On Se Chamaille Pour Un Siège

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Une comédie savoureuse

Notre époque qui lessive les esprits au détergent du divertissement chloroformé (cacophonie
musicale qui traduit la désarticulation de la société ivoirienne) Hyacinthe Kakou propose au
lecteur une comédie savoureuse de 128 pages.
Même si elle n’a pas le souffle d’une Saison au Congo d’Aimé Césaire, ni celui de Béatrice du
Congo de Bernard Dadié, cette pièce aborde les problèmes cruciaux de l’Afrique urbaine
d’aujourd’hui : la démocratie, la question d’identité, le poids de la tradition, des us et coutumes et
le rôle de la femme dans une société en mutation, une société hybride.
Djinan est le héros de la pièce. Il est suivi de la guigne : ancien combattant, il n’a pas bénéficié
de la chance de ceux qui, de retour de guerre, deviennent fonctionnaires. Paysan, il apprend à la
radio que l’heure de la démocratie a sonné. Du coup, il se rend compte qu’il doit prendre une
revanche sur sa vie : avoir un palais, une voiture luxueuse… Mais ce rêve légitime se heurte à la
boulimie de son compatriote Boka. Député sortant, il n’attend guère céder son siège et sollicite la
clémence du peuple pour être réélu. Car, dit-il, il fera mieux au cours de son prochain mandat.
Dans cette course au pouvoir, une femme. Tinanoh, la fille de Djinan. Le décor est ainsi planté.
Apparemment anodin, il assure en fait la transition d’une philosophie du droit à une sociologie de
la domination. Cette passation d’objets du discours amène le lecteur dans un cercle vicieux :
comment les champs du social et de l’histoire conditionnent-ils le comportement des humains ?
Mieux, comment les intérêts en présence peuvent-ils réorienter le langage ? Du coup, nous
assistons à une foire d’injures, de mensonges et de révélations puant le scandale. Tous les coups
sont permis.
Comprendre l’œuvre dans son ancrage socio-historique
1980.Le premier président ivoirien, Félix Houphouet Boigny, procède à la démocratisation du
paysage politique. Il instaure en lieu et place de la désignation, des consultations électorales
pour tous les postes politiques. Cela donne lieu à une sorte de recomposition sociologique des
familles, villages, villes et même du pays. L’on assiste à toutes sortes de déchirement entre les
frères politiques et même consanguins. Le père s’oppose à sa fille, la mère à son époux… «
Tinanoh, désormais, tu n’es plus ma fille ! Je ne suis plus ton père ! Trouve-toi un autre père ! ».
Page 92. Pour une histoire d’élection, on se renie et on renie même son propre sang. Pauvre
Afrique ! Outre ce reniement, c’est le rôle de la femme qui est mis en relief ici. « Toi, ta mère !
Oui, ta mère ! Pendant la guerre, où était ta mère ? Aux temps héroïques, elle mourait de peur
dans les greniers ! Oui ! Lorsqu’on arrachait notre liberté aux Toubabous, on ne savait où les
trouver, vos mères ! Et maintenant que nous avons notre liberté, ce n’est pas une simple femme,
une fillette comme elle, qui va prétendre nous diriger, nous les hommes ! Pouah, ta mère ! »
PP77-78.
Comme on le constate, l’auteur, tel un féru militant du féminisme, se sert de Tinanoh pour briser
les barrières existant entre l’homme et la femme tout en valorisant la femme. En sus, pour sortir
de l’image stéréotypée de la fille-femme-épouse-mère, Hyacinthe Kakou estime que la femme
doit nécessairement s’imposer d’elle-même.
De la question d’identité

Djinan voyant son rêve hypothéqué, par Boka et sa fille Tinanoh, donne dans l’injure. Il va même
jusqu’à remettre en cause les origines de Boka. « Tu te fais appeler Boka, pour faire croire que tu
es de chez nous ! Mais ton véritable nom c’est Bocar ! Ton père s’appelle Djori Diallotigni Bocar !
» P102. On le voit, la xénophobie, l’exclusion ne datent pas d’aujourd’hui.
Déjà en 1980, l’auteur tel un visionnaire s’est projeté dans le temps futur pour mettre en relief
l’Ivoirité. Ce concept culturel sera galvaudé par les politiques ivoiriens. Henri Konan Bédié,
devenu président en 1993, à la mort de Félix Houphouet, va utiliser ce concept odieux, hideux en
1995 pour éliminer de la course présidentielle son rival Alassane Dramane Ouattara, président du
Rdr. D’ailleurs, il lance un mandat d’arrêt international contre celui-ci. La nouvelle constitution
sera taillée sur mesure pour l’éliminer politiquement. En 2000, Guéi Robert, chef de l’Etat après
son coup d’Etat de 1999 utilise cette arme pour mettre hors course Alassane et bien d’autres
taxés d’enfants d’immigrés…
Si pour le lecteur, le héros est Djinan, pour l’auteur le personnage le plus important est Tinanoh.
Ce personnage n’intervient qu’au tableau III. Bien plus, ce texte dramatique, au second degré de
lecture, bouscule les règles préétablies par un ordre social, questionne, houspille, rouspète,
raille, râle, chiale, rit et riposte.
La fin de la pièce est heureuse. Au total, ce texte à bien des égards est qualifié d’idéaliste parce
que les faibles triomphent. Est-ce un parti pris de l’auteur ? Non, nul doute une option
fondamentale ! L’espoir que le bon sens triomphera toujours, un jour, du mensonge sans
remords.

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