WJ Cinéma: Cahiers

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CAHIERS

WJ CINÉMA
CAHI ERS DU CI NE MA R E V U E M E N S U E L L E DU C IN EM A E T DU TE L EC IN E MA
146, CHAMPS-ELYSÉES, PARIS (8e) - ÉLYSÉES 05-38
R EDACTEURS EN CHEiF ; A. BAZIN, J. DONIOL-VALCROZE ET LO DUC A
D IR EC TE U R-G ER A N T î L. KEIGEL

TOME V II AOUT-SEPTEMBRE 1954

1 SO M M A IR E

LES SOIXANTE ANS DE^EAN RENOIR


J e a n R enoir .................. Mes rêvçs ................................................................. .......... 2
Jé a n R e n o i r .............. A près la chasse {Extrait de « La Règle du Jeu ») 10
Philippe D em onsablon A propos du Carrosse dfor ......................................... 16

Jacques A udiherti Billet 2 (Cougas bantoux et ancestral aparté) . . 20


Lotte H. E isner ., A u Lido : D eux Festivals avant-coureurs . . . . . . . . 23
Nino F ra n k ........ A u Lido : M étrages de pellicules ................................. 27
P ie rre M ïchaut .. A Berlin e t à L o c am o : quelques films ..................... 29
A n d ré B azin ---- P e tit Jo u rn a l In tim e du C in ém a .................................36

LES FILMS
M aurice S ch érer Le m eilleur des m ondes (Les H o m m es préfèrent
les blondes) ........................ ........................... ............... 41
J e a n D om archi Alceste est d a n s le sac (Les H o m m e s préfèrent
les blondes) ................................................................... 45
Jacq u es Doniol-Vnlcroze Fiers co m m e des h o m m e s {Robinson C niso é) . . . . 46
François T ruffant .......... Les Nègres de la rue B lanche (River of no R e h m i,
Prince Vaillant, Capitaine King) .......................... 48
Philippe D em onsablon Le pire n ’est pas toujours sûr (Boots Malone) . . . . 51
J . D .V ., P h . D., R. L. Notes sur d’a u tre s films (Orage, T h e B a n d Wagon,
Les Infidèles, L es Frontières de la vie, Les
A m a n ts de la Villa Borghèse, Les H o m m e s ne
regardent pas le ciel, La Chasse au gang) . ,. , 53

R obert Lachenay te Vedettes sans m aquillage » d e Georges B au m e. 55


R. L........................ tt Le P ublic n 'a jam ais to rt » d'A dolphe Zukov ..
F. H ......................... « Motion P ictures 1940-49. C atalo? of Copyright
E ntries » .............................. .......... : ............................. 57
Films sortis en p re m iè re exclusivité à P a ris du
30 juin a u 17 ao û t 1954 ................................ ............ 60

NOTRE COUVERTURE :

Les aventures de R ob inson Crtisoé de Luis B unuel (P ro ­


duction : O sca r D ancigers et Henry F. EheHicb, 1953,
D istribution : A rtistes Associés).
Jean Renoir et la roue du Carrosse d’or

L E S S O IX A N T E A N S
DE JE A N R E N O IR

le 15 se p te m b re , J e a n R e n o ir au ra so ixa n te a n s. N ous ne sommes


es m aniaques d e V anniversaire, m ais Voccasion nous a pa ru bonne
m oigner une fois dé p lu s notre adm ira tio n e t notre a m itié à un
l réalisateur d o n t tous les film s, anciens ou récents, d e m e u re n t
m plaires leçons de ciném a e t é m e u v e n t à la m esure sans cesse
lissante d ’un h o m m e qui, p a r ses dons d ’a rtiste a u ta n t qu e p a r sa
iante personnalité, honore e t son m é tie r e t sa génération. D e plus,
la prem ière fois d epuis q u in ze arts, J e a n R enoir to urne un film en
■e — F rench C a n c a n — et le fa it e st a ssez m a rq u a n t pour m é rite r
i salué.
Encore bien m oins que c e u x d e notre n u m é ro 8 d e ja n v ie r 1952,
telques te x te s qui su iv e n t n ’ont p as la p ré te n tio n de constituer un
ro spécial e x h a u stif. N ous versons s im p le m e n t ces pièces au « dos-
\enoir » en h o m m a g e am ica l et reconnaissant.
LA REDACTION.

ï
1
J e a n R en oir

m s R ÊVES

N o u s reproduisons ici quelques extra its d e V ém issio n ra dio p h o n iq u e d e


L o tà s M illio n et E tie n n e B ie rr y t consacrée à Jean R e n o ir d a n s la série Le
Bureau des rêves perdus. Q ue les a nim ateurs d e la chaîne V a ris-ïn ter et
M . L o u is M o ttio n , qui n ous o n t autorisés à p ub lier ces p ro p o s , v e u ille n t bien
trouver ici V ex près $1071 d e noire reconnaissance.

LES SOLDATS DE PLOMB

Ah ! les soldats de plomb, cela a été une grande chose ! C’était une
grande chose pour tous les enfants de ma génération. Il y avait de très beaux
soldats de plomb à ce moment-là, que Ton fabriquait à 'Nuremberg. J étais
convaincu que ces soldats se fabriquaient en France. On m ’aurait dit qu’ils
étaient faits à l’étranger, je ne l'aurais jamais cru. Ceux que j ’aimais le mieux,
c’était ceux que j ’appelais les soldats de l ’Em pire. C’était des soldats de
l’époque napoléonienne. J ’aimais surtout les grenadiers de la Garde, avec
un grand bonnet. Je me voyais très souvent grenadier de la Garde, par
exemple en faction devant un bâtiment, mais j'étais dans une guérite, j ’avais
un très grand bonnet ; et non seulement un bonnet, mais un tablier, une haohe
et une grande barbe. J ’étais sapeur. Mon rêve était d'être dans les sapeurs
de la Garde de Napoléon. Je me voyais en campagne, — mais une campagne
extrêmement fantaisiste. Pour moi, la guerre, avec ses vraies misères, avec
ses vrais malheurs n’existait pas aux époques avec de beaux costumes. Pour
moi, la guerre c’est avec des costumes un peu crasseux •— par exemple les
tableaux d ’Alphonse de Neuville représentant les scènes de 1870, « Les Der­
nières Cartouches» m ’avaient terriblement frappé et fait peur. Cette guerre-là,
je la détestais, parce que c’était une guerre où il y avait du sang, où l’on se
tuait vraiment, où les gens avaient l’air de souffrir. J ’aimais les guerres de
Napoléon parce que — j ’avais cinq ou six ans —- j ’étais convaincu que, dans
les guerres de Napoléon, on ne mourait pas ; on faisait semblant de mourir.
On avait un grand geste; on mettait les deux mains sur son cæur. Il n’y avait
pas de sang, et l’on tombait dans les bras d ’une cantinière qui vous donnait

2
à boire d ’un tonneau. Tout cela, pour moi, c’était un peu comme de l’opéra.
Même, j ’y mêlais des motifs musicaux un peu vagues. E n réalité, pour moi,
c’était du théâtre, surtout de l'opéra.

g u ig n o l

Les débuts du metteur en scène, je les vois ailleurs. Gabrielle s’occupait


de moi — vous savez que c’est une cousine de ma mère. Ma mère lui a demandé
de venir à la maison, parce que j ’allais naître, pour l’aider à s’occu­
per de moi. Gabrielle m ’a enseigné des quantités de choses. Elle m’a en tout
cas enseigné à aimer ce que l’on appelle le spectacle. Quand j ’étais petit, elle
m’emmenait à Guignol. Nous avions sélectionné notre Guignol très soigneuse­
ment... Il y avait beaucoup de Guignols à Paris, à ce moment-là; un à Mont­
martre, il y en avait un aux Buttes-Chaumont, un aux Champs-Elysées et
un aux Tuileries. E t aussi au Luxembourg. Nous n ’aimions que celui des
Tuileries. C’était à cette époque-là un Guignol très classique. Le type était
arrivé de Lyon, il n ’y avait pas longtemps ; ses personnages étaient vraiment
taillés par lui-même dans du bois. Ce n ’était pas de la cire, ou ce n ’était pas
des poupées raffinées ; c’était des visages très grossièrement taillés au cou­
teau, les couleurs étaient extrêmement vives ; c’était vraiment le guignol clas­
sique avec Guignol, Gnafron, etc., et nous allions donc au Guignol des Tuile­
ries, et je me souviens très nettement de mon émotion. Lorsque j ’arrivais
(j’étais plus petit, j ’avais deux ans), nous entrions, avec Gabrielle, dans cette
enceinte où il y avait d ’autres enfants et d ’autres dames s’occupant des en­
fants, qui attendaient. Le rideau était baissé et il y avait une certaine heure
de l’après-midi où un rayon de soleil éclairait la scène, éclairait le rideau bais­
sé, et ce rideau baissé me terrifiait avec cet éclairage. Je pensais que, lorsqu’il
se lèverait, des choses extraordinaires arriveraient de l’autre côté, des choses
redoutables ; peut-être même des choses monstrueuses...

Le P e tite m a rc h a n d e d ’allum ettes (1928)

3.
V ' Le type venait devant — lë' directeur du Guignol venait devant le Guignol
et jouait un petit air d ’accordéon ; c’était aussi un instrument qui m’épou­
vantait, étant petit... C ’est un peu comme un serpent et le son qui en sort
est un son inhumain; cette imprécision, c’est le contraire de la vraie musique;
c’est le contraire d ’un violon ; on fait ce que l’on veut avec les cordes ; ce sont
des notes qui tombent là où elles doivent tomber. Il y avait cet air d ’accordéon
qui me bouleversait et le rideau commençait à bouger. Il y a v a it‘toujours un
petit frémissement, avant ce lever et je me souviens que, très souvent, à ce
moment-là, j ’ai fait pipi dans ma robe... Depuis, j ’ai toujours rêvé d ’arriver
à faire un spectacle, un film ou une pièce de théâtre où certains spectateurs
feraient pipi... Cela, pour moi, c’est très important. J ’ai presque eu ça
lorsque, pour la première fois, j ’ai vu <c Pétrouchkà » de Strawinsky. D ans
(.i Pétrouchkà », il y ,a un second rideau, un rideau peint par le décorateur.
Le premier rideau se lève. U n rideau qui se lève, cela m ’a toujours donné ce
mélange d ’angoisse, de joie infinie et de peur, un peu comme l'amour, comme
Pacte d ’amour... E t le rideau se levait. E t l’autre n ’était pas levé. C’était une
chose bouleversante, et cette ouverture commençait, et le rideau frémissait un
peu. J ’ai presque retrouvé mon impression... pas à ce point-là-, parce que
j ’avais une quinzaine d ’années, mais j ’ai presque retrouvé mon impression
de Guignol !

ALEXANDRE DUMAS

Lorsque je cessai d ’aller voir les mélodrames, parce que j ’entrais au


collège, je suis devenu le serviteur des livres que je lisais. Les premiers d ’ail­
leurs des livres que je lisais ressemblaient assez aux mélodrames que j ’avais
vus au Théâtre Montmartre. J 'a i lu surtout Alexandre Dumas père. Ceci, j ’y
pense parce que j ’ai lu une description assez exacte de l ’avenue Frochot dans
un livre, te Le Capitaine Pamphile »; au début de ce livre, il y a des scènes
qui se passent chez un peintre qui s’appelait Descamps ; il peignait des chiens
surtout, et il est évident que Descamps devait habiter une de ces maisons
que nous voyons de ma fenêtre. La .grande raison pour laquelle ces gens
avaient bâti ici, c’est parce que c’était la campagne. Les murs de Paris, les
fortifications de Paris étaient là où vous voyez la séparation d ’avec la place
Pigalle. C’était un mur droit, qui a été démoli par Louis-Philippe, qui a cons­
truit ce que nous avons appelé dans notre jeunesse les « fortifs», les fortifica­
tions romantiques avec les gens à casquettes et les apaches ; c’était les fortifi­
cations de Louis-Philippe. Les fortifications d ’avant Louis-Philippe étaient
ici exactement et c’est pour cela que ces boulevards s ’appellent « extérieurs ».
Ils l’étaiënt.
Cette petite colonie de peintres et d ’artistes, dont Alexandre Dumas,
avait obtenu des autorités militaires l ’ouverture d ’une petite poterne dans le
mur d ’enceinte et, par cette petite poterne, ils sautaient et ils allaient chasser
dans les buissons de la côte Clignanoourt, ici à côté, où, paraît-il, il y avait
beaucoup de perdrix.
Alexandre Dumas, dans mon esprit, disons dans mes rêves, existe plus
que par ce qu’il a écrit lui-même. C ’est un personnage que j ’adore maintenant,
en tant qu’homme qui ne rêve pas. C’est un personnage merveilleux, adorable,
mais il ne faisait pas partie de mes rêves d ’enfant. Alexandre Dumas, pour
moi, n ’existait pas. C’était un esprit. U n esprit qui, par un miracle curieux,

4
Pierre Renoir et Georges Koudria dans La Nuit du Carrefour (1932)

avait créé tout un monde extraordinaire, invraisemblable de gens charmants,


et que j ’adorais. C 'était surtout la période Henri III. J ’ai lu à cette époque
peut-être cent fois « L a Dame de Monsoreau » et « Les Quarante-Cinq », et
tout ce qui se passe autour de la Saint-Barthélémy et le commencement du
règne de Henri IV.

CAVALERIE, CERAMIQUE, CINEMATOGRAPHE

J ’ai commencé à comprendre que mon père était un artiste important, et


cela m ’a un peu épouvanté, et j ’ai essayé de diriger mon esprit vers tout ce
qui était contraire à l’art. Je ne pensais pas que ce serait bien de me lancer
dans un métier similaire, ressemblant à celui de mon père. Alors, je rêvais
d ’être commerçant, d ’être épicier. Je rêvais d ’être agriculteur en Algérie. Je
rêvais de quantité de choses comme cela, toutes, toutes extrêmement pratiques,
je dois le reconnaître. Heureusement, je n ’ai pas persisté, car je crois; que les
résultats eussent été lamentables ! i
Finalement, je me suis dit : « Voilà, il faut être fonctionnaire, mais fonc­
tionnaire dans un métier où Ton s’amuse un peu »; j ’aimais beaucoup les che­
vaux, alors j ’ai voulu être officier de cavalerie. E t d ’ailleurs, la guerre ayant
interrompu mes études —■ la guerre de 1914 —• je suis devenu officier de cava­
lerie et, une fois que j ’ai été officier de cavalerie, que j ’ai été officier de dra­
gons, ce qui était mon rêve de plusieurs années, cela ne m’a plus amusé du
tout. Je n ’ai plus eu qu’une idée : quitter l’armée. E t je me suis mis à faire
de la céramique. Il me semblait que la céramique gardait un petit côté indus­
triel. Je n ’avais pas 1’impression d ’essayer d ’être un artiste en faisant des
vases. J ’ai renoncé a1 la céramique pour une raison très simple. J ’ai compris
qu’il fallait ou bien — si l’on faisait de la céramique — être un artiste, c’est-
à-dire avoir la prétention de créer des œuvres individuelles et les vendre comme
des objets d ’art — et cela, je ne le voulais absolument pas ; ou bien, il fallait

5?
rentrer dans l’industrie, et je n ’y connaissais rien ! Il fallait rentrer à Creil
et Montréau et contribuer à la fabrication d ’un million de tasses à thé par an.
J ’en étais incapable, je n'ai pas fait d ’études pour cela, je ne le pouvais pas.
E t j ’ai renoncé à la céramique, parce que je me suis trouvé devant le dilemme:
ou faire cle l’industrie ou devenir ce que l’on appelle un artiste; j ’ai eu peur
de devenir un artiste, et j ’ai renoncé à la céramique, E t j ’ai fait du cinéma­
tographe.
!Cela m ’est venu de la façon suivante : la première fois où j ’ai eu cons­
cience que la cinématographie existait, c’était pendant la guerre. J ’étais pilote
dans une escadre d ’aviation et l’un de mes camarades était le fils du profes­
seur Richet. U n jour, il revint de permission et me dit : « Tu sais, mon père
m ’a emmené voir un spectacle cinématographique, un comique, un type qui
s’appelle Chariot ; et mon père prétend que, m aintenant que le cinématographe
a un type comme cela, cela va devenir un grand art. Alors, quand tu iras
en permission, va donc voir Chariot ». A la prochaine permission, je suis allé
voir Chariot. E t j ’ai été convaincu. Cela m’a bien épaté. Mais je ne pensais
pas faire du cinématographe.
Ensuite j ’ai été blessé. J ’ai eu une convalescence, je marchais avec des
béquilles' ; je m ’embêtais à Paris en convalescence ; je suis allé au cinéma ;
j ’ai fini par y aller jusqu’à trois fois par jour. Je voyais une moyenne de
vingt et un films par semaine ; ou plutôt vingt et un spectacles, car chaque
spectacle donnant deux films, cela faisait quarante-deux films. Je voyais sur­
tout des films américains. Je connais absolument par coeur tout le cinématogra­
phe américain de l’époque 1914-1919. Ce cinéma muet, je continue à l’admirer
beaucoup. D ’ailleurs, je suis allé à Hollywood ; j ’ai rencontré les gens qui
faisaient du cinématographe à cette époque et, évidemment, c’était des gens

T h e K nock-out (1914) est l’un des prem iers « C h a rio t » sortis en F rance,
un de ceux que le jeune Je an R enoir adm irait

6;
R obert Flaherty... et son chapeau

très bien. Us n ’étaient pas intellectuels. Ils faisaient cela comme on fait un
métier, comme on fait du cirque. Us avaient gardé une mentalité « baraque
foraine » qui explique le côté vivant et jeune de leurs films.
Pratiquement, les gens sont à l’écran —- quand ils sont bons et sincères —
sont à l ’écran assez comme ils sont dans la vie. E t peut-être qu’un très, très
grand art doit être plus que cela : un art de transposition. C’est possible.

ARRIVEE EN AMERIQUE

Je suis arrivé à New-York en hiver, avec un jour de soleil et un jour


brumeux ; c’était exactement comme un Claude Monnet, E t brusquement, j ’ai
compris pourquoi les Américains aiment tellement Claude Monnet. Claude
Monnet a, sans s’en douter, peint le paysage américain : les gratte-ciel qui
sortent de cette espèce de brouillard, quand on est assez loin ; quand on passe
devant la Statue de la Liberté, cela a cet aspect rosé que Monnet a tellement
réussi dans ses tableaux.
Mon impression... J ’arrivais avec... Reçu par des amis de toujours, c’est
Robert Flaherty, qui est mort maintenant, l’auteur de M oana et de L o ià sia n a
S ta r y , qui m’a reçu. C ’était un. frère, un homme merveilleux. Il n ’y avait
qu’une chose qui l'embêtait : c’était mon chapeau. J ’avais un chapeau comme
on les portait en France à cette époque-là, avec des bords très étroits. E t
cela lui semblait ridicule. Lyi avait un chapeau comme on les porte en Améri­
que, avec des bords très larges. De temps en temps, il me disait : « Chapeau,
chapeau, Jean, Jean... vous ne pouvez pas garder cela ! » Enfin, finalement,
il a pris mon chapeau et l’a piétiné. Puis, il m’a donné le sien.

7
RETOUR À PARIS

Je ne crois pas aux absences. Cela ne compte pas. Le temps est relatif,
nous le savons tous. Comme les rêve, comme la vie, comme les souvenirs ; où
est la vérité, où est l’illusion ? Nous n’en savons rien. Alors, pour moi, revenir
à Paris... je ne suis pas revenu à Paris : je suis arrivé comme si je ta is parti
la veille. M aintenant que je suis à Paris depuis six mois, je vois les change­
ments profoi»ds, les changements énormes.. Mais en arrivant, je ne les ai pas
vus ; en arrivant, il me semblait que j ’étais parti la veille. Que j ’étais allé
passer trois semaines dans le midi et je revenais. Je revenais. Je trouvais le
même crémier, le même boucher. Je suis allé avec ma femme faire le marché
rue des Martyrs. E t puis voilà, cela se passait de la même façon... Ce n ’est p as
de la tristesse tellement, c’est le fait que les générations montent, c’est le fait
que tout le monde se divise, de mille possibles^ façons différentes. Le monde
peut, peut-être, se diviser en nations, il peut aussi se diviser en religions, se

L a m aison de J e a n R enoir, avenue F ro ch o i

8
Jean Renoir dirigeant les répétitions de Jules César à Arles (photo André Bazin)

diviser en civilisations ; il se divise certainement en professions. Mais il se


divise aussi en générations, E t il est évident que chaque génération apporte
quelque chose que la génération d ’avant n ’avait pas ; et, étrangement, dans
le cadre — évidemment — de la même civilisation, il y a entre tous les gens
de la même génération des rapports incroyables, fantastiques ! Au fond, j ’ai
trouvé, chez mes très jeunes amis un peu de ce que j ’ai trouvé chez mes très
jeunes amis en Amérique..,

SHAKESPEARE, ARLES, ROME, CESAR

Mes rêves ce sont évidemment Shakespeare, Arles, Rome, Jules César.


Par ailleurs, j ’essaye de devenir un auteur dramatique. J ’ai écrit deux pièces.
E t le contact quotidien avec Shakespeare, c’est une très bonne école. Cela fait
beaucoup de bien. Le fait di’être forcé d ’étiqueter, de disséquer chaque mot
avec des acteurs est, pour moi, une école merveilleuse. E t je suis extrêmement
reconnaissant aux camarades qui m’ont permis de faire ce travail qui, pour
moi, est un entraînement prodigieux. L a traduction nouvelle que nous avons,
de M. et Mme Dabat est très près de Shakespeare, plus près de Shakerpeare
que de Rome. Pour mettre en scène JulesCésar, il faut le faire dans un esprit
d ’hommage évidemment à Arles et à' Jules César; mais il est extrêmement
difficile d’échapper à Shakespeare. Il est même possible que Shakespeare soit
plus fort que Rome, dans mon imagination. D ’ailleurs, au fond, les individus
et, surtout, les grands créateurs sont beaucoup plus forts que les civilisations,
puisque ce sont eux qui les font...

{Propos recueillis p our la R a d i o d if fu s io n F rançaise


par M. Louis M O LLIO N .)

9
Jean R enoir

APRÈS LA C H A SSE

(Extrait de La Règle du Jeu)

C ette photo, pour n’être pns précisém ent un plan de La Règle du jeu, n ’en a pas m oins
été prise pendant le tournage d’une scènej îilmée sous un angle assez différent. L’in térêt
de ce docum ent est de révéler avec une gran d e précision les rapports des principaux
personnages entre eux. A l’extrêriie droite avance O ctave (Jean Renoir), A côté de lui :
Geneviève de M aras (Mîla Parely), cachée p a r S aint-A ubin (P ierre Nay), lequel, avec
confiance, semble regarder les Jambes cfe C hristine (iVora G régor) qui m arch e h eureuse
a u b ra s de son m a ri : R obert La C hesnaye (Dalio) au g ra n d dépit d ’A ndré Ju rrie u (Roland
T outain) qui, la crosse en l’air, se reto u rn e su r le couple sans voir le regard am o u reu sem en t
attentif que lui adresse sa cousine Jackie (Anne Maven) qui m a rch e aux côtés de sa ta n te
C hristine, dissim ulant en partie le garde-chasse S c h u m a c h er (G aston Modot) qui regroupe
les rab a tte u rs dont on aperçoit en arrière-p lan les blouses blanches

^ II n?existe fin s qiC une seule copie intégrale de La Règle du Jeu. Les cou-pures,
qui varient entre 8 et i -z séquences, affectent toutes les copies encore en distribution.
N•ombreux certes, sont ceux de nos lecteurs qui connaissent par cœur, plan par plan
cette grande œuvre, mais peu d'entre eux. qui Vont pu voir dans son intégralité. C1est
à Vintention de ceux-là que nous publions — à Vétaf de synopsys — la troisième ei'
dernière -partie — dite communément de la poursuite -—■ de La Règle du Jeu, ce troi­
sième tiers étant le plus grièvement amputé.

10
Cet extrait présente, de surcroît, Vintérêt de révéler à tous Vextraordinaire habi­
leté de la construction de ce film — et -plus encore de cette troisième partie — et aussi,
doit 'permettre à chacun de discerner mieux ce que Jean Renoir a emprunté aux
« Caprices de Marianne n et au « Jeu de VAmour et du Hasard » qu'il avait pris
comme point de départ de ce film .
A fin de faciliter le « repérage », voici Vessentiel de la distribution des rôles.

Les Maîtres de « La Colinière ».


L e Marquis Robert La Chesnaye .......................................................... Marcel Dalio
Sa femme : Christine .,........................ Nora Grègof
Octave (ami d'enfance de Christine) .................................................. Jean Renoir

Les invités.
L ’aviateur André Jurrieu (amoureux de Christine et ami d ’Octave) Roland Tout air.
Saint'Aubin (qui « court après » Christine) ..........................................Pierre N ay
Monsieur La Bruyère ................................................................................ .... Franckeur
Madame La Bruyère ............................ ....................................................... Claire Gérard
Le Général ...................................................................................................... Pierre Magnier
Berthelin ...................................................................................................... ..... Corteggiani
Charlotte de la P l a n t e ........................................................................, . Odette Talaïac

Les domestiques.
Marceau (ex-braconnier promit domestique) ............................................. Julien Càrette
Lisette Schumacher {femme de chambre de Christine) ............... ............. Paulette Dubost
Gustave Schumacher (_garde-chasse, mari de L is e tte ) .......................... ..... Gaston Modot :
Nos lecteurs remarqueront que dans cet extrait — cependant très conforme — à
ce qui fu t effectivement tourné, un personnage manque a Vappel, celui de Geneviève
de AIaras, maîtresse de Robert La Chesnaye, rôle tenu par Mila Parély. C ’est proba­
blement dans Vétat suivant du scénario —- le découpage — qu' elle fu t introduite ou
peut-être même au tournage ? Pour la. bonne intelligence du texte, nous annoterons
chaque fois qu’il nous paraîtra nécessaire. (F .T .).

D ANS L E CHATEAU :
LE GRAND SALON

Cette fête consiste essentiellement dans la présentation de plusieurs déguisements :


— D ’abord Berthelin, Labruyère ainsi qu’un autre invité en tyroliens avec de
grandes barbes, dans un numéro à régler.
— Ensuite, les fiancés tyroliens représentés par Christine et Saint-Aubin.
Christine a un peu bu, Saint-Aubin la serre de très près et elle se laisse faire.
— Devant ces fiancés tyroliens, un numéro' de montreur d ’ours joué par Octave en
ours, André en bohémien et L a Chesnaye en joueur d ’orgues. Ce numéro réunira les
trois homme contre Saint-Aubin et Christine q u ’ils jugent mal se tenir.
Du vestibule la domesticité assiste à la fête. Marceau serre Lisette de très près,
Schumacher les aperçoit et les surveille.
— Un numéro de fantômes exécuté dans l ’obscurité, le salon n ’étant plus éclairé
que par des lanternes que tiennent à la main ces fantômes, justifie le commencement du
drame, à savoir :
CO TE D O M E S T IQ U E S : Schumacher n ’y tenant plus commence à poursuivre
Marceau qui se faufile, et disparaît dans le hall.

11
C O T E IN V IT E S : Saint-Aubin entraîne Christine également vers le halL La
Chesnaye et Octave ne s’en aperçoivent pas, parce que le premier est en train d ’aider
le second qui a trop chaud à retirer sa peau d ’ours, mais André .s’en aperçoit. Il laisse
tomber Jackie (r) qui l ’avait rejoint, et court derrière eux.
La musique de cette fête pourrait être :
r° Au piano, par Madame de La Plante : « La Chauve-Souris », interrompue net
par l ’entrée des barbus.
2° Pour les barbus « Gais et contents d, la chanson de Paulus, et « Nous avons
levé le pied ».
4° Le numéro du montreur d ’ours serait un air d ’orgue de barbarie, autant que
possible, pas une valse pour faire contraste avec « La Chauve-Souris ». mais par
exemple : « La Polka des Anglais ».
5° Les fantômes paraîtraient sur l ’air de « La Danse macabre » exécutée au
piano.
L E H A LL
D ’une part, Marceau échappe à Schumacher en se cachant derrière l’escalier.
D ’autre part, Saint-Aubin entraîne Christine dans l ’armurerie. André les cherche,
et pendant ce temps* Schumacher annonce à Lisette qu’il va quitter le service des La
Chesnaye, et l ’emmener en Alsace dans sa famille. Lisette refuse de quitter le ser­
vice de Madame (2).
A R M U R E R IE
André ouvre la porte de l ’armurerie, trouve Saint-Aubin aux pieds de Christine.
L utte entre les deux hommes. Marceau profite du bruit pour s’échapper vers le sous-
sol. Lisette le voit.
Description de la lutte entre André et Saint-Aubin, interrompue de temps en-
temps par des gens échappés du salon et qui traversent le hall, notamment par les
fantômes qui ont fini leur numéro.
SALON
Après le numéro des fantômes, on met l ’orchestrion en route et les invités valsent
HALL
. André est vainqueur ôe Saint-Aubin.
Lisette a échappé à Schumacher et rejoint Marceau dans le sous-sol. Jackie a
assisté à la fin de la lutte. Elle s’évanouit en voyant Christine suivre André dans l ’a r­
murerie. Corneille avise et fait emmener dans leurs chambres Saint-Aubin et Jackie.
A R M U R E R IE
Christine et André s’avouent q u ’ils s ’aiment, et que leur attitude pendant les
jours précédents n’était qu ’une comédie. Ils décident de fu ir ensemble, mais André
veut partir proprement après une conversation avec L a Chesnaye.
HALL
La Chesnaye et Octave se sont débarrassés de leur déguisement. Ils cherchent
Christine. ,
SOUS-SOL _
Marceau affirme à Lisette qu’il n’a pas peur de Schumacher, et que s’il le rencontre
il lùi cassera la figure. Néanmoins, par prudence ils se sont cachés dans la vaisselle-
rie. Schumacher les cherche. Un bruit maladroit qu’ils font attire son attention. I l les
trouve. Lutte dans la vaissellerie. Marceau s’enfuit, poursuivi par Schumacher, qui
tire son revolver. Lui-même est suivi de Lisette qui veut l ’arrêter. Ils sortent de la
vaissellerie, tournent autour de la table de l ’office, et remontent l’escalier vers le hall.
HALL
Us passent devant La Chesnaye et Octave qui cherchent toujours Christine, et la
réclament à Corneille.
(1) Ja ck ie, co u sin e d ’André Ju rrieu e s t a m o u r eu se d e lu i. (N D .R .L .)
(2) C e tte scèn e, en f a it, se d érou le p lu s tard q u e i .e l e p révoy ait l e scrip t, e t d a n s la
vaisseJIerie. (N.D.R.Lf.)

12
P E T I T SALON
Ils traversent le petit salon où le général et Madame de La Plante jouent aux
cartes, et renversent la table.
GRAND SALON
Ils traversent le grand salon qui applaudit, croyant à une atttraction,
H A LL
Ils reviennent par le couloir et traversent le hall. Marceau tente de se réfugier
dans l ’armurerie.
A R M U R E R IE
Il y trouve André et Christine. Celle-ci effrayée se précipite dans les bras d’An­
dré. Marceau veut empêcher Schumacher d ’entrer, et maintient la porte.
C O U L O IR
De l ’autre côté de la porte, La Chesnaye, Octave et Lisette veulent empêcher
Schumacher d'entrer et d ’enfoncer la porte. Mais celui-ci les menace de son revolver.
Finalement la porte cède, et La Chesnaye se trouve en présence de Christine dans les
bras d ’André.
A R M U R E R IE
La poursuite continue au delà de l ’armurerie, cependant que La Chesnaye et
André mis en présence l ’un de l ’autre commencent à s’injurier.
Octave s’occupe de Christine q u'il fait asseoir et à qui il amène du whisky.
Au loin des cris nous parviennent. C ’est la poursuite qui continue. Après s.’être

Lisette (P aulette Dubost) te n te de reten ir son époux S ch u m ach er (Gaston Modot) lequel
poursuit M arceau (hors cham p). Lorsque M arceau (Carette) au ra ouvert la porte de
1 A rm urerie, R o b e rt La C hesnaye (caché derrière le garde-chasse) s’apercevra que s’y
tro u v ent sa fem m e : C hristine et A ndré Ju rrieu , dans les b ras l’un de l’autre. Au fond,
Corneille, le m a jordom e (Eddy D ebray) s’apprête à intervenir

13
bien injuriés La Chesnaye et André ont honte ; leur conduite n ’est pas digne des gens
du monde. Ils vont s'expliquer comme des gentlemen, mais on entend des coups de
feu : c’est Schumacher qui, maintenant, tire sur Marceau. .
GRAND SALON
Celui-ci se réfugie dans le grand salon, essaye de se cacher derrière les invités.
Schumacher, ivre de fureur, terrorise tout le monde. André et L a Chesnaye décident
de remettre leur querelle à plus tard et d ’arrêter ce forcené.. Tous deux, ensemble,
maîtrisent Schumacher, non sans lui donner quelques coups. Marceau, mis en con­
fiance, reparaît, et remercie L a Chesnaye et André de leur intervention. L a Chesnaye
les met tous deux dehors. Schumacher s’incline. Marceau aussi, tout en remerciant le
marquis d'avoir voulu le « relever » en faisant de lui un domestique.
Lisette refuse de quitter le service de Madame.
Les invités sont refroidis. Ils prennent congé et montent se coucher. Ils vou­
draient présenter leurs hommages à Christine. André et L a Chesnaye ensemble trou­
vent des excuses à l ’absence de la jeune femme.
La Chesnaye entraîne André vers là salle à manger, vide à cette heure, et où ils
pourront parler tranquillement. Lisette a rejoint sa maîtresse dans l’armurerie avec
Octave.
L E PARC (la nuii)
Marceau quitte le château. Nous le voyons traverser le petit pont des fossés. Il
rencontre Schumacher qui pleure contre un arbre. D ’abord, il a peur, puis il s'a p 1-
proche. Les deux hommes se réconcilient et se racontent leurs malheurs.
A R M U R E R IE
Christine s’impatiente.
Elle envoie Octavé voir ce que font André et La Chesnaye.
P E T I T SALON
Ceux-ci discutent dans le petit salonj Vide maintenant. Ils parlent des intérêts dé
Christine, sè trouvent réciproquement très chic, très grands ét très généreux. Ils font;
l ’éloge d ’Octave.
GRAND SALON
Christine passe de l ’armurerie dans le grand salon en faisant le tour par le cou­
loir. Christine et Octave sortent dans le jardin. Lisette craint que sa maîtresse ne;
prenne froid et lui met son capuchon sur les épaules.
LE PARC (la nuit)
Octave et Christine passent devant Schumacher et Marceau qui la prennent pour,
Lisette, mais reconnaissent Octave. Ils les suivent à distance pour épier l ’infidèle. •
Christine, un peu ivre, dit à Octave, également ivre, que c’est lui q u ’elle aime, et
qu’ils vont partir ensemble. Octave acccepte, trouvant cela tout naturel (3).
Marceau et Schumacher prennent toujours Christine pour Lisette et décident de
se venger des coupables. Schumacher va chercher'son fusil.
Christine a froid. Octave la fait entrer dans une petite serre et retourne au châ­
teau pour chercher son manteau. Schumacher et Marceau organisent un guet-apens
pour tuer Octave à son retour.
AU C H A T E A U
André et L a Chesnaye finissent leur conversation .sur le mode mélancolique. Ce sont
dés gens bien élevés, et ils sauront présenter cet événement aux yeux du monde, sous
rasp eq t le plus favorable. Octave revient. Il demande à Lisette le manteau de sa
maîtresse. Celle-ci en profite pour lui faire la morale et lui expliquer que, en partant
avec Christine il ne fera ni son bonheur, ni le bonheur de la jeune femme (4). Octave
se laisse convaincre, comprend que c ’est parce que Christine est ivre q u ’elle a accepté
(3) S cèn e g é n é r a le m e n t cou p ée. (N .D .R L.)
(4) Ce d ia lo g u e Q ctave-L isette é t a n t fr é q u e m m e n t cou p é les scèn es s u iv a n te s n 'en s o n t
q u e p lu s d ifficiles à su iv re. (NK .L.R.) ”

14
sa proposition, et lui envoie André à sa place, convaincu que Christine reviendra à elle
et tombera dans les bras du jeune homme.
André part.
Octave rejoint La Chesnaye, et tous deux, très malheureux et très émus, s ’assoient
à côté de Lisette dans le grand salon et boivent du whisky.
Lisette fond en larmes. A- ■ ■
LA S E R R E {Parc la nuit)
Christine attend. Schumacher voit André qui s’avance dans l ’allée. Il le prend
pour Octave et tire.
C H A TEA U
Jackie, Lisette et La Chesnaye ont entendu les coups de feu. Us courent vers le
jardin.
LE PA RC {la nmi)
La Chesnaye trouve sa femme devant le cadavre d ’André. ,11 demande qui a tué.
Marceau s’accuse parce que son aventure avec Lisette est à la base de l ’histoire. Schu­
macher s’accuse parce qu'il a tiré, et Christine s ’accuse, parce que c'est elle! qui a
attiré André rdans cette aventure. Octave s ’en va avec Marceau (5). ^ .
Le général (6), plein de bons sens, remet les choses en place, en disant qu’il ne
s'agit pas d ’autre chose que d ’un simple accident de chasse et que chacun des témoins
devra être prêt à en témoigner.
Je a n REN O IR .

(5) N on san s avoir fa it leu rs ad ieu x à L isette. (N.D.L.K:.)


(6) A vai.t la fo rm u le d u g én éra l (« Ce La C h esn ay e 11e m a n q u e p as de classe... »)~ La
C h e s n a y - D a l i o aura p ro n on cé u n a d m irab le élo g e p o sth u m e d ’A ndré Jurrieu . (N.D.L.R.)

J e a n R enoir et Dalio (à droite e n robe de


ch am bre) pen d ant le tou rnage de La Règle
du jeu

15
Le Carrosse d’or de -Tenu Renoir

A P R O P O S DU C A R R O SSE D ’OR
par Philippe D em onsabloii

a C ;est nouveau, mais avouez que c ’est assez divertissant. »


Ces paroles que Renoirvfait dire à l ’un des personnages du Carrosse d ’Or me
frappent d'une résonance prophétique ; s’appliquant à l ’œuvre elle-même, ne risquent-
elles pas de devenir l ’un de ces jugements sans appel formulés dans la hâte d ’exprimer
une opinion pour masquer un embarras, une irrésolution trop évidents ? Attitude dan­
gereuse, satisfaite d ’avoir pu prendre prétexte du divertissement pour oublier la nou­
veauté, mais d ’autant plus dangereuse que Renoir lui-même fournit assez d ’éléments
pour la soutenir, le divertissement servant de véhicule et de support à une nouveauté
qui ne saurait pourtant trouver en lui sa profondeur.
« Je ne suis pas assuré que les belles œuvres plaisent ; il me semble qu’il serait
quelquefois plus juste de dire qu’elles déplaisent. Elles saisissent, et sans permission. »
Alain a donné là le seul critère peut-être de l ’authenticité de la création — car toute
œuvre originale déplaît par quelque côté.; si elle ne heurte pas la sensibilité, elle
déconcerte Inintelligence. Elle ne se contente pas de proposer une nouvelle manière de
sentir ou de comprendre, une nouvelle conception que l ’homme se fait de lui-même :
elle l ’impose. Les plus déconcertantes d ’entre ces œuvres sont évidemment celles qui ne
laissent aucune part à l ’intelligence analytique ; le chef-d’œuvre de Faulkner (je veux
dire Sartoris) comme Tabou, comme le Carrosse d 'O r, se dérobe à toute analyse. J ’en­
tends bien que là où Murnau avait prévu, préparé le moindre détail, Renoir (i) laisse une
(1) P ar exem p le c e t t e sc è n e où la s u c c e ss io n d es Im ages tra n sfig u r e le sim p le a ccid en t
d es d iffic u lté s de p ro n o n cia tio n d ’A n n a M agnani q u i l u i a c e r ta in e m e n t d o n n é n a issa n ce:
p e n d a n t q u e C a m illa s ’ex erce à répéter u n e p h ra se, le regard d e R en o ir se pose avec u n e
n o n c h a la n c e p le in e d e ten d r esse sur Isa b elle et s o n b êb è, su r u n e f i ll e t t e j o u a n t avec u o
sin g e. , ;

16
large part à l ’improvisation 3 et l ’on sent bien des passages-du Carrosse, quelquefois
parmi les plus beaux, dus à l'inspiration du moment. Mais la différence' dés pro­
cessus de création ne doit pas nous dissimuler l ’identité de nature de ces œuvres qui,‘
par delà leur réalisation matérielle, répondent au désir d ’objectiver une pensée/ une
intuition ; muer en objet sa pensée est la préoccupation de l ’artiste, donner à son-
œuvre l ’existence autonome et irréductible de l ’objet. La simplicité — c ’est-à-dire le
manque d ’artifice ■— de telles œuvres déroute l ’esprit qui n ’y trouve nul fil conducteur;
l ’auteur nous livre intact et plein, Vobjet de sa pensée : on y cherche des structures,
mais rien n ’est moins concerté. Il ne s’agit plus d ’une architecture minutieuse et
savante, intelligible à la subtilité (rien n ’est plus facile, à tous points de vue, q u ’un
film de Wyler) -, il s ’agit ici de création totale, à laquelle nous devons participer sous
peiné d'en laisser échapper le sens (Renoir nous y invite expressément qui déclarait l ’an
dernier : « Un grand problème est de ne pas rester un curieux, de ne pas regarder
l'agitation des autres comme un touriste regarde une foule étrangère du haut du bal­
con de son. hôtel. Il faut prendre part. Sinon on reste un amateur... ») Contrairement,
à ce q u’on a pu dire, une telle absence de structures impose d ’aborder l ’œuvre à partir
de son ensemble plutôt que du détail qui a cristallisé la scène, mais reste une étape
accidentelle de l ’entreprise d'objectivation : au niveau -de son intention plutôt que de
sa réalisation, quelque attachante qu’elle puisse être.
Une fois acquise notre indispensable participation, lé spectacle s’efface devant
le thème, le divertissement disparaît. J ’entends déjà évoquer L a Règle du ]eu à pro­
pres du Carrosse : une telle comparaison ne peut,que résulter d ’une attention trop
exclusive au spectacle ; les différences sont beaucoup plus profondes que les ressem­
blances, et de la Réglé du Jeu la forme seule subsiste ici. Certes, bien des personnages
semblent sortir directement de La Règle : Ramon, les nobles, le Vice-Roi, touchante
réplique de Monsieur le Marquis certes, les nobles salueront comme à la scène, les
applaudissements qui suivent la répétition sont destinés à l’arrivée du carrosse, dont le
Vice-Roi descend en s’inclinant de fort bonne grâce, et la présentation de Clorinde
(« il a l ’air un peu niais et légèrement ridicule ») s’adresse aussi à tous les porteurs de
perruques ; certes, ces perruques se décollent manifestement, laissant apparaître une
mèche brune, le dos des costumes sompptueux révèle la doublure qui ne sera pas vue
et il arrive aux acteurs de jouer très explicitement le dos tourné au public, comme
Arlequin saluant agite vers nous avec irrévérence une arrière-train grotesque. Mais le
caractère parodique, accessoire clause de style, ne doit pas nous égarer : la fonction de
l ’apologue n ’était que de donner au récit -— au seul récit — la stylisation nécessaire
à sa valeur exemplaire, la fonction du théâtre, de rendre plus ambiguë l ’existence des
personnages et jusqu’à leur sincérité- La foisonnement de La Règle est devenu,
dépouillement et l’œuvre fonction, d ’un seul personnage autour duquel les autres s’or­
ganisent en hiérarcie morale. Renoir, qui naguère encore ne pouvait se priver du plaisir
de regarder vivre ses personnages, s’attache et nous attache à eux par des liens plus
secrets ; nous sommes, comme lui, concernés par Camilla et son regard final nous
cherche, nous scrute, nous demande si nous sommes dignes de sa question : de La
Règle au Carrosse, Renoir a remplacé la chasse par la quête. L ’on serait presque tenté
de reprendre une épigraphe célèbre : « Je remplace la mélancolie par le courage, le
doute par la certitude, le désespoir par l ’espoir, la méchanceté par le bien, les plaintes
par le devoir, le scepticisme par la foi » : puisse son systématisme même m ’aider à
souligner l ’importance d ’une telle évolution dont Renoir a déjà indiqué le sens (« le
cinéma a, avant tout, besoin d*un renouvellement moral »).
Renouvellement par l ’intériorisation qui s ’est fait jour peu à peu dans ses films
américains pour s’affirm er avec éclat dans Le Fleuve et, dans Le Carrosse d ’Or, avec
plus de discrétion mais plus de profondeur aussi, car dans cette quête l’éducation sen­
timentale est devenue éducation spirituelle. Sa richesse, Camilla la découvre en elle-
même, dar)S sa singularité ; c’est pourquoi elle est le personnage central et par elle
Renoir ajoute de nouvelles résonances à l ’un de ses thèmes favoris : le mal d ’aimer
sans être aimé a fait place au mal de ne pas rencontrer ce que l ’on cherche— non pour
posséder mais pour donner ; et ils ont trouvé ce qu’ils aimaient » : les premières paroles

17
2
de Camilla expriment son tourment, et l ’insatisfaction lui viendra de n'avoir pas
trouvé à donner sa richesse. Son visage torturé, de Ramon au Vice-Roi, s'éteindra sur
lui-même, et, dans une image que son sens rend bouleversante, ses mains palpent éper-
duement Felipe lors de son retour, ses mains qui le cherchent bien plus qu’elles ne
l’étreignent.
Ces « velléités bienveillantes », ce a désir d ’investigation » qu’il déclara discerner
dans la conscience universelle, Renoir en a fait puissance de sympathie : l ’homme
trouve sa plus haute dignité dans l ’acte d ’aimer, qui la confère du même coup à l’être
aimé. Cette sympathie pour l’homme implique q u ’on reconnaisse sa dignité, et ce serait
affaiblir ia leçon du Carrosse d 'Or que ne voir que marionnettes dans les personnages
qui entourent Camilla -—- Martinez lui-même, en un bref instant, accédera à cette
dignité qu’on aurait pu lui croire refusée— ils ont seulement moins de profondeur quoi­
qu’à des degrés divers, c’est-à-dire moins de conscience de ce qu’ils cherchent. Camilla
seule a la passion lucide de la vérité ; Felipe en aura la révélation et Ramon en est à
la préhistoire. La hiérarcie morale des personnages est celle des degrés de la conscience
qu’ils ont d ’eux-mêmes : Le Carrosse d ’Or a mûri les fruits du contact avec l ’Inde
où s ’est épuré le panthéisme de Renoir.
C'est bien quant à ses intentions qu’ils convenait de situer d ’abord Le Carrosse,
pour l'inscrire dans une évolution morale qui a précédé l ’évolution, esthétique : le
renouvellement de la forme reste subordonné au renouvellement moral et, comme tou­
jours chez Renoir, les préoccupations formelles s’absorbent dans les autres en une
parfaite adéquation, raison même de l ’échec de toute tentative qui viserait à cerner
son style en. s’aidant de critères purement esthétiques, car il est avant tout un regard
jeté sur l ’homme ; l ’homme n ’a cessé d'occuper le centre de l’œuvre de Renoir mais
la nature du regard a changé. Mon propos n ’est pas d ’étudier ici comment a évolué
depuis Nana sa position par rapport à l ’homme ; je dirai seulement q u ’elle a suivi les
voies qui ont conduit l ’humanisme de la Renaissance à son aboutissement normal, le
classicisme. Après la découverte de l ’univers dans des perspectives purement humaines,
après le lyrisme descriptif de l ’esthétique nouvelle fondée sur la connaissance, s'in s­
taure l ’équilibre du classicisme, où, la connaissance étant assimilée, l ’homme reste seul
objet d ’intérêt, les rapports q u’il entretient avec ses semblables seul objet d ’étude :
dès lors, le monde extérieur, présent mais tu, n’a plus à se manifester ; l ’humanisme
est connaissance de l ’homme dans le monde par l ’homme qui vient de découvrir ses
pouvoirs ; le classicisme n ’est pas l’abstraction de l ’homme hors de l funivers sensible,
mais l ’opération par laquelle il le rassemble en lui tout entier pour n ’avoir plus à
l ’exprimer. D ’abord mu p ar une sorte de passion descriptive, Renoir a peu à peu
renoncé à aimer des personnages pour en dégager les êtres.
Tout l ’effort du créateur tendra à ne rien retenir qui puisse nous détourner d ’eux. .
Le dépaysement du temps ou du lieu n ’est que le détour nécessaire qui conduit plus
sûrement à l ’essentiel de l ’homme sans devoir s’arrêter à l ’accidentel ; le Pérou du
Carrosse d ’Or, l ’Australie d'Under Cafricorn fondent la transcendance des personnes
par rapport au décor comme ils les soustraient à l’emprise des gestes quotidiens, et un
œuf mal cuit ou l ’aiguisage d ’un couteau deviennent soudain très précieux, car ils
affirment souverainement la neutralité de tout un monde de cuisson des œufs et de
tranchant des couteaux dans l ’être de Camilla ou de Lady H atty. Plus d’automates à
musique —- les objets se voient dénier jusqu’au rôle d’accessoires ; aucune trace de la
nature, pour laquelle nous connaissons l ’amour sensuel de Renoir, si ce n'est un peu de
poussière où pirouettent trois enfants ; le décor lui-même cesse de se montrer (c’est
à peine si les moulures baroques du trône apparaissent, lointaine résurgence, de
Stroheim, pendant la scène entre la Comtesse et la Marquise). Aucun élément ne pèse
sur les personnages ; aucun passage descriptif ne subsiste — et’ surtout pas la cor­
rida : l ’essentiel s’en lit sur le visage de Camilla.
L a couleur, comme la musique, ont subi la même assimilation. Les bleus pastels
de la toilette du Vice-Roi, les noirs et les mordorés du Conseil font penser à des vtrs
de Racine : leur beauté ne se satisfait pas d ’elle-même et subordonne à n'être à
chaque instant que l'expression la plus naturelle ; de là le sentiment presque physique
d ’harmonie qui nous saisit par surcroît. Pour la première fois là musique ne sert pas
à Renoir de contrepoint intellectuel de l ’image } la séquence de la construction du
théâtre révèle la genèse de cette nouvelle fonction où la musique prend corps peu à
peu à mesure que des images sans lien s'organisent. Les images suscitent irrésistible­
ment une musique qui les prolonge à l'élévation où il nous a placés, Renoir a rendu
nécessaires les largos de Vivaldi, idéale vibration de l'âme de 'Camilla.

Philippe DEM ONSABLON.

L es Bas-Fonds (1936). A utour de la c a m é ra sont juchés : Jacq u es M ercanton (à gauche)


et M aurice Delattre, tous deux assistants-opérateur. Le chef-opérateur de ce film était :
B ourgas. Au rez-de-chaussée, on peut reconnaître Je a n G abin, Louis Jouvet e t Je a n Renoir.
Assis p ar terre e t songeur : Jacq u es Beclcer qui était prem ier assistant. C ette espèce
de praticable était m onté s u r roues pneum atiques. A u d é p a rt du plan, l’appareil c a d rait
de lace P épel (Jean G abin) et Le B aron (Louis Jouvet). (Au d é b u t d e ce plan, le chapeau
est sur la tête de Gabin, Jouvet, lui, est d ra p é d a n s sa robe de cham bre). Mû p a r les
« m achin os » d e droite et de gauche, l’engin effectue un travelling a v a n t — en p assant
au-dessus de G abin e t Jouvet — Jusqu’à la fenêtre ; d an s le m êm e cadrage on change de
plan, puis un travelling arrière recadre les m ê m es personnages, m ais entre tem ps Jo u v et
e t G abin ont échangé la robe de ch am b re c ontre le chapeau. Les B as-bonds obtint le
P rix Louis Delluc 1936.
JACQUES AUDIBERTI

B I L L E T 2

Congas bantous et
ancestral apporté

:i p iïisRîsllj^' •

N inon Sevilln dans L a Professionnelle


de A lberto G out

Il y eut, d’abord un interminable documentaire cynégétique, toutous


féroces, chasseurs exhibant devant les oiseaux, qui en mouraient, leur ona­
nisme pétéradeur à canon jumelé. Le commentaire, pédant, gourmand,
fignolé, m ettait en valeur ce déboutonnage de nudité sanguinaire.
Ensuite Ninone surgit.
Elle me donne, désormais» cette fierté rassurée qu'éprouvaient, je sup­
pose, les anciens navigateurs quand ils retrouvaient au même point
immuable l’île naguère découverte par eux. Non que j ’aie contribué le moins
du monde à l'avènement cinématographique de Ninon, prononcez Ninone,
Sévilla ! Mais, à Paris, je suis seul, ou to u t comme, à la citer.
Je ne la connais pas. Toutefois, de Maison de Rendez-Vous en Quartier
Interdit, j'assemblai pas mal de lueurs sur son épiderme de blonde qui a les
yeux le contraire des cheveux et j ’ai mesuré comme au rapporteur l'angle
béant de sa bouche, car elle danse en laissant pendre sa mâchoire to u t en
fléchissant des jarrets, à la gorille, s'il te plaît, genre le golem du théâtre
Habimah. Et, sauf à ne plus me souvenir de l’article, inventivement posses­
sif, qu’ici même j ’écrivis sur elle, tel Tristan da Cunha, jadis, quand il
planta son pennon naval dans le sable de Socotora, je ne saurais mépriser
les droits, pour morganatiques qu’ils soient, que je tiens de cet acte conqué­
rant, Il me faut donc reparler d’elle, puisqu’elle est La Professionnelle, qui
passe m aintenant.
La Professionnelle... Un de ces titres au trois centième, qu’on ne peut
réussir que du pemier coup, en ne ferm ant pas un œil mais les deux, pour
que le déclic joue mieux. Ce vocable met, à signifier ce qu’il signifie, la régu-
f -
20
lière exactitude que l’héroïne emploie à se ressembler, dans une fondamen­
tale immobilité to ut au long de cette nouvelle bande comme de l'une à
l’autre de toutes celles qu’elle a tournées.
Les variantes une fois neutralisées, nous avons une j. f. de b. fam., jupe
plissée, col blanc, d’où, d’une détente, elle bondit au tapin, lequel la tran s­
met dans des cabarets et théâtres d ’une capacité scénique élastique infinie.
Elle devient étoile, taille sans finesse mais jambes très belles, ses fesses se
dém enant comme par l’effet d’une bielle d’accouplement à vapeur, sur un
rythme toujours le" même, aztèque moins que vaudou, la croupe habillée de
plumes et de frondaisons, la chevelure surmontée de volailles et calebasses,
les paumes en avant et les coudes dehors, solitaire au milieu des comparses
du ballet, grosse machine de science fiction que les ingénieurs, au bout du
compte, eussent construite en chair de femme à la froide chaleur. Elle
chante un de ces frénétiques refrains espagnols plus canailles qu’un vol de
mouches à la queue d’un taureau. Elle se marie avec un jeune milliardaire,
vie de château, bustes, fauteuils, beaux-parents et tableaux, dont elle se
sépare pour tapiner de nouveau, de nouveau devenir étoile. Invulnérable,
inaltérée, elle conquiert Londres, Rome, Paris, puis rejoint son mari, cas­
cade de fugues, de passes et d’apothéoses bordées d’un côté, par la vigilance
d’un souteneur à moustache coupante, plus avide qu’un piranha, de l’autre
par la présence d’un moujingue innocent.
Chaque film lui donne à vivre la même destinée, à peu près. Cela se
passe ainsi pour les divinités. Leur thème foncier reste in tact sous les ver­
sions particulières qu'en élaborent siècles et pays.
Puissance du cinéma, contestée à la littérature, cette chance visuelle
qu’il fournit à la pensée ! Les producteurs de Ninon Sévilla ne songent pas
à l’univers plural. Ils nous proposent, néanmoins, son hypothèse, où chaque
entité, personne ou chose individuelle se m anifesterait dans un certain
nombre de trajectoires parallèles, comme il en va, d’après le professeur
Luparcu, du système solaire, lequel serait en deux exemplaires identiques
pratiquement, ce par quoi notre terre, et tout ce qui marche avec, vous,
moi, comporte sa réplique dans l’espace quelque part.
Et les fabricants de Traqué dans Chicago, qu’on nous a déjà montré
sous d’autres noms, mille fois, voitures parlantes de la police, poursuites sur
les échelles extérieures d’immeubles que travaille la peur de l’incendie,
mousquetades à poing fermé, danseuses nues jusque-là, plus une face
maquillée de pitre autom ate qui tranche sur cette ménagerie automatique,
ils ne voulaient sans doute pas que leur ouvrage fû t ce qu’il est, un docu­
mentaire phénoménologique, pas d’autre mot, je regrette, encore plus pro­
bant que le court métrage pas assez court sur les matadors de perdreaux.
Ces films américains donnent, au plus violent degré, l’impression que
les êtres humains, flics, femmes, forçats, vieux hommes, jeunes bandits,
vivants, morts, ne sont que des larves en glycérine, interchangeables et sup­
primâmes à souhait, n ’ayant de réalité que celle des accessoires dont on les
assortit, cheveux, visage, peau, lèvres, rouge à lèvres, pistolets, seins, poils
de poitrine et langage, si l’on peut nommer langage ce coassement naso-
pharyngé. Que telle larve soit un homme et telle une femme ne dépend que
du hasard distributif des magasins d’habillement biologique profonds. Leur
corps et leurs actes ne relèvent que des quantités qui les m esurent tout en
les déterminant. Le relief plat du noir et blanc traduit à merveille la fata­
lité spectrale de l’humanité, laquelle, pourtant, dans Shakespeare, grouille
de responsabilité comme, aussi, dans les films japonais.
Ceux que nous avons vus laissent à chaque protagoniste, sous l’air de
famille général, sa propre pointe d’ail, même si Les Enfants d’Hiroshima
nous rappelle que la fourmilière niponne fut traitée, de haut, comme une
cible rêvée, compacte, sans âmes distinctes.

21
Le monomultiple concomitant nourrit le fabuleux Rashomôn. Une seule
aventure, en effet, s’y décompose en plusieurs états, comme disent les gra­
veurs, réciproquement approximatifs qui coïncident plus ou moins dans un
commun profil moyen. Les Japonais avaient donc leur pirandellisme et,
sans doute, leur Pirandello. Comme ils avaient leurs épopées, leurs poupées,
leurs croisades, leurs croisettes, leur succession de la maison d’Autriche,
leur palais de Buckingham, leur champ de courses d’Auteuil, leur Vatican,
leur Isabelle de Castille, ainsi qu’il appert de La Porte de VEnfer, longue et
lente pour un tiers, dernière venue du volcanique archipel aux cerisiers.
En somme, à l’extrémité de l’Asie, sur l’autre versant de l’avalanche
mongole, un système non pas solaire mais terrestre, symétrique de nos can­
tons occidentaux, se développait pour son compte, lointain sosie e t doublon
ignoré. Son passé, si riche d 'art ingénieux, tenait en réserve ou po rtait en
germe, au même titre que l’occidental, les procédés industriels et scienti­
fiques de l’âge moderne récent. Le don affolant des Japonais de rendre la
nature par la suave et fulgurante algèbre du dessin compense ce qui fut leur
prétendu retard dans la technique mathématicienne. Ce don, assurément,
éclate dans La Porte, bien que l’on puisse, là, soupçonner chez les auteurs
une tendance méthodique à prolonger p ar l’écran, pour l’étranger, la cou­
leur aidant, la célébrité des estampes d’Outamaro et d’Outagawa Toyokuni.
Quelque chose comme La Kermesse Héroïque ou La Belle et la Bête, érup­
tions esthétiques du celluloïd français. Vraisemblablement les arrivages
ultérieurs prouveront qu’en matière de cinéma le peuple de l’autre bout
nous est non seulement superposable mais homogène, comme dans les
domaines de la presse, artillerie, pharmacie, métallurgie, son ancestral
aparté ne se perpétuant qu’en détail folklorique décoratif de la vaisselle e t
de la chorégraphie.
Plus que La Porte de VEnfer et l’aquarelle de ses fastes précieux Traqué
dans Chicago, avec son charivari de néa/it, et les congas bantoues de La
Professionnelle m artelant les parquets de l’Amérique m ulâtre me donnent
le ton d'un exotisme mal sondé.
Jacques AUDIBERTI.

T raqué dans Chicago (City that l'Sever Sleti\A de Jo h n H. Auer

22
AU LIDO : DEUX FESTIVALS AVANT-COURREURS
par Lotte H. Eisner

T h e Bach of B cyo n d de Jo h n Heyer.

Atmosphère sympathique et quasi intime au Lido où, avant le grand festival, deux
autres manifestations cinématographiques ont été organisées par la nouvelle direction,
compréhensive et sans snobisme, et où un travail sérieux a pu être fait. Pour le fes­
tival des films d ’enfants (6 au 10 juillet), il y avait là un merveilleux public jeune et
enthousiaste et pourtant la production de ce genre de film, laisse encore à désirer et
il n ’y a guère qu’en Angleterre qu’elle bénéficie, grâce à Mary Field, des moyens
nécessaires à son développement. Faut-il reprocher à ces films anglais d ’aventures
d ’être trop du genre « gangster » ? On pensait qu’ils convenaient mieux aux enfants
anglais à la mentalité stable et robuste, qu’à ceux, plus nerveux, de race latine.
Impression trompeuse, les enfants italiens les ont adorés et le meilleur d ’entre eux,
The Mister y of the missing ape, a obtenu le premier prix du film récréatif, ex œquo
avec un film italien très sympathique, Orizsonti del Sole, d ’ailleurs plutôt destiné aux
adolescents et même aux adultes et qui révèle sobrement les troubles de la puberté
quand s’éveillent le désir de l ’évasion et la révolte. Seul défaut facile à corriger : le
commentaire qui cherche à prouver plus que 1*image.
Premier prix du film culturel : Domn in the forest, film australien sur la vie des
kangourous où l ’observation de la nature atteint à une exactitude émouvante. Premier
prix du film didactique : François le Rhinocéros, film français de François Sommer
qui a parfois l ’accent immédiat et humain d ’une fable de La Fontaine (i).

(1) Les e n fa n ts o n t ap p lau d i é g a le m e n t u n a u tr e film d ’aven tu res, d ’orig in e you goslave,


o ù d es gosses au je u n a tu re l s'op p o sen t à d es co n treb a n d ie rs stéréotyp és e t grim és.

23
Quant au Festival du film documentaire et de court métrage (9 au 18 juillet)
tout le monde a été d ’accord pour constater, parmi la centaine de films présentés, le
déclin frappant de ce genre. Les raisons économiques mises à part, cette déchéance
me semble en grande partie motivée par l'incompréhension de certains pays (la France
n ’est pas en cause) (2) qui ont cru bien faire en envoyant des films de « tourisme » du
genre carte postale. Inutile de dire que nous avons eu droit à trois films sur le voyage
de la Reine d ’Angleterre et que l ’on ne sait qui est le plus à plaindre de la pauvre
reine ou- du spectateur, car à tous deux on n 'a montré qu£ des choses fort insignifiantes.
Toutefois, cette déchéance semble due surtout au problème de la couleur qui rend
nombre de cinéastes timides et maladroits ; d ’où la longueur des plans, la peur des
fondus et la faiblesse du montage. Seul Ferraniacolor, procédé aux teintes
agréables (3), semble offrir plus de facilités, de même que l ’Agfacolor allemand encore
très délicat à manier mais aboutissant à une réussite quand c ’est un Fritz Arno
Wagner, grand cameraman de l ’époque classique, qui opère : c ’est le cas du film
ennuyeux sur la « Volkswagen », Au s Eigener K r a ft où Wagner a su trouver une
fusion parfaite entre les tons, une harmonie dans le montage et prendre des gros
plans où, grâce à la couleur, certains, détails mécaniques atteignent à une vie intense.
K a m i Slnba, reportage français assez inégal est gâché par une couleur terreuse.
Second prix du documentaire, Der Goldene Gart en, film allemand de Domnick, a su
plaire par un certain sens de l’esprit d’observation, bien que ses impressions sur la Cali­
fornie aient quelque chose d ’aussi superficiel que le film de Burgess Meredith sur
P aris à qui Claude Mauriac reprocha, à juste titre, de n ’avoir vu, en dehors de la
T our E iffel et de la couleur rouge des vieux taxis, que les enlacements des amoureux
sur la voie publique. De plus, dans le commentaire italien trop emphatique à mon
goût, perce une certaine lourdeur allemande.
Heureusement, les délicieux dessins animés de la U .P .A ., qui obtinrent le pre­
mier prix avec Chrïstoplier C ntm pet et un film de Denis Sanders, Tim e oui of war
(premier prix des films de Télévision avec sujet), où la démonstration de l ’absurdité
de la guerre atteint presque à la saveur d ’un conte de Maupassant. vinrent sauver le

Chris topher C rum pet de R o b ert C an n o n (U.P.A.)

24
prestige de la production américaine assez mal inspirés en n'envoyant que des films
militaires sur la marine ou l ’aviation. Seul A is for Atom, dessin animé expliquant
les emplois pratiques sans danger de la force atomique, décrocha le second prix du
film scientifique. Dans l ’ensemble, d ’ailleurs, les films d'animation d ’ordre didac­
tique étaient de qualité, tel l ’excellent film canadian A Thousand miUion years qui
obtint une mention et dont l ’auteur Colin Low remporta également un premier prix
pour son magnifique documentaire Corrai, cheval sauvage ; tels, aussi le dessin animé
anglais The -power ta f ly (premier prix, du film didactique), et le documentaire polo­
nais Demain il fera beau (deuxième prix) dont le sujet, en lui-même assez sec, a été
traité avec précision et vie. Une mention également au courageux documentaire de
Ceylan : Conquête dans une zone aride.
Pour encourager la Télévision à ne pas présenter que des films policiers, le pre­
mier prix de la section culturelle a été décerné à L'art populaire mexicain, film fran ­
çais réalisé par Enrico Fulchignoni, intéressante tentative de vulgarisation d’un sujet
folklorique. Signalons aussi le charmant dessin animé exécuté par des enfants, Martin
et Gaston, que Nico avait commandé pour son spectacle de la Rose Rouge et venons-en
enfin à la grande révélation du festival The Bach of Beyond (L ’envers de l ’au-delà),
long métrage australien qui nécessita la création d ’un grand prix du documentaire,
— d ’ailleurs son jeune réalisateur, John Heyer, un nom à retenir, a travaillé avec
H arry W att aux Overlandcrs ■— film financé, comme Nanouk ou Louisiana Story, par
une puissante société industrielle, en l ’occurrence la Shell, et qui révèle à son tour que
ce genre de financement peut ne pas nuire à l ’art.
Il ne se passe rien de plus dans The Back of Beyond que dans Nightmail, de
Cavalcanti : un camion transportant lettres et oolis postaux parcourt tous les quinze
jours plus de 450 kilomètres de piste dans les déserts affreux et fantastiques de
l'Australie du Sud. Le camion roule, s’enlise dans la boue, s’ensable, traverse quelques
hameaux épars, faits de pauvres et laides cabanes où des braves gens n ’écrivent que
quelques lettres, préférant conter par la radio à de lointains voisins leurs petits
bonheurs et misères de tous les jours. Bref, rien de sensationnel ■— pas même l ’épopée
du pétrole de Louisiana Story — et pourtant cette randonnée de deux bons bougres, le
conducteur et son copain, devient rapidement aussi dramatique et poignante que celle
du Salaire de la Peur. C ’est le désert, plein d ’une maligne variété qui se révèle le
héros principal : vents et sables acquièrent vite une présence quasi affolante, présence
de la mort où éclate soudain l’enfer de l ’éternité car la brûlante sécheresse confère
une hideuse apparence de vie aux mortes créatures. E t ce sont des visions presque dan­
tesques de momies de chevaux, où la carcasse apparaît par endroit, de bétail éparpillé
dans les vagues sablonneuses ou, par l ’effet d ’une inondation devenue déjà presque
légendaire, accroché dans les arbres où il se cramponne comme des cerfs-volants
gigantesques.
Les dessins et les photographies, par un jeune peintre australien très doué, Sidney
Nolan, de ces cadavres momifiés, furent à la base de ce film et incitèrent Heyer à
aller tourner dans ce décor naturel, expressif à l ’extrême. Dramatiques et pathétiques
comme il convient, les images de ce film dues à Ross Wood et Keîth Loon sont d ’un
relief frappant. Rien de superflu dans le commentaire dit sobrement par Kewin Bren-
nan ni dans le dialogue où chaque mot est à sa place. La bande-son est remarquable :
échos de la radio ou d ’un vieux disque rayé, aboiements de chiens ou plainte de la
mort musulmane, tout concourt à une parfaite fusion des "bruits, des paroles et des

(2) C o m m e l ’I ta lie , l a F ra n ce, si elle n ’a v a it p as de film s é t o n n a n t s à p résen ter, a so u ­


t e n u u u b o n n iv ea u . M en tio n m érité e p o u r Les M ach in es de D on zè res. O n a p u regretter
quM JM ssaîii de r H im a la y a , film déjà p résen té so u s u n e au tre form e, ait d û être élim in é de
la c o m p é titio n .
(3) E xem p le d e b e lle c o u leu r D olce L om h arâie (m en tio n ) e t L ’A v e n tu r e d ’A q u a v e rd e ,
t o u s les d eu x film s ita lie n s ; é g a lem en t K l e i n e L aus g a n z gross, film d a n s la bonrje tr a d itio n
d e la U fa K u ltu rfilm (d eu xièm e prix du film d id a c tiq u e ), a u q u el c erta in s p la n s in sig n ifia n ts
a jo u té s pour p laire c o m m e r c ia le m e n t o n t p o u r ta n t r/uit.

25
images qui s ’épanouissent avec la même étonnante harmonie que dans le fameux Son g.
of Ceylon, de Basil Wright. Une seule concession d ’ordre commerciale : un flash-back
sur l ’histoire vraie de deux orphelines qui se perdirent dans les sables et qui rompt le
rythme vigoureux de ce documentaire. Coupée cette séquence et écourtée quelque peu
l ’évocation de la prière — en soi hallucinante — du dimanche matin dans l ’église en
ruine, ce beau film sera parfait. Nous en retenons en tout cas un avis précieux : le
documentaire de qua]ité n ’est pas mort ! (i).

Lotte H . E IS N E R .

( 1 ) A u cu n p rix e t s e u le m e n t d es m e n tio n s p o u r la s e c tio n d u f i lm d ’art. P e r s o n n e lle m e n t


3'ai regretté q u ’u n e d es m e n tio n s t.e s o it pas d o n n é e à L’A r c h i t e c t e M a u d it, d e P ierre K a st,
d o n t la d a n se in tr o d u c tlv e se m b le avoir effaré u n p eu les m em b res n o n F ra n ça is d u jury.
Il est d om m ag e q u ’u n a u tr e film fra n çais, L’E n fa n ce d e VArt, s o it u u p eu lo n g a v a n t d ’a t­
tein dre les sé q u en ce s en co u le u r ç u i so n t éb lou issa n tes.

Un des dessins du jeune peintre australien Sulney îVolan


qui inc itè rent John Heyer à to u rn er T h e B ack of B eyoh d

26
AU LIDO : MÉTRAGES D£ PELLICULE
par Nino Frank

L’étude des marées dans l'Adriatique m 'ayant amené à proximité d’une


ville du nom de Venise, l’idée me vint d’aborder au Festival du Court
Métrage, qui se tenait au Lido. De ma vie, je n ’ai assisté à des réjouissances
de cette sorte, et cette lacune dans m a culture m 'étant souvent reprochée
dans le inonde, je décidai de la combler, si je puis dire, dans la lagune.
L’occasion paraissait parfaite de festoyer dans des eaux tout à fait interna­
tionales (26 pays, plus le Bureau International du Travail, qui est une
espèce de surpays ; et un total de 98 films, plus les suppléments de pro­
gramme).
Il pleuvait sur la lagune, eau sur eau, comme il y a ton sur ton, thon
sur thon, dirait Corydon. Mais ce n ’était point la saison des amours : le
siroco était moite et tenace. K ath Hepburn, suivie d’un cameraman et de
quelques carriéristes, se faisait cinématographier à tous les coins de rues,
qui sont nombreux à Venise. A San Marco, le pigeon donnait à manger au
touriste. Et au Lido, un personnage affable et désabusé, le Docteur (mais
nous étions tous Docteurs) Croze, nouveau dictateur de la Mostra, me pria
d’honorer les courts métrages de ma présence, l'espace de trois jours, en
ta n t que personnalité cinématographique ; peu après, sa charm ante secré­
taire m ’invitait en ta n t que journaliste à séjourner au Lido le festival
durant. La pensée m’effleura de me balancer savamment entre mes apti­
tudes de personnalité cinématographique et mes talents de journaliste, et
de passer ainsi toute mon existence au Lido, mais heureusement le destin
opta pour la personnalité cinématographique, ce qui me perm ettra de
quitter sain et sauf l’étuve à pellicules.
Sur ces entrefaites, le souvenir m 'était venu que le court métrage et
moi étions de vieux amis, des amis de vingt-cinq ans, pour être précis. C’est,
en effet, il y a quelque vingt-cinq ans que je créai, dans VIntransigeant et
dans Pour Vous, la première critique régulière des « Complément de pro­
gramme » et, si je ne puis dire que cette innovation ait bouleversé le monde
(elle fut, par exemple, inopérante contre les krachs et suicides de Wall
Street), j ’avouerai qu’elle contribua à faire taire mes scrupules devant les
courtoisies conjuguées du Dr Croze et de sa secrétaire. C’est donc d’un pas
assuré que je pris l'habitude de pénétrer, l'espace de quelques jours, dans le
Palazzo del Cinéma.
J'y rencontrais des gens délicieux. Le Lido, l’heure de la plage passée,
n ’offre pas beaucoup de distractions : aussi un public copieux et plein d’en­
train court-il voir ces petits métrages avec un empressement que notre
Maison de la Chimie ne connaît pas souvent, Au premier rang du balcon, le
jury braquait des yeux sévères sur l'écran : la patience de Lotte Eisner, la
majesté de Paul Lamb, la mobilité de Mario Vèrdone, jointes à la gravité de
leurs collègues, faisaient passer de continuels frissons sur la salle. Ma
chance me faisait voisiner avec la plus adorable compétence en fait de
documentaires, miss Perry Miller, que sept ou h u it heures de projection par
jour n ’ont jamais effrayée : elle avait la bonté de me prodiguer des encou­
ragements à chaque fois qu’une nouvelle apparition de la Reine d’Angle*^
terre sur l’écran me je ta it au bas de mon fauteuil (le voyage d’Elizabeth II
nous a été débité par le Commonwealth en trois ou quatre bandes). Si l’on
ajoute les passages rapides de MM. Pirro et Flaud, seigneurs de la pellicule
des deux côtés des Alpes, et une conférence de presse où Enrico Fulchignoni
nous assura avec un enthousiasme communicatif que l’Unesco se penchait

27
désormais sur les problèmes des films courts, on aura énuméré les rares dis­
tractions de ce Festival du Morne Métrage,
En fait, le court métrage m ’a paru mal se porter : Lotte Eisner donnera
elle-même ici, et d’une façon plus exhaustive que je ne saurais faire, ses
avis détaillés sur ce rendez-vous cinématographique international et son
inutile abondance. Pour moi, m ’en ten an t aux impressions inspirées par une
amitié de vingt-cinq ans, je dirai que le « complément de programme »
semble traverser une crise encore plus sérieuse que celle, qui dévirilise le
cinématographe dans son intégrité. Le court métrage, sauf exceptions (et ces
exceptions se produisent presque toujours grâce à des subventions gouver­
nem entales ou du gros capital), n ’est plus qu’une marchandise industrielle
dépourvue de style : la recherche, quand recherche il y a, porte uniquement
sur le choix du sujet, car, pour le reste, on se borne à tourner passivement
la manivelle, pour aller au bout des 300 (ou 800) mètres. Tourner une m ani­
velle, c’est peu de chose : un singe le ferait aussi bien, sinon mieux qu’un
d o c u m en tan te et feu Flaherty, pour ne citer que lui, devant pareille
situation, irait carrém ent fum er un cigare sur le pas de la porte. Si le court
înétrage, dans le monde, se contente de ce sort misérable, le cinéma perdra
définitivement sa chance de se réconcilier avec la T.V., réconciliation qui
ne saurait s’effectuer que par les « compléments de programme ».
Céla dit, voici quelques remarques : 1° à l’exception d’un récit succinct
et grave, Time out of war, et d’un minuscule dessin animé de Thurber, l’un
et l’autre américains, les meilleurs courts métrages vus à Venise sont de
longs métrages : trois reportages, The Bacîc of Beyond, randonnée d’une
voiture-poste à travers le désert australien, puis Kami Shïbaî, voyage de
Français au Japon, et Der goldene Garten, voyage d’Allemands en Califor­
nie, qui ont moins de style mais ne m anquent pas d’agrém ent : tous films
de plus de cinq bobines, ce qui prouve que le talent, en 1954, exige de la pel­
licule ; 2a certains pays ne devraient pas'confondre cinéma et propagande
et, p ar exemple, 'feraient mieux d’envoyer leurs ennuyeux prêches guerriers
au Festival de Moscou (s’il en est un) plutôt qu’à celui de Venise : pour
éviter tout malentendu, précisons que cette critique à l’égard des U.S.A. eût
été probablement dirigée contre l’TJ.R.S.S. si celle-ci avait daigné être pré­
sente à Venise ; -3° les courts métrages pour phonos sévissent comme en
1930, et les Italiens surtout sont fort éloignés de tordre le cou à leur ver­
beuse éloquence : ces commentaires illustrés par des images qu’il est loi­
sible de ne pas regarder, to u t le film te n a n t dans la bande son, ont agré­
m enté le Festival, du premier jour au dernier ; 4° c’est aussi l’Italie qui
joue le plus loyalement le jeu du court métrage, ses productions ne dépas­
san t presque jamais la bobine et n ’éludant pas parfois les difficultés (les
études de Corrado Sofia sur Pirandello ou de Giorgio Ferroni sur des chiens
errants p arten t d'un bon naturel), mais le souffle de ces métrages est réel­
lement court : même sur 300 mètres, le style n ’est nullem ent interdit ;
5° sur le plan du film scientifique ou simplement didactique, des progrès
réels ont été accomplis, et un ouvrage tel que le canadien Thousand million
years est une réussite artistique d’une originalité certaine. Or c’est presque
un long métrage, commandité par le gouvernement canadien...
En fin de compte, je me demande si le meilleur film que nous ayons vu
à Venise n ’était pas, hors programme, ce Lekko du Hollandais Van der
Hoelst, authentique ouvrage d ’auteur, qui avait déjà triomphé, paraît-il, à
Cannes : mais une hirondelle ne peut pas plus faire l’été qu'elle n ’a fait le
printemps. Décidément, l’Unesco a raison de se pencher sur le sort du court
métrage, mais critiques et auteurs devraient bien en faire a u ta n t : car cette
menue monnaie de la production — la tradition Lumière, comme dit l’autre
~ est probablement ce qui a le plus de chance de survivre d’un cinéma en
pleine déliquescence.
Nino FRANK.
28
A BERLIN
ET A L OCARNO :

QUELQUES FILMS

par Pierre Michaut

B E R L I N
L ’époque du Festival de B erlin (1S-29 juin)
— après C annes, av an t Venise — n ’est pas
propice aux surprises et aux révélations B e tly S Ion? Drag de W . W alsh
d ’œ uvres nouvelles im p o rtan tes ; e t quelles e t D esm ond K ayton
que soient ses am bitions futures, cette m a ­
nifestation est su rto u t p o u r le m o m e n t u n
de rencontres, de l’excitation e t de la cu ­
témoignage d ’intérêt e t d ’a tten tio n apporté riosité, la manifestation a été une réussite
à la population de la grande ville isolée a u
considérable.
delà du R id eau de ïer et qui se souvient,
m étropoles du th é â tre, du ciném a e t de B eaucoup de filins av aien t p aru déjà en
l’art, une capitale à l ’e sp rit cosmopolite, de précédentes occasions, à Venise e t à
accueillant, éclectique. C annes ; d ’autres é taien t entrés dans l'ex­
L’intérêt était aussi dans la vive curio­ ploitation norm ale, il sera inutile ainsi de
sité du public, dans l'en train de la foule revenir s u r L a P o rte de l’Enfer (Japon),
em plissant les deux salles où passent les Le C arrousel fantastique et P ain , a m o u r e t
films, dans l’a rd e u r de l’accueil fait aux fantaisie (Italie), La G ran d e A v en tu re (Suè­
vedettes, qui se portait à une sorte d e dé­ de), S h în a Moça (Brésil), F le u r d e Lotus
lire au to u r de J e a n M arais (qui y gâcha (Inde). Sans trop nous préoccuper du pal­
deux costumes), de Mlle Lollobrigida e t de m arès nous ne retiendrons que quelques
M arika Rokk. C ette fièvre d is tra it le p u ­ films inédits, e t que peut-être les condi­
blic berlinois d e son im puissance et d e ses tions de l’exploitation com m erciale é c a rte ­
angoisses et soulève un in sta n t le tvoile de ro n t de nos écrans ou qui éch ap p ero n t à
tristesse qui recouvre la ville avec la pous­ la vigilance ou aux m oyens des Ciné-clubs.
sière de ses décom bres. L’A llemagne fédérale n ’a encore que peu
Le jeu du R id e a u de fer fixe les limites de choses à m o n tre r dans de telles com pé­
de la m anifestation : l’A llem agne orien­ titions internationales : on vantait d ’avan­
tale se tient à l’écart, l’U.R.S.S. l’ignore ce C hem in sans re to u r (Weg ohne Um-
ainsi que les pays satellites e t la C hine éga­ kehr) de Victor Vicas, la u réa t du G ran d
lement. Non point que la coupure soit P rix du C in ém a allem and 1954, annoncé
absolue : on savait p a r exem ple que des com m e a la surprise de l’année ». C ’est
observateurs de la Défa assistaient aux une aventure pathétique du Berlin actuel
séances, p ré p a ra n t un ra p p o rt en vue divisé en ses Secteurs militaires : police
d ’achats éventuels de films... O n sut aussi et contre-police, pittoresque des ruines, as­
que, parm i les invités du Festival, rares pects désertiques des avenues de l’Est, Un
furen t ceux qui s'a b stin re n t de se re n d re soviétique, tenté p a r I’Ouest, réussit A se
dans B erlin-Est et plus précisém ent aux dégager des surveillances et des suspicions,
b u reaux de la Défa : les uns, journalistes, avec l’aide d ’une jeune allem ande entrée
curieux d ’inform ations et de statistiques, au service de la police russe. Son évasion
les autres, p rod ucteurs ou e xportateurs de réussit, m ais la jeune fille est reprise et en­
films, anxieux d’offres d ’a c h a t de leurs levée de justesse. Le récit est conduit avec
films on, com m e l’on dit, de contacts. fermeté, à trav ers les m é a n d re s d es b u ­
Le program m e du Festival de Berlin reau x russes, do n t les secrets se superpo­
com ptait 32 films de long m é trage e t 74 sent, les scènes de genre et les po rtraits
docum entaires re p ré se n ta n t 15 nations : du de caractère com posant une atm o sp h ère
point d e vue de l’affluence du m ouve m ent rom anesque spéciale qui au x ressources

29 *
usuelles d u film policier ajoute les aspects every w o m a n w ants) de M aurice Elvey est
té n éb reu x du <c pàthetiqüe contem porain ». u n tableau assez saisissant et significatif d e
La n a rra tio n est bôtm e, et ce sera aussi l’A ngleterre co n tem p o rain e d an s ses p ro ­
le c a ra c tè re principsfl d e la p lu p a rt des blèm es sociaux et économ iques : la situ a ­
films citer ici, plus jfeut-être que le u r va­ tion faite au x fem m es p a r l’obligation d u
le u r « ciném atographiqu e » propre. travail p e n d a n t la gu erre, leurs fiançailles
rom pues p a r l’ab se n c e ou brisées p a r la
Ceux du Voyage (feumm elplatz d er Lîe- m ort, le reto u r d es soldats re n tra n t d e
be) de K u rt N eum aitn a été réalisé dans toutes les contrées du m o n d e indem nes ou
une com binaison germ ano-am éricaine. m utilés et leu r reclassem en t d an s le pays
C’est im è h istoirë d e cirque : u n num éro o u p a rm i leurs proches, la p a rt faite à
de plongeur acrobatique, u n e v am p lui l’a m o u r p a rm i les problèm es quotidiens
c œ u r fangeux m ais q u ’u n p u r a m o u r pour­ d’une vie difficile e t morose... L ’intrigue
r a it réhabiliter, üii jaloux avili, u n b a rre a u sentim entale se déro u le en tre six person­
scié, u n g éan t vengeur stupide et fasciné... nes, dans le cad ré étroit d ’un a p p a rte m e n t
Encoriibré de poncifs, nla rq u é de vulgarité modeste... La sobriété, la sincérité sont con­
et d ’une construction d ra m atiq u e très fai­ vaincantes ; c’est u n tém oignage.
ble, ce filin est fort peu convaincant : pré­
senté dans l’im m ense encéinte' en plein air L a Jolie B etty (Betty Slow Drag) de W .
de la W a ld b u h n e qu’em plissaient 25.000 W alsh e t D esm o n d K ay to n est u n e fan tai­
spectateurs, re p résen tan t le grand public sie d ’ironie un peu m a c a b re , traitée d a n s
berlinois, le film a déchaîné les rires et les les formes de ïa pantom irtie anglaise, avec
sifflets ! chansons, m im e, danses. T y p iq u em en t b ri­
L’A u trich e avait envoyé T u n ’as qu’une tannique, e t lié ù u n e des trad itio n s d u
m è re (Das licht dev Liebe) de Stem m le : spectacle anglais, ce film, p a r cela m êm e,
iPaula W assely y retrouve son rôle favori est d ’u n e originalité trè s a ttach an te.
de fem m e sage au coeur pur, dont la seule L a F ran ce était rep résen tée à B erlin p ar
a rm e est son b o n sens et sa droiture. Res­ six films ; ce n ’e st p as à p résen t l’occasion
tée veuve d ’un m a ri insouciant, avec qua­ d’en d o n n er une analyse critique, m ais seu­
tre enfants, elle sé consacre entièrem ent à lem en t de ra p p o rte r le sen tim en t q ui les
eux, fait prospérer une petite blanchisse­ accueillit. L e D éfroqué de Léo Jo a n n o n ,
rie sans m e su rer ses «veilles, écarte un p a r la force d ra m atiq u e du cas a u ta n t que
a m o u r consolateur : b ie n tô t vient le tem ps p a r l’auto rité de l’in terp rétatio n de F resn ay
oit elle doit défendre ses enfants contre saisit et retin t l’atte n tio n des critiques al­
les em bûches et les tentations de leur jeu­ lem ands, ainsi que d u public qui p o rta ce
nesse. L a soirée d ’anniversnire, que chacun fihn a u troisièm e ra n g de son référendum .
des enfants déserte à toUr de rôle, appelés C e t hom m age rendu a u style de l’œ uvre,
p a r u n rendez-vous urgent et qu’elle achè­ il reste à d ire que l’im pression d ’ensem ble
ve seule .auprès de l ’am o u reu x discret, e st a été quelque peu hésitan te e t m êm e ré ti­
un m o m en t de grande émotion... que dé­ cente : « on ne d oit pas, nous d iren t plu­
passe le m o rceau final : pour l’un de ses sieurs, traiter les choses de la religion avec
fils, devenu aveugle à la suite d’un stupide cette hardiesse et cette cru d ité sans m ys­
p ari d ’enfant, elle donne un de ses yeux tère... O h 3 ce p rêtre qui se Fait vom ir ;
pour une opération de kératoplrtstie : fin O h ! ce seau de vin qu’il épuise à b o i­
héroïque p o u r cette com édie bourgeoise, re... » e t l’épilogue de sang — exorcism e
où les <( bons sentim ents » cèdent trop faci­ nécessaire — jugé excessif et m ê m e forcé...
lem ent à la sensiblerie.
L’A n gleterre avait envoyé H obson Ts L'Affaire M aurîtzius, de Ju lie n Duvivier ne
choice (Je suis le m a ître ici}» de David satisfit point c o m p lètem en t tous ceux, à
L ean : bonne e t ro b u ste com édie anglaise, B erlin, qui connaissent l’œ u v re originale
m enée avec u n e ferm eté alerte et soutenue, de Ja c o b W a sse rm a n n e t qui s’a tta c h a ie n t
d an s le style tru c u le n t et vigoureux des dans le livre à suivre le lent progrès des
films de D ickens réalisés n aguère tel Oli­ élém ents psychologiques : le c h em in em en t
v er Twist, p a r D avid Lean précisément... de l’inquiétude e t du do u te d an s l’esprit
L’in terp rétatio n de C harles L aughton do­ d u juge. Ils estim aien t que le film sacrifie
m in e le spectacle p a r le relief e t l’a u torité tro p ce développem ent intérieur, d o n t ils
de sa com position ; on trouve d an s le film avaient aim é la g ra d u a tio n minutieuse...
quelques tableaux de la vie anglaise à Julîetta, de M arc Allègret, Les F ruits sa u ­
l’époque victorienne, âpre, volontaire et vages d ’H ervé B ro m b e rg e r, L es F em m es
quelque peu b ru ta le : le patron d ’un m a ­ s’en balancent, de B e rn a rd B orderîe n ’ap­
gasin de chaussures fait surgir des caves, p o rtaien t rien que les h a b itu é s des salles
p a r u n e trappe, ses ouvriers à l’appel d ’un du K u rfu rsten d a m m n e sa c h e n t déjà s u r
coup de talon ! les caractères de la p ro d u ctio n française
Ce q u e so u h aite toute fem m e (W hat dan s les genres d u ro m an esq u e léger, de
l’érotism e e t du <c social no ir » m ê m e épicé
d ’ironie. L e Mouton à cinq p attes d ’H enri
Verneuil, choisi po u r la Soirée de sa la du
G énéral, a été projeté, non a u Festival,
m ais en séance privée au a P a ris », devant
un public d ’invités officiels : personnalités
d es q u atres G ouvernem ents m ilitaires, des
grands services diplom atiques, économ i­
ques, financiers alliés : sans doute un tel
public, nécessairem ent réservé et m êm e
g u i n d é , boudait u n peu s u r son plaisir, se
forçant à faire la petite bouche d e v a n t cet­
te fantaisie ubuesque. E tait-il choqué, ou
faisait-il m ine de l’être, devant, n o tam m e n t,
les plaisanteries bien anodines su r la m ort,
les pompes funèbres e t leur personnel e t
s u r le noble corps des M otards de la P ré ­
sidence ?
Ajoutons qu’en ces jours on fêta la 1.001°
représentation d ’O rphée de J e a n C octeau,
a u Ki-Ki où ce film est affiché chaque se­
m a in e pour mie séance depuis trois a n s :
ce fut pour J e a n M arais — que chacun
appelait Jean n o t, com m e vous e t m o | '! —-
qui d ut paraître sur le podim n, m ie nou­
velle e t chaleureuse occasion de recevoir
les acclam ations d u public.
O n attendait avec curiosité le Japon, qui
s ’était signalé p ar le gracieux cortège de
ses actrices en costum es d e fleurs : L a P o r ­
te de l’enfer a retrouvé le succès re n contré
déjà à Cannes, égal à celui qui l’atte n d a it
quinze jours plus ta rd à L ocarno. U ne J e u ­
n e Paysanne (Kusa wo k aru M usum e) de
Noboo N okayawa est une com édie su r le
th è m e du retour à la te rre et q u ’inspire tin
peu le néo-réalisme italien. Vivre enfin un.
seul J o u r (Ikiru) d ’A kira K u ro sa w a a b e a u ­
co u p plus de Sorce e t d’originalité, dans
son exotisme intact. C ’est une é tude de
psychologie ; encore une fois avec çe film,
la production du J a p o n se rap p ro c h e de
la nôtre, liée elle-m êm e dans une très Iaç-
ge m esure aux traditions phychologiques
d e notre littérature, de notre th é â tre , de
notre peinture... ce « contenu » psycholq-
gique e t moral, études e t analyses de ca­
ra ctères et de types, qui représente une des
particularités du ciném a français, ap p a r­
tie n t égalem ent au Japon. :
L e C h em in sans retour de V ictor Vicas,
V ivre enfin u n seul J o u r e st un d ra m e g ran d prix du ciném a allem and 1954
d e l’angoisse de la m o rt e t d ’une vie m a r ­
quée; averti soudain de sa m o rt prochainie
’— un can cer à. l ’estom ac — un fonction­ difficultés, jusque-là insurm ontables, se d is­
naire modèle, vieilli s u r ses tâches et ses sipent ; la décision est prise, les travaux
dossiers — trente ans d e te bons e t loyaux com m encent. Il est tué p a r u n camion...
services » — sent vaciller to u te son â m e e t E n tre temps, il av ait voulu connaître la vie
tout son être. Q u ’a-t-il connu des joies de d e fête et dans u n e longue séquence, ex­
l a vie, des am bitions, des plaisirs, des pas­ trê m e m e n t vive e t brillante, il p arc o u rt lés
sions qui en traîn aien t les autres hom m es? lieux de plaisir d e Tokio : cabarets, petits
Il décide d ’a tta c h e r les jours qui lui re s­ th é â tre s équivoques, bals a u x cohues pié­
te n t à transform er u n te rra in vague tinantes, pianistes noirs, danseuses à strip-
en un jardin d ’enfants : soudain, toutes les tease, com pagnons et com pagnes de d é b au ­

31
te g u erre froide » M adeleine-Sainte Vierge
qui s’ensuit I Nous som m es ici en pleine
m auvaise littératu re. M. G enina avait été
m ieux in sp iré avec. M aria G oretti ; cette
fois, il n ’a p a s cru un in stan t à son m ira ­
cle. . .
L e cas de L a G ra n d e espérance d e D uï-
lio C oletti a été com pliqué p a r le fait
qu e le ju ry d e l’O.C.I, (C entrale ca­
tholique) lui a d écern é son g ra n d prix :
est-ce u n film g u e rrie r ou un film h u m a ­
n itaire d an s l’esp rit de l’E urope u n ie ?...
C ’est av an t to u t un g ran d spectacle d e la
guerre s u r m e r : u n sous-m arin italien en
croisière, des torpillages, des rescapés re ­
cueillis, u n c o m b a t au canon, une plongée
d ra m a tiq u e sous u n e pluie d e g renades
sous-m arines. U ne atm osphère de guerre
vigoureuse* intense e t à g ran d e m ise en
scène, de vastes horizons m a rin s sous le u r
ciel im m ense, la b e a u té des coloris saisis­
sen t lé spectateur. L a « couleur locale » est
juste : disposition des lieux, co m m an d e­
m ents e t m anœ uvres, a m b ian ce ex actem en t
ordonn ée et taciturne... L a petite fête im ­
provisée p a r les m a rin s p o u r la n u it du
J o u r de l’an est un bon passage de pitto­
' S a n s dom icile d 'A rth u r Polil resque e t d ’ém otion, que le public partage
avec l’équipage e n tre d eux torpillages. P a r ­
(D oc u m e nt E. G r ê t)
m i les rescapés recueillis à b o rd se tro u v e
che, alcool, bru its, m usique, vacarm e, tour­ une fem m e, lieu te n an t de l’arm ée fém inine
billons de la foule, délire et hallucinations... anglaise : à p a rtir de ce m o m en t, aux yeux
C e m ontage vigoureux, haletant, avec des du c o m m an d an t, les perspectives ch an g en t;
plans d e danse, d ’instrum entistes, de cla­ il est ho m m e e t il est italien. D e fait, la
viers de pianos e t de m a rteau x frappant les fin du film s’ad o u cit ; les naufragés belges
cordes, n ’est point inédit, assurém ent, m ais ne sero nt pas sacrifiés ; à S ainte-M arie des
il est com posé avec une puissance et une A çores le c o m m a n d a n t les fait d é b a rq u e r
efficacité m agistrales. Le récit est formé e t libère la jeune fem m e, après un in stan t
p a r le d e rn ie r souvenir que conserve du d ’atten d rissem en t et un appel à l’espoirT
défunt ch ac u n des convives du repas funé­ au delà des h aines et des guerres. J e ne
raire donné e n l’hon n eu r de ses mânes.. suis pas sûr, p o u r m a p art, que c et élé­
L’Italie avait envoyé U ne Fille .nommée m e n t h u m a n ita ire soit, sans équivoque, le
M adeleine, d o n t l’in térêt est inégal mais v éritab le « m essage » d e ce film, don t l’élé­
qui en quelques parties s’impose : les p ré ­ m e n t m ilitaire, p a r son relief et sa vigueur,
paratifs d e la procession en costumes, le
d é b u t « n la M atipassnnt » dans la malson
close, la scène d a n s l’église ou la m è re du
p etit m alade, ap ercev an t M adeleine sous
son (voile bleu, croit voir un e apparition et
s’écrie au m iracle ; et la visite aussitôt
ap rè s au chevet de l’enfant, et les suppli­
cations qui l’assaillent de toutes les m isè­
re s du village ! Mlle M arta T oren est b o n ­
ne' com édienne dans son personnage diffi­
cile ; V anel est assez im probable ; GinO
C ervi en curé est m oins convaincant qu’en
m a ire com m uniste ! Rien dans la réalisa­
tio n n ’est inférieur à ce qu’on peut a tte n ­
d re de l’habileté et des habiletés du vieux
m aître G enina : q u an t à son goût, on sent
n aître des hésitations. O n consent diffici­
le m e n t à la m o rt de la fillette incendiée R o ta tio n de W olfgang S taudte
d an s sa ro b e de com m uniante e t à la ( D oc um en t E. ü r ê t )

32
est singulièrem ent éloquent... O r, le jury l>ar la faiblesse des participations anglaise
de l’O.C.I.C., arriv é ta rd , se la it p ro je te r et am éricaine, réduites p o u r celle-là , au
tous les filins p a r série de q u atre ou six, C a n a rd atom iqu e v étéran des écrans euror
jugeant ainsi un peu vite e t dans l’ab strait; péens et p o u r celle-ci à des films d e dis­
peut-être son im pression a-t-elle été sur- tribution cou rante : So big (Mon G rand) e t
prise ?... B ad Boy (Un m auvais garçon)... C ’est que,
P o u r term in er, signalons Le Nouveau dans une m esure très large, les envois de
M onde (Neue W elt) de K u rt O ertel : rela­ films y sont décidés p a r la puissante As­
tion d ’u n séjour ciném atographique aux sociation des Loueurs de films en Suisse,
Etats-U nis e t qui épouse un peu la forme qui p a r privilège possède seule le d ro it de
d ’un « rem e rc ie m e n t » P a r u n curieux e t projection de to u t film su r le territo ire de
intéressan t procédé d ’exjx>sition, l’histoire la confédération. A l’origine, L ocarno était
des Etats-U nis est représentée p a r le ta ­ en quelque sorte « l’av an t-p rem ière » des
bleau du développem ent de l’architecture. films im portants traités p a r les distribua
Les yagues successives d ’ém igrants hollan­ teurs suisses a v a n t le d é b u t d e la Saison
d a is,' français, anglais, se reconnaissent à ciném atographique. T ous les in té rê ts ainsi
certains vestiges qui subsistent : m aigres étaien t accordés. C e t équilibre p o u rtan t
cha,pelles en bois, ‘ forts, dem eures patri- co nnut des heurts...
ciennës... e t d an s l’O uest, s u r les terres C ependant la m an ifestation vient de re ­
rav ies au Mexique, les fastueux tém oigna­ cevoir, nous disait-on, la dou ble reconnais­
ges d e la g ra n d e u r espagnole. Puis vint la sance du G ou vernem ent féd éral d e B erne
vogue e x tra o rd in a ire des pastiches histori­ e t de la C onfédération internation ale, des
ques ; im itations naïves inspirées des P h a ­ P ro d Licteurs de films : à l’av en ir donc les
raons, des Acropoles, des cliâteaux-îorts participations étrangères 'seront d em an dées
m édiévaux, des palais de la R enaissance ; p ar; la voie diplom atique — com m e lés
e t voici le français L enfant qui trace les « grands » Festivals — e t sous le couvert
plans géom étriques d e W ashington ; e t les des am bassades. L a m anifestation tessi-
vastes dem eu res des planteurs du Sud avec noise qu itte ainsi le do m aine suisse étroit
leurs péristyles e t leurs frontons grecs... m ais solide, p o u r a b o rd e r ïe plan des a m ­
Enfin a p p a ra ît le gigantism e des g ratte- bitions e t des tracas m ondiaux. C ’est un
ciel qui co m m an d e l’aspect d e New-York; grand changem ent. L ocarno, ainsi, cette
et à présen t les form ules intim istes de année, trav ersait u n e p etite crise. P o u r con­
F ra n k Lloyd W rig h t où le ja rd in enserre la solider la position que lui o n t acquis h u it
m aison p a r ses vastes verrières e t m êm e y ans d ’existence e t p o u r assu rer ses dévelopr
fait p é n é tre r p a r des trous percés dans les pem ents futurs, le F estival exige une union
parois des b ran ch es d ’arb res e t des ruis­ sacrée, au delà d es indifférences e t des
seaux. L ’exposé, assez diffus, s’échappe m auvaises hum eu rs, des scepticism es e t des
co n stam m en t en digressions s u r la peinture égoïsmes.
ou la littératu re, su r la guerre civile évo­ M enacé de disette d e films p a r les... hé­
quée j>ar u n choix de photos d ’époque et sitations de plusieurs d istrib u teu rs suisses,
au tres événem ents politiques... C ette dis­ la directio n d u F estival fu t b ien inspirée
persion, e t certain m a n q u e .d e n u ance dans v en songeant-à faire appel d irectem e n t aux
cette relation c o n stam m en t adulatrice, ren­ pays d u R ideau de fer. Ainsi L ocarno a
d e n t le film peu concluant e t viennent raj>- présenté l’in térêt exceptionnel d e disp uter
peler q u ’on avait déjà constaté sem blable à M arianské L azné — si difficilem ent ac­
profusion d a n s Le Michel-Ange réalisé par cessible I — la p résence de films de l’U.
K u rt O ertel p en d an t la guerre, en Suisse. R.S.S. e t des pays satellites, y com pris l’A l­
lem agne orièntale qui, p o u r la p rem ière
LOCARNO fois sans doute, voisinait avec l’A llem agne
L O C A R N O ( M l JU ILLET). L ’originalité occidentale d an s une circonstance officiel­
du Festival d e L o carno réside dans son in­ le à l’étranger.
tim ité e t d a n s son caractère to u t profes­ Il y a peu à dire dans ce com pte rend u
sionnel; c’é tait aussi jusq u’à l’année derniè­ su r les films fiançais, qui com p renaient
re u n e des m anifestations où la sélection L e M outon à cinq pattes, Les F ruits sau ­
des films am éricains offrait u n véritable vages, Les 'femmes s’en b alan çen t e t égale­
in térêt: tandis que p o u r les « grandes » m a ­ m e n t s u r l’envoi d e l ’Italie (toujours très
nifestations les choix son t fixés p a r des attentive à ses intérêts d an s le Tessin) avec
b u re a u x de New-York, L ocarno était, en Le C arrousel Fantastique, L a G ran d e espé­
quelque sorte, a b a n d o n n é aux chefs des rance^ U ne Fille no m m ée M adeleine e t Mu-
Agences am éricaines en Suisse qui ju­ soduro (G. B ennati) : com édie d ram atiq ue
geaient selon le u r goût. O n vit là u n nom ­ au village, b racon niers et garde-chasses,
b re élevé de productions am éricaines de rapts et poursuites... avec de l'am p leu r e t
qualité, originales et point quelconques. d e la force, d a n s de b eau x paysages aux
C ette ann ée le Festival p a ru t d ’ab o rd gêné coloris soignés... à deriii-convaincant bien

33
s
sûr, m ais a tta c h a n t to u t d e m êm e. Une pas inférieur aux plus b eaux passages de
bonne rétrospective d u néo-réalism e italien S c a n d e r Beg présenté à Cannes! S an s d o u ­
com plétait ce choix, avec R om e ville ou­ te, fes vues historiques resso rtan t d e ce
verte, Sciuscîà, P aïsa, L a T e rre tre m b le e t récit sont-elles simplifiées e t orientées. D ans
Obsession. O n revit aussi La. P o rte de l’e n ­ l’im m ense action g uerrière qui ro m p it
fer (Japon) e t C eux d u Voyage (germ ano- l’én o rm e arm ée tu rq ue assiégeant V ienne
am éricain) qui avait ta n t égayé les B erli­ en 1683 et la repoussa jusqu’aux B alkans,
nois. le film ne re tie n t que l’épisode de l’in su r­
L a Tchécoslovaquie é ta it rep résen tée p a r rectio n de Rakoczi contre les H absb ourg s
L a Lune au-dessus de la rivière de V aclav que Louis XIV dans ses recherches de
K rsk a d o n t le sujet d e m e u re quelque peu diversion contre l’E m p ereu r soutint u n ins­
incertain { les anciens élèves d ’une classe tant... L e rôle « européen » de l’A utriche
d ’un lycée de province d écid en t d e se re ­ en ces tem ps n ’est pas si négligeable ni si
tro u v er après 30 ans a u cours d ’u n b a n ­ néfaste !
qu et : la fille de l’un d’eux, n o n m a rié e à L e film d e l’A llem agne occidentale : U ne
28 ans, résignée e t que satisfait son orgueil, F em m e d ’aujo urd ’hu i de P. V erhoeven —
e t le fils d’un autre, plus jeune q u ’elle, im ­ un peu com m e le film anglais C e q u e toute
patient devant ses rêves, font connaissance, fem m e souhaite — est consacré a u x pro­
Est-ce une idylle ? P a r la 'fen être d e sa blèm es d ’un m énage d ’après-guerre. P e n ­
ch am b re, où la jeune fille accueille le g a r­ d a n t que le m a ri était prisonnier, l’épouse
çon, ils re g ard en t couler sous la lu n e la a m o nté u ne petite affaire d ’im po rtatio n
rivière e t échangent leurs rêveries d e poé­ de légum es assez prospère : au re to u r,
sie e t de désirs, et aussi leu rs conceptions l’hom m e est surpris et dépaysé à son p ro ­
4 e la vie e t de l’être.., L a réserve, la nos­ pre foyer p a r la position in d é p en d an te de
talgie e t la résignation, u n érotism e vague sa fem m e : une double intrigue s’éb au ch e
régn en t su r ces caractères et dans la pé­ d e p a rt e t d’au tre, qui p o u rrait a b o u tir à
no m b re de la pièce q u ’une lam pe éclaire à la ru p tu re définitive : une d ern ière liési-
dem i. L a n a rra tio n toutefois reste u n peu :ation e t ce m énage se renoue. U n peu
indécise et l’objet du film com m e sa con­ conventionnelle et précaire, cette anecdote
clusion m êm e d em eu ren t énigm atiques. D e se propose d’ag ir « d an s l’in té rê t des fam il­
Pologne était venu O n d an se à V arsovie les » com m e d it l’expression consacrée.
(A venture à M ariensztat) de L. B uczkowski: Louise Ullrich dom ine to u t le film p a r sa
nouvelle version d e la résu rrectio n d e la com position aisée, à la fois sensible e t in­
capitale où le to n de l’épopée populaire telligente ; on n ’a pas oublié co m m en t elle
cette fois se n u ance des accents plus fam i­ a p artag é la gloire de la réussite d u b eau
liers du folklore. Le thèm e reste le m ê m e : film L e D e rn ie r P o n t a<vcc le ré a lisa te u r
le peuple p a r son entho usiasm e u n a n im e H elm uth K autner.
reconstruit la ville. Des groupes d e jeunes Mais la surprise du Festival fut, e n vé­
paysannes viennent à le u r to u r su r les rité, la présentation de deux films d e la
ch antiers p o u r u n concours d e danses et Défa, société unique d e production de l’Al­
de chants. L 7une d e fies s ’engage com m e lem agne orientale. R otation (La R otative)
fem m e-m açon ; elle constate com bien les d e W olfgang S taudte, conte la vie d ’u n A l­
fem m es sont nom breuses a u to u r d ’elle : lem an d m oyen avant, p en d an t e t ap rès le
m anœ uvres, ingénieurs, chauffeurs, agent nazism e. Le film s’ouvre p a r une scène
de police même... Le groupe fém inin réu s­ d ’espoir, de soleil e t de p rin tem p s : u n
sira-t-il à g a rd e r la n o rm e su r les groupes couple jeune a u b o rd d e la ro ute se p ré­
m asculins ? Il y a d’autres péripéties qui p are à parco u rir avec courage le ch em in
se concluent p a r un m ariag e heurt-ux. D e d e sa vie. L’hom m e, bon ouvrier d ’im p ri­
vastes scènes des chantiers, des rableaux m e rie et qui veut rester « apolitique », se
bien anim és et vivem ent colorés, e n dépit d é b a t d ’ab o rd parm i les difficultés éco no­
du caractère prim itif de cette intrigue, re ­ m iques e t le chôm age des d ern ières a n ­
tien nen t p a r m om ents l’intérêt. nées 20, Il trouve enfin u n em ploi, m algré
La H ongrie avait envoyé L e L ieu ten an t q u ’il persiste à refuser de s’inscrire a u P a r ­
de Rackoczi (Rakoczi H adnagy a Focîn) ti ; cep en d an t son beau-frère est u n m ili­
d e Frigyes B an ; g ra n d e m ise en scène m i­ ta n t antinazi et son jeune fils est im m a n ­
litaire, en couleurs, m ê la n t l’épopée n atio ­ quablem ent attiré d an s les rangs de fa
n ale m agyare à des anecdotes d ’am o u re t­ H itler-Jugend. Q u an d la guerre éclate, la
tes d e villages genre opéra-com ique : m ais situation se tend : le beau-frère re c h e rc h é
ces épisodes u n peu m inces se fo n d en t dans a pu s’échapper à l’étranger: d ’où perq u isi­
d e vastes tableaux de déploiem ents p ro ­ tions bru tales e t interrogatoires d ra m a ti­
fonds d ’infanterie, d'une a m p le u r e t d ’une ques. C ’est l’enfant qui dénonce son père.
anim ation splendides. P a r l’étendu e des p a ­ L a prise d e B erlin p a r l’A rm ée R o uge sa u ­
noram as, l’intensité de l’actio n, c e film, ve d e justesse les prisonniers qu e le u rs g a r­
dans ses m orceau x d e g ra n d style, n ’est diens avaient déjà alignés au m u r,., A upa­

34
ra v a n t on avait vu l’épisode dantesque du qui av ait refusé de se d éran g er au m o m en t
m étro b o u rré p a r la foule qu’une m ine a l­ du d é p a rt de là chasse, se lève d e ta b le
lum ée s u r l’ord re d e H itler m êm e, dans p en d an t le festin pour soigner avec zèle
son délire d ’exterm inatio n de son peuple, u n e ju m en t m alade... V iennent alors l'en­
noie sous les eaux du fleuve... P lu s ta rd , te rre m e n t aban d o n n é d u grand-père q u ’ac­
su r les ruines d e sa d em eu re e t su r les rui­ com pagnent en l’absence d u p asteu r les
nes d e sa vie, le père accueille son fils sur­ seules prières de ses proches ; Jo h an n ,
vivant des dern iers fronts d e bataille e t lui frappé p a r le B aro n d ’un coup de cravach e
pardonne. Au b o rd d e la m ê m e route, d e ­ a u visage, riposte p a r un coup de fourche
vant les m êm es arb res e n fleur, se recom ­ e t prend la fuite ; M ariken chassée d e sa
pose pour l e iils e t sa fiancée le m êm e ta ­ chaum ière avec son béb é m e u rt d an s la
bleau d ’espoir et de printem ps ensoleillé. neige aux lisières d u village, l’enfant ce­
Et, de m ê m e façon, to u t le déro u lem en t du p en d a n t sera recueilli e t vivra.
film est p arco uru p a r le a m otif » d e la Une scène grandiose est celle de la m ois­
rotative d éb itan t les éditions successives son : av an t l’au ro re les paysans rangés en
des journaux... ligne atten d en t le signal ; les fem m es d e r­
Wolfgang S tau d te a com posé son film rière eux lieront les gerbes. D evant nos
avec m aîtrise : la transposition ciné- yeux l’im m ensité des blés ondule sous les
graphique est constante, la n a rra tio n a derniers souffles de la n u it ; ch acu n guette
quitté com plètem ent le plan littéraire. Le le lever du jour. Alors le B aro n arriv e con­
récit est robuste, ferm e, résolu e t très sim ­ du isant lui-m êm e sa petite ch a rre tte et lè­
ple. Les jeux de lim a g e : les ellipses, les ve le bras ; c’est Jo h a n n qui lance le p re ­
sym boles e t allégories visuelles, les retou rs m ier coup d e faux. C e cérém onial noble e t
e t alternances, les rap p o rts e t contrastes grave de la vie seigneuriale dans les grands
com posent p o u r ce ré c it u n en ch aîn em en t dom aines répond à celui du d ép art p o u r la
e t u ne com binaison d e ry th m e s d o n t l'a u ­ chasse, du b a n q u e t e t d u b al des m aîtres.
torité est absolue. Ni longueurs ni digres­ A vec sa diversité, son am p leu r dans les
sions, ni em phase ni d éclam ation, p oint de ta b leau x de la nature, le pittoresque d is­
référence m êm e plus ou m oins opportunis­ cret des scènes d ’intérieu r dans la ch au ­
te au x idéologies en guerre. S tau d te dans m ière ou le château, son côté sévère et sa
ce film, vieux de qu atre ans, a m on tré q u ’il d u reté m êm e, ce film est u ne évocation
pouvait s’affranchir d e ces servitudes. La puissante et pleinem ent significative d ’une
signification « m ilitante » du film e t là c h a ­ époque de la vie sociale. C o n stam m en t a t­
leur qui l’anim e ressorten t d e la com m u­ tach é à l’expression intérieure, il évite
nication co n stam m en t assurée e n tre l'indi­ (com m e l’avait fait R otation) les eiïets d e
viduel e t le général, selon les plus sûres déclam ation e t les appels d e la propogan-
règles de l’in térêt d ram atiq u e. C ’est le d e directe. A la fin seulem ent, le grand
g ra n d style. La qualité des éclairages, la éb ra n lem en t de 1848 a y a n t aboli le servage,
b eau té d e l’im age et ses valeu rs plastiques le père revient reprendre son fils : une
sont rem arquables. {R éalisation '1949). b a rb e saint-sim onienne, u n chapeau à lat-
E g alem ent fort e t saisissant p a r sa soli­ ge bord, le sac au dos, une h a u te canne
dité e t son style fut S an s dom icile (K ein ind iquent le pèlerin d ’idées éniancipatrices
Hiisung) d’A rth u r P ohl. C ’e s t u n d ram e e t libertaires, selon l’im agerie du temps.
au village dans u n g ran d dom aine du P eu t-être ces deux films, d an s la m od é­
M ecklembourg, dans les années 1840-1850 ; ration allusive de leur message a progres­
le servage est encore la règle et le seigneur siste » sont-ils exceptionnels parm i la p ro ­
et son in ten d an t rég n e n t en despotes su r duction de l’A llem agne orientale ? E ncore
les paysans liés à la te rre e t aux corvées. que Les1 Assassins son t p arm i nous et D e r
A utou r de l’idylle de Jo h a n n e t d é M ariken U n tertan nous aient déjà présenté des ac­
se déroulent scènes de genre e t tableau x tions dont la discrétion renforçait l’éloquen­
pittoresques a lte rn a n t avec des épisodes ce bien m ieux que n ’eû t fait une pro pa­
d e tension d o n t le to n m onte progressive­ gan de ouverte. B ien sûr, ce genre de films
m e n t selon u ne progression d ra m a tiq u e r i­ com porte aussi ses conventions e t ses pon­
goureuse e t savante : l’in cendie nocturne cifs, dans les thèm es, l’in terp rétatio n e t la
d e la chaum ière e t le sauvetage d u b éb é pensée... m ais il fau t convenir que s u r le
qu e le B aro n o rd o n n ait d ’ab an d o n n e r ; le p lan de la valeur h u m a in e e t des idées e t
vieux: grand-père à son m é tie r a tisser, Ma­ su r celui d e la conception et du style, nous
rik en d e m a n d a n t à la B a ro n n e l’autorisa­ som m es en présence d ’expressions ciném a­
tion d e se m a rie r et d u re m e n t adm onestée tographiques élaborées e t approfondies e t
q u and elle e u t avoué qu’elle é tait enceinte, fort loin des niaiseries auxquelles se co m ­
la partie de chasse du ch âtelain e t de ses plaît si facilem ent le ciném a international.
invités, le b an q u et e t le b al seigneurial. Il ap p a rte n a it à L ocarno e t à la Suisse de
C 'est ici que le d ra m e se n o u e avec la présenter ces deux ouvrages.
m o rt d u grand-père. Le m ê m e m édecin, P ie rre M ICHAUT.

35
PETIT JOURNAL INTIME DU CINÉMA
(vu de Toürettes-sur-Lonp)

par André Bazin

3 Juillet teurs du soirt L a Guerre des boutons, La


Rebute Napoléon, Juliette oti la clé des songes,
Doniol-Valcroze m ’écrit que * ce sera mon Ernest le Rebelle, Les Gueux au paradis, etc.
tour de tenir le Petit Journal- intime - du Encore n ’est-ce-là qu’une liste très incomplète
Cinéma. Mais où vais-je trouver le cinéma à et je me suis aperçu en interrogeant les
TourreMes-sur-Loup ? Le tourneur en |6 mm « vieux de pays » qu ’il s'est tourné des films
qui investit tous les mardis soirs la salle du à Tourettes depuis, peut-être même avant, la
Café Cresp au profit de quelques mélodrames guerre de 14. En tout cas, souvent pendant
italiens inaudibles ne m 'en fournira pas la le muet. Mais il m ’a été' impossible d ’obtenir
matière. Prenons le problème par l’autre bout. d ’autres précisions que celles touchant uri
Le cinéma, c’est aussi ceux qui le font ou qui film qui a dû être tourné ici entre 1920 et
écrivent dessus. Hors, si Sainf-PauI-efle-Kence 1923 et intitulé : La Famine en Russie.
est la capitale de ceux qui le font, Totir- Mme Cresp qui tenait avant guerre l’unique
reit^s apparaît plus modestement dans ses vio­ restaurant du lieu, se souvient d ’un film'
lettes, le refuge de ceux qui le commentent. vraisemblablement franco-américain dans le­
Je m ’aperçois en tout cas que sans qu’ils se quel jouait, me dit-elle, un acteur japonais
soient, à coup sûr, donnés le mot s’y retrou­ et un américain (cette conjoncture devant per­
vent outre votre serviteur et co-rédacteur en mettre de retrouver la production) ; elle sait en
chef de -cette revue, François Timmory, ex-ré­ tout cas que c ’était au temps de la prohibition,
dacteur en chef de L ’Ecran Français et Robert car tout le monde buvait beaucoup et elle
Chazal, ex-rédacteur en chef de Cinémonde. avait la consigne de ne porter sur les notes
Je pourrais également évoquer le passé ciné­ que de l’eau de Vichy.
matographique de Toùrreites, mais je crois
q u ’un numéro des Cahiers n'y suffirait pas.
Sous formes de raccords ou de lieux plus ou 4 Juillet
moins importants de l’action, Tourreifes-sur-
Loup a figuré dans un nombre incroyable de La liste n’est pas close. De nouveau, ce
films dont voici quelques-unes : Les Visi­ matin, l’hélicoptère de. Catch the ThieJ vrom­
bit au-dessus de Tourrettes. Depuis un mois, vaille, mais j ’essaie de refouler ces senti­
Hitchcock installé au Carlton de Cannes tourne mentalités intempestives en me disant que ce
son film dans tous les coins pittoresques des sera court et que Pluto n'aura pas fini de
environs. Ce sera en tout cas une somme s’étonner de voir tant de chiens que nous
touristique de la Provence. On l’a trouvé serons déjà revenus. La stupeur est en effet
installé partout : dans ie charmant petit cime­ d ’abord de toute évidence chez lui le senti­
tière en terrasse de Cagnes, comme sur la ment dominant. La noirceur de mes desseins
route de Giéolière, le marché aux Heurs de n’effleure pas sa caboche de bleu d'A uver­
Nice ou la plage du Carlton. Hitchcock a gne mâtiné de braque et quand, pauvre cou­
quitté le midi depuis trois jours pour Holly­ rage, je l’enferme moi-même dans son box
wood, mais il a laissé ici une partie de de grillage, il croit à une plaisanterie dont
l ’équipe achever des raccords d ’extérieurs, il s’efforce poliment d ’ignorer le mauvais
c ’est pourquoi l’hélicoptère est toujours là. Il goût. Ses japements sont un peu jaunes, mais
s’agit de quelques plans de poursuite entre d ’une inquiétude mesurée. Je fuis retrouver
la voiture de la police, une traction avant Janine qui a préféré ne pas voir cela et
noire et une Delahaye grand sport, rutilante, m ’attend dans la voiture; mais avant que j ’aie
qui ne peut évidemment être peuplée que de mis le moteur en marche, une formidable cla-
gangsters. Elles traversent le village, la trac­ m.eur canine s’élève de l’autre côté du mur
tion avant se trouve bloquée à la sortie par dont nous ne pouvons ignorer l’origine. Le
un troupeau de moutons. L ’hélicoptère prend malheureux a commencé de comprendre.
la poursuite de haut. Il vient de Londres, car
l’hélicoptère est rare en France depuis Dien-
Bien-Phu. Il est basé à cent mètres de ma 7 Ju illet au soiv
fenêtre dans un champ. Tous les gamins l’en­
tourent, vaguement maintenus à distance par La deuxième Semaine de la couleur à Saînt-
une corde. Inlassablement, l’hélicoptère s’élève Raphaël est un festival bon enfant dont les
légèrement, glisse dans le ravin, remonte à à-côtés touristiques s ’avouent aimablement. On
l’autre bout du village, prend la route en enfi­ y est reçu gentiment. Les consœurs y domi­
lade et revient à son point de départ. Sans nent. Jany Casanova d ’abord, pétulante, guil­
doute s’efforce-t-il de repérer convenablement lerette et le verbe haut, règne officieusement
ses angles et l’itinéraire qu'il doit suivre en sur l’entreprise de toute son expérience de
synchronisme avec les voitures. Cela paraît l'année précédente. Lucie Derain, plus réser­
laborieux et monotone. Les gosses en tout vée, ne paraît pas prendre les choses moins
cas en sont blasés longtemps avant que l’héli­ au sérieux si j ’en juge par sa participation
coptère ait renoncé à sa ronde. Sur 500 mètres au jury du soir. Avec Simone Pécherai, Jac­
de route, la circulation est bloquée par des queline Michel, bien qu ’elle ne fût là qu ’entre
agents motocyclistes et des techniciens équi­ deux « Mistral » pour représenter la grande
pés de ialkies-walkies bavardant confidentiel­ presse du matin, faisait la quatrième contre
lement avec le ciel. Le troupeau de moutons moi tout seul. Le soir dans la salle du Casino,
et son berger attendent patiemment à l ’ombre projection du film de Vincente Minelli avec
d’un arbre sur le bas côté. Un malheureux Fred Astaire : Tous en scène, qui ne m ’a pas
petit agneau tremblote sur des pattes incer­ paru si désagréable après trois mois de sevrage
taines près d ’une brebis encore sanglante. cinématographique. J’ai été étonné de la sévé­
Jusqu’au soir durera la ronde monotone... rité du jury composé selon une formule propre
à Saint-Raphaël de dix spectateurs volontaires
chaque soir et des critiques présents.
5 Juillet
Encore l’hélicoptère. Voir hier.
ARLES
8 Juillet
6 Juillet
Dès qu ’arrivés, les bagages déposés à l’hô­
Idem. Ce malheureux plan a l'air laborieux. tel avec le perroquet nous partons en quête
Il paraît que l’hélicoptère a des ennuis avec de Renoir à l’hôtel « Jules-César ». Cinq
le vent qui souffle en effet assez dur. Les minutes et j’ai déjà retrouvé Scherer et Kast.
trous d ’air rendent les prises <3e vue très dif­ Les deux tendances opposées — je ne veux
ficiles. pas dire ennemies — des CaMers du Cinéma
font une paix très méridionale autour de ce
7 Juillet lieu géométrique de leur admiration et de
leur amitié qu ’est Jean Renoir.
T ant pis pour le voleur et son hélicoptère. Justement le lieu géométrique arrive, em­
Nous partons pour Arles, via le Festival du brasse Janine et l’enfant avec cette gentillesse
Film en couleur de Saînt-Raphaël. Nous em­ incomparable dont je m ’émerveille chaque fois
menons le fils et le perroquet. N ’ayant pu davantage de ne jamais la prendre en dé­
trouver d'am is sans chats à qui confier notre faut. Il y a chez Jean Renoir un style de fa­
chien Pluto, nous nous sommes résignés la miliarité dans la courtoisie, une délicatesse des.
mort dans l'âm e à le laisser pour quatre ou relations humaines dont je ne connais pas de
cinq jours à un chenil de la côte. C’est plus réconfortant exemple. I] a un génie de
la première fois que le malheureux est mis la simplicité qui va jusqu’à ne se distinguer
en pension. La tête des patrons, échappés de la vulgarité que par l’infime infini du ton.
d'u n dessin de Dubout, ne me dit rien qui comme les boniches fessues des tableaux d ’Au-

37
güste n’évitent la paillardise que par un style Renoir en improvise d ’importants, en parti­
de peinture. C ’est sans doute la grande force culier avec les chevaux. Tout cela ne pourra
de Jean, cinéaste, comme du peintre, que même pas être répété encore une fois avant
cette capacité à tenir les deux bouts : du sen­ demain soir. La répétition finit à 4 heures du
timent ou du goût le plu5 commun et de la matin.
finesse et de 1 élégance les plus civilisées.
Octave pelotant Paulette Dubost dans les coins
est bien le même qui souffre chevaleresque­ Sam edi 10 juillet
ment pour Nora Grégor dans La Règle du
jeu. L ’un des sens du film n ’est-il pas juste­ Truffaut et Rivette sont arrivés et une di­
ment l’identité réversible des passions et des zaine d’autres fanas (cf. journal de Truffaut,
sentiments chez les maîtres et les valets ? n° 37). Il s’agit de trouver des places à p lu­
L ’existence d’un homme comme Renoir est la sieurs d ’entre eux et comme Renoir manque
négation de la hiérarchie des genres dans les de figurants, je vais avec Rivaut et Trufette
relations humaines comme la peinture d ’A u­ à la répétition du samedi après-midi lui de-'
guste de la hiérarchie des sujets. De la même mander s’il ne pourrait pas prendre leurs
Façon qu’il n ’y a pas de cuisine noble, mais copains. En voyant s’avancer nos deux com­
seulement Une noblesse de la cuisine qui met pères, Renoir s’écrie avec u n sincère et joyeux
sur le même plan le camembert et le canard étonnement : « Tiens, qu’est-ce que vous
à l’orange. faites ici ? » k II croit peut-être qu’on est
Renoir, en dînant vivement et légèrement venu là en vacances », me dit Rivette avec
avant de retourner _à la répétition du soir, son petit sourire pincé. T out s’arrange natu­
m e met tout de suite au fait de ses inquié­ rellement pour la figuration. Il était temps,
tudes : pas assez de répétitions, les arènes ont car il n ’y a plus une place à vendre depuis
été occupées par diverses fêtes, dont une cor­ longtemps (et d ’ailleurs elles sont chères). Moi-
rida. Le décor n’est même pas fini de cons­ même comme critique ai eu beaucoup de
truire à deux jours de la représentation. Les mal a obtenir une place pour ma femme. La
répétitions à Paris pour le jeu et le texte n ’au­ chose n ’était pas prévue. C'est que pour les
ront été que très insuffisamment complétées Arlésiens, la représentation de Jules César
sur place. Renoir a renoncé à l’idée qu’il avait est, bien avant qu’un événement théâtral, une
eue d'utiliser une partie du public comme fête régionale dont le personnage central doit
figuration, tel quel en costumes modernes. être la Reine d ’Arles et diverses personna­
Les risques sont déjà suffisants comme cela. lités locales. L a critique théâtrale est à cent
Effectivement, nous assistons le soir à une lieues de leurs préoccupations et la direction
répétition aussi morcelée et peu chronologi­ parisienne ne' me paraît pas le leur avoir
que que l'est la réalisation d ’u n film. Son expliqué, Mes confrères parisiens habitués des
ordre est seulement commandé par les diffi­ Festivals de théâtre n’en paraissent que modé­
cultés de mise au point de telle ou telle scène rément étonnés. Dans un Festival cinémato­
et les disponibilités en figurants. Je me cou­ graphique, cela aurait fait du bruit.
che fort inquiet.
9 Ju illet D i m a n c h e I I J u ille t
Répétition l’après-midi. Renoir était déjà Du moins pensai-je les douze places réservées
aux arènes ce matin. Il dort 4 heures par aux critiques parmi les 8.000 des arènes leur
nuit depuis plusieurs jours, ce qui ne paraît étaient effectivement garanties et je suis arrivé
guère, ni à son humeur ni à son teint. Quand hier soir dix minutes en avance, la conscience
les choses ne vont pas, l’irritation pointe à en paix pour trouver des arènes archi-combles
peine dans ses intonations ; un s je vous depuis une demi-heure et mes places occu­
en prie, messieurs », un soupçon d ’amertume pées depuis longtemps. Il fallut se tasser un
ou d ’ironie dans la phrase sont le maximum peu plus.
de ce q u ’il se permet, rachetant presque tou­ Mais ce qui importait davantage que ce petit
jours du reste une minute après ce « mouve­ désagrément, ce fut la découverte du public
ment d ’humeur » par un « mes chers amis, devant lequel allait se jouer Jules César; entas­
je m ’excuse de vous demander encore,.. ». sés sur la pierre tiède encore de soleil : 8 ou
L ’impression générale est assez semblable 10.000 amateurs de corridas, rigolards et
à celle du tournage d’un film, en cela que bruyants. Tout à coup le souvenir des répé­
l’on s’affaire un peu de tous côtés à des titions, leur ambiance d ’improvisation m ’appa-
tâches incompréhensibles au profane parmi raissaîent rétrospectivement comme une nis-
lesquelles celle de la répétition proprement toire de fou. Ce n’était pas une représentation
dite est parfaitement noyée. Renoir est en bas d ’une tragédie de Shakespeare que l’on allait
dans l’arène assis sur un pliant qu’il déplace livrer à cet immense public venu là comme
avec lui, le soleil et les nuages de poussière à une fête, mais en réalité moins qu’une répé­
soulevés par le Mistral ne paraissent pas l’af­ tition générale : la première répétition en
fecter. continuité. Renoir lui-même n’avait littérale­
Vendredi soir : Répétitions (suite). m ent jamais éprouvé ni même vu sa mise
Renoir dispose ce soir* pour deux du trois en scène.
heures de la figuration à pied et à cheval. Et en effet, les 30 premières secondes furent
Les cavaliers sont des gardians, on le recon­ une chose épouvantable. La sonorisation, dans
naîtrait à la seule façon de s’appuyer sur leur l ’ensemble satisfaisante, était mauvaise pour
lance. 11 s’agit de régler définitivement ce soir plusieurs secteurs du poulailler. Les premières
les mouvements de groupes. répliques échappaient à 2.000 spectateurs. Des

38
cris fusèrent : « Plus fort », « On n ’entend plus que jamais claudicant, plongeant vers le
rien ». Puis ce fut l’entrée de César et de sa micro en saluts presque burlesques à force
suite, premier moment spectaculaire qui Valut d ’émotion et je pensais à Octave embarrassé
des applaudissements plus dangereux que des de sa peau d ’ours dans le grand salon du
sifflets, car ils allaient surtout aux figurants château de La Règle du jeu. C ’était le même
arlésiens reconnus par la famille et les amis. Renoir avec, en plus les larmes de joie de La
Il était permis de se demander à ce moment- Chesnaye si fier de son limonaire, mais le jouet
là si la représentation pourrait même se ter- mécanique dont Renoir avait fait hommage
miner. cette nuit à un public de [0.000 personnes
Mais c’était compter sans la grâce du théâtre dans ces pierres romaines, c’était une tragé­
qui, d ’un coup, descendit de la nuit. A u pre­ die de Shakespeare et je songeais que, de
mier monologue de Casca admirablement dé­ la parodie théâtrale de La Règle du jeu à ce
taillé par Parédès, le ton des applaudisse­ spectacle à ciel ouvert il y avait sans doute
ments changea, Le rire qui s’éleva était mainte­ en même temps que la fidélité d ’un homme
nant un authentique rire théâtral. Je pourrais à lui-même, tout l’espace de son itinéraire
situer à une seconde près l’instant de la cris­ spirituel.
tallisation de cette foule méridionale en public
élizabéthain. A la deuxième minute, la partie
était gagnée. 11 Juillet (soirée)
A l’exception d’Henry Vidal (César) qui Fut
franchement mauvais, sans même la beauté Mes confrères de la critique dramatique (il
physique qu’on pouvait en attendre, l ’inter­ s’agit en l’occurrence de mes camarades P.-L.
prétation fut dans l’ensemble excellente, domi­ Mignon et G. Lerminîer) trouvent le spectacle
née- toutefois par Paul Meurisse qui aura honorable, bien sûr, mais avec maintes petites
été la révélation d ’Arles. Il a campé l’éner­ réticences, dont la minutie tatillonne m ’étonne.
gie puritaine de Brutus avec une force et Je ne puis leur donner tort de comparer
une sobriété inoubliables. Yves Robert a été mentalement avec la pauvreté inspirée du
moins à l’aise dans le personnage de Cassius, c Jules César » de Dullin, l’autorité têtue et
mais Jean-Pierre Aumont s'est mieux q u ’ho­ robuste de celui d ’Hermantier à Nîmes et je
norablement tiré du personnage de Marc A n­ me dis que peut-être mon affection pour Re­
toine, noir et m a participation aux angoisses des répé
Quelle admirable tragédie que ce Jules César titions me font juge trop passionné. Mais il
dont le film de Mankiewicz, peut-être il est me semble bien aussi à la réflexion que la
vrai d ’abord par ma méconnaissance de Sha­ critique dramatique actuelle est d ’une manière
kespeare, ne m ’avait donné qu’une image mo­ générale {et surtout peut-être chez les jeunes)
notone et ennuyeuse. N ’ayant point vu ceux plus compassée, moins « émue » que la ciné­
de Dullin ni d ’Hermantier, je l’ai découvert matographique. (C ’est peut-être la rançon de
de plein fouet dans cette nuit d ’Arles et d ’au­ son sérieux, car il n ’est pas douteux que la
tant plus étonné de sa merveilleuse unité que culture moyenne de la critique théâtrale est
le enaos des répétitions ne me l’avait pas bien supérieure à celle de la plupart des cri­
laissée entrevoir. Plus brièvement sans doute, tiques de films dans leur domaine. Mais peut-
mais mieux encore peut-être que dans Hamlet, être aussi est-ce l’indice de la disparition d ’une
la vérité profonde du théâtre y paraît dans certaine époque théâtrale, car il fut sûrement un
son dédoublement, Il est admirable bien sûr temps où une nouvelle mise en scène de Co­
que les assassins de César proclament que peau, puis de Dullin ou de Pitoeff rencontrait
l’héroïsme et la gloire de leur geste seront l’inquiétude et l’émotion qui nous animaient
chantés dans les tragédies futures, l’unité des hier soir. Lerminier me fait également remar­
publics est ainsi proclamée par-delà l ’Histoire quer que le critique dramatique voit à lon­
eï l’espace : les amateurs de corridas de ces gueur d ’année des mises en scène ambitieuses
arènes d ’Arles en 1954 deviennent des contem­ et mauvaises, la prétention agressive à la qua­
porains de Shakespeare, puisqu'ils écoutent et lité, à l’opposé de ce qui se passe dans le
admirent le même drame que les spectateurs cinéma, est le lieu commun du théâtre actuel.
élizabéthains. Mais le trait de génie, c’est Ce sont des conditions de travail qui invitent
peut-être qu’alors Facteur parle de la glorifi­ au scepticisme et à l’épouillage. Quoi qu’il
cation théâtrale future du meurtre de César en soit, la critique dramatique pisse plus
comme si la tragédie ne devait pas se termi­ froid.
ner dans le sang des meurtriers. Annonçant la
tragédie à venir, c’est en ignorant son dé­ 12 Juillet
nouement même. Ainsi, le théâtre étant aussi
incertain que la vie, la vie n ’est-elle que Retour à Tourrettes, J ’ai récupéré Pluto au
l’ignorance d ’être théâtre. chenil. Le pauvre a mis 30 secondes à me
Q uand la lumière revint sur l’arène après reconnaître, il n‘a plus de voix, son aboiement
Vliommage au cadavre de Brutus. on entendit pitoyablement enroué vient d’un autre monde,
de partout monter avec les applaudissements il a dû pleurer cinq jours et cinq nuits ! II se
le nom de Renoir. Lui, caché dans l’ombre souviendra de Jules César !
de quelque vomitorium se remettait de ses
émotions et comprenant « le noir, le noir »
attrapait Yves Bonnat par la manche et lui 13 Ju illet
criait : « Eteignez; vous les entendez bien,
ils veulent le noir ». l’apprends que l'hélicoptère n’est retourné
Après les acteurs abondamment acclamés, à Londres qu*avant-hier. C ’est un plan qui a
il apparut enfin ‘sur le proscénium, énorme et dû coûter cher 1

39
15 J u ille t nouent avec l’arrivée du capitaine John, j’ai
retrouvé mieux encore que mon éblouisse­
Le cinéma est encore à Tourrettes. L ’équipe ment de naguère. II y a bien là 3 ou 4 mo­
de Catch the thief est revenue, elle a cons­ ments sublimes, la séquence des cerfs-volants,
truit un immense praticable en tubes d ’acier l’enterrement de Boggey, le quadrille du bai­
en bordure de la route pour faire un raccord ser... Ce qui me frappe davantage encore avec
dans le plan de l’hélicoptère. Hitchcock qui le recul de cette troisième vision, c’est une
visionne à Hollywood les prises de vues trois qualité exceptionnelle chez Renoir dont on
jours après, a télégraphié qu’on ne sentait pas peut bien dire que généralement la perfection
assez que les voitures débouchaient du village. et l’exactitude de la composition dramatique
Le praticable à 10 mètres du sol permettra ne sont pas le fort. J’entends bien naturellement
de faire un plan de coupe plus rapproché. que noua aimons souvent justement chez lui
Bavardant avec les techniciens français, je cette liberté vivante du récit qui sait quand il
comprends q u ’à 8 ou 10.000 km, ce diable faut se moquer d ’une vaine vraisemblance. Il
d ’Hitchcock leur donne l’impression de sur­ n’empêche que la coïncidence miraculeuse de
veiller leur travail presque comme s’il était cette liberté avec l’exactitude formelle ne peut
là. Pis encore, car en son absence, il ne s’agit qu’ajouter au charme. Or, il y a dans Le
pas de ne pas faire exactement ce qui était Fleuve plusieurs longues séquences dramati­
prévu. Ce plan me confirme également dans ques où le montage joue un rôle important
le sentiment que m ’avait donné d ’autres con­ (à l’opposé de la continuité de La Règle du
versations, soit avec Hitchcock, soit avec tel de jeu) et ce montage est d ’une justesse de fem^io
ses collaborateurs, à savoir que dans chaque stupéfiante. Non seulement quant au cadrage
plan il fallait sentir quelque chose. L a recher­ et à la durée des plans, mais, pourrait-on dire,
che de cette tension, ce « devenir intérieur » dans leur matière morale. Le mouvement spi­
du plan au delà de l’événement dramatique rituel de la séquence, son itinéraire et son
proprement dit, est peut-être la clef de la épanouissement sont d ’une coulée si parfaite
mise en scène d’Hitchcock. Que dans une et si exacte qu'il faut bien évoquer à leur
salle de montage de Hollywood, Hitchcock propos la finesse intellectuelle de la littéra­
ait trouvé q u ’on ne « sentait » pas que les ture. C’est en particulier en quoi un film
voitures sortaient du village et tout ici est à comme Le Fleuüe prouve la fécondité d ’un
recommencer. cinéma littéraire. Assurément, ces séquences
(l’enterrement) sont souvent muettes, mais telle
autre ( le , quadrille du baiser) n ’a de sens
q u ’en référence permanente au texte, com­
27 Juillet mentaire ou dialogue, et même muettes les
images n ’atteignent à cette acuité, à cette
J ’aî découvert ici en la personne d ’une délicatesse d ’expression que dans le contexte
charmante et brune valenciennoise de 20 ans littéraire général de l’œuvre dont elles ne
une fidèle lectrice des ÇdJiiers, abonnée de­ sont en quelque sorte qu ’une modalité parti­
puis le n 0 1. Nous en parlons bien entendu culière, fugitive, qui peut toujours retourner
et elle leur reproche avec franchise de deve­ au langage ou s’en échapper comme la fleur
nir « de plus en plus difficiles à lire ». Je des sinuosités de la tige.
demande un exemple, m ’apprêtant, comme
d ’habitude, à défendre Scnérer ou Rivette En relation étroite et directe avec ce carac­
(Dorsday s'étant fait plus rare) ! « Tenez, me tère littéraire du film, j ’admirais aussi l’aisance
dit-elle dans le dernier numéro, il y avait un de la stylisation de la mise en scène. Je
article sur André Cayatte, je n ’ai même pas veux dire comme, sans abandonner bien sûr
pu lire le titre ; un mot qui ressemblait à la vraisemblance matérielle et psychologique
cynégétique ou énergétique ! »... d ’une direction d'acteurs qui n ’évoque jamais
la stylisation théâtrale, Renoir simplifie, éli­
mine, dispose les éléments significatifs jusqu’à
31 Juillet .. frôler la rigueur chrorégraphique, 11 faut réflé­
chir pour s ’apercevoir par exemple que le
quadrille du baiser est en fait peu vraisem­
J ’ai vu Le Fleuve cet après-midi à Vence. blable, qu’il y a une simplification symboli­
Ce n ’était que la troisième fois et la première que dans cette poursuite à quatre, de même
en version^ doublée. Les 15 premières minutes que dans l’arrivée du courrier coïncidant avec
ont frisé l’atroce. J’ai bien cru m ’être trompé la naissance du bébé et la lecture des trois
et devoir donner un peu tard raison à la cri­ Ietres sur les marchés. Mais ce décalage entre
tique dont j’avais villipendé la sottise qui re- la réalité brute et cette ordonnance si adroite­
rochait au film son côté Zénaïde Fleuriot. ment réglée c’est précisément la part du mo­
eaucoup de ceux qui l’avait aimé lui re­ raliste (justifié d ’ailleurs ici par l’alibi du
prochaient pourtant les séquences « documen­ « journal i>).
taires » et vaguement folkloriques. Je n& sais
pourquoi elles ne m ’avaient pas alors gêné. Et c’est par là surtout que Le Fieu cet fait
J ’ai perçu cette fois-ci, en même temps du penser aux Dernières vacances où tout l’effort
reste que leur adresse formelle la relative de Leenhardt tendait aussi à ce dépouillement
rupture de ton qu’elles provoquent et c’est de moraliste au sein d ’une mise en scène d’au­
pourquoi les généralités philosophico-touristi- tant plus amoureuse de la réalité.
ues du début ajoutées à la souffrance du
oublage provoquèrent sans doute m a décep­
tion. Mais dès que les rapports humains se A n d ré BAZIN.

4o
LIS FILMS

LE MEILLEUR DES MONDES


GENTLEMEN PREFER BLONDES (LES HOMMES PREFERENT LES BLON­
DES). film américain en Technicolor c f H o w a r d H a .w k s. S c é n a r io : Charles Lede-
rer, d’après la comédie musicale de Joseph Field et Anita Loos. I m a g e s : Harry
J. Wild. D éco rs : Claude Carpenter. M u s iq u e e t c h a n s o n s : Jule Styne, Léo Robin,
Hoagy Carmichael et Harold Adamson. I n t e r p r é t a t i o n : Jane Russell, Marilyn
Monroe, -Charles Coburn, Elliot Reid, Tommy Noonan, George Winslow, Marcel
Dalio. P r o d u c t io n : 20th Century Fox, 1953.

Il y a toujours quelque impertinence D’ailleurs, s’il est des films devant


à philosopher sur une comédie et, qui lesquels je conseillerais de ne point
plus est, musicale. Mais ma plume trop s’embarrasser de théories et de
n'ayant ni le mordant, ni la verdeur de s’abandonner au pur plaisir de voir :
celle de mon ami Lachenay, force m’est Lili, par exemple, ou V a c a n c e s r o m a i ­
de commettre, en parlant du dernier n e s , tel n’est pas le cas pour L e s
Hawks, une faute de ton dont on vou­ H o m m e s p r é f è r e n t le s b lo n d e s . Je com­
dra, je l'espère, m’excuser. prends que ce dernier ne puisse empor­

41
ter notre adhésion — j'entends par nous cela était dans l’ordre des choses et
le public français cultivé, même fer­ comportait, comme restriction, la re­
vent cinéphile — qu’à la réflexion connaissance de l’autorité masculine.
seconde. Les deux premiers, pour fa­ Qu’elles persistent à rester dans cette
ciles et divertissants qu’ils fussent, voie, fortes maintenant de nos mœurs
prouvaient, parmi tant d’autres, que égalitaires, n ’est plus de si bon jeu.
Hollywood peut justement se parer du Elles trichent, soit, dans l’exercice de
titre, jadis ici même jalousement re­ leur profession : mais n'est-ce pas déjà
vendiqué, de capitale de l’esprit et du brouiller les cartes que de vouloir gar­
goût : celui-ci, au contraire, ne four­ der intacts les privilèges de ses grand-
nirait que trop d’arguments à qui mères tout en refusant leurs servitu­
guette l’occasion de dénoncer la mons­ des ? Telle est la couleur bien moderne
truosité de la « machine à rêver » dont se teinte ledit roman.
américaine et l’impudente vulgarité
ÿankee, Que l’on m'entende : tel n’est Mais revenons au cinéma, car il ne
nullement mon avis; mais quel que soit m’importait que de mettre en lumière
le bien que je pense de ce film, le l'actualité du thème» sur un fond de
charme quasi direct sous lequel il m’a convention, Ce sera toutefois pour
tenu, je conçois qu’on puisse attribuer ‘ ouvrir une seconde parenthèse : la part
la chaleur dé mon éloge à certaine vo­ du mythe, ici, est certaine, mais je pré­
lonté de paradoxe ou amour saugrenu fère une machine à forger de nouvelles
de la difficulté. idoles — sous les stuc desquelles il n ’est
pas besoin d'être très perspicace pour
; Malaisée, certes, est la voie où je découvrir le visage sans fard d ’une
m’engage. Il ne s’agit pas de plaider époque ou d'une société — à ,1a
coupable de faire appel à quelque sno­ vaine suffisance que mettent tant de
bisme du mauvais goût, et je préfère cinéastes, mes compatriotes, à dé­
ne pas réussir tout à fait dans mon foncer les sanctuaires les plus vermou­
dessein. Un tel cinéma répond mal aux lus. Je sais bien que les scénaristes du
normes, aux mots; en vigueur dans la Vieux Monde se hasardent parfois à
critique : plutôt que d’exciter une développer des thèmes moins désuets
admiration reposant sur le moindre que le « rachat par l’amour d’une fille
malentendu. Tâche d’autant plus dif­ perdue » et que nos rivages, de la Ca-
ficile, puis-je ajouter, que je ne vou­ labre à la Baltique, servent de cadre
drais point m’aventurer hors des fron­ à d’autres ébats qu'à ceux de hyènes,
tières de l’esthétique. On devine, en lionnes, chiennes, biches, louves et
effet, quelle richesse de commentaire autres fauves chers aux romanciers
cette œuvre peut offrir au sociologue du xix: je verrais'même dans certains
ou au psychanalyste. La matière, œuvres — non toujours les meilleures
même, est d’or, et point n'est besoin — se dessiner la silhouette d’une jeune
d’être très avancé en la science de femme dite moderne, « sainement »,
Freud pour apprécier comme il se doit rationnellement libertine, comme avide
ce coktail de haut goût. de prendre sa revanche de l'amère con­
tinence où l’ont tenu vingt, sinon trente
Le roman d'Anita Loos, dont fut ti­ siècles de conformisme moral, mais
rée la pièce, puis l’opérette qui inspira* outre que je n’ai pas eu la chance d'ob­
le film, est de ceux qui résistent à server de près semblable type humain,
l’épreuve du temps. Toute société a pos­ sinon dans des romans de Victor Mar­
sédé ses Lorelei et ses Dorothy et la guerite, je serais plutôt tenté de con­
technique de nos héroïnes dans l’exer­ clure que la logique féminine n ’est pas
cice du plus vieux métier du monde tout à fait la nôtre et que s’il s ’agit
n ’est pas sans compter maints précé­ simplement d'être à la vage, en notre
dents : de ce point de vue même paraî­ siècle chaste et vénal, la Lorelei en
tront-elles un peu surannées, et, si question, ,tout comme la yrofessionnal
quelque gentilhomme du temps d’Hen­ Virgin de La Lune est bleue, emporterait
ri IV revenait sur terre, les considére- aisément le prix. Bien entendu, je ne
ïait-il sans doute avec une stupéfac­ porte point de jugement moral :
tion moindre que telle recordman croyant tout bonnement avec Boileau
d’aviation ou dirctrice d'entreprise. Il que le « vrai est aimable », même dans
y a néanmoins la manière : que nos la fable, je cultive sans remords mon
compagnes de jadis n’aient eu d’autre penchant pour des films qui, en plus
moyen de subsistance que le prix re­ d’attraits moins austères, me donnent
connu de leurs charmes — ou dans le l'impression d'avoir enrichi mon bagage
cas le plus moral de leur charme — d’historien ou de moraliste.

42
Ja n e Russel et les athlètes de l’équipe olympique am éricaine dans
Les H o m m e s p réfèren t les blondes.

Loin de moi l'intention d'exalter le nir et la présente) forment un bloc


mode de vie américaine — d'un point aussi cohérent et original que l'œuvre
de vue esthétique, j'entends — ni de de Lubitsch, Capra ou Sturges.
prétendre que, tout en en étant moins Le rire fait sa pâture du présent et
doué que celle dont nous avons l’heur peut-être surprendrai-je en attribuant
de jouir, la way of life de là-bas offre à notre auteur le prix de 1’ « actua­
au chroniqueur un champ d’exploration lité ». Pourtant nombre de comédies
plus riche. américaines de la glorieuse époque des
J'accuserai moins nos mœurs que années trente, n ’ont de moderne que la
notre faculté d'observation et le joug façade, et, mutatis mutandis, évoquent
des traditions littéraires, plus malaisé mainte situation traditionnelle, alors
qu’on ne le pense à secouer. D'ailleurs, que le burlesque de A Song is born (Si
cet éloge timide n’a, dans; ma pensée, bé mol et fa dièze) ou de Monkey Bu­
d’autre but que de nous faire pénétrer siness (Chérie je me sens rajeunir)
par la meilleure porte dans l’œuvre, en. prend sa source dans quelque vice pro­
France mal connue et surtout mal ju­ pre à notre époque. H est commun de
gée, du plus américain des cinéastes, remarquer combien l'actuelle confu­
J'eusse préféré une entrée en matières sion des valeurs, la disparition des
moins laborieuse, mais force est de se castes, des hiérarchies, de toutes sortes
référer, ne serait-ce que pour en pro­ de préjugés rend de plus en plus in­
poser d'autres, aux critères chez nous grate la tâche de l’humoriste. En un
employés, Howard Hawks a la réputa­ mot, il semble qu’il y ait matière cha­
tion de ne tourner que les sujets qui que jour plus mince à l’irrespect, à
lui plaisent, ainsi s’explique la minceur moins que l’auteur de comédies ne se
relative d’une production établie sur prenne à dénoncer non les valeurs ja­
trente ans (une trentaine de lilms en dis les plus orgueilleusement installées,
tout). Jacques Rivette a montré l’an et qui croulent, mais celles qui, sournoi­
dernier quelle unité d'inspiration et de sement, à notre insu même, se prépa­
style celle-ci pouvait offrir, à travers rent à les remplacer ; par exemple, la
les thèmes les plus divers. En tout cas foi béate en la science de l’égalité, la
ses comédies (L’Impossible monsieur tolérance, l’idée du bonheur dû à cha­
Bébé, La Dame du vendredi, Boule de cun, etc. S’il est vrai, comme préten­
feu, Si bé. mol et fa dièze, Allez cou­ dent nos libres esprits, que l’art n’a
cher ailleurs, Chérie je. me sens rajeu­ rien à faire avec la morale, je ne vois
pas pourquoi notre morale matérialiste l’éclair. Et l'objet de cette attente est
ne mériterait pas, elle non plus, quel­ si redoutable ou si peu crédible que
ques flèches bien décochées. Ce n’est l'événement n'a d’autre rôle que la
même pas la science, mais qui pis est, vérifier. C'est bien sur ce schéma que
le « noble » esprit de recherche qui fait sont construits les trois ou quatre
le frais des sarcacmes de Hawks dans gags des H o m m e s p r é f è r e n t les b l o n ­
les deux films cités. Précisons; car faire d e s : l'arrivée de Harry Spoffard III,
découvrir par un singe l’élixir de jou­ l'évasion de Lorelei par le hublot, la
vence est un trait, je veux bien super­ main du gosse baisée par lord Beekman,
ficiel, surtout si, après la cascade de le déshabillage de Malone et l’on ne
situations cocasses qui, de là, décou­ peut nier que, dans tous ces cas, le
lent, on ne sait nous renvoyer qu’à fait se borne à justifier crainte, gène
« Féternelle jeunesse de cœur ». Mais, ou sadique curiosité. Ne parlons donc
miracle du cinéma, le montrueux visage pas d'insolite mais plutôt de 'd é p la i­
offert par nos quadragénaires après la s a n t voulu comme tel —. en référence
cure et qui n’a d'égal en hideur que les bien entendu avec les tabous de bon
grimaces de l’heureux chimpanzé, nous ton et de la pudeur. Aux esprits cha­
incite à travers nos rires — en ce som­ grins qui blâmeraient notre auteur de
met de l’art comique où Ginger Ro- n ’avoir 'pas poussé plus loin encore,
gers croit reconnaître Cary Grant sous je ferai observer.que l’ignoble, ici tout
les traits d’un bambin de deux ans, juste frôlé, tue le rire et que je ne
aux airs de chérubin — à pencher plu­ saurais en ces cas précis m’en prendre
tôt vers un tout autre lieu commun, plus à une censure qui sert, au moins,
amer, sinon moins galvaudé : que jeu­ d’heureux garde-fou.
nesse passe et ne revient plus. Ce film, On fera de ces remarques, encore
que j’ai pris la liberté de citer ici, nous empiriques, l’usage qu’il semblera.
montre mieux que tout autre encore Elles ne portent que sur un aspect du
comment le burlesque n’est, chez Hawks film : j'espère qu'elles auront le mé­
que l’envers de l’héroïque, la grimace, rite de faire mieux apprécier cet air
de cette haute élégance que l'auteur de de bouffonnerie héroïque dont il est
R e d R iv e r ou de B ig SJcy donne au baigné : c'est un chant claironnant, un
moindre geste, au moindre regard. En péan, un hymne à quoi ? à qui ? A
cet univers de noblesse et de beauté Moloch ? à Vénus ? à d’autres moins
qu’il a su construire, la laideur appa­ nobles ? Voici, en tout cas, l’aimable
raît comme le châtiment immanent de Marilyn posée sur un piédestal plus
toute entorse envers l'ordre, la nature. haut encore que celui où elle avait
Conception classique, sans doute, bien aimé s'intaller. Je dis bien Marylin et
loin du new look burlesque français. Je non Lorelei car l’interprète de N ia g a r a
crois apprécier, moi aussi, Jacques Tati a tourné enfin ici le rôle correspon­
mais louerais notre meilleur comique, dant exactement au portrait mythi­
non tant d'avoir proposé des objets que qu’ont popularisé les magazines et
nouveaux à notre rire, que raffiné à prend la succession enviée des Greta
l'extrême une technique éclose aux pre­ et des Marlène. Il est des cas où l’on
miers âges du cinéma. Ce qui me plaît, ne saurait que féliciter un metteur en
au contraire', dans les comédies de scène de ne pas faire appel au pre­
Hawks, est le son neuf qu’elles donnent: mier mécano ou la première bergère
loin de se référer à d’illustres antécé­ venue. Loin de moi la pensée de blâ­
dents, d'enrichir sur des situations dé­ mer Hawks de complaisance envers la
jà données, prendre des g a g s à rebours, mode ou le goût des foules : il me
les pousser jusqu’à l’irrationnel ou les plaît, au contraire, de constater qu'un
dévier de leur signification, comme a grand cinéaste sait battre ses con­
fait naguère Preston Sturges sur des frères dans la branche réputée pour
thèmes de Capra, elles tirent leur subs­ la plus commerciale. Preuve de plus
tance de la vie même. Ce n’est point contre la prétendue nature populaire
de l’idée intellectuelle de Y a b s u r d e que ou collective de l'art cinématogra­
le rire, ici, prend sa source mais du phique. J'admets qu'il y ait, comme le
sentiment d’un p o s s ib le , reconnu seu­ ■faisait? remarquer André Bazin, une
lement comme tel à l’ultime moment « profondeur du superficiel » et même
de sa réalisation. Hawks, comme Cha­ une esthétique du « mauvais goût »;
plin et tant d'autres, joue sur l'attente, mais, qui irait voir un tel film pour
mais peut-être accorde-t-il plus de la simple joie de s’encanailler, ou même
soins qu’eux aux « préparatifs », car le comme on va aux opérettes de Minelli,
gag proprement dit a la rapidité de un pli d'ironie au coin des lèvres, ris-

44
Querait fort d'être déçu. En vain cher­ plus beaux athlètes d’Amérique. Je sais
cherait-il ici la moindre trace de paro­ que le diamant n’est là que le symbole
die comme en GihVa ou autres N ia g a r a . et que le dollar ou le chèque, objet de
L'humour de Hawks a d’extraordinaire soins tout aussi vifs, se parent de moins
qu’il n ’est pas fait de condescendance; poétiques couleurs; mais je ne saurais
le technicolor même nous nargue, cô­ qu’approuver un cinéaste d’avoir mas­
toyant le criard sans jamais y tomber. qué la vilenie en même temps que la
Je ne connais pas de cinéaste, en ces plus photogénique... Et lorsque les ma­
scabreux sentiers, plus impudemment riées apparaissent en robe blanche,
raffiné, disons plus s é r ie u x . nous ne sommes pas loin de pleurer
Dans le roman d’Anita Loos, il est d’attendrissement comme à la conclu­
longuement question d’un diadième ha­ sion de la plus pure' idylle. C'est tout
bilement subtilisé par nos demoiselles juste si nous nous apercevons à temps
et prétexte aux plus noires manigances: de notre méprise. Mais, au fait, nous
peut-être regrettera-t-on que dans le trompons-nous ? « Tout est pour le
film il soit l’objet de tractations moins mieux dans le meilleur des mondes •»,
savantes et moins cyniques ? Qu’im­ écrit Lorelei avant* de refermer son
porte, puisqu’on y brille de tout l’éclat journal. Lecteurs nous avions souri,
de ses mille feux tentateurs, auxquels spectateurs nous sommes prêts à lui
on comprendra que la naïve et rouée accorder raison.
Lorelei ait sacrifié la chair falote des Maurice SCHERER.

ALCESTE EST DANS LE SAC PREFER£fô


Félicitons une fois de plus H o w a r d et j’en sais même qui sont de pures
Hawks de nous réadapter à une forme réussites, mais il ne s’agissait malgré
de comique dont nous avions perdu tout que d'un s p e c ta c le réglé par des
décidément l’habitude. Quand je dis : lois très précisés. Hawks, tout en fei­
nous, j ’emploie un pluriel de politesse, gnant de respecter scrupuleusement ces
étant bien certain que le bon public lois, nous donne une leçon de choses
n’entend concéder aux comédies musi­ où l'insolite et la gêne se mêlent tou­
cales ou non, de Hawks que l’attention jours à l’agréable. On savait depuis
distraite et amusée qu’il accorde à toute longtemps que les tartes à la crème
autre comédie américaine. Ni plus ni et les coups de pieds dans les fesses
moins; quant aux intellectuels ! étaient indispensables pour faire pas­
Il faudra pourtant cesser de mélan­ ser le « message ». Avec Hawks, pré­
ger les ^torchons et les serviettes et de cisément- le message est dans les
confondre, Hawks- avec- Vincente- Mi- tartes à la crème, C’est dans-le- sac-
nelli, Frank Capra ou Gregory La Cava. où Scapin s’enveloppe que réside la
Entre l’humour, la gentillesse « novo- moralité mais il advient que le public
caisante, sirupeuse et laxative de ces ne l’entend ni ne la voit : le sac d’un
derniers et le comique frénétique et côté et Alceste de l’autre. L’ennui,
ligottant du plus grand metteur en c’est qu’avec Hawks c’est Alceste qui
scène américain (comique où toujours est d)ans le sac, d’où la gêne et la stu­
un malaise fondamental vient abréger peur. Lé rire se glace instantanément;
le rire), il importe d’établir une diffé­ les dés sont pipés et le malentendu
rence. En revoyant M o n k e y B u s in e s s je commence. Malentendu que Hawks,
pensais irrésistiblement à « Georges loin de dissiper, se plaît à entretenir
Dandin en voyant L e s H o m m e s p r é ­ car il tend à une sorte d’absolu : le
f è r e n t les b lo n d e s je ne pense pas du maximum de puissance explosive à
tout à Mme Anita Loos... mais à Ho­ l’intérieur d’une présentation aussi
ward Hawks à l’aise comme un pois­ « poncée » (voilà que je parle comme
son dans l’eau dans un genre aussi M. Gide !), aussi neutre et b a n a l e que
ancien que le cinéma parlant et qui, possible. Cette soumission aux règles
avec lui, acquiert ses lettres de no­ habituelles de l’exposition, ce refus
blesse. Mais existe-t-il encore des délibéré des effets se traduisent par des
genres ? surprises extraordinaires. Je pense en
■ Je n?ai jamais fait la petite bouche particulier à une scènè extravagante.
aux comédies musicales américaines On sait peut-être qu’il s’agit de deux

45
femmes, l’une s’intéressant aux beaux gers d'avant-guerre. Hawks se soucie
garçons, l’autre à l’argent. La « sen­ moins de faire rire que de provoquer.
timentale », dans le bateau qui l’amè­ Il spécule sur une tradition dont il se
ne en France avec son amie, décou­ sert à des fins personnelles et il pousse
vre dans une piscine les charmes mul­ les choses aussi loin qu'elles peuvent
tipliés de l’équipe olympique deâ aller. Et il arrive que cela craque-, à
Etats-Unis. Cette chair saine et rose preuve cette petite histoire. Dans un
Tinspire et elle y va de èa chanson­ film à sketches tiré d'un recueil de
nette rythmée, par les mouvements nouvelles de O'Henry et dont le titre
gymniques de toute l’équipe. Cet éta­ français est S a r a b a n d e d es p a n ­
lage insensé de viande masculine, stan­ tin s , Hawks ^s'était réservé le sujet sui­
dardisée, calibrée, au milieu duquel vant : des kidnappers s'emparent d’un
s'ébat cette femelle donne un specta­ gosse qui se révèle tellement insuppor­
cle atroce. Cette espèce humaine indif­ table qu’ils n’ont qu’une hâte : le ren­
férenciée et interchangeable est sans dre à ses parents. Ceux-ci, trop heu­
espoir. Que dire de plus, après cette reux d’être débarrassés d'un exécrable
marque au fer rouge bien plus irrémé- garnement, se refusent à le reprendre
' diable que tous les réquisitoires de au grand dam de nos kidnappers. Le
M. Lazlo Benedek ? Le reste, du film sketch, ne faisant pas rire, fut finale­
n’atteint pas ce ,sommet mais le ma­ ment retiré du film et ne fut jamais
laise demeure, que rien ne vient atté­ présenté en Europe ni aux Etats-Unis.
nuer, ni le dénouement parfaitement La lucidité et l’insolence de Hawks
non-conformiste (Marilyn Monroe épou­ avaient été telles que cela a mis la puce
sera son milliardaire et Jane Russel à. l’oreille du public qui s’est défendu
son jeune premier), ni la conduite des devant l’atrocité de la charge en refu­
personnages (inepte ou odieuse, qu’il sant de rire. Ce qui était complicité
s’agisse d«s hommes et des femmes). dans L ’Im p o s s ib le M . B é b é , S i b é m o l
Aussi, pour donner un peu de jeu à. e t f a d iè se et M o n k e y B u s in e s s devenait
cette mécanique digne d’une colonie ici manifeste.
pénitentiaire (au sens de Kafka), .quel­ Il y a à la base de l’art de Hawks
ques foucades de Marilyne, une bonne un pessimisme radical très voisin de
séquence dansée et chantée (au fond, celui de Faulkner et qui doit prendre
pas tellement bonne mais quelle im­ sa source dans un puritanisme rigou­
portance ) et le tour est joué. reux. La marque de ce puritanisme, je
Je n ’ajouterai pas mon grain de sel la vois non seulement dans le choix des
à ce que dit par ailleurs Scherer si je sujets mais aussi dans la manière qu’il
n’étais pas convaincu des énormes a de les raconter, pleine de retenue
contre-sens que ce film va faire com­ dans l’audace la plus extrême. Après
mettre. Je le répète : aucune commune Murnau et Stroheim, Hawks, Welles et
mesure, malgré une parfaite ressem­ Hitchcock assurent le triomphe d’un
blance extérieure, entre G e n t l e m e n cinéma intellectuel et « critique ».
v r e f e r b lo n d e s et H oio to m a r y a m ü -
lio n a ir e de Négulesco, ou les G o ld d ig - Jean DOMARCHL

FIERS COMME DES HOMMES

LES AVENTURES DE ROBINSON CRUSOE, film mexicain en Pathécolor de


Luis B u n u e l . S c é n a r i o : Luis Bunuel et Phillip Roll d'après le roman de Daniel
Defoe. /mages ; Alex Phillips. M u s iq u e : Anthony Collins. D éc o rs ; Edward Fitz
Gerald. I n t e r p r é t a t i o n : Dan O’Herlihy, James Femandez, Felipe de Alba, José
Chavez, Emilio Garibay. P r o d u c t io n : Oscar Dancigers et Henry F. Ehrlich, 1953.
D istrib u tio n ) : Artistes Associés.

Comme tous les films de sa produc- dans l'entretien de notre numéro 35, il
tion mexicaine R o b i n s o n C ru so é n’est a accepté « parce qu'il a aimé le per-
pas un sujet que Bunuel a choisi lui- sonnage et parce qu’il y a en lui quel-
même. On le lui a proposé et, bien que chose de pur ». Devant pareille
qu’il n'aimât point le roman, a-t-il dit prise de position au départ, on peut

46
Dan O'Herlihy et Jam es Fernandez dans Robinson Crusoé de Luis Bunuel

logiquement se demander quel est le nomènes de lentes transformations. Il


degré de fidélité du film à l'égard de y a là une sorte d’ « image par ima­
l’ouvrage. Je connais mal le livre lu ge » psychologique qui s’impose à nous
enfant et jamais relu depuis, mais par cette vertu propre de l’écran : le
Denis Marion, grand spécialiste et tra ­ réalisme naturel de ce qui ne nous est
ducteur de Daniel de Foé m’a affirmé ni conté, ni peint, mais d’abord mon­
que dans l’ensemble le film était très tré. Tout se passe comme si pendant
fidèle à son modèle, que Bunuel n ’avait dix-sept ans, on avait pris de Robinson
rien retranché et que les seules libertés une photo par jour et que s’animent
prises allaient dans le sens d’un ajout devant nous ces six mille deux cent
psychologique, quant aux relations en­ cinq images de la vie d’un homme : la
tre Robinson et Vendredi. Nous verrons barbe pousse, les traits se burinent, les
plus loin que c'est par là que Bunuel vêtements s’altèrent, deviennent loques
a marqué le film d’un sceau personnel. puis le parfait uniforme du naufragé
Le cinéaste résume ainsi lui-même adapté, la démarche change, un léger
la première partie du film : « C’est sautillement apparaît, certains con­
l’homme en face de la nature, pas de trôles utiles à la vie sociale disparais­
romance, de scènes d’amour faciles, de sent, il parle tout seul, le monologue
feuilleton ni d’intrigues compliquées. intérieur demeure mais aux propor­
C'est simplement un type qui arrive... tions d’un univers démesuré où rien
et doit se nourrir ». Il y avait là une ne le retient plus. Bunuel a réalisé là
gageure —' pendant sept bobines de un de ses vieux rêves : étudier le com­
pellicule uniquement un homme, son portement d’un homme comme celui
chien et la solitude — et Bunuel l’a d’un insecte, disséquer ses mœurs sans
tenue de façon éblouissante car le aucun postulat spirituel à priori. Au
spectateur est captivé, fasciné par cette bout du compte, il y a comme l’ad­
aventure solitaire où il n ’y a pourtant dition de tous les clichés superpo­
aucun des éléments traditionnels qui sés du héros : cette surprenante image
retiennent d’habitude, et eux seuls, son de Robinson déambulant dans son do­
attention. De fait, rien n'est plus ciné­ maine, vêtu de peau de bêtes, avec son
matographique que ce long monologue, parasol, son perroquet sur l’épaule, son
d’abord parce/qu’aucun outil mieux chien à ses côtés, grommelant avec un
que le cinéma ne saurait nous montrer léger sourire, sorte de demi-fou et de
le déroulement du,temps et des phé­ demi-sage ; image fixée par Bunuel

47
avec tendresse et ironie dans un style ils se retrouvent fiers comme des hom­
très dix-huitième. En filigrane de la mes ! J’espère que cette intention sera
séquence, il y a aussi un second scé­ sensible. » Ne vous inquiétez pas, cher
nario interne : le long dialogue de Bunuel, l’intention est parfaitement
Robinson avec Dieu, conversation fa­ sensible et nous ne saurions mieux que
milière comme avec le chien ou le per­ vous résumer cette poignante évolution
roquet, mais traversée d’un grand des rapports entre les deux hommes.
doute : « Ne serait-ce point plutôt un Comme de celle de beaucoup de
monologue ? » C’est ce qu’exprime à la grands films, il est difficile de parler
fin de cette partie la magnifique scène de façon précise de la mise en scène
où Robinson, au sommet d’une mon­ de .Ro&ircscw Crusoé tant elle est adé­
tagne, interpelle le Seigneur en hurlant quate au sujet, se confond avec lui;
et ne reçoit pour réponse que l'écho en épouse lés plus minutieux desseins
que lui renvoient les vallons. Cette an­ sans perdre jamais le souffle large qui
goisse de la solitude atteint son pa­ porte le récit de bout en bout. Il vaut
roxysme dans cette course à la mer mieùx insister sur le fait que le film
et le flambeau jeté dans l'océan où il est en couleurs et qu’abandonnant le
s'éteint avec l’ultime interrogation, mé­ noir et blanc pour la première fois,
taphysique de Robinson qui va s’instal­ Bunuel a pour son coup d'essai fait
ler confortablement dans sa solitude. un coup de maître. Sa palette ;est fraî­
Et puis un jour, après des années et che,. franche, riche de nuancés exqui­
des années de ce confort moral, c'est, ses, toujours harmonieusement cernée
comme un coup de tonnerre, l’em­ par le bleu de la mer et du ciel. Utili­
preinte d’un pied humain dans le sable sant la couleur avec un mélange de
de la plage et cette brusque terreur modestie et d’audace, Bunuel se révèle
de Robinson de se retrouver face à un un coloriste plein de goût et de style.
de ses semblables. Une seconde partie J’ai entendu demander : « Est-ce un
commence, aussi belle, aussi fulgu­ film pour enfant ou pour adultes ? »
rante que la première : le duo Robin- Je répondrai qu'alliant une profonde
son-Vendredi. « Tout de même, dit matùrité à une pureté presque espiègle
Bunuel, malgré les coupures qui ont le Robinson Crusoé de Bunuel, par
été faites, je crois que les relations de cette fondamentale et existentielle am­
Robinson et de Vendredi demeurent biguïté, est le premier film où les en­
assez claires : celles de la race « supé­ fants peuvent laisser venir avec eux,
rieure » anglo-saxonne avec la race sans crainte les parents qui s’instrui­
« inférieure » nègre. C’est-à-dire qu’au ront pendant qu’eux vivront un grand
début Robinson se méfie, imbu de sa roman d'amour.
supériorité, mais à la fin ils en arri­
vent à la grande fraternité humaine.,,. Jacques DONIOL-VALCROZE.

LES NÈGRES DE LA RUE BLANCHE

RIVER o f NO RETURN (RIVIERE SANS RETOUR), film américain en Ciné­


mascope et en Technicolor d’Orro P r e m i n g e r . Scénario : Frank Fenton d’après une
histoire de Louis Lantz. Images : Joseph La Shelle. Décors : Walter M. Scott et
Çhester Bayhi. Musique : Cyril J. Mockridge. Interprétation! : Marilyn Monroe,
Robert Mitchum. Rory Calhoun, Tommy Rettig. Production : 20th Century Fox,
1953. -

PRINCE VALIANT (PRINCE VAILLANT), film américain en Cinémascope et


en Technicolor d ’HENRY H a t h a w a y , Scénario : Dudley Nichols d'après les dessins
d’Harbld Foster, créateur du « Prince Vaillant ». Images .* Lucien Ballard. Décors' :
Walter M. Scott et Stuart Reiss. Musique : Franz Waxman. Interprétation : James
Mason, Janet Leigh, Robert "Wagner, Debra Paget, Sterling Hayden, Victor Mac
Laglen, Donald Crisp, Brian Aherne. Production : 20th Century Fox, 1953.

48
KING OP THE KHYBER RIFLES (CAPITAINE KING), film américain en
Cinémascope et en Technicolor (I’Henry King. Scénario : Ivan Goff et Ben Roberts
d’après Harry Kleiner et Talbot Mundy. Images : Léon Shamroy. Décors : Walter
M. Scott, Fred J. Rode et Paul S. Fox. Musique : Bernard Herrmann. Interpré­
tation : Tyrone Power, Terry Moore, Michael Rennie. Production : 20th Century
Fox, 1953.

Il y a donc treize mois que la technique égal, le décalage est trop fort
Twenty-Century-Fox présentait au Rex entre la qualité de l’image et la pla­
les premiers essais de Cinémascope. titude de la mise en scène, l’insigni­
Dès ce jour, les opinions furent diver­ fiance de l’argument, l’absence de style.
ses, opposées, et le sont encore. Pour Le Cinémascope inventé, imposé, ad­
nous en tenir à ces seuls Cahiers, je me mis, il ne fallait rien changer à rien ;
permettrai de renvoyer le lecteur à « le nouveau procédé ne servira que les
deux « ensembles » polémiques et con­ füms spectaculaires » ; combien de fois
tradictoires concernant le procédé, pa­ l’aura-t-on entendue, cette sottise.
rus à 6 mois d’intervalle, dans le nu­ Claude Autan-Lara, qui tourne aujour­
méro 25 d’abord, puis lors de la sortie d’hui Le Rouge et le Noir en Eastam,
sur Paris de La Tunique, dans le nu­ aurait vu son Diable au corps traîné
méro SI. dans la boue s’il avait eu en 1946 la
Le meilleur argument pour ? Celui belle audace de le tourner en couleurs.
de Maurice Schérer sans doute : « Ce Huit ans plus tard il est enfin admis .
que je reprocherais au cadre tradition­ que la couleur sert tous les sujets et
nel, c’est qu’il nous obligeait à le bour­ plus encore ceux réalistes et dramati­
rer. (Aussi ai-jei toujours préféré les ques. J ’aurais aimé que Darryl F. Ze-
objectifs à courte focale..,) Le Cinéma­ nuck, mettant un frein à sa biblique
scope introduit enfin dans notre part ardeur, continuât de diriger la Fox
le seul élément sensible qui lui échap­ comme par le passé et que l’hypergo-
pât : Vair, Véther divini des poètes. » nar entrât au service de films identi­
Le meilleur argument contre ? Celui ques à ceux que cette excellente firme
d’André Bazin, confirmé par l’expé­ nous offrait ces dernières années :
rience : « Un film ennuyeux le sera Chérie, je me sens rajeunir, Bas les
deux fois et demie davantage en Ciné­ masques, La Femme aux cigarettes,
mascope. D’une part, aussi, l’enthou­ Baïonnette au canon, Les Forbans de
siasme de la « jeune critique » : « Notre la nuit, Eve, etc. Au lieu que nous al­
génération sera celle du Cinémascope. » lons, pendant deux ans, ingurgiter de
(Jacques Rivette) ; d’autre part, l’indi­ force — à moins que nous ne renon­
gnation des anciens : « Un coup de dès cions — Reines de Sabbat, Egyptien en
jamais n’abolira le bazar 2>, disent — tous genres et autres Tintin et Milou
en substance mais moins finement —■ évangéliques.
les « vieilles barbes s>. Précisément, j’en H faut espérer — et prier au besoin
arrivée à Georges Charensol qui a dé­ pour — que cette crise de délire mys­
claré devant je ne sais quel micro : tique se terminera par un éclatement
« Uavant-garde ? C’est quand Ü y a des tiroirs-caisse et que la Fox revien­
un gros plan et que c’est muet », à quoi dra à de plus terrestres et surtout, que
Schérer rétorque : « Au seuü de cette diable, plus modernes ambitions.
année cinquante-quatre, Vavant-garde, L’écran large, dans son ébauche d'en­
c’est d’abord le Cinémascope. On aura veloppement enjôleur, appelle télépho­
décelé sans peine mon parti, je puis le nes, voitures, gratte-ciel, revolver, taxis
dire : mon parti pris : dès la première multicolores, talons aiguilles et bas ny­
heure je fus acquis à l’hypergonar qui lon ; c'est notre civilisation que nous
m’en jetait « plein, la vue ». désirons découvrir dans des perspec­
Las de la polémique — émet-on un tives neuves. Dans l'esprit des diri­
avis sur le soleil et la pluie — chacun geants de la Fox, les Cinémascopes
s’en retourna chez soi et un beau si­ s’adressant à<la presque totalité du pu­
lence s’établit de part et d’autre sur blic fréquentant les salles, il convient
Tempête sous la mer de Robert de produire moins ; d’où suppression
D. Webb, Comment épouser un mülion- des films de séries B et C, de rapport
naire de Jean Negulesco et Capitaine moindre. Tous les films désormais se­
King d’Henry King. C’est qu’en ce qui ront de série A et comporteront au
concerne ces trois films d’un bonheur moins quatre vedettes (ce qui, entre

49
4
R o b ert M itchum et M arilyn M onroe d a n s R iv e r of no R e tu rn d ’O tto P re m in g e r

autres désagréments, nous privera de Cinémascopes visionnés à ce jour est


vraies comédies : celles à deux person­ la suivante : les bons? metteurs en scène
nages à quoi l'on substitue le compro­ continueront de tourner de bons films.
mis comédie-opérette du style Com­ Jusqu'ici, nous n'avions guère été gâ­
ment épouser un millionnaire). Tout tés : Koster, Webb, Négulesco, Reine
cela ne va pas sans de graves incon­ d'Angleterre, King, Butler. Quant au
vénients. D’abord, il est bien évident premier Scope d’Hataway : Prince
que les films de séries B et C étaient Vaillant, il est loin de valoir son'der­
bien meilleurs que les séries A. Le meil­ nier film « en plat » : Niagara. J ’en
leur série A (exemple : Tant qu'il y reviens donc à cet axiome. La preuve ?
aura des hommes est loin de valoir Un bon metteur en scène ? Otto Pre­
un petit Cuckor). De plus, pour payer minger, qui a tourné Rivière sarcs re­
toutes ces vedettes, il faut compresser tour.
les devis et c'est ainsi que des films Je ne pourrais guère à présent m'y
aussi ennuyeux que Prince Vaillant ou attarder et d'ailleurs qu’en dire ? Est-
Capitaine King sont des films appa­ ce le meilleur Preminger ? Non, mais
remment de série A mais tournés avec sans aucun doute c’est le meilleur Ci­
les moyens de série B. Or, comme les némascope. Otto Preminger est singu­
films chers se faisaient pardonner leur lièrement méconnu. On admire chaque
sottise par le luxe qu’ils déployaient, année une brochette de films améri­
aujourd'hui ils n’ont plus ^aucune ex­ cains sans se rendre compte de ce que
cuse et dans les films d’aventures ré­ .ces films doivent à Laura. Au nom de
cents le baratin empiète exagérément Preminger il convient toujours d’asso­
sur la bagarre. Fils de l’audace et de cier celui de son opérateur favori, le
la clairvoyance, le Cinémascope va-t-il grand Joseph La Shelle, qui est d’une
engendrer la mollesse et la bêtise ? La certaine façon appelé à prendre dans
leçon essentielle qui se dégage des huit l’histoire du cinéma américain une

50
place aussi importante que Toland ou dès lors, des films qui « dérangent »,
Maté. Fidèles à leur style de tournage des films qui « gênent ». Preminger, qui
à la grue — avant eux on n ’en usait est un malin, a pris soin d’emmener sa
guère que pour accompagner les des­ petite équipe au Canada — quatre ac­
centes et montées d’escaliers (ou à la teurs seulement — et là, loin des ma­
guerre) — Preminger et La Shelle ont gnats et des hommes d’affaires, il a
tourné le premier Cinémascope mou­ tourné en toute quiétude la descente
vant et cette éblouissante technique d’une rivière, sur un radeau de Mit-
prend ici une ampleur extraordinaire. chum, Marilyn et un petit garçon.
Lorsque Marilyn chante à droite de L’anecdote est trop modeste pour être
l’écran —«cadrée en plan américain — racontée. Rivière sans retour n’a que
et que la caméra tourne autour d’elle le plaisir des yeux pour objet et la
jusqu’à cë qu’elle (Marilyn) se trouve à beauté de chaque plan pour justifica­
rextrême-gauche, on ne saurait plus, tion de ce plaisir. Moins littéraire que
désormais, confondre — comme cer­ Shane ou que Le Train sifflera trois
tains naguère — ce déplacement avec fois, moins profond que Big Sky, c’est
un banal panoramique. Par la magie une œuvre limpide et fraîche comme
de ce truc dont ils sont les inventeurs, la rivière. Mitchum bâille moins ou­
Preminger et La Shelle nous introdui­ vertement que d’habitude, et, sous la
sent dans un univers ouaté, aquatique, férule du merveilleux directeur d’ac­
où l'on se meut comme bercé par le teurs de La Lune était bleue, Marilyn
ronron d’une Cadillac préalablement jdue pour la première fois et chante
équipée de fauteuils hydrauliques; avec aussi pour la première fois puisque
euxr le client a toujours raison, c’est dans le charmant Niagara son chant
l’avènement du spectateur-roi, le rè­ n ’était que susurrement, son jeu que
gne du confort. Et nous sommes loin, parodie. François TRUFFAUT.

LE PIRE N’EST PAS TOUJOURS SUR


BOOTS MALONE, film américain de W i l l i a m D i e t e r l e . — Scénario : Milton
Holmes. Images : Charles Lawton. Décors\ : Frank Tuttle. Musique : Moris
Stoloff. Interprétation : William Holden, Johnny Stewart, Stanley Clements,
Basil Ruysdael. Production : Columbia 1952.
Dieterle était l’un des rares cinéastes rente, solide et sans vains effets, pleine
américains qui ne surprît personne à de tact et de discrétion, une œuvre
faire un méchant film d’un aussi beau somme toute difficile et dont la pre­
sujet que Portrait of Jenny ; l’ambi­ mière vertu est la sincérité.
tion, il est vrai, n’apparaît jamais que Vertu d’autant plus grande que l’on
dans la mesure où elle a failli à son voit bien comment réaliser plusieurs
dessein, et nous n’avions pas oublié non films exécrables avec le même point
plus la déception de Love Letters : de départ : depuis cette fausse objec­
Dieterle y faisait penser à ces danseurs tivité toujours prête à se repaître de
hindous dont des grelots attachés à noirceurs, jusqu’au sujet-prétexte où
leurs chevilles marquent le moindïe une intrigue de convention réunit sans
mouvement. Jetant un coup d'œil sur lien de nécessité les quelques éléments
sa production de dix ans, nous conce­ de spectacle qu'on s’était d’abord pro­
vions notre auteur comme l’homme à posé de montrer. Curieuse manière de
tout faire de divers studios, œuvrant parler d’un film, que de dire les défauts
avec fécondité et sans conviction dans qu’il n ’a pas ? Peut-être, mais une
l’imposture, qu’elle revête l’aspect de la œuvre vaut autant par les difficultés
fausse psychologie, de l’aventure de qu’elle vainc que par les facilités qu’elle
pacotille ou de l’histoire remise au goût s’est refusées, et ceci conduit naturel­
du music-hall. lement à cela. Boots Malone nous laisse
Mâis, après la surprise de Cran instruits de la vie et des lois du milieu
d*Arrêt, Boots Malone que présente le des courses : jockeys, entraîneurs, pro­
Cinéma d’Essai, vient infliger un dé­ priétaires, parieurs; je ferai une gran­
menti à la sévérité de ce jugement ; de louange au film en disant que pour­
un cinéaste bien connu pour sa médio­ tant il ne revêt pas un instant l’aspect
crité réalise une œuvre originale, cohé­ d’un documentaire. L’habileté du scé­

5T
nario n'y insiste pas ; l’intérêt est car enfin, les rapports entre des per­
ailleurs et si le récit à contenu psy­ sonnages non extraordinaires et par­
chologique n’a pas voulu trouver dans fois bas se trouvent, ici, grandis par
ce milieu particulier un cadre pittores­ les sentiments qu’ils appellent, la re­
que à bon compte, nous le sentons, cherche tue qu’ils impliquent : ascen­
néanmoins, astreint à une véracité dant d'une confiance, d’une estime
discrète. Acceptons, à nouveau, la leçon mutuelles là où l'escroquerie et la ruse
du Fleuve : l’histoire aurait pu se pas­ sont de règle, besoin de communica­
ser ailleurs; ses nuances, ses irisations tion humaine, sentiment de solitude
eussent été différentes, non sa trame morale sitôt rejetée la connivence
ni ses proportions — conception, mo­ Ignominieuse, sitôt refusée par Boots
derne en ce sens que si la nature per­ la loi collective pour un choix délibéré
manente de l’homme reste objet de re­ de son acte, l'acquiescement même qui
cherche (ses possibles* ses qualités mo­ marque le début de son salut indivi­
rales), une telle recherche se poursuit duel. Si l’affaire de Pearl Harbour mé­
sans nier ni négliger les résonances, ritait bien le nom de dénouement, qui
les variations qu'y empreignent les par­ ôtait leur chance d’homme aux per­
ticularités nécessaires d’une époque, sonnages veules et obstinés de Front
cl’un milieu (ainsi l’admirable Lusty hère to Eterniy alors qu’ils étalent en­
Men, sur lequel il faudra revenir un fin parvenus à l’heure du choix, je ne
jour). vois rien apparaître ici qui dénoue arti­
ficiellement une situation amenée à, un
Boots Maïone me séduit parce qu'il point où l’homme doit se déclarer, sans
reflète cette double préoccupation du plus se laisser porter par les événe­
détaü et de l’essentiel, du contingent ments avec l’illusion de liberté dont se
et de l'immuable Deux œuvres s’y cons­ berce sans doute le bouchon sur sa
truisent à la fols, sur deux rythmes vague. Boots Malone comme Notorious
indépendants, et pourtant une corres­ n ’aura fait que le mettre à même de
pondance. s'établit entre le déroulement, connaître la noblesse qu’il possédait
le choix fortuit des événements et aussi, et de la préférer.
révolution morale des êtres et de leurs Ainsi cette œuvre étonne-t-elle par
rapports. Encore que le . cinéma n ’ait sa générosité sans condescendance,
rien à envier au roman, je veux bien comme toujours étonnent la rigueur et
appeler' romanesque cette structuré de la mesure qu’autorise un point de vue
simultanéité ouverte, peu soucieuse moral dans cet art dont la vertu défi­
d’énumérer les éléments d’un complexe nitive aura pourtant été d'établir avec
dramatique qu'elle englobe cependant, évidence que l’homme ne se réduit pas
et préférant un choix de moments à,la somme dérisoire de ses manifesta­
retenus pour leur valeur affective.
Ainsi la connaissance seconde du mi­ tions. Lorsque l’homme tient sa valeur
lieu que nous acquérons reste-t-elle en de ce qu’il puisse concevoir de se pla­
marge de la sympathie portée au jeune cer de son propre mouvement dans une
garçon dont nous suivons la forma­ perspective morale, il n ’existe pas
tion — professionnelle, mais surtout d'œuvre véritable où la création ne res­
sentimentale et morale. Je vois dans pecte cette valeur primordiale. Non,
ce thème de l’éducation apparaître le je ne peux vraiment concevoir comme
génie propre du cinéma : l'immédiat une démonstration, comme un exercice
s'y mêle au devenir, et derrière l’objet de l’esprit, un art fondé aussi essen­
de connaissance, fragment conquis sur tiellement, aussi intimement sur l’hom.-
le monde extérieur, s’inscrit une trans­ me. Quoi d'étonnant si des œuvres réa­
formation de l’individu, confuse mais lisées d’après une conception qui nie
continue et orientée. Boots Malone suit l’essentiel de leur art n’ont en partage
le cours d'une vie intérieure où l’accu­ que’ l’imposture et l’abjection sans
mulation ne se contente pas d’être épouser l’efficacité du raisonnement ni
simple juxtaposition devant une fixité la beauté strictement nécessaire du
objective, mais s'offre à un lent travail théorème, auxquelles éîles prétendent ?
de soi sur soi. Nous verrons toujours trop de ces œu­
vres prétentieuses, invariablement ani­
Quelle inspiration anime ces actes mées par l'intention de montrer à
divers, sans autre intention qu’immé­ l’homme son visage, qu’elles révèlent
diate, quel écoulement secret les par­ vide ou hideux car elles le méprisent,
court, quelle continuité relie ces scènes préoccupées qu’elles sont de dresser des
quotidiennes où semblent ne se mode­ constats — de remplacer un mythe par
ler et se jouer que de purs réflexes, un autre. Quelques grands cinéastes

52
que nous aimons s’attachent avec fer­ le souci majeur de Hitchcock, Renoir,
veur et humilité à découvrir de l’hom­ Rossellini, nous donne avec Boots Ma­
me un tout autre visage. Dieterle lone son meilleur film.
retrouvant, d’assez loin peut-être et
selon ses moyens, mais consciemment, Philippe DEMONSABLON.

Avec Boots Malone, le C iném a d’Essai a présenté u ne série de dessins


anim és de la U.P.A. Voici un e im age d ’u n des plus rem arquables
R o o ty T o o t T o o t de Jo h n Hubley

NOTES SU R D ’A U T R E S FILM S
ORAGE, film franco-italien de P i e r ­ que venait de révéler Gribouille, con­
re B i l l o n et G i o r g o C a p i t a n i . — H firmait ses dons de comédienne et im­
s’agit du « remake s- presque image par posait définitivement sur l'écran fran­
image du film que réalisa Marc Allé- çais la fascination d'un visage nouveau
gret en 1947 avec Charles Boyer et Mi­ et d'un regard troublant. Rien de tout
chèle Morgan, d'après une nouvelle de cela n'existe dans la nouvelle version
Maurice Bernstein. L’action a simple­ du film et ce n'est pas tant la faute
ment été transposée en Italie pour les des interprètes que des adaptateurs et
besoins de la'coproduction. Sans être des réalisateurs qui se sont contentés
une grande œuvre, le film d’Allégret- de rapetasser un mélo mondain qui «da­
n’était pas dépourvu d’un certain tait s> déjà avant guerre. La structure
charme et face à Charles Boyer, grand du film est d'une grande mollesse, les
séducteur du moment, Michèle Morgan mages presque toujours insignifiantes

53
et le dialogue souvent ridicule. Il n’y de sensibilité, le bonheur constant du
avait, sans doute, plus grand-chose à modèle; j'admets aussi que son tour
tirer de ce sujet, encore que le cas de parodique en marque à priori les limi­
l’homme de quarante ans, sérieux et tes. Les qualités et les possibilités pro­
rangé, soudain en proie au dérègle­ pres de Cyd Charisse n'en sont que plus
ment de la passion par la vertu d'une évidentes. Sa silhouette d’insecte, son
jeune vamp mi-douce, mi-amère, soit sens et sa recherche du geste anguleux,
sans époque et puisse toujours donner de l'attitude saccadée qui contredit le
motif à un film de qualité pour peu que mouvement précédent, l'ubiquité ten ta­
l’invention et le talent s’en mêle. Même culaire de long membres nerveux où
s'il n'était pas doublé, Raf Vallone se­ l'on se surprend à remarquer les plus
rait loin de valoir Boyer, mais Fran­ belles jambes d'Amérique, un visage
çoise Amoul qui s’est bien gardée, et scellé qui dément le reste du corps,
avec raison, de copier son illustre de­ font de sa danse un spasme savant, et
vancière, a créé un personnage assez d'elle l'interprète idéale des festins de
attachant; si, en fin de compte il ne l'amour cruel. — Ph. D.
tient pas debout, ce n'est guère de sa
faute, mais de celle des auteurs hésitant
au point d'avoir terminé le’ film de LES INDIFELES, film italien de
telle façon que le spectateur sensible et M o n i c e l u . — Sur la quantité,
S té n o
peut croire que l'héroïne ne se suicide les Italiens font aussi (pourquoi pas)
pas, ce qui enlève toute cohérence et de bons films. Tels Les Infidèles, L’in­
toute logique dramatique à un thème justice est un grand sujet et la plus
dont l'équilibre était déjà des plus ins­ grande injustice, la plus grande erreur
tables et qui ne pouvait se justifier judiciaire du monde est celle qui coûta
que par cette progression vers un dé­ la vie à Jeanne d'Arc. H s’ensuit que
nouement cruel. — j . d .- v . Jeanne est le plus beau sujet en même
temps que le plus beau prénom fémi­
nin. H s'agit, ici, de la mort d'une fil­
THE BAND WAGON (TOUS EN SCE­ lette innocente, victime des bassesses
NE) film américain en tchnieolor de du Rome mondain. Une sorte de trafic
V i n c e n t e M i n e l l i . — The Bang wagon des piastres; on songe à l'affaire Mon-
réunit des mérites assez divers pour tesi, merveilleux scénario pour Fritz
nous retenir un instant. Tout d’abord il Lang. Les Infidèles nous présente aussi
apporte une confirmation à quelques tout une brochette de jolies femmes
opinions générales: qu'il est moins dif­ plus charmantes et désirables les unes
ficile de rendre acceptable une œuvre que les autres : d'abord May Britt en­
d'ambition sérieuse que de divertir et voûtante, Lollobrigida généreuse, Anna-
charmer sans faillir ; que si Vincente Marla Ferrero jolie morte, Marina
Minelli avait une personnalité origi­ Vlady oiseau des presqu’îles et Irène
nale, ou même seulement du talent, il Papa jolie maman. Aldo Tonti est l'ex­
serait surprenant qu'en dix ans il n'ait cellent opérateur que l’on sait. Sténo
pas trouvé à les manifester ; que la et Monicelli qui font des films, comme
réussite d’Un Américain à Paris était Erkman et Chatrlan des livres (en se
surtout le fait de Gene Kelly ; que, partageant le boulot) prisent fort, je
bien que ce film veuille nous faire en­ le gage le cinéma américain. Ils ont
tendre la leçon contraire, la vulgarité bien raison. — R. L.
ne paie pas, au sens figuré du moins.
Le mérite particulier de The Bang
Wagon s’appelle Cyd Charisse. Certes, LES FRONTIERES DE LA VIE. (THE
l'erreur commise à son égard a été de GLASS WALL), film américain de Max­
ne pas se contenter de la faire danser... w e l l S h a n e . — Si, comme la plupart
mais en mettant bout à bout les scènes des rédacteur de ces Cahiers d'amour
où elle paraît et danse, on obtient les mourir vous font les beaux yeux de
cinq minutes inoubliables que contien­ Gloria Grahame, attendez pour les re­
drait tout mauvais film, selon la vue voir que sorte un autre film car celui-
optimiste de Man Ray. J'admets que ci ne pourrait que vous les faire haïr;
l'intermède final, sujet de mon enthou­ j'exagère à dessein, car comment haïr
siasme, soit une réminiscence un peu Gloria? Les frontières de la vie, le mur
trop explicite de Singing in the Rain de verre en ^question, sont qu'on le
pour que n'apparaissent pas aussitôt sache, la façade de l’O.N.U. Un point
la richesse d'invention, de fraîcheur et c'est tout. — R. L.

54
LES AMANTS DE LA VILLA BOR- tonneau que Monsieur Vincent, la reli­
GHESE. (VILLA BORGHESE), film gion reçoit sur la tête un coup plus
franco (hélas)-Italien, de Gianhï Fran- terrible que celui qu’assèneraient vingt
ciolini. — Le tour de force qui consiste crimes de Monsieur Lange. Umberto
à faire asseoir et demeurer quelques Scarpelli ne serait-il qu’un cave du
milliers de personnes en face d'un Vatican ? Détail pittoresque : le sbire
écran désespérément vide, le cinéma du Pape, ici, se nommer Bresson. Les
transalpin l’accomplit à présent chaque hommes ne regardent pas le ciel car....
semaine. On reste suffoqué et sans voix ils préfèrent le blondes. — R. L.
devant tant d/insignifiance, d'inexis­
tence, tant de bonne humeur dans le
néant, tant de bassesse aussi car le LA CHASSE AU GANG. (THE CITY
numéro d'exhibition, désormais rituel, IS DARK), film américain ü’Ahdhé d e
classique, d'infirmités physiques n ’a pas T o t h . — Metteur en scène borgne, An­
été oublié; dans le sketch de Nous les dré de Toth d'Hollywood serait roi si
Femmes signé du même Franciolini, Hollywood était aveugle. H n ’en est
c'était une fillette affligée d’une défor­ rien, plaise au ciel et son œil de cy-
mation dentaire; ici, c'est une jeune clope de Toth ne l'a pas dans sa poche
fille coxalgique, et tout cela dans l'allé­ qui en use comme le lynx. Homme sym­
gresse, bien entendu. On regrette que pathique, de Toth fait des films sym­
Serge Amedei co-scénariste avec Ros­ pathiques et non sans noblesse, homme
sellini de home ville ouverte et Pais a à particule qu’il est. Citasse au gang
ait signé ces lamentables petits est de ces films là, tout à fait visible qui
sketches. ~ R. L. présente, de surcroît, l’intérêt de nous
montrer cote à cote, dormant d’un
même sommeil, couchés dans le même
LES HOMMES NE REGARDENT PAS lit, un couple américain formé comme
LE CIEL, film italien d’ÜMBERro S c a r - l'on sait de deux individus de sexe ap­
p e l l i . — Mêmes ceux de nos lecteurs paremment opposé, démentant du
qui regardent le ciel doivent s'abstenir même coup l'effroyable, envieuse et
d'abaisser leur regard sur les écrans où importée légende selon quoi il existe­
parviendra peut-être à s’immiscer ce rai t,- outre-atlantique, je ne sais -trop
film déplorable. H y avait un film à quel code de la pudeur, lequel stipule­
faire sur l’excellent pape Pie X. Ce rait que deux conjoints cinématogra­
film reste à faire. Lorsque paraissent phiques, lits jumeaux, soixante-dix cen­
sur les écrans de pareils films du même timètres, etc., etc... — R.L.

LIVRES DE CINÉMA
Vedettes sans maquillage, d e Georges Baume (La Table Ronde)

C’est devenu un lieu commun : à tracer des portraits le portraitiste de


journal se portraitise d’abord soi-même. Après l’univers Giroudien celui Beaumien
ou mieux Beaumiesque ? Ici, en tout cas, nulle hypocrisie : « En filigrane de
tant, de visages dessinés celui du chroniqueur se devine ; et quelques-uns qui
Vont suivi à la petite semaine aimeront ici le retrouver », nous dit l’auteur se
préfaçant.
Avec le premier portrait, celui de Sacha Guitry, le lecteur de v e d e t t e s s a n s
m a q u i l l a g e s , recueü des articles que Georges Beaume publie dans Cinemon'de,
le lecteur apprend que ledit Beaume prénommé Georges était, en 1939, étudiant
au lycée Michel-Montaigne à Bordeaux et qu’il y préparait l’Ecole Coloniale en
jouant aux échecs et en écoutant « du Bach » devant une photographie de
Malraux, S’il est tout de même question de Sacha Guitry c'est pour nous racon­
ter sérieusement qu’il a inventé le gros plan, erreur naguère relevée dans Paris-
Match. Plus loin <c’est Georges Beaume aui parle), « André Gide devant moi
s’est assis à son piano... fa i entendu Colette... avec Orsùn Welles fa i escaladé le

55
nid d'aigle d*Hitler... avec Roberto Rossellini je suis revenu de Santa Marinella
à 225 à 1’heure. » •
Jean Marais, Daniel Gelin, Gérard Philipe, Raymond Pellegrin tutoient
notre homme. Martine Carol alterne tu et vous mais ne se gêne pas avec lui :
« Elle yorte un -pyjama... gentiment échancrê. — Ne me regarde- pas : on dirait
du pilota. Avec toi, je ne me gêne pas. >

Mots d*acteurs à Georges Beaume :


Martine Carol : « C’est fou ce que je suis laide. ■»
Michel Simon : « Gérard Philipe un acteur ? Vous me faites rife. »
Edwige Feuillère : « Que voulez-vous que je fisse ? »•
• Magnani : « Dites-moi, qui est Delannoy ? > >
Giselle Pascal : « Dans la vie il n’y a que le don de sol qui importe. »
Ingrid Bermari à Robertino : « Robertino, sois aimable : porte ce verre à
M. Beaume. > '
Robertino : « Tiens, Monsieur, cr'est pour toi. »

Mots de Georges Beaume à des acteurs :


à Michel Simon : « Dieu soit loué ! j’aime, que dis-je aimer, j’adore la soupe dè
poissons. *
entrant chez Michèle Morgan : « Je vous aime bien parce que vous avez Vair
d'un chevreau, >
à Grégory Peck : « Maintenant que votis en avez deux, dis-je, vous pourrez tou­
jours vous en faire un serre-livres. »
à Sacha Guitry : « Sam mot dire Greta Garbo est venue jusqu’à ma table, car-
resser mon boxer Caliguia. ■»
à Clark Gable : « J’en ai eu un, dis-je, xi était très beau. Nous rappelions Cali-
gula. On me Va volé à Aix-en-Provence, «71 soif Que j’écoutais Biaise
Cendrars à la terrasse d’un café. »
à Orson Welles : « Sur ma table, Greta Garbd découvre le chiot que Martine
Carol m ’avait offert. Un boxer d’une morgue insupportable, il s’appelait Cali­
guia. Greta Garbo...
—■ Je m’en fous, dit Orson Welles. Ce qui m ’intéresse, c’est Caliguia.
— Caliguia ? II. m’a été volé. A Aix-en-Provence, Marcel Herrand m’avait
entraîné chez Biaise Cendrars... qui, le premier. dans notre petite troupe
s’aperçut que Caliguia manquait à l’appel ? Nous nous répandons dans les
rues de Ta cité endormie, clamant aux quatre vents : Caliguia, Caliguia ! t>

Georges Beaume met à tirer le portrait — on dit aujourd’hui Close-up —


plus de talent qu’il n’est nécessaire. Cela, 11 est vrai, ne va pas sans préciosités :
< Je lui dépêchai un billet sans vergogne page 10, ou « Le geste était du
dernier gaXant », page 89.
Pour les acteurs, Georges Beaume est sans doute l’interviewer idéal : pas
d’inquiétude à avoir : les cuirs deviendront archaïsmes, la fille de la crémière,
promue vedette, tiendra le langage des vachères de Trianon. Pierre Fresnay
n'aura plus besoin de menacer — comme il le fait — les journalistes : « Posez-
moi des questions intelligentes, sans quoi je ne vous répondrais pas », Edwige
Feuillère conservera et entretiendra sa réputation de « grande dame du cinéma

56
ïrançals » grâce à l’emploi judicieux de l’imparfait du subjonctif, Vallone réci­
tera le « Cimetière marin y au volant de sa bagnole et Giselle Pascal philoso­
phera à bon compte. En plus de ses innombrables vertus, le livre de Georges
Beaume en possède une qui pour être négative n’en est pas moins appréciable :
contrairement à ses confrères, contrairement à ses sœurs en close-up, l'esprit
revanchard de l’arriviste n ’a aucune part dans sa prose; jamais il n’y est ques­
tion du fric exorbitant qu'amassent ies rois et reines d’un jour. Sans doute
Beaume a-t-il mangé à sa faim quand il était jeune et tant mieux mille fois
puisque cela nous dispense du couplet sur les humiliations, les affres de la faim
et la lamentable revanche sur la vie. Georges Beaume, enfin, étant de C i n é -
m o n d e le styliste attitré, me pardonnera, j’espère, d’apprécier aussi la prose ano­
nyme qui fleurit dans les pages voisines, et dont pour terminer, j ’aimerais donner
un échantillon tout à fait remarquable selon moi, éblouissant pastiche d e .
Malraux, concernant un film de J.-P. Melville : Quand tu liras cette lettre; je
crois qu’un humour volontaire en renforce le charme « L’ange et ie démon
habite tour à tour les personnages éperdus 'd’une histoire d’amour et de mort oû
la nuit sans cesse côtoie le jour et s’y confond, où les conflits sensuels et ceux
spirituels së répondent comme les rimes d’un poème gravé dans le marbre le plus
incorruptible, »
Robert LACHENAY.

Le Public n’a jamais tort, de Adolphe Zukor. (Corréa)

Un petit orphelin de quinze ans, riche de quelques piécettes cousues dans


son gilet, débarque un jour dans le port de New-York, arrivant de sa Hongrie
natale. C’est le coup classique. Et que vient faire ici ce futur oncle d’Amérique ?
Chercher de l’or ? Non point. IL travaille à je ne sais quoi; et puis, un jour
la grande chance lui est donnée : « Balayez-moi ce studio et le studio est si
bien balayé que, etc. Ce n’est pas tout à fait ça mais presque. H s’appelle Adolphe
Zukor, il besogne dans le cinéma. Naissance des « Famous Players ». Puis
c’est la « Paramount ». Le livre de Zukor, dont le titre est une charmante
variante de l’axiome-clé de tout commerce : le client a toujours raison, son
livre donc est à l’image du public ; insuffisant, et mérite donc ce mot : la
montagne de la Paramount a accouché d'une souris. A peine un mot. On peut,
en restant d’une parfaite bonne foi, éreinter ou louer n'importe quel, et indif­
féremment, livre de cinéma selon le bout par quoi on le prend.

Qualités qui font du livre de Zukor le meilleur livre de cinéma de tous les
temps ;
1° Comment le cinéma serait-il mieux narré que par ceux qui le font ? Il
est, hélas ! toujours écrit par ceux qui le défont : les critiques.
2° Un Zukor, un William Fox, un Mayer, sont à leur studio ce que le Colonel
est à son régiment : le père. Les pères parlent mieux de leurs enfants.
3° Ce genre de livres est captivant qui brasse à pleines pages le cinéma, et
non ses aphorismes, ses images et son histoire.
4° On y apprend toutes sortes de choses, depuis les origines de la tarte à la
crème jusqu'aux crises de nerf de Mary Pickford et comme fut grande la déso­
lation de Zukor et des siens lorsqu’un terrible incendie détruisit tout l’immeuble
« Paramount », manquant réduire à néant des années d’efforts, mais...
5° ...un précieux lieutenant n'avait-il pas quelques jours auparavant fait
l’acquisition — sous les clameurs moqueuses — d'un coffre-fort imperméable au
feu e.t qu’ainsi de précieux négatifs furent sauvés.
6° H n'est pas indifférent de noter que pendant plusieurs jours ce coffre-
fort resta suspendu en l’air, visible à tous, accroché au seul mur non écroulé de
l'immeuble et vous devinerez l’angoisse de tous ces braves gens.

57
7° Des ouvrages de ce genre sont non seulement plaisants mais indispen­
sables et tous les producteurs devraient être tenus de suivre l’exemple de Zukor.
William Fox est mort, hélas ! sans rien laisser. Et le lion de la Métro, s'il pouvait
parler...

Défauts qui f&nt du livre de Zukor le plus mauvais livre de cinéma de tous
les temps :
1° Le cinéma est l’affaire des critiques et non des producteurs.
2° A part deux mots sur Ince, un mot sur Grifflth, il n’est fait mention
d’aucun metteur en scène (hormis De Mille). C’est quand même un peu fort
de café.
3° Le fric y tient une place excessive. Zukor parle trop de son goût des éco­
nomies et en même temps de sa générosité pour qu’un horrible doute ne nous
effleure pas.
4P A force de rabâcher des litanies sur le bon vieux temps, toute la période
qui part du sonore se trouve fâcheusement escamotée.
5° Comme un film de De Mille, ce livre a été fait pour des milliers de
lecteurs, ce qui est idiot puisqu’il ne sera jamais acheté que par des spécialistes,
lesquels ont bien le droit qu’on ne s’offre pas leur tête en racontant des âneries
sur le régime des vedettes,, quand ils voudraient en savoir davantage sur Stem-
berg et d’autres.
6° La fin est absolument bâclée puisque Zukor nous fait l’éloge du relief
polaroïde que deux mois plus tard PaTamount abandonnait au profit de Vista-
vislon.
7° Zukor se défend si hargneusement (l’avoir trempé dans des combines,
d’avoir fait par-ci par-là quelques crocs en jambes que le métier — si c’en est
un — de producteur nous apparaît soudain plein d’embuches.
C’est donc un livre qu’il ne faut pas lire, mais dévorer, aimable et haïs­
sable à merci, indispensable et totalement dépourvu d’intérêt, sincère comme un
jeton. Une chose est certaine : que Dale Kramer, qui a rédigé ce livre, écrit
admirablement et que la demoiselle qui l’a traduit mérite tous nos compliments.
Sacré Adolphe, va !
R. L.

58
Motion Pictures 1940-1949* Catalog of Copyright* Entries, Cumulative Sériés
publié par : Copyright Office, Librairy of Congress (Washington, 1953)

Les « Cahiers du Cinéma » avaient déjà signalé l'année dernière (1) la


publication par le Bureau du droit d'auteur de Ja Bibliothèque du Congrès des
Etats-Unis d'un catalogue de films couvrant la période 1912-1939.
Le deuxième volume de ce monumental répertoire vient d’être mis en circu­
lation. H comporte 18,767 titres classés par ordre alphabétique ainsi qu’un index
d'après les détenteurs du droit d’auteur. Il reproduit méticuleusement tous les
renseignements communiqués par les intéressés; il s’agit le plus souvent de
la longueur des films, du nom de la société productrice, de la société distribu­
trice, du réalisateur, des scénaristes, monteurs, musiciens, etc. Une amélioration
à signaler par rapport au volume précédent : pour nombre de films on trouve
un bref résumé du sujet ainsi que les noms des principaux acteurs. Malheureu­
sement ces dernières indications ne sont pas systématiquement données; et c'est
dommage car le catalogue aurait alors pu constituer un instrument de travail
fort précieux pour les sociologues et beaucoup d’autres personnes.
Principalement destiné à satisfaire les besoins de tous ceux que le « copy­
right s- intéresse (le catalogue peut servir de preuve en justice), l'ouvrage n’en
reste pas moins un livre de référence unique en son genre pour les historiens
et critiques de cinéma. En effet, en plus des films et court-métrages commer­
ciaux (y compris les dessins animés), on y trouve des renseignements sur les
films purement éducatifs, les bandes non-commerciales, celles utilisées par la
Télévision et même sur le format réduit, n n’est pas jusqu’aux actualités qui
n’y figurent pas. Bien mieux, depuis 1946, les sujets traités par les actualités
sont mentionnés.
Avec les fascicules périodiques imprimés depuis 1949, ces deux volumes per­
mettent de constituer une bibliothèque presque complète des films américains
ou étrangers exploités aux U.S.A. « Presque complète », car il y a des titres qui
manquent (surtout avant 1939) ; car aussi des erreurs sont* à signaler (ainsi,
Les Enfants du Paradis sont attribués à Charles Munch et à Camé).
En même temps que ce volume, le Copyright Office ia publié sous le titre
M o t i o n p i c t u r e s 1894-1912, un litre de dimensions réduites donnant la liste de
tous les ouvrages enregistrés avant 1912 et identifiés comme filins cinématogra­
phiques par l’expert Howard Lamarr Walls. Ici la liste est très incomplète, car la
loi américaine sur le copyright n’a prévu le cas des films qu’à partir du 24 août
1912. Aussi les films, lorsqu’ils étaient enregistrés, se trouvaient répartis parmi
les autres catégories admises au bénéfice du copyright par la loi.
F. H.
(1) Numéro 2*. juin 1953.

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FILMS SORTIS EN PREMIÈRE

EXCLUSIVITÉ A PARI S
du 30 Juin 1954 au 17 Août 1954

FILMS FRANÇAIS

Crainqwebille, film de Ralph Habib avec Yves Deniaud, Christian Fourcade,


Jacques Fabri. (Anatole France. Déjà porté à l'écran par Feyder, Mélo populiste
■ sans intérêt.)
Les Amoureux de Marianne, film de Jean Stelli avec Gaby Morlay, André
Luguet, Jean Debucourt, Sophie Leclair. (Epais vaudeville.)
Zoê, film de Charles Brabant avec Barbara Laage, Michel Auclair, Jean-
Pierre Kerrien, Jean Marchat. (Burlesque complètement raté.)
Les Hommes ne pensent qu’à ça, film d’Yves Robert avec Rosie Varte, Jacques
Morel, Jacques Fabrl, Yves Robert, de Funès. (Echec attristant. Yves Robert s’est
trompé. L’optique de l’écran n’est pas celle de La Rose Bouge.)
Poisson d’Avril, film de Gilles Grangier avec Bourvil, Annie Cordy, Pierre
Dux, Denise Grey, Jacqueline Noël, De Funès. (Comédie peu comique, quiproquos
usés, Bourvil mal utilisé.)
Adam est Eve, film français de René Gaveau, avec Micheline Carvel, Jean
Carmet, Thérèse Dorny, René Blancard. (Un champion de boxe devient une jeune
femme... hum ! Qui aurait pu en faire un bon film ?)
Marchande d'illusion, film de Raoul André avec Gisèle Pascal, Philippe
Lemaire, Louise Carletti, Raymond Pellegrin, Nicole Courcel. (Toujours la pros­
titution. Triste descendance de La Rage au corps.)
Les Corsaires du Bois de Bchdogne, film de Norbert Carbonnaux avec Ray­
mond Busslère, Annette Poivre, Duvalleix. (Burlesque inégal mais plein de qua­
lités. Révèle un véritable auteur comique.)

FILMS AMERICAINS

Ride the Man Down (Captures cet Homme), film en Technicolor de Joseph
Kane, avec Rod Cameron et Ella Raines. (Western de série.)
Horizons West (Le Traître du Texas), film en Technicolor de Budd Boeticher,
avec Robert Ryan, Julia Adams, Rock Hudson. (Western classique.)
Witness to Murder (Témoin de ce Meurtre), film de Row Rowland avec Bar­
bara Stanwyck, Georges Sanders, Gary Merrill. (Policier. « Suspense ». Barbara
Stanwyck excellente comme d’habitude.)

60
Fort Worth (La Furie dw Texas), film en Technicolor d’Edwin L. Marin avec
Randolph. Scott, David Brian, Phyllis Thaxter. (Western âpre et violent.)
King of the Khyber Rifles (Capitaine King), film en Technicolor et en Ciné­
mascope d’Henri King avec Tyrone Power, Terry Moore, Michael Rennie. (La
grande révolte de 1857 aux Indes. Epique et banal.)
Charge at Feather River (La Charge sur la Rivière Rouge), film en couleurs
et en relief de Gordon Douglas avec Guy Madison, Helen Westcott. (Premier
western en couleurs et en relief. Indiens et cavalcades.)
The Beast From 2Q,000 Fathoms (Le Monstre des Temps perdus), film d'Eu­
gène Lourié avec Paul Christian, Paula Raymond, Cecil Kellaway. (Un monstre
préhistorique sème la panique dans New-York. Science-fiction et truquage.)

FJBJ. Girls (Les Filles du Service secret), film de William A. Burke avec
César Romero, George Brent, Audrey Totter. (Reportage sur le F.BX et « sus­
pense 2>.)
Never Wave at W.AX2. (N’embrassez pas les Wacs), film de Norman Me Leod,
avec Rosalind Russell, Paul Douglas. (Comédie peu originale mais amusante :
les femmes dans l'armée. Rosalind Russell parfaite.)
The Half-Breea (La Peur du Scalp), film en Technicolor de Stuart Gilmore,
avec Robert Young, Janis Carter, Jack Buetel. (Les Apaches se révoltent. Les
enfants auront peur).
I Love Melwyn (Cupidon Photographe), film en Technicolor de Don Weiss,
avec Donald O’Connor, Debbie Reynolds. (Comédie musicale agréable.)
The Band Wagon (Tous en scène), film en Technicolor de Vincente Minelli,
avec Fred Astaire, Cyd Charisse, Oscar Levant, Jack Buchanan. (Comédie musi­
cale. Très beaux ballets. Astaire inusable. Beauté de Cyd Charisse. Voir note
dans ce numéro page 54.)
The Lavmess Dreed (Victime Destin), film en Technicolor de Raoul Walsh,
avec Rock Hudson, Juïia Adams, Mary Castle. (Solide western dramatique.)
Riot in Sell Block II (Les révoltés de la Cellule II), film de Don Slegel, avec
Neville Brant, Emil Meyer, Frank Fàylen, Léo Gordon. (Une émeute dans une
prison américaine. Un réalisme convaincant.)
The 5,000 Fingers to Dr. T. (Les Cinq müle Doigts du Docteur T.), film en
Technicolor de Roy Rowland, avec Tommy Rettig, Peter Lind Hayes, Mary Healy,
Hans Conreld. (Comédie musicale et fantasmagorique. Un petit garçon qui... mais
pourquoi vous le dire ?)
The Woman they Almost Lynched (La Femme qui faillit être lynchée), film
d'Alland Dawen, avec Joan Leslie, John Lund, Brian Donlevy, Audrey Totter.
(Guerre de sécession et attaque de diligences.)
Gentlemen prefer Blondes (Les Hommes préfèrent les Blondes), film en Tech­
nicolor d'Howard Hawks, avec Jane Russell, Marilyn Monroe, Charles Coburn.
(Deuxième version cinématographique du célèbre roman d'Anita Loos, adapté en
comédie musicale. Voir nos critiques dans ce numéro pages 41 et 45.)
Mister Imperium (Laisse-moi t ’aimer), film en Technicolor de Don^Hartman,
avec Lana Turner, Ezio Pinza, Sir Cedric Hardwicke, Barry Sullivan. (Comédie
musicale très moyenne.)

61
Boots Malone, film de William Dieterle, avec "William Holden, Johnny Ste-
wart, Stanley Clements. (Un Premières Armes américain, original mais monotone.
Voir critique dans ce numéro page 51.)
The Glass Wale (Les Frontières de la Vie), film de Maxwell Shane, avec Vit-
torio Gassmann, Gloria Grahame, Ann Robinson. (Le drame d’un émigrant. Peu
convaincant.)
Hell’s Hais Acre (Les Bas Fonds d’Hmoaï), film de John H. Auer avec Wendel
4 Corey, Evelyne Keyes, Eisa Lanchester, Marie Windsor, Nancy Gates. (Mélo­
drame en Polynésie. Pas fameux.)
DevU’s Canyon (Nuit Sauvage), film en technicolor d’Alfred Werker avec
Virginia Mayo, Dale Robertson, Stephen Mac Nally. (Règlement de compte dans
un pénitencier. Présenté à Paris sans le relief, d’où couleur floue et mauvaise.
Le reste est à l’avenant.)
Prince Valiant (Le Prince Vaillant), film en Cinémascope et en Technicolor
d’Henry Hathaway avec Robert Wagner, Debra Paget, James Mason, Sterling
Hayden, Victor Mac Laglen. (Voir critique dans ce numéro, page 48.)
You for Me (Toi pour Moi), film de Don Weis avec Peter Lawford, Jane
Gréer, Gig Young. (Charmante comédie dont la fin déçoit.)
Rell Bellovo Zéro (L’Enfer au-dessous de zéro), film en technicolor de Mark
Robson avec Alan Lad, Joan Tetzel, Basil Sydney, Stanley Baker. (Drame poli­
cier, baleines et amour gelées. Pas bien chouette.)
Melba, film en Technicolor de Lewis Milestone avec Patrick Munsel, Robert
Morley, John Mac Callum, John Justin. (Vie et carrière d’une célèbre chanteuse.
Ennuyeux.)
Sea tif Lost Shîps (La Mer des bateaux perdus), film de Joseph Kane avec
John Derek, Wanda Hendrix, Walter Brennan, Richard Jaeckel. (Garde-côtes
sur l’océan Arctique. Il y aura peut-être des amateurs...)

FILM SUISSE

Le Village près du Ciel, film de Lêopold Lindtberg, avec John Justin, Eva
Dahlbeck, Trevor Hill. (La vie d’un village d’enfant, mièvre et touchant. « La
niaiserie alpestre », comme disait Gide... ».)

FILMS FRANCO-ITALIENS

Orage, film de Pierre Billon et Guido Capitani, avec Françoise Arnoul, Raf
Vallone, Franco Marzi. (Remake du film de Marc Allégret de 1937, d’après Bem-
stein. Voir note dans ce numéro page 53.)
Patte de Velours, film de Claudio Gora, avec Robert Lamoureux, Silvana Pam-
panini, Raymond Bussières, Annette Poivre, Buster Keaton, (Pâle comédie sati­
rique. On ne rit pas. Lamoureux n'est pas en progrès.)

FtLM RUSSE

' Paix et Amitié, film en Sovcolor de I. Kopaline. (Documentaire sur le 4a Fes­


tival mondial de la jeunesse à Bucarest.)

62
FILMS ITALIENS

Theodora, Impératrice de Byzance, film en couleurs de Riccardo Freda, avec


Georges Marchai, Gianna-Maria Canale, Henri Guisol, Roger Pigaut, Renato Bar-
dini, Irène Papas. (Superproduction confuse et sans style.)
El Saco di Roma (Le Sac de Rome), film de Ferruccio Cerio, avec Pierre Cres-
soy, Hélène Remy, Vittorio Sanipoli. (Capes et épées au XVI0 siècle italien. Colon-
nas contre Orsinis. Très médiocre.)

FILM MEXICAIN

No Nie go Mi Pasado (La Professionnelle), film d’Alberto Gout, avec Ninon


Sevilla, Roberto Canedo, Domingo Soler. (Mélodrame grandiloquent avec la favo­
rite d'AudibertL Voir son article dans ce numéro page 20.)

FILMS ANGLAIS

The Venitian Bird '(Enquête à Venise), film de Ralph Thomas, avec Richard
Todd, Eva Bartok, John Gregson. (Honnête « policier » tourné sur la lagune.)
The Love Lottery, film en Technicolor de Charles dichton, avec David
Niven, Peggy Commins, Anne Vemon, Herbert Lom. (Comédie anglaise du type
habituel- Mésaventure d'un Don Juan de l'écran.)
A VOuest de Zanzibar, film en Technicolor d’Harry Watt, avec Anthony Steel,
Sheila Sim, William Simmons. (Le reportage sur le Kenya est bon, le reste faible.
Ne fera pas oublier Les Overlanders du même H. Watt.) •

FILM ITALO-AM ERlCAlN

Beat the Devil (Plus fort que le Diable), film en Ferraniacolor de John
Hu&ton avec Humphrey Bogart, Jennifer Jones, Gina Lollobrigida. (Excellent et
très « hustonien ». Présenté à Paris sans la couleur, ce qui est scandaleux. Voir
critique dans numéro 39.)

FILM ALLEMAND
*
La Coupe du Monde de Football, film réalisé avec les reportages de la Coupe
. du Monde de Football 1954. (Intéressant pour ceux qui n’y ont pas été et aiment
3e ballon.)

63
CLAUDE MAURIAC
L'AMOUR DU
CINEMA
* Cl a u d e M a u r ia c m 'a o u v e r t [es y E u x
...Aussi VAÎS^E VOiR ÎES RlMS/qRÂCE À U ii,d A N S
UN TOUT AUTRE ESpRÎT*. (Un des p r c m I e r s I ectsu rs)

Ub fort val. fn*8\ avec 48 p/oncftes en fié/fo


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...et son envoûtement

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