Corrigé CB2 PSI Muxel

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Corrigé CB2 PSI

Sujet type Centrale


Anne Muxel, Croire et faire croire

I Remarques sur l’auteur


Anne Muxel, née en 1956, est une sociologue et politologue française.
Spécialisée dans l'étude du rôle de la mémoire et de la transmission intergénérationnelle des attitudes
et comportements, elle est l'une des grandes figures françaises de la recherche sur la socialisation
politique, à savoir la construction des attitudes et des comportements politiques et, d'un autre côté,
sur l'importance de l'enracinement biographique des conduites en matière familiale.
Anne Muxel est directrice de recherche au CNRS en science politique au CEVIPOF, centre de
recherches de la Fondation nationale des sciences politiques.
Thème de recherche: les Jeunes et la politique
Ses travaux en sociologie politique se concentrent sur la compréhension des relations entre
les individus et la politique : analyse du comportement électoral, nouvelles formes d’expression
et de participation à la vie politique, par exemple significations de l’abstention.
Elle a conduit en particulier plusieurs enquêtes et recherches sur le rapport des jeunes à la politique et
a écrit de nombreux articles et ouvrages sur la construction de leurs représentations de la politique,
aussi bien pour la France que pour l'Italie ou l'Espagne. Par exemple, pour Anne Muxel, lors
des manifestations contre le CPE, on retrouve chez les jeunes «le même malaise à l’égard de la
représentation politique qui caractérise le rapport des Français à la politique : une défiance
importante à l’égard de l’ensemble de la classe politique, un affaiblissement des identifications
politiques structurées à partir du clivage gauche-droite, un faible intérêt pour la politique, enfin un
potentiel protestataire élevé ».

II Remarques sur notre texte:


Le texte est extrait d’un ouvrage collectif intitulé «Croire et faire croire», «usages politiques de la
croyance» publié en 2017, sous la direction d’Anne Muxel.
C’est un texte argumentatif adoptant une perspective historique sur le thème de la croyance et sa
différence avec l’idéologie.
La thèse : les grandes idéologies ont connu un déclin et une transformation. D’un système de pensée
unique destiné à faire croire et à faire adhérer, les idéologies se sont fragmentées. Les moyens et les
façons de croire sont désormais plus éclatés.
Le raisonnement s’appuie sur des références historiques (naissance des grandes idéologies au XVIIIè
siècle ; mouvements d’émancipation au XIXè siècle avec le libéralisme, le socialisme, le nationalisme,
l’anarchisme ; XXè siècle avec « la fin des idéologies » et l’exemple de la chute du communisme ;
enfin une nouvelle ère idéologique marquée par la relativité des opinions, le particularisme
communautaire, la désétatisation des idéologies, le fractionnement des croyances à l’ère numérique de
la post-vérité) et des penseurs de sociologie politique (Destutt de Tracy au XVIIIè siècle ; Francis
Fukuyama au XXè, Andrew Gamble, Michel de Certeau).
Il n’était pas nécessaire de conserver ces références dans le résumé.
Néanmoins quelques idées pour les comprendre :
Destutt de Tracy:militaire, politologue et philosophe français inventeur de la Société des idéologues.
Il a utilisé pour la première fois le mot « idéologie » en le définissant comme « la science des idées ».
Il travaillait sur la morale et la politique en cherchant les moyens de fonder la morale pour un peuple.
Francis Fukuyama:chercheur américain en sciences politiques, auteur du livre intitulé La fin de
l’histoire et le dernier homme publié en 1992 qui défend l'idée que la progression de l'histoire
humaine, envisagée comme un combat entre des idéologies, touche à sa fin avec le consensus sur
la démocratie libérale qui tendrait à se former après la fin de la guerre froide.
Andrew Gamble: professeur de sciences politiques travailliste dans les universités prestigieuses
anglaises, critique du libéralisme d’Hayek. Il publie en 2000 Politique et destin qu’on peut résumer
ainsi : La politique était autrefois considérée comme une activité qui pouvait donner aux sociétés
humaines le contrôle de leur destin. Cependant, il y a maintenant un profond pessimisme quant à la
capacité des êtres humains à contrôler quoi que ce soit, et encore moins à travers la politique. Ce

1
nouveau fatalisme sur la condition humaine prétend que nous vivons dans les cages de fer érigées par
de vastes forces impersonnelles issues de la mondialisation et de la technologie : une société à la fois
anti-politique et apolitique, une société sans espoir et sans moyen d’imaginer ou de promouvoir un
avenir alternatif. Il reflète la désillusion des espoirs politiques dans les utopies libérales et socialistes
au XXe siècle et un désenchantement généralisé avec les grands récits des Lumières sur la raison et le
progrès, et avec la modernité elle-même.
L’expression la plus caractéristique de ce désenchantement, ce sont les discours sans fin sur l’endisme
- la fin de l’histoire, la fin de l’idéologie, la fin de l’État-nation, la fin de l’autorité, la fin du
gouvernement, la fin du domaine public, la fin de la politique elle-même - tous ont été proclamés ces
dernières années. Gamble plaide donc contre le fatalisme implicite dans ces discours, ainsi que contre
le fatalisme qui a toujours été présent dans de nombreux discours centraux de la modernité. Il présente
une défense de la politique et du politique, explique pourquoi nous ne pouvons pas nous passer de la
politique, et sonde la relation complexe entre la politique et le destin, et la tension continue et
nécessaire entre eux.

Analyse des idées du texte:


1) l.1 à 27: rôle de la croyance dans la société
- la croyance est nécessaire au fonctionnement de la société parce qu’elle combine des idées et des
actions/ L’homme a besoin de croire pour appréhender son existence pratique et imaginaire.
- Terme équivoque définissant les degrés de confiance et des niveaux de vérité.
- la croyance est un socle permettant aux individus de cultiver leurs pensées et leurs expériences/ elle
structure leur adhésion au monde commun et spirituel.
- Cadre universel/omniprésent pourtant relatif aux règles coercitives de son époque, la croyance définit
le champ d’expression des individus, combinant croire et faire croire et octroyant de l’espoir et des
assujettissements/ Propre à une époque et aux questionnements sociétaux qu’elle impose, la croyance
fixe les niveaux de vérité dictant le monde.
2) l.21 à 75 : les rapports entre croyance et idéologie et le progressif déclin des idéologies
-Bien qu’ayant des liens réciproques, l’idéologie se distingue de la croyance en étant un système de
pensée plus rationnel et organisé. Nées au siècle des Lumières, les idéologies se substituent aux
religions, tout en s’en inspirant pour dessiner le monde politique, sorte de pont entre le passé et le
futur.
-C’est l’apparition de « religions séculières », croyance en l’autonomie humaine et en la société elle-
même. Ainsi par vœux d’émancipation, l’idéologie a remis en cause ses propres fondements.
L’idéologie libérale rend caduques les anciennes idéologies ainsi que toute interprétation idéologique
de l’Histoire.
- Depuis le XX è siècle nous assistons à la fin des idéologies, dominée dorénavant par une idéologie
inefficace, incapable de faire croire.
-Aujourd’hui les sociétés occidentales sont fondées sur les opinions et sur un large spectre de
références fragmentées créant un monde politique incertain/ La mondialisation rend impossibles les
idéologies politiques pures/ Les grandes idéologies ne parviennent plus à imposer leurs croyances au
fil des siècles à cause de la force grandissante des opinions. Ce nouvel espace idéologique offre plus
de diversité et de changements mais aussi des incertitudes.
-les idéologies fractionnées entre différents référents, perdent tout cadre spatio temporel spécifique.
C’est le phénomène de désétatisation idéologique. Perte de repère public au profit de liens ethniques,
religieux.
3) l.76 à 106 Les conséquences de cet affaiblissement des grandes idéologies sur la politique
-Ainsi fragilisée, la politique perd sa dimension religieuse parce que le numérique accélère le temps et
multiplie les significations. Les idées politiques se contredisent dans leurs finalités/ le numérique
empêche toute affiliation unique à un parti politique. Morcelées et dotées d’objectifs différents, les
idées politiques se complètent de façon inadaptée aux propos originels.
Il en résulte une modification des façons de croire reposant désormais sur des faits réels pouvant être
faux ; On remodèle la réalité avec des illusions, provoquant l’émergence de théories complotistes/
Dans cette mosaïque de pseudo idéologies, croire se confond avec le réel, décrédibilisant les faits,
pourtant érigés en armes du débat. Croire est alors propice aux théories du complot.

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Proposition de résumé (en 200 mots avec +/-10%)

La croyance est nécessaire à toute société. Polysémique, elle est le socle permettant aux
individus de cultiver leurs expériences et leurs pensées. Possédant ses propres codes, allant du
symbolisme aux règles coercitives, la croyance relative à une époque, fixe les niveaux de confiance et
de vérité. Ce cadre universel est/50 vecteur de changement et d’assujettissement.
Malgré un lien réciproque, l’idéologie plus structurée, se différencie de la croyance. Datant
des Lumières, l’idéologie substitue au dogme religieux l’autonomie humaine faisant de la société une
divinité capable de progrès. Mais le libéralisme rend caduques les anciennes idéologies qui ne /100
permettent plus de comprendre l’Histoire. Désormais les sociétés occidentales sont fondées sur la
diversité des opinions et sur un large spectre de références fragmentées tant socialement que
spatialement, créant un monde politique incertain.
Ainsi fragilisées, les idées politiques se contredisent dans leurs finalités, parce que le
numérique accélère le/150 temps et multiplie les significations. Les manières de croire sont aussi
bouleversées, affectant la réalité. Les croyances morcelées se rattachent au réel en utilisant ce qui est
vu, entendu pour faire croire à des faits, érigés en armes du débat. Mais croire ce que l’on voit favorise
la propagation /200 du faux et l’émergence de théories du complot.

Ce résumé comporte 209 mots.

Dissertation :
Sujet : Dans l’introduction de son ouvrage intitulé Croire et faire croire, Anne Muxel écrit : « Les
grandes idéologies en tant que systèmes de pensée et de croyance totalisants se sont effondrées.
Instrument du faire croire, elles se sont fragmentées, tant dans leurs formes que dans leurs finalités »
Dans quelle mesure votre lecture des œuvres au programme éclaire-t-elle ce propos ?

Def de l’idéologie (cf fiche) : du grec idea : forme et logos : science, discours.
1. Pour Destutt de Tracy, qui forge le mot, l’idéologie est l’étude positive des idées (conçues
comme faits de conscience), de leur origine, de leur nature, de leurs lois
2. sens péjoratif : analyse et discussion vaine, abstraite, sans rapport avec la réalité.
3. 1ère moitié XIXè : le mot acquiert un sens politique et historique. L’idéologie est l’ensemble
des idées qui inspirent un parti ou un gouvernement pour l’action.
4. A partir de l’Idéologie allemande (1845), Marx donne à l’idéologie un sens critique.
L’idéologie désigne l’ensemble des représentations illusoires grâce auxquelles une classe
sociale assoit sa domination. L’idéologie a alors 3 fonctions : elle justifie, elle ment, elle
dissimule. Sa fin est de servir des intérêts particuliers (antiscience).
5. Sens plus général : elle est une représentation globale des choses sans la dimension sacrée de
la religion ni la dimension rationnelle et argumentée de la philosophie.

Introduction
Orwell, roman dystopique 1984 : un régime totalitaire extrême qui impose une idéologie en instaurant
une nouvelle langue (suppression des mots pour supprimer la liberté de pensée)
Amorce historique avec les totalitarismes du XXè qui ont fait croire des principes grâce à la
propagande et la terreur, en uniformisant les pensées des citoyens.
Lien avec le sujet : si au XXè, dérives totalitaires envisageables, aujourd’hui elles ont perdu en
influence au point que des idéologies totales semblent moins réalistes.
Def idéologie : un système de pensée complet, rationnel, cohérent structurant l’ensemble d’une
société. L’idéologie se caractérise par son but : faire adhérer un max de personnes à une idée. Faire
croire est donc l’instrument d’une idéologie. La manière pour obtenir l’adhésion s’appuie comme dans
la religion sur la croyance. En effet on croit en une idéologie. L’idéologie n’est donc pas la vérité car
c’est une croyance.
Thèse de Muxel : les idéologies ont connu une mutation. Il n’y aurait plus d’idéologie capable de faire
croire à une personne ou une société une idée car perte du caractère total. Disparition des pensées
uniques, absolues, totalisantes. De plus le but et les formes ont changé, puisque désormais fractionnés,
divisés

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Métaphore des fondations avec le verbe « effondrer » posant quest° des fondements de la société, donc
du lien entre idéologie et cohésion sociale.
Présupposé : l’idéologie est un « instrument », un outil du faire croire.
Pbtique : Dans quelle mesure les idéologies uniques tendent-elles à être remplacées par une pluralité
de pensées ?
Plan
I/ Effectivement les formes et les objectifs du faire croire ont évolué: existence d’une pluralité de
pensées, de manières de faire croire et d’objectifs
II/ Mais persistance d’une pensée commune, de manières traditionnelles de faire croire. Importance de
l’idéologie pour fonder une société?
III/ D’où nécessaire vigilance à l’égard de croyances collectives imposant leurs idéaux par la force.
Intérêt de fonder la société sur la vérité plus que l’idéologie.

I/ Déclin d’une pensée idéologique unique, fragmentée dans ses formes et ses finalités
1) les grandes idéologies ne parviennent plus à faire croire parce qu’elles sont souvent divisées dans
leurs formes
a) fragmentation politique:
Ex de l’idéologie républicaine dans Lorenzaccio: Musset écrit un drame politique sur la décadence
morale de Florence. Le dramaturge multiplie les scènes de rue pour faire entendre les rumeurs, les
paroles déformées par différents groupes humains dans un espace fragmenté entre des factions. A
travers Lorenzaccio, œuvre du désenchantement romantique qualifié par Musset de «mal du siècle»
correspondant à l’amertume et aux illusions perdues de la jeunesse française, après les promesses
illusoires du pouvoir de Louis Philippe en France en 1832, Alfred de Musset retranscrit par une mise
en abyme cette impuissance du politique à unir les individus sous une idéologie commune. Au
cours de la pièce, les habitants évoquent le passé républicain glorieux de Florence depuis le Moyen-
âge, désormais corrompue par la brutalité d’un dirigeant bâtard, Alexandre de Médicis. Divisions
politiques donc entre la monarchie du régime ducal d’Alexandre et d’autre part le «groupe des
républicains», également éclaté entre plusieurs familles: les Strozzi, les seigneurs républicains
Palla Ruccellaï, Alamanno Salviati, François Pazzi. Mais si ces personnages se revendiquent
républicains, Musset donne à entendre leurs discours contradictoires et concurrents, grâce aux
ressources du dialogue de théâtre pour faire ressortir le climat d’incertitude en politique. Ils ne
forment pas un groupe uni, au service d’une pensée collective certaine. Des divergences existent
quant aux moyens d’action: dans l’acte III scène 2 opposant Pierre Strozzi, impétueux et violent,
voulant renverser le duc «Un bon coup de lancette guérit tous les maux»p114 à son père Philippe
Strozzi, idéaliste dont les discours paralysent l’action «Mais vous n’avez rien arrêté? pas de plan, pas
de mesures prises? »p114; « Et vous voulez agir ? cela est décidé ?p115 ; « Je m’épuise, vois-tu, j’ai
trop réfléchi ici-bas » « Je vais aller chez les Pazzi. Là sont cinquante jeunes gens, tous déterminés. Ils
ont juré d’agir »p124 Musset insiste dons sur cet éparpillement du clan républicain, incapable de se
fédérer. Lorenzo dans l’acte V scène 2 dénonce l’immobilisme de Philippe Strozzi et l’absence de
figure fédératrice: «Que dirais-tu si les républicains t’offraient d’être duc à sa place?»Ph : « Je
refuserais, mon ami »p191. C’est cet échec et cette compromission des républicains que raillent
Lorenzo à l’acte V sc2 « Je les ai avertis ; j’ai frappé à toutes les portes républicaines, avec la
constance d’un frère quêteur-je leur ai dit de frotter leurs épées, qu’Alexandre serait mort quand ils
s’éveilleraient.- Je pense qu’à l’heure qu’il est ils se sont éveillés plus d’une fois, et rendormis à
l’avenant» p192 et l’étudiant acte V, scène 5 «Puisque les grands seigneurs n’ont que des langues,
ayons des bras»p203

b) Fragmentation et dévoiement de la religion:


Choderlos de Laclos oppose dans ses Liaisons dangereuses deux modes de vie antithétiques, le vice et
la vertu, à travers le clivage entre la religion chrétienne et le libertinage dont les partisans se
prennent pour Dieu et dévoient le langage religieux au service de leur foi libertine : Valmont
«Conquérir est notre destin», lettre IV ou encore « Mon projet (…) est de faire expirer sa vertu dans
une lente agonie», lettre LXX . Les libertins ont pour cible les croyants animés par une profonde
religiosité telles que Cécile Volanges et Mme de Tourvel. L’idéologie chrétienne et ses valeurs sont
aux antipodes du libertinage. Or Valmont recherche la substitution des croyances: «Vous

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connaissez la présidente de Tourvel, sa dévotion, son amour conjugal, ses principes austères. Voilà ce
que j’attaque »lettre IV. Merteuil éprouve « zèle » et « ardente ferveur»envers le dieu amour selon
Valmont. Avec la marquise, il se compare à des missionnaires «depuis que (…) nous prêchons la foi
chacun de notre côté, il me semble que dans cette mission d’amour, vous avez fait plus de prosélytes
que moi » p85. Détournement du langage religieux traduisant la perversité des libertins. Valmont
cherche à se substituer à Dieu en faisant que Mme de Tourvel renonce à sa foi par passion
amoureuse. La dernière lettre de celle-ci montre combien ces illusions ont ébranlé son système
idéologique de valeurs (Lettre CXLIII)
De même dans Lorenzaccio, Musset voulant montrer le déclin des croyances dans une société post-
révolutionnaire, donne à voir ce crépuscule de la foi dès l’acte I scène 6 avec les contradictions de
Catherine Ginori, effrayée par les ombres des bannis, pourtant hostiles à Alexandre et partageant les
mêmes convictions que Catherine. C’est bien l’indice d’une perte de repères dans une cité, Florence,
si corrompue qu’il n’est plus permis de croire en rien.
Ex aussi du cardinal Malaspina Cibo qui instrumentalise la religion (scène 3 acte II quand Cibo
soumet sa belle sœur à un interrogatoire abusif, sous couvert de confession, avec des arrières- pensées
politiques »)
CCL/ L’anticléricalisme de Musset et des libéraux des années 1830 transparaît dans le portrait
machiavélique du cardinal Cibo. Arendt note le bouleversement provoqué par la séparation du
pouvoir religieux et du pouvoir politique: «Ni la vérité de la religion révélée, que les penseurs
politiques du XVIIè siècle traitaient encore comme un embarras majeur, ni la vérité du philosophe
dévoilée à l’homme dans la solitude n’interviennent plus dans les affaires du monde»VP p299

2) Avènement moderne d’une pluralité de pensées et méfiance à l’égard des idéologies totalitaires
Arendt explique que l’effondrement des idéologies totalitaires (idéologie stalinienne ou hitlérienne)
résulte des limites du mensonge moderne consistant à essayer de détruire les vérités de fait pour
modifier la réalité et réécrire l’Histoire. Arendt propose une définition originale du terme « idéologie »
comme la logique d’une idée. Les idéologues adhèrent à un système de pensée qu’ils appliquent au
réel, prêts à faire plier les faits. MP, I, chap 1 «Les hommes d’actions, pour autant qu’ils s’estiment
maîtres de leur avenir, sont toujours tentés de se rendre également maîtres du passé. (…)Ils seront
tentés (…) de faire concorder la réalité envisagée par eux -qui, après tout, est un produit de l’action
humaine et aurait donc pu prendre une autre forme- avec leurs théories, écartant ainsi mentalement sa
contingence déconcertante»
Mais la modification indéfinie des faits engendre une méfiance rendant les mensonges des hommes
politiques inefficaces. Ainsi Arendt déclare dans Du mensonge en politique à propos de l’affaire des
documents du Pentagone: «le fait que les documents du Pentagone n’ont guère apporté de révélations
spectaculaires témoignent de l’échec des menteurs à créer un public convaincu». Le peuple américain
n’arrive plus à croire les dirigeants concernant la guerre du Vietnam. Le peuple ne partage plus
l’idéologie du gouvernement américain: «Faire de la présentation d’une certaine image la base de
toute une politique- chercher, non pas la conquête du monde, mais à l’emporter dans une bataille dont
l’enjeu est «l’esprit des gens»-voilà bien quelque chose de nouveau dans cet immense amas de folies
humaines enregistré par l’histoire» (MP, II, p30). Nous allons voir justement que les finalités des
idéologies politiques ont changé comme ici. Arendt montre que les documents du Pentagone révèlent
que toutes les décisions prises pdt la guerre du Vietnam avaient pour unique but de maintenir la
réputation des Etats-Unis. Les dirigeants ne se souciaient pas de la défaite mais se préoccupaient
seulement de préserver l’image de «plus grande puissance mondiale». Sauver cette réputation
devient «la base de toute politique», ce qui constitue un phénomène absolument nouveau. Or le
peuple américain dorénavant méfiant sombra dans un refus délibéré de croire, ce qui fait apparaître un
«genre de cynisme» qui fragmente la société.

3) Cette fragmentation affecte les manières de croire et de faire croire


Rappelons qu’Anne Muxel pense que les idéologies traditionnelles comme croyances collectives ont
évolué en changeant leurs caractéristiques originelles. Ce sont des «instruments du faire croire» cad
que les grandes idéologies servent à transmettre une croyance, à manipuler. Mais si ces idéologies sont
fractionnées en une mosaïque de pensées idéologiques, les manières de faire croire ont donc aussi
été modifiées. Arendt souscrit à cette analyse en dégageant une thèse originale: selon elle, les formes

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du mensonge dans la sphère politique ont évolué. Il y a ainsi deux modalités récentes de la
tromperie: tout d’abord les relations publiques ont pris pour modèle les «méthodes de Madison
Avenue» (VP p325, métonymie de la publicité commerciale. Autrement dit, les politiques ont utilisé le
procédé de l’imagerie (slogans, panneaux publicitaires, affiches, couleurs) pour manipuler le peuple.
Mais une deuxième forme récente du mensonge intéresse Arendt, représentée par «les spécialistes de
la solution des problèmes» ( MP p 20), experts qui n’énoncent pas volontairement de fausses
propositions, mais dont la pratique s’apparente au mensonge parce qu’ils traitent des faits et des
événements comme s’il s’agissait de modèles théoriques. A l’instar des régimes totalitaires qui ont
essayé de faire croire à des «mythes», à une autre réalité pour recouvrir ou faire disparaître les
vérités de fait (ex Trotski), la nouvelle forme moderne du mensonge dans les démocratie
s’apparente à «un mensonge organisé» ou «manipulation de masse» pratiqué par les Etats-Unis pdt
le conflit du Vietnam. Arendt le qualifie de« politique du mensonge» (MP p25). Les analyses d’Arendt
confirme les propos de Muxel quant à une mutation des formes de l’idéologie: Arendt distingue le
mensonge traditionnel consistant à mentir, à tenir secret des informations, impliquant de préserver la
vérité dans un cadre restreint. Et d’autre part le mensonge moderne, généralisé puisqu’il s’applique
aussi bien aux autres qu’à soi-même, reposant sur un principe d’autosuggestion, plus dangereux pour
la vérité.

4) De plus, il existe désormais une pluralité de finalités


Arendt a montré que le but des dirigeants américains pdt la guerre du Vietnam a été de «garder la
face», tandis que Lorenzo cherche à restaurer la République et que la marquise de Merteuil confie à
Valmont dans la lettre LXXXI «n’avez-vous pas dû en conclure que, née pour venger mon sexe et
maîtriser le vôtre, j’avais su me créer des moyens inconnus jusqu’à moi?»
Par conséquent les buts de la manipulation sont très différents. Ainsi l’effacement des croyances
collectives s’accompagne de l’émergence d’une pluralité d’opinions personnelles, visant
uniquement des intérêts personnels. La communauté libertine constitue un fragment de la
communauté religieuse, mais qui ne croit qu’en son propre pouvoir pour servir ses propres intérêts.
CCL I/ Nous avons donc montré l’effondrement des anciennes idéologies, fractionnées en une
pluralité de petites idéologies caractérisées par des manières de faire croire et des buts différents.
Néanmoins, est-il exact d’invalider aussi rapidement les anciennes idéologies dans leur forme et
objectif? Une pensée commune n’est-elle pas nécessaire pour fonder la société, impliquant la
persistance de certains procédés classiques pour faire croire?

II La persistance de certaines caractéristiques des idéologies anciennes et la nécessité de pensées


communes pour fonder la société
1) La nécessité de croyances communes au sein de la société
Remarque de méthode : important d’articuler vos arguments liés à l’importance de croire à l’idée
d’idéologie. Ici rappeler la définition donnée par Muxel de l’idéologie comme forme de croyance,
toutefois plus rationnelle, structurée. L’idéologie est un ensemble de représentations qui inspire un
parti politique, un peuple en vue d’agir. La croyance idéologique suscite l’espérance. Elle mobilise
l’imagination, cette faculté d’inventer et de créer un monde nouveau. Les anciennes idéologies
(comme la religion ou les discours politiques) font croire en des valeurs ou idéaux qui dépassent les
individus. L’idéologie peut donner du sens à l’existence humaine ou embellir un quotidien trop
absurde ou dur (débat entre la dure réalité et l’idéal)
Arendt défend l’idée qu’un monde commun est nécessaire afin de maintenir un groupe d’individus
liés. Une idéologie commune pourrait être le moyen de fédérer ce monde commun. La politique est
alors indispensable car elle régit beaucoup d’aspects de nos vies (sécurité, liberté…). Il faut croire en
ce monde commun.
Dans Lorenzaccio, le clan Strozzi tente de croire et de faire croire à un idéal politique, à travers la figure
tutélaire de Philippe Strozzi. Philippe tente en effet de faire croire: «la république, il nous faut ce mot-là.
Et quand ce ne serait qu’un mot, c’est qch puisque les peuples se lèvent quand il traverse l’air» II, 1 p68
Philippe fait croire que le bonheur se trouve dans un mot. Mais croire consiste ici à manifester du possible
dans le réel, cad qu’à défaut d’une vraie république réalisée, l’enjeu du discours républicain est de faire
croire en un idéal, à une illusion qui aiderait à supporter la réalité trop décadente.

6
Toutefois ce discours républicain est un échec parce qu’il ne parvient pas à faire croire à la légitimité de
leurs paroles. Lorenzaccio dresse la critique amère de l’impuissance politique des républicains.

2) Les procédés du faire croire ou instruments continuent de reposer sur le langage


De nos jours les hommes politiques usent encore de la rhétorique pour faire adhérer les citoyens à
leurs idées. On a vu que si les anciennes idéologies avaient évolué dans les manières de faire croire
(usage d’images politiques empruntées à la publicité) et dans leurs objectifs (plus individuels), le
recours au langage et à la rhétorique reste une constante, qu’il s’agisse de pensée collective ou bien de
croyances personnelles. Déjà utilisée dans le mensonge traditionnel, la rhétorique est employée dans
les formes plus récentes du faire croire. Si l’idéologie libertine constitue un ex d’un fragment d’une
idéologie plus totalisante, alors la réplique de Valmont à la marquise de Merteuil montre la maîtrise de
l’art oratoire : « Il me fallut toute mon éloquence pour la décider ». Les premières caractéristiques de
l’idéologie n’ont donc pas totalement disparu. On pense aux sophistes qui persuadaient grâce à leurs
antilogies (discours contradictoires disant le vrai comme le faux, le bien comme le mal).

3) De même, la société se fonde bien souvent sur le paraître et le conformisme


Lorenzaccio : La cité de Florence, même fragmentée par la débauche et la compromission, comporte
un élément unifiant ses membres : tout le monde porte un masque et joue un rôle. Musset multiplie les
scènes nocturnes pour brouiller les frontières entre vérité et mensonge, entre être et paraître. Lorenzo,
héros éponyme du drame est en perpétuelle représentation : il revêt tour à tour le déguisement du
débauché, de l’acteur de farce pour amadouer le duc afin de faciliter sa mission tyrannicide. Il prend
ainsi goût au « rôle de boue et de lèpre » (III, 3) pour gagner la confiance et l’amitié de son cousin,
mais finit par s’identifier à ce rôle : « Je me suis fait à mon métier », « le vice a été pour moi un
vêtement, maintenant il est collé à ma peau » (III, 3)
Or comme le montre la scène d’exposition de la pièce, une scène de carnaval (I, 2), le bal chez les
Nasi, métaphore de cette société, c’est tous les habitants de Florence qui se complaisent dans des faux-
semblants et dans l’hypocrisie (en grec « hypocritès », littéralement « celui qui joue sous le masque »
désigne un acteur) : le duc travesti en religieuse, autorité politique de façade, puisque le vrai pouvoir
est détenu par Charles Quint et par le Pape. Lorenzo ironise face à son oncle sur le masque du
républicanisme « Je suis des vôtres, mon oncle. Ne voyez-vous pas à ma coiffure que je suis
républicain dans l’âme ? » (II, 4) Ce costume républicain endossé sans vergogne est immédiatement
détruit lorsque apparaît le duc. Lorenzo facétieux démasque en réalité les contradictions des habitants
de Florence. S’il a endossé le masque de l’hypocrisie sociale, c’était au départ par amour de
l’humanité. Mais Lorenzo a pris conscience de la « monstrueuse nudité » de l’humanité, et la sienne
également.
Mais la persistance d’une société du paraître est illustrée aussi dans le roman épistolaire de Laclos qui
montre que les « Liaisons » sont « dangereuses » car la sociabilité est pervertie, ce que critique le
roman. Laclos emploie le terme de « cercle » à plusieurs reprises pour qualifier la vie mondaine, cad
« des assemblées d’hommes et de femmes qui se tiennent dans les maisons des particuliers pour la
conversation ». C’est une société dangereuse car le libertin y règne en maître, comme le rappelle Mme
de Volanges à la présidente de Tourvel « Pour avoir l’empire dans la société, il suffisait de manier,
avec une égale adresse, la louange et le ridicule. Nul ne le possède comme lui (Valmont) ce double
talent : il séduit avec l’un, et se fait craindre avec l’autre » (XXXII). De plus, les témoins sont
indispensables dans cette société du paraître où règne la peur de figurer dans la Gazette de médisance,
ex métaphorique d’une sociabilité pervertie (ex emblématique de l’affaire Prévan). Enfin dans cette
société qui privilégie le paraître, le « grand théâtre », le moteur de toutes les actions est la vanité : on
existe qu’en fonction des autres et de leur opinion. Laclos décrit cette société avec pessimisme car
l’idéologie est conformiste et immorale : la société est composée de masques et de dupes, les premiers
cherchent à tromper les seconds, tout en recherchant les applaudissements du cercle. Tout le monde
ment et dissimule ce qu’il ressent vraiment. Laclos ne décrit-il pas un principe sociologique toujours
en vigueur ?
CCL/ Sans grande idéologie, sans pensée commune, il semble compliqué d’unir un ensemble
d’individus et l’absence d’idéologie commune empêche l’action collective. Mais si l’idéologie est un
fondement de la société, ce système de pensées ne doit pas être imposé par la force, mais fondé plutôt
sur la vérité et sur le respect de la pluralité des opinions.

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III/ Vigilance à l’égard de pensées collectives (surveiller les buts et moyens de les imposer):
rejeter les idéologies totalitaires violentes et favoriser le pluralisme démocratique et la valeur de
vérité ?
1) le déclin des anciennes idéologies (religieuses, morales, politiques) s’est accompagné d’une
valorisation et d’un développement de pensées plurielles et personnelles.
Cette nouvelle donne favorise de nouveaux modes de réflexion. La conquête de droits-libertés, telles
que la liberté de pensée et la liberté d’expression est essentielle à l’homme, défini par Descartes
comme cogito, sujet conscient et pensant. C’est pourquoi Arendt rappelle les propos de Kant dans sa
Critique de la raison pure : « celui qui prive l’homme de sa liberté de communiquer publiquement ses
pensées, le prive en même temps de sa liberté de pensée ». Par conséquent, l’effondrement des
croyances collectives au profit d’un développement des opinions personnelles peut représenter une
chance d’accroître les possibilités de pensée, stimulant les capacités de jugement de chacun. C’est
pourquoi Arendt critique la pratique du secret en politique qui priverait les citoyens des conditions
d’accès à la vérité: «Non seulement on refuse au peuple et à ses représentants élus toute possibilité de
savoir ce qu’il faudrait connaître pour se former une opinion et pour prendre des décisions…» VP
2) Sur la base de ce pluralisme, la cohésion des opinions apportée par une idéologie est souhaitable
Pb comment faire reposer l’édifice social et politique démocratique sur la valeur de vérité ?
Arendt rappelle la difficulté à faire accepter une vérité par la société : « seules les vérités qui ne
s’opposent à aucun intérêt ou plaisir reçoit bon accueil de tous les hommes ». Il convient de distinguer
les fausses idéologies des vraies. D’autant que le menteur peut « librement accommoder ses faits au
bénéfice et au plaisir ou même aux simples espérances de son public » et qu’il est « plus convaincant
que le diseur de vérité »VP .
Par conséquent une cohésion construite sur une pensée commune vraie est socialement bénéfique.
Arendt affirme « Nous n’avons pas le droit de nous consoler avec l’idée que sa vérité, si vérité il doit y
avoir n’est pas de ce monde ». la vérité existe et on doit se battre pour l’établir.
3) Mais il faut en revanche rejeter toute idéologie totalisante et unique imposée par la force
Imposer par la force et par la violence une idéologie unique est délétère. Musset le montre dans
Lorenzaccio avec l’occupation allemande et la corruption de l’Eglise qui précipitent Florence dans la
décadence et le désordre. Faire régner l’ordre par la peur et le mensonge plonge la société dans le
chaos.
Arendt rappelle l’expérience traumatisante des régimes totalitaires, paroxysme dans la propagande
idéologique reposant sur la terreur. Malgré cela, ces régimes de puissance ne sont pas arrivés à
instaurer durablement leur pouvoir. Cela prouve bien qu’une pensée commune imposée par la force ne
fonde pas de société saine et durable. Pour Arendt le totalitarisme est un type de régime qui s’oppose
radicalement à la condition humaine. Staline et Hitler, ex de son époque (mais malheureusement les
dictateurs ont fait florès depuis) sont allés au bout de la logique inhérente à ce type de régime
(qu’Arendt qualifie d’idéologie) : volonté de contrôle total et absolu des activités humaines. Or le
totalitarisme est une dynamique auto-destructrice remettant en cause toute liberté d’action et toute
possibilité de monde commun pour y substituer un discours cohérent fondé sur sa propagande qui
exclut la réalité des phénomènes. Arendt analyse ainsi les forces et les faiblesses de la vérité : « La
vérité, quoique sans pouvoir et toujours défaite quand elle se heurte de front avec les pouvoirs en place
quels qu’ils soient, possède une force propre : quoi que puissent combiner ceux qui sont au pouvoir, ils
sont incapables d’en découvrir ou inventer un substitut viable. La persuasion et la violence peuvent
détruire la vérité, mais ils ne peuvent la remplacer » VP, V
La vérité comme fondement de la permanence du monde est aussi valable pour le domaine social. On
peut donc conclure qu’une société gangrenée par le mensonge et le paraître, à l’instar de la Florence de
la Renaissance inventée par Musset ou la société du XVIIIè siècle décrite par Laclos reposant sur la
peur d’avoir une mauvaise réputation, ne sont pas des modèles de sociétés pérennes et justes.

Conclusion :
Pensez à reprendre le pb et à répondre en validant ou non les propos initiaux.
En somme comme Anne Muxel l’affirme, les sociétés tendent vers une pluralité d’opinions, de
finalités et de nouvelles manières de faire croire, qui constitue une mutation de la notion d’idéologie.
Si les sociétés ont besoin de croyances communes pour une action collective, toute idéologie imposée

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par la force remet en cause la stabilité du monde commun. L’idéologie désigne un ensemble de
représentations, nécessaire à condition d’être fondée sur la vérité.

Compléments sur la notion d’idéologie


Une idéologie est un système prédéfini d'idées, appelées aussi catégories, à partir desquelles la réalité est
analysée, par opposition à une connaissance intuitive de la réalité sensible perçue. De tels systèmes considérés
comme idéologiques existent dans les domaines politique, social, économique, culturel et religieux. Une
idéologie est souvent la dimension culturelle d'une institution sociale ou d'un système de pouvoir. Une
idéologie dominante est diffuse et omniprésente, mais généralement invisible pour celle ou celui qui la partage,
du fait même que cette idéologie fonde la façon de voir le monde.

On peut distinguer dans une idéologie les dimensions :


-cognitive : dogmes, croyances (« c'est ainsi ») ;
-morale : jugements, valeurs (« c'est bien ; c'est mal ») ;
-normative : normes (« il faut ; on doit »).

À l'origine, le terme d'idéologie fut créé par Antoine Destutt de Tracy pour tenter de fonder une discipline qui
étudie les idées pour elles-mêmes (la mémétique, si ses axiomes sont corrects, pourrait être une branche ou
dimension de cette étude). Mais ce sens s'est perdu en faveur de la notion de système d'idées doctrinaire. Le
terme tend à prendre un sens de plus en plus large, et est parfois employé pour sa seule connotation péjorative en
vue de dénigrer une école de pensée adverse, qu'elle soit ou non dogmatique.
Origines
Étymologie
Du grec ancien ἰδέα / idéa, « idée », et de λόγος / lógos, « science, discours ». L'idéologie est donc,
étymologiquement, un discours sur les idées. En grec ancien, le nom ἰδέα apparenté au verbe ἰδεῖν, « voir »,
suggèrerait plutôt le sens d'« image ». L'idéologie est communément interprétée comme :
-la logique d'une idée par rapport à sa contrainte ;
-la logique d'une vision ;
-la logique d'une image développée pour la pensée de groupe.
Terme
Logique (du grec ancien : λόγος / lógos) : c'est à la fois le discours et la rhétorique de l'homme, animal politique
selon Aristote; grâce à la parole et donc à la rhétorique, l'homme n'est plus un animal comme les autres. Dans
l'idéologie, il s'agit d'une logique par les mots, d'un discours, c'est-à-dire de rhétorique incluant la logique
fallacieuse ; depuis la logique dépasse le langage humain.
Le terme d'idéologie apparaît à la fin du xviiie siècle : il fut forgé en 1796 par Antoine Destutt de
Tracy (Mémoire sur la faculté de penser), pour désigner l'étude des idées, de leur caractère, de leur origine et de
leurs lois, ainsi que leurs rapports avec les signes qui les expriment.
Dans la continuation des Lumières, les idéologues, groupe animé par Antoine Destutt de Tracy,
(Cabanis, Volney, Garat, Daunou), voulaient instaurer une science des idées. Leur projet était de traiter les idées
comme des phénomènes naturels exprimant la relation de l'homme avec son milieu naturel de vie. Dans la lignée
du sensualisme de Condillac, qui cherchait déjà l'origine des idées, ils voulaient faire une analyse scientifique de
la pensée. L'idéologie est alors considérée comme un système de pensée cohérent et naturel, indépendant de
son cadre historique.
Cependant, selon Georges Canguilhem, ces idéologues étaient des positivistes avant la lettre, libéraux, anti-
théologiens, et anti-métaphysiciens, cherchant à dissiper les mythes et l'obscurantisme. Ils ont cru
en Bonaparte comme continuateur de la Révolution française, pour devenir anti-napoléoniens. Et c'est
Napoléon Ier qui a renversé leur image, au nom du réalisme politique et social, en les dénonçant eux-mêmes
comme des métaphysiciens à la pensée creuse.
Cette problématique accompagne tout le xixe siècle, en parallèle au déploiement de la pensée scientifique et à
la révolution industrielle. Ce qui guide les penseurs, c'est la recherche d'un système global et cohérent, qui
s'articule autour de l'application des lois scientifiques aux phénomènes sociaux. Dans certains cas, la
polarisation se fait entre idéologie scientifique et croyances religieuses.
Au xixe siècle, Marx propose de cesser de considérer l'idéologie comme un système neutre et donne un éclairage
critique au concept originel de l'idéologie de l'époque : il voit l'utilisation de l'idéologie comme un système
d'opinions servant les intérêts de classes sociales. Il reprend le concept du renversement du rapport de la
connaissance à la chose. L'idéologie désigne désormais un système d'idées issu d'une situation qui méconnaît son
véritable rapport au réel.
Selon Georges Canguilhem :

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« La fortune, aujourd'hui, de la notion d'idéologie a des origines non douteuses. Elle tient à la vulgarisation de
Karl Marx. Idéologie est un concept épistémologique à fonction polémique, appliqué à ces systèmes de
représentations qui s'expriment dans la langue de la politique, de la religion et de la métaphysique. Ces langues
se donnent pour l'expression de ce que sont les choses mêmes, alors qu'elles sont des moyens de protection et de
défense d'une situation, c'est-à-dire d'un système de rapports des hommes entre eux et des hommes aux choses. »
À ce propos, Canguilhem pose la question « Qu'est-ce qu'une idéologie scientifique ? » et de sa pertinence en
épistémologie et histoire des sciences.

Acceptions actuelles
Une idéologie est un ensemble d'idées sur la structure de la société, sur les forces qui agissent dans la société, sur
les sources de conflit qui y sont présentes, et aussi sur les modalités qui permettent de résoudre ces conflits,
ensemble d'idées partagées par un groupe, communément appelé parti politique. Une définition dérivée de
l'idéologie est celle d'une doctrine politique qui fournit un principe unique à l'explication du réel. Celle-ci
est susceptible d'inspirer rapidement un programme d'action et constitue un ensemble cohérent d'idées imposées
et parfois acceptées sans réflexion critique et sans discernement. L'idéologie offre des notions beaucoup plus
larges que celles des doctrines qui sont la dimension intellectualisée d'une idée imaginée. Les doctrines font
appel à la dimension culturelle des « comportements psychologiques » et s'inscrivent dans un processus collectif
important : la notion d'idéal remplace alors l'idéologie en encadrant une « société de masses ».
L'idéologie peut être vue sous l'angle sociologique : l'idéologie a été définie par Guy Rocher comme
un « système d'idées et de jugements, explicite et généralement organisé, qui sert à décrire, expliquer,
interpréter ou justifier la situation d'un groupe ou d'une collectivité et qui, s'inspirant largement de
valeurs, propose une orientation précise à l'action historique de ce groupe ou de cette collectivité ». Un
autre auteur, Jean Baechler, donne cependant une définition plus fine et plus complète de l'idéologie.
Au départ, l’idéologie est l’ensemble des représentations mentales qui apparaissent dès lors que des hommes
nouent entre eux des liens, des associations.
Ces représentations forment ensuite un ensemble d’états de la conscience liés à l’action politique, autrement dit à
la façon conflictuelle ou non dont les humains organisent leur vie sociale. Le noyau de ces états de conscience
est non verbal, c’est-à-dire composé de pulsions affectives ; ces états idéels s’actualisent dans différents types de
registre et peuvent être inférés à partir des manifestations objectives et matérielles auxquelles ils donnent lieu.
L’idéologie se trouve dans le contenu et non dans le contenant. Il n’existe pas de genre discursif qui puisse être
décrété idéologique en tant que tel.
Au total, pour cet auteur, une idéologie est une formation discursive polémique, ni vraie ni fausse, efficace ou
inefficace, cohérente ou incohérente, élaborée ou non, normale ou pathologique, grâce à laquelle une passion
cherche à réaliser une valeur par l’exercice du pouvoir dans une société.
Les analyses épistémologiques amènent une reformulation un peu plus nuancée de l'idéologie : celle-ci, ayant
permis la conceptualisation des sciences, est également analysée quant à sa neutralité, sa construction et ses
fondements. Et la critique marxiste n'est qu'un angle possible d'étude de ceux-ci.
Le philosophe allemand Christian Duncker invoque la nécessité d'« une réflexion critique du concept
d'idéologie » (2006). Dans son travail, il tâche d'introduire le concept de l'idéologie dans le premier plan, comme
les soucis étroitement reliés de l'épistémologie et de l'histoire. Le terme idéologie est défini en termes de
système de représentation qui explicitement ou implicitement clame la vérité absolue. Dans le « système
totalitaire », Hannah Arendt écrit que l'idéologie est consubstantielle au phénomène totalitaire et qu'elle présente
plusieurs caractéristiques indissociables. D’une part, elle forme un système d’interprétation définitive du monde,
elle affiche une prétention omnisciente et « omni-explicative » de celui-ci, qu’il s’agisse des événements passés
ou futurs. D’autre part, elle affirme son caractère irrécusable, infalsifiable. Elle n’est jamais prise en défaut et
s’émancipe de la réalité. Une autre caractéristique de l’idéologie est son « logicisme », son aptitude à se doter
d’une cohérence interne, à intégrer en permanence la contradiction dans un processus logique. L’idéologie, de ce
point de vue, est exactement ce qu’elle prétend être : la logique d’une idée.
L'idéologie est une pensée de groupe, le discours, la vision, et la logique s'adresse au groupe les soutenant
et à la totalité de la société afin d'y faire adhérer le plus de monde. Autrement dit, l'idéologie est un moyen
pour un groupe d'accroître son pouvoir par l'accumulation de force politique, de soutien, au sein de la
société. L'idéologie est pourtant une vision tout à fait partiale qui peut se tromper lourdement (voir nazisme),
cependant ce qui la définit c'est qu'elle cherche à devenir majoritaire, et par là même elle s'impose suivant un
énoncé (discours d'une personne et de son groupe, sa minorité) et avec une logique comme structure la soutenant
(ex totalitarisme). C'est la tyrannie de la majorité, mais cette majorité dans l'idéologie est une force majoritaire
instrumentalisée : pourtant là où il y a influence d'un groupe sur un autre ou sur la politique de la société, il ne
s'agit donc pas à proprement parler de démocratie, mais d'un autre type de gouvernement.
Il existe également des cas d'idéologie se voulant sans chef ni organisation (ex anarchisme): mais par le fait
même que cette 'logique d'une vision' refuse le discours imposé verticalement, elle refuse donc la pensée de
groupe, et son statut d'idéologie en devient dès lors discutable.

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