Explication Linéaire N°3 - Le Vin Des Chiffonniers de Baudelaire POESIE

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Explication linéaire n°3:le vin des chiffonniers de

baudelaire

Introduction:
Charles Baudelaire se situe à la croisée des mouvements du Romantisme, du
Parnasse et du Symbolisme. Il publie une première fois son recueil intitulé Les
Fleurs du Mal en 1857.Mais le livre fait l’objet d’un procès pour atteinte à la
moralité. « Le vin des chiffonniers » se situe dans la section du vin. Le poème décrit
les effets que le vin déclenche sur cet homme au dur labeur. Le thème est, a priori,
peu poétique. Mais le vin est un thème de prédilection chez Baudelaire car il fait
partie de ces substances qui permettent d’explorer les facultés de l’imagination.

Nous nous demanderons :en quoi le vin, métamorphosant le chiffonnier en héros


épique, révèle-t-il les pouvoirs de l'alchimie poétique ?

Ce texte est constitué de 3 mouvements:


Le 1er mouvement qui représente une scène de rue réaliste à la lisière du
fantastique. Le 2ème mouvement (v. 9 à 24 ; quatrains 3, 4, 5, 6) : consiste à montrer
les chiffonniers métamorphosés en héros parisiens et le 3ème mouvement (v. 25 à
32 ; quatrains 7, 8) qui est un éloge du vin et de la création artistique qui transmue
la boue en or.

I. Une scène de rue réaliste à la lisière du fantastique


Strophe 1:
Quelques notations descriptives (« réverbère », « clarté rouge », « famme ») créent
immédiatement une impression de familiarité. L'endroit est non seulement
sombre et faiblement éclairé mais l'adjectif « rouge » suggère déjà l'ébauche d'une
atmosphère fantastique.
Celle-ci est renforcée par la proposition subordonnée relative, « Dont le vent bat la
flamme et tourmente le verre ». La personnification du vent qui « bat » et «
tourmente » accentue le caractère inquiétant de l’ambiance
L’expression “Où l'humanité grouille en ferments orageux” fait allusion au
caractère dissipé du peuple, prompt à se révolter. D’ailleurs, la lueur rouge qui
enveloppe la scène est la couleur du meurtre et du sang.
L'évocation réaliste de la première strophe opère rapidement un glissement vers le
fantastique sollicitant l’imaginaire du lecteur.

Strophe 2:
La présence du chiffonnier s’impose à partir d’une énumération de participes
présents, « hochant la tête, / Butant, et se cognant […] ». Le plus court, « butant », est
rejeté en début de vers suivant, ce qui le met en valeur et insiste sur la démarche
hésitante, vacillante, typique d’un ivrogne. On a un procédé d’hypotypose : la
description en actions est si vivante que le lecteur a l’impression de voir avancer le
chiffonnier.
Le verbe « épancher », qui appartient au champ lexical du vin, est employé ici pour
évoquer la parole du chiffonnier. Celle-ci est déliée par les effets de l’ivresse. C’est
aussi une parole lyrique (elle vient du « cœur »). Une analogie est donc suggérée
entre le chiffonnier et le poète.

II. Les chiffonniers, héros parisiens:


Strophe 3:
La prise de parole du chiffonnier se poursuit : « il prête des serments », « dicte des
lois ». L'accumulation des verbes performatifs fait du chiffonnier un personnage
actif et puissant.
Le chiffonnier devient un législateur, mais aussi un héros combattant au service du
bien : l’antithèse qui oppose « méchants » et « victimes » nous situe dans le monde
des histoires chevaleresques.
La comparaison avec « le dais » donne au chiffonnier une majesté royale. On note
encore une fois un terme appartenant au champ lexical du vin, « s’enivre ». Le
chiffonnier se met en scène comme un héros dans un récit grandiose, et cela le rend
euphorique.

Strophe 4:
L’accumulation des tournures passives des vers 14 et 15 (« harcelés de », « moulus
par », « tourmentés par ») et la préposition « sous » (« pliant sous ») indiquent qu’ils
subissent une situation, qu'ils sont impuissants face au sort. Cela s’oppose aux
combats héroïques décrits plus haut. Les hyperboles « moulus », « éreintés » nous
les montrent atteints dans leur intégrité physique. Ils sont même privés de dignité
puisqu’ils sont constamment courbés, « pliant sous un tas de débris ».
Le « tas de débris » est repris par la métaphore du « Vomissement confus de
l’énorme Paris », fait de la ville de Paris, personnifiée, un monstre qui submerge les
chiffonniers ployant sous les déchets produits par l’incessante activité de la
capitale.

Strophe 5:
Le terme « compagnons » insiste sur la fraternité. Il évoque une troupe de soldats,
compagnons d’armes, ce qui est confirmé par l’expression « blanchis dans les
batailles ». Les chiffonniers apparaissent comme des vétérans, grâce au participe
passé « blanchis ».
Le champ lexical de la marche triomphale des guerriers, « bannières », « feurs », «
arcs triomphaux » est énuméré. La phrase, par enjambement, se poursuit sur la
strophe 6 et se conclut par un point d’exclamation pour traduire cette exaltation
collective.

Strophe 6:
L’expression « solennelle magie » désigne positivement les pouvoirs du vin. Par
cette métaphore, l’ivresse est comprise comme le pouvoir de transformer la réalité
environnante. Les rues sinistres du vieux faubourg sont alors décorées de «
bannières », de « fleurs » et d’« arcs triomphaux ». Avec l’adjectif « lumineuse » et le
nom « soleil », le poème, qui avait commencé sous le signe de la nuit, se baigne
progressivement de lumière. Dans L’expression « ivre d’amour » L’ivresse est
métaphorique, elle correspond à l’accueil délirant, débordant d’affection et de
gratitude, que le chiffonnier s’imagine recevoir de la part du peuple. Car les
chiffonniers se voient comme ceux qui « apportent la gloire ».

III. Eloge du vin et de la création artistique qui transmue la boue en or : la


leçon de l’apologue
Strophe 7:
Le présent perd alors sa valeur itérative (d’habitude) et devient un présent de vérité
générale. Le chiffonnier est l’incarnation de cette humanité qui rêve de gloire, de
célébrité et de richesse, et trouve tout cela de manière illusoire dans le vin.
Le décor change : le « Pactole » remplace le « labyrinthe fangeux ». Le « vin » devient
un fleuve, il prend une dimension mythique. Il « roule de l’or », c'est-à-dire qu'il
apporte des richesses, imaginaires. Ce qui montre les pouvoirs du ville sur
l'imagination des chiffonniers qui embellit la réalité.
Le « vin » est sujet du verbe « chanter », ce qui invite à un nouveau rapprochement
entre les effets du vin et ceux de la parole poétique, capable d’enchanter la vie, de
l’illuminer, d’agir sur l’imagination pour faire disparaître la laideur de ce monde.

Strophe 8:
« Ces vieux maudits qui meurent en silence » désignent les chiffonniers dont le
poème évoque les souffrances, tous les misérables qu’on préfère ne pas voir. Mais
l'adjectif maudit qualifie aussi les poètes incompris, rejetés de la société. On
constate donc un rapprochement possible entre le chiffonnier et le poète : les deux
endurent l’exclusion et se réfugient dans des rêves imaginaires.
Dieu est « touché de remords », ce qui signifie qu’il se sent coupable d’avoir infligé
tant de souffrances à l’humanité. On commence donc à comprendre la valeur
blasphématoire de ce poème qui accuse Dieu.

Conclusion:
Ce poème fonctionne donc d’abord comme « un tableau parisien » : il nous livre une
scène de rue révélatrice des dures conditions de vie du chiffonnier. Mais ce
chiffonnier fait l'objet d’une métamorphose poétique qui l’élève au rang de héros
triomphant et révèle les pouvoirs alchimiques du vin et de l’ivresse. Le vin prend
alors une dimension symbolique : il représente le pouvoir de la poésie capable de
transfigurer le monde, de délivrer les hommes de leurs souffrances.

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