Université Du Québec Montréal
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LA DÉCENTRALISATION AU MALI :
MUTATIONS POLITIQUES LOCALES ET CHANGEMENTS SOCIAUX
MÉMOIRE
PRÉSENTÉ
COMME EXIGENCE PARTIELLE
DE LA MAÎTRISE EN SCIENCE POLITIQUE
PAR
SIMON GODIN-BILODEAU
FÉVRIER 2010
UNIVERSITÉ DU QUÉBEC À MONTRÉAL
Avertissement
La diffusion de ce mémoire se fait dans le respect des droits de son auteur, qui a
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[l'auteur] conserve la liberté de diffuser et de commercialiser ou non ce travail dont [il]
possède un exemplaire.»
AVANT PROPOS
sociaux et les réformes de décentralisation constituent des aspects parmi d'autres des
processus de formation de l'État. À ce titre, la transformation des dispositifs
d'administration territoriale représente un sujet potentiellement « explosif» et les
conflits susceptibles d'émerger sont largement tributaires des rivalités entre les
différentes composantes sociales qui influencent le cours de la vie politique locale ou
nationale.
1 Sur les ambiguïtés liées à l'appellation « société civile}) dans le contexte malien, voir: Roy, 200Sa.
IV
Bamako qui nous ont introduit aux enjeux soulevés par la décentralisation. Une mention
particulière à Mme Lydia Rouamba, dont les corrections, les observations et les
commentaires ont été vivement appréciés tout au long de nos travaux de recherche.
Enfin, nous tenons tout spécialement à remercier notre directrice de recherche, Mme
Nancy Thede, professeure au département de science politique de l'Université du
Québec à Montréal, sans qui la rédaction de ce mémoire n'aurait jamais pu se réaliser.
Ses pistes de réflexion et ses judicieux conseils nous ont été d'un grand secours pour
surmonter les impasses et peaufiner notre analyse.
TABLE DES MATIÈRES
AVANT PROPOS ii
LISTE DES ABRÉVIATIONS __ ._ _._ ix
RÉSUMÉ xi
INTRODUCTION _ _ _ .
4.1 Découpage territorial et recomposition des conflits locaux autour du foncier .__ _._ 96
4.1.1 L'influence de l'administration civile dans te processus de découpage_ .. .. _._.......... 99
4.1.2 L'intervention des chefs « coutumiers» et leurs rapports au foncier. ._ __ _. 100
4.2 L'instrumentalisation de la commune par les rivalités foncières.. _._ __ .. _.. _ 104
viii
Au Mali, les arènes locales sont composées d'une hiérarchie de pouvoirs locaux et de
pouvoirs d'État qui s'assemblent et se superposent entre eux. Les rapports entre ces
pôles d'autorité se trouvent au carrefour de plusieurs logiques (locales et étatiques) dont
les légitimités sont transformées, réinterprétées et instrumentalisées par les acteurs qui
évoluent dans la sphère locale. Avec la réforme de décentrai isation engagée sous la
présidence d'Alpha Oumar Konaré (1992-2002), la création de nouvelles communes
recouvre les anciens rapports de pouvoirs/territorialités et obligent les acteurs à se
repositionner dans l'arène locale en redéfinissant leurs modes d'action politique.
Ce mémoire examine les interactions entre les principaux acteurs et les conflits entre
groupes sociaux suscités par la décentralisation en les situant d'après les modalités
d'institutionnalisation de la sphère locale par l'ancien régime. Le cadre théorique adopté
s'inspire des travaux de la sociologie historique néowébérienne et de l'anthropologie
politique des espaces publics. Partant de la conceptualisation de la décentralisation en
tant qu'enjeu de pouvoir de l'arène locale, nous considérons que cette réforme suscite
des luttes entre « groupes stratégiques» qui la transforment, tout en l'intégrant dans des
pratiques et des structures de pouvoir antérieures.
L'Afrique des Conférences nationales qui se dessine au début des années 1990
voit un essor rapide du multipartisme dans un paysage politique marqué par des régimes
autoritaires et l'omniprésence de l'armée. Les réformes de décentralisation initiées au
Mali s'inscrivent dans cette tendance lourde allant vers la libéralisation de l'espace
politique à l'échelle du continent. Depuis l'indépendance en 1960, la présence de l'État
dans les régions rurales se limitait aux contraintes des administrateurs civils, des
militaires, des douaniers et des percepteurs d'impôt. Les hauts fonètionnaires de la
capitale prenaient les décisions pour l'ensemble du tenoitoire et les comités du parti
unique dispersés à tous les niveaux noyautaient la scène politique. Dans le contexte des
plus récentes réformes de décentralisation mises en œuvre à compter de 199 l, la
dévolution de certains pouvoirs de l'appareil d'État à des autorités locales élues par la
population représente à la fois une rupture avec le « centralisme démocratique» du parti
unique et une remise en cause des structures de commandement héritées de la
colonisation. La transition démocratique en cours au niveau national est
progressivement étendue au fonctionnement des institutions locales sur l'ensemble du
pays. Un système administratif reposant jusque-là sur la répression est appelé à laisser
place à une arène plus ouverte aux débats offrant davantage de libertés aux citoyens.
l'État s'inscrivant dans un vaste processus de changement social ayant pour finalité de
rompre avec l'héritage laissé par les précédents régimes coloniaux et postcoloniaux :
La Décentralisation malienne est définie par ceux qui l'ont mise en œuvre comme
« une révolution institutionnelle» qui, dans une perspective de « consolidation du
processus démocratique », définit « avant tout un esprit et une logique de
gouvernance », et vise donc, par le biais d'une reformulation des rapports entre État
et citoyens, à une « intégration sociale, économique et culturelle» générale
supposant «la prise en compte et la gestion ...(de tous les) ... déséquilibres
économiques, sociaux et culturels ... qui s'ilfustrent dans la société malienne »,
notamment des « cassures ... entre le traditionnel et le moderne, le rural et l'urbain,
l'alphabétisé et l'analphabète, le riche et le pauvre, le Nord et le Sud, t'indigène et
l'importé ... »(Fay, 2006, 103)
Question de recherche
Au Mali, les arènes locales sont composées d'une hiérarchie de pouvoirs locaux
et de pouvoirs d'État qui s'assemblent et se superposent les uns aux autres au fil des
reconfigurations introduites par les différents régimes qui se sont succédés à la tête du
pays. En créant de nouvelles instances communales, la décentralisation recouvre ces
anciens pouvoirs en redéfinissant les pôles d'autorité, les formes d'articulation aux
autres pouvoirs et les logiques qui conduisent leurs modes d'action politique. Ainsi, il
importe de bien distinguer l'espace politique préexistant à la réforme des nouvelles
3
locale. Les élus placés à la tête des communes sont destinés à· incarner la «volonté
populaire» des communautés et à prendre des décisions en leur nom. C'est sur ces
nouveaux pouvoirs locaux créés par la réforme et les rapports qu'ils entretiennent avec
les instances coutumières et les pouvoirs d'État que nous souhaitons porter l'essentiel
de notre analyse. Lorsque nous faisons référence à «l'appareil d'État» ou aux
« pouvoirs d'État », il s'agit principalement des administrateurs civils qui exercent les
prérogatives de puissance publ ique dans leur circonscription et dont les postes
quadrillent l'ensemble du territoire: «Les divers représentants locaux de
l'administration forment une couche sociale dotée d'intérêts propres, d'une
représentation propre de son statut et d'une assez grande liberté d'action face au pouvoir
central. » (Fay, 2000b, 129) La présence du gouvernement se fait aussi sentir à travers
l'intervention des agents des services déconcentrés de l'État dépêchés dans les antennes
locales des ministères. De plus, le rôle ambigu joué par les factions politiques et leurs
membres présents dans la sphère locale devra nécessairement être pris en compte. Il
s'agit de réseaux réticulaires qui englobent des députés, des ministres, des cadres de
partis ou des hauts fonctionnaires, pénètrent les intermédiaires placés à tous les niveaux
de la pyramide administrative de l'État et vont jusqu'aux plus petits détenteurs d'une
position politique dans l'espace local. En outre, des autorités religieuses, des
organisations non gouvernementales (ONG), des opérateurs économiques privés et toute
une gamme d'associations locales de développement apportent leur contribution aux
dynamiques locales. Malgré l'influence manifeste de ces multiples acteurs dans la vie
politique locale, les questions soulevées par la décentralisation se révèlent
particulièrement vastes et nous souhaitons concentrer notre analyse sur la
transformation des rapports de force entre pouvoirs locaux et pouvoirs d'État en
examinant les rapports qu'entretiennent les élus communaux avec l'administration
telTitoriale et la chefferie administrative coutumière.
ont exercé une influence (que ce soit en terme de projet de société ou de cadre
d'analyse) sur la façon dont les réformes de l'administration territoriale ont été mises en
œuvre au Mali. L'unanimité de la « société civile », des « développeurs» et des
gouvernements à propos des politiques de décentralisation montre qu'une « idéologie
participative» s'est dessinée peu à peu dans l'imaginaire politique contemporain.
Néanmoins, cette apparence de consensus cache une juxtaposition de lectures de la
décentralisation où chaque acteur investit ces réformes de significations et d'objectifs
qui reflètent des projets de société distincts. Ainsi, « l'idéologie participative» des
différents auteurs que nous abordons se conçoit d'après un agenda politique, une grille
d'analyse des enjeux et une conception du rôle de chaque acteur qui expriment une
vision particulière des modalités et des buts poursuivis par la décentralisation.
1 Face à celte approche [Jositiviste du droit, l'anthropologie juridique propose une analyse sociologique
qui prend en compte l'existence au sein des arènes locales de systèmes juridiques appartenant à des
«champs sociaux semÎ-autonomes» pouvant entrés en complémentarité ou en conflit avec le droit
étatique (Hesseling et Oomen, 2005 ; Le Roy, 2006 ; Dicko et Djiré, 2007),
8
\
représentent une composante essentielle du nouvel agenda axé sur la «bonne
gouvernance» et deviennent rapidement une des principales composantes des
« conditionnalités » des bailleurs d~ fonds. Sous couvert de « participation populaire»
et «d'action citoyenne », la dévolution des responsabilités du gouvernement à des
instances locales de proximité prend alors la forme d'une privatisation «par le bas» des
services à la population (Samaké, 2005).
"Accountability is often best promoted by establishing a clear and close linI< between
the costs and benefits if public services, so that the overall amount of expenditure
responsibility assigned to a level of government ideally will correspond to the amount
of revenues that level has its potential command." (Litvack et. al., 1998, 10) En
diffusant les responsabilités de l'État à différents niveau de l'administration, la
décentralisation offrirait davantage de liberté aux citoyens en introduisant une forme de
compétition entre différents fournisseurs de services publics : "Analysts employing
public choice approaches began to see democratic decentralization as an option which
offers something resembling a free market - bringing together « buyers » (citizens) and
« sellers » (decentralized authorities) in a setting where the wishes of the former can
impinge effectively on the latter." (Manor, 1999, 28) Les paradigmes théoriques de la
microéconomie tant célébrés par l'économie néoclassique (où les acteurs font des choix
rationnels en fonction de leurs intérêts dans un cadre institutionnel pluraliste) se
trouvent transposés en terme « d'appropriation» et de « participation» des populations
aux projets de développement. En confiant à des collectivités (administrées par des élus)
les charges jusque-là assumées par les administrateurs (nommés par le pouvoir central),
la décentralisation permettrait de réduire le déficit budgétaire de l'État tout en favorisant
l'essor d'une «culture managériale » dans la gestion des affaires locales 2• À des fins de
compétitivité et d'efficacité, les services publics (comme la collecte des ordures ou
l'adduction d'eau) sont de plus en plus confiés à des entreprises privées ou pris en
charge par des associations locales et des comités de gestion.
,2 L'obligation pour les communes du Mali de transiger avec des prestataires privés pour la réalisation des
projets financés par l' ANICT a suscité la création de plusieurs nouvelles entreprises et a doublé ou même
triplé le chiffre d'affaires des compagnies déjà ex.istantes (Diawara el. al., 2004, 52).
10
Approche théorique
de vue « d'en haut» et largement dominé par les thèses marxistes axées sur la lutte des
classes ou la dépendance des régimes de la « périphérie» à l'égard de ceux du
« centre» (Geschiere, 2000, 95-96). Les modes populaires d'action politique 'montrent
que les groupes sociaux subordonnés interviennent dans la production du politique et
contribuent activement à l'institutionnalisation des régimes africains postcoloniaux. Les
acteurs politiques se trouvent imbriqués dans des réseaux qui se font concurrence pour
l'accès aux ressources économiques et sociales que commande l'État: « [Ces réseaux]
17
transcendent, sans les annuler, les clivages de statut, de revenus et de pouvoir. Ils relient
les "en bas du bas" aux "en haut du haut" par des flux ininterrompus d'informations, de
requêtes, de dons, de célébrations symboliques [... J. »(Bayart, 1989, 270) D'une part,
cette politique du ventre (où l'acquisition de positions de pouvoir dans le système
politique détermine l'accès aux ressources) suggère que les pratiques d'accumulation
contemporaines sont le résultat d'une réappropriation de l'appareil administratif
colonial par les élites africaines postcoloniales. D'autre part, les pratiques de pouvoir et
les modes de résistance observés dans la culture populaire (opposant notamment les
« aînés sociaux» aux «cadets sociaux») apparaissent en continuité historique avec les
luttes sociales présentes dans les sociétés précoloniales 3 .
continent. C'est dans cet ordre d'idée que Jaglin et Dubresson voient dans les récentes
réformes de décentralisation « un mode de partage compensatoire vers le "bas" des
difficultés rencontrées en "haut" pour préserver des positions de rente au sein d'États
alimentant l'accumulation privée. » (1993, 304)
Chaque société locale peut être considérée comme une arène socio-politique, dans
laquelle différents "groupes stratégiques" sont en confrontation, coopération et
négociation permanentes les uns par rapport aux autres. Les interventions
extérieures sont un élément supplémentaire de la dynamique de ces contradictions
locales, au cours desquelles les nouvelles règles du jeu politique et les nouvelles
structures décentralisées sont régulièrement ré-interprétées, transformées et même
"détournées". » (Bierschenk et 01 ivier de Sardan, 1998, 14-15)
Ainsi, 1~analyse du « jeu politique» doit rendre compte des marges d'autonomie dont
disposent les acteurs locaux vis-à-vis des normes imposées par les pouvoirs d'État tout
en empruntant une profondeur historique permettant d'apprécier la trajectoire
sociopolitique de chaque arène locale. À la faveur des changements de régime au niveau
national, de nouveaux pouvoirs locaux s'ajoutent successivement aux anciens et
contribuent à la superposition d'instances locales concurrentes dans le champ politique
(Bierschenk et Olivier de Sardan, 1998, 30-37). La polycéphalie des arènes locales
permet aux « groupes stratégiques» de négocier leur forum politique (institution
shopping) en choisissant celui qui est susceptible de mieux répondre à leurs intérêts.
19
Dans ce contexte, les acteurs locaux suivent moins les normes officielles édictées par
l'État que le «droit de la pratique» né de l'hybridation d'une pluralité d'héritages
juridiques (Le Roy, 2006, 27). L'organisation des protagonistes en réseaux politiques
suit des configurations mouvantes qui reflètent les logiques situationnelles spécifiques à
chaque acteur. Cette imbrication d'une pluralité de logiques de pouvoir et de légitimités
politiques traduit la présence d'une multiplicité de formes d'espaces publics dont le
chevauchement (straddling) place les acteurs au carrefour de la démocratie locale,
nationale et globale (Rijnierse, 2000).
Hypothèse de recherche
Méthodologie
représente une démonstration par excellence de l'influence des luttes sociales sur le
processus de réforme, notre recherche tend néanmoins à porter moins attention à
d'autres formes de luttes sociales, notamment les enjeux liés à la place des femmes, des
jeunes et des gens « de caste» au sein du nouvel espace communal. Ces questions se
révèlent très pertinentes dans le contexte de la décentralisation, mais celles-ci
impliquent une problématique beaucoup plus large que celle des rapports entre pouvoirs
locaux et pouvoirs d'État. Nous portons davantage attention aux politiciens et aux
administrateurs locaux (délégués du gouvernement, élus locaux et autorités
coutumières) dans le mesure où - malgré la volonté de refondation politique du
gouvernement - ce sont surtout les élites héritées de l'ancien régime (et leur
repositionnement dans l'arène locale) qui sont les premiers concernés par la réforme.
Bien que la décentralisation soit confrontée à des dynamiques qui diffèrent fortement
d'une localité à l'autre, une analyse trop « localisée» nous aurait empêché de bien
rendre compte des mécanismes d' institutionnal isation du nouveau régime et des
différentes façons dont les pouvoirs d'État parviennent à façonner (voire même
uniformiser) les pouvoirs locaux. Nous couvrirons donc plusieurs régions (notamment
le Manden, te Maasina et le Nord-Mali) de façon à mettre en perspective les liens entre
le « centre» et la « périphérie» de l'État tout en considérant la pluralité des modes de
réappropriation de la réforme par les acteurs locaux. Une telle approche permet de
mettre en relation le niveau local par rapport à la sphère nationale, mais offre
évidemment une perspective limitée sur certains enjeux strictement locaux qui sont
bouleversés par la décentralisation. À la différence d'une enquête de terrain prolongée
(offrant la possibilité d'aborder certains objets inédits), la recherche documentaire que
nous avons entreprise laisse de côté des aspects qui restent encore très peu étudiés par
les chercheurs (le poids des leaders religieux et des milieux d'affaire au sein des
pouvoirs municipaux, le déroulement des campagnes électorales, l'influence des cadres
de partis sur les décisions prises à la commune, l'impact des liens parentaux et
matrimoniaux, etc.). La décentralisation malienne représente un sujet particulièrement
vaste comprenant encore de nombreuses zones d'ombres qui méritent davantage
d'attention afin d'obtenir une meilleure vue d'ensemble du processus. Néanmoins, notre
22
recherche vise d'abord à faire le point sur une littérature éparse où il se révèle souvent
difficile de trouver des réponses claires à propos des transformations réelles apportées
par la réforme dans les dynamiques entre acteurs locaux. Il nous apparaît essentiel de
dégager des conclusions par rapport aux études déjà existantes et de poser certaines
balises par rapport à notre objet de recherche avant d'entreprendre des enquêtes sur le
terrain et/ou de pousser plus loin la problématique sur le sujet.
Les pouvoirs d'État qui se sont succédés au Mali ont chacun contribué à
redéfinir les pouvoirs locaux qu'ils subordonnaient en insufflant des transformations
ayant pour but de consolider un nouvel ordre politique et social. Nous évoquerons les
tendances lourdes de la centralisation-décentralisation tout en nous intéressant à la façon
dont les luttes sociales s'insèrent dans le fonctionnement des instances pol itiques
locales. Cette mise en perspective cherche à mettre en évidence les continuités et les
ruptures qui se sont dessinées au fil des réformes de l'administration territoriale mises
en place par l'État. Nous verrons que les pouvoirs locaux tendent à s'emboîter les uns
aux autres à mesure que les pouvoirs d'État les transforment au nom d'idéologies
diverses. C'est dans ce contexte sociohistorique marqué par des transformations
politiques rapides que prendra forme la politique de décentralisation qui nous intéresse.
Jusqu'à la fin du XIX e siècle, les rapports entretenus entre les villages
s'imbriquent dans un assemblage complexe de chaînes politiques et tributaires tissées au
fil des conflits, des alliances et de l'ordre d'occupation de l'espace. Des articulations
entre différents lignages sont rapportés par la tradition sous forme de pactes qui fixent
des identités et organisent des statuts à chacun d'eux (Barrière, 2002, 25-31 ; Koné,
2002, 185-187) : « Ces pactes, en instaurant des droits différenciés et inégaux sur les
territoires et les ressources, consacrent des rapports de force divers entre groupes se
rencontrant dans un même espace (... ) ». (Fay, .l999, 118) L'exercice du pouvoir
politique est étroitement lié à l'appropriation de la terre par des lignages autochtones ou
propriétaires et la sacralisation de cette occupation est étayée par des mythes ou des
récits historiques. Sauf en cas de conquête ou de « coup de force », c'est l'ordre
d'occupation du sol qui détermine les rapports de dépendance entre les villages (et
24
entre les lignages) : celui qui est arrivé en premier et qui dispose de la maîtrise des
terres coiffe tout ceux à qui il a consenti des droits d'occupation. Si les descendants des
lignages fondateurs disposent d'un accès sans condition aux ressources foncières, les
groupes subséquemment accueillis se voient attribuer des terres en échange du respect
de l'ordre établi et/ou du versement d'une rente conditionnelle à l'accès aux ressources
(Dembélé, 1981, 104). La conquête d'un village par un lignage étranger fait coexister
une autorité chargée de la maîtrise des terres avec un pouvoir politique et administratif
détenu par le nouveau groupe dominant. De ce fait, « la chefferie est dévolue aux seuls
descendants de ceux qui, les premiers, ont occupé la terre ou l'ont conquise par une
action guerrière. » (L. Traoré, 2006, 100). Un pacte d'allégeance avec le pouvoir central
qui englobe le village autorise le prélèvement de tributs en hommes ou en ressources en
échange d'une protection militaire. Les chefs locaux sont donc plus ou moins
indépendants par rapport aux organisations politiques plus vastes qui se sont constituées
au fil des « expansions et contractions» des empires et dont le pouvoir se superpose à
des chaînes tributaires plus anciennes (Samaké, 1988; Fay, 1997a, 55-56 ; Camara,
2002, 39 ; Kassibo, 2006, 76).
structures lignagères (régies par des pactes) qui s'empilent les unes aux autres: « Le
nouveau laamu s'installe donc de ce fait au sommet d'une chaîne de pouvoirs
tributaires, et fait fonctionner les anciennes capacités (guerrières, productives,
symboliques) des anciens pouvoirs à son profit, ou/et leur distribue de nouveaux statuts
et capacités dans un système partiellement remodelé [...] ». (Fay, 2000, 128) Les
régimes ayant succédé aux arfJe ont procédé de la même façon en « coiffant» une
hiérarchie de pouvoirs locaux emboîtés les uns aux autres 4 •
4Après l'indépendance, le « pouvoir du Mali» (Iaamu Mali) des administrateurs civils joue encore le, rôle
d'un « pouvoir recouvrant» à travers la collecte des impôts, l'arbitrage des conflits et la perception des
pots-de-vin (Fay, 2006. 107-108).
26
les ordres émanant des commandants détachés auprès d'eux. Le prélèvement des
impôts, la fourniture de céréales, les travaux forcés, la conscription et les autres formes
de réquisitions étaient pour la plupart conduites par les autorités cantonales. Le souvenir
des famines, des violences et des diverses formes d'humiliation vécues à l'époque du
régime colonial demeure encore très vif dans les mémoires collectives.
tributaires tout en profitant des nouvelles prérogatives administratives qui leur sont
attribuées pour durcir leur pouvoir et s'accaparer davantage de tributs (Kintz et Poncet,
1995,8; Le Marcis, 1999, 160). Si la France introduit en Afrique un pouvoir centralisé
visant à mieux s'assurer du contrôle des territoires conquis, les limites de ce mode
d'administration mènent le régime colonial à adopter dès le début du XX e siècle un
nouveau modèle de gestion « décentralisé» visant à «rapprocher l'administration des
administrés ». En milieu rural, des «sociétés indigènes de prévoyance» sont créées
pour développer les cultures de rente (arachides, riz et coton) grâce à l'encadrement des
producteurs (Kassibo, 1994, 220; Keïta et Samaké, 2007, 19-26). En zone urbaine, les
politiques d'assimilation à la culture métropolitaine supposent à plus ou moins long
terme l'atténuation progressive des rigueurs de l'indigénat dans l'État colonial:
"Colonial pluralism was basically dual: on one side was a patchwork of customs and
practices considered customary, their single shared feature being sorne association with
the colonized; on the other side was the modern, the imported law of the colonizer."
(Mamdani, 1996, III) Si les_ citadins jugés plus «évolués» par rapport aux ruraux
27
5 Les premières furent érigées à Kayes et à Bamako en 1918, auquel s'ajoutèrent onze autres dans les
années 1950. Après ['indépendance, ces communes urbaines furent toutes maintenues en place et
quelques unes des principales agglomérations purent progressivement bénéficier du même statut.
(Hilhorst et Baltissen, 2004, 15-16).
28
participative par des conseils élus au suffrage universel. Toutefois, ces dispositions
n'entreront jamais en vigueur et ces subdivisions demeureront placées sous le contrôle
des chefs d'arrondissement (Tag, 1994,35; Béridogo, 2006, 202).
1.4 Les pouvoirs locaux sous le régime militaire et le parti unique de Moussa Traoré
fiCet aspect est encore valable aujourd'hui : à mesure qu'on s'éloigne des mailles territoriales de J'État,
moins on a accès aux services publics et plus il faut payer pour les obtenir.
7 Encore aujourd' hui, le sosanlisi (socialisme) est synonyme de violence, de désordre et de « dépravation
des mœurs» pour de nombreux Maliens. (Le Marcis, 1999, 161)
30
politique locale élue intervenait dans l'ordre foncier en faveur de son propre électorat,
l'autre étant condamnée à une opposition factionnelle se traduisant par des
investissements clientélistes de l'administration et de la justice (... ]. » (Fay, 2002, 141)
La naissance du parti unique créé un pouvoir «d'influence» parallèle au
« commandement» de l'administration et suscite des rapports souvent conflictuels entre
H Le secrétaire général et son entourage manipulent à leur guise la composition des sections locales. Être
élu au sein des instances de l'UDPM représente la seule issue pour s'engager en politique (ou trouver un
emploi dans la fonction publique) et ne signifie pas pour autant qu'on appuie le régime en place.
31
l'UDPM, l'achat des cartes de membre et le paiement des taxes du parti sont
obligatoires pour l'ensemble de la population. Des comités de l'Union nationale des
jeunes du Mali (UNJM) et de l'Union nationale des femmes du Mali (UNFM) sont
présents dans tous les villages et la participation des jeunes et des femmes y est
automatique (Tag, 1994, 90). Placé à la tête d'un vaste réseau c\ientéliste, le secrétaire
général de l'UDPM entretient des rapports personnalisés avec ses militants et ses
retentissantes « tournées» en province réactualisent périodiquement son autorité à
travers le pays. Il s'informe des événements dans tous les recoins du territoire et chacun
en appelle à son arbitrage en cas de conflits de voisinage ou de problèmes de famille
(Bertrand,2006, 193). Tous les pouvoirs sont concentrés au sein du proche entourage de
Moussa Traoré et l'État n'existe pas en dehors de son président.
AVpermettent d'engranger des revenus qui peuvent être investis dans la réalisation de
projets de développement communautaire. Leur gestion est assurée par un bureau
permanent dont les membres sont élus par la communauté lors de la tenue d'assemblées.
En même temps, le gouvernement encourage la formation de «tons villageois»
(duguton) qui s'inspirent des associations de culture précoloniales du même nom ':
«Autrefois, le ton pouvait être mobilisé par le chef de village pour venir en aide aux
villageois en difficulté. Aujourd' hui, il est devenu essentiellement une équipe de travail
rémunérée qui loue ses services aux riches producteurs. » (Jonckers, 1994, 128) Ces
associations précoloniales hiérarchisées d'après l'âge, le genre et le statut voient leurs
objectifs initiaux transformés et récupérés idéologiquement par l'UDPM. Le ton
favorise l'adhésion au programme de développement adopté par le gouvernement tout
en devenant un symbole de l'autogestion des villages et du «développement des
populations à la base» (Dembélé, 1981, 126; Diarra, 1990, 69) Le mandat des tons
villageois est semblable à celui des AV, mais les premiers sont le plus souvent érigés à
partir des sections les plus méritantes du parti unique.
(Pierot, 1979, 23-28; Kouyaté, 1990, 100-101 ; Bélanger, 1996, 320). Ce nouveau
modèle d'administration doit encourager le «développement des populations à la base»
par la création d'instances locales pouvant susciter la participation des masses. En 1988,
des taxes de développement régional et local (TDRL) s'ajoutent à l'impôt de capitation
et à l'impôt sur le revenu dans le but de «faire contribuer la population à son propre
développement» (Sail, 1993, 95-98 ; Bertrand, 1999a, 65).
1.5 Conclusion
Alors que l'État avait jusque-là l'habitude de recruter systématiquement tous les
diplômés, le gouvernement instaure un concours d'entrée à la fonction publique, pour
ensuite mettre fin à toute embauche de personnel et procéder à des licenciements
massifs. Les fonctionnaires qui demeurent en poste sont aléatoirement rémunérés et la
corruption se multiplie pour palier à l'absence de salaire (Diarrah, 1990, 140).
') Les structures paragouvernementales mises en place en cours des années 1980-1990 (associations de
parents d'élèves (APE), associations de santé communautaire (ASACO), associations villageoises (AV),
Groupements d'intérêts économiques (GIE), etc.) contribuent aussi à cette mouvance associative.
39
JI) Au sein des groupes qui s'associeront aux Mouvements et Fronts unifiés de l'Azawad (MFUA) figure
le Mouvement populaire de l'Azawad (MPA), le Front islamique arabe de "Azawad (FIAA), l'Armée
révolutionnaire de libération de l'Azawad (ARLA) et le Front populaire de libération de l'Azawad
(FPLA). La milice Ganda Koy (les « maîtres de la terre ») apparaîtra peu après pour combattre ces
froupes armés au nom des populations songhaïs « sédelllaires » qui résident dans la Boucle du Niger.
1 Le cessez-le-feu sera plus ou moins respecté en raison de la multiplication des groupes dissidents et de
L'opposition à Moussa Traoré est motivée par la répression à large échelle pratiquée 'par
son régime et s'exprime sous le slogan du « kokadjè» (propreté), traduisant ainsi la
volonté de mettre en lumière les choses trop longtemps dissimulées (Tag, 1994, 100).
Le second est dominé par des « intellectuels» qui aspirent à une refondation de l'État
sous l'égide de la démocratie et du multipartisme. Ce mouvement réclame un renouveau
politique (yèlèma) et l'instauration d'un gouvernement populaire (bè jè fanga) pouvant
rétablir un certain équilibre entre les pouvoirs (Kassibo, 2006, 67). En dépit de tous les
risques encourus, les militants de différentes associations à travers le pays sortent de la
clandestinité et s'allient entre eux pour former un « mouvement démocratique l2 ». Leur
programme d'action est ponctué par l'organisation de manifestations et la diffusion de
revendications en faveur du pluripartisme dans la presse et la radio libre (DialTah, 1996,
25 ; Centre Djoliba, 2002 ; Roy, 2005a, 576). Face à l'immobilisme des aUtorités, les
manifestations organisées à Bamako se transforment en pillages ciblés des propriétés
des proches du président et en émeutes violemment réprimées par l'armée (DialTah,
1991, 83 ; Bertrand, 1992, 10-11). Ce sont les étudiants, les chômeurs et les jeunes
urbains des sonsorobuguw qui fournissent l'essentiel des combattants de rue impliqués
dans les « événements» qui précipiteront la chute du régime. Après le massacre
d'environ 200 manifestants par l'armée, les troupes d'élite procèdent à l'arrestation de
Moussa Traoré au nom du Conseil de réconciliation nationale (CRN) en déclarant
parachever le processus démocratique initié par le soulèvement populaire. À travers
l'ensemble du pays, le coup d'État fut suivi d'une révolte contre les symboles de l'État
par le pillage des biens publics et le lynchage de représentants des autorités (ministres,
gendarmes, etc.) saisis par la « justice populaire» (Bertrand, 1992, 17).
12 Parmi ces groupes du II/ouvelllent démocratique figure l'Association malienne des droits de l'Homme
(AMDH), le Comité national d'initiative démocratique (CNID), l'Alliance pour la démocratie au Mali
(ADEMA), l'Association des élèves et étudiants du Mali (AEEM) l'Association des diplômés initiateurs
et demandeurs d'emploi (ADIDE) et l'Union nationale des travailleurs du Mali (UNTM).
41
13 Dans le discours politique malien, la notion de «'fédéralisme» n'est appréhendée que dans une
perspective panafricaniste et les revendications d'autonomie locale (même dans le cadre d'une
décentralisation administrative à l'échelle nationale comme celle proposée par la Conférence) sont le plus
souvent associées à une menace à l'unité nationale.
42
préfigurent aux communes qui seront plus tard érigées à travers l'ensemble du pays
(Keïta, 1998, 113-115; PNUD, 2002, 18-32; Marty, 2007, 297-298). Des équipes
mobiles font le tour de la région afin d'animer la création des structures transitoires tout
en essayant de tisser des liens de confiance par le dialogue avec la population (F. Maïga,
2002, 238-239): La politique nationale de décentralisation représente ainsi une
extension à tout le pays de l'accord intervenu entre le gouvernement et les groupes
armés pour la cessation des hostilités (Sali, 1993 ; M. Maïga, 1997 ; Seely, 2001).14
Après les élections législatives de 1992 qui accordent les deux-tiers des sièges à
l'Adéma-PASJ, les élections présidentielles donnent une victoire décisive au leader du
parti lors du second tour. Les militaires retournent alors dans leur caserne et cèdent leur
place au nouveau président élu Alpha Oumar Konaré. En se soumettant à des
consultations populaires, l'image que projette le nouveau chef d'État représente une
forme inédite de pouvoir accessible à tous et soumis à la critique. Mais une fois
l'euphorie démocratique passée, la fin de l'unanimisme politique tend à libérer les
tensions accumulées au fil des années et à donner au nouveau régime un air de chaos et
d'anarchie (Bertrand, 1992, 10-19; Vengroff, 1993, 562; Lange, 1999, 125-129).
Divers groupes d'intérêts (chômeurs diplômés, «volontaires» à la retraite anticipée,
mouvement syndical, etc.) profitent à fond des libertés acquises en faisant pression avec
force (et de façon parfois violente) pour que le gouvernement honore leurs
revendications. Prenant la forme d'opérations quasi-militaires ciblant les principaux
symboles du pouvoir, les émeutes étudiantes de 1993-1994 conduisent à la démission
des deux premiers gouvernements de la Troisième République (Smith, 1997). Peu après
l'abolition de l'impôt de capitation, c'est l'ensemble des taxes que les Maliens
refuseront ·d' acquitter en feignant de mal comprendre ou en chassant les administrateurs
osant demander des comptes.
14 Face à la lenteur du gouvernement à appliquer le Pacte national, les combats reprendront de nouveau
jusqu'à ce que la cérémonie de la « Flamme de la paix}) annonce la fin définitive des hostilités en 1996,
Plus récemment, de nouveaux mouv"ements armés ont repris les hostilités contre l'État depuis mai 2006.
43
Lors de son procès pour «crimes de sang », Moussa Traoré accusait «les
manipulateurs et les manipulateurs de manipulateurs» téléguidés par les socialistes
44
français d'être les principaux responsables des «événements» de mars 1991. Ils
auraient agi grâce à l'appui financer de l'ancienne puissance coloniale, en fonction de
leurs seuls intérêts personnels et au nom de valeurs politiques étrangères à la culture
mal ienne (Kpatindé, 1992; C. K. Maïga, 2002). Ce genre de plaidoyer montre à quel
point «l'étranger» - et en particulier la France - se voit régulièrement imputer la
responsabilité des changements politiques survenus au cours des années 1990. De la
même façon, la décentralisation est fréquemment perçue comme étant le seul résultat
des conditions de l'aide imposées par les bailleurs de fonds. Assurément, les
bouleversements politiques que connaît le Mali sont indissociables de la nouvelle
conjoncture mondiale qui prend forme avec la dissolution des régimes communistes en
Europe de l'Est, la Conférence nationale au Bénin et le Sommet de La Baule où la
démocratie se retrouve soudainement sur toutes les lèvres: « [... ] La décentralisation
s'inscrit durant cette période dans un véritable enchaînement de slogans, de mots
d'ordre et de «conditionnalités » du développement: libéralisation, dimensions sociale
de l'ajustement structurel, démocratisation, participation populaire et gestion partagée
[... ]. » (Bertrand, 1999a, 16) Après [a chute du parti unique, le Mali bénéficie de la
bienveillance de la «communauté internationale» et d'importantes largesses des
bailleurs de fonds pour financer le processus démocratique. Si la décentralisation est un
thème à la mode et que le gouvernement fait l'objet d'importantes pressions, elle ne doit
toutefois pas être considérée uniquement du point de vue des conditions liées à l'aide:
« [... ] La réforme est pensée et présentée au Mali comme LIn projet politique, à la
différence de la plupart des pays d'Afrique de l'Ouest, là où, tout au moins, la
décentralisation est envisagée comme une simple réforme de l'administration du
telTitoire pour répondre aux exigences des bailleurs de fonds. » (Hilhorst et Baltissen,
2004, 18) Divers mouvements sociaux ont contribué à inscrire la décentralisation à
l'agenda politique et il semble donc que les pressions en provenance de l'étranger
arri vaient à point nommé pour le nouveau régime (Béridogo, 2006, 215). L'État reste le
maître des orientations données à la réforme et le discours du gouvernement ne doit pas
être simplement vu comme une légitimation avec des modèles politiques locaux d'une
réforme conçue à l'étranger (Oosterhout, 2002, 14-15).
45
Si elle incarne en partie les désirs de « bonne gouvernance» exprimés par les
bailleurs de fonds, nous avons vu que la décentralisation correspond surtout au souhait
du régime au pouvoir de prolonger au niveau local la démocratie récemment conquise à
l'échelle nationale: «Le nouveau projet de société est idéologiquement présenté par la
nouvelle élite politique comme une rupture avec l'ordre ancien et une tentative de
refondation de l'État sur la base du pouvoir partagé. » (Kassibo, 2006, 68) En effet, le
gouvernement insiste sur la corrélation existant entre l'avènement de la démocratie au
Mali et la nécessité de déléguer de nouveaux pouvoirs au peuple: « La décentralisation
y apparaît comme un "grand chantier" pour le pays, impulsé par le chef de l'État en
personne qui en incarne la philosophie d'avenir [... J. » (Bertrand, 1999a, 36-37) Les
institutions municipales ayant été jusque-là un privilège exclusif des zones urbaines, il
s'agit de mettre fin à la discrimination qui maintient les ruraux dans un statut de demi
citoyen en créant des communes à travers l'ensemble du pays. Avec l'arrivée des
concepts de citoyenneté, de société civile et de démocratie, les formules-clés de
« l'idéologie participative» présente dans l'imaginaire politique occidental deviennent
tout à coup omniprésentes dans l'arène politique malienne (De Langen, 2005, 131-133 ;
Bourdarias, 2006, 222). La mise en place de nouveaux espaces de délibération est
présentée comme un catalyseur au développement local et un élargissement des libertés
devant introduire une culture participative au village. Les nouvelles communes
47
Comme l'a déjà démontré Shaka Bagayogo (1987, 1989, 1992), les conceptions
du pouvoir et les représentations de l'État au Mali sont étroitement imbriqués à une
« idéologie communautaire» qui exalte les valeurs d'authenticité culturelle, glorifie les
héros de l'époque impériale et célèbre une représentation idyllique de la vie au village.
Pour discuter des événements présents, le recours aux « traditions» mandingues par un
récit populiste du passé se révèle être une constante et participe à la constitution d'une
culture nationale dominante La grande geste de l'empire du Mali (qui a donné son nom
au nouvel État indépendant) et les exploits de ses figures légendaires font figure de
«lieux de mémoire» qui procurent les paradigmes essentiels de la pensée politique
actuelle. Sous la présidence d'Alpha Ournar Konaré, le gouvernement n'a pas échappé à
cet imaginaire communautariste et a régulièrement fait appel aux « traditions» passées
pour construire des récits de la nation qui mettent en perspective la nouvelle trajectoire
démocratique (et décentralisatrice) empruntée par le Mali (Arnoldi, 2003 ; De Jorio,
2003 ; Konaté, 2006a ; Baudais et Chauzal, 2006 ; Sears, 2007).
15 Dès les années 1950, des intellectuels sénégalais avaient entrepris la même discussion à propC's de la
décentralisation afin de libérer le savoir africain de la « bibliothèque coloniale» par un programme de
« construction nationale» s'appuyant sur la redécouverte des sociabilités communautaires (Diouf, 2008).
48
2007, 167) En gouvernant d'après une éthique de la discussion reposant sur la tenue
d'assemblées délibératives (gbara), le règne de Sundjata Keïta aurait été l'exemple d'un
pouvoir légitime, décentralisé et consensuel capable de gagner la confiance d'un
peuple: « [ ... ] Le Mansa du Mali soumet les grands problèmes de la collectivité à
l'examen d'une assemblée constituée de notables issus des principaux clans. Le pouvoir
du souverain est donc contrôlé et ses décisions peuvent être contestées. Il s'agit de faire
une place à la participation des secteurs représentatifs de la société dans son ensemble,
au débat libre et responsable et à la recherche commune. » (Ouattara, 2007, 29) Le
« pouvoir en association» (ton fuga) de Ségou au XVIIIe siècle et le Madjilis de
Cheickou Amadou au XIXe siècle sont d'autres exemples puisés dans l'histoire pour
démontrer l'antériorité de la démocratie/décentralisation au Mali (Mariko, 2007).
1(, Il s'agit aussi de «remettre le pouvoir à ses maîtres réels» (kafanka sake a tigiyi ma), de « restaurer le
pouvoir» (Il/ara kanan bo) ou « d'élargir le cercle du pouvoir» (kafclIlga cè bo) (Béridogo, 1998).
51
17 La compagnie cotonnière faisait office de contre-pouvoir sous l'UDPM et· la décentralisation est
souvent associée au « clan CMDT ", formé de l'entourage de feu Boubacar Sada Sy, ancien patron de la
CMDT nommé Ministre de la défense sous la Troisième République. Les « super-cadres» appartenant à
cette tendance sont un pilier du régime d'Alpha Oumar Konaré et occupent de nombreux postes clés au
sein du gouvernement (Amselle, 2001,113-114; Couloubaly, 2004,184).
IX Avant la réforme, les circonscriptions administratives étaient composées de 287 arrondissements, 49
cercles et 8 régions, auquel s'ajoutaient 19 communes urhaines et le district de Bamako.
I~ Les taxes locales sont approximativement réparties à 80% pour les communes, 15% pour les cercles et
5% pour les régions.
211 Les élections communales sont d'une importance majeure pour le financement annuel des partis
politiques (fixé il 0,25% des recettes fiscales de l'État) : « Tous les partis légalement reconnus reçoivent
une "première fraction égale il 20% des crédits" [... ] ; une seconde partie est attribuée en fonction du
nombre <.le député (40%); une troisième au prorata du nombre de conseillers communaux (40%). »
(Baudais et Chauzal, 2006, 66) Ce système n'est pas étranger il la surmultiplication des formations
politiques et aux nombreuses scissions au sein des partis lorsque surviennent des rivalités personnelles.
53
consultations publiques animées par les agents de la MDD ont recours à des méthodes
adaptées de recherche participatives (MARP) qui associent directement les
représentants des communautés locales au processus de découpage et au choix du chef
lieu de leur commune 22 (Mback, 2003, 275-281 ; Cissé et. al., 2003b). Toutefois, les
propositions de regroupement formulées aux équipes techniques par les communautés
locales doivent obligatoirement respecter une combinaison de cinq« critères de
viabilité» définis par le gouvernement: le respect des « solidarités communautaires»
(par la présence de liens historiques ou d'affinités sociologiques), l'accessibilité au
chef-lieu (dans un rayon de 20 km. dans les zones à forte densité ou de 40 km. dans les
zones à faible densité), une démographie suffisante (au moins 10 000 habitants), le
potentiel de croissance économique (d'après les équipements socio-économiques
disponibles ou les projets de développement en cours) et la délimitation d'un territoire
cohérent (par des critères d'ordre spatial, morphologique, climatique, etc.) (Coulibaly,
1998,27-32; Cissé et. al., 2003a, 26; Mback, 2003, 269-274). Nous verrons plus loin
que ces critères d'ordre technique ont souvent laissé place à des considérations d'ordre
plus politique lors des négociations impliquant les responsables locaux et les agents de
l'État. Une fois les tournées de promotion terminées, les GREM et les GLEM devaient
normalement être responsable de la suite des procédures. En raison de leur incapacité
manifeste à remplir leur mandat, la MDD se résolue à faire appel à l'administration
territoriale en associant davantage son personnel à la réforme (Kassibo, 2006, 78). Des
« Commissions de découpage» réunissant les chefs d'arrondissement, les représentants
des antennes des ministères sur place et certains notables locaux (représentants des
chefferies, des associations de développement ou des partis politiques) sont chargées du
pilotage des négociations pour la création des communes (Mback, 2003, 279-280) :
«Au niveau de chaque "cercle" [... ] une commission doit, dans les trois mois, consulter
les populations de tous les villages pour les impliquer dans la définition des espaces
communaux. Un guide et une cartographie ont été mis au point par des géographes pour
faciliter l'analyse des facteurs locaux et aider à la prise de décision. » (Sy, 1995, 151)
L'impossibilité d'arriver à un accord entre les parties entraîne le déplacement de
l'équipe de découpage pour fin d'arbitrage en justice. À la toute fin des procédures, un
projet de loi soumis à l'approbation des députés de l'Assemblée nationale doit
confirmer la création des nouvelles communes (Rawson, 2000, 279).
Bien que les communes soient appelées à s'administrer librement par rapport à
l'appareil d'État, le transfert des compétences et des moyens pour leur mise en œuvre
n'est pas automatique et se réalise progressivement: «Le schéma d'opérationnalisation
repose sur une présomption des capacités/incapacités des acteurs dans le temps et dans
l'espace et fixe par avance l'échéance marquant l'atteinte des résultats attendus.
D'abord, cette approche tend à créditer l'idée que l'État doit obligatoirement et
mécaniquement procéder à des transferts de compétences, ensuite, elle considère que les
c;ollectivités territoriales doivent nécessairement recevoir un paquet de compétences
identiques en même temps [... ]. » (Dicko et Djiré, 2007, 194) Seules les compétences
ayant trait à l'État civil (enregistrement, recensement et liste électorale), la police
judiciaire, l'hygiène et l'assainissement sont sous la responsabilité des communes dès
l'investiture du premier conseil en 1999. Tout juste avant la fin du second mandat
d'Alpha Oumar Konaré en 2002, de nouvelles compétences sont cédées dans le
domaine de l'éducation (alphabétisation, enseignement préscolaire et enseignement
fondamental), de la santé (dispensaire, maternité, centre de santé communautaire) et de
l'hydraulique (puits, forages, réseau d'adduction d'eau) (Hilhorst et Lodenstein, 2008,
57). Les délais de transfert ont d'autant plus tendance à s'étirer que la plupart des
communes ne disposent pas des ressources pour assurer leurs charges de
fonctionnement et qu'il n'y a habituellement jamais eu de services offerts à l'échelle
locale par l'État, d'où la difficulté de transférer ce qui n'ajamais vraiment existé (Dicko
et Djiré, 2007, 189-193). Si certaines communes bénéficient d'une longueur d'avance
dans le processus de transfert, les retards dans le v€rsement des subventions, les
problèmes dans le recouvrement d'impôt et les difficultés à procéder à l'embauche du
56
personnel représentent des obstacles difficiles à surmonter pour la plupart des maires23
(Hilhorst et. al., 2005, 13). Les dispositifs d'appui sont alors susceptibles d'occuper une
place prédominante en confinant la plupart des élus à un rôle de « figurants» (Leclerc
Olive, 2003a, 301 ; Ag Aboubacrine et. al., 2007,4).
;) Le « vivier» mis en place par l'État pour le recrutement des employés (secrétaires généraux, secrétaires
d'État civil, régisseur des recettes, etc.) n'a pas été suffisant pour attirer de nouveaux candidats et le
personnel demeure très instable. Ces postes sont peu rémunérés (quand ils le sont), situés dans des LOnes
jugées indésirables et n'ouvrent al/cune perspective de carrière dans la fonction publique.
57
MATCL qui fixe les droits de tirage provenant du Fonds d'investissement des
collectivités territoriales (FlCT - financé à 90% par l'aide extérieure et 10% par le
gouvernement) que les élus peuvent utiliser pour le développement local. Les
commLines doivent garantir le financement de 20% des coûts d'investissement pour que
l'Agence accepte de subventionner les 80% restants 24 (Leclerc-Olive, 20ü3a, 306-307 ;
Jourdam, 2007, 227-230). Pour la plupart des collectivités, les recettes destinées à cette
contrepartie ne proviennent pas des taxes et des impôts (vu leur faible recouvrement),
mais plutôt des cotisations des « bénéficiaires» des infrastructures, des entrepreneurs
« prestataires» qui accordent un crédit en échange du contrat; des revenus des
opérations de lotissement, de l'emprunt auprès des commerçants et de l'aide provenant
des ONG, de la coopération décentralisée ou des ressortissants à l'extérieur (Logié,
2004, 5 ; Zobel, 2004, 17). Pour obtenir des droits de tirage, les projets proposés doivent
figurer sur la liste des investissements éligibles, les prévisions budgétaires doivent avoir
été précédées de consultations populaires et le tout doit avoir obtenu l'approbation de
['autorité de tutelle: « La clé de répartition des fonds entre les collectivités territoriales
est basée sur le niveau d'équipement, l'enclavement, le nombre d'habitants dans les
collectivités territoriales et le taux de mobilisation des ressources internes
(recouvrement des impôts et taxes). En moyenne, une commune rurale dispose de 10 à
15 millions Fefa de droits de tirage par an 25 . » (Hilhorst et Baltissen, 2004, 35) De plus,
l'accès aux fonds de l'Agence est conditionnel à la rédaction par les élus (d'après un
schéma préétabli par la DNCT qui nécessite la tenue de concertations populaires) d'un
plan local de développement économique et socioculturel (PDESC) (ayant lui aussi reçu
l'approbation des autorités de tutelle) prévoyant sur plusieurs années les actions de
développement et les prévisions budgétaires de la commune (Centre Djoliba, 2000, 40
44; Diawara et. al., 2004, 26-36; Lemelle et Bâ, 2008, 28-30). La rédaction des
PDESC doit obi igatoirement associer les populations de chaque village où tous les
citoyens qui le désirent pourront s'exprimer sur les besoins de leur communauté.
"4 1\ s'agit d'une façon d'inciter les élus à faire des efforts supplémentaires pour la mobilisation des
ressources fiscales de leur commune. L'ANICT représente aussi une façon 'pour les bailleurs de fonds
d'exiger un décaissement des fonds qui soit indépendant du Trésor public.
25 En 2009, 1 Euro correspond à 655,96 Fcfa.
58
2.4 Conclusion
adressées par le MATCL (Diakité, 2002, 129; Logié, 2004, 7; COI, 2007, 30). Somme
toute, ils conservent encore d'importants moyens pour faire valoir leurs intérêts et
influencer le cours de la réforme grâce aux pouvoirs de tutelle qui leur sont conférés et à
l'ancrage solide dont ils disposent au sein de la société malienne. Certains
délégués considèrent qu'ils doivent reprendre en main les collectivités locales et que
« sans chercher à mettre en cause leur autonomie, les communes doivent être "suivies de
près". Ils pensent en outre qu'il faut, dans la situation actuelle, "exercer sur elles une
certaine contrainte".» (Bâ, 2008, 88) Les administrateurs civils veulent éviter une
marginalisation de la profession et une exclusion des arènes locales en tentant de limiter
les pertes d'attributions entraînées par l'UlTivée des communes:
Dans leurs rapports avec tes élus, les délégués tendent à reproduire les liens de
subordination hiérarchique (inspirés de \' armée) qui organisent les rapports entre les
membres du personnel de la fonction publique. Ainsi, l'autorité des administrateurs
civils se fait moins sentir auprès de la population en général, mais les élus et le
personnel de la fonction publique y sont encore quotidiennement confrontés.
S'ils parviennent quelques fois à travailler ensemble sur certains projets, les élus
et les administrateurs civils sont le plus souvent en concurrence et entretiennent des
rapports conf! ictuels. Les maires reprochent au gouvernement de leur avoir donné
« l'autorité sans le pouvoir », de «reprendre d'une main ce qu'il a donné de l'autre» et
de ne pas, avoir suffisamment précisé le contenu exact des pouvoirs de tutelle: «Ils
63
considèrent généralement que les Délégués se préparent à rire de leurs malheurs, qu'il y
a une contradiction à avoir instauré 'ceux qu'on a enlevé' comme 'surveillants des
maires' : "ils disent qu'ils vont nous aider à chercher mais ne veulent pas que nous
trouvions", selon la formule d'un informateur.» (Fay, 2002, 169-170) Les élus sont
méfiants et accusent les administrateurs civils de vouloir conserver leurs privilèges en
faisant échouer la décentralisation par la rétention de l'information, ta manipulation de
la législation ou en faisant volontairement preuve de laxisme dans l'assistance-conseil
dans le seul but de démontrer l'incapacité des élus à remplir leurs responsabilités (D.
Dembélé, 2005, 172-175). Étant donné le faible nombre de tribunaux habilités à
trancher les conflits entre les élus des collectivités et les représentants de l'État, les
litiges non-résolus portés en justice tendent à s'accumuler et du même coup à paralyser
le fonctionnement des communes. Les maires cherchent donc à contourner la tutelle afin
d'éviter d'être constamment subordonnés aux délégués. À propos des CLO « dans
certains cercles où la tutelle reste dans une logique de commandement, les élus
mentionnent qu'ils n'y participent ou n'y participaient pas, ne souhaitant pas s'y rendre
pour s'y faire invectiver par la tutelle ou préférant y déléguer leurs agents. » (Diawara
et. al., 2004, 55) De plus, le fait de devoir se déplacer dans les bureaux spacieux d'un
représentant de l'État en uniforme et entouré de tout un décorum représente une forme
d'allégeance dont les élus préfèrent se passer autant que possible.
des communes sont désonnais préférés aux fonctionnaires de l'État lorsqu'il devient
nécessaire de recourir à un autre intermédiaire (Bratton et. al., 2000, 16-17).
Néanmoins, les délégués soutiennent qu'il était prématuré de les décharger d'une partie
de leurs tâches en confiant aux maires la charge d'officier de police judiciaire. À la
différence des élus (qui seraient en conflit d'intérêt permanent), les administrateurs
civils disposeraient du recul nécessaire afin d'imposer un règlement équitable à un
litige. Les maires déplorent les manœuvres des délégués et les accusent de vouloir
s'ingérer dans les conflits locaux dans le seul but de tirer (monétairement) profit des
situations difficiles (Djiré, 2005, 49). Le principe de progressivité et l'obligation de
prudence dans le transfert servent souvent de prétexte aux administrateurs pour ralentir
la dévolution des pouvoirs et des ressources financières qui les accompagnent (Hilhorst
et Baltissen, 2004, 41-42). Alors que les compé,tences transférées aux communes
impliquent d'importantes dépenses, les revenus de l'État sont faiblement redistribués
aux collectivités et demeurent en grande partie aux mains du gouvernement central.
Pour palier aux manques de moyens des communes, les ressources matérielles et
financières provenant des services déconcentrés de l'État sont ponctuellement apportées
aux nouveaux élus par les délégués. De plus, une partie du personnel de J'administration
territoriale est « mis à la disposition» des communes tout en demeurant rattaché à la
fonction publ ique nationale (Diakité, 2002, 118). L'ensemble des acteurs concernés sont
pour la plupart peu informés à propos de la réforme, ce qui tend à prêter au nouveau rôle
de chacun des interprétations variées. Face au souhait des élus de bénéficier pleinement
de leurs attributions et aux pressions émanant du personnel de l'administration
territoriale pour ralentir le rythme des réformes, touteS sortes de compromis sont trouvés
selon des arrangements qui varient en fonction de chaque situation particulière,
2(, Dans le cercle de Mopti, 9 des 14 maires sont analphabètes (Bâ, 2008, 95). Dans les cercles de Sikasso
et de Kadiolo, 74% des élus sont seulement alphabétisés en bomonon (Coulibaly et Hilhorst, 2004, 27).
27 La succession coutumière n'est toutefois pas exempte de « coups de force» dont la justification peut
reposer sur des légitimités multiples (autres que la tradition) mises en avant par les acteurs.
66
Même s'ils n'ont jamais été reconnus en tant que collectivités locales, les
villages et les fractions nomades sont à la base de presque toutes les interventions de
l'État en milieu rural. Au fil des réformes de l'administration territoriale, le village a
successivement été défini en tant qu' « unité administrative de base» (1959), « division
administrative de l'arrondissement» (1977) et « communauté de base en milieu rural»
(1995) (Dicko et Djiré, 2007, 129). D'une part, leur reconnaissance juridique demeure
une prérogative laissée aux administrateurs civils, qui disposent de l'autorité d'ériger
une communauté en village ou de la rétrograder au statut d'un simple «hameau de
culture ». D'autre part, les différentes réformes introduites au fil des ans par l'État pour
démocratiser la vie des villages tendent à faire coexister la chefferie coutumière avec
une chefferie administrative élue. Alors que l'investiture du chef traditionnel repose sur
les normes de transmission héréditaires au sein du lignage cheffal, la nomination du
chef administratif doit (en théorie) être entérinée par le délégué après la tenue d'une
élection au sein du conseil de village (Coll, 1997; Ribot, 1999, 35). Ce dernier est
composé de représentants élus en assemblée villageoise pour un mandat de cinq ans et
coexiste (en théorie) avec un conseil des notables formé des hommes « aînés» placés à
la tête de chacun des lignages, clans ou familles qui composent le village (Keïta, 2005,
82-86). Dans la réalité, ce sont presque toujours les chefs coutumiers qui remplissent la
fonction de chef administratif et tout ce qui se décide dans le village doit
67
obligatoirement passer par eux. Le conseil de village est formé des mêmes représentants
que ceux du conseil des notables ou sont choisis par pure forme pour respecter les
exigences du MATCL (Tag, 1994, 86-89). Avec les agents de l'administration
territoriale, les chefs de village représentent les acteurs qui se révèlent somme toute les
plus touchés par la décentralisation. Depuis l'arrivée des communes, ils sont
théoriquement placés sous la «tutelle» des élus et ne représentent plus les seuls
intermédiaires entre l'État et la population. Si le pouvoir des chefs de village ou de
fraction se trouve maintenant coiffé par celui des communes, les maires ont cependant
un «devoir de consultation préalable» à l'endroit des chefs coutumiers et la nomination
des chefs de village demeure sous la supervision des administrateurs de l'État (Dicko et
Djiré, 2007, 177). Les règles de nomination et les attributions conférées aux autorités
coutumières ont connu assez peu de changements au cours des dernières années, mais
les chefferies sont tout de même confrontées à d'importantes mutations des modal ités
d'exercice de leurs pouvoirs en raison de l'entrée en scène des élus dans l'arène locale.
jeunes. » (Camara, 2006, 156) Les chefs de village laissent le champ libre aux jeunes
agriculteurs, aux enseignants et aux diplômés sans emploi pour se lancer dans la joute
électorale et remporter une position influente aux côtés de leurs aînés en occupant un
siège de la commune. Ces «intellectuels» doivent néanmoins s'attirer la bienveillance
des chefs de lignage locaux pour aspirer à des fonctions dans la nouvelle commune. Les
1istes de candidats qui ne bénéficient pas de l'appui des chefs de village ont peu de
chance de remporter un siège. Peu importe l'âge du candidat, le maire doit être un
massasi (une semence de chef) en application du principe selon lequel seuls les
descendants d'une famille régnante disposent des qualités pour être un chef. Les élus
sont idéalement perçus comme des «fils du terroir» censés suivre la volonté des
« anciens» qui les ont fait accéder au pouvoir. Ainsi, les postes clés du bureau
communal sont souvent occupés par des « intellectuels» originaires de la commune et
appartiennent à des « nobles» invités à revenir dans leur région natale pour se présenter
aux élections (Camara, 2002, 68; Zobel, 2006, 272; Leclerc-Olive, 2007, 411-412).
Forts de leur statut dans la hiérarchie sociale, les chefs coutumiers représentent
des notables influents que les entrepreneurs politiques s'empressent d'approcher pour
« orienter» le choix des électeurs. L'implantation d'un parti dans un village requiert
l'assentiment de son chef, qui peut monnayer son autorisation ou refuser l'arrivée d'une
formation conCUITente à la sienne. Les partis qui sollicitent une implantation locale
laissent généralement aux chefs de village le soin de désigner les membres du bureau
politique et d'organiser les élections devant légaliser leur propre choix. Dans plusieurs
communes, les chefs de village désignent les candidats d'une liste unique en veillant à
répartir les conseillers entre chacun des villages (Koné, 2002, 208-214; K. Traoré,
2002,330-334; Lévy, 2003, 256; Coulibaly et Hilhorst, 2004, 10-11). Les militants qui
constituent une autre J iste de cand idats sans avoir obtenu l'aval des autorités
coutumières peuvent se voir refuser de faire campagne dans les villages. Dans la
commune du Mininjan (cercle de Kangaba), deux listes électorales (l'une composée de
membres allochtones et l'autre composée de membres autochtones) étaient proposées
au nom du même parti politique. La seconde s'est imposée à la première sous la
69
pression des chefs de village, qui ont blâmé les responsables de la première liste d'avoir
eu l'audace de se présenter aux élections sans leur autorisation et d'avoir omis de
présenter des candidats natifs du village 28 (Koné, 2006, 139).
longtemps restés en marge des affaires locales (Diakité, 2002, 102-107). Les élections
offrent la possibilité aux jeunes, aux femmes, aux étrangers, aux hommes de caste ou
aux anciens «captifs» de se voir confier des responsabilités auxquels ils n'auraient
auparavant jamais pu accéder. En outre, les chefs coutumiers ne sont pas toujours
unanimes entre eux et des clans peuvent entrer en concurrence pour le contrôle de la
commune. Ces rivalités attisent la méfiance de la« veille génération» à l'égard de la
2X Des opposants à l'Adéma ont véhiculé l'idée que les communes n'étaient pas l'affaire des partis
politiques et qu'elles devaient exclusivement revenir aux autochtones: « Si jamais vous votez pour les
partis politiques. ils vendront toutes vos terres. Le parti Adéma n'est-il pas réputé pour la spéculation
foncière! L'exemple de Bamako doit servir à tout le monde. » (Camara, 2006, 156)
70
décentralisation alors que les divergences d'opinion sont interprétées comme un signe
de déstabilisation de l'ordre social.
Si les chefs coutumiers ont relativement bien réussi à s'insérer dans les
nouvelles formes d'action politique introduites par la décentralisation, leur influence est
peu à peu battue en brèche par les jeunes conseillers qu'ils ont contribué à mettre au
pouvoir: « Ces nouveaux chefs d'arrondissement que représentent les maires sont forts
embarrassés entre la volonté d'exercer pleinement leur pouvoir et la faiblesse de se
laisser manipuler par leurs parents. [... ] Ils ont récupéré les privilèges du pouvoir
administratif et quelque part, leur victoire leur ouvre le chemin du pouvoir d'État,
malgré les nombreux obstacles à franchir pour y accéder. » (Camara, 2002, 88) Bien
qu'ils ne soient en poste que grâce à l'appui des autorités lignagères, les conseillers des
communes ne cachent pas leurs ambitions politiques et n'entendent pas se laisser
dominer par les « vieux ». Ils cherchent à acquérir une position plus enviable dans
l'arène locale et leur coexistence à proximité des vestibules les fait peu à peu entrer en
conflit avec les autorités coutumières. Les élus refusent d'être convoqués chez les aînés
en exigeant que Ge soit eux qui les rejoignent à la mairie et accusent les notables du
.conseil de village d'être des dinosaures indélogeables et corrompus. De plus, les maires
disposent de pouvoirs de contrainte à l'égard des chefs de village (grâce à leurs
prérogatives d'officiers de police judiciaire) et ceux d'entre eux qui ont tenté d'en
imposer aux élus se sont fait lourdement sanctionner (Diakité, 2002, 124-126). Même
lorsqu'ils réussissent à placer leurs candidats au conseil communal, les « anciens
pouvoirs» tendent de moins en moins à être le pivot des relations sociales et perdent
progressivement du terrain au profit des élus. Les villages ne sont plus considérés
comme étant la propriété d'une seule famille et la chefferie se trouve peu à peu
remodelée par le nouveau système démocratique. Parfois, les règles de succession du
chef coutumier ont été modifiées et c'est maintenant l'homme le plus âgé du village qui
devient chef, sans égard à sa lignée ou à son statut (Lévy, 2003, 272). Quant aux chefs
de village, ils n'acceptent pas d'être confinés à un rôle subalterne et que leur autorité
soit coiffée par les élus dans leur propre village. Ils se plaignent de l'intrusion des
71
maires dans leurs affaires et voient dans la décentralisation une menace à leurs pouvoirs
sur la scène politiques locale. Les notables coutumiers contestent la légitimité des
conseillers, soutiennent qu'ils représentent un « pouvoir moderne et imposé» et les
menacent de décréter la désobéissance civile en cas de désaccord (K. Traoré, 2002, 358
364; Nijenhuis, 2003; Grémont et. al., 2004, 206; Leclerc-Olive, 2007, 416). À propos
des difficultés à percevoir les impôts auprès des chefs de village, un maire affirme que
« les vieux te font toujours observer l'insignifiance de ton statut de maire par des propos
tel que nous t'avons vu naître "i wolola an j1ana". Qu'est-ce que tu peux bien nous
apprendre et quelle contrainte peux-tu exercer sur nous? [... ] » (Koné et Sow, 2003,
10) Dans ce contexte, les élus accusent les chefs de lignage de faire preuve de mauvaise
foi en ne voulant pas comprendre ce que signifie réellement la décentralisation.
3.3 La présidentialisation des maires et le monopole de l'arène locale par les élus
Bien que l'autorité des maires soit relativisée par le maintien d'une tutelle de
l'État sur les communes, cela ne les empêche pas de s'arroger les pleins pouvoirs et
d'adopter des attitudes « d'administrateurs» qui pérennisent les déséquilibres entre
gouvernants et gouvernés caractéristiques du commandement. Au cours des campagnes
de sensibilisation, certains leaders politiques « affirment sans ambages qu'ils "vont
prendre la place des chefs d'arrondissement", que "le commandant ne percevra plus
l'impôt".» (L. Traoré, 2002, 394) Malgré le poids de l'appui-conseil, les communes
prennent leur indépendance à l'égard de l'État par des coups de force ou des stratégies
d'évitement. Les élus ont une conception « impériale» de leur rôle et souhaitent profiter
du « départ des commandants» pour s'arroger le monopole de l'action politique au
détriment des autres acteurs locaux en présence: « Dans la cinquième région, un maire
voulait que l'ex-chef d'arrondissement fasse rapidement ses bagages pour s'installer à
sa place dans les locaux de l'administrateur.» (Cissé et. al., 2003a, 34) Les affaires
locales se concentrent progressivement vers le bureau du maire et on assiste à
l'apparition d'un style de gestion copiant largement celui de l'administration territoriale.
72
réforme passée, la plupart des gens ne savent plus précisément à quoi s'en tenir à propos
des maires et attendent de voir s'il y aura réellement des changements. Pour l'instant,
« la perception qu'en ont les populations est variée: "ils nous représentent et ils vont
pouvoir enfin négocier avec l'Etat", "la gestion de la commune va être juste parce qu'on
les a choisis et que nous pourrons les chasser .si cela ne va pas", "c'est les nouveaux
chefs mis en place par les partis", "ils sont là pour l'argent". » (Demante, 2004, \0)
Toutefois, la décentralisation est de plus en plus ressentie comme une source de
contrainte (et même de danger) provenant d'une administration mise en place « d'en
haut» par l'État, de telle sorte que les élus sont désignés comme «ceux qui ont
remplacé les commandants» (Doquet, 2006, 305-306). Les affaires locales ne relèvent
que des «hommes de pouvoir» (le maire, ses plus proches conseillers, les
administrateurs civils et les chefs coutumiers), les élus restent des personnes difficiles à
aborder et les délibérations prennent généralement la forme de doléances. Une fois
arrivés à leur poste, les maires restent souvent impassibles aux demandes de leurs
concitoyens et tendent à reconduire les rapports de force qui prévalaient entre
l'administration territoriale et la population. Au moment des échéances électorales, les
candidats sont cependant à la merci du vote des électeurs et ces derniers s'empressent de
réclamer des promesses pour marchander leur appui auprès des partis.
De nombreux villages se sont sentis laissés pour compte par la réforme et les
attentes concrètes en terme de développement ont parfois été déçues. Les candidats
inscrits 'aux listes électorales proviennent des communautés les plus influentes et peu de
villages disposent d'une représentation au conseil communal: « Au cours de la
mandature communale 1999-2004, 65,58% de ces communautés n'avaient pas de
ressortissants au sein des conseils communaux [... ]. Cela voudrait dire que quelques
villages (ou fractions) influents dominent la vie politique locale et composent les têtes
73
de listes des partis politiques lors des élections. » (Ongoïba et. al., 2006, 19) La création
des communes entraîne un important déséquilibre entre les communautés qui
bénéficient d'un chef-lieu et les autres villages aux alentours qui restent en marge des
initiatives locales (K. Traoré, 2002, 344). L'absence d'investissements en contrepartie
des impôts payés et/ou la concentration des projets dans les chefs-lieux suscite alors
d'importantes frustrations pour certains villages. Compte tenu du fonctionnement rigide
de l' ANICT et de l'importance que représentent les droits de tirage, les maires sont
davantage préoccupés par les canevas à respecter qu'à animer des débats d'idées ou
concevoir des projets novateurs. Aussi, l'ampleur des contraintes et la complexité du
travail qu'impose l'obtention de subventions de l'ANICT font en sorte que de
nombreuses communes se révèlent incapables d'obtenir des fonds.
processus déjà complexe, manque de moyens, etc.). Seuls des événements spéciaux,
comme la tenue « d'espaces communaux d'interpellation démocratique », permettent
aux citoyens de s'adresser à leurs conseillers par des doléances 29 (Centre Djoliba, 2001 ;
Felber et. al., 2006, 30). On reproche aux élus d'être coupés « de la base », de
manipuler à leur guise l'information et de prendre des décisions moins en fonction des
besoins exprimés que d'après les exigences formulées par les autorités de tutelle
(Diakité, 2002, 118). Du reste, les renseignements sur les activités de la commune ne
circulent pas très bien et ce sont généralement les rumeurs qui se chargent de propager
l'information, contribuant ainsi à accroître le sentiment de la population (et de
nombreux élus) que la commune est uniquement la chose du maire.
Les séances de délibération ayant précédé la rédaction des PDESC ont connu un
certain succès dans les collectivités où elles ont eu lieu et les encouragements des élus
ont parfois incité l'ensemble des citoyens (y compris les jeunes et les femmes) à prendre
la parole lors des assemblées. Néanmoins, la plupart des communes n'organisent jamais
de consultations et les discussions se déroulent exclusivement au siège de la mairie
entre les membres du bureau et les représentants de chaque village: « Lorsqu'un
membre du conseil communal parle de participation des populations, il évoque, le chef
de village, un ou deux conseillers du chef de village et tout au plus un représentant des
femmes et un représentant des jeunes. Lorsque ces représentants des populations
retournent au village ou au quartier, le compte rendu, quand il y en a, prend l'al1ure
d'une information ou du moins d'un appel à l'exécution. »(Koné et Sow, 2003, 37) Les
réunions organisées par le maire auprès de chaque communauté (même si elles
n'incluent que les chefs coutumiers et/ou leurs représentants) constituent des opérations
délicates pour les communes qui comptent une cinquantaine de villages (ou même plus).
La présence d'une pluralité d'acteurs imbriqués dans des dynamiques conflictuelles
donnent du fil à retordre aux élus et les consultations prennent alors la forme de séances
d'information qui aplanissent toutes divergences d'opinion (par le spectacle d'un
2~ Les doléances regroupent des notables triés sur le volet qui sont autorisés à s'adresser aux grosses
pointures (maire, ministre, président, etc.) dans l'espoir que leurs requêtes soient entendues. Ces séances
d'interpellation représentent parfois le seul contact que les responsables entretiennent avec la population.
75
Malgré leur difficulté de mise en œuvre, les projets de (' ANICT se révèlent
généralement populaires et représentent un signe concret des bénéfices de la
décentralisation. Lors d'une enquête menée dans le Nord-Mali, « plus de 60 % des
populations rencontrées déclarent que l'existence de ces investissements constitue pour
elles la preuve du changement. Ces personnes estiment que ['existence
d'investissements dans des bâtiments (qu'ils soient fonctionnels ou non) est une
garantie que, tôt ou tard, les services qu'ils sont censés abriter seront fournis. » (Cissé
et. al., 2007, 16) Il reste que l'exercice de planification du développement de la
commune est d'abord guidé par le besoin de faciliter l'accès aux fonds de l'Agence
(plutôt qu'à mettre en œuvre les priorités exprimées par les citoyens) et se limite donc à
dresser une liste de projets devant être approuvés, financés et mis en œuvre aux
échelons supérieurs: « Dans certains cas, les communes sont invitées à déposer leurs
projets avant une certaine date et les services techniques procèdent ensuite à l'étude et à
la sélection des dossiers pour analyse et approbation. Dans d'autres cas, chaque
76
commune est dotée d'un nombre limité de projets avec un budget plus au moins
équilibré pour toutes les communes. » (Cissé et. al., 2003a, 38) On semble renouer avec
les programmes de développement qui parachutent ici et là des projets sans que
personne ne sache vraiment qui les a commandé. De plus, certaines considérations
électoralistes des élus les incitent à favoriser les petits projets populaires, visibles et
réalisables à court terme au détriment des initiatives à long terme qui engendrent de
meilleures retombées. Les subventions accordées sont surtout destinées à des projets
d'infrastructures (ODHD-LCPM, 2003, 7) et « la pertinence, la viabilité et la durabilité
de ces investissements est une source de préoccupations, notamment devant le nombre
de réalisations non ou peu fonctionnelles par manque de personnel et/ou de ressources
matérielles et financières pour leur fonctionnement. » (Cissé et. al., 2007, 16)
s'autonomiser par rapport aux politiciens régionaux, dont l'influence reposait jusque-là
sur leur position d'intermédiaire entre les parties en conflit et les pouvoirs d'État: « Les
juges sont devenus plus indépendants, les influences partisanes s'opposent au niveau
même de la capitale et se reflètent dans le pluralisme local. Si les représentants des
grandes factions continuent à accom pagner leurs partisans au cercle ou à la justice, ils
ont donc perdu une bonne part de leur pouvoir d'influence.» (Fay, 2006, 116) Ainsi, les
tentatives de certains cadres politiques régionaux d'influencer les candidatures locales
ont entraîné de fortes contestations en plusieurs endroits.
exécutées au nom de la commune. » (Cissé et. al., 2003a, 22) Les élus ont généralement
de la difficulté à obtenir l'oreille du maire et les réunions se limitent à la participation
des membres du bureau communal, ou se déroulent exclusivement au sein d'un «état
major» informel où le maire s'entoure de ses principaux sympathisants (Koné et Sow,
2003, 41 ; Demante, 2005, 212).
Les employés des GLEM (pour la plupart de jeunes diplômés sans emploi) ont souvent fait pression
.10
pour intégrer les sections locales d'un parti et/ou de se porter candidat aux élections communales.
Certains groupes de « lettrés» véhiculaient des messages faisant croire que le poste de maire (et les
prérogatives jusque-là réservés à l'administration civile) leur était nécessairement prédestiné.
79
varie entre 12% et 90% et dépend fortement de la représentation des villages au conseil
et/ou des retombées concrètes (en terme de projets) apportées par la décentralisation3l
(Leclerc-Olive, 2003a, 304). Les villages qui estiment être mal représentés refusent de
payer afin d'exiger que l'argent soit mieux redistribué entre chaque communauté.
D'autres villages qui ne reconnaissent pas l'autorité des élus refusent de donner leur
argent au maire et insistent pour régler tous leurs impôts avec le délégué du
gouvernement. Au Mali, l'impôt ou « prix de la vie» (ni' sanga) est synonyme
d'humiliation et d'extorsion de la part d'une autorité extérieure à la communauté. Les
fonctionnaires (et maintenant les élus) sont constamment accusés « d' autoconsommer »
les fonds ou d'être incapables de gérer leurs dépenses (Diawara et. al., 2004, 25).
Dans certains cas, les maires préfèrent renoncer à la collecte des impôts de peur
d'aggraver les tensions sociales et/ou se plient à certains chefs de village qui menacent
de se retirer de la commune si on leur impose des taxes. Plusieurs communautés
« dissidentes» ont interdit de passage les collecteurs et n'ont jamais rien payé au maire.
Les villages qui contestent l'autorité des élus peuvent refuser de se faire recenser par le
personnel de la commune et demander que le délégué du gouvernement vienne à Jeur
place (Camara, 2002, 73). Certains groupes de l'opposition accusent les élus de fraude
électorale ou de détournement fiscal et incitent la population à la désobéissance civile.
Dans d'autres cas, les exonérations consenties à la clientèle électorale des élus sont
d'une telle ampleur que la mairie ne se retrouve plus qu'avec des miettes en revenus. En
outre, plusieurs maires ont été élus contre la promesse d'abolir les impôts parce qu'ils
considèrent illégitime que leur commune perçoive des fonds auprès de leurs électeurs
démunis alors qu'aucun service ne pourra leur être offert en contrepartie. Le manque à
gagner en recettes fiscales empêche alors la mise sur pied de projets d'investissements
(en raison de l'incapacité des élus à fournir la contrepartie de 20% de l'ANICT) et porte
un dur coup à la viabilité économique (et politique) des nouvelles communes.
JI 39% des contribuables se sont acquittés de leurs impôts au niveau national en 2002 (Pringle, 2006, 26).
83
Face à des maires qui s'effacent devant leur responsabilité d'imposer leurs
concitoyens, les administrateurs civils y voient la preuve que les politiciens n'ont pas la
poigne suffisante pour forcer leurs « parents» à payer et que le recouvrement se révèle
être impossible s'il est effectué par «quelqu'un du milieu ». Malgré l'objection des
maires, la responsabilité du recouvrement fût donc temporairement confiée aux
délégués du gouvernement en 2000 afin d'essayer de mettre un terme au désordre qui
était en train de se dessiner un peu partout au pays: « Ils devaient en retour recevoir 2%
des ristournes, le premier trimestre et 1%, le trimestre suivant. Mais ces administrateurs
[... ] refusèrent unanimement en réclamant plutôt 25% des ristournes comme condition
de leur acceptation. [...] Le Ministre de l'administration territoriale voyait la main du
nouveau syndicat libre de l'administration territoriale (Sylmat) dont le chef Mahamane
Maïga s'était insurgé contre les prétentions de l'État et avait affirmé que la
décentralisation était "la chose d'Alpha Oumar Konaré et d'Ousmane Sy". » (Camara,
2002, 81-82) Une fois l'impôt définitivement transféré sous l'autorité du maire, le
recours aux forces de l'ordre pour accompagner les percepteurs (ou récolter les taxes
aux postes de contrôle) s'est répandu afin de faire symboliquement pression auprès des
réfractaires (Diawara et. al., 2004, 21; Diawara, 2007, 16-17 ; Sissoko, 2008, 13). Les
gardes qui perçoivent les taxes et les impôts sont «mis à la disposition» par
l'administration et rétribués par la commune selon un certain pourcentage des sommes
récoltées J2 • Malgré la volonté initiale du gouvernement de mettre un terme aux
méthodes répressives, certains maires zélés sont convaincus du bien-fondé du recours à
la contrainte et menacent de renvoyer les enfants de ['école, de faire emprisonner les
récalcitrants ou de traduire en justice les chefs dont le village ne se serait pas acquitté de
ses arriérés de paiement.
Après les consultations menées dans les villages et l'approbation obtenue auprès
du conseil communal, le budget doit obligatoirement être approuvé par la tutelle en
32Certains jours de marché. les forces de l'ordre peuvent confisquer les motos, les vélos et les charrettes
non munies de vignettes jusqu'à ce que leurs propriétaires se soient acquittés de leurs arriérés d'impôts.
84
·1J Avec ce fonctionnement hérité de la colonisation, tous les fonds publics doivent obligatoirement
transiter par le Trésor, dont la caisse unique centralise l'ensemble des revenus et des dépenses de l'État.
Évidemment, ces règles limitent les possibilités de gestion participative du budget des communes.
85
Ce type de papier n'est pas toujours recevable devant les tribunaux et ne signifie pas
pour autant que son détenteur possède un titre de propriété. Celui-ci demeure un
concessionnaire des lieux détenant des «droits d'usage» (à tout moment révocables)
alors que l'État demeure le seul propriétaire légal des 1ieux. Sinon, des titres de
concession rurale (ou titres provisoires) peuvent être attribués une fois les droits
coutumiers «purgés» par le consentement des propriétaires traditionnels à renoncer
à leurs prérogatives (Djiré, 2004, 27-32). Ces lettres n'ont qu'une valeur transitoire, ne
peuvent être délivrées que dans les espaces destinés à être viabilisés et impliquent le
versement d'une rente annuelle pour toute la période couverte par le titre. Sauf en cas de
conflits difficiles à résoudre (et où les administrateurs tiennent le rôle d'arbitre), les
acteurs rechignent à s'engager dans ces procédures coûteuses qui tendent à ébranler les
rapports de force fragiles entre les composantes sociales d'une communauté. Les
propriétaires coutumiers acceptent rarement de collaborer aux procédures de purge et la
délivrance d'une lettre officielle est susceptible de faire l'objet de contestations lorsque
plusieurs groupes réclament des droits sur un même territoire.
Les constats d'occupation et les titres provisoires peuvent à tout moment être
remis en cause par l'administration et ne mettent pas ses détenteurs à l'abri d'un retrait
ou d'une expropriation de leurs attributions. La seule façon de sécuriser sa propriété
consiste donc à immatriculer sa parcelle au nom d'une personne privée. Le processus
« requiert au préalable une enquête cadastrale qui doit être exécutée par les services
techniques de l'urbanisme et qui permet d'obtenir un titre provisoire d'occupation. [... )
Petits employés et hauts fonctionnaires ont coutume de chercher leur bénéfice en
négociant leur signature ou leur décision auprès du citoyen qui demande comment faire
pour que sa demande aboutisse et que le dossier avance. » (Bouju, 2000, 158). Ensuite,
la procédure exige l'immatriculation du lot au nom de l'État puis sa mise en valeur (par
la construction d'un bâti) d'après des normes précises et à l'intérieur de certains délais.
Les campagnes de lotissement s'échelonnent sur plusieurs années et nécessitent souvent
l'intervention des députés, des ministres concernés ou même du Président de la
République pour faire débloquer le dossier (Djiré, 2004, 19-22). Si l'acquisition d'une
87
lettre d'immatriculation offre une certaine garantie de propriété à ses détenteurs, il reste
que cette procédure n'est applicable qu'aux lots viabilisés en milieu urbain. Les
exploitants des terres agricoles, des zones pastorales et des zones halieutiques (de même
que tous ceux qui résident en zone rurale) n'ont donc aUcune possibilité d'obtenir une
reconnaissance juridique formelle de leurs droits fonciers par l'État.
les élus n'ont cependant aucune obligation de tenir compte de leur point de vue pour
prendre des décisions (Keïta, 2005, 91-93 ; Benjamin, 2008, 2262).
Bien que les communes soient démunies de toute propriété foncière et que les
transactions soient suspendues jusqu'à nouvel ordre, les maires peuvent demander aux
administrateurs civils d'exproprier des portions de terre pour des lotissements dont les
90
fonds engrangés permettront de financer leurs projets. Grâce à leur rôle d'interface entre
les citoyens et l'administration territoriale dans la vente des permis d'occupation et des
titres d'attribution, les élus communaux - en tandem avec les propriétaires coutumiers
peuvent utiliser à des fins spéculatives et clientélistes la gestion foncière en jàuant des
interdépendances existant entre chacun des pouvoirs impliqués dans l'opération 34
(Bagayoko, 2005 ; Roy, 2005b). Le lotissement de Douentza est un exemple parmi
d'autres de la spéculation dans laquelle les élus se trouvent impliqués:
Une [... ] décision n'ayant pas été consignée par écrit a été de mettre à la
disposition des demandeurs 160 lots seulement sur les 200 qui avaient été bornés.
Les quarante autres ont été mis à la disposition du maire pour être distribués à des
personnes qui avaient «rendu possible» ce lotissement. De ces quarante lots de
réserve, chaque conseiller communal en a reçu deux pour lui-même. Cette décision
a été justifiée par le fait que les conseillers s'investissent beaucoup pour la
commune et ne reçoivent en retour qu'une indemnité très modeste. Les autres lots
ont été gracieusement offerts au préfet et ses proches ainsi qu'au chef de village de
Douentza et à ceux de Coumbéna, Dirimbé, Fombori et Evéry, les quartiers
composant la commune urbaine de Douentza. (De Langen, 2005, J 41-142)
Quant à la distribution des lots restants, leur attribution par le maire est le résultat de
multiples négociations entre élus communaux, intermédiaires de vente et acteurs locaux
influents35 . La complexité et le coût de ces procédures font qu'elles sont
presqu'exclusivement accessibles aux notables (fonctionnaires et commerçants)
disposant de l'argent etde l' infl uence nécessaires pour franchir tous les obstacles. Ainsi,
les campagnes de « réhabilitation» entreprises dans le sillage de la décentralisation ont
pour effet d'accélérer le processus d'appropriation privée des terres coutumières et
d'accroître les inégalités dans la répartition foncière. Si les campagnes de lotissement
servent d'abord à renflouer les coffres de la commune, elles permettent aussi aux élus
(et aux administrateurs civils qui tes endossent) de s'approprier gratuitement les terrains
en vente en se justifiant des salaires trop faibles qui leur sont versés. 36 Les maires
,14 L'opération « Sauvons notre quartier» lancée à Bamako en 1993 préfigure aux vagues de spéculation
foncière illégale qui suivront l'installation des nouveaux maires à travers l'ensemble du pays en 1999.
15 Certaines considérations électoralistes peuvent inciter les maires à brader les teri'es de leur commune
pour compenser les montants investis dans la campagne électorale et/ou en échange de l'appui de
« cl ients » influents pour conquérir des votes.
,1(, En 2002. les maires sont payés 15 000 Fcfa/mois et leurs adjoints la 000 Fcfa/mois.
91
3.5.4 Conclusion
régime foncier par la création de nouvelles arènes pour le règlement des litiges. La
décentralisation permet alors d'inclure certains acteurs jusque-là restés en marge de la
gestion des terres grâce au processus électif qui régit le fonctionnement de la commune.
3.6 Conclusion
ressources est perçu comme une récupération des redevances coutumières en fav~ur des
élus. Le principal moyen pour les chefs de lignages autochtones/propriétaires
d'empêcher les conseillers de s'accaparer «leurs» redevances et de redistribuer
« leurs» terres consiste alors à occuper les instances communales en appuyant des
candidats qui ne remettront pas en cause les hiérarchies foncières. D'un autre côté, les
familles allochtones/non-propriétaires voient dans la décentralisation la possibilité
d'étendre leurs patrimoines et de sécuriser leur accès à la terre. La création des
nouvelles collectivités représente pour eux une occasion inédite de prendre part aux
décisions qui les concernent à propos des questions foncières et de faire contrepoids à
l'influence des notables coutumiers dans l'attribution des terres. Certaines franges de la
population jusque-là restés à la marge des rapports sociaux de propriété entrevoient
alors la possibilité d'améliorer leur accès aux ressources foncières.
Tous les conflits que nous allons évoquer ont en commun d'avoir été (ré-)activés
par la nouvelle donne foncière suscitée par la décentralisation. Les rapports de force au
sein des espaces communaux s'imbriquent aux rapports sociaux de propriété et la
décentralisation devient un catalyseur des antagonismes liés au foncier. La réforme
commandée « d'en haut» se trouve ainsi instrumentalisée «par le bas» à travers les
luttes entre acteurs qui parcourent l'arène locale. Ces conflits prennent la forme d'une
lutte pour le sens où différents groupes sociaux réinterprètent la décentralisation d'après
leurs propres intérêts: «Dynamiques locales et décentralisation s'articulent et·
s'opposent à la fois, révélant la diversité des stratégies qui s'élaborent au sein de ces
espaces métisses.» (Leclerc-Olive, 1997, 191) Chaque catégorie d'acteur tente
d'infléchir en sa faveur le découpage territorial et de placer ses candidats à la commune
en se justifiant d'une pluralité d'interprétations possibles à la décentralisation. Cette
logique d'occupation de l'appareil communal par les acteurs sociaux semble s'inscrire
en continuité avec le fonctionnement du parti unique, où l'espace politique local
réaménagé par l'État devient le lieu de médiation des conflits locaux. Ainsi, la
décentralisation peut emprunter plusieurs voies possibles en fonction du jeu des acteurs
et des rapports de force en présence au sein des différents pouvoirs locaux. La venue des
96
communes peut tout autant conduire à resserrer l'ordre des statuts et des propriétés qu'à
remettre en cause les hiérarchies sociales.
lignages impériaux, retrouvaient enfin leur pouvoir confisqué, leurs propriétés et leurs
privi lèges perdus.» (Camara, 2002, 41) Le « retour du pouvoit à la maison» est
interprété comme une renaissance de l'ordre ancien où les chefs coutumiers sont
conviés à reprendre les pouvoirs dont ils ont été dépouillés par le passé. Pour ceux-là, le
retour aux valeurs traditionnelles signifie aussi le maintien de l'exclusion des étrangers,
des jeunes et des femmes dans les instances de décision. Un maître d'eau 37 de
Youwarou appuie la réforme « à condition que ce soit effectivement ùn retour à la
tradition, comme annoncé» en évoquant « le temps où on ne confectionnait que des
habits sans poche aux cadets pour leur signifier qu'ils ne devaient rien garder pour
eux.» (Béridogo, 2006, 206-207) Puisque les comités de découpage sont
principalement composés des chefs coutumiers ou des notables qui les représentent, ces
derniers useront de leur influence auprès des administrateurs civils pour que le
regroupement des villages en communes (de même que le choix du chef-lieu) soit
calqué sur les hiérarchies cheffales en place. Cette stratégie n'est pas sans rapport avec
la détermination des chefs de lignage propriétaires à vouloir conserver l'intégralité de
leurs prérogatives foncières et la tentative de certaines autorités villageoises à
s'approprier les terres de communautés voisines (pour l'extension des terres cultivées
ou à des fins purement spéculatives) sous prétexte de communalisation du patrimoine.
37Il s'agit d'un chef de lignage propriétaire d'une zone halieutique qui détermine les périodes de pêche et
accorde des droits d'exploitation en échange d'une redevance de la part des usagers.
97
Idelman, 2009, 5-6). Les villages d'une même zone sont souvent. issus de l'essaimage
des membres d'un même lignage ayant fondés des hameaux qui ont toujours conservés
des rapports de dépendance hiérarchique avec leur village d'origine. Les chefs lignagers
qui revendiquent l'antériorité de leur installation soutiennent qu'ils n'iront vers
personne et que ce sont leurs voisins qui doivent venir à eux. Les conflits entre familles
3K Les réalités spécifiques aux communautés nomades sont peu prises en compte par la réforme alors que
l'État « perçoit le rapport homme espace selon le modèle (pourtant à peine majoritaire au Mali) de
l'agriculture sèche dans un terroir géographitluement continu et temporellement stable de forme
concentrique ou radiante. » (Kintz et Poncet, /995, 7)
39 Les villages d'une même zone sont souvent issus de l'essaimage des membres d'un même lignage
ayant fondé des hameaux qui ont toujours conservé des rapports hiérarchiques avec leur village d'origine.
Sauf en cas de conquête ou de « coup de force », c'est l'ordre d'occupation du sol qui détermine les
rapports de dépendance entre les villages (et entre les lignages).
411 Le vestibule (blon) est la pièce où trône l'aîné d'un lignage et la hiérarchie de ces vestibules reflète les
rapports de force entre les différents groupes sociaux d'un même territoire (Samaké, 1988, 340).
98
Si les chefs coutumiers exercent de vives pressions pour que l'espace communal
corresponde à l'espace lignager, certains groupes subordonnés refusent d'être replacés
sous le commandement de leurs anciens «maîtres» et voient dans la décentralisation
l'opportunité de s'émanciper des vieilles hiérarchies foncières en dissociant la commune
des coutumes. Il existe rarement un consensus quant au choix de la commune à
rejoindre et il arrive même que des chefs traditionnels soient en opposition avec leur
propre village sur la question (Coulibaly et Hilhorst, 2004, 9). La spoliation des terres
par les chefs coutumiers a laissé de mauvais souvenirs et les familles non-propriétaires
veulent éviter de retomber sous la coupe de l'aristocratie locale (Diakité, 2002, 98-10 1).
Les anciens pôles de pouvoir précoloniaux ou cantonaux sont concurrencés par certains
chefs-lieux de secteur ou d'arrondissement qui ne peuvent se prévaloir d'une antériorité
d'installation mais disposent d'importants atouts logistiques (en terme d'infrastructures
et de services offerts) pour obtenir le siège de la mairie. Grâce à leur influence, les
membres des associations locales de développement parviennent à influencer le
redécoupage territorial de façon à favoriser une plus grande mobilité sociale des
individus. Ils tendent à faire de l'ombre aux chefs de village en promouvant des
délimitations qui font abstraction des hiérarchies lignagères et des rapports sociaux de
propriété (Qui minai, 2002, 289 ; Daum et Le Guay, 2005, 107-110; Lima, 2008, 25).
Ainsi, les hiérarchies entre villages et les liens de dépendance tributaires entre
groupes sociaux sont à la fois réactivés et remis en question d'après des modes de
compréhension diversifiés de la réforme qui suivent des intérêts précis. Des factions
politiques se constituent de part et d'autre des groupes belligérants et les séances de
concertation sont régulièrement court-circuitées par des politiciens locaux qui cherchent
à négocier un arrangement directement auprès d'un commandant de cercle, d'un député
ou d'un haut fonctionnaire. Des politiciens ambitieux cherchent à s'allier les principaux
leaders d'opinion d'une communauté en promettant d'aider des regroupements de
99
village à se constituer en commune s'ils sont élus (Diakité, 2006, 167-168). Des projets
de délimitation comprenant de longs appendices territoriaux permettent à des villages en
conflit avec leurs voisins d'aller rejoindre une commune plus éloignée. Si certains de
ces découpages ont pu se réaliser, d'autres sont empêchés par les villages voisins,
bloqués par l'administration territoriale ou tout simplement «morts au feuilleton ».
41Environ 1000 villages (sur les 5000 villages « officiels» que compte le Mali) refusent de participer au
processus électoral pour ne pas avoir été rattaché à la commune de leur choix. Le jour du vote, les
bureaux de scrutin sont déserts et l'armée doit parfois être déployée pour éviter un saccage (Béridogo.
2006,210).
100
42« Nous sommes les mêmes ... nous avons le même nombril ... les mêmes mamelles ... nous nOLIs
marions entre nOlis ... nous mangeons les mêmes propriétés. » (Fay, 2002, 135)
102
pouvoir, qui parlons et sommes écoutés et à qui tout revient".» (Fay, 2002, 146) Les
représentations classiques du laamu qui réorganise les propriétés en dépossédant les uns
aux profits des autres sont reconduites en faisant miroiter aux anciens «captifs» le
bénéfice de «rejoindre leurs anciens maîtres »43. Lors des négociations précédant le
redécoupage territorial, le recours aux légitimités politiques coloniales ou précoloniales
par les chefs coutumiers a fait en sorte que tous les cantons et les janyeeli aient au
moins projeté de se reconstituer en commune44 : « Lorsque ces deux types de légitimités
ne coïncidaient pas (tous les cantons ne correspondaient pas à d'anciens janyeeli), la
tendance a même été très nettement à la reconstitution d'unités précoloniales (...]. »
(Fay, 2000, 127) Si certaines collectivités ont des délimitations semblables à celles des
an'ondissements ou des secteurs de développement, c'est parce que ces circonscriptions
avaient elles-mêmes été découpées en fonction des chefferies de canton ou des aires de
pouvoir précoloniales. Néanmoins, les tentatives de reconstitution des anciennes aires
de pouvoir furent vi vement combattues par certains opposants aux chefferies
(notamment les lignages allochtones et les familles non-propriétaires), à travers une
contre-carr)pagne évoquant les plus mauvais souvenirs laissés par le cantonnat
(violences, réquisitions, travaux forcés, spoliation des terres, etc.) (Cissé, 1999, 14[
142). Ainsi, les partisans de la reconstitution des chefs-lieux d'arrondissement en chefs
lieux pour les communes retournent le thème « impérial» contre ses utilisateurs tout en
arguant des nombreux atouts « logistiques» déjà existants au centre de la
circonscription (réseau routier, centre de santé, école, etc.) (Fay, 2000, 135).
Au Manden, « les propositions avancées par les délégations villageoises ont été
caractérisées par une tension entre des revendications basées sur les limites des
anciennes chefferies et les ambitions hégémoniques de certains villages. » (Zobel, 2004,
43 Le laamll réfère historiquement au pouvoir guerrier des chefferies précoloniales assoyant sa domination
par la force et entretenant un rapport ambivalent avec l'ordre des propriétés: « Un nouveau pouvoir est
toujours potentiellement violent (il "frappe, insulte, vole"), susceptible de déposséder tels propriétaires
particuliers, mais ensuite le temps de son règne il est objectivemellt le garant de ['ensemble des droits de
p,ropriété (ceux qu'il a reconnus, ceux qu'il a attribué) [... J.» (Fay, 2006, 106)
4 Leur échec est le résultat des contlits survenus dans le choix du chef-lieu ou de leur incapacité à
rencontrer les critères de viabilité économique. Sur les vingt-cinq demandes de regroupement de villages
formulées dans le cercle de Tenenkou, seules neuf communes rurales furent par la suite créées.
103
9-10) Dans leur choix d'adhérer à une commune, les chefs de village se réfèrent aux
histoires de peuplement et aux règles d'autochtonie qui régissent les rapports entre
chaque lignage. Chacun des protagonistes réinterprète à son avantage les récits de
fondation (souvent contradictoires) pour démontrer l'ancienneté de son lignage. Les
antagonismes locaux viennent souvent à bout des aspirations à faire renaître les grandes
chefferies et entraînent alors la fragmentation des arrondissements en plusieurs micro
communes. Au cœur de ces rivalités se trouvent d'importants enjeux fonciers liés à la
maîtrise de zones d'exploitation forestière, agricole, pastorale, halieutique, etc. De
nombreuses chefferies voient dans la décentralisation l'occasion de diriger seuls les
communes et de reconquérir leur suprématie sur les autres villages des environs (S.
Koné, 1997 ; L. Traoré, 2002, 378-387). Ils soutiennent devoir être placés au centre du
nouveau découpage puisque leurs ancêtres ont offert l'hospitalité aux autres lignages
venus s'établir chez eux dans le passé. En arguant l'antériorité de leur installation sur le
site pour accueillir la commune, ces chefs de lignage revendiquent ainsi la propriété et
le contrôle des terres sur tous les villages des environs. Les villages qui sont coiffés par
les mêmes pouvoirs locaux depuis l'époque précoloniale (dans un kafo, un canton, puis
un secteur par exemple) et qui disposent déjà d'un chef-lieu potentiel comportant toutes
les infrastructures nécessaires acceptent généralement de demeurer ensemble au sein
d'une même commune. Mais, lorsque la conjoncture se révèle plus indécise (ce qui est
très souvent le cas) les différents groupes sociaux habitant un même territoire entrent en
compétition pour faire pencher le découpage en leur faveur. Les velléités de certains
chefs coutumiers voulant s'approprier les ressources foncières se trouvent alors
vivement combattues par des lignages concurrents. Lorsque les villages d'une même
collectivité doivent départager le lieu d'installation du chef-lieu, ceux qui sont vaincus
par les urnes préfèrent rejeter l'autorité des élus ou ériger une nouvelle commune avec
les villages des alentours qui les appuient (L. Traoré, 2002, 378-380, 387-390;
Béridogo, 2003, 6-7 ; Camara, 2006, 150-156). Si certaines communautés ne peuvent
mobiliser leur appartenance lignagère pour prétendre accueillir la commune, ils
recourent alors à -l'argument de l'appartenance commune à une association de
104
« tradition ». Lors des élections, certains militants «disaient aux populations, faites
beaucoup attention aux hommes que vous allez choisir, car l'histoire des communes,
c'est une histoire de terres. Si jamais vous donnez le pouvoir à quelqu'un qui n'est pas
l'un de nous, nous n'aurons plus jamais rien quand il va s'agir du problème domanial. »
(Koné, 2002, 203) Néanmoins, l'influence des militants traditionalistes ne semble pas
toujours avoir été suffisante pour qu'ils imposent leur point de vue aux électeurs. Alors
que la création des communes représente pour certains (les familles autochtones, les
lignages propriétaires, etc.) l'occasion d'un retour aux anciennes valeurs, il s'agit pour
d'autres (les allochtones, les non-propriétaires, les anciens «captifs », etc.) d'une
opportunité pour s'émanciper des rigidités sociales qui bloquent l'accès au pouvoir (et
par conséquent au foncier).
Dans les régions de Tombouctou, Gao et Kidal, la gestion des affaires locales est
généralement confiée au seul clan familial détenteur du pouvoir et les relations
parentales restent au cœur des enjeux électoraux indépendamment des changements
politiques à l'échelle nationale (Klute, 2002, 5; Cissé, 2007, 16). Peu importe l'âge ou
le niveau d'instruction, l'occupation de postes de responsabilité est conditionnelle à
l'appartenance à un lignage «noble» disposant de la «propriété» du territoire. Au
cours des élections municipales, les chefs traditionnels influencent les listes de
candidature en faveur des membres de leur famille ou décident de cumuler leurs
fonctions coutumières avec celles de la commune (Maïga, 2002, 254; Touré, 2006, 13
16). Dans la plupart des localités du Nord-Mali, les communes se trouvent accaparées
par les lignages «dominants» et les changements apportés par la décentralisation se
révèlent donc peu apparents. Cependant, le pouvoir de certains lignages ne fait pas
partout l'unanimité et la persistance de hiérarchies statutaires concurrentes dans
certaines zones (entre des groupes sociaux distincts ou entre différents prétendants à la
propriété coutumière au sein d'un même groupe) est susceptible de réactiver les
compétitions pour le contrôle de la mairie. L'appropriation foncière se trouve au cœur
- 106
de ces conflits puisque la mainmise des institutions communales par une faction est
perçue comme une confirmation de la propriété de sa clientèle sur le site.
Dans le cercle de Gao, la décentralisation fait craindre aux pasteurs touaregs que
les villages près du fleuve (largement majoritaires en terme de population) ne leur
ferment définitivement l'accès aux bourgoutières sous prétexte de communalisation des
« propriétés ». Bien que les Touaregs aient déjà soumis les populations « sédentaires» à
des prestations tributaires par le passé, ces villages « dépendants» se sont accaparés la
totalité des telTes à la faveur de la colonisation et souhaitent maintenant bloquer l'accès
de la commune à leurs anciens « maîtres» (Marty, 1999; Grémont, 2005, 279-286). La
volonté de garder la main haute sur les ressources foncières grâce au contrôle des
instances communales fait entrer en conflit différents lignages qui se réclament chacun
d'un titre de propriété coutumière sur les lieux. Dans ce contexte, c'est moins la
capacité de faire valoir l'existence d'un droit d'usage que le potentiel de mobilisation du
plus grand nombre de votes (afin d'occuper les principaux postes du bureau communal)
qui peut faire la différence. Lors des élections de 1999, plusieurs fractions nomades ont
d'ailleurs invité des familles alliées à venir gonfler leurs rangs au détriment d'une
fraction adverse dans le but de faire pencher le vote en leur faveur (Hetland, 2008, 28).
Dans le cercle de Goundam, les hiérarchies statutaires et les rapports de dépendance qui
opposent les «maîtres» et les «esclaves» d'hier se recomposent autour des luttes
foncières et des rivalités pour l'accès aux subventions des bailleurs de fonds. Les
« nobles» craignent que la forte croissance démographique des anciens « captifs» (et
par corollaire l'obtention d'une majorité des voix au conseil) leur permettent de
s'approprier les telTes et de capter tous les fonds destinés au développement communal
(Giuffrida, 2005, 820-825). Dans certaines localités, les propriétaires ne reconnaissent
pas l'autorité des élus dans la gestion des conflits fonciers et préfèrent aller régler toutes
leurs affaires chez l'administrateur civil. Quant aux maires, ils disent que les chefs de
village entretiennent volontairement le flou sur la réforme et qu'ils ne comprennent pas
que les règles d'attribution foncière ont changé pour la simple raison que ça les arrange.
107
La perception qu'ont les acteurs de l'étendue des pouvoirs confiés aux élus dans
la gestion des domaines fait du contrôle de la mairie un enjeu stratégique des
dynamiques foncières. Dans la région de Mopti, l'élection de clients, de parents et de
dépendants représente le meilleur moyen pour les lignages propriétaires de conserver
leurs privilèges fonciers (Bouju, 2000, 154). De cette façon, les clans « fondateurs»
entendent profiter de l'essor du marché foncier suscité par la décentralisation pour
accroître leur patrimoine en se justifiant de l'autochtonie de leur famille (Dorier-Apprill,
2002, 128-132). Les enjeux fonciers commandent ainsi les mêmes ralliements politiques
qui avaient cours à l'époque de l'UDPM en continuant d'opposer les clientèles des
factions Nyang (celle des allochtones et des non-propriétaires) et Koreïsi (celle des
,
autochtones et des propriétaires). Lorsque les communes se trouvent monopolisées par
un seul parti, les délégués du gouvernement peuvent constituer une alternative appréciée
à un maire dont les décisions seront toujours jugées partiales (Barrière, 2002, 166-167) :
« Beaucoup de communes s'étant constituées [...] sur fond d'importantes tensions et la
108
plupart des bureaux communaux ayant été monopolisés par une tendance, si un conflit
oppose des parties appartenant à des factions opposées, l'une d'entre el1es peut tenter de
privilégier le recours à l'administration: des conseil1ers communaux opposants au
maire peuvent alors eux-mêmes diriger (et accompagner) leurs partisans chez le DG
[délégué du gouvernement]. » (Fay, 2006, 115). Partout dans la région, le « retour du
pouvoir à la maison» inspira la candidature des fils .ou petits-fils d'anciens chefs de
cantons pour l'obtention d'un siège à la mairie. Le paysage politique est monopolisé par
les lignages «dominants» et il n'est pas rare de trouver qu'un des fils du chef de vil1age
soit à la tête d'une section locale d'un parti en même temps qu'un de ses neveux occupe
une position importante dans un autre parti (Doquet, 2006, 305).
Après avoir tenté d'être représentés dans chacun des partis en lice aux élections,
les jowro45 du cercle de Youwarou ont tous décidé de se rallier à l'Adéma (attendu
gagnant à l'échelle nationale 46 ) pour être en mesure de négocier le maintien de leurs
privilèges en ayant les nouveaux pouvoirs communaux de leur côté (Le Marcis, 1999,
162-163). Les jowro craignent que les maires se mêlent de la gestion foncière et qu'ils
se saisissent entièrement des revenus provenant de la perception des droits de passage
des troupeaux (conngi) sur leurs bourgoutières 47 • Plusieurs d'entre d'eux décident donc
de se lancer dans la course électorale (en appuyant des candidats ou à titre personnel) de
façon à obtenir l'allégeance d'un plus grand nombre de conseil1ers communaux. Les
maires de Youwarou et de Dial10ubé sont tout deux des jowro et ceux de plusieurs
autres communes des environs appartiennent aux familles descendants des chefs de
cantons (Bâ, 2008, 95). Le jowro de Youwarou « reconnaît que ces élections entrent
dans Je cadre d'une stratégie de sauvegarde de ses avantages, mais l'inquiétude demeure
toujours: "J'ai peur de la décentralisation, elle veut me dépouiller de touS mes pouvoirs
45 Lesjowro sont des chefs de lignage disposant de la maîtrise d'un territoire de pâturage (leydi) et avec
qui il faut négocier un droit de passage (conngi) pour avoir l'autorisation d' y faire entrer son bétail.
46 Le positionnement des acteurs locaux en faveur du parti majoritaire représente un enjeu politique
majeur dans le contexte de la décentralisation. En effet, les élus préfèrent se trouver du côté de l'Adéma
parce qu'ils croient être en meilleure position pour recueillir des bénéfices du pouvoir.
47 Le conngi représente un revenu de plusieurs millions de francs Cfa pour lesjowro et les élus attendent
impatiemment que leur gestion soit transférée aux communes afin de pouvoir mettre la main dessus.
109
de dioro au profit du maire. Pour ne pas perdre mes bourgoutières, je me suis engagé
dans la politique et, dieu merci, je suis élu maire. Cependant je suis toujours inquiet car
la majorité de mes bourgoutières se situe sur d'autres communes [... J". » (Maïga, 2005,
212) Puisque personne ne peut appuyer un opposant au jowro sans risquer de se voir
refuser l'accès aux pâturages, les électeurs votent massivement en faveur de l' Adéma.
Selon un éleveur, « le dioro nous tient par la gorge. Nous avons des animaux, lui a du
bourgou, nous sommes obligés de voter pour lui sinon il peut prendre des mesures de
représailles contre nous en nous empêchant d'accéder à ses bourgoutières. » (Maïga,
2005, 211-212) Avec la venue des communes, le gouvernement a proposé' un
compromis: les maires ne se substitueront pas aux jowro pour percevoir le conngi et
n'imposeront aucune taxe sur le passage des troupeaux. Quant aux jowro, ils pourront
continuer à percevoir leurs rentes, leurs propriétés seront officieusement reconnues mais
ils seront astreints à verser des redevances à la commune48 . Grâce à la neutralité
bienveillante de l'administration et au soutient des lignages clients qu'ils subordonnent,
lesjowro continuent donc à bénéficier de l'usufruit de leurs prérogatives coutumières.
4XCe dernier point n'est pas encore tout à fait réglé et en 2002 la perception .de la taxe d'élevage devait
provisoirement être versée au Comi,té d'organisation de la Coupe d'Afrique des Nations.
110
chargé de régler les conflits fonciers, amplifiés par la décentralisation. Dans certaines
communes, même lorsque la chefferie exerce l'autorité municipale, au côté du conseil
municipal, siège l'association des chefs de village de la commune (créé à cet effet),
rappelant la légitimité maintenue des structures traditionnelles. » (Leclerc-Olive, 2007,
418) L'attention portée à la décentralisation par les chefs coutumiers est là aussi
motivée par les transformations que l'arrivée des maires est susceptible d'apporter aux
dynamiques foncières. Certains élus laissaient entendre qu'ils voulaient interdire l'accès
des pasteurs transhumants au territoire de leur commune (Leclerc-Olive, 2003b, 180).
4.3 Conclusion
ont toutefois moins de succès que les seconds et la décentralisation semble être au point
mort depuis l'alternance politique de 2002. Les « ratés» du démarrage des communes
(clientélisme, corruption, conflits fonciers, etc.) sont attribués « aux partis» ou « à la
. politique ». L'administration civile se voit donc progressivement confier le mandat
d'user de ses prérogatives de commandement pour « moraliser la vie publique» et
restaurer l'ordre troublé par la réforme. S'il doit y avoir participation, elle doit reposer
sur des discussions « consensuelles» et des débats « non partisans» en vue d'atteindre
les cibles de développement projetées par les technocrates du gouvernement. Ce point
de vue « apolitique» de la démocratie locale n'est pas sans rappeler la politique du
« développement des populations à la base» anciennement promue par l'UDPM.
Les communes sont souvent accaparées par les notables coutumiers et les vieux
politiciens «de carrière », mais la décentralisation peut devenir dans certains cas une
porte d'entrée à l'ascension sociale des jeunes, des étrangers ou des femmes. Puisque
l'occupation d'un siège au conseil ne repose pas directement sur l'appartenance
lignagère (comme c'est le cas avec le conseil de village), les étrangers, les hommes de
caste et les descendants de «captifs» - malgré les nombreux préjugés qui persistent à
leur endroit - peuvent prendre part au jeu politique de la commune au même titre que
les familles « nobles» ou «autochtones ». Grâce à leur formation scolaire et/ou à leur
expérience de gestion, les leaders associati fs et les jeunes «lettrés» exercent une
influence croissante dans l'arène locale et sont même encouragés par les notables
coutumiers à se porter candidats aux élections communales. Les enseignants, les
fonctionnaires et le personnel de la santé sont eux aussi appelés à occuper une place
plus importante dans les affaires locales et tendent parfois à se substituer au rôle jusque
là réservé aux chefs de lignage. Si elles restent pour la plupart en marge de la
décentralisation (la politîque étant considéré affaire d'hommes), les femmes ne sont pas
toutes exclues des communes et une poignée d'entre elles parviennent à inscrire leur
nom sur une liste et à conquérir un siège à la mairie. Parfois, de jeunes femmes
« lettrées» sont même invitées par les notables à occuper d'importantes charges
administratives. Néanmoins, la grande majorité des femmes sont exclues des arènes
locales et les positions qu'elles occupent restent subordonnées au pouvoir des hommes.
Les femmes disposent d'une forte influence au sein dès comités électoraux des partis
politiques, des bureaux de la nébuleuse associative et des sections locales de la CAFO
(une fédération associative qui s'est partiellement substituée à l'UNFM) sans toutefois
occuper des postes où elles disposerai~nt d'un réel pouvoir de décision.
ensuite choisir le parti ayant fait le plus de dons au cours des meetings de la campagne
(en sacs de sel, de sucre ou de céréales, en carrés de viande, en billets de Fcfa, en
essence, en matériel de cuisine, en t-shirts, etc.). Les citoyens sont conscients de
l'importance de leur vote, ils entendent obtenir des bénéfices concrets des élections et
exigent souvent d'être payés (en argent comptant ou en promesses d'investissement)
pour donner leur appui à un candidat. Il n'est donc pas rare qu'une famille ou un village
ait été entièrement « acheté» par un candidat sans égard à son appartenance lignagère
ou factionnelle. En outre, les acteurs entretiennent des rapports de compl icité et
déploient diverses stratégies de contournement visant à éviter toute forme d'intrusion
des pouvoirs locaux dans leurs problèmes. Les conflits ne passent pas toujours par les
instances officielles et diverses formes de résistances voilées sont perceptibles à divers
degrés sur le terrain. Ces stratégies peuvent s'exprimer sous le couvert du silence, de
l'inertie, de l'évitement, du double langage, de l'ambivalence et du mensonge.
L'opposition des acteurs à la réforme se traduit moins par des démonstrations d' hostilité
que par des allusions, des non-dits, des compromissions ou de fausses adhésions.
Lexique
ArlJe (fulfulde) : chefs guerriers peuls qui s'imposèrent aux pouvoirs lignagers du
Maasina aux alentours du XVe siècle.
Association de parents d'élèves (APE) : association qui fonctionne selon les mêmes
principes que ceux l'ASACO, mais qui relève de la gestion des écoles communautaires.
Dugukolotigui (bamanan) : chef d'un lignage descendant des premiers occupants d'un
territoire qui dispose de la maîtrise des terres et en assure la distribution.
Jowro (julfulde): chef d'un lignage qui dispose de la maîtrise d'un territoire de
pâturage (leydi) et qui accorde des droits d'accès aux troupeaux moyermant le
versement d'une redevance (conngi).
Kafo (bamanan) : chefferie lignagère unissant plusieurs villages sur une base
hiérarchique en zone bambara/mandingue
Leydi (julfulde) : Territoire pastoral du Maasina placé sous le contrôle d'un chef de
lignage « noble» (le jowro).
Maasina : région historique s'étendant sur le delta intérieur du Niger entre les villes de
Sansanding et de Tombouctou. .
\ \
45
11 ,,~
7
11- Bourem
12- Diéma
36- Niafounké
37- Niono
18 i 13- Dio-ila 38- Nioro du Sahel
/
.J 17 /1 33 14- Diré
15- Djenné
39- San
40- Ségou
\
( 16- Douentza 41- Sikasso
J
17- Gao 42- Tenenkou
18- Goundam 43- Tessalit
19- Gourma 44- Tin Essako
20- Kadiolo 45- Tombouctou
21- Kangaba 46- Tominian
22- Kati 47- Yanfolia
23- Kayes 48- y élimané
24- Kéniéba 49- Yorosso
25- Kidal 50- Youwarou
1
Président de la République et secrétaire général de l'UDPM
~ ~
État
. - ---- -_ .. -_ .. - ---.,
Opération de développement rural
(ODR)
l l
,
, Région i ~ ~ 1 Gouverneur de région 1-----. 1. Conseil régional 1.,
1 Secteur 1 ~ ~
f ---- -- --- --- - --1
:1 Cercle :
~ ~ 1 Commandant de cercle 1 • 1 Conseil de cercle 1 .... ------ 1 Section UDPM 1
~ ~
Zone d'animation et
.
----- -_.- ---_ .. -_.,
d'expansion rurale Î Î
Conseil .... ------ Sous-section
:1 An"on d"lssement:1 ,~
L -1 ~ Chef d'arrondissement
• d'anondissement UDPM
Secteur de
r .... - ..... - ..... - ...... - .. .. - ,
développement ~ ~ Î Î
i Village ou i Conseil .-----------
:L fraction nomade:
' __1
Chef de village • villageois
1 CofiÙté
UDPM
1
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1
~----------------------------------------------------------------------------------~
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lj
" 1
" Consei 1national C ellule de coordination
._------, 11 A."
"
d'orientation
~
nationale
~
Région
Bureau de l'assemblée
régionale
.. Assemblée régionale 1
l l
Haut commissaire 1----. Co~s~il rég~onal
d onentauon
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régional
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Cercle
Bureau du conseil
de cercle .- 1 Conseil de cercle 1 1 Préfet 1 ~ Conseil local
d'orientation
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Centre de conseil
communal
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Conseil de
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1 fraction 1
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1
; Quartier i
l l Source: élaboration propre
l
I
,
-.J
Conseil de
quartier
• Chef de
quartier
Annexe no 5
L es camps
h d e competence sous a responsa bT
l ite'd es communes
- Budget communal
- Collecte des impôts/taxes et fixation des taux
- Programmes de développement économique, social et culturel (PDESC)
- Plans d'occupation et d'aménagement du territoire
- Gestion domaniale et foncière
- Gestion des ressources naturelles
Compétences
- Organisation des activités agro-sylvo-pastorales
générales
- Protection de J'environnement
- Police administrative
- Organisation des foires et des marchés
- Emprunt et octroi de subventions
- Acceptation ou refus des dons, subventions et legs
- Projets de jumelage de coopération avec les collectivités étrangères
- Enseignement préscolaire
- Enseignement fondamental (1 er cycle)
- Centre d'alphabétisation
Éducation - Subventions aux écoles communautaires
- Élaboration et mise en oeuvre d'un plan de
développement de l'éducation
- Appui à l'élaboration de la carte scolaire
- Création de dispensaires
- Création de maternités
- Création de CSCOM
- Subvention aux ASACO
Compétences
- Hygiène publique et assainissement
spécifiq ues Santé
-Élaboration et mise en oeuvre d'un plan de
développement de la santé
- Mise en oeuvre des stratégies nationales de prévention
et de lutte contre les maladies
- Éducation à la santé
- Infrastructures de communications classées dans le
Travaux publics
domaine de la commune
et transport
- TranspOlts publics
- Elaboration et mise en oeuvre du plan de
Hydraulique développement de J'hydraulique
- Construction et entretien des infrastructures
129
Sources: Cissé et. al., 2003a, 29-32 ; Dicko, 2004, 73-75 ; Hilhorst et Battissen, 2004,
41-52 ; Ongoïba, 2006, 85-91
Annexe no 6
Si le minimum fiscal (ou taxe de capitation) fut aboli en 1992 peu après l'arrivée
d'Alpha Oumar Konaré à la présidence, toutes les autres taxes héritées de l'ancien
régime sont néanmoins demeurées en vigueur. Les revenus des communes proviennent
principalement des taxes de développement local et régional (TORL) créées en 1988 (en
fusionnant les cotisations obligatoires pour le parti unique, la section locale de la
jeunesse, l'association des parents d'élèves, le développement coopératif, etc.). Son
montant varie de 875 Fcfa/an (à Oiré) à 2600 Fcfa/an (à Yanfolia) pour chaque personne
imposable (Oicko, 2004, 77). Même s'il s'agit d'un impôt individuel, cette taxe est
généralement assumée par les seuls chefs de famille, qui s'organisent pour payer au titre
de tous leurs dépendants. Toute personne âgée de 14 à 60 ans (ou son chef de famille)
est astreinte au versement à l'exception:
Bien qu'ils ne figurent pas officiellement sur le liste des individus exemptés, les salariés
de l'État ne sont généralement pas considérés comme étant une catégorie de personne
imposable. De nombreux Maliens ne disposent pas d'une existence légale (être inscrit
sur un carnet de famille ou un registre d'état civil) et les fiches d'imposition ne sont pas
toujours bien à jour. Il arrive que des familles paient pour ses morts alors que d'autres
n'ont jamais été inscrites au registre. Quant aux commerçants et aux opérateurs
131
économiques, ils sont astreints au paiement d'une « patente» (impôt synthétique) et/ou
d'une licence à la commune. Les montants sont établis à la discrétion des percepteurs,
qui jugent sur place et en l'absence de livres comptables la valeur économique d'un
atelier ou d'un commerce. Ils disposent ainsi d'une marge de manœuvre quasi-illimitée
pour appliquer certaines décisions arbitraires ou jouer sur les normes administratives
ambiguës qui règlent les procédures de collecte. La « patente» est une taxe qui se
négocie facilement et qui peut être momentanément différée en échange d'un « cadeau»
au percepteur. Sinon, les élus sont autorisés par l'État à lever d'autres impôts que la
TDRL et la taxe synthétique pour financer leurs activités:
• Taxe de marché
• Taxe sur le bétail
• Taxe sur les armes à feu
• Taxe sur les moulins (lSOO Fcfa/mois)
À ces différentes taxes peuvent s'ajouter des redevances sur l'extraction du sable et du
gravier, l'exploitation du bois, les produits de la pêche, d'orpaillage, etc. Les communes
tirent aussi d'autres revenus de la délivrance de services administratifs (légalisation de
signatures, actes de naissance, certificats de mariage, etc.), des sommes provenant de la
tarification des services publics et parfois de cotisations volontaires de la population. '
Les projets de lotissement en zone urbaine et périurbaine (par le morcellement des lots
ou l'expropriation des terres) représentent les possibilités les plus intéressantes de
financement pour les communes. De plus, les subventions provenant de l'État, des
ressortissants à l'extérieur ou de l'aide au développement peuvent rendre possible la
mise sur pied de projets de développement local.
ANICT National
J. Envoie dossier aVeC moll'/atlon CRO
4. Re<epnon ordre de virement
Antenne régionale
___C_R_o t - - - - - - - - - - - - -.. . . . 1
11"'
... ANICT
_ _ 2.Evaluarion dozl~r; /''------r---.-----'
d((~ptation ou r;,j;,r //
1. fnvole dossier
//aCjjltdrJOn contact
."../ A1VKT(onu})u/1E!S
6. fMoi~ ordre de 'II\-ement / 5. Si9/Mture conwMion,
et instruction pour dossier /" noli/kar/on droit de
ccc
.// tir,'ge
/" -'
/// A ppui-<omeil"""•.,
Trésor: ""r-~---------'
Commune rurale
rece'Jeur municipal
/
B-fn'/oie ordr;, d;, palnlent
-',
9. Paiement, sous
commune
jnstruetjo:'~~ ~_
1
Prestataires
V
1
1.CO'"'' d. p'''''''''!'.
œ,re manaat de paiement
'-----------'
Commune
Il s'agit d'une instance décisionnelle faisant le retais entre la CCN et les CCc. Nous ne
présentons pas de schéma pour ces organes puisque leur fonctionnement demeure
relativement flou et varie d'une région à l'autre tout dépendant de son opérateur.
49Ce tableau ne concerne que les demandeurs ayant fait eux-mêmes leurs démarches pour obtenir un lot.
Ceux qui ont préféré avoir recours aux services d'un intermédiaire ont dû débourser 350000 Fcfa/ha
supplémentaire pour l'obtention du titre provisoire et 325 000 Fcfa/ha en plus pour l'obtention d'un titre
fonci er défi ni ti f.
138
Catégories socioprofessionnelles %
Fonctionnaires et agents ct' établissements publics 40,3 %
État 35,44%
Opérateurs privés 19,4%
Organisations 1,88%
Paysans 1,49%
Artisans 0,75%
Élèves 0,37%
Retraités 0,37%
Total 100%
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