Fabre
Fabre
Fabre
LANGAGIÈRE
DÈS LES PREMIERS APPRENTISSAGES
Claudine FABRE-COLS
IUFM de Grenoble et Université Stendhal, LIDILEM
Michèle MAUREL
IUFM de Poitiers
Ainsi se trouve réactualisée l'une des démarches qui, selon Hélène Romian,
fondent les recherches en Didactique du Français : « pratiquer I théoriser I
observer des activités contextualisées » (4). Cette triple démarche vise à trouver
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De quoi s'agit-il ?
2) un principe de dialogisme, qui joue aussi bien entre des enfants mis en
situation de relative autonomie, qu'entre eux-mêmes et l'adulte ;
3) un principe de diversité, favorable à la comparaison, à la graduation, aux
activités meta- dans leur ensemble.
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Produire et recevoir la complexité langagière...
Puis Etienne lit le texte à haute voix, et modifie ainsi le dernier énoncé :
Mais personne ne le crut.
Avez-vous entendu ce que vient de lire Etienne ? demande alors la mai¬
tresse. Ayant mis en évidence l'ajout de mais, les enfants proposent alors
quelques explications :
- ça veuf dire qui y'en a d'autres (souriceaux)
- ça veut dire encore plus qu'ils le croient pas
Après avoir dit les deux versions, la maitresse les écrit, donnant ainsi à voir
la variante proposée par Etienne. Elle invite ensuite Zoé à relire le texte en choi¬
sissant entre les deux versions. Zoé lit la proposition d'Etienne, puis déclare :
moi aussi j'ai toujours envie de le dire avec mais
Puis il vient montrer la place du mot affirma dans le texte affiché, et celui-ci
est reconnu par tous comme un mof de la bouche (11). Enfin, grâce à l'entrée
phonographique, ce terme est effectivement lu, et la compréhension assurée
par la lecture finale de son contexte immédiat par la maitresse et deux enfants.
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Les élèves créent ainsi un contexte interprétatif dans lequel des énoncés
voisins deviennent vraisemblablement et discursivement substituables, tout en
étant situés à des degrés rhétoriques et argumentatifs distincts. Par la compa¬
raison entre paires (personne I mais personne ; dit I affirma), diverses pistes sont
explorées, de sorte que la comparaison et la reformulation, d'abord motivées
par le désir de communiquer, débouchent aussi sur le besoin de comprendre et
de classer, c'est à dire sur des activités métalinguistiques et cognitives.
2. UNE SITUATION-PROBLÈME :
LA REFORMULATION D'UN TEXTE LACUNAIRE
La situation est illustrée par deux moments de jeux, dont l'un attire l'atten¬
tion sur des opérations syntaxiques, et l'autre sur des effets de rythme et d'eu¬
phonie.
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Le travail se situe en mai, et porte cette fois sur le début de l'album Le che¬
val de sable (15). Après exploration collective du paratexte, les enfants commen¬
cent individuellement la lecture active, en répondant aux questions qui ? où ?
quand ? pourquoi ?...
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Des réseaux colorés permettent de mémoriser sur le texte affiché une par¬
tie des commentaires qu'il suscite. L'attente est forte quant à la suite : quels ani¬
maux vont apparaitre ? La maitresse propose alors de continuer à lire la suite en
l'écrivant, et plus particulièrement par la reconstruction personnelle du texte de
l'auteur.
A toi de recomposer la suite du texte !
Ensuite tu compareras avec ce qu'a écrit l'auteur.
II réussissait padaitement. ,
, ef.
,
mais avaient sa préférence
car c'étaient, disait-il, les plus magnifiques
des animaux
Ensuite, la maitresse invite les enfants à placer les quatre groupes nomi¬
naux restants, et chacun, au cours de la synthèse, affiche sa solution au tableau
au moyen de grandes étiquettes. Ainsi les différents ordres entre les termes sont
soumis au regard et à la réflexion de tous.
* Proposition de Florian :
les chats, les phoques, les dauphins et les chiens
Commentaire de Myriam :
« les Ifl sont entourés par les [s]
* Proposition de Yasmina :
les chiens, les dauphins, les phoques et les chats
Commentaire d'Antoine :
C'esf l'inverse deux à deux, les dauphins à la place des phoques et
les chats sont à la place des chiens
Commentaire de Myriam :
mais c 'est toujours pareil les Ifl sont entourés par les » [sj
* Roxane :
Moi j'ai fait tout le contraire c'est les [s] qui sont au milieu
les phoques, les chiens, les chats et les dauphins
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Produire et recevoir la complexité langagière...
Clément :
Moi j'ai voulu les écrire du plus petit au plus grand
les chats, les chiens, les phoques et les dauphins
Maitresse :
Qu 'esf-ce que ça veut dire du plus petit au plus grand ? Comment as-tu
fait ?
Clément :
j'ai compté les lettres, dans chats y'a cinq lettres, dans chiens, six,
dans phoques, sept et dans dauphins, huit.
La classe vérifie alors collectivement qu'il en est bien ainsi.
Clémence :
Alors moi j'ai fait le contraire, donc c'est du plus grand au plus petit !
les dauphins, les phoques, les chiens et les chats
* La maitresse invite les enfants à passer de l'observation formelle (pho¬
nétique ou quantitative) à un autre type de classement.
Vous avez fait sonner les sons ou vous avez compté, ça c'est vraiment
très bien, mais dites-moi : où vivent ces animaux ?
Mathilde :
Ah oui, il y en a deux qui vivent dans la mer, et deux sur la terre
Maitresse : Eh oui, la plage c'est la rencontre entre la terre et la mer
S'ensuit un moment très ludique, mais aussi réflexif, où l'on entend par
exemple :
Ma solution, ça fait terre, mer, terre, mer.
Antoine ayant choisi l'ordre qui figure dans l'album, la maitresse lui
demande
Alors Antoine, comment as-tu fait pour écrire cette solution ?
Antoine :
Ça allait bien ensemble et c'était plus facile à parier
La classe admet cette justification, et la maitresse invite encore à comparer
« par l'oreille » la solution du livre et celle de Clément. Les enfants concluent que
cette dernière est jolie à dire parce qu'en plus ça rime !
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2.2. Commentaire
3. CONCLUSIONS
que certaines partitions sont loin d'être nettes et que, pour opérer saisies, fixa¬
tions et déplacements dans le matériel de plus en plus foisonnant qu'offrent les
enfants, l'enseignante) a besoin d'être rapide, cultivéfe), lui (ou elle)-même en
recherche, bref un expert du questionnement et du détournement, dans des
domaines où les choses ont rarement l'air de ce qu'elles peuvent devenir... Par
exemple, dans les activités que nous avons sommairement décrites, peut-on
toujours séparer moments d'expression et moments de structuration, travail de
l'oral et travail du scriptural, apprentissage de la lecture et apprentissage de
l'écriture, suggestion de l'adulte et trouvaille d'un enfant, souci de l'exactitude et
accueil de l'invention... ? Non bien sûr, car nous observons un ensemble
coopératif dans lequel des sujets différents par leur âge, par leurs savoirs et par
leurs démarches veulent (et peuvent, parce que le dispositif didactique le per¬
met) interagir.
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Produire et recevoir la complexité langagière...
NOTES
(1) Ce serait certes trop optimisme que de croire couramment pratiquées les activités ici
décrites ; il nous semble clair cependant qu'elles n'étaient pas envisageables avant
le Plan de Rénovation et son long « suivi », dont Hélène Romian a été l'une des plus
constantes responsables.
(2) Les pratiques langagières citées proviennent de la classe de Michèle MAUREL, for¬
matrice à l'IUFM de Poitiers et enseignante en cycle 2, Cours préparatoire, qui a
naguère travaillé dans le groupe INRP qu'y animait Paulette LASSALAS. Elles sont
aussi l'objet des analyses soutenant la thèse qu'elle prépare sous la direction de
Claudine FABRE-COLS à l'Université Stendhal, Grenoble. Quant au présent article, il
a été rédigé en collaboration.
(3) Sylvie PLANE, Lettre de la DFLM n° 20, 1 997.
(4) Hélène ROMIAN, Études de Linguistique appliquée n° 87, 1 992, p. 25.
(5) Pour préciser autrement ces principes, nous renvoyons ici à notre article, « Premières
pratiques accompagnées dans la production et la réception des écrits : interactions
et commentaires », Québec français, « Le commentaire dans la correction des
textes », automne 1999, n" 115, p. 43.
(6) Ce cadre a déjà été décrit par de nombreux didacticiens du français : entre autres
Hélène ROMIAN, divers Repères, et Yves REUTER, par exemple dans Enseigner et
apprendre à écrire, ESF.
(7) Référence aux travaux de VYGOTSKY, et à leur relais par BRONCKART,
SCHNEUWLY et leurs équipes à Genève.
(8) Voir Hélène ROMIAN, dans divers Repères.
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(9) Et leur continuation par divers chercheurs, dont Jacqueline AUTHIER, en particulier
(1 982) « Hétérogénéité montrée et hétérogénéité constitutive », DRLAV n° 26, Univ
Paris 8, 91-151.
(10) Ed Young, Éditions Milan.
(1 1)C'est à dire verbe délocutif, introduisant des paroles rapportées. Pour plus de préci¬
sions sur le code spécifique employé dans cette classe voir C. FABRE et P. CAP¬
PEAU, « Pour une dynamique de l'apprentissage : lecture / écriture / réécritures »,
Études de linguistique appliquée, n° 101 , fév 1996, 46-59.
(12) On sait que c'est l'une des définitions que donne Roman JAKOBSON de l'activité
métalinguistique.
(13) E. CARLE, Éditions Mijade.
(1 4) On peut ici supposer qu'il s'agit en partie d'un effet de lecture, puisque, dans l'album
de référence, le personnage « Caméléon » s'identifie en rêve à d'autres animaux :
« J'aimerais bien être un ours », « J'aimerais bien être rusé comme un renard »...
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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