Radicalité de Jésus Dans L'appel de Disciple
Radicalité de Jésus Dans L'appel de Disciple
Radicalité de Jésus Dans L'appel de Disciple
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Focus
La radicalité de Jésus dans l’appel des disciples
La radicalité de Jésus dans l’appel La radicalité de Jésus dans l’appel
des disciples des disciples
Une enquête dans les quatre Évangiles Une enquête dans les quatre Évangiles
Face aux crises que traverse la République démocratique du Congo depuis soixante Vincent Muderhwa Barhatulirwa
ans, un retour aux sources des quatre évangiles est proposé par l’auteur. Une exégèse
de l’appel aux disciples par Jésus est mise en dialogue avec les besoins du peuple
congolais. Comment réussir à produire une alliance comparable à celle off erte aux
disciples, et qui fonctionne dans la réalité actuelle? Des ressorts puissants sont
assurés par des relations interpersonnelles responsables. Suivre l’appel aux disciples
c’est transcender la seule foi par une volonté d’agir. Cette volonté d’agir permet la
conduite conséquente et collective d’actions selon un bien commun responsable,
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TABLE DES MATIÈRES
Préface ................................................................................. 7
Remerciements .................................................................. 11
Introduction ...................................................................... 15
Partie I
1 Présentation de la figure du disciple
dans les Évangiles synoptiques ........................................ 23
2 La figure du disciple dans l’Évangile de Marc ........... 27
3 L’Évangile de Matthieu ................................................ 37
4 La figure du disciple dans l’Évangile de Luc :
Les conditions éthiques exigées ....................................... 45
5 Vers une redéfinition de la mission du disciple
dans le monde : éthique et mission .................................. 69
Partie II
1 Portrait des disciples dans le quatrième Évangile ...... 83
2 Radicalité et recrutement des disciples :
Sélection de textes ............................................................. 87
3 Périphérie et centre de la confession de foi
chrétienne : cheminer vers un engagement
de foi radical .................................................................... 127
4 Jésus à la rencontre des différents groupes ............... 147
5 Le profil du disciple et l’environnement
du conflit radical ............................................................. 197
espace qui m’a permis de me concentrer sur ce projet jusqu’à son abou-
tissement. Combien je suis reconnaissant envers eux pour avoir accepté
d’être privés de ma présence, maintes fois, pourtant un droit inaliénable.
À eux s’ajoutent les membres de l’Église francophone de la CBCA Goma-
Ouest, qui se sont privés de mes prestations en tant que leur pasteur, pen-
dant 2 mois de congé en 2018, ce qui est exceptionnel mais nécessaire
pour me permettre de finaliser ma recherche.
INTRODUCTION
LA FIGURE DU DISCIPLE
DANS LES ÉVANGILES SYNOPTIQUES
1 Pour une étude détaillée voir : Wilkins, Discipleship in the Ancient World and
Matthew’s Gospel. Grand Rapids/Baker Books: Leicester/Appolos, 1995, pp.250-
2, 253-4.
2 Culpepper, Alan 1983. Anatomy of the Fourth Gospel: A Study in Literary
3 Pour plus de détails, cf. Brown, R.E., The Gospel According to John, Vol.1.
London: Geoffrey Chapman, 1971/75, pp.488-9.
4 R.F., Collins, R.F., These things have been written: Studies on the Fourth Gos-
LA FIGURE DU DISCIPLE
DANS L’ÉVANGILE DE MARC
6 Cf. J.S., Kloppenborg, Excavating Q: The History and Setting of the Sayings
Gospel, Edinburgh: T&T Clark, 2000, pp. 214-261.
7 Schenke, L. Die Urgemeinde: Geschichtliche und theologische Entwicklung.
Stuttgart: W Kohlhammer. 1990, cité à partir de: S., Guijarro, “The First Disciples
of Jesus in Galilee”, HTS 63 (3), 2007, p.886.
28 La radicalité de Jésus dans l’appel des disciples
de Jésus se mirent, un jour de sabbat, à arracher les épis de blé, à les égre-
ner et les manger).
Le 2ème élément que les groupes utilisent pour définir leur identité,
c’est la comparaison. La controverse qui se met en place avec les scribes
Pharisiens, fait que ce que les disciples font (manger avec les pécheurs, le
fait de ne point jeûner et manger, de façon incorrecte, au jour de sabbat)
est paradoxal car ils font ce que les scribes Pharisiens n’admettent pas. Ils
vont plus loin parce qu’ils font ce que les païens et les Judéens hellénisés
faisaient. Et c’est sur base de cela que les groupes les plus rigoureux cons-
truisaient leur idéologie pour se faire différencier des autres 10. Les ré-
ponses que Jésus de Marc donne à toutes ces accusations pourraient être
trouvées en des endroits différents : 2,17a « ce ne sont pas les bien-por-
tants qui ont besoin de médecin, mais les malades …» ; 2,19a « les invités
à la noce peuvent-ils jeûner pendant que l’époux est avec eux ? » ; 2,27
« le sabbat a été fait pour l’homme et non l’homme pour le sabbat ». Ces
réponses révèlent déjà une évaluation positive du comportement qui iden-
tifie les disciples de Jésus mais ceci est renforcé par une série d’arguments
christologiques fondés sur la mission de Jésus : « je ne suis pas venu ap-
peler les justes mais les pécheurs » (2,17b) ; « le Fils de l’homme est
maître même du sabbat » (2,28). Tout ceci démontre qu’alors que, pour
les Pharisiens, l’observance de lois appliquées aux repas était un instru-
ment pour établir des limites et distinguer leurs membres des autres Ju-
déens, l’évaluation positive de l’identité des disciples en Marc est basée
plutôt sur la personne et l’autorité de Jésus 11. Alors que l’identité du mou-
vement de Jésus se trouve menacée, la positive différenciation fut cons-
truite contre la secte des Pharisiens.
Une autre caractéristique des disciples en Mc, comme l’a si bien vu
Malbon, est que les disciples et les foules forment un groupe composite
des personnes faillibles 12. Bien que Jésus fasse les mêmes choses pour les
disciples en tant que groupe à part et pour les foules 13, l’évangéliste men-
tionne quelques personnages individuels (Simon, André, Jean et Jacques)
comme ayant été appelés par Jésus (1,16-20). Il reconnaît quelques-uns
d’entre eux comme ayant émergé à partir des foules pour suivre Jésus.
C’est le cas de Lévi en 2.13-5 et de Bartimée en 10,46-52. Dans ce sens,
comme l’observe Malbon, suivre est un trait central pas seulement aux
disciples, mais il recouvre aussi la foule 14.
15 cf. L.W., Hurtado, Following Jesus in the Gospel of Marc – and Beyond. In:
16 E., Best 1986. Disciples and Discipleship. Studies in the Gospel according to
Mark. Edinburgh: T & T Clark, p.2.
17 L.W., Hurtado, op.cit., 1996, p.13.
18 W.M., Swartley, Mark. The Way for all Nations. Scottdale : Herald Press, 1981,
p.138.
19 La première prédiction de la mort de Jésus et sa résurrection (8,27-30) est suivie
de qui est Jésus (8,27-30.32-3) ; la seconde prédiction (8,30-2) est précédée par le
récit des disciples qui manquent de chasser l’esprit impur qui fait que le garçon
32 La radicalité de Jésus dans l’appel des disciples
pleure et fait des convulsions ; une incapacité qui fait que Jésus conçoit les dis-
ciples comme une ‘génération incrédule’ (9,19). Il semble que tous ceux qui sont
rassemblés à la scène autour de lui, les disciples, les scribes, la foule et l’homme
de la foule sont en crise de foi (cf. J.F., Williams 1994, op.cit., p.139). La troisième
prédiction (10,32-4) est précédée par l’absence de compréhension des disciples de
l’enseignement de Jésus au sujet de la richesse (10,17-31). A la suite de Hurtado,
on peut noter que chacune de ces trois situations à trois composantes : (1) une
prédiction de Jésus de la mort et de la résurrection ; (2) un récit d’un comporte-
ment malencontreux des disciples représentés soit par plus de Douze ; (3) l’ensei-
gnement correctif de Jésus sur la nature du disciple (L.W., Hurtardo 1996, op.cit.,
p.12). La compréhension de l’aperçu de Marc sur le disciple devrait être trouvée
à partir de l’esquisse. Les deux guérisons auxquelles l’évangéliste fait référence
en Mc 8-10 tient une signification symbolique. Williams fait remarquer que l’ha-
bilité de Jésus d’apporter la vue à un homme qui est physiquement aveugle crée
l’attente que Jésus aussi possède l’habileté d’éclairer ceux-là qui sont aveugles à
son identité et mission. Jésus est capable de donner la compréhension à ceux-là
qui manquent la perspicacité […ou] capables de donner une vraie compréhension
aux autres, peut-être même aux disciples’ (J.F. Williams 1994, op.cit., p.129). La
façon dont est donné le portrait des disciples dans le cadre a été diversement in-
terprétée par l’école savante. Il est généralement connu que Marc fait le portrait
des disciples dans une pauvre lumière. Selon Räisänen, leur incompréhension doit
être vue comme focalisant dans les trois aires : (1) à la lumière de Marc 4,41; 6,52;
8,17-21, malgré le fait d’avoir témoigné les miracles de Jésus, ils ont manqué de
reconnaître le caractère divin de de la présence de Jésus ; (2) ils ont aussi manqué
de comprendre le fait que l’enseignement concernait l’abrogation des lois de la
nourriture juive (cf. 7,18s.); (3) les disciples ont montré le manque de compréhen-
sion concernant l’enseignement de Jésus qui traite de la Passion et de la résurrec-
tion (cf. triple modèle en Mc 8-10; cf. Räisänen cité par C Tuckett 2002. The
Disciples and the Messianic Secret. In: Dunderberg, I. & Tuckett, C. & Syreeni,
K. (eds) Fair Play. Diversity and Conflicts in Early Christianity. Essays in Hon-
ours of Heeikki Räisänen. Leiden/Boston : Brill, 2002, pp.132-3). Il a été observé
que les disciples manquent de reconnaître la vraie identité de Jésus. La mention
de leur grande crainte (4,41), par exemple à l’intérieur de la première section con-
sacrée à l’autorité du Fils de Dieu (1,14-8,21), après avoir fait taire la tempête,
confirme le manque de foi des disciples que Jésus réprimande. L’explication à
donner à la prédiction mentionnée plus haut est que, droit après la première pré-
diction, le manqué de foi de Pierre vient en avant dès lors, représentant les autres
La figure du disciple dans l’Évangile de Marc 33
disciples, il comprend mal une perspective de Dieu sur la mission de Jésus, le Fils
de l’homme qui doit assurer, mourir et ressusciter encore (8,31). Il semble que
Pierre sait que les messies devraient régner et non mourir. Dans d’autres instances
(la 2ème et 3ème prédictions), les disciples démontrent à quel point leurs pensées
sont préoccupées par une certaine grandeur quand ils argumentent sur la façon
dont l’un ou l’autre cherche à découvrir qui est le plus grand (9,34-5) et ailleurs
spécifiquement avec la grandeur politique quand Jacques et Jean font cette requête
: ‘Accorde-nous de siéger dans ta gloire, l’un à ta droite et l’autre à ta gauche
(10,37). Selon Swartley, les disciples sont concernés par ‘l’imminente pompe po-
litique et le prestige’ (cf. Swartley 1981 :138-9).
21 Cf. Tuckett, op.cit., 2002, pp.139-143 ; malheureusement quand il vient au v.33,
Jésus ‘sur le chemin’ demandait à ses disciples ‘qu’est-ce que les gens disent qui
je suis ?’ (8.27); à la fin de la seconde annonce de la Passion dans le contexte où
la question de la grandeur survient parmi les disciples (9,33) et quand Jésus a fait
la troisième annonce ‘ils étaient sur la route, montant vers Jérusalem, et Jésus était
à leur tête …’ (10.32). La dernière référence peut être trouvée, à la fin de la sec-
tion, où il est affirmé qu’immédiatement ‘il [Bartimée] retrouva la vue et le suivait
sur le chemin’ (10,52).
27 On a besoin de consulter E., Best 1981, op.cit., p.16. Dans le Livre des Hébreux,
par exemple, l’emphase est que Jésus passe avant son peuple pour ouvrir une nou-
velle et meilleure voie à la place sainte céleste (2,10 ; 3,7-4.16 ; 10,19s ; 12,1s).
Dans les Actes des Apôtres, la vie chrétienne est décrite comme ‘la voie’ (9,2 ;
La figure du disciple dans l’Évangile de Marc 35
D’une façon corollaire, l’être disciple est défini comme une condition
dans laquelle ceux qui suivent se renient eux-mêmes et prennent leur
croix : « si quelqu’un veut venir à ma suite, qu’il se renie lui-même et
prenne sa croix, et qu’il me suive ». Il convient de noter que Mc 8,34
parallèle à Mt 16,24 et Lc 9,23 sera discuté à la fin de cette section. Ce
verset fait référence à la signification et implications de disciple et il est
central en Marc. Le point de vue de Malbon, c’est que ce verset est
« un verset pivot concernant les disciples, la foule et les disciples 28. »
Il est vrai qu’en plaçant les foules et les disciples ensemble et en introdui-
sant une particule conditionnelle ei (si) au début de la phrase
« tis thelei opisô mou akolouthei » (quelqu’un veut suivre après moi),
Marc clarifie ce que cela signifie et implique l’être disciple de Jésus. Trois
actions initiales, notamment ‘venir après moi’, ‘renier’ et ‘prendre sa
croix’ doivent être compris par les disciples qui espèrent « tenir dans la
suivance » de Jésus. Best fait remarquer qu’être disciple signifie prendre
le pas de suivre derrière Jésus et aller avec lui 29. Dans ce sens, être disciple
ne doit être pris ni comme le fait d’être prêt à souffrir, ni comme un appel
à accepter un certain système d’enseignement à vivre comme ce serait
pour un rabbi. Ce n’est pas un appel à accepter une position philosophique
L’ÉVANGILE DE MATTHIEU
1970, p.
38 La radicalité de Jésus dans l’appel des disciples
p.166.
36 Ibid. p.149.
L’Évangile de Matthieu 39
maître (10,24-25). Plus que cela, la haine contre les envoyés de Jésus va
submerger la famille. Or, le fait que le frère livre son frère à la mort, et le
père son enfant et même les enfants se placent contre leurs parents et
qu’ils les fassent condamner à mort (10,21), « tel déclenchement de la
haine constitue une aggravation dans l’hostilité dont les victimes sont les
témoins du Christ » 41. Dorothy Weaver parlera d’une double intensifica-
tion qui va de la persécution anonyme mentionnée précédemment dans
une affaire de famille, à la violence et à la mort 42. Ce qui est intriguant,
c’est qu’au cœur des relations les plus intimes, la violence dresse les uns
contre les autres ceux-là même qui se doivent la vie et ont la responsabilité
de la protéger. Ils précipitent frère, sœur ou parents dans la mort. Qu’est-
ce qui pourrait être à la base de cette avalanche de la violence ? Marguerat
nous aide à y trouver la réponse :
Il n’en reste pas moins que le Christ se pose ici en producteur de vio-
lence : son action, médiatisée par les disciples, peut provoquer une haine
destructrice du milieu familial. La mission qu’il confie aux siens peut
faire l’objet d’un débat âpre, exigeant des croyants des choix douloureux.
Cette violence christique va toutefois vers la vie et non vers la mort, car
c’est de ‘trouver la vie’ qu’il s’agit en définitive (10,39). Personne ne peut
s’engager à la suite de Jésus sans couper, sans rompre, sans se séparer 43.
Le conflit que l’Évangile cause est constitué entre, d’un côté, les
croyants en Jésus et les leaders juifs, et d’autre côté, leurs propres fa-
milles. Les disciples étaient, en même temps, aliénés de leurs familles et
exclus des assemblées juives. À partir de cette perspective, le fait d’être
disciple de Jésus est radicalisé dans la perspective matthéenne. Cette ra-
dicalité est tout aussi soulignée dans une déclaration de Jésus vis-à-vis de
sa propre famille en Mt 12,46-50 « Qui est ma mère et qui sont mes
44 Ibid., p.171.
45 La division entre le groupe de Matthieu et la communauté au large est percep-
tible à travers les références à ‘vos/leurs synagogues à la lumière de Mt 4,23; 9,35;
10,17; 12,9; 13,54; 23,34.
46R., Foster, Why on Earth Use ‘Kingdom of Heaven. Matthew’s Terminology
suivance de Jésus, poursuit Luz, revêt une sérieuse et une radicale absence
de compromis. En disant ei tis thelei « si quelqu’un veut » (en Mt 16.24,
Mc 8.34 et Luc 9.23), le fait de devenir un disciple est un acte engageant
la volonté humaine de se renier soi-même, de prendre sa croix. Cette ex-
pression, soutient Keener, signifiait dans l’Antiquité, marchant sur le che-
min qui conduit à sa propre exécution, on tenait le patibulum, comme por-
tant honteusement son propre instrument de mort. C’est pour cette raison
que la croix symbolisait, en elle-même, la métaphore pour les souf-
frances 51. Il n’était pas concevable de tenir à suivre Jésus sans se renier
soi-même et prendre sa croix, les deux conditions n’étant guère des stades
séparés de suivre Jésus. Selon Schnackenburg, la croix à prendre par le
disciple (quotidiennement dans l’esprit de Luc – cf. 9.23) présuppose un
sacrifice total personnel au nom d’appartenir totalement à Christ 52. Il est
à noter que toute renonciation doit être incluse mais la plus décisive action
à poser, c’est le rejet de son propre ego en vue de signifier sa totale con-
sécration à Dieu, comme le crucifié Jésus le fit.
Synthèse théologique
LA FIGURE DU DISCIPLE
DANS L’ÉVANGILE DE LUC :
LES CONDITIONS ÉTHIQUES EXIGÉES
Dieu, des liens avec Jésus en tant que Messie souffrant et Seigneur élevé,
une perspective eschatologique, à long terme, et ecclésiale, à moyen
terme 64. C’est fort de cette concentration sur l’Évangile du Règne de Dieu
que Jésus rejette la requête légitime du potentiel disciple d’aller d’abord
ensevelir son père. L’ordre de Jésus au v.60, poursuit Bovon, revêt une
double obligation : celle de l’adhésion immédiate et totale qui exige, en
conséquence, une rupture avec l’ordre familial et avec la religion du de-
voir, celui d’ensevelir le père étant, pour ainsi dire, un devoir religieux et
un geste de soumission à la tradition des pères 65.
Comment comprendre la radicalité perçue dans le refus de Jésus de
donner une permission au potentiel disciple ? Derrière la préoccupation
en rapport avec le délai sollicité, se tient une question de base beaucoup
plus importante, celle concernant une priorité sur l’allégeance 66. La prio-
rité qu’énonce Jésus, est catégorique et n’admet aucun délai. C’est aussi
de cette manière que l’entend Carroll qui explique la suivance de Jésus en
ces termes:
66 J.T., Carroll, Luke: A Commentary, Coll. The New Testament Library, Louis-
70 Ibid., p.42.
Figure du disciple dans l’Évangile de Luc 49
District (…). La femme de Loth regarda en arrière et elle devint une co-
lonne de sel. » En Nb 20,3-5, « le peuple querelle à Moïse ; ils disaient :
‘Ah ! si seulement nous avions expiré quand nos frères ont expiré devant
le Seigneur ! Pourquoi avez-vous mené l’assemblée du Seigneur dans ce
désert ? Pour que nous y mourrions, nous et nos troupeaux ! Pourquoi
nous avez-vous fait monter d’Egypte et nous avez-vous amenés en ce
triste lieu ? Ce n’est pas un lieu pour les semailles ni pour le figuier, la
vigne ou le grenadier ; il n’y a même pas d’eau à boire ».
Les deux passages font état des murmures liés à des expériences du
passé qui exposent les enfants d’Israël à ne pas faire face aux défis du
présent. En le faisant, dit Bovon, l’homme croit pouvoir s’appuyer sur le
solide qu’il connaît (par exemple les pots de viande d’Egypte) et il révèle
son manque de confiance ou de foi à l’égard des biens non assurés que
l’on espère 71.
Pour la cause du Royaume de Dieu, le disciple en Luc endurera la
séparation des gens de sa maisonnée 72 déjà divisée selon Lc 12,53 (le père
contre le fils, le fils contre le père, la mère contre la fille et vice versa, la
belle-mère contre la belle-fille et vice versa). Luc radicalise l’appel des
disciples en allant jusqu’à les appeler à haïr les membres de la famille
(14,26-7). Le radicalisme du traitement de Luc du “prix d’être disciple”
doit être perçu contre les passages parallèles de Mt 10,37-8 et Lc 14,25-
33. Tandis que le Jésus matthéen avertit de la nécessité d’éviter d’aimer
le père ou la mère, le fils ou la fille, plus que lui-même (10.37), le Jésus
lucanien parle de les haïr et ajoute femme et enfants, frères et sœurs et
même la vie elle-même (14,25-6). L’appel d’être disciple implique aussi,
en Lc 14,27, le fait de porter sa propre croix (hostis ou bastazei ton stau-
ron heautou). En toute vraisemblance, ce passage est en relation avec Lc
73 J.B., Green. The Theology of the Gospel of Luke, Cambridge: Cambridge Uni-
versity Press Green, 1995, pp.108-109.
74 F. Bovon, Luke 1. A Commentary on the Gospel of Luke 1.1-9.50. Minneapolis:
77 Ibid., p.474.
78 J.T., Carroll 2012, op.cit., p.307.
79 Ibid., p.307.
80 Ibid., pp.307-308.
52 La radicalité de Jésus dans l’appel des disciples
Lc 19,1-10 : la péricope
82T.W., Manson, cité par F., Bovon, L’Évangile selon Saint Luc (15,1-19,27),
Commentaire du N.T. IIIc, Genève, Labor et Fides, 2001, p.235.
83 Cf. F., Bovon, op.cit., 2001, p.235.
54 La radicalité de Jésus dans l’appel des disciples
88 Ibid., p.13.
89 F. Bovon 2001, op.cit., pp.234-235.
56 La radicalité de Jésus dans l’appel des disciples
92 H., Marshall, The Gospel of Luke: A Commentary on the Greek Text, Exeter,
The Pasternoster Press, 1978, p.695.
93 H., Marshall 1978, The Gospel of Luke: A Commentary on the Greek Text,
pp.695-696.
58 La radicalité de Jésus dans l’appel des disciples
Alors que le v.3 fait état de la présence de la foule, le v.7 aborde une
question sensible, la récrimination de la foule qui avait vu ce qui vient de
se produire, Jésus entra dans la maison d’un collecteur d’impôt pour y
loger. Aucune surprise au sujet des murmures étant donné que les Phari-
siens et les scribes murmuraient déjà au sujet de Lévi lorsqu’assis au bu-
reau des taxes, Jésus le vit, lui dit « suis-moi » (Lc 5,27). L’appel et la
réponse immédiate de Lévi est rendue par trois verbes d’action ; il quitta
tout, se leva et se mit à le suivre (v.28). Cette suivance, dit Bovon, n’est
pas un enthousiasme apocalyptique mais une obéissance strictement
christologique parce qu’elle mène à suivre Jésus sur son chemin de dou-
leur avant d’avoir part à sa gloire (cf. 9,23-24) 101. Comment comprendre
que Lévi qui a tout quitté ait une maison et de quoi organiser un banquet ?
A mon avis, la réponse de Lévi à l’appel de suivre Jésus ayant été immé-
diat, pour donner signification à ce nouvel engagement de se mettre à la
suite de Jésus et mettre à disposition ses biens, cela ne peut être matéria-
lisé que par un grand festin dans sa maison auquel prennent part une foule
de collecteurs d’impôt et d’autres gens (5,29). Les murmures des Phari-
siens et des scribes qui s’en suivent (5,30) et qu’on retrouve dans le récit
de la rencontre de Jésus avec Zacchée (19,7) démontrent la désapproba-
tion de ceux-là qui se prétendent justes 102. Non seulement ils jugent, mais
aussi condamnent d’une part le pécheur confirmé (Lévi et les disciples de
Jésus) et d’autre part l’attitude risquée et insouciante de Jésus qui n’est
pas moins coupable. Il convient de noter que, pour les Pharisiens et les
Juifs en général, le collecteur d’impôt était considéré comme un homme
pécheur et donc s’installer dans une maison d’une telle personne n’était
101 F., Bovon, L’Évangile selon Saint Luc 1-9, (Commentaire du Nouveau Testa-
ment III), Genève, Labor et Fides, 1991, p.251.
102 F., Bovon, op.cit., 2011, p.243.
Figure du disciple dans l’Évangile de Luc 61
rien d’autre que partager son péché 103. C’est ainsi que Zacchée, ayant pro-
bablement entendu ces murmures, cherche-t-il à se défendre pour rétablir
son honneur suffisamment entamé ? Nous allons examiner le contenu de
l’engagement qu’il prend en s’adressant au maître. Il s’engage à donner
la moitié de ses biens aux pauvres par libéralité et s’il a escroqué ou ac-
cusé faussement quelqu’un, il lui rend le quadruple, dépassant de loin les
exigences de la loi (Ex 22,3.6 ; Lv 5,21-24 ; Nb 5,6-7). Comment Zacchée
peut-il faire preuve d’une si grande générosité ? Zachée serait-il en train
d’indemniser toute personne qu’il a fait payer trop cher ? 104 Un tel enga-
gement révèle plutôt une réponse passionnée et repentante de l’accepta-
tion gracieuse de Jésus 105. On croirait que Zacchée, sans que Jésus le lui
ordonne, a compris que s’engager à suivre Jésus en appelle à des engage-
ments d’une radicalité inhabituelle et exceptionnelle. L’engagement de
Zacchée n’est ni au futur ni même une expression d’une pratique habi-
tuelle comme d’aucuns le défendent pour nier sa conversion. En le faisant,
Zacchée, qui était « perdu », fut alors « sauvé » par le Fils de l’homme
qui, en entrant dans sa maison, provoque une telle transformation 106. Ce-
pendant, pour trancher le débat de la conversion de Zacchée, il n’est pas
prudent de se limiter au v.8 sans tenir compte des vv.9-10. La réaction de
Jésus ne se fait pas attendre au regard de son affirmation solennelle « au-
jourd’hui, le salut est venu dans cette maison, car lui aussi est un fils
d’Abraham » (v.9). Cette double affirmation, qui se retrouve tant au v.5
qu’au v.9, montre que le salut de Zacchée ne le concerne pas seulement
individuellement mais inclut le salut pour toute la maison, Zacchée n’est
pas considéré comme devant jouir seul et de manière égoïste du salut,
mais il le partagera avec ceux qui sont rassemblés dans sa maison 107. Et,
en recevant le salut, il est copté fils d’Abraham. C’est ainsi que le facteur
clé ou la clé herméneutique de ce récit se trouve caché dans ces deux ver-
sets parallèles, parce que la présence de Jésus (v.5b) équivaut à l’irruption
du salut (v.9a) 108. Lorsque Jésus débaptise Zacchée, fils d’Abraham
(v.9b), cette descendance n’est pas à prendre au sens paulinien de l’élec-
tion en Christ à la lumière de Ga 3,6-18 et Rm 4,1-25 mais dans le droit
fil de la parole de Jésus en Lc 3,8. Dans ce passage, Jésus dit à ceux qui
prétendent être fils d’Abraham : « produisez donc des fruits qui témoi-
gnent de votre conversion ; et n’allez pas dire en vous-mêmes : ‘nous
avons pour père Abraham’. Car je vous le dis, des pierres que voici Dieu
peut susciter des enfants à Abraham ».
L’évangéliste élabore le récit de la rencontre entre Jésus et Zacchée de
telle manière à ce que, ce dernier qui accueille Jésus, se sente lui-même
accueilli. Il devient, pour ainsi dire, un bel exemple de production des
fruits de la repentance. Il est tout aussi un bel exemple d’un salut qui,
commençant aujourd’hui, donne à Zacchée une raison d’être, de croire et
d’agir par des actes de charité. C’est autant dire que le salut eschatolo-
gique s’est inséré dans l’histoire, et dont la dimension spirituelle est qua-
siment indissociable de la composante matérielle 109. La réponse de Zac-
chée, dans ce récit, a ouvert grandement la porte à une vie réordonnée qui
est façonnée par des valeurs et engagements du royaume de Dieu : une
admission honnête de responsabilité qui tient compte des transactions de
corruptions passées en affaires, la résolution d’agir avec droiture et avec
justice au profit de ceux qui avaient été trompés 110.
108F., Bovon, op.cit., 2011, p.243 et J.T. Carroll 2012, op.cit., p.373.
109 F. Bovon, op.cit., p.243.
110 I.H., Marshall, op.cit., 2012, p.373.
Figure du disciple dans l’Évangile de Luc 63
L’esquisse faite dans les Évangiles selon Marc, Matthieu et Luc peut
aider à dégager la signification et l’implication de l’acte d’être disciple
dans l’ensemble de la tradition synoptique. À la lumière du survol fait
selon la perception de Marc, à mon avis, le groupe des disciples de Jésus
n’est pas « un cercle fermé, mais ouvert », étant donné qu’il intègre à la
fois ceux qui accomplissent des actes puissants et ceux qui offrent sim-
plement une coupe d’eau à une personne assoiffée au nom de Jésus (9,39-
41). Par ailleurs, la perception marcienne du disciple consiste à suivre Jé-
sus « sur le chemin ». Trois actions initiales (‘venir après moi’, ‘renier ‘et
‘prendre sa croix’) se succèdent l’une après l’autre, plaçant les disciples
dans un processus de gradation où ces derniers ne sont pas attendus à faire
64 La radicalité de Jésus dans l’appel des disciples
exige aux croyants des choix douloureux. Au milieu des persécutions, ils
ne sont pas abandonnés à leur triste sort mais ils sont adoptés dans la fa-
mille de Dieu. C’est cela qui justifie l’appel adressé aux disciples d’aimer
Jésus plus que leur père et mère, frère et sœur. La seule voie pour eux de
survivre est d’être constamment soucieux du fait qu’ils font partie de la
familia dei à partir de laquelle tous les opposants (autorités et parents)
sont exclus.
Dans la perspective de Luc, suivre Jésus ne peut se faire dans la réalité
concrète sans consentir des sacrifices personnels. Les conditions opposées
aux trois potentiels disciples en Lc 9,57-62 sont déroutantes 111. En dépit
du fait que Mt 10,8-19 et Lc 9,57-62 diffèrent sur cette question, Mt par-
lant d’un potentiel disciple mais Lc en évoque trois, les deux évangélistes
s’accordent sur l’une des conditions que le disciple devrait remplir. C’est,
d’une part, la volonté d’endurer un style de vie instable et insécurisée et,
d’autre part, se désencombrer de toutes les allégeances. Cependant, là où
Lc va plus loin, c’est le fait de refuser à un potentiel disciple d’aller en-
terrer son père. Appelé à se concentrer sur l’appel à annoncer l’Évangile
du Règne de Dieu, qui exige une adhésion immédiate et totale, la consé-
quence c’est de rompre avec l’ordre familial et la religion du devoir même
le plus sacré. Le Jésus de Lc va même jusqu’à considérer l’ensevelisse-
ment du père comme un devoir religieux et un geste de soumission à la
tradition des pères pas très prioritaires par rapport au Règne de Dieu.
La priorité qu’énonce Jésus est absolue et n’admet aucune raison qui
pourrait constituer une justification de délai. Le risque d’adopter un tel
style de vie fait que le disciple devient un homme sans attaches et peut-
être même asocial dans le contexte africain, qui se fonde largement sur
111 Cf. Lc 9,59-62 « (…) les renards ont des terriers et les oiseaux du ciel des nids ;
le fils de l’homme n’a pas où reposer sa tête » (v.58) ; « (…) Laisse les morts
enterrer leurs morts, mais toi, va annoncer le Règne de Dieu » (v.60) ; « (…) qui-
conque met la main à la charrue, puis regarde en arrière, n’est pas fait pour le
Royaume de Dieu »
66 La radicalité de Jésus dans l’appel des disciples
Les textes que nous venons d’analyser, dans les Évangiles de Mc, Mt
et Lc, nous démontrent que l’appel du maître étant fondamentalement ra-
dical, toute adhésion du disciple implique une vie faite de radicalité et cet
engagement est perceptible dans son existence au quotidien sur le plan
individuel et familial mais aussi dans la société. C’est ainsi qu’il est in-
dispensable de redéfinir le statut du disciple et les incidences de cette vo-
cation dans son engagement en communauté et dans la société.
maître 112. Alors que les rabbis n’avaient que des hommes comme dis-
ciples parce qu’on n’apprenait pas la Loi à des femmes, Jésus, en re-
vanche, avait intégré des femmes parmi ses disciples, femmes qui ont eu
accès aux enseignements au même titre que les hommes 113. Et ce qui, en
fait, est leur marque caractéristique se comprend dans ce qui suit :
Tandis que les disciples des rabbis s’insèrent dans un rôle social bien
intégré et respecté, en rentrant dans leurs familles auxquelles ils apportent
gratification et honneur, ceux de Jésus participent à son auto-stigmatisa-
tion dans la mesure où ils partagent son déracinement social et privilégient
le lien avec Jésus par rapport à celui, prioritaire dans le contexte culturel,
qu’ils entretiennent avec leur famille d’origine. 114
La question qui peut, dès lors, se poser est celle de savoir comment
expliquer ce déracinement social dont la radicalité ne semble laisser au-
cune ouverture à des rapports privilégiés avec les proches tandis que ce
mode de vie n’empêche pas Jésus de les désigner comme « sels de la terre
» ? Une piste à répondre à cette question importante consiste à jeter un
coup d’œil dans les trois Évangiles synoptiques.
En parcourant les trois Évangiles, il est clairement évident que, pour
être disciple de Jésus, la condition sine qua non consistait à être prêt à
participer à son auto-stigmatisation étant donné que les liens qui unissent
les disciples à Jésus devraient radicaliser tous les autres liens si sacrés et
si légitimes soient-ils. Et c’est en l’intégrant dans la vie quotidienne que
les disciples sont perçus comme « lumière du monde » et « sel de la terre »
selon les termes de Mt 5,13. La désignation des disciples de Jésus comme
sel de la terre est une constante dans la tradition synoptique où elle est en
filigrane en Mc 9,50 ; Mt 5,13 et Lc 14,34-35 mais ladite désignation
112E., Norelli, « Jésus en relation des adeptes, des alliés et des adversaires », in :
A., Dettwiler (ed.), Jésus de Nazareth : études contemporaines, Genève, Labor et
Fides, 2017, p.113.
113 Ibid., p.114.
114 Ibid.
Vers une redéfinition de la mission du disciple dans le monde 71
115 P., Bonnard, L’Évangile selon saint Matthieu, Genève, Labor et Fides, 2002,
p.59.
116 P., Bonnard, L’Évangile selon saint Matthieu, p.59.
72 La radicalité de Jésus dans l’appel des disciples
117 E., Trocmé, L’Évangile selon Marc, Genève, Labor et Fides, 2000, p.253.
118 E., Trocmé, L’Évangile selon Marc, p.253.
119 Schweizer et O. Cullmann, cités par F., Bovon, p.480, note 114.
Vers une redéfinition de la mission du disciple dans le monde 73
Lorsque, dans les vv.34-35, Jésus dit « le sel est une bonne chose, mais si
le sel lui-même perd sa saveur, avec quoi la lui rendra-t-on ? Il n’est bon
ni pour la terre, ni pour le fumier ; on le jette dehors. Celui qui a des
oreilles pour entendre, qu’il entende », le disciple doit garder sa saveur.
Qu’est-ce à dire ? L’être disciple est une bonne chose au sens plein du
terme, c'est-à-dire en accord avec la volonté de Dieu, en harmonie avec
les biens ultimes, en symétrie avec les promesses bibliques et en polé-
mique avec l’exégèse juive dominante 120. Si l’on parcourt ce qui a été dit
plus haut, le disciple qui a su calculer (vv.28-32), qui a renoncé aux siens,
à ses biens et à soi-même (vv.26 et 33), qui est prêt au martyre (v.27) et
qui donc remplit les conditions d’être disciple (vv.26-27.33), mieux un
bon disciple si, par malheur, il cesse d’être ce qu’il a choisi, il est donc
« fini ». Il n’y a plus rien à espérer. En le faisant, il est comme du sel qui
a perdu sa saveur, il est émoussé et il a perdu la sagesse de l’Évangile.
Donc, comme c’est le cas pour le sel, s’il ne demeure pas salé, c'est-à-dire
s’il n’a plus ses propriétés, il perd forcément son efficacité, donc son uti-
lité, il est mis de côté 121. Une manière de dire que le disciple doit persister
dans l’engagement radical qu’il a décidé d’entreprendre dans la vie, est
de l’assigner à participer au présent et au futur de la mission importante
de semer et de faire rayonner l’Évangile. La présence de Dieu et les
signes évidents de son royaume ne se font voir et rayonnent que par et au
moyen des disciples qui restent efficaces en maintenant leur vie dans la
radicalité, à laquelle ils ont adhéré et qui est déterminante pour leur en-
gagement dans la société.
Pourquoi les disciples avaient-ils à consentir une telle radicalité et à
payer un si grand prix ? Nous allons répondre à cette question en montrant
que le rôle des disciples est stratégique dans la promotion du règne de
Dieu qui porte en lui les germes de la transformation de l’homme appelé
à transformer le monde dans lequel il vit.
Sur la base de l’analyse des textes plus haut, il me semble que le mes-
sage de la proximité du règne de Dieu affirme une loyauté envers Dieu et
son envoyé Jésus de Nazareth qui devrait être vue comme exclusive c’est-
à-dire qui ne doit souffrir d’aucun compromis vis-à-vis une compréhen-
sion non idéaliste, fondée sur des conditions matérielles de vie en société.
La raison pour laquelle nous proposons de considérer le caractère radical
de la décision d’une éthique authentiquement inspirée de l’exemple des
disciples est que la décision de suivre Jésus représente un aspect tragique
de la situation humaine : l’impossibilité d’être fidèle à deux maîtres un
monde de valeurs et l’argent. Jésus affirme sans ménagement : « nul ser-
viteur ne peut servir deux maîtres : ou il haïra l’un et aimera l’autre, ou il
s’attachera à l’un et méprisera l’autre. Vous ne pouvez servir Dieu et l’Ar-
gent (Mamon) » (Mt 6,24 parallèle à Lc 16,13). L’argent est perçu comme
une puissance qui asservit le monde, il n’est pas possible de servir et Dieu
et l’argent.
Les deux évangélistes (Mt et Lc), en utilisant parallèlement ce
logion, laissent entendre à quel niveau Jésus est virulent vis-à-vis des
riches. Les regrets et les manques, les souffrances témoignées comme des
malétitudes (contraire à béatitudes) lucaniennes sont éloquentes : « Mal-
heur à vous les riches ! Car vous avez votre consolation. Malheur à vous,
qui êtes repus maintenant ! Car vous aurez faim. Malheur, vous qui riez
maintenant ! Car vous connaîtrez le deuil et les larmes » (Lc 6,24-25).
Les riches sont ainsi traités parce qu’ils appartiennent à un pouvoir inique
et à un ordre social que condamne Jésus parce qu’ils écrasent les
faibles 122. L’option levée par Jésus, et celle-là est une constante dans tous
les trois Évangiles, consistait à se ranger du côté des couches de la popu-
lation les plus appauvries, celles qui avaient faim, souffraient, pleuraient,
(Mc 1,16-20, Mt 4,18-22, Lc 5,1-3.10-11). Ce qui unit les trois récits, c’est
la réponse immédiate de ceux-là à qui Jésus adresse l’appel de le suivre,
abandonnant presqu’automatiquement leur métier en vue de partager avec
lui le nouveau style de vie caractéristique à sa mission. Ils sont donc partie
prenante d’une nouvelle ère en train de commencer avec tout le bagage
de transformation qu’elle apporte avec elle. Le fait que les disciples po-
tentiels abandonnent leur métier n’est rien d’autre qu’un sacrifice. Il y a
lieu de noter une constante dans les Évangiles, c’est que le style de vie
auquel sont conviés les disciples a un certain prix. Pourtant, au cours des
siècles, on a constaté un relâchement probablement parce que l’Église
perd de vue un rôle d’éducation au travers des instances sociales (familles,
écoles, universités, médias, etc.) Et les croyants tant en Occident qu’en
Afrique cessent de plus en plus à se reconnaître comme sel de la terre et
lumière du monde. Pourtant, cette vocation est irrévocable dans un con-
texte comme celui que nous connaissons en RD Congo où la responsabi-
lité de l’Église et des institutions de formation doivent demeurer un creu-
set de rayonnement de l’Évangile, au regard de la pesanteur de la crise qui
secoue la RDC depuis plusieurs décennies. Ladite crise a des retombées
incalculables sur la vie des populations et dans les secteurs politique, éco-
nomique et social. Les conséquences se rapportent à la précarité des con-
ditions de vie des populations, aux déplacements massifs des populations
dues à la présence des milices dont les réflexes de recours à la violence
déstabilisent les populations. Il suffit de mentionner les crimes à l’arme
blanche qui endeuillent des milliers des familles dans le Territoire de
Beni, les kidnappings dans la Province du Nord-Kivu (la route vers Rus-
thuru et Butembo) qui paupérisent davantage les populations, pendant que
les protagonistes s’enrichissent. Il suffit de montrer l’impuissance des di-
rigeants, tant politiques que militaires dans la partie orientale de la RD
Congo. Le silence d’une population chrétienne (catholiques et protes-
tants) évaluée à plus de 80%, qui ne se réfugie plus dans la prière au lieu
de s’engager dans une lutte non violente. Manque aussi un engagement
Vers une redéfinition de la mission du disciple dans le monde 79
non violent qui a saurait libérer les peuples opprimés. Par peur de la mort,
contrairement à ce que fit Jésus en usant les méthodes non violentes, les
« croyants en Christ » protègent leur vie au lieu de la donner. Comment
être fidèle à la parole du Christ et perpétuer une lutte non violente pour
renverser les corruptions devenues dangereusement mortifères ? L’appel
consiste non à occulter le message de Jésus mais à tenir à la radicalité de
l’Évangile qui appelle au sacrifice comme message éthique de rédemption
hier et aujourd’hui.
PARTIE II
1
Introduction
attitudes de ceux-là qui ont répondu à l’appel de Jésus lors de son minis-
tère terrestre, et d’autre part, ceux-là qui ont cru en lui par le message de
l’Église johannique vers la fin du 1er siècle, c’est-à-dire au temps où
l’Évangile était écrit 130.
Le terme mathêtês (disciple) est bien attesté par ses 73 occurrences 131
à travers l’Évangile. Le choix du terme « disciple » pour les douze
apôtres, afin de désigner ceux qui ont suivi Jésus, est approprié comme
un nom inclusif, étant donné que les disciples, collectivement et indivi-
duellement, sont des représentants et modèles avec lesquels les lecteurs
peuvent s’identifier 132. Notre approche consistera à lire tous les passages
où les disciples apparaissent comme des personnages anonymes dans la
1ère partie de l’Évangile.
En vue de caractériser les disciples de Jésus en Jean, il est nécessaire
de prendre en compte l’intégralité de l’Évangile. Il est digne de noter que
le quatrième Évangile rend une claire distinction entre le groupe large des
disciples illuminés par l’usage du terme « ochlos » (foule) 133et le groupe
133 La façon dont le quatrième évangéliste fait une distinction entre les adeptes
proches de Jésus et ceux-là qui suivent à une certaine distance est illuminé par le
terme ὄχλος. 5 éléments caractérisent la foule comme un groupe avec une relation
distante à Jésus: (i) il suit Jésus seulement de l’extérieur (6,2.5.22.24); (2,31); (ii)
il est seulement impressionné par les miracles de Jésus (7,31; 12,9.12.17-8); (iii)
Portrait des disciples dans le quatrième Évangile 85
intime des Douze « hoi dôdeka » 134. Comme nous allons le voir plus loin,
une telle distinction est clairement mise en route en Jn 6. Ce chapitre sera
il tient des opinions divisées au regard de Jésus (7,12.40-3); (iv) la foule est ca-
ractérisée par le manque de compréhension (11,42; 12,29.43) [cf. Schnackenburg
(1980:208 note 5). Et pourtant il est étonnant que la foule était présente quand
Jésus a guéri un paralytique au jour du Sabbat (5,13), où il ils étaient par Jésus
(6,2.5.22.24.26), ils étaient présents à des fêtes variées à Jérusalem
(7,12.20.31.32. 40.43.49; 12,12.17.18.29.34) et à la résurrection de Lazare (11,42;
12,9), selon la conclusion du Livre des Signes, n’ont pas cru en lui ‘bien qu’il ait
accompli plusieurs miracles dans leur présence (12,37). Köstenberg souligne, à
juste titre, que la caractéristique prédominante de la foule dans le quatrième Évan-
gile, c’est l’incrédulité et ils fonctionnent comme un exemple de la « suivance de
Jésus » tombe fragile du fait d’être disciple actuel (cf. A.J., Köstenberg 1998,
op.cit., pp.145-6). Ils n’étaient pas seulement incapables de comprendre la signi-
fication des miracles accomplis par Jésus, mais aussi ils ont manqué de croire en
lui.
134 Le second groupe est celui de ‘Douze’. Une comparaison entre le quatrième
Évangile et les autres Évangiles, [Moulton & Geden (2002:239) montre les occur-
rences suivantes du terme dwvdekade cette manière : Mt 9,20; 10,1.2.5; 11,1;
14,20; 19,28 (2 fois); 20,17; 26,14.20.47.53; Mc 3,14.16; 4,10; 5,25. 42; 6,7.43;
8,19; 9,35; 10,32; 11,11; 14,10.17.20.43; Lc 2,42; 6,13; 8,1.42.43; 9,1.12.17;
18,31; 22,3. 30.47]. Le cercle de ‘Douze’ est mentionné seulement dans Jn
6,67.70.71 et 20,24. Le fait qu’aucune référence n’est faite aux “Douze” dans le
reste de l’Évangile de Jn indique que bien qu’ils le suivaient, ils n’étaient pas
exclusivement envoyés pour participer dans la mission de Jésus (cf. Köstenberger
1993:236-7). La référence aux ‘Douze’ vers la fin de Jn 6 est faite dans le contexte
où plusieurs des disciples de Jésus le désertent à cause de son « enseignement
dur » (6.60). Contre cette toile de fond se tiennent deux disciples : premièrement,
il y a Pierre, qui répond à la question de Jésus ‘voulez-vous abandonner aussi ?’
Représentant le groupe, Pierre fait une confession considérant Jésus comme le
Saint de Dieu. Deuxièmement, nous avons Judas qui est mentionné comme l’un
de Douze qui trahira Jésus. Bien que les ‘Douze’ soient dépeints comme ayant
opté à montrer l’engagement loyal à suivre Jésus, Köstenberger note que les dis-
ciples avec une foi inadéquate tombèrent (1998:147). Je suis enclin à argumenter
que la confession de Pierre a manqué d’atteindre la plénitude de ce qui était at-
tendu du disciple, qui est de reconnaître Jésus comme Fils de l’homme.
86 La radicalité de Jésus dans l’appel des disciples
analysé dans toute son intégralité, en vue de nous rendre compte comment
l’évangéliste s’évertue à faire ressortir à quel niveau la radicalité que revêt
la prédication de Jésus n’a pas trouvé une oreille attentive, d’une part du
côté de la foule et des autorités juives et, d’autre part – et cela est surpre-
nant – de la part d’un grand nombre de ses disciples. Au regard des ré-
ponses de tous ces différents groupes, sa prédication a rencontré un fiasco,
exceptionnellement chez les Douze qui, se détachant de la toile de fond,
restent attachés au maître et à ses paroles.
2
RADICALITÉ ET RECRUTEMENT
DES DISCIPLES : SÉLECTION DE TEXTES
135 Il est assumé que tous les Évangiles sont d’accord que Jean le Baptiste a eu des
disciples [cf. Brown (1971:74); cf. aussi Barrett (1978.180); Carson (1991:154)].
136 Selon Kysar (1976), Jean, en dépit du titre ‘Agneau de Dieu’ signifie généra-
lement (i) le symbole de la nouvelle libération offerte par Dieu, (ii) la victime
innocente dont la souffrance et la mort gagnent l’expiation du péché humain, (iii)
la figure qui apparait à la fin de temps pour détruire tout mal dans le monde, (iv)
le serviteur de Dieu dont la souffrance expie le péché des autres, Jean, cependant
semble avoir donné une nouvelle et fraiche signification au titre, qui est Jésus à
être u comme libérateur révélateur de Dieu cf. pp.36-7).
137 Ch. L’Eplattenier, L’Évangile de Jean, Genève, Labor et Fides, 1993,
138 E., Cothenet, La chaîne des témoins dans l’Évangile de Jean : de Jean-Baptiste
guier », Nathanaël est perçu par l’école savante comme un sérieux étu-
diant de l’Ecriture 141. La connaissance supranaturelle du lieu où il était
avant même que Philippe ne l’appelle va conduire Nathanaël à répondre
avec franchise et adhérer sans détours 142. Sa finale réponse exhibe éton-
nement et discernement quand il offre une profonde confession de foi
« Rabbi, tu es le Fils de Dieu, tu es le Roi d’Israël » (v.49). Nathanaël se
révèle, à tous égards, comme l’Israélite modèle et digne d’être désigné
comme vrai ou fidèle Juif 143.
Le conflit entre Juifs et Chrétiens qui est développé comme le résultat
de la reconnaissance de Jésus comme Messie pourrait avoir tiré son ori-
gine dans un groupe messianique soutenant que Jésus a accompli les es-
pérances d’Israël. Tous les titres mentionnés plus haut synthétisent l’at-
tente juive de l’agent spécial de Dieu qui reste à venir, un roi idéal qui va
régner selon la droiture. Kysar l’affirme en ces termes :
Par le premier siècle de notre ère, tous les titres messianiques évoquent
plus qu’un dirigeant politique. Ils ont signifié celui qui voudrait libérer le
peuple de l’oppression économique autant que politique ; qui voudrait
corriger les injustices religieuses et les mensonges ; qui pourrait détruire
les forces du mal dans le monde, qui était pensé de façon variée comme
un homme, un super-homme, et un type angélique de la création divine 144.
Tout l’arsenal des titres, utilisé dans ce contexte, sert à faire remarquer
que Jésus est le Messie. Une des caractéristiques distinctives dans le récit
141 S.A., Hunt 2013. Nathanael, in: Character Studies in the Fourth Gospel, p.191.
142 Ibid., p.192.
143 Cf. Alan Culpepper 1983. Anatomy of the Fourth Gospel: A Study in Literary
Design, Philadelphia Fortress, p.123; R.F. Collins 1990. These Things have been
Written: Studies on the Fourth Gospel, Louvain, Peeters, p.13, cites par S.A, Hunt
2013, p.192.
144 R., Kysar, I, II, III John. Minneapolis: Augsburg Publishing House, 1986, p.37.
92 La radicalité de Jésus dans l’appel des disciples
johannique de l’appel des disciples est la certitude, qui existe dès le dé-
part, que Jésus est bien le Messie 145. C’est ainsi que les disciples mention-
nés plus haut devraient être considérés comme des potentiels disciples
qui, en dépit des confessions enthousiastes faites, n’avaient pas atteint une
pleine compréhension de la signification de Jésus. Quand le Jésus johan-
nique leur dit « (…) vous verrez le ciel ouvert et les anges de Dieu mon-
tant et descendant sur le Fils de l’homme » (v.51), ils sont invités à se
mouvoir de la perception traditionnelle en vue de le reconnaître comme
Fils de l’homme (v. 51). Ainsi faut-il souligner que le Fils de l’homme est
le lieu de connexion entre le ciel et la terre, le moyen par lequel Dieu
communique 146. La présence de Dieu n’étant plus désormais liée à un lieu
géographique, Jésus est la personne par qui Dieu se rend accessible, en
tant que Fils de l’homme. Une telle découverte conduit le récit à son point
culminant sur l’identité de Jésus. De manière similaire, Zumstein con-
clut :
Présentation du disciple en Jn 2
Jn 1,51 est situé au tournant à la suite des plus grandes choses annon-
cées au v.50 que verront les disciples et davantage par la vue du ciel qui
va s’ouvrir et les anges qui vont monter et descendre au-dessus du « Fils
de l’homme ». Il constitue un lien avec le reste de l’Évangile. Première-
ment, il conclut le premier chapitre (1,19-51), et il introduit le livre des
signes (chapitres 2-12) dans lequel le premier miracle de Jésus est suivi
non par un discours de révélation (comme ailleurs) mais par plusieurs ren-
contres avec le monde juif (les ‘Juifs’(vv 13-22); Nicodème (cf. 3.1-21);
la Samaritaine et ses voisins (cf. chap 4), et l’officier royal qui va aussi
croire (4,46-54). Le premier signe miraculeux que Jésus accomplit en Ca-
naan de Galilée fait que sa gloire est révélée 149 et ce signe conduit les
Chapman, 1971, pp.103ss, le quatrième Évangile relie ce miracle aux autres mi-
racles de Jésus et la place concrète qu’il donne à ce miracle dans le ministère de
Jésus dans le but de raconter qu’il révèle sa gloire et ses disciples croient en lui.
Le but attribué à ce miracle, comme d’autres miracles subséquents dans Jn, est de
donner la révélation au sujet de la personne de Jésus. Jésus révèle sa gloire est
94 La radicalité de Jésus dans l’appel des disciples
disciples à croire en lui (2,11). Pendant que la section (Chapitres 2-4) rend
capable de voir comment le monde juif répond, les Juifs et les disciples
sont rapprochés en vis-à-vis au chapitre 2.
Le contexte
Ce récit doit être placé dans la structure de 2,1 à 4,54 communément
appelée « de Cana à Cana », structure introduite par le récit du miracle de
transformation de l’eau en vin à Cana (2,1-11) et s’achève par la rencontre
de Jésus avec l’officier royal à Cana où le second signe est accompli
(4,45-54). Les deux récits font inclusion de ce contexte littéraire. Dans
cette structure, on peut découvrir différents types de réponses face au défi
que Jésus présente. Il y a d’un côté ceux-là qui représentent le monde juif,
notamment la rencontre de Jésus avec sa mère et le miracle qui se produit
à Cana (2,1-12), la rencontre de Jésus avec les leaders juifs dans l’aire du
Temple à Jérusalem (2,13-25), la rencontre avec Nicodème à Jérusalem
(3,1-21) et enfin la rencontre avec les disciples de Jean-Baptiste et son
témoignage final en Judée. D’autre part, les rencontres avec ceux qui sont
à la périphérie du monde juif, notamment la femme samaritaine se trou-
vant au puits de Jacob (4,4-15.16-30), la rencontre avec les villageois de
la Samarie (4,31-44) et enfin la rencontre avec l’officier royal à Cana où
le second signe est accompli (5,45-54). L’évangéliste, dans son ingénio-
sité, a réussi à regrouper les chapitres 2 à 4 dans une structure usant d’une
figure de style appelée « inclusion », qui consiste à « émettre un signal
150 A., Marchadour, « Venez et vous verrez » : L’Évangile de Jean, Paris, Bayard,
2011, pp.74-75.
151 Ibid., p.317.
152 Sh., Brown & F.J., Moloney, Interpreting the Gospel and Letters of John,
153 Ch., L’Eplattenier, L’Évangile de Jean, Genève, Labor et Fides, 1993, p.63.
154 R.B., Edwards, Discovering John: Content, Interpretation, Reception, Grands
Rapid, William E. Eerdmans Publishing Company, 2014, p.60.
155 J., Zumstein 2014, op.cit., p.94.
Portrait des disciples dans le quatrième Évangile 97
été bien gardé 156. On est vraiment loin d’un récit de miracle. Pourtant, le
récit s’achève par le fait que les disciples, sous la manifestation de sa
gloire, crurent en Jésus (v.11) ? Pourtant, ils ne sont pas censés avoir été
présents quand le miracle s’accomplit.
170 X., Léon-Dufour, Lecture de l’Évangile selon Jean, Tome 1, Paris, Seuil, 1988,
p.215.
Portrait des disciples dans le quatrième Évangile 101
25) 174. Le miracle renvoie à la personne de Jésus parce que les disciples,
ayant vu sa gloire, crurent en lui. Le terme doxa utilisé dans ce verset fait
allusion à la splendeur divine, sa majesté et sa transcendance qui sont ma-
nifestées. Les disciples ont entrevu la gloire 175 avant même que l’heure
de la glorification attendue à la croix n’ait lieu. Brown et Moloney font
une interprétation juste de ce commencement des signes qui consacre le
commencement aussi de la foi des disciples en ces termes :
174 C.S., Keener, The Gospel of John, Vol. 1, Peabody, Hendrickson Publishers,
2003, p.515.
175 R.B., Edwards, op.cit., p.60.
176 Ma propre traduction de l’anglais au français ; cf. S., Brown & F.J., Moloney
C’est dans cet épisode, bien entendu, que le voyage qu’entreprend Jésus
avec ses disciples va continuer à se produire, car ces derniers vont décou-
vrir dans la foi les divers aspects de l’œuvre du Fils par qui le Père se
révèle. Et ici, curieusement, ceux qui étaient déjà considérés comme dis-
ciples (v.1), c’est eux qui franchissent le pas de la foi authentique. Dès
lors, comment postuler l’authenticité de cette foi ?
révélation 178. Par ailleurs, en Jn 2,11, lorsqu’il est dit que Jésus manifesta
sa gloire, cela est significatif dans le contexte johannique où le verbe pha-
neroô (manifester) fait référence aux œuvres de Jésus révélant le person-
nage et son identité (1,31 ; 3,21 ; 7,4 ; 9,3 ; 17,6 ; 21,1.14) 179. Pour y par-
venir, le regard pénétrant de foi est requis car c’est ce regard qui discerne
dans le signe que Dieu se fait connaître à travers le Fils qui accomplit des
œuvres. Cette foi qui discerne n’est rien d’autre que la foi authentique. La
gloire de Jésus étant une réalité secrète, dit L’Eplattenier, il faut le regard
de la foi pour la discerner 180. Il n’est donc pas surprenant que ce sont les
disciples que Jn crédite de cette compréhension du signe de Cana et qui
les a conduits à la foi. Si donc la foi titubante des disciples a été affirmée
à la suite de la manifestation de la gloire de Jésus dans le miracle de Cana,
existe-t-il un rapport entre le croire et les signes ? Nous allons répondre à
cette question en analysant Jn 2,13-25.
maison de prière une maison de trafic pour les intérêts égoïstes. Ne serait-
il pas le cas que nous vivons actuellement dans le monde ?
De l’Occident en Afrique, les pratiques allant dans le sens d’enrichis-
sements illicites se multiplient et cela sur le dos des fidèles des Églises
indépendantes qui profitent de leur crédulité. Dans un contexte où les po-
pulations vivent une pauvreté endémique, combien n’ont pas été dupés
parce qu’à la recherche de la bénédiction et de la guérison des maladies
chroniques à la seule condition de verser des fonds dans les poches des
individus qui promettent monts et merveilles. Ces pratiques sont devenues
monnaie courante dans les grandes agglomérations (Kinshasa, Brazza-
ville, Abuja, Yaoundé, Lomé, Pretoria, Johannesburg, etc.). Dans ces
grandes villes, les populations, en quête des solutions aux problèmes,
tombent sous le coup des personnes qui se servent d’eux à leur guise pré-
tendant être au service de Dieu, alors qu’ils sont en train de se servir de
lui pour s’enrichir, exacerbant ainsi la paupérisation de la population. La
religiosité des masses qui s’observe en Afrique questionne la manière
dont l’Église proclame l’Évangile et instruit comment vivre la foi en
Christ au milieu de ces contradictions doctrinales et éthiques. L’étude de
Jean 2.13-25 pourrait nous aider à faire du message de Jean un message
actuel pour l’Église de notre temps.
Un tout dernier point d’intérêt, dans Jean 2,13-25, est l’expression
« croire en Jésus », une expression fondamentale dans la compréhension
du quatrième Évangile. Cette expression, faudra-t-il le souligner, apparaît
41 fois dans le Nouveau Testament, 36 fois en Jean 182 et 3 fois en 1
Jean 183. Un tel usage prépondérant indique que Jean attribue une signifi-
cation théologique à ladite expression qui est usitée doublement en Jean
2.23-25, à la fois pour Jésus et pour les Juifs.
184 Ch. L’Eplattenier, L’Évangile de Jean, Genève, Labor et Fides, 1993, p.71.
185 J., Zumstein, op.cit., 2014, p.101.
186 Ibid., p.102.
108 La radicalité de Jésus dans l’appel des disciples
qui vient purifier le Temple réalisant, pour ainsi dire, l’annonce de Mala-
chie 187. En Ml 3,1-3, il est écrit : « soudain viendra dans son temple le
Seigneur que vous cherchez… qui soutiendra le jour de sa venue ?... il
purifiera les fils de Lévi ». Ce motif, en dépit de son importance, pourrait
être contrebalancé par une comparaison à faire entre Lc et Jn. De même
que Jean anticipe le ministère public de Jésus par la purification du
Temple, Luc aussi a fait anticiper le début de la vie publique par la visite
de Jésus à la synagogue de Nazareth. En Lc 4,16-30, les compatriotes de
Jésus sont heurtés par la prétention de Jésus d’être l’envoyé de Dieu pour
l’accomplissement des Écritures. En Jean, « Jésus purifie le Temple
d’Israël où Dieu a voulu habiter au milieu de son peuple, mais c’est pour
annoncer – au-delà – le Temple nouveau qu’il est lui-même en son huma-
nité et surtout qu’il sera, après sa résurrection, pour ceux qui croiront en
lui » 188. C’est dans ce sens qu’il faut examiner le récit dans sa totalité.
Dans le récit, un autre facteur unificateur du texte, c’est la présence
silencieuse des disciples qui se souviennent, à deux reprises, (vv.17.22) :
d’abord, face au geste que Jésus pose, de l’Écriture (v.21) mais ensuite à
la lumière de Pâques, ils croiront que Jésus glorifié est réellement pour
les hommes le sanctuaire (v.22) 189 de la Présence de Dieu.
Le 2ème motif c’est que le récit, du fait qu’il est axé à l’intérieur de la
thématique du Temple, sur l’annonce par Jésus de sa mort-résurrection,
et qu’il est placé au commencement de l’activité de Jésus dans la ville
sainte, il fait pendant au récit de sa mort-résurrection placé effectivement
à la fin de l’Évangile 190. Nous pouvons donc noter que Jean propose à sa
manière une vue synthétique de ce qui inspire la mission de Jésus, de ce
à quoi elle aboutit, c'est-à-dire le nouveau Temple.
191 C.S. Keener, The Gospel of John: A Commentary, Vol 1, Peabody, Hendrick-
son Publishers, 2003, p.351.
192 A.J. Köstenberger, John, Grand Rapids, Baker Academic, 2004, p.115.
Analyse littéraire
Jean 2,13-25 est un texte bien élaboré au regard de l’occurrence de
certains termes. Il transparaît de ce passage le fait que l’auteur, dans la
construction rhétorique de sa pensée, fait des répétitions qui évoluent vers
une réflexion théologique.
La répétition des données à l'intérieur du texte crée quatre séries ma-
jeures de thèmes rhétoriques. À côté des concepts caractéristiques qui sont
répétés dans le texte, d’un point de vue rhétorique il suffit de consulter
l’occurrence de certains groupes de termes pour comprendre que le pro-
blème, ici, est de montrer Jésus en face de qui se dresse l’opposition des
« Juifs », durant une fête importante de la tradition juive. Jésus est pré-
senté comme préoccupé du temple devenu une maison de commerce et
cela est démontré par l’acte de chasser les vendeurs du temple, les brebis
et les bœufs, de renverser les tables des changeurs et de disperser leur
monnaie. Son action en elle-même, loin d’être considérée comme un ac-
cès de colère, est un geste messianique portant une signification profonde
car, sa mort et sa résurrection, aboutissent à faire de son corps « temple »,
un centre privilégié d'adoration.
Le portrait des Juifs que trace l’évangéliste les présente comme s’op-
posant aux signes et aux paroles de Jésus. Croire ou ne pas croire en lui
est une décision à prendre. Ses disciples vont être montrés comme ceux
194 Ibid.
Portrait des disciples dans le quatrième Évangile 111
Pour plus de détails, lire J. Jérémias, Jérusalem aux temps de Jésus, Paris, Cerf,
195
appelée ‘maison de prière pour tous les peuples’ » (Es 56,7) et celle de
Zacharie « il n’y aura plus de marchands dans la maison de Yahweh des
armées, en ce jour-là » (Za 14,21). Comme le voit bien Léon-Dufour, ce
intéresse Jésus, ce n’est assurément pas de mettre de l’ordre mais de rap-
peler que « le Temple d’Israël est bel et bien la maison de Dieu dont rien
ne doit altérer sa sainteté 196 ». Le narrateur, avant de mentionner la réac-
tion de ses interlocuteurs, va introduire les disciples qui se rappellent de
ce qui est écrit dans les écritures « le zèle de ta maison me dévore » (v.17
où est cité de mémoire le Ps 69,10). Il est à noter que le narrateur inter-
prète les actions de Jésus comme un accomplissement des Écritures au
sujet du Messie. Jésus de Nazareth apparaît, aux yeux des disciples, pas-
sionné pour la cause de Dieu. Le verbe « dévorer », ayant le sens méta-
phorique « d’être consumé par ». Le geste que Jésus pose amène les dis-
ciples à percevoir le commencement d’une activité ardente qui va se dé-
ployer sans aucun compromis. A l’instar de Pinhas (Nb 25,11), Elie (1 R
19,10) ou Mattathias (Si 48,2 et 1 M 2,24-26), Jésus va défendre tout au
long de sa vie l’honneur de Dieu 197. La mort de Jésus sur la croix est la
démonstration éloquente de son zèle pour l’œuvre de Dieu.
sur les paroles de Jésus qui, les enjoignant à oser détruire ce sanctuaire et
promettant de le relever en trois jours, ne comprennent pas qu’il parlait
plutôt du temple de son corps (vv.20-21). Sur le plan historique, il con-
vient de noter ce que Köstenberger dit au sujet de l’intention de Jean de
rédiger son Évangile :
pas moins vrai que la mort de Jésus, l’Envoyé de Dieu, qui est une des-
truction du corps, ne détruit pas pour autant le sanctuaire que Dieu s’est
choisi en sa personne. La résurrection en tant qu’évènement commémo-
rant le relèvement du Christ mort rend possible la délocalisation du lieu
d’adoration dans la personne du Christ ressuscité.
cela durant la fête de la Pâque, les signes qu’il opérait suscitent de l’en-
thousiasme. Cependant, Jésus ne croit pas à ceux qui croient en lui. Leur
démarche de foi n’est rien d’autre que simple sympathie qui n’est rien de
moins qu’une foi encore imparfaite. Jésus se méfie d’un tel engouement
parce que connaissant chacun, il n’avait pas besoin qu’on lui rendît té-
moignage au sujet de l’homme (vv.24-25).
Par ci par là, l’évangéliste critique explicitement la foi basée exclusi-
vement sur les phénomènes miraculeux. Selon Zumstein, les vv.23-25 ex-
posent une situation sous forme d’un « sommaire » qui est un point de
départ de la séquence consacrée à Nicodème. Les nombreux pèlerins juifs,
rassemblés à Jérusalem pour la fête de Pâque, croient en Jésus à la vue
des signes. Ce n’est pas la révélation de la gloire de Dieu, comme c’est le
cas pour les disciples selon le v.11, qui a suscité leur foi mais plutôt la
vision du miraculeux 206. Ainsi que nous y reviendrons, la connaissance
de Jésus fondée sur l’acte de « faire les signes » (ta sêmeia a epoiei), qui
est une relation avec le « maître », ne devrait pas être considérée comme
une foi authentique, selon Jn 4,48 et 20,29 207. Les vv.24-25 font transpa-
raître Jésus, qui perce le mystère de l’intériorité humaine. Il démontre la
capacité d’identifier le caractère ambigu et incomplet de la prétendue foi
de ses admirateurs 208.
Si nous devons revenir à la question posée plus haut, Jésus s’est méfié
de la prétendue foi de ses admirateurs parce que fonder la fois sur les actes
miraculeux n’est pas construite sur quelque chose de solide. Il y a un virus
qui ronge la plupart des croyants en Afrique où se comptent, par milliers,
les admirateurs de Jésus. Un missiologue, après avoir observé les Églises
africaines, a osé affirmer qu’elles doivent être prises comme ayant une
206 J. Zumstein, L’Évangile selon Saint Jean (1-12), Genève, Labor et Fides, 2014,
p.112.
207 Ibid., p.113.
220 Cf. A.J. Koostenberger 2004, John, p.126; A.T. Lincoln 2005, The Gospel ac-
cording to John, p.153.
221 J.H. Neyrey 2007, The Gospel of John, p.78.
3
PÉRIPHÉRIE ET CENTRE
DE LA CONFESSION DE FOI
CHRÉTIENNE : CHEMINER
VERS UN ENGAGEMENT DE FOI RADICAL
LA SAMARITAINE, L’OFFICIER ROYAL EN JEAN 4
La Samaritaine
p.252.
Périphérie et centre de la confession de foi chrétienne 129
leur dit : « J’ai une nourriture à manger que vous ne connaissez pas »
(vv.31-32). De même que Jésus a dialogué avec la Samaritaine sur les
thèmes de « manger » et « boire » (4,10-15), il cherche maintenant à par-
ler aux disciples abordant les thèmes de « manger » et « nourriture »
(4,31-34), avec des ironies similaires et malentendus subséquents 224 qui
sont perceptibles dans la suite du récit. C’est ainsi qu’au v.32, pendant
que les disciples le pressaient à manger, Jésus leur dit « j’ai à manger une
nourriture que vous ne connaissez pas ». Ce à quoi, les disciples rétor-
quent : « quelqu’un lui aurait-il donné à manger ? » (v.33). C’est au v.34
que Jésus dit : « Ma nourriture est de faire la volonté de celui qui m’a
envoyé et d’accomplir son œuvre » que l’énigme est résolu. En effet,
quand Jésus dit à ses disciples qu’il a une « autre nourriture », ils ne peu-
vent s’imaginer qu’il faisait allusion à ce qui est au cœur de sa mission 225.
Les disciples sont privés de l’intégralité de la connaissance objective de
la révélation, parce que leur connaissance du sens pénétrant de la mission
est déniée par Jésus lui-même au v.32 226. On peut très bien constater que
l’explication que Jésus donne aux vv.34-38, impénétrable, pourrait-on
dire dans le chef des disciples, n’en demeure pas moins une dernière ten-
tative de clarifier les choses. Jésus, en disant, au v.34 « ma nourriture,
c’est de faire la volonté de celui qui m’a envoyé et d’accomplir son
œuvre », il avait l’intention de montrer que les disciples n’avaient aucune
idée que Samarie était sur la carte de la mission de Jésus 227. C’est pour
cette raison que Jésus affirme « Ne dites-vous pas vous-mêmes : ‘encore
quatre mois et viendra la moisson ?’ Mais moi je vous dis : levez les yeux
et regardez ; déjà les champs sont blancs pour la moisson ! » (v.35). En
dépit du fait que les disciples n’avaient pas compris la nature et peut-être
224 N. Farelly, The Disciples in the Fourth Gospel, Tübingen, Mohr Siebeck, 2010,
p.40.
225 E., Cuvillier, 1996, op.cit., p.254.
un homme qui m’a dit tout ce que jai fait. Ne serait-il pas le Christ ? »
(v.29). Cette invitation reflète l’appel des premiers disciples (1,36.39.
43.46) ; ce qui traduit la pure évangélisation en action 231. Mais son invi-
tation, dit Köstenberger, est basée sur sa connaissance prophétique « de
tout ce qu’elle avait fait » et une possible identité messianique « ne serait-
il pas le Christ » 232. Plus loin au v.39, certes après l’interlude littéraire
faisant allusion aux disciples introduits par le narrateur, beaucoup de Sa-
maritains avaient cru en Jésus à cause de la parole de la femme samari-
taine. Encore une fois, les Samaritains décidant de suivre Jésus, ils reflè-
tent eux aussi la réponse des premiers disciples qui se tournent et suivent
Jésus (1,37.42.49).
La Samaritaine située à la périphérie et dont le portrait initial avait été
d’une honte marginalisée, par son témoignage, reçoit un certain standing
dans la communauté. La conséquence, c’est de cesser de penser à elle-
même pour servir à apporter un message du salut à ses voisins. Elle de-
vient donc un personnage dont la vie est façonnée par la rencontre avec
Jésus qui redonne une signification plus profonde à sa vie 233. Les Sama-
ritains expriment leur adhésion à Jésus après qu’il eût demeuré parmi eux
pendant deux jours « (…) nous l’avons entendu nous-mêmes et nous sa-
vons que c’est lui qui est vraiment le Sauveur du monde » (v.42). En dépit
du fait que c’est un groupe marginal, en confessant Jésus comme Sauveur
du monde, ils s’alignent derrière ce qui est au centre de la confession de
l’Église.
Au regard de l’activité missionnaire de la Samaritaine, il est important
de retenir différentes choses qu’on peut résumer comme suit. La réponse
des Samaritains est l’archétype de la réponse du disciple pour l’Évangile.
Ils sont invités à venir et ils viennent (4,29) ; ils invitent Jésus à demeurer
231 P. Phillips, “The Samaritan of Sychar”, in: Character Studies in the Fourth
Gospel 2013, p.297.
232 A., Köstenberger, cite par P. Phillips, ibid., p.297.
avec eux, et il le fait (4,40). Ils remplacent leur foi médiatisée à travers la
femme, avec une foi qui n’est médiatisée qu’en Jésus lui-même basée sur
une rencontre personnelle et une communauté de croyants ainsi formée
(4,42) 234.
Le titre de Sauveur que les Samaritains attribuent à Jésus est parfois
attribué à Dieu dans l’AT (Es 19,20 ; 43,3) mais aussi à l’empereur dans
le monde hellénistique. Il est ici utilisé par Jean pour souligner l’univer-
salité du salut que Jésus offre.
Le récit présente une analogie et fait état des liens littéraires avec celui
de la guérison du serviteur du centurion (Mt 8,5-13 parallèle à Lc 7,1-10)
mais aussi dans Mt 15,21-28 où Jésus guérit instantanément la fille de la
Cananéenne à la suite de sa foi insistante. Il semble difficile d’assimiler
les deux récits de la tradition synoptique avec celui de Jn, compte tenu du
fait que la relation entre foi et guérison se trouve inversée 235. Sur le plan
de l’intertextualité, dans le récit synoptique, par exemple, le père et la
Cananéenne font une profession de foi avant même que le miracle ait lieu,
foi qui impressionne Jésus qui dit à l’un « rentre chez toi ! Qu’il te soit
fait comme tu as cru » (Mt 8,13) et à l’autre « femme, ta foi est grande !
Qu’il t’arrive comme tu le veux ! » (Mt 15,28). La foi du centurion et de
la Cananéenne est préalable à la parole effective de guérison. En Jn, par
contre, l’officier royal, quand Jésus lui dit « vas ton fils vit », il crut à la
parole de Jésus et il se mit en route (v.50) mais lorsqu’il constata que c’est
exactement à la septième heure que la fièvre l’a réellement quitté, « il crut,
236La péricope est en lien avec l’épisode de Cana au regard de ces traits unifica-
teurs236 : une situation de détresse présentée à Jésus par des tiers (4,48 et 2,4) ;
rôle joué par les servants (4,53 et 2,9-10) ; foi produite (4,54 et 2,11), absence,
dans les deux récits, d’un discours qui éclaire la portée symbolique de l’évène-
ment ; et enfin la remarque finale du narrateur « tel fut le second signe que Jésus
fit à Cana », parallèle à 2,11.
134 La radicalité de Jésus dans l’appel des disciples
abordée dans une logique de faire découvrir ce qu’est la foi véritable 241.
La manière dont le fonctionnaire retorque à Jésus (v.49) est frappante :
« seigneur, descends avant de mourir (que ne meurt) mon petit enfant ».
Alors qu’il avait parlé du fils au v.47, il parle de lui comme d’un petit
enfant. Cette façon intime de référer à son enfant est une approche verbale
beaucoup plus humaine qui toucherait même une audience sceptique 242.
La réponse de Jésus en dit long : « Vas, ton fils vit », une parole qui
déclenche la foi (v.50). Pourquoi Jésus lui dit que son fils vit ? En fait, le
fonctionnaire s’est adressé à lui non pas en fonction de la maladie mais
en évoquant la mort « mon fils/mon petit enfant est au point de mourir ».
C’est ainsi que Jésus lui répond non pas que son fils est guéri mais qu’il
vit. Il faut noter que là où le père voyait la guérison comme évitement de
la mort, Jésus la considère comme une vie redonnée, au sens plein du
terme, la maladie, dans la conception biblique, étant, en elle-même, une
présence de la « mort » (Ps 30,3s ; 71,20 ; 88,4-7 ; 116,3) 243. C’est donc
à dessein que Jésus de Jn répond de cette manière car théologiquement,
c’est Jésus qui donne la vie. L’officier qui aurait dû se retirer, déçu, désil-
lusionné, choisit de répondre positivement à l’impératif du maître qu’il
venait de supplier. Il fonde sa foi sur la seule parole du maître (episteusen
ho anthrôpos tô logô on eipen autô ho Iêsous kai eporeueto) : l’homme
croit à la parole que Jésus lui dit et il se mit en route ; (cf.v.50b). Jésus
l’ayant testé, pour la deuxième fois, le miracle lui sera accordé mais il faut
qu’il prenne le risque de l’accueillir par la foi 244. L’adhésion de l’officier
ne se fait pas attendre car « il crut à la parole de Jésus et se mit en route ».
L’officier royal devient le paradigme de la foi car il croit sans voir 245.
Moloney, « la foi authentique n’est pas statique, mais c’est un voyage dy-
namique de venir à la connaissance qui approfondit, la main dans la main,
avec l’aspect missionnaire de rendre témoignage 248. »
L’évangéliste Jean fait le portrait de la foi comme une action et c’est
pour cette raison qu’il identifie les miracles de Jésus comme étant des
« signes ». La foi, selon Jean, est dynamique et communicative. Étant
donné que, très souvent, plusieurs personnes que Jésus rencontre préten-
dent avoir la foi sans pour autant l’avoir, Jésus défie ses interlocuteurs
pour les pousser à aller plus loin. La foi du fonctionnaire avec toute sa
maisonnée reflète bel et bien l’expérience des premières communautés
chrétiennes (Ac 10,12 ; 11,4 ; 16,15.31-34) où la foi d’un pater familias
avait un impact sur sa maisonnée.
250 Barrett, C., The Gospel According to St John. London, SPCK, 1978, p.65.
138 La radicalité de Jésus dans l’appel des disciples
Ici l'événement de la résurrection de Jésus doit être perçu comme le point culmi-
nant de tous les signes symboliques auxquels fait référence le IV e` Évangile ;
il considère cet événement comme le « signe suprême ». Cependant, nous pou-
vons nous mettre d'accord avec Brown que, à « l'heure » de son retour au
Père, Jésus ne pense plus symboliquement à sa gloire mais il est actuellement
glorifié. C'est à travers ce signe suprême que Juifs et Gentils sont invités à com-
prendre que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu.
251 J., Zumstein, L’Évangile selon Saint Jean (13-21), Genève, Labor et Fides,
p.291.
Périphérie et centre de la confession de foi chrétienne 139
Comme dans le cas de Marie de Magdala, la foi n’est pas une œuvre dont
le mérite reviendrait au disciple – lequel aurait achevé avec succès sa dé-
marche –, la foi est un don du Ressuscité. Parce que le Ressuscité se révèle
à lui, parce qu’il stigmatise son égarement, Thomas peut croire.
La foi de Thomas ne naît pas seulement des cendres de l’incrédulité
qui s’était installée en lui mais elle est un don postpascal. La confession
que Thomas fait « Mon Seigneur et mon Dieu » (v.28) est impression-
nante. Il a fait un saut inimaginable dans la compréhension de l’identité
du Ressuscité qui n’appartient plus au monde historique mais au monde
de Dieu. En le désignant Seigneur, compris à la lumière de l’hymne de Ph
2,9-11, il désigne celui qui est retourné auprès du Père et qui, par consé-
quent, est en unité avec lui. Par ailleurs, par la confession du Ressuscité
comme Dieu, il n’est pas question du dithéisme dont les Juifs, tenants de
la doctrine du monothéisme exclusif, accusaient les croyants de la com-
munauté johannique. Le Ressuscité est Dieu dans la mesure où il repré-
sente parmi les hommes. En d’autres termes, il est le seul visage en qui
les êtres humains peuvent contempler Dieu. Ensuite, et cela est fonda-
mental, cette confession de foi est celle de l’Église dont Thomas est le
porte-parole 252. Au verset 29, il devient évident que Jésus clarifie qu'il y
a une bénédiction spéciale attribuée à la foi qui ne requiert que des
preuves visibles pour être provoquée 253. Peut-on dire que la foi requiert
un miracle pour faire éclosion ? L’apparition de Jésus ressuscité à ses dis-
ciples semble avoir été une concession, selon Zumstein, pour voler au se-
cours de la faiblesse de Thomas. C’est ce qui se fait principalement pour
le cas de Thomas qui doit passer de l’incrédulité à la foi. Lorsque Jésus
dit « parce que tu m’as vu, tu as cru : bienheureux ceux qui, sans avoir vu,
ont cru » (v.29), l’avantage dont l’Église de la fin du 1er siècle dispose est
de taille parce que, en son sein, la plupart des témoins oculaires sont
Analyse du texte
Alors que dans la section des chapitres 5 à 10, où le cercle des disciples
est dépassé, en Jn 6, un long chapitre constitué de 71 versets, les disciples
jouent un rôle important 257. Le chapitre 6 forme « une unité autonome qui
montre une évidence d’une composition soigneuse 258 ». Ce chapitre cons-
titue un long développement à la fois narratif et discursif sur le pain qui a
été multiplié pour nourrir les foules dont le signe (vv.1-15) est interprété
dans un long discours (vv.22-71). Dans la narration johannique pour Mar-
chadour, ce long chapitre marque un tournant décisif non seulement dans
la prédication de Jésus mais aussi parce que tous ceux qui sont à sa ren-
contre sont invités « à faire des choix clairs face à celui qui se prétend être
« fils du Père » alors que les Juifs préfèrent l’identifier au « fils de Jo-
seph » (Jn 6,42) 259 ». On constatera que l’évangéliste fait preuve de génie,
que l’intrigue de l’Évangile transporte le lecteur dans « un tournant mar-
qué par un dévoilement de plus en plus clair de Jésus, qui entraîne une
crise parmi les Juifs et même parmi les disciples 260. » Le choix à faire est
celui d’accueillir ou de rejeter Jésus, fils de Joseph, qui prétend être pain
venu du ciel pour nourrir les hommes.
Néanmoins, Jn 6 bien élaboré pose un problème de critique de
source 261 et de critique littéraire 262. Par ailleurs, en toute probabilité, Jean
miracles, notamment le grand signe de nourrir les foules qui vient en premier
(vv.1-15) suivi du miracle de Jésus marchant sur la mer (vv.16-21). Les deux
signes, décrits dans les Évangiles synoptiques (Mc 6,35-51 parallèle à Mt 14,14-
27 parallèle à Lc 9,10-17) sont liés. Contrairement à Marc et Matthieu, Luc ne
mentionne pas le second miracle de nourrir les foules (Mc 8,1-9 parallèle à Mt
15,32-38). Witherington (1995:148) fait remarquer que Jn 6, comme une unité
autonome avec sa structure complexe interne, place les deux narrations des mi-
racles ensemble (vv 1-15, 16-21) et sert principalement comme un intervalle entre
le miracle de nourrir les foules et le dialogue à son sujet. La critique des sources
a démontré de façon convaincante la correspondance narrative entre Marc et Jean,
avec la différence que Jean, selon sa coutume, insiste (stresses) sur l’initiative de
Jésus et sa liberté en action (cf. Schnackenburg, 1980b: 271 ; Roulet et Ruegg
1997 : 233-4). La correspondance littéraire, se tenant entre trois évangélistes, n’est
pas sans explication théologique. Le principal argument expliquant l’insertion de
marcher sur la mer (vv.16-21) entre les vv.1-15 et vv.22-59 reste à découvrir. Il
semble évident que Jean se réfère à la tradition bien-connue de Marc et les autres
évangélistes mais, comme il avait l’habitude de le faire, il a retravaillé la tradition
qu’il a attribuée à la tradition dans un sens théologique plus significatif (cf. Kysar
1986:92, 94; Borgen 1997:97). Quand le miracle de marcher sur la Mer est trans-
formé dans l’expérience théophanique en terminant par la parole de Jésus « egô
eimi phobeisthe » (je suis, ne craignez pas) du v.20, ceci introduit le discours de
l’auto-révélation de Jésus dans les vv.22-59.
262 Lindars (1977:50) maintient que Jn 6 était en fait inséré par Jean après Jn 5,46-
Périphérie et centre de la confession de foi chrétienne 143
a retravaillé sa source et a fait de cette épisode plus que les autres Évan-
giles un tournant de la révélation de Jésus, et il aborde la question du dis-
ciple dans une perspective christologique.
En Jn 6, un texte littéraire cohérent et bien structuré, qui est encadré à
l’une ou l’autre extrême par l’indication du disciples (6.1-15, 16-21 263et
60-65, 66-71). Au commencement du chapitre, deux apparitions des dis-
ciples révèlent leur malentendu (vv 1-15) et leur manque de compréhen-
sion (vv 16-24). Les disciples que Jésus teste délibérément (peirazô) sur
le sujet de nourrir les foules attestent qu’il sera impossible de nourrir
beaucoup à cause des dépenses qu’il faudra engager (Philippe cf. v6) et
leur fourniture présente de la nourriture n’est pas simplement suffisante
(v.1), la foule de 5 mille personnes (vv.2, 5, 9, 10, 14) et les disciples, quelques-
uns sont nommés (vv.3, 5, 7-8, 16-21). Dans le premier récit, les foules dominent,
et dans le second, les disciples anonymes dominent : d’une part, les gens qui con-
tinuaient à suivre Jésus à cause des guérisons opérées ont mal compris le signe de
nourrir les foules et elles ont confondu Jésus avec le Roi-Prophète, qui lui a cause
de se retirer sur la montagne (vv.14-15); d’autre part, les disciples qui assistent a
une révélation spéciale de qui Jésus est.
144 La radicalité de Jésus dans l’appel des disciples
(André cf. v9) 264. Dans une autre scène, les disciples retournent en Galilée
quand ils voient Jésus marchant sur la mer (vv 16-21). Ils sont effrayés et
sans la foi en celui qui s’identifie lui-même par l’expression « egô eimi »,
qui apparaît pour la première fois (v.20), et qui est utilisé encore dans le
v.35. Nous examinerons cette expression plus loin dans cette étude.
Il n’y a pas de référence directe aux disciples dans le discours sur le
Pain de vie (vv.22-59) qui est utilisé au milieu du récit 265. Pendant la
longue et profonde conversation hostile avec les foules (vv.22-39), qui
avaient été attirées par le miracle, et qui sont à la recherche d’un libérateur
terrestre comme Moïse qui pourvoit à leurs besoins de nourriture et de
liberté politique 266, il devient apparent que les ‘Juifs’ (vv.41-52) contes-
tent l’autorévélation de Jésus qu’il est le pain de vie ou le pain vivant et
vient d’en-haut 267. L’écrivain cherche, de façon pragmatique à révéler que
la décision de foi ne peut croître pour voir des signes, mais être basé sur
la parole de Jésus. Marchadour souligne ce qui suit :
264 Segovia (1985:97) est correct en affirmant que les disciples manquent de voir
le présent rassemblement en termes de mission. Selon lui, l’objectif du test de
Jésus rappelait l’arrière-fond de Jn 4,31-38 et l’accord proche entre 4,35 et 6,5.
265 Il est important de porter à l’esprit que l’encadrement (cadrage) de tout le cha-
pitre par les sections (vv.1-15, 16-21, 22-59, 60-71) démontre l’ingéniosité de
l’écrivain par le portrait des foules dont le malentendu est clairement exhibé, des
‘Juifs’ dont l’incrédulité est soulignée et, à la fin, de la décision des disciples de
se désengager à suivre Jésus.
266 Keener 2003a, op.cit.p.675.
267 La double plainte est en connexion avec la parole de Jésus « Je suis le pain
descend du ciel » (v.41) et ‘Je suis le pain vivant descendu du ciel. quiconque
mange de ce pain vivra éternellement ; et le pain que je donnerai pour la vie du
monde est ma chair.’ (v.51). Quand à travers le discours sur le Pain de vie, il y a
une illustration de l’attitude des foules (vv.25-40) et des ‘Juifs’ (vv.41-51b), ici,
dans cette péricope, est l’illustration de l’effet des paroles de Jésus dans son plus
proche groupe des disciples.
Périphérie et centre de la confession de foi chrétienne 145
JÉSUS À LA RENCONTRE
DES DIFFÉRENTS GROUPES
ÉVALUATION DES RÉSULTATS
D’UN ENSEIGNEMENT RADICAL
ce serait la tradition commune 271. Ce qui est plausible, c’est que l’auteur
historique peut avoir eu connaissance de l’Évangile de Mc mais aussi
d’une autre tradition indépendante. L’arrière-fond biblique, dans ce récit,
est double : (i) d’abord le souvenir d’Elisée qui multiplia des pains d’orge
au point qu’après avoir mangé, il y eut du reste (2 R 4,42) et (ii) le souve-
nir de la manne dont les enfants d’Israël se sont nourris dans le désert
selon le témoignage d’Ex 16.
Une autre difficulté, c’est que Jésus est accompagné par une foule
nombreuse (v.2) qui, en fait, est attirée par des signes de guérison opérés
signalés ou peut-être non spécifiés dans le récit johannique. L’enthou-
siasme conduit la foule à discerner dans la personne de Jésus un puissant
thaumaturge en qui placer les espérances royales (v.15). Jésus est consi-
déré comme le Prophète et la foule cherche à le faire roi (vv.14-15) 272.
Les hommes qui étaient présents ont effectivement perçu dans le miracle
un signe au regard de la déclaration du v.15 « les hommes voyant donc le
signe qu’il fit dirent que celui-ci est vraiment le prophète qui, venant dans
le monde ». Le fait de reconnaître cet acte miraculeux comme étant un
signe renvoie ipso facto à l’identité de celui qui l’accomplit. Malheureu-
sement, cette acclamation de Jésus comme Prophète est correcte mais elle
est, du reste, grevée d’une fausse conception en faisant de lui un Messie
politique. C'est-à-dire, l’Envoyé ultime de Dieu qui saurait gouverner de
façon à rassembler son peuple 273.
C’est ainsi, dit Zumstein, que la confession de foi de la foule est am-
biguë parce qu’elle dévoile la fausse interprétation de l’identité de Jésus.
Elle avait perçu dans le miracle du pain abondant un geste royal mais la
foule entendait confisquer le roi à son profit. Conçu dans des catégories
271 Zumstein, J. L’Évangile selon Saint Jean (1-12), Genève : Labor et Fides,
2014, p.209.
272 Cf. Tassin, J. Hervieux et al., Les Évangiles : textes et commentaires, Bayard,
Les traces qui rendent évidentes ces attentes se trouvent (i) en Jn 6,14
où est manifeste l’attente du prophète qui est à venir dans le monde et
même (ii) en 7,27 où le Messie est d’une origine inconnue et (iii) en 7,31
où le Messie devrait être équipé des pouvoirs miraculeux. Il y a là une
formulation des espérances juives de deux figures, le prophète eschatolo-
gique et le Messie. Le contexte dans lequel ces attentes sont présentes, en
filigrane dans la narration johannique, démontre que l’évangéliste a dû
retravailler la tradition. Le Jésus johannique n’est pas du tout l’accom-
plissement des attentes juives, selon l’opinion de Jean mais plutôt une fi-
gure plus auguste à qui est attribué le titre Fils de l’homme. C’est cela que
l’évangéliste s’évertue à démontrer dans la suite de son récit dans le long
discours de révélation en Jn 6,22-59 où Jésus est présenté comme Fils de
l’homme.
La révélation que Jésus rend possible vis-à-vis des disciples vient du fait
que ces derniers se sentent visités et secourus par celui qui représente Dieu
lui-même 280. Si l’on se réfère à l’AT, la marche sur les eaux a une signi-
fication théologique bien précise, symbolisant l’autorité de Dieu sur la
mer. Jésus, en marchant sur la mer en furie, atteste de la souveraineté de
Dieu, dans la plénitude, sur les eaux du chaos. Il agit comme Dieu seul
peut agir 281. C’est dans ce sens que la formule ἐγώεἰμι, « je suis », est
utilisée au v.20 pour Jésus, face à la peur des disciples, pour les rassurer,
mettre ainsi en lumière sa qualité divine. C’est par cette expression que le
nom de Yahvé est rendu dans le Second Isaïe (Es 43,25 ; 51,12 et 52,6).
En Jn, la notion qui est introduite, c’est que Jésus est le nouveau Moïse,
le nouvel Elie, mais aussi et surtout un être avec les prérogatives divines.
La question qu’on peut, à juste titre, se poser est celle de savoir pour-
quoi l’évangéliste à inséré le miracle sur la marche sur les eaux (vv.16-
21), étant donné que le discours n’a de rapport qu’avec le miracle de la
multiplication des pains. En dépit du fait que plusieurs exégètes n’ont pas
trouvé un lien thématique entre ledit miracle et le discours christologique,
il convient de mettre le doigt sur le lien littéraire et théologique. L’évan-
géliste doit avoir repris la tradition synoptique de la marche sur les eaux
probablement parce que l’épiphanie de Jésus devant les disciples, qui cul-
mine dans la parole « c’est moi, n’ayez pas peur ! (egô eimi mê phobeisthe
au v.20), a pour fonction de préparer les fameuses paroles en « Je suis »
(egô eimi), dont la première occurrence se trouve dans le discours suivant
(6,35 ; 4,48). Jean s’appuie sur la tradition synoptique qu’il transmet
(Mc 6,30-52 ; Mt 14,13-33).
Pour conclure, l’auteur, en insérant le miracle de la marche sur la mer,
juste après celui de la multiplication des pains, s’évertue à répondre à une
question, « qui est en vérité celui qui donne du pain abondant ? ». Pour
l’évangéliste, Jésus n’est pas un prophète issu du mosaïsme, ni le roi dont
la royauté est de ce monde (Jn 18,36b), mais plutôt celui qui est revêtu du
pouvoir de Dieu lui-même. Le Jésus johannique, tel qu’il est présenté, est
donc le visage de Dieu, revêtu de toute sa souveraineté au profit des êtres
humains.
était cachée en Jésus, son Envoyé ; il les pousse vers une très grande mo-
tivation, celle de désirer une nourriture spirituelle. Jésus se présente lui-
même comme étant le seul authentifié à offrir la nourriture qui conduit
dans la vie éternelle. Percevoir le pain en dehors du Créateur et de son
Envoyé est une aberration qui fait courir le risque de recevoir un pain
éphémère qui ne conduit pas à la vie. À la question de la foule de savoir
« que faire pour faire les œuvres de Dieu ? », de façon surprenante, Jésus
lâche que croire en l’Envoyé est « une œuvre, la plus importante des
œuvres de Dieu » (v.29) 282. Si Jésus voulait que ses interlocuteurs travail-
lent pour la chose la plus juste (correcte), eux ils voulaient une liste des
choses à faire pour mériter la faveur de Dieu. Pourtant, la seule œuvre
qu’il attend, c’est de croire en celui qu’il a envoyé. Le croire dont Jésus
parle n’est rien d’autre qu’une façon de vivre plutôt qu’une série de rè-
glements à observer, comme cela se fait remarquer dans les religions de
toutes les époques. Une vie caractérisée par l’exercice continuel de foi qui
puise sa satisfaction en Jésus et non dans les biens temporels.
Cette révélation implicite provoque des remous dans le chef des audi-
teurs de Jésus qui requièrent un signe pour qu’ils puissent le voir et croire
en l’Envoyé (v.30). Le lien entre le voir et le croire (ἵνα ἴδωμεν καὶ
πιστεύσωμέν σοι) rappelle le doute de Thomas de ne croire que s’il ne voit
dans les mains de Jésus la marque des clous et s’il n’enfonce pas la main
dans son côté (Jn 20,25). Une demande qui n’est rien d’autre qu’un signe
de l’incrédulité. En le faisant, dit Zumstein, la foule entend soumettre
l’agir divin à ses propres critères 283. La réaction de la foule au v.31 n’est
rien d’autre qu’un faux fuyant mais contient une ironie qui, du reste, est
un artifice littéraire johannique, car la foule qui vient d’être rassasiée
(cf. v.11), a voulu faire de Jésus son roi (v.15). C’est ainsi que la foule
évoque le don fait à ses ancêtres, la manne étant une expérience fondatrice
292En utilisant ces images, l’évangéliste fait un virage vers ce qu’on appelle au-
jourd’hui « la christologie métaphorique ». C’est pour cette raison que Schnack-
enburg soutient que Jn utilise un langage métaphorique pour présenter Jésus
comme pain, eau, berger, vigne, lumière du monde, vie et porte ; bref des sym-
boles qui étaient familiers en Palestine et qui avaient une signification théologique
dans le judaïsme (R Schnackenburg, The Gospel according to John, Vol.II,
p.280). Quand la métaphore est comprise comme une diversion à partir de l’usage
commun, l’emploi extravagant des termes est porteur de sens comme la métaphore
elle-même crée un surplus de sens. Dans cette voie-là, la métaphore atteint un
aspect cognitif. La tension créée rend capable de trouver quelque chose de nou-
veau ; il est plus utile d’offrir un nouvel apercu au monde dans lequel nous vivons.
Pour utiliser l’expression de Paul Ricoeur, la métaphore est une sorte de « rédes-
cription de la réalité », parce qu’elle nous invite à voir la réalité d’une différente
façon.
160 La radicalité de Jésus dans l’appel des disciples
d’autres qui ne sont pas mentionnées, ne peuvent pas former une vie
bonne. C’est en s’approchant de Dieu qui s’est incarné en Christ, lui qui
crée la vie et la partage, que l’être humain peut atteindre une vie plus in-
tense, plus peine, plus achevée qui apporte joie, paix, amour, sérénité,
dans notre monde troublé.
mission est qu’il ne perde aucun de ceux qui lui sont confiés (v.39).C’est
la prépondérance du salut, énoncé ici et déjà au v.37, qui détermine l’ac-
tion divine de l’envoi 295. Parler du présent de la vie que Jésus donne et en
même temps envisager l’avenir par la résurrection d’entre les morts au
dernier jour (v.39). Ladite résurrection, loin d’être une adjonction posté-
rieure, comme le prétend L’Eplattenier 296 et d’autres chercheurs, montre
plutôt que Jésus redit la finalité de sa mission qui consiste en la résurrec-
tion des croyants. Il souligne la protection des croyants contre la perdition
eschatologique tout simplement parce que la relation entre Jésus et les
siens perdure jusqu’à l’échéance ultime. C’est ainsi que Jésus dit, selon le
v.40, que quiconque voit le Fils et croit en lui, a la vie éternelle. Dans ce
verset, réapparaît encore la dialectique du voir le Fils et croire en lui. Cela
nous ramène à ce que nous avons dit plus haut, que la foi n’est rien d’autre
qu’un regard pénétrant dont le Fils, l’envoyé du Père, est l’objet pour ac-
céder à la plénitude de la vie, vie sur laquelle la mort n’a pas de prise.
Dans ces versets, il devient clair que la relation dont Jésus assure la mé-
diation est tellement sécurisée au point que la mort ne puit détruire la vie
que Dieu offre à travers son Envoyé. On peut ajouter que dans le contexte
de nos vies, qu’il y a là une note d’espérance pour tous les croyants qui
ont succombé dans les affrontements entre les milices et groupes armés
de par le monde (et particulièrement en RDC depuis deux décennies) et
pour les victimes de la pandémie de la Covid-19 en 2020 ; cette dernière
ayant fait de nombreux morts partout dans le monde.
qui procure la vie qui dure, n’arrive pas à saisir le sens du signe miracu-
leux (vv.22-27) ; (ii) face à l’obstination à souscrire à une liste de règle-
ments, Jésus précise que ce qui est requis, c’est de croire en lui parce que
celui qui vient à lui n’aura jamais faim et celui qui croit en lui n’aura
jamais soif (vv.28-35) et (iii) enfin, Jésus affirme l’initiative de Dieu pour
le salut de l’homme, c’est pour la vie éternelle et la résurrection au dernier
jour (vv.36-40).
Le récit tel qu’il se déroule démontre la persistance de la crise entre
Jésus et les Juifs. Le point de choc est lié à l’humanité de Jésus. Le fait
que Jésus affirme au v.41 : « ἐγώ εἰμι ὁ ἄρτος ὁ καταβὰς ἐκ τοῦ οὐρανοῦ »
(je suis le pain descendu du ciel ; cf. vv.33 et 38) pose problème. La pré-
tention d’être en personne le pain céleste, c'est-à-dire affirmer son origine
surnaturelle paraît, à leurs yeux, inconcevable dans la mesure où ils con-
naissent son père et sa mère (v.42). La parenté connue, dit L’Eplattenier,
ou tout simplement cette origine humaine banale exclut en eux l’idée
d’une origine céleste 297. Le scandale fonde sur l’incarnation elle-même
car il est impensable que « le pain descendu du ciel » soit le fils de Joseph
et de Marie (v.42b). C’est ainsi que Zumstein dit que, face à cette objec-
tion :
Les murmures ne sont pas nouveaux parce qu’ils ont eu à entamer les
relations du Dieu le libérateur avec Israël, son peuple dans le désert
(Ex 16,2). Il est à noter que le murmure rendu par le verbe γογγυζειν est
un terme utilisé pour signifier un endurcissement doublé d’incrédulité du
peuple de Dieu, qui a fait tache d’huile dans l’histoire d’Israël avec Moïse.
Les Juifs, descendants spirituels de ceux dont parle le livre d’Exode, se
méprennent sur les paroles de Jésus. Dans un climat de violence, les Juifs
se battent entre eux, et s’affrontent à la révélation de Jésus.
v.46, faisant écho de Jn 1,18, revient sur une affirmation johannique fon-
damentale car une connaissance immédiate de Dieu par l’être humain est
impossible. Seul Jésus, tirant son origine en Dieu, comme étant de Dieu,
et reste la seule personne à le révéler aux autres. C’est autant dire que « la
connaissance de Dieu et connaissance du Jésus johannique sont une seule
et même chose » 301. On pourrait comprendre, dans ces versets, que dans
le fait d’attirer se cache l’idée du pouvoir attrayant de Dieu qui agit dans
l’ombre et le silence. Vraisemblablement, Jésus était perçu comme un
homme ordinaire dont les parents sont connus et qui ne portait en lui-
même aucune impressionnante marque charismatique. Et pourtant, la ma-
nifestation à travers le Fils se trouvait bel et bien réelle à travers ses
œuvres et son enseignement. C’est bien qu’éclate sa gloire. Seul celui qui
a un regard de la foi pouvait être instruit (enseigné) et attiré vers Jésus
Cette partie est une forme remaniée et suffisamment actualisée d’une portion exé-
gétique dudit mémoire dans une autre perspective de la configuration que prend
le disciple en Jn 6.
307 Cf. R. Bultmann, pp.174-177; R.E. Brown, pp.286-287, etc.
168 La radicalité de Jésus dans l’appel des disciples
verbe emachonto, l’évangéliste est conscient que les Juifs entrent en que-
relle directe avec Jésus parce que ce n’est plus Jésus comme pain de vie
qui est au centre du propos, mais sa chair qui est donnée à manger 315.
Alors que par ces paroles, Jésus enjoint ses interlocuteurs à s'approprier
l'acte expiatoire accompli à la croix dans la célébration de l’eucharistie
(2) 316, eux, par contre, comprennent l’expression au sens immédiat. Ce
qui représente une absurdité pour la foi juive qui abhorre le cannibalisme
religieux 317 (Gn9,4 ; Lv 3,17 ; Dt 12,16.23-25 ; 15,23). Par ailleurs, la for-
mule huper tês tou kosmou zôês (v. 51c) se rattache à une grande tradition
chrétienne qui désigne la mort du Christ et souligne sa dimension rédemp-
trice. Ce qui fait qu'il y a un lien entre le Christ qui est la source de la vie
éternelle pour les croyants et Jésus mort sur la croix.
Le v.53 parallèle à 54 (A // A') établit un parallélisme à la fois syno-
nymique et synthétique. Synonymique parce que, bien que l'une des affir-
mations soit au négative (v.53) et l'autre au positive (v.54), manger la
chair et boire le sang sont des conditions requises, selon les deux versets,
pour avoir ou ne pas avoir la vie éternelle. Par ailleurs, le v.54 est une
synthèse de l'affirmation énoncée au v.53 car si, dans ce dernier, est utilisé
le verbe phagein (manger), dans le v.54 est utilisé le verbe trôgein (cro-
quer, mâcher). Ce dernier vocabulaire se veut réaliste dans la mesure où
Jésus vient accentuer et durcir l'affirmation 318 en insistant sur la mandu-
cation eucharistique qui fait accéder à la vie éternelle hic et nunc et la
résurrection d'entre les morts au dernier jour. Dans ces vv.53-54, le couple
chair et sang qui, dans la tradition vétérotestamentaire, désigne la per-
l’homme qui fait accéder à la vie dans le présent et dans l’avenir. La men-
tion de la résurrection au dernier jour a été considérée par certains cri-
tiques comme faisant violence au contexte parce que ne s'accordant pas
avec l'eschatologie johannique qui est essentiellement réalisée en Jésus-
Christ. En rappelant la conception du salut à venir comme en Jn 5,28-29
et celle du dernier jour (Dn 12,2 Mt 25,4-6 ;1Th. 4,6), lesdits critiques
pensent qu'elle est une adjonction postérieure 322, en vue de justifier l'es-
chatologie future. À la suite de Molla, nous disons que dans sa rédaction
actuelle le texte semble montrer que le don de la vie en Jésus-Christ est à
la fois présent et futur parce que la vie accordée en lui présentement sera
pleinement manifestée lors de la résurrection dernière 323. Zumstein, dans
la même veine, pense que la promesse de la résurrection du croyant au
dernier jour n’est pas un élément ajouté secondairement mais « signale
que la relation nouée avec Jésus, par l’eucharistie, est infrangible et donc
que cette vie donnée n’est pas livrée à la fatalité destructrice de la
mort » 324. C’est autant dire que le v.40 (ho theôrôn ton huion kai pisteuôn
eis auton echê zôên aiônion : le voyant le Fils et croyant en lui a la vie
éternelle) fait allusion à l’appropriation par la foi de l’évènement de la
résurrection dont la relecture est élargie aux vv.53-54, pour montrer que
« le sacrement n’est pas une alternative à la foi, mais l’une de ses expres-
sions : seul le croyant discerne, en effet, dans la chair et le sang la méta-
phore de l’évènement de la croix dans sa dimension sotériologique » 325.
La vie éternelle que donne le Fils de l'homme à ceux qui croquent sa chair
et boivent son sang est une anticipation de la vie qui sera accordée dans
sa plénitude au dernier jour. Il est clair que le don de la vie éternelle éga-
lement quittancé par la résurrection au dernier jour était lié à la foi 326.
322 C f. C . F . M o l l a , o p . c i t . p . 7 9 ; c f. R . , B u l t m a n n , o p . c i t . , p p . 1 7 5 -
176.
323 Cf. Ibid, p. 93.
une mort rédemptrice, transforme notre vie, et ainsi ces éléments devien-
nent pour celui qui les consomme chair et sang du Fils de l'homme.
Le bloc que forment les vv.56-57 met l'accent sur la compénétration
entre Jésus-Fils de l'homme avec le croyant. Ladite compénétration a
comme soubassement l’acte de croquer la chair et boire le sang du Fils de
l’homme. Le v.56 franchit un pas théologique par le fait d’affirmer que
l’eucharistie est le lieu qui permet l’établissement d’une relation réci-
proque entre Jésus et le croyant 330. Cette relation réciproque est rendue,
dans le langage de l’évangéliste, par le verbe « demeurer » or « habiter »
en se référant à la parabole de la vigne (15,1-8) où le croyant est men-
tionné comme habitant en Jésus et ce dernier en lui. Ce langage est essen-
tiel dans le devenir disciple 331. Le verbe « demeurer », dans le langage
johannique, décrit la relation envisagée dans la durée et c’est cette relation
pérenne, dit Zumstein, qui sera facteur de vie pour le disciple 332. La notion
de l’inhabitation mutuelle du croyant et Jésus deviendra un thème majeur
dans l’Évangile et, dans ce passage, un parallélisme est tiré entre cette
relation qui s’établit entre Jésus et le croyant et la relation entre Jésus et
le Père. Le v.57 mène l’argumentation à son terme en éclairant la formule
d’immanence réciproque par la christologie d’envoi 333. Dans ce verset,
Jésus affirme « comme le Père vivant m’a envoyé et moi je vis par le
Père ». L’être divin, décrit comme le Père vivant, est la source de la vie
de Jésus comme l’agent divin uniquement autorisé 334. C’est donc dans ce
v.57 qu’il devient explicite que l’union du croyant avec Jésus non seule-
ment est en parallèle mais aussi participe dans l’union entre le Père et le
Fils 335 (v.57 ; cf. 17,21.23). En Jn 6, la formule d’immanence réciproque
est exclusivement dans l’eucharistie. Il est clairement dit que le Père, ori-
gine de toute vie, fait de son envoyé le porteur de cette vie pour le monde
et/ou source de vie pour celui qui noue une relation avec lui. Ladite rela-
tion, selon le v.57b, tourne autour de l’appropriation du Fils de l’homme
« celui qui me croque, celui-là vivra par moi ». Il n’est plus question des
espèces « chair » et « sang » mais plutôt de la personne de Jésus qui entre
en jeu dans la manducation eucharistique. La vie intra-divine est médiati-
sée aux croyants à travers Jésus qui devient en retour source de vie.
C’est au v.56 où, pour la première fois dans le quatrième Évangile, la
« formule d’immanence réciproque » est utilisée, exprimant une union
étroite entre les Chrétiens et Christ. Ladite formule d’union réciproque
indique simplement, mais de façon impressionnante, l’unicité de l’union
entre le Christ qui communique la vie et le croyant qui la reçoit 336. Au
v.57, la dépendance de Jésus sur le Père en termes de vie devient le mo-
dèle pour la dépendance requise des croyants 337, parce que c’est à travers
une union vivante avec l’envoyé de Dieu que le récepteur de l’eucharistie
obtient la vie. Le Père est qualifié de vivant parce qu’il a la vie en lui, il
est l’essence et le principe de la vie, et le Père « vit par le Père » car « le
Père lui a donné d’avoir la vie en lui-même » dans la même originalité et
plénitude (1,14) 338. Cette vie s’obtient de deux manières, d’abord par la
communication avec le Fils dans la foi (6,29.35.40.47) et ensuite dans
l’eucharistie (6,53-54). Le repas sacramental devient, pour ainsi dire,
l’unique voie d’accomplir une union pleine avec le porteur divin de la
vie 339. Le v.57 est une récapitulation des vv.53b-56 car on y remarque une
évolution qui identifie « la chair et le sang du Fils de l'homme » à « ma
chair » et « mon sang » et l'expression « manger ma chair » des
339 Ibid.
176 La radicalité de Jésus dans l’appel des disciples
manne et le pain de vie, c’est que les pères n’ayant pas mangé une nour-
riture eschatologique que le Fils de l’homme donne à travers sa chair et
son sang, ils ne pouvaient qu’échapper à la faim et non à la mort. Ce pain
du désert ne pouvait plus être une norme de vie pour les temps derniers.
L'opposition entre les deux pains est d'autant plus soulignée que l'un a
conduit à la mort et l'autre mène à la vie éternelle. L’un appartient à une
dispensation passée tandis que, par l'autre, Dieu inaugure des temps nou-
veaux qui cheminent vers l'eschatologie finale. C'est pourquoi, à celui qui
croque la chair du Fils de l’homme et boit son sang, il lui est faite la pro-
messe de la vie éternelle. Léon-Dufour renforce cette pensée en disant que
l’origine céleste du pain ne conteste pas du tout la valeur normative de
l'Écriture mais refuse de prendre les pères comme une référence définitive
à l'instar des Juifs. L'agir de Dieu ne peut pas être enfermé dans l'événe-
ment du passé, et le passé être pris comme une norme du présent étant
donné que le présent doit être interprété 341. La norme pour le présent c'est
Jésus Fils de l'homme qui, ayant vaincu la mort, en tant que figure escha-
tologique, s'offre à nous maintenant pour la vie eschatologique future.
La conclusion de la parenthèse eucharistique au v.58 fait ressortir trois
grandes affirmations : (i) le v.58a en qualifiant Jésus de pain descendu du
ciel réaffirme le mouvement de son incarnation ; (ii) en juxtaposant ce
pain de vie à la manne qu’ont mangée les pères dans le désert (v.58b), il
met en évidence la valeur eschatologique de l’histoire présente de l’Église
par rapport au passé d’Israël ; (iii) en affirmant que les pères qui ont
mangé ce pain-là sont morts mais que celui qui mange de ce pain vivra
pour l’éternité (v.58c), l’adhésion à Jésus a une portée sotériologique
parce que c’est la vie en plénitude qui est garantie, vie contre laquelle la
mort ne saurait prévaloir 342.
Cette péricope nous astreint donc à distinguer deux temps de
lecture : celui des auditeurs immédiats de la prédication de Jésus et celui
ainsi que le groupe des disciples, gagnés par l’incrédulité ambiante, eux
aussi s’affichent non partants pour l’invitation du maître à manger sa chair
et boire son sang (vv.51-58) 349. Cela devient pour eux un rocher de scan-
dale. Selon Bruce, c’est la teneur de son argument impliquant une reven-
dication de Jésus d’être plus grand que Moïse et donc associé à Dieu qui
pose le réel problème. Le langage de Jésus était dur à prendre non sim-
plement parce qu’il était difficile à saisir, mais parce qu’ils l’ont trouvé
offensif 350.
Dès lors, comment ceux qui ont été disciples jusqu’à ce point peuvent-
ils parvenir à faire défection ? L’évangéliste, et c’est cela qui rend inté-
ressante l’analyse de tout le chapitre 6 dans cet ouvrage, est conscient que
sur le chemin du devenir disciple, il y a des occasions de chute. Et l’une
d’elles, de façon surprenante, c’est que le scandale peut provenir curieu-
sement des paroles ou de l’enseignement de Jésus à qui ils prétendent ad-
hérer.
C’est autant dire que le disciple n’est pas nécessairement celui qui
commence à suivre Jésus ou qui montre un attachement enthousiaste,
mais plutôt celui qui persévère, bravant les occasions de chute. En Jn 8,31,
Jésus affirme sans détours que seuls peuvent être véritablement ses dis-
ciples ceux-là qui demeurent dans ses paroles. Le déclin auxquels par-
viennent les disciples en Jn 6, c’est qu’au lieu de demeurer dans la parole,
ils la renvoient comme étant intolérable. En disant « cette parole est dure
qui peut l’écouter », il y a une évidence qu’ils ont entendu la parole mais
349 La revendication de manger la chair de Jésus et boire son sang dans la célébra-
tion eucharistique est la voie de la communauté de faire face aux dures souffrances
de la persécution ou du trauma d’être expulsé de la synagogue. C’est nourrir dans
une communion proche avec Jésus au moyen d’une déclaration ouverte et pu-
blique de sa foi dans l’observance du dernier Repas (cf. Culpepper 1998:163).
350 F.F., Bruce, The Gospel of John, Grand Rapids, William B. Eerdmans Pushing
351 X., Léon-Dufour, Lecture de l’Évangile selon Jean II (chapitres 5-12), Paris,
Seuil, 1990, p.179.
352 J., Zumstein, « La reception de l’écriture en Jn 6 », in : Mémoire revisitée,
354 Ibid.
355 A., Scrima, L’Évangile de Jean : un commentaire, Paris, Cerf, 2017, p.107.
356 C.S., Keener 2003, op.cit., pp.693-694.
184 La radicalité de Jésus dans l’appel des disciples
sur une croix, ils ne pourront dénier ses revendications ni avoir une cou-
verture pour leur péché d’incrédulité (15,22 ;16,9) 357. L’élévation qui
aura lieu à la croix est perçue comme le premier stade dans « son ascen-
sion vers où il était avant » 358. Dans cette ultime occasion que Jésus donne
à ses disciples, il est implicitement clair que s’ils n’ont pas cru quand le
Fils de l’homme est descendu, croiront-ils s’ils le voient remonter vers le
haut ?Pourtant, comme l’a si bien dit Bruce, « voir Jésus élevé, voir au-
delà de l’apparence de surface et apprécier la signification intrinsèque de
l’exaltation du Crucifié, c’est cela véritablement croire en lui et c’est le
chemin vers la vie éternelle » 359. En disant « quand vous verrez le Fils de
l’homme… », seul celui qui a un regard de la foi pourra comprendre et en
tirer profit mais « l’incrédule ne ‘verra pas’ Jésus monter au ciel mais il
le verra disparaitre et cette éventualité constaté renforcera son scan-
dale 360. »
Au v.63, Jésus, en disant « c’est l’Esprit qui vivifie, la chair ne sert de
rien. Les paroles que moi je vous ai dites sont Esprit et vie », il stigmatise
l’incompréhension des disciples qui ont pris ses paroles au sens matériel
et n’ont pas tenté de pénétrer en profondeur leur signification de surface.
Ils ont donc manqué le but 361. Les disciples ont pris l’habitude d’interpré-
ter littéralement les déclarations figuratives de Jésus (3,4 ; 6,52 ; 11,12)
car ce n’est pas la chair littéralement prise (6,51) qui procure la vie mais
l’Esprit parce que l’Esprit met en lien le Père et le Fils (5,21 ; cf. Rm
4,17 ; 1 Co 15,22) dans le don de la vie (6,63). De même, la chair ne peut
comprendre la vérité divine de façon adéquate 362.
Les disciples auraient dû comprendre que manger la chair du Fils de
l’homme et boire son sang doit être compris comme une attitude ou une
Les vv.64-65 abordent ce mystère dans ce sens que Jésus, dans son
allocution adressée aux disciples, dit au v.64a, « mais certains d’entre
vous ne croient pas ». L’évangéliste introduit un commentaire au v.64b
pour affirmer : « car Jésus savait dès le commencement que certains ne
croyant pas et qui est celui qui le livrerait ». Il fait constater que l’incré-
dulité n’est pas le fait des adversaires de Jésus mais plutôt de ses propres
adhérents, ceux-là qu’il a appelés et enseignés 366. Il connaît même qui,
dans le cercle de ses intimes, va le livrer (v.64b ; 71). Le choix de ne pas
croire remonte, pour ainsi dire, à la liberté de l’homme et n’échappe pas
à l’omniscience de Jésus. Au v.65, comme c’est le cas au v.44, Jésus re-
connaît que nul ne peut venir à lui si cela ne lui est donné par le Père. Sans
adresser un quelconque reproche à ses disciples, il assume son destin,
comme l’a si bien vu Léon-Dufour et il s’efface devant le Père de qui il
tient sa mission. C’est en lui qu’il situe le mystère de la liberté humaine
qui s’exprime dans l’accueil ou le rejet de sa personne 367. Faut-il parler
du déterminisme ? En utilisant ici le verbe dedomenon au v.65 et ailleurs
(6,37.39.44), la foi demeure un don. À la suite de Zumstein, disons « si
l’incrédulité est l’expression de la volonté humaine, placée devant l’offre
du Révélateur, la foi n’est pas symétriquement un acte dont l’initiative
reviendrait au disciple, mais une possibilité qui lui est ouverte par
Dieu » 368.
cet engagement » 370. S’ils sont touchés, dans leur cœur, par les paroles de
la vie éternelle, ils décideront de continuer à le suivre.
71,22; 78,41; Pr 9,10; 30,3; Jr 50,29; 51,5; Ez 39,7; Os 11,9.12; Hb 1,12; 3,3;
spécialement en Es 1,4; 5,19.24; 10,17.20; 12,6; 17,7; 29,19.23; 30,11-2, 15; 31,1;
37,23; 40,25; 41,14.16.20; 43,3.14.15; 45,11; 47,4; 48,17; 49,7; 49,7; 54,5-6;
60,9.14). L’AT utilise le titre ‘le Saint de Dieu’ en vue de faire référence aux
Jésus à la rencontre des différents groupes 189
hommes consacrés à Dieu comme les ‘naziréens’, signifiant ‘le séparé’ ou ‘le con-
sacré,’ notamment Samson (Jg 13,7; 16,17) tandis que ‘le Saint du Seigneur’ pour
Aaron (Ps 106,16) (cf. Brown (1966:298). Ce titre qui est reconnaissable nulle
part, non de la tradition juive ou hellénistique-gnostique, comme le titre messia-
nique, argumente Bultmann, exprime que Jésus se tient contre le monde simple-
ment comme celui qui vient d’un autre monde et appartient à Dieu. Mieux, il ex-
prime la spéciale relation à Dieu, et c’est pourquoi Pierre et les autres font l’expé-
rience que Jésus possède ‘les paroles de la vie éternelle’ ; cf. Jn 6.68 ; cf. Bultmann
(1971:449-50). Cette expression est parallèle à Jn 10,36 qui traite de Jésus comme
‘celui que le Père a sanctifié et envoyé dans le monde.’ ‘Saint de Dieu’ peut être
comparé à ‘Fils de l’homme,’ mais n’a pas la même prééminence qui vient dès la
1ère partie de l’Évangile (1,51; 3,13-15; 5,27; 6,27.53.62; 8,28; 9,35-38; 12,23.34-
6; 13,31) et dont trois occurrences sont trouvées dans Jn 6. La grandeur de Jésus
est soulignée non à travers le titre ‘Saint de Dieu’ mais dans l’idée qu’il est le
l’Envoyé par le Père, qui revient dans Jn 6 et ailleurs dans l’Évangile. Comme il
est dit ailleurs, Jésus travaille comme un envoyé diplomatique, le Fils commis-
sionné par le Père, portant son autorité et agissant on nom de Dieu (Kysar
1976:41).
373 X., Léon-Dufour, op.cit., p.153.
190 La radicalité de Jésus dans l’appel des disciples
Jésus dit en s’adressant aux Douze : « n’est-ce pas moi qui vous ai
choisis, vous douze, et l’un de vous est un diable ? », indiquant que
quelqu’un agit en dehors du projet de Dieu et de manière contraire à lui.
Jésus parle de Judas fils de Simon d’Iscariote, celui qui allait le livrer, qui
est pourtant l’un des Douze. L’évangéliste, en précisant le nom de celui
que Jésus n’a pas du tout voulu désigner (13,36 ; 6,64), traduit un senti-
ment de stupeur douloureuse qu’évoque le nom de Judas dans la tradition
évangélique (cf. Mt 26,14.47 et parallèles). Keener, parlant aussi bien de
Pierre que de Judas, fait découvrir un élément important. La confession
de Pierre, dans ce contexte, est significative face à Judas modèle de
l’apostasie à travers tout le récit de Jn (6,70-71. 12,4 ; 13,2.26.29 ;
18,3.5). Pierre n’incarne pas le modèle idéal du disciple en Jn (13,6-
9.24.36-38 ; 18,10-18), son rôle est ambigu sans être clairement néga-
tif 376. Bien que Simon Pierre ne soit pas le modèle idéal du disciple en
L’histoire est racontée de manière que les événements ont une portée
symbolique indéniable. Par le miracle de la multiplication des pains (vv.1-
15), il y a eu don des pains à profusion que Jésus distribue lui-même pour
symboliser le don de sa personne (vv.22-59), invitant (foule, Juifs, dis-
ciples et les Douze) à croire en lui. Non seulement la foule tombe dans
l’incrédulité parce que la scène aboutit dans les murmures et la rupture
des Juifs avec Jésus autour du questionnement : « comment celui-là peut-
il nous donner sa chair à manger ? » (v.52b). Les Juifs restent au passé de
la révélation de Dieu en faisant référence à Moïse par qui Dieu, selon eux,
donne le pain du ciel. Jésus, de son côté, tout en étant d’accord que son
origine est analogue à la manne, mais se présente comme l’Envoyé cé-
leste. Lui aussi vient de la part de Dieu, quiconque croit en lui, trouve le
pain de vie qui procure la vie dès maintenant et pour l’éternité. Dans le
présent de la foi postpascale, toute personne qui mange la chair et boit le
sang du Fils de l’homme, a la vie éternelle et sera ressuscité au dernier
jour. Le génie de l’évangéliste est de partir de la célébration de la Cène à
l’Église, pour présenter Jésus comme invitant le croyant à faire un lien
avec le don que Jésus a fait de lui-même, car ce don reste accessible à
travers les éléments de la Cène, le pain et le vin, par lesquels le croyant
célèbre la foi comme il mange la chair et boit le sang du Fils de l’homme.
Il n’y a donc pas de foi sans sacrement de l’eucharistie, ni d’eucharistie
sans foi. Les deux sont intrinsèquement liés. Le grand nombre des dis-
ciples qui pourtant adhèrent à lui et ont entendu son enseignement com-
mettent la folie de s’éloigner de lui pour retourner à leur existence anté-
rieure.
Jésus à la rencontre des différents groupes 195
Alors qu’être disciple c’est faire route avec Jésus cesser de faire route
avec lui, expose au risque de perdre le statut de disciples. Pourtant, Simon
Pierre et ses compagnons s’accrochent, ils font une impressionnante con-
fession de foi qui détermine la radicalité de leur engagement. Le récit
s’achève par les Douze qui, face à une véritable crise d’identité, affirment
qui ils sont. Eux, ils ont décidé de suivre Jésus contre vents et marrées.
En disant « vers qui irions-nous, Seigneur, tu as les paroles de la vie éter-
nelle ? », Pierre soutient que c’est Jésus qui procure la vie dans toute sa
plénitude et cela à travers ses paroles de vie. Jésus en qui ils sont ferme-
ment engagés dans une foi radicale est celui dont les paroles de vie pro-
curent la vie, que tout être humain recherche. La quête de la vie, vie pleine
de sens, est profondément enracinée dans le cœur de chaque homme et
chaque femme. Le Christ johannique prétend être une réponse à la quête
humaine de la vie authentique et vraie, vie qui se retrouve dans une rela-
tion d’intimité, de compénétration mutuelle rendue par le Christ dans le
croyant et vice-versa. Ladite inhabitation est rendue par le verbe johan-
nique « demeurer ». L’être disciple est donc radicalisé dans la mesure où
il ne s’agit pas de l’appréhender dans le sens d’amorcer le pas de devenir
disciple, mais d’être constant en demeurant d’une part dans la parole du
maître (Jn 8,31s) et, d’autre part, en discernant le Christ ressuscité dans la
célébration de la Cène, au travers des éléments du pain et du vin (Jn 6,51-
58).
Judas est l’exemple-type du disciple qui n’est pas pris racine dans la
parole du Christ, car il n’a pas laissé la parole du Christ demeurer un en-
gagement de foi. Et parce qu’il n’a pas laissé cette parole germer et pro-
duire ses effets dans son existence quotidienne, la conséquence ne pouvait
être rien d’autre que l’éloignement, voire la trahison de son maître.
5
LE PROFIL DU DISCIPLE
ET L’ENVIRONNEMENT DU CONFLIT
RADICAL
scène la division entre les Pharisiens montre que le débat atteint une si-
gnification théologique que nous restituons extensivement à partir de son
texte 382:
Ce qui est clairement affirmé, c’est que le miracle qui vient d’être ac-
compli par Jésus témoigne, en toute évidence, qu’il est nanti du pouvoir
d’un authentique envoyé de Dieu. Et c’est ce pouvoir créateur de guérison
d’un aveugle de naissance qui met en lumière le schisme qui surgit. Cela
révèle que les dirigeants religieux sont incapables d’interpréter l’irruption
de la réalité divine dans le miracle que Jésus accomplit. La division qui
se manifeste fréquemment, en amont, entre les disciples propres à Jésus
(6,66-69) et parmi les gens dans la foule (7,12-13, 30-31, 40-43) et, en
aval, parmi les Juifs contre Jésus (10,19-21), prend maintenant place
parmi les Pharisiens. La division dans les rangs des Pharisiens, comme le
fait remarquer Zumstein, sanctionne l’échec de l’école savante tradition-
nelle de théologie 383. Les Pharisiens ne sont pas prêts à renoncer à leur
tradition et ouvrir leurs esprits à la nouveauté qu’apporte Dieu dans la
personne de Jésus. La division qui prend place parmi les Pharisiens dé-
montre à quel point c’est la magnitude de l’œuvre divine qui, en fait, est
en jeu. De ce point de vue, Udo Schnelle observe l’ampleur de la divi-
sion 384:
385 Alors que dans les Évangiles synoptiques, les Pharisiens sont évidemment un
groupe à l’intérieur du Judaïsme, mais en Jean, ils semblent quelque fois iden-
tiques avec le Judaïsme et ses autorités influentes (Charlesworth 1990:80). Alors
que le v.16 fait mention des « Pharisiens », il se fait constater qu’au v.18, il est
fait mention des « Juifs ». La question consiste à savoir si ce verset fait clairement
référence à un groupe différent. Il n’en est rien car il s’agit plutôt d’un même
groupe de personnages décrits aux vv.13-17. Cela renforce l'idée que les Juifs sont
généralement « les autorités » qui sont alternativement appelées, soit Pharisiens,
soit Juifs en Jean 9.
386A. Reinhartz 1990, op.cit., p.175.
Le profil du disciple et l’environnement du conflit radical 201
387 Vincent Muderhwa, The Blind Man of John 9 as a paradigmatic figure of the
disciple in the Fourth Gospel, in: HTS/Theological Studies 68(1), Pretoria, 2012,
pp.4-6.
388 R., Schnackenburg 1980b, op.cit., p.251.
202 La radicalité de Jésus dans l’appel des disciples
dans les voies qu’ils connaissaient et croyaient être les meilleurs. C’est
ainsi qu’ils sont décrits comme actifs à Jérusalem et cela autour du
Temple (2,14-16) où Dieu est supposé être adoré (2,13 ; 4,20 ; 5,1 ;
10,22 ; 11,55). Les écritures étaient conçues comme pierre de touche de
leurs efforts religieux (5,39) et leur dévotion montre leur volonté d’hono-
rer et servir Dieu (9,24 ; 16,2). C’est pourquoi, ils étaient stricts au sujet
de leurs lois de pureté (2,6 ; 11,55 ; 18,28 ;19,42) et gardaient leurs fêtes
religieuses (2,13 ; 5,1 ; 7,2.10 ;11,55 ; 12,1.20).
On peut donc comprendre pourquoi ils persécutaient l’aveugle guéri
qui s’accrochaient à Jésus. En combinaisons à ceci, les dirigeants juifs
pensaient utile de combattre tout révélateur qui clamait venir du ciel étant
donné que c’était inimaginable qu’il y ait un autre Moïse qui viendrait du
ciel avec une autre Loi 389. D’où serait donc venue l’expression « disciples
de Moïse » ? Pour répondre à cette question, « les disciples de Moïse »
(Jn 9,28) n’est rien d’autre qu’une invention littéraire johannique utilisée
pour réfuter ironiquement les prétentions développées autour de la figure
de Moïse qui est l’un de cinq témoins listés en jn 5,1-47 faisant allusion à
Jésus qui, après avoir guéri le paralytique au jour du sabbat, est persécuté
par les « Juifs » pour avoir violé le sabbat et pour cause de blasphème
(5,18).
Si donc l’évangéliste suspecte la révérence due à Moïse, c’est parce
que le rejet de Jésus implique, en même temps, le rejet de la gloire de
Dieu, parce que Jésus venant au nom du Père signifie qu’il est venu
comme le représentant du Père. 390 Son témoignage est plus grand que le
témoignage de Moïse et celui de Jean-Baptiste. Si Jésus peut être conçu
comme agent du Roi, comme cela se faisait en Orient, le rejeter est une
insulte contre celui qui l’a envoyé parce que l’agent du souverain est
comme le souverain lui-même. Selon Lincoln, il est contestable que tandis
que les Pharisiens font une claire allégeance à Moïse à qui Dieu a parlé,
Les « Pharisiens » et/ou « les Juifs » qui exercent une autorité consi-
dérable dans les synagogues sont ceux-là qui s’étaient mis d’accord d’ex-
clure de la synagogue quiconque confesserait Jésus comme Messie (v.22).
L’hostilité qui les caractérise vis-à-vis de Jésus et ses disciples traverse
en filigrane le récit johannique (cf. 5,16.18 ; 7,1 ; 8,31.37-38.44.47 ;
204 La radicalité de Jésus dans l’appel des disciples
9,22 ; 16,2-3 ; 18,36 ; 19,38 ; 20,19) 391. C’est eux qui, dans le récit de la
guérison de l’aveugle de naissance, se considèrent comme « disciples de
Moïse ». Il est très curieux de constater que la plupart des commentaires
de cet Évangile n’ont pas donné une certaine attention à cette expression
pourtant absolument étrange. C’est à la lumière de cette expression que
l’on peut noter les combats existant entre deux groupes en présence, no-
tamment la synagogue pharisienne et l’Église de la fin du 1er siècle. Elle
est d’une grande aide pour recueillir les circonstances historiques et so-
ciales à l’intérieur desquelles ladite expression est utilisée. La formulation
« disciples de Moïse », selon Schnackenburg, n’était pas du tout un terme
régulier pour les savants rabbiniques mais plutôt une désignation typique
des scribes pharisiens. 392 C’est à travers cette formulation que Jean sou-
ligne l’opposition, déjà révélée dans la guérison qui a eu lieu pendant la
célébration du sabbat, une opposition entre Jésus et la loi, au point que
Jésus était considéré comme ayant rompu la loi.
Il devient clair que dans les quatre chapitres (5, 7, 8 et 10), sur le plan
de la construction littéraire du récit, ce qui fait tache d’huile, c’est l'atti-
tude meurtrière des « Juifs » déchirés de l’intérieur par la haine vis-à-vis
de Jésus qui menacerait leurs préoccupations religieuses. Sur le plan théo-
logique, c’est à la lumière des chapitres 5, 8 et 10 que Jésus s'identifie à
391 C’est ainsi qu’en Jn 5,18, l’évidence est claire car on y voit les Juifs qui cher-
chaient à tuer Jésus non seulement parce qu'il n’obervait pas le sabbat, mais aussi
parce qu’il se rendait égal à Dieu. En Jn 8, alors que plusieurs croient en lui (v.30),
on constate un sentiment général d’un d'antagonisme juif extrême. Au chapitre
10, Jésus appelle Dieu son Père, ce qui provoque un choc dramatique. Qu’est-ce
qui est à la base du conflit ? Le conflit mentionné dans les passages choisis sélec-
tionnés çi-dessus devient de plus en plus virulent à partir du moment où Jésus se
permet de guérir le jour du sabbat (Jn 9,14). Jésus porte une offense sur les sensi-
bilités des Pharisiens sur une question relative à la tradition religieuse. Ce qui les
conduit à conclure que « cet homme ne vient pas de Dieu parce qu’il ne garde
(observe) pas le sabbat » (Jn 9,16a).
392 R., Schnackenburg 1980b, op.cit., p.251.
Le profil du disciple et l’environnement du conflit radical 205
393L., Morris, The Gospel according to John. Revised Edition, Grand Rapids:Wil-
liam B. Eerdmans Publishing Company, 1995, p.434; cf. R., Kysar, I, II, III John.
Minneapolis: Augsburg Publishing House 1986, p.152.
206 La radicalité de Jésus dans l’appel des disciples
394 B., Olsson, All my Teaching was done in Synagogues (John 18,20). In: Van
Belle, G., Van der Watt, J.G. & Maritz, P. (Eds.), Theology and Christology in the
Fourth Gospel, 2005, p.252.
395J.L., Martyn, History and Theology in the Fourth Gospel, Third Ed. Louisville:
p.361.
398 J.L., Martyn, op.cit., p.57.
399 J., Zumstein, L’Évangile selon Saint Jean (13-21). Labor et Fides: Genève,
2007, p.122.
Le profil du disciple et l’environnement du conflit radical 207
400 Ibid.,124.
401J., Zumstein, op.cit., p.124.
208 La radicalité de Jésus dans l’appel des disciples
premier siècle, les Chrétiens juifs n'étaient pas seulement retirés de la sy-
nagogue, mais activement persécutés. Dans cet environnement, les auto-
rités juives réalisent que le titre de Messie (9,22) attribue à Jésus la gloire
revenant à Dieu (12,42) mais de leur point de vue, cela constitue non seu-
lement un messianisme inacceptable, mais aussi une violation du principe
même du monothéisme juif. Les autorités religieuses du Judaïsme se sont
considérés légitime à excommunier les Chrétiens et arrêter certains
d’entre eux qui le confessaient et les déferraient au tribunal. D’autres
étaient exécutés comme séducteurs considérant que la confession de Jésus
comme Messie n’était rien d’autre qu’un dithéisme, c’est-à-dire l’adora-
tion d'un second dieu aux côtés d'Adonaï (deuxième trauma).
L’exclusion de la synagogue porte des implications sociales dans la
mesure où la synagogue était, ainsi que l’écrit Horsley:
402R.A., Horsley, Synagogues in Galilee and the Gospels. In: Kee, H.C. &Cohick,
L.H. [Eds]. Evolution of the Synagogue. Problems and Progress, Harrisburg:
Trinity Press International, 1996, p.68.
Le profil du disciple et l’environnement du conflit radical 209
403 Vincent Muderhwa B. 2012, The Blind Man of John 9 as a paradigmatic figure
of the Disciple in the Fourth Gospel, in HTS Theological Studies, op.cit., pp.7-10.
210 La radicalité de Jésus dans l’appel des disciples
406 À travers le récit, le terme mathêtês est utilisé 4 fois : dans le v.2 où il se réfère
aux disciples de Jésus ; dans le v.27 où l’aveugle de naissance demande aux Juifs
si eux aussi veulent devenir disciples de Jésus, signifiant implicitement que lui est
devenu un d’eux ; dans le v.28 où les ‘Juifs’ disent à l’aveugle deux fois qu’il est
un disciple de Jésus, mais ils sont disciples de Moïse. Ces trois dernières occur-
rences montrent à quel point la question de disciple était une question débattue au
moment le 4ème Évangile était écrit. Retournant à la symbolique de disciples de
Jésus dans le v.2, il doit être dit que cette unique référence n’est pas anodine dans
la construction de la figure de disciples en Jean dans la mesure où la figure de
disciples, dans le Livre des signes, n’est pas heureuse. On a besoin de jeter un
coup d’œil à Jn 4 et 6 dans le but d’atteindre une signification vraisemblable.
214 La radicalité de Jésus dans l’appel des disciples
dont ils sont présentés en Jn 9,2 est surprenante. Alors qu’ils accompa-
gnent Jésus, ils posent la question « Rabbi, qui a péché, celui-ci ou ses
parents, pour qu’il soit né aveugle ? ». La question des disciples fait allu-
sion à la conception juive de la maladie et/ou de l’infirmité que font res-
sortir certains textes de l’A.T. (Ex 20,5 ; 34,7 ; Nb 14,18 ; Dt 5,9) qui
insistent sur la solidarité déterministe dans le péché. Il est probable que
les disciples se réfèrent à « une croyance assez répandue dans la théologie
juive selon laquelle l’enfant pouvait pécher dans le sein de sa mère 407 »,
ainsi les fils n’échapperaient pas aux conséquences des actions malheu-
reuses de leurs parents 408. L’évangéliste introduit les disciples non seule-
ment pour révéler clairement qu’ils ne comprennent pas la mission de Jé-
sus, mais aussi pour inférer que l’aveuglement congénital de l’homme est
conséquent, soit à son propre péché, soit à celui de ses parents 409. Bult-
mann fait remarquer que « si la question est simplement provoquée par
curiosité, ou s’il signifiait de faire ressortir l’absurdité de la perception
juive 410 », il peut fournir une occasion pour rappeler une parole de Jésus.
La réponse de Jésus, comme nous le verrons, montre que l’incapacité des
407 A. Marchadour, L’Évangile de Jean, in : Cl., Tassin, J., Hervieux, et al., Les
Évangiles : Textes et commentaires, Paris, Bayard, 2001, p.971.
408 C.L., Molla, Le quatrième Évangile, Genève, Labor et Fides, 1977, p.128.
409 R. Bultmann (1971:330) fait référence à l’idée que la maladie est vue comme
punition pour le péché et la peine pour les péchés est transmise aux enfants. Cette
vue déterministe est une idée répandue dans l’antiquité (par exemple dans l’AT,
Ex 20,5 et Dt 5,9), et elle traverse le Judaïsme (Tob 3.3f). Pour Witherington, III
(1995:182), des penseurs juifs croient qu’il n’y a pas de mort sans péché à la lu-
mière d’Ez 18,20 et pas de punition ni souffrance sans faute, à la lumière de Ps
89,33. Léon-Dufour considère les disciples comme ignorant de Jérémie et Ezé-
chiel (Jr 31,29s et Ez 18) car ils butent sur la croyance commune selon laquelle la
responsabilité pour le péché serait transmise de père en fils (cf. Gn 25,22, cf. SB
ii, 528s; lire Jr 1.5; Is 58.4; aussi les écrits rabbiniques tardifs 1QH 4.29f; 15.17
comme Shab 55a; Ps 89.33.)
410 R. Bultmann 1971, op.cit., pp.330-331.
Le profil du disciple et l’environnement du conflit radical 215
Nous avons amorcé notre enquête par les textes des Évangiles synop-
tiques, particulièrement la radicalité qui caractérise les textes relatifs à
l’appel des disciples. L’enquête a été amorcée sur l’Évangile selon Marc,
le tout premier Évangile à être rédigé. L’évangéliste Marc, en plaçant les
foules et les disciples ensemble, cherche à clarifier ce que signifie et im-
plique l’être disciple de Jésus, pour lequel nous analysons trois proposi-
tions : « venir après moi », « renier » et « prendre sa croix », qui doivent
aider à comprendre la signification de se « tenir dans la suivance » de
Jésus. L’être disciple ne doit être pris ni comme le fait d’être prêt à souf-
frir, ni comme un appel à accepter un certain système d’enseignement
dont la source est un rabbi et/ou une philosophie comme celle du
Stoïcisme 413. Celui qui voudrait être disciple est appelé à marcher derrière
Jésus. L’être disciple est défini comme un appel au reniement personnel
qui est exprimé par le fait de prendre la croix, y compris la formation
d’une conscience éthique religieuse, au sens d’une éthique de la rédemp-
tion.
Dans l’Évangile selon Matthieu, le statut du disciple est conçu comme
impliquant les rapports qui s’établissent entre le maître et le disciple
(élève), rapports qui entraînent une coupure des liens sociaux. Cela vient
du fait que Jésus est perçu comme une autorité et un exemple, qui se su-
perpose à toute autre autorité qu’elle soit parentale ou qu’elle soit reli-
gieuse.
L’appel radical de Jésus adressé aux disciples en Matthieu est envi-
sagé comme ayant la conséquence de laisser derrière soi la profession et
la famille. C’est donc une sorte de demande que seul le plus radical maître
pourrait faire. Comme cela s’est fait constater, les textes analysés fournis-
sent plusieurs exemples de la communauté de Matthieu d’un leadership
de service mais aussi d’un discipolat radical. Le principe de radicalité
dans la suivance de Jésus qui s’annonce en Matthieu pourrait attester que
le marqueur du changement d’identité pour un disciple se fait constater
en Mt par l’abandon des liens forts, c’est-à-dire la profession et la famille.
Dans le discours d’envoi en Mt 10, le ton est effrayant parce qu’il tient à
la mise en garde contre l’hostilité qui attend les disciples qui sont envoyés
comme des brebis au milieu des loups (10,16), ils seront livrés aux tribu-
naux, flagellés dans les synagogues (10,17), pourchassés de ville en ville,
haïs de tous (10,22-23). Et les disciples de Jésus seront rejetés, subissant
le même sort que celui du maître (10,24-25). Plus que cela, la haine contre
les envoyés de Jésus va submerger le cadre de la famille parce que le frère
livre son frère à la mort, et le père son enfant, et même les enfants se
placent contre leurs parents et les font condamner à mort (10,21). Au cœur
des relations les plus intimes, la violence dresse les uns contre les autres,
sans considération pour le devoir de ceux-là même à qui les enfants doi-
vent leur vie et qu’ils ont la responsabilité de protéger, et précipitant frère,
sœur ou parents dans la mort. La mission que Jésus confie aux siens est
acceptée sur le fond de ces violences, et donc les disciples sont tenus à
faire des choix douloureux. En effet, personne ne peut s’engager à la suite
de Jésus sans couper, sans rompre, sans se séparer de ses parents et/ou de
ses propres enfants. C’est autant dire que s’engager à être disciple, dans
la conception matthéenne, c’est « tenir à suivre Jésus », s’engager à deve-
nir disciple, et organiser sa façon de vivre de manière conséquente.
Le conflit que l’Évangile cause est constitué entre, d’un côté, les
croyants en Jésus et les leaders juifs, et de l’autre côté, leurs propres fa-
milles. Que les disciples soient séparés, en même temps, aliénés de leurs
familles et exclus des assemblées juives montre qu’être disciple de Jésus
Conclusion générale 219
deux groupes distincts de disciples mais elle met aussi en relief l’exclu-
sion mutuelle de ces deux groupes. La maxime est celle-ci : soit on est
disciple loyal de Moïse et, par conséquent, on demeure membre à part
entière de l’ancienne communauté juive, soit on devient disciple de Jésus,
et par là, on cesse d’être disciple de Moïse. 415 La figure de Moïse, si em-
blématique dans le Judaïsme, représente la Torah tandis que dans le NT,
la loi devient quasi obsolète, puisque que Dieu devrait être découvert à
travers l’exemple de Jésus.
Une étude attentive de Jn 9 démontre que les deux groupes, des Juifs
et des Chrétiens, ont deux différentes visions du monde qui s’excluent
pour des raisons axiologique et sociologiques évidentes. Les Juifs, comme
groupe dominant, sont représentés comme préoccupés par le besoin d’as-
surer la survie du Judaïsme en contenant la croissance du Christianisme
vers la fin du 1er siècle, et donc le rejet de la confession foi chrétienne en
Jésus comme Messie. Les Pharisiens, en tant qu’autorité très puissante,
imposent aux Chrétiens johanniques de devenir « sans synagogue », une
contrainte sévère qui a pour conséquence la dislocation des liens sociaux
et une aliénation des matrices sociale et théologique.
Dès lors, le conflit entre Juifs et Chrétiens est conçu comme un « con-
flit entre la lumière et les ténèbres ». Vers la fin du 1er siècle, selon les
sources chrétiennes, s’en tenir à Moïse, représentant la Torah, est pris
comme une voie de ténèbres tandis que suivre Jésus, en contraste, est une
voie de lumière. C’est de manière analogue que l’aveugle triomphe des
ténèbres en recouvrant la vue, et sa foi contraste à l’attitude des Pharisiens
qui malencontreusement s’installent dans la voie des ténèbres en rejetant
l’autorévélation de Dieu. En somme, en affrontant les ténèbres que repré-
sentent les autorités religieuses juives, et en acceptant de subir l’exclusion
de la synagogue, l’aveugle-né guéri se révèle comme un paradigme du
parcours du disciple dans tout le NT.
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manity with Values, 503pp. 2018, ISBN 978–2–88931–264-1
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Ethics in Politics. Why it Matters More than Ever and How it Can Make a Dif-
ference. A Declaration, 8pp, 2012. Available in English and French. ISBN: 978–
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Religions for Climate Justice: International Interfaith Statements 2008–2014,
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Ethics in the Information Society: The Nine 'P's. A Discussion Paper
for the WSIS+10 Process 2013–2015, 2013, 32pp. ISBN: 978–2–940428–063–2
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Christoph Stückelberger, Responsible Leadership Handbook : For Staff and
Boards, 2014, 116pp. ISBN :978-2-88931-019-7 (Available in Russian)
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Oscar Brenifier, Day After Day 365 Aphorisms, 2019, 395pp. ISBN 978-2-88931-
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Christoph Stückelberger, 365 Way-Markers, 2019, 416pp. ISBN: 978-2-88931-
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spectives on Sustainable, Fair Water Resources Use and Management, forthcom-
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Didier Ostermann, Le rôle de l’Église maronite dans la construction du Liban:
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Focus 60
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Focus
La radicalité de Jésus dans l’appel des disciples
La radicalité de Jésus dans l’appel La radicalité de Jésus dans l’appel
des disciples des disciples
Une enquête dans les quatre Évangiles Une enquête dans les quatre Évangiles
Face aux crises que traverse la République démocratique du Congo depuis soixante Vincent Muderhwa Barhatulirwa
ans, un retour aux sources des quatre évangiles est proposé par l’auteur. Une exégèse
de l’appel aux disciples par Jésus est mise en dialogue avec les besoins du peuple
congolais. Comment réussir à produire une alliance comparable à celle off erte aux
disciples, et qui fonctionne dans la réalité actuelle? Des ressorts puissants sont
assurés par des relations interpersonnelles responsables. Suivre l’appel aux disciples
c’est transcender la seule foi par une volonté d’agir. Cette volonté d’agir permet la
conduite conséquente et collective d’actions selon un bien commun responsable,