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Fiche thématique – Nouvelles technologies

juillet 2023
Cette fiche ne lie pas la Cour et n’est pas exhaustive

Nouvelles technologies
Adresses IP
Benedik c. Slovénie
24 avril 2018
Cette affaire portait sur le fait que la police slovène ne s’était pas procuré de décision de
justice aux fins de la consultation de données sur un abonné associées à une adresse IP
dynamique que les autorités de police suisses avaient enregistrée lors de la surveillance
des utilisateurs d’un réseau de partage de fichiers. L’accès à ces données permit
d’identifier le requérant, qui sur ce réseau avait partagé des fichiers, notamment des
images pédopornographiques.
La Cour européenne des droits de l’homme a conclu à la violation de l’article 8 (droit
au respect de la vie privée) de la Convention européenne des droits de l’homme. Elle a
jugé en particulier que l’utilisation par la police d’une certaine disposition juridique pour
obtenir les données sur l’abonné associées à l’adresse IP dynamique n’avait pas satisfait
à la norme de la Convention selon laquelle l’ingérence doit être « prévue par la loi ». La
disposition en question manquait de clarté, n’offrait pratiquement aucune protection
contre l’ingérence arbitraire, ne prévoyait pas de garanties contre l’abus ni de
surveillance indépendante des pouvoirs de police en jeu.
Requête pendante
Le Marrec c. France (requête n° 52319/22)
Requête communiquée au gouvernement français le 7 mars 2023
Dans le cadre d’un traitement des données de connexion du requérant, qui était
bénéficiaire d’une allocation de solidarité sociale, l’organisme gestionnaire (Caisse
d’allocations familiales) détecta que ce dernier avait soumis une déclaration trimestrielle
des ressources depuis une adresse IP située à l’étranger. Un contrôle de sa situation
fut alors entrepris et, à l’issue de celui-ci, le bénéfice de l’allocation lui fut retiré,
avec effet rétroactif. L’intéressé se plaint du traitement de ses données de connexion
(notamment la géolocalisation de son adresse IP), qu’il estime n’avoir pas été entouré
de garanties légales suffisantes, ainsi que de l’absence de réponse des tribunaux
nationaux à son grief selon lequel le traitement de ses données de connexion était
attentatoire à sa vie privée.
La Cour a communiqué la requête au gouvernement français et posé des questions
aux parties sous l’angle de l’article 8 (droit au respect de la vie privée) ainsi que de
l’article 6 § 1 (droit à un procès équitable) de la Convention.

Antennes paraboliques
Khurshid Mustafa et Tarzibachi c. Suède
16 décembre 2008
Cette affaire portait sur une décision judiciaire de ne pas prolonger un bail privé
en raison du refus des locataires, un couple marié d’origine irakienne ayant trois enfants
mineurs, de retirer une antenne parabolique destinée à capter les émissions de télévision
de leur pays d’origine. Le propriétaire proposa aux requérants de rester s’ils acceptaient
Fiche thématique – Nouvelles technologies

de retirer l’antenne parabolique, mais ils refusèrent et durent déménager.


Devant la Cour, les intéressés soutenaient que leur liberté de recevoir des informations
avait été méconnue.
La Cour a conclu à la violation de l’article 10 (liberté d’expression) de la Convention.
Elle a relevé en particulier que l’antenne parabolique permettait aux requérants et à
leurs enfants de recevoir des programmes de télévision en arabe et en farsi diffusés
depuis leur pays et leur région d’origine. Les intéressés regardaient notamment les
actualités politiques et sociales, ces informations revêtant un intérêt particulier pour eux,
une famille d’immigrés qui souhaitaient rester en contact avec la culture et la langue de
leur pays d’origine. À l’époque, il n’y avait pas d’autre moyen pour les intéressés d’avoir
accès à ces programmes et l’antenne ne pouvait être placée ailleurs. Les informations
diffusées par les journaux étrangers et les chaînes de radio ne peuvent en aucun cas
être mises sur le même pied que celles diffusées à la télévision. En outre, les inquiétudes
exprimées par le propriétaire quant à la sécurité avaient été examinées par les tribunaux
nationaux qui avaient conclu que l’installation était sans danger. De surcroît, l’expulsion
des requérants de leur domicile avec leurs trois enfants avait été disproportionnée
au but poursuivi, à savoir l’intérêt pour le propriétaire de préserver l’ordre et les bons
usages dans la maison.

Applications mobiles
Magyar Kétfarkú Kutya Párt c. Hongrie
20 janvier 2020 (Grande Chambre)
Cette affaire portait sur une application mobile qu’un parti politique avait mise à la
disposition des électeurs pour leur permettre, dans le cadre d’un référendum sur
l’immigration organisé en 2016, de prendre, publier et commenter anonymement une
photographie de leur bulletin de vote nul. Le parti requérant se plaignait d’une violation
de ses droits garantis par l’article 10 (droit à la liberté d’expression) de la Convention.
La Grande Chambre a jugé en particulier que la disposition de la loi électorale interne sur
laquelle les autorités s’étaient appuyées pour conclure à une violation du principe de
l’exercice des droits conformément à leur but n’avait pas permis au parti requérant de
prévoir qu’il pourrait être sanctionné pour la mise à disposition de pareille application,
qui relève de l’exercice de la liberté d’expression. Compte tenu de l’incertitude
considérable qui entourait les effets potentiels de la disposition légale litigieuse appliquée
par les autorités internes, elle a conclu que la restriction en cause n’était pas conforme
aux exigences découlant de la Convention. En outre, les dispositions en question
n’étaient pas formulées avec suffisamment de précision pour exclure tout arbitraire et
permettre au parti requérant de régler sa conduite. Il y avait donc eu violation de
l’article 10 (liberté d’expression) de la Convention.

Courrier électronique
Copland c. Royaume-Uni
3 avril 2007
La requérante fut engagée par un établissement d’enseignement postscolaire, un organe
établi par la loi et géré par l’État, en qualité d’assistante personnelle du principal.
À partir de fin 1995, elle dut travailler en étroite collaboration avec le principal-adjoint.
Son utilisation du téléphone, du courrier électronique et d’Internet fut surveillée
à l’instigation du principal-adjoint. D’après le gouvernement britannique,
cette surveillance visait à vérifier que la requérante n’abusait pas des installations
professionnelles à des fins personnelles.
La Cour a conclu à la violation de l’article 8 (droit au respect de la vie privée et de
la correspondance) de la Convention. Elle a relevé tout d’abord que les appels
téléphoniques passés depuis des locaux professionnels sont de prime abord couverts par
les notions de « vie privée » et de « correspondance ». Il s’ensuit logiquement que

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les courriers électroniques envoyés depuis le lieu de travail devraient bénéficier


d’une protection analogue, tout comme le devraient les renseignements provenant
de la surveillance de l’utilisation personnelle d’Internet. En l’espèce, la Cour a estimé que
la collecte et la conservation, à l’insu de la requérante, d’informations personnelles
concernant son utilisation du téléphone, du courrier électronique et d’Internet avaient
constitué une ingérence dans l’exercice par l’intéressée de son droit au respect de sa vie
privée et de sa correspondance. Tout en laissant ouverte la question de savoir
si la surveillance de l’utilisation faite par un employé du téléphone, du courrier
électronique ou d’Internet sur son lieu de travail peut passer pour « nécessaire dans
une société démocratique » dans certaines situations à la poursuite d’un but légitime,
la Cour a conclu qu’en l’absence, à l’époque des faits, de toute loi au niveau interne
régissant la surveillance, l’ingérence n’était pas « prévue par la loi ».
Muscio c. Italie
13 novembre 2007 (décision sur la recevabilité)
Le requérant, président d’une association de parents catholiques, avait porté plainte
contre X pour avoir reçu, dans sa boîte postale électronique, des courriers non sollicités
(« spam ») à caractère obscène. Il se plaignait dans sa requête de ne pas avoir eu
des moyens juridiques pour s’opposer à la réception de ces courriers électroniques.
La Cour a déclaré irrecevable (manifestement mal fondé) le grief tiré par le requérant
de l’article 8 (droit au respect de la vie privée) de la Convention. Elle a estimé que
la réception de communications indésirables peut s’analyser comme une ingérence
dans la vie privée. Toutefois, les utilisateurs du courrier électronique, une fois connectés
à Internet, ne peuvent plus jouir d’une protection effective de leur vie privée,
et s’exposent à la réception de messages indésirables. Dans ce cadre, l’action judiciaire
du requérant n’avait aucune chance d’aboutir, les autorités nationales et les fournisseurs
d’accès rencontrant des difficultés objectives dans la lutte contre le « spam ».
La Cour ne pouvait donc exiger d’efforts supplémentaires de la part de l’État au titre
de ses obligations positives découlant de l’article 8 de la Convention.
Benediktsdóttir c. Islande
16 juin 2009 (décision sur la recevabilité)
La requérante soutenait que, en ne lui apportant pas une protection suffisante contre la
publication illégale de ses courriers électroniques privés dans les médias, l’Islande avait
manqué à assurer le respect de son droit au respect de la vie privée et de la
correspondance. Elle alléguait qu’un tiers, dont elle ne connaissait pas l’identité, s’était
procuré les courriers électroniques en question, à son insu et sans son consentement,
sur un serveur précédemment détenu et exploité par son ancien employeur, qui avait
fait faillite. Les messages comprenaient en particulier des citations directes ou des
paraphrases de messages échangés entre elle et l’un des anciens collègues du président
directeur général d’une société multinationale relativement aux souhaits de celui-ci de
trouver un bon avocat pour l’aider à remettre à la police des documents supposément
compromettants qu’il avait en sa possession et pour le représenter dans une future
procédure en justice contre les dirigeants de ladite multinationale. Il y avait à l’époque
en Islande un débat public relatif à des allégations selon lesquelles des personnalités
auraient exercé des pressions illégitimes sur le déroulement des plus grandes enquêtes
pénales qui aient jamais été menées dans le pays.
La Cour a déclaré la requête irrecevable pour défaut manifeste de fondement.
Elle a jugé que rien n’indiquait que les autorités islandaises aient outrepassé leur marge
d’appréciation et manqué à ménager un juste équilibre entre le droit à la liberté
d’expression du journal, garanti par l’article 10 de la Convention, et le droit de la
requérante au respect de sa vie privée et de sa correspondance garanti par l’article 8 de
la Convention.

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Helander c. Finlande
10 septembre 2013 (décision sur la recevabilité)
Cette affaire portait sur la plainte d’un détenu, l’administration carcérale ayant refusé de
lui faire suivre un message à caractère juridique que son avocat avait envoyé à l’adresse
électronique officielle de la prison.
La Cour a déclaré la requête irrecevable pour défaut manifeste de fondement, dans
la mesure où l’avocat du requérant avait immédiatement été informé que son courriel
ne serait pas transmis à son client, et que lui-même et son client avaient toujours été en
mesure de communiquer rapidement au moyen du téléphone, de lettres ou de visites
en personne. Par ailleurs, la Cour a reconnu que la législation finlandaise actuelle
ne permet pas de garantir la confidentialité des échanges avocat-client par courriels,
et que l’administration carcérale avait donc une raison sérieuse de ne pas faire suivre
le message.
Sérvulo & Associados - Sociedade de Advogados, RL c. Portugal
3 septembre 2015
Voir ci-dessous, sous « Données électroniques ».
M.P. c. Portugal (n° 27516/14)
7 septembre 2021
L’ex-mari de la requérante avait accédé à des messages électroniques qu’elle avait
échangés sur un site de rencontres et il les avait produits, sans son consentement,
dans le cadre, d’une part, d’une procédure qu’il avait engagée en vue de la répartition
de l’autorité parentale et, d’autre part, d’une procédure de divorce. Le tribunal
aux affaires familiales n’avait finalement pas tenu compte de ces messages.
La requérante se plaignait du fait que les juges n’avaient pas sanctionné son mari pour
les avoir divulgués.
La Cour a conclu à la non-violation de l’article 8 (droit au respect de la vie privée et
de la correspondance) de la Convention, jugeant que l’État portugais s’était acquitté de
l’obligation positive qui lui incombait de garantir les droits de la requérante au respect de
sa vie privée et au secret de sa correspondance. Elle a observé, en particulier, que les
effets de la divulgation des messages litigieux sur la vie privée de la requérante avaient
été limités, ces messages n’ayant été divulgués que dans des procédures civiles dans
le cadre desquels l’accès du public aux dossiers de ce type de procédures était restreint.
La Cour a noté aussi que les messages en question n’avaient pas été examinés
concrètement, le tribunal aux affaires familiales n’ayant finalement pas statué sur le fond
des demandes formulées par le mari. Pour la Cour, les autorités portugaises avaient mis
en balance les intérêts en jeu en respectant les critères établis dans sa jurisprudence.
En outre, dès lors que la requérante avait renoncé à toute prétention civile dans le cadre
de la procédure pénale, seule restait à trancher la question de la responsabilité pénale
du mari, question sur laquelle la Cour ne saurait statuer.

Données électroniques
S. et Marper c. Royaume-Uni
4 décembre 2008 (Grande Chambre)
Cette affaire portait sur la rétention indéfinie dans une base de donnée des empreintes
digitales et données ADN (échantillons cellulaires et profil ADN 1) des requérants après
que les procédures pénales dirigées contre eux se furent soldées par un acquittement
pour l’un et un classement sans suite pour l’autre.
La Cour a conclu à la violation de l’article 8 (droit au respect de la vie privée) de la
Convention. Elle a considéré notamment que l’usage des techniques scientifiques
modernes dans le système de la justice pénale ne pouvait être autorisé à n’importe quel

1
. Les profils ADN sont des données numériques qui sont stockées sur support électronique dans la base de
données ADN du Royaume-Uni avec des renseignements sur la personne à laquelle ces données se rapportent.

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prix et sans une mise en balance attentive des avantages pouvant résulter d’un large
recours à ces techniques, d’une part, et des intérêts essentiels s’attachant à la protection
de la vie privée, d’autre part, et que tout État revendiquant un rôle de pionnier dans
l’évolution de nouvelles technologies portait la responsabilité particulière de « trouver le
juste équilibre » en la matière. Elle a conclu que le caractère général et indifférencié du
pouvoir de conservation des empreintes digitales, échantillons biologiques et profils ADN
des personnes soupçonnées d’avoir commis des infractions mais non condamnées,
tel qu’il avait été appliqué aux requérants en l’espèce, ne traduisait pas un juste
équilibre entre les intérêts publics et privés concurrents en jeu.
B.B. c. France (n° 5335/06), Gardel c. France et M.B. c. France (n° 22115/06)
17 décembre 2009
Cette affaire portait sur l’inscription dans la base de données nationale des délinquants
sexuels de trois hommes reconnus coupables de viol sur mineurs de quinze ans
par personne ayant autorité.
La Cour a conclu à la non-violation de l’article 8 (droit au respect de la vie privée)
de la Convention. Elle a estimé que la durée de conservation des données (30 ans
au maximum) n’était pas disproportionnée au regard du but poursuivi par
la mémorisation des informations, à savoir la prévention des infractions pénales. Elle a
relevé qu’en outre, la consultation de ces données était exclusivement accessible à
des autorités (tribunaux, police et autorités administratives) astreintes à une obligation
de confidentialité, et dans des circonstances précisément déterminées.
Shimovolos c. Russie 2
21 juin 2011
Cette affaire portait sur l’enregistrement d’un militant des droits de l’homme dans
la « base de données des surveillances », où des informations sur ses déplacements
par train et par avion en Russie avaient été consignées, ainsi que son arrestation
survenue dans ce contexte.
La Cour a conclu à la violation de l’article 8 (droit au respect de la vie privée) de la
Convention. Elle a observé que la création et la mise à jour de la base de données ainsi
que ses modalités de fonctionnement étaient régies par un arrêté ministériel qui n’avait
jamais été publié ni d’une autre manière été rendu accessible au public et a
en conséquence estimé que le droit russe n’indiquait pas avec une clarté suffisante la
portée et le mode d’exercice du pouvoir discrétionnaire conféré aux autorités internes
pour recueillir et conserver dans la base de données des informations sur la vie privée
de particuliers. Singulièrement, le droit interne ne présentait sous une forme accessible
au public aucune indication des garanties minimales contre les abus. La Cour a conclu
également dans cette affaire à la violation de l’article 5 (droit à la liberté et à
la sûreté) de la Convention.
Mandil c. France, Barreau et autres c. France et Deceuninck c. France
13 décembre 2011 (décisions sur la recevabilité)
Les requérants étaient des « Faucheurs volontaires » qui avaient participé à l’arrachage
de cultures expérimentales de betteraves transgéniques. Le requérant dans la première
affaire se plaignait de sa condamnation pénale pour refus de se soumettre à un
prélèvement biologique en vue de son inscription sur le fichier national automatisé des
empreintes génétiques ; les requérants dans la deuxième affaire estimaient que leur
inscription au fichier national automatisé des empreintes génétiques d’une part, et la
condamnation pénale pour certains d’entre eux pour refus de se soumettre à
un prélèvement biologique d’autre part, avaient constitué une atteinte à leur droit au
respect de la vie privée ; le requérant dans la troisième affaire prétendait notamment
que l’ordre de prélever des cellules renfermant ses données génétiques avait constitué
une atteinte disproportionnée à son intégrité et à sa vie privée.

2
. Le 16 septembre 2022, la Fédération de Russie a cessé d’être Partie à la Convention européenne des droits
de l’homme (« la Convention »).

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Fiche thématique – Nouvelles technologies

La Cour a déclaré les requêtes irrecevables pour violation de l’obligation


de confidentialité des négociations sur un règlement amiable. Elle a estimé que
les parties requérantes avaient porté atteinte au principe de la confidentialité édicté par
les articles 39 § 2 de la Convention et 62 du Règlement de la Cour et que leur
comportement avait constitué un abus du droit de recours individuel au sens
de l’article 35 § 3 a) de la Convention.
Robathin c. Autriche
3 juillet 2012
Avocat de son état, le requérant se plaignait d’une perquisition effectuée dans son
cabinet en 2006 et de la saisie de documents et de l’ensemble de ses données
électroniques dans le cadre d’une procédure pénale dirigée contre lui au motif qu’il était
soupçonné d’infractions de vol, de malversation et de fraude commises à l’égard de ses
clients. Il fut finalement relaxé sur tous les chefs en 2011.
La Cour a conclu à la violation de l’article 8 (droit au respect de la correspondance) de
la Convention. Elle a observé en particulier que, bien que le requérant ait bénéficié d’un
certain nombre de garanties procédurales, la chambre de contrôle devant laquelle il avait
porté son affaire n’avait fourni que des motifs très brefs et plutôt généraux lorsqu’elle a
autorisé la saisie de l’ensemble des données électroniques du cabinet de l’intéressé, au
lieu de la restreindre aux données concernant uniquement la relation entre le requérant
et les victimes des infractions alléguées. Or, eu égard aux circonstances spécifiques
existant dans un cabinet juridique, des motifs particuliers auraient dû être donnés pour
autoriser une perquisition aussi générale. À défaut de tels motifs, la Cour a jugé que la
saisie et l’examen de l’ensemble des données avaient dépassé ce qui était nécessaire
pour atteindre le but légitime poursuivi.
Bernh Larsen Holding As et autres c. Norvège
14 mars 2013
Dans cette affaire, trois sociétés norvégiennes se plaignaient d’une décision par laquelle
l’administration fiscale leur avait enjoint de remettre à ses inspecteurs une copie de
l’intégralité des données du serveur informatique qu’elles partageaient. Elles alléguaient
en particulier que la mesure litigieuse était entachée d’arbitraire.
La Cour a conclu à la non-violation de l’article 8 (droit au respect du domicile et de la
correspondance) de la Convention. Elle a souscrit à la conclusion des juridictions
norvégiennes selon laquelle des raisons d’efficacité s’opposent à ce que le champ
d’action de l’administration fiscale soit limité par le fait qu’un contribuable utilise un
système d’archivage partagé, même si celui-ci contient des données appartenant à
d’autres contribuables. En outre, des garanties contre les abus ont été mises en place.
M.K. c. France (n° 19522/09)
18 avril 2013
Le requérant, qui avait fait l’objet de deux enquêtes pour vol à l’issue desquelles il fut
dans un cas relaxé, dans l’autre non poursuivi, se plaignait du fait que ses empreintes
digitales avaient été conservées dans un fichier par les autorités françaises.
La Cour a conclu à la violation de l’article 8 (droit au respect de la vie privée) de la
Convention. Elle a estimé, au vu des circonstances de l’espèce, que la conservation de
ces données s’analysait en une atteinte disproportionnée au droit du requérant au
respect de sa vie privée.
Youth Initiative For Human Rights c. Serbie
25 juin 2013
Cette affaire portait sur l’accès à des informations obtenues par le service serbe de
renseignement au moyen de la surveillance électronique. L’ONG requérante se plaignait
que le refus du service de renseignement de lui fournir les informations qu’elle
demandait – à savoir des informations sur le nombre de personnes que celui-ci avait
placé sous surveillance électronique en 2005 – l’avait empêchée de jouer son rôle de
« chien de garde ».

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Fiche thématique – Nouvelles technologies

La Cour a conclu à la violation de l’article 10 (liberté d’expression) de la Convention.


Elle a estimé que le refus obstiné du service de renseignement de se conformer à
une décision définitive et obligatoire lui ordonnant de fournir les informations qu’il avait
obtenues était contraire au droit interne et revêtait un caractère arbitraire. Sur le terrain
de l’article 46 (force obligatoire et exécution des arrêts) de la Convention, la Cour a par
ailleurs indiqué que la manière la plus simple d’exécuter l’arrêt rendu par elle en l’espèce
consisterait à faire en sorte que le service de renseignement fournisse à l’ONG
requérante les informations réclamées concernant le nombre de personnes ayant fait
l’objet d’une surveillance électronique en 2005.
Nagla c. Lettonie
16 juillet 2013
Cette affaire portait sur la perquisition par la police du domicile d’une journaliste connue
de la télévision et la saisie de dispositifs de stockage de données. Le domicile de
l’intéressée fut perquisitionné à la suite d’une émission diffusée en février 2010 et dans
laquelle elle avait informé le public d’une fuite d’informations de la base de données du
fisc. La requérante se plaignait en particulier que la perquisition de son domicile l’avait
contrainte à révéler des informations ayant permis d’identifier une source journalistique.
Elle y voyait une violation de son droit de recevoir et de communiquer des informations.
La Cour a conclu à la violation de l’article 10 (liberté d’expression) de la Convention.
Elle a souligné que le droit des journalistes de taire leurs sources ne saurait être
considéré comme un simple privilège, qui leur serait accordé ou retiré en fonction de la
licéité ou de l’illicéité des sources, mais qu’il devait être considéré comme un attribut du
droit à l’information, à traiter avec la plus grande circonspection. En l’espèce, les
autorités d’enquête n’avaient pas correctement mis en balance l’intérêt de l’enquête à
l’obtention d’éléments de preuve et l’intérêt public à la protection de la liberté
d’expression des journalistes.
Peruzzo et Martens c. Allemagne
4 juin 2013 (décision sur la recevabilité)
Les requérants, qui avaient été condamnés pour des infractions pénales graves, se
plaignaient des décisions prises par les juridictions nationales, en vertu desquelles ils
devaient subir un prélèvement de matériel cellulaire et les informations seraient
conservées dans une base de données sous la forme de profils ADN aux fins de faciliter
les enquêtes à venir sur d’éventuelles infractions.
La Cour a déclaré la requête irrecevable pour défaut manifeste de fondement.
Les mesures litigieuses avaient constitué une ingérence proportionnée dans le droit des
requérants au respect de leur vie privée et avaient été nécessaires dans une
société démocratique.
Brunet c. France
18 septembre 2014
Le requérant se plaignait notamment de l’atteinte à sa vie privée découlant de son
inscription dans le fichier STIC (« système de traitement des infractions constatées ») –
un fichier de police répertoriant les informations provenant des comptes rendus
d’enquêtes et recensant notamment les personnes mises en cause et les victimes –
malgré le classement sans suite de la procédure pénale engagée contre lui.
La Cour a conclu à la violation de l’article 8 (droit au respect de la vie privée) de
la Convention, jugeant que l’État français avait outrepassé sa marge d’appréciation en
la matière, que la conservation litigieuse s’analysait en une atteinte disproportionnée
au droit du requérant au respect de sa vie privée et ne pouvait passer pour nécessaire
dans une société démocratique. La Cour a considéré en particulier que le requérant
n’avait pas disposé d’une possibilité réelle de demander l’effacement du STIC des
informations le concernant et que la durée de conservation de ces données, qui était de
vingt ans, était en pratique assimilable, sinon à une conservation indéfinie, du moins
à une norme plutôt qu’à un maximum.

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Fiche thématique – Nouvelles technologies

Sérvulo & Associados - Sociedade de Advogados, RL c. Portugal


3 septembre 2015
Cette affaire portait sur la perquisition et la saisie de documents informatiques et
de messages électroniques dans un cabinet d’avocats lors d’une enquête portant
sur des soupçons de corruption, de prise illégale d’intérêts, de blanchiment d’argent
dans le cadre d’un achat par le gouvernement portugais de deux sous-marins
à un consortium allemand.
La Cour a conclu à la non-violation de l’article 8 (droit au respect de la vie privée et
de la correspondance) de la Convention. Elle a estimé qu’en dépit de l’étendue des
mandats de perquisition et de saisie, les garanties offertes aux requérants pour prévenir
les abus, l’arbitraire et les atteintes au secret professionnel des avocats avaient été
adéquates et suffisantes. La perquisition et les saisies n’avaient donc pas porté une
atteinte disproportionnée au but légitime poursuivi. La Cour a observé en particulier que,
après visualisation des documents informatiques et messages électroniques qui avaient
été saisis, le juge d’instruction du Tribunal central d’instruction criminelle avait ordonné
la destruction de 850 fichiers informatiques qu’il avait estimé être de caractère privé,
couverts par le secret professionnel ou qui ne concernaient pas directement l’affaire. Aux
yeux de la Cour, aucun motif ne permettait de mettre en question l’évaluation à laquelle
s’était livré le juge, lequel était intervenu pour contrôler la légalité de la perquisition et
des saisies et spécialement protéger le secret professionnel des avocats. Par ailleurs,
répondant à l’objection des requérants selon laquelle les fichiers informatiques saisis ne
leur auraient pas été restitués, la Cour a relevé que les originaux leur avaient cependant
bien été rendus, et qu’il n’existait aucune obligation de restituer les copies, qui pouvaient
être conservées pendant le délai de prescription des crimes en cause.
Szabó et Vissy c. Hongrie
12 janvier 2016
Cette affaire portait sur la législation hongroise, introduite en 2011, sur les opérations
secrètes de surveillance antiterroriste. Les requérants se disaient notamment exposés au
risque potentiel de faire l’objet de mesures injustifiées et exagérément intrusives dans le
cadre juridique hongrois sur la surveillance secrète (à savoir l’ « article 7/E (3) sur
la surveillance »). Ils alléguaient en particulier que ce cadre légal incitait aux abus,
faute notamment de contrôle juridictionnel.
La Cour a conclu en l’espèce à la violation de l’article 8 (droit au respect de la vie
privée) de la Convention. Elle a admis que les formes prises par le terrorisme de nos
jours avaient pour conséquence naturelle un recours par les gouvernements à des
technologies de pointe, notamment à des techniques de surveillance massive des
communications, afin d’éviter des incidents imminents. Cependant, elle a estimé que la
législation en question ne fournissait pas les garanties nécessaires contre les abus.
Notamment, pratiquement n’importe qui en Hongrie peut être soumis à une surveillance
secrète, les nouvelles technologies permettant au gouvernement d’intercepter facilement
des masses de données concernant des personnes se trouvant même en dehors de la
catégorie initialement visée par l’opération. De plus, pareille mesure peut être ordonnée
par le pouvoir exécutif sans aucun contrôle, sans faire l’objet d’une appréciation de la
question de savoir si elle est strictement nécessaire et en l’absence de toute mesure de
recours effectif, judiciaire ou autre. La Cour a par ailleurs conclu à la non-violation de
l’article 13 (droit à un recours effectif) de la Convention combiné avec l’article 8,
rappelant que l’article 13 ne peut être interprété comme exigeant un recours contre
l’état du droit interne.
Trabajo Rueda c. Espagne
30 mai 2017
Cette affaire portait sur la saisie de l’ordinateur du requérant au motif qu’il contenait des
éléments pédopornographiques. L’intéressé soutenait que la saisie et l’examen de son
ordinateur par la police avaient constitué une ingérence dans son droit au respect de sa
vie privée et de sa correspondance.

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Fiche thématique – Nouvelles technologies

La Cour a conclu à la violation de l’article 8 (droit au respect de la vie privée) de la


Convention. Elle a observé tout d’abord que l’accès aux archives de l’ordinateur
personnel du requérant par les autorités de police et sa condamnation avaient constitué
une ingérence dans le droit de l’intéressé à la vie privée. Cette ingérence était prévue
par les dispositions du droit national. Elle poursuivait en outre un but légitime, celui de la
« prévention des infractions pénales » ou de la « protection des droits d’autrui ». À cet
égard, la Cour a notamment souligné que les « sévices sexuels constituent
incontestablement un type odieux de méfaits qui fragilisent les victimes » et que « les
enfants et autres personnes vulnérables ont droit à la protection de l’État sous la forme
d’une prévention efficace les mettant à l’abri des formes aussi graves d’ingérence dans
des aspects essentiels de leur vie privée ». La Cour a cependant jugé que la saisie et
l’examen des archives de l’ordinateur par la police, sans autorisation judiciaire préalable,
n’avaient pas été proportionnés aux buts légitimes poursuivis et n’avaient pas été
« nécessaires dans une société démocratique ». En effet, elle a estimé qu’il était difficile
d’apprécier l’urgence qui aurait contraint la police à saisir les archives de l’ordinateur
personnel du requérant et à accéder à leur contenu, sans obtenir au préalable
l’autorisation judiciaire normalement requise, alors qu’il s’agissait d’un ordinateur retenu
par la police et que l’autorisation préalable aurait pu être obtenue relativement
rapidement sans entraver l’enquête menée par la police.
Dagregorio et Mosconi c. France
30 mai 2017 (décision sur la recevabilité)
Les requérants étaient deux syndicalistes ayant participé à l’occupation et au blocage du
navire de ligne « Pascal Paoli » de la Société nationale Corse Méditerranée (SNCM) lors
de l’opération de reprise de la société par un opérateur financier. L’affaire portait sur leur
refus de se soumettre à un prélèvement biologique destiné à un enregistrement dans le
fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG). Condamnés en première
instance et en appel, les requérants ne formèrent pas de pourvoi en cassation.
La Cour a déclaré la requête irrecevable pour non-épuisement des voies de recours
internes. Elle a souligné en particulier qu’en l’absence de précédent jurisprudentiel
applicable à la situation des requérants, un doute existait quant à l’efficacité d’un
pourvoi en cassation en raison d’une décision rendue par le Conseil constitutionnel.
La Cour a considéré que c’est donc un point qui devait être soumis à la Cour de
cassation. Le simple fait de nourrir des doutes quant aux perspectives de succès d’un
recours donné ne constituait pas une raison propre à justifier la non-utilisation
du recours en question.
Aycaguer c. France
22 juin 2017
Le requérant dénonçait une atteinte à son droit au respect de sa vie privée, en raison de
l’ordre qui lui avait été fait de se soumettre à un prélèvement biologique destiné à un
enregistrement dans le fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG)
et pour lequel son refus d’obtempérer avait donné lieu à une condamnation pénale.
La Cour a conclu à la violation de l’article 8 (droit au respect de la vie privée) de la
Convention. Elle a observé en particulier que le Conseil constitutionnel avait rendu, le
16 septembre 2010, une décision déclarant que les dispositions relatives au FNAEG
étaient conformes à la Constitution, sous réserve entre autres « de proportionner la
durée de conservation de ces données personnelles, compte tenu de l’objet du fichier,
à la nature ou à la gravité des infractions concernées ». La Cour a noté qu’à ce jour cette
réserve n’avait pas reçu de suite appropriée et qu’aucune différenciation n’était
actuellement prévue en fonction de la nature et de la gravité des infractions commises.
La Cour a par ailleurs estimé que le régime de conservation des profils ADN dans le
FNAEG n’offrait pas, en raison de sa durée et de l’absence de possibilité d’effacement,
de protection suffisante aux intéressés. Cette circonstance ne traduisait donc pas de
juste équilibre entre les intérêts publics et privés en jeu.

9
Fiche thématique – Nouvelles technologies

Ivashchenko c. Russie 3
13 février 2018
Cette affaire portait sur des copies faites par des douaniers russes des fichiers contenus
dans l’ordinateur portable d’un photographe journaliste et dans d’autres outils
de stockage.
La Cour a conclu à la violation de l’article 8 (droit au respect de la vie privée) de
la Convention jugeant que, dans l’ensemble, le gouvernement russe n’avait pas
démontré que la législation et la pratique appliquées en l’espèce avaient fourni des
garanties nécessaires contre les abus lorsqu’il s’agit d’appliquer la procédure de
prélèvement d’échantillon douanier à des données électroniques contenues dans un
appareil électronique.
Libert c. France
22 février 2018
Cette affaire portait sur le licenciement d’un employé de la SNCF après que la saisie de
son ordinateur professionnel avait révélé le stockage de fichiers à caractère
pornographique et de fausses attestations réalisées au bénéfice de tiers. Le requérant se
plaignait en particulier du fait que son employeur avait ouvert des fichiers personnels
figurant sur le disque dur de son ordinateur professionnel en dehors de sa présence.
La Cour a conclu à l’absence de violation de l’article 8 (droit au respect de la vie
privée) de la Convention, jugeant que les autorités françaises n’avaient pas excédé la
marge d’appréciation dont elles disposaient en l’espèce. Elle a constaté en particulier que
la consultation des fichiers par l’employeur du requérant répondait à un but légitime de
protection des droits de l’employeur, qui peut légitimement vouloir s’assurer que ses
salariés utilisent les équipements informatiques qu’il met à leur disposition en conformité
avec leurs obligations contractuelles et la réglementation applicable. La Cour a
également observé que le droit français contenait un principe visant à la protection de la
vie privée suivant lequel, si l’employeur pouvait ouvrir les fichiers professionnels, il ne
pouvait subrepticement ouvrir les fichiers identifiés comme étant personnels. Il ne
pouvait procéder à leur ouverture qu’en présence de l’employé. Les juridictions internes
avaient jugé que ce principe ne faisait pas obstacle à ce que l’employeur ouvre les
fichiers litigieux, ceux-ci n’ayant pas été dûment identifiés comme étant privés. Enfin,
la Cour a considéré que les juridictions internes avaient correctement examiné le moyen
du requérant tiré d’une violation de son droit au respect de sa vie privée et estimé que la
décision de ces juridictions s’était fondée sur des motifs pertinents et suffisants.
Catt c. Royaume-Uni
24 janvier 2019
Le requérant, un militant de longue date, se plaignait de la collecte et de la conservation,
dans une base de données de la police relative à l’« extrémisme national », de données
personnelles le concernant.
La Cour a conclu à la violation de l’article 8 (droit au respect de la vie privée) de la
Convention. Elle a jugé en particulier que les informations détenues sur le requérant
révélaient ses opinions politiques et qu’elles nécessitaient de ce fait une protection
particulière. Elle a tenu compte également de l’âge du requérant, qui avait 94 ans, et du
fait qu’il ne s’était jamais rendu coupable d’actes de violence et qu’il était peu probable
qu’il en commette à l’avenir. La Cour a également observé que si la collecte
d’informations sur son compte avait été justifiée, leur conservation ne l’avait pas été,
compte tenu notamment de l’absence de garanties telles que des délais.
Buturugă c. Roumanie
11 février 2020
Cette affaire portait sur des allégations de violence conjugale et de violation du secret de
la correspondance électronique par l’ex-époux de la requérante, qui dénonçait des
défaillances dans le système de protection des victimes de violences de ce type.

3
. Le 16 septembre 2022, la Fédération de Russie a cessé d’être Partie à la Convention.

10
Fiche thématique – Nouvelles technologies

L’intéressée se plaignait en particulier d’un manque d’effectivité de l’enquête pénale


concernant les faits de violence conjugale dont elle disait avoir fait l’objet. Elle se
plaignait aussi que sa sécurité personnelle n’avait pas été assurée de manière adéquate
et elle critiquait le refus des autorités d’examiner sa plainte relative à la violation du
secret de sa correspondance par son ex-époux.
La Cour a conclu à la violation des articles 3 (interdiction des traitements inhumains
ou dégradants) et 8 (droit au respect de la vie privée et de la correspondance) de la
Convention, en raison des manquements aux obligations positives de l’État découlant de
ces articles. Elle a jugé en particulier que les autorités nationales n’avaient pas abordé
l’enquête pénale comme soulevant le problème spécifique de la violence conjugale et
que, en procédant ainsi, elles n’avaient pas donné une réponse adaptée à la gravité des
faits dénoncés par la requérante. L’enquête sur les actes de violence avait été défaillante
et aucun examen sur le fond de la plainte pour violation du secret de la correspondance,
qui était étroitement liée à la plainte pour violences, n’avait été effectué. À cette
occasion, la Cour a enfin précisé que la cyberviolence est actuellement reconnue comme
un aspect de la violence à l’encontre des femmes et des filles et qu’elle peut se présenter
sous diverses formes, dont les violations informatiques de la vie privée, l’intrusion dans
l’ordinateur de la victime et la prise, le partage et la manipulation des données et des
images, y compris des données intimes.
Gaughran c. Royaume-Uni
13 février 2020
Cette affaire portait sur la conservation sans limitation de durée des données
personnelles (profil ADN, empreintes digitales et photographie) d’un homme qui avait
été reconnu coupable de conduite en état d’ivresse en Irlande du Nord et dont
la condamnation avait été rayée de son casier judiciaire à l’expiration du délai prévu
par la loi.
La Cour a conclu à la violation de l’article 8 (droit au respect de la vie privée) de la
Convention, jugeant que le Royaume-Uni avait outrepassé la marge d’appréciation qui
était la sienne, et que la conservation litigieuse s’analysait en une atteinte
disproportionnée au droit du requérant au respect de sa vie privée, ne pouvant passer
pour nécessaire dans une société démocratique. La Cour a précisé en particulier que ce
n’est pas la durée de la détention des données en question qui avait été déterminante,
mais l’absence de certaines garanties. Dans le cas du requérant, les autorités avaient
décidé de conserver sans limitation de durée les données personnelles le concernant,
sans tenir compte ni de la gravité de l’infraction commise ni de la nécessité de conserver
les données en question sans limitation de durée, et sans lui offrir une réelle possibilité
de réexamen. Notant également que la technologie utilisée de nos jours est plus
complexe que les juridictions internes ne l’avaient envisagé dans cette affaire,
notamment en ce qui concerne la conservation et l’analyse des photographies, la Cour a
considéré que la conservation des données personnelles du requérant ne traduisait pas
un juste équilibre entre les intérêts publics et privés concurrents.
Privacy International et autres c. Royaume-Uni
7 juillet 2020 (décision sur la recevabilité)
Les requérants – une ONG sise à Londres, un prestataire de services internet sis à
Londres, une association de « hacktivistes » sise en Allemagne, deux sociétés sises aux
États-Unis qui fournissent respectivement des services internet et des services de
communication ainsi qu’un prestataire de services internet sis en Corée du Sud –
croyaient que, pendant une période indéterminée, leurs systèmes avaient fait l’objet
d’une ingérence, désignée familièrement par le terme « hacking », de la part du
Government Communications Headquarters (GCHQ, service du renseignement
électronique) et/ou du Secret Intelligence Service (MI6, service du renseignement
extérieur) du Royaume-Uni. Ils soutenaient que le pouvoir conféré par l’article 7 de la loi

11
Fiche thématique – Nouvelles technologies

de 1994 sur les services de renseignement 4 était dépourvu de base légale, que cet
article ne posait aucune exigence d’autorisation judiciaire, qu’il n’y avait aucune
information publique sur la manière dont il pouvait être utilisé pour autoriser une
ingérence dans les systèmes, et qu’il n’y avait aucune obligation de filtrer les
informations recueillies pour en exclure les données non pertinentes. Ils ajoutaient que
la possibilité de saisir la Commission des pouvoirs d’enquête (Investigatory Powers
Tribunal) ne constituait pas un recours effectif, cette commission ne statuant pas sur les
cas relevant de l’article 7 de la loi en question.
La Cour a déclaré irrecevables les griefs des requérants tirés de l’article 8 (droit au
respect de la vie privée et de la correspondance), de l’article 10 (liberté d’expression) et
de l’article 13 (droit à un recours effectif) de la Convention, jugeant que, dans les
circonstances de l’espèce, les requérants n’avaient pas donné aux juridictions nationales,
notamment à la Commission des pouvoirs d’enquête, l’occasion que l’article 35
(conditions de recevabilité) de la Convention a pour finalité de ménager en principe aux
États contractants, à savoir celle d’examiner, c’est-à-dire de prévenir ou redresser la
violation au regard de la Convention qui est alléguée contre cet État. La Cour a noté en
particulier les arguments généraux avancés par les requérants, et soulignés aussi dans
les interventions des tierces parties, selon lesquels la surveillance dénoncée était
particulièrement intrusive et qu’il était nécessaire de prévoir des garanties dans ce
domaine. À cet égard, elle a rappelé l’importance d’examiner le respect des principes de
l’article 8 de la Convention lorsque les pouvoirs conférés à l’État sont obscurs, créant un
risque d’arbitraire, surtout lorsque la technologie disponible est de plus en plus
sophistiquée. Toutefois, cette importance renforce, dans le contexte de l’épuisement des
voies de recours internes, la nécessité de donner aux tribunaux nationaux la possibilité
de statuer sur ces questions lorsqu’ils en ont le potentiel.
Big Brother Watch et autres c. Royaume-Uni
25 mai 2021 (Grande Chambre)
Ces requêtes avaient été introduites après les révélations d’Edward Snowden (ancien
agent contractuel de l’Agence nationale de sécurité américaine) sur l’existence de
programmes de surveillance et de partage de renseignements entre les USA et le
Royaume-Uni. Les requérantes, des journalistes et des organisations de défense des
droits de l’homme, se plaignaient de trois régimes de surveillance mis en place au
Royaume-Uni, à savoir 1) l’interception en masse de communications, 2) la réception
d’éléments interceptés obtenus auprès de gouvernements et de services de
renseignement étrangers et 3) l’obtention de données de communication auprès des
fournisseurs de services de communication 5.
La Grande Chambre a conclu : à l’unanimité, qu’il y avait eu violation de l’article 8
(droit au respect de la vie privée et de la correspondance) de la Convention à raison du
régime d’interception en masse ; à l’unanimité, qu’il y avait eu violation de l’article 8
à raison du régime d’obtention de données de communication auprès des fournisseurs de
services de communication ; par douze voix contre cinq, qu’il n’y avait pas eu violation
de l’article 8 à raison du régime britannique de demande d’éléments interceptés auprès
de gouvernements et de services de renseignement étrangers ; à l’unanimité, qu’il y
avait eu violation de l’article 10 (liberté d’expression) de la Convention à raison tant
du régime d’interception en masse que du régime d’obtention de données de
communication auprès des fournisseurs de services de communication ; et, par douze
voix contre cinq, qu’il n’y avait pas eu violation de l’article 10 à raison du régime de

4
. L’article 7 de la loi de 1994 sur les services de renseignement (Intelligence Services Act 1994 – « l’ISA »)
permet au ministre d’autoriser quelqu’un à réaliser hors des îles britanniques, sans encourir aucune sanction,
un acte qui serait réprimé par la loi s’il était fait au Royaume-Uni.
5
. À l’époque des faits, le régime d’interception en masse et d’obtention de données de communication auprès
des fournisseurs de services de communication avait pour base légale la loi de 2000 portant réglementation
des pouvoirs d’enquête (Regulation of Investigatory Powers Act 2000). Depuis lors, cette loi a été remplacée
par la loi de 2016 sur les pouvoirs d’enquête (Investigatory Powers Act 2016). Les conclusions auxquelles la
Grande Chambre est parvenue concernent uniquement les dispositions de la loi de 2000, qui formaient le cadre
juridique en vigueur à l’époque des faits litigieux.

12
Fiche thématique – Nouvelles technologies

demande d’éléments interceptés auprès de gouvernements et de services de


renseignement étrangers. La Cour a considéré en particulier que, compte tenu des
multiples menaces auxquelles les États doivent faire face dans les sociétés modernes,
le recours à un régime d’interception en masse n’est pas en soi contraire à
la Convention. Toutefois, elle a jugé que pareil régime doit être encadré par des
« garanties de bout en bout », c’est-à-dire qu’au niveau national la nécessité et la
proportionnalité des mesures prises devraient être appréciées à chaque étape du
processus, que les activités d’interception en masse devraient être soumises à
l’autorisation d’une autorité indépendante dès le départ – dès la définition de l’objet et
de l’étendue de l’opération – et que les opérations devraient faire l’objet d’une
supervision et d’un contrôle indépendant opéré a posteriori. La Cour a par ailleurs estimé
que le régime d’interception en masse en vigueur au Royaume-Uni à l’époque pertinente
souffrait des lacunes suivantes : les interceptions en masse étaient autorisées par un
ministre, et non par un organe indépendant de l’exécutif, les catégories de termes de
recherche qui définissaient les types de communications susceptibles d’être examinées
n’étaient pas mentionnées dans les demandes de mandat d’interception et les termes de
recherche liés à un individu (c’est-à-dire les identifieurs spécifiques tels que les adresses
de courrier électronique) n’étaient pas soumis à une autorisation interne préalable.
La Cour a également jugé que le régime d’interception en masse ne protégeait pas
suffisamment les éléments journalistiques confidentiels. Elle a estimé par ailleurs que
le dispositif d’obtention de données de communication auprès des fournisseurs de
services de communication n’était pas prévu par la loi. En revanche, la Cour a considéré
que les procédures autorisant le Royaume-Uni à demander des informations à des
gouvernements et/ou à des services de renseignement étrangers présentaient
des garanties suffisantes contre les abus et empêchaient les autorités britanniques
d’utiliser ces demandes pour contourner leurs obligations découlant du droit interne et
de la Convention.
Centrum För Rättvisa c. Suède
25 mai 2021 (Grande Chambre)
Cette affaire portait sur le risque, allégué par la fondation requérante, que les
communications que celle-ci entretient quotidiennement avec des particuliers,
des organisations et des entreprises en Suède et à l’étranger par courrier électronique,
par téléphone et par télécopie, souvent sur des sujets sensibles, aient pu ou puissent
être interceptées et examinées dans le cadre d’activités de renseignement
d’origine électromagnétique.
La Grande Chambre a conclu, par quinze voix contre deux, à la violation de
l’article 8 (droit au respect de la vie privée, du domicile et de la correspondance) de la
Convention. Elle a jugé, en particulier, que même si les caractéristiques principales du
régime suédois d’interception en masse répondaient aux exigences de la Convention
relatives à la qualité de la loi, le régime en question souffrait néanmoins de trois
carences : l’absence de règle claire concernant la destruction des éléments interceptés
qui ne contiennent pas de données à caractère personnel, le fait que ni la loi relative au
renseignement d’origine électromagnétique ni aucun autre texte n’énonce l’obligation de
prendre en compte les intérêts liés à la vie privée lorsqu’une décision de partage de
renseignements avec des partenaires étrangers est adoptée, et l’absence de contrôle a
posteriori effectif. Ces carences faisaient que le régime en cause ne satisfaisait pas à
l’exigence de « garanties de bout en bout », qu’il excédait la marge d’appréciation
accordée aux autorités de l’État défendeur à cet égard et, considéré dans son ensemble,
n’offrait pas une protection adéquate et effective contre l’arbitraire et le risque d’abus.
Nuh Uzun et autres c. Turquie
29 mars 2022
Au moment des faits, les quatorze requérants étaient détenus au sein de différentes
prisons en Turquie à la suite de la tentative de coup d’État du 15 juillet 2016, pour
appartenance à une organisation terroriste. L’affaire portait principalement

13
Fiche thématique – Nouvelles technologies

sur l’enregistrement de la correspondance des requérants, au cours de leur détention,


sur le Système Informatique du Réseau Judiciaire National (« UYAP »).
La Cour a conclu à la violation de l’article 8 (droit au respect de la vie privée / droit au
respect de la correspondance) de la Convention, jugeant que l’ingérence dans le droit au
respect de la vie privée et de la correspondance des requérants ne pouvait être
considérée comme ayant été « prévue par la loi ». Elle a observé, en particulier, que
l’enregistrement de la correspondance des détenus et des condamnés sur le système
UYAP résultait directement et spécifiquement d’une instruction émise par le ministère de
la Justice en octobre 2016, réitérée en mars 2017. Cette instruction était par ailleurs
destinée aux procureurs de la République et aux directions des établissements
pénitentiaires. Il s’agissait donc de documents internes non publiés, qui étaient en
principe dépourvus de force obligatoire vis-à-vis des administrés. Pour la Cour, on ne
saurait voir dans un texte de cette nature, édicté en dehors de l’exercice d’un pouvoir
normatif, une « loi » d’une « qualité » suffisante au sens de la jurisprudence de la Cour.
Voir aussi, récemment :
Ringler c. Autriche
12 mai 2020 (comité – décision sur la recevabilité)

Tretter et autres c. Autriche


29 septembre 2020 (comité – décision sur la recevabilité)

Requêtes pendantes
Association confraternelle de la presse judiciaire c. France et 11 autres
requêtes (nos 49526/15, 49615/15, 49616/15, 49617/15, 49618/15,
49619/15, 49620/15, 49621/15, 55058/15, 55061/15, 59602/15 et
59621/15)
Requêtes communiquées au gouvernement français le 26 avril 2017
Ces requêtes, qui ont été introduites par des avocats et des journalistes, ainsi que
par des personnes morales en lien avec ces professions, portent sur la loi française
n° 2015-912 du 24 juillet 2015 relative au renseignement.
La Cour a communiqué les requêtes au gouvernement français et posé des questions aux
parties sous l’angle des articles 8 (droit au respect de la vie privée et de la
correspondance), 10 (liberté d’expression) et 13 (droit à un recours effectif) de
la Convention.
Requêtes similaires pendantes : Follorou c. France (n° 30635/17) et Johannes c.
France (n° 30636/17), communiquée au gouvernement français le 4 juillet 2017.
A.L. c. France (n° 44715/20) et E.J. c. France (n° 47930/21)
Requêtes communiquées au gouvernement français le 8 décembre 2021
Ces requêtes portent en particulier sur l’infiltration par les autorités françaises du réseau
de communication crypté « EncroChat » et sur la captation des données stockées et
échangées avec les appareils connectés à ce réseau, leur copie et leur analyse.
La Cour a communiqué les requêtes au gouvernement français et posé des questions aux
parties sous l’angle des articles 6 § 1 (droit à un procès équitable), 8 (droit au respect
de la vie privée et de la correspondance), 13 (droit de recours effectif), 34 (droit de
requête individuelle) et 35 (conditions de recevabilité) de la Convention.

Droits d’auteur sur des livres ou œuvres musicales


SIA AKKA/LAA c. Lettonie
12 juillet 2016
Cette affaire portait sur un grief relatif à la restriction des droits de propriété
intellectuelle d’auteurs d’œuvres musicales. La requérante, une association qui gère les
droits de propriété intellectuelle sur les œuvres musicales de nombreux auteurs lettons
et étrangers, se plaignait de décisions par lesquelles les juridictions nationales lui avaient

14
Fiche thématique – Nouvelles technologies

ordonné de conclure des accords de licence avec deux entreprises de radio et de fixer les
droits de diffusion à un niveau équitable. Elle alléguait notamment que ces décisions
avaient restreint les droits exclusifs des auteurs qu’elle représentait de conclure
librement des accords de licence pour l’utilisation de leurs œuvres musicales.
La Cour a conclu à la non-violation de l’article 1 (protection de la propriété) du
Protocole n° 1 à la Convention et à la non-violation de l’article 6 § 1 (droit à un
procès équitable) de la Convention. Elle a jugé en particulier que les autorités lettones
avaient ménagé un juste équilibre entre les exigences de l’intérêt public (consistant à ce
que les radios obtiennent une licence leur permettant de diffuser légalement les œuvres
musicales en question, afin que le public y ait accès) et les droits de la requérante
(obtenir une juste rémunération pour l’utilisation d’œuvres musicales). Les décisions de
justice interne révélaient un souci de ménager un équilibre entre les intérêts
concurrents : les juges avaient observé que des œuvres protégées avaient été diffusées
en l’absence de licence valable pendant une longue durée et que cette situation était due
dans une certaine mesure au fait que la requérante n’avait pas su négocier efficacement
avec les entreprises de radio.
Safarov c. Azerbaïdjan
1er septembre 2022
Le requérant, qui était l’auteur d’un livre sur l’histoire de l’Azerbaïdjan, se plaignait d’une
atteinte à la propriété intellectuelle au motif qu’un particulier, sans avoir obtenu son
autorisation et sans lui verser de droits d’auteur, avait reproduit son livre et l’avait publié
sur Internet. La demande qu’il forma au civil fut rejetée, de même que son pourvoi en
cassation. L’intéressé dénonçait un manquement de l’État à son obligation de protéger
ses intérêts en matière de propriété intellectuelle et d’un défaut de motivation des
décisions rendues par les juridictions internes le concernant.
La Cour a conclu à la violation de l’article 1 (protection de la propriété) du
Protocole n° 1 à la Convention dans la présente affaire, jugeant que l’État défendeur
avait manqué à l’obligation positive qui lui incombait en vertu de l’article 1 du
Protocole n° 1 de protéger la propriété intellectuelle notamment par des mesures
de redressement efficaces.
Korotyuk c. Ukraine
19 janvier 2023
Cette affaire portait sur un livre écrit par la requérante – Commentaire scientifique et
pratique de la loi ukrainienne sur les notaires – mis à disposition sans son consentement
en téléchargement payant sur un site en ligne de manuels scolaires. Elle porta plainte à
la police en 2013 et l’enquête était apparemment toujours en cours. Devant la Cour, la
requérante se plaignait de l’absence d’enquête effective sur le téléchargement illégal de
son livre et de l’incapacité de l’État à protéger sa propriété intellectuelle.
La Cour a conclu à la violation de l’article 1 (protection de la propriété) du Protocole
n° 1 à la Convention dans le cas de la requérante. Elle a relevé en particulier que, même
si les litiges portant sur des droits d’auteur étaient en général de nature civile, dans les
circonstances particulières de l’espèce, qui concernait des allégations d’infraction pénale,
l’État défendeur avait l’obligation positive, au titre de l’article 1 du Protocole n° 1, de
mener une enquête pénale effective. À cet égard, la Cour a observé que l’enquête pénale
présentait un certain nombre de lacunes. Elle a jugé qu’il résultait du cumul des
flagrantes et graves lacunes qui avaient caractérisé l’enquête pénale que l’État avait
manqué à ses obligations positives à l’égard des biens de la requérante.

GPS (système de positionnement universel)


Uzun c. Allemagne
2 septembre 2010
Le requérant, soupçonné d’avoir participé à des attentats à la bombe perpétrés par un
mouvement d’extrême gauche, alléguait que sa surveillance par GPS et l’utilisation des

15
Fiche thématique – Nouvelles technologies

données ainsi obtenues dans le cadre de la procédure pénale dirigée contre lui avaient
emporté violation de son droit au respect de sa vie privée.
La Cour a conclu à la non-violation de l’article 8 (droit au respect de la vie privée) de
la Convention. Compte tenu du fait que l’enquête pénale avait concerné des crimes très
graves, elle a jugé que la surveillance par GPS du requérant avait été proportionnée au
but poursuivi.
Ben Faiza c. France
8 février 2018
Cette affaire portait sur des mesures de surveillance prises à l’encontre du requérant
dans le cadre d’une enquête pénale portant sur un trafic de stupéfiants. L’intéressé se
plaignait que ces mesures – mise en place d’un dispositif de géolocalisation sur son
véhicule et réquisition à un opérateur de téléphonie pour recueillir les appels entrants et
sortants mais également « bornage » de lignes téléphoniques, permettant de suivre a
posteriori ses déplacements – avaient constitué une ingérence dans sa vie privée.
La Cour a conclu à la violation de l’article 8 (droit au respect de la vie privée) de la
Convention en ce qui concerne la mesure de géolocalisation en temps réel du 3 juin
2010 par apposition d’un récepteur GPS sur le véhicule du requérant, jugeant que, dans
le domaine des mesures de géolocalisation en temps réel, le droit français, écrit et non
écrit, n’indiquait pas, au moment des faits, avec assez de clarté, l’étendue et
les modalités d’exercice du pouvoir d’appréciation des autorités. Le requérant n’avait dès
lors pas joui du degré minimal de protection voulu par la prééminence du droit dans une
société démocratique. La Cour a cependant pris note que par la suite la France s’est
dotée d’un dispositif législatif encadrant le recours à la géolocalisation et renforçant la
protection du droit au respect de la vie privée (loi du 28 mars 2014). La Cour a par
ailleurs conclu à l’absence de violation de l’article 8 concernant la réquisition
judiciaire adressée à un opérateur de téléphonie mobile le 24 juillet 2009 pour obtenir la
liste des bornes déclenchées par la ligne téléphonique du requérant afin de retracer a
posteriori ses déplacements. Elle a relevé à cet égard que la réquisition judiciaire avait
constitué une ingérence dans la vie privée du requérant mais que celle-ci était prévue
par la loi. Visant en outre à permettre la manifestation de la vérité dans le cadre d’une
procédure pénale relative à des faits d’importation de stupéfiants en bande organisée,
d’association de malfaiteurs et de blanchiment, la réquisition judiciaire avait poursuivi un
but légitime, à savoir la défense de l’ordre, la prévention des infractions pénales ainsi
que la protection de la santé publique. La Cour a également estimé que cette mesure
avait été nécessaire dans une société démocratique car elle avait visé à démanteler un
trafic de stupéfiants de grande ampleur. Enfin, les informations obtenues par ce biais
avaient été utilisées dans le cadre d’une enquête et d’un procès pénal au cours duquel le
requérant avait bénéficié d’un contrôle effectif tel que voulu par la prééminence du droit.

Harcèlement en ligne
Volodina c. Russie (n° 2) 6
14 septembre 2021
Cette affaire portait sur les allégations de la requérante selon lesquelles les autorités
russes auraient manqué à la protéger d’actes répétés de harcèlement en ligne.
Elle soutenait, en particulier, que son ancien compagnon aurait utilisé son nom,
ses données personnelles et des photos intimes pour créer de faux profils sur des
réseaux sociaux, qu’il aurait placé un traceur GPS dans son sac à main, qu’il lui aurait
adressé des menaces de mort via les réseaux sociaux et que les autorités n’auraient pas
enquêté de manière efficace sur ces allégations.
La Cour a conclu à la violation de l’article 8 (droit au respect de la vie privée) de la
Convention, jugeant que les autorités russes avaient failli aux obligations qui leur
incombaient au titre de cette disposition de protéger la requérante de graves abus. Elle a

6
. Le 16 septembre 2022, la Fédération de Russie a cessé d’être Partie à la Convention.

16
Fiche thématique – Nouvelles technologies

relevé, en particulier, que, alors qu’elles disposaient des outils juridiques pour poursuivre
le compagnon de la requérante, les autorités n’ont pas enquêté de manière effective et
ne se sont, à aucun stade quelconque, interrogées sur ce qui aurait pu ou aurait dû être
fait pour protéger la requérante du harcèlement en ligne récurrent.

Interception de radio- ou télécommunications


Roman Zakharov c. Russie 7
4 décembre 2015
Cette affaire portait sur le système d’interception secrète des communications de
téléphonie mobile en Russie. Le requérant, rédacteur en chef d’une maison d’édition,
alléguait en particulier que les opérateurs de réseaux mobiles en Russie étaient tenus en
vertu de la loi d’installer un dispositif permettant aux organes d’application des lois de
mener à bien des mesures opérationnelles d’investigation et que, en l’absence de
garanties suffisantes en droit russe, ce système rendait possible l’interception
généralisée des communications.
La Cour a conclu à la violation de l’article 8 (droit au respect de la vie privée et de la
correspondance) de la Convention, jugeant que les dispositions du droit russe régissant
l’interception de communications ne comportent pas de garanties adéquates et effectives
contre l’arbitraire et le risque d’abus inhérent à tout système de surveillance secrète,
risque qui est particulièrement élevé dans un système tel que celui de la Russie, où les
services secrets et la police jouissent grâce à des moyens techniques d’un accès direct à
l’ensemble des communications de téléphonie mobile. Plus particulièrement, la Cour a
constaté des défaillances du cadre juridique dans les domaines suivants : les
circonstances dans lesquelles les pouvoirs publics peuvent recourir à des mesures de
surveillance secrète ; la durée de ces mesures, notamment les circonstances dans
lesquelles elles doivent être levées ; les procédures relatives à l’autorisation de
l’interception ainsi qu’à la conservation et à la destruction des données interceptées ; le
contrôle des interceptions. De plus, l’effectivité des recours permettant de se plaindre de
l’interception de communications est compromise par le fait qu’ils sont ouverts
uniquement aux personnes qui sont à même de prouver l’interception, et par le fait que
l’obtention d’une telle preuve est impossible en l’absence de tout système de notification
ou de possibilité d’accès aux informations sur les interceptions.
Brambilla et autres c. Italie
23 juin 2016
Cette affaire portait sur la condamnation de trois journalistes ayant intercepté des
radiocommunications échangées par des gendarmes dans le but de se rendre
rapidement sur les lieux d’un crime et de relater les informations dans un journal local.
La Cour a conclu à la non-violation de l’article 10 (liberté d’expression) de la
Convention. Rappelant la notion de journalisme responsable et relevant que les décisions
des juridictions nationales avaient été dûment motivées, notamment en accordant une
place primordiale à la défense de la sécurité nationale, de l’ordre et à la prévention du
crime, la Cour a jugé en particulier que les juridictions italiennes avaient établi une
distinction appropriée entre le devoir des trois journalistes de respecter la loi interne,
interdisant de manière générale l’interception par une personne de toute communication
qui ne lui est pas adressée dont celles des forces de police, et la poursuite de leur
activité journalistique, non limitée en tant que telle. La Cour a également relevé que les
sanctions ordonnées par les juridictions internes, consistant en la saisie des
appareils-radio et en la condamnation à des peines de privation de liberté, n’avaient pas
été disproportionnées, les trois journalistes ayant bénéficié d’une suspension de peine et
les autorités ne leur ayant pas interdit de porter à la connaissance du public des
faits divers.

7
. Le 16 septembre 2022, la Fédération de Russie a cessé d’être Partie à la Convention.

17
Fiche thématique – Nouvelles technologies

Internet8
Perrin c. Royaume-Uni
18 octobre 2005 (décision sur la recevabilité)
Cette affaire portait sur la condamnation à 30 mois d’emprisonnement pour publications
obscènes sur Internet d’un ressortissant français établi au Royaume-Uni qui exploitait un
site internet (détenu par une société qui avait son siège aux États-Unis) montrant des
scènes sexuellement explicites.
La Cour a déclaré irrecevable, pour défaut manifeste de fondement, le grief tiré par le
requérant de l’article 10 (liberté d’expression) de la Convention. Elle a jugé en
particulier que la condamnation pénale de l’intéressé avait été nécessaire dans une
société démocratique aux fins de la protection de la morale et/ou des droits d’autrui, et
que la peine infligée n’avait pas été disproportionnée.
Paeffgen GmbH c. Allemagne
18 septembre 2007 (décision sur la recevabilité)
Cette affaire portait sur une action introduite contre la société requérante, qui faisait
du e-commerce, par d’autres sociétés et par des particuliers qui soutenaient que
l’enregistrement et l’utilisation par l’intéressée de différents noms de domaine sur
Internet portaient atteinte à leurs droits à la marque et / ou à leurs droits au nom et
au nom commercial.
La Cour a déclaré irrecevable, pour défaut manifeste de fondement, le grief tiré par le
requérant de l’article 1 (protection de la propriété) du Protocole n° 1 à la Convention.
Elle a jugé que les décisions par lesquelles les juridictions internes avaient ordonné à la
société requérante de retirer les domaines litigieux avaient respecté un juste équilibre
entre la protection des biens de l’intéressée et les exigences de l’intérêt général
(consistant en l’espèce à mettre fin aux violations des droits à la marque de tiers
commises par la société requérante).
K.U. c. Finlande (no 2872/02)
2 décembre 2008
Cette affaire concernait une annonce à caractère sexuel publiée sur un site de rencontres
par internet relativement à un garçon de 12 ans. La législation finlandaise en vigueur au
moment des faits 9 ne permettait pas à la police ni aux tribunaux d’exiger du fournisseur
d’accès à Internet (FAI) qu’il divulgue l’identité de la personne qui avait publié l’annonce,
et le FAI, s’estimant lié par la confidentialité, refusait de communiquer cette information.
La Cour a conclu à la violation de l’article 8 (droit au respect de la vie privée) de la
Convention. Elle a considéré que la publication de l’annonce était un acte de nature
pénale, et qu’il avait désigné un mineur comme cible pour les pédophiles. Elle a estimé
que le législateur aurait dû prévoir un cadre permettant de concilier la confidentialité des
services internet avec la défense de l’ordre, la prévention des infractions pénales et la
protection des droits et libertés d’autrui, en particulier ceux des enfants et des autres
personnes vulnérables.
Times Newspapers Ltd c. Royaume-Uni (nos 1 & 2)
10 mars 2009
La société requérante, propriétaire et éditrice du quotidien The Times, alléguait que la
règle de droit britannique voulant que chaque consultation d’informations diffamatoires
publiées sur Internet puisse donner lieu à une action en diffamation (« la règle relative à
la publication sur Internet ») portait atteinte de manière injustifiée et disproportionnée à
sa liberté d’expression. En décembre 1999, le Times avait publié deux articles
prétendument diffamatoires à l’égard d’un particulier. Ces articles avaient été publiés sur
le site web du Times le jour de leur publication dans la version papier du journal.

8
. Voir également la fiche thématique « Accès à Internet et liberté de communiquer des informations ».
9
. Entre le moment des faits et l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme, la loi sur l’exercice de la
liberté d’expression dans les médias avait établi un cadre juridique.

18
Fiche thématique – Nouvelles technologies

Au cours de la procédure pour diffamation intentée relativement à cette publication, il fut


ordonné au Times d’ajouter sur les deux articles de l’archive internet un avertissement
indiquant que ces articles faisaient l’objet d’une procédure en diffamation et ne
devaient être ni utilisés ni reproduits sans consultation préalable du service juridique de
la société requérante.
La Cour a souligné dans cet arrêt que, grâce à leur accessibilité ainsi qu’à leur capacité à
conserver et à diffuser de grandes quantités de données, les sites internet contribuent
grandement à améliorer l’accès du public à l’actualité et, de manière générale, à faciliter
la communication de l’information. Elle a conclu en l’espèce à la non-violation de
l’article 10 (liberté d’expression) de la Convention : étant donné que les archives
étaient gérées par le journal lui-même et que les tribunaux nationaux n’avaient pas
indiqué que les articles devaient en être retirés purement et simplement, elle a estimé
que l’exigence faite au journal de nuancer de manière adéquate la version internet des
articles n’avait pas été disproportionnée.
Willem c. France
16 juillet 2009
Cette affaire portait sur l’appel au boycott de produits israéliens par un maire, au moyen
notamment d’un message diffusé sur le site internet de la commune. Le maire fut
condamné pour provocation à la discrimination.
La Cour a conclu à la non-violation de l’article 10 (liberté d’expression) de la
Convention. Les motifs avancés par les juridictions françaises pour justifier l’ingérence
dans le droit du requérant à la liberté d’expression avaient été « pertinents et
suffisants » aux fins de l’article 10 de la Convention. Par ailleurs, l’amende infligée en
l’espèce, d’une relative modicité, n’avait pas été disproportionnée au but poursuivi.
Renaud c. France
25 février 2010
Le requérant se plaignait d’avoir été condamné pour diffamation et injure publique à
l’endroit d’un maire sur le site internet de l’association dont il était président
et webmestre.
La Cour a conclu à la violation de l’article 10 (liberté d’expression) de la Convention.
Elle a considéré que la condamnation du requérant avait été disproportionnée par
rapport au but légitime consistant à protéger la réputation et les droits d’autrui.
Comité de rédaction de Pravoye Delo et Shtekel c. Ukraine
5 mai 2011
Cette affaire avait principalement pour objet l’absence de garanties adéquates en droit
ukrainien pour les journalistes utilisant des informations tirées d’Internet.
Plus particulièrement, elle portait sur une procédure de diffamation dirigée contre un
quotidien régional et contre son rédacteur en chef, suite à la publication d’une lettre
téléchargée sur Internet dans laquelle il était allégué que les hauts fonctionnaires locaux
étaient corrompus et qu’ils avaient des liens avec les chefs d’une organisation criminelle.
Les requérants furent condamnés à publier des excuses et à verser la somme de
15 000 hryvnias ukrainiennes (2 394 euros environ), somme à laquelle le plaignant
renonça par la suite dans le cadre d’un règlement amiable.
La Cour a conclu que, n’étant pas prévue par la loi, la condamnation du rédacteur-en-
chef à publier des excuses avait été contraire à l’article 10 (liberté d’expression) de la
Convention. Elle a conclu également à la violation de l’article 10 faute de garanties
adéquates pour les journalistes utilisant des informations obtenues sur Internet.
Notamment, « compte tenu du rôle joué par l’Internet dans le cadre des activités
professionnelles des médias …) et de son importance dans l’exercice du droit à la liberté
d’expression en général (…), la Cour [a] consid[éré] que l’absence d’un cadre légal
suffisant au niveau interne permettant aux journalistes d’utiliser des informations tirées
de l’Internet sans crainte de s’exposer à des sanctions entrave gravement l’exercice par
la presse de sa fonction vitale de “chien de garde” (…) » (§ 64 de l’arrêt).

19
Fiche thématique – Nouvelles technologies

Mosley c. Royaume-Uni
10 mai 2011
Cette affaire portait sur la publication, dans le journal News of the World et sur son site
internet, d’articles, d’images et de séquences vidéo dévoilant en détail les activités
sexuelles de Max Mosley. Le requérant se plaignait que le journal n’ait pas été tenu en
droit interne de le prévenir avant la publication de manière à lui permettre d’intenter une
action en référé.
La Cour a conclu à la non-violation de l’article 8 (droit au respect de la vie privée) de
la Convention. Elle a estimé en particulier que la Convention européenne des droits de
l’homme n’exige pas des médias qu’ils avertissent à l’avance les personnes au sujet
desquelles ils entendent publier des informations.
Ahmet Yıldırım c. Turquie
18 décembre 2012
Cette affaire portait sur la décision d’un tribunal de bloquer l’accès à « Google Sites » qui
hébergeait un site internet dont le propriétaire faisait l’objet d’une procédure pénale pour
outrage à la mémoire d’Atatürk. Cette mesure de blocage avait pour effet de verrouiller
également l’accès à tous les autres sites hébergés par le serveur. Le requérant se
plaignait de l’impossibilité d’accéder à son site internet du fait de cette mesure ordonnée
dans le cadre d’une affaire pénale qui n’avait aucun rapport ni avec lui, ni avec son site.
Il voyait dans cette mesure une atteinte à son droit à la liberté de recevoir et
communiquer des informations et des idées.
La Cour a conclu à la violation de l’article 10 (liberté d’expression) de la Convention.
Elle a estimé que la mesure en cause avait eu des effets arbitraires et que le contrôle
juridictionnel du blocage d’accès n’avait pas réuni les conditions suffisantes pour éviter
les abus.
Ashby Donald et autres c. France
10 janvier 2013
Cette affaire portait sur la condamnation de photographes de mode pour contrefaçon
pour avoir diffusé sans l’autorisation de maisons de haute couture des photographies,
prises par l’un des requérants lors de défilés de mode en 2003, sur le site internet d’une
société dédiée à la mode et gérée par les deux autres requérants.
La Cour a conclu à la non-violation de l’article 10 (liberté d’expression) de la
Convention. Dans les circonstances de l’espèce et eu égard à la marge d’appréciation
particulièrement importante dont disposent les autorités internes, la nature et la gravité
des sanctions infligées aux requérants n’étaient pas telles que la Cour puisse conclure
que l’ingérence litigieuse était disproportionnée par rapport au but poursuivi.
Neij et Sunde Kolmisoppi c. Suède
19 février 2013 (décision sur la recevabilité)
Dans cette affaire, deux des cofondateurs de « The Pirate Bay », l’un des plus grands
sites internet au monde permettant l’échange de fichiers torrents, alléguaient que leur
condamnation pour complicité d’infraction à la loi sur le copyright avait méconnu leur
liberté d’expression.
La Cour a déclaré la requête irrecevable pour défaut manifeste de fondement. Elle a
estimé que le partage, ou le fait de faciliter le partage, de ce type de fichiers sur
Internet, même de données protégées par le copyright et à des fins lucratives, relève du
droit « de recevoir ou de communiquer des informations » au sens de l’article 10 (liberté
d’expression) de la Convention. Toutefois, elle a jugé que les juridictions internes avaient
procédé à une juste mise en balance des intérêts concurrents en jeu – à savoir le droit
des requérants de recevoir et de communiquer des informations et la nécessité de
protéger le copyright – lorsqu’elles ont condamné les requérants.

20
Fiche thématique – Nouvelles technologies

Akdeniz c. Turquie
11 mars 2014 (décision sur la recevabilité)
Cette affaire portait sur une mesure de blocage de l’accès à deux sites internet, au motif
que ceux-ci diffusaient des œuvres musicales sans respecter la législation sur les droits
d’auteur. Le requérant, qui avait déposé sa requête devant la Cour européenne des
droits de l’homme en tant qu’utilisateur des sites en question, dénonçait en particulier
une violation de sa liberté d’expression.
La Cour a déclaré la requête irrecevable (incompatible ratione personae), jugeant que
le seul fait que le requérant subisse les effets indirects d’une mesure de blocage
concernant deux sites consacrés à la diffusion de la musique ne saurait suffire pour qu’il
se voie reconnaître la qualité de « victime » au sens de l’article 34 (droit de requête
individuelle) de la Convention. Tout en soulignant que les droits des usagers d’Internet
revêtent aujourd’hui une importance primordiale pour les individus, la Cour a néanmoins
relevé notamment que les deux sites, qui étaient des sites internet spécialisés dans la
diffusion musicale, avaient été bloqués parce qu’ils ne respectaient pas la législation
relative aux droits d’auteur. En tant qu’utilisateur de ces sites, le requérant avait
bénéficié de leurs services et il ne s’était trouvé privé que d’un moyen parmi d’autres
d’écouter de la musique. La Cour a en outre considéré que l’intéressé pouvait sans
difficulté accéder à tout un éventail d’œuvres musicales par de multiples moyens sans
que cela n’entraîne une infraction aux règles régissant les droits d’auteur.
Delfi AS c. Estonie
16 juin 2015 (Grande Chambre)
Cette affaire est la première dans laquelle la Cour a été appelée à examiner un grief
relatif à la responsabilité d’un portail d’actualités sur Internet en raison des
commentaires laissés par les internautes sur ce dernier. La société requérante, qui
exploitait à titre commercial un portail d’actualités, se plaignait que les juridictions
nationales l’aient jugée responsable des commentaires injurieux laissés par ses visiteurs
sous l’un de ses articles d’actualités en ligne, qui concernait une compagnie de
navigation. À la demande des avocats du propriétaire de la compagnie de navigation, la
société requérante avait retiré les commentaires injurieux environ six semaines après
leur publication.
La Cour a conclu à la non-violation de l’article 10 (liberté d’expression) de la
Convention, jugeant que la décision des juridictions estoniennes de tenir la société
requérante pour responsable avait été justifiée et n’avait pas constitué une restriction
disproportionnée du droit de l’intéressée à la liberté d’expression. La Grande Chambre a
tenu compte du caractère extrême des commentaires en cause, du fait qu’ils avaient été
laissés en réaction à un article publié par la requérante sur un portail d’actualités que
celle-ci exploitait à titre professionnel dans le cadre d’une activité commerciale, de
l’insuffisance des mesures prises par la requérante pour retirer sans délai après leur
publication les commentaires injurieux, ainsi que du caractère modéré de la somme
(320 euros) que la requérante avait été condamnée à payer.
Cengiz et autres c. Turquie
1er décembre 2015
Cette affaire portait sur le blocage d’accès à YouTube, un site web permettant aux
utilisateurs d’envoyer, de regarder et de partager des vidéos. Les requérants se
plaignaient en particulier d’une atteinte à leur droit à la liberté de recevoir et de
communiquer des informations et des idées.
La Cour a conclu à la violation de l’article 10 (liberté d’expression) de la Convention,
jugeant en particulier que les requérants, enseignants dans différentes universités,
s’étaient trouvés pendant une longue période dans l’impossibilité d’accéder à YouTube et
qu’en leur qualité d’usagers actifs, eu égard aux circonstances de l’espèce, ils pouvaient
légitimement prétendre que la mesure de blocage avait affecté leur droit de recevoir et
de communiquer des informations et des idées. Par ailleurs, la Cour a observé que
YouTube est une plateforme unique permettant la diffusion d’informations ayant un

21
Fiche thématique – Nouvelles technologies

intérêt particulier, notamment en matière politique et sociale, ainsi que l’émergence d’un
journalisme citoyen. La Cour a estimé également que la loi ne permettait pas au juge
national de bloquer totalement l’accès à Internet et en l’occurrence à YouTube en raison
de l’un de ses contenus.
Kalda c. Estonie
19 janvier 2016
Dans cette affaire, un détenu se plaignait du refus des autorités de lui accorder un accès
à trois sites internet gérés par l’État et par le Conseil de l’Europe et publiant des
informations juridiques. Le requérant alléguait en particulier que l’interdiction qui lui
avait été faite en vertu du droit estonien d’accéder à ces sites spécifiques avait emporté
violation de son droit de recevoir des informations via Internet et l’avait empêché de
mener des recherches juridiques en vue de plusieurs procédures judiciaires qu’il
avait engagées.
La Cour a conclu à la violation de l’article 10 (liberté d’expression) de la Convention.
Elle a jugé en particulier que les États ne sont pas tenus de fournir aux détenus un accès
à Internet. Toutefois, si un État contractant accepte d’autoriser un tel accès, il doit alors
motiver son refus de donner accès à des sites spécifiques. Dans les circonstances
spécifiques de l’espèce, les raisons avancées pour interdire au requérant l’accès aux trois
sites internet en question, à savoir des motifs de sécurité et des considérations de coût,
ne suffisaient pas à justifier l’ingérence dans l’exercice par l’intéressé de son droit de
recevoir des informations. Notamment, les autorités estoniennes avaient déjà pris des
mesures de sécurité quant à l’utilisation d’Internet par les détenus au moyen
d’ordinateurs spécialement adaptés à cette fin, sous le contrôle des autorités
pénitentiaires, et avaient supporté les coûts y afférents. De plus, en réalité, les
juridictions nationales ne s’étaient livrées à aucune analyse détaillée des risques en
matière de sécurité qui pouvaient découler de l’autorisation d’accès aux trois sites
additionnels en question, eu égard au fait que ceux-ci étaient gérés par une organisation
internationale et par l’État lui-même.
Voir aussi : Jankovskis c. Lituanie, arrêt du 17 janvier 2017.
Magyar Tartalomszolgáltatók Egyesülete et Index.hu Zrt c. Hongrie
2 février 2016
Cette affaire portait sur la responsabilité d’un organe d’autorégulation des prestataires
de services de contenu sur Internet et d’un portail d’actualités sur Internet pour des
commentaires grossiers et injurieux laissés par des internautes sur leurs sites web à la
suite de la publication d’une opinion critiquant les pratiques commerciales trompeuses de
deux sites web d’annonces immobilières. Les requérants se plaignaient des décisions
rendues à leur encontre par les juridictions hongroises, soutenant que ces décisions
faisaient peser sur eux en pratique une obligation de modération de la teneur des
commentaires laissés sur leurs sites par les internautes, ce qui, selon eux, allait à
l’encontre de l’essence même de la liberté d’expression sur Internet.
La Cour a conclu à la violation de l’article 10 (liberté d’expression) de la Convention.
Elle a rappelé en particulier que, même s’ils ne sont pas les éditeurs des commentaires
au sens traditionnel du terme, les portails d’actualités sur Internet doivent en principe
assumer certains devoirs et responsabilités. La Cour a toutefois considéré qu’en l’espèce,
lorsqu’ils avaient tranché la question de la responsabilité des requérants, les juges
hongrois n’avaient pas dûment mis en balance les droits divergents en cause, à savoir
d’une part celui des requérants à la liberté d’expression et d’autre part celui des sites
d’annonces au respect de leur réputation commerciale : notamment, ils avaient admis
d’emblée que les commentaires étaient illicites car attentatoires à la réputation des sites
web d’annonces immobilières.
Dallas c. Royaume-Uni
11 février 2016
Cette affaire portait sur la condamnation de la requérante pour atteinte à l’autorité de la
justice (contempt of court) parce qu’elle avait effectué sur Internet une recherche sur

22
Fiche thématique – Nouvelles technologies

le procès pénal dans lequel elle siégeait en qualité de juré. La requérante estimait que
l’infraction de common law d’atteinte à l’autorité de la justice n’était pas
suffisamment claire.
La Cour a conclu à la non-violation de l’article 7 (pas de peine sans loi) de la
Convention. Elle a jugé, en particulier, que le critère retenu en l’espèce pour définir
l’atteinte à l’autorité de la justice était à la fois accessible et prévisible. La fonction
créatrice de droit des tribunaux était restée cantonnée dans des limites raisonnables et
le jugement dans le procès de la requérante pouvait passer, dans une large mesure,
pour une étape dans la clarification graduelle des règles de responsabilité pénale pour
atteinte à l’autorité de la justice par le biais de l’interprétation judiciaire. Toute évolution
du droit qui en aurait résulté était conforme à la substance de l’infraction et
raisonnablement prévisible.
Pihl c. Suède
7 février 2017 (décision sur la recevabilité)
Le requérant, qui avait fait l’objet d’un commentaire diffamatoire anonyme publié sur un
blog en ligne, engagea une action civile à l’encontre de la petite association à but non
lucratif qui tenait le blog en cause, arguant que la responsabilité de celle-ci devait être
retenue pour le commentaire qui avait été posté par un tiers. Les juridictions suédoises
puis le chancelier de la Justice le déboutèrent. Devant la Cour, le requérant reprochait
aux autorités de ne pas avoir protégé sa réputation et d’avoir porté atteinte à son droit
au respect de la vie privée par leur refus d’imputer une responsabilité à l’association.
La Cour a déclaré la requête irrecevable pour défaut manifeste de fondement. Elle a
observé en particulier que, dans les affaires telles que la présente, il y avait lieu de
ménager un équilibre entre, d’une part, le droit au respect de la vie privée, et, d’autre
part, la liberté d’expression accordée aux personnes et aux collectifs de personnes qui
gèrent un portail internet. Au vu des circonstances de l’affaire, la Cour a jugé que, en
refusant de tenir l’association pour responsable relativement au commentaire anonyme,
les autorités nationales avaient ménagé un juste équilibre. En effet, même si le
commentaire en cause présentait un caractère offensant, il ne s’assimilait pas à un
discours de haine ni à une incitation à la violence, il avait été posté sur un petit blog
tenu par une association à but non lucratif, il avait été retiré le lendemain du jour où le
requérant avait déposé une réclamation dans ce sens et il n’était donc resté en ligne que
pendant neuf jours environ.
Bărbulescu c. Roumanie
5 septembre 2017 (Grande Chambre)
Cette affaire avait pour objet la décision d’une entreprise privée de mettre fin au contrat
de travail d’un employé – le requérant – après avoir surveillé ses communications
électroniques et avoir eu accès à leur contenu. Le requérant alléguait que la décision de
son employeur reposait sur une violation de sa vie privée et que les juridictions
nationales avaient failli à leur obligation de protéger son droit au respect de la vie privée
et de la correspondance.
La Cour a conclu, par onze voix contre six, à la violation de l’article 8 (droit au respect
de la vie privée et de la correspondance) de la Convention, jugeant que les autorités
roumaines n’avaient pas correctement protégé le droit du requérant au respect de sa vie
privée et de sa correspondance. Elles n’avaient donc pas ménagé un juste équilibre entre
les intérêts en jeu. En particulier, les juridictions nationales n’avaient pas, d’une part,
vérifié si le requérant avait été préalablement averti par son employeur de la possibilité
que ses communications soient surveillées et n’avaient pas non plus, d’autre part, tenu
compte du fait qu’il n’avait été informé ni de la nature ni de l’étendue de cette
surveillance, ni du degré d’intrusion dans sa vie privée et sa correspondance. De
surcroît, les juridictions nationales n’avaient pas déterminé, premièrement, quelles
raisons spécifiques avaient justifié la mise en place des mesures de surveillance,
deuxièmement, si l’employeur aurait pu faire usage de mesures moins intrusives pour la
vie privée et la correspondance du requérant et, troisièmement, si l’accès au contenu
des communications avait été possible à son insu.

23
Fiche thématique – Nouvelles technologies

M.L. et W.W. c. Allemagne (nos 60798/10 et 65599/10)


28 juin 2018
Cette affaire portait sur le refus de la Cour fédérale de justice d’interdire à trois médias
différents le maintien de l’accès sur leurs portails internet à des dossiers de presse
concernant la condamnation des requérants pour meurtre d’un acteur connu,
mentionnés par leurs noms complets. Les requérants se plaignaient d’une atteinte à leur
droit au respect de leur vie privée.
La Cour a conclu à l’absence de violation de l’article 8 (droit au respect de la vie
privée) de la Convention. Elle a partagé en particulier la conclusion de la Cour fédérale
allemande qui avait rappelé que les médias ont pour mission de participer à la formation
de l’opinion démocratique en mettant à la disposition du public des informations
anciennes conservées dans leurs archives. La Cour a également rappelé que la manière
de traiter un sujet relève de la liberté journalistique et que l’article 10 (liberté
d’expression) de la Convention laisse aux journalistes le soin de décider quels détails
doivent être ou non publiés, sous la condition que ces choix répondent aux normes
éthiques et déontologique de la profession. L’inclusion dans un reportage d’éléments
individualisés, tel le nom complet de la personne visée, constitue un aspect important du
travail de la presse, d’autant plus lorsqu’il s’agit d’une procédure pénale ayant suscité un
intérêt public considérable que l’écoulement du temps n’a pas fait disparaître.
Enfin, la Cour a relevé qu’au cours de leur dernière demande de révision du procès en
2004, les requérants s’étaient eux-mêmes tournés vers la presse à laquelle ils avaient
transmis un certain nombre de documents tout en l’invitant à en tenir le public informé.
Cette attitude relativisait leur espérance d’obtenir l’anonymisation des reportages
en cause ou encore un droit à l’oubli numérique. En conclusion, compte tenu de la marge
d’appréciation des autorités nationales lorsqu’elles mettent en balance des intérêts
divergents, de l’importance de conserver l’accessibilité à des reportages acceptés comme
licites et du comportement des requérants vis-à-vis de la presse, la Cour a estimé
qu’il n’y avait pas de raisons sérieuses de substituer son avis à celui de la Cour fédérale
de justice.
Savva Terentyev c. Russie 10
28 août 2018
Cette affaire portait sur la condamnation du requérant pour incitation à la haine à la
suite de remarques insultantes sur des policiers qu’il avait faites dans un commentaire
d’article de blog.
La Cour a conclu à la violation de l’article 10 (liberté d’expression) de la Convention.
Elle a jugé en particulier que, si le langage employé par le requérant était insultant et
choquant, cet élément ne suffisait pas à lui seul à justifier l’ingérence dans son droit à la
liberté d’expression. Au lieu de voir dans ces propos un appel à la violence physique
contre les policiers, les juridictions internes auraient dû les examiner dans leur contexte
général, leur auteur ayant cherché de manière provocante à exprimer sa colère à l’égard
de ce qu’il considérait comme des irrégularités policières.
Magyar Jeti Zrt c. Hongrie
4 décembre 2018
Dans cette affaire, la société requérante avait été condamnée pour avoir affiché un
hyperlien vers une interview sur YouTube dont il avait été ultérieurement jugé qu’elle
avait un contenu diffamatoire. La société requérante soutenait que, en mettant en jeu sa
responsabilité parce qu’elle avait affiché sur son site internet l’hyperlien en question,
les juridictions internes avaient indûment restreint ses droits.
La Cour a conclu à la violation de l’article 10 (liberté d’expression) de la Convention.
Elle a souligné en particulier l’importance des hyperliens pour le bon fonctionnement
d’Internet et les a distingués des modes traditionnels de publication en ce qu’ils dirigent
les internautes vers des contenus disponibles au lieu de les fournir. Affinant sa
jurisprudence sur ces questions, la Cour a énuméré les éléments à retenir sur le terrain

10
. Le 16 septembre 2022, la Fédération de Russie a cessé d’être Partie à la Convention.

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Fiche thématique – Nouvelles technologies

de l’article 10 dans l’analyse de la question de savoir si l’affichage d’un hyperlien peut


engager la responsabilité de son auteur et a dit qu’un examen individuel s’imposait dans
chaque cas. En l’espèce, la Cour a relevé que le droit interne hongrois prévoyant
la responsabilité objective du diffuseur de matériaux diffamatoires excluait la possibilité
de tout examen réel du droit de la société requérante à la liberté d’expression alors que
les tribunaux auraient dû minutieusement analyser cette question. Une telle
responsabilité objective pour affichage d’hyperliens risque en outre de nuire à la
circulation des informations en ligne et de dissuader les auteurs et éditeurs d’articles
d’en faire usage s’ils ne peuvent pas contrôler les informations vers lesquelles ces liens
sont dirigés. Elle peut avoir un effet dissuasif sur la liberté d’expression en ligne. La Cour
a dès lors jugé que, globalement, les droits de la société requérante avaient été
indûment restreints.
Høiness c. Norvège
19 mars 2019
Cette affaire portait sur le refus des juridictions norvégiennes d’engager la responsabilité
civile de l’hébergeur d’un forum sur Internet après la publication sur le forum
en question de commentaires vulgaires concernant la requérante. Celle-ci soutenait
qu’en ne protégeant pas suffisamment son droit à la protection de sa réputation et en la
contraignant à payer des frais de justice d’un montant tel que celui octroyé aux
défendeurs dans le cas d’espèce, les autorités avaient porté atteinte à ses droits.
La Cour a conclu à la non-violation de l’article 8 (droit au respect de la vie privée) de
la Convention, jugeant que les droits de la requérante découlant de cette disposition
avaient été suffisamment préservés par les juridictions norvégiennes. Elle a considéré en
particulier qu’en s’efforçant de ménager un équilibre entre, d’une part, les droits de
l’intéressée découlant de l’article 8 et, d’autre part, le droit à la liberté d’expression
garanti par l’article 10 de la Convention au portail d’actualités et à l’hébergeur de forums
de discussion, les juridictions internes avaient agi dans les limites de leur pouvoir
d’appréciation (« marge d’appréciation »). Elle a estimé par ailleurs que les décisions des
juridictions nationales concernant les frais de justice accordés aux défendeurs n’avaient
pas emporté violation de l’article 8 de la Convention en l’espèce.
Beizaras et Levickas c. Lituanie
14 janvier 2020
Les requérants, deux jeunes hommes qui entretenaient une relation, se plaignaient du
refus des autorités lituaniennes d’ouvrir une enquête préliminaire à propos des
commentaires haineux qui avaient été publiés sur la page Facebook de l’un deux.
Ce dernier avait publié sur sa page Facebook une photographie sur laquelle tous deux
s’embrassaient, ce qui lui avait valu de recevoir sur Internet des centaines de
commentaires haineux, dont certains visaient les personnes LGBT en général et d’autres
contenaient des menaces dirigées contre eux personnellement. Les requérants y
voyaient une discrimination à raison de leur orientation sexuelle. Ils arguaient en outre
que ce refus les avait privés de la possibilité d’obtenir réparation en justice.
La Cour a conclu une violation de l’article 14 (interdiction de la discrimination)
combiné avec l’article 8 (droit au respect de la vie privée) de la Convention,
jugeant que les requérants avaient subi une discrimination à raison de leur orientation
sexuelle et que le gouvernement lituanien n’avait fourni aucune raison propre à
démontrer que cette différence de traitement était compatible avec les normes de
la Convention. La Cour a estimé en particulier que l’orientation sexuelle des requérants
avait joué un rôle dans la manière dont leur cas avait été traité par les autorités qui,
lorsqu’elles avaient refusé d’ouvrir une enquête préliminaire, avaient exprimé de
manière très claire qu’elles réprouvaient le fait que les requérants aient affiché aussi
publiquement leur homosexualité. Cette attitude discriminante avait privé les requérants
de la protection que le droit pénal leur garantissait contre tout appel non dissimulé à une
atteinte à leur intégrité physique et mentale. La Cour a également conclu à une
violation de l’article 13 (droit à un recours effectif) de la Convention au motif que les

25
Fiche thématique – Nouvelles technologies

requérants s’étaient vu refuser l’accès à un recours interne effectif propre à leur


permettre de faire valoir leurs griefs.
Vladimir Kharitonov c. Russie, OOO Flavus et autres c. Russie, Bulgakov c.
Russie et Engels c. Russie 11
23 juin 2020
Ces affaires portaient sur le blocage de sites internet en Russie et, en particulier,
différents types de mesures de blocage, à savoir : le blocage « collatéral » (lorsque
l’adresse IP bloquée est partagée par plusieurs sites, y compris l’adresse ciblée),
le blocage « excessif » (lorsque l’ensemble du site est bloqué en raison d’une seule page
ou d’un seul fichier) et le blocage « en gros » (trois médias en ligne avaient été bloqués
par le Procureur général pour leur couverture de certaines informations). Les requérants
se plaignaient du blocage, selon eux illégal et disproportionné, de l’accès à leurs sites
internet et reprochaient aux juridictions russes de ne pas avoir examiné leurs griefs
sur le fond.
La Cour a conclu à la violation de l’article 10 (droit à la liberté d’expression) de la
Convention et à la violation de l’article 13 (droit à un recours effectif) combiné avec
l’article 10. Elle a souligné en particulier l’importance d’Internet en tant qu’outil
essentiel dans l’exercice du droit à la liberté d’expression. La Cour a notamment constaté
que les dispositions de la loi russe sur l’information, utilisées pour bloquer les sites
internet, avaient produit des effets excessifs et arbitraires et n’avaient pas fourni de
garanties appropriées contre les abus.
Société Éditrice de Mediapart et autres c. France
14 janvier 2021
Cette affaire portait l’injonction faite à Mediapart, site d’information d’actualités en ligne,
son directeur et un journaliste, de retirer du site du journal la publication d’extraits
d’enregistrements illicites réalisés au domicile de Mme Bettencourt, principale actionnaire
du groupe L’Oréal. Les requérants alléguaient que l’injonction en question avait porté
atteinte à leur droit à la liberté d’expression.
La Cour a conclu à la non-violation de l’article 10 (liberté d’expression) de la
Convention, jugeant que les motifs invoqués par les juridictions internes avaient été
pertinents et suffisants pour démontrer que l’ingérence litigieuse avait été nécessaire
dans une société démocratique », et que l’injonction prononcée n’était pas allée au-delà
de ce qui était nécessaire pour protéger Mme Bettencourt de l’atteinte à son droit au
respect de sa vie privée. Elle a observé, en particulier, que malgré le rôle essentiel qui
revient aux médias dans une société démocratique, les journalistes ne sauraient en
principe être déliés de leur devoir de respecter les lois pénales de droit commun au motif
que l’article 10 de la Convention leur offrirait une protection inattaquable. En effet,
les atteintes à la vie privée résultant d’une intrusion dans l’intimité des individus
commises par des dispositifs techniques d’écoutes, de vidéo ou de photographies
clandestines doivent faire l’objet d’une protection particulièrement attentive. La Cour a
également relevé que les sites internet sont des outils d’information et de
communication qui se distinguent particulièrement de la presse écrite, notamment quant
à leur capacité à emmagasiner et à diffuser l’information, et que les communications en
ligne et leur contenu risquent bien plus que la presse écrite de porter atteinte à
l’exercice et à la jouissance des droits et libertés fondamentaux, en particulier du droit
au respect de la vie privée.
Biancardi c. Italie
25 novembre 2021
Cette affaire, portant sur le « droit à l’oubli », est la première affaire dans laquelle la
Cour a statué sur la compatibilité avec l’article 10 (liberté d’expression) de la Convention
de la condamnation au civil d’un journaliste pour non-désindexation d’informations
publiées sur Internet. Le requérant, ancien rédacteur-en-chef d’un journal en ligne, avait

11
. Le 16 septembre 2022, la Fédération de Russie a cessé d’être Partie à la Convention.

26
Fiche thématique – Nouvelles technologies

été condamné au civil pour avoir conservé sur le site internet de son journal un article
relatant une bagarre dans un restaurant, en donnant des détails sur la procédure pénale
ouverte à ce sujet. Les tribunaux nationaux avaient notamment relevé que l’intéressé
n’avait pas désindexé les tags de l’article, si bien que n’importe qui pouvait taper dans
un moteur de recherche le nom du restaurant ou de son propriétaire et avoir accès à des
informations sensibles sur la procédure pénale, alors que le restaurateur avait demandé
la suppression de l’article.
Dans la présente affaire, la Cour a conclu à la non-violation de l’article 10 (liberté
d’expression) de la Convention, jugeant que les décisions des juridictions nationales
s’analysaient en une restriction justifiable à la liberté d’expression du requérant –
d’autant plus que celui-ci n’avait pas été tenu de retirer définitivement l’article de
l’Internet. En particulier, la Cour a observé que non seulement les fournisseurs de
moteurs de recherche sur Internet, mais aussi les administrateurs de journaux
ou d’archives journalistiques accessibles en ligne, comme le requérant, pouvaient être
tenus de désindexer des documents. La Cour a également approuvé les décisions
des juridictions internes selon lesquelles l’accès prolongé et aisé aux informations sur la
procédure pénale concernant le restaurateur avait porté atteinte à son droit à
la réputation.
Wikimedia Foundation, Inc. c. Turquie
1er mars 2022 (décision sur la recevabilité)
Cette affaire portait sur la demande de la Présidence de la télécommunication et de
l’informatique de supprimer des pages du site internet de la fondation requérante et sur
le blocage de l’intégralité de son site en raison de l’impossibilité technique de ne bloquer
que ces quelques pages. La requérante alléguait que le blocage de l’accès à l’intégralité
du site web Wikipédia s’analysait en une atteinte injustifiée à son droit à la liberté
d’expression et que la procédure de contrôle juridictionnel des mesures de blocage de
sites web ne réunissait pas les conditions suffisantes pour éviter les abus. Elle soutenait
qu’il n’existait aucune voie de recours effective en droit turc et que le recours individuel
dont elle avait saisi la Cour constitutionnelle était devenu ineffectif étant donné que son
activité consistait à publier le contenu des pages de son site en temps utile.
La Cour a déclaré la requête irrecevable, jugeant que la requérante avait perdu sa
qualité de victime. Elle a rappelé, en particulier, avoir conclu dans de nombreuses
affaires relatives à la liberté d’expression que le recours constitutionnel devait être
considéré comme une voie de recours à épuiser, au sens de l’article 35 § 1 (conditions
de recevabilité) de la Convention, pour de tels griefs. En l’espèce, la Cour a pris note du
caractère systémique du problème soulevé. Cependant, elle ne disposait pas d’éléments
suffisamment pertinents donnant à penser que la Cour constitutionnelle turque (CCT)
n’était pas capable de remédier au problème. En effet, la CCT avait rendu en matière de
blocage de sites web plusieurs arrêts qui lui avaient permis d’établir de nombreux
critères devant guider les autorités nationales et les juridictions appelées à examiner les
mesures de blocage. Dans cette affaire, la Cour a considéré que, par le biais du recours
individuel dont elle avait été saisie, la CCT avait reconnu en substance la violation de
l’article 10 (liberté d’expression) de la Convention et avait réparé de manière adéquate
et suffisante le préjudice subi par la requérante à cet égard.
Xavier Lucas c. France
9 juin 2022
Cette affaire portait sur l’obligation de saisir la cour d’appel par voie électronique, via la
plateforme e-barreau. Alors que la cour d’appel avait admis la recevabilité du recours en
annulation d’une sentence arbitrale présenté, sur papier, par le requérant au motif que
le formulaire informatique mis en ligne ne permettait pas de saisir la nature de ce
recours et la qualité des parties, la Cour de cassation jugea au contraire qu’il aurait dû
être remis par voie électronique. Le requérant se plaignait d’une atteinte à son droit
d’accès à un tribunal, au motif que son recours en annulation avait été rejeté comme
irrecevable faute d’avoir été présenté par voie électronique.

27
Fiche thématique – Nouvelles technologies

La Cour a conclu à la violation de l’article 6 § 1 (accès à un tribunal) de


la Convention, jugeant que le requérant s’était vu imposer une charge disproportionnée
qui rompait le juste équilibre entre, d’une part, le souci légitime d’assurer le respect des
conditions formelles pour saisir les juridictions et d’autre part le droit d’accès au juge.
À l’instar du requérant, qui faisait valoir qu’il lui était matériellement impossible de saisir
le recours sur la plateforme e barreau, la Cour a notamment constaté que la remise par
voie électronique du recours en annulation sur e-barreau supposait que l’avocat de
l’intéressé complète le formulaire en utilisant des notions juridiques impropres. Elle a
relevé, en outre, que le gouvernement français n’avait pas démontré que des
informations précises relatives aux modalités d’introduction du recours litigieux se
trouvaient à la disposition des utilisateurs. La Cour a considéré en l’espèce qu’en faisant
prévaloir le principe de l’obligation de communiquer par voie électronique pour saisir la
cour d’appel sans prendre en compte les obstacles pratiques auxquels s’était heurté le
requérant pour la respecter, la Cour de cassation avait fait preuve d’un formalisme que
la garantie de la sécurité juridique et de la bonne administration de la justice n’imposait
pas et qui devait, dès lors, être regardé comme excessif.
Hurbain c. Belgique
4 juillet 2023 (Grande Chambre)
Cette affaire portait sur la condamnation civile du requérant, en tant qu’éditeur
responsable du quotidien Le Soir, à anonymiser, au nom du « droit à l’oubli », l’archive
électronique d’un article mentionnant le nom complet d’un conducteur – responsable
d’un accident de la route meurtrier survenu en 1994.
La Cour a conclu à la non-violation de l’article 10 (liberté d’expression) de
la Convention, jugeant que, compte tenu de la marge d’appréciation dont disposent
les États, les juridictions belges avaient soigneusement réalisé une mise en balance des
droits en présence conforme aux exigences de la Convention, de sorte que l’ingérence
dans le droit garanti par l’article 10 découlant de l’anonymisation de l’article dans sa
version électronique figurant sur le site internet du journal Le Soir avait été réduite au
strict nécessaire et pouvait dès lors, dans les circonstances de l’espèce, passer pour
nécessaire dans une société démocratique et proportionnée. La Cour a relevé,
en particulier, que les juridictions nationales avaient pris en compte de manière
cohérente la nature et la gravité des faits de nature judiciaire relatés dans l’article
litigieux, l’absence d’actualité ou d’intérêt historique ou scientifique de celui-ci, ainsi que
l’absence de notoriété du conducteur. De plus, elles avaient attaché de l’importance
au préjudice grave souffert par le conducteur suite au maintien en ligne de l’article
litigieux en libre accès, laquelle était de nature à créer un « casier judiciaire virtuel »,
eu égard notamment au temps qui s’était écoulé depuis la publication de l’article
d’origine. En outre, après un examen des mesures envisageables pour la mise
en balance des droits en présence, examen dont l’étendue correspondait aux normes
procédurales en vigueur en Belgique, elles avaient conclu que l’anonymisation litigieuse
n’avait pas constitué, pour le requérant, une charge exorbitante et excessive, tout en
ayant représenté, pour le conducteur, la mesure la plus efficace pour la protection de
sa vie privée.
Requêtes pendantes
Akdeniz et Altiparmak c. Türkiye (n° 5568/20)
Requête communiquée au gouvernement turc le 26 août 2020
Cette requête porte sur la restriction d’accès à plus de 600 contenus sur Internet (sites
d’information et comptes de réseaux sociaux) par des décisions adoptées en 2015 et en
2016 par l’entité administrative chargée de télécommunications.
La Cour a communiqué la requête au gouvernement tuc et posé des questions aux
parties sous l’angle des articles 10 (liberté d’expression) et 18 (limitation de l’usage des
restrictions aux droits) de la Convention.

28
Fiche thématique – Nouvelles technologies

Akdeniz et Altiparmak c. Türkiye (n° 35278/20)


Requête communiquée au gouvernement turc le 9 février 2021
Cette requête porte sur la restriction d’accès à 111 contenus sur Internet (sites
d’information, sites de vidéos et comptes de réseaux sociaux) par une décision adoptée
en octobre 2015 par l’entité administrative chargée de télécommunications.
La Cour a communiqué la requête au gouvernement tuc et posé des questions aux
parties sous l’angle des articles 10 (liberté d’expression) et 18 (limitation de l’usage des
restrictions aux droits) de la Convention.

Technologie de reconnaissance faciale


Glukhin c. Russie 12
4 juillet 2023 13
Cette affaire portait sur l’utilisation par les autorités de la technologie de reconnaissance
faciale contre le requérant après que celui-ci se fut livré à une manifestation solo dans le
métro de Moscou. L’intéressé fut identifié puis localisé grâce à la technologie de
reconnaissance faciale après avoir voyagé avec une silhouette en carton grandeur nature
d’un manifestant dont le cas avait été largement médiatisé qui brandissait une banderole
sur laquelle on pouvait lire : « Je risque jusqu’à cinq ans (...) pour des manifestations
pacifiques ». Le requérant soutenait en particulier que sa condamnation administrative
et le recours à la technologie de reconnaissance faciale aux fins du traitement de ses
données à caractère personnel avaient porté atteinte à son droit au respect de la vie
privée et à sa liberté d’expression.
La Cour a conclu à la violation de l’article 8 (droit au respect de la vie privée) de la
Convention dans le chef du requérant, jugeant que le traitement des données
personnelles biométriques de l’intéressé au moyen de la technologie de reconnaissance
faciale dans le cadre d’une procédure pour infraction administrative – qui avait poursuivi
d’abord le but de l’identifier à partir des photographies et de la vidéo publiées
sur Internet puis celui de le localiser et de l’interpeller alors qu’il voyageait dans le métro
de Moscou – n’avait pas répondu à « un besoin social impérieux » et ne pouvait être
considéré comme « nécessaire dans une société démocratique ». La Cour a relevé
en particulier que les mesures prises contre le requérant avaient revêtu un caractère
particulièrement intrusif face à ce qui avait été une manifestation pacifique qui n’avait
représenté aucune menace pour la sécurité du public ou des transports. En réalité,
à la suite de cette manifestation, le requérant n’avait été poursuivi que pour infraction
mineure. La Cour a également conclu dans cette affaire à la violation de
l’article 10 (liberté d’expression) de la Convention, jugeant que les juridictions internes
n’avaient pas avancé de « raisons pertinentes ou suffisantes » pour justifier que
l’intéressé ait été conduit jusqu’au poste de police, placé en état d’arrestation
et condamné.

Téléphone portable
Breyer c. Allemagne
30 janvier 2020
En application des modifications apportées en 2004 à la loi allemande sur les
télécommunications, les opérateurs furent placés dans l’obligation de recueillir et de
conserver les données personnelles relatives à tous leurs clients, y compris les
utilisateurs de cartes SIM prépayées, ce qui n’était pas le cas auparavant.
Les requérants, qui militaient pour la défense des libertés publiques et réprouvaient la
surveillance opérée par l’État, utilisaient ce type de cartes et durent par conséquent faire

. Le 16 septembre 2022, la Fédération de Russie a cessé d’être Partie à la Convention.


12

. Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 (arrêts définitifs) de la Convention
13

européenne des droits de l’homme.

29
Fiche thématique – Nouvelles technologies

enregistrer auprès de leurs opérateurs leurs données personnelles telles que leur
numéro de téléphone, leur date de naissance, leur nom et leur adresse. Ils se plaignaient
devant la Cour de la conservation de leurs données personnelles dans le cadre de
l’utilisation par eux de cartes SIM prépayées.
La Cour a conclu à la non-violation de l’article 8 (droit au respect de la vie privée) de
la Convention, jugeant que l’Allemagne n’avait pas outrepassé les limites de la latitude
(« marge d’appréciation ») dont elle jouissait dans l’application de la loi en question,
lorsqu’elle avait choisi les moyens d’atteindre les buts légitimes que sont la protection de
la sécurité nationale et la lutte contre les infractions pénales, et que la conservation des
données personnelles des requérants avait été proportionnée et « nécessaire dans une
société démocratique ». La Cour a estimé en particulier que la collecte des noms et
adresses des requérants dans le cadre de l’utilisation par eux de cartes SIM prépayées
avait constitué une ingérence limitée dans l’exercice de leurs droits. Elle a toutefois
observé que la loi pertinente offrait des garanties complémentaires et que, par ailleurs,
les justiciables pouvaient saisir des organes indépendants chargés de la protection des
données afin qu’ils contrôlent les demandes de données émanant des autorités et, le cas
échéant, former un recours.
Requête pendante
Minteh c. France (n° 23624/20)
Requête communiquée au gouvernement français le 31 mai 2021
Cette affaire porte sur la condamnation pénale du requérant, pour avoir refusé de
communiquer le code de déverrouillage de son téléphone portable aux policiers durant
sa garde à vue.
La Cour a communiqué la requête au gouvernement français et posé des questions aux
parties sous l’angle des articles 6 § 1 (droit à un procès équitable) et 8 (droit au respect
de la vie privée et de la correspondance) de la Convention.

Utilisation de caméras cachées


Haldimann et autres c. Suisse
24 février 2015
Cette affaire portait sur la condamnation de quatre journalistes pour avoir enregistré et
diffusé l’interview réalisée en caméra cachée d’un courtier en assurance privée, dans le
cadre d’un reportage télévisé destiné à dénoncer les mauvais conseils délivrés par les
courtiers en la matière. Les requérants se plaignaient que leur condamnation au
versement d’amendes pénales avait constitué une ingérence disproportionnée dans leur
droit à la liberté d’expression.
La Cour était avec cette affaire pour la première fois saisie d’une requête concernant
l’utilisation de caméras cachées par des journalistes afin de sensibiliser le public à un
sujet d’intérêt général, la personne enregistrée n’étant pas visée personnellement, mais
comme représentant d’une catégorie professionnelle. En l’espèce, la Cour a conclu à la
violation de l’article 10 (liberté d’expression) de la Convention, estimant notamment
que l’ingérence dans la vie privée du courtier, qui avait renoncé à s’exprimer sur
l’entretien en question, n’avait pas été d’une gravité telle qu’elle devait occulter l’intérêt
du public à être informé de malfaçons en matière de courtage en assurances. La Cour a
en outre observé également qu’il convenait d’accorder le bénéfice du doute aux
requérants quant à leur volonté de respecter les règles de déontologie journalistique
définies par le droit suisse puisqu’ils avaient notamment limité l’usage de la
caméra cachée.
Bremner c. Turquie
13 octobre 2015
Cette affaire portait sur la diffusion d’un reportage télévisé dans lequel le requérant, qui
s’emploie à déployer un prosélytisme évangélique, était montré comme un « marchand
de religion étranger » menant des activités secrètes en Turquie. L’intéressé alléguait que

30
Fiche thématique – Nouvelles technologies

la diffusion du reportage et le refus des autorités judiciaires de faire droit à sa demande


d’indemnisation avaient porté atteinte à son droit au respect de sa vie privée.
La Cour a conclu à la violation de l’article 8 (droit au respect de la vie privée) de la
Convention, jugeant en particulier que la diffusion de l’image non floutée du requérant
ne saurait être regardée comme une contribution à un quelconque débat d’intérêt
général pour la société quel que soit le degré d’intérêt que porte la société à la question
du prosélytisme religieux. En ce qui concerne la méthode utilisée, la Cour a considéré
que l’usage d’une technique aussi intrusive et attentatoire à la vie privée que celle de la
caméra cachée doit en principe être restreint. Certes, dans certains cas, l’usage de la
caméra cachée peut s’avérer nécessaire pour le journaliste lorsque les informations sont
difficiles à obtenir par un autre moyen. Toutefois cet outil doit être utilisé dans le respect
des règles déontologiques et en faisant preuve de retenue.
Voir aussi :
Erdtmann c. Allemagne
5 janvier 2016 (décision sur la recevabilité)

Vidéosurveillance
Peck c. Royaume-Uni
28 janvier 2003
Dans cette affaire, le requérant, qui souffrait de dépression, se plaignait de la divulgation
aux médias d’une séquence filmée par une caméra de télévision en circuit fermé (CTCF)
installée dans la rue et qui le montrait marchant seul avec un couteau de cuisine à la
main (il tenta par la suite de suicider en se tranchant les veines du poignet, ce que ne
montrait pas la séquence de la CTCF), cette démarche ayant eu pour conséquence que
des images de lui-même avaient été largement publiées et diffusées. Il dénonçait
également l’absence de tout recours interne effectif pour dénoncer cette situation.
La Cour a estimé que la divulgation des séquences litigieuses par la mairie n’avait pas
été entourée de garanties suffisantes et avait porté une atteinte disproportionnée
et injustifiée à la vie privée du requérant, en violation de l’article 8 (droit au respect
de la vie privée) de la Convention. L’intéressé n’avait en outre pas disposé, à l’époque
pertinente, d’un recours effectif qui lui eût permis de se plaindre d’un abus de
confiance, en violation de l’article 13 (droit à un recours effectif) combiné avec
l’article 8 de la Convention.
Perry c. Royaume-Uni
17 juillet 2003
Le requérant fut arrêté après qu’eut été commise une série de vols à main armée sur la
personne de chauffeurs de taxi, puis relâché en attendant que se tienne une séance
d’identification. Comme il ne s’était pas présenté à la séance prévue ni à plusieurs autres
séances ultérieures, la police sollicita l’autorisation de le filmer en secret avec une
caméra vidéo. Le requérant se plaignait que la police l’avait filmé en secret en vue de
l’identifier puis avait utilisé le film vidéo dans le cadre des poursuites dirigées contre lui.
La Cour a conclu à la violation de l’article 8 (droit au respect de la vie privée) de la
Convention. Elle a relevé que rien n’indiquait que le requérant s’attendait à ce qu’on le
filme au poste de police à des fins d’identification au moyen d’un enregistrement vidéo ni
à ce que le film soit éventuellement utilisé comme preuve à charge lors de son procès.
Le stratagème adopté par la police avait outrepassé l’utilisation normale de ce type de
caméra et constitué une ingérence dans l’exercice par le requérant de son droit au
respect de sa vie privée. Cette ingérence n’était par ailleurs pas prévue par la loi, la
police n’ayant pas respecté les procédures énoncées par le code applicable : elle n’avait
pas obtenu le consentement du requérant, ne l’avait pas averti de l’enregistrement vidéo
et, de surcroît, ne l’avait pas informé de ses droits à cet égard.

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Fiche thématique – Nouvelles technologies

Köpke c. Allemagne
5 octobre 2010 (décision sur la recevabilité)
La requérante, qui travaillait comme caissière dans un supermarché, fut licenciée sans
préavis pour vol, à la suite d’une mesure de surveillance vidéo secrète mise en œuvre
par son employeur avec l’aide d’une agence de détectives privés. Elle contesta en vain
son licenciement devant les juridictions du travail. De même, son recours constitutionnel
fut rejeté.
La Cour a déclaré irrecevable, pour défaut manifeste de fondement, le grief de la
requérante tiré de l’article 8 (droit au respect de la vie privée) de la Convention. Elle a
conclu que les autorités internes avaient ménagé un juste équilibre entre le droit au
respect de la vie privée de l’employée, l’intérêt pour son employeur de protéger son droit
au respect de ses biens et l’intérêt public d’une bonne administration de la justice. Elle a
observé cependant que le poids respectif des différents intérêts concurrents en jeu
pourrait évoluer à l’avenir, compte tenu de la mesure dans laquelle de nouvelles
technologies de plus en plus sophistiquées rendent possibles les atteintes à la vie privée.
Riina c. Italie
11 mars 2014 (décision sur la recevabilité)
Le requérant, condamné à la réclusion à perpétuité pour avoir commis des crimes très
graves, entre autres association de malfaiteurs de type mafieux et de multiples
assassinats, se plaignait de la vidéosurveillance constante dans sa cellule, y compris
dans les toilettes. Il affirmait que les recours internes contre ces mesures
étaient inefficaces.
La Cour a déclaré la requête irrecevable sous l’angle des articles 3 (interdiction des
traitements inhumains ou dégradants) et 8 (droit au respect de la vie privée et familiale)
de la Convention, jugeant que le requérant n’avait pas épuisé les voies de recours
internes à sa disposition pour contester l’application de la mesure de vidéosurveillance.
Vasilică Mocanu c. Roumanie
6 décembre 2016
Cette affaire portait sur les conditions de détention du requérant dans les locaux de
la police. Le requérant alléguait également que sa cellule était équipée d’une caméra de
vidéosurveillance, fonctionnant en permanence et pouvant le filmer.
La Cour a conclu à la violation de l’article 8 (droit au respect de la vie privée) de la
Convention, jugeant que la surveillance du requérant par une caméra, qui se trouvait
dans la cellule où il avait été placé dans les locaux de la police départementale, n’était
pas prévue par la loi interne.
Antović et Mirković c. Monténégro
28 novembre 2017
Dans cette affaire, deux professeurs de l’École de mathématiques de l’Université du
Monténégro soulevaient un grief tiré d’une atteinte alléguée à la vie privée, qui aurait
résulté de l’installation d’un système de vidéosurveillance dans leurs lieux
d’enseignement. Ils soutenaient qu’il n’y avait eu aucun contrôle effectif sur les
informations collectées et que la surveillance était illégale. Les tribunaux internes
rejetèrent toutefois leur action en réparation, considérant qu’aucune question de vie
privée ne se posait, car les amphithéâtres où les intéressés enseignaient étaient des
lieux publics.
La Cour a conclu à la violation de l’article 8 (droit au respect de la vie privée) de la
Convention, jugeant que la vidéosurveillance en cause n’était pas prévue par la loi. Elle a
tout d’abord rejeté l’exception d’irrecevabilité soulevée par le Gouvernement lequel
arguait qu’aucune question relative à la vie privée ne se posait parce que la zone sous
surveillance était un lieu public de travail. A cet égard, la Cour a relevé en particulier
qu’elle avait considéré auparavant que la vie privée pouvait inclure les activités
professionnelles. Elle a estimé que c’était le cas dans la situation des requérants et que
l’article 8 était donc applicable. Sur le fond, la Cour a ensuite jugé que
la vidéosurveillance constituait une ingérence dans l’exercice par les requérants de leur

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Fiche thématique – Nouvelles technologies

droit à la vie privée et que les éléments de preuve montraient que cette
vidéosurveillance méconnaissait les dispositions du droit interne. En effet, les tribunaux
internes n’avaient même pas cherché à trouver une justification légale pour
la surveillance, car ils avaient décidé dès le départ qu’il n’y avait aucune atteinte à la
vie privée.
Gorlov et autres c. Russie 14
2 juillet 2019
Cette affaire portait sur la mise sous surveillance vidéo permanente de détenus dans
leurs cellules au moyen de caméras de télévision en circuit fermé. Les intéressés
voyaient en particulier dans la surveillance constante de leurs cellules, parfois par des
gardiennes, une violation de leur droit au respect de leur vie privée.
La Cour a conclu à la violation de l’article 8 (droit au respect de la vie privée) de
la Convention, jugeant que la mesure en question n’était pas prévue par la loi.
Tout en reconnaissant qu’il pourrait être nécessaire de surveiller certaines zones
des établissements pénitentiaires, ou certains détenus sur une base permanente,
elle a estimé en particulier que le cadre juridique entourant en Russie
la vidéosurveillance permanente n’était pas suffisamment claire, précis et détaillé
pour offrir une protection appropriée contre l’ingérence arbitraire des pouvoirs publics
dans le droit au respect de la vie privée. La Cour a conclu également, dans le chef
de deux des requérants, à la violation de l’article 13 (droit à un recours effectif) de
la Convention en combinaison avec l’article 8, jugeant qu’ils n’avaient disposé
d’aucune voie de recours interne effective pour exposer leur grief de violation du droit
au respect de leur vie privée.
Voir aussi, récemment : Izmestyev c. Russie, arrêt du 27 août 2019.
López Ribalda et autres c. Espagne
17 octobre 2019 (Grande Chambre)
Cette affaire portait sur la mise sous vidéosurveillance secrète d’employées, à l’origine
de leur licenciement. Celles-ci estimaient inéquitables le recours à une vidéosurveillance
dissimulée et l’utilisation par les juridictions nationales des données ainsi obtenues
aux fins de conclure à la légitimité de leurs licenciements. Les requérantes qui avaient
signé des accords transactionnels allèguent également que la signature des accords avait
été obtenue sous la contrainte, après le visionnage des enregistrements vidéo, et que
ces accords n’auraient pas dû être admis comme preuves de la validité de
leurs licenciements.
La Grande Chambre a conclu à la non-violation de l’article 8 (droit au respect de la
vie privée) de la Convention dans le chef des cinq requérantes. Elle a jugé en particulier
que les tribunaux espagnols avaient minutieusement mis en balance les droits des
requérantes – des employées d’un supermarché soupçonnées de vols – et ceux de
l’employeur, et qu’ils avaient examiné en détail la justification de la vidéosurveillance.
Un des arguments des requérantes était qu’elles n’avaient pas été averties au préalable
de leur mise sous surveillance, malgré une obligation légale, mais la Cour a jugé qu’une
telle mesure était clairement justifiée en raison des soupçons légitimes d’irrégularités
graves et des pertes constatées, considérant l’étendue et les conséquences de cette
mesure. En l’espèce, les tribunaux internes avaient donc conclu, sans outrepasser leur
marge d’appréciation, que cette surveillance avait été proportionnée et légitime. La Cour
a conclu également dans cette affaire à la non-violation de l’article 6 § 1 (droit à un
procès équitable) de la Convention, jugeant en particulier que l’utilisation comme
preuves des images obtenues par vidéosurveillance n’avait pas porté atteinte au
caractère équitable de la procédure.

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Tél. : +33 (0)3 90 21 42 08

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. Le 16 septembre 2022, la Fédération de Russie a cessé d’être Partie à la Convention.

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