Pertinence Approche en Termes de Classes Sociales
Pertinence Approche en Termes de Classes Sociales
Pertinence Approche en Termes de Classes Sociales
- comprendre que la pertinence d’une approche en termes de classes sociales pour rendre compte de la société
française fait l’objet de débats théoriques et statistiques : évolution des distances inter- et intra-classes,
articulation avec les rapports sociaux de genre, identifications subjectives à un groupe social, multiplication des
facteurs d’individualisation.
Du déclin au renouveau de l’analyse en termes de classes sociales ?
L’idée est de se demander si l’analyse de la structure sociale en termes de classes sociales est en déclin ou si elle
connaît un renouveau. On constate de nombreuses et récentes publications utilisant le terme de classes sociales
et notamment concernant les mondes ouvriers.
Pour Olivier Schwartz, la société française est encore une société de classes mais moins sur certains aspects et
plus sur d’autres. Le problème est que nous ne savons plus décrire cette société de classe.
« Je pense, comme bien d’autres, que la société française d’aujourd’hui demeure une société de classes. Ou plus
exactement, il me semble que l’on peut dire qu’elle l’est à la fois moins et plus qu’elle ne l’était à la fin des 1970.
Elle est certainement moins structurée en classes qu’il y a une trentaine ou une quarantaine d’années (...) Et en
même temps, sur d’autres plans, on peut aussi dire que le caractère de classe de cette société s’est à certains égards
accentué. Non seulement les grandes inégalités sociales se sont pour l’essentiel maintenues en se déplaçant, mais il
n’est pas exagéré de dire que certaines se sont durcies. » Olivier Schwartz, « Vivons-nous encore dans une
société de classes ? Trois remarques sur la société française contemporaine », laviedesidees.fr, le 22 septembre
2009). https://laviedesidees.fr/Vivons-nous-encore-dans-une.html.
D’où l’intérêt d’avoir étudié les évolutions de la structure socioprofessionnelle depuis la 2 nde moitié du
XXème siècle.
Sensibilisation :
Podcast « Virus et distances de classes » France Inter du 23/03/2020
https://www.franceinter.fr/emissions/l-edito-eco/l-edito-eco-23-mars-2020
Plans possibles :
Une approche en termes de classe sociale est-elle encore pertinente dans la France d'aujourd'hui?
Notions : Distances inter- et intra-classes, rapport sociaux de genre, identification subjective, groupe
social, facteurs d'individualisation
=> Faire le bilan à la fin de chaque point sur les éléments qui vont dans le sens de la pertinence des classes
sociales et sur ceux qui les remettent en cause (sous la forme d'un tableau simple par exemple)
=> Montrer qu'il existe cependant des distances intra-classes qui remettent en cause l'homogénéité du groupe
ouvrier (en terme de statut d'emploi par exemple ou d'âge).
Transition : Poser la question de la conscience de classe, notamment pour les ouvriers qui ont pu accéder à
la propriété et aux modes de vie des classes moyennes.
=> Travailler sur la question de l'évolution du sentiment d'appartenance à une classe. Montrer que le
sentiment d'appartenance à la classe ouvrière a décliné pendant que le sentiment d'appartenance à la classe
moyenne a augmenté (on peut faire le lien avec l'affaiblissement de la distance inter-classe)
=> Montrer que le sentiment d'appartenir à un groupe social moins favorisé (ou défavorisé) s'est cependant
maintenu et semble même se développer de nouveau.
=> Faire le lien avec les critères de différenciation vus dans la première partie.
=> Travailler un document qui montre comment l'individualisation des contrats, des modes de rémunération
ou d'organisation du travail ont pu conduire à rompre la vision collective de l'appartenance à la classe
sociale.
Transition : Parmi les critères d'individualisation il y a en particulier les différences entre hommes et
femmes.
d- Quelle est l'articulation entre les classes sociales et les rapports sociaux de genre?
=> Montrer que l'appartenance à une classe sociale particulière crée des lignes de fractures entre les femmes
(les femmes cadres sont moins concernées par le chômage, les emplois précaires ou le temps partiel que les
femmes ouvrières ou employées).
=> Montrer qu'en revanche une partie des questions concernant les femmes sont transversales (comme la
rémunération, le plafond de verre, ...).
OU
1) « La société française est certainement moins structurée en termes de classes qu’à la fin des
1970… »
a) Les frontières de classes se brouillent du fait de l’évolution des distances inter et intra
classes.
b) La multiplication des facteurs d’individualisation.
c) Identifications subjectives à un groupe social.
d) La classe s’articule avec les rapports sociaux de genre.
Transition : focus sur le monde ouvrier : la question de la pertinence d’une analyse en termes de classes
sociales à travers l’étude du monde ouvrier.
2) « …mais le caractère de classes de cette société s’est à certains égards accentué ». Olivier
Schwartz (2009).
a) Des distances inter-classes toujours présentes.
b) Identification subjectives à un groupe social : la classe bourgeoise, une classe au sens de
Marx.
c) Une classe populaire en expansion.
d) La classe s’articule avec les rapports sociaux de genre.
Penser à travailler dans ce chapitre : écart et rapport interdécile, coefficient de Gini et courbe de Lorenz.
Activité sur la multiplication des facteurs d’individualisation :
Cette étude de Carlotta Benvegnu et David Gaborieau, « Au hasard de la logistique. Quand les
mobilités ouvrières passent par l’entrepôt », laviedesidees.fr, 2018 montre la diversité des ouvriers car
elle dépeint 3 types d’ouvriers via 3 types de trajectoires à travers 3 histoires de vie.
1/ Montrez la diversité des ouvriers.
2/ La multiplication des facteurs d’individualisation entraîne-t-elle un déclin de l’analyse en termes de
classes sociales ? Justifiez votre réponse.
« Je ne suis pas vraiment un ouvrier » d’après Séverine Misset in De Singly F. & alii Nouveau manuel de
sociologie (2011), chapitre 7
Une sonnerie retentit. Cédric se dépêche de poser ses outils, d’enlever ses gants, d’aller au distributeur
se servir un café, puis rejoint en toute hâte l’espace fumeurs. 13 minutes et pas une de plus avant de
reprendre son poste, il faut en profiter, car la prochaine pause n’aura pas lieu avant deux bonnes heures.
Le temps de passer par les toilettes, il revient en courant afin de ne pas manquer le redémarrage de la
chaîne de fabrication. Son chef d’équipe, resté dans son box vitré au bord de la ligne, vérifie de loin que
chacun est à son poste, avant de se replonger dans l’élaboration de graphiques sur la production du jour.
Cédric, âgé de 21 ans, a travaillé deux ans comme apprenti maçon avant d’atterrir comme intérimaire
dans cette usine et supporte difficilement ces conditions de travail pénibles.
Même usine, autre atelier : Alexandre, 23 ans, titulaire d’un baccalauréat professionnel, fait partie d’une
équipe d’électromécaniciens qui dépanne les installations de l’usine. Des pauses café-cigarette, il peut
en prendre plusieurs fois par jour, au gré de ses envies — à condition bien sûr de n’être pas appelé en
urgence sur une panne dans le secteur dont il a la charge. Ce matin, le calme règne dans l’atelier, mais
les températures prévues en hausse pour les prochains jours pourraient mettre les installations à rude
épreuve et rendre les dépannages plus fréquents. Alors il profite de cette relative tranquillité pour
mettre au point avec son coordinateur quelques projets autour d’une nouvelle installation.
Deux scènes ordinaires dans la vie d’une usine et deux profils d’ouvriers qui laissent entrevoir la
diversité au sein de cette population, Cédric et Alexandre partagent pourtant un point commun
déroutant : lorsque le sociologue s’entretient longuement avec eux, il constate chez l’un comme chez
l’autre un refus chevillé au corps de se définir comme « ouvrier ». […]
Ensuite, une augmentation, parmi ceux qui conservent le sentiment d’appartenir à une classe sociale, du
sentiment d’appartenance à la classe moyenne. Dans la lignée d’Henri Mendras, ce constat a pu
alimenter la thèse de la moyennisation de la société, en particulier parce que ce type de déclaration a
connu une nette progression chez les ouvriers : « Parmi les ouvriers, ceux qui déclarent appartenir aux
classes moyennes passent de 13 % en 1966 à 30 % en 1994 » (Dirn, 1998, p. 88-89). […]
Des chiffres variables donc, mais un bilan souvent partagé : fléchissement du sentiment d’appartenir à
une classe sociale en particulier chez les ouvriers, baisse du sentiment d’appartenir à la classe ouvrière
concomitante d’une augmentation du sentiment d’appartenir à la classe moyenne.
2. L’interprétation des résultats de la mesure
La baisse du sentiment déclaré d’appartenance à une classe sociale (ou une catégorie sociale) est en
effet souvent directement interprétée comme une baisse de la conscience de classe, ingrédient essentiel
de l’existence de la classe sociale dans la perspective marxiste. De surcroît, le sentiment d’appartenance
à la classe moyenne, visiblement en augmentation, est vu comme une négation de la conscience de
classe : la classe moyenne, dans une perspective partagée par des auteurs aussi différents que Marx et
Tocqueville, est habituellement perçue comme le prototype de la « classe sans conscience » (Dargent,
2003).
De fait, l’interprétation que l’on peut faire des chiffres produits par ces enquêtes dépend fortement de la
définition — le plus souvent implicite — de la « classe sociale » qui est engagée par le sociologue. En
la matière, deux grandes traditions peuvent être distinguées, la tradition d’inspiration marxiste et la
tradition d’inspiration weberienne.
Karl Marx distingue soigneusement la « classe en soi » — définie par la place occupée dans le système
de production (propriétaire des moyens de production ou vendeur de sa force de travail) — et la «
classe pour soi », consciente de son rôle historique et mobilisée en ce sens. Il faut la conjonction de ces
deux aspects pour considérer qu’il existe une véritable classe sociale : on peut rappeler à cet égard la
métaphore de Marx sur la paysannerie formant un « sac de pommes de terre », c’est-à-dire un simple
agrégat numérique incapable d’une mobilisation pour défendre des intérêts pourtant communs.
Max Weber, lui, évoque la « situation de classe », définie par une même situation économique, des
chances semblables d’accéder aux biens, des intérêts identiques, sans toutefois que les individus en
soient nécessairement conscients. Pour lui, les classes sociales identifiées par cette situation de classe
ne sont pas le seul principe de segmentation de la société et, hors de l’ordre économique, on peut
distinguer une hiérarchie sociale fondée sur le prestige et le statut, et une hiérarchie politique fondée sur
la répartition du pouvoir. Ces trois ordres de segmentation ne se recoupent pas et aucun n’est
prédominant.
Selon que l’on se réfère à une vision marxiste des classes sociales, ou à une vision davantage
weberienne, l’interprétation des déclarations individuelles sur le sentiment d’appartenir ou non à telle
ou telle classe ou catégorie sociale pourra alors grandement différer. Comme le souligne Louis Chauvel
:
« Karl Marx attendait donc beaucoup de la classe sociale, alors que Max Weber y voyait un mode
de découpage social parmi d’autres : les marxistes conçoivent difficilement que les classes sociales
existent sans conscience de classe, sans être des classes en soi et pour soi, des groupes non
seulement repérables, mais aussi en mesure, de par leur organisation, de construire leur histoire
collective. Par un curieux retournement de circonstances, on constate finalement que l’approche
marxienne est très exigeante : se fonder sur cette acceptation porte souvent à conclure qu’il
n’existe plus de classe sociale, faute de conscience de classe marquée par une conflictualité
radicale. Au contraire, une approche weberienne permet d’admettre plus facilement la pérennité
des classes : la notion est licite dès que nous pouvons repérer des groupes inégaux aux destins
sociaux distincts. » (Chauvel, 2001, p. 317).
On trouve un exemple de ce raisonnement dans le travail de Thomas Amossé et Olivier Chardon (2006)
qui, à partir de l’enquête Histoires de vie de l’INSEE, se demandent dans quelle mesure les ouvriers
non qualifiés (ONQ) et les employés non qualifiés (ENQ) peuvent former une nouvelle classe sociale.
Pour ces auteurs, les ONQ et ENQ partagent une « véritable “condition de classe” » (p. 210) : en termes
de conditions de travail (répétitivité des gestes, respect des cadences, horaires décalés...), de salaires, de
conditions d’emploi (taux de chômage élevé, fréquence des formes atypiques d’emplois que sont les
CDD, le temps partiel ou l’intérim...), ils sont très proches et constituent bien un « segment de main-
d’œuvre à part » (Amossé et Chardon, 2006, p. 203).
Partage d’une même « condition de classe » donc, qui pourrait en faire une classe sociale au sens
weberien, mais aucune identité de classe ne vient souder ce groupe. Ils sont en effet ceux qui
s’identifient le moins à une classe sociale (ou qui déclarent le moins posséder le sentiment d’appartenir
à une classe sociale, pour rester proche des termes de la question posée). À la différence des années
1960, ce sont aujourd’hui les cadres qui déclarent le plus souvent avoir le sentiment d’appartenir à une
classe sociale (à 61 % soit une proportion à peu près stable dans le temps, contre 39 % et 43 % pour les
ENQ et ONQ respectivement) ; « la forte diminution du sentiment d’appartenir à une classe sociale a
surtout touché les milieux populaires, et plus encore en leur sein les travailleurs non qualifiés »
(Amossé et Chardon, 2006, p. 211). Pour ces quelques ONQ et ENQ qui ont le sentiment d’appartenir à
une classe sociale, la référence à la classe ouvrière est d’environ 20 %. Les auteurs voient là un signe
d’une grande fragmentation des identités au bas de l’échelle sociale : « si la catégorie des non-qualifiés,
encore émergente dans les représentations statistiques et sociologiques de l’espace social, donne le
sentiment d’être objectivement consistante, elle apparaît subjectivement éclatée » (Amossé et
Chardon, 2006, p. 223).
C’est donc plus spécifiquement le passage de la classe en soi à la classe pour soi qui poserait
aujourd’hui problème, dans la mesure où une relative étanchéité des frontières sociales (mesurée par la
mobilité sociale et l’homogamie) et des inégalités persistantes (en matière de salaires, de patrimoine, de
consommation...) ne conduisent pas à l’affirmation forte d’une conscience de classe (Chauvel, 2001).
Dans une société régulée par un État-providence et marquée par un processus d’individualisation des
conditions de vie, la persistance des inégalités (voire leur renforcement) n’empêche pas que les
individus s’émancipent des appartenances de classe (Beck, 2001).
Questions :
1/ Pourquoi est-il difficile d’envisager l’existence de classes sociales dans les
sociétés contemporaines en adoptant la vision marxienne ?
2/ Pourquoi peut-on considérer que les ouvriers non qualifiés et les employés non qualifiés constituent
une classe « en soi » ou une classe au sens weberien ?
3/ Quelle est la catégorie sociale qui déclare aujourd’hui le plus avoir le sentiment d’appartenir à une
classe ?
4/ En vous appuyant sur les réponses apportées aux questions précédentes, répondez de manière
argumentée à la question suivante : Pensez-vous que les classes sociales ont disparu dans nos
sociétés contemporaines ?
Activité : focus sur le monde ouvrier : la question de la pertinence d’une analyse en termes de
classes sociales à travers l’étude du monde ouvrier.
De moins en moins nombreux et particulièrement exposés à la précarité, les ouvriers occupent encore deux emplois
sur dix en France. Ils souffrent d’un manque de représentation.
Lorsque Martin Thibault, sociologue du travail à l’université de Limoges, a entamé son enquête, Ouvriers malgré tout
(Raison d’agir éditions, 2013), auprès des agents de maintenance de la RATP, l’entreprise lui a répondu qu’il n’y avait
pas d’ouvrier chez elle. Souvent, les agents eux-mêmes ne se disaient pas ouvriers, jusqu’à ce qu’ils soient rattrapés
par la réalité de leur métier – physique, répétitif, très encadré et exercé dans des hangars où il fait trop chaud ou trop
froid. Dans les entrepôts de la grande distribution, même constat : ni les préparateurs de commandes ni les caristes ne
se disent ouvriers. Et chez Amazon, les salariés sont des « associates ».
Mais alors, comment définir les ouvriers d’aujourd’hui si eux-mêmes ne se disent pas ouvriers ? Où est la classe
ouvrière qui, au moins en partie, se vivait comme telle, avec ses codes, ses fiertés, ses savoir-faire et ses
représentants ? Où sont les bataillons d’ouvriers entrant et sortant en même temps de l’usine ? L’ouvrier est-il une
espèce en voie de disparition ? La notion de classe ouvrière a-t-elle encore un sens ?
Maçons, chauffeurs, soudeurs, jardiniers, métalliers, commis de cuisine, dockers, ostréiculteurs… Selon l’Insee, la
France compte 6,3 millions d’ouvriers, classés en trois catégories : qualifiés, non qualifiés et agricoles. Un chiffre en
net recul par rapport aux années 1970. Alors qu’ils occupaient 40 % des emplois il y a quarante ans, ils n’en occupent
plus que 20,5 % aujourd’hui. Continental, Metaleurop, Goodyear… Ce sont avant tout des postes non qualifiés du
secteur industriel qui ont disparu : en moins de quinze ans, l’industrie a perdu près de 1,4 million d’emplois.
Mais si la figure mythique de l’ouvrier en bleu de travail sur une chaîne de production n’est plus centrale, les ouvriers
ont investi d’autres secteurs : la moitié d’entre eux travaillent désormais dans le tertiaire, ils sont 15 % dans le
bâtiment et, dans certains domaines, comme la logistique, leur nombre augmente.
Au total, un homme français sur trois ayant un emploi est encore un ouvrier. Et s’ils ont vieilli, les ouvriers restent
plus jeunes que les « jeunes cadres dynamiques » : un sur quatre a moins de 30 ans, contre un cadre sur huit. « Leur
déclin numérique est réel mais relatif, affirme David Gaborieau, sociologue du travail. Les ouvriers représentent
encore près du quart (21,5 %) de la population active, c’est important. Ce qui a vraiment décliné, c’est leur
visibilité. »
« Avant, il y avait les mines, la sidérurgie, Boulogne-Billancourt, de gros établissements dans de grandes régions
industrielles où les ouvriers étaient regroupés, observe Roger Cornu, sociologue et chercheur au Centre national de la
recherche scientifique (CNRS). Depuis, il y a eu une baisse drastique de la main-d’œuvre dans les grandes unités de
production : aujourd’hui, plus de la moitié des ouvriers travaillent dans des établissements de moins de cinquante
salariés, souvent situés dans des zones rurales. Tout ce qui était spectaculaire s’est démantelé progressivement. Du
coup, les ouvriers disparaissent. »
« On s’intéresse rarement à l’intérieur des usines, comme s’il n’y avait plus que des ouvriers sans emploi. »
Peu visibles dans l’espace public, les ouvriers le sont aussi dans les médias. A la télévision, seules 3 % des personnes
interviewées sont des ouvriers, contre 61 % de cadres, selon le baromètre de la diversité du Conseil supérieur de
l’audiovisuel (CSA). « Lorsqu’ils apparaissent dans les médias, les ouvriers sont soit accusés d’être responsables de
la montée du Front national, ce qui est en partie faux puisqu’ils sont très largement abstentionnistes, soit interrogés
alors qu’ils viennent de perdre leur emploi après une délocalisation, regrette Martin Thibault. Ils apparaissent comme
un monde vieux, finissant. On s’intéresse rarement à l’intérieur des usines, comme s’il n’y avait plus que des ouvriers
sans emploi. »
Un autre facteur a contribué à la perte de visibilité des ouvriers : l’affaiblissement des organisations syndicales et
politiques qui parlaient en leur nom – même si elles n’ont jamais représenté tous les ouvriers, et notamment les
immigrés et les femmes. Le Parti communiste français (PCF), en particulier, a considérablement perdu de son
influence. Il a aussi cessé, dès les années 1980, d’œuvrer à former et promouvoir des élites ouvrières militantes. Dans
le champ de la représentation politique, plus personne, ou presque, n’est issu du monde ouvrier. « Dans certains
secteurs d’activité, le groupe [ouvrier] n’a plus les moyens de se représenter en tant que tel », résume David
Gaborieau.
Autre évolution, la frontière entre le monde des ouvriers et celui des employés n’a jamais été aussi floue. Une caissière
qui accomplit une tâche d’exécution répétitive, codifiée et fortement encadrée n’est-elle pas, d’une certaine façon, une
ouvrière ? Et un employé d’un centre d’appel ? D’une chaîne de restauration rapide ? Les classifications de l’Insee
disent-elles tout du travail ouvrier ?
En décembre, la revue Savoir/Agir (éditions du Croquant) titrait : « De la classe ouvrière aux classes populaires ».
« La notion de classe populaire, qui rassemble ouvriers et employés, permet de prendre en compte un double
mouvement, explique Cédric Lomba, chargé de recherche au CNRS. D’un côté, le travail des employés s’est
industrialisé, standardisé. Et à l’inverse, une partie des ouvriers réalise des tâches éloignées du monde manuel. Dans
la sidérurgie par exemple, les opérateurs de production interviennent assez peu sur le produit et contrôlent un
processus informatique. »
La notion de « classes populaires » traduit aussi une mixité nouvelle. Avec l’arrivée des femmes sur le marché du
travail, les familles ouvrières ont été remplacées par des familles « hybrides », avec un père ouvrier – le secteur reste
masculin à 80 % – et une mère employée – plus de 75 % des employés sont des femmes. « C’est une évolution
importante, insiste Henri Eckert, professeur de sociologie à l’université de Poitiers. Historiquement, ouvriers et
employés n’avaient pas les mêmes comportements vis-à-vis de la propriété, de la consommation… Et pendant
longtemps, être employé était plus prestigieux. »
Si le monde employé a perdu de son aura, c’est aussi le cas du monde ouvrier. « A l’époque, quand on obtenait un
CAP ou que l’on était apprenti, c’était une promotion, indique Roger Cornu. Aujourd’hui, si vous n’avez pas le bac,
vous êtes considéré comme un déchet. Devenir ouvrier ne fait plus rêver. »
« Beaucoup d’enfants deviennent ouvriers comme leurs parents – plus d’un ouvrier sur deux est un enfant d’ouvrier,
quasiment comme il y a trente ans –, alors qu’ils ont fait des études beaucoup plus longues, ajoute Martin Thibault. Ils
ont une autre grille de lecture et sont plus sensibles à la représentation dominante, très dévalorisante. Mais la
position ouvrière est souvent la seule à laquelle on peut accéder sans diplôme d’enseignement général. »
De fait, les ouvriers sont les premiers touchés par la précarisation de la société. Ils sont la catégorie professionnelle la
plus frappée par le chômage (14,7 % en 2014) et la plus exposée aux contrats temporaires. Dans les grands groupes, le
chômage partiel se multiplie. « Les fermetures d’usine ne sont souvent que l’aboutissement d’une longue série de
restructurations partielles, détaille Cédric Lomba. A chaque fois, on diminue le nombre d’intérimaires, on ne
reconduit pas un CDD, on licencie une partie des travailleurs stables ou on ne remplace pas des départs à la
retraite… Cette condition d’incertitude, cet état de restructuration permanente font partie du quotidien des ouvriers. »
« Des jeunes travaillent six mois dans une usine, puis sont au chômage, puis se retrouvent deux mois dans une société
de surveillance, ajoute Henri Eckert. Ils vivotent d’emplois ouvriers en emplois non ouvriers. Ce sont des précaires
avant d’être des ouvriers. »
Si une partie des emplois se sont qualifiés, par exemple dans l’automobile, l’automatisation n’a pas toujours permis de
rendre le travail plus gratifiant, et les possibilités d’ascension sociale se sont tassées. Avec la réduction des effectifs,
les postes d’encadrement sont moins nombreux ou réservés aux plus diplômés. « Dans la logistique pharmaceutique
par exemple, quand il y a deux chefs d’atelier pour 150 personnes, les ouvrières essaient au fil des années de trouver
un poste un peu moins pénible mais ne changent pas de salaire ni de statut, raconte Cédric Lomba. Ce sont des
carrières horizontales. »
Invisibles et souvent précaires, privés d’une représentation forte et valorisante, les ouvriers n’ont pourtant pas disparu.
« La notion de classe populaire a un sens, assure Cédric Lomba. La bourgeoisie est la classe la plus mobilisée pour
défendre ses intérêts, mais ce n’est pas parce que les autres classes sont moins mobilisées qu’elles n’existent pas. »
Activité : Des distances inter-classes toujours présentes et l’identification subjective à un groupe.
(permet aussi de voir les distances intra-classes)
Voyage de classes Des étudiants de Seine-Saint-Denis enquêtent dans les beaux quartiers, Nicolas JOUNIN
La Découverte, octobre 2014.
Une demi-heure de métro sépare les quartiers parmi les plus pauvres de France de ses zones les plus riches. Partis
de Saint-Denis, dans la banlieue nord de Paris, une centaine d’étudiants ont enquêté sur trois quartiers bourgeois du
VIIIe arrondissement de la capitale. Pour s’initier à la démarche sociologique, ils ont dû se familiariser avec un
monde nouveau et étrange, dont les indigènes présentent des coutumes et préoccupations insolites.
Boire un café dans un palace pour observer ce qui s’y passe (et être traité comme un client illégitime), stationner
dans les boutiques de luxe pour décrire leur organisation (et se faire mettre dehors), apprendre à manger un mille-
feuilles à 14 euros avec des « bourgeoises », approcher des institutions prestigieuses où les femmes n’ont pas le
droit de vote, se faire expliquer le Bottin mondain et l’arrangement des mariages, interviewer dans son hôtel
particulier un grand dirigeant qui « fait partie de ces familles qui ont des châteaux un peu partout » : ce sont
quelques-unes des expériences que ces étudiants du 93 ont vécues. En même temps qu’il leur a fallu dompter
l’exotisme pour bien comprendre le milieu dans lequel ils pénétraient, ils ont dû encaisser l’humiliation des
multiples rappels à l’ordre social que suscitait leur démarche.
Des premières incursions anonymes et timides jusqu’aux face-à face sans échappatoire, ce livre raconte de manière
crue et joyeuse les batailles livrées pour mieux connaître un monde social dominant. L’enjeu : renverser l’habitude
qui veut que ce soit « ceux d’en haut » qui inspectent l’existence de « ceux d’en bas ».
Prix lycéen 2016 du livre d'économie et de sciences sociales
Activité : conclusion
Questions :
Q.1 Quelles évolutions de la structure sociale permettent d’expliquer selon l’auteur le déclin de l’analyse en
termes de classes sociales ?
Cf. Partie II
Q.2 Comment l’auteur nuance-t-il la disparition des classes sociales ?
Q.3 En quoi les emplois créés dans le secteur tertiaire apparaissent-ils dominés dans l’espace social ?
Reprise de ce passage d’Olivier Schwartz.
« Je pense, comme bien d’autres, que la société française d’aujourd’hui demeure une société de classes.
Ou plus exactement, il me semble que l’on peut dire qu’elle l’est à la fois moins et plus qu’elle ne l’était à
la fin des 1970. Elle est certainement moins structurée en classes qu’il y a une trentaine ou une
quarantaine d’années (...) Et en même temps, sur d’autres plans, on peut aussi dire que le caractère de
classe de cette société s’est à certains égards accentué. Non seulement les grandes inégalités sociales se
sont pour l’essentiel maintenues en se déplaçant, mais il n’est pas exagéré de dire que certaines se sont
durcies. » Olivier Schwartz, « Vivons-nous encore dans une société de classes ? Trois remarques sur
la société française contemporaine », laviedesidees.fr, le 22 septembre 2009).
https://laviedesidees.fr/Vivons-nous-encore-dans-une.html.
Tableau de N. Caulier.
Des signes d’effacement des classes Des signes de persistance des classes
Un processus de réduction des distances interclasses Le creusement/retour des distances interclasses
au cours des 30 glorieuses (moyennisation)
Sur le plan des revenus
Sur le plan culturel (ex : effritement de la Un accroissement des inégalités de
culture de classe ouvrière) répartition des ressources économiques
Sur le plan des modes de vie
Un maintien des disparités culturelles aux
Un accroissement de la variance intra-classe deux extrémités de la hiérarchie sociale
Ex : la classe ouvrière scindée entre
insiders et outsiders
Une cohérence des classes sociales remises en cause Un processus d’individualisation moindre aux deux
par le processus d’individualisation extrémités de la hiérarchie sociale
Des choix et des parcours individuels Des classes bourgeoises activement
émancipés de la classe d’origine (ex : mobilisées dans la reproduction sociale
transclasses) Des classes populaires fragilisées par le
Une moindre identification subjective à processus d’individualisation
une classe sociale
Lorsque les rapports sociaux de genre supplantent les Rapports sociaux de genre s’articulant avec les rapports
analyses en termes de classes sociaux de classe
Les inégalités de genre comme élément de
Les rapports sociaux de genre comme facteur de structuration interne des classes
brouillage des classes sociales ou d’accroissement de Les inégalités de classe comme élément de
la variance intraclasse) hiérarchisation de la « classe des femmes »