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La cristallographie,
science et techniques
www.sfpnet.fr
Article disponible sur le site http://www.refletsdelaphysique.fr
Éditorial
La cristallographie, fondement essentiel
des sciences et des technologies
Décidée par l’Organisation des Nations Unies, l’Année internationale de la cristallographie 2014 laisse le devant
de la scène à l’Année internationale de la lumière (IYL2015). La cristallographie est entrée dans le champ scientifique
un siècle avant que sa lumière de prédilection, les rayons X – suivis dans la seconde moitié du 20e siècle par les
électrons et les neutrons –, permette son développement dans toutes les sciences. Essaimant rapidement au-delà de
la physique et de la chimie avec le soutien essentiel des mathématiques, elle est un des piliers de la biologie, de la
métallurgie, de la science des matériaux, verres et polymères compris, des sciences de la Terre et de la médecine.
Portée initialement par les minéralogistes – dont René Just Haüy (1743-1822) – séduits par la beauté des gemmes
et des cristaux et la symphonie des symétries géométriques, la cristallographie irrigue d’une manière déterminante
toutes les filières scientifiques et économiques. De la microélectronique à la pharmacie, des semi-conducteurs
cristaux quasi parfaits avec des « défauts contrôlés » savamment dosés qui déterminent les propriétés d’usage, à l’ADN,
double hélice biologique présente dans toutes les cellules et porteuse de l’information génétique, les recherches et
les découvertes ultérieures dans toutes les disciplines se construisent sur la connaissance de l’organisation géométrique
des atomes et groupes d’atomes dans la matière inerte ou vivante.
À Paris, le 19 janvier 2015, lors de la séance inaugurale d’IYL2015 à l’UNESCO, Jaurès Alferov, prix Nobel de
physique 2000 pour ses travaux en physique et technologie des hétérostructures semi-conductrices, rappelait l’inanité
et la nocivité de la séparation, entretenue par certains milieux de décideurs court-termistes, entre recherche fondamentale
et recherche appliquée. La vision d’Alferov est claire : toutes les découvertes sont appliquées, porteuses d’une rupture
ou d’une évolution incrémentale exploitable aujourd’hui, ou présentes sur les étagères, patiemment à l’affût, pour
être croisées avec d’autres découvertes et entrer dans le cycle économique.
« Non, mille fois non, il n’existe pas une catégorie de sciences auxquelles on puisse donner le nom de sciences
appliquées, il y a une science et les applications de la science, liées entre elles comme le fruit et l’arbre qui l’a
porté. » Ainsi répétait Louis Pasteur, docteur ès sciences pour ses travaux en cristallographie et sur l’importance de
l’asymétrie, marque de la vie, profondément convaincu de la fertilisation croisée des sciences avec les technologies.
À la suite du rapport national sur l’impact socio-économique des mathématiques en France, présenté au MENESR
par Cédric Villani le 27 mai 2015, le journal Le Monde introduisait ainsi l’événement : « Cette fois, c’est prouvé,
les maths sont vraiment utiles. Cette discipline aux multiples facettes contribuerait même pour 15% du PIB national,
soit 285 milliards d’euros, et 9% des emplois, soit 2,1 millions de personnes. Ce nombre croît de 0,9% par an,
contre 0,5% pour l’ensemble des emplois. » (Étude de l’impact socio-économique des mathématiques en France,
réalisée par le cabinet de conseil en stratégie CMI.)
Il me semble pertinent de rappeler dans ce contexte l’analyse économique indépendante, commandée par la Société
Européenne de Physique (EPS) en 2012 au cabinet Cebr (Centre for Economics and Business Research). Elle couvre
29 pays européens et provient des données statistiques publiques d’Eurostat. La physique a créé plus de 15 millions
d’emplois hautement qualifiés en Europe entre 2007 et 2010, soit 13% de l’emploi directement productif. De chacun
d’eux découlent 2,7 nouveaux emplois (www.eps.org/resource/resmgr/policy/EPS_economyExSummary2013.pdf).
Fuyons le travers de notre temps où il faut classer tout ce qui existe en introduisant des évaluations quantitatives dénuées
de tout sens. Mathématiques et physique cultivent, et c’est heureux, des champs économiques communs. Rappelé par
tous les évènements de l’année internationale, le croisement interdisciplinaire porté par la cristallographie est d’une telle
ampleur, d’une telle diversité, que toute approche quantitative de son impact socio-économique est hors de portée.
Dans ce contexte, il est nécessaire de continuer à offrir dans l’enseignement supérieur une formation à – et par –
la cristallographie. Elle est aujourd’hui et demain, indispensable à de nombreux champs scientifiques et technologiques,
nourris par des mathématiques élégantes, porteuses de concepts profondément intriqués avec ceux de la minéralogie,
de la chimie, de la physique... et de la biologie.
• L es approches structurales des protéines, des empilements épitaxiés à deux, voire une, dimensions de la micro
électronique et des nanosciences, ont produit de nouveaux chapitres de la cristallographie. Les microscopes
électroniques, la RMN, le rayonnement synchrotron, porteurs de nouvelles techniques expérimentales, ont permis
de voir plus intimement l’organisation structurale locale, prolongeant la vision de la diffraction et de la spectroscopie
des RX de laboratoire, des neutrons et des électrons.
• L a cristallographie n’est pas une science achevée : les espaces de dimension supérieure à trois ont ouvert des
territoires où ses nouvelles extensions ont fait émerger des concepts originaux et résolu des structures complexes
mais ordonnées, comme les modulations incommensurables et les quasicristaux.
•T
outes les productions industrielles sont dépendantes de la cristallographie et des caractérisations qu’elle a permis
d’implanter, de la découverte et optimisation des matériaux à la réalisation des produits des grands secteurs
économiques. Les plus visibles ces dernières décennies sont ceux de l’industrie pharmaceutique, qui utilise
beaucoup le rayonnement synchrotron.
Alain Fontaine
Président de la Société Française de Physique
Cristaux et cristallographie
12 2014, une année d’exception pour la cristallographie
R. Guinebretière, J.-L. Hodeau, B. Capelle
15 Trésors de la Terre, nouvelle exposition au Muséum national d’Histoire naturelle
16 Le développement de la cristallographie en Afrique
C. Lecomte
© DESY 1999
Chaos, cristaux liquides, microcavités atomique d’un laser femto-seconde, capable d’émettre
laser à base de polymères, sonde des impulsions ultra-brèves.
atomique... Le spectre des thématiques « Les premiers tests avaient été concluants, raconte
abordées par Angela Vella au cours de Angela Vella. Entre modélisation et expérimentation,
sa carrière est pour le moins étendu. mon travail a alors consisté à décrire en détails les mécanismes
Pour cette jeune physicienne d’origine italienne et d’éjection des atomes par laser. » Début 2010, l’objectif
tout juste lauréate de la médaille de bronze du est atteint pour les métaux. Le travail est toujours
CNRS, peu importe la question, l’important « est de en cours pour les autres familles de matériaux.
comprendre comment ça marche », confie-t-elle. Puis La scientifique ajoute : « Nos idées sur la question sont
de « vite se renouveler afin de retrouver l’étincelle de la de plus en plus claires. »
nouveauté ! ». Sa volonté d’élargir le spectre des possibilités
Son parcours est mené tambour battant de Naples offertes par la sonde atomique vient sans doute de
à Rouen, en passant par Montpellier et Cachan. là. Ainsi, il y a deux ans, Angela Vella a commencé
Dans le Groupe de physique non linéaire de l’Université à réaliser une expérience pour collecter la lumière
de Naples, où elle prépare son doctorat, Angela Vella émise par les atomes au moment de leur éjection.
commence par s’intéresser aux mouvements induits « L’idée sous-jacente est de parvenir à coupler les informations
par laser au sein de cristaux liquides. « Il s’agissait de fournies par la sonde avec celles obtenues par des mesures
comprendre comment apparaissent parfois des dynamiques de spectroscopie optique et électronique », détaille la
chaotiques », explique-t-elle. physicienne. En effet, plus récemment, elle a entrepris
Elle poursuit en 2003 avec un premier stage post d’installer un nouveau banc expérimental pour
doctoral au Groupe de dynamique des phases l’analyse des électrons également arrachés aux
condensées, à Montpellier, où la jeune physicienne échantillons de sonde atomique.
étudie la stabilisation et la manipulation de défauts « Cela fait parfois un peu peur de s’ouvrir à d’autres
dans les cristaux liquides sous l’effet d’un champ choses, il y a toujours le risque que ça ne marche pas »,
électrique. Chose faite en un peu moins d’un an : commente Angela Vella. Sa médaille de bronze ne
« Après quelques mois, nous avions compris le phénomène l’y encourage-t-elle pas ? « C’est assurément une
et appris à piloter ces défauts. » reconnaissance, mais qui n’est pas toujours très facile à
Angela Vella opère alors un changement thématique assumer », ajoute-t-elle. Cela n’a nullement éteint
radical : terminés les cristaux liquides. Forte de ses son désir de comprendre. ❚
compétences en optique non linéaire, elle opte pour Mathieu Grousson,
les microlasers à base de polymères dopés par un journaliste
colorant, à l’École normale supérieure de Cachan.
« Il s’agissait de leur donner la bonne forme afin d’obtenir 4Quelques dates
une émission dans une seule direction, avec une bonne 1975 Naissance à Atripalda, Italie
accordabilité de la longueur d’onde », résume-t-elle. 2002
Thèse de doctorat en sciences physiques
à l’Université de Naples Federico II
Quelques mois plus tard, la chercheuse est recrutée Depuis Maître de conférences à l’Université de Rouen
février au sein du Groupe de Physique des Matériaux
à l’Université de Rouen sur un poste de maître de 2005 (UMR 6634)
conférences. Son nouveau terrain d’investigation :
2015 Médaille de bronze du CNRS
la sonde atomique. Cet instrument unique, dont
son laboratoire est leader au niveau mondial, permet
de déterminer la structure atomique 3D d’un 4Plus
d’informations
échantillon, en arrachant puis en analysant un à un [email protected]
les atomes dont il est constitué. Groupe de physique des matériaux (GPM),
Précisément, début 2005, la technique est alors Équipe instrumentation scientifique
parfaite pour étudier la structure des métaux en les http://gpm.labos.univ-rouen.fr/spip.php?rubrique48
« attaquant » avec un champ électrique. Mais pour « Sonde atomique :
les autres types de matériaux (céramiques, semi- la matière comme vous ne l’avez jamais vue »
www.cnrs.fr/inp/spip.php?article2601
conducteurs...), il faudrait pouvoir enrichir la sonde
4Plus
d’informations
sur le tournoi : http://iptnet.info
Site de l’IPT 2016 : http://2016.iptnet.info
IPT 2015 : les équipes chinoise (université de Nankai), française (École polytechnique), Site de la section française de l’IPT : http://france.iptnet.info
iranienne et singapourienne (université de technologie de Nanyang).
Parrainées par Étienne Klein, directeur de recherche au CEA, les XXIIes Olympiades
ont rassemblé 26 équipes de lycéens, les 30 et 31 janvier 2015 à la faculté des
1. Les organisateurs nancéiens aux côtés du jury, Sciences et Technologies de l’Université de Lorraine à Vandœuvre-lès-Nancy.
lors de la proclamation des résultats dans le grand Pour la première fois de son histoire, cette finale a eu lieu en dehors de Paris ;
salon de la mairie de Nancy. ce fut un véritable succès, dû essentiellement à l’engagement remarquable des
organisateurs nancéiens Hélène Fischer, Stéphane Mangin et Philippe Lambert,
qui ont su mobiliser les finances locales et les personnels de l’université.
Nous sélectionnons ici deux projets couronnés d’un premier prix.
© Laurent Phialy – Université de Lorraine
32 kilomètres en ballon
L’équipe du lycée La Mennais de Guérande a présenté un projet initié dans le cadre des
TPE (travaux personnels encadrés) de la classe de première S, en relation avec le projet
européen Comenius. Ce projet traite des particules cosmiques et des moyens de les
2. L’équipe de Guérande présente son ballon. détecter dans notre atmosphère. Les lycéens ont lancé, avec l’aide de Planète Sciences
et en partenariat avec le CNES, un ballon gonflé à l’hélium auquel était accroché une
nacelle où se trouvait un compteur Geiger, dont ils ont par ailleurs étudié le principe.
Lâché de Guérande, le ballon a été récupéré intact après avoir parcouru près de 200 km
© Lycée international de Jaunay Clan
et atteint l’altitude maximale de 32 km. La nacelle, équipée d’un émetteur kiwi, a transmis,
en temps réel, les données mesurées par le compteur ; de plus, le film du voyage du
ballon, pris par une caméra embarquée, a pu être visionné et apprécié par le jury.
En croisant les enregistrements en fonction du temps, de l’altitude et de l’ionisation,
les jeunes ont pu observer que cette ionisation atteignait un maximum aux environs
de 20 km d’altitude. Ils ont confronté leurs observations à celles relatées par une
publication russe de 1993 : même allure des courbes, mais valeurs différentes sans
doute liées à une activité solaire spécifique à cette date. Quel est le phénomène qui
intervient à cette altitude ? Ils ont tenté une interprétation grâce à des modélisations
3. Formation de la bulle résonante sous la cavité. des gerbes cosmiques : l’expansion maximum de la gerbe se situerait autour de 20 km
d’altitude et le pic d’ionisation correspondrait avec les maxima des gerbes modélisées.
Ce projet ne s’arrête pas là, puisque cette équipe a été sélectionnée pour représenter
la France au concours International Science and Engineering Fair (ISEF), organisé par la
© Pascal Sonneville. Olympiades de Physique France
Society for Science and the Public (SSP) et parrainé par Intel.
Égoutte l’écoute
Les quatre garçons et les deux filles de l’équipe du lycée innovant international de
Jaunay-Clan (Académie de Poitiers) ont pris cette contrepèterie comme titre de leur
projet de recherche sur la nature du bruit entendu lors de l’impact d’une goutte sur
une surface liquide. Avec des outils matériels de leur quotidien (un téléphone portable
comme microphone ou comme générateur de fréquences) ou d’autres plus spécialisés,
pratiquant une démarche scientifique bien adaptée, ils ont tenté de percer les mystères
4. L’équipe de Jaunay-Clan en pleine démonstration.
de ce son familier. Une première approche de la « face visible » du phénomène leur a
permis de mettre en évidence l’apparition en surface d’une bulle d’air hémisphérique au
point d’impact ; ils ont relié la fréquence du son émis au rayon de la bulle, puis ont testé
Le fonctionnement des Olympiades est assuré grâce
aux partenaires financiers : ministère de l’Éducation l’influence de différents facteurs sur le son émis et observé que la tension superficielle
nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, du liquide en modifiait la fréquence. Enfin, grâce à une caméra performante, ils ont
CNRS, Fondation Nanosciences, Intel, Labex Palm accédé à la « face cachée » du phénomène, sous la surface de l’eau (photo 3). Ces images
(Physique, Atomes, Laser, Matière), National Instruments,
Saint-Gobain, Université Pierre et Marie Curie. ont été à l’origine d’une nouvelle tentative d’interprétation de ce son, en particulier
Le Comité des Olympiades remercie tous les en termes de résonance et vibrations forcées de la bulle d’air immergée, qu’ils ont
partenaires et donateurs qui ont contribué au succès
de la XXIIe édition du concours. Sa reconnaissance
tenté de valider par une série de mesures très cohérentes. ❚
s’adresse aussi à tous les acteurs bénévoles de cette Le Comité national
réussite. www.odpf.org
C’est à la suite de ce travail qu’il est recruté par le CEA à Saclay, où il a créé puis animé la Section de
Recherches en Métallurgie Physique (SRMP) et où il devait faire toute sa carrière jusqu’à l’âge légal de
la retraite. Il a commencé par des études d’interdiffusion de l’uranium, puis largement étendu son spectre
d’intérêt à la diffusion – un phénomène essentiel pour les matériaux du nucléaire, qui sont souvent appelés
à jouer le rôle de barrière de confinement – et aux défauts cristallins, notamment aux défauts d’irradiation,
ainsi qu’à la déformation plastique. Il faut rappeler sa formulation révolutionnaire de la problématique
des matériaux sous irradiation qu’on devrait dorénavant considérer comme relevant de la physique des
processus irréversibles, sa détermination à promouvoir, contre vents et marées, la modélisation numérique
à l’échelle atomique en métallurgie, son intérêt pour d’autres techniques de modélisation, avec sa contribution
personnelle à l’invention de la méthode dite de « Monte Carlo sur objet », son action pour que la physique
des surfaces ne se limite pas aux basses températures, mais intègre les surfaces des métaux à hautes
températures – un véritable défi expérimental et théorique qu’il releva dans son laboratoire –, enfin sa
conviction que les méthodes et concepts de la « Métallurgie Physique » pourraient s’appliquer utilement
aux verres d’oxydes, fort importants pour le stockage des déchets nucléaires.
À la retraite, Yves Adda ne pouvait pas prendre du repos : il mit ses compétences et son enthousiasme
au service des chercheurs du C2RMF (Centre de Recherche et de Restauration des Musées de France,
situé au Louvre). Ses collègues aiment évoquer comment Yves, bouillonnant d’idées souvent fulgurantes,
appréciait avec gourmandise les discussions scientifiques, toujours soucieux de réfléchir à proposer des
solutions originales. Il était avide de trouver des clés aux problèmes posés, et souvent, lorsque lors d’une
réunion de travail une question ne trouvait pas de réponse, il venait dès le lendemain avec la publication
qui donnait la réponse ou avec l’idée de l’expérience pour trouver la solution. Mais c’est surtout aux
étudiants en thèse qu’Yves a consacré ses efforts : pas moins d’une quinzaine ont ainsi bénéficié de ses
attentions bienveillantes et savantes. À des degrés divers bien sûr, il fut pour eux un véritable maître.
Nombreux sont donc ceux qui furent redevables à Yves de leur épanouissement scientifique. Par son
exigence de qualité, il a permis à beaucoup de chercheurs de grandir et de devenir des scientifiques
renommés, et certains ont essaimé dans divers grands laboratoires.
Des ennuis de santé l’avaient depuis quelque temps malheureusement obligé à ralentir cette activité.
Sa grande énergie se traduisait aussi par son besoin d’activité physique : il s’était fait de nombreux amis
à son « club de gym » parisien. Nous n’oublierons pas non plus son grand attachement à sa famille :
à son épouse au cours d’une bien longue et pénible maladie, à ses enfants et petits-enfants ; l’affection
de ceux-ci lui fut très précieuse au cours de ses dernières années.
Jean-Michel Dupouy, Georges Martin, Michel Menu, Jean Philibert
Le 22 janvier, nous avons organisé à d’Histoire naturelle de Grenoble, a été Il convient de voir, de toucher et par là de
l’UNESCO une journée scientifique totalement dématérialisée et mise à dis- s’interroger ; néanmoins, la compréhen-
destinée aux chercheurs et intitulée « La position de l’ensemble des acteurs de l’année sion passe aussi par la parole et l’échange.
cristallographie, une clé de la connaissance ». internationale de la cristallographie. La communauté des cristallographes a
Elle a réuni environ 250 scientifiques et, Grâce notamment à l’aide de l’IUCr, elle ainsi organisé tout au long de l’année
retransmise en direct en région, elle a été a été traduite en 12 langues différentes. 2014 et même un peu au-delà, des cycles
suivie, en particulier par de nombreux Chacun des acteurs a pu utiliser directe- de conférences qui se sont déroulés dans
doctorants. De la physique des solides à ment les panneaux, en créer quelques un grand nombre de villes en France. Les
la biologie en passant par la chimie et les autres associés souvent à des réalités initiatives, très nombreuses, ont souvent
sciences de la Terre, les auditeurs ont pu locales, et les compléter par des objets ou été le fait d’équipes structurées au niveau
constater que la cristallographie est au instruments divers. Au total, cette des grandes capitales régionales ; parfois,
cœur de nombreuses questions sociétales exposition a été présentée en France dans elles ont été menées de façon beaucoup
actuelles. plus de 70 sites différents, qu’il s’agisse de plus locale. Globalement, ce sont ainsi
Si la conjecture de Kepler sur l’empile- lieux para-universitaires, de bibliothèques, entre 150 et 200 conférences qui ont été
ment compact de sphères était une idée, de musées ou encore de maisons de la données. Organisées localement, elles
certes basée sur l’observation mais culture. Basée sur un parcours en trois ont été labélisées et cofinancées par le
néanmoins purement théorique [1], très étapes : (i) l’émerveillement devant la comité de pilotage national. Du lycéen
rapidement la cristallographie s’est beauté des cristaux, (ii) les cristaux objet attentif au chercheur dubitatif, du collec-
appuyée sur le développement d’instru- de science, (iii) les cristaux au cœur du tionneur de cristaux au professeur de classe
ments de mesure. Du goniomètre de monde moderne, l’exposition « Voyage dans préparatoire qui cherche des illustrations
Carangeot initialement taillé dans une le cristal » a été le support d’interrogations pour son cours, de l’honnête homme en
carte à jouer, aux diffractomètres ou suscitant l’intérêt pour la science [2]. quête de connaissances au passant attiré
spectromètres aujourd’hui implantés sur
les sources les plus modernes de rayons X
>>>
ou de neutrons, la cristallographie est très
largement tributaire du développement
d’instruments toujours plus sophistiqués.
Nous avons voulu marquer ce lien en
organisant le 6 juillet 2014 au sein du musée
des Arts et Métiers une journée axée sur la
cristallographie et l’instrumentation (fig. 3).
Cette journée, mise en place très large-
ment par les services de communication
du CNRS, a attiré 2200 visiteurs.
Au cœur de notre action de diffusion de
la connaissance, nous avons placé l’expo-
sition « Voyage dans le cristal » (fig. 4),
que nous avons décliné sous plusieurs
versions. Cette exposition, construite
initialement en 2009 avec le Muséum 4. « Voyage dans le cristal », une exposition pour s’émerveiller et comprendre.
b
5. Concours de croissance cristalline.
(a) Attention, lorsqu’il s’agit de contrôler la croissance
des cristaux, la température est un paramètre clé ! 6. Le jeu comme outil de communication : les pyramides de Kepler, ou comment retrouver des
(b) Remise de prix à l’école Mines ParisTech. opérations de symétrie simple.
>>>
par la lumière d’une salle de conférence, l’usage d’accessoires de démonstration synchrotron SOLEIL et de la directrice
auprès de ces publics divers, ces conférences ou encore de jeux, qu’ils soient conven- du LLB. Cette clôture s’est déroulée le
ont provoqué curiosité, enthousiasme et tionnels ou interactifs via internet. 18 décembre au Muséum national
interrogation. Gageons qu’elles susciteront En collaboration avec des centres d’Histoire naturelle et a été suivie par
chez certains une soif de science... et INMEDIA, des collègues de Grenoble l’inauguration de l’exposition « Trésors
peut-être de cristallographie. ont réalisé un jeu, puis un site web, de la Terre » de ce muséum par les
L’un des enjeux majeurs a été assurément www.krystallopolis.fr, qui permettent de ministres Ségolène Royal et Geneviève
de s’adresser aux plus jeunes. Depuis « voyager au cœur de la matière ». La Fioraso.
plusieurs années, des professeurs de lycée construction d’un empilement compact Le volume d’enseignement de la cris-
organisent à Lille un concours de crois- de sphères conduit tout un chacun à tallographie décroît dans les cursus
sance cristalline. Nous avons décidé de tester, en suivant Kepler, son aptitude à universitaires de licence et de master.
mettre en place en 2014 ce concours sur mettre en pratique les fondements des Trop souvent, la cristallographie est vue
l’ensemble du territoire national. Grâce lois de symétrie. Nous avons ainsi diffusé comme une technique et n’est présentée
notamment à l’aide logistique de collègues à plus de 4000 exemplaires le jeu que de façon très superficielle. Cependant,
de l’École de chimie de Lille (ENSCL), « Pyramide de Kepler » (fig. 6). Un à l’heure où toutes les agences de moyens
ce sont ainsi plus de 10 000 collégiens et empilement périodique peut donc être proposent des programmes basés sur les
lycéens qui ont en 2014 participé avec représenté à l’aide de sphères, sa pério- problématiques sociétales et non plus sur
leurs professeurs à ce concours du plus dicité peut aussi être illustrée à l’aide les grandes disciplines scientifiques, la
beau ou du plus gros cristal (fig. 5a) ! Un d’une transformée de Fourier. Nous cristallographie, science transversale par
second concours, portant sur la réalisation avons diffusé un dispositif transportable, excellence, a assurément son mot à dire,
d’« arbres à cristaux », a été organisé pour conçu et construit par un chercheur et ces changements de paradigme
les élèves du primaire et a impliqué lui d’Orsay, qui permet de réaliser en direct constituent probablement une opportu-
aussi plusieurs milliers d’élèves. Un prix la transformée de Fourier de n’importe nité qu’il nous faut saisir. La cristallographie
régional a été remis au sein de chaque quel objet (voir Reflets n° 39, p. 44). est une des sciences clé du futur. Si nous
académie et nous avons organisé une savons proposer aux étudiants en master
remise nationale de prix à l’école Mines Au terme d’une année bien remplie, il ou aux doctorants un enseignement
ParisTech (fig. 5b), suivie par une visite de nous a fallu conclure. La cristallographie pluridisciplinaire qui s’appuie sur leurs
son musée historique. Quel universitaire est sans doute une science un peu moins connaissances de base et qui est à la
peut ne pas être impressionné par une mystérieuse pour certains. Nous avons hauteur de ces enjeux sociétaux, alors
action qui touche 10 000 futurs étudiants montré que la mobilisation et l’utilisation nous aurons réussi notre action. ❚
potentiels ? Cette réussite exceptionnelle de moyens de communication adaptés
a induit des vocations, et de nombreuses permettent de provoquer de multiples
académies ont poursuivi cette expérience. rencontres entre le citoyen, la science en Références
Depuis déjà longtemps, le discours général et la cristallographie en particulier.
1• J. Kepler, “Strena seu de nive sexangula” (1611).
doctrinal souvent aride n’est plus le Au cours de la cérémonie de clôture, Traduction en français par R. Halleux. J. Vrin,
vecteur essentiel de l’enseignement. nous avons organisé une table ronde sur Paris (1975).
Comme nous l’avons vu plus haut, voir le devenir de la cristallographie avec la 2• J.L. Hodeau, R. Guinebretière, “The experience
et toucher permettent de s’interroger. participation de deux des directeurs of « Voyage dans le cristal » travelling museum
Une approche complémentaire est d’instituts du CNRS, du directeur du exhibition”, J. Appl. Cryst. 48 (2015), sous presse.
4Cristaux et cristallographie
au Muséum national d’Histoire naturelle
Inaugurée le 18 décembre 2014 dans la salle dite
« des cristaux géants » de la Galerie de Minéralogie
et de Géologie du Jardin des Plantes à Paris, l’exposition
« Trésors de la Terre » présente au public les pièces
les plus remarquables de la collection de minéraux
du Muséum national d’Histoire naturelle.
système de basses températures dans les cas société Bruker, a été centrée sur les internationale de la cristallographie
les plus favorables. Ainsi, un minimum méthodes de détermination des structures IYCr2014. À Ziguinchor, deux diffrac-
de 10 k€ doit être investi par l’université cristallines par diffraction X, sur poudre tomètres portables pour poudres et
pour garantir l’implication de la hiérarchie et sur monocristal. Les enseignants monocristaux, prêtés par la société Bruker,
universitaire dans ce projet ; ceci étaient français, camerounais et ivoiriens. seront installés pour une période d’une
représente beaucoup pour une université Ce premier centre de cristallographie semaine, permettant aux chercheurs et
africaine, mais très peu par rapport au prix devra former le personnel d’autres étudiants africains de combiner théorie
d’un diffractomètre (400 k€). Un partenaire universités dans la sous-région Afrique et expérience en réalisant des mesures de
clé de cette initiative est la compagnie centrale, et jouer le rôle de centre diffraction des rayons X. En Afrique, de
Bruker France, qui a accepté d’équiper national et régional de cristallographie. tels laboratoires ont déjà été organisés en
gratuitement les universités africaines Ses activités actuelles sont académiques 2014 et 2015 en Afrique du Sud, en
reconnues par l’IUCr en diffractomètres et industrielles : collaboration avec les Algérie, au Maroc et en Tunisie, et ont
pour poudres ou monocristaux en parfait industries minières, utilisation du dif- connu un très vif succès auprès des
état d’utilisation. fractomètre pour l’enseignement licence- étudiants et des chercheurs. Pour les
Les premiers enseignants-chercheurs à master-doctorat. Les programmes de autres pays d’Afrique subsaharienne, qui
bénéficier de ces diffractomètres appar- recherche et les sujets de thèse associés sont n’ont pas encore la possibilité d’acquérir
tiennent à l’Université de Dschang, au la recherche de nouveaux principes actifs de tels équipements, des laboratoires
Cameroun. Le personnel enseignant- naturels, la synthèse et la caractérisation itinérants sont et seront organisés par
chercheur et les doctorants ont tout de matériaux minéraux et moléculaires, l’IUCr, Bruker et l’UNESCO, au Gabon
d’abord suivi un enseignement intensif dont les matériaux argileux et latéritiques, en février 2016, puis au Kenya, en
en cristallographie et diffraction, cours et en partenariat avec le récent programme Zambie, à Madagascar, au Burkina-Faso,
TD, de 30 heures en février 2012, dans national de prospection des ressources au Bénin... Au fur et à mesure du
le but de les préparer à l’arrivée d’un minières et avec la nouvelle École des développement de cette initiative, de
diffractomètre pour poudres. Celui-ci a mines du Cameroun. plus en plus de chercheurs africains et
été installé par la société Bruker en Le prochain pays à bénéficier de nord-africains participeront à l’enseigne-
février 2013 (fig. 2). L’Association l’Initiative Afrique de l’IUCr est la Côte ment, ce qui ouvrira la voie à la création
camerounaise de cristallographie a été d’Ivoire, où existe déjà une équipe de d’associations nationales, de réseaux et d’une
fondée pendant cette période. Le cristallographes reconnus au département association africaine de cristallographie.
Cameroun est le premier pays d’Afrique de physique de l’Université Félix Les problèmes rencontrés pour faire
subsaharienne membre de l’IUCr (fig. 1). Houphouët Boigny. Dans ce cadre, un vivre cette initiative sont principalement
Son adhésion – et celles de l’Algérie et cours avancé de cristallographie a été d’ordre administratif : extrême lenteur
du Maroc – a été votée par l’assemblée organisé en 2013, et le projet d’acquisi- des décisions, problèmes de douane,
générale de l’IUCr à Montréal en août tion de deux diffractomètres, pour nécessité de convaincre au plus haut
2014. Cette jeune association a aussitôt poudres et pour monocristaux, a été niveau (rectorat, ministère...). Mais ces
mis en place son premier atelier sur la finalisé ; ceux-ci devraient être installés problèmes sont totalement gommés par
résolution des structures cristallines, du fin 2015. Ce laboratoire sera le premier l’enthousiasme, la qualité et le dynamisme
7 au 13 avril 2013 à Dschang, qui attira centre de cristallographie de l’Afrique de des étudiants et des jeunes chercheurs
34 jeunes professeurs et doctorants l’Ouest. (académiques ou personnels d’industries
originaires d’universités camerounaises En octobre 2015, aura lieu à Ziguinchor, minières) à qui s’adresse cette initiative
et subsahariennes (Gabon, Tchad, Côte Sénégal (www.univ-zig.sn), le premier pour le futur. Le développement logique
d’Ivoire, Mali), et plusieurs personnels laboratoire itinérant de cristallographie de cette initiative devrait être de
chercheurs de l’industrie minière (fig. 3). en Afrique subsaharienne. Ce concept de transformer ces centres de cristallographie
Cette école, cofinancée par l’IUCr, laboratoire itinérant (“open lab”) a été en centres de mesures physiques et de
l’Association camerounaise de cristallo- défini conjointement par l’IUCr et caractérisation. Pourquoi pas un partenariat
graphie, l’Université de Dschang et la l’UNESCO, à l’occasion de l’année avec l’IUPAP ? l’EPS ? la SFP ? ❚
Structure magnétique apériodique (molécules non magnétiques en bleu, molécules magnétiques en rouge) superposée à la structure cristalline d’un composé
moléculaire à base de fer II.
sont connus aujourd’hui sous le nom Un cristal est finalement caractérisé par Expérimentalement, la quasi-totalité
d’indices de Miller (voir glossaire p. 28). son groupe d’espace, qui est l’ensemble des images de diffraction obtenues à
Haüy introduit aussi le concept d’une des opérations de symétrie qui laissent partir de 1912 ont longtemps largement
molécule intégrante, qui dicterait la invariante sa structure périodique. Dès confirmé l’interprétation périodique des
forme finale du cristal. Ainsi apparaît les années 1890, Fedorov et Schoenflies cristaux. De même, la loi des indices
l’idée d’une maille élémentaire, repro- ont dénombré, sur des considérations rationnels définissait une règle stricte
duite de façon périodique dans les trois purement théoriques, les 230 groupes pour classer les cristaux par simple
dimensions de notre espace physique. d’espace qui décrivent les 230 façons observation macroscopique. La remise
distinctes de distribuer périodiquement en question de cette loi n’était donc pas
Cette idée de Haüy sera développée de des objets dans un espace triplement un acte mineur. C’est pourtant à cette
façon mathématique dans la première périodique (notre espace euclidien usuel). conclusion que sont arrivés Goldschmidt,
partie du XIXe siècle, en appliquant la Palache et Peacock en 1931, en analysant
théorie des groupes de Cauchy. Le grand Le début du XXe siècle a vu une les cristaux de calavérite (Au1-xAgxTe2).
pas en avant est cependant effectué vers découverte qui a totalement changé le Dans ce composé, les faces du cristal ne
1850 par Auguste Bravais, qui établit le monde : la diffraction des rayons X. pouvaient pas être indexées par les trois
concept de réseau : une distribution Cette découverte va permettre l’analyse indices de Miller. La première observa-
régulière de points dans l’espace, qui sont de la structure interne de la matière, tion d’une image de diffraction X dont
les sommets de mailles. La structure du confirmant de façon magistrale cette les taches de Bragg ne pouvaient pas non
cristal est obtenue par simple translation vision périodique annoncée du cristal [1]. plus être indexées par trois indices, n’a
de cette maille. Formellement, un Nous retiendrons ici simplement que été obtenue qu’en 1936 par Johansson et
réseau de Bravais en dimension n est l’image de diffraction d’une onde Linde dans un alliage Au-Cu. Le niveau
défini comme l’ensemble des vecteurs (rayons X, électrons, neutrons) sur une de connaissances dans ces années-là ne
{l1a1 + l2a2 + ... + lnan}, où les l sont distribution de matière est la transformée permettait pas de comprendre de telles
des entiers et où les vecteurs de base du de Fourier de cette distribution [2, 3]. observations.
réseau, a1, ..., an, sont n vecteurs linéai- On définit alors un réseau dual du réseau Il faut attendre 1959 pour que soit
rement indépendants. La périodicité direct correspondant à l’espace physique, introduit un concept qui allait mettre à
engendre un groupe de symétrie, constitué qu’on appelle réseau réciproque. Ce mal les fondements même de la cristallo-
des opérations de translation et de rotation réseau, situé dans un espace de même graphie : l’apériodicité ! Cette idée
laissant ce réseau de Bravais invariant. dimension n que celui du réseau direct, apparaît dans une problématique a priori
On dénombre 5 types de réseaux de est caractérisé par l’ensemble des vecteurs différente : l’ordre magnétique, dans le
Bravais dans l’espace bidimensionnel et {m1a1* + m2a2* + ... + mnan*}, où les cas de couplages antiferromagnétiques
14 types dans l’espace tridimensionnel. n vecteurs de base, a1*, ..., an*, définis entre spins premiers et entre spins seconds
Lorsqu’il existe dans un cristal une par ai.aj* = 2πδij, sont linéairement voisins sur un réseau périodique. Dans ce
invariance par rotation, on dit qu’il indépendants. Les nombres m, appelés cas, le concept de frustration se manifeste
possède un axe de symétrie d’ordre 2, 3, indices de Miller, sont les composantes lorsqu’aucune configuration des moments
4 ou 6, selon que la rotation en question des vecteurs réciproques les plus courts magnétiques ne peut satisfaire simultané-
correspond respectivement à un angle de perpendiculaires aux plans réels de ment tous les couplages mis en jeu.
±π, ±2π/3, ±π/2 ou ±2π/6. On montre mêmes indices. On retrouve ainsi la loi A. Yoshimori, d’un point de vue théorique,
aisément que dans les espaces bidimen- de Haüy, décrivant les faces de tous les et A. Herpin, P. Mériel et J. Villain, d’un
sionnel et tridimensionnel, il n’existe pas cristaux avec trois indices (dans notre point de vue expérimental, montrent que
de cristal ayant un axe de symétrie espace à trois dimensions, voir figure 1). la solution d’un tel problème est l’appa-
d’ordre 5 : autrement dit, il est impossible Un résultat fondamental est que l’espace rition d’une modulation de l’orientation
de paver l’espace euclidien avec respecti- réel et l’espace réciproque ont la même des moments magnétiques, de période
vement des pentagones et des icosaèdres symétrie. incommensurable avec le réseau de base
(analogues tridimensionnels des pentagones). du cristal : l’hélimagnétisme [4].
>>>
Reflets de la Physique n° 44-45 19
>>>
Les phases incommensurables b
modulées q
4Cristaux et cristallographie
coupe, a priori arbitraire, du superespace nullement une règle, cette phase incom-
(fig. 4). Cette dégénérescence infinie de mensurable ne persiste généralement que
l’état fondamental par rapport à la phase sur une plage finie en fonction des para-
de la modulation entraîne l’existence mètres extérieurs conjugués (température,
d’excitations à coût théoriquement nul pression, champ électrique, champ
dans le cristal. De telles excitations, magnétique...). Au-delà d’une certaine
associées à des déplacements atomiques valeur de ces paramètres, la modulation
et appelées phasons, ont été mises en redevient alors commensurable avec la
évidence par diffusion de neutrons et par structure moyenne au travers d’une nou-
Rphysique des techniques de résonance magnétique. velle transition de phase, dite d’ancrage.
De nombreux livres ont été dédiés à
cette très riche famille de composés que Les cristaux composites
sont les cristaux incommensurables
modulés [9, 10] : systèmes à modulations
incommensurables
de déplacements atomiques, de probabi- Les cristaux composites apériodiques le
lités d’occupation de sites, systèmes à sont, quant à eux, généralement par
4. Représentation d’un superespace de ondes de densité de charge, à ondes de construction, et ils le restent en fonction
dimension 1+1 : à un espace physique de densité de spin, supraconducteurs à haute des paramètres extérieurs (bien que ceci
dimension 1 est ajouté perpendiculairement un température critique... ne soit pas une règle). Ces cristaux
espace, dit interne ou perpendiculaire, selon lequel
Une phase incommensurable modulée résultent de l’imbrication d’un ou de
se décrit la modulation incommensurable. L’espace
provient d’un équilibre fragile entre des plusieurs sous-réseaux, avec des paramètres
physique est alors une coupe de ce superespace. Un
degré de liberté supplémentaire apparaît par cette
forces « frustrées » à l’intérieur du cristal. de maille dans un rapport irrationnel dans
augmentation de la dimension, la coupe étant Ces cristaux se caractérisent systémati- au moins une direction de l’espace [11, 12].
arbitraire par rapport à la phase de la modulation. quement par une phase de haute symétrie Chaque sous-réseau ressent la périodicité
(généralement la phase de haute tempé- des autres et, en conséquence, les
rature), qui est périodique. La phase positions des atomes dans chaque
Dans cette supermaille périodique incommensurable résulte ainsi d’une sous-réseau sont intermodulées avec des
peuvent exister des éléments de symétrie transition de phase. Sans que cela ne soit périodes incommensurables (fig. 5a).
spécifiques reliant les fonctions atomiques.
Comme en cristallographie standard, ces
>>>
éléments de symétrie sont déterminés par C1 C2
l’analyse des équivalences et de la
condition d’extinction systématique de
l’ensemble des raies de Bragg de struc-
ture et satellites. Par convention, le nom
d’un groupe de superespace pour un
cristal incommensurable modulé est
donné par la juxtaposition de la notation
internationale Hermann-Mauguin du
groupe d’espace de la structure moyenne,
avec le symbole du vecteur de modulation.
Ainsi, le groupe de superespace de la
phase incommensurable de γ-Na2CO3 a
est C2/m (α, 0, γ), la structure moyenne
étant monoclinique (groupe d’espace
Chôte
C2/m). Le nombre de groupes d’espace
croît avec la dimension de l’espace. Il est
de 755 dans un espace de dimension (3+1),
3338 dans un espace de dimension (3+2).
Ces groupes sont tabulés dans les Tables
Internationales de Cristallographie [8]. Cette
multiplication des groupes dans le
superespace cristallographique signifie
une multiplication des solutions structu- b
rales, potentiellement très originales, Cinvité
offertes aux cristaux apériodiques.
La symétrie de translation retrouvée 5. Cristal composite apériodique.
dans des espaces de dimension supérieure (a) Représentation schématique. Les réseaux imbriqués violet et bleu ont des périodes C1 et C2 incommensurables
est à l’origine de propriétés totalement (indiquées par des flèches), et chaque réseau est spatialement modulé par la période de l’autre.
spécifiques. L’espace physique est une (b) Illustration par le composite d’inclusion urée (réseau hôte, en violet) / alcane (molécules invitées, en vert).
Diffraction de rayons X d’un microcristal de symétrie décagonale, fait d’un alliage d’aluminium, cuivre, cobalt
et silicium.
S0
S1 E//
4
S2 3 E⊥
S3 2
S4 1
tg α = 1/τ
S5
0 1 2 3 4 5 6
a b c
7. Construction de suites apériodiques. (a) Séquence de Fibonacci générant une suite S(N+1) apériodique de points de couleur rouge et bleu, par juxtaposition
des deux précédentes suites S(N) et, dans l’ellipse orange, S(N-1).
(b) Cette suite apériodique est une coupe par une droite de pente 1/τ d’un espace périodique de rang 2, caractérisé par une supermaille carrée.
(c) Méthode dite de la coupe : la surface atomique est un segment parallèle à la direction perpendiculaire du superespace.
Il faut saluer la publication du livre de Bernard Maitte, Histoire des cristaux, qui vient combler un vrai manque
historiographique. En effet, à part La Genèse de la science des cristaux de Hélène Metzger, publié en 1969, et
celui de John Burke, Origins of the Science of Crystals (1966), il n’existe à notre connaissance aucun ouvrage
sérieux sur ce sujet. Il faudrait citer également le Historical Atlas of Crystallography de José Lima-de-Faria (1990),
mais il s’agit en fait de dix contributions dont chacune porte sur un des aspects de l’histoire de la cristallographie.
L’Histoire des cristaux de Bernard Maitte est un ouvrage très complet qui montre à travers l’exemple des
cristaux, traité de manière très détaillée, les chemins tortueux par lesquels une pensée scientifique germe,
se constitue, se développe... souvent par des voies insoupçonnées et des croisements inattendus. La science
des cristaux, montre l’auteur, s’est mise en place très progressivement, presque sans que l’on ne s’en rende
compte et a suscité d’autres travaux et développements, notamment en mathématiques, comme par exemple
le dénombrement des groupes de symétrie. L’histoire qui nous est racontée et qui s’achève au XXe siècle,
est surtout traitée sur la période qui s’étend du XVIIe à la fin du XIXe, bien qu’une trentaine de pages soit
consacrée à la période allant de l’Antiquité à la Renaissance. Le mysticisme de Kepler ou le système de
classification du botaniste Linné ont amorcé la naissance de ce qui deviendra plus tard la cristallographie.
Bernard Maitte montre qu’il ne faut pas non plus négliger les contributions de pensées philosophiques,
voire métaphysiques, comme en particulier celle de Locke relative à l’entendement humain ou les
réflexions de Malebranche, prêtre oratorien, qui encourage la géométrisation des sciences naturelles, une
entreprise qui surprend les mathématiciens, physiciens et chimistes de son époque.
L’auteur aborde les épisodes de l’histoire récente, mais sans s’y attarder. On y trouve ainsi très peu de
choses sur la radiocristallographie, les cristaux liquides et les quasicristaux, ces deux derniers sujets occupant
les douze dernières pages de l’histoire. Cela dit, il existe plusieurs ouvrages en anglais sur l’histoire récente,
dont un qui est paru en décembre 2014 chez World Scientific, From a Grain of Salt to the Ribosome:
The History of Crystallography as Seen Through the Lens of the Nobel Prize, sous la direction de Ivar Olovsson.
L’excellent livre de Bernard Maitte s’achève avec une bibliographie, un glossaire, et un index qui ne
couvre malheureusement que les noms propres. Soulignons qu’il s’adresse plutôt aux historiens des sciences,
aux physiciens... mais pas vraiment au grand public.
Kamil Fadel
Responsable de l’Unité Physique au Palais de la découverte
,
En savoir plus sur la cristallographie
dans Reflets de la physique
Les articles de ce numéro spécial, « La cristallographie, Voir aussi les articles du numéro spécial « La lumière
science et techniques », sont utilement complétés par synchrotron, au service de la science et de la société »,
ceux déjà parus sur le sujet dans Reflets de la physique : n°34-35 (2013), en particulier :
• « Comment la biocristallographie permet de proposer • « Comprendre la relation structurefonction des
un mécanisme d’action des gaz anesthésiques », macromolécules biologiques », M.W. Bowler et
N. Colloch et al., n°19 (2010), pp. 10-13. D. Nurizzo, pp. 48-53.
• « Le graphène – Quand la mécanique quantique • « La diffraction cohérente des rayons X », S. Ravy,
rencontre la relativité dans un trait de crayon », pp. 60-64.
J.N. Fuchs et al., n°25 (2011) pp. 4-9.
• « Propriétés structurales, interfaces et nanostructures,
• « Une découverte qui a changé le monde : la diffrac étudiées à l’aide des rayons X », G. Renaud, pp. 65-69.
tion des rayons X », A. Authier, n°39 (2014), pp. 24-29.
• « Le rayonnement synchrotron : un outil de pointe
• « Étudier la structure des membranes biologiques », pour la science sous conditions extrêmes de pression
G. Fragneto, n°41 (2014), pp. 36-40. et de température », M. Mezouar et al., pp. 70-73.
4Cristaux et cristallographie
© CNRS Photothèque / Didier COT
Quelques ouvrages conseillés. Il existe de nombreux livres traitant des cristaux et de la cristallographie.
En voilà une courte sélection, qui contient des ouvrages en français et en anglais, ainsi que deux numéros spéciaux de
revues scientifiques.
A
θ θ
dhkl C D
Cristal
Jusqu’au 19e siècle, on rangeait sous le nom de cristal des
minéraux souvent translucides, de forme géométrique bien
définie, avec des faces planes. Puis la découverte de la
diffraction par les cristaux a confirmé qu’ils sont construits
par la répétition régulière dans les trois directions de l’espace
d’une unité structurale (le motif), décorant un réseau, le
réseau de Bravais. Il est apparu que beaucoup de solides
(métaux, céramiques...) sont des assemblages de cristaux
microscopiques, les polycristaux, et que la cristallinité est
un état très fréquent de la matière condensée. Mais, à la
suite de la découverte, dans la seconde moitié du 20 e siècle,
des structures modulées incommensurables et des quasi-
cristaux, la définition du cristal a été modifiée en 1992 : « Un
© CNRS Photothèque / Noël PINAUD
Réseau de Bravais
C’est une distribution régulière de points, appelés nœuds,
et qui représente la périodicité de la distribution atomique
d’un cristal. Les nœuds sont les sommets des mailles, et la
structure est reconstruite par simple translation de la maille.
Les nœuds sont donc définis (à trois dimensions) par l’en-
semble des vecteurs l 1a1 + l 2a2 + l 3a3 , où l 1, l 2 et l 3 sont des
entiers, et a1, a2 , a3 les vecteurs de base (linéairement indé-
pendants) du réseau. Les longueurs des vecteurs de base et
les angles qu’il font entre eux sont les paramètres cristallins.
Dans l’espace tridimensionnel, il y a 14 réseaux de Bravais,
répartis en 7 systèmes (cubique, hexagonal, rhomboédrique,
tétragonal (ou quadratique), orthorhombique, monoclinique
et triclinique).
Réseau réciproque
Le réseau réciproque d’un réseau cristallin, dont les vecteurs
de base sont a1, a2 et a3 , est un réseau « dual », dont les
vecteurs de base sont définis par a1* = 2π(a2∧a3)/V,
a2* = 2π(a3∧a1)/V et a3* = 2π(a1∧a2)/V, où V est le volume de
la maille du réseau direct. On a donc : ai.aj* = 2π δij. Le réseau
réciproque et le réseau réel ont la même symétrie. Le réseau
réciproque du réseau réciproque est le réseau direct (réel).
À toute famille de plans (hkl) du réseau direct correspond
la rangée réciproque [hkl]* qui lui est orthogonale.
Surstructure
En cristallographie, une surstructure est une structure
additionnelle superposée à la structure de base du cristal.
Elle se traduit par des réflexions de Bragg supplémentaires,
en général plus faibles que celles de la structure de base.
Elle peut être commensurable ou incommensurable avec le
réseau de base. Les principales sont les surstructures
magnétiques, les surstructures d’ordre-désordre dans les
alliages et les surstructures de déplacement.
Vecteur de diffusion
Lors de l’interaction d’un rayonnement de longueur d’onde λ
avec la matière, si nous appelons ki le vecteur d’onde de
l’onde incidente et kf celui de l’onde diffusée, le vecteur
Q = k f – ki est appelé vecteur de diffusion. Dans le cas de la
diffraction, processus élastique (sans changement d’énergie),
|ki| = |k f |, et |Q| = 4π sinθ/λ.
© P. GINTER/ESRF
Simulation numérique du processus d’accélération des électrons dans une cavité résonante supraconductrice, utilisée dans le laser à électrons libres FLASH à DESY
(Hambourg, Allemagne). © DESY 1999.
De la simple hélice
aux nanostructures tubulaires
L’apport de la diffraction
des électrons et des rayons X
Mohamed-Salah Amara, Céline Mariette, Erwan Paineau, Stephan Rouzière,
Denis Petermann, Mathieu Kociak et Pascale Launois ([email protected])
Laboratoire de Physique des Solides, UMR CNRS 8502, Bât. 510, Université Paris Sud, 91405 Orsay
Le même formalisme est utilisé 2015 est le centenaire du prix Nobel de d’hélices. Le même formalisme [2,3] que
William Laurence et William Henry celui développé pour appréhender la
pour expliquer la diffraction
Bragg pour les premières analyses de diffraction par des hélices de nature
par l’ADN et par les nanotubes structures cristallines, grâce à la diffraction biologique peut leur être appliqué avec
des rayons X [1] (encadré 1). Nous succès...
de carbone ou leurs analogues
discutons ici de la diffraction non pas par
d’oxydes métalliques, des cristaux, mais par des nanostructures Nous discuterons ici la puissance de la
tubulaires. Chacun sait que l’acide méthode de diffraction (encadré 1)
les nanotubes d’imogolite.
désoxyribonucléique (ADN), la molécule appliquée à deux types de nanotubes,
du vivant, support de l’hérédité, est une dont le diamètre est de l’ordre du nano-
La diffraction permet à la fois
double hélice. La structure hélicoïdale de mètre et qui présentent un grand rapport
de déterminer la structure et l’ADN est révélée par le dessin en forme d’aspect avec des longueurs micrométriques.
de croix de Saint-André sur le fameux Nous nous intéressons aux nanotubes de
l’organisation des nanotubes.
cliché de diffraction des rayons X de carbone, objets emblématiques des
De la diffraction électronique Rosalind Franklin et de son étudiant en nanosciences, et à leurs analogues dans le
thèse, Raymond Gosling, au début des domaine des oxydes métalliques, les
à celle des rayons X, nanotubes d’imogolite SiAl2O7H4, que
années 1950 (fig. 5 de la réf. [1], voir
nous discutons des propriétés encadré 2). Beaucoup d’autres molécules l’on trouve à l’état naturel dans certains
biologiques sont constituées d’hélices. sols volcaniques (fig. 1). La diffraction
individuelles et d’ensemble On sait moins que de nombreux nano- permet de déterminer à la fois leur
de ces nanostructures. objets tubulaires sont eux aussi formés structure et leur organisation.
T C
a2
a1
1 nm 2,8 nm
a b c
1. Construction de nanotubes. (a) Représentation schématique d’une feuille de graphène et, en bleu clair, de la
bande qui permet de construire le nanotube de carbone représenté en (b). Le vecteur chiral choisi vaut C = 10a1 + 5a2.
En rouge : l’une des hélices d’atomes de carbone qui constituent le nanotube. (c) Nanotube (14,0) d’imogolite
SiAl2O7H4. Les atomes de silicium sur l’une des hélices qui forment la nanotube sont représentés en vert, et
ceux d’aluminium en bleu.
Organisation des nanotubes 3. Diffusion des rayons X par un film de nanotubes d’imogolite GeAl2O7H4 à double paroi.
entre eux (a) Schéma représentant l’expérience. Les nanotubes, orientés aléatoirement dans le plan du film, sont schématisés
par les traits bleus. Le film est obtenu par séchage d’une suspension d’imogolites synthétisée selon le protocole
La diffraction permet de déterminer les de la référence [10].
positions relatives des atomes dans un (b) Image de diffraction obtenue (le vecteur d’onde maximal atteint est d’environ 3,4 Å-1). Les intensités les
cristal ou dans un nanotube, et aussi plus faibles sont représentées en noir et les plus élevées en blanc.
l’organisation des nanotubes entre eux. (c) Simulation de l’image, qui reproduit bien les principales oscillations observées expérimentalement. À noter,
La figure 4b représente le diagramme de selon la direction horizontale passant près du centre de l’image expérimentale (b), un fort effet d’absorption
diffraction des rayons X par une poudre du rayonnement par le film, qui n’est pas pris en compte dans la simulation (c).
de nanotubes d’imogolite GeAl2O7H4 35 35
monoparoi organisés en fagots [12] sur 30 30
10 10
1,5 1,5
un réseau hexagonal bidimensionnel 25 25 20 20
(insert de la fig. 4a). Les pics de diffraction 11 11
Intensité (u.a)
Intensité (u.a)
20 20 21 21
observés sur la figure 4b sont indexés par 22
30 30 22 31 31
les indices hk (10, 11, 20...) et leur norme 15 15
0 0
vérifie Qhk = (4π/a1/2) (h2+k2+hk)1/2, 10 10 0,250,25 0,5 0,5 0,700,70
Q-1)(Å-1)
Q (Å
où a = 3,97 nm est la distance entre les 5 5
centres de nanotubes adjacents. Alors que 20 20
nmnm 0 0
l’image de microscopie électronique sur la Q -1(Å
Q (Å ) -1)
0,2 0,20,3 0,30,4 0,40,5 0,50,6 0,60,7 0,70,8 0,80,9 0,91,0 1,0
figure 4a donne une information locale, a b
la figure 4b montre de manière statistique 4. Nanotubes d’imogolite GeAl2O7H4 monoparoi.
que les nanotubes sont organisés sur un (a) Image de microscopie électronique en transmission ; le zoom en insert permet de visualiser l’organisation
réseau hexagonal. Elle permet de déter- des nanotubes sur un réseau hexagonal bidimensionnel.
miner précisément la distance intertubes. (b) Diagramme de diffraction par une poudre de nanotubes d’imogolites monoparois. Les chiffres en rouge
>>> correspondent aux indices (h,k) caractéristiques du réseau hexagonal. D’après la référence [12].
2
2 2
d /d A(Q)
2 = f j (Q)exp (iQ.rj )
d /d A(Q) = f jj(Q)exp (iQ.rj )
4Diffraction par une hélice continue et croix de Saint-André j
2
encadré 2
2
d /d
Les coordonnées cartésiennes A(Q)
(x,y,z)
2
d’un
= point f j (Q)exp
d’une(iQ.r ) continue, de rayon R
hélice 2
j
et de pas P le long / d +l’axeA(Q)
d de z (fig. =E1a),fj j (Q)exp
peuvent(iQ.r j)
s’exprimer en fonction de ses
Qz
z
A(Q) +
coordonnées cylindriques expi
(R,ϕ,z), Q R
en
[ cos(2 cos(2 t
choisissant
j / P +une )
origine
+ Q t Qz z0 ] (R,ϕ
arbitraire
+ dt 0,z0) sur
l’hélice : x =A(Q) expi
R cos(2πt/P + ϕ[0Q),R yR =
R
t / P + +0ϕ 0), )z+=Qzz t ++zQt,z zoù
R sin(2πt/P 0 ] dt
t est la variable 5
0 0
de déplacement (parallèle à z) le long de l’hélice. L’amplitude de diffusion A(Q) est 4
proportionnelle à la transformée de Fourier de l’hélice :
A(Q) expi [QR R cos(2 t / P + ) + Qz t + Qz z0 ] dt
+ 3
0
A(Q) expi [QR R cos(2 t / P + 0 ) + Qz t + Qz z0 ] dt
+ 2
2π/P
P 1
où lesA(Q) exp(iQ nP) exp
du(iQ z )P d’onde
expi Qde cos ( 2 t /QP +
R Rdiffusion ) +Qzt par
dt
+
coordonnées cartésiennes vecteur sont données
A(Q) exp(iQz nP)z exp(iQz z0 )z 0 expi QR R cos (2 lat /périodicité
P + 0 0 ) +Qz t dt
+
n= 0 n=0
Qx = QR cosψ,
n= Qy = QR sinψ, Qz. En tenant 0 compte de de l’hélice, -1
il vient : -2
P
A(Q) exp(iQz nP) exp(iQz z0 ) P expi QR R cos ( 2 t / P + ) +Qzt dt
+
0
-3
0 P
exp(iQz nP) exp(iQz z0 ) expi QR R cos ( 2 t / P + 0
n=
A(Q) ) +Qzt dt
+
-4
n= 0
soit
A(Q) (2 / P)+ exp [in( / 2)] J (Q R) exp(iQ z ) (Q 2 n / P)
+
-5
0 +
A(Q) (2 / P) exp [in(
n=
0 + / 2)] J n (QnR R)Rexp(iQz z0 )z 0(Qz 2z n / P) 2R
n= 0 QR
Jn étant la fonction de Bessel cylindrique d’ordre n et δ(x) la distribution de Dirac.
a b
A(Q) (2 / P) + proportionnelle
exp [in( + / 2) J n (QR R)deexp(iQz z0 ) (Qz 2 2n, s’écrit
/ P) :
+
L’intensité diffractée, au0 carré du] module l’amplitude, |A(Q)|
A(Q) (2 / P) exp [in( 2 20 + +/ 2)] J n (QR 2R) exp(iQz z0 ) (Qz 2 n / P)
n=
2
n=I(Q)
( 4 / P )+ n=Jn (JQnR(RQ)R R) (Qz(Q2z n2/ Pn)/ P)
I(Q) ( 4 2 / P 2 )
E1. Hélice continue (a) et son image de diffraction (b).
Le faisceau incident est perpendiculaire à l’axe z. Le maximum
n=
En résumé, l’intensité diffusée dans l’espace réciproque se concentre dans les plans
d’intensité sur chaque ligne correspond au premier maximum
Qz = 2πn/P, n étant un entier relatif, car l’hélice est 2un objet périodique de période P.
de la fonction de Bessel d’ordre n.
I(Q) une / P 2 + numérique
4 simulation (Qz 2dendiffraction
J n (QR R2)du cliché / P)
2 +
La figure E1b montre ( ) de l’hélice
/P
maxima4 d’intensité 2 ncroix
/ P ) de Saint-André.
n=
continue : lesI(Q) J n (QR R Qz en
2 2
( )
dessinent
n=
)
une (
forme
(1) Cette membrane a été élaborée par M. Mayne-L’Hermite, P. Boulanger, M. Pineau et coll., au laboratoire Édifices Nanométriques, UMR CEA (NIMBE)/
CNRS, à Saclay.
Remerciements
Nous remercions chaleureusement ici tous nos collaborateurs actuels ou passés sur les nanotubes de carbone et sur ceux d’imogolite, en particulier Stéphane Rols,
Julien Cambedouzou, Martine Mayne-L’Hermite et son équipe, et Antoine Thill. Merci aussi à Alberto Zobelli, qui a eu la gentillesse de réaliser la figure 1b.
Références
1• A. Authier, Reflets de la Physique 39 (2014) 24. 7• R. Misuyama et al., Carbon 75 (2014) 299. 12• M.S. Amara et al., J. Phys. Chem. C, 118 (2014) 9299.
2• W. Cochran et al., Acta Crystallogr. 5 (1952) 581. 8• L. Guimarães et al., ACS Nano, 1 (2007) 362. 13• P. Launois et al., Brevet CNRS n°1060999,
3• A.A. Lucas et P. Lambin, Rep. Prog. Phys. 68 (2005) 9• C. Mariette et al., résultats non publiés. décembre 2010 (extension internationale :
1181. décembre 2011)
10• M.S. Amara et al., Chem. Comm., 49 (2013) 11284.
4• S. Iijima, Nature 354 (1991) 56. 14• R. Lehoucq, « Les cristaux sont comme
11• « La lumière synchrotron au service de la science les humains... », Le Monde Science et Techno,
5• M. Kociak et al., Eur. Phys. J. B 32 (2003) 457. et de la société », Reflets de la Physique n°34-35 7 février 2013.
6• S. Rols et al., Eur. Phys. J. B 10 (1999) 263. (2013).
Enfin, les intensités diffractées sont extraites des clichés de diffraction et les
modules des facteurs de structure sont calculés. Ces données sont introduites dans
un des nombreux logiciels de la cristallographie classique, afin d’obtenir un premier
modèle de la structure.
Les études de la structure C’est en 1895 que Wilhelm Conrad rayons X, encore utilisés de nos jours
de matériaux à l’échelle Röntgen découvre les rayons X et leur dans nos laboratoires, sont des sources
faculté à pénétrer la matière. La possibilité divergentes et incohérentes ; leur brillance
atomique ou moléculaire de faire diffracter ces rayonnements par est donc faible. Les synchrotrons, comme
à l’aide d’expériences les cristaux, démontrée par Max von l’ESRF à Grenoble ou SOLEIL sur le
Laue en 1912, a permis dès 1913 à plateau de Saclay [2], accélèrent des
de diffraction des rayons X William Henry Bragg et William électrons dans un anneau, ce qui génère
Lawrence Bragg de révéler les premières des rayons X (c’est le rayonnement
ont profondément changé
structures cristallines comme celle du synchrotron). La brillance des synchrotrons
notre façon d’appréhender diamant. Les atomes, qui ont la faculté de est très élevée car le flux de photons X
diffuser les rayons X de longueur d’onde λ, est grand, la taille de la source est petite
l’origine microscopique
sont arrangés de façon périodique dans et le faisceau est peu divergent.
de leurs propriétés. un cristal avec des distances proches de λ.
Les ondes diffusées par ces atomes inter- Les lasers à électrons libres dans le
Les X-FELs (lasers X à électrons fèrent : c’est le phénomène de diffraction domaine des rayons X (X-FEL pour
(voir glossaire, p. 28). À partir de l’analyse X-ray Free Electron Laser, fig. 1) sont
libres) sont de nouvelles
de la diffraction des rayons X, il est donc des sources de rayonnement X sur
sources de rayons X, possible de déduire la façon dont les accélérateur de particules de quatrième
atomes s’organisent dans l’espace [1]. génération, qui génèrent un rayonnement
dont les performances
Ceci permet de comprendre, par exemple, laser de brillance phénoménale. Dans la
ouvrent des perspectives pourquoi un matériau est conducteur, partie I de cet article, nous expliquons
transparent, magnétique… La relation comment fonctionne un X-FEL. Nous
extraordinaires pour étudier
structure-fonction est aussi fondamentale présentons ensuite dans la partie II quelques
les propriétés structurales dans les sciences du vivant. applications majeures tirant avantage des
impulsions de rayons X de quelques
et dynamiques de la matière.
Si le principe général de telles expériences femtosecondes (1 fs = 10-15 s), permettant
Il est à présent possible a peu évolué en un siècle, de nouvelles d’étudier la transformation de la matière
technologies ont vu le jour, permettant sur des échelles de temps correspondant
d’observer des mouvements
une description de plus en plus précise de à celles des mouvements atomiques
atomiques en temps réel, la structure atomique (voire électronique) élémentaires. La brillance fantastique de
de la matière. Tout d’abord au niveau des ces machines ouvre aussi de nouvelles
d’étudier des nanocristaux
détecteurs, en passant de plaques photo- opportunités pour étudier des nanocristaux.
ou encore d’imager graphiques à des détecteurs électroniques La cohérence de ce rayonnement permet
plus sensibles. Ensuite, au niveau des moyens enfin de développer des expériences
des objets très petits comme de calculs : les ordinateurs toujours plus d’imagerie, avec une résolution spatiale
des virus ou des protéines. puissants permettent d’analyser une qui pourrait approcher la taille d’un
quantité gigantesque de données. Enfin, atome. Il est alors envisageable d’étudier
au niveau des sources de rayonnement X la structure d’une protéine ou d’un virus,
de plus en plus brillantes. Les tubes à sans avoir besoin de les faire cristalliser.
Transmission
de ce type d’expérience. de la membrane est rendue opaque par l’ionisation X. Ceci se traduit 400 t=200 fs
50
directement par un changement de la transmission optique. La fs
En France, un projet démonstrateur de fs
t=375 fs
FEL avancé (LUNEX5) dans la gamme position du changement brutal de transmission correspond au
40-4 nm prépare déjà l’un des possibles moment t2 où les impulsions optique et X sont synchronisées. t=550 fs
successeurs des FELs : une fréquence de (c) L’impulsion optique arrive longtemps après l’impulsion X et t=725 fs
fort champ, l’emploi d’électrons accélérés structure cristalline (à droite), avec ici une résolution de 50 fs t
par un laser dans un plasma, permettront (et pouvant atteindre 6 fs).
temps d
de développer des nouvelles expériences.
x(t)
Transformation de biomolécules
par la lumière
Ce qui est facilement descriptible pour
un cristal à deux atomes par maille peut
être développé pour des systèmes plus
complexes comme des molécules ou des
biomolécules. À titre d’exemple, on peut
Vue de côté
la cristallographie.
Le nouveau spectromètre RMN 850 MHZ WB du CEMHTI à Orléans, construit par Bruker et qui est
Nous illustrerons ici comment arrivé en 2011. Il est mis à la disposition de la communauté nationale et internationale dans le cadre de la
Très Grande Infrastructure de Recherche Très Hauts Champs (TGIR RMN THC FR 3050).
la combinaison de
La diffraction et la résonance magnétique matériau comme un assemblage de motifs
ces techniques permet nucléaire (RMN, voir encadré) sont des structuraux constitués d’un atome central
d’étendre la cristallographie techniques de cristallographie complé- et de ses proches voisins.
mentaires par nature. La première s’appuie Cet article illustre à travers différents
à des systèmes partiellement sur la périodicité de l’arrangement atomique exemples cette complémentarité entre
désordonnés. Dans ce contexte, (la maille élémentaire) sur de grandes diffraction et RMN, notamment
échelles de distance (> 10-8 m) et n’est que lorsqu’elles sont combinées à la chimie
la différence des échelles peu affectée par l’existence (par exemple) quantique, qui donne la possibilité de
spatiales sondées par de défauts ponctuels. La seconde est au modéliser avec précision la structure
contraire une sonde purement locale atomique et électronique des matériaux,
diffraction et RMN est (< 10-9 m) dans laquelle tout noyau et de prédire leur réponse RMN. Elles
un fantastique atout, détectable contribue de manière identique permettent ainsi de valider des modèles
à l’intensité du signal détecté, même s’il se structuraux, de résoudre des structures
en particulier lorsque trouve dans un environnement désor- moléculaires en l’absence d’ordre atomique
ces techniques sont combinées donné, qu’il s’agisse d’un défaut local ou tridimensionnel (3D) à longue distance
d’une impureté peu ou pas cristallisée. ou encore d’élucider les liens entre
avec la modélisation Les différentes interactions contribuant désordre structural local et propriétés des
moléculaire. au signal RMN permettent de décrire un matériaux [1].
>>>
50 Reflets de la Physique n° 44-45
4Développements expérimentaux récents en cristallographie
4Principe de la résonance magnétique nucléaire à l’état solide
Aimantation
radio visible (précession à la fréquence de Larmor)
micro-ondes UV
RMN infra-rouge rayons X
a
106 108 1010 1012 1014 1016 1018 1020
B0
Fréquence (Hz)
33
S 13
C AI B
27 11 7
Li 19
F H 1
b
La résonance magnétique nucléaire (RMN) est une technique Les connectivités chimiques, éléments centraux de l’identification
expérimentale qui consiste à perturber par des champs radiofré- de motifs structuraux, sont établies via le couplage spin-spin indirect,
quence l’aimantation macroscopique résultant de l’alignement qui résulte du recouvrement de nuages électroniques entre atomes.
partiel des moments magnétiques nucléaires (1H, 7Li, 13C, 29Si...)
Les expériences d’édition spectrale exploitent ces couplages à
placés dans un champ magnétique intense (fig. E1b). Cette
travers l’espace ou les liaisons chimiques pour observer sélectivement
spectroscopie sélective et quantitative permet d’obtenir toute une
certains noyaux en fonction de la nature chimique des atomes
gamme d’informations sur l’environnement local des noyaux
voisins, au moyen de jeux d’impulsions radiofréquence.
observés dans des systèmes cristallins ou amorphes, grâce aux
différentes interactions qui affectent leur fréquence de résonance, Les interactions de déplacement chimique et de couplage spin-spin
et dont les effets peuvent être contrôlés au moyen d’impulsions dépendent de l’orientation du motif structural local par rapport au
radiofréquence. champ magnétique. Le spectre RMN d’un cristal sous forme de
poudre est donc une somme pondérée des fréquences résultant de
L’identification et l’observation de manière indépendante des
l’ensemble des orientations des cristallites, qui donne des signaux
différents noyaux s’effectuent sur la base de leurs fréquences de
très larges et se recouvrant fortement (fig. E1d). La rotation à
Larmor (fig. E1a), les fréquences de résonance RMN qui traduisent
l’angle magique (fig. E1e) permet, dans les cas favorables, de
l’éclatement des niveaux d’énergie des spins nucléaires sous l’effet
réduire à leur composante isotrope les interactions d’écrantage
du champ magnétique (effet Zeeman) et sont proportionnelles aux
(fig. E1f, en violet) et de couplage spin-spin indirect, et d’éliminer
rapports gyromagnétiques propres à chaque isotope.
les interactions dipolaires grâce à une rotation rapide (de 10 à 100 kHz)
La principale sonde de la structure locale autour des noyaux est de l’échantillon autour d’un axe formant un angle de 54.7°, par
fournie par l’effet d’écrantage du champ magnétique principal par rapport au champ principal.
les électrons environnant le noyau observé (fig. E1c). Il est mesuré
Également sensible à la structure locale, l’interaction quadripolaire
sous forme d’une interaction de déplacement chimique, exprimée
mesure l’interaction entre le gradient de champ électrique local
en écart de fréquence par rapport à un composé de référence en
(distribution locale des charges autour du noyau considéré) et le
parties par million (ppm) du champ magnétique, et détermine la
moment quadripolaire des noyaux de spin supérieur à ½. Dans les
position des pics sur le spectre.
solides polycristallins, cette interaction donne lieu à des formes de
Les proximités spatiales, voire les distances entre noyaux de même raies RMN caractéristiques fortement dépendantes de la symétrie
type ou différents représentent des contraintes importantes pour locale, et qui ne sont que partiellement moyennées par la rotation
remonter à la structure tridimensionnelle à l’échelle locale. Elles sont à l’angle magique (figs. E1d et E1f, en vert). Ces élargissements
mesurées à travers le couplage spin-spin direct, une interaction peuvent être réduits par l’utilisation de spectromètres à haut
dipôle-dipôle qui dépend directement de la distance internucléaire. champ magnétique.
N.B. En France, l’accès à la majorité des spectromètres à très haut champ magnétique (de 17,6 à 23,5 teslas) est ouvert à l’ensemble de
la communauté scientifique via un réseau national d’infrastructures de recherche (www.ir-rmn.fr).
Expérience 1 site Rb
Spectre 19F
quantitatif
Calcul
b
200 100 0 -100 -200
Fréquence 87Rb (ppm) Pas de voisin Rb
19
F connectés
RMN 139La
à 87Rb d
Expérience
Calcul Calcul
1 site La
c F3 F4 F2 F1
200 0 -200 -400 -600 20 10 0 -10 -20 -30 -40 -50
a
Fréquence 139La (ppm) Fréquence 19F (ppm)
>>>
Validation par RMN supérieur à ½, sont caractéristiques d’un
site unique présentant une interaction
Détermination de la structure
d’une structure (sans désordre) quadripolaire (voir encadré p. 51). de matériaux lamellaires sujets
établie par diffraction de poudre La figure 1d du milieu montre un au désordre d’empilement
exemple typique d’édition spectrale (voir
Une des applications les plus directes de encadré p. 51), permettant d’obtenir un La détermination de structures présentant
la combinaison RMN – modélisation spectre sélectif des noyaux de 19F liés un ordre atomique local, mais plus ou
moléculaire en cristallographie est la chimiquement à des noyaux de 87Rb. Il moins désordonnées à plus grande
validation de modèles structuraux établis à révèle qu’un seul des quatre sites F de ce échelle, représente un défi majeur pour
partir d’affinements de diffractogrammes. système (pic 19F à -39 ppm) n’est la cristallographie. C’est le cas, par
connecté à aucun atome de Rb, ce qui exemple, des solides lamellaires utilisés
Un tel modèle de structure a par permet d’attribuer ce signal au seul site comme systèmes hôtes pour l’insertion
exemple été proposé pour RbLaF4 (fig. 1a), cristallographique répondant à cette d’espèces ioniques, qu’il s’agisse d’ions Li+
une phase cristalline du système binaire description. Les autres signaux sont pour les batteries, ou de principes
LaF 3 -RbF, à partir de données de attribués à partir d’expériences permet- actifs pour une libération contrôlée dans
diffraction de rayons X sur synchrotron tant de sonder, par exemple, les proximités l’organisme.
(Argonne National Lab., USA) et des spatiales entre sites F ou les distances La-F. La nature et le degré du désordre
neutrons (Institut Laue-Langevin, L’étape finale est la comparaison entre rencontrés dans ces systèmes lamellaires
Grenoble) [2]. spectres RMN expérimentaux et ceux sont illustrés ici par une série de matériaux
La première étape est la comparaison prédits par la chimie quantique. Les hybrides organique-inorganique, dont les
du nombre de pics observables dans des spectres calculés (en bleu dans les structures ont été résolues récemment.
spectres RMN quantitatifs et de leurs figures 1b-c-d) à partir du modèle Ces matériaux sont formés de feuillets de
intensités relatives, avec le nombre de structural de LaRbF4 (fig. 1a), repro- silicates de composition Si5O11, chargés
sites cristallographiques du modèle et leurs duisent avec une grande fidélité les négativement et séparés dans l’espace
multiplicités. Les spectres RMN des positions de tous les pics 19F et les inter-feuillet par des molécules orga-
isotopes 87Rb, 139La et 19F (fig. 1b, c et d) formes de raies quadripolaires 139La et niques cationiques qui assurent leur
révèlent ainsi la présence d’un site lan- 87Rb. La qualité de ces prédictions cohésion. Associées à des conditions de
thane, d’un site rubidium et de quatre démontre la parfaite validité du modèle, synthèse différentes, les différences de taille,
sites fluor distincts de même multiplicité, et atteste de l’excellente précision des de rigidité et d’affinité de ces molécules
en accord avec le modèle. Les formes positions atomiques déterminées par (cf. schémas moléculaires sur les
particulières des spectres 139La et 87Rb, diffraction de rayons X synchrotron et figures 2a-b-c) pour la surface inorganique
qui possèdent tous deux un spin nucléaire de neutrons. conduisent à des degrés de cristallinité
>>>
52 Reflets de la Physique n° 44-45
4Développements expérimentaux récents en cristallographie
Degré d’ordre à longue distance (diffraction)
1,5 nm 1,2 nm
3,5 nm
Surfactants
Tsunoji et. al
CH3-(CH2)15-NMeEt2
c HO N
N N
a b
Composite
CLS-1
HUS-2
d e
-90 -100 -110 -120
Fréquence 29Si (ppm)
Super-cellules modèles
Cristal désordonné (3x2xn mailles de départ)
Maille cristalline
(moyennée à longue distance)
Diffraction
Combinaisons multiples
3. Représentation schématique à deux dimensions d’un cristal présentant un désordre de substitution, avec un site de composition mixte (bleu/rouge) et
un site partiellement occupé (orange/blanc). Contrairement au cristal réel qui contient une multitude d’environnements locaux, la maille unitaire issue de la diffraction
(b) ne décrit pour chaque site qu’un environnement moyen unique. Des supercellules (c) doivent être utilisées pour modéliser les environnements locaux réels
observables par RMN.
Taux de substitution
x10 λ = 3,5%
l’absence de fautes d’empilement [3]. x = 0,1
Cette démarche n’est pas envisageable
dans le composite silicate-surfactant GaO6 symétrique
x10
x = 0,25 λ = 3,4%
(fig. 2a, en rouge), dans lequel les chaînes
carbonées longues et flexibles des
molécules organiques entraînent une x = 0,5
x10 λ = 3,1% d
perte de cohérence dans l’orientation des 200 100 0 -100
feuillets, qui élargit considérablement des Spinelle désordonnés Fréquence 71Ga (ppm)
pics de diffraction. Pourtant, la largeur
des pics RMN du 29Si (fig. 2d) révèle un b GaO6 asymétrique
degré d’ordre local au sein des feuillets Substitutions
(2Ga3+->Zn2+ + Ge4+)
comparable à celui de HUS-2. Cet ordre
local et la faible sensibilité de la RMN au c
désordre d’empilement sont de formidables GaO4 Inversion (Ga<->Zn)
atouts pour déterminer la structure des
4. Propriété de luminescence persistante, et spectres RMN de l’isotope 71Ga, de spinelles ZnGa2O4
feuillets, en dépit de l’absence d’ordre
dopés avec des ions Cr3+ et substitués selon 2 Ga3+ → Zn2+ + Ge4+. Dans la structure spinelle directe de
cristallin 3D à longue distance [4]. La référence (a), les atomes de zinc occupent des tétraèdres réguliers d’oxygène (en orange) et les atomes de gallium
RMN permet ainsi de déterminer le des octaèdres réguliers d’oxygène GaO6 (entourés en bleu). (b) Le spinelle réel présente un défaut d’inversion
nombre de sites silicium distincts, leur d’occupation des sites cationiques : une petite fraction des sites tétraédriques est alors occupée par des atomes
multiplicité et leurs connectivités Si-O-Si de gallium et la même quantité de sites octaédriques est occupée par les atomes de zinc, créant un premier type
via des atomes d’oxygène « pontants ». de défaut GaO4 (en violet) et ZnO6. (c) La substitution chimique de deux atomes de gallium par un atome de zinc
Une analyse quantitative des proximités et un atome de germanium génère en outre un second type de défaut d’occupation des sites octaédriques : des
spatiales entre atomes de silicium via les octaèdres ZnO6 et GeO6. L’ensemble de ces défauts d’occupation conduit à la formation de sites GaO6 irréguliers
couplages spin-spin directs (voir encadré au voisinage des défauts (c, en vert). (d) La détection et la quantification des différents types de défauts et des
p. 51) permet de construire des modèles sites octaédriques distordus au voisinage des défauts permettent de déterminer les mécanismes à l’origine de la
de feuillets qui sont ensuite relaxés par les persistance de la luminescence des dopants Cr3+.
calculs de chimie quantique, puis discri-
minés sur la base de critères énergétiques détermination structurale au-delà des dans laquelle les sites désordonnés sont
et de l’accord entre paramètres RMN limites classiquement imposées par la décrits par des probabilités d’occupation
calculés et expérimentaux du 29Si. De diffraction seule. À partir de ces modèles par différents atomes ou par des lacunes.
manière spectaculaire, les modèles de de feuillets, il devient envisageable Cette image simplifiée du cristal est
feuillet retenus sont globalement iden- d’élargir à nouveau le point de vue, en extrêmement utile pour décrire le maté-
tiques à celui déterminé par diffraction intégrant le désordre d’empilement dans riau, mais elle n’a pas de réalité physique
pour le matériau HUS-2 (fig. 2e). des protocoles spécialisés d’affinement à l’échelle locale.
La structure en feuillets du composé des données de diffraction pour systèmes Seules les spectroscopies locales, comme
CLS-1 (fig. 2b, en vert) présente un degré lamellaires. la RMN, peuvent sonder les différentes
d’ordre d’empilement intermédiaire combinaisons d’occupation de ces sites
entre les deux précédents [5]. Si, pour ce Le désordre de composition désordonnés dans le matériau. Ces confi-
composé la diffraction n’a pas encore pu
être utilisée directement pour la résolution
dans les cristaux gurations multiples conduisent à un
degré de complexité considérablement
structurale, elle permet néanmoins de La substitution atomique ou la présence accru par rapport à la structure moyenne,
sonder la nature des défauts d’empilement de lacunes au sein de sites cristallogra- comme illustré sur la figure 3 par les
lorsqu’ils sont exacerbés par une aug- phiques, par ailleurs bien définis, est à losanges de différentes couleurs. Une
mentation de la température. Dans ce cas l’origine des propriétés d’un grand nombre modélisation satisfaisante de la structure
comme dans le précédent, la RMN du de matériaux cristallins tels que les locale de tels systèmes nécessite l’emploi
29Si (fig. 2d) est insensible à cette échelle alliages métalliques, les zéolites ou les de super-cellules (parfois nombreuses)
de distance, de sorte qu’un protocole semi-conducteurs. Dans ces systèmes, la constituées de plusieurs mailles unitaires
similaire a pu être mis en œuvre. Le modèle maille élémentaire déterminée par dif- (fig. 3c), dans lesquelles les atomes et
structural le plus à même de reproduire fraction ne donne pas d’informations lacunes seront répartis au sein des sites
les données expérimentales de RMN détaillées sur la répartition des atomes et possibles. Cette voie est aujourd’hui
donne une structure de feuillet similaire à lacunes au sein des sites mixtes ou partiel- explorée au CEMHTI et dans d’autres
celles des deux autres matériaux (fig. 2e). lement occupés, mais fournit une vision laboratoires, l’enjeu consistant à identi-
Ces exemples démontrent ainsi la pos- simplifiée, correspondant à une fier les combinaisons effectivement
sibilité d’utiliser la RMN pour étendre la moyenne à longue distance (fig. 3b), représentatives du système réel, sur la
a Détecteur
atomiques, les ondes diffusées sans chan- b varie aléatoirement d’un élément à
Collimateur
gement d’énergie (diffusion « élastique ») l’autre, d’un isotope à l’autre, peut être radial
interfèrent et donnent des ondes diffrac- positive ou négative, mais reste de l’ordre Échantillon
tées. La diffraction des neutrons est donc de 10-12 cm. Ceci assure à la diffraction Collimateur
une sonde de choix de l’arrangement neutronique la possibilité de « voir »
Filtre
cristallographique de la matière condensée. l’ensemble des éléments et de souvent
C’est une technique incontournable, car distinguer des éléments voisins. Par ailleurs, Monochromateur
la nature de l’interaction des neutrons un élément chimique peut être substitué Guide de neutrons
avec la matière, qui est différente de celle par un de ses isotopes pour modifier b
des rayons X, est porteuse d’informations avantageusement le contraste de diffusion 1. Le diffractomètre D1B à l’ILL.
complémentaires sur les structures ato- entre les atomes constituant le matériau. (a) Vue d’ensemble. (b) Schéma de principe.
mique et magnétique [1].
Sondage en volume
Contraste De par la nature de l’interaction neutron- Pénétration
Pour les neutrons comme pour les matière, l’absorption des neutrons est De par leur faible absorption par la
rayons X, l’intensité d’une raie de dif- généralement 100 à 1000 fois moins matière, les neutrons peuvent traverser
fraction est proportionnelle au carré de importante que dans le cas des rayons X des épaisseurs importantes (souvent
l’amplitude de l’onde diffractée. (il existe néanmoins quelques éléments centimétriques) de matériaux sans
L’interaction entre les photons X et la absorbant fortement les neutrons, comme atténuation significative. Ceci permet
matière est de nature électromagnétique le bore ou le cadmium). De plus, les l’étude d’échantillons dans un contenant,
et, par conséquent, dépend du nombre faisceaux de neutrons étant très peu comme un tube scellé confinant un
d’électrons associés à chaque noyau brillants (le nombre de neutrons délivrés échantillon dangereusement radioactif ou
atomique ; plus précisément, le facteur par unité de temps et de surface est rela- un récipient archéologique renfermant un
de diffusion atomique f des rayons X est tivement faible), la diffraction neutronique produit d’époque. Cette pénétration
proportionnel au nombre atomique de nécessite beaucoup plus de matière permet également l’utilisation de dispo-
l’élément. Ceci complique la différencia- qu’une expérience avec des rayons X. sitifs tels qu’un réacteur chimique, une
tion des éléments voisins du tableau Ce qui peut paraître comme un désa- cellule de pression, un four ou un
périodique ou l’observation des atomes vantage (et c’en est un quand l’échantillon cryostat, dans lesquels le matériau est
légers en présence d’atomes plus lourds. n’est disponible qu’en faible quantité), soumis à des conditions particulières.
s’avère souvent être un atout, car c’est Ceci fait de la diffraction neutronique
Les neutrons, eux, sont sensibles à l’échantillon tout entier dans son volume l’outil de choix pour réaliser des expé-
l’interaction avec les nucléons constituant qui est analysé, et pas seulement une fine riences de suivi de l’évolution structurale
le noyau. L’amplitude de l’onde diffusée couche de surface. in situ et en temps réel d’échantillons
par un atome est proportionnelle à une En diffraction de neutrons sur poudre, soumis à des conditions variables de
quantité b, appelée la « longueur de le volume typique d’un échantillon est pression, température, atmosphère
diffusion », analogue pour les neutrons de la taille d’un doigt, il peut parfois être gazeuse, champ magnétique, etc.
du facteur de diffusion f des rayons X. réduit à quelques millimètres cubes.
Charg
contrôlé d’au moins un paramètre des 0
40
min.)
conditions physiques : la température, la
e / Dé
pression, le champ magnétique ou
30
30
électrique, l’atmosphère gazeuse. Pour
lithiat
ités de
cela, l’échantillon est contenu dans un 20
io
(un
environnement plus ou moins complexe
n
10
Temps
(cellule haute pression, température
extrême, réacteur chimique, cellule 0
105 115
électrochimique), souvent encombrant. 75 85 95 a
Intensité (u.a.)
2 θ (°)
Au cours de ces expériences, les processus 10000
physiques ou chimiques lors du change-
ment des conditions peuvent être suivis 6000 Li1,1Mn1,9O4
en temps réel. La majorité des études de
Cha
2000
diffraction de neutrons in situ sont effec-
rge /
n.)
Déli
20
obtient ainsi en peu de temps une vue
e3
thiat
tés d
ion
n’est d’ailleurs que rarement disponible sous
i
10
(un
0
de poudres doit combiner une forte 75 85 95 105 115
b
intensité du faisceau incident et un large 2 θ (°)
détecteur à localisation, permettant
3. Évolution temporelle des diagrammes de diffraction de neutrons sur poudres de deux
l’enregistrement de diagrammes de dif-
électrodes Li1+xMn2-xO4, lors du chargement électrochimique, d’après la référence [2]. Intensité
fraction en continu et présentant une diffractée en fonction de l’angle de diffraction 2θ (en abscisse) pour plusieurs valeurs du potentiel de charge,
grande fiabilité temporelle. Dans la suite, qui augmente presque linéairement avec le temps (en ordonnée, où une unité correspond à 30 minutes).
nous présentons quelques exemples (a) Composition initiale LiMn204 : lors de la charge, on observe deux changements de phase successifs, qui se
d’expériences in situ, parfois en temps traduisent par des discontinuités des angles de diffraction 2θ (indiquées par des flèches blanches).
réel, et couvrant différents domaines. (b) Composition initiale Li1,1Mn1,9O4 : lors de la charge, la désintercalation du lithium se traduit par une
diminution continue du paramètre cristallin (augmentation de 2θ) : le composé reste monophasé.
Réactions chimiques en temps réel
structurales qui s’accompagnent de le deutérium 2D, qui présente une plus
Cellules électrochimiques pour variations importantes de volume. Lors grande longueur de diffusion et une
l’étude des électrodes de batteries des charges et décharges successives de la contribution au fond continu plus faible
Les neutrons sont devenus un outil batterie, ces transformations sont respon- que celles de l’hydrogène, 1H. Pour l’étude
incontournable dans l’étude des batteries sables de la fatigue de l’électrode, de la des hydrures, le composé est contenu
lithium-ion, en raison du pouvoir de décroissance de sa capacité et, donc, d’une dans une cellule de réaction solide-gaz
diffusion relatif du lithium, bien plus durée de vie plus courte. Le composé connectée à un appareillage permettant à
important qu’avec les rayons X. Dans Li1,1Mn1,9O4 reste sous la forme d’une la fois le contrôle de l’atmosphère gazeuse
une expérience réalisée avec une cellule solution solide lors du processus de charge (pression, composition) et la mesure, en
électrochimique conçue avec un alliage électrochimique, et se révèle beaucoup temps réel, des quantités d’hydrogène
ne donnant pas de raie de Bragg, on a plus prometteur pour l’application visée. absorbé et désorbé. La cellule de réaction
étudié l’évolution d’électrodes solide-gaz peut être insérée dans un four
Li1+xMn2−xO4 lors de leur chargement Absorption d’hydrogène ou un cryostat, pour effectuer des
électrochimique [2], ce qui correspond à pour le stockage de l’énergie mesures dans des conditions de tempéra-
la désintercalation du lithium dans le De nombreux métaux et composés ture non ambiante. Différents composés
matériau. Les diagrammes de diffraction intermétalliques réagissent avec l’hydro- intermétalliques, mais également des
ont été enregistrés toutes les 30 minutes gène pour former des hydrures. Ces hydrures complexes d’éléments légers, sont
pendant 12 à 18 heures. Comme le montre composés sont considérés pour le stockage régulièrement étudiés pour déterminer
la figure 3, suivant la composition initiale de l’énergie. Pour la localisation et l’étude les mécanismes réactionnels. La figure 4
de l’électrode (Li1,1Mn1,9O4 ou LiMn2O4), des mécanismes d’insertion de l’hydro- présente la formation de MgD2, lors de
la désintercalation du lithium donne gène dans ces structures, les neutrons l’hydruration d’une poudre de magnésium
lieu à des comportements différents. sont un outil de prédilection. Souvent, soumise à une pression de 13 bars de
LiMn2O4 subit deux transformations l’hydrogène est remplacé par son isotope, deutérium à 350°C.
2 θ (°) Thermodiffraction
4. Évolution temporelle du diagramme de diffraction enregistré lors de l’hydruration d’une L’étude des transformations structurales
poudre de magnésium, réalisée à 350°C sous une pression de 13 bars de deutérium. On observe et des modifications de microstructure en
l’apparition puis la croissance des raies de diffraction de MgD2 (indiquées par les cercles rouges). Les croix bleues fonction de la température est indispen-
indiquent les raies de diffraction du conteneur en acier. (L. Laversenne et al., non publié.) sable pour comprendre les propriétés des
matériaux. La thermodiffraction consiste
à collecter des diagrammes de diffraction
à intervalles réguliers de température pour
>>> caractériser les transitions structurales ou
magnétiques, les modifications de
Stroboscopie pour des processus contraintes et déformations internes, microstructure, ou les mécanismes de
rapides et cycliques déduites du changement dans le temps vieillissement et de décomposition. La
des positions des raies de Bragg) était gamme de températures accessibles dépend
Lorsqu’un processus de transformation non sinusoïdale et retardée. de l’environnement de l’échantillon.
réversible est trop rapide pour permettre Pour effectuer ces études, l’ILL dispose
que des diagrammes exploitables soient Études de matériaux d’un ensemble de cryostats et de fours
enregistrés de façon séquentielle, il est permettant de couvrir le domaine entre
possible de le répéter de façon cyclique
sous haute pression 15 mK (cryostat à dilution utilisant un
et de procéder à une accumulation de Les études de diffraction sous haute mélange d’hélium 3 et d’hélium 4) et
mesures enregistrées. Ces mesures pression permettent d’explorer les dia- 2000 K.
stroboscopiques permettent d’accroître la grammes de phase structuraux et Nous avons étudié la cristallisation
résolution temporelle. magnétiques en faisant varier les distances partielle de verres chalcogénures
La méthode a été mise en œuvre pour interatomiques, et ainsi de tester des Cu15As30Te55 envisagés pour la thermo
l’étude in situ du comportement méca- modèles théoriques de physique de la électricité, une méthode de conversion de
nique d’un matériau composite constitué matière condensée. Elles sont très impor- l’énergie thermique en énergie électrique.
d’une poudre d’alliage à mémoire de forme tantes pour la compréhension de la Le contrôle de la fraction de nanocristaux
(NiMnGa) enrobée dans une matrice structure interne des planètes et en As2Te3 dispersés dans la matrice vitreuse
polyuréthane [3]. Avec une machine de particulier de la Terre. Un exemple permet d’ajuster la résistivité électrique du
traction, l’échantillon (un barreau de intéressant, nécessitant l’utilisation de la matériau et donc d’optimiser le rendement
10 mm de long) a été soumis, toutes les diffraction de neutrons, est l’étude sous de ces composites vitrocéramiques dans un
deux secondes, à un étirement et une pression du comportement de l’eau et de dispositif thermoélectrique destiné à
contraction de 0,4 mm. De façon syn- la glace salées. fonctionner dans le domaine intermédiaire
chronisée, 100 diagrammes de diffraction, L’eau, dans la nature, contient des de température (entre 300 et 500 K) [5].
d’une durée de 20 ms chacun, ont été quantités considérables d’ions dissous.
enregistrés pendant chaque cycle. Le Il était admis que les sels – expulsés lors Études de magnétisme
résultat après une heure d’expérience, du gel de l’eau pour former des hydrates, par thermodiffraction
soit 1800 cycles, est l’obtention de 100 coexistant avec de la glace pure – modi- Le suivi en température du diagramme
diagrammes de 36 secondes, ce qui est fiaient peu les propriétés structurales de de diffraction neutronique d’un matériau
suffisant pour l’analyse des données. l’eau à l’état solide. Peu d’études avaient est un excellent moyen de détecter ses
L’étude a permis de montrer que, alors été menées sur les propriétés de l’eau transitions de phases magnétiques.
que la déformation appliquée suivait une salée sous haute pression. Dans une Ainsi, à titre d’exemple, la figure 5a
dépendance temporelle sinusoïdale, la expérience in situ menée sur D20, au présente l’évolution d’une partie du dia-
réponse du matériau (variations des sein d’une cellule de pression refroidie gramme de diffraction neutronique du
III – Perspectives
Conceptions instrumentales pour Parmi les exemples de nouveaux dispo- de caractériser une très large gamme de
sitifs pour l’étude in situ des matériaux, processus physico-chimiques en temps
élargir les possibilités d’études in situ nous développons actuellement sur D1B réel et dans des conditions très proches
Les paramètres primordiaux sont l’inten- une balance thermogravimétrique, des conditions d’exploitation.
sité du faisceau et la résolution. L’accès à transparente aux neutrons, qui permettra Ceci inclut notamment les procédés
une plus forte intensité, tout en conservant d’étudier simultanément en temps réel industriels tels que ceux exploités pour la
une grande résolution, permettra l’étude les modifications de structure et les production du ciment et du béton, ou le
de réactions plus rapides, et l’utilisation variations de masse d’un matériau lors raffinage et la fonderie en métallurgie.
d’échantillons plus petits, notamment d’une réaction solide-gaz. Ce type d’en- Cette démarche garantirait à l’industriel
pour leur étude en conditions extrêmes. vironnement est particulièrement adapté d’acquérir une meilleure connaissance
Les diffractomètres neutroniques sont à l’étude des mécanismes de réactions des procédés qu’il met en œuvre, en vue
conçus pour irradier, avec un maximum d’absorption et de désorption de gaz, de leur amélioration. Les industriels col-
de neutrons, un échantillon dont la hau- d’oxydation ou de réduction, de décom- laborent parfois avec les universitaires,
teur standard est de quelques centimètres. position thermique, etc. souvent par l’intermédiaire du finance-
Les nouveaux matériaux réfléchissant les ment d’un projet de thèse, et c’est l’équipe
neutrons, développés pour la conception Le potentiel des méthodes in situ universitaire qui réalise les expériences
de guides neutroniques, permettent de est sous-exploité par les industriels de diffraction neutronique in situ.
focaliser un faisceau monochromatique Bien qu’ouvrant des potentialités en
sur un volume d’échantillon très petit ; Les expériences in situ demandent de termes financiers (par amélioration des
cependant, cela s’accompagne d’une dété- l’imagination et de l’ingéniosité pour rendements, par exemple), cette piste reste
rioration de la résolution instrumentale. être mises en place, mais elles permettent largement sous-exploitée. ❚
Références
1• Pour une introduction en langue française 2• M. Bianchini, E. Suard et al., J. Phys. Chem. C 118 5• J.B. Vaney, G. Delaizir et al., J. Mater. Chem. A 1
à la diffraction de neutrons, voir les cours des (2014) 25947. (2013) 8190.
écoles thématiques de la Société française 3• J. Feuchtwanger, P. Lázpita et al., J. Phys. Condens. 6• C. Darie, C. Goujon et al., Solid State Sci. 12 (2010)
de neutronique, en particulier Études structurales Matter 20 (2008) 104247. 660.
par diffraction de neutrons (JDN 15, mai 2007) et
Neutrons et matériaux (JDN 10, 2001), publiés par 4• S. Klotz, L.E. Bove et al., Nature Mater. 8 (2009) 7• C.V. Colin, A. Pérez et al., Phys. Rev. B 85 (2012)
EDP Sciences. 405. 224103.
La distribution des électrons Toute la subtilité des interactions Le but de cet article est de montrer que
chimiques, la force des liaisons, la cohésion la détermination expérimentale de la
dans un cristal peut être
des molécules et cristaux se retrouvent densité électronique des électrons a
reconstruite avec une grande dans le faible écart entre distribution atteint un point où il est devenu possible
réelle des électrons dans le cristal et une de modéliser et de séparer leurs contri-
précision au moyen
répartition obtenue par simple addition butions en fonction de leur état de spin,
de la diffraction des rayons X des densités électroniques d’atomes sans grâce à l’utilisation conjointe d’expériences
interactions. Cette grandeur, nommée de diffraction X et de neutrons. À titre
à haute résolution, alors que
« densité électronique de déformation », d’illustration, nous présentons la première
la diffraction des neutrons représente les migrations de charges élec- reconstruction expérimentale d’une
troniques qui ont conduit à l’établissement distribution d’électrons résolue en spin
polarisés en spin permet
des liaisons chimiques. Elle peut être (ρ(r) et ρ(r)) dans un cristal moléculaire
de retrouver la densité obtenue par la diffraction des rayons X à magnétique.
haute résolution.
d’aimantation. Bien que
les grandeurs ainsi mesurées
Lorsqu’on s’intéresse en plus aux pro-
priétés magnétiques, il faut non seulement
Les rayons X, la charge
connaître la répartition spatiale des et le modèle de pseudo-atomes
soient toutes deux une électrons mais aussi leur état de spin qui
traduction du comportement conditionne l’orientation du moment La diffraction des rayons X (DRX) donne
magnétique associé. Or, suite au principe un accès – partiel – aux coefficients de
des électrons, ces deux types de Pauli, les contributions magnétiques des Fourier de la distribution des électrons
d’expérience de diffusion électrons appariés dans une même orbitale dans le cristal. Ces coefficients sont
s’annulent deux à deux et, sur une grande appelés « facteurs de structure » et notés
sont de nos jours interprétées assemblée d’électrons dans une molécule F eDRX(H), où les vecteurs H, de
par des modèles différents. ou une maille cristalline, seuls des électrons coordonnées entières, décrivent le réseau
« isolés », dits « non appariés », vont réciproque du cristal. La distribution des
Nous retraçons ici les étapes pouvoir apporter une contribution utile électrons est ensuite reconstruite à l’aide
aux propriétés magnétiques. Ce sont donc d’un modèle, le plus populaire étant
ayant conduit à la première ces électrons particuliers qui doivent être celui des « pseudo-atomes déformés »
détermination expérimentale étudiés préférentiellement pour comprendre proposé par Hansen et Coppens en
les mécanismes à l’origine du magnétisme 1978 [1]. Ce modèle exprime la densité
de la densité d’électrons de spin. Pour avoir accès à ces propriétés, électronique du cristal comme une
résolue en spin, on utilise la diffraction de neutrons somme de densités centrées sur chaque
polarisés qui permet de reconstruire la noyau (« pseudo-atomes »), qui tient
par un traitement combiné densité de spin : s(r) = ρ(r) - ρ(r), compte des transferts de charges et des
des données de diffraction sachant que la diffraction des rayons X déformations de la densité électronique
donne accès à la densité électronique : de valence.
de rayons X et de neutrons ρ(r) = ρ(r) + ρ(r), où ρ(r) et ρ(r) Pour chacun de ces pseudo-atomes, il
polarisés. sont les densités de présence respectives convient donc de proposer une forme
des électrons de spin (dit majoritaire) et analytique de la densité électronique qui
de spin (dit minoritaire). possède suffisamment de degrés de
© CEA/IRAMIS.
liberté pour prendre en compte toutes Ce modèle possède ainsi un certain densité de spin s(r) :
(val.),
les informations apportées par les facteurs
Reflets n°44-45, équations de l’article de M. Deutsch et al. de paramètres {κi,κ’i}, {Pi
nombre 1
de structure. L’écart à l’isotropie, i.e. la Pi,l,m±}, qui sont alors déterminés pour s(r) = FMDNP (H) exp( H. r)
V H
dépendance angulaire de la contribution avoir le modèle de densité totale le plus
d’un s(r) = V 1 H FMDNP
pseudo-atome, est(H)alorsexp(pris en H. charge
r) fidèle possible à l’information fournie par Cette densité peut être positive ou néga-
par un développement sur un nombre l’ensemble des facteurs de structure tive selon la direction résultante des spins
limité de fonctions angulaires nommées mesurés [2]. locaux
pseudo
i (r) ou
(↑ = icore ↓)(r)+parPi rapport
(val.) 3 (val.)
i i ( i r)spin
au
l
« harmoniques sphériques réelles », majoritaire ↑.
1 'i3 Ri,l(val.) ( 'des
i r) rayons yl,m±est( ,main-
Pi,l,m± X )
s(r) = À chaque
yl,m±(θ,ϕ).
V
FMDNP (H) atome H. r)
exp(correspond Les neutrons polarisés et le spin Si+la diffraction
l m=0
un repère local H cartésien prédéfini en tenant bien établie comme mode privilégié
fonction de la symétrie atomique, sur lequel La diffraction d’un faisceau de neutrons de détermination de la densité de charge
i
pseudo
(r) = icore (r)+ Pi (val.) i3 i(val.) ( i r)
sont exprimés les harmoniques sphériques. par un monocristal résulte de deux inter- électronique dans les cristaux, en revanche
pseudo
(r) = icore (r)+
Pari conséquent, Pi (val.) i3 i(val.) (globale
la contribution i r) actions : celle des neutrons avec les noyaux la nécessité
l
d’une meilleure compréhen-
+ 'i3 Ri,l(val.) ( 'i r) Pi,l,m± yl,m± ( , )
d’un pseudo-atome i à
l la distribution de atomiques, et l’interaction magnétique sion ldes mécanismes responsables du
+
densité 'i3 Ri,l(val.)le( 'modèle
dans i r) Pi,l,m±
de yl,m± ( , ) et entre les moments magnétiques des
Hansen
m=0
magnétisme a encouragé le développement
l
Coppens s’écrit [1] : m=0 neutrons et ceux des électrons non appariés d’une approche similaire pour reconstruire
dans le cristal. L’intensité diffractée pour la distribution (r) = d’aimantation
(r)+ Pi val i3 auval moyen
i ( i r)
pseudo core
i
pseudo
(r) = i (r)+ Picore (val.) 3 (val.)
i i ( i r) chaque type d’interaction fait intervenir le
i
de la diffraction de neutrons
i
polarisés en
l
l
facteur de structure relatif à l’arrangement spin +(DNP) val
( 'i r) Pi,l,m± yl,m± ( , )
'i3 Ri,l[3].
+ 'i3 Ri,l(val.) ( 'i r) Pi,l,m± yl,m± ( , ) l
l m=0
périodique, respectivement celui des La diffraction dem=0neutrons polarisés
noyaux (FN) caractérisés par une longueur nécessite de placer l’échantillon parama-
Le premier terme représente la contri- de diffusion nucléaire bN et celui des gnétique dans un fort champ magnétique
butionpseudodes (r)électrons
= core (r)+dits Pi val « i3 de
val cœur », moments magnétiques électroniques (FM) (jusqu’à 7 tesla au Laboratoire Léon
i i ( i r)
c’est-à-dire ceuxi quil sont les plus liés au autour de chaque noyau (voir encadré 1). Brillouin), de manière à orienter tous les
noyau+ et'i3qui, Ri,lval ( de 'i r)ce fait, yl,m± (supposés
Pi,l,m±sont , ) Dans le cas d’un composé paramagnétique moments magnétiques le long d’une
n’intervenir que de m=0
l
manière négligeable comme ceux que nous avons étudiés, les direction privilégiée, choisie verticale
dans la redistribution au moment de la moments magnétiques électroniques (encadré 1). La mesure de diffraction est
création des liaisons chimiques. Le sont alignés sous l’action d’un champ alors similaire à celle conduite avec des
deuxième terme décrit les électrons de magnétique extérieur. Leur distribution rayons X, à une nuance près : pour chaque
valence (dont le nombre effectif Pi(val.) dans la maille correspond à une grandeur réflexion de Bragg, les intensités I et I
conduit à une connaissance de la charge vectorielle, la densité d’aimantation m(r), correspondant aux neutrons incidents
du pseudo-atome i) et intègre les effets qui est liée à la densité d’électrons non polarisés verticalement vers le haut () ou
moyens de contraction/expansion du appariés s(r) par la relation m(r) = μ s(r), vers le bas () sont collectées séparément.
nuage (κi). Le dernier terme rend compte où μ est un vecteur unitaire orienté C’est le rapport R(H) = I(H)/I(H) –
des déformations angulaires, en particulier selon la direction résultante des moments nommé « rapport de flipping » – des deux
pour décrire l’ensemble des phénomènes magnétiques dans le cristal. De même signaux mesurés pour chaque vecteur H
de polarisation des régions atomiques que les facteurs de structure électronique du réseau réciproque, qui est exploité et
sous l’effet des champs électriques créés FeDRX(H) sont les composantes de qui permet de déterminer avec une
par les atomes environnants. Pi,l,m± est la Fourier de la densité électronique ρ(r), grande sensibilité les facteurs de structure
population de l’harmonique sphérique les facteurs de structure magnétique magnétique FMDNP(H). La DNP est donc
yl,m±, pour le pseudo-atome i. FMDNP(H) sont les composantes de la la méthode de choix pour déterminer les
>>>
Reflets de la Physique n° 44-45 63
4Diffraction de neutrons polarisés encadré 1 De la nécessité de marier
L’une des principales difficultés de la détermination expérimentale des facteurs de les techniques pour atteindre
structure magnétique (FMDNP) pour un composé paramagnétique sous champ réside une distribution électronique
dans la séparation des signaux nucléaire et magnétique qui contribuent à l’intensité I
des mêmes raies de Bragg. Pour un faisceau de neutrons non polarisés, I ∝ (FN2 + FM2),
résolue en spin
sachant que FM << FN pour des composés faiblement magnétiques.
L’intérêt d’utiliser un faisceau de neutrons polarisés consiste à tirer profit, dans l’expression De ce qui précède, il apparaît clairement
de l’intensité diffractée I↑,↓ ∝ |FN ± FM|2, de l’existence d’un terme croisé ± 2 FN FM que les méthodes DRX et DNP sont
dont le signe varie en fonction de la direction de polarisation incidente (↑ ou ↓). complémentaires : la diffraction des
La grandeur expérimentale, qui est le rapport de flipping mesuré pour chaque raie de rayons X permet une reconstruction de
Bragg, contient alors un terme linéaire en FM/FN, d’où la sensibilité accrue de cette la distribution de tous les électrons – la
technique : R(H) = I↑(H)/I↓(H) = [(FN+FM)/(FN-FM)]2 ≅ 1 + 4 FM/FN. densité de charge – ρ(r), tandis que la
Le schéma du diffractomètre à neutrons polarisés 5C1 du Laboratoire Léon Brillouin, sur
DNP contient des informations qui
lequel ont été effectuées les expériences décrites dans cet article, est montré sur la figure E1.
donnent accès à la distribution des électrons
non appariés responsables du magnétisme
– la densité de spin – s(r). Ces deux
quantités peuvent être exprimées en
Détecteur
bidimensionnel 80°x25° termes de densités d’électrons résolues en
spin, ρ(r) et ρ(r), et inversement :
Monochromateur 2 ρ(r) = ρ(r) + s(r), et 2 ρ(r) = ρ(r) - s(r).
polarisant L’analyse combinée des expériences de
Flipper haut
diffraction de rayons X à haute résolution
et de neutrons polarisés donne donc un
accès unique à des densités électroniques
bas
Aimant résolues en spin pour des cristaux ayant
des propriétés magnétiques intéressantes.
E1. La polarisation des moments magnétiques des neutrons est réalisée par diffraction du faisceau par un Cependant, aucune analyse combinée
monochromateur polarisant (cristal ferromagnétique de CuMnAl), qui ne diffracte qu’un seul état de spin réussie n’a été rapportée jusqu’à ce jour.
pour la raie (111), pour laquelle on a FM = - FN. La direction de polarisation du faisceau incident de neutrons
On devine qu’une raison essentielle réside
selon la verticale est alternée grâce à un flipper, dispositif constitué d’un électro-aimant et d’une plaque
dans la conjonction de deux obstacles
supraconductrice. L’échantillon monocristallin est placé dans un aimant supraconducteur permettant
d’appliquer un champ magnétique vertical de 7 teslas, à une température minimale de 1,5 K. Les intensités majeurs : l’absence d’un modèle commun
diffractées pour les deux états initiaux (↑) et (↓), dans la direction de polarisation du faisceau de du comportement des électrons et la
neutrons incident sont collectées grâce à un détecteur bidimensionnel d’ouverture 25°× 80°. difficulté de trouver une juste pondération
entre les jeux de données issus des
différentes expériences.
>>>
régions de la maille cristalline où une D’autre part, le domaine de l’espace réci- Le modèle spin-split
différence de spin électronique existe et
comment elle est distribuée.
proque exploré est limité en raison de
l’encombrement autour de l’échantillon,
et son affinement joint
Comme, hélas, il y a de moins en lié à la présence d’un électro-aimant. L’exploitation simultanée des données
moins de sources de neutrons et que la Une contrainte additionnelle est que la issues de la diffraction des rayons X à
collecte des intensités diffractées est plus précision expérimentale des rapports de haute résolution et de celle des neutrons
longue que son équivalent avec des flipping est conditionnée à l’existence polarisés, a conduit à modifier le modèle
rayons X, les contraintes d’une collection d’une forte intensité de la réflexion de de Hansen et Coppens pour obtenir une
de données par DNP sont plus fortes que Bragg provenant de la contribution (non forme adaptée à une description résolue
par DRX. Cependant, à la différence de magnétique) des noyaux. Il en résulte en spin. Dans ce nouveau modèle, les sites
cette dernière qui met en jeu tous les que tout l’espace réciproque ne peut atomiques pour lesquels on est fondé à
électrons, qu’ils soient de cœur ou de alors être exploré. Ainsi, dans l’exemple attribuer un comportement magnétique,
valence, les facteurs de structure magné- reporté dans cet article, environ 20% sont décrits – dans leur composante de
tiques ne contiennent que la contribution seulement des réflexions dans le domaine valence – par un double pseudo-atome,
d’électrons non appariés situés sur des Hmax ≤ 0,5 Å-1 sont mesurées par DNP chacun décrivant les électrons associés à
couches de valence. Il n’est alors pas alors que plus de 98% des raies sont un état de spin particulier (modèle spin-split).
nécessaire d’explorer un aussi large collectées par DRX dans ce même Dans la mesure où, finalement, dans
domaine de vecteurs H. Ainsi, la DNP domaine. une molécule un nombre restreint de
est généralement limitée au domaine sites atomiques possèdent une densité
des vecteurs du réseau réciproque pour En dépit de ces difficultés, la DNP est une significative d’électrons non appariés, le
lesquels une contribution magnétique méthode unique pour visualiser la densité nombre de paramètres du modèle ne se
significative est attendue, soit Hmax ≤ 0,5 Å-1 de spin (voir section suivante) et comprendre trouve que modérément augmenté par
pour les métaux de transition porteurs les mécanismes d’interaction magnétique rapport au modèle habituel de densité de
d’électrons non appariés sur la couche 3d. dans les cristaux [4]. charge.
Une analyse topologique de la densité autour des noyaux de cuivre, consécutive Références
électronique résolue en spin a également à la formation des liaisons chimiques. 1• N.K. Hansen et P. Coppens, “Testing aspherical
été réalisée suivant l’approche “Atoms in Pour la première fois, le modèle de la atom refinements on small-molecule data sets”
Molécules” [11]. Un bon accord entre la densité électronique résolu en spin apporte Acta Cryst. A 34 (1978) 909-921.
théorie et l’expérience est observé. Par la confirmation expérimentale d’une 2• C. Gatti et P. Macchi (eds.), Modern Charge Density
exemple, les charges nettes obtenues en contraction/expansion des distributions Analysis, Springer (2012).
intégrant les distributions des électrons radiales des électrons périphériques 3• P.J. Brown et al., “Spin densities in free radicals”
de spin majoritaires et minoritaires sur les dépendant des états de spin. La très grande J. Magn. Magn. Mater. 14 (1979) 289.
bassins atomiques du cuivre (i.e. volume similitude, même au niveau de l’analyse
4• Y. Pontillon et al., “Experimental Spin Density in
effectif de l’atome en interaction avec ses topologique, entre cette reconstruction a Purely Organic Free Radical: Visualisation of the
voisins) (tableau 1) montrent que si, expérimentale et celle obtenue suivant une Ferromagnetic Exchange Pathway in p-(Methylthio)
expérimentalement, on observe un excès méthode de calcul quantique ab initio, phenyl Nitronyl Nitroxide, Nit(SMe)Ph” Chem. Eur. J.,
de 0,78 électron de spin majoritaire (), conforte ces deux approches. Un tel accord 5 (1999) 3616-3624.
cette différence est par DFT de 0,63. Les permet d’explorer théoriquement par 5• B. Bell et al., “A relative weighting method for
mêmes tendances (mais avec un décalage DFT des molécules et complexes qui ne estimating parameters and variances in multiple
en valeur absolue plus net) se retrouvent peuvent être facilement cristallisés ou data sets” Comp. Stat. and Data Anal., 22 (1996)
sur les moments dipolaires attribués aux étudiés expérimentalement. 119-135.
sites métalliques. En définitive, cette première étude montre 6• J.-M. Gillet et al., “Joint refinement of a local
qu’il est maintenant possible d’accéder wave-function model from Compton and Bragg
Conclusion et perspectives expérimentalement aux densités d’électrons scattering data” Phys. Rev. B 63 (2001) 235115.
selon leurs états de spin, ce que les méthodes 7• C. Aronica et al., Chem. Eur. J., 13 (2007) 3666-
Il ressort de cette étude que la stratégie standard monotechniques qui prévalaient 3674.
d’affinement joint à partir de données issues jusque-là ne permettaient pas. La méthode 8• M. Deutsch et al., “First spin resolved electron
des diffractions des rayons X à haute d’affinement multiple peut être appliquée distributions in crystals from combined polarized
résolution, des neutrons et des neutrons à n’importe quel matériau cristallin neutron and X-ray diffraction experiments” IUCrJ., 1
polarisés, permet, grâce au modèle spin-split, magnétique, minéral ou organique. Dans (2014) 194-199.
de reproduire précisément les caractéris- une perspective plus large, cette méthode 9• R.E. Watson et A.J. Freeman, “Crystalline Field and
tiques de la distribution de probabilité de ouvre la voie à la combinaison de diffé- Spin Polarization Effects on Electron Densities and
présence des électrons en tenant compte rentes expériences de diffusion, qui Magnetic Form Factors” Phys. Rev. 120 (1960) 1134-1141.
de leur état de spin. On montre, dans mèneront à une description plus précise 10• P.J. Becker et P. Coppens, “About the simulta-
l’exemple choisi, qu’il est alors possible de et fiable du comportement électronique neous interpretation of charge and spin density
dans les solides cristallins (diffraction data” Acta Cryst. A 41 (1985) 177-182.
distinguer les différences de comportement
des électrons de spin majoritaire et mino- magnétique des rayons X, diffusion 11• R.W.F. Bader, Atoms in Molecules. A Quantum
ritaire dans leur redistribution spatiale Compton magnétique...). ❚ Theory, Oxford University Press (1990).
L’instrument de microscopie
à rayons X présenté, ouvert
© Odile Robach - CEA.
Schéma de la ligne de lumière BM32 de l’ESRF (Grenoble). De droite à gauche, dans la direction du faisceau de rayons X incident : atténuateur du faisceau et
fentes de collimation ; miroir focalisant n°1 ; monochromateur ; miroir focalisant n°2 ; fentes de collimation micrométriques.
par rapport à l’EBSD est que les isolants angles de diffraction correspondant à de la maille cristallographique : deux
peuvent être aussi bien étudiés que les chaque tache composant le diagramme rapports de longueurs (b/a, c/a) et les
métaux. Enfin, si la qualité cristalline est de Laue enregistré sur un détecteur plan. trois angles (α, β, γ). Le dernier et
suffisante (faible densité de défauts La position et l’orientation du détecteur sixième paramètre correspond au volume
correspondant à des taches de diffraction par rapport à l’échantillon et à la direction de la maille. Il n’est pas directement
circulaires), l’état de déformation de la du faisceau incident sont déterminées à accessible à partir du diagramme de Laue,
maille cristalline par rapport à une maille l’aide du diagramme de Laue d’un cristal mais il suffit de mesurer précisément
de référence théorique ou expérimentale non déformé connu (par exemple un l’énergie des photons qui contribuent à
peut être évalué grâce à l’analyse des “wafer” de germanium). une tache de Laue. Pour cela, on balaye
diagrammes de Laue. La géométrie de Dans le cas où le faisceau incident finement l’angle d’un monochromateur
mesure expérimentale (déplacement du traverse un seul grain, la position absolue (lame de diamant) fonctionnant en
faisceau), comparée à l’EBSD, est très des taches de diffraction est directement transmission, préalablement calibré et
bien contrôlée (mais au prix de mesures reliée à l’orientation du cristal (fig. 1). inséré sur le trajet des rayons X, autour
plus longues) et permet d’atteindre L’indexation du diagramme fournit la d’une valeur prédite par l’indexation du
une précision relative de l’ordre du correspondance entre chaque tache et une diagramme de Laue avec une maille
dix-millième sur les composantes du direction du réseau réciproque (donnée élémentaire du même matériau non
tenseur de déformation. par les indices de Miller nh, nk, nl). La déformé. Ceci permet au cristallographe
La précision des informations structurales mesure fine des écartements angulaires d’obtenir simultanément la totalité des six
obtenues par microdiffraction Laue entre taches permet ensuite de déterminer paramètres de maille, et au mécanicien
repose directement sur la mesure des l’orientation et cinq des six paramètres d’en déduire le tenseur complet des
déformations, puis celui des contraintes à
partir des valeurs des constantes élastiques
Détecteur CCD du matériau étudié. Pour les grains situés
en surface, la détermination du tenseur
Grain 1 complet des contraintes peut même être
accélérée sans mesures d’énergie, en
Grain 2 combinant le tenseur déviatorique des
Faisceau blanc
déformations et l’hypothèse mécanique
de surface libre à contrainte normale nulle.
Grâce au pouvoir de pénétration des
rayons X, il est fréquent de sonder
plusieurs cristaux présents sur le trajet du
faisceau incident, ce qui engendre une
1. Principe de la microdiffraction Laue. Un faisceau blanc microfocalisé illumine un polycristal, produisant superposition de diagrammes de Laue.
un grand nombre de taches sur un détecteur plan CCD. L’image enregistrée (à gauche de la figure) est formée Plusieurs cristaux peuvent ainsi être
par la superposition des diagrammes de Laue correspondant à chaque grain traversé par le faisceau incident. indexés. La position de chacun d’eux en
Chaque faisceau diffracté possède une énergie (donc une longueur d’onde) propre et provient de la réflexion profondeur peut être obtenue par le
de Bragg sur les plans réticulaires (h,k,l) d’un grain. masquage de plusieurs faisceaux diffractés
>>>
Reflets de la Physique n° 44-45 69
400 >>>
par un fil absorbant mobile proche de la
surface. Dans le cas de grains épais, cette
111
300 méthode fournit aussi les profils de varia-
tion de l’orientation et de la déformation
G3 G2 avec la profondeur, donnant accès aux
X (μm)
200
gradients de ces quantités.
G4
100
G1 001
Code couleurs
101
Applications
Un microdiffractomètre Laue est donc un
0
-400 -300 -200 -100 microscope à rayons X muni d’un mode
Y (μm) de balayage de l’échantillon, permettant de
réaliser de la diffraction sur monocristaux
2. Cartographie d’orientations des grains dans un polycristal de CdTe (champ de 400 × 400 μm2).
En chaque point est représentée l’orientation du premier grain reconnu par l’indexation automatique. résolue spatialement. Il est possible de
Les couleurs indiquent l’orientation des plans cristallins parallèles à la surface de l’échantillon, selon le code sélectionner des grains d’intérêt et de
couleurs de l’image de droite. La majorité des grains sont orientés avec les plans (111) parallèles à la surface. s’affranchir des effets de moyenne lorsque
la taille de la sonde est très supérieure à
celle des grains.
On peut, par exemple, étudier la relation
2
G1 entre les propriétés structurales des grains
Rx 1 et leur orientation, déterminer la texture
G3 G2 cristalline en fonction de la position du
0
grain dans le matériau, ou obtenir la
G4 G2 distribution d’orientation d’une assemblée
G1 -1
Rx de grains. De plus, aucune connaissance
-2 préalable de l’orientation ni aucun pré-
a 100 μm Angle (mrad) réglage de celle-ci ne sont requis pour
G3
y Ry déterminer les grandeurs structurales
locales, à la différence de la diffraction
conventionnelle en faisceau monochro-
G4 matique, ce qui facilite l’étude de matériaux
x
G1 G1’ Rz c complexes, réels ou encapsulés.
b Ainsi, les informations provenant des
Déformation (0,1%) mesures de microdiffraction Laue
-0,4 -0,2 0,0 0,2 0,4 apportent des éléments de compréhension
et de contrôle dans de multiples disciplines
3. Cartographies obtenues sur le polycristal de CdTe de la figure 2. (a) Rendement de courant
induit par faisceau d’électrons (EBIC), montrant des régions sombres à fort rendement électronique [2]. scientifiques : métallurgie des alliages
(b) Composante locale de cisaillement xy du déviateur des déformations (échelle de couleur en unité 0,1%) polycristallins (cartographie à l’échelle
dans deux grains superposés, G1 et sa macle G1’, indexés séparément. (c) Déviation angulaire (mrad) par microscopique du champ de déformation/
rapport à l’orientation moyenne du grain (pour les quatre grains G1, G2, G3 et G4 étudiés), donnée pour contrainte pour comprendre le compor-
chaque composante de rotation autour des axes X, Y, Z (X, Y dans le plan de la surface de l’échantillon). tement mécanique macroscopique),
échantillons du patrimoine culturel
{110} {110} Modèle Modèle (identification de phases), matériaux
{111} {111} pour l’énergie ou la microélectronique
Déformation
Déformation
(%) (%) (mesures des contraintes pour la fiabilité
1,1 1,1 après élaboration du matériau et en
0,97 0,97 fonctionnement). Des expériences in situ
422 422 0,89 0,89
peuvent être menées : suivi de l’évolution
311 311
331
0,81
331
0,81 des orientations au sein d’une piste en
0,73 0,73
531 531 cuivre dans un microcircuit de cuivre en
5 μm 5 μm 0,65 0,65
620 420620 420 fonction de la température ou de la
{100} {100} {110} {110} densité de courant le traversant (électro-
a Mesure de
Mesure
microdiffraction
de microdiffraction
de RX de RX
b migration), apparition réversible d’une
nouvelle phase métallique dans un alliage
4. Déformation de la surface d’un polycristal d’UO2 implanté à l’hélium. (a) Image de la surface du
polycristal, obtenue à l’aide d’un microscope optique, permettant de sélectionner les points où les clichés de Laue
superélastique à mémoire de forme en
seront mesurés. (b) Intensité de la déformation normale à la surface du polycristal de la figure (a), en fonction cours de traction, localisation et nature des
de l’orientation des plans cristallins parallèles à cette surface (en projection stéréographique inverse). Le niveau défauts cristallins (dislocations, macles...)
de déformation obtenu en chaque point noir (correspondant au résultat du raffinement de l’orientation et lors d’un test mécanique (compression,
de la déformation d’un grain) a été lissé (triangle inférieur) pour être comparé à celui issu du modèle (triangle traction ou flexion) sur un micropilier, près
supérieur) [3], grâce à un échantillon de plusieurs centaines de grains indexés automatiquement. d’un joint de grain ou dans un polycristal...
Image obtenue par diffraction des électrons rétrodiffusés (EBSD) d’une fissure (en noir) développée par fluage, et de la microstructure environnante, dans un acier
ferritique à 9-12% de chrome. Source : Lab. of Microstructure and Interface Control and Engineering, Kumamoto University, Japon.
Étudier les propriétés
dynamiques des dislocations
pour prédire la déformation
plastique des cristaux
Benoît Devincre ([email protected])
Laboratoire d’Étude des Microstructures, UMR104 CNRS-ONERA, 29 avenue de la division Leclerc, 92322 Chatillon Cedex
Quand un solide cristallin Ces vingt dernières années, la recherche leurs propriétés collectives. C’est pour-
en science des matériaux a bénéficié du quoi les simulations de dynamique des
est martelé ou plié, il peut développement rapide de nouvelles dislocations (DD) sont maintenant un
se déformer de manière formes de modélisations numériques : les passage obligé des études « multi-échelles »
simulations mésoscopiques. La finalité de la plasticité [1].
irréversible. Cette plasticité des études utilisant ces modèles est Les principes de base des simulations de
des cristaux est essentielle, presque toujours la même : il s’agit de DD sont les suivants. L’objet élémentaire est
construire le lien entre un phénomène ici la dislocation individuelle, représentée
car elle permet, d’une part, élémentaire à l’échelle microscopique, ici d’une manière simplifiée dans un conti-
la transformation de lingots la mobilité d’une dislocation, et l’influence nuum élastique. Les lignes de dislocations
globale d’une assemblée de dislocations sont discrétisées en segments élémentaires,
métalliques en éléments sur les propriétés du matériau massif. souvent disposés sur un réseau de simu-
de structure de formes Ce lien, comblant le fossé énorme lation de même symétrie que le matériau
existant entre modèles microscopiques et cristallin. Le déplacement des dislocations
très diverses et, d’autre part, macroscopiques, est assuré pour l’essentiel se fait par sauts discrets dans le continuum
une déformation douce par les techniques de simulations méso élastique et dans des directions imposées
scopiques (aux échelles se situant entre le par les symétries du cristal. Les propriétés
des matériaux de structure nanomètre et le micron). élastiques des dislocations (forces d’inter
soumis à une surcharge, Les modèles microscopiques de la plas- actions, tension de ligne, sollicitations
ticité cristalline sont souvent limités aux mécaniques) sont décrites dans le cadre de
évitant ainsi leur rupture seuls aspects atomiques. Ils s’intéressent la théorie élastique [2]. Leurs propriétés
brutale. Bien que l’origine généralement aux propriétés élémentaires de « cœur » (c.f. encadré 1), qui sont
des dislocations et, à quelques exceptions activées thermiquement, sont modélisées
microscopique de la plasticité près, n’ont pas de caractère prédictif sur avec des règles locales de simulation
cristalline, i.e. les dislocations, le comportement global du matériau. décrivant des processus aléatoires thermo
À l’opposé, les modèles macroscopiques mécaniques intervenant à l’échelle
ait été découverte s’articulent autour de la mécanique des atomique. Finalement, l’aire balayée par
il y a plusieurs décennies, milieux continus qui, certes, fournit aux les dislocations après chaque incrément
ingénieurs une description quantitative de simulation nous renseigne sur la
sa modélisation reste un défi de la plasticité, mais reste bien souvent déformation plastique produite dans le
important de la physique. phénoménologique et n’inclut ni les volume simulé.
fluctuations spatiales induites par les Parmi les différents aspects de la plasti-
Des avancées significatives microstructures de dislocations ni les cité cristalline encore mal compris, la
ont cependant été réalisées longueurs d’échelle associées à ces question de l’écrouissage plastique (c’est-
dernières. Concilier ces deux approches à-dire l’augmentation progressive de la
ces dernières années, ne peut venir que d’une description de la force qu’il faut exercer sur un cristal
en particulier grâce au plasticité à une échelle intermédiaire, pour en poursuivre la déformation
dite mésoscopique. À cette échelle, on plastique), en relation avec la formation
développement de simulations considère une densité de dislocations de microstructures de dislocations, est un
dites mésoscopiques. suffisamment importante pour étudier point délicat. En effet, si des modèles
>>>
74 Reflets de la Physique n° 44-45
4Cristaux imparfaits ou « exotiques »
b
Représentation schématique d’une dislocation formée dans un réseau cubique, avec un cisaillement d’amplitude et de
direction définies par le vecteur b (le vecteur de Burgers). La ligne de dislocation représentée par la courbe noire délimite la
frontière entre les parties du cristal cisaillée et non cisaillée. Le cisaillement appliqué se manifeste par la formation d’une marche
atomique (partie hachurée) en bas et à droite du schéma. Les cercles vides sont les atomes juste au-dessus du plan de coupe et les plus
petits points sont les atomes juste en dessous. (D’après W.T. Read, Jr., Dislocations in crystals, McGraw-Hill, 1953.)
De nombreux phénomènes physiques comme les glissements de terrain ou les feux de On sait maintenant que les avalanches
forêt, se manifestent par une complexité structurelle et dynamique importante à partir de de dislocations sont distribuées en loi de
lois physiques simples s’exerçant à l’échelle élémentaire. S’il n’existe pas encore de puissance, avec un exposant critique
définition générale de la complexité en physique, celle-ci se caractérise souvent sous la constant d’environ 1,5. Le caractère uni-
forme d’une invariance d’échelle. En effet, les structures complexes étudiées à différents versel de cet exposant a été vérifié aussi
niveaux de grossissement semblent souvent autosimilaires, c’est-à-dire indépendantes de bien dans des matériaux massifs (figs 2a-b)
l’échelle d’observation. Mathématiquement, cette invariance d’échelle est révélée à que dans des échantillons de dimensions
l’aide de lois de puissance de la forme P(X) = X-β, avec P(X) la densité de probabilité submicroniques. Dans tous les cas, chaque
d’une quantité observable X, et β un exposant d’échelle relié à la dimension fractale du
incrément de déformation plastique
phénomène étudié.
représentant un événement élémentaire
L’existence d’une invariance d’échelle dans un domaine spatial et/ou temporel large des distributions de la figure 2b est amorcé
implique que la complexité mesurée résulte en réalité d’un seul mécanisme critique par la destruction d’une des jonctions
contrôlant la structure du phénomène à toutes les échelles. De plus, une propriété interconnectant, en réseau tridimensionnel,
commune de ces systèmes est qu’ils peuvent s’organiser spontanément par étapes
les dislocations dans le cristal. La destruction
intermittentes. Lors d’une sollicitation faible, l’énergie donnée au système s’accumule
jusqu’au déclenchement d’un phénomène discret permettant la dissipation rapide d’une
de cette jonction permet la libération d’une
grande partie de l’énergie accumulée. On désigne généralement ces phénomènes de petite section de dislocation mobile qui,
relaxation comme étant des « avalanches ». via les interconnexions entre dislocations
ou (dans une plus faible mesure) des
interactions élastiques sans contact, va à
son tour libérer un nombre imprévisible
>>> d’autres segments de dislocations. Chaque
anciens [2] permettent par exemple de phénomènes est cependant essentielle, avalanche induit alors une augmentation
calculer le seuil de déformation plastique puisqu’ils gouvernent intimement de la densité de dislocations contenues
des métaux pour un état cristallin donné l’évolution des propriétés mécaniques du dans le cristal, par l’extension de la
(essentiellement fixé par la densité des matériau et de son endommagement en longueur des lignes mobiles en cours de
dislocations), les mécanismes responsables cours de déformation. L’apport des déplacement (fig. 3). Finalement, un
de la formation d’une microstructure de simulations mésoscopiques est ici crucial incrément de déformation se termine par
dislocations organisée (fig. 1a) et la car elles permettent de reproduire, à un découpage des dislocations mobiles
diminution de sa taille caractéristique en l’échelle d’un petit volume de matière, en plus petits segments accrochés au
cours de déformation restent un sujet de toute la complexité des microstructures réseau 3D de dislocations immobiles
controverses. La modélisation de ces de dislocations (fig. 1b). obstruant leurs déplacements. La force
10
η = -1,6
microstructures organisées. 0
invariance d’échelle, avec un exposant η
Il faut alors noter que la constance de -5
remarquablement constant sur un domaine
10
l’exposant critique des distributions borné généralement par la sensibilité des
d’avalanches de dislocations observée -5 moyens expérimentaux d’un côté et les
-10
pendant la déformation plastique d’un 0 2 4 6 8 dimensions du cristal aux grandes tailles
matériau peut être interprétée comme Log (E)
10 a d’avalanches.
une signature de sa bonne « santé », i.e. -10 (a) Distributions de l’énergie d’émission
107 0 2 4 6 8
une indication de la conservation de son Log (E)
10
acoustique (proportionnelle à la déformation
106
intégrité. Sortir du domaine d’invariance η = -1,6 plastique) mesurées dans des monocristaux
1075
d’échelle des avalanches, par exemple en massifs de glace en cours de déformation
10 (M.-C. Miguel et al., Nature, 410 (2001) 667).
4
fin de déformation plastique, nous 106
η = -1,6
P(Δγp)
et durcissement plastique 10 -1
[111]
[111]
10-7 10-6 10-5 10-4 10-3
Δγp
Le durcissement plastique des matériaux b
est une propriété définie à l’échelle
globale des essais mécaniques ; il suppose
y
une variation continue de la déformation yy
zz
z
x 1 μm
et de la densité de dislocations dans le xx 11μm
μm
cristal. C’est donc, par définition, un
concept physique mal [111]
adapté à l’échelle [111]
[111]
des avalanches de dislocations. Une [111]
[111]
[111]
reformulation de ce phénomène nécessite
alors l’intégration d’un grand nombre
d’événements discrets observés dans les
microstructures de dislocations, pour
concevoir une théorie y continue de la yy
zz
plasticité cristalline
x : zici, les simulations xx a 11μm
μm b c
1 μm
mésoscopiques sont un outil précieux
qui permet d’obtenir numériquement, à
l’échelle d’un volume élémentaire
représentatif, ces valeurs moyennes qui
caractérisent les propriétés collectives des
dislocations. Par exemple, les simulations
permettent de calculer le libre parcours
moyen des dislocations, concept statistique
qui définit le taux d’accumulation des
d e f
dislocations pendant la déformation d’un
matériau [4]. En accord avec les processus
d’avalanches décrits plus haut, il devient 3. Avalanches de dislocations.
clair que le libre parcours moyen des Simulation par dynamique des dislocations de la déformation plastique d’un volume de cuivre monocristallin
dislocations dépend de trois paramètres ; contenant une grande densité de dislocations (a). On extrait de ce volume une tranche d’épaisseur 0,05 μm
au centre, et de direction normale {111} (b). Les dislocations se déplaçant dans la tranche sont tracées en rouge
i) la force motrice exercée sur les dislo-
et celles la traversant sont en vert. Sur ces images réalisées avec des intervalles de temps espacés de 0,1 μs (c-e),
cations pour les déplacer, ii) la longueur
on voit que la distribution de dislocations dans le plan central de la tranche est essentiellement immobile en
moyenne l0 des segments de dislocation cours de déformation. De temps à autre, on observe l’extension rapide d’un segment (flèche jaune sur la
immobilisés sur chaque jonction de la figure c). Ce segment de dislocation se déplace ensuite en interagissant avec le réseau 3D de dislocations
microstructure, et iii) P0, le taux de succès obstruant sa trajectoire (d-e). Après une aire balayée plus ou moins grande, l’avalanche de dislocations
de formation d’une jonction à chaque s’arrête dans des enchevêtrements de dislocations formant des parois de plus en plus difficiles à franchir. La
fois que deux lignes de dislocations se microstructure de dislocation se formant progressivement (ici, après plusieurs milliers d’avalanches) est
croisent. Le calcul de ces quantités avec montrée en (f), en visualisant les 0,05 μm d’épaisseur de la tranche.
>>>
Reflets de la Physique n° 44-45 77
1000 0,3
8
6
4
2 0,2
Contrainte (MPa)
100
8
6
4 b1
P0
0,1
2
10
8
6 0,0
4
2
1 -0,1
0 1 2 3 4 5 0 1 2 3 4
Déformation (%) Déformation plastique (%)
a c
b2
0,2 μm
>>>
des simulations de DD est relativement être décrit avec les lois de comportement moyenne des avalanches sont donc deux
immédiat et permet le développement conventionnelles de la plasticité des quantités physiques reliées entre elles par
de modèles macroscopiques mieux justifiés matériaux massifs. Les simulations de DD un facteur de proportionnalité. La
physiquement, utilisant un nombre peuvent cependant nous renseigner sur découverte de liens, tels que celui-ci,
réduit de paramètres pertinents. l’évolution avec la taille de l’échantillon, reliant les aspects discret et continu de la
Ainsi, il devient possible de modéliser des paramètres physiques contrôlant la plasticité cristalline, est un enjeu essentiel.
quantitativement les propriétés mécaniques contrainte critique de formation des Il est probable que ces progrès vont
macroscopiques de matériaux simples, avalanches de dislocations et le libre permettre dans les années à venir le
tels que des métaux purs, à partir de lois parcours moyen des dislocations. développement de nouvelles méthodes
de comportement génériques. L’exemple de caractérisation des matériaux, non
reproduit en figure 4 est représentatif de Remarques finales destructives, plus rapides et plus sensibles
cette démarche multi-échelle. Dans un aux détails microstructuraux. ❚
échantillon de taille finie, la déformation De nouveaux ponts entre l’étude des
plastique est influencée par la présence de propriétés dynamiques des dislocations et
surfaces libres qui attirent les dislocations la mécanique des matériaux s’établissent
à l’extérieur du cristal pour minimiser grâce à des concepts statistiques anciens, Références
l’énergie élastique. Ces forces de surface comme le libre parcours moyen des 1• L. Kubin, Dislocations, mesoscale simulations
sont à l’origine d’un fort effet de taille, dislocations. Si A est l’aire totale balayée and plastic flow, dans Oxford Series on Materials
Modelling, volume 5, Oxford University Press (2013).
découvert il y a une vingtaine d’années. par une avalanche, sa dimension linéaire
Ainsi, lorsque l’on diminue la taille d’un caractéristique est approximativement A1/2. 2• J. Friedel, Dislocations, Pergamon Press, Oxford
échantillon jusqu’à des dimensions La distribution des amplitudes d’avalanches (1967).
inférieures à la dizaine de micromètres, pendant un essai de déformation restant 3• M. Zaiser, “Scale invariance in plastic flow of
celui-ci d’une part devient de plus en bornée, il est alors possible de définir une crystalline solids”, Advances in Physics, 55 (2006)
plus dur et d’autre part se déforme taille moyenne d’avalanche < A1/2>, 185-245.
plastiquement avec de moins en moins fonction des conditions de sollicitation 4• B. Devincre, T. Hoc et L. Kubin, “Dislocation
d’écrouissage. Comme illustré sur la mécanique. A priori, le libre parcours mean free paths and strain hardening of crystals”,
figure 4, cet effet de taille peut encore moyen des dislocations et la taille Science, 320 (2008) 1745-1748.
Dossier de candidature
Date limite d’envoi : 15 septembre 2015. Le dossier est à envoyer à :
Pour le prix Edouard Branly 2015, les candidats devront être nés après le • gsalmer3_at_orange.fr (président du jury)
1er janvier 1982.
• tiberiu.minea_at_u-psud.fr (président de la F2S)
Le dossier sera soumis uniquement sous forme électronique (en format pdf).
Il sera constitué des quatre pièces suivantes : • leduc_at_lkb.ens.fr (présidente du cercle de réflexion de la F2S)
• un formulaire rempli par le présentateur (celui-ci n’est pas le candidat),
comportant un résumé des travaux du candidat (sur deux pages au maximum)
• le CV du candidat (sur deux pages au maximum)
• la liste de publications (brevets inclus)
• deux lettres de recommandation, dont une au moins provenant d’une
personnalité exerçant hors de France.
À gauche : cartographie EBSD d’orientations d’un alliage de fer-nickel partiellement recristallisé. Certains grains se sont développés aux dépens de la
matrice déformée.
À droite : cartographie EBSD d’orientations après forgeage à chaud d’un alliage à base de nickel. On observe une recristallisation en collier : des grains
ont recristallisé à l’aplomb de joints de grains déformés.
Dans ces deux cartographies, les différentes couleurs correspondent à différentes orientations cristallographiques.
DN
(001)
(100)
>>>
(1) Rappelons que la famille de plans {100} englobe tous les plans (001), (010) et (100) ; il en va de même pour la famille de directions <100> qui décrit les
directions [001], [010] et [100].
c [112]
3. Principe de la mesure d’une figure de pôles {hkl} d’un polycristal 4. Lignes de Kikuchi. (a) Schéma montrant le dispositif pour une observation EBSD.
par diffraction des rayons X. À gauche : dispositif expérimental. (b) Exemple de diagramme de Kikuchi. (c) Correspondance entre un cristal (à gauche) et
À droite : projection stéréographique. les bandes de Kikuchi (à droite).
WIMV, E-WIMV
Méthode harmonique • Figures de pôles
Composantes, ADC
LD
• Figures de pôles inverses
>>>
martensitiques – par traitement thermo- des neutrons et les moments magnétiques moments magnétiques de l’échantillon
mécanique – dans un petit cylindre de des matériaux. Le principe général de ferromagnétique sous l’effet du champ
Ni-Mn-Ga polycristallin préparé par l’analyse quantitative de texture magné- magnétique appliqué (fig. 7c). Elle est la
solidification directionnelle. Une com- tique a été développé récemment [7]. différence entre les figures de pôles
pression de 10 MPa (cycle 1), 25 MPa Deux analyses successives sont effectuées mesurées sans et avec champ magnétique
(cycle 2) et 50 MPa (cycle 3), respective- sur un petit cylindre de fer, avec et sans appliqué (figs. 7a et 7b). Alors que les
ment, a été appliquée in situ parallèlement application parallèlement à l’axe du figures de pôles cristallographiques sont
à la direction de solidification (LD, paral- cylindre d’un champ magnétique statique toujours positives, les figures de pôles de
lèle à l’axe du cylindre), au cours de la B de 0,3 T. Dans ce but, un porte- polarisation magnétique peuvent être
transformation martensitique à partir de la échantillon spécifique a été développé pour séparées en partie positive (fig. 7d) et
phase austénitique de structure cubique à permettre de réaliser les deux mesures partie négative de la polarisation (fig. 7e),
faces centrées, lors du refroidissement dans consécutives sans démonter l’échantillon comme illustré pour la figure de pôles de
le faisceau de neutrons dont l’incidence (BD) cylindrique de son support. Dans le cas diffraction magnétique {110}. Il était
est perpendiculaire à l’axe du cylindre [10]. considéré d’un échantillon ferromagné- intéressant de représenter aussi la figure
Les résultats montrent qu’avant traitement tique solide, le seul effet du champ de pôles – recalculée – de diffraction
thermomécanique, les pics <010> sur la magnétique est d’orienter les moments magnétique Pm{001}. Cette figure, où
figure de pôles (020) sont perpendiculaires magnétiques de l’échantillon, c’est-à-dire l’on observe essentiellement un pic au
ou parallèles à la direction de solidification d’induire une polarisation magnétique centre (fig. 7f), illustre la réorientation
LD (fig. 6a). Après trois cycles de traitement, représentée par un terme ΔPm. L’intensité des moments magnétiques parallèlement
il ne subsiste plus qu’un pic <010> très diffractée des figures de pôles P{hkl}(y,B) à l’axe de l’échantillon cylindrique, c’est-
intense au centre de la figure de pôles peut alors s’écrire sous la forme simplifiée : à-dire au champ magnétique appliqué.
(fig. 6b). Ainsi, la mise en place d’une forte P{hkl}(y,B) = Pn{hkl}(y)+Pm{hkl}(y)
texturation dans laquelle les directions + ΔPm{hkl}(y,B) (2) Hypertexturation Cube d’alliages
cristallines <010> sont quasi parallèles à où y = (χ, ϕ) est la direction représentée de Fe-Ni et de Ni-W
l’axe du cylindre (donc à la direction de en projection stéréographique dans la La fabrication à bas coût de cellules
compression LD), a pu être observée in situ figure 3 et les indices supérieurs n et m photovoltaïques pour obtenir une énergie
au cours du traitement thermomécanique. signifient respectivement « nucléaire » et respectueuse de l’environnement, nécessite
« magnétique ». d’élaborer des substrats métalliques
Un exemple d’application La contribution purement nucléaire hypertexturés Cube {100}<001> afin de
de l’analyse combinée : Pn{hkl} (y) provient de la diffraction des pouvoir y déposer par épitaxie des couches
étude de textures magnétiques noyaux atomiques et correspond à la minces de silicium. La problématique est
L’analyse combinée est plus précise que figure de pôles traditionnelle décrite sur la même pour la production de câbles
les analyses de texture classiques. Cette la figure 2. Elle est liée à la FDOC F(g) supraconducteurs, qui nécessite le dépôt
méthode est donc bien adaptée à l’étude par l’équation (1). Elle peut également être en épitaxie de l’oxyde YBaCuO sur un
d’effets fins comme l’anisotropie de la déterminée par diffraction des rayons X substrat hypertexturé Cube (on vise 100%
polarisation magnétique. Les spectres de suivie d’un calcul de FDOC par l’une des de grains avec une orientation Cube
diffraction de neutrons présentent, en méthodes d’inversion de figures de pôles. {100}<001>). L’objectif de cette recherche
plus des raies de diffraction nucléaire La figure de pôles Pm{hkl} (y) représente consiste donc à développer un substrat
(diffraction par les noyaux des atomes) l’intensité de diffraction magnétique. La d’alliage Fe-Ni ou Ni-W avec des grains
des pics de diffraction magnétique, qui figure de pôles de polarisation magnétique possédant tous l’orientation Cube, avec
résultent de l’interaction entre les spins ΔPm{hkl} (y,B) décrit la réorientation des une très faible dispersion autour de
111
a b c
DT
8. Augmentation de la texturation Cube d’un alliage de fer-nickel par ajout de soufre. Cartographies EBSD décrivant la distribution des plans {hkl} // (DL,
DT) pour (a) un échantillon de Fe-48%Ni laminé de 98% et recuit 1 h à 600°C et pour des coulées modèles contenant (b) 0 ppm et (c) 40 ppm de soufre, ayant subi
un laminage de 99% et un traitement thermique optimisé [11]. Les joints de grains sont tracés en noir. Le code couleurs est donné sur la cartographie c.
l’orientation idéale. Pour accéder à cette de pics de diffraction [1]) pour les com-
texture accusée, il faut notamment forte- posantes principales de la texture. Il
Références
ment laminer la tôle (taux de réduction de apparaît effectivement que l’énergie 1• Rayonnement synchrotron, rayons X et neutrons
stockée augmente avec le taux de soufre au service des matériaux - Analyse des contraintes
98-99%). La figure 8a montre cependant
et des textures, Eds. A. Lodini et T. Baudin,
que ce paramètre n’est pas suffisant, pour toutes les autres composantes de EDP Sciences (2012), pp. 278-302.
puisqu’après un laminage de 98% puis un texture induites par la déformation
recuit de recristallisation d’une heure à ({110}<112>, {112}<111> et {123}<634>). 2• C. Esling et H.J. Bunge, Texture et anisotropie
des matériaux polycristallins - Définitions et techniques
600°C, la fraction de grains Cube (rouges) En revanche, elle reste quasi constante expérimentales, Techniques de l’Ingénieur, M3040
avec une désorientation inférieure ou dans les grains Cube. Autrement dit, les (2012).
égale à 10° n’est que de 74%. Il est donc précipités de MnS ont un rôle minime
sur l’écrouissage de ces grains, ce qui 3• T. Baudin, Analyse EBSD - Principe et cartographies
nécessaire d’optimiser le traitement
d’orientations, Techniques de l’Ingénieur, M4138
thermique. En particulier, la température pourrait être dû au plus faible nombre de (2010).
de recuit doit être suffisamment élevée systèmes de glissement activés. Finalement,
(environ 1000°C, selon les nuances l’augmentation du taux de soufre accentue 4• T. Baudin, Analyse EBSD - Déformation et recristallisation
des matériaux métalliques, Techniques de l’Ingénieur,
chimiques) pour éliminer les macles la différence d’énergie stockée entre la M4139 (2011).
{122}<221> de l’orientation Cube, sans composante Cube et les autres compo-
toutefois déclencher l’apparition de santes de déformation et facilite donc son 5• O. Ulrich et al., Rev. Sci. Instrum. 82, (2011) 033908.
croissance anormale de grains. Il faut développement. Notons que le taux de 6• H.-J. Bunge, Texture Analysis in Materials Science:
également ajuster au mieux la composi- soufre doit cependant être limité pour Mathematical Methods, Butterworths (1982).
tion chimique du substrat. À titre d’exemple, d’autres raisons métallurgiques. 7• D. Chateigner, Combined analysis, Wiley-ISTE (2010).
dans le cadre d’une étude fondamentale, D’autres éléments chimiques ont également
les figures 8b-c montrent les cartographies été étudiés comme l’aluminium, le bore, 8• L. Lutterotti et al., Thin Solid Films 450 (2004)
34-41.
d’orientations obtenues sur des substrats le titane et le zirconium [11]. Il n’apparaît
de Fe-48%Ni avec deux taux de soufre pas d’effets significatifs sur le développement 9• D. Chateigner et al., J. Appl. Cryst. 30 (1997) 43-48.
différents [11]. de la texture Cube. Au contraire, le nio- 10• Z.B. Li et al., Appl. Phys. Lett. 105 (2014) 021907.
Ces résultats montrent clairement que bium tend à inhiber son développement.
11• Y. Ateba Betanda et al., Adv. Eng. Mater. 16 (2014)
la fraction de grains Cube avec une déso- 933-939.
rientation inférieure ou égale à 10°,
augmente avec le taux de soufre (98,4%,
Conclusion
99,0% et 99,9%, pour respectivement 0, La texture cristallographique est un
20 et 40 ppm de soufre), et atteint prati- paramètre qui doit être maîtrisé, tout
quement 100% pour une teneur de 40 ppm. comme la microstructure, si l’on sou-
D’après les auteurs [11], l’introduction haite optimiser les propriétés d’usage des
de soufre induit la formation de précipités matériaux. Différentes techniques de Remerciements
CE remercie Y. Zhang, IR HDR à l’université de
MnS (0,3% en poids de Mn) qui sont à diffraction, très complémentaires car ne Lorraine, Z. Li, MC à NEU Shenyang, Chine et
l’origine de l’augmentation de l’énergie travaillant pas à la même échelle, W. Gan, Ingénieur au GEMS, Allemagne. DC
remercie le Conseil Régional de Basse-Normandie
élastique stockée par les grains au cours permettent de la déterminer. Les appli- et le FEDER pour le financement de la Chaire
de la déformation. Cette énergie, qui est cations ne se limitent pas aux matériaux d’Excellence de LL. Les cartographies d’orientations
motrice pour la recristallisation, a été métalliques, puisque tous les matériaux décrites dans le paragraphe sur l’hypertexturation
Cube sont issues des travaux de thèse de Y. Ateba
mesurée par diffraction des neutrons cristallins peuvent être analysés à l’aide Betanda (Université Paris-Sud, Orsay), que TB
(mesure de figures de pôles d’élargissement de ces techniques expérimentales. ❚ remercie pour son aide.
Les colloïdes, particules Les cristaux colloïdaux colloïdaux sont très sensibles à de faibles
submicrométriques dispersées perturbations mécaniques, rendant aisée
Les suspensions colloïdales sont consti- l’étude de leur réponse à une sollicitation.
dans un solvant, peuvent tuées de particules de taille nano à micro- Cette grande susceptibilité a, par exemple,
être considérés comme métrique, dispersées dans un solvant. été récemment mise à profit pour visualiser
Omniprésents dans la vie de tous les en temps réel, par microscopie confocale,
des superatomes, utilisés jours (peintures, cosmétiques, produits la migration de défauts (dislocations) lors
pour étudier des phénomènes alimentaires), les colloïdes sont également de l’indentation d’un cristal colloïdal [1].
des systèmes modèles de choix pour la Une telle approche n’est pas sans rappeler
physiques variés, physique de la matière condensée. La taille les travaux pionniers de Sir William
tels que la transition vitreuse caractéristique des colloïdes est en effet Lawrence Bragg et John Nye dans les
suffisamment grande pour permettre leur années 1940, qui ont développé des
ou la cristallisation. étude par des méthodes optiques simples modèles de radeaux de bulles pour étudier
et puissantes (microscopie, diffusion de la dynamique des défauts dans un métal [2].
Nous donnons ici un aperçu lumière visible), tout en restant suffisam-
de l’origine physique ment petite pour que les particules, animées Visualiser le réseau de joints
des différentes structures
de mouvement brownien, puissent
explorer efficacement l’espace des phases.
de grain d’un polycristal
cristallines colloïdales, On parle de cristal colloïdal lorsqu’à Nous avons exploité les atouts des
l’instar des atomes ou molécules dans un cristaux colloïdaux en étudiant la structure
et nous présentons un cristal, les particules sont arrangées sur un et la dynamique sous sollicitation des joints
exemple où leurs spécificités réseau périodique. Un contrôle fin des de grains, les zones de défauts qui
interactions entre particules est possible ; séparent des grains adjacents d’orientation
sont exploitées pour l’étude de là découle un large spectre de systèmes, différente dans un polycristal (photo du haut
de la dynamique de défauts des simples empilements de sphères dures de la p. 87 et fig. E2b). Les constituants
(figs. E1a-b) où l’état ordonné correspond de notre cristal sont des amas sphériques,
d’un polycristal sollicité paradoxalement au maximum d’entropie ou micelles, de diamètre 2a ≈ 20 nm,
mécaniquement. du système (voir encadré 1), aux cristaux composés de l’association de polymères
de particules de formes variées (sphères, qui ont un bloc central chimiquement
cubes, haltères, bâtonnets, ellipsoïdes, différent des deux blocs aux extrémités
croisillons...) interagissant via un potentiel (fig. 1a). L’originalité de ce polymère est
de paires plus complexe (voir encadré 2). que l’affinité pour l’eau des trois blocs
Outre leur intérêt indéniable au niveau dépend de la température T : à T ≈ 5 °C,
fondamental, les cristaux colloïdaux tous les blocs présentent une grande affinité
trouvent de nombreuses applications, par pour l’eau. En revanche, à température
exemple en photonique du fait de la ambiante, le bloc central a une affinité
diffraction de Bragg pour des longueurs réduite pour l’eau, alors que les deux
d’onde du visible, à la manière des opales blocs aux extrémités gardent une grande
naturelles (figs. E1c-d). Grâce à la grande affinité pour le solvant. En conséquence,
taille de leur maille périodique et à leur le polymère s’auto-assemble dans l’eau
faible module d’Young (typiquement entre en formant des micelles, de manière à
1 Pa et 10 kPa, à comparer à environ protéger sa partie centrale de l’eau.
100 GPa pour un métal), les cristaux Lorsque la concentration en micelles est
>>>
86 Reflets de la Physique n° 44-45
4Cristaux imparfaits ou « exotiques »
© Zephyris.
Ensemble de petits cristaux colloïdaux à deux dimensions (constitués de particules sphériques de verre de 10 μm de diamètre, en suspension dans l’eau),
séparés par des joints de grains. Microscopie optique en champ clair.
~ 30 nm
(lumière, neutrons). Grâce aux propriétés
thermosensibles du polymère, et par ana-
logie avec le comportement des systèmes
a atomiques et moléculaires, en faisant varier
Polymères Micelles Réseau cfc la vitesse de chauffe de l’échantillon dT/dt
(l’analogue dans notre cas de la vitesse de
refroidissement pour les systèmes atomiques
ou moléculaires), on module la vitesse de
transition vers la phase cristalline. Ceci
permet, finalement, un contrôle de la
microstructure, c’est-à-dire de la taille
moyenne des grains cristallins, comme le
montrent les images de microscopie
confocale (fig. 1b).
b 10 μm 10 μm
La microstructure peut être aussi contrôlée
en jouant sur la fraction volumique en
nanoparticules fluorescentes, φNP. En effet,
les nanoparticules positionnées à l’interface
Rc (μm)
a b c
E2. Effets du potentiel de paires sur la cristallisation dans les systèmes colloïdaux.
(a) Cristal formé par des particules de silice chargées négativement, de rayon a = 0,7 μm.
(b) Cristal colloïdal ionique, formé par des particules chargées positivement (rouges) et négativement (vertes), a = 1 μm [8]. La structure cristalline en maille
cubique est la même que celle du sel CsCl. Les joints de grains qui séparent des domaines avec des orientations différentes sont clairement visibles.
(c) Cristal colloïdal ionique de structure LS6 [8]. L : particules rouges, chargées négativement, a = 1,16 μm ; S : particules vertes, chargées positivement, a = 0,36 μm.
Les systèmes colloïdaux permettent un contrôle fin des interactions charge électrique de même signe, sont soumises à des interactions
entre particules : en jouant sur les propriétés physico-chimiques électrostatiques répulsives : U est minimisé en formant un réseau
des particules et du solvant, il est possible d’introduire un potentiel cubique centré, dont le paramètre de maille est modulable en
de paire V(r) tant répulsif qu’attractif, et d’en moduler les caracté- changeant la densité de particules, indépendamment de leur taille.
ristiques (portée, directionnalité, profondeur du puits attractif et On remarque ici une différence notable par rapport aux systèmes
hauteur d’une éventuelle barrière répulsive...). Cette flexibilité permet atomiques et moléculaires : si pour ces derniers la condition de
de multiplier à volonté les structures cristallines possibles, bien neutralité de la charge globale impose la stœchiométrie des
au-delà de celles autorisées dans les sphères dures (voir encadré 1). cristaux ioniques, pour les colloïdes les charges des particules sont
En présence d’interactions attractives ou répulsives au-delà de la compensées par les contre-ions libérés dans le solvant. Des structures
contrainte d’impénétrabilité, le terme U dans l’énergie libre F arbitraires sont donc a priori possibles, indépendamment de la
prévaut généralement sur le terme entropique TS : la phase cristalline charge des particules : des simples cristaux répulsifs de la figure E2a
est donc celle qui minimise l’énergie interne U. aux cristaux colloïdaux « ioniques », formés par des particules
L’exemple le plus simple est celui du « cristal de Wigner » de la colloïdales de charges opposées, comme les alliages binaires des
figure E2a, analogue colloïdal de la cristallisation d’un gaz figures E2b et E2c [8], ou l’alliage LS8, qui n’a pas d’équivalent
d’électrons à faible densité. Les particules, portant toutes une atomique ou moléculaire.
τR (temps de décorrélation)
pourcents (déplacement d’une plaque 1000
divisé par la distance entre plaques) [3] t
(fig. 2a). Ce protocole est similaire aux a 100
1 2 3 4
essais de fatigue couramment adoptés en
science des matériaux, qui sont toutefois 10
limités à la mesure de quantités macros-
copiques (contrainte, déformation). La 1 μm 1
microscopie confocale (fig. 2b-c) révèle
une plasticité des polycristaux liée au 0,1
remodelage du réseau de joints de grain. b 1 10 100 1000
d Cycles de cisaillement
Ces réarrangements sont quantifiés en
suivant la trajectoire de points représen-
tatifs sur les joints de grain. Les points 50 μm
appartenant à des joints de grain différents
suivent des trajectoires distinctes, mais,
de manière inattendue, chaque trajectoire
est rectiligne sur toute la durée de
l’expérience (fig. 2c) : on parle alors de
déplacements balistiques.
Expérience
Simulation
a
b
2. Refroidissement sympathique (adapté de Willitsch [1]).
(a) Principe : des ions moléculaires piégés (en vert) sont refroidis par collision avec des ions atomiques (en orange) piégés et refroidis par laser. Il en résulte la création
d’un cristal coulombien à deux composantes, comme celui des photos b.
(b) En haut : image d’un cristal contenant 25 ions N2+ (localisés dans la partie centrale non fluorescente du cristal), sympathiquement refroidis par 925 ions Ca+.
En bas : simulation de dynamique moléculaire, où les ions N2+ sont représentés en vert.
électrons et aux spins nucléaires. En autre système comme un cristal coulom- des masses de l’électron et du proton, ou
revanche, les ions moléculaires présentent bien : on montre que le système obtenu encore à l’influence de la gravitation sur
des degrés de liberté supplémentaires liés est alors mathématiquement équivalent, les fréquences de transitions atomiques [9].
à leurs mouvements de vibration et de tout en bénéficiant des possibilités de
rotation qui rendent ce contrôle moins manipulation du cristal coulombien. ... à la chimie ultra-froide
immédiat. La mise au point de méthodes
contrôlée
permettant la manipulation et le contrôle
des états quantiques internes des ions
... et des mesures de précision... Les chimistes ont aussi commencé à
moléculaires dans un cristal coulombien est, La possibilité d’isoler des particules s’intéresser aux cristaux coulombiens pour
depuis plusieurs années, l’objectif majeur uniques dans l’environnement ultravide le refroidissement sympathique d’espèces
de ce domaine, qui a vu des premières très contrôlé que constitue un piège à moléculaires ioniques, permettant l’étude
réalisations très récemment [1]. ions, et de maîtriser leur mouvement et détaillée de réactions chimiques entre
leur état quantique interne, a permis le espèces neutres et ioniques, et à très basse
Les applications : développement d’une nouvelle génération température. Plusieurs types d’expériences
de la logique quantique... d’horloges atomiques qui figurent actuel-
lement parmi les plus précises [7]. Le
ont été récemment développées, combi-
nant des pièges à ions avec des sources
C’est avec des ions atomiques piégés que principe d’une telle horloge repose sur la d’atomes froids [10, 11] ou de molécules
le refroidissement laser a été démontré pour mesure de la fréquence d’une transition froides [12] (fig. 3). Des processus
la première fois dans les années 1970 [4]. électronique d’ion piégé unique, le plus chimiques inhabituels peuvent être étudiés
Mais l’avancée décisive dans ce domaine souvent situé dans le domaine visible ou en régime ultra-froid et en phase très
est intervenue lorsque Ignacio Cirac et ultraviolet. Cela permet d’atteindre une diluée, comme par exemple la formation
Peter Zoller ont réalisé qu’une chaîne précision de la mesure qui surpasse celle d’ions moléculaires par émission d’un
d’ions « cristallisés » pouvait constituer réalisée par une horloge atomique photon au cours de la collision entre
l’élément de base pour un ordinateur conventionnelle, qui implique une l’atome et l’ion atomique. Au-delà de
quantique [5]. Depuis, les développements transition dans le domaine des radiofré- l’environnement artificiel fourni par ces
expérimentaux basés sur des cristaux quences. L’utilisation d’un ion moléculaire expériences, ce type de processus joue un
coulombiens ont conduit à une des piégé comme H2+ est même envisagée rôle fondamental dans la compréhension
réalisations actuelles les plus élaborées pour réaliser une horloge de grande de la chimie de l’espace interstellaire.
d’un système d’information quantique [6]. précision [8]. En parallèle, cette précision La dynamique de la collision ultra-froide
Ce qu’il convient maintenant d’appeler extrême des mesures sur des ions piégés entre trois particules, cruciale dans un
la simulation quantique est aussi devenue permet d’aborder des questions fonda- milieu dense comme un condensat de
une application importante : la dynamique mentales habituellement dévolues à la Bose-Einstein, a pu être explorée [10],
de l’hamiltonien d’un système complexe physique des hautes énergies. Par exemple, de même que les subtiles interactions à
– par exemple issu de la matière condensée, plusieurs projets s’intéressent à la variation grande distance qui ne se manifestent
dont les paramètres sont difficilement sur de grandes échelles de temps des qu’en régime ultra-froid sans être masquées
ajustables en laboratoire – est simulée au constantes fondamentales comme la par l’agitation thermique des particules [11].
travers de son implémentation dans un constante de structure fine ou le rapport De façon générale, de telles conditions
>>>
Reflets de la Physique n° 44-45 93
4. Illustration d’une expérience de chimie froide contrôlée. Deux conformations différentes (soulignées en rouge et en bleu) de molécules organiques
« 3-aminophénol » issues d’un même jet moléculaire sont séparées spatialement par leur interaction avec un champ électrique inhomogène (figuré par l’électrode à
droite de la figure), grâce à la différence de la valeur de leurs moments dipolaires électriques. Cela correspond à une version électrostatique moléculaire de la célèbre
expérience de Stern et Gerlach (1922), dans laquelle les atomes ont été séparés spatialement par un champ magnétique, conduisant à la découverte de leur spin.
Les molécules peuvent ainsi être dirigées sélectivement vers la cible constituée par un cristal coulombien d’ions Ca+ : la conformation « bleue » est envoyée vers le
cristal, tandis que la conformation rouge l’évite. On étudie ainsi l’influence de la forme de la molécule sur le déroulement de sa réaction chimique avec les ions piégés.
(Illustration de Y.-P. Chang, DESY [13].)
>>> Références
permettent de mieux comprendre les coulombien lui aussi très froid, et révéler
détails des processus chimiques, grâce à les différences de réactivité induites par 1• S. Willitsch, Int. Rev. Phys. Chem. 31 (2012) 175.
leur observation dans des conditions très leur forme [13]. 2• R.C. Thomson et al., J. Phys. B 42 (2009) 154003.
contrôlées. 3• S. Willitsch et al., Phys. Chem. Chem. Phys. 10
Les cristaux coulombiens sont aussi mis Conclusion (2008) 7200.
à profit pour l’étude détaillée de la 4• D.J. Wineland et al., Phys. Rev. Lett. 40 (1978) 1639.
dynamique de molécules complexes. Par Avec ces progrès récents spectaculaires, 5• J.I. Cirac et P. Zoller, Phys. Rev. Lett. 74 (1995) 4091.
exemple, de nombreuses molécules la technologie des cristaux coulombiens 6• H. Häffner et al., Phys. Rep. 469 (2008) 155.
polyatomiques dans leur état fondamental atomiques et moléculaires a permis 7• A.D. Ludlow et al., arXiv:1407.3493v2 [physics.
présentent plusieurs formes stables, l’émergence d’un domaine scientifique atom-ph] (2014).
appelées conformations, qui ne diffèrent situé à l’interface de la physique quantique, 8• S. Schiller et al., Phys. Rev. Lett. 113 (2014) 023004.
que par la rotation d’une ou plusieurs de la physique atomique et moléculaire, et 9• C.W. Chou et al., Science 329 (2010) 1630.
parties de la molécule autour de l’axe de de la chimie. De nouvelles perspectives 10• A. Härter et J. Hecker Denschlag, Contemp. Phys.
la liaison chimique. L’influence de ces s’ouvrent en direction de l’amélioration des 55 (2014) 33.
conformations sur une réaction chimique performances des horloges atomiques 11• S. Willitsch, Proc. Int. Sch. Phys. Enrico Fermi 189
est une question ouverte depuis longtemps, qui fera reculer les limites de la précision (2015) 255.
mais difficilement accessible car aux tem- des mesures de fréquences, du dévelop- 12• S. Willitsch et al., Phys. Rev. Lett. 100 (2008) 043203.
pératures usuelles, l’agitation thermique pement d’une ingénierie quantique de 13• Y.-P. Chang et al., Science 342 (2013) 98.
entraine des changements de conforma- molécules uniques qui étend et augmente
tion. La figure 4 illustre une expérience les possibilités déjà explorées avec les (a) Ce domaine a été récompensé par deux prix
Nobel de physique, en 1997 et 2001.
dans laquelle des molécules polyatomiques atomes, et de la découverte de nouvelles
(b) Ces avancées spectaculaires ont également été
sont préparées dans une conformation méthodes pour l’étude détaillée et le reconnues par l’attribution du prix Nobel de
donnée, et y subsistent grâce à une contrôle de réactions chimiques. Sans physique 2012 à D. Wineland (conjointement à
méthode de refroidissement adiabatique. exagération, la recherche sur et avec Serge Haroche).
Elles peuvent ainsi interagir sélectivement les ions ultra-froids est devenue un (c) Notons qu’une telle configuration peut être
réalisée à température ambiante avec des particules
avec une cible constituée par un cristal domaine brûlant ! ❚ plus lourdes, comme des grains de poussières.
Informations : www.montagnes-sciences.fr