La Pauvreté, Le Microcrédit
La Pauvreté, Le Microcrédit
La Pauvreté, Le Microcrédit
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La pauvreté, le microcrédit
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et les enseignements
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du Mahatma Gandhi : un exemple
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à suivre pour les donateurs
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K. P. Padmanabhan
La pauvreté dans le tiers monde tion mondiale de 5,7 milliards (1995), la propor-
et la mobilisation des donateurs tion de pauvres – c’est-à-dire de personnes vivant
avec moins de 1 dollar par jour sur la base du
Le problème le plus angoissant de notre époque pouvoir d’achat de 1985 (ajusté aux prix cou-
sur le plan moral, politique et économique est rants) – est de 23 %, soit 1,3 milliard de per-
celui de la pauvreté qui sévit dans les pays en sonnes. L’objectif est de ramener cette proportion
développement. James D. Wolfensohn, président à 12 %, sur une population mondiale de 7,3 mil-
de la Banque mondiale, a résumé le problème en liards, d’ici à 2015, ce qui ferait passer de 1,3 à
ces termes : « Au seuil du nouveau siècle, la pau- 0,9 milliard le nombre de pauvres en l’espace de
vreté demeure un problème mondial qui revêt quinze ans. Ces objectifs ont été approuvés par le
d’immenses proportions. Sur Sommet mondial pour le
les 6 milliards de personnes K. P. Padmanabhan est actuellement développement social
que compte la planète, consultant indépendant en matière de (Copenhague, 1995) et le
2,8 milliards disposent de microfinance. Il a été successivement Sommet mondial de l’ali-
moins de 2 dollars par jour et banquier, conseiller financier rural mentation (Rome, 1996). Le
1,2 milliard de moins de auprès de différents gouvernements, Livre blanc a défini deux
consultant en matière de microfinance
1 dollar par jour » (Banque dans plusieurs institutions des Nations conditions essentielles pour
mondiale, 2000). La réparti- Unies et chargé de recherche à l’Institut que les efforts des donateurs
tion des profits économiques d’études sur le développement (Sus- soient couronnés de succès :
pendant le XXe siècle a été sex). Il a notamment publié Rural a) Élaboration de politiques
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tions multilatérales et 4 % de donateurs bilaté- fesseur Allan Meltzer, qui a préconisé une
raux (Banque mondiale, 1998a). Cette aide a été restructuration et une réorientation de la Banque
attribuée essentiellement selon deux formules, mondiale et du FMI, après avoir constaté que :
l’une préconisant l’application de politiques a) Les capitaux privés vont de préférence aux
macroéconomiques et l’autre tendant à appuyer pays en développement d’une certaine
des projets spécifiques en faveur d’activités de envergure ;
subsistance, d’infrastructures sociales et maté- b) Le taux de réussite des projets de la Banque
rielles, etc. L’écueil principal a été que ces poli- mondiale est très faible ;
tiques et ces projets ont évolué dans des direc- c) Il existe un chevauchement d’activités consi-
tions divergentes sans aucune coordination entre dérable entre la Banque mondiale et les
les donateurs. banques régionales de développement.
L’échec des donateurs : un constat irréfu- Le Comité a donc formulé les recommanda-
table. Tandis que les gouvernements des pays en tions ci-après :
développement, encouragés par les donateurs, ont a) Les pays où le revenu par habitant est supérieur
adhéré aux principes de mondialisation, de libé- à 4 000 dollars ne sont pas habilités à rece-
ralisation et de privatisation, les progrès vers voir des prêts et ceux où le revenu dépasse
l’élimination de la pauvreté ont non seulement 2 500 dollars ne peuvent bénéficier que de
marqué le pas, mais sont en perte de vitesse. Par prêts limités ;
exemple, le nombre de pauvres en Indonésie est b) Les prêts consentis par la Banque mondiale
passé de 22,5 millions au début de 1996 à environ doivent concerner exclusivement des activi-
50 millions à la fin de 1998 (FIDA, 1999). En Inde, tés d’utilité publique (par exemple, pro-
l’application de ces macropolitiques pendant une grammes de lutte contre le sida ou de
dizaine d’années n’a guère eu d’impact sur la défense de l’environnement) et être accordés
création d’emplois ou la régression de la pau- directement aux services responsables, sans
vreté. Sur environ 400 millions de travailleurs, passer par les pouvoirs publics.
8 % seulement se trouvent dans le secteur struc- La raison essentielle de l’échec des dona-
turé, tandis que les autres exercent des activités teurs est l’incompatibilité qui existe entre les
marginales, non qualifiées et mal payées. Le sec- deux stratégies choisies, à savoir macropolitiques
teur des nouvelles technologies de l’information de mondialisation-libéralisation-privatisation
n’a guère créé plus de 500 000 postes parmi ce d’une part et, d’autre part, objectifs spécifiques
que l’on appelle les « métiers verts » (green col- des différents projets. Cette incompatibilité est
lar jobs). M. John Langmore, fonctionnaire des particulièrement flagrante dans le secteur du
Nations unies, a fait la réflexion suivante : « Il microcrédit. D’un côté, les donateurs ont encou-
paraît que les banques de Wall Street auraient ragé des projets de microcrédit afin de venir en
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potentiels que sur de véritables garanties, elle est consultatif d’assistance aux plus pauvres), qui
bientôt devenue l’une des activités de développe- dépend de la Banque mondiale, et la Campagne
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titutions de microfinance, les banques, les ONG, revenus de l’emprunteur et le taux de prêt » est
etc. D’après de récentes estimations, 13,8 mil- sans appel. Ce problème apparaît comme de plus
lions de pauvres (dont 10,3 millions de femmes) en plus difficile à résoudre dans le secteur du
ont ainsi pu bénéficier de quelque 10 milliards de microcrédit en raison des politiques de mondiali-
dollars sous forme de prêts (et 20 milliards de sation, de libéralisation et de privatisation, qui
dollars sous forme d’épargne). Sur un total de portent atteinte à la viabilité des microentreprises.
1 100 institutions de microfinance, on compte Ceux qui se sont engagés dans ce type d’activité
uniquement huit organismes de grande envergure sont voués à une grande précarité ou menacés de
(sept en Asie, un en Amérique latine et aucun en chômage. Depuis 1990, plus d’un million de
Inde ou en Chine), qui regroupent à eux seuls microentreprises en Inde ont fermé leurs portes et
plus de 75 % des activités du secteur (Banque 2 millions sont au bord de la faillite. Elles repré-
mondiale, 1996b). Si certaines institutions de sentent au total près de 13 % des 24 millions de
microfinance ont une clientèle supérieure à 2 mil- microentreprises que compte l’Inde et qui cou-
lions, d’autres atteignent moins d’un millier de vrent, à elles seules, 97 % du secteur. Même si
personnes. L’exactitude de ces données dépend ces chiffres contiennent quelques imprécisions,
de la qualité des rapports communiqués par ces ils sont certainement significatifs de la tendance
« méga-banques ». On ignore le nombre précis de qui se dessine en Inde et dans d’autres pays
pauvres qui ont pu franchir le seuil de pauvreté, pauvres. L’un des points forts du programme de
ainsi que le montant global des aides des dona- réforme économique préconisé par Gandhi en
teurs, qu’il s’agisse de dons, de prêts à des condi- Inde portait sur la commercialisation du khadi,
tions libérales, d’envoi de consultants à l’étran- toile tissée à la main avec du coton filé sur un
ger, etc. Il est vraisemblable que les plus rouet traditionnel, le charka. Malgré les aides
méritants et les plus pauvres, s’ils n’étaient pas massives accordées par le gouvernement indien,
dans l’orbite des méga-banques, ont été laissés le khadi a pratiquement disparu du marché. Il a
pour compte, plus particulièrement en Afrique. entraîné dans sa disparition celle des artisans tis-
Le « prophète » en la matière est un person- serands. Ceux-ci, couverts de dettes, ont préféré
nage modeste du Bangladesh, le professeur s’ôter la vie plutôt que d’affronter leurs créan-
Mohammad Yunus, qui a lancé dans les années ciers. Les métiers à tisser manuels ont été rem-
soixante-dix le concept inédit de la Banque des placés par des machines, qui à leur tour ne sont
pauvres, par les pauvres et pour les pauvres, plus rentables. Dans le Times of India du 5 jan-
connue sous le nom de banque Grameen. À vier 2001, on trouve l’annonce suivante :
l’heure actuelle, cette formule est appliquée dans « Les propriétaires de six usines de tissage
40 000 villages sur près de la moitié du territoire de la ville de Solapur se sont suicidés au cours
du Bangladesh. Les prêts consentis ne dépassent des six derniers mois parce qu’ils étaient menacés
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ordre mondial qui est en train de s’instaurer. Le développer une activité spécifique, faire des
problème est d’une simplicité désarmante : on se bénéfices et rembourser sa dette en honorant les
trouve devant une masse incroyable de gens, tou- échéances – autant de défis qui exigent souvent
jours plus nombreux, dont on n’a pas besoin et des talents que ne possèdent pas les plus démunis
dont on ne veut plus pour fabriquer les biens ou et en l’absence desquels ils tombent dans l’ex-
fournir les services que les acheteurs du monde trême pauvreté. L’hypothèse, avancée par de
entier sont en mesure de s’offrir. Les pressions nombreux donateurs, selon laquelle l’octroi d’un
exercées par la concurrence mondiale pour une prêt peut les sortir de cette impasse est utopique.
réduction des coûts constituent une menace qui Cela est particulièrement vrai des femmes, qui
pèse sur la grande majorité des 8 milliards d’êtres ont du mal à survivre dans le secteur informel et
humains qui peupleront la planète au cours des ont peur de s’endetter pour se lancer dans une
vingt-cinq prochaines années, avec la perspective activité qui les obligerait à sortir de chez elles.
pour eux de n’être ni producteurs ni consomma- D’après de récentes études, il apparaît que le
teurs. Le système économique mondial privilégie microcrédit n’atteint pas les plus déshérités,
l’efficacité de la production aux dépens de la contrairement à l’opinion admise, ce qui était pré-
dignité de l’être humain » (Barnet et Cavanagh, visible. « L’évaluation précise de l’impact écono-
1995). mique des programmes et institutions de microfi-
Microcrédit : une baguette magique ? C’est nance se heurte à des difficultés méthodologiques
là qu’intervient le microcrédit pour sauver la et les résultats des études sont souvent contradic-
situation. Voici un exemple typique de réussite : toires. Néanmoins, certains constats commencent
Rajamma avait emprunté 7 000 roupies (196 dol- à apparaître. Par exemple, une récente enquête
lars) pour acheter une vache laitière. Au bout de menée auprès de treize institutions de microfi-
dix mois, elle avait remboursé sa dette et libéré nance démontre que les familles qui ont franchi le
ses filles de leur caution. Rajamma est mainte- seuil de pauvreté ou se situent à la lisière de
nant propriétaire de sa vache, ainsi que d’un celui-ci tirent un meilleur parti des prêts qui leur
veau, et gagne plus de 1 200 roupies (34 dollars) sont consentis que celles appartenant à la catégo-
par mois. Avec ses économies, elle a acheté un rie inférieure. Il semblerait donc que de telles ins-
demi-acre de terrain et contracté un autre titutions, malgré leur utilité, ne s’adressent pas
emprunt afin de l’irriguer pour y cultiver l’ara- nécessairement aux foyers les plus déshérités »
chide. La fille aînée de Rajamma suit des cours (Banque mondiale, 2000).
de couture tandis que les plus jeunes vont à Passer de la simple survie au statut d’entre-
l’école. Tous ces miracles n’auraient pas eu lieu si preneur est une démarche lente et malaisée.
elle n’avait pas adhéré à un groupe d’auto-assis- « Monter sa propre entreprise ou se mettre à son
tance local et obtenu un prêt de la Bridge Foun- compte exige rigueur et discipline. Certains pos-
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situées dans trois continents est parvenue à la de responsabilité conjointe est mise en pratique
conclusion que les dépenses de personnel consti- dans les groupes constitués par la banque Gra-
tuaient l’élément déterminant de leur viabilité. meen pour garantir le crédit. L’enquête fait appa-
D’après ce rapport, seuls deux facteurs expli- raître que la pression exercée par les responsables
quent la différence : le niveau des salaires versés officiels du crédit est beaucoup plus efficace que
au personnel affecté au programme par rapport au celle émanant des membres du groupe (DFID,
PIB local, des salaires plus faibles se traduisant 1998). En outre, il n’est pas certain que les insti-
par une plus grande viabilité financière, et les tutions de microfinance tiennent une comptabilité
taux réels d’intérêt, c’est-à-dire par rapport à l’in- précise de leurs arriérés de paiement.
flation (USAID, 1995). L’activité bancaire, la ges- Il est fort probable qu’elles aient tendance à
tion monétaire et la comptabilité sont des métiers ne pas signaler les infractions, tandis que de nom-
techniques. Confier ces tâches à des travailleurs breux donateurs ne vérifient pas toujours les
non qualifiés en vue de réduire les coûts pose une comptes des organismes de prêt qu’ils financent.
multitude de problèmes. Les astuces imaginées Les tentatives faites pour évaluer le taux de rem-
par certaines de ces institutions à la demande des boursement des projets bénéficiant de l’aide des
donateurs pour diminuer les coûts, par exemple la donateurs se heurtent souvent à de graves diffi-
sous-traitance des opérations de microfinance à cultés. Les registres ne sont pas mis à jour ni
de petites ONG par des ONG plus grandes, le tenus avec précision ; les découverts sont épon-
recours à des agents travaillant sur commission, gés ; les défauts de paiement sont reportés de
le recrutement d’employés de banque très mal façon à masquer la responsabilité de l’emprun-
payés (le salaire mensuel de certains ne dépassant teur, etc. La comptabilité concernant les arriérés
pas 10 à 20 dollars), etc., n’ont pas fonctionné. La se heurte à de nombreux problèmes méthodolo-
plupart des banques rurales régionales créées en giques, même dans les trois grandes institutions
Inde pour servir de mécanismes de financement à de microfinance : la banque Grameen au Bangla-
faible coût n’ont pas tardé à fermer leurs portes : desh, le programme de soutien rural Aga Khan au
la plainte déposée par leurs employés pour obte- Pakistan et le projet de développement de la
nir la parité de leurs salaires avec ceux du per- région de Lilongwe au Malawi (Von Pischke et
sonnel des banques commerciales a été jugée al, 1998).
recevable par le tribunal (Padmanabhan, 1987). Financement prolongé par les donateurs. Le
Afin de réduire le coût des prêts, les dona- taux élevé de dépendance à l’égard des subven-
teurs ont encouragé la formation de groupes tions enregistré par de nombreuses institutions de
d’auto-assistance, composés de 5 à 30 membres. microfinance démontre bien qu’elles demeurent
Cela a créé d’autres problèmes, du fait que le tributaires des donateurs. Si une institution de ce
maintien de ces groupes coûtait très cher et exi- type prête à un taux de 10 % et qu’elle est sub-
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d’un système financier (GTZ, janvier 1997). « Une d’un travail accompagné du salaire qui assurera
autre étude a constaté que la plupart des pro- la nourriture. Le poème que réclament des mil-
grammes de microfinance examinés avaient lions d’affamés est une nourriture qui leur redon-
besoin d’être subventionnés pour demeurer nera de la vie. Et cela, on ne peut pas le leur don-
viables. De plus en plus souvent, les résultats ner. Il faut qu’ils le gagnent. Et ils ne peuvent le
obtenus par ces institutions sont analysés en fonc- gagner qu’à la sueur de leur front 1. »
tion de deux critères essentiels : leur aptitude à Anthony Copley a parfaitement résumé la
atteindre la clientèle visée et leur dépendance à philosophie de Gandhi : « Nous revenons à l’idée
l’égard des subventions. Bien que ces critères ne que Gandhi a mis l’accent davantage sur les
suffisent pas à évaluer pleinement l’impact éco- moyens que sur la fin, sur tel ou tel aspect plutôt
nomique des institutions de microfinance, ils que sur une vision entièrement nouvelle de la
mettent en évidence le coût social à payer pour société. Mais la présence du Royaume des Cieux
que de telles institutions atteignent leurs objec- (Ram Rajha) préside à cette vision. Il est intéres-
tifs. Les résultats obtenus en fonction de ces deux sant de relire une description de la société future
critères indiquent dans quelle direction les pro- telle que la concevait Gandhi dans son hebdoma-
grammes de microfinance doivent faire porter daire Harijan (22 juillet 1946) : la vie n’est pas
leurs efforts : chercher à atteindre une viabilité une pyramide dont le sommet est soutenu par la
financière tout en élargissant leur rayon base. La vie est le cercle océanique au centre
d’action » (Banque mondiale, 2000). duquel se trouve l’individu, toujours prêt à don-
D’après le professeur Dale Adams et le Dr ner sa vie pour le village, ce dernier étant prêt à
J. D. Von Pischke, un grand nombre de prêts périr pour le cercle des villages, jusqu’à ce qu’à
accordés aux microentreprises ne sont pas rem- la fin l’ensemble devienne une seule et même vie
boursés, la plupart de ces programmes ont une composée d’individus, jamais agressifs ni arro-
durée limitée et les emprunteurs ne tirent aucun gants mais toujours humbles, partageant la
profit matériel, à long terme, de programmes qui majesté du cercle océanique dont ils font partie
ne font qu’accroître leur dette, car le plus souvent intégrante. Ainsi, la circonférence extérieure
l’obtention d’un prêt n’est pas leur préoccupation n’exercera aucune pression sur le cercle intérieur
prioritaire. Ils font observer que la prestation de en vue de l’opprimer, mais insufflera de la force
services financiers aux pauvres coûte cher et que à tous ceux qui le composent tout en y puisant
la mise en place, à cette fin, d’institutions finan- elle-même son énergie » (Copley, 1987).
cières viables exige beaucoup de patience et une Gandhi percevait intimement les problèmes,
prise en compte judicieuse des coûts et des les aspirations, les forces et les faiblesses des
risques encourus (Adams et Von Pischke, 1992). pauvres. Il connaissait aussi les motivations des
riches, leur cupidité, leur ambition et leurs capa-
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comme s’il s’agissait d’un fleuve. Mais la princi- juriste appartenant à la caste des marchands
pale suggestion de Gandhi a certainement été de (communauté Bania). Il a été suffisamment pers-
vouloir placer le pouvoir d’achat entre les mains picace pour s’apercevoir que, pendant l’époque
des pauvres et de préconiser la relance écono- coloniale, les producteurs primaires avaient été
mique des villages. De nos jours, en Inde, alors doublement floués, d’abord en tant que produc-
que le gouvernement ne sait où trouver de la teurs puis en tant que consommateurs, pour satis-
place pour entreposer les quelque 40 millions de faire la cupidité des maîtres.
tonnes d’aliments qui se sont accumulés, des mil- Dans le numéro du Times publié à l’occasion
lions de gens ont faim. De même, le gouverne- du millénaire, Nelson Mandela a déclaré : « Nous
ment s’est aperçu que sur les 589 000 villages que sommes contraints de remettre en question les
compte le pays (où vivent 80 % des pauvres), principes de la mondialisation et d’envisager l’al-
seuls 274 000 villages (de 1 500 habitants) – soit ternative préconisée par Gandhi, lorsque nous
47 % – étaient desservis par des routes prati- voyons des économies qui engendrent le chô-
cables en toutes saisons ; pour les villages dont la mage et des sociétés où les masses meurent de
population est inférieure à 1 000 habitants, la pro- faim, alors qu’une minorité est rassasiée. Gandhi
portion est même inférieure à 37 %. Si seulement cherchait à affranchir l’individu de l’aliénation
on avait écouté Gandhi ! Gandhi, dans la stratégie créée par la machine et à redonner une valeur
qu’il préconisait, soulignait l’importance du morale au processus de production. » Lors de la
khadi et tournait le dos au capitalisme industriel. Conférence internationale sur les valeurs
Il s’était rallié tardivement aux intérêts des arti- humaines, qui s’est tenue à Amsterdam le
sans tisserands, qui ne pouvaient plus exercer leur 28 novembre 2000, les hauts responsables de la
activité et s’étaient repliés dans les villages pour Banque mondiale, du Haut Commissariat pour les
chercher du travail en milieu rural. « Le khadi réfugiés, etc., se sont engagés à respecter les
devint l’emblème du mouvement lancé par valeurs humaines, quels que soient les problèmes
Gandhi au cours des années vingt. En encoura- politiques, économiques et sociaux à résoudre.
geant chacun à reconnaître la valeur de rédemp- Alfredo Sfeir-Younis, vice-président de la
tion du travail manuel, Gandhi indiquait aux pay- Banque mondiale, a proclamé que les valeurs
sans comment gagner un peu d’argent humaines constituaient le seul instrument dont
supplémentaire, notamment pendant la saison disposent les institutions internationales pour
creuse ou en cas de famine – en réponse à la évoluer vers un monde meilleur. D’autres idées
misère extrême du monde rural. C’était égale- soutenues par Gandhi gagnent également du ter-
ment une façon de produire du filé de coton des- rain. Lors d’un récent sondage Time/CNN, il appa-
tiné aux tisserands et de créer des emplois pour raît que 79 % des Américains souhaiteraient sim-
les artisans des villages » (Copley, 1987). En plifier leur existence. Le concept de
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Note
1. Cet extrait de la publication Young India (1921), parue sous la direction de Gandhi, figure dans la préface du
livre (Padmanabhan, 1986) rédigée par le regretté C. Subramaniam, ex-ministre des Finances de l’Inde et fidèle
collaborateur de Gandhi pendant de nombreuses années.
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