Problématique Du Développement: Défi À L'église: Vincent Cosmao
Problématique Du Développement: Défi À L'église: Vincent Cosmao
Problématique Du Développement: Défi À L'église: Vincent Cosmao
2024 12:01
URI : https://id.erudit.org/iderudit/400356ar
DOI : https://doi.org/10.7202/400356ar
Éditeur(s)
Faculté de philosophie, Université Laval
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0023-9054 (imprimé)
1703-8804 (numérique)
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PROBLÉMATIQUE
DU DÉVELOPPEMENT :
DÉFI À L'ÉGLISE *
Vincent COSMAO
RÉSUMÉ. — Au point de départ du développement doit être admis le principe que les
peuples sont les libres acteurs de leur propre développement. Ce principe
implique la réorganisation des rapports entre les peuples, la mise en commun des
nouvelles techniques en articulation avec les savoir-faire traditionnels, un nouveau
souffle créateur comme inspiration d'une dynamique de développement. Cette
nouvelle problématique du développement constitue un nouveau Kairos, qui
signifie aussi un nouveau défi pour l'Église de notre temps.
I L Y A VINGT ANS, nous étions jeunes. Lebret venait de nous quitter, nous laissant
tout de même un peu orphelins. Paul VI avait reçu son message qu'il faisait passer
dans son encyclique sur le développement des peuples. «Toutes les idées y étaient,
m'avait-il dit, mais pas le style». Lebret, en effet, avait pensé devoir écrire «en style
d'encyclique ». « On ne peut plus écrire ainsi aujourd'hui » ajoutait le pape qui me dit
encore à la première audience de la Commission pontificale Justice et Paix, en mettant
la main sur le texte de l'encyclique : « Ce document est aussi un hommage au cher, et
vénéré, et regretté Père Lebret ». À la même audience, il comparait notre commission
au coq qu'on met sur le clocher quand la construction de l'Église est terminée. Un des
effets de ce propos fut la collection de coqs, venant des quatre coins du monde, qu'on
vit progressivement apparaître dans le bureau de Mgr Gremillon, notre secrétaire
général.
Nous étions jeunes et nous prenions au sérieux la mission qui nous était confiée et
qui était d'ordonner l'Église à la prise en charge de sa tâche dont le Synode sur la
justice dans le monde devait dire, en 1971, que «le combat pour la justice et la
* Conférence donnée à l'Université Laval le 24 mars 1986, dans le cadre du Colloque Paix et développement,
tenu à l'occasion du vingtième anniversaire de la Commission pontificale Justice et Paix et de la
parution de l'Encyclique Populorum Progressio.
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I. PROBLÉMATIQUE DU DÉVELOPPEMENT
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chose que l'intégrer marginalement au système global où elle risque fort de continuer à
s'enfoncer dans le sous-développement du fait même de sa détermination exogène. Il
va sans dire qu'à cette profondeur, les problèmes se posent à peu près dans les mêmes
termes, dans les secteurs ou les régions en transition des pays industrialisés et dans les
pays sous-développés. Si depuis quelques années on est attentif à la mise en mouvement
des sociétés civiles, c'est parce qu'au même titre que les peuples, elles ont à être au
point de départ de la relance à leur dynamique.
Partir ainsi de la « ressource humaine », à la manière de Perroux, c'est évoquer les
potentialités créatrices, souvent étouffées, des sociétés humaines, capables de se
ressourcer en elles-mêmes, dans leur tradition, dans leur culture, dans leur mémoire,
non pour se répéter ou se reproduire à l'identique dans l'illusion des retours aux
sources mais pour se déployer en innovant dans la confiance retrouvée en leur
dynamique d'humanisation. Tout est en l'homme et, presque, tout est possible.
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dans l'encyclique de Paul VI sur le développement des peuples. Il pensait aux valeurs
qu'il voyait se dissoudre dans ce qu'il appelait l'anti-développement. Son propos vaut
aussi pour les savoir-faire et les techniques que les civilisations ont à se transmettre les
unes aux autres à condition qu'elles ne perdent pas la mémoire et qu'elles y retrouvent
sans cesse la source de leur imagination créatrice.
4) Pour franchir le seuil devant lequel elle arrive, l'humanité devra trouver un
nouveau souffle qui donne sens et force à la conduite de son histoire : c'est la
dimension spirituelle du développement.
À observer le monde comme il va, l'impression qui s'impose est qu'il s'est
essoufflé. La croissance des belles années n'a pas toujours été facteur de développement,
c'est le moins qu'on puisse dire si par développement on entend la construction d'un
monde où la vie soit possible pour tous. Elle créait cependant du mouvement et il
arrivait parfois à des groupes ou à des sociétés d'y trouver un élan ou un tremplin pour
leur auto-développement. Aujourd'hui de mensonges plus ou moins habiles en
obstination à jouer, à se faire peur, de terrorismes en sur-armement, de trafic
d'influence en paris sur les devises, les acteurs en vue donnent souvent un spectacle
médiocre, tandis que les pauvres sont paralysés par la peur de devenir encore plus
pauvres.
Si quelques prophètes, quelques témoins ou quelques grandes consciences aident
ceux qui sont attentifs aux signes qu'ils nous font à ne pas mourir asphyxiés, la
tendance dominante dans les sociétés qui sont à peu près sorties d'affaire, momentané
ment du moins, est à se mettre à l'abri, à protéger les acquis, privilèges ou simple
aisance souvent durement conquis. La peur, panique ou sourde, étouffe ou amoindrit
tout élan. L'assurance contre tout risque va de pair avec la préparation à la retraite. Et
s'il arrive qu'il y ait des fuites en avant, c'est moins en création de biens et de services
qu'en spéculation et enjeux de hasard ou de bourse : on joue à qui perd gagne et quand
on gagne on s'éclate, comme on dit, et c'est le spectacle dont le symbole par excellence
est la bouteille de champagne qu'on fait fuser au lieu de la boire : satisfaction ! comme
dit le message publicitaire.
De l'autre côté du monde, là où la vie est toujours en danger, faute du minimum
vital ou parce qu'elle est sous surveillance de ceux qui défendent leurs privilèges, le
souffle ne manque pas à ceux qui sont affrontés à l'impossible. Bricolant, échouant,
recommençant, ils créent les conditions de la vie. Peut-être font-ils trop d'enfants ? Un
des effets en est leur jeunesse qui, même quand la mortalité infantile n'est pas encore
jugulée, est porteuse de vie et d'espoir. C'est là où la vie est dure, que la fête manifeste
la victoire de la vie et de la joie de vivre.
La vitalité des pauvres déteindra-t-elle sur ceux que tout porte à se calfeutrer ou
allons-nous vers les vastes mouvements de populations qui en d'autres temps ont
bouleversé la face du monde ? « Mondes en marche » titrait Sauvy il y a quelques
années, tandis que Braudel écrivait à la page 469 du tome 3 de son ouvrage magistral
« Civilisation matérielle, économie et capitalisme » : « Le Tiers-monde pour progresser
ne peut que briser, d'une manière ou d'une autre, l'ordre actuel du monde ». Tornade
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ou brise tonifiante? « Le vent se lève, il faut tenter de vivre » écrivait naguère Valéry.
Nous serions plutôt en panne de vent, encalminés, et il nous faudra descendre en nous-
mêmes pour y trouver le souffle d'un nouveau départ.
Il dépend de nous, en effet, du mouvement historique que nous saurons ou non
relancer, que la crise soit l'entrée en sous-développement généralisé ou la mutation qui
ouvrirait une ère nouvelle. Jamais sans doute depuis l'ère néolithique, l'humanité ne
s'est trouvée affrontée dans une telle globalité à la nécessité d'une telle reconversion.
Il va sans dire que l'Église, considérée comme le collectif de ceux qui prennent en
compte leur relation à Dieu selon la pratique et la prédication de Jésus et qui
s'organisent pour agir dans l'histoire, n'est pas à l'abri des questions, des turbulences,
ou des somnolences avec lesquelles l'humanité est aux prises, même si, à l'observer au
jour le jour, tout donne à penser qu'elle cherche elle aussi à se mettre à l'abri, à se
protéger des contaminations ou des dérives ambiantes. Qu'elle ne soit pas du monde
ne veut pas dire qu'elle n'ait pas à être au monde, à ses risques et périls, n'ayant pas sa
réalité en elle-même puisque comme « sacrement » elle signifie et réalise, ou contribue à
réaliser, la « montée humaine » vers le royaume où Dieu sera tout en tous. En temps de
crise, le salut de l'humanité commence par son sauvetage et il ne s'agit pas seulement
des quelques élus qui trouveraient place dans l'arche : tous sont appelés à la vie et la vie
commence par la création de ses conditions de possibilité.
Si l'humanité ne peut s'en remettre à personne ni à aucune organisation de sa
tâche d'auto-création collective, il arrive que même ceux qui ne fréquentent pas
l'Église parce que souvent elle a prétendu leur dire ce qu'ils s'estimaient assez grands
pour déterminer par eux-mêmes, attendent d'elle qu'elle leur ouvre des perspectives
qui les remettent en marche. Jamais sans doute depuis très longtemps, le christianisme
n'était apparu comme aujourd'hui susceptible d'être ou de re-devenir le mouvement
historique qu'il est quand il ne se fige pas en système. Il reste à explorer les conditions
auxquelles l'Église pourrait redevenir une force en marche avec l'assurance dont se
réclamait saint Paul et qui n'a rien à voir avec la suffisance ni avec la protection contre
le risque.
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2) Scrutant les signes des temps l'Église est conduite à discerner les injustices
structurelles quifont obstacle au développement des peuples et dans lesquelles
il lui fait dévoiler le «péché du monde ».
Si on est porté à reprocher à l'Église de voir le péché partout, il arrive aussi qu'elle
se refuse à le voir là où il est, là où il cristallise, là où il fige ce qui devrait être en
mouvement : les dynamiques sociales par exemple.
Que le monde se soit structuré de telle manière que ses « mécanismes... produisent
des riches toujours plus riches aux dépens de pauvres toujours plus pauvres » comme le
disait Jean-Paul II, à Puebla, interprétant Paul VI qui ne l'avait pas dit ainsi dans son
encyclique sur le développement des peuples, il est difficile de le contester. Les
rapports entre les groupes sociaux et les peuples font système de telle manière que
l'inégalité croissante produit l'injustice qu'est la pauvreté absolue de centaines de
millions de personnes. L'acceptation de cette logique comme une fatalité, comme une
inertie inscrite dans la nature des choses, comme une loi qu'il ne serait pas possible de
transgresser, conduit à la forme subtile d'idolâtrie qui consiste à considérer un système
construit de mains d'hommes comme correspondant à l'ordre divin des choses.
Experte en divinité, l'Église doit être vigilante, attentive à dévoiler ce qui se
produit ainsi dans l'infrastructure de sociétés : si la destination universelle des biens est
bloquée dans sa réalisation et si de surcroît les structures mentales qui sont en
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corrélation avec les structures sociales déterminent à penser qu'il en est ainsi parce
qu'il est écrit qu'il doit en être ainsi, Dieu est doublement nié, comme Dieu qui seul est
Dieu, excluant toute sacralisation indue, et comme garant du droit des pauvres. Si
cette double contradiction avec ce que Dieu dit, veut ou signifie, ne tombe pas
d'emblée sous l'analyse que permet le concept de péché c'est sans doute parce que les
prophètes nous ont appris à intérioriser et à personnaliser son mode de fonctionnement
pour rendre possible la conversion dont chacun est seul à pouvoir décider. Mais plus
radicalement que la responsabilité, le péché sert à désigner la contradiction avec Dieu,
la discordance avec ce qu'implique sa reconnaissance comme Dieu.
Qu'il soit illusoire de se demander qui est responsable du péché du monde ne veut
pas dire qu'il ne faille pas considérer que ce monde se soit structuré dans le péché alors
que structurellement il rend la vie impossible pour le grand nombre. Qu'il ne faille pas
se culpabiliser devant le mal sur lequel on pense ne pas avoir prise, ne veut pas dire
qu'il ne faille pas se responsabiliser pour sa nécessaire transformation. Si les pauvres,
qui ne sont pas sans péché, perçoivent d'instinct où se trouve le péché du monde,
même s'il leur arrive de se tromper dans sa désignation ou sa nomination, voire de
céder à la tentation de diaboliser, ce qui est une manière de sacraliser négativement, ce
qui n'est jamais que l'effet pervers des hasards de l'histoire ou de décisions inconsidé
rément prises par ceux qui l'ont faite, l'Église doit être attentive à repérer les scléroses
ou les distorsions sur lesquelles ils attirent ainsi son attention. C'est du dévoilement de
ce péché du monde que dépend, en effet, la conversion à Dieu qui passe par la
nécessaire transformation du monde. Quand les pauvres se libèrent de ce qui leur fait
violence, ceux qui ne sont pas soumis à la même violence ont à se convertir de toute
complicité, même occultée ou refoulée, avec la violence qui leur est faite.
Ce travail de dévoilement, de mise à nu, de l'injustice et de l'idolâtrie, l'Église y
est engagée depuis des décennies : ce qui fait difficulté, c'est encore une fois, le langage,
la capacité à appeler les choses par leur nom. Étant qualifiée pour prolonger les
analyses sociales en relation à Dieu, l'Église a à dire ce qui n'est pas compatible avec sa
reconnaissance comme Dieu. Qu'elle se soit trompée dans le passé en présentant
comme correspondant au dessein de Dieu une organisation sociale structurellement
inégalitaire dont elle assurait la sacralisation ne la disqualifie pas, si du moins elle
reconnaît son péché, pour désigner ce qui est incompatible avec la prise en compte de
la relation à Dieu.
Si le péché prend forme au cœur de l'homme, là où naissent les intentions
perverses, il prend corps aussi dans les structures sociales et mentales dont l'évidence
sert à l'occulter. C'est là où il se cache qu'il importe de le dévoiler.
Veilleur, que dit l'aurore? Grâce à Dieu, le feu couve toujours sous la cendre. Si
l'humanité peut paraître essoufflée, somnolente, c'est peut-être parce que l'information
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qui circule est celle qu'on fait circuler pour inquiéter/ rassurer ceux qui somnolent, ou
pour les divertir, sans trop les perturber ou les paniquer. Si les prouesses que certains
réalisent pour se rendre la vie possible là où elle est impossible étaient données à voir, il
n'est pas exclu que l'effet produit puisse être d'inciter les autres à se mettre encore plus
radicalement à l'abri à moins que l'idée ne leur vienne de se joindre au monde des
vivants. Il existe en effet, même s'il ne se donne pas en spectacle. Il y a des forces en
marche, il y a des mouvements porteurs d'espoir. Sans doute sont-ils plus discrets
qu'en d'autres temps, moins bavards, moins portés à dire ce qu'ils font avant de
l'avoir fait car c'est ce qu'ils font qui importe pour eux, leur objectif se limitant
souvent à la satisfaction de leurs besoins essentiels ou à l'organisation d'un minimum
d'espace vital. À qui les découvre non en curieux mais en partenaire ce n'est pas sans
fierté qu'ils montrent ce qu'ils font.
Il arrive plus souvent qu'on ne serait porté à le penser que ces mondes en marche
soient intégrés ou liés à l'Église, là où elle s'est enfouie dans les sociétés, plus attentive
à être ensemencée en elle qu'à engranger ou à inscrire sur ses registres ceux qu'elle
attirerait à elle. Il est des églises immergées dans des sociétés où elles n'ont, à vues
humaines, aucune perspective d'implantation ou d'institution : ces églises avancent au
pas des sociétés dont elles peuvent parfois témoigner qu'elles se construisent et se
développent. Ces églises de diaspora, sans visibilité, sans comptabilité, devraient par
leur vitalité souterraine, attirer l'attention de l'Église universelle sur la montée
humaine qui se poursuit à son rythme qui est toujours celui des longues marches, de
génération en génération.
Il est d'autres mondes en marche plus invisibles encore : au champ de la pensée, de
la recherche, de la réflexion, de la sagesse, de la spiritualité. A qui est attentif au
mouvement des idées, des indices imperceptibles, les signes, ce que dit le vent, ne
donnent pas nécessairement à penser que l'humanité soit en régression. Ici encore, il
faut laisser le temps au temps pour que germe ce qui germe, pour que mûrisse ce qui
travaille à partir des profondeurs. Dieu se tait et les prophètes sont morts, est-on
parfois tenté de se dire et il arrive que le vent dise qu'il n'en est rien et qu'à ceux qui
s'efforcent à sortir de la misère ou de la nuit, Dieu parle encore, imperceptiblement. Il
est des soupçons d'idées neuves, ou très anciennes, qui cheminent, que captent les
poètes, les artistes, les moines ou les moniales apparemment séparés du monde mais
qui ont des antennes.
C'est peut-être surtout à ces «informations» informulées, diffuses, fluides, que
l'Église serait plus attentive si elle était plus contemplative, plus assidue à écouter la
nuit, à discerner les signes des temps qui souvent cessent de faire signe quand on
commence à en parler, tant le langage a tendance à revenir répétitif, stéréotypé. Au
cœur des villes ou des bidonvilles comme au désert, il est des boîtes noires qui captent
les souffles de l'Esprit comme d'autres piègent les rayons cosmiques. Si, en Église, on
scrutait le silence comme, en astronomie, on ausculte les galaxies, il est des messages
qui donneraient à penser et à espérer. « L'avenir est ouvert » écrivait naguère Chenu à
la fin d'un article. Encore faut-il être tendu vers l'avenir et croire à sa possibilité.
Encore faut-il ne pas être paralysé par la peur.
L'Église a peur. Elle écoute trop volontiers les «prophètes de malheur, qui
annoncent toujours des catastrophes, comme si le monde était près de sa fin » avec qui,
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disait Jean XXIII, « il nous semble nécessaire de dire notre complet désaccord » et il
ajoutait : « Dans le cours actuel des événements, alors que la société humaine semble à
un tournant, il vaut mieux reconnaître les desseins mystérieux de la Providence divine
qui, à travers la succession des temps et les travaux des hommes, la plupart du temps
contre toute attente, atteignent leur fin et disposent tout avec sagesse pour le bien de
l'Église, même les événements contraires. »
4) Qu'elle le veuille ou non, dès lors qu'elle n'est pas inerte ou enclose en elle-
même, l'Eglise interfère avec le mouvement de l'histoire dont la conduite est
l'objet de la politique.
Que l'Église se soit tellement mêlée de politique qu'en son organisation elle
n'apparaissait plus que comme un des acteurs des jeux de pouvoir où toutes les cartes
étaient entre les mains des prêtres et des princes aide à comprendre qu'aujourd'hui, où
elle a commencé à intérioriser la critique qu'il a fallu faire de son histoire pour se
libérer de sa tutelle, elle se méfie viscéralement de la politique, au risque d'ailleurs
d'instituer une telle division du travail entre clercs et laïcs que ceux-ci soient d'autant
moins responsables en Église qu'ils sont plus incités à prendre leurs responsabilités en
politique. L'affaire est loin d'être tirée au clair.
Quand l'État devient totalitaire, il n'y a pas à hésiter. La place de l'Église est aux
côtés du peuple ou plutôt au sein du peuple « maître de son destin » comme l'a rappelé
Jean-Paul II, ce qui sous-entend d'ailleurs que l'Église non plus n'a pas à se substituer
à lui. Quand l'État dérive vers le totalitarisme, il lui faut déjà plus de lucidité,
d'intériorité et de capacité d'analyse pour repérer le danger, l'appeler par son nom et
entrer en résistance, avec le peuple.
C'est en démocratie que tout se complique. Le peuple étant au pouvoir et ne
pouvant passer son temps à se gouverner, au risque de ne plus pouvoir rien faire
d'autre, il lui faut déléguer au moins une part de ses responsabilités à ceux qui se
proposent pour les prendre en charge en étant disposés à en rendre compte. Dès lors
commence la course au pouvoir avec ce qu'elle comporte inévitablement de démagogie,
d'utopie, de messianisme ou d'illuminisme. Avec la meilleure foi du monde, parfois,
avec cynisme, souvent, les quêteurs de suffrages se présentent comme les seuls
capables de faire les miracles qu'attendent tous ceux qui ne savent plus à quel saint se
vouer. À la limite ils se présentent comme envoyés de Dieu si, plus subtilement, ils ne
laissent pas entendre qu'ils sont de la race des dieux affrontés aux diables. Dans nos
sociétés que l'on dit sécularisées, on peut observer des investissements de religiosité
qui sont d'autant plus redoutables qu'ils ne peuvent plus être dévoilés, et encore moins
régulés, la religion, dont la fonction est de veiller à ce que soit rendu à Dieu, et à Dieu
seul, le culte qui lui est dû, étant reléguée dans la vie privée. Que l'Église doive être
vigilante devant des dynamiques qui deviennent ainsi partisanes voire idolâtriques
c'est ce qui découle, à l'évidence, de son enracinement dans le monothéisme. Mais cela
vaut pour toute l'Église et pour tous en Église, clercs et laïcs.
Il ne faudrait cependant pas en déduire qu'en politique tout soit relatif. De ce
point de vue, il n'est pas sans intérêt d'observer qu'on assiste à un retour, discret, de
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VINCENT COSMAO
5) Accomplie une fois pour toutes, la Pâque du Christ est en train de se réaliser
dans le mouvement de l'histoire.
Au cœur du monde, l'Église est, à tout instant, en rain de vivre le mystère de la
Pâque dans lequel elle découvre, par expérience, que toute mort est naissance, comme
toute naissance est mise au monde où règne la mort, mais, en dernière instance, c'est la
naissance qui prévaut, la résurrection et la vie, non pas au bout du compte, à la fin de
l'histoire, mais ici et maintenant, en ce moment, en ce Kairos, où commence l'éternité
bienheureuse. Ce n'est pas le temps de la patience plus ou moins résignée, c'est le
temps de la vigilance.
Semée, enfouie, dans l'histoire, l'Église est la semence qui r;rine. ■ ! i •>■; , •
parole qui dit que la vie est plus forte que la mort, la seule parole (;u; re p.u s- l i r . -
qu'elle fait que lorsqu'elle fait ce qu'elle dit.
Sans doute cette parole devrait-elle devenir plus silencieuse. La fabrication de
discours à partir des discours déjà fabriqués, ce travail de «commentateurs de
commentateurs» que dénonçait Saint-Exupéry, les ordinateurs le feront bientôt
mieux que ceux qui semblent avoir été programmés pour le faire. Seule la parole qui
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DÉFI À L'ÉGLISE
naît du silence est porteuse de vie, la parole conquise sur la nuit, le désert ou la mort, la
parole vraie, native, résurrectionnelle.
Pour enfanter une telle parole, là où elle est attendue, l'Église est appelée à
trouver son centre nerveux et son cœur là où les morts ressuscitent, là où ceux que le
fonctionnement même du système condamne à mort, créent les conditions de la vie.
Elle y est déjà présente. Il lui reste à s'en rendre compte, à en prendre conscience, à en
rendre compte, c'est-à-dire à faire la théologie de sa pratique en vérifiant que c'est là
où elle fait ce qu'elle dit que la Parole est de Dieu, incarnée dans l'histoire où elle
ressuscite sans cesse la vie. Mais cette Parole est décapante, dépouillante, dénudante,
disséquante, triturante. Elle est un feu dévorant. Seul lui résiste, transfiguré, ce qui
dans la condition humaine est de Dieu, ce que Thomas d'Aquin appelait le «désir
naturel de voir Dieu ». Voir Dieu et mourir, pour vivre.
Ce que l'Église a mission de dire au monde est tellement ineffable que pour le dire
il lui faut, sans aucun doute, se concentrer en elle-même pour le vivre intensément.
Mais se concentrer n'est pas se mettre à part, c'est aussi se dissoudre comme le sel dont
la solution peut devenir tellement dense que l'eau devienne porteuse, ou comme le
levain qui fait lever toute la pâte.
À la jonction du temps et de l'éternité, la Pâque du Christ est co-extensive à
l'histoire : c'est toujours ici et maintenant que la vie est en train de sortir victorieuse de
la mort.
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