec les difficultés mais avec le « réaménage-
ment de l’espace agricole ». Ici, paradoxalement, l'essor
démographique détermine l'abandon d’un village-refuge.
En Angleterre, l'époque des abandons les plus intenses (à
partir de 1470] est celle de la reprise économique. En Italie
du Sud, en Sicile et en Sardaigne, la désertion dépend de la
politique des grands domaines et de l'extension de la trans-
humance. En dernière analyse, elle est l'effet d'une « crise
économique et politique des cadres féodaux ». Le problème
est complexe et ambigu: l'abandon des terres est un symp-
tôme des difficultés, mais il dépend aussi d'autres
phénomènes.
PARTIE 3 & La fin du Moyen Âge (xiv®-xv° siècles)

Il. La crise des revenus seigneuriaux


et ses conséquences
M La baisse des revenus seigneuriaux

p.231. Les seigneurs furent les premières victimes des conditions


nouvelles. Le ciseau des prix jouait contre eux: leurs revenus
baissaient alors que leurs frais d'exploitation s’accroissaient.
Ainsi, en Angleterre, les revenus des familles de la grande
noblesse ont baissé en moyenne de 10 % au xiv‘ siècle, et cette
baisse s’est encore accentuée au xv° siècle. À Mersh Gibbon,
un manoir du duc de Suffolk, la baisse est de plus d’un tiers
de 1395 à 1447, des tenures sont vides, certains tenanciers
refusent de payer leurs redevances et les arriérés s'accumulent.
Indice 100 = 1301/1310 Dans la région parisienne, la grange de Cormeilles qui rap-
Frais agricoles : portait 500 livres en 1369 n’en rend plus que 380 en 1402;
Salaires et produits fabriqués 1
celle de Gouvieux qui donnait 330 livres en 1369 ne rapporte
A 1 plus que 200 livres en 1402. Il se produit des évolutions
inverses en ce début du siècle: Tremblay est passée de 205
{ LT LA !

[2
ON TON nes
a n
INT
L'AP)
Produits agricoles
livres (1369) à 270 (1402). Mais les dévastations de la région
parisienne au cours des guerres de la première moitié du xv°
1e 1350 1400 1450 1500 1550|
siècle provoquent une chute irrémédiable. En Allemagne, le
chapitre de la cathédrale de Lübeck ne reçoit plus, en 1437,
Le ciseau des prix que le tiers environ de ce qu’il percevait en 1352, alors que ses
D'après É. Perroy, « Les Crises du xIv°
siècle », Annales ESC, 1949.
frais d'exploitation ont, dans l'intervalle, beaucoup augmenté.
La réduction de la rente seigneuriale a-t-elle frappé les grandes
fortunes plus que les petites, ou vice-versa? Il semble surtout
qu'il y ait eu de bonnes et de mauvaises gestions. Les domaines
des Grey of Ruthin en bordure du Pays de Galles sont pros-
pères sous l'administration méticuleuse de Lord Edmund Grey
et promptement ruinés sous celle de son petit-fils.

M La réaction seigneuriale
Dès lors les seigneurs ont cherché à intensifier l'exploitation,
non de leurs terres, mais de leurs hommes. On peut donc par-
ler d’une réaction seigneuriale s'appuyant sur la justice sei-
gneuriale. « La justice rapporte peu par elle-même, mais elle
maintient la cohésion de la seigneurie, en assure le rende-
ment » (B. Guenée). Par sa cour de justice, le seigneur dispose
d'un instrument de contrôle du marché des terres et de la
main-d'œuvre. Instrument coûteux certes: « La justice n’est
pas sans intérêt, mais son intérêt essentiel n'est pas dans ce
qu'elle rapporte » (id.). En fait, le produit des amendes est loin
de toujours payer les frais et les honoraires nécessaires à la
tenue d’une cour. La justice seigneuriale présente d’autres
inconvénients : son ressort est restreint (handicap sérieux face
à une population plus mobile] et elle est souvent concurrencée
par la justice royale. Elle ne peut donc résoudre tous les pro-
blèmes qui se posent aux seigneurs.

Elle a pourtant joué son rôle dans l'effort des seigneurs pour
aggraver la condition paysanne. Dans certains pays, cet effort
s'est exercé en direction du servage, statut idéal pour résoudre
les problèmes de main-d'œuvre, en dépit de l’ample mouvement
La vie économique et sociale du monde rural

de libération constaté au x siècle. Ainsi, dans le Bordelais:


« la classe servile ne comprend plus qu'un petit nombre de
membres que les maîtres s’attachent à conserver » (R. Boutruche).
L'attachement des maîtres est significatif: mais le nombre des
serfs diminue. Ainsi, les « hommes de maisnie » appartenant
au comte de Hainaut diminuent de 70% de 1317 à 1350; leur
nombre se réduit encore de moitié entre 1350 et la fin du
xiv° siècle. D'ailleurs, l'accent est alors mis avant tout sur le
lien qui existe entre le paysan serf et sa terre. La signification
du servage de la fin du Moyen Âge est claire: c'est un moyen
de fixer la main-d'œuvre. Et ce moyen pouvait être important
dans les régions où les serfs étaient encore nombreux. On
observe deux évolutions divergentes: dans les pays d'Europe
de l'Est, si le nombre des paysans libres augmente un temps,
le servage se développe. Au contraire, dans les régions de l’Eu-
rope occidentale où l’on a essayé de conserver ou de reconstituer
servage ou dépendance paysanne sur une grande échelle, ceux-ci
ont disparu. En Angleterre, on assiste à une offensive seigneu-
riale vers 1350-1380; les corvées complètes sont réintroduites
dans les domaines du prieuré cathédral de Canterbury entre
1340 et 1390. Les redevances et les taxes casuelles sont forte-
ment augmentées, des procès sont intentés à des paysans qui 9 L
nient leur villainage. Pourtant, à partir des années 1380-1390 illainage,
pi?
au plus tard, les résultats de cette politique sont évidents: les
revenus baissent inexorablement, y compris dans les domaines
les mieux structurés et les mieux administrés. Et l'explosion
populaire de 1381 montre quels dangers comporte cette réac-
tion seigneuriale.
Ailleurs celle-ci parut réussir. En Aragon et en Catalogne les
paysans refusent de se soumettre aux malos usos imposés par
les seigneurs et réclament la confirmation de leurs remensas
(franchises). Mais la coalition de la bourgeoisie barcelonaise
et de la noblesse les condamne: le mouvement est durement
réprimé dans les années 1410-1420. Pourtant, le temps joue
pour les paysans qui profitent des luttes dynastiques en Aragon
pour se soulever et lorsqu’en 1486 la Sentencia Arbitral de
Guadalupe abolit les malos usos, elle ne fait que confirmer
une situation qui s'était peu à peu imposée. Le renforcement
du servage a échoué en Occident.

De fait, les seigneurs doivent prendre acte de la baisse de leurs


revenus fonciers. On a vu comment les seigneurs s'engageant
dans les armées avaient fait de la guerre une source de revenus
complémentaires. L'impôt qui sert à financer la guerre aboutit,
en fin de compte, pour une large part dans leurs caisses. Les
paysans ont, en tout cas, assez vite reconnu le phénomène et
leur haine pour l'impôt se double d’une haine pour les guer-
riers professionnels, donc pour les seigneurs, qu'ils accusent
de ne faire la guerre que pour leur profit. C'est là un des thèmes
majeurs des « Jacques ». Si la guerre a permis aux seigneurs
(ou à certains d’entre eux) de maintenir leur train de vie, elle
a encore accentué la tension sociale, et, par les dévastations
qu’elle a occasionnées, contribué à l'aggravation de la crise.
PARTIE 3 # La fin du Moyen Âge (xv°-xv° siècles)

Il. La paysannerie
M Les exploitations
Parmi les paysans, les difficultés ont opéré une sélection impi-
toyable. Une charge nouvelle est apparue: l'impôt. Le petit
tenancier ne peut le payer; minime au début du xiv° siècle
l'impôt a vite augmenté. Le petit tenancier ne peut survivre
aux dévastations guerrières ou à une désorganisation [même
temporaire] du marché. Beaucoup sont donc éliminés: ce n’est
pas le seigneur qui hésite à faire travailler ses terres par des
salariés, qui va reprendre leurs tenures, mais plutôt le paysan
qui possède déjà une exploitation de taille moyenne. La raré-
faction des petites exploitations et l'augmentation du nombre
et de l'étendue des grandes ou moyennes exploitations pay-
sannes, travaillées par une famille aidée de quelques valets,
se retrouvent en France, en Italie du Nord, en Toscane et en
Angleterre. Voici quelques exemples anglais: parmi les
manoirs de l’abbaye de Ramsey, Wistow et Houghton n'ont
UNE VERGÉE: 12 hectares en aucune exploitation de plus d’une vergée en 1252. À Wistow,
moyenne. 6% des exploitations dépassent cette superficie en 1368, et
59 % à Houghton en 1403. Seules subsistent les exploitations
compétitives, enrichies des dépouilles des autres. Ainsi s'ex-
plique l'échec de la réaction seigneuriale: la paysannerie se
sent en situation de force, elle est plus solide et plus indépen-
dante. D'où la combativité paysanne, une des constantes de
la période, qui se manifeste par de dures révoltes ou par le
refus du paiement des redevances.

M Les révoltes paysannes


Le rôle des riches paysans est frappant dès la première grande
révolte, celle des Karls en Flandre maritime (1324-1328). Ce
soulèvement avant tout paysan gagne ensuite les villes, Bruges
et Ypres, et le roi Philippe VI vient écraser les révoltés à la
bataille de Cassel (1328). La révolte présente un certain nombre
de traits que nous retrouvons ailleurs: des récoltes médiocres
en 1328 et une soudure difficile, le refus de payer dîmes et
impôt comtal, la haine envers la noblesse et les autorités mais
surtout l’action de ces paysans qui possèdent une exploitation
de bonne taille et poussent à la révolte leurs chefs (Jacques
Peyte, Nicholas Zannekin}. À leur côté, on trouve même des
membres de la petite noblesse, comme le chef militaire de la
révolte, Guillaume de Deken. Ces paysans aisés, nous les
retrouvons parmi les « Jacques ».

La Jacquerie
La Jacquerie éclate dans une région riche (plaine de France,
Beauvaisis) où la paysannerie ressent durement les effets de la
baisse conjoncturelle du prix des grains et supporte d'autant
plus difficilement le poids d’une fiscalité accrue que les échecs
militaires subis par la France {nous sommes au lendemain de
la bataille de Poitiers] sont retentissants: la haine des nobles et
des soldats confondus, traîtres et dévoreurs d'impôts, est bien
le trait dominant de la Jacquerie. Au départ, une échauffourée
La vie économique et sociale du monde rural

entre hommes d'armes et paysans à Saint-Leu-d’Esserent


(29 mai 1358) qui tourne à l'avantage des paysans. Le tocsin
sonne, la révolte s'étend aux villages voisins. Très vite, châteaux
et maisons fortes sont brûlés, des violences sont commises
contre les nobles. Favorisé au début par la division du royaume,
où s'affrontent le dauphin Charles, Charles le Mauvais et les
Parisiens d’Etienne Marcel, le mouvement fait bientôt par sa
violence et son radicalisme l’union des nobles contre lui;
Charles le Mauvais écrase les Jacques à Mello (10 juin 1358]
après avoir éliminé leur chef Guillaume Carle. Courte, la révolte
frappe les esprits. L'agitation s’est propagée dans presque tout
le Bassin parisien, de la Basse-Normandie à l’'Auxoïs. La vio-
lence de la répression prouve qu'elle fut prise au sérieux.

La révolte des « Travailleurs » en 1381


En Angleterre, les origines de la révolte de 1381 montrent que
l'impôt et la réaction seigneuriale sont les deux bêtes noires
des paysans. La révolte éclate, en effet, simultanément dans
deux comtés, au sud de la Tamise dans le Kent, où les paysans
refusent de payer la troisième poll tax — effort considérable du
gouvernement anglais pour augmenter les impôts, les trois poll Poui-rax: cet impôt est un
tax représentant un accroissement des 2/3 de la fiscalité nor- impôt par tête, chacun payant
en fonction de son rang dans la
male de 1379 à 1381 — et au nord de la Tamise dans l’Essex, où société.
les paysans manifestent contre un seigneur qui impose un prix
de rachat exorbitant à l’un de ses serfs. La haine des seigneurs
se greffe sur le ressentiment national. Les Anglais viennent à
leur tour de subir de graves échecs en France et l'on craint
même un débarquement français dans les régions côtières.
L'élite paysanne joue, là encore, son rôle: le chef des paysans,
Wat Tyler, en aurait fait partie si l’on en croit les dernières
tentatives d'identification. Comme en Flandre, une partie de
la population urbaine (à Rochester, Maidstone, Canterbury,
même à Londres] soutient les révoltés dont le programme est
plus net que celui des Karls flamands, en raison du bouillon-
nement religieux que connaît alors le pays (lollardisme) ; des
prêtres, de « pauvres prêcheurs » se joignent à eux, tel ce John
Ball qui prêche aux révoltés à Londres sur la formule célèbre:
« Quand Adam béchait et qu’Eve filait, où était alors le gen-
tilhomme ? » La révolte va aussi plus loin: Londres est envahie,
le palais du duc de Lancastre incendié, le chancelier et le tré-
sorier du royaume massacrés. Le jeune Richard I doit, le 14
juin 1381 à Mile End, promettre l'abolition du servage, le blo-
cage des cens, la liberté du marché des terres, peut-être aussi
la liberté du travail, sans compter de probables concessions
politiques. Mais le 15, Tyler est assassiné en présence du roi:
l'armée qu'a rassemblée Robert Knolles, un capitaine réputé,
est prête. La répression commence, très violente. Les chartes
accordées à Mile End sont abrogées, mais les classes dirigeantes
restent impressionnées.

Le Tuchinat
Cette analyse ne s'applique pas automatiquement à tous les
mouvements. Le Tuchinat du Languedoc (1363-1384) est aussi
urbain que rural: il est, avant tout, une fuite devant l'impôt
PARTIE 3 & La fin du Moyen Âge (xiv£-xv® siècles)

de populations exaspérées par l'impuissance du pouvoir royal


à mettre fin aux ravages de la guerre et des routiers. S'il s’agit
d'une réaction contre la pauvreté et la misère, on trouve aussi
parmi les révoltés un robin carcassonnaïis et un écuyer nimois,
et des membres de l’oligarchie villageoise, habitués des
négociations avec les officiers royaux.

Ce même mélange de politique et de social se retrouve au


centuple dans le mouvement des remensas en Catalogne. Les
populations paysannes de la vieille Catalogne se sont progres-
sivement vu imposer à partir du xu° siècle une véritable ser-
vitude: dans les années 1380-1390, les communautés paysannes
se mobilisent contre ces « mauvais usages » (malos usos) dont
elles demandent le rachat (remensa, en catalan). Elles bénéfi-
cient d’abord de l’appui de la monarchie, en lutte contre la
noblesse et les soulèvements se multiplient. Avec l'accession
de la dynastie Transtamare au trône d'Aragon en 1412, le roi
a besoin de l'appui de la noblesse et la répression s’abat sur les
paysans. Mais bientôt les luttes entre le roi et la noblesse
reprennent, et le roi Alphonse V accorde aux paysans le droit
de se réunir et de former des syndicats (1448) : les remensas
provoquent de violentes révoltes en 1450 et en 1462, et de
véritables armées paysannes prennent part aux guerres civiles
qui déchirent le royaume d'Aragon. En 1486, la sentence de
Guadalupe qui met fin à la crise accorde aux paysans la liberté
personnelle, mais laisse subsister la plupart des redevances
dues aux seigneurs. Le politique et même le religieux sont ici
étroitement mêlés au social.

On retrouvera le même mélange lors de la révolution hussite


en Bohême (où l'élément religieux est capital] et en Allemagne
lors de la guerre des paysans en 1525.

M La condition paysanne à la fin du Moyen Âge :


Les révoltes ont échoué; durement réprimées, elles ont néan-
moins freiné ou fait reculer la réaction seigneuriale. Les
actions contre les serfs se font plus rares en Angleterre après
1381; elles ne concernent en général que des serfs enrichis
dont le seigneur essaie de saisir l'héritage. Le servage n’est
même pas supprimé, il est oublié. Pour les redevances, le poids
des arriérés est tel qu'il faut bien passer l'éponge. Au cours du
xv® siècle les seigneurs modèrent leurs exigences: en Angleterre,
ce n'est que vers 1490 qu'ils commencent à les relever sensi-
blement. Est-ce à dire que le paysan a « gagné » la guerre?
Disons seulement une catégorie de paysans, car lorsque la
reprise démographique s’est fait sentir, d'autres victimes de
la situation sont apparues: les paysans sans terre qui trou-
vaient facilement à s'employer au temps où la main-d'œuvre
était rare, mais qui vers 1490-1500, risquent de n’avoir plus
ni terre ni travail. Les serfs ont disparu: mais les pauvres les
ont remplacés dans l'échelle sociale.
La vie économique et sociale du monde rural

IV. Les éléments d’un nouvel équilibre


B L'évolution de la tenure
La disparition du servage en Europe occidentale, les difficultés
de la seigneurie, la raréfaction de la main-d'œuvre, l'existence
d'une catégorie de paysans dynamiques et entreprenants, tous
ces éléments ont favorisé la naissance de nouveaux systèmes
d'exploitation du sol. Et par système d'exploitation, entendons
à la fois système agricole et système juridique. Du point de
vue juridique, l'élément fondamental est, un peu partout, le
recul de la tenure coutumière quelle qu’elle soit. À cela, plu-
sieurs raisons: apparition sur le marché de terres qui n'avaient
jamais été soumises à ce régime (démantèlement ou location
de réserves), répugnance des paysans là où la tenure coutu-
mière était, à tort ou à raison (Angleterre, Catalogne}, le fon-
dement du servage, abandons et reprises de terres dus aux
difficultés démographiques. Parmi les nouveaux systèmes
employés, le fermage se généralise. Les types de ferme sont
variés: en 1411, la cathédrale de Coventry avait certains de
ses domaines affermés pour 8, 22, 60, 14, 3 ou 12 années. En
Angleterre des affermages partiels ont d’abord eu lieu, puis
(après 1400) les domaines ont en général été affermés en bloc;
d'autre part les baux, de longue durée d’abord, ont tendu à se
raccourcir et à rester de courte durée jusqu’au xvr° siècle. En
Italie, où l'influence que les villes exerçaient sur la campagne
avait, dès le début du xrv° siècle, aidé à l'expansion du métayage,
ce dernier se développe beaucoup {Italie du Nord, Toscane).
Le métayage et surtout le fermage ont obligé le seigneur à
tenir compte de la conjoncture: les baux lui ont d'abord été
peu favorables. Les fermiers (paysans riches, officiers doma-
niaux, membres de la petite noblesse] se sont souvent enrichis;
ils ont souvent été les artisans du changement d'orientation
de l’agriculture. Mais dans la seconde moitié du xv° siècle,
seigneurs et grands propriétaires ont pu se montrer plus exi-
geants: le renchérissement des baux est un des éléments
d'amélioration de la situation financière des seigneurs à la fin
du xv° siècle.
Au reste, la tenure coutumière s'est souvent tellement modi-
fiée qu’elle a fini par changer entièrement de signification.
Ainsi, en est-il en Angleterre du copyhold: beaucoup de pay-
ViiLains: ce sont les serfs
sans, villains ou non, cherchèrent à obtenir des copies du
anglais (attention! ce terme
registre de la cour manoriale, précisant les charges que sup- désigne plutôt un paysan libre,
portait leur tenure. Les paysans s’estimaient alors libres, une en France).
fois munis de ce qui, au fond, était un contrat passé avec le
seigneur. Les seigneurs avaient à peu près accepté cette inter-
prétation vers 1450 au plus tard. La médaille avait son revers
pour le paysan: la sécurité de la tenure en copyhold était mal
assurée, et les fermiers et les seigneurs en profitèrent lorsqu'ils
voulurent récupérer les terres arables pour les convertir en
pâture. S'ils ont dû renoncer à certains de leurs droits sur les
hommes, les seigneurs ont su conserver ceux qu'ils avaient
sur la terre et, par le fermage et le métayage, mieux s'adapter
à la conjoncture dont l’évolution leur a été, en fin de compte,
PARTIE 3 æ La fin du Moyen Âge (xv°-xv® siècles)

favorable. La situation nouvelle a, d'autre part, renforcé cette


« classe moyenne » du monde rural où se mêlent paysans
riches, fermiers et membres de la petite noblesse. L'ascension
sociale est relativement facile, au moins dans les régions où
cette classe moyenne s’est bien développée (Europe du Nord-
Ouest, Angleterre, France, Italie du Nord). Là où la noblesse
est incapable de s'adapter, la bourgeoisie la remplace. Maïs,
sauf en Italie, on a peut-être exagéré le rôle direct des bour-
geois dans les campagnes, rôle qui restait, comme dans la
région parisienne, assez modeste.

M La production agricole
Les changements tiennent aussi à la nature des produits culti-
vés. La place des céréales diminue nettement. Leur bas prix
à la vente les rend moins intéressantes et, paradoxalement,
entraîne une baisse de la consommation. Les céréales acca-
paraient autrefois tout l'argent disponible: ce n’est plus le cas.
Avec l'argent restant, on peut acheter d’autres produits, le vin,
la viande, les fruits... L'alimentation se transforme par l’ex-
LÉGUMINEUSES : fèves, pois et tension des légumineuses dès le début du xiv° siècle, ce qui
autres légumes faciles à conser- marque un double progrès: diversification de l'alimentation
ver l'hiver. de base et amélioration de la productivité. Ensuite, on trouve
les cultures « commerciales » et au premier rang, la vigne.
Nombre de livres Tous les vignobles en profitent, mais plus particulièrement
au tonneau
L'-]
certaines régions. Le goût pour les vins capiteux et lourds
stimule la production bourguignonne, tandis que les aléas de
la guerre franco-anglaise font stagner la production bordelaise.
Par ailleurs, la perte des vignobles orientaux favorise la naïis-
sance, en Europe occidentale, de « vignobles de compensa-
tion », tel le vignoble de Jerez en Espagne, ou les vignobles
ligures ét campaniens {vins grecs). Parmi les cultures com-
OS
NN

on
BR
&
©
1—
merciales, il faut mentionner les fruits: fruits frais, cultivés
Prix des vins de Bordeaux achetés par exemple en Espagne du Sud, sous l'impulsion des mar-
par le roi d'Angleterre chands italiens, et fruits secs récoltés sur les rives de la
D'après M. James, Economic History Méditerranée. Aux cultures commerciales s'ajoutent ,
des
Review, 1951, p. 196.
cultures « industrielles » : plantes textiles, lin {nord de la
France, vallée de la Moselle}, chanvre (Anjou) et plantes tinc-
PasTEL : les feuilles de la guède toriales telle la guède dont on tire le pastel (Picardie, Lombardie,
sont mises en petits pâtés (d'où région d’Erfurt, Toulousain). Ces cultures commerciales et
pastel) ; elles donnent la cou- industrielles sont rarement réalisées en monoculture. Très
leur bleue. souvent elles sont pratiquées côte à côte avec la culture vivrière
et selon des formules très élaborées dans certaines régions
(telle la coltura promiscua en Toscane).

M L'élevage
Mais il y a plus important encore: le changement de rapport
entre agriculture et élevage. Les preuves de l'essor de l'élevage
bovin et de la consommation de la viande sont nombreuses.
La basse plaine de l’Arno (aménagée grâce aux capitaux flo-
rentins), la plaine hongroise {plus de 50% des exportations
hongroises consistent en bœufs}, le Danemark: autant de
régions où l'élevage prend une place considérable. Dans de
nombreuses villes, on trouve des contrats entre les bouchers
La vie économique et sociale du monde rural

(qui jouent du reste un rôle de plus en plus important dans la


vie municipale) et les paysans pour assurer l’engraissement
des bovins dans de bons pâturages situés à proximité des
murailles. Lorsque cela est possible, les troupeaux urbains
transhument pendant l'été: tels ces troupeaux toulousains
que leurs propriétaires envoient « en montagne » dans les
Pyrénées, et hébergent « en gasaille » l'hiver près de leur ville.
Le ravitaillement du marché toulousain montre l'ampleur de
l'aire géographique pénétrée par le commerce de la ville: les
bêtes viennent de l’Astarac et du Rouergue, du Cantal et du
Limousin. La consommation croissante soutient des prix éle-
vés qui rendent cet élevage d’un bon profit. L'équilibre entre
élevage et culture se trouve donc amélioré: l’un des goulots
d’étranglement de l’agriculture du xm° siècle disparaît.

La Mesta
Le développement de l'élevage ovin a, lui, créé de nouveaux
problèmes: les moutons ne coexistent pas aisément avec la
culture. Deux pays ont été bien étudiés: l'Angleterre et
l'Espagne. En Espagne, « l'honorable assemblée de la Mesta
des bergers » fondée en 1273 regroupe les grands éleveurs qui
font transhumer leurs troupeaux. Les moutons suivent les
trois « cañadas reales », la « Leonesa » à l’ouest, la « Segoviana »
au centre, la « cañada de la Mancha » à l’est, pour descendre
du nord vers l’Estramadoure ou l’Andalousie; ils traversent
ainsi la péninsule, à deux reprises, en septembre-octobre (vers
le sud] et en avril (vers le nord). En 1477, 2 694 032 animaux
ont ainsi transhumé. Cet élevage est tourné vers la produc-
tion lainière (laine exportée vers la Flandre}, non vers celle
de la viande. Les effets sur l’agriculture sédentaire sont
néfastes: les troupeaux coupent souvent par des raccourcis.
Les bergers ont le droit de brûler les bois pour faire de l’herbe.
D'où des conflits multiples avec les paysans dont les clôtures
ont été abattues et les cultures ravagées, conflits qui tournent
à l'avantage des éleveurs parmi lesquels figurent de grands
propriétaires ecclésiastiques (ordres de Santiago et de
Calatrava, par exemple} et les plus grands seigneurs de
Castille. Les mêmes conflits se retrouvent tout autour de la
Méditerranée, en Provence, en Sardaigne, en Sicile, en Italie
du Sud. Cette conversion massive vers l'élevage a sauvé la
grande seigneurie de ces régions: ici le grand propriétaire
reste roi, il na pas à craindre la concurrence de la « classe
moyenne ». En Angleterre le cas est différent: le développe-
ment de l'élevage ovin s’est fait dans les réserves manoriales
affermées, ou dans les plus grosses exploitations paysannes.
Mais à la fin du xv: siècle les grands propriétaires ont essayé
d’expulser les paysans pour se procurer de nouveaux pâtu-
EncLosures: mise en clôture
rages :quelques bergers suffisaient pour entretenir d'immenses
d'un terroir, ce qui implique la
troupeaux. De cette époque datent vraiment le début du mou- disparition de la vaine pâture et
vement des enclosures et la disparition de nombreux villages. le partage des communaux et
Encore cette transformation n’affecte-t-elle au début que cer- permet la rationalisation de
l'élevage et de la culture.
taines régions (Midlands de l'Ouest).
PARTIE 3 La fin du Moyen Âge (xv®-xv° siècles)

L'état de la recherche
Productivité et diversification
au début du
Les campagnes de l'Europe à la fin du xv° siècle sont donc différentes de ce qu'elles étaient
conservé leurs caractères traditionnel s (grande agriculture céréa-
x siècle. Moins peuplées, elles n'ont
lière, serfs) qu'à l'Est (Allemagne de l'Est, Pologne). Partout ailleurs, les changemen ts sont profonds.

‘exploitation paysanne, stratégies complexes. Ils ont progressive des techniques


moyenne ou grande, a rem- d'abord eu recours au crédit, et d'assolements avec pois et
placé la petite exploitation qui l'endettement paysan est une légumineuses, et des combi-
était de règle auparavant. Les caractéristique européenne naisons subtiles d'élevage et
céréales ont reculé au profit de la période: de plus en de rotation permettant d'amé-
de cultures commerciales ou plus, il faut produire pour le liorer la fumure des sols; il n'y
industrielles et surtout de marché, et donc s'adapter aux a pas pour eux de révolution
l'élevage qui, dans certains demandes de celui-ci. Dans avant la mécanisation.
pays, est en voie de faire entiè- les campagnes du Weald, non
loin de Londres, on voit ainsi ais cette progression est
rement disparaître la culture.
se constituer des garennes, où lente, et ne s'observe que
Des transformations profondes
ont brassé la société rurale: les l'on élève les lapins pour pro- dans les terres les plus fertiles,
duire non de la viande mais des servies par une paysannerie
grands seigneurs, le plus sou-
peaux, vendues aux artisans dynamique et une petite
vent absents, sont remplacés
sur leurs terres par des fer- londoniens. Ce mouvement est aristocratie dépendante des
miers, des intendants qui, très évidemment surtout sensible revenus agricoles: par exemple
souvent, se confondent avec autour des grandes villes et des dans le Norfolk anglais, dans
la petite noblesse locale ou les lieux de pouvoir, dont le ravi- certaines terres de Flandre et
couches supérieures de la pay- taillement offre des possibilités des Pays-Bas. Ouverture sur
sannerie. Les serfs ont disparu, de profit considérables. le marché avec utilisation du
tandis que subsistent des bras- crédit, accroissement de la
siers dont la situation devient es efforts pour développer productivité, diversification
précaire à la fin du xv° siècle. la productivité sont égale- des productions, autant d'élé-
On discerne déjà des carac- ment sensibles, et des histo- ments de progrès qui font de
tères d'économie capitaliste riens comme Bruce Campbell cette période de « crise » une
dans cette agriculture plus liée et Mark Overton en viennent période de dynamisme agraire,
qu'auparavant au commerce et aujourd'hui de la « révolution ce qui contribue à expliquer le
à son mouvement. agricole » du xun® siècle: les rythme très élevé de la crois-
campagnes auraient en fait sance lors de la reprise écono-
F° réalité, pour s'adapter connu une longue période mique dès la fin du xv® siècle.
à la crise, seigneurs et de développement continu,
paysans ont développé des passant par l'assimilation

Bibliographie
Partir de Ph. Conramine et al. L'Économie médiévale, Paris, 1993 et de R. Fossier, Histoire sociale de
l'Occident médiéval, Paris, 1970, mais surtout de G. Dusy, L'Économie rurale et la Vie des campagnes
dans l'Occident médiéval, Paris, 1962 et de M. M. Posran, (éd), The Agrarian Life ofthe Middle Ages,
premier volume de la Cambridge Economic History of Europe, Cambridge, 2° éd., 1966.

Pour la France, voir G. Dusy et À. WaLLon (éd), Histoire de la France rurale, t. 1, Paris, 1975. M. BERTHE
(éd.), Endettement paysan et Crédit rural dans l'Europe médiévale et moderne, (Flaran, XVII), 1998.
La vie économique et sociale du monde rural

Études régionales:
R. BourRucHE, La Crise d'une société. Seigneurs et paysans du Bordelais pendant la guerre de Cent
Ans, Paris, 2° éd., 1963; L. Génicor, L'Économie rurale namuroise au bas Moyen Âge (1199-1429),
Louvain, 1960; G. FourQuin, Les Campagnes de la région parisienne à la fin du Moyen Âge, Paris,
1964; G. Bors, Crise du féodalisme (cité p. 234) ; M.-Th. Loraw, Les Campagnes de la région lyon-
naise aux x et x” siècles, Paris, 1974; G. Sivery, Structures agraires et vie rurale dans le Hainaut à
la fin du Moyen Âge, 2 vol. Lille, 1977-1980; H. Neveu, Vie et Déclin d'une structure économique.
Les Grains du Cambrésis (x°-xuif siècle), Paris, 1980. Pour la France méridionale, voir particuliè-
rement J. LARTIGAUT, Les Campagnes du Quercy après la guerre de Cent Ans, Toulouse, 1978 et
P. CHARBONNIER, Une autre France. La Seigneurie rurale en Basse-Auvergne du x au xvi° siècle,
ClermontFerrand, 1978; M. Le Mené, Les Campagnes angevines à la fin du Moyen Âge, Nantes,
1982; J. Tricaro, Les Campagnes limousines du x au xvf siècle, Paris, 1996; M. BertHe, Famines et
Épidémies dans les campagnes navarraiïses à la fin du Moyen Âge, 2 vol. Paris, 1984 ; M. ZERNer, Le
cadastre, le pouvoir et la terre. Le Comtat venaissin pontifical au début du x siècle, Rome, 1993.
B.M.S. Campser, English Seigneurial Administration, 1250-1450, Cambridge, 2000.

Pour l’histoire du climat:


L'ouvrage de base est E. Le Roy LaoURIE, Histoire humaine et comparée du climat, 2004.

Les villages désertés:


Un recueil collectif, publié par l'E.PH.E, Villages désertés et histoire économique (xf-xvif siècle),
Paris, 1965.

Pour l'Angleterre, voir M.W. Beresroro, The Lost Villages of England, New York, 1954.

Pour l'Allemagne, W. Asa, Die Wüstungen des ausgehenden Mittelalters, Stuttgart, 1955.

Sur les révoltes:


Ouvrages généraux de M. Mouzar et Ph. Wourr, Ongles bleus, Jacques et Ciompi, Paris, 1970 et de
G. Fouraun, Les Soulèvements populaires au Moyen Âge, Paris, 1972 et de R. H. Hicrow, Les
Mouvements paysans du Moyen Âge, Paris, 1979 et The Decline of Serfdom in Medieval England,
Londres, 2° éd., 1982. Voir aussi R. B. Dosson, The Peasants’ Revolt of 1381, Londres, 1970 et
M. Dommancer, La Jacquerie, Paris, 1971. Paul Freeoman, The origins of Peasant Servitude in Medieval
Catalonia, Cambridge, 1991 et /mages of the Medieval Peasant, Stamford, 1991.

Pour le développement de l'élevage:


Voir l'étude de J. Ki, The Mesta : a Study of Spanish Economic History, Cambridge (Mass.), 1920;
M.-CI. Gerger, L'Élevage dans le royaume de Castille sous les Rois catholiques (1454-1516), Madrid,
1991 : M. Th. Kaiser, Le Berger en France aux x et xvf siècles, Paris, 1974.

Pour la productivité:
B. M.S. Cawegeu et M. Overton, Land, Labour and Livestock: Historical Studies of European
Agricultural Productivity, Manchester, 1991 et « Production et productivité dans l'agriculture
anglaise », dans Histoire et Mesure, XI, 1996, pp. 255-297.

Sur l'alimentation:
siècles,
B. Laurioux, Manger au Moyen Âge. Pratiques et discours alimentaires en Europe aux x etxv
Paris, 2002.
Les villes et l'artisanat

ent
Les villes ont souffert des difficultés et de la crise par contrecoup: guerre, famine, développem
de relations de travail nouvelles, baisse de la population. Ces événements ont envenimé les tensions
sociales déjà manifestes au xu° siècle: l'histoire des villes du xiv° siècle est mouvementée! L'étude du
secteur secondaire d'une part, de la vie commerciale de l’autre vont donc nous montrer, comme
dans le domaine rural, des hommes aux prises avec de graves difficultés: ici aussi, l'adaptation va se
faire par l'apport de nouveautés importantes.

I. La ville et la société urbaine

& La population urbaine et l'urbanisme


La population urbaine a moins diminué que celle des cam-
pagnes. Il y a toujours de grandes villes: Paris (qui, elle, a beau-
re] L_ À : ; 5
É À x coup régressé), Milan, Venise, Florence, Naples. Parmi les
os PP. 364, À grandes villes, mentionnons les villes flamandes, Bruges et
surtout Gand. Un deuxième groupe de villes possède une popu-
lation qui oscille entre 30 et 50 000 habitants: en Italie, Gênes,
Bologne, Rome et Palerme; en Espagne, Barcelone, Cordoue,
Séville et Grenade; en Brabant, Bruxelles; Avignon aussi. En
Angleterre, Londres a atteint 40 000 habitants, tandis que
Cologne, la plus grande ville de l'Allemagne médiévale, n’en a
que 30 000. En revanche, les xiv° et xv® siècles voient le renfor-
cement des villes « secondaires », avec une population comprise
entre 10 et 30 000 habitants, qu'il s'agisse de cités déchues de
leur splendeur (Ypres, Toulouse), ou de villes que l'essor de
leurs relations commerciales a fait croître: en Angleterre, York,
mais surtout Bristol et Coventry; dans l'Allemagne du Nord,
parmi les villes hanséates: Lübeck (25 000), Dantzig,
Magdebourg, Breslau (20 000), Brême, Brunswick {17 000)
Hambourg, Erfurt et Rostock (15/16 000] ; dans le reste de
l’Empire, Metz, Strasbourg, Nüremberg, Augsbourg, Vienne et
Prague qui ont aux alentours de 20 000 habitants, et aux Pays-
Bas, Anvers (18 000 en 1374), Louvain (20 000); en France enfin,
Rouen, Bourges, Lyon et Bordeaux. Bien sûr, nombre de villes
italiennes entrent dans cette catégorie.
L'aspect des villes se modifie. Si l’on excepte l'Italie où se
répand la place « décor » {les façades sont comme un décor
devant lequel se déroule la vie civique), l'urbanisme n’a pas
évolué. Mais la fortune des grandes familles marchandes,
l’arrivée dans les villes d'une noblesse qui délaisse les cam-
pagnes, la réussite de serviteurs de l’État couvrent les villes de
palais. Paris (Hôtels de Sens, de Cluny, Heroët} ne garde que
des restes de cette époque: il faut aller à Venise, à Florence ou
Les villes et l'artisanat

à Barcelone pour mesurer cette évolution. Les églises aussi se


multiplient en liaison surtout avec l'expansion des ordres men-
diants qui se fait avant tout dans le cadre urbain: au point que
l'on a pu se demander si l'existence de couvents de mendiants
n'était pas l’un des signes qui permettent de distinguer la ville
(au sens plein du mot} de la bourgade. D’autres bâtiments sont
venus s'ajouter à la ville: les progrès de l’État ont déterminé
la construction d’édifices destinés à abriter les administrations;
l'essor des universités a multiplié les collèges, l’afflux des
pauvres et les ravages de la maladie ont suscité la création de
nombreux hôpitaux.

M Les fonctions urbaines


La ville s’est d'autant plus transformée que ses fonctions elles-
mêmes ont évolué. Deux d’entre elles ont pris une place essen-
tielle: la fonction refuge et la fonction économique. Partout
des murailles puissantes, des bastilles, des portes fortifiées
s'édifient. La construction et l'entretien des fortifications
entraînent des conséquences importantes: la gestion des
finances municipales devient une affaire considérable, car une
lourde fiscalité s’abat sur les habitants. D'où l'importance de
l'enjeu que représente le gouvernement de la ville, pour lequel
métiers et factions vont lutter âprement. D'où aussi la tenue
de registres de comptabilité élaborés, même dans de petites
villes (Riscle, Chalon, Saint-Flour). Les grandes villes s’assu-
rent le concours de notaires, de scribes professionnels, etc.
Certains des town clerks de Londres sont de véritables savants,
connaissant à fond les archives, les règlements et l’histoire de
leur cité, matière qui intéresse les habitants eux-mêmes: les
« chroniques urbaines » sont un genre littéraire très répandu,
non seulement en Angleterre (à Londres surtout, à Bristol
aussi}, mais encore en Italie (Florence, avec les Villani] ou en
Languedoc. À côté de cela, la ville voit son rôle économique
accru. Des halles s’édifient, les étals des bouchers gagnent du
terrain, à Paris par exemple, où il faut construire une nouvelle
boucherie. Les marchés se spécialisent: chaque ville en pos-
sède plusieurs et doit les agrandir.

H Les métiers
Lieu d'échanges, de refuge, la ville est aussi lieu de production.
Ne nous occupons ici que de l’organisation sociale de cette pro-
duction, les métiers ou corporations, avec leurs trois degrés:
apprentis, valets et maîtres. Ce système devait permettre de
faire régner l'harmonie; il garantissait la qualité de la produc-
tion, puisqu’un long apprentissage et l'obligation de réaliser un
chef-d'œuvre réservaient l'accès de la maîtrise aux meilleurs;
il supprimait la concurrence en réglementant strictement prix
et salaires; il évitait les conflits du travail: tout apprenti était
en principe destiné à devenir valet, et tout valet avait des
chances de devenir maître. Les relations entre maître et
employés étaient des relations de dépendance personnelle qui
renforçaient la cohésion et l’homogénéité du groupe des
artisans.
PARTIE 3 # La fin du Moyen Âge (xiv°-xv° siècles)

Salaires en deniers En réalité, il faut revoir ce tableau idyllique. Certes, le salariat


reste « plutôt une forme de location de sa propre personne que
100 -E -__ maçon
-----aide-maçon

la vente de sa force de travail » (B. Geremek). Mais dès le


lens
“=".a108-COUVrEUT

xive siècle, le système ne fonctionne plus. La maîtrise se ferme:


peu de valets disposent du temps nécessaire à la confection
du « chef-d'œuvre », dont on exige qu’il soit fait de matériaux
coûteux. Le nouveau maître doit offrir un banquet: il faut être
riche pour supporter ces frais importants. Souvent, seuls les
fils de maître peuvent être maîtres. L'hérédité des ateliers est
A E une réponse normale à l'insécurité de la période. Dans ces
conditions, les valets n’accèdent plus à la maîtrise: de transi-
ea
SY
£ tr
defroment # x%
toire, leur situation devient permanente. Ils forment donc une
}y. xt Ÿ paTA
LT Ste en aatxT CT

main-d'œuvre salariée à laquelle viennent s'ajouter des maîtres


0
1340 1345 1350 1355

L'ouverture de l'écart trop pauvres, contraints de travailler chez d’autres, et des


entre prix agricoles et salaires apprentis dont le temps d'apprentissage s’est démesurément
D'après B. GereMEK, Le Salariat dans allongé. Cette évolution est capitale: elle favorise l'essor d'un
l'artisanat parisien, Paris, 1968.
marché libre du travail où le salaire est fonction de l'offre et
de la demande, par opposition au marché réglementé du
x siècle et elle développe, en particulier chez les valets, un
esprit de corps que les changements de terminologie démon-
trent bien [le valet français devient « compagnon » et le Knecht
allemand Geselle). Les conflits du travail sont nombreux: les
ouvriers forment des « alliances » (« takehans » en Flandre)
et se mettent en grève (« trics » à Paris). Ces conflits n'ont,
toutefois, pas la gravité qu'ils prendront au xvi° siècle, car la
conjoncture est dans l’ensemble favorable aux salariés après
que le « ciseau des prix » s’est ouvert dans les années 1355-
1360: le niveau des salaires est en hausse tout au long de notre
période.

Métiers et luttes urbaines

Cependant, l'étude de la société urbaine révèle une série d’an-


tagonismes: celui qui oppose maîtres et valets n’est pas le seul.
La division du travail est de plus en plus marquée, et les métiers
se multiplient. Le métier des forgerons s'est scindé à Munich
en 1437 en trois métiers (maréchaux-ferrants, fabricants de faux,
armuriers). Des rivalités se développent entre métiers partici-
pant à une même production: ainsi celle, sanglante, des tisse-
ONGLES BLEUS: les ouvriers fou- rands et des foulons {les « ongles bleus ») à Gand. Cette
lons auxquels le maniement production divisée est en fait contrôlée par de riches entrepre-
des mordants colorait les
neurs, qui possèdent la matière première et en confient la trans-
mains.
formation aux métiers: ces gros entrepreneurs qui appartiennent
en général aux métiers « riches », sont souvent l’objet d’une
violente opposition (ainsi les lanaïuoli de Florence ou les mar-
chands drapiers flamands) et la lutte entre métiers riches et
métiers pauvres domine le xiv° siècle. L'enjeu en est le gouver-
nement de la ville: y accéder permet de protéger la production
locale et de se débarrasser de concurrents dangereux. Les villes
luttent entre elles: Gand ruine la draperie de Termonde, Ypres
celle de Poperinghe. Elles font tout pour réduire l’industrie
rurale qui les concurrence, d'autant qu’elle échappe au carcan
du métier réglé. Le protectionnisme urbain résulte du durcis-
sement des métiers: réaction de défense devant les difficultés
de la période. De même, les obstacles à l'acquisition du droit
Les villes et l'artisanat

de bourgeoisie sont nombreux: on évite que de nouveaux venus


viennent concurrencer les artisans établis. Dans tous ces
domaines, les intérêts des métiers sont contradictoires: d’où
l’âpreté des luttes. Ajoutons, enfin, deux autres sources de
désordres: des réactions à la misère et des mouvements pure-
ment politiques qui peuvent n'être que le reflet de la lutte des
partis aristocratiques, ou bien l'expression du désir des métiers
et de la bourgeoisie d'imposer leur idéal de réforme face au gou-
vernement royal. La fiscalité, dans ces derniers cas, est souvent
la cause immédiate des désordres. On comprend ainsi le syn-
chronisme fréquent des révoltes urbaines et des révoltes pay-
sannes, et parfois leurs conjonctions, bien qu’elles renvoient à
des arrière-plans socio-politiques différents.

B Les révoltes urbaines


Le plus politique de ces mouvements est celui d'Étienne Marcel
à Paris (1357-1358) : ce grand drapier parisien, prévôt des mar-
chands, s'était posé en homme de la réforme politique, face
aux conseillers du dauphin. Cela lui valut le soutien des
Parisiens, hostiles à l'aristocratie militaire et aux officiers
royaux, hostiles surtout aux impôts. Soutien général, mais
diffus, qui lui manqua aux moments difficiles. On peut rap-
procher de l’action d’Étienne Marcel celle de Cola di Rienzo,
à Rome: ce notaire féru d'histoire romaine, sensible à la pré-
dication des franciscains du courant spirituel, était un vision-
naire. Contre la violence de la grande noblesse romaine, cet
orateur sut grouper autour de lui le popolo et la classe moyenne
(petite noblesse, commerçants] : en mai 1347 il devint le Tribun
du peuple romain. Les Orsini et les Colonna s’enfuirent et des
mesures furent prises contre la noblesse, tandis que de grandes
cérémonies présidées par le Tribun rappelaient la grandeur de
la Rome antique. Mais les nobles tenaient la campagne: le
ravitaillement devint difficile, la Papauté hostile. En décembre
1347, Cola était chassé: une nouvelle tentative pour reprendre
le pouvoir en 1354 lui coûta la vie.
En Flandre, à Gand et à Bruges, les gens des villes, et au pre-
mier rang, les métiers, se dressèrent contre l'aristocratie mili-
taire et le pouvoir royal sur lesquels comptait la grande
bourgeoisie pour maintenir ses privilèges. Les métiers d’'Ypres,
de Douai et de Bruges s'étaient déjà soulevés en 1280: la répres-
sion avait été dure. Les querelles politiques vont donner leur
chance aux métiers: le comte de Flandre, Gui de Dampierre,
dès 1296, soutient les métiers contre les patriciens, partisans
du roi de France (d’où leur surnom de leliaerts]|. Peu à peu les
métiers affirment leur force: ils trouvent un chef en la per-
sonne de Pierre de Coninc, tisserand de Bruges. Le 17 maï 1302,
les artisans de Bruges massacrent les soldats du roi de France
(«les Matines Brugeoises »}. Toute la Flandre se soulève: mou-
vement national autant que mouvement populaire dont le
succès fut consacré par la victoire de Courtrai [11 juillet 1302)
remportée par l'infanterie bourgeoise sur l'armée du roi de
France. La victoire des métiers est constatée, au même moment,
dans une bonne partie du Brabant et du pays liégeois. Les
PARTIE 3 # La fin du Moyen Âge (xv°-xv° siècles)

avantages acquis par les métiers flamands furent vite réduits


un
par la réaction; la révolte des Karls fournit à Philippe VI
bon prétexte pour venger les armes français es, à la bataille de
Cassel (1328). Les débuts de la guerre de Cent Ans permire nt
aux métiers de reprendre le dessus: à Gand, Jacques Van
Artevelde [1338-1345] essaya de regrouper tous ceux qui
vivaient de la draperie, menacée par la guerre entre la France
et l'Angleterre. La victoire des métiers ne résolvait pas les pro-
blèmes sociaux: une violente hostilité existait entre les métiers
moyens (les tisserands avant tout) et les métiers qui regrou-
paient une main-d'œuvre pauvre et peu qualifiée [les foulons).
En mai 1345, les tisserands de Gand massacrèrent les foulons;
en juillet Artevelde fut assassiné. En 1349 les foulons, comme
peu avant à Ypres et Bruges, massacrèrent les tisserands, les-
quels prirent leur revanche en 1350... La constitution gantoise
consacra la victoire des métiers moyens: les poorters [les grands
bourgeois) furent minoritaires à l'échevinage dominé par les
tisserands et les métiers moyens. La prédominance des métiers
moyens se retrouve dans toute l’Europe du Nord-Ouest, tandis
que l'Allemagne se partage entre deux zones: villes patriciennes
au nord, villes de métiers au sud.

EH La crise des années 1380


Enfin, la sensibilité à la conjoncture économique se combine
aux autres causes des conflits dans la vague de révoltes qui
parcourt l'Europe occidentale de 1378 à 1385, en Flandre, où
les Français doivent de nouveau intervenir aux côtés du comte
[victoire de Charles VI à Roosebek, 1382), en France (« harelle »
de Rouen, révolte des Maillotins à Paris en 1382), en Allemagne
(Dantzig, Brunswick, Lubeck}, tandis qu’en Angleterre la
révolte des paysans fait rage. La plus remarquable de ces
Ciompi: travailleurs non révoltes est celle des ciompi à Florence, en 1378. À l’origine,
qualifiés de l'industrie drapière des causes politiques et corporatives: les excès du parti guelfe,
(plus spécialement cardeurs), à auquel on reproche à la fois la malheureuse « guerre des Huit
Florence.
Saints » contre le Saint-Siège, dangereuse pour le comnierce
GONFALONIER DE JUSTICE: l'un florentin, et sa politique de fermeture des Arts (les métiers
des neufs Prieurs, magistrats
suprêmes de Florence, le plus
florentins). En mai 1378, Salvestro de’Medici, l'homme, des
important, puisqu'il commande classes moyennes, devient « Gonfalonier de Justice » ; mais
la force armée. l'opposition qu'il rencontre est telle qu'il doit faire appel au
soutien du « popolo minuto ». Or, le peuple a des raisons d’être
mécontent :après la peste, les salaires avaient augmenté; mais
dans les années 1370, ils ont diminué, ainsi que la durée du
travail. Le prolétariat aide, certes, à imposer le programme
des classes moyennes qui rétablit l'équilibre entre les Arts
majeurs (la grande bourgeoisie d’affaires, avant tout) et les
Arts mineurs: mais il n’y trouve pas son compte et les jour-
nées d’émeute de juillet 1378 en sont la preuve. Les ciompi
obtiennent l’organisation d'arts nouveaux: l'Art des Teinturiers,
celui des faiseurs de pourpoints {les ouvriers de la confection)
et l'Art du Popolo Minuto [les ouvriers non qualifiés). Mais le
régime, qui assurait maintenant la prépondérance aux Arts
mineurs, manquait de cohésion; les chefs populaires, comme
Michele di Lando, menaient un jeu personnel et surtout la
Les villes et l'artisanat

grande bourgeoisie n'avait rien perdu de sa puissance écono-


mique. En 1382, s'appuyant sur des mercenaires, l'oligarchie
se réinstallait à Florence pour s'y maintenir jusqu’en 1434,
date à laquelle Côme de Médicis se rendait maître de la ville.
L'étude des révoltes montre la diversité de la société urbaine.
La fermeture des métiers fait apparaître le phénomène du sala-
riat avec ses conséquences {marché libre du travail, uniformi-
sation de la condition ouvrière]. Ainsi explique-t-on que les
luttes sociales, malgré leur violence sporadique, n'aient pas
abouti au xiv‘ siècle et que, malgré une accalmie au xv° siècle,
elles aient repris avec force au xvi° siècle. Quant aux grands
bourgeois, ils ont su presque toujours garder le contrôle, sinon
des institutions municipales, du moins des processus écono-
miques: l'agitation urbaine est cependant une des difficultés
qui affectent la production industrielle et le commerce.

Il, l'artisanat, l’industrie, les mines, la production


Pendant les xiv° et xv° siècles, la technologie a accompli des
bonds spectaculaires, dus à des inventions ou à la mise en pra-
tique d’inventions datant d'époques antérieures. Les difficultés
de la période ont favorisé ces progrès: main-d'œuvre coûteuse
qu'il s'agissait de remplacer par des procédés mécaniques, rareté
des métaux précieux dont il fallait augmenter la production.

E Le textile
L'industrie textile était la grande industrie du xur° siècle. Les
procédés de tissage de la laine n’ont changé que par l'adoption
d’un nouveau type d'armure du tissu {armure « toile »] qui
réduit le temps de travail sans altérer la qualité du tissu. En
revanche, le filage a été bouleversé par la diffusion du rouet
apparu dès le xim° siècle, qui permet de filer cinq ou six fois
plus de fil que le fuseau à crochet. On a même inventé au
xv: siècle un rouet à ailettes qui accroît encore le rendement
de 25 % ; la diffusion en a été lente. Les transformations du
foulage ont été spectaculaires: à côté du foulage au pied est
apparu le moulin à fouler qui s’est répandu du xni* au xv° siècle
dans certaines régions seulement (Angleterre, par exemple).
Il modifiait si profondément l'exercice du métier de foulon
que les règlements des métiers les plus conservateurs en inter-
disaient l'introduction, c'était le cas en Flandre. En effet, un
moulin utilisant l'énergie hydraulique a, vingt-quatre heures
sur vingt-quatre, une puissance de 3,5 CV à l'heure, alors
qu’un ouvrier, qui foule au pied, ne peut fournir plus de
0,3 CV/h, et ce pendant huit heures seulement.
Ces modifications techniques se sont combinées avec d’autres
facteurs (mode, production du textile brut... pour bouleverser
la géographie de l’industrie textile. La primauté des grandes
villes drapantes flamandes spécialisées dans le drap lourd de
qualité a disparu. La résistance des métiers aux innovations
et la nécessité d’être près des cours d’eau (moulin à foulon] ont
PARTIE 3 & La fin du Moyen Âge (xv®-xv° siècles)

vallées des
favorisé les progrès de l'industrie rurale: les petites
Cotswolds se sont emplies de village s animés par cette acti-
ppemen t de la mode des vêteme nts
vité. L'apparition et le dévelo
doublé s de sous-v êtemen ts, a eu deux sortes
souples et légers,
e,
de conséquences: la production d’un drap léger, moins difficil
naux qui ont
était accessible à de nombreux centres artisa
tissus
concurrencé les Flamands. Et l’on fait appel à d'autres
pour les sous-v êtemen ts, coton)
FUTAINE: tissu de coton (soie pour les vêtements, lin
t
(employé pour les sous- qui concurrencent la laine. Les Flamands ne bénéficiaien
plus de leurs relatio ns tradit ionnel les avec l'Angl eterre :
vêtements, etc.). même
Étape:destination obligatoire malgré la création, par Édouard Il, de l'étape de Calais en 1363,
d'un produit qui ne peut être les exportations de laine anglaise diminuèrent du fait de la
guerre de Cent Ans et de l'essor de l'industrie anglaise. La laine
distribué qu'à partir de cet
endroit, notamment pour la
laine en Angleterre. des mérinos espagnols, d'ailleurs de moins bonne qualité, était
accessible aux concurrents des Flamands. Ainsi se multipliè-
rent en Europe les centres de production lainière: par exemple,
signalons l'essor de la Normandie au xiv* siècle, et surtout celui
des industries du Brabant (Bruxelles, Malines}, d'Espagne
(Ségovie), d'Angleterre (Bristol, Salisbury, mais aussi l’industrie
rurale] et d'Italie (Florence, Milan). Au reste, l'Italie excelle
dans la production de la soie (Lucques, Florence), laquelle passe
en France à la fin du xv° siècle (Lyon, Tours}, et du coton (qui
a gagné l'Allemagne du Sud).

& La métallurgie
Une deuxième grande industrie est apparue: la métallurgie.
Les nouveautés techniques font franchir un pas décisif. Des
Four À COUPELLATION: il utilise procédés permettent de mieux raffiner les métaux: le four à
des différences d'affinité des coupellation, apparu dans le Devonshire [mines d'étain] vers
métaux pour les séparer. 1290. De nouveaux alliages se répandent comme le laiton
(calamine et cuivre) tandis qu’en 1451, Funcken met au point
un procédé chimique utilisant le mercure qui sépare l'argent
du cuivre (le minerai de plomb argentifère était jusque-là seul
employé]. Mais le grand progrès est la mise au point du haut-
fourneau, qui vient s'ajouter à l'agrandissement de la forge
traditionnelle. Grâce au perfectionnement d’un système de
soufflets, mû par l'énergie hydraulique qui permet d'envoyer
un jet continu d'air sur le métal en fusion (le premier système
de ce genre semble avoir été établi en 1340 à Liège), les forges
grandissent. Le haut-fourneau a cependant un rendement
supérieur: en outre, la fonte y est soumise à une deuxième
opération pour produire un fer de qualité. L'on exige beaucoup
des métaux: le bronze s’est amélioré parce que l'on s'en servait
pour faire des cloches (on a commencé à fondre de grosses
cloches au xu° siècle; on cherche, en outre, à produire des
cloches qui sonnent juste — carillons anglais ou flamands),
des éléments monumentaux {les portes du baptistère à Florence,
dues à Andrea Pisano et à Ghiberti] ou encore des canons {le
premier emploi certain des canons est de 1347, mais on en a
un dessin de 1327}. Dans ce domaine, le fer prend un temps
la place du bronze: Gand possède le chef-d'œuvre de l’époque,
un canon de fer de 5 mètres de long, fabriqué en 1430. Le fer
sert aussi à fabriquer des instruments de précision comme les
Les villes et l'artisanat

premières horloges mécaniques (Florence - vers 1310, château


de Douvres - 1348, Palais Royal de Paris - 1370). Mais les
machines outils (tour à perche) sont encore en bois.

EH Les mines
Pour satisfaire à la demande de minerais, les mines ont elles
aussi progressé. Elles ont connu une première période d’expan-
sion de la fin du xm° siècle jusque vers 1350: d'importantes
améliorations techniques (treuils de grande taille, progrès dans
les charpentes, la ventilation, le pompage), ont permis d’ex-
ploiter les gisements profonds, non plus seulement les veines
superficielles. À cette époque, l'exploitation est le fait des com-
munautés de mineurs surveillées par les représentants du
pouvoir royal (les souverains ont en général fait admettre leur
droit à la propriété du sous-sol) et des seigneurs fonciers qui
prélèvent, les uns et les autres, une partie du revenu. Le mineur
est encore un pionnier, d'autant que la plupart des nouvelles
mines se sont ouvertes dans les montagnes (monts Métallifères,
Bohême, Carpathes, Alpes). Après une période de stabilité rela-
tive, on assiste à une formidable expansion vers 1460. De cette
date à 1530 la production de l’Europe Centrale a quintuplé pour
l'argent et le cuivre, et quadruplé pour le fer. Ces progrès ne se
limitent pas aux mines de métaux: la calamine et le salpêtre
(Pologne), les sulfates (Hongrie), le mercure (Espagne), le sel
gemme (Transylvanie), l’alun (Toscane, et surtout l'énorme ALun: sulfate riche en alumine,
employé comme mordant en
gisement de Tolfa dans les États pontificaux, découvert en
teinturerie.
1461) sont aussi extraits du sous-sol européen.

= Autres industries
Parmi les domaines où les progrès sont sensibles, figure la
verrerie :la consommation du verre s'accroît, car l'usage d'en
garnir les fenêtres se répand. La production s'étend de l'Italie
(Venise) à la Bohème et au Languedoc, et elle s’affine (appari-
tion des lunettes). Quant à l'imprimerie, sa mise au point
définitive est due à la convergence de toute une série d’inno-
vations qui vont permettre de dépasser le stade de la xylogra-
phie (depuis 1147 on savait « imprimer » des figures ou des
majuscules à partir de bois gravés] : ce sont l'adoption géné-
ralisée du papier, l'amélioration des encres (avec les encres à
l'huile élaborées par les miniaturistes), l'apparition des carac-
tères métalliques, mais surtout la solution du problème de
l'assemblage des caractères et de la presse découverte par l’or-
fèvre Gutenberg à Mayence entre 1447 et 1455. Signalons
encore, pêle-mêle: la poudre à canon, les moulins à vent pour
pomper l’eau, l'amélioration des portes d'écluses.
Ces modifications ont amené des formes nouvelles d'organisa-
tion de la production. L'exemple des mines est significatif: l’ex-
ploitation est passée des mains de communautés de mineurs à
celles de véritables sociétés anonymes; en Allemagne, la pro-
priété des mines est souvent divisée en 128 küxen, parts égales,
et les actionnaires vivent en ville. Les mineurs sont devenus
des salariés au service de capitalistes, tels les Fugger qui ont pu
PARTIE 3 w La fin du Moyen Âge (xiv°-xv° siècles)

de Styrie,
édifier une formidable fortune à partir de leurs mines
rs accélè rent cette évo-
du Tyrol, puis d'Espagne. D'autres facteu
à Toulou se, le coût accru du matéri el
lution vers le capitalisme:
s encour us a amené les posses seurs des mouli ns
face aux risque
se sont bien-
de la Garonne à former des sociétés dont les parts
s. La taille des chantiers
tôt négociées comme des action
rtance
(constructions navales, travaux d'irrigation, etc.) l'impo
nts, tout cela a joué. Un capita lisme industr iel,
des investisseme
le domai ne de
fait fondamental, voit donc le jour surtout dans
ue l'essor du capita-
la métallurgie et des mines, ce qui expliq
urg.
lisme dans l'Allemagne du Sud et les territoires des Habsbo
que ce capita lisme indust riel se combi ne souven t
Il est vrai
and et ban-
avec le capitalisme financier et commercial: march
quier sont encore les types de capitalistes les plus fréquents.

0
Bibliographie
dans les chapitres
La meilleure présentation d'ensemble des matières abordées ici se trouve
de L.-H. Parias, t. 2, Paris,
de Ph. Wokrr dans l'Histoire générale du travail, publiée sous la direction
France du x au xvf siècle, Paris, 1982. Voir aussi
1959 et dans B. CHevauer, Les Bonnes villes de
Th.Durour, La ville médiévale, Paris, 2003.

Sur la population urbaine:


Cambridge,
Voir H. Van Werweke, dans le ch. I du t.3 de la Cambridge Economic History of Europe,
2° éd., 1966, p. 3-41, mais l'ouvrage fondamental est celui de R. Mors (cité p. 235).

x et x” siècles, Paris,
Sur le plan social, voir notamment B. GEREMEK, Les Marginaux parisiens aux
1976; M. Mouar, Les Pauvres au Moyen Âge, Paris, 1978 et CI. Gauvaro, « De grace especial » (cité
p. 256). Voir aussi J. Favier, François Villon, Paris, 1982; P. Bocuiont, R. Decorr et CI. Gauvaro, Le Petit
Peuple dans l'Occident mediéval, Paris, 2003; J.-P. LeauaY, La Rue au Moyen Âge, Rennes, 1984;
K.Weinenreun, La Police de la petite voierie à Paris à la fin du Moyen Âge, Paris, 1996; O. Faron et
E. Huserr, Le Sol et l'immeuble. Formes de la propriété immobilière dans les villes de France et d'Italie,
x£-xxe siècle, Rome, 1995. ;

Monographies qui permettent de suivre l'histoire d'une ville:


Y. ReNOUARD, Histoire de Florence, Paris, 1964; A. Tenenni, Florence à l'époque des Médicis :de la cité
à l'État, Paris, 1970; P. Braunsrten et R. DeLorr, Venise, portrait historique d'une cité, Paris, 1971;
É. Crouzer-Pavan, Espaces, pouvoir et société à Venise à la fin du Moyen Âge, 2 vol. Rome, 1992 et
Venise, une invention de la ville, xu-x siècle, Paris, 1997 ;H. Van WERwEKE, Gand, esquisse d'histoire
sociale, Bruxelles, 1946; B. CHevauter, Tours, ville royale 1356-1520, Paris-Louvain, 1975; À. RIGAUDIÈRE,
Saint-Flour, ville d'Auvergne au bas Moyen Âge, Paris, 1982; R. Favreau, La Ville de Poitiers à la fin
du Moyen Âge, une capitale régionale, Poitiers, 1978; N. Couuer, Aix-en-Provence. Espace et rela-
tions d'une capitale, Aix-en-Provence, 1987 ; CI. BiLor, Chartres à la fin du Moyen Âge, Paris, 1986;
L. Srourr, Arles à la fin du Moyen Âge, 2 vol. Aix-en-Provence, 1986 et les volumes de R. CAZELLES
et de J. Favier dans la Nouvelle Histoire de Paris, Paris, 1972-1974; T. Durour, Une société de l'hon-
neur. Les Notables et leur monde à Dijon à la fin du Moyen Âge, Paris, 1998.

Pour la France, se reporter à la Bibliographie d'Histoire des villes de France, Paris, 1967 par
Ph. Douuncer, Ph. Worrr et S. GUENÉE.
Les villes et l'artisanat

Pour l'Angleterre, voir S. Reynouos, An Introduction to the History of English Medieval Towns,
Oxford, 1977; Caroline Barrow, London in the Later Middle Ages, Oxford, 2004.
Pour l'Espagne, A. Rucouoi, Valladolid au Moyen Âge, Paris, 1993 et D. Menor, Murcie castillane:
une ville au temps de la frontière, 1243-milieu du xv siècle, Madrid, 2002.

Pour l'Italie, outre les ouvrages de P. Gui et F. MENANT, cités p. 174, voir Ph. Jones, The Italian City-
State, Oxford, 1997.

Sur le problème des métiers:


L'ouvrage classique reste celui d’E. CoornaerT, Les Corporations en France avant 1789 (cité p. 174).
Voir surtout B. GEREMEK, Le Salariat dans l'artisanat parisien aux xuf-xv siècle, Paris, 1968.

Sur l’État et les villes:


N. Buusr et J.-Ph. Gener, Ville, État, Bourgeoisie dans la genèse de l'État moderne, Paris, 1988;
P. BoucHeroN, Le Pouvoir de bâtir. Urbanisme et politique édilitaire à Milan (x -x siècles), Rome,
1998: D. Menor er M. SancHez (dir.), La Fiscalité des villes au Moyen Âge (France méridionale,
Catalogne, Castille), Toulouse, 1996, t. Il, Les Systèmes fiscaux (Occident méditerranéen), Toulouse,
1999, et t. Ill, La Redistribution de l'impôt, Toulouse, 2002.

Pour les mouvements de révolte:


L'ouvrage de base est M. Mouuar et Ph. Wourr, Ongles bleus, Jacques et Ciompi (cité p. 269).
Signalons J. v'Avour, Le Meurtre d'Étienne Marcel, Paris, 1960; R. Cazeuues, Étienne Marcel, Paris,
1985 : J. Lesrocauor, Les Villes de Flandre et d'Italie sous le gouvernement des Patriciens (x°-xV siècle),
Paris, 1952: A. SreuLA, La Révolte des Ciompi, les hommes, les lieux, le travail, Paris, 1993.

Sur l’histoire de la production:


En ce qui concerne l’histoire de la production, on commencera par l'étude de Ph. Wourr dans
l'Histoire générale du travail.

Sur les techniques voir M. Daumas (dir.), Histoire générale des techniques, |,Des origines au x siècle,
Paris, 3° éd., 1996 et B. Gi, Les Ingénieurs de la Renaissance, Paris, 1978.

Sur l’industrie textile en particulier, voir G. Espinas, La Draperie dans la Flandre française au Moyen
Âge, 2 vol. Paris, 1925, H. LaurenT, Un grand commerce d'exportation au Moyen Âge: la draperie des
Pays-Bas en France et dans les pays méditerranéens (xif-xv° siècle) (cité p. 161) et G. DE PorrtK, La
Draperie médiévale en France et en Artois:technique et terminologie, 3 vol. Bruges, 1951.

Pour la métallurgie, voir R. Spranvez, Das Eisengewerbe im Mittelalter, Stuttgart, 1968; J. HATCHER,
English Tin Production before 1550, Oxford, 1973 et C. GAIER, L'industrie et le Commerce des armes
(éd),
dans les anciennes principautés belges du xf au x siècle, Paris, 1973; P. Benoïr et D. CaIiLLEAUX
Hommes et travail du métal dans les villes médiévales, Paris, 1988 et C. VerNa, Le Temps des mou-
aussi:
lines. Fer, technique et société dans les Pyrénées centrales (xu-xvf siècle), Paris, 2001. Voir
J.-CI. Hocourr, Le Sel et le pouvoir, Paris, 1985.

Sur les relations ville-campagne et le concept de réseau urbain:


celle de E. FouRNIAL,
Voir les thèses de G. Fourouin (cité p. 269) et de Ph. Worrr (cité p. 291), ainsi que
Paris, 1967 et de J.-P. LeGuaAy, Un
Les Villes et l'Économie d'échange en Forez du xif au x siècle,
aspects impor-
réseau urbain au Moyen Âge: les villes du duché de Bretagne, Paris, 1981. Certains
ion en Provence aux x et x siècles,
tants sont éclairés par L. Srourr, Ravitaillement et Alimentat
Paris-La Haye, 1970.
L'activité commerciale

ture. La répercussion en chaîne des


L'activité commerciale subit aussi les contrecoups de la conjonc
des « Colonnes de la Chrétienté », les
troubles de l'Europe occidentale provoque l'effondrement
La réduction de la population restreint
grandes banques florentines. La guerre ferme les routes.
Pourtant, la « révolution commerciale »
les marchés: le volume de l’activité commerciale s'affaisse.
é engendre le progrès, l'amélioration
qui était amorcée aux siècles précédents se poursuit: la difficult
du rendement du travail.

I. L'adaptation du commerce
aux conditions difficiles
EH L'insécurité
Les difficultés pour l’activité commerciale sont énormes;
un caractère commun les résume: l'insécurité - politique, mais
aussi économique. Brigands et pirates, révoltes, guerres sont
un danger constant pour le commerce. Les exemples de cargai-
sons perdues sont nombreux; c'est ainsi que le Jugement dernier
de Memling que le Florentin Tani expédiait dans sa patrie
depuis Bruges se trouve aujourd’hui à Dantzig, un corsaire balte
ayant capturé la galère qui le portait. Certaines régions, telle
la Chaïnpagne, qui ont une importance stratégique dans les
conflits de notre période, doivent être abandonnées par les mar-
chands. Les souverains ont découvert que la réglementation
économique était une arme: le prix de la laine anglaise varie
en fonction des appétits fiscaux du roi d'Angleterre qui perçoit
une taxe à l’exportation; les rois de France et d'Angleterre se
livrent une véritable guerre monétaire.
De politique, l'insécurité devient économique. Le marchand
est aux prises avec un monde mouvant: sa cargaison risque
de ne pas arriver, et lorsqu'elle arrive, les cours ont pu s’ef-
fondrer, la monnaie changer de valeur, les acheteurs déserter
une ville frappée par la peste ou bouleversée par l’affronte-
ment de deux métiers. Dans cette instabilité générale, un cas
est plus grave: celui des mutations monétaires. Les mutations
t
DÉGI la Valeur n'étant
CRI ETT DÉCRI: sont de trois sortes: il y a la « mutatio in materia », où le
a le titre des pièces est altéré, la « mutatio in pondere », où le
Re poids de la pièce change, et la « mutatio in appellatione »,
par laquelle le cours de l'unité monétaire réelle est modifié
par rapport à la monnaie de compte. Ces trois types de muta-
tions peuvent se combiner. Les mutations sont en général
annoncées officiellement: on crie la nouvelle monnaie ou le
nouveau cours, tandis que l’on décrie l’ancienne. La cause
fondamentale de ces mutations réside dans la raréfaction
L'activité commerciale

relative du stock des métaux précieux disponibles sur les


marchés européens: les mines ont une production insuffi-
sante et le solde du commerce oriental n’est que très légère-
ment positif, sinon négatif. Le prix des métaux précieux a
donc sans cesse augmenté: pour ne pas perdre son bénéfice
d'émission {le « seigneuriage »}, voire travailler à perte, SEIGNEURIAGE : il représente
l'autorité (roi, baron, ville, évêque... qui battait monnaie environ 12%.
devait procéder à une mutation. Si les rois de France ou d’An-
gleterre ont procédé aux mutations les plus spectaculaires, il
s'agit néanmoins d’un phénomène général, qui prend la forme
d’une réaction en chaîne: lorsqu'un pays « affaiblit » sa mon-
naie, On peut y acheter avec moins de métal précieux des
marchandises que l’on ira revendre dans un pays de monnaie
forte, pour récupérer ainsi une quantité supérieure de métal
précieux. Un pays de monnaie forte s'expose donc à subir une
hémorragie. La situation se complique du fait que l’on en est
venu au bimétallisme, depuis le milieu du x siècle, et que
les cours commerciaux de l'or et de l'argent ne varient pas au
même rythme: d’où des ajustements incessants entre mon-
naie d’or et d'argent. Le marchand ne peut se fier qu’à son
trébuchet (balance) qui ne le quitte jamais.

B Les progrès du commerce


Les progrès visent donc à accroître la sécurité du commerce
(qualité des moyens de transport, assurance, suppression des
transports de fonds) et à adapter l’organisation commerciale à un
marché mouvant et instable (propagation rapide des informations,
sédentarisation du marchand, installation de succursales, réseau
de correspondants). Ainsi la navigation progresse: le gouvernail
axial (gouvernail d'étambot) remplace le gouvernail latéral, ren-
dant les navires plus maniables. Les types de navires se diver-
sifient, leur taille augmente. La flotte hanséate est composée,
depuis le xn° siècle, de « Koggen » assez rapides et maniables,
qui reculent à partir du xiv‘ siècle devant les hourques, ventrues,
au fond plat, lentes mais bonnes porteuses, qui ont jusqu’à 300
tonnes de capacité, tandis qu’à la fin du xv° siècle apparaissent
les « Krawel », empruntées aux navigateurs de l'Atlantique. La
flotte hanséate est considérable (environ 60 000 tonnes à la fin du
xv° siècle). En Méditerranée, galères de Venise et galées de Gênes GaALÈRE : elle navigue avant tout
règnent jusqu'au milieu du xiv‘ siècle: à partir des années 1290, à la rame, alors que la galée, qui
a des rameurs, utilise surtout la
elles contournent l'Espagne et portent à l’Écluse (port de Bruges}, voile. La capacité de la galée est
à Londres ou à Southampton les produits d'Orient. Les flottes très supérieure.
sont toutefois spécialisées: au xv° siècle, les Italiens font appel
pour transporter les produits pondéreux de moindre valeur (blé,
sel, etc.) à des flottes cantabriques et portugaises qui utilisent
les robustes coques à partir desquelles les Génois vont extrapoler
la nef, lourd navire qui peut transporter au xv° siècle jusqu’à
1 000 tonnes et qui leur est nécessaire depuis qu’ils ont récupéré
Chio en 1346 et sont redevenus les grands pourvoyeurs en alun
de l'industrie textile européenne. C’est là un des caractères nou-
veaux de la période; à côté des Hanséates, des Catalans et des
Italiens sont apparus de nouveaux partenaires, les marins de
l'Atlantique, Portugais, Galiciens, Basques, Bretons, Anglais. On
PARTIE 3 La fin du Moyen Âge (xv-xv® siècles)

re navale avec
leur doit les plus grands progrès dans l'architectu
qui allait permettre
la mise au point de la caravelle, le navire
fine que le vaisse au baltique,
les découvertes: la caravelle, plus
robust e que le navire médit erran éen, est
moins élancée et plus
une surfac e de toile consid érable .
capable de porter
les Catalans
On a de meilleurs navires que l'on dirige mieux:
ans » où les ports sont reliés entre eux par
ont dessiné les « portul
dispos és en étoile, corres pondan t à la rose des vents,
des axes
navire sur le
les « rhumbs ». Le pilote cherche donc à placer son
route à l'aide de la bousso le et du
meilleur rhumb, et à garder sa
trigon ométri que simpli fiée qui corrige
« martelogio », table
le Nord géogra phique et le Nord magnét ique. À par-
l'écart entre
des Italien s et des
tir de 1450, les Portugais prennent le relais
onnage en latitud e de la côte
Catalans, et commencent l'étal
r pas vers la astro nomiq ue scient ifique .
d'Afrique, premie
s restent grands néanmo ins. Les march ands les conju-
Les risque
: on
rent par différents procédés. Assurance empirique d’abord
propri été des navires , divisée en
fractionne les cargaisons et la
L Italie, « setzen as » à Barcel one). Le march and
parts (« carats » en
>
Carat, p. 155. diversifie son activité au maximum. Mais les procédés spéci-
fiques d'assurance se répandent bientôt, dont l'assurance à prime:
les premiers exemples ont été relevés en 1343 dans les contrats
notariaux de Gênes. L'assureur touche une prime qui représente
de 15 à 20% de la valeur d’une cargaison mais il prend à son
compte tous les risques. Les primes ont peu à peu diminué: vers
1450, il fallait compter 11 % pour une cargaison transportée par
une nef de Venise à l’Écluse, et seulement 3 % si le navire était
une galère (plus sûre que la nef). Les Hanséates ne firent appel à
ce type d'assurance qu'au xvr' siècle. Le développement de l'as-
surance favorisa d'ailleurs l’uniformisation des lois maritimes
et de grands recueils juridiques sont apparus au xv° siècle (tel le
Libro del Consolat del Mar à Barcelone).

& Sociétés et compagnies


Les marchands ont d'autre part amélioré la structure des firmes.
La première étape a été, dès le xnr° siècle, la sédentarisation des
marchands par l'apparition des sociétés à succursales. La mieux
connue de ces sociétés est la compagnie florentine des Peruzzi,
active de 1275 à 1343, période pendant laquelle elle fut recons-
tituée plusieurs fois (pour permettre à chacun de prendre sa part
des bénéfices, à certains associés de reprendre leur part de capi-
tal, et à d’autres d'apporter le leur). Le capital est formé du corpo,
fourni par les associés (les maggiori) parmi lesquels dominent
les membres de la famille Peruzzi; vient s’y ajouter le « supra-
corpo », constitué par exemple de dépôts sur lesquels la société
verse un intérêt de 8% au dépositaire qui n’a aucun droit sur
les profits de l’entreprise partagés entre les fournisseurs du
corpo. La compagnie fait ses opérations par l'intermédiaire d'un
grand nombre de succursales (Londres, Pise, Naples, Avignon,
Bruges, Chypre, etc.). Des « facteurs » expérimentés exécutent
les ordres venus de Florence et prennent les initiatives néces-
saires: les dangers et les pertes de temps consécutives aux
voyages ont disparu. Mais cette structure était fragile car rigide:
L'activité commerciale

la compagnie des Peruzzi étant une seule entité légale, les mau-
vaises affaires de l’une des succursales se répercutaient sur
l'ensemble. La faillite vint en 1343, lorsqu'il fut impossible de
récupérer les énormes sommes prêtées par les succursales de
Naples et de Londres aux rois de Naples et d'Angleterre. Au
même moment s’effondraient les autres grandes compagnies
florentines (Bardi, Acciaiuoli, Bonaccorsi).
La grande amélioration a été le remplacement de la succursale
par la filiale indépendante. Dans les sociétés à filiales, chaque
filiale est une société indépendante: si une filiale doit être mise
en faillite, le mal ne s'étend pas et la société peut continuer ses
opérations ailleurs. Dans chaque filiale, c'est le même groupe
ou la même personne que l’on retrouve majoritaire. Ainsi en
est-il de la compagnie Datini où Francesco di Marco Datini,
un marchand de Prato en Toscane, contrôle chaque filiale, dont
la raison sociale est presque toujours « Francesco di Marco et
X... ». Les Médicis ont construit dans le cadre de la société à
filiales un complexe remarquable, qui comprenait la banque À| S
Médicis à Florence, des filiales (Rome, Venise, Milan, Londres, Éz 359, C.
Bruges, Lyon, Avignon...) et trois entreprises textiles à Florence
(deux pour la laine et une pour la soie}. Bien gérée par ses pre-
miers dirigeants, la firme des Médicis est la seule qui ait atteint
au xv* siècle la taille des « grands » du xiv° siècle (Peruzzi, Bardi,
Acciaiuoli). Le danger, ici, ne pouvait venir que de la faillite
simultanée de plusieurs filiales. Le détachement de Laurent le
Magnifique, et la maladresse de son directeur, Sassetti, permi-
rent une telle situation: à la suite des fraudes du directeur de
la filiale de Lyon et des prêts excessifs consentis par le direc-
teur de celle de Bruges à Charles le Téméraire, la firme était
pratiquement en faillite lorsque les Médicis perdirent le pou-
voir à Florence, en 1494. Les marchands de moindre envergure,
quant à eux, devaient se contenter d’un réseau de correspon-
dants à l'étranger, constitué par relations personnelles; système
qui réservait bien des déboires.

M Les techniques
Les marchands, sédentarisés, ont pu améliorer leur gestion.
D'abord, ils se sont arrangés pour disposer d'informations fraîches:
correspondants, facteurs, directeurs de succursales ou de filiales
échangent des lettres d’affaires (lettere di compagnia) qui contien-
nent les nouvelles importantes et se terminent toujours par les
cours des monnaies. Ces lettres sont transmises par un système
de poste: ainsi, la « Scarsella » des Catalans quittait Bruges deux
fois par mois et délivrait le courrier à Paris, Montpellier et
Barcelone. Un grand progrès dans le domaine de la gestion a été
la mise au point de la comptabilité à partie double. Dès le
xur siècle, la comptabilité avait progressé :beaucoup de marchands
avaient d’une part un « journal », sur lequel ils notaient toutes
leurs opérations au jour le jour, et d'autre part un « grand livre »
sur lequel ils notaient une seconde fois les opérations, maïs au
nom des tiers avec lesquels elles avaient été effectuées, par
exemple, et en indiquant si elles se soldaient par un crédit ou un
débit. Bientôt le « grand livre » s'organise: il y a une partie débit
PARTIE 3 # La fin du Moyen Âge (uv®-xv° siècles)

laisse de l’espace
et une partie crédit à l’intérieur desquelles on
les transa ctions menée s avec une même per-
libre pour regrouper
t et facilite les
sonne, ce qui donne naissance au compte couran
n'existe
opérations de virement. La comptabilité à partie double
se retrou ve dans les
que lorsqu'un article inscrit au « Journal »
au débit, mais avec des
deux parties du « grand livre », une fois
l » que le
signes inverses (par exemple, s'il figure au « journa
livres à X, le compt e de X aura un
je avril la firme a versé 50
compt e caisse un débit de 50 livres, cela
crédit de 50 livres, et le
>»). Il est ainsi facile de retrou ver les erreur s
sur le « grand livre
s’équi-
de comptabilité (le total des débits et des crédits devant
des profits
librer] et possible à tout moment d'évaluer le niveau
iel du capita lisme
et des pertes: c'est là un instrument essent
bilité à partie double
financier. Les premières ébauches de compta
très
datent de la fin du xmr° siècle (Toscane) mais la diffusion,
du milieu du xive siècle. Seuls les
lente, ne s'est faite qu’à partir
e: la compta bilité perfec tionné e de chang eurs
Italiens l'ont utilisé
brugeois comme Colard de Marke n'est pas à partie double.

La lettre de change
Abordons enfin la nouveauté qui présente peut-être le plus
grand nombre d'avantages, la lettre de change dont le premier
exemple remonte à 1291.
Voici une lettre des archives Datini:

Ü« Au nom de Dieu, le 12 février 1395, vous payerez à


l’usance par cette première (lettre) de change, à Giovanni
Asopardo, 306 livres, 13 sols et 4 deniers de Barcelone qui
valent pour les 400 florins qui m'ont été acquittés ici par
Bartolomeo Garzoni à 15 sols 4 deniers par florin. Payez-
les, mettez-les à notre compte là-bas et répondez-moi. Que
Dieu vous garde.
Francesco et Andrea, salut de Gênes. »
Acceptée le 13 mars.
Inscrite dans le Registre rouge B. F. 97.

Au dos : « Francesco di Marco et Luca del Sera à


Barcelone première (lettre) de change ».

à GÈNES a à BARCELONE
Donneur doit payer à rest ti
ou Bartolomeo GARZONI Giovanni ASOPARDO bénéficiaire
remetteur
_change

crédit (usance)

Francesco DATINI lettre Francesco DATINI payeur


tireur
et Andrea (di BONANO) de change et Luca DEL SERA ou tiré
(pas a anstert
Lao)

de numéraire)

In |. Orico, Le Marchand de Prato, pp. 143-144,


L'activité commerciale

Garzoni ayant une certaine somme à payer à Barcelone à


Asopardo {son correspondant très probablement] recourt à la
compagnie Datini: il verse une certaine somme à la filiale
Datini de Gênes, qui ordonne par cette lettre à la filiale Datini
de Barcelone de la reverser en monnaie locale à Asopardo. La
firme Datini prélève un bénéfice, masqué ici par le change.
Du même coup, on supprime tout transfert de numéraire, on
résout le problème du change, si délicat en ces temps de muta-
tions monétaires, et on réalise une opération de crédit, grâce
à l’usance, délai coutumier de paiement [il y a près d’un
mois entre les deux versements, car à l’usance entre Gênes et
Barcelone qui est de vingt jours s'ajoute le temps du voyage).
Le numéraire étant alors relativement rare, les lettres de
change (comme les chèques qui apparaissent aussi à cette
époque) créent un véritable papier monnaie {au xv° siècle, on
commence à les endosser, c'est-à-dire que le bénéficiaire peut
faire verser la somme à un autre qu’à lui-même).
Les marchands capables d'employer toutes ces techniques
nouvelles sont des hommes instruits et relativement cultivés.
De nombreux hommes d’affaires italiens ont pratiqué l’arith-
métique et la grammaire à l’école avant d'entrer en apprentis-
sage. À Londres, le besoin d'éducation est tel dans les milieux
marchands que sans cesse prêtres et maîtres d'école passent
outre du monopole de l’évêque en matière d'enseignement et
ouvrent des écoles. Pour éclairer ces marchands, des manuels
paraissent, dont le plus célèbre est celui que réalisa vers 1340
Pegolotti, un des facteurs des Bardi. Il y en a beaucoup d'autres
et cette culture marchande n’est pas sans lien avec la pensée
scientifique: la Summa arithmetica du franciscain Luca
Pacioli (1494) a beaucoup aidé au développement de la
comptabilité à partie double.

Il. Les hommes, les routes, les produits


B Les grandes routes
Maîtres des techniques nouvelles, les Italiens ont maintenu
leur hégémonie sur la part la plus profitable du commerce
européen: la redistribution des produits de l'Orient. On
peut schématiser ainsi la répartition des courants commer-
ciaux dans cette Europe des xiv° et xv° siècles: il y a les
mers intérieures du Nord - Baltique, mer du Nord — où règnent
les Hanséates, et les mers intérieures du Sud, Méditerranée
orientale où s'affrontent Génois et Vénitiens, Méditerranée
occidentale où les Italiens doivent compter avec les Catalans.
La communication entre les deux ensembles est pratiquement
un monopole italien, quand nefs et galères contournent l’Es-
pagne. La redistribution des produits orientaux s'effectue dans
les ports anglais, mais surtout en Flandre, à l'Écluse, à Bruges
et à la fin du xv° siècle à Anvers, tandis que prospèrent les
escales ibériques, Majorque, Séville et Lisbonne. Au xv' siècle,
le schéma se modifie: l'avance turque réduit les avantages
.
La fin du Moyen Âge (xv°-xv° siècles)
 .»
Em
PARTIE 3

, soit pour
italiens, tandis que des concurrents apparaissent
ter l'itiné raire atlant ique (Alle mands du Sud) soit
court-circui
Portug ais) ou des
pour se passer des Italiens (Espagnols,
Hanséates (Anglais).

& Le domaineitalien
nication
Les Italiens ont en effet le monopole de la commu
les coloni es de la mer Noire
avec l'Orient: jusque vers 1350,
« route mongo le », par laquel le soie et
sont le débouché de la
ent à travers l'Empi re mongol , moins exigea nt
épices circul
e moitié
que l'intermédiaire musulman. Mais dans la second
du xve siècle, cette route est ruinée par la chute de l’Empire
de Tamerl an, puis la montée du péril
mongol, les dévastations
L turc. Venise concen tre son effort sur les produi ts de luxe (soie,
surtout avec Beyrouth
“aa |
r A358, A.
»
épices, objets précieux) et commerce
et Alexandrie. Gênes a au contraire organisé tout un « trafic
n-
de ramassage » autour de Chio où se concentrent les marcha
dises venues de Syrie, de Turqui e et de la mer Noire. Les
Génois recherchent plutôt les produits pondéreux, l'alun
(nécessaire à l’industrie textile) dont ils ont pratiquement le
monopole, les bois précieux, le coton, les vins orientaux, la
soie. Ces produits sont redistribués en Italie, et dans l’Europe
du Nord-Ouest, en Angleterre et en Flandre d'où les navires
italiens reviennent avec draps, laines et fourrures. En tous ces
lieux dominent les marchands italiens, que leur supériorité
technique et leur richesse font parfois détester. Souvent, ils
vivent en groupes, forment une colonie comme dans les villes
d'Orient, ou se retrouvent autour d'une maison commune (la
loge des Génois à Bruges). Au reste, il est impossible de décrire
le marchand italien type, tant le Génois diffère du Florentin
ou du Vénitien: on peut tout au plus décrire quelques points
communs, la culture et la compétence déjà signalées, la piété
aussi (dans le corpo de la compagnie Peruzzi on avait réservé
une part fictive à « Messer Domeneddio » : les bénéfices de
Dieu allaient aux pauvres; et Datini a laissé toute sa fortune
à une institution charitable). Enfin, il est évident qu'en Italie
du Nord au moins, marchands et banquiers constituent la
classe dirigeante au même titre que l'aristocratie foncière: les
marchands vénitiens, génois et même florentins arborent des
titres nobiliaires et contractent mariage au sein des familles
de la plus vieille noblesse.

M Le domaine hanséatique
L'autre grand domaine commercial est celui de la Hanse.
Formée des villes des quatre quartiers (westphalien - Cologne,
wende — Lübeck, saxon — Brunswick, et prussien — Dantzig),
la Hanse dispose de comptoirs, le Peterhof à Novgorod,
le Brücke à Bergen, le Stahlhof à Londres et le Marchand alle-
É EU mand à Bruges. Ses marchands apportent à Bruges et à Londres
, À 358, À. des produits bruts (ambre, fourrure, cire, bois, blé, poix et gou-
dron, cendres — pour le savon et la teinturerie -, fer, harengs)
et remportent d'Angleterre les laines (depuis Hull, Boston,
Londres] et de Flandre les draps et les produits apportés par les
L'activité commerciale

Italiens. C'est un commerce de type colonial, qui a un volume


énorme (peut-être supérieur à celui du commerce méditerra-
néen) mais qui a beaucoup moins de valeur. Il connaît son âge
d'or lorsque, à la fin du xiv° siècle, les Hanséates se sont assuré
le libre passage dans les détroits de la Baltique à la suite d’une
guerre contre le Danemark {paix de Stralsund, 1370) ; au
xv* siècle, les Hanséates sont cependant en difficulté à plusieurs
reprises (ruptures avec la Flandre 1436-1438, la Hollande 1438-
1441, avec l'Angleterre 1469-1475). L'organisation de ce com-
merce de produits de peu de valeur, protégé par un monopole
de fait, est loin d'atteindre à la perfection italienne: les tech-
niques commerciales sont peu évoluées, et le commerce reste
une affaire individuelle. Les hommes d’affaires hanséates opè-
rent par contrats nombreux et limités {Sendeve, Wederlegginge),
contrats conclus entre deux marchands [un sédentaire et un
voyageur, fournissant une part inégale du capital nécessaire à
l'opération, ou bien un marchand dirigeant et un autre exécu-
tant) et ne valant en général que pour une seule affaire. La
comptabilité est rudimentaire. On trouve certes quelques fac-
teurs et quelques employés à demeure, mais le marchand han-
séate à l'étranger s'adresse le plus souvent à un courtier, qui
est parfois en même temps son aubergiste, comme à Bruges.
Dans ces conditions, il faut sans cesse voyager et les entreprises
sont de taille modeste.

& Les zones intermédiaires


Flandre et France
Le rôle commercial de la Flandre, et de la France surtout, a
par contre diminué. La Flandre bénéficiait certes du système
en vigueur qui privilégiait ses produits. Mais les Flamands se
contentent d’être changeurs (et en même temps banquiers) ou
courtiers; il y a peu de marchands flamands actifs et peu de
vaisseaux flamands dans les ports français ou espagnols; quant
aux galères du duc de Bourgogne, leurs officiers et leur équi-
pement étaient florentins. Le cas est plus grave en ce qui
concerne la France: les foires de Champagne ont pratiquement
disparu. Guerres et dévastations ont fait se rétracter le com-
merce: le commerce toulousain, par exemple, est médiocre
sur le plan international (même si les marchands toulousains
assoient solidement la prédominance régionale de leur cité).
Sans être brillant, le niveau technique du marchand français
n’est pourtant pas déshonorant: les comptabilités des frères
Bonis à Montauban ou d’un modeste marchand comme Jean
Lapeyre à Toulouse l’attestent. Dans cette grisaille, une excep-
tion, Jacques Cœur: encore est-il à la fois aventurier, politicien
et marchand. Ce fils d'un pelletier de Bourges a en effet su
profiter de l'installation de la cour de Charles VII à Bourges.
Argentier du roi, membre du Conseil royal, visiteur général
des gabelles, il s’est assuré la clientèle de la cour qu'il fournit
en épices (que ses galères basées à Aigues-Mortes allaient
chercher à Beyrouth ou à Alexandrie} ainsi qu’en tissus de
luxe. Il forme une compagnie à Florence pour la fabrication
des draps de soie et revend ainsi ses propres draps. Il investit
PARTIE 3 w La fin du Moyen Âge (xv‘-xv° siècles)

Se constitue un
une partie de ses bénéfices en terres et
répart ies surtou t le long de la vallée
ensemble de seigneuries
exploi te les mines de plomb argentifère du
de la Loire. Il
Languedoc.
Lyonnais et du Beaujolais ainsi que les salines du
d'autr e part ne fait
Tout cela excite la jalousie; Jacques Cœur
et celui du roi. Arrêté
pas assez la différence entre son argent
il meurt en défen dant Chio contre
en 1451, condamné, évadé,
telles entrep rises n'étai t pas encore venue
les Turcs. L'heure de
le du déclin comme rcial frança is, l’acti vité
en France. Symbo
Chalo n-sur -
d'échange est rejetée vers les foires périphériques,
e) et d'autr e part
Saône, Lyon (qui supplante cependant Genèv
de terre de
Pézenas et Montagnac en Languedoc. La route
l'Italie à la Flandre n’est pas tout à fait morte : mais elle s’est
déplacée vers l'Est pour conto urner le royau me.

L'Allemagne du Sud
Les
C'est là une des raisons de l'essor de l'Allemagne du Sud.
s'ar-
marchands qui ont passé le Simplon traversent le Jura,
rêtent à Chalon et remontent par la Lorraine et le Luxemb ourg,
ceux qui ont passé le Saint-Gothard rejoignent Bâle et l'axe
t
rhénan, tandis que ceux qui ont emprunté le Brenner gagnen
Nüremberg, Francfort et Cologne, ou l’Europe de l'Est. Les
bourgeoisies locales, enrichies par la prospérité du textile et
des mines, sont capables de jouer leur rôle. De grandes com-
pagnies se forment qui étendent au loin le réseau de leurs
activités, même si leur organisation reste rudimentaire
D
'T
Ÿ
? FA 359/B:
(Grande Société de Ravensburg, Stromer, Fugger}). La consti-
tution de l’Empire habsbourg leur permet dès la fin du siècle
de réaliser des progrès décisifs.

L'Angleterre
En Angleterre l'activité commerciale s'intensifie. Le commerce
des produits de luxe reste aux mains des étrangers, Hanséates
fourrures] et Italiens (produits de l'Orient). Mais les Anglais
sont actifs dans d’autres domaines: celui du sel par exemple,
Exportations annuelles de laine et de ou celui du vin (ce sont eux qui assurent le commerce des
drap anglais par les nationaux vins de Bordeaux}. La grande affaire, en Angleterre, c’est le
D'après Carus-WiLsON et COLEMAN, textile. La laine brute d'abord: les membres de la « Fellowship
England Export Trade.

Milliers de draps
Milliers de sacs

Exportations de drap anglais: >, :


par les nationaux ; /! ii:
2

Exportations
de laine brute

=]
1300 1350 1400 1450 1500
L'activité commerciale

of the Staple of Calais » ont en principe le monopole de l’ex-


portation et transportent la laine à Calais d’où elle est redis-
tribuée vers la Flandre {Italiens et Hanséates importent
directement la laine chez eux). Ce commerce actif vivifie tout
le pays: un stapler comme Thomas Betson commence son
année au mois de mai en achetant peaux et toisons dans les
Cotswolds. Aux foires (Northleach}, il achète sa laine aux
marchands en gros. Il veille ensuite à l'expédition des
marchandises, charriées jusqu’à Londres où il les stocke. Les
officiers des douanes ayant effectué leur contrôle c’est, vers
juin-juillet, la grande traversée {il y en a d'autres au cours de
l'année). Il s’agit alors de vendre la laine au plus vite: passé
février, la laine sera classée vieille et perdra de sa valeur. La
vente a surtout lieu à Calais, mais aussi dans les foires de
Brabant et de Flandre. Commerce compliqué donc, pour le
financement duquel il faut avoir recours aux Italiens. Mais
surtout un commerce qui implique l'activité d’un grand
nombre de personnes, fermiers, intermédiaires, marchands de
laine, marins, staplers. Et les ramifications vont loin: Betson
est le beau-frère de Thomas Stonor, un chevalier de l'Oxford-
shire qui lui confie la laine de ses moutons et s'associe avec
lui. Il y a là l'indice d’une réalité sociale originale, où se mélan-
gent marchands et gentry: mélange moins spectaculaire qu’en MERCHANT VENTURERS : aventu-
riers, puisque, à la différence
Italie parce que réalisé à un niveau modeste, mais peut-être
des «staplers » qui disposent de
plus profond, décisif en tout cas dans la formation du capita- Calais, ils n'ont pas de débou-
lisme anglais. Au reste, le commerce des staplers décline, car ché préservé.
les exportations de draps l’'emportent sur celles de laine. Elles VAISSEAU ARMÉ À LA DÉCOUVERTE :
sont le fait des merchant venturers qui essaient d'ouvrir des un tel vaisseau ne peut porter
débouchés nouveaux: ils fréquentent l'Islande, pénètrent en aucune marchandise, comme
une galère. Toute la place est
Méditerranée et en Baltique, où ils se heurtent aux Hanséates. occupée par le ravitaillement et
Le trafic des merchant venturers fait la fortune de Bristol, le matériel. C'est donc un gros
premier port non ibérique qui arme des vaisseaux « à la investissement.
découverte ».

EH Les découvertes
Mais les découvertes qui vinrent couronner le xv‘ siècle finis-
sant furent le fait des Ibériques. La circumnavigation de
l'Espagne, puis les troubles de la Méditerranée orientale avaient
amené les Italiens et surtout les Génois à s'intéresser à
l'Andalousie (Cadix, Séville) et au Portugal. Initiés par de tels
maîtres, les Ibériques se trouvent dès le début du xv° siècle
dans tous les ports, commerçant des richesses de leur pays Mérinos : mouton à laine fine,
importé d'Algérie vers 1340.
(laine des moutons mérinos, vins de Jerez, fruits, etc.). Ils dis-
posent d'excellents navires, et, sans espoir du côté de la
Méditerranée orientale, pensent aller chercher les épices et
l'or du Soudan vers le Sud. Si c’est encore un Génois qui a
découvert les Canaries (1312), Portugais, Catalans et Castillans
fréquentent ces parages à partir des années 1340. Madère était
peut-être connue dès la fin du x siècle et il semble que des
Portugais aient découvert les Açores en 1341. Mais la mise en
valeur de cette « Méditerranée atlantique » commence vers
1402-1403 pour les Canaries, vers 1425 pour Madère, et dans
les années 1440 pour les Açores: cultures vivrières, mais
PARTIE 3 » La fin du Moyen Âge (xv®-xvf siècles)

s'intéressent aussi au
surtout sucre et épices. Les Ibériques
leur parvi ennen t — mais en quantité insuffi-
ee T7 Ne Maghreb, par où
les Portugais
es 1 =) sante — or, esclaves noirs et épices. En 1415,
e à la fois la continuation
Z S prennent Ceuta: l'événement marqu
nouvelle, la
Cp Ven LE RIQUE de la « Reconquista » et le début d’une entreprise
» qui comm ence par la recon naiss ance de
« Conquista
ateur »
——"+Y ue l'Afrique, patronnée par le prince Henri « le Navig
les éléments
OCÉAN
Di (1394-1460). Dans son château de Sagres, il réunit
animé à la fois par l'idéal du croisé
( nécessaires aux conquêtes,
ATLANTIQUE
me du Prêtre Jean), l'appét it de gloire et le
L ÀET (recherche du royau
Portug ais recon-
goût pour l'or et les richesses. Peu à peu les
2 000 km LE
l'océan Indien
naissent la côte et voient s'ouvrir devant eux
1488, et de Vasco de Gama jusqu’à
Découverte descôtes de l'Afrique [voyages de Cao, 1486, Diaz,
l'Inde, 1497-14 99). Les difficu ltés n'ont pas manqué : il a fallu
par les Portugais qui, une
compter avec les Castillans. Ce sont les Espagn ols
, patron nèrent l’entre-
fois les difficultés de l'Espagne apaisée
Colomb , müûrie au Portuga l: parti
prise du gênois Christophe
août 1492, Colomb découvr it l'Améri que, décou-
de Palos en
uences
verte d’une portée immense, mais qui par ses conséq
appartient à la période suivante.
Progrès décisifs donc que ceux qui sont accomplis pendant
ces siècles difficiles: tandis que sont forgés les instruments
du capitalisme financier {lettre de change, comptabilité à par-
tie double] l’espace dans lequel va s'exercer l'impérialisme
européen a été reconnu [ouverture de l'océan Indien, décou-
verte de l'Amérique). Tout le monde s'aperçoit de l'importance
primordiale de l’activité commerciale, à commencer par les
souverains: Édouard IV arme un navire pour commencer en
Méditerranée, Henri VII en Angleterre et Louis XI en France
prennent des mesures pour stimuler la vie économique de leur
pays en protégeant la production et le commerce: une poli-
tique déjà protectionniste, une doctrine déjà mercantiliste.
Les princes et les souverains portugais, les « Rois Catholiques »
en Espagne sont à l’origine des grandes expéditions de décou-
verte. Une nouvelle ère s'ouvre.

Bibliographie
Utiliser d'abord Ph. ConTaminE (dir), cité p. 11 et P. Chaunu, L'Expansion européenne du xuf au
x siècle, Paris, 1969, et The Cambridge Economic History of Europe, t. 2, Trade and Industry in the
Middle Age, Cambridge, 1952 (vieilli), et t. 3, Economic Organization and Policies in the Middle
Ages, Cambridge, 1965. Pour l'histoire des villes, voir les chapitres de P. BoucHeron et D. MENJOT
dans le vol. lde l'Histoire de l'Europe urbaine, Paris, 2003, dirigé par J.-L. PinoL.

Pour les problèmes monétaires:


R. Deconr, Introduction aux sciences auxiliaires de l'Histoire, Paris, 1969; E. FourNiaL, Histoire moné-
taire de l'Occident médiéval, Paris, 1970 et J. Day, Études d'Histoire Monétaire, Lille, 1984; L'Argent
au Moyen Âge, Actes du xxvii® Congrès de la Société des historiens médiévistes de l'Enseigne-
ment supérieur public, Paris, 1998.
L'activité commerciale

Sur les marchands et les techniques commerciales:


Voir avant tout le chapitre Il du vol. 3 dela Cambridge Economic History of Europe, par R. de Roover.
Puis : A. Saport, Studi di storia economica, Florence, 3° éd., 1955: R. ve Roover, The Rise and Decline
ofthe Medici Bank, 1397-1494, Cambridge (Mass.), 1963; J. FourasTié, La Comptabilité, Paris, 1943;
R. ve Roover, L'Évolution de la lettre de change (Nw®-xvi® siècle), Paris, 1952. R. ve Roover, Money,
Credit and Banking in Medieval Bruges, Cambridge (Mass), 1948. J. Le Gorr, Marchands et Banquiers
du Moyen Âge, Paris, 4° éd., 1969; J. Favier, De l'or et des épices (cité p. 174). Pour suivre l'histoire
d'un grand commerce international, R. Deuorr, Le Commerce des fourrures en Occident à la fin du
Moyen Âge, 2 vol. Rome, 1978: N. CouLer, Affaires de famille et affaires d'argent en Provence au
x siècle, Rome, 1992; P. Monner, Les Rohrbach de Francfort. Pouvoirs, affaires et parenté à l'aube
de la Renaissance, Genève, 1997.

Pour l'Italie:
Voir Y. ReNOUARD, Les Hommes d'affaires italiens au Moyen Âge, Paris, 2° éd., 1968; J. Heers, Gênes
au x siècle. Activité économique et problèmes sociaux, Paris, 1961 ; Ch. e La Ronaière, Un chan-
geur florentin du Trecento, Paris, 1973; |. Orico, Le Marchand de Prato, Paris, 1959 et F.C. LANE,
Andrea Barbarigo, Merchantof Venice, Baltimore, 1944. Des textes, dans R.S. Lopez et I. W.Raymono,
Medieval Trade in the mediterranean world, New York, 1955. Pour un produit très particulier,
le sel, voir J.-C. Hocaurr, Le Sel et la Fortune de Venise (cité p. 161). P. BoucHeroN, Le pouvoir de
bâtir. Urbanisme et politique édilitaire à Milan (xW°-x siècle), Rome, 1998 et J.-C. MAIRE-VIGUEUR,
L'autre Rome. Une histoire des Romains à l'époque communale (x£- xi® siècle), Paris, 2010.

Pour la France:
M. Mouuar, Le Commerce maritime normand à la fin du Moyen Âge, Paris, 1952; Ph. Wourr, Commerces
et Marchands de Toulouse (vers 1350-vers 1450), Paris, 1954; J. ToucHaro, Le Commerce maritime
breton à la fin du Moyen Âge, Nantes, 1967 ;H. Dusors, Les Foires de Châlon et le Commerce dans
la vallée de la Saône à la fin du Moyen Âge, Paris, 1976 et J. Hers, Jacques Cœur, Paris, 1997. B. Bove,
Dominer la ville: prévôts des marchands et échevins parisiens de 1260 à 1350, Paris, 2004 et les
volumes 3 et 4 de la Nouvelle histoire de Paris, 1975, dus respectivement à R. CazeLLes et à J. FAVIER.

Pour l'Allemagne et l’Europe du Nord-Ouest:


Ph. Douuncer, La Hanse, xuf-xvif siècle, Paris, 2° éd., 1989 et L. BerGEREN, N. Hygez et A. LANDEN (éd),
Cogs, Cargoes and Commerce :Maritime Bulk Trade in Northern Europe, Toronto, 2002.

Pour l’Angleterre:
T.H. Liovo, The English Woo! Trade in the Middle Ages, Cambridge, 1977; E. Power, Medieval English
Wool Trade, Oxford, 1941 : E. Carus-WiLson et O. CoLeman, England's Export Trade 1275-1547 Londres,
1962: E. Carus-Wison, Medieval Merchant Venturers, Londres, 1954; S.L. THrupr, The Merchant
Class of Medieval London, Chicago, 1950. C. Barrow, London in the Later Middle Ages, Oxford,
2004.

Sur l'Espagne:
CI. Carrère, Barcelone, centre économique à l'époque des difficultés, 1380-1462, 2 vol. Paris, 1962
et J. Guira-Havziossir, Valence, port méditerranéen au xv siècle (1410-1525), Paris, 1986; D. CouLon,
Barcelone et le grand commerce d'Orient au Moyen Âge. Un siècle de relations avec l'Égypte et la
Syrie-Palestine (ca. 1350-ca. 1430), Madrid-Barcelone, 2004. D. Menuor, Murcie castillane. Une ville
au temps de la frontière (1243-milieu du x siècle), Madrid, 2002, 2 vol.
PARTIE 3 * La fin du Moyen Âge (xv®-xv° siècles)

Sur la Flandre:
Market and the European Economy (XIVth-X Vth
Voir H. Van ver WEr, The Growth of the Antwerp's
centurie), 3 vol. Louvain, 1963.

Sur le rôle de l'État:


de Louis XI, Rennes, 1941; S. B. EPSTEIN,
Voir en particulier R. GANDILHON, Politique économique
s in Europe, 1300-1750, Londres, 2000 et R. BONNEY
Freedom and Growth. The Rise of State and market
(dir,), cité p. 256.
Sur les découvertes:
:M. BaLaro (éd.), Le Journal de bord de
M. Mouuar, Les Explorateurs du xuf au xvf siècle, Paris, 1984 à
d'Alexandre
Christophe Colomb, 1492-1493, Paris, 1992 et J. Favier, Les Grandes Découvertes,
Civilisations du monde vers 1492, Paris,
Magellan, Paris, 1992. M. BaLano et R. MucHemgeo (dir.), Les
Histoire du monde au xv siècle, dir. par
1997. Pour une vision globale du monde du xv° siècle, voir
P. BoucHeroN, Paris, 2009.
La vie religieuse

Quelles ont été les réactions des hommes face aux bouleversements auxquels ils ont assisté ? On aurait
pu s'attendre à ce que ces réactions se situent entièrement sur le plan religieux, tant le christianisme
nourrit et façonne les mentalités au x siècle. Il en fut largement ainsi: la force des hérésies, le carac-
tère violent et sensible de la foi l'attestent. Mais, confrontés à ces élans passionnés et divers, l'Église n'a
pu maintenir ses positions. Les papes, désireux de ne pas faillir à leur tâche de guides spirituels, ont
estimé qu'ils devaient pour cela renforcer le gouvernement pontifical. Absorbés par cette tâche, ils ont
déçu les aspirations des masses chrétiennes et de beaucoup d'hommes d'Église, tandis que le dessè-
chement de la pensée scolastique favorisait la découverte de voies nouvelles. Crise de l'Église donc et
crise de la papauté, mais aussi mutation de la pensée et de la sensibilité occidentale.

I. La papauté, le schisme et la crise conciliaire

M L'installation à Avignon
Peu après l'attentat d'Anagni, le pape Boniface VIII mourait:
une ère d'incertitude s'ouvrait. Bertrand de Got, archevêque de
Bordeaux, pape (1305-1314) sous le nom de Clément V, régla le
contentieux avec la France. Il sauvegarda l'essentiel: s’il dut
absoudre Nogaret et Colonna, il évita la condamnation officielle
de Boniface VIII, qui seule aurait justifié l’action de Philippe le
Bel. Et s’il ne put empêcher ce dernier d’abattre l’ordre du Temple
(1307-1314), au moins prit-il les devants en dissolvant l'ordre
(1311). Soucieux de la réforme de l’Église, il convoqua le concile
de Vienne qui prit des mesures propres à renforcer l'unité de CANON DES LANGUES: projet de
l'Église et à stimuler son activité intellectuelle (canon des lan- création de chaires de langues
orientales dans les universités
gues). Ces négociations avaient obligé le pape à ne pas s'éloigner
(concile de Vienne).
de la France. Les États pontificaux étaient le théâtre de luttes
GUELFES ET GIBELINS :Voir p. 248.
violentes entre Guelfes et Gibelins, arrivées par la « descente »
de l’empereur Henri VII (1312) : il était dangereux de résider à CaPTIVITÉ DE BaAaBYLONE: le
clergé italien désigne ainsi le
Rome. Clément VII s'installa à Avignon (1309) : calme, pros-
séjour de la papauté à Avignon.
père, sise près du Comtat Venaissin, Avignon, qui appartenait
aux Angevins de Naples, était bien placée à mi-chemin de Rome
et de Paris. Jean XXII (1316-1334), évêque d'Avignon, y fixa le
siège de la papauté. La « captivité de Babylone » commençait.
La prépondérance dans l’Église passait des Italiens aux Français,
surtout méridionaux: cinq papes français se succédèrent et plus
de 80% des cardinaux furent français.

Æ La monarchie pontificale
Les papes d'Avignon voulurent avant tout renforcer la papauté,
seule capable, à leurs yeux, de réformer l'Église et de protéger
son indépendance. Au défi des monarchies, la papauté répon-
dit en s’organisant en monarchie centralisée.
PARTIE 3 # La fin du Moyen Âge (xv°-xv° siècles)

té avignon-
De fait, tout tourne autour de la fiscalité :la papau
er son retour:
naise a d'énormes besoins. Exilée, elle doit prépar
menèr ent de dures
de grands légats, tel le cardinal Albornoz,
pontif icaux. Ces guerres
campagnes pour pacifier les États
50% des revenu s. Exilée , la papauté
engloutissaient plus de
son presti ge: d’où la constr uction d’un splen-
devait maintenir
et d’autr es bâtim ents (15 % des revenu s] et d'abon-
dide palais
services de
dantes distributions d’aumônes (10 %). Quant aux
la Chamb re Aposto lique,
l'administration pontificale, telle
Financ es, dirigé e par le caméri er, bras
véritable ministère des
la Chance llerie , la Pénite ncerie , l'Aum ôneri e
droit du pape,
du bud-
et le tribunal de la Rote, ils absorbaient environ 20 %
s
get. Celui-ci eut beau augmenter sans cesse (de 228 000 florin
re XI,137 0-1378 ), il fut
sous Jean XXII à 481 000 sous Grégoi
pourtant insuffisant.
sur les
Plus de la moitié de ces sommes provenait de taxes
bénéfices :ainsi les revenus d’un bénéfic e vacant, dont le pape
on, étaient- ils perçus par ce dernier . Le nouvea u
avait la collati
bénéficiaire devait verser à Avignon des services, payer de
lourds droits de chancellerie. Pour un bénéfice majeur, il effec-
tuait la visite ad limina, c'est-à-dire qu'il venait à Avignon,
occasion de nouvelles taxes. À sa mort, ses « dépouilles »
allaient au pape. Une nuée de collecteurs au service de la
Chambre Apostolique percevait ces sommes. Bien que certains
papes aient été austères [Benoît XII, 1334-1342), sa fiscalité fit
beaucoup de mal à la papauté. Si elle lui permit de renforcer
ses moyens, elle ternit son image et fit oublier aux contem-
porains ses réalisations, la pacification des États pontificaux,
l'approfondissement du droit canon et l'établissement d’un
« modus vivendi » avec les États.
En 1377, lorsque Grégoire XI rentra à Rome, la papauté parais-
sait plus forte qu’en 1303. Elle avait triomphé de Louis de Bavière
qui avait essayé de provoquer un schisme en donnant la tiare
à un franciscain (Nicolas V), en lui suscitant un rival heureux,
Charles de Luxembourg. Elle n'avait guère été mise en danger
par Cola di Rienzo. Pourtant, à l’occasion de ces épisodes, des
idées dangereuses pour la papauté avaient cheminé: dans son
Defensor Pacis, Marsile de Padoue, l’un des conseillers de Louis
de Bavière, soumettant l'Église au pouvoir laïque, proposait aux
Chrétiens d’autres recours que le pape pour la réforme: l'État
d’une part, le concile de l’autre. Moins systématique, plus pro-
fond, le franciscain anglais Guillaume d'Ockham, par ses idées
démocratiques, minait le principe même de la monarchie
pontificale. Avec le schisme, ces idées allaient reparaître.

M Le schisme
Le retour à Rome s'était effectué dans l'enthousiasme: ses
suites furent malheureuses. À la mort de Grégoire XI, une
agitation se déclencha dans la foule romaine: les Romains ne
voulaient pas d’un pape français qui, croyaient-ils, ramènerait
la papauté en Avignon; le conclave, sous la pression de la foule,
choisit donc un pape italien, Bartolomeo Prignano, devenu
La vie religieuse

Urbain VI {avril 1378). Choix malheureux: Urbain VI révéla


vite un caractère instable et despotique. La plupart des cardi-
naux (en majorité français) quittèrent Rome: réunis à Fondi,
ils élurent Robert de Genève (Clément VII] en septembre 1378:
Clément VII n'ayant pu prendre Rome, gagna Avignon.

La « robe sans couture » était donc déchirée: c'était le début


du « Grand Schisme ». L'important n'est pas de discuter de la
validité de telle ou telle élection: la formation rapide d'obé-
diences homogènes autour de chacun des deux papes témoigne
de l'existence des racines profondes du schisme. D'un côté,
avec Clément VII, une papauté française, centrée sur Avignon,
soutenue par le roi de France et ses alliés, le roi d'Écosse et le
roi de Castille, tandis que l’action du cardinal Pedro de Luna
lui a gagné le reste de la péninsule Ibérique. Son arme: la
remarquable administration avignonnaise vite reconstituée.
De l’autre, avec Urbain VI, une papauté romaine appuyée par
le roi d'Angleterre, la Flandre, la Pologne, la Hongrie, les ter-
ritoires allemands de l’Empire et les royaumes scandinaves.
L'Italie, quant à elle, fut perpétuellement divisée entre les deux
obédiences, au gré des combinaisons diplomatiques. La force
du pape romain, c’est le prestige de la Ville éternelle: mais il
lui fallut du temps pour reconstituer une administration com-
parable à celle de son rival; ses finances s’en ressentirent.
Le schisme sitôt consommé, l’on se mit à chercher le moyen
de le faire disparaître. Ce n'était pas facile: la chrétienté était
maintenant divisée en deux parties et si beaucoup étaient
sincèrement persuadés de la légitimité de l’un ou de l’autre
pape, des liens d'intérêts s'étaient tissés qui faisaient obstacle
à toute tentative de réunification. Les rois de France et d’An-
gleterre avaient avantage à avoir chacun un pape à sa dévotion.
Les ordres religieux s'étaient séparés, les bénéfices avaient
deux détenteurs et les bénéficiaires d’une obédience crai-
gnaient pour leur position en cas de victoire de l’obédience
adverse. On comprend que le schisme ait duré plus de quarante
ans. Les forces étant équilibrées, la via facti (la guerre), acti-
vement menée pendant quinze ans, n’aboutit pas. L'idée d’une
abdication des deux papes (via cessionis) lancée par l’'Univer-
sité de Paris en 1394, celle d’une action diplomatique {via
conventionis) ne réussirent pas plus l’une que l’autre. Au reste,
les palinodies des deux papes Benoît XIII (1394-1422), l'Avi-
gnonnais, et Grégoire XII (1402-1415), le Romain, provoquèrent
l'indignation d’une grande partie de la chrétienté: la France
retira son obédience à Benoît XIII et ses cardinaux abandon-
nèrent Grégoire XII. La seule solution était le concile: les
cardinaux prirent l'initiative de le convoquer, fait remarquable,
puisqu’en principe le pape devait réunir le concile. En réalité,
les idées conciliaires avaient progressé depuis l’époque de
Marsile de Padoue et de Guillaume d'Ockham, grâce à l’action
des universitaires. Le concile, réuni à Pise en 1409, déposa les
deux papes et en désigna un troisième, Alexandre V, à qui
succéda, en 1410, Balthazar Cossa (Jean XXII). L'Église était
maintenant tricéphale: loin d’avoir résolu le problème du
schisme, le concile de Pise l'avait aggravé. Jean XXII,
PARTIE 3 # La fin du Moyen Âge (xv®-xv° siècles)

dut en 1413
cependant, aux prises avec le roi de Naples,
le futur empereur
solliciter l'appui du roi des Romains,
appui à la condit ion que le
Sigismond. Celui-ci accorda son
e; ce fut le concil e de Consta nce.
pape convoque un concil

& Le concile de Constance (1414-1418)


le tra-
Le concile de Constance s’ouvrit à la fin de 1414, mais
Fait nouvea u: à côté des évêque s
vail ne commença qu’en 1415.
trouve des docteu rs qui représ entent les
et des abbés on
ne
universités et sont d’ardents propagandistes de la doctri
des Pères fut de régler
conciliaire. La première préoccupation
les
le problème du vote: voterait-on par tête (et dans ce cas
ans de Jean XXII, l’'empo rteraie nt) ou par
Italiens, partis
nation? On se décida pour le vote par nation, les Pères étant
d’abord répartis en quatre nations (française, anglaise, ita-
lienne, allemande} puis en cinq [arrivée des Espagnols en 1416).
Les Pères comprirent très vite qu'il leur fallait d’abord défaire
le travail du concile de Pise, et que l’abdication des trois papes
était nécessaire. Ils obtinrent d’abord celle de Jean XXII, non
sans mal (mai 1415), et ce fut l’occasion de l'adoption du décret
Haec Sancta qui affirmait la supériorité du concile sur le pape.
Grégoire XII, dont l’obédience était devenue fantomatique, se
résignait à abdiquer en juillet 1415; Benoît XIII persévéra
jusqu’à sa mort (1423) mais depuis décembre 1415 son obé-
dience était elle aussi réduite à néant. L'unité de la chrétienté
était donc rétablie, mais elle l'avait été par le concile qui était
devenu le seul instrument de gouvernement de l'Église, le
trône de saint Pierre restant vacant. Pendant deux ans, le
concile remplit ce rôle, se préoccupant à la fois de la réforme
de l'Église et de la défense de la foi. Mais les extrémistes
n'étaient pas majoritaires au sein de l’Assemblée: ceux qui
dominaient étaient des modérés, partisans d'un système où
le pape et le concile gouverneraient l'Église en une association
complémentaire. C'était là les idées qui avaient été défendues
par le canoniste Zabarella ou le chancelier de l’Université de
Paris, Jean Gerson. Après avoir pris des précautions pour Assu-
rer le maintien de l'institution conciliaire (décret Frequens
qui prévoyait une périodicité fixe des réunions conciliaires),
ConcLave: assemblée des le concile décida que le conclave procéderait à l'élection d’un
cardinaux enfermés à clé pour pape; le 11 novembre 1417, Odon Colonna était élu pape
élire le pape. (Martin V]: le concile se séparait en avril 1418, pensant avoir,
par des décrets comme Haec Sancta et Frequens, modifié la
constitution « monarchique » de l’Église et lui avoir substitué
une constitution « démocratique ».

& La crise conciliaire


Martin V était partisan d'un conciliarisme modéré, et il ne
voulait voir dans le concile que l’auxiliaire du pape, non son
supérieur. Une opposition entre le pape et le concile ne pouvait
donc manquer de se produire, d'autant que la proportion des
docteurs par rapport aux évêques et aux abbés (qui répugnaient
à abandonner leurs fonctions pendant trop longtemps) s'était
sans cesse accrue, renforçant ainsi les positions extrémistes.
La vie religieuse

Le concile réuni en 1423 à Pavie dut être transféré à Sienne,


du fait de la peste. Il fut vite dissous, et c’est au concile sui-
vant, à Bâle, que les choses sérieuses commencèrent [1430]. Le
parti pontifical fut affaibli par la mort de Martin V (février
1431), car son successeur, Eugène IV, ne le valait pas. À la fin
de 1431, peu de Pères étant encore arrivés, le pape crut qu'il
pouvait se débarrasser du concile; le 18 décembre 1431, il pro-
nonçait sa dissolution. Le concile, assuré de l'appui de
Sigismond, n’en continua pas moins de siéger. La position
d’'Eugène IV fut vite intenable, et, en décembre 1433, il devait
admettre la nullité de sa propre décision et reconnaître la légi-
timité du concile. Le premier acte avait donc tourné à l’avan-
tage du concile. Le second fut pour le pape: se préoccupant de
la réforme de l’Église, les Pères voulurent, par défiance envers
la papauté, ajouter à leur rôle législatif un rôle exécutif et ils
s'empêtrèrent dans des tâches administratives et judiciaires.
Eugène IV profita de la lassitude générale: arguant de la néces-
sité de tenir un concile d'union avec les Grecs orthodoxes, il
transféra le concile à Ferrare (1437). Seuls restèrent à Bâle les
extrémistes: ils suspendirent Eugène IV et désignèrent comme
nouveau pape le comte de Savoie, Amédée VIII (Félix V}). Ce
schisme n'eut qu’une ampleur momentanée et ses séquelles
étaient effacées dès 1449. Le concile de Bâle avait donc échoué,
s'étant déconsidéré par des prétentions excessives. Le concile
de Ferrare [transféré à Florence en janvier 1439) fut, au reste,
un succès pour la papauté, puisqu'il permit d'aboutir à un
accord avec les Grecs, grâce à l'intelligence des théologiens en
présence (notamment le Grec Bessarion]) mais aussi à la volonté
politique du pape et de l’empereur Jean Paléologue, désireux
d'obtenir le soutien de l'Occident contre les Turcs (juillet 1439).
La bulle Laetentur Coeli proclamait l'union: elle fit beaucoup
pour la restauration du prestige pontifical.

& L'Église et l’État au xv° siècle


La crise ouverte par la ruine de la théocratie pontificale au
début du xiv° siècle paraissait terminée; la monarchie pontifi-
cale avait triomphé du concile. La nouvelle splendeur de Rome
en témoignait: palais et églises neuves, mais aussi activité
intellectuelle stimulée par les premiers papes humanistes,
Nicolas V et Pie II (Aeneas Sylvius Piccolomini). Il n'est pas sûr
que cette gloire ait beaucoup renforcé une autorité morale affai-
blie. Car cette victoire de la papauté sur le conciliarisme avait
été payée cher. Tout d’abord, la papauté avait dû abandonner
une part de son pouvoir aux États. Les monarques surent habi-
lement jouer de la menace conciliaire pour obliger le pontife
aux concessions: des concordats les sanctionnèrent. Les rois
présentaient au Saint Père des candidats aux sièges épiscopaux
et le pape les instituait, ou bien les rois se réservaient un contrôle
sur le choix pontifical. Dans tous les cas, le principe de l'insti-
tution d’un dignitaire de l’Église par l'autorité ecclésiastique
restait sauf, tandis que le pouvoir royal avait ainsi les moyens
de peupler de ses créatures l’épiscopat et les sphères dirigeantes
de l’Église. Les concordats ne fonctionnèrent pas toujours à la
PARTIE 3 La fin du Moyen Âge (xiv°-xv® siècles)

problème,
satisfaction générale: si en Italie il n’y eut guère de
dat de Vienne (1448) provoq ua l’indi-
en Allemagne le concor
des clercs allema nds, persua dés d’avoir été privés de
ConcorpaT: accord entre le gnation
conclu rent pas de
Pape et un État pour régler leurs libertés traditionnelles. Deux pays ne
l'Angle terre. En France, dès
(entre autres) l'organisation concordat avec Rome: la France et
ecclésiastique de l'État en remise des difficu ltés du début du règne
que la monarchie se fut
sans
de Charles VII, les libertés de l'Église gallicane furent
question.
Bourges
cesse mises en avant. La « Pragmatique Sanction » de
(1438), imprégnée des doctrines concili aires chères aux univer-
incorp orée aux lois du royaum e,
sitaires parisiens, et bientôt
s,
rétablissait le principe de la liberté des élections ecclésiastique
limitant l'intervention de la papauté au niveau du clergé. Elle
profita aux rois de France plus qu’à l'Église gallicane: les rois
l'utilisèrent contre le pape, n’hésitant pas à se servir du pape
contre les gallicans qui n'étaient pas de leur goût. L'Angleterre,
elle, n'eut guère de difficultés avec la papauté car les rois anglais
avaient, dès le xrv° siècle, pris leurs distances avec Rome. Cette
évolution eut deux conséquences importantes: tout d’abord,
« … l'Église ne pouvait plus tirer des royaumes sa richesse et
sa force. Elle n'était plus un État dans les États; elle se replia
sur son patrimoine italien et devint un État parmi les États »
(F. Rapp}. Ensuite la conscience de l'unité de la société chré-
tienne s’estompa: l’horizon des chrétiens fut borné par leurs
problèmes nationaux.

Il. Le clergé et le peuple chrétien


Ces chrétiens divisés, enfermés dans le cadre des États, ont
ressenti l'absence de la papauté, son incapacité à assumer son
rôle de guide spirituel. L'union avec les Grecs est la seule
réussite dont puisse se targuer la papauté au xIv° et au xv° siècle.
Partout ailleurs, elle a échoué: ainsi pour la croisade, à la pré-
paration de laquelle Pie II avait consacré son pontificat. Malgré
un considérable travail diplomatique et un gros effort de finan-
cement, il ne put organiser une expédition. Face à l'avance des
Turcs et de l'Islam au xv* siècle, la chrétienté ne réagit pas, et
la papauté s’est avérée incapable de susciter un mouvement
d'ampleur. Elle a été tout aussi incapable de promouvoir la
réforme de l'Église, qui apparaissait à tous nécessaire, en rai-
son des vices dont était affligée l’Église et aussi par suite des
aspirations nouvelles des fidèles et de l'apparition d’une sen-
sibilité religieuse différente que ne pouvaient satisfaire les
cadres anciens.

M La situation du clergé
On a exagéré la dépravation du clergé. Les conditions étaient
difficiles. La crise économique avait éprouvé le temporel
ecclésiastique, et les épidémies décimé le clergé. Pour regar-
nir les rangs, on n'a pas toujours pris garde à la pureté des
vocations: dominicains et franciscains n’hésitaient pas à
prendre en charge l'instruction de jeunes enfants pour qu’ils
entrent, ensuite, dans les ordres. D'autre part, l'Église a été
La vie religieuse

l'objet de toutes les convoitises: celle de la noblesse pour


laquelle elle est un moyen de se débarrasser des filles sans
dot et des cadets encombrants. Les défroqués ne sont pas
rares parmi les bandes de mercenaires... Plus grave encore,
la convoitise des États pour lesquels l’Église est un réservoir
d'hommes capables et instruits: le rôle déterminant, qu'avec
ou sans concordat, jouent les souverains dans l'attribution
des bénéfices, amène aux postes de commande des juristes, BÉNÉFICE ECCLÉSIASTIQUE: il
administrateurs plus que pasteurs. Le siège de Canterbury, comporte à la fois un office à
remplir (pour lequel on peut
illustré par de brillants théologiens, tel encore au xiv° siècle
trouver un remplaçant) et les
Bradwardine, ne compte bientôt plus que d'éminents admi- revenus attachés à l'office en
nistrateurs qui jouent tous un grand rôle dans le gouverne- question.
ment de l'Angleterre. Les chancelleries royales, l'entourage
des grands seigneurs sont peuplés de chanoines qui sont
récompensés par l'octroi de bénéfices.

E Les tentatives de réforme


Le cumul des bénéfices, mal nécessaire par suite de la crise
du temporel, oblige à recruter des remplaçants pour desservir
les paroisses rurales, en l'absence du bénéficiaire. Un petit
clergé misérable et mal instruit prolifère de la sorte, incapable
de remplir sa mission, même quand il en est désireux. À ces
vicaires, s'ajoutent des foules de chapelains sans bénéfice:
comme nous le verrons, beaucoup de messes sont fondées par
les testateurs au moment de leur mort, et il faut bien dire ou
chanter ces messes. Les chapelains qui s'en chargent sont
incontrôlables: certains profitent de leurs loisirs pour ensei-
gner ou aider les curés dans leurs tâches paroissiales, maïs
beaucoup d’autres fréquentent assidûment les cabarets! Le
clergé régulier a moins souffert: il était plus facile de le réfor-
mer de l’intérieur. Le mouvement de la « Stricte Observance »
qui s’est développé à partir du milieu du xiv* siècle pour rame-
ner les ordres monastiques à observer les règles partout
bafouées a eu des succès: chez les bénédictins (formation de
congrégations autour de quelques monastères illustres par les
vertus de leurs moines, Saint Benoît de Valladolid en Espagne,
Bursfeld et Melk dans l’Empire}, ou chez les chanoines régu-
liers (congrégation de Windesheim). Le mouvement avait des
limites: chez les franciscains, les adeptes de la Stricte
Observance se heurtèrent à une telle opposition, malgré la
célébrité de certains frères italiens (Jean de Capistran, Bernardin
de Sienne), qu'Eugène IV constitua en 1446 deux congrégations
autonomes: celle des observants et celle des conventuels, toutes
deux soumises au général de l’ordre. Les observants heurtaient
trop d'égoïsme, trop de positions acquises.

Ce clergé ne s’est pas désintéressé du peuple chrétien. Des


efforts ont été accomplis. Le réseau des paroisses s’est renforcé.
D'éminents personnages se sont penchés sur les problèmes des
desservants: Jean Gerson s’est passionné pour la théologie pas-
torale, se préoccupant de ces clercs remplaçants qui n'avaient
pas fait d’études. Ces clercs disposent donc de manuels de
théologie simplifiés, ainsi que de manuels qui leur rappellent
les principes de la direction des âmes et de collections de
PARTIE 3 » La fin du Moyen Âge (xv®-xv® siècles)

ouailles. La
sermons leur permettant de prêcher devant leurs
était l’un des moyen s d'actio n essenti els de l’Église:
prédication
en déplaç ant des
un saint Vincent Ferrier parcourait l’Europe
des témoin s pour mesu-
foules immenses. Il faut lire les récits
grands prédic ateurs : « (Frère Richar d)
rer la popularité des
son sermon vers cinq heures du matin et il durait
commençait
six mille
jusqu’entre dix et onze heures, et tous les jours cinq à
ois de Paris (un chanoi ne
personnes y assistaient », et le Bourge
parti armag nac et au roi Charle s
de Notre-Dame, hostile au
VII), dans son /ournal , de racont er comme nt, au retour du ser-
mon, les Parisiens jetaient au feu leurs dés, leurs cartes à jouer,
leurs billards, tandis que les femmes brülaient leurs atours et
leurs coiffures extravagantes |

Æ La sensibilité religieuse
Dans la ligne tracée par le concile de Latran IV, en s'appuyant
sur les travaux des théologiens de l’université de Paris, l'Église
a renforcé son contrôle sur les âmes et sur les individus: les
prêtres qui recueillent les confessions (la confession est désor-
mais obligatoire, au moins une fois par an) et surtout les prédi-
cateurs, le plus souvent membres des ordres mendiants, insistent
sur la nécessité pour chaque chrétien d'assurer son salut éternel.
La messe est restructurée: l'élévation du calice est introduite,
insistant sur la place centrale de l’eucharistie et du sacrifice du
Christ pour le rachat des péchés de l'humanité dans la cérémo-
nie. Une cérémonie qui, de ce fait, devient efficace: c'est une
« œuvre » dotée de puissance, non seulement au bénéfice de
celui qui y participe, mais aussi de ceux pour lesquels il prie,
même s'ils sont déjà morts. En effet, parallèlement, tout le dis-
positif symbolique du salut est réorganisé: si la peur de l'enfer
est constamment ranimée par les représentations (Jugement
Dernier, Danse macabre, ete.) et par l’irruption d’un personnage
nouveau, le diable, la mort est rendue plus présente par la proxi-
mité entre les vivants et les morts; les cimetières sont désormais
situés à proximité immédiate des églises paroissiales, au cœur
de la ville (les Innocents à Paris, l’aître Saint-Maclou à Rouen)
et les plaques mortuaires toujours plus nombreuses marquent
l'inhumation des fidèles à l’intérieur des églises. Surtout, le pur-
gatoire, « inventé » par les maîtres parisiens vers 1200 comme
un « entre-deux » entre enfer et paradis est désormais désigné
comme le lieu où les âmes attendent dans la souffrance leur
entrée au paradis. Le purgatoire est un prodigieux levier entre
les mains de l'Église: si le fidèle qui mène de son vivant une vie
vertueuse et suit les recommandations de l’Église peut gagner
le paradis en évitant le purgatoire ou n'y effectuer qu’un court
séjour, il peut au-delà de la mort voir son temps de purgatoire
raccourci, grâce aux vertus efficaces de la messe.
Ainsi se développe rapidement ce que Jacques Chiffoleau a
appelé « la comptabilité de l'au-delà ». La messe est au centre
de cette économie du salut qui se met en place: lorsqu'il fait
son testament, le mourant consacre s’il le peut des sommes
exorbitantes à des fondations de messe. L'unité de base est le
« trentain » (30 messes), mais ce sont souvent parfois des
La vie religieuse

centaines, voire des milliers de messes qui sont fondées; les


plus riches fondent des « chanteries » où dans les chapelles
appropriées par leurs familles des chapelains célèbrent chaque
jour les messes pour les ancêtres et les parents défunts. Il y a
là un risque de « privatisation » de la messe, dont l'objectif
premier est pourtant de rassembler la communauté des fidèles:
aussi l’Église met-elle en place un culte des morts (dévelop-
pement de la Toussaint, apparition de la messe du lundi spé-
cialement dédiée aux trépassés] et dans les grandes églises
une messe est tous les jours dite pour les défunts. Des confré-
ries se créent aussi pour prier pour les âmes du purgatoire et
tenter de réduire leur temps de purgation: les « bassins du
purgatoire » sont créés dans les églises du Sud-Ouest de la
France et drainent des sommes importantes. Les saints sont
aussi appelés à la rescousse comme intercesseurs et protec-
teurs. C’est ainsi un christianisme des « œuvres » (aumônes,
messes, pélerinages, offrandes aux saints etc.) qui se développe,
à la grande indignation de ceux pour lesquels la foi et la piété
sont avant tout intérieures: c'est cette transformation que les
Réformateurs, au xvi° siècle, voudront abolir.
Cette piété sentimentale a poussé les hommes à accomplir
des tâches dont l’Église ne pouvait que se louer: la popularité
des pèlerinages (Saint-Jacques de Compostelle, Rome,
Montserrat, le Mont-Saint-Michel, et le tombeau de saint
Thomas Becket à Canterbury] et des confréries en témoigne.
Mais elle pouvait aussi les entraîner dans des excès que l'Église
ne réprouvait pas toujours: la fiscalité pontificale sut tirer
profit de la vente d’indulgences, cette pratique qui scandalisa L'inouLGEnce : elle est d'abord
les réformés allemands. Les « flagellants » sortaient souvent conçue comme une réparation
pénitentielle. Mais la pratique
des limites imposées par l’Église. Il y a pis: le goût du surna- de l'achat de la pénitence abou-
turel. La sorcellerie n’est pas rare: de grands personnages y tit a de nombreux abus.
sacrifient, Hugues Aubriot, prévôt de Paris, Éléonore Cobham,
belle-sœur du roi d'Angleterre Henri V, Gilles de Raïs. Et la
marge n’est pas grande entre sainteté et sorcellerie: il n’est
que de lire dans le Bourgeois de Paris les appréciations sur
Jeanne d'Arc. On découvre deux volets parallèles et opposés
d'une même sensibilité religieuse.

Certains hommes ont, cependant, mieux compris ce qu’il fallait


aux chrétiens de leur temps. Sans s'attaquer aux structures de
l'Église, ils ont essayé de donner l'exemple d’une dévotion nou-
velle, qui s’insère entre la religion formaliste de l'Église et la piété
populaire, fervente, mais instable et sentimentale, ouverte à la
superstition et à la magie. C’est surtout en Rhénanie et dans les
Pays-Bas que s’est développé un tel mouvement, avec Ruysbroeck
d'abord [mort en 1381}, Gérard Groote et Florent Radewin, et
Thomas a Kempis {né en 1380). Ils mettent l'accent sur une péda-
gogie spirituelle qui doit permettre au fidèle d'ouvrir son âme à
Dieu. Groote et Radewin insistent, en outre, sur la nécessité pour
les prêtres de vivre en communauté avec des laïques, chacun
éclairant par son exemple le reste du peuple chrétien. Les « Frères
de la vie commune », dont la première fraternité avait été fondée
par Groote à Deventer en Hollande, connurent un grand succès,
lié à celui des chanoines de Windesheim qui pratiquaient la stricte
PARTIE 3 * La fin du Moyen Âge (xv®-xv® siècles)

t en langue
observance. Vivant en commun, les frères priaien
ance à l'éducation.
vulgaire et accordaient une grande import
Leurs collèges furent l’un des foyers les plus actifs de l'expansion
fut élève.
de l'humanisme dans l’Europe du Nord-Ouest: Érasme y
Autre preuve de leur succès: la popula rité de l’Imita tion de Jésus-
sept
Christ [titre significatif...) de Thomas a Kempis dont plus de
d'inno mbrabl es édi-
cents manuscrits ont survécu et qui connut
a, la vie intérie ure du fidèle passait
tions. Avec la devotio modern
impo-
au premier plan, avant l’accomplissement public des rites
sés par l'Église.

& Les hérésies


la
D'autres, cependant, n’ont pas eu la prudence des « Frères de
vie commun e » et des adeptes de la devotio modern a et sont
sortis de l’Église. Certains ne font que reprendre et développer
des thèmes courants dès le xn siècle. C’est le cas des Vaudois,
que l'on retrouve dans la France du Sud-Est, en Bohême et en
Rhénanie jusqu’à l'orée du xv‘ siècle. C'est aussi le cas des fran-
ciscains de la tendance spirituelle, partisans de la pauvreté
intégrale, qui subissaient l'influence du millénarisme de Joachim
de Flore. Certains de leurs groupements sont animés par un
esprit de contestation globale à l'égard de l'Église et de la société.
John Wyclif (1320-1384)
Mais nous arrivons à une autre époque avec John Wyclif et les
lollards: c'est ici que commence la « préréforme ». L’hérésie
wycliffite présente, en effet, un caractère résolument moderne.
Wyclif était un homme de valeur, un intellectuel, un universi-
taire (la « fleur d'Oxford »] ; il domine de la tête et des épaules
les théologiens qui lui sont opposés. L'énorme œuvre latine qu'il
a produite démontre aussi bien son intelligence aiguë que sa
fécondité. Il n’est pas seulement homme de cabinet; il a vu le
monde, participé à des ambassades, acquis des protections, à
commencer par celle de l'oncle de Richard II, le tout-puissant
Jean de Gand, duc de Lancastre. De fait, son programme radical
avait de quoi satisfaire l'aristocratie. Il part d'un constat d'échec:
l'Église ne remplit pas son rôle. Les clercs administrent au lieu
de s'occuper de leurs ouailles. Ils ne se soucient que de richesses,
alors qu'ils devraient, selon l'Évangile, vivre dans l'humilité et
la pauvreté. Du reste, les clercs cachent l'Évangile qui reste en
latin, alors qu'ils devraient partout le répandre en anglais. Symbole
de la perversion de l’Église visible: la papauté, institution récente
sans lien avec le Christ ou l'Évangile et ses acolytes, les frères
(franciscains et dominicains}. Il est vrai que Wyclif prend soin
de distinguer l’Église visible de l’Église véritable, qui regroupe
ceux — Dieu seul les connaît - dont l’âme accèdera au paradis. À
cette croyance à la prédestination, d’origine augustinienne,
TRANSSUBSTANTIATION: fait s'ajoute le refus de croire à la transsubstantiation.
que, dans l'Eucharistie, le pain
et le vin se transforment en Que propose Wyclif? Il faut tout d’abord débarrasser l'Église de
une substance nouvelle, celle ses richesses, source de perversion. Et cette disposition ne pouvait
du corps de Jésus-Christ. manquer d’intéresser l'aristocratie anglaise! Ensuite, il faut tra-
duire la Bible et les textes sacrés, de façon que tous puissent
connaître les fondements mêmes de la religion chrétienne. Une
La vie religieuse

équipe de traducteurs se mit au travail à Oxford, mais elle s’avéra


incapable de résoudre tous les problèmes que lui posait le carac-
tère sacré de la Bible: en s’astreignant à respecter l’ordre des mots,
les traducteurs aboutirent à un texte inutilisable. Il fallut donc
recommencer, et une deuxième traduction fut entreprise et menée
à bien, avec succès cette fois. Wyclif et ses disciples produisirent
d’autres textes en latin et en anglais: des cycles de sermons, des
encyclopédies et surtout une centaine de courts traités résumant
les principales œuvres latines du maître. Des textes orthodoxes
(des catéchismes, par exemple} furent repris et modifiés habile-
ment pour ne pas attirer l'attention et faire passer subrepticement
le message wycliffite. Malgré les persécutions et la destruction
systématique des manuscrits découverts par les enquêteurs, près
de deux cent trente Bibles et une trentaine de manuscrits des
sermons subsistent encore aujourd’hui. On ne sait comment
Wyclif et les lollards s'y prirent pour réaliser cette production
massive: certaines copies ont été faites chez des nobles ou chez
des membres de la gentry dont les chapelains étaient lollards,
mais libraires et copistes londoniens ont aussi joué leur rôle. En
tous cas, le clergé lollard disposa rapidement des textes néces-
saires pour édifier les sympathisants et convaincre les récalci-
trants. Prestige intellectuel, programme populaire, appuis haut
placés, diffusion bien assurée: que d'atouts pour réussir... Pourtant
Wyclif échoua. On peut avancer plusieurs raisons pour expliquer
cet échec: la première est la réaction très vive de l’Église
d'Angleterre; les archevêques de Canterbury épurèrent l’univer-
sité d'Oxford et les prêtres qui partaient prêcher les idées de Wyclif
furent jetés en prison et frappés d’interdit. L'Église était si étroi-
tement liée au gouvernement royal que de ce côté-là aussi Wyclif
ne trouva aucun appui. Ensuite, certaines de ses idées théolo-
giques choquèrent. Enfin, la révolte de 1381, à laquelle participè-
rent quelques prêtres, liés peut-être à ces poor priests qui 4 L
répandaient les idées du réformateur, effraya les couches diri-
geantes de la société anglaise: Wyclif eut beau prendre ses dis- y 365, D.
tances avec la révolte, il n’en fut pas moins confondu avec les
fauteurs de trouble. Il mourut avant d’avoir été sérieusement
inquiété (1384), mais la répression contre ses partisans, les
lollards, fut continue et efficace. La crainte de l’hérésie engendra
l'impossibilité d'entamer en Angleterre une quelconque réforme.

Le hussisme
La descendance de Wyclif, on la trouve en Bohême avec le
mouvement hussite. Les idées de Wyclif ont vite été connues
en Bohême, les contacts entre universitaires de Prague et
d'Angleterre étant fréquents, en Angleterre même ou bien à
Paris. À l’université de Prague (fondée par Charles IV de
Luxembourg}, maîtres et étudiants étaient répartis en trois
nations allemandes et une nation tchèque: le réalisme du
maître d'Oxford offrait aux Tchèques un moyen de se distin-
guer des Allemands, très attachés au nominalisme. Dès lors,
un terrain favorable était trouvé: l'hostilité des Tchèques
envers les Allemands grandissait dans tout le pays. En outre,
prospère sous le règne de Charles IV, la Bohème connaissait
des difficultés économiques et sociales. Les universitaires
PARTIE 3 x La fin du Moyen Âge (xv®-xv siècles)

uences
n’hésitèrent pas à tirer des idées de Wyclif leurs conséq
ire: pour eux la seigne urie est liée à la grâce, et
révolutionna
son autorité
un souverain ou un seigneur qui pèche peut voir
t les
mise en cause. Or les universitaires tchèques avaien
re: les prédic ations étaient nom-
moyens de se faire entend
particu lier à la chapel le de Bethlé em, fondée à
breuses, en
l’unive rsité était
Prague pour le peuple tchèque en 1391, et
'en
devenue le centre de la vie nationale en Bohème, lorsqu
ns Wences las avait donné aux Tchèqu es
1409, le roi des Romai
les Allema nds. C'est, en 1412, la vente d’indu lgence s
le pas sur
prédic ateur de
à Prague qui mit le feu aux poudres: le
son
Bethléem, Jean Hus, remarquable orateur, fit partager
indignation au peuple de Prague ; l'émeu te éclata et fut dure-
ment réprimée. Hus était déjà considéré par l'Église comme
un hérétique; il avait été excommunié en 1409. Pourtant, le
seul point sur lequel il rejoignait Wyclif était sa doctrine
ecclésiale: pour les deux hommes, l'Église était la commu-
nauté des croyants élus, non la hiérarchie officielle à laquelle
ils déniaient tout rôle d’intermédiaire. L'agitation continua et
fut bientôt telle que de nombreux ecclésiastiques « ortho-
doxes » quittèrent Prague: ils firent à Hus une fort mauvaise
réputation après des Pères du concile de Constance. Muni d'un
sauf-conduit du roi des Romains, Sigismond, Jean Hus accepta
pourtant de se rendre à Constance, où les Pères l'avaient convo-
qué. Il espérait y développer ses idées: arrêté, puis condamné,
il fut brûlé (6 juillet 1415).

Les guerres hussites


La mort de Hus aggrava les choses: la noblesse tchèque forma
une ligue dirigée à la fois contre la papauté et l'Empire. Le
COMMUNION SOUS LES DEUX hussisme devenait programme national: bientôt la commu-
ESPÈCES (en latin, utraque species, nion sous les deux espèces devint le symbole du particularisme
d'où le terme d'«utraquisme »): religieux des Tchèques. La défenestration des conseillers catho-
usage du christianisme primitif
liques de l’empereur (1419) marqua la rupture avec l'Empire;
dont la réapparition marquait la
volonté des Tchèques de se les armées tchèques, bien commandées par Jean Zizka
conformer aux préceptes de l'Aveugle, puis, à partir de 1424, par le prêtre Procope le Rasé,
l'Évangile. furent victorieuses jusqu’en 1436. Mais ces victoires ne furent
pas pleinement mises à profit, car les Tchèques n'étaient pas
unis. Aux « calixtins », nobles et bourgeois qui mettaient
l'accent sur l’utraquisme, s’opposait un hussisme populaire,
traversé de courants multiples, tel le courant millénariste qui
caractérisait la grande communauté rassemblée au Mont-
Tabor. L'opposition entre calixtins et taborites devint vite
violente, tandis que les taborites s'opposaient eux-mêmes à
d'autres courants populaires. Les calixtins, par peur des tabo-
rites, finirent par se rapprocher de Rome: les compactata,
conclus au concile de Bâle, accordèrent aux hussites les quatre
points qui formaient l'essentiel du programme calixtin depuis
1420 (prédication libre, utraquisme, correction publique des
péchés, acceptation des sécularisations déjà accomplies). Un
effort de la papauté pour revenir sur ses engagements avec
l'appui de Mathias Corvin se solda par un échec, face à la
résolution des Tchèques et de leur souverain Georges de
Podiebrad (1465). Même si les théories radicales du hussisme
La vie religieuse

populaire ne subsistaient plus que dans un petit groupement,


l'Unité des Frères (fondée par Pierre Chelcky), l'Église romaine
avait, cette fois, été forcée de s’incliner, d'accepter un mouve-
ment qui, appuyé sur le sentiment national, était trop puissant
pour qu’elle puisse lutter contre lui.

L'état de la recherche
Réprimer ou réformer ?
Le xv® siècle voit l'aboutissement des réformes officialisées par le Concile de Latran IV en 1215: deux
contradictions apparaissent désormais de façon éclatante: en se séparant des États, l'Église n'est-elle
pas, en réalité, devenu à son tour un État? Et l'approfondissement de la foi et de la piété des laïcs
justifie-t-elle une distinction aussi stricte entre le statut des clercs et celui des laïcs?

u'il s'agisse de mouve- eux-mêmes n'échappent pas, tenus pour sorciers: la peur
ments tolérés par l'Église en fin de compte, à une remise du déraisonnable provoque
(observance, frères de la vie en cause. les premières chasses aux
commune) ou de tentatives sorcières (notamment dans le
de réforme (Wyclif, Hus), la vie ‘Église s'efforce donc Dauphiné entre 1424 et 1445)
religieuse connaît donc à la fin de mieux contrôler les et cette « croisade des gens
du Moyen Âge de profondes fidèles tout comme ses du livre contre le syncrétisme
mutations. Au cœur de cette propres membres. Juristes paysan » selon l'expression
mutation, l'intériorisation et et inquisiteurs vont peu à de Pierrette Paravy allume les
l'individualisation de l'expé- peu apprendre à repérer et à premiers büûchers. La bulle
rience religieuse apparaissent nommer des comportements Summis desiderantes d'Inno-
comme les raisons essentielles maintenant considérés comme cent VIII légitime cette chasse
de la remise en cause de déviants: les uns seront consi- aux sorcières qui Va ravager
l'institution ecclésiastique. dérés comme hérétiques et l'Europe au xvi° siècle. D'une
Rendu nécessaire par l'évolu- condamnés comme tels, les façon générale, les laïcs ont
tion sociale et notamment le autres, notamment pour des acquis une autonomie et une
développement des villes, le pratiques superstitieuses responsabilité nouvelles: et
changement a été largement jusqu'ici considérées avec un ceci devait aussi avoir des
encouragé et encadré par simple mépris et désormais répercussions dans le domaine
les ordres mendiants: mais assimilés à la magie, seront culturel.

PS

Bibliographie
L'ouvrage fondamental est ici F. Rapr, L'Église et la Vie religieuse en Occident à la fin du Moyen Âge,
Paris, 1971. Voir aussi J. Le Gorr et R. Rémono, Histoire de la France religieuse, | et Il, Paris, 1988;
A. VaucHez (dir.), Histoire du christianisme, t. VI, Paris, 1990.

Sur la papauté avignonnaise:


Voir Y. Renouaro, Les Relations des papes d'Avignon et des compagnies commerciales et bancaires
(1316-1378), Paris, 1941; B. GuLemaIN, La Cour pontificale d'Avignon, Paris, 1962 et Les Papes
d'Avignon (1309-1376), Paris, 1998; J. CHiFFOLEAU, Les Justices du pape, Paris, 1984.
PARTIE 3 # La fin du Moyen Âge (xv°-xv° siècles)

Sur le Grand Schisme:


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e d'Occident, 4 vol., Paris, 1896-1902 et
Paris, rééd., 1982; N. Vauors, La France et le Grand Schism
e d'Occident, Paris, 1966.
J. Faver, Les Finances pontificales à l'époque du Grand Schism
Paris, 1909; J. Gr, Constance et Bâle-
Sur la crise conciliaire: N. Vauors, Le Pape et le Concile,
G. Dumeice, Paris, 1962. Des textes
Ferrare, dans Histoire des conciles œcuméniques dirigé par
0. The Conciliar Response to the
utiles dans C.M.D. Crowoer, Unity, Heresy and Reform 1378-146
Great Schism, Londres, 1977.
du gallicanisme, 2 vol.
Sur les relations de la papauté et de la France: V. Marrin, Les Origines
épiscopa les et schismes diocésains en France
Paris, 1939; V. Juueror, Ÿ a un grand désordre : élections
sous Charles VIII, Paris, 2006.

Sur le peuple chrétien et le sentiment chrétien:


Rome, 1981 ; J. TOUSSAERT,
Voir A. VaucHez, La Sainteté en Occident aux derniers siècles du Moyen Âge,
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Le Sentiment religieux en Flandre à la fin du Moyen Âge, Paris, 1963; J. CHiFFoLEA
des fidèles au Moyen
de l'au-delà, Rome, 1980: Faire croire, Rome, 1981 et L'Encadrement religieux
cité. Micheline de Pesaro,
Âge jusqu'au concile de Trente, Paris, 1985; J. DaLarun, La Sainte et la
s médiévales dans
Rome, 1992 ;M. Ruain, Corpus Christi, Cambridge, 1991 ; C. VINCENT, Les Confrérie
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dans le Midi de la France (vers 1320-vers 1520), Paris, 1997 ; H. Marnin, Le Métier de prédicat
. Évêques, fidèles et déviants
1988, et P. Paray, De la Chrétienté romaine à la réforme en Dauphiné
(vers 1340-vers 1530), 2 vol., Rome, 1993.

Sur Jeanne d'Arc, voir G. et A. Dusrv, Les Procès de Jeanne d'Arc, Paris, 1973 et C. BEAUNE, Jeanne
d'Arc, Paris, 2004.

Sur les hérésies:


J. Le Gorr (éd.), Hérésies et Sociétés (cité p. 186) et G. Lerr, Heresy in the later Middle Age, 2 vol.
Manchester, 1967: R. MucHemeLen, Une Histoire du Diable, Paris, 2002.
t

Sur Wyclif, K.B. McFarLaAnE, John Wycliffe and The Beginnings of English Non-Conformity, Londres,
1972 ; surtout une vision d'ensemble indispensable dans A. Hupson, The Premature Reformation,
Oxford, 1988.

Pour le hussisme, voir P. De Vocr, L'hérésie de Jean Hus, Louvain, 1960; J. Macek, Jean Hus et les
traditions hussites, Paris, 1973: F. SmaHet, La Révolution hussite, une anomalie historique, Paris,
1985.

Sur les béguines et beghards, J.-CI. Schmirr, Mort d'une hérésie. L'Église et les clercs face aux
béguines et aux beghards du Rhin supérieur du x au xw siècle, Paris, 1978.

Sur les débuts de la Réforme:


Voir F. Rapr, Réformes et Réformation à Strasbourg, 1450-1525, Paris, 1974.

Sur les relations avec l'État:


Voir J.-Ph. Gener et B. Vincenr, État et Église dans la genèse de l'État moderne, Madrid, 1987 et
J. Niero-Sonia, lglesia y genésis del estado moderno en Castilla :1369-1480, Madrid, 1993.
Le mouvement des idées
et la vie artistique

Aux alentours de 1400, et spécialement en Italie, les historiens ont perçu une mutation, essentielle-
ment culturelle, qu'ils ont dénommée « Renaissance », empruntant le terme au peintre et critique
Vasari qui l'employait déjà au milieu du xvi° siècle. En fait, si le terme est commode, on reconnaît
aujourd'hui que la « Renaissance » a été un mouvement de longue durée, qui a affecté l'Europe
entière, et dont les manifestations culturelles, pour spectaculaires qu'elles soient, renvoient en pro-
fondeur à des évolutions sociales, politiques et religieuses que nous avons déjà analysées. Trois de
ces évolutions doivent être ici rappelées: le développement des États nationaux, gros consomma-
teurs d'administrateurs compétents, et qui ont donc fait appel à des juristes laïcs mais néanmoins
formés à l'université et cultivés; autour d'eux, autour des riches marchands qui brassent des affaires
complexes, autour des cours plus nombreuses et plus brillantes a pris son essor une culture laïque,
et ce dans un cadre national, tenant donc compte des langues nationales. Ensuite, le poids relatif
des villes et donc des préoccupations bourgeoises s'est fortement accru. Enfin, la religiosité s'est
faite à la fois plus exigeante et plus individuelle, entraînant hommes et femmes de ce temps dans
une recherche, une remise en cause des idées reçues qui culminera avec la Réforme au début du xvi°
siècle, mais dont les racines plongent dans les débats religieux et intellectuels du xiv® siècle. La cour,
la ville, la découverte enfin de l'expérience individuelle se conjuguent ainsi pour donner naissance
à des expressions artistiques originales.

. Le mouvement des idées et la Renaissance

& Le développement d’une culture laïque


La naissance de la culture laïque a même été perceptible au
sein de l’Église. Le gouvernement « monarchique » de l'Église,
le développement d’une fiscalité complexe et la nécessité de
gérer les États pontificaux ont amené l’Église à privilégier dans
son recrutement interne les juristes aux dépens des théolo-
giens. Encore très vivantes au xiv‘ siècle, les facultés de théo-
logie sont en crise au siècle suivant. Le clerc qui voulait réussir
étudiait à l’université le droit (droit canon, mais aussi droit
civil car le service de l’État était un débouché alléchant) et
non plus la théologie. Au xv: siècle le droit fait la fortune des
universités, envahies par les laïcs. Lorsque les universités sont
incapables de s'adapter à la nouvelle situation, des institutions
apparaissent qui les concurrencent victorieusement: ainsi en
Angleterre, les Inns of Court où les rejetons de la gentry et de
la riche bourgeoisie s’initient aux subtilités du droit anglais. PR
D'ailleurs, si un grand nombre d'universités nouvelles appa- A
raît aux xiv° et xv° siècles, c’est souvent à l'initiative d’un p.213.
prince qui veut former les cadres de son administration et de
son gouvernement :à cet égard, l’université d'Avignon fondée
par la papauté n’est guère différente de celle d'Aix-en-Provence
qui formait les serviteurs de la maison d'Anjou, de celle de
Dôle (États bourguignons}, de celles de Caen et de Bordeaux
PARTIE 3 & La fin du Moyen Âge (xv®-xv° siècles)

s (duché de
(domaines français du roi d'Angleterre}, de Nante
Bourges) ou
Bretagne}, de Poitiers (pour Charles VII replié à
de St. Andrews (Écosse).
qui les
Beaucoup de ces universités ne survivront pas aux États
univers ités dans
ont suscitées. Les conséquences de l'essor des
plus
l’Empire et dans le monde germanique s'avèrent beaucoup
aussi, pour répondr e à des besoins poli-
importantes: nées, elles
IV de
tiques comme l’université de Prague fondée par Charles
sent un
Luxembourg, empereur et roi de Bohème, elles connais
ent qui vide Paris et
rapide essor avec le Grand Schisme d'Occid
les universités clémentistes de leurs étudian ts alleman ds: Erfurt
(1379), Vienne (1384), Heidelberg (1385) progressent rapidement,
n
Cologne connaît une nouvelle vie, et le mouvement de créatio
se poursuit au xv° siècle sous l'impulsion, à nouveau, des Etats
princiers, avec Leipzig (Saxe, 1409), Louvain (Brabant, 1425),
Fribourg (Bade, 1455) et des cités (Bâle, 1459). Cet essor se conju-
gue avec les mouvements religieux évoqués au chapitre précé-
dent (devotio moderna) pour donner à la vie intellectuelle dans
les pays d'Empire et notamment les villes d'Empire un éclat et
une intensité exceptionnels: il n’y a rien de surprenant à ce que
les premiers imprimeurs aient été allemands.
Le développement des États explique aussi la « Renaissance ».
Les administrateurs qu'emploient les États ont souvent reçu une
formation juridique universitaire: ainsi naît et croît un milieu
cultivé mais laïque. La nécessité de posséder une solide culture
s'impose à ceux qui exercent une « profession » (médecins,
juristes, etc.) et à ceux qui entendent faire carrière au service
du roi. Il faut aussi aux marchands et aux hommes d’affaires,
au moins en Italie, un solide bagage de connaissances. Ce sont
des juges et des notaires de Padoue (Lovato Lovati, mort en 1309
et Albertino Mussato, mort en 1329] et de Vérone qui ont les
premiers commencé à rechercher les textes latins oubliés ou
perdus et en ont réutilisé les formes, les idées et les thèmes
antiques pour les appliquer à des situations contemporaines.
Des disciplines jusque-là négligées retiennent l’attentiontd'un
public cultivé laïque: les mathématiques, l’histoire, la géogra-
phie par exemple. En outre se développe le fait littéraire: il existe
un public qui ne se résume plus au clergé et à l'aristocratie cour-
DaNTE (1265-1321) : ce noble toise. Dante, Boccace, Chaucer, ou Christine de Pisan sont déjà
florentin, très cultivé bien que des gens de lettres au sens moderne du terme, même si l'Anglais
laïc, est un immense poëte qui et la Française doivent à la cour leur position. Écrivant dans ce
impose le toscan comme la
langue littéraire de l'Italie. Il
cadre, pour un public plus nombreux et qui n'a pas toujours
compose sa Divine Comédie autant de culture qu'eux, la plupart de ces auteurs sont bilin-
en exil, mais aussi une impor- gues, voire trilingues: ils écrivent en latin, mais aussi dans les
tante œuvre latine, exaltant différentes langues vernaculaires. Dès le xmr‘ siècle, une littéra-
l'humanitas, les valeurs
ture en français s’est développée, suivie de peu par l'Italie (Dante)
d'humanité (raison, courage,
amour de la beauté). et, plus tard, par l'Allemagne, l'Espagne et enfin l'Angleterre —
où l'aristocratie a longtemps été francophone. Il s’agit bien d’une
littérature, au sens moderne du terme, et non plus de poèmes
destinés à être dits et non lus, comme dans le cas des chansons
de geste. Et pour ce nouveau public, on se met à traduire les
textes de l'Antiquité, et même les textes religieux ou scienti-
fiques, jusqu'ici accessibles aux seuls clercs.
Le mouvement des idées et la vie artistique

M La mort de la scolastique
Enfin, si l’Église a abandonné sa domination sur la vie intel-
lectuelle, c'est aussi qu’elle n'avait peut-être plus grand-chose
à proposer. La théologie connaît en effet une grave crise. La
synthèse thomiste, dont les succès ultérieurs ont fait sures-
timer l'influence immédiate, a surtout fourni une base pour
de nouvelles discussions. Le xiv° siècle a vu se produire de
violentes luttes doctrinales. Duns Scot (1266-1308) et
Guillaume d'Ockham (1300 ?-1348) refusent l'équilibre que
saint Thomas avait essayé d'établir entre raison et foi. L'un
comme l’autre, ils estiment qu'il s’agit d’un scandaleux rétré-
cissement de l'absolue liberté divine. Mais à partir de là ils
prennent des chemins opposés. Pour Scot, l’homme accède à
la connaissance par les essences, les idées, qui ont une réalité
qui nous vient de l’illumination de notre esprit par la grâce
divine, même si cette illumination n’a laissé que des traces
ténues, ce qui nous oblige à lutter sans cesse à la fois pour
aller vers le bien et pour acquérir la connaissance. Pour
Ockham, nous sommes totalement privés de la lumière divine
- nous ne savons de Dieu que ce que nous dit le message divin,
la Bible, qu'il faut donc étudier de près — et nous devons partir
de ce que nous observons par l'expérience sensible, si trom-
peuse soit-elle. Or, cette expérience ne peut être que du sin-
gulier, de l’individuel: pour Ockham, les idées ou les essences
ne sont que des mots, des noms et leur existence est purement
linguistique: il est nominaliste. Pour Scot, les idées, les
essences, ont une réalité; c’est un réaliste. Mais on voit bien RÉALISME: il reconnaît une réa-
qu'au-delà de cette opposition fondamentale, les deux philo- lité aux espèces, alors que le
: : N : nominalisme estime GUÉIEETÉ
sophes insistent sur le problème de la connaissance; leur réalité s'arrête aux mots qui
; 11526 à j dr .
théologie irrigue leur philosophie, et celle-ci, à son tour, rigou- désignent les espèces.
reuse et exigeante, appelle une méthode qui permet de déjouer
les illusions des sens: la logique, les mathématiques et la phy-
sique connaissent un développement prodigieux, que les uni-
versitaires qui en sont les auteurs soient réalistes ou
nominalistes. Les deux grandes universités d'Oxford
(Bradwardine, Burley, Dumbleton, Heytesbury) et de Paris
(Autrecourt, Buridan, Oresme] connaissent un véritable âge
d’or dans ces domaines, interrompu pour Paris par le Grand
Schisme et le départ des urbanistes, pour Oxford par la crise
du wycliffisme. Ajoutons que l’exégèse biblique progresse
aussi, notamment avec les travaux de Nicolas de Lyre.

Mais au xv: siècle la baisse de niveau intellectuel est évidente:


à part Gerson, Gabriel Biel et Nicolas de Cues (déjà un huma-
niste à part entière), on ne peut citer de grands noms. La sco-
lastique devient une machine desséchée qui tourne à vide; la
théologie a d’ailleurs été si intimement mêlée aux hérésies
que l'Église semble la craindre. Au milieu du xv‘ siècle, lorsque
Reginald Pecock entreprend de réfuter par une solide argu-
mentation théologique les thèses des lollards, il est condamné
par ses pairs, car l'on estime que par le seul fait d'engager un
débat public avec des hérétiques, il risque de réveiller l’hérésie
qu'il prétend combattre.
PARTIE 3 La fin du Moyen Âge (xv°-xv‘ siècles)

M Qu'est-ce que la Renaissance ?


sance. Le
Dans ce vide laissé par l’Église est née la Renais
ion: chez ceux qui l'ont emplo yé les pre-
terme prête à confus
il désign e la redéco uverte de l'Anti quité. Or on a eu
miers,
quité n’était
beau jeu de démontrer que la redécouverte de l'Anti
Partout on
pas, en soi, un phénomène purement renaissant.
siècle:
s'est intéressé au monde antique, dès le début du xiv°
ronico n de Ranul ph Higde n fait une place consid é-
le Polych
de Richar d de
rable à l’histoire ancienne, et le Philobiblon
menti onne nombr e de clas-
Bury, sorte de bibliothèque idéale,
s de
siques. Pourtant, ni Higden ni Bury ne sont des homme
sance! Hans Baron précis e la date d'appa rition et la
la Renais
Floren ce autour de
nature de la Renaissance: tout se passe à
rs expri ment une moral e
1400, lorsque écrivains et penseu
le l'enga gement actif dans la vie publiq ue a
neuve pour laquel
autant de valeur que pouvai ent en avoir les vertus de renon-
cement prônées par le Moyen Âge classique. À cet égard, l’évé-
nement essentiel est la découverte par Pétrarque à Vérone, en
1345, des lettres à Atticus de Cicéron, du Cicéron politique,
complètement inconnu aux médiévaux; ainsi ce philosophe,
dont on admirait tans les méditations telles que le De
Senectute, avait mené une vie agitée, entièrement dévouée à
la « respublica » ! Les Florentins Coluccio Salutati (1331-1406)
et Leonardo Bruni en tirèrent les conséquences et firent de
lui l'idéal de la Renaissance: ainsi naquit à Florence l’ « huma-
nisme civique », moteur essentiel de la Renaissance. Si ces
hommes se sont penchés sur l'Antiquité, c'est qu’elle seule
pouvait leur donner la base culturelle nécessaire à leur vie
professionnelle: Bruni, chancelier de Florence depuis 1427,
rédige les lettres de propagande qui répandent l'idéal de liberté
que prône la cité guelfe face à son ennemi mortel, Milan. Le
concept est déjà tout formé chez Cicéron, et le magnifique
latin de Bruni est à lui seul une source de prestige pour
Florence. Toutes les chancelleries italiennes sont bientôt
peuplées d’humanistes.

& L'humanisme

Ces hommes ne s’inspirent plus des seules sources chrétiennes.


Ils puisent chez les Latins, les Grecs et les Juifs. Dans cette
perspective, l'union des Églises (concile de Florence) a permis
une meilleure compréhension de l'Antiquité grecque: le car-
dinal Bessarion avait apporté avec lui de nombreux manuscrits
et les Grecs qui l’accompagnaient avaient transmis leurs
connaissances à leurs hôtes italiens. Le xv° siècle est le siècle
de Platon: de lui viennent le spiritualisme idéaliste d'un
Marsile Ficin et la vision mathématique de l’univers qui carac-
térise l’'humanisme de la Renaissance: on est loin de la morale
chrétienne. Pour Pic de la Mirandole, l’homme a le pouvoir
de faire l'ange ou de faire la bête: sa volonté précède sa nature.
Nourris à des sources depuis longtemps oubliées, ces hommes
se sont pourvus d'instruments linguistiques perfectionnés
pour projeter sur les textes une lumière destructrice (démons-
Le mouvement des idées et la vie artistique

tration de la fausseté de la Donation de Constantin] ou révé-


latrice (réévaluation de Cicéron et d’Aristote].
Ce mouvement connaît une rapide expansion. D'abord, il a sa
marque distinctive: le style latin. Paradoxalement, le latin
savant et raffiné des hommes de la Renaissance est le contre-
coup du développement des langues vulgaires. S'il ne s'agit
que de faire comprendre, de rédiger des documents pratiques,
ou s’il faut chercher à atteindre un large public, elles feront
l'affaire; s’il s’agit de convaincre les élites cultivées, qui se
reconnaissent précisément par cette langue épurée, alors il
faut le latin des humanistes.
Dès le règne de Charles V, un groupe d’humanistes est apparu
en France autour du collège de Navarre et de la chancellerie
(Nicolas de Clamanges, Jean Muret ou Gerson lui-même)
rivalisant avec les Italiens. Mais le schisme coupe les contacts
et durant tout le xv° siècle, les humanistes italiens sont recher-
chés par tous les princes européens et les hommes cultivés,
répandant la nouvelle culture: comme Paul-Émile en France,
Tito Livio da Forli en Angleterre ou Aeneas Silvius Piccolomini
(le futur pape Pie II) dans l’Empire.
En effet, la vocation d’éducateur qui a été celle de nombreux
humanistes leur a permis de se faire leurs propres propagan-
distes. Anglais, Français viennent en Italie où brillent les
écoles de Vittorino de Feltre à Mantoue [de 1423 à 1446) et de
Guarino da Verona à Ferrare (de 1429 à 1460). Mais le boule-
versement n'aurait pas été si profond si plusieurs éléments de
l'humanisme italien n'avaient pas trouvé des correspondants
ailleurs en Europe: nous avons déjà parlé de l'intérêt pour
l'Antiquité, en France et en Angleterre, du spiritualisme des
Frères de la Vie Commune aux Pays-Bas et en Rhénanie; un
vaste public existait que pouvait satisfaire une morale qui
valorisait l’activité laïque et son aspect héroïque (la virtü).
Surtout, l'humanisme a su profiter de la nouvelle invention, p.277.
l'imprimerie. Nous avons vu les modalités techniques et
industrielles de celle-ci: nous voyons maintenant qu’il exis-
tait aussi un vaste marché et un besoin intellectuel et reli-
gieux. Cela est d’ailleurs perceptible dans l’évolution du livre
manuscrit qui acquiert avant même l'invention de l'imprime-
rie certaines caractéristiques que nous retrouverons dans la
production du livre: différenciation des produits en fonction
du public visé, effort pour réaliser de grandes quantités de
textes (lollards en Angleterre, frères de la vie commune aux
Pays-Bas}, tendance à la normalisation des textes, à l’augmen-
tation du nombre de caractères à la page, développement d’une
ponctuation facilitant la lecture silencieuse. Les humanistes
ne sont pas les seuls à bénéficier de la nouvelle invention, qui
facilite le développement de la littérature vernaculaire. Mais
philologues avertis, ils s'assurent rapidement le marché de
l'édition des textes classiques latins. Vérone, Brescia, Rome,
Florence et surtout Venise monopolisent ce fructueux marché
comme celui des textes juridiques, les imprimeurs germa-
niques (Bâle, Mayence, Cologne, Strasbourg) devant se
PARTIE 3 æ La fin du Moyen Âge (xv®-xv' siècles)

gie et une
contenter de textes religieux. Une nouvelle idéolo
commu nicat ion: la Réfor me allait
nouvelle technologie de
t produire.
bientôt montrer ce que cette conjonction pouvai

IL. L'art de la fin du Moyen Âge


es
Les patrons des arts, au xl siècle, si l’on excepte quelqu
des rois ou des grands seigneu rs
cités italiennes, ne sont que
est plus de même aux xIv° et xv° siècles :
et des clercs. Il n’en
bourgeo is et riches marcha nds les rejoign ent avec des valeurs
et des goûts différents de ceux de leurs devanciers. Les heurs
et les malheurs de telle ou telle région jouent également dans
la répartition des influences: le gothique perd son caractère
français, se morcelle en écoles régionales, tandis que la Flandre
et l'État bourguignon d’un côté, l'Italie de l’autre, pôles du
développement commercial, sont aussi les centres artistiques
les plus brillants. Enfin, une redistribution s'opère dans la
hiérarchie des arts: l'architecture perd une partie de son rôle
pilote; la peinture devient un élément moteur de l’évolution
artistique. D’autres arts, comme la musique, s'individualisent
et sortent de l’ombre.

& La Renaissance enltalie


La peinture
L'art le plus neuf est celui de la Renaissance italienne. La
peinture a été l’art initiateur: d’abord simple continuation de
la peinture byzantine, elle s'est, dès le début du xiv* siècle,
singularisée avec ses peintres florentins (Cimabue, actif
jusqu'en 1302, Giotto, 1267-1337) et siennois (Duccio, 1318,
Simone Martini, 1284-1344 et les frères Lorenzetti, actifs de
1320 à 1348). Par rapport aux Byzantins, ces peintres ont voulu
suivre leur imagination personnelle, et sacrifier à l'esthétique
gothique, introduisant par là un certain réalisme dans leur
peinture. L'un des plus grands chantiers de la fin du Moyen
Âge, celui de la basilique d'Assise élevée par l'Ordre francis-
cain en l'honneur de saint François, est le laboratoire où s'éla-
borent les nouvelles normes de représentation: le Saint
François de Giotto et des nombreux peintres qui ont travaillé
avec lui aux fresques de la basilique est un saint individualisé,
dont la peinture s'attache à rendre visuellement le caractère.
Les fresques ne se contentent pas de présenter des figures
symboliques, elles développent une narration suffisamment
réaliste pour que toutes les images puissent être comprises
au premier niveau par le spectateur. Là sont faites les premières
tentatives de perspective sous l'impulsion des franciscains qui
ont acquis une grande maîtrise dans le domaine de l'optique;
la bibliothèque scientifique d'Assise est exceptionnelle et un
professeur d'Oxford, John Peckham, a enseigné à la Curie
pontificale et au couvent d'Assise les théories des savants
arabes sur l'optique et la perspective. Les réalisations de Giotto
et des peintres d'Assise sont connues de leurs successeurs,
Le mouvement des idées et la vie artistique

mais les commanditaires de leurs œuvres n'ayant plus les


mêmes exigences en matière de narration réaliste et de pers-
pective, l'innovation dans ces directions s'arrête. Les peintres
de la seconde moitié du xiv° siècle ont surtout insisté dans
leurs œuvres sur le décor gothique, se contentant de diversi-
fier la gamme des couleurs et de perfectionner les techniques
de la fresque. Ainsi ont vu le jour en Toscane des œuvres poé-
tiques et d'une forme achevée, mais qui n’ont guère fait avan-
cer les choses depuis l'époque de Giotto (Lorenzo Monaco,
mort en 1425, Gentile da Fabriano, Pisanello, et surtout Fra
Angelico, 1387-1455).

L'architecture
La peinture italienne semble avoir alors perdu l'initiative.
L'architecte Brunelleschi (1377-1446), qui travailla à l’édifica-
tion de la coupole de la cathédrale de Florence, reprit le flam-
beau abandonné par les successeurs de Giotto. Il proposa, en
fait, une nouvelle conception de l’espace: sa coupole n’enfer-
mait pas un espace clos; elle était, au contraire, une ouverture.
Sa tension vers le haut, ses facettes, mettaient en relation l’es-
pace intérieur de la cathédrale avec le ciel, avec l'univers.
L'espace était décomposé de façon rationnelle et le travail de
l'architecte consistait à en concevoir une organisation elle-
même rationnelle. Ces idées développées et liées au courant
humaniste par Léon Battista Alberti (1404-1472), employé à la
Curie romaine, architecte de la façade de Santa Maria Novella
et du Palazzo Ruccellai à Florence, eurent une profonde
influence ;non seulement les statuts de l’art et de l'artiste (qui
n'était plus un simple technicien] en furent transformés, mais
encore les artistes découvrirent le problème auquel ils étaient
confrontés: la reconstruction d’un espace qui corresponde à
la nouvelle compréhension du monde, celle des humanistes
du xv° siècle: il s’agit de construire mathématiquement l’es-
pace, de lui donner un rôle structurant, qu'il s'agisse d’une
mise en volume (sculpture, architecture), ou de l'exploitation
d’une surface plane (dessin, peinture).

Le triomphe de la Renaissance italienne


Divisés politiquement, les États italiens, à commencer par
Milan, Venise et Florence, se livrent une concurrence idéolo-
gique et artistique acharnée. À Rome, les papes ont ouvert, dès
la fin de la crise conciliaire, un gigantesque chantier de recons-
truction, qui comprend leur propre palais au Vatican et de nom-
breuses églises et monuments civiques: ils font appel à des
artistes venus de toute l'Italie. Les cours princières secondaires
(Montefeltre à Urbino, Este à Ferrare, Gonzague à Mantoue,
Malatesta à Rimini) ne sont pas en reste. Ces cités, leurs princes
et leurs élites dirigeantes se lancent donc dans une débauche
de constructions et de décorations; palais, églises, hôpitaux,
ponts et fortifications, pourvus de sculptures et de fresques,
confèrent à l’espace urbain une extraordinaire splendeur monu-
mentale. Si, pour atteindre cet objectif, les artistes doivent
répondre très exactement aux demandes précises que formulent
leurs commanditaires, ils n’en sont pas moins déterminés à
PARTIE 3 æ La fin du Moyen Âge (xv®-xv° siècles)

ualise
faire triompher leur propre « manière », qui les individ
misme du « gothiqu e
et fait leur célébrité. Alors que le confor
entre l’artist e et le spectat eur, l'art
international » s’interposait
le
de la Renaissance exige au contraire que l'artiste prenne
risque d'affir mer sa personn alité.
par
Le Quattrocento (c'est-à-dire le xv° siècle] est ainsi marqué
une pléiade d'artist es excepti onnels. Les sculpte urs toscans
Donatello (1386-1466) et Verrochio (1435-1488] et des archi-
tectes, comme les Florentins Michelozzo (1396-1472), Filarete
[1400-1469] et Giuliano da Sangallo (1443-1516), ainsi qu'un
architecte formé à la cour des Montefeltre à Urbino, Donato
Bramante (1444-1514), qui travaille surtout à Rome et à Milan,
se sont immédiatement inspirés de Brunelleschi et diffusent
rapidement dans toute l'Italie la technique et le style nouveaux.
Chez les peintres, ceux-ci sont mis en œuvre de façon éclatante
par Masolino (1383-1447) et surtout par son élève Masaccio
(1401-1428] dans les fresques de la chapelle Brancacci au
Carmine de Florence, mais il faut attendre plusieurs décennies
pour que les peintres reprennent pour leur compte le travail
de réflexion sur l’espace, la perspective et la représentation
spatiale. Le Florentin Paolo Uccello (1397-1475) peint ainsi pour
les Médicis la Bataille de San Romano en trois panneaux où
il expérimente des solutions totalement originales mais qui
resteront sans lendemain, tandis qu’à la cour des Montefeltre
à Urbino le Toscan Piero della Francesca (1410/20-1492) reprend
les idées de Brunelleschi et d’Alberti non seulement dans ses
œuvres, mais aussi dans ses traités de mathématique à l'usage
des peintres et des marchands: il manie avec virtuosité les
techniques les plus raffinées de la construction spatiale, et son
influence sur les autres peintres, notamment son élève Luca
Signorelli (1445-1523) qui décore la cathédrale d'Orvieto, sera
déterminante. Une autre cour princière, celle des Gonzague à
Mantoue, donne aussi l’occasion au Padouan Andrea Mantegna
(1431-1506) d'expérimenter ses propres solutions.
Ces nouvelles approches sont reprises par les artistes apparte-
nant aux deux grandes écoles de peinture qui dominent alors
l'Italie. Florence, avec Filippo Lippi (1406-1469), Andrea del
Castagno (1419-1457), Benozzo Gozzoli (1420-1497), Domenico
Ghirlandaio (1449-1494) et Sandro Botticelli (1445-1510) connaît
une extraordinaire vitalité, en raison de l’importance des com-
mandes passées par les Médicis et les grandes familles mar-
chandes. Le style des peintres de l’'Ombrie, le Pérugin (1448-1523)
et le Pintoricchio [1454-1513] est très proche de celui des
Florentins, avec lesquels ils travaillent souvent. Venise, dont
les peintres bénéficient de riches commandes à Venise même
mais aussi à Padoue, Vicence, Vérone et Trévise, possède de
grands peintres comme Jacopo Bellini (1395-1471) et ses fils
Gentile (1429-1507) et Giovanni (1425-1516), beaux-frères de
Mantegna, et Vittore Carpaccio (1465-1526) ; l'école de Ferrare
se rapproche de celle de Venise. Un seul peintre italien, le
Napolitain Antonello de Messine (1430-1479), s'inspire des
techniques et du style des peintres flamands; pourtant, il ne
faut pas oublier que la peinture flamande est connue et
Le mouvement des idées et la vie artistique

appréciée en Italie: ainsi, Juste de Gand est l’un des peintres


de la cour d'Urbino. Enfin, il y a une continuité totale entre
ces artistes du Quattrocento et leurs successeurs: Verrochio
est le maître de Léonard de Vinci, le Pérugin celui de Raphaël,
les Bellini ceux de Giorgione et du Titien. Ici plus qu'ailleurs,
la coupure de la fin du xv° siècle est absurde!
Une nouvelle notion de l’espace
Encore faut-il apprécier ce bouleversement à sa juste valeur. Pour
l'historiographie classique, la nouveauté, c'est « l'adoption du
système de représentation “vraie” des choses par le moyen de
la perspective linéaire ». Francastel a contesté cette affirmation:
tout d’abord il nie qu'il y ait un espace en soi, dont on ait pu un
beau jour découvrir la représentation parfaite. Il y a seulement
une certaine vision du monde et de l’espace, propre à une société
donnée, dont le « milieu visuel » est reflété de façon privilégiée
par la peinture. Ensuite, on a mal distingué l’œuvre de
Brunelleschi de celle d’Alberti: ce dernier a limité la pensée de
Brunelleschi; or, si les architectes ont joué un rôle primordial
au début du Quattrocento, ce rôle a été pour la plus grande part
« théorique » : c'est dans l'atelier des peintres que les nouvelles
formules ont été expérimentées, les grands bâtiments de la
Renaissance ne s'édifiant qu’à la fin du xv° siècle; et certains de
ces peintres, à commencer par Piero della Francesca, sont reve-
nus directement à la source, à Brunelleschi. Sur le plan tech-
nique, conclut Francastel, « la découverte fondamentale du
Quattrocento n’a donc pas été l'emploi de la perspective linéaire
au sens à la fois limité et universel que lui a donné Alberti, mais
le principe du jalonnement en profondeur d’un espace conven-
tionnel ». La perspective n’a rien de naturel: comme le dit Erwin
Panofsky, c’est une « forme symbolique », choisie parce qu’elle
correspond aux aspirations d’une société donnée et de sa culture.
Comme celui de toute époque, l’art de la Renaissance italienne
reproduit la vision spécifique de sa société: il se trouve que,
grâce aux efforts des humanistes, et sous l'influence platoni-
cienne, cette vision du monde est largement pénétrée de prin-
cipes mathématiques, qui permettent de donner une réalité à
la représentation de la lumière et de l’espace, qui deviennent
les forces structurantes de l'architecture et de la peinture.
Della Francesca, Alberti, Brunelleschi participent d'un mou-
vement qui est aussi bien celui des sciences et de la philoso-
phie que celui des arts; l’œuvre peinte d'un Piero della
Francesca est éclairée par les traités théoriques de l'artiste.
Dans le reste de l’Europe: France, Angleterre, Espagne
Dans le reste de l’Europe, l'art gothique s'est diversifié: en
France, il a pris la forme du gothique flamboyant, dont on
trouve les plus beaux édifices en Normandie (Elbeuf, Louviers,
Mantes, Rouen). En Angleterre, au contraire, le style perpen-
diculaire l’a emporté: dans l’un et l’autre cas, la complexité
des voûtes est remarquable, mais si la tension vers le haut est
conservée par une exubérante décoration dans le flamboyant,
le perpendiculaire joue sur les rythmes des façades et le dessin
des nervures (piliers qui s'ouvrent en « palmier », etc.]. Parmi
PARTIE 3 # La fin du Moyen Âge (xv°-xv® siècles)

de
les plus beaux monuments perpendiculaires se distinguent
dge. Le gothiq ue
nombreux collèges d'Oxford et de Cambri
subit
flamboyant se répand dans l’ensemble de l’Europe, mais il
ormati ons. Dans les Pays-Ba s, en
de nombreuses transf
et jusqu’e n Italie du Nord (cathéd rale de Milan) on
Allemagne
l’adapte à la forme qui a la faveur des architectes: celle des
Hallenkirchen, les églises à trois nefs égales. Ailleurs les chan-
gements, sous l'influence des traditions locales, sont plus pro-
fonds. Le gothique vénitien vivifie par le décor flamboyant les
schémas byzantins (la Ca’ d'Oro). En Espagne, où la Catalogne
reste fidèle à un gothique rigoureux, les artistes de la Castille
et de l’Aragon fondent dans l’exubérant style mudéjar éléments
gothiques et éléments islamiques (cathédrale de Séville, 1432) ;
au Portugal le monastère de Batalha offre le plus bel exemple
du style manuelin (du nom du roi Manuel, 1495-1521).

HE L'art flamand
L'Europe du Nord-Ouest, où la création artistique s’est concen-
trée autour des princes et des élites urbaines, est elle aussi
restée fidèle au gothique. Le style gothique est devenu celui
par excellence de la cour de Paris, et les cours alliées ou
parentes des Valois l'ont adopté comme marque de distinction.
Les Luxembourg l'ont répandu en Allemagne et à partir de
Prague dans toute l’Europe centrale et les artistes de Charles
IV, notamment les membres de la famille Parler, vont en faire
un art allemand. C’est aussi dans les châteaux des ducs Valois
de Bourgogne et du duc de Berry (et pour leurs collections) que
s’est préparée l’éclosion de l’art flamand: des miniaturistes
comme les frères de Limbourg réalisent les Très Riches Heures
du duc de Berry, le Bruxellois Claus Sluter (1350-1406) vient
travailler aux tombeaux des ducs de Bourgogne à la chartreuse
de Champmol et y élève le Puits de Moïse. La miniature fait
office de laboratoire: de cette origine vient l’une des caracté-
ristiques flamandes, la préciosité de la couleur et la richesse
des teintes; les Italiens, formés à la fresque, ont longtemps
évité les tons foncés ou soutenus, jusqu'à ce que, sous l'in-
fluence des Flamands, Antonello da Messina et les Vénitiens
donnent à la couleur une valeur nouvelle.
Mais l’art flamand, bien qu'il reste fidèle au décor gothique et
paraisse, à première vue, plus « médiéval » que « renaïissant »,
exprime au même titre que l’art italien l'esprit nouveau de son
époque. Le terreau fécond est ici la religiosité si particulière
des Pays-Bas, qui a donné vie à la devotio moderna, ou à des
mouvements comme ceux des frères de la vie commune, la
congrégation de Windesheim, ou les béguinages (encore qu’il
s'agisse plus d’une atmosphère que de liens institutionnels
entre les artistes et ces groupes). L'originalité flamande réside
dans un double mouvement, en apparence contradictoire: un
réalisme figuratif strict (les larmes, les étoffes, la vaisselle sont
rendues avec une exactitude scrupuleuse), mais combiné avec
un symbolisme poussé. Ainsi, dans le Retable de l’Agneau
Mystique, les fleurs qui parsèment la prairie céleste où trône
l'agneau sont « réalistes », reconnaissables, parce qu’elles ont
Le mouvement des idées et la vie artistique

chacune leur signification précise. Le tableau s'intègre d’autre


part dans l'architecture pour que la messe célébrée dans la
chapelle où il se trouve corresponde au sacrifice mystique
représenté sur le tableau. La rançon de cette structure double
est l'absence de mouvement, le caractère parfois figé des formes;
pourtant la peinture flamande, à son plus haut niveau, est au
même titre que la peinture et l'architecture italiennes un art
novateur, proche de la sensibilité individuelle des chrétiens
des Pays-Bas et de la Rhénanie.
Le peintre Jan Van Eyck, mort en 1441 après avoir été au ser-
vice de Jean de Bavière et surtout de Philippe le Bon, duc de
Bourgogne, a conservé la tradition miniaturiste des couleurs
d’une qualité extraordinaire qui lui ont longtemps fait attri-
buer l'invention de la peinture à l'huile; mais il a aussi rompu
avec l’espace comprimé des miniatures pour introduire, à la
manière italienne, la représentation en perspective. En outre,
s’il travaille pour des princes, il travaille aussi pour des bour-
geois qui veulent se voir représenter exactement (portraits de
donateurs de tableaux d’autels, simples portraits comme ceux
d'Arnolfini et de sa femme) : il est « l'inventeur du portrait
bourgeois ». Paysage exact, portrait précis, perfection de la
couleur, spiritualité profonde: ces qualités font du Retable de
l'Agneau mystique le chef-d'œuvre de la peinture flamande
(1432). Les successeurs de Van Eyck reprirent ses principes,
apportant seulement les qualités propres à leurs personnalités:
la passion et le mouvement de Roger Van der Weyden [1399-
1464] et du Maître de Flémalle {actif vers 1430-1440), la dou-
ceur de Petrus Christus (1420-1473), la violence glacée de
Thierry Bouts (1415-1473), l'invention formelle et le désespoir
halluciné de Van der Goes (1440-1482), l'équilibre de Gérard
David (1460-1523) et de Memling, né en Allemagne, et qui a
fait son apprentissage à Cologne; le mysticisme de la peinture
allemande se rencontrait avec l’art flamand. La Rhénanie, autre
région où prospèrent au xv° siècle les cités commerçantes, est,
en effet, un centre actif de création artistique (Schongauer,
1445-1491 et Matthias Grünewald, 1460-1528). En France, où
la guerre de Cent Ans a détruit les plus belles réalisations, des
écoles brillantes se développent en Provence autour des papes
d'Avignon et de la cour d'Anjou, et dans le Val de Loire; le plus
grand peintre de l’époque est Jean Fouquet (1420-1470/80) qui
travaille pour Charles VII et ses serviteurs (Étienne Chevalier).

BE La musique
Dans le domaine musical, les musiciens français (Philippe de
Vitry, 1291-1361, et surtout Guillaume de Machaut) ont fait
triompher ce que Vitry a appelé l’Ars Nova. La nouvelle musique
rompt avec les règles traditionnelles: les rythmes sont dislo-
qués, les vocalises s'accumulent en toute liberté. Nous avons
là un équivalent du gothique flamboyant, la virtuosité de l’orne-
mentation étant plus importante que la structure de l’œuvre
musicale. L'Ars Nova permit le renouvellement des moyens
d'expression musicaux, même si une virtuosité gratuite
encombre bien des morceaux. Les difficultés de la France
PARTIE 3 & La fin du Moyen Âge (xv®-xv° siècles)

allaient, cependant, provoquer une nette décadence de l’acti-


par
vité créatrice française. L'Ars Nova est épuré de ses excès
[mort en 1450) et par les musi-
un Anglais, Robert Dunstable
(1400-
ciens de la cour de Bourgogne, comme Gille Binchois
: à travers ce filtre anglo- bourgu ignon la musiqu e
1460)
française retrouve sa grandeur grâce à des musicie ns du Nord
comme Guillaume Dufay (1400-1474) et Jean Ockeghem (1434-
1496), un Flamand. Cette école « franco-flamande » s'indivi-
dualise vite, équilibrant la spontanéité de l'Ars Nova par un
contrepoint de plus en plus rigoureux. Alors que l'école bour-
guignonne avec le Brabançon Jakob Obrecht (1450-1505) et le
Flamand Heinrich Isaac (mort en 1517), maître de chapelle de
l'empereur Maximilien, applique à la perfection les formules
anciennes, le plus grand représentant de l’école franco-flamande
Josquin des Prés (1440-1521, musicien des Sforza à Milan, des
Este à Ferrare et de Louis XII), ouvre la voie à la polyphonie
de la Renaissance. L'Allemagne et l'Italie ne devaient s'éveiller
qu’au xvr° siècle à l’art contrapuntique et polyphonique.

L'état de la recherche
Vers la maîtrise du réel
La mutation de l'éducation entamée sous l'impulsion de l'Église qui, pour réaliser la réforme dite
« grégorienne » devait disposer d'éducateurs et de prédicateurs hors pair, a abouti à un profond
renouvellement des savoirs et à l'essor d'une riche culture savante. Mais, parallèlement, les savoirs
se sont diffusés dans un large public, de plus en plus laïc, et les textes en langue vernaculaire se sont
multipliés. Une mentalité et une culture nouvelles caractérisent ainsi la fin du Moyen Âge.

DÉS à partir du écoles urbaines, certains ont culture rencontre aussi des
x siècle, sont apparues fréquenté les universités, pratiques venues des métiers,
ces figures nouvelles qui font d'autres des écoles spécifiques arithmétique et mathématique
toujours aujourd'hui partie de - les /nns of Court anglaises ou des marchands, des arpenteurs
notre civilisation commune: les écoles de notariat italiennes; et des maçons bâtisseufs, des
l'artiste, l’auteur, l'architecte, d'autres enfin se sont contentés cathédrales: tout un savoir
l'ingénieur, l'imprimeur. Dans les d'un apprentissage auprès d'un technique se développe ainsi et
villes, dans les cours princières, maître. Tous savent lire et écrire, engendre un nouveau rapport
dans les grandes églises, ils et beaucoup d'entre eux ont un au réel, qu'il s'agisse d'intervenir
côtoient des juges, des notaires, accès aux textes de la « culture sur lui (les ingénieurs, les maîtres
des médecins, des banquiers, savante », même s'ils se conten- de mines, les architectes) ou de
des grands marchands et des tent le plus souvent d'extraits le représenter (les artistes).
artisans d'un niveau technique et de traductions en langues
élevé (les orfèvres, les armuriers, vernaculaires. Ils y puisent des Kore société diversifiée est
les apothicaires par exemple), idées, des enseignements et irriguée par un système
mais aussi des administrateurs des valeurs qui ne sont plus de communication ouvert:
qui travaillent, au service des celles de la seule Église, même les textes circulent par le livre,
États, des princes et des villes si leurs lectures et leurs médi- d'autant qu'il est, à la fin de
dans les cours de justice ou tations leur permettent aussi notre période, imprimé. Les
dans les chambres des comptes. d'approfondir leur foi et de grands monuments, églises et
Certains de ces hommes sont développer une piété et des palais, sont couverts de repré-
nobles, les autres sont des pratiques dévotionnelles indivi- sentations (sculptures, vitraux,
bourgeois. Après les petites duelles et originales. Mais cette fresques) ; des performances
Le mouvement des idées et la vie artistique

de toutes natures (fêtes, pro- de l'Église, fermement gou- mouvement de long terme
cessions, mystères et pièces vernée par une Papauté réno- qui plonge ses racines dans
de théâtre) culminant en vée. En réalité, une société ce qu'il est convenu d'appeler
général au moment du carna- diversifiée, un nouveau la Réforme Grégorienne et
val et des grandes fêtes reli- rapport au réel, un système tout ce qu'elle instaure: le
gieuses, animent les artères de communication trans- réaménagement des rapports
principales et les espaces formé et ouvert, un espace entre les laïcs et les clercs, les
cérémoniels; les écrits circu- public dynamisé, se sont nouveaux rapports entre le
lent avec une relative liberté. lentement construits depuis pouvoir pontifical et ceux
Certes, ni l'essor des États, ni le xu° siècle, et ont engendré des rois et de l'empereur, et
la timidité des mouvements une profonde mutation de l'importance de l'exercice
réformateurs encore conte- la culture médiévale. Si elle individuel de la piété et de la
nus, ne paraissent remettre en apparaît en pleine lumière dévotion, y compris chez les
cause le pouvoir symbolique dès le xv° siècle, il s'agit d'un laïcs.

Bibliographie
Sur la Renaissance et la fin du Moyen Âge:
Vues d'ensemble dans J.-Ph. Gewer, La Mutation de l'éducation et de la culture médiévale, 2 vol.,
Paris, 1999 et I. HeuLLANT Donar (dir.), Éducation et Culture, Occident chrétien xif-mi-x siècle, 2 vol.
Paris, 1999: voir J. Derumeau, La Civilisation de la Renaissance, Paris, 1973 et deux grands clas-
siques: J. Huzinca, L'Automne du Moyen Âge, avec une préface de J. Le Gorr, Paris, rééd., 1987 et
J. BurkHaror, La Civilisation de la Renaissance en Italie, Paris, rééd., 1958; ainsi que H. Baron, The
Crisis of the Early Italian Renaissance, Princeton, 1966; E. CRouzET-PAVAN, Renaissances Italiennes,
1380-1500, Paris, 2007 :B. Laurioux, Une histoire culinaire du Moyen Âge, Paris, 2005.

Sur le mouvement intellectuel:


J. Le Gorr, Les intellectuels au Moyen Âge, Paris, rééd., 1985; J. BLANCHARD, Commynes l'Européen.
L'Invention du politique, Genève, 1996.

Sur les universités, commencer par J. Vercer, Les Universités au Moyen Âge, Paris, 1973, puis
H. De Riooer-Symoens, À History ofthe Universities in Europe, |, Cambridge, 1992; J. Vercer, Les Gens
de savoir dans l'Europe à la fin du Moyen Âge, Paris, 1997; pour les universités françaises, partir
de S. Guenée, Les Universités des origines à la Révolution, Paris, 1982 et voir J. Vercer, Les Universités
françaises au Moyen Âge, Leyde, 1995; on dispose d'une très bonne histoire de l'université d'Ox-
ford, The History of the University of Oxford, t. 1, par J. Carro, Oxford, 1984 et t. 2 par J. Carro et
R. Evans, Oxford, éd. corrigée, 1995. Pour Paris, voir N. GorocHov, Le Collège de Navarre de sa fon-
dation (1305) au début du x siècle (1418), Paris, 1997 ; Th. Kouamé, Le collège de Dormans-Beauvais
à la fin du Moyen Âge, Leyde, 2005 et J.-P. Bouoer, Entre Science et Nigromancie. Astrologie, divi-
nation et magie dans l'Occident médiéval (x-x” siècle), Paris, 2006.
ce England, New
Pour les écoles, voir N. ORmE, Medieval Schools : from Roman Britain to Renaissan
Haven, 2006 et M. RouckE, Antiquité et Moyen Âge, t. | de L.-H. Parias, Histoire générale de l'ensei-
gnement et de l'éducation, Paris, 1981.

Pour la philosophie:
et J. PinsorG, The
Voir A. De LigerA, La Philosophie médiévale, Paris, 2004. N. KkeTzmanN, A. Kenny
pour la logique et
Cambridge History of Medieval Philosophy, Cambridge, 1982, est essentiel
Age, Paris, 1991, est
l'essor des sciences, mais difficile d'emploi; A. De Ligera, Penser au Moyen
une lecture stimulante.
PARTIE 3 # La fin du Moyen Âge (xv°-xv° siècles)

Pour les débuts du livre:


Voir H.J. Marrin et R. CHarTier, Histoire du livre, t. 1, Paris, 1983.

du livre manuscrit, Paris, 1980.


Sur le livre manuscrit :E. Ornaro et C. BozzoLo, Pour une histoire

, 2 vol. Paris, 2003 (essen-


Pour l'impact de l'imprimerie : E. EISENSTEIN, La Révolution de l'imprimé
191-209) ; également L. FEBvre et
tiel: mais voir l'analyse de R. CHARTIER, Annales ESC, 1981, pp.
le dans H.-J. Marrin, Histoire
H.-J. Marin, L'Apparition du livre, Paris, 1988 et une réflexion d'ensemb
au Moyen Âge,
et Pouvoir de l'écrit, Paris, 1958: M. Ornaro et N. Pons, Pratiques de la culture écrite
Louvain, 1995.

Pour l'art:
l’ordre visuel
Les ouvrages de P. FrancasTez, Peinture et Société, Paris, 1965 et La Figure et le Lieu:
La Perspective
du Quattrocento, Paris, 1967, sont une bonne base de réflexion. Voir aussi E. Panorsky,
d'Occi-
comme forme symbolique, Paris, 1975 et La Renaissance et ses avant-courriers dans l'art
L'hypothèse
dent, Paris, 1976: J. Biaosrocki, L'Art du xv siècle de Parler à Dürer, Paris, 1993 ; D. Raynauo,
d'Oxford. Essai sur les origines de la perspective, Paris, 1998.

Pour l'Italie: voir L. H. HeyoenreicH, Éclosion de la Renaissance, Italie 1400-1460, Paris, 1972; À.
CHasre., Le Grand Atelier. Italie 1460-1500, Paris, 1965 et Renaissance méridionale en Italie 1460-
1500, Paris, 1965, ainsi que Art et Humanisme à Florence au temps de Laurent le Magnifique, Paris,
1961 ; et C. Ginzeurc, Enquête sur Piero della Francesca, Paris, 1983; M. BaxaNDALL, L'Œil du
Quattrocento, Paris, 1985.

Pour l’Europe du Nord-Ouest: voir A. CHareLer et R. RecHT, Le Monde gothique. Automne et renou-
veau, Paris, 1983; E. Panorsky, La Peinture flamande, Paris, 1992 et G. VAN DER Osren et H. VEy, Painting
and Sculpture in Germany and in the Netherlands, Harmondsworth, 1969, ainsi que S. CASSAGNES,
D'or et d'argent. Les artistes et leurs clients dans l'Europe du Nord (xw-x siècles), Rennes, 2001.

Pour la France: F. Avr, L'Enluminure à la Cour de France au xW siècle, Paris, 1978; M. Mess, French
Painting in the Time of Jean de Berry, 4 vol., New York, 1969-1974; F. Roain, La Cour d’Anjou-Pro-
vence, la vie artistique sous le règne de René, Paris, 1983; M. Lacorre et D. THiBauir, L'École d'Avi-
gnon, Paris, 1983 et Ch. Prienr, Pouvoir ducal, religion et production artistique en Basse-Bretagne,
1350-1575, Paris, 1992 :A. CHATELET, La Peinture française x°-xvF siècles, Genève, 1992 ;Ch. PRIGENT
(dir.), Art et Société en France au xv siècle, Paris, 1999; et les catalogues des expositions L'art à la
cour de Bourgogne, Dijon-Cleveland, 2004 et Paris 1400. Les arts sous Charles VI, Paris, 2004.

Pour la musique:
«Le xw siècle » et le «xw siècle », pp. 365-571 et 573-724 dans F. FERRAND (dir.), Guide de la Musique
au Moyen Âge, Paris, 1999, ainsi que B. Gacepan, Histoire de la musique au Moyen Âge, 1, xf-x°
siècle, Paris, 1996. Moyen Âge entre ordre et désordre, Paris, 2004.

Sur la langue et les littératures:


U. Dorni, Pétrarque, Paris, 1991 ; J. BLancHaro et J.-CI. MÜHLETHALER, Écriture et pouvoir à l'aube des
temps modernes, Paris, 2002; S. Lusienan, La langue des rois au Moyen Âge. Le français en France
et en Angleterre, Paris, 2004; A. Marey, Une Angletere entre rêve et réalité: littérature et société
dans l'Angleterre du xWw siècle, Paris, 2007.
INDEX
L'index ne comporte pas de noms de personnes. Il met l'accent davantage sur des mot difficiles que
sur des thèmes. Les villes et régions de Germanie, d'Italie et d'Espagne sont regroupées sous les
rubriques Allemagne, Italie, Espagne.

A 263, 282
- Vie religieuse 298
— Mines 275
— Société 253, 263
Abbé 67, 68, 188, 189, 190, 192, — Ville 164, 165, 270, 271 — Vie religieuse 293
217
Anglo-Saxons 21, 25, 29, 42, 91, Bonne ville 147 167
Abbé laïc 67, 97 101 Borough 87, 252
Adoptianisme 54 Apanages 142 Bourgogne 121, 139, 218, 238,
Adoubement 122, 134, 135 Arengo 167 243, 287
Aide 119, 129, 133 Argent haché 101 Bouteiller 64, 144
Aix 54, 55, 58, 64, 68, 71, 80, 82, Arianisme 31 Bretagne, Bretons 21, 29, 41,
95 281, 308
Ariens 22, 24, 30
Alamans 19, 20, 23, 24, 25, 29, 41, Broigne 66, 75
Aristocratie 33, 42, 46, 71, 72, 85,
45, 51
86, 95, 104, 133, 134, 169 Bruges 152, 154, 158, 228, 262,
Albigeois 142, 194, 195 Armagnac 238, 241, 242, 300 270, 273, 274, 281, 282, 287
Aliénation du fief 132 Arti 170, 247 Bulle pontificale 204
Allemagne de l'Est 116, 226, 268 Arts libéraux 35, 214 Burgondes 19, 23, 25, 28, 30, 64
Allemagne du Sud 276, 278, 288 Assolement 115 Byzance, Byzantins 24, 25, 41,
Allemagne (ou Germanie) Assurance maritime 153 47, 53, 54, 83, 92, 107, 200, 201
— Agriculteurs 259
Astrolabe 153
- Agriculture 114, 265, 266,
Austrasie 41 (e
267
Avars 25, 41, 52, 65, 91 Canon des langues 293
— Art 316
Avoué, Avouerie 65, 104, 130 Capital, Capitalisme 226, 282,
— Commerce 150, 151, 152,
284, 287, 289
155, 158, 159
— Institutions 133 B Capitulaire 52, 64, 66
Caravelle 282
— Société 123, 134, 236, 277, Baillis 144
278 Castille 56
Ban 32, 64, 87, 99, 101, 104, 119,
- Vie religieuse 193, 295, 298, 134, 136, 164
Catharisme. cf. Albigeois
304
Banalités 119 Cénobitisme 188
— Ville 164, 229, 270 Cens 46, 118
Banquier 143, 2/8
Alleu, alleutier 73, 101, 117 119 Censuales 123
Basileus 205
Almohades 202 Chambre Apostolique 294
Basques 41, 52, 55, 281
Almoravides 201 Chambre des comptes 144
Bastides 116, 164
Althing 92 Chambrier 64, 144
Bavarois 24, 25, 29, 41, 45, 51, 52,
Alun 157 207 277, 281, 286 Champagne 121, 128, 154, 159,
64, 7/1, /4
Anachorétisme 191 Béguinage 168
280, 287
Angevin 143, 202, 248, 293 Chancelier 65, 144, 213
Behetria 103
Angleterre Change 154, 156, 169
Behour 135
- Agriculture 115 Chanoines 58, 68, 76, 191, 19%
Bénédictin 36, 299
— Art 218, 220, 315, 316
Bénéfice 65, 72, 86, 102, 127, 129,
Chapelle 64
— Commerce 156, 157 281, Charités 152, 170
294, 299
285, 286, 287, 288, 289 Charruée 101
Bienfait 42, 45
— Histoire politique 236, 250
Billet à ordre 154 Chaser 66
— Institutions 145, 251
Châteaux 94, 119, 127 136, 220
— Laine 275, 280, 288, 289 Bohême
— Histoire politique 236 Chevalier 106, 129, 130, 134, 135,
— Société 123, 227, 228, 236,
Index

Dîme 68, 130, 143 — Institutions 133, 252


169, 200, 201, 203
— Mine 278
Chevaliers Teutoniques 159, Doge 75,92
- Navarre 201, 240
192, 208 Domaine royal 142
- Reconquista 201, 202, 204,
Chorévêque 68 Donation de Constantin 51
290
Ciompi. Voir Italie-Florence Drakkar 83 — Ville 167, 270
Cité 19, 164 Drang nach Osten 9%6, 208 Essart 116
Cîteaux 116, 191, 192 Drap 152, 158, 286
Esterlins 159
Clercs 252 Droit canon 215
Étape 276
Cluny 92, 105, 188, 189, 190, 191, Droit de gîte 119
États francs 205, 207
AP A1 Droit régalien 140, 141
États francs de Syrie-Palestine
Co-jureurs 29 Droit romain 141, 216 133, 158
Collegantia 156 Ducat 155 États pontificaux. Voir Italie
Collégiale 191 Exemption 105, 190
Colons 33, 73 É
Commenda 102, 156 Échevin, échevinage 66, 167, F
Commise (du fief) 130, 133, 142 170
Facteur 154, 170, 282
Commune 120, 147, 165, 166, Échiquier 144
Faide 67
167, 168, 171, 213 Échoite 122, 143
Familia 189
Complant 100 Écolâtre 168, 213
Fédérés 20, 28
Comptabilité à partie double École, enseignement 68, 168
Fibule 43
283, 290 Écu 135,155
Fidélité 63, 86, 92, 93, 128, 131
Comput 69 Écuage 132, 143
Concile(s) 19,43, 46, 58, 69, 202, Fief(s) 102, 103, 127, 130, 131, 133,
Électeurs 243 134, 141, 146
203, 204, 293, 295, 296, 297, 304 Élevage 117, 266, 267, 268
Fisc 80, 86, 97
Conclave 294 Élus 251
Concordat 297 Fiscal 32
Empire 90
Condotta 248 Fiscalité 273, 294
— Carolingien 52, 53, 54,55,
Conjuratio 101, 166 57, 59, 64, 65, 68, 80, 81, 82, 92 Fiscaux 7/2
Connétable 64, 144 — Germanique 90, 95, %, 97, Fisci 64
Consulats 120 139, 140, 189, 229, 243, 244, 245, Fiscs 66
Consuls 167 253, 295, 304 Flandre
— Romain d'Occident 22,25, — Art 316
Contado 123
28 — Artisanat 27/0, 275
Contrepoint 69 — Romain d'Orient 18, 24, 53, — Commerce 152, 153, 287,
Cortes 202, 252 82. Voir Byzance 288
Cour 129, 144, 145 Enclosures 267 - Draperie 151,207, 277,
Coutumes 120, 190 Enseignement 212, 213, 214, 215 — Révoltes 262
Cri et décri 280 Épopée 70 — Société 228
Croisades 202, 203, 204, 205, Ermites 116, 188, 191 — Ville 164, 165, 167
206, 207 Florence. Voir Italie
Eschatologie 106
Croisée d'ogive 216 Esclaves 28, 34, 35,43, 72, 75, 87, Florin 155
92, 102, 121, 158 Foire 153, 154, 288
D Espagne Fondouk 151, 206
Damas 158 - Agriculture 266, 267 For ecclésiastique 146
Danegeld 84, 141 — Aragon 202, 229, 248, 250, Forêt 116, 117, 142
252, 261, 316
Danelaw 90 Formariage 121
— Art 218, 219, 220
Danois 55, 58, 65, 83, 84, 90 Forum Judicum 55
— Castille 91, 164, 169, 202,
Dapiférat 144 Fouage 143, 231
DSSTIE
Décime 122, 143, 146 — Catalogne 55, 157, 194, 217, Foulon 171, 272
Denier 44, 75, 155 228, 2812617816 Four à coupellation 276
Dépouille 146 - Commerce 157 France
Devotio moderna 302, 316 - Industries 277 - Agriculture 114, 265
Index

— Art 217, 218, 219, 220, 315, Hides 118 — Rome 18, 20, 28, 31, 37, 41,
316, 317, 318 Hommage 102, 127, 128, 131, 141 47, 51, 53, 54, 57, 80, %6, 97, 101,
— Commerce 154, 157, 287, 288 Hommes de corps 120 105, 106, 139, 169, 188, 243, 246,
— Histoire politique 236 270, 273, 283, 293, 294
Hongrie 91, 219, 244, 277, 295
— Institutions 145, 146, 251, — Serrata del Consiglio 170
Hongrois 91, 93, 95, %6, 201
252 — Sicile 145, 247
Honneur 65, 86, 102, 130
— Politique 139, 140, 142, 144, — Société 123, 156, 282, 283
145, 146, 147, 237, 243 Hürig 120
— Venise 55, 102, 151, 153,154,
— Société 134, 168, 169, 226, Hospitaliers 191, 206
158, 169, 1/0, 203, 204, 205, 228,
227, 228,236, 203 Hospitalité 28, 29 248, 270, 277, 281, 282, 283, 314
— Vie religieuse 188, 193, 293, Hospodar 247
— Vie religieuse 188, 193
298, 300 Hôte 123
- Ville 163, 165, 167, 169, 170,
— Ville 162, 163, 164, 167 Hôtel 251 171, 270, 271, 274, 275
Franchises (charte de) 120, 163, Hôtel du Roi 144
167, 261
Francie 80, 93
Hôtises 118
Hufe 118
J
Franciscains. Voir Frères Jacquerie 262
Humanisme 302, 310, 311
mineurs Jérusalem 55, 188, 200, 203, 204,
Huns 20, 21
Francs 18, 19, 22, 23, 29, 30, 40, 205, 206
Hussisme. Voir BOHÊME
41, 45, 47, 51, 58, 63, 64, 71 John Wyclif 302
Freda 66
Frères 207
I Juifs 34, 40, 75, 87, 143, 150, 156,
171, 206
Frères convers 116, 189, 190 Iconoclasme 47, 54 Justice 119, 252
Immixtio manuum 127 Justice royale 141, 145
Frères de la Vie Commune 301,
311 Immunité 43,65, 95
Justice seigneuriale 260
Frères mineurs 196, 197 Indulgence 204
Frères prêcheurs 168, 1% Inquisition 195, 198, 250
Frisons 19, 45, 64 Instruction. Voir Écoles
Irlandais 21, 37, 84 Knar 153
Fueros 120, 167, 202
Italie Koggen 153, 281
Futaine 276
— Agriculture 117, 259, 265
G — Aragon 249
— Art 217, 220, 313, 314, 315 Laine 143, 152, 157
Galées 281 — Ciompi 274
Languedoc 167, 193, 204, 208,
Galère 153, 281 — Commerce 151, 153, 156,
219, 228, 271
Gand 152, 164, 169, 171, 270, 272, 157, 285, 286
Latin 29, 31,35
273, 274, 276 - Compagnie 156, 282, 283
— États du pape 247 Légumineuses 266
Gardingos 42, 56
Gibelins 147, 236 — États pontificaux 277, 293, Leibigen 120, 123
Gonfalonier de Justice 274 294 Lettre de change 156, 284, 290
— Florence 154, 164, 165, 170, Lettre de foire 154
Grande Charte 141, 146
229, 247, 248, 271, 274, 275, 276,
Grod 164 Lige. Voir Hommage
297, 313, 314
Gros 155 Limes 19
— Gênes 151, 155, 158, 171, 203,
Guelfe 147, 248, 293 204, 248, 270, 281, 282, 284, L'indulgence 301
Guilde 101, 152 285, 286 Livello 100
— Histoire politique 247, 248 Livre 155
H - Institutions 167 Locatores 116
— Lombardie 117, 123, 167, 189,
Hagiographie 36 Lods et ventes 118, 132
193
Hanse 152, 159, 170 Lollard 302, 303, 309
— Milan 165, 168, 229, 247, 248,
Hanséate 282, 285, 286 270, 276, 310 Lombard 19, 25, 29, 30, 31, 41,
Haubert 129, 135 — Naples 213, 248, 249, 283, A5 47/52 55,58, 64, 11, 22/1547
293 156
Hérésie 19, 188, 193, 194, 293,
303 — Révolte 274 Lotharingie 81
Index

Nominalisme 303 295


M Nomisma 34 Polyptyque 74
Mainbour 42 Normandie 90, 94, 117, 123, 128, Pontificale 213, 297
Mainmorte 121 200, 219, 276, 315 Popolo 168
Maire 120 Normands 75, 89, 162, 201 Portugal 202, 250, 290
Maire du palais 40 Portulan 153, 282
Mall 65, 73 O Portus 75, 162
Mallus 32 Oblats 68 Pouvoir thaumaturgique 140
Manichéisme 194 Observance 299 Prébende 68
Manse 33, 73, /4, 100, 115, 118,
Offices 253 Précaire 46, 58
150
Officialité 146 Prêcheurs 195, 207. Voir Frères
Marchand 150, 163, 166, 169,
Officier 64 prêcheurs
200, 206, 208, 280, 282, 283, 285,
286, 287, 288, 289 Onction 40, 45, 53, 85, 140 Prévôt 120, 145, 213

Marche 55, 65 OngJle bleus 272 Prieuré 189


Maritime 282 Opus francigenum 218 Principauté 93, 94, 244, 245
Markgraf 65 Or 34, 155, 208, 28/7 Prix 231, 260, 266, 272
Matricule 35 Ordalie 43,67 Provence 121, 134, 158
Meilleur catel 122 Ordre mendiant 195, 197, 207,
Mense 68 2152711
191, 206, 211
Q
Merchant venturer 289 Ordres militaires
Ost 65, 129, 145
Quadrivium 35, 214
Mérinos 289
Ostrogoths 19, 22, 25, 28 Questaux 120
Mesta 26/
Oxford 141, 145, 196, 213, 302, Quintaine 135
Métallurgie 276
303, 316 Quint et requint 132
Métayage 118, 265
Métien
274, 275
707271272272,
P R
Métropole 93 Pagus 65 Rachimbourgs 29
Métropolitain 19, 36 Paix 106, 115, 128, 135, 166, 190 Réalisme 303
Miles. Voir Chevalier Pallium 37 Recommandation 42, 65, 72,
Mine 27/77 Parage -132 102, 104, 127
Ministeriales 103 Paraige 169 Reconquista. Voir Espagne
Ministériales 101, 120, 122, 131, Pariage 116 Régale 146
143, 169 Paris 35, 94, 152, 153, 154, 165, Relief 132, 142
Missi 65, 67, 97 167, 170, 195, 213, 214, 218, 270, Reliques 35, 43, 66, 70, 188,
Missions 37, 68, 92, 197, 208 PAPPIPPPIE IL PIE
Remensas 261, 264
Moines blancs 168 Parisien 152, 215
Renaissance
Moines noirs 168 Parlement 144, 145, 251
— Carolingienne 82
Monnaie 44, 75, 155, 280, 281 Pastel 266
— du XVe Siècle 307
Monnayage 143, 146 Pâtis 239
— Ottonienne 107
Motte 94, 136 Patrice 21
Renovatio imperii 139
Mousseline 158 Patriciat 135, 168, 1/70
Mund 32, 42 Rente seigneuriale 118
Patronage 18
Réserve 43, 74, 100
Pèlerinage 188, 203, 204, 218,
N 301 Révolte 167, 263, 264, 273, 274,
275
Nation 26, 303 Penny 56, 155
Personnalité des lois 30, 64 Ring 52
Natron 34
Peste 25 Roman 212
Navigateur 290
Plaid 64, 119, 129 Romane 219, 220
Navigation 152, 281, 289
Neustrie 45 Podestat 168, 170 Romanie. Voir BYZANCE
Nicolaïsme 104 Poll-tax 263 Rotation des cultures 74, 115
Noblesse. Voir Aristocratie Pologne, Polonais 93, 201, 268, Rotation triennale 115
Index

S Soie 34, 151, 158, 283 Utraquisme 304


Soieries 207
Sacramentaire 69
Sacre 140
Sortes 28 V
Sou 34,155
Saint-Jacques de Compostelle Vandales 19, 24, 25, 29
Soudure 227
116, 188, 189, 201, 219, 301 Varègues 200
Stapler 289
Saint Thomas d'Aquin 198 Vassal 42, 65, 72, 86, 96, 101, 127,
Statut 258
Salaire 231, 272 128, 129
Suèves 20
Saliens 22, 139 Vassaliques 128, 141
Suisse 245
Sarrasins 84, 90, 101, 151, 200, Vassalité 65, 86, 96, 102, 127
201, 205, 206, 208 Synallagmatique 129
Vassi dominici 66, 104
Saxons 19, 21, 29, 33, 41, 51, 52
Scandinavie, Scandinave 200,
ak Vavasseurs 169
246, 258 Taille 119, 122 Vêpres siciliennes 202
Schisme 294, 295, 297 Templiers 144, 191, 206 Vergée 262
Scolastique 214, 309 Tenure 74, 100, 118, 119, 260, 265 Vertu 140
Scriptorium 36, 69 Terre Ferme 248 ViIcie5,75
Seigneur 42, 65, 86, 103, 119, Teutonique 201, 246 Vigne 258, 266
248, 258, 259 Thanes 32, 42
Vikings 57, 101
Seigneuriage 281 Thegns 133
Villa 33, 66, 72, 118
Seigneuriales 129 Théocratie 297
Villages désertés 259
Seigneurie 119, 260 Théorie des ordines 135
Seigneurie (rurale) 87, 101, 118 Thèse de saint Thomas 216
Villain 121
Seigneurs 95, 127, 136 Tonlieu 32,66 Villainage 118, 261
Sénéchal 64, 144 Tonlieux 130 Villains 265
Sentiment national 253 Toponymie 33 Ville 123
Septimanie 23, 41, 51, 71, 74 Transsubstantiation 302 Villes franches 167
Sergent 120 Tree-ring 258 Villes neuves 114
Serment de Strasbourg 70, 80 Trémois 115 Vin 158, 207, 231, 266, 288
Serrata del Consiglio 170 Trivium 35, 214
Virement 156
Servage 73, 76, 121, 123, 260, 261 Trope 69, 108
Service vassalique 129 Turcs 205, 247, 297
Turcs Seldjoukides 203
W
Sheriff 144, 145
Simonie 105
Wergeld 29, 42
Slaves 41, 55, 73, 75, 95, %6 U Wik 164

Socages 118 Université 197, 212, 213, 295, 300, Wisigoths 19, 20, 21, 24, 25, 28,
303, 307, 308, 309 30, 32, 41, 46, 64, 71, 91
Societas maris 156
Sociétés. Voir Compagnies Usance 284
Le Moyen Âge en Occident

Faits militaires
Faits politiques

395 L'Empire romain partagé en deux

Passage du Rhin par les Vandales, 406


les Suèves et les Alamans
410 418 Premier royaume barbare: les Wisigoths
Prise de Rome par les Wisigoths
436 en Aquitaine :
Défaite des Burgondes.
435 Royaume vandale en Afrique
Leur installation en Sapaudia
Premiers raids saxons en Grande-Bretagne 450-455
471 Les Ostrogoths en Pannonie
Pillage de Rome par les Vandales 455
476 Romulus Augustule le dernier empereur
486 481-511 Règne de Clovis
Défaite de Syagrius à Soissons
507 485-516 Règne de Gondebaud
Défaite des Wisigoths à Vouillé
493 Royaume ostrogoth d'Italie
498-499 Baptême de Clovis
Destruction du royaume burgonde 523 et 536 525-568 Règne de Justinien

par les fils de Clovis


Soumission des Thuringiens 531
Soumission des Alamans 536
555 550-567 Athanagild roi d'Espagne wisigothique
Soumission des Bavarois
561 Deuxième partage du royaume des Francs
Installation des Lombards en Italie 568-572 613 Supplice de Brunehaut
Règne unique de Clotaire Il
623-639 Règne de Dagobert
672 Onction royale de Wamba roi d'Espagne
673-675 Dernier règne unique sur les Francs:
Childéric |l
687 Triomphe de Pépin maire du palais
sur le roi mérovingien à Tutry
Bataille de Guadalete: chute de la monarchie 687-700 Principautés territoriales indépendantes
wisigothique devant les Arabes 712-744 Liutprand, roi des Lombards
Eudes vainqueur des Arabes devant Toulouse 714-741 Gouvernement de Charles Martel
Bataille de Poitiers: victoire de Charles Martel
sur les Arabes 739-757 Alphonse [°! roi d'Asturie ”
751 Onction royale de Pépin le Bref
754 Pépin le Bref et sa famille sacrés à Saint-Denis
755-756 Création du Domaine de saint Pierre
par Pépin le Bref
Reconquête de l'Aquitaine par Pépin le Bref 760-768 757-796 Offa roi de Mercie
Prise de Pavie. Fin du royaume lombard 774 768-814 Règne de Charlemagne
Roncevaux 778 781 Louis roi d'Aquitaine et Pépin roi de Lombardie
Soumission de la Bavière 788 800 Couronnement impérial de Charles à Rome
Libération de Barcelone 801 806 Divisio Regnorum
Fin de la conquête de la Saxe 805 812 Charlemagne reconnu empereur par Byzance
Conquête de Venise 812 813 Acclamations impériales à Aix pour Louis
813-840 Règne de Louis le Pieux
817 Ordinatio Imperii
819 Mariage de Louis le Pieux et Judith
822 Pénitence d'Attigny
823 Naissance de Charles le Chauve
Première révolte des fils de Louis le Pieux 826-829
Deuxième révolte 830-831
Repères chronologiques

Faits économiques et sociaux Faits culturels et religieux

391 Le christianisme religion d'Etat


397 Mort de saint Martin évêque de Tours
428 Code Théodosien
Hospitalité des Wisigoths 418
en Aquitaine 430 Mort de saint Augustin à Hippône
Hospitalité des Burgondes 436
461 Mort de saint Patrick évangélisateur de l'Irlande

506 Bréviaire d'Alaric

511 Mise par écrit de la loi Salique

Thierry frappe les premières vers 520


monnaies franques 533 Mort de Boèce dernier philosophe antique

590-604 Le pape Grégoire le Grand


La Grande Peste 568-590 590 Débarquement de Colomban en Gaule
654 Liber Judiciorum de Raeceswinthe roi d'Espagne
664 Synode de Whitby: unifcation religieuse
673-735 Bède de Vénérable
Création du denier d'argent 675 690 Willibrord en Frise

743-744 Réapparition des conciles en Gaule


Capitulaire de Charles Martel 744
autorisant les marchés locaux 754 Boniface martyr en Frise
Serment de recommandation 757
de Tassilon

770 Invention de la minuscule caroline à Corbie


Capitulaire maintenant le droit 768 781 Alcuin à la Cour
romain pour les Aquitains 782 Paul Diacre à la Cour
Création de la dîme 779 789 Admonitio Generalis
Création du penny par Offa 780
Capitulaire saxon 785
Denier carolingien lourd 794 794 Concile de Francfort
Capitulaire de Villis 800 800 Découverte des reliques de saint Jacques
à Compostelle
Embargo sur les exportations d'armes 805 807 Aix-la-Chapelle résidence permanente
hors de l'Empire 813 Conciles de Mayence, Arles et Tours
816 à 818 Conciles réformateurs d'Aix-la-Chapelle

832 Biographie de Charlemagne par Eginhard


842 Serments de Strasbourg
Le Moyen Âge en Occident

Faits militaires
Faits politiques

832-835 840-877 Règne de Charles le Chauve


Troisième révolte des fils de Louis le Pieux
842 843 Partages de Verdun
Les Vikings brülent Quentovic
862
Premier raid hongrois

875-877 Charles le Chauve empereur


879 Boson se proclame roi en Provence
881 881-887 Charles le Gros empereur
Louis Ill vainqueur des Vikings à Saucourt
885 871-899 Alfred roi du Wessex
Le comte de Paris Eudes repousse
les Vikings de sa ville
888-898 888-898 Eudes roi
Les Sarrasins à la Garde-Freinet
Chute de Taormine 902
La Sicile devient musulmane
911 918-936 Henri l'Oiseleur, roi
Les Normands installés en Normandie
937 923-970 Hernan Gonzalez fonde la Castille
Les Vikings expulsés de Bretagne
955 935-973 Otton | roi
Bataille du Lochfeld. Défaite des Hongrois
954-986 Lothaire roi en Francie occidentale
962 Otton |°! sacré empereur à Rome
965-970 Miesko [* unifie la Pologne
982-994 973-983 Otton || Empereur
Attaques danoises contre l'Angleterre

997 987-996 Hugues Capet roi


Destruction de Saint-Jacques-de-Compostelle
par les Arabes
992-1025 Boleslas le Vaillant, roi de Pologne
993-1002 Otton IIl
996-1031 Robert Il le Pieux, roi de France
998 Otton Ill fait de Rome sa capitale
1002 999-1003 Silvestre || pape
Les Vénitiens maîtres de l'Adriatique

1000-1014 Svend, roi de Danemark


1000-1035 Sanche le Grand, roi de Navarre
1001 Saint Étienne, roi de Hongrie n
1002-1024 Henri Il, roi de Germanie «
1014-1035 Knut le Grand, roi de Danemark-Norvège-Angleterre
1016 Knut le Grand, maître de l'Angleterre -
1024-1039 Conrad || roi de Germanie

1 principauté normande (Aversa) 1029


Fin du califat omeyade de Cordoue 1031 1031-1060 Henri 1°! roi de France

1039 Henri III, roi de Germanie


1042-1066 Règne d'Édouard le Confesseur

Annexion du comté de Sens par Henri l° 1055


1056-1106 Henri IV, empereur
1059 Robert Guiscard, duc des Pouilles

1060-1108 Philippe !, roi de France


Repères chronologiques

Faits économiques et sociaux Faits culturels et religieux

842 Serments de Strasbourg


845-882 Hincmar, archevêque de Reims

Édit de Pîtres 864

Capitulaire de Quierzy s/Oise 877

909 Fondation de Cluny


Première monnaie privatisée 911
966 Baptême de Mierzko roi de Pologne et de Harold
à la Dent bleue roi du Danemark

995 Vaïk roi de Hongrie reçoit le baptême


1000 LAlthing d'Islande accepte le christianisme.
960-1030 Enluminures de Reichenau
963-994 Mayeul, abbé de Cluny
980 Saint-Pantaleon de Cologne
Ghilde de Londres 988-990 | 981 Dédicace de l'église de Cluny Il
Paix de Dieu. Concile de Charroux 989 | 989 Synode de Charroux: paix de Dieu
Chrysobulle de Basile Il en faveur 992 | 991-995 Histoires de Richer moine de St-Rémi de Reims
de Venise 994-1049 Odilon, abbé de Cluny
Massacre de marchands amalfitains 996 | 994 Donjon de Langeais
au Caire 999-1003 Pontificat de Silvestre || (Gerbert d'Aurillac)
Mal des Ardents 997 | 1002-1018 Construction de Saint-Bénigne de Dijon
Tonlieu de Londres 991-1002 | 1007 Reconstruction de Saint Philibert de Tournus
Famines en Occident 1005-1017 | 1009 St-Martin du Canigou (nef voûtée)
Érection des mottes v. 1010 Débuts de l'École de médecine de Salerne
Marchands suédois et danois àNovgorod v. 1012 Fondation des Camaldules par saint Romuald
1018-1032 Abbatiale de Ripoll
Texte des Honorantiae de Pavie 1020 | v. 1020 Dudon de Saint-Quentin: Histoire des premiers ducs
de Normandie
1022 Hérésie à Orléans
Formulation des «Trois ordres » 1027-1030 | 1026 Tour-porche de Saint-Benoît-sur-Loire
par Adalbéron de Laon v. 1030 Chronique d'Adhémar de Chabannes
Famines 1033-1035 | 1033 Consécration de Saint-Michel d'Hildesheim
Sac d'Haithabu 1036 | v. 1040 Chronique de Raoul Glaber
Édit de Conrad Il sur l'hérédité des fiefs 1037 | 1040-1065 Cathédrales de Spire et de Trèves
Milices de Bourges 1038 | v. 1039 Fondation de Vallombreuse par saint Jean Galbert
Famines 1043-1045 | 1040-1056 Enluminures d'Echternach
Apparition de la ligesse 1046 | 1045 Lanfranc à l'école monastique du Bec
1046 Henri Ill dépose trois papes
La Pataria à Milan. Ghilde de Saint Omer 1054-1055 | 1049-1109 Hugues, abbé de Cluny
Premiers fueros en Espagne 1054-1070 | 1054 Concile de Narbonne. Schisme oriental:
rupture entre Église romaine et Église orthodoxe
1058 Abbatiat de Didier au Mont Cassin.
Contrat de commenda en ltalie 1060 Traductions de textes grecs et arabes
Le Moyen Âge en Occident

Faits militaires Faits politiques

Raid de Ferdinand | d'Aragon contre Valence 1065


Conquête de l'Angleterre par Guillaume 1066
de Normandie
1070 Commune du Mans

Les Byzantins sont expulsés d'Italie 1071


par les Normands
1077 Henri V s'hurnilie devant Grégoire VII (Canossa)

Alphonse VI s'empare de Tolède 1085


Invasion de l'Espagne par les Almoravides 1086
1087 Guillaume Il le Roux, roi d'Angleterre
Les Normands achèvent la conquête 1091
de la Sicile
Le Cid à Valence 1094 |1095 Urbain Il au concile de Clermont prêche la croisade
1097 Comité de Portugal
1€ croisade 1096-1099 |1100-1135 Règne d'Henri |” Beauclerc
. 1105 Henri V empereur
1108-1137 Louis VI le Gros, roi de France
Pacification du domaine royal

è "

1118 É
Les Aragonnais prennent Saragosse
1122 Concordat de Worms
1125 Lothaire || empereur

1130 Roger |, roi de Sicile


1137-1180 Louis VII roi de France
1138 Conrad || empereur
1139 Alonso |® Henriques, 1°! roi du Portugal

Fondation de Lübeck 1143

Soulèvement de Brescia à Rome 1144 Geoffroy Plantagenet, duc de Normandie


Invasion de l'Espagne par les Almohades 1146 |1146 Prédication de la 2° croisade
Échec de la 2° croisade devant Damas 1148 par saint Bernard (Vézelay)
Les Aragonnais semparent de Teruel 1152 Frédéric ° Barberousse, roi de Germanie
1154 Formation de l'Empire Plantagenet (Henri Il)
1154-1182 Waldemarle, Grand roi du Danemark
Repères chronologiques

Faits économiques et sociaux Faits culturels et religieux

1059 Décret de Nicolas || sur les élections pontificales


1060-1120 Construction des grandes églises de pélerinage
1062-1083 Abbaye de la Trinité de Caen
1063 Croisade bourguignonne en Espagne
1063-1119 Cathédrale de Pise
1063-1071 Saint-Marc de Venise
1065-1100 Chanson de Roland
Charte de Huy 1066 1073-1085 Pontificat de Grégoire VI
Conjuratio du Mans 1070 1075 Dictatus papae. Condamnation de l'investiture laïque
1075-1122 Cathédrale de Saint-Jacques de Compostelle
Destruction d'Amalf par les Normands 1073 1078 St Anselme abbé du Bec: Monologion et Prologion
1079 Fondation de l'ordre de Hirsau
Henri V empereur 1077 1079-1093 Cathédrale de Winchester
1084 Fondation de la Grande Chartreuse par saint Bruno
Consulat de Pise 1080 1088 Inerius enseigne le droit à Bologne
Chrysobulle d'Alexis I* Comnène 1082 1088-1099 Pontificat d'Urbain Il
en faveur de Venise 1088-1121 Construction de l'abbatiale de Cluny lil
Généralisation du consulat 1085-1120 1091-1116 Essor de l'école épiscopale de Chartres
dans les villes italiennes 1093 Début de la construction de la cathédrale de Durham (ogive)
Domesday Book 1086 1095 Concdiles de Plaisance et de Clermont (1re croisade)
Famines 1090-1095 1096 Fondation de Fontevrault par Robert d'Arbrissel
Pogroms en Rhénanie. 1096 1096-1132 Construction de Vézelay (La Madeleine)
Généralisation des moulins à eau v. 1097 Broderie de Bayeux
et des contrats de colleganza 1098 Fondation de Citeaux par Robert de Molesmes
et de compagna (Venise, Gênes) v. 1100 Basilique romane de Saint-Ambroise à Milan
Commune de Noyon 1108 v. 1100 Diffusion des doctrines Cathares
1100-1127 Chanson de Guillaume de Poitiers
1103 Guillaume de Champeaux écolâtre à Paris
1104 Guibert de Nogent
Émeute communale à Laon. 1112 1112 Saint Bernard entre à Citeaux
Apparition des premiers « métiers » 1119 Fondation de l'ordre du Temple
1120 Fondation de l'ordre des Prémontrés par saint Norbert
v. 1120 Sic et non d'Abélard. Saint-Front de Périgueux
1121-1158 Traduction latine de la nouvelle logique d'Aristote
1122 Concordat de Worms
Famines 1124-1126 1122-1156 Pierre le Vénérable, abbé de Cluny
1123 Premier concile du Latran
1125-1153 Traductions arabes à Tolède
Création de l'Échiquier à Londres 1130 1130-1147 Abbaye cistercienne de Fontenay
Formation de consulats dans les villes 1135-1155 1132-1144 Reconstruction de Saint-Denis par Suger
de Provence et du Languedoc 1130-1165 Cathédrale de Sens
1139 Deuxième concile du Latran
Révolte de Montpellier 1142 1140 Abélard condamné à Sens. Décret de Gratien
Arnaud de Brescia à Rome 1143-1155 1142 Histoire ecclésiastique d'Ordéric Vital
Fondation de Lübeck 1143 1143 Traduction du Planisphère de Ptolémée
Famines 1144-1146 1145-1156 Sculptures du Portail royal de Chartres
1146 Prédication de la 2e croisade
v. 1147 Cantar de Mio Cid
1150-1185 Cathédrale de Noyon
v. 1152 Sentences de Pierre Lombard
Charte de Lorris-en-Gâtinais 1155-1158 1155-1170 Tristan et Iseut
Le Moyen Âge en Occident

ET LE ILE
Faits politiques

1158 Diète de Roncaglia

1171 Meurtre de Thomas Becket.


Les Aragonais s'emparent de Teruel

1176 1180-1273 Philippe Auguste, roi de France


Frédéric ler battu par la Ligue lombarde
1189 Mort de Guillaume ll.de Sicile
à Legnano
1183 Mort d'Henri-ll — Richard Cœur de Lion,
Paix de Constance
1187 roi d'Angleterre
Saladin prend Jérusalem
1189-1193 1190 Henri VI empereur
3° croisade
Défaite de Philippe Auguste à Fréteval 1194
1197 Mort d'Henri VI, Frédéric Il placé
sous la tutelle d'Innocent IIl
1199-1216 Jean sans Terre, roi d'Angleterre
1203-1204 1202 Philippe Auguste confisque les fiefs français
Prise de Constantinople par les Croisés
de Jean sans Terre

Victoire des Chrétiens d'Espagne 1212


à Las Navas de Tolosa 1213-1276 Jacques [°, roi d'Aragon
Bataille de Muret 1213 1215 La grande Charte
Bouvines 1214 1216 Frédéric Il, roi des Romains, empereur en 1220
1216-1272 Henri Ill, roi d'Angleterre

1222 Bulle d'Or concédée par André Il


aux Seigneurs hongrois.

1223-1226 Louis VIII roi de France

Traité de Paris. Annexion du Languedoc 1229 1226-1270 Louis IX, roi de France
Les Aragonais prennent Majorque.
Frédéric Il se fait céder Jérusalem

1231 Constitutions de Melf pour le royaume de Sicile


Frédéric Il bat les troupes lombardes ( 1237
Cortenuova)
Les Aragonais prennent Valence 1238
Raid mongol en Europe centrale 1241
Alexandre Nevsky vainqueur 1242 1245 Frédéric || déposé par Innocent IV
de l'ordre teutonique (concile de Lyon)
Les Latins perdent définitivement Jérusalem 1244 v. 1250 Constitution du Parlement de Paris
Les Castillans prennent Séville. 1248 1250 Mort de Frédéric Il
7° croisade
1252-1284 Alphonse X le Sage, roi de Castille
Repères chronologiques

Faits économiques et sociaux Faits culturels et religieux

1159-1181 Pontificat d'Alexandre Ill


1160-1207 Cathédrale de Laon
Destruction de Milan 1162 1162-1182 Activité littéraire de Chrétien de Troyes
Constitutions de Clarendon 1164 1163 Début de la construction de Notre-Dame de Paris
1167 Concile cathare à Saint-Félix de Caraman
v. 1170 Historia de Guillaume de Tyr
Nef à trois voiles à Venise 1172 1172-1189 Abbaye de Monreale (Sicile)
Premiers gardes des foires 1174 1173 Naissance du mouvement vaudois
de Champagne 1175 Roman de Renart Cathédrale de Canterbury
Assises de Northampton 1176 1179 Troisième concile du Latran
Pont d'Avignon. 1184 1184 Institution de l'Inquisition épiscopale
Usage de la boussole en Méditerranée 1189-1191 3° croisade. Fondation des Chevaliers Teutoniques
Apparition de la podestatie 1190 v. 1190 Œuvres de Joachim de Flore
dans les villes d'Italie 1194 Reconstruction de la cathédrale de Chartres
1197-1198 Construction de Château-Gaillard
1198-1216 Pontificat d'Innocent |Il
Fondation de Riga 1200 v. 1200 Roman du Saint Graal. Aucassin et Nicolette
Frappe du matapan ou gros d'argent 1202 1202-1204 Quatrième croisade
à Venise 1202-1300 Cathédrale de Rouen
1206 Robert de Clari: conquête de Constantinople
1207 Saint-Dominique en Languedoc
1209 1° communauté franciscaine
1211 Croisade des enfants
Croisade des Enfants 1212 1211-1311 Notre-Dame de Reims
1212-1218 Villehardouin: Histoire de la conquête de Constantinople
1213 Guillaume de Tudèle: Chanson de la croisade
1215 4° Concile du Latran. Premier statut de l'Université de Paris
1216 Approbation de l'ordre des prêcheurs
Famines 1217-1218 v. 1220 Sachsenspiegel
1220-1269 Cathédrale d'Amiens
1221 Mort de saint Dominique
1223 Règle de l'ordre des mineurs
1224-1235 Robert Grossetete chancelier de l'Université d'Oxford
Troubles ruraux 1225 v. 1225 Lancelot du Lac
1226 Mort de saint François
1229 Université de Toulouse
Hanse Lübeck-Hambourg,. 1230 1230 Introduction en Occident des commentaires
Premières utilisations du gouvernail d'Averroës sur Aristote
d'étambot en Méditerranée 1231 Grégoire IX confie l'Inquisition aux ordres mendiants
1231 Bulle Parens Saientiarum pour l'Université de Paris
1240 R. Grosseteste traduit l'Éthique d'Aristote.
Castel del Monte (Frédéric 11)
1243-1248 Sainte-Chapelle de Paris
1243-1254 Pontificat d'Innocent IV
Grève à Douai. 1245 1245 1 Concile de Lyon
Affranchissement des serfs 1245-1246 Enseignement d'Albert le Grand à Paris
dans le domaine royal 1246 Jean de Plan Carpin à la cour mongole
1247-1272 Cathédrale de Beauvais
Mouvement des Pastoureaux 1251 1248-1254 7° croisade (Saint-Louis)
Frappe du florin (Florence) 1252 1250-1260 Bracton: Lois et coutumes d'Angleterre
et du génois d'or (Gênes) 1252-1259 Enseignement de saint Thomas d'Aquin à Paris
Le Moyen Âge en Occident

Faits militaires
Faits politiques

1254 Enquêtes sur les baillis


1259 1254-1266 Manfred, roi de Sicile
Traité de Paris
1261 1258 Provisions d'Oxford
Les Grecs reprennent Constantinople
1264 Dictature de Simon de Montfort
Fin de l'Empire latin
Les Aragonais prennent Murcie 1265
1266
Charles d'Anjou maître de l'Italie du Sud
1282 1270 Mort de Saint-Louis. Philippe Ill le Hardi,
«Vêpres siciliennes »
1285 roi de France
Croisade d'Aragon
1291 1272-1307 Edouard [*, roi d'Angleterre
Chute de Saint-Jean d'Acre.
Fin des États francs de Syrie Palestine 1273-1291 Rodolphe de Habsbourg, empereur
1276-1285 Pierre III, roi d'Aragon
1302 1285-1314 Philippe IV le Bel, roi de France
Bataille de Courtrai
1314 1285 Charles Il, roi de Naples
Défaite anglaise à Bannockburn
1315 1294-1295 1 dévaluation de Philippe le Bel
Victoire des cantons suisses sur les Habsbourg
1328 1295 Parlement plénier
Bataille de Cassel
1328-1329 1297 Serrata del Consiglio à Venise
Échec de Louis IV de Bavière en Italie
1337-1455 1302 1 réunion des États généraux
Guerre de Cent Ans
Bataille de Crécy 1346 1306-1329 Robert Bruce, roi d'Écosse
Prise de Calais par Édouard Ill 1347 1307 Mort d'Edouard |®'
1354 1311 Dissolution de l'ordre du Temple
Le sultan turc Orhan à Gallipoli
1356 1314 Mort de Philippe le Bel
Bataille de Poitiers: captivité de Jean le Bon
Étienne Marcel à Paris 1358 1327-1377 Édouard Ill, roi d'Angleterre
1360 1328 Philippe VI, roi de France:
Paix de Brétigny
Victoire française à Roosebek 1382 fin des Capétiens directs

Victoire turque à Kossovo 1389 1346-1378 Charles IV de Luxembourg, empereur

Nicopolis 1396 1347 Cola di Rienzo, tribun du peuple romain


Union de Kalmar 1397 1356 Bulle d'Or de Charles IV
1364-1380 Règne de Charles V en France
Défaite des Turcs à Ancyre contre Tamerlan 1402 1380 Mort de Charles V
Bataille du Tannenberg 1410 1380-1422 Charles VI, roi de France
Arbitrage de Caspe 1412
Bataille d'Azincourt 1415 1384 Philippe le Hardi, comte de Flandre }
Guerres Hussites 1419-1436 1399 Henry IV de Lancastre détrône Richard Il
Traité de Troyes 1420
Jeanne d'Arc libère Orléans: 1429 1407 Meurtre de Louis d'Orléans
Charles VIl couronné à Reims 1419 Meurtre de Jean Sans Peur, duc de Bourgogne
Traité d'Arras 1435 1419-1467 Philippe le Bon, duc de Bourgogne
Prise de Naples par Alphonse V d'Aragon 1442 1422 Mort d'Henry V
Victoire turque à Varna 1444 1429 Charles VII couronné à Reims
Reconquête de la Normandie (Formigny) 1450 1431 Jeanne d'Arc brûlée à Rouen
Reconquête de la Guyenne (Castillon). 1453 1434 Côme de Médicis, maître de Florence
Prise de Constantinople par Mehmed || 1440 Frédéric de Habsbourg, roi des Romains
Paix de Lodli 1454 1457-1471 George Podiebrad, roi de Bohême
Guerre des Deux-Roses 1455-1460 1458 Mathias Corvin, roi de Hongrie
Défaite de Charles le Téméraire à Grandson 1476 1460-1483 Édouard IV d'Vork, roi d'Angleterre
et à Morat 1461-1483 Règne de Louis XI
Bataille de Bosworth: avènement d'Henry VII 1485 1477 Mort de Charles le Téméraire:
Tudor en Angleterre mariage de Maximilien de Habsbourg
Prise de Grenade et fin de la présence 1492 et de Marie de Bourgogne
musulmane en Espagne 1483-1498 Charles VIII roi de France
Repères chronologiques

Faits économiques et sociaux Faits culturels et religieux

1253 Église supérieure d'Assise


Ligue des villes allemandes 1254 1253-1254 Mission de Guillaume de Rubrouck chez les Mongols
Ordonnances de saint Louis 1254-1260
Livre d'Étienne Boileau 1256-1268 1256 Psautier de Saint Louis
Frappe de l'écu (France) 1266 1257 Saint Bonaventure, Ministre général des Franciscains
1266 Roger Bacon: Opéra
1266-1274 Somme théologique de saint Thomas
Utilisation des premiers portulans 1270 1270 8° croisade. Condamnation de l'Averroïsme
en Méditerranée v. 1270 Poésies de Rutebeuf
Utilisation de métiers à tisser v. 1272 Cimabue: portrait de saint François.
Enceinte d'Aigues-Mortes
1274 2° concile de Lyon
1* voyage par mer de Gênes 1277 1275 Jean de Meung: 2° partie du Roman de la rose
à Londres 1280-1300 Fresques d'Assise. Giotto
Frappe du ducat (Venise) 1284 1283 Ph. de Beaumanoir: Coutumes du Beauvaisis
Troubles urbains 1280-1285 1288 Mission en Chine de Jean de Montecorvino
1 lettre de change 1291 1290-1308 Œuvres de Duns Scot
Privilège de la Hanse au Danemark 1294 1294 Église Santa Croce de Florence.
Célestin V, pape « du grand refus »
Élection de Boniface Vi
Mutations monétaires en France 1294-1296 1295 Dante Vita Nuova
Famines dans l'Europe 1315-1316 1296 Construction de Sainte-Marie-de-la-Fleur à Florence
du Nord-Ouest (Arnolfo di Cambio)
Révolte des Karls en Flandre 1324-1328 1298-1301 Marco Polo: Livre des Merveilles
Premier haut-fourneau attesté à Liège 1340 1302 Bulle Unam Sanctam
1303 Attentat d'Anagni contre Boniface VIII
Faillite des grandes banques 1343 1306-1309 Joinville: Histoire de saint Louis
florentines 1309 Installation du pape Clément V à Avignon
Assassinat de J. Van Artevelde 1345 1321 Mort de Dante
à Gand 1337 Mort de Giotto
Premier emploi certain du canon 1347 1348 Boccace: le Décaméron
Première épidémie de Peste Noire 1347-1349 1374 Mort de Pétrarque
Jacquerie 1358 1377 Retour de la papauté à Rome
Installation définitive de l'Étape- 1363 1378 Grand Schisme d'Occident
des-Laines à Calais (Urbain VI et Clément VIl papes)
Révolte des Ciompi à Florence 1378 1384 Mort de John Wyclif
Révolte des Travailleurs anglais 1381 1406 Concile de Pise
Harelle de Rouen: révolte 1382 1415 Jean Hus brûlé au concile de Constance
des Maillotins à Paris 1417 Élection de Martin V; fin du Grand Schisme
Banque Médicis à Florence 1394 1421 Dôme de la cathédrale de Florence
Colonisation des Canaries 1402-1403 1425-1432 Retable de l'Agneau Mystique des frères Van Eyck à Gand
Établissement des Portugais 1431 1430-1433 Concile de Bâle
aux Açores 1437-1439 Concile de Ferrare-Florence
Les Portugais doublent le Cap Vert 1444 1438 Pragmatique Sanction de Bourges
Invention du procédé de séparation 1451 1439 Bulle Laetantur Coeli d'union avec l'Église grecque
du cuivre et de l'argent 1446 Mort de Brunelleschi
Diaz double le Cap de Bonne-Espérance. 1487 1450 Gutenberg installe sa presse a Mayence
Début de la fortune des Fugger 1458 Pie || pape (Aeneas Sylvius Piccolomini)
Anvers supplante Bruges 1488 1486 Début de la prédication de Savonarole à Florence:
Découverte de l'Amérique 1492 la Naissance de Vénus de Botticelli
par Christophe Colomb 1492 Mort de Piero della Francesca
TABLE DES CARTES
338-339
La 1 croisade
L'empire d'Attila
Les 2° et 3° croisades
L'installation des Barbares (476)
Les 4 et 5° croisades
Les Barbares et Byzance (527-568)
De la 6° à la 8° croisade
340-341
x 356-357
L'expansion du royaume des Francs
La « Reconquista »
L'Empire carolingien
Les États latins au xi£ siècle
342-343 Plan de Jérusalem
Les échanges à l'époque mérovingienne L'ordre Teutonique
Les échanges à l'époque carolingienne
2e 250 222
= 344-345 Le commerce européen au xv siècle
Les principautés territoriales vers 960 Les réseaux commerciaux des Stromer
Le royaume wisigoth (5-ui siècles) 9000
0000
009
Les réseaux commerciaux des Peruzzi et
Le royaume lombard au if siècle Medicis

v 346-347 XII 360-361

Les invasions (ix°-x!° siècles) Les troubles du xnf au xv° siècle

L'Europe occidentale en l'an 1000 La France et l'Angleterre en 1328

vi 348-349 XIII 362-363


L'extension du domaine royal en 987 La France et l'Angleterre en 1360
L'extension du domaine royal en 1154 La France et l'Angleterre en 1429

000
009
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00L'extension du domaine royal en 1180 La France et l'Angleterre en 1461
La France et l'Angleterre en 1498
vil 350-351
L'État bourguignon
A L'extension du domaine royal en 1226
D Le Languedoc cathare au début XIV 364-365
du x siècle Bruges
Paris (début du xuif siècle) Florence
D L'extension du domaine royal en 1270 La poussée ottomane

VII 352-353 Le Grand Schisme (1378-1390)

LA Le commerce européen au xi® siècle Les troubles en Angleterre (xv£-x® siècle)

Le L'Empire sous les Hohenstaufen


*< < 366-367

pe. . 354-355 L'Europe en 1492

L'expansion de l'ordre clunisien L'Italie après la paix de Lodi


L'expansion de l'ordre cistercien 000
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La France du Sud-Ouest (1380-1404)
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Le Moyen âge en Occident - XI

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+ Routes maritimes

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10011000 Km

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Le Moyen âge en Occident - XII

Révoltes paysannés | Mouvements antisémites


Propagation de la peste
$ |Zones dévastées par les guerres
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Batailles : Rare Révoltes urbaines # ….
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Guerre des DeuxRoses”
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1340-1375
1375-1400

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NORD

ATLANTIQUE

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La France et l'Angleterre/en 1328

ANGLETERRE

ES Angleterre

== Région
Basses Terres
anglaises de « marche »
de 1344 à 1460
Possessions
du roi d'Angleterre

Batailles de la guerre
7 des Deux Roses
(1455-1485)

USA Domination anglaise

Les « cinq » ports


S. : Sandwich
D. : Douvres
Hy. : Hythe
R. : Romney
Ha. : Hastings

FRANCE

Royaume de France

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| du roi de France

Fiefs mouvants
de la Couronne
ATLANTIQUE
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| DE SAVOIE
| DAUPHINÉ
| DE VIENNOIS

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Le Moyen âge en Occident - XIII

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PROVENCE Nice
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Portion du royaume
soumis à Charles VI de Jeanne d'Arc
Avant le sacre
. Châteauneuf-de-Randon (17 juillet 1429)
Domaine direct Du sacre à la captivité
du roi de France (23 mai 1430) \
Fiefs mouvants 40° De la captivité
de la Couronne

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Acquisitièns de Louis XI
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Acquisitions
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Le Moyen âge en Occident - XIV

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du XIIIe siècle
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Canaux [| du Xiie siècle

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(G.) = possession génoise ; CR En X Bataille
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(1378-1390) NORVÈGE
1380

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Zone contrôlée
par les Hussites #2
Le Moyen âge en Occident - XV

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Possessions des Habsbou

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Les sept grands électeurs de l'Empire 2 ROYAUME
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Dépôt légal : décembre 2013 — Collection 15 — Édition 03 — N° d'impression : 310375
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LE MOYEN ÂGE EN OCCIDENT
Le renouveau de ae
LIVRE PREMIER
Le renouveau du commerce
Le Haut Moyen Âge occidental (410-1050)
I. Les premiers royaumes 13. Villes et sociétés urbaines
2. Performance romaine et changements chrétiens 14. L'Église et la société politique
3. Crises et mutations des royaumes barbares 15. Le monachisme et la recherche du salut
4. L'expansion du royaume des Francs 16. L'expansion de l'Occident
et La création de l'empire [7. La vie intellectuelle et artistique
La rénovation de La civilisation par Les carolingiens
un
a . L'échec de l’unité carolingienne LIVRE TROISIÈME
Les dernières invasions, l'éclatement féodal La fin du Moyen Âge Gav£-xv°)
et Le nouvel empire 18. Le retournement de la conjoncture
. Lents renouveaux du X siècle 19. Le destin des États et la vie politique:
20. La vie économique et sociale du monde rural
LIVRE DEUXIÈME si Les villes et l'artisanat
Le Moyen Âge classique (xi°-xui°) 22, L'activité commerciale
9. Les hommes etlaterre . 23. La vie religieuse
10.Féodalités et sociétés féodales 24. Le mouvement des idées et La vie artistique

MICHEL BALARD, professeur émérite de l’université Pari


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