Université À Montréal: Du Québec
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MÉMOIRE
PRÉSENTÉ
DE LA MAÎTRISE EN ÉDUCATION
PAR
VILBONHEUR OSNÉ
OCTOBRE 2014
UNIVERSITÉ DU QUÉBEC À MONTRÉAL
Service des bibliothèques
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intellectuelle. Sauf entente contraire, [l 'auteur] conserve la liberté de diffuser et de
commercialiser ou non ce travail dont [il] possède un exemplaire.»
REMERCIEMENTS
Fort de notre observation, nous nous sommes posé la question comment expliquer ce
phénomène de psychologisation de l'éducation. L' hyper-psychologisation de l'espace
scolaire nous a motivé à réfléchir sur ses implications politiques et économiques dans
le processus de scolarisation. Cela n'a pas été facile, compte tenu du fait que notre
analyse documentaire doit s'inspirer des idées les unes plus diversifiées que les
autres. La lecture de certains textes, éparpillés sur des siècles d'histoire, nous a
retracé les premiers balbutiements d' une pensée psychologique jusqu'à son expansion
actuelle sous sa forme variée.
REMERCIEMENTS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . u
DÉDICACE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 111
AVANT-PROPOS .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1v
LISTE DES ABRÉVIATIONS, SIGLES ET ACRONYMES . . . . . . . . . . . . . . . . vu
RÉSUMÉ ET MOTS- CLÉS ... . ............. . ........................ viii
INTRODUCTION .... .. . . . . . . .. .... ... . . . . ...... . ................... . 1
Le choix méthodologique. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6
CHAPITRE I . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9
1.1 Éléments essentiels à la compréhension de la problématique . . . . . . . . . . . . . 9
1.1.1 Observations et préoccupations ............................... 11
1.1.2 Implications politiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13
1.1.3 Implications économiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15
1.1.4 Arguments justificatifs . .... .. . . ... . . . . . . . . . ....... . ........ 18
1.2 Balises conceptuelles ............................................ 20
1.3 Définitions/différentes acceptions dans la littérature psychosociologique. . 22
1.4 Les raisons ou les facteurs de la psychologisation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23
1.5 Survol historique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25
CHAPITRE II . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 31
2.1 Les implications du discours psychopédagogique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 31
2.2 Ses implications politiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 33
2.3 Ses justifications . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 36
2.3.1 Promouvoir le rendement scolaire. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 36
2.3 .2 Prévenir l'échec et la déperdition scolaires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 39
2.3.3 Garantir la justice sociale..... .. .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 43
2.3.4 Réduire les inégalités. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45
2.3.5 Homogénéiser la société . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 47
2.4 Considérations particulières face à de tels objectifs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 49
vi
CHAPITRE III . . . . ... . ...... . ... ... .... . ....... . . .... . ..... . ..... . . 52
3 .3 .1 Des enseignants . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 60
CHAPITRE IV . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 68
4.1 Les implications économiques de la psychologisation de l' éducation .. . .. . 68
4.2 L 'école face à la globalisation.. . .. . . . . . ... .. .. .. .. . ..... . .. .. .. .. 72
4.3 Les exigences de la globalisation .. .. .. . .. .... . .. ... .. .... . ... .. .. . 75
4.4 L'école face à la privatisation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 77
4.5 Les conséquences . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 80
4.5.1 L 'école comme entreprise . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 80
4.5 .2 Les inégalités économiques se creusent. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 84
4.5.3 Les coûts démesurément exagérés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 89
4.5.4 Les enfants défavorisés et la compétition ... .. .. ... . .. ... . 92
CHAPITRE V . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 96
5.1 La psychologisation de la pratique scolaire comme outil de domination . . . 96
5.2 La psychologisation de l' éducation et les planificateurs. . . . . . . . . . . . . . . 104
5.3 La psychologisation de l' éducation et l' idéologie . . . . . . . . . . . . . . . . 110
5.4 La psychologisation, expression d'une pensée unique ou forme
pathologique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 114
5.5 Synthèse et analyse complémentaire ..... . .. . . ...... ......... . .... 118
CONCLUSION . . . ....... .. ....... .. ....... . .... ...... .... . .. .. . . . 124
RÉFÉRENCES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 127
LISTE DES ABRÉVIATIONS, SIGLES ET ACRONYMES
Dans le cadre de cette recherche, nous allons réfléchir sur les implications politiques
et économiques de la psychologisation de 1' éducation dans Je processus de
scolarisation. Nous vérifions les premières manifestations de la pensée psychologique
dans l' ordre des questions scolaires, son évolution et ses principales préoccupations
quant aux débats actuels sur 1' éducation en général. Tout au long de notre démarche
nous continuons à poser des questions quant à la persistance de cette
psychologisation, à ses motivations ou à ses déterminations pour vérifier si 1'objectif
était d' améliorer les conditions d ' apprentissage ou du moins si les motivations
étaient dans l' ordre des questions politiques et économiques. La consultation des
textes pertinents nous a permis de mener notre réflexion au point que la conclusion,
pour polémique qu ' elle puisse paraître, ait la propension d' amorcer d ' autres
réflexions. II est vrai que ce sujet n' a pas fait l' objet d' intenses investigations,
cependant il n' a pas été non plus ignoré par les spécialistes en éducation. Citons à
titre d' exemples, La banalisation du «psy» de Serge Blondeau et de Jean-Claude
Rouchy, Objectivation et perversion pédagogique d'Emmanuel Diet, L'approche par
compétences : un amalgame paradigmatique de Gérald Boutin et Travail social,
psychologisation et place du sujet de Michel Boutanquoi, publiés dans Connexions,
no 81 . Les interrogations y relatives fusent de toutes parts. Nous convenons de
certaines limites de notre recherche. Cependant, notre conclusion quant à la
dépsychologisation de certains aspects de la modélisation psychologique amorcera
d' autres pistes de réflexion. Elle contribuera à la désolidarisation de ce modèle
singulier pour se concentrer sur une modélisation qui tiendra compte de toutes les
approches pouvant améliorer les conditions d' apprentissage. Cela étant dit, la
modélisation psychologique a apporté et continue d' apporter des améliorations
ponctuelles et substantielles, la dépsychologisation de certains de ses aspects ne peut
que faciliter l'exploration d' autres modèles à valeur égale.
La psychologisation de l' éducation s' alimente de toute étude qui traite des structures
et mécanismes psychologiques susceptibles d' intervenir dans une situation
d' éducation. Au centre des conduites psychologiques de l' individu, elle devient Je
3
carrefour de toutes les spécialités. Elle fait ses preuves par le biais de certaines
découvertes qui, aujourd ' hui, apportent un éclairage plus pointu sur le processus
d' apprentissage complexe nécessitant la collaboration des disciplines connexes.
Aussi, la dyslexie, la dyscalculie, la dysorthographie ont-elles été considérées comme
des avancées importantes pour l' amélioration des conditions et techniques
d' apprentissage. Médicalisations, certes, dirait-on, mais elles s' accompagnent d'une
valeur marchande dont les implications peuvent potentiellement jouer un rôle
déterminant dans le processus de scolarisation. Elles auront permis de détecter les
enfants qui ne sont pas en mesure de suivre une scolarité normale, dans l' esprit de
leur assurer une formation spécifique. Cependant, les instruments élaborés à cette fin
se révèlent trop restrictifs. Des échelles, pour la plupart essentiellement descriptives,
permettent de situer un individu parmi ses pairs en fonction de son niveau de
développement cognitif
pas être envisagée ou mesurée de manière individuelle, mais elle doit terur compte
des influences sociales, politiques, économiques et même idéologiques à la base de
cet échec. Ils sont faibles, voire mauvais, se plaît-on à dire, en parlant des enfants
issus de milieux défavorisés. Placer des individus en situation institutionnelle
d' échec pour certains et de réussite pour d'autres entraîne des modifications très
complexes à décrire, nous enseignant que les uns et les autres ne réussissent pas ou
n' échouent pas simplement parce qu ' ils sont respectivement bons ou mauvais, mais
plutôt que les influences sociales et économiques peuvent être à la base de l'échec ou
de la réussite. Il faut absolument remédier à la situation que le milieu est le facteur
fondamental d ' échec ou de réussite, comme si l' élève se vivait intrinsèquement et
définitivement « mauvais » ou «bon ».
En fait, c'est une évidence que la deuxième moitié du 20e siècle s' est achevée par une
multiplication incroyable des recherches psychologiques et didactiques. Et que les
conclusions de ces recherches peuvent potentiellement améliorer les conditions
d'apprentissage. Peut-on, pour cela, conclure que la didactique progresse, en dépit du
fait que les conditions d'apprentissage s'améliorent et qu' elles peuvent même
influencer l' évaluation et la remédiation des problèmes? La réponse à cette question
passe par un examen plus minutieux de notre problématique irutiale. Notre tâche
consistera à parcourir la documentation et la littérature pertinentes à son explication
et à sa compréhension. On analysera la véritable fonction de cette psychologisation
6
Le choix méthodologique
écrits et se situer à 1' intérieur d' un «cadre théorique » préalable, ne nous offre pas
trop de garantie de compréhension et d' interprétation.
En fait, notre choix d' analyse documentaire nous permettra de suivre l' évolution de la
pensée, ouvrant ainsi la possibilité de consulter des types très divers de textes
fondateurs, philosophiques, anciens comme récents, polémiques, etc. I1 se crée par le
fait même un espace pour la réflexion, la méditation au sens cartésien ou dans son
sens le plus large. La recension des écrits aiguise la sensibilité théorique du
chercheur, l' affranchit d'une certaine manière des contraintes émanant de l' entretien
de groupe. Cet aspect de l' analyse documentaire nous a particulièrement motivé, car
il ne s' agit pas pour nous d' exécuter une recherche purement vérificatrice. otre
objectif vise à comprendre la nature de la psychologisation de 1' éducation et
1' influence potentielle qu ' elle peut jouer dans le processus de scolarisation. Ainsi
avons-nous compns que les contraintes de 1' entretien individuel ou de groupe
peuvent limiter l' aspect critique du travail de recherche. Car l' individu est forcément
marqué, en positif ou en négatif, par les empreintes de sa culture d' appartenance.
Cependant, il n' est pas hors de question que l' analyse documentaire comporte, elle
aussi, limitations ou préjugés dans le choix des textes à consulter. Mais la possibilité
de mener une réflexion plus nuancée ou plus critique offre la perspective d ' une réelle
ouverture et une confrontation subséquente des écrits pour mieux comprendre le
phénomène étudié.
Il est à noter que nous pouvons aussi utiliser 1' entretien collectif ou de groupe dans le
cadre de notre réflexion, mais nous privilégions la recherche documentaire au
détriment de toute autre méthode d' analyse. En plus, la nature épistémologique de
notre réflexion déborde le cadre restrictif de 1' entretien collectif pour mieux analyser
l' existence possible des influences politiques et économiques de la psychologisation
de l' éducation dans le processus de scolarisation. De ce fait, un ensemble d' idées
provenant d' horizons différents, ou émanant d' auteurs différents et particulièrement
8
d'un siècle à un autre, offre un tableau beaucoup plus représentatif, parce que plus
diversifié, qu'une étude par échantillons. Les ouvrages consultés présentent une
variété d'informations. Les uns retracent la dimension historique de notre démarche
pour observer à partir de quelle période a commencé la germination de la pensée
psychologique et quels sont les facteurs associés à son développement. Les
consultations des ouvrages, situés au XVIIe siècle et jusqu'au XXIe, s'avèrent
nécessaires. Certains autres remplissent une fonction beaucoup plus pédagogique.
Koula Melles, commentant l' ouvrage de Michel Foucault publié en 1975, Surveiller
et punir, reprend la thèse selon laquelle le savoir est intégralement lié au pouvoir et le
pouvoir au savoir. Il rejette le postulat de neutralité de la science, tout en cherchant
10
à démontrer dans son analyse des rapports sociaux du pouvoir comment le savoir
provenant de la science est destiné à servir un appareil social de pouvoir, ayant
comme effet la discipline, et comment le comportement discipliné s' offre à la science
comme standard suivant lequel se construisent ses énoncés généraux, lesquels
réclament un statut neutre, mais qui ne sont qu ' imprégnés du pouvoir ( Mellos,
2003 , p. 556). De ce fait, le modèle d' enseignement traditionnel ne reconnaît que
l' argument d' autorité, même si les autorités fondent leurs décisions sur l' avis des
scientifiques. Argument classique, si cet avis est unanime et traduisible sans
déformation en directives concrètes, le fait d ' en faire une loi en supprime tout
caractère scientifique. Karl Popper rappelle ceci : «Toutes théories sont des
hypothèses, toutes peuvent être renversées» (Popper, 1985, p.42). La loi de l' ordre
social est aux antipodes de l' hypothèse scientifique, elle impose obéissance! Si
bénéfique et nécessaire soit-elle pour traduire des choix de société, la loi devient
nocive lorsqu' elle règle d' autorité des questions ne relevant que de la démarche
scientifique. Muselée par le pouvoir, la science devient stérile, position que partage
Ewald Velz (2005) dans son texte Médicalisation, psychologisation et
sociologisation. À propos des alibis de L'école.
Par ailleurs, dans une société où l'orientation de la recherche est déterminée par des
retombées de nature économique ou politique, le risque d' interférence ou de contrôle
peut nuire à la qualité de cette recherche et à son utilisation. Cette situation de fait a
été dénoncée dans Le Crime de chercher. Un Plaidoyer pour les enseignants
chercheurs du secondaire, paru en 1983 . Et Ewald Velz soutient dans son texte ci-
dessus mentionné : « S' adonner à la recherche pendant son travail, c' est refuser
l' obéissance et la soumission aveugles, c' est introduire l' imprévisible dans un monde
planifié pour le plus grand bien des planificateurs» (Velz, 2005, p.5). Ces derniers
disent s'inspirer des scientifiques dans la mise en œuvre d'une politique éducative.
11
Ceci dit que les réformes proposées et les orientations de 1' éducation ne sont pas de
nature politique.
Les inégalités de réussite, note Garcia (2000), sont pensées en termes d ' inégalités de
talent et les cas les plus manifestes d' échecs scolaires sont alors résolus par l' enfance
anormale. Les difficultés, renchérit Guichard (2002), ont été petit à petit considérées
comme des maladies. Ce qui nous conduit à une psychologisation progressive des
difficultés scolaires. ll importe de préciser que les outils psychométriques de Binet
ont permis de sélectionner, parmi les élèves scolarisés, ceux qui doivent être orientés
en classe spéciale. Jacqueline Gâteaux-Mennecier (2005, p. 39) écrit : «D 'une part,
1' origine des classes de perfectionnement se situe à 1' asile et non à 1' école, le projet
12
n' étaient -et ne sont - qu'une invention de psychologues» (Baruk, 1977, p. 196). Par
contre, 1' enfant sera déclaré inapte et on 1' enverra à la première personne-psy venue
qui l'achèvera par un diagnostic aussi délirant que celui-ci, précise l' auteure (Baruk,
1977, p.180-181). Et l' enseignant est appelé à jouer le rôle de justification de
1' échec, en déclarant 1'enfant incapable, l'excluant du champ de la compétence
pédagogique. Il est donc nécessaire d' admettre, enfin, que l' échec scolaire est et reste
un problème, même si la psychologisation fructueuse de certains aspects peut
améliorer les conditions d' apprentissage. Que dire de ses implications politiques?
C' est peut-être une évidence que l' enseignement n' est pas innocent face à un modèle
de comportement discipliné. Il peut servir d'instrument d'aliénation au pouvoir
politique. Ainsi 1' interférence des planificateurs dans la gestion de la «chose
éducative» ne doit-elle pas toujours être interprétée comme signe de la volonté du
pouvoir à prévenir la déperdition scolaire et à garantir la réussite, mais elle peut être
aussi la manifestation évidente de contrôle dont l' objectif essentiel est d' obtenir des
gains politiques sous couverture électoraJe. De l' avis de Bourdieu et Passeron (1970),
en outre, se donnant comme objectif premier, mais non avoué, la reproduction de la
société et de ses hiérarchies, l' appareil scolaire doit parvenir à exclure
<<légitimement » ceux qui ne sont pas appelés à occuper des postes privilégiés. On
peut aussi lire sous la plume de Claude Veil et de ses collègues ce qui suit : « Il
sécrète, c' est-à-dire l'enseignement, l' inadaptation scolaire comme une toile
d' araignée destinée à coller les défavorisés». Comme conséquence, « l' enfant
inadapté est un avatar de l' inadaptation, et celle-ci une essence qui préexiste.
Autrement dit, l' inadaptation existe avant les inadaptés ... , tout se passe comme si
l' inadaptation, préformée, s'incarnait dans tel enfant » (Veil, Beauchesne et al. , 1977,
p. 83-84). Les enfants de certaines familles culturellement et économiquement
défavorisées réussissent moins bien à l'école, en moyenne, que les enfants des
14
Par ailleurs, les acteurs de l' économie globale accusent les interventions de l'État
d' être responsables de la détérioration de l' enseignement. Cependant, la non-
17
intervention de l'État et la prise en charge par le privé n' ont pas garanti de meilleurs
résultats. On en veut pour preuve les statistiques et les déclarations des enseignants
ou des analystes de l' éducation. Une accélération de sa détérioration alarme parents,
enseignants, et chercheurs. Et pour pallier à cet effet, Friedman, dans un article publié
en 1995 par le Washington Post intitulé «Public Schools: Make them private», pense
que « la détérioration de l'enseignement serait essentiellement due aux effets de la
centralisation excessive du système scolaire ainsi qu 'à la trop grande puissance des
syndicats d' enseignants. Pour affaiblir ces derniers, comme l' exemple chilien l' a
montré, la privatisation est un moyen très efficace : les enseignants sous contrat
pourraient être renvoyés comme n' importe quel employé du secteur privé.
Débarrassées des syndicats, les écoles seraient dès lors mieux à même de répondre
aux vœux des familles en adoptant des dispositifs innovateurs» (Laval, 2003 , p.ll4).
Serait-ce la voie à suivre ou ne serait-ce que l'expression du pareil au même? La
privatisation ou le désengagement apparent de l'État n' entraînera pas une
amélioration, si les outils pédagogiques disponibles ne sont pas à la portée de tous.
Les efforts de privatisation et d' éloignement de l'État sont jusqu 'à présent sans
succès, tandis que la marchandisation frappant à la porte de l' institution scolaire, tant
dans sa gestion que dans ses instruments pédagogiques, occupe une place de premier
rang. De toute évidence, 1'État continue de jouer son rôle dans l' organisation des
études et la définition des diplômes. Et les relations multilatérales, dans le contexte de
mondialisation du savoir, pour une réponse aux défis d'une économie de plus en plus
globalisée, justifient la mainmise de l'État, tant dans la répartition des cursus
universitaires que dans l' administration directe des institutions scolaires. Le
panorama est, certes, sombre, mais il nous permettra de tirer les conclusions
appropriées dans la conduite de notre investigation, celles de déterminer les
implications politiques et économiques de la psychologisation de l' éducation.
18
Les difficultés d'apprentissage, les besoins sans cesse croissants de réforme, les
nécessités de contrôle du comportement, sont entre autres les éléments implicitement
mentionnés comme justification de la psychologisation de l'éducation. En ce sens, il
aurait été indéniablement justifié que le recours à la psychologie, pour résoudre les
problèmes pédagogiques, n' ait qu'un objectif: celui de garantir les chances de
réussite égales pour tous, par souci de justice distributive. Les voix condamnant les
pratiques psychologisantes n' auraient qu ' un effet perturbateur, puisque les
dénonciations ne se justifieraient pas. De tels détracteurs n' auraient pas aidé à
circonscrire les difficultés frappant l' institution scolaire. Les différentes conceptions
psychologiques, productrices des injonctions et contradictions, de l'avis des partisans
de la psychologisation, font converger conceptions psychologisantes de
1' apprentissage et performances, et ces dispositifs ne sont pas sans produire des effets
bénéfiques à la réussite des enfants. Au-delà de ces arguments, s' imposent des faits
qui sont de nature à justifier le côté «merveilleux» de la psychologisation. Il est
toutefois reconnu, de manière non abusive, que certaines découvertes de la
psychologie peuvent influencer ou même aider au développement des pratiques
pédagogiques au bénéfice de l' apprentissage des enfants. Citons, à titre d'exemples,
les techniques de la dyslexie, de la dysorthographie. Les approches culturelles sont
aussi d'un apport significatif pour saisir la complexité du multiculturalisme et les
phénomènes juxtaposés. Cependant, de telles considérations et bien d'autres ne
sauraient nous priver du droit de questionner les apports de la psychologisation de
l' éducation au monde scolaire.
En effet, tout phénomène, qu ' il soit scientifique ou non, ne peut se justifier comme
n' ayant pas de retombées positives ou négatives. La psychologisation n' y échappe
19
nullement. L ' enflure dramatique des cas pédagogiques isolés comme justification de
1' anormalité d'une catégorie sociale peut ne pas être un phénomène innocent,
puisqu ' elle conclut d'une observation individuelle à une tendance collective. Le test
de quotient intellectuel, véritable fétiche pour certains psychologues, réalisé dans des
conditions douteuses sans portée universalisante, reste la plus importante tentative de
médicalisation ou de psychologisation des difficultés scolaires. C'est pourquoi l' école
et les scientifiques de 1'éducation, même aidés par la panoplie des découvertes
psychologiques, n' ont pas réussi à prouver avec certitude que le milieu pouvait jouer
un rôle exclusivement déterminant dans l'apprentissage des enfants. Curieusement,
il faut se demander si naître dans un milieu défavorisé peut être un facteur essentiel
au regard de la réussite scolaire, et pourquoi ce milieu devient-il un terrain fertile à
tant d' investigations scientifiques? Il n' est pas une fatalité, si l' on met tant d' efforts à
en rechercher les causes. Un survol dans l' histoire de la pensée fera découvrir que
les savants et les courants de pensée marquant notre existence d'une façon ou d' une
autre ont été d'origine sociale différente. Ce n'est pas un jugement, il est seulement
un rappel historique contre l'argument culturel de type psychologisant, selon lequel Je
milieu détermine l' échec ou la réussite scolaire.
Le concept de psychologisation est de création récente et occupe aujourd ' hui une
place prépondérante dans la littérature pédagogique. Il est d' un usage polysémique et
même polyvalent qui rend sa compréhension difficilement accessible à tout esprit non
initié à la littérature scientifique. Dans le cadre de notre investigation, il sera
largement utilisé comme médicalisation, et son explicitation s' impose pour saisir de
façon intelligible ce qui constitue la substance de notre démarche. Faisons appel
premièrement à son étymologie : du latin savant du XVIe siècle, soit en 1588, le mot
«psychologia» signifie science de 1' apparition des esprits. Il avait une connotation
philosophique ou métaphysique, considérée comme étude des phénomènes de l'esprit
et de la pensée (Le Petit Robert, 2009, p. 2063). Au fur et à mesure que se développe
21
La psychologisation, terme à réalité plurielle, est d' un usage très ambigu . Un retour à
sa littérature permettra de repérer les ambiguïtés, ensuite de la confronter à un champ
empirique, le milieu scolaire, pour identifier avantages et inconvénients. De par sa
dimension sociale, la psychologisation se traduit par l' introduction de dimension de
soin, d' accompagnement ou de prévention relative à la souffrance psychique. D ' où
cette propension à l' intervention sociale. Il s' agit, à partir des observations, de
déduire les enjeux politiques et économiques de la psychologisation de l' éducation.
Ainsi se réfère-t-elle sous la plume d' un sociologue à une opposition disciplinaire,
une divergence épistémologique sur la construction des objets. «Elle s' oppose à toute
approche sociologique des problèmes sociaux, mais aussi et surtout à la politisation et
à 1' historicisation de ces objets. Elle est donc désocialisation, dépolitisation des
représentations, incapacité de traiter ou de penser les problèmes de manière
sociohistorique», affirme Lise Demailly (Demailly, 2006, p. 4). Sous la plume des
professionnels, des spécialistes des sciences humaines, il s' agit de dénoncer, de
critiquer la montée d'une manière psychologisante d' agir sur le monde et sur autrui,
et de son influence grandissante. On peut aussi parler de «psychologisation» du
management, du travail et de l' échec scolaire.
Psychologiser l' échec scolaire, par exemple, c' est penser ou traiter certains problèmes
liés à la structure de la classe, à son exploitation ou aux inégalités sociales. Ainsi, le
23
qu' il perturbe l' ordre établi, d' où cette attitude paradoxale qu ' ils professent en
voulant d' un côté une transmission de la même culture à tous sans distinction et de
l' autre en refusant l' égalitarisme en éducation. « Il n' est pas question, disent-ils, de
baisser le niveau de la transmission de la connaissance pour faire plaisir aux apôtres
de l' égalité sociale» (Bertrand, 1998, p.241).
S' il est difficile de chercher les raisons ou les facteurs de la psychologisation dans la
justice distributive par la voie de l' égalitarisme ou de la démocratisation, il faut tout
de même reconnaître la justesse et la pertinence de ces valeurs. Même si l'intention
qui se cache derrière peut ne pas être explicitement connue, le simple fait qu ' on en
parle peut diluer tout effet politique de cette modélisation psychologique. Les
difficultés liées à l' apprentissage sont-elles toujours de nature psychologique d'une
25
Précisons, avant tout, que ce tour d'horizon historique ne consiste pas à retracer
l' histoire de la psychologisation comme telle, mais de préférence à regarder les
moments décisifs de sa préoccupation pour la «chose éducative». On peut, toutefois,
se demander en quoi ce survol historique aidera à la compréhension de la
psychologisante manière de penser, d' aborder ou même de saisir les difficultés
scolaires. Ce questionnement ne date pas d' aujourd ' hui et pourtant, malgré une
certaine réticence, la psychologisation de l' éducation s' intensifie et elle sembl e
inéluctablement occuper l' espace scolaire dans son ensemble, au point que toute
difficulté pédagogique de quelque nature que ce soit n' échappe pas à son emprise.
Elle devient instrument incontournable de mesure, de progrès, d ' échec et
d' amélioration subséquente. Son emprise est telle que les différentes théories
éducati ves portent les empreintes indélébiles des théoriciens qui ont reçu une
formation en psychologie ou qui sont eux-mêmes des psychologues. Certainement
des exceptions, mais dans la majorité des cas notre thèse se confirme. Analysons
maintenant ce qui fait la substance de cette partie.
Sous la plume des sociologues de l' éducation s' est imposée l' idée que la réussite
scolaire est socialement différenciée. Conditionnée par l' intelligence qui, elle-même,
26
se trouve inégalement répartie, cette réussite est alors à la merci de la culture. Ce qui
a engendré la thèse des handicaps socioculturels. Une hiérarchie des cultures était
ainsi mise en place, analogue à la hiérarchie définie par l' inégalité économique et
sociale. Cette hiérarchisation culturelle a été à la base des tests d'intelligence réalisés
par Binet et Simon au début du :XX:e siècle. Soutenir la notion de handicap
socioculturel, c' était reconnaître l' infériorité des classes dominées, puisqu'à
l' aliénation économique et politique venait s' adjoindre, comme pour la justifier dans
un cercle vicieux, la constatation de l' infériorité intellectuelle de ces classes. Une
opposition à fondement idéologique amenait à réfléchir sur la nature de l' intelligence.
Elle était destinée à refuser la validité de cette hiérarchisation culturelle. L ' échec
n' est pas imputable à une quelconque infériorité intellectuelle, mais à l' action
d'autres facteurs qui peuvent être essentiellement économiques et politiques. Et les
tests d'intelligence sont questionnables, parce que la science génétique n' apporte
aucune donnée permettant d'étayer la thèse de l'hérédité des facteurs intellectuels. La
fatalité biologique, comme le souligne Robert Ballion en 1977 dans son ouvrage
L 'argent et l'école, a dû être abandonnée pour être aussitôt remplacée par une fatalité
sociologique.
Aussi longtemps que la crise scolaire persiste et que l' intensification psychologique
continue, les difficultés pédagogiques doivent composer avec la réalité multiforme de
l' éducation. Et les résultats doivent se mesurer de façon tangible. Il est, certes, vrai
que la relation d'implication entre difficultés psychologiques et difficultés scolaires
aide à comprendre les imbrications, cependant elle ne justifie pas la dramatisation à
laquelle l' école se trouve soumise. C' est évident que ce cri d'alarme permet aux
acteurs d' être plus vigilants, de s'assumer ou de se responsabiliser, mais il ne doit pas
être chargé idéologiquement, dans le sens qu ' il ne faut pas utiliser le statut
«scientifique » d'une discipline pour dramatiser ce qui ne saurait être résolu par la
dramatisation. En dépit de toutes les avancées des recherches psychologiques, si on
27
Par ailleurs, l' expression «psychologie scolaire» employée en 1922 est attribuée à
William Stern, et c' est aux États-Unis que s' est développée cette profession au point
qu ' elle ait pu être considérée comme une spécialité américaine. Cependant, loin de se
confiner à l'espace scolaire américain, elle s' est rapidement implantée dans d ' autres
pays, particulièrement en Europe. Son expansion est favorisée par une association
internationale de psychologie scolaire. Le besoin de psychologues scolaires a été mis
en évidence par les problèmes relatifs à la scolarisation des enfants des familles
immigrées et les politiques d ' intégration scolaire. La propagation de la psychologie
scolaire s' est faite à des périodes différentes suivant le pays. En Allemagne, elle s' est
développée en 1922, au Danemark en 1934, en Belgique en 1949, aux Pays-Bas en
1950, l' Irlande et l'Europe du Sud en connaissent un développement tardif (Perron et
al. , 1998). Ces professionnels devraient être chargés d' exercer un contrôle
pédagogique sur les élèves : suivi permanent de leur cursus scolaire, repérage des
enfants en difficulté, aide à leur apporter et collaborer au bon fonctionnement de
l' institution dans son ensemble, par leur présence dans l' école. Cependant, les
incertitudes de cette mission, les résistances et pesanteurs sociologiques ont rendu
cette fonction difficilement opérationnelle.
28
1
toute approche, ce que Robert Castel appelle une culture psychologique en opposition 1
associées aux pratiques scolaires, si elles ne sont pas déductives de cette culture, 1
Résumons pour dire que le processus de psychologisation de l'éducation s' est inspiré
des théories personnalistes et particulièrement du travail éducatif effectué par
différents pédagogues au début du XXe siècle. Citons, à titre d'exemples, Neill,
connu pour avoir mis en œuvre l' école de Summerhill, le travail de Cesare Lombroso
en Italie, d'Herbert Spencer en Angleterre, de William James aux États-Unis. Ces
pédagogues sont, pour la plupart, convaincus des théories de Rousseau, qui avait pour
principe de n' imposer aux enfants aucune limitation, aucune règle, aucune tradition,
et de les laisser développer en toute ljberté leurs penchants et leurs aptitudes. Le
deuxième moment fort de ce courant a été marqué par les travaux des psychologues
d' inspiration personnaliste, particulièrement Rogers et Pagès. Ce dernier soutient que
30
La psychopédagogie jouit d'un accord presque unanime entourant son usage et les
retombées bénéfiques potentielles de son application dans l' amélioration des
conditions d'apprentissage. Mais elle fait encore aujourd'hui l' objet d'intenses
interrogations sur la nature de ses contributions. Objections et interrogations
pullulent, adversaires et partisans s' affrontent, et la psychologisation de 1' éducation
améliore les techniques pédagogiques. Son utilisation, de plus en plus recommandée,
soulève de questionnements. La critique sociologique de l' école dénonce son
caractère politique et économique. De ce fait, elle condamne le fonctionnement d'un
système d' enseignement pris en flagrant délit de reproduire la structure des rapports
de classe. Le rapport entre cette tradition sociologique critique, voire révolutionnaire,
et le modèle psychologique de la pédagogie a été établi par Philippe Raynaud en ces
termes :
La dynamique égalitaire s' est d'abord traduite par une critique des privilèges
de classe devant l' enseignement, qui conduisait à revendiquer l' institution
d'une sélection à l'entrée du lycée. Le constat que, au terme des procédures
d'orientation ou de sélection, le succès scolaire reste plus fréquent au sein des
classes privilégiées que des classes populaires a conduit ensuite à revendiquer
une stratégie méthodique de réduction des inégalités socioculturelles. Au terme
de cette évolution, c'est la culture scolaire elle-même qui est devenue suspecte,
et l' école a été sommée de renoncer à imposer ses modèles propres pour
s' adapter à la «diversité» des élèves qui la fréquentent . La pédagogie moderne,
quant à elle, était initialement sollicitée comme un moyen pour aider les
individus à s' approprier la culture scolaire, mais ce qui est au cœur de ses
courants les plus cohérents, c' est la revendication beaucoup plus radicale d'une
redéfinition complète des finalités de l'école à partir des besoins de 1' individu.
(Baillot et Le Du, 1993, p. 76.)
32.
Il s' avère quelque peu difficile d' analyser les implications politiques de la
psychologisation de l' éducation, si on prend en compte les objectifs didactiques
qu ' elle s' est fixés et le caractère éminemment scientifique évoqué au départ.
Comment concilier «caractère politique», ayant pour motivation des intérêts
immédiats, subjectifs vmre passionnels, et «caractère scientifique»
psychologiquement dépouillé de toute immédiateté? Préoccupation, certes, légitime,
mais dont le paradoxe laisse encore la porte ouverte à toutes les interrogations. Il ne
suffit pas de dénoncer le caractère inconciliable, en apparence, du discours
psychologisant de l' éducation et de ses implications politiques potentielles, mais il
convient d' analyser les imbrications pour bien distinguer interpénétration et influence
de l' un sur l'autre. Cette dynamique permettra de bien éviter la confusion d' un
discours politique à résonnance scientifique, c'est-à-dire d' un discours prenant l' allure
d'une démarche politique sous le maquillage de la science. Il va sans dire que tout
discours, rut-il scientifique, ne saurait être l'expression neutre de toute marque
idéologique. Cependant, il est ici question de l' influence politique à la base de cette
psychologisation.
Ses motivations sont en relation permanente avec le souci d ' amélioration des
techniques d' intervention pédagogique, mais certaines interprétations sociologiques
y voient la volonté manifeste du maintien de 1' ordre hiérarchique de la société. Elles
s' activent, ces interprétations, à démontrer que si tel n' était pas le cas, des
observations d' amélioration substantielle dans la réduction de 1' échec scolaire et des
inégalités sociales se seraient observées et les stigmatisations diminuées. Bien au
contraire, en dépit des progrès récents et des découvertes de nouvelles techniques de
prise en charge, les difficultés scolaires tendent à s' affirmer. Reprenons la critique
de Dominique Paty dans le numéro de janvier 1987 de la revue Esprit pour observer
34
comment s' organisent les débats actuels sur 1' éducation et les connotations de nature
politique ou économique:
Il faut avant tout observer que les débats actuels sont centrés sur l' école, et non
plus sur les rapports de l'école et de la société ; par exemple pour expliquer
certaines situations d' échec scolaire, on invoque systématiquement les
caractéristiques sociales des élèves et de leurs familles; mais tout se passe
comme s' il s' agissait de facteurs paradoxalement individuels, quasi naturels,
qui détiendraient une valeur explicative défiant toute analyse : un enfant de
milieu défavorisé a de mauvaises notes comme un pommier produit des
pommes; on peut essayer de remédier à cet état de fait, mais il n' est pas saisi
dans sa dimension proprement sociale, on ne voit pas ce qui s' y joue des
rapports entre l' école et la société. À l' autre bout de la chaîne, un certain
« pilotage par l' aval » de l'école par l' économie semble avoir acquis en peu
d' années une légitimité quasi absolue, qui ne s' encombre pas non plus
d' analyse : il faut produire un certain taux de diplômés, le reste est second, et
les autres finalités de l' éducation n'engendrent pas de débats très fournis . Ainsi
l' école est-elle spontanément située entre deux instances : la famille et le
marché de l' emploi, dans une sorte de succession temporelle simple, qui exclut
du champ d' analyse la complexité des relations dynamiques entre l' école et la
société. (citation reprise dans Baillot et Le Du, 1993 , p. 79-80.)
Cette analyse de l' auteur pose des interrogations sur la nature des implications
politiques ou économiques de 1' école. Interrogations que privilégie la critique
sociologique de l' école. Cependant, les tenants de la nouvelle version de l' école
soulignent, eux aussi, cette relation du politique et de l' économique dans la recherche
des solutions. Le discours psychopédagogique peut ne pas être, a priori, un
questionnement de nature politique, cependant ses représentants n' ont pas été tout à
fait indifférents quant à ses implications. Philippe Meirieu, digne représentant de ce
courant, en souligne le caractère manifeste : «Que les élèves ne soient plus « aptes» à
aborder les savoirs scolaires ne signifie pas, bien sûr, en dépit des incantations
nostalgiques sur la baisse de niveau, qu ' ils sont devenus « plus faibles», soit en
raison de la démagogie de leurs éducateurs, soit à cause de l' appauvrissement de leur
patrimoine génétique; cela veut dire que la plupart d' entre eux absorbent l'École sans
avoir pu, dans leur environnement familial, être formés à un certain nombre
35
d' opérations mentales qui sont absolument reqmses pour profiter des situations
scolaires traditionnelles» (Meirieu, 1989, p.l6). En fait, il importe de souligner que le
verdict d' inaptitude qui frappe les élèves en« difficulté» dans leur ensemble et auquel
viendrait répondre l' impuissance des nouvelles techniques pédagogiques n' est pas
forcément la conjugaison des facteurs politiques ou économiques. La modélisation
psychologique du savoir et des pratiques enseignantes est aussi caractérisée par une
interprétation incessante du paradigme socioculturel. Le fait de donner une
interprétation à la fois sociale et culturelle à l' inadaptation enlève-t- il la dimension
politique ou économique? Peut-être, l'explication scientifique efface-t-elle toute une
couleur politique. Pourtant, selon la critique sociologique, c' est l' inverse qui se
confirme. Le caractère scientifique des nouvelles approches ou techniques
pédagogiques de 1' institution scolaire et de ses composantes, exception faite de
l' élève, n' enlève rien de son implication politique en raison de la nature sociale même
de l' école.
De plus, il n' est pas toujours facile de s' en passer, quand on sait que l' école dans
n' importe quelle société constitue le miroir. Et le savoir véhiculé, y compris les
moyens de sa transmission, portent toujours la signature politique des acteurs. TI est
important de noter que la psychologisation de l' éducation jouit de l' impartialité dans
son approche et dans ses motivations. Cependant, si sa neutralité s' érige en évidence,
il est pour le moins intéressant de regarder comment justifier la position politique de
laquelle elle ne peut pas se passer. Voilà pourquoi l' on cherchera à examiner ses
arguments pour se faire une idée plus exhaustive des influences qu ' elle est
susceptible d' imposer.
36
La crise de rendement qui frappe l ' institution scolaire ne date pas d' aujourd ' hui . Elle
est à l' origine de toute une série de recherches qui visent la remédiation. Des
techniques nouvelles, issues de ces découvertes « scientifiques» à grande échelle de
vulgarisation, s' amoncellent et des spécialistes se substituant à l' éducateur disent
connaître les voies pour y arriver. Et pourtant, plus on intervient plus la situation
persiste. n semble que le problème n' a pas été bien abordé ou que l' approche
singulière qu'on s' invente est loin de refléter la réalité. Toutes les statistiques fiables
disponibles laisseraient augurer que les conditions d' apprentissage se détériorent.
Elles sont telles qu' elles font rêver les nostalgiques du passé. À chaque année qui
passe, on se plaît toujours à dire qu ' elle a été meilleure. Les explications fusent de
toutes parts. Et chacun veut faire prévaloir les siennes. Qu ' en est-il de la
psychologisation de l' éducation? Ses justifications à promouvoir le rendement
scolaire, pour échapper à la critique sociologique, sont-elles vérifiables ou ne
seraient-elles que l'expression d'une quelconque allégeance idéologique? Si elle
pose, comme postulat, que la réussite est conditionnée par 1' intelligence qui, elle-
même, dépend des facteurs socioculturels et que 1' intelligence est inégalement
répartie en fonction du milieu, on conçoit difficilement comment cette
psychologisation peut promouvoir le rendement scolaire, reconnaissant que les
conditions du milieu condamnent d' avance ceux et celles qui se retrouvent en
situation potentielle d'échec.
Déjà, les conditions d' existence précaires placent une catégorie sociale en situation
d' échec permanent. Et d' ailleurs, le rendement n' est pas conditionné par l'effort
déployé, mais il est question de l' établissement fréquenté. ll est peut-être choquant
d' observer que la quasi-totalité des élèves fréquentant une institution scolaire, située
37
dans un milieu favorisé, a plus de 90% de chances de réussite, alors que ceux qui
fréquentent une école, située dans un milieu défavorisé, sont littéralement condamnés
à l' échec. Les efforts qu ' ils auront à consentir sont presque insignifiants devant la
réalité sociale et économique qu ' ils devront affronter. lls finiront par céder et
donneront raison aux réalités sociologiques défavorables. On se demande si la lecture
de l' approche psychologisante de l' éducation n' est pas doublement équivoque.
Premièrement, elle laisse entendre que son approche vise à sauver ceux qui sont en
situation potentielle d ' échec. Deuxièmement, 1' enflure de certaines techniques fait
penser à 1' effet de stigmatisation qui l' accompagne et 1' objectif véritable qu' elle peut
poursuivre. Comment mesurer le rendement scolaire? Faisons appel à certaines
statistiques disponibles pour apprécier ou non la contribution de la psychologisation
de 1' éducation quant au rendement scolaire.
Plus que jamais, l' échec scolaire entraîne l' échec social, lequel menace à son tour
l' intégration sociale (Eurydice, 1994, p. 9). Des études récentes dans les pays de
l' OCDE, poursuit l' organisation Eurydice (1994), montrent qu' entre 15 et 20% des
jeunes abandonnent l' enseignement secondaire sans disposer des compétences et des
qualifications nécessaires pour accéder au marché du travail . Et que dans sept pays
développés 1/3 de la population adulte se situe, en matière de lecture et de calcul, à
un niveau incompatible avec 1' emploi (OCDE et Statistiques Canada, 1995). Selon un
rapport (1990) du ministère de l'Éducation du Québec, 34% des jeunes, en général,
abandonnent 1' école sans avoir complété le secondaire, 41% des garçons et 26% des
filles laissent le secondaire sans diplôme. Un autre rapport de l' Association
Internationale du Rendement Scolaire (IAEA) dresse un bilan très sombre, et les
résultats ne se sont pas améliorés depuis. Cette Association a réalisé des enquêtes
pluriannuelles, et ce, dans plusieurs domaines sur les écoles primaires dans 14 pays
en 1988-1995, sur l' informatique à l' école dans 20 pays en 1988-1992. De plus, dans
une enquête réalisée par le groupe PISA, on a révélé qu ' en Afrique subsaharienne,
38
C'est de plus en plus une évidence que ce recours à la psychologie soit pour régler
les problèmes scolaires, soit pour justifier une certaine forme d' ostracisme ou de
marginalisation d' une catégorie d' enfants, ne peut pas être interprété de façon
uniforme. Les contradictions et ambiguïtés que son usage soulève, posent des
questions sur son véritable objectif Les statistiques disponibles, rappelle Pierre
Dandurand (1990), font soulever des interrogations quant à la question d' échec ou de
réussite scolaire. Elles font aussi peser des doutes quant aux publicités de rendement
ou de réussite que la psychologie apporte. Les jeunes Canadiens et Américains n' ont
pas d' aussi bonnes capacités de lecture à 1'égard des textes au contenu quantitatif que
les jeunes Européens. Le jeune Canadien dont les parents avaient terminé leurs études
secondaires a obtenu un résultat correspondant à environ deux (2) années de scolarité
de moins que le jeune Européen dont les parents avaient un niveau de scolarité
comparable. Le manque de capacité est encore plus prononcé chez les jeunes
Américains (Statistiques Canada, 1995). Il est intéressant d' observer que même dans
les pays industrialisés où l' on fait un usage régulier de la psychologie, et c' est
particulièrement le cas aux États-Unis d' Amérique, on constate une baisse
vertigineuse dans le rendement scolaire des enfants. Toutefois, la situation globale de
scolarisation s' est améliorée au Québec. Les jeunes obtenant un diplôme sont plus
nombreux que par le passé, écrit Pierre Dandurand en 1990. En dépit de cette
amélioration substantielle, les jeunes des classes défavorisées n' ont pas réussi à
combler l'écart qui les séparait jadis des jeunes socio-économiquement avantagés.
Situation similaire dans les pays industrialisés, particulièrement le Canada, la France
et les États-Unis.
La situation d' échec et de déperdition scolaires, dans les écoles tant privées que
publiques, représente un défi dont la solution, en dépit des mesures et stratégies
40
adoptées, n' est pas pour demain. C'est une situation aussi vieille que l' école elle-
même. Les études se succèdent, relevant la gravité du problème, et les stratégies pour
le contrer sont mises en place. L'approche psychologisante en est une expression .
Dans une étu de réalisée entre 2006 et 2007 par Statistiques Canada, un enfant sur
trois n' a pas terminé ses études secondaires au Québec et le taux des sans-diplômes
est alarmant. Les statistiques disponibles (1982) quant à l'échec scolaire traduisent
une situation préoccupante à laquelle il faut s' attaquer. Le nombre d' enfants ayant
échoué ou en situation potentielle d ' échec constitue un témoignage éloquent de la
dégringolade ou de la chute vertigineuse de l' école comme institution. « L ' échec
scolaire, rappelle Jean-Claude Forquin, ne se répartit absolument pas de manière
aléatoire par rapport à l' origine sociale des élèves, il frappe beaucoup plus
massivement et régulièrement les enfants des milieux populaires et cette vérité
statistique peut être aussi un «motif de scandale» du point de vue de 1' égalité des
chances et par rapport aux valeurs de la démocratie méritocratique» (Forquin, 1982,
p.4) .
s' agit pas ici des élèves dans ce qu ' ils font à l' école, mais bel et bien ce qu ' ils sont en
dehors de l' école» (Houssaye, 2001 , p.33). Si le milieu social ou familial est
déterminant, d' autres facteurs, et non des moindres, s'y ajoutent. L' égalité formelle
des chances ne tient pas compte des inégalités réelles des résultats. « Et la doxa
scolaire qui veut un regroupement homogène des élèves, par souci de garantir une
chance égale pour tous, n' a pas fait ses preuves. Au contraire, un mauvais élève est
encore plus mauvais dans des classes ethniquement homogènes que dans des classes
hétérogènes», fait remarquer Houssaye (Houssaye, 2001 , p. 33). À égalité
pédagogique et intellectuelle, qu'est-ce qui fait que certains élèves réussissent et que
d' autres échouent? Toute une variété de facteurs est à l' origine de cette situation.
De plus, on ne peut ignorer les textes qui témoignent du souci de préserver l' ordre
social, face aux dangers que représentent les indisciplinés scolaires. Indiscipline
scolaire, encore une construction psychologique qui s' appuie sur une argumentation
scientifique, mais aussi qui contribue en même temps à masquer la référence
fondamentale à la déviance scolaire. La tendance à interpréter les difficultés scolaires
selon un modèle pathologique non seulement s' avère stigmatisante, mais elle se
révèle encore plus inefficace. Pour avoir une idée plus exhaustive de la situation de
déviance ou de décrochage scolaire, même avec la montée en puissance de la culture
psychologique, reprenons l' analyse fort intéressante de Roger Monjo dans son texte
<<L'école entre histoire et justice», tiré de l' ouvrage Pour une éducation post
nationale : «Toutes les études sociologiques concourent à la représentation de
l'échec scolaire d'un individu comme un échec qui n'est pas vraiment le sien, mais
celui de son « milieu» social, culturel, familial , politique ... voire de 1' école elle-
même, alors même que l' identité sociale, professionnelle mais aussi subjective,
culturelle et morale du même individu se construit largement à partir de son
expérience scolaire, une situation d'échec scolaire est une situation qui implique
42
aujourd 'hui l' identité la plus intime de celui qui échoue : une culpabilité sans
responsabilité en quelque sorte» (Ferry et Libois, 2003, p.68).
Si cette analyse de l' auteur traduit impeccablement la réalité de l' échec scolaire, on
ne voit pas pourquoi les responsables cherchent le remède de cette situation à partir
de l' élève, alors qu ' ils devraient le chercher par une réforme en profondeur de
1' école, expression parfaite de la société. Si l'on pense, entre autres, à la fonction
certificative ou diplômante de l' école dont l' importance est telle que, de nos jours, on
peut dire que le destin socioprofessionnel d'un individu, son destin tout court, dépend
massivement de son destin scolaire, et qu 'une compétence a peu de chance d' accéder
à une certaine forme sociale, si elle n' est pas certifiée selon les modalités qui
empruntent, directement ou indirectement, à la forme scolaire. Peut-on conclure pour
cela que la dimension psychologisante de l' école exerce, d' une manière ou d' une
autre, une influence dans le processus de sélection? À mon avis, double fonction :
préparation à 1' acceptation tacite de 1' échec, comme effet d' éviter tout choc ou
malaise social, et élimination de tout doute quant à la potentielle manipulation de
l' échec, sa justification par les procédés psychologiques sous l' apparence minutieuse
d' avoir tout fait pour 1' éviter.
En fait, le désengagement des parents participe d' une manière ou d'une autre à
l' explication de l'échec scolaire. À cet égard, la pensée de Roger Monjo est
révélatrice : «La thèse de la démission éducative des familles, avancée pour expliquer
les difficultés rencontrées par les élèves, devient franchement paradoxale, lorsqu 'elle
est reprise par les acteurs eux-mêmes de cette institution, l' école, qui a joué un rôle
historique dans cette dépossession éducative des familles » (citation reprise dans
Libois et Ferry, 2003, p.68).
43
Il ne s' agit pas aujourd' hui de rechercher les causes ou les facteurs de l'échec et de la
déperdition scolaires, on les connaît tous, l' idéal serait de rechercher les conditions de
leur éradication ou de leur réduction substantielle. Toujours est-il que toute approche
qui privilégie la psychologisation de l' éducation est loin de contribuer, de façon
efficace, à la réduction significative de ce phénomène. Certainement, les chiffres
parlent d' eux-mêmes, mais les stratégies de réduction, en dépit de précieuses
contributions qu'elles apportent, ne sont pas à la hauteur de la dimension du
problème. Si, du moins, elles participent d'une manière ou d'une autre à la
compréhension du phénomène, elles manquent de détermination politique réelle.
C'est dire qu' on aura beau découvrir des méthodes ou techniques psychologiques
efficaces, l' échec scolaire restera toujours un handicap, quant à l' efficacité de l' école,
aussi longtemps que les stratégies ne seront pas marquées d' un poids politique réel.
La déclaration de cet écrivain n ' est pas sans conséquence, car, de l' avis d ' Yves
Bertrand, l' école est un instrument culturel de sélection et de reproduction au service
des classes dominantes (Bertrand, 1998, p.189). Les analyses d' Aronowitz et Giroux,
en 1985, le confirment. Le problème fondamental est celui de l' école au service de
l' économie. L ' école joue un rôle de légitimation des inégalités sociales et
culturelles, ce qui est beaucoup plus qu 'une simple transmission aseptisée de
connaissances. « L ' éducation, qu ' on le veuille ou non, est une instance dans une vaste
opération politique, culturelle et sociale des classes dominantes», souligne Yves
Bertrand dans son ouvrage Théories contemporaines de 1'éducation (Bertrand,
1998, p. 189). L' organisation de la société favorise certains groupes au détriment de
certains autres. ll ne faut pas, cependant, se rendre si vite à l' évidence que l' approche
psychologisante des difficultés scolaires ne peut pas garantir une plus grande
distribution de justice sociale. Même si la nature de l' école et de sa fonction de
reproduction, si l' on en croit la critique sociologique, n' est pas de nature à favoriser
une société égalitaire. Si l' école sécrète les inégalités, les nouvelles techniques de
prise en charge creusent les écarts.
Si la justice sociale passe par la possibilité pour chacun d' avoir accès à l'éducation,
on se demande en quoi l' approche psychologisante des difficultés scolaires ou de
l' apprentissage peut aider à l' acquisition de cette justice. On en perd de vue
l' organisation de la société, de ses structures inégalitaires, et de l' école, comme son
expression sociale, culturelle et autre, si on accueille favorablement les retombées de
la psychologisation de 1' éducation. Il est vrai que les structures organisationnelles
inégalitaires de l' école ne sont pas de nature à privilégier une justice égale pour tous,
mais les contributions sans nombre de cette psychologisation auprès des enfants en
45
D ' autres penseurs comme Domenach (1989), Finkielkraut (1988) et Henry (1987)
font passer la démocratisation de l' enseignement par une réorganisation du corpus à
partir d'une perspective unifiée et unifiante. S' élevant contre la démagogie égalitaire,
Domenach prend la position suivante : « TI n' y a pas de culture sans hiérarchie de
valeurs et de goûts, pas de cultille sans transmission de patrimoine, car on n' enseigne
pas l' avenir, même si le nouvel enseignement doit correspondre à un présent qui a
changé. C' est pourquoi, à l' encontre de l' idéologie dominante qui proclame que tout
est culture, j ' affirme que la culture est un parcours initiatique qui a ses jalons et ses
étapes, et qui ne va pas sans effort» (citation reprise dans Bertrand, 1998, p.226).
Tout semble indiquer que la recherche de la justice sociale par l' accès à l' éducation
ait un objectif noble, certes, mais que son acquisition n' est pas pour demain.
Il est vrai que les récentes découvertes de la psychologie ont progressivement aidé à
améliorer les conditions d'apprentissage, à faciliter la tâche de l'enseignant et à
favoriser une meilleure compréhension des difficultés scolaires. Cependant, la
réduction des inégalités constitue encore un handicap sérieux. La connaissance que
produit l' école est une affirmation des formes dominantes de production, une
manifestation de relations de pouvoir contestables parce qu ' injustes. Elle est
socialement et politiquement construite. Loin de se donner une vision multiéthrllque,
écologique, antiraciste et démocratique, elle se fonde de préférence sur les
perceptions inégalitaires entre les races, entre les hommes et les femmes, entre les
différents milieux culturels, et sur les jugements négatifs entretenus par les groupes
47
qui dominent la société dans le but de conserver leur statut privilégié. Elle devrait, à
mon avis, remettre en question les contenus de formation et faire apparaître les
tensions cachées, c'est-à-dire le curriculum caché au sens où Michel Henry 1' a utilisé.
Il serait intéressant de commencer à questionner les contenus de connaissance
véhiculés par 1' école et ensuite d' opérer une réforme en profondeur, ce qui aurait
pour vertu de réduire les inégalités. L' approche psychologisante, à elle seule, est
impuissante à réduire les inégalités puisque celles-ci forment la charpente de
l' enseignement à l' école. Il est incompréhensible de vouloir s'attaquer à un déficit
éducatif quand les structures de ce système continuent d' en faire la promotion. La
preuve en est bien évidente dans les sociétés industrialisées où, malgré l' injection des
capitaux et la privatisation à outrance, les injustices sociales marquent encore nos
sociétés. La disparité entre un milieu économiquement favorisé et un autre défavorisé
témoigne de la difficulté à réduire les inégalités, ce qui fait que la prétention
d' homogénéisation de la société, si elle n' est pas hypothétique ou improbable, se
donne plutôt pour l' idée d'une manipulation à vertu dormitive.
Cela peut paraître, à première vue, une idée géniale, mais l' homogénéisation de la
société semble ignorer toutes les ramifications ou tous les méandres qu ' elle peut
prendre. À cet effet, la critique sociologique serait plus encline à parler de démagogie
idéologique ou de manipulation, puisque cette prétention ne pourra pas se concrétiser.
D 'ailleurs, une société homogène, dans le sens d' une justice distributive équitable,
tout au moins sur le plan scolaire, est impensable ou invraisemblable. Cependant, il
n'est pas superflu de concevoir un système éducatif offrant la possibilité égale pour
tous de se doter d' une éducation leur permettant d' occuper une place dans la
hiérarchie sociale. L 'expression «homogénéiser la société » peut être entendue dans
le sens de développer un système social plus humain où l' individu ne sera pas jugé
48
par son milieu familial, facteur déterminant de son échec ou de son succès, mais
plutôt par la possibilité de s'y tailler une place, sans qu'il soit victime de
discrimination ou d' injustice. Étant pénétrés du sens profond de l'éducation, comme
expression de l' égalité des chances devant la vie, les tenants de l' approche
psychologisante de 1' éducation ont développé des techniques pour compenser les
déficiences de ceux-là qui souffrent de troubles sévères ou légers d' apprentissage. À
cause de ces recherches, les problèmes de certains groupes longtemps ignorés ou
refoulés, sous la pression de l' opinion publique ayant un sens particulièrement aigu
des injustices sociales, ont attiré l' attention des responsables.
Cela étant dit, les nouvelles techniques dont aura besoin l' approche psychologique
pour comprendre les difficultés scolaires vont probablement faire face à la réalité
politique et économique. Ce qui prouve que ce ne sont pas les théories et les
techniques compensatoires qui manquent au système éducatif, pour être efficient et
efficace, c' est de préférence la volonté politique réelle et le combat à mener contre les
forces dominantes, anxieuses de leur perte de privilège et de statut. On aura beau
réformer, inventer ou innover, la réalité des défavorisés, des marginaux, des
handicapés restera entière et les forces dominantes continueront d' exploiter les
désavantagés. Pour tenter de résoudre les problèmes spécifiques liés à ces groupes,
une certaine forme de dramatisation attirera les capitaux, et pourtant les solutions
proposées vont de manière indéfinie être l' objet d' ajustement. Il faut se demander
quelle est la fonction de cette approche dans Je règlement des difficultés scolaires.
Serait-elle politique ou économique? La conduite de notre réflexion déterminera, à la
fin, sa véritable fonction dans Je processus de sélection.
l' éducation. En effet, il existe dans certains pays, dans le domaine de l' éducation, des
discriminations flagrantes en dépit des déclarations clinquantes et démagogiques,
telles que celles concernant les filles, les groupes raciaux ou les minorités. En outre,
les statistiques démontrent que le succès scolaire est, dans une certaine mesure,
fonction du milieu auquel appartient l' élève. Et que le système scolaire traditionnel
favorise les milieux sociaux privilégiés. Il n' est donc pas nécessaire de changer les
structures scolaires ou, mieux encore, les systèmes éducatifs tout entiers, pour réduire
les inégalités et les effets négatifs des milieux sociaux. « Le principe d ' égalité des
chances signifie que toute infériorité naturelle, économique, sociale, culturelle doit
être compensée - autant qu' il est possible- par le système éducatif lui-même »,
résume Janne Henry (citation reprise dans L 'éducation d'aujourd'hui face au monde
de demain, Hummel , 1977, p. 84).
Par ailleurs, le milieu scolaire est un facteur déterminant d' échec ou de réussite.
Enfin, il y a la motivation pour les études et surtout pour la poursuite des études qui
est normalement plus forte dans les milieux instruits et aisés que dans les familles
pauvres et ignorantes. Cette motivation est souvent décisive. Ajoutons qu ' elle est un
facteur particulièrement responsable de l' inégalité. À ce facteur viennent s' ajouter les
procédures d ' évaluation qui, elles-mêmes, sont conçues en fonction des systèmes de
valeurs des groupes sociaux spécifiques et dominants. Il est naturel que les enfants de
ces groupes réussissent mieux que ceux qui appartiennent à d' autres couches sociales.
Et les facteurs héréditaires semblent jouer, selon les experts, une fonction
déterminante qui, suivant les recherches, serait le principal responsable des inégalités
devant l' éducation. En plus, il faut souligner que certaines incohérences, quant à
l' idée d' éducation préscolaire, sont également déterminantes. À cet effet, souligne
Mialaret : «Un écart existe encore entre les déclarations relatives aux objectifs de
l' éducation préscolaire et la réalité quotidienne» (Mialaret, 1975, p. 36). Des
objectifs extrêmement divergents coexistent et les activités des différentes catégories
51
d' établissements ne sont pas coordonnées. En plus, 1' éducation préscolaire est très
souvent mal ou pas du tout accordée avec la pédagogie de l' école primaire. De ce fait
«le passage de l' institution d' éducation préscolaire à l' école primaire est vécu par
l' enfant comme une nouvelle rupture et peut être une source d' inadaptation et
d' échecs scolaires ultérieurs» (Mialaret, 1975, p. 88).
Curieusement, à première vue, c' est une question, certes, intrigante, mais révélatrice
de zones sombres que recèle le processus de psychologisation de 1' espace scolaire. Il
ne s' agit pas de répondre par l'affirmation ou la négation, arguant dans l'un ou dans
l' autre sens, mais de préférence - ce qui est fondamentalement correct- de
questionner la nature et la fonction profondes de ce phénomène. En effet, dès
l' introduction de la psychologie scolaire et avec sa vulgarisation, la fonction assignée
à ses spécialistes, à en croire les auteurs de L 'enfant en difficultés : l 'aide
psychologique à l 'école, peut se résumer comme suit :
Ces spécialistes devraient être chargés d' exercer un contrôle « pédagogique»
sur les élèves, un suivi permanent de leur cursus scolaire, repérage des enfants
en difficultés, aide à leur apporter; de collaborer au bon fonctionnement de
l' institution dans son ensemble par leur présence dans l' école. Cette fonction
n'est confiée qu ' à des instituteurs spécialement formés . Cependant les
incertitudes de cette fonction, les résistances et les pesanteurs sociologiques
l'ont rendue difficilement opérationnelle. Après des réajustements, on a dû
redéfinir le statut de la fonction du psychologue scolaire. Ainsi, plus les
difficultés deviennent variées, plus la nature de cette fonction change, pour
mieux apporter une réponse appropriée. De ce fait, on a confié à ces spécialistes
des difficultés scolaires une autre fonction : prévention de 1' inadaptation
scolaire, réduction de l' inégalité devant l' école, ce qui implique ipso facto la
possibilité pour chaque enfant de recevoir la meilleure éducation possible.
(Perron et al. , 1998, p.27-28.)
À bien analyser, on est en droit de se demander si le psychologue scolaire est d' abord
un enseignant, puis secondairement formé à la psychologie - et de quelle variété? Est-
il bien informé des problèmes de l'enseignement? Quelles peuvent être ses relations
avec J' instituteur, le médecin scolaire, l'orthophoniste, le psychologue au service
médico-psychologique, quand on sait que ses tâches prioritaires concernent un
53
Par ailleurs, la crainte augmente quand on sait que les solutions psychologiques,
apportées aux problèmes pédagogiques, ne sont pas seulement des solutions à
proprement parler, elles peuvent être aussi les sources du problème. Une
préoccupation que la critique sociologique dénonce comme complicité à la
pérennisation de ces difficultés, moyen bien sûr de maintenir le statut privilégié d 'une
classe. La réduction des difficultés scolaires, des déficiences intellectuelles, des
troubles de comportement au moyen des paramètres purement psychologiques
n' élimine pas les dimensions sociales, culturelles chargées d' informations quant à
leur saisie globale. Au contraire, toute explication, exempte de tout contenu social et
culturel, peut être 1' objet de questionnement. «Les préoccupations exprimées
procèdent de la variété et de l' incertitude des bases théoriques des actions à conduire
et des techniques à utiliser. Le principe même des tests se voyant récusé comme
contribuant à figer des destins individuels prédéterminés par une société mal faite. Le
psychologue scolaire s' est alors rêvé pur clinicien, mais son malaise s' est aggravé.
Car ainsi son image, privée de tout support technique clair, se brouille aux yeux de
ses collègues; il est lui-même incertain des éléments théoriques et des concepts sur
lesquels il souhaite se baser, il est peu assuré de ses démarches», font remarquer les
auteurs deL 'enfant en difficultés (Perron et al., 1998, p.33). S' il est vrai qu ' une
difficulté scolaire réelle ou patente est souvent, et de façon légitime, à 1' origine de la
demande d ' aide formulée par certains parents, d' autres motivations, conscientes ou
non, peuvent jouer. On peut s' interroger, dans ce cas, sur la réponse du psychologue
scolaire et plus particulièrement sur celle de l' école. N e risque-t-on pas de se
54
Reconnaissons que les efforts de prévenir l' inadaptation scolaire, par l' approche
psychologisante, sont tangibles à bien des égards. Cependant, les résultats sont encore
décevants. Les enfants en situation d' inadaptation sont le plus souvent - et pour ne pas
dire toujours- situés dans les zones à risque dont les conditions économiques,
familiales, sociales et culturelles jouent un rôle négatif dans leur apprentissage.
Incapables de satisfaire les exigences des évaluations déterminées par des critères
empruntés aux classes sociales dominantes, ils sont considérés comme inaptes et
inadaptés. En dépit de tous les bénéfices qu ' ils peuvent tirer des découvertes
psychologiques, les données statistiques actuelles confirment qu ' ils accusent des
retards considérables et que leurs performances en comparaison avec celles des autres
enfants sont tristement médiocres. En ce sens, ne peut-on pas souligner que les
solutions proposées deviennent la source du problème.
L' égalité scolaire, au sens d'une meilleure éducation pour tous, reste un idéal. Si les
conditions économiques et sociales déterminent la qualité de l' éducation, il n' en
demeure pas moins vrai que la psychologisation de l' éducation en subisse les
impacts. On se demande même si son expansion n' est pas conditionnée par une
équation économique, quand on sait que les difficultés scolaires et leur
marchandisation peuvent avoir des implications économiques. Si notre hypothèse
s' avère vérifiable, et tel est probablement le cas, on peut dire que la psychologisation
de l' éducation est de plus en plus questionnable, tant dans sa nature que dans sa
fonction.
56
En fait, si la position sociale dépend d' un parcours scolaire déterminé par l' école, il
est évident que les enfants, issus de position économique favorable, occuperont la
hiérarchie des classes dominantes. Car leur itinéraire scolaire répond favorablement
aux critères de réussite. En plus, il ne s'agit pas seulement d' avoir été à l' école ou
d'avoir un parcours scolaire impeccable, mais l' école fréquentée peut avoir un effet
déterminant. Ajoutons aussi que la scolarisation est une pratique sociale,
essentiellement reliée à l' exercice du pouvoir. «L ' école n'est jamais neutre, elle est
une agence de transformation sociale; elle socialise l' individu, le transforme selon les
désirs et les besoins de la société», résume Ira Shor en 1992 (Shor, 1992, p.190).
Écoutons les révélations de Ni co Hirtt dans L'École de l'inégalité : « Les inégalités
liées à l'origine nationale de l' élève sont, quant à elles, 2,5 fois moins importantes
que les inégalités sociales. Et encore, les enfants issus de l' immigration appartiennent
souvent au quartile le plus pauvre. Une partie importante des inégalités d' origine
ethnique est due aux inégalités sociales » (Hirtt, 2004, p. 18).
détourne l'esprit des vrais problèmes. n façonne la réflexion, espérant que les
groupes qui détiennent le pouvoir le conservent encore plus longtemps. «La société,
en fait, souligne Giroux, en 1992, nous propose une culture de masse sous le signe de
la médiocrité et de l' utilitaire» (Bertrand, 1998, p.190). n est donc très difficile dans
un tel contexte de former un citoyen critique, capable éventuellement de contester et
de changer la société. Si la culture de citoyenneté est habilement esquivée par une
approche psychologisante, refusant de reconnaître les dimensions sociologiques et
économiques des implications de réussite ou d' échec scolaire, il demeure cependant
certain qu'elle s' embourbe dans un égalitarisme creux que certaines recherches
sociales contredisent (Forquin, 1982). Si la valeur marchande de la psychologisation
établit toujours l' équation de la dominance sociale d'un groupe, ses incidences sur la
réflexion critique font la promotion implicite d'une société de plus en plus
hiérarchisée en fonction de la valeur méritocratique ou d'un parcours scolaire
impeccable.
les chances de poursuivre des études varient selon 1' origine sociale. De 1'avis de
Coleman, dont la publication date de 1966, cette situation n' était pas irréversible et
1' école elle-même pouvait venir contrebalancer le poids de 1' origine socio-
économique des élèves. Si à l' époque de Coleman l' école devait contrebalancer ce
problème et le fixer, aujourd ' hui les données sociologiques disponibles (2003)
établissent que le facteur école est celui qui prédit mieux le rendement scolaire,
spécialement en ce qui concerne les élèves de milieux défavorisés (Sévigny, 2003,
p.39). Voici les conclusions de l' enquête de Dominique Sévigny :
Le pourcentage d' élèves sans di pl ô me d' études secondaires ou avec
diplomation tardive est toujours plus élevé du côté des inscrits dans une école
défavorisée que du côté des inscrits dans une école non défavorisée, et ce, pour
chacun des dix niveaux de défavorisation socio-économique du lieu de
provenance des élèves. Même les élèves résidant dans les zones les plus
favorisées sont désavantagés au plan de la diplomation lorsqu ' ils sont inscrits
dans une école en milieu défavorisé. On constate aussi que, chez les élèves
fréquentant une école défavorisée, le pourcentage de ceux qui sont sans
diplôme ou dont la diplomation a été tardive ne varie pas en fonction du niveau
de défavorisation de leur lieu de résidence. On peut tenter d'expliquer ce fait en
invoquant la forte influence du milieu scolaire qui se manifesterait, dans ce cas-
ci, par une fragi lisation des élèves issus de milieux plus aisés au plan de leur
performance et de leur cheminement scolaire. De même, la probabilité que
l'élève entreprenne des études postsecondaires est liée non seulement au niveau
de défavorisation socio-économique de son lieu de résidence, mais aussi à la
catégorie des écoles qu ' il fréquente . Il est alors question d' un effet du
contexte scolaire sur le parcours des élèves au- delà du secondaire. (Sévigny,
2003, p. 39-40.)
Les conclusions de Heyneman abondent dans le même sens. « Les élèves, issus de
milieux défavorisés, n'obtiennent pas nécessairement de moins bons résultats aux
tests standardisés que ceux qui proviennent de milieux aisés. L ' influence de la qualité
de l' enseignement n'est pas nécessairement moindre que l' influence familiale . Au
contraire, le facteur le plus déterminant pour l'apprentissage est la qualité des écoles
et des professeurs» (Heyneman, 1986, p. 304-305).
59
Par contre, si la réussite ou l' échec scolaire est largement déterminé par la catégorie
d' école fréquentée et que de façon unanime les conclusions d ' enquêtes sociologiques
relativement récentes (1982 et 1986) ou encore plus récentes (2003) le confirment, il
demeure important de mesurer le poids de la psychologisation de 1' éducation dans la
détermination de l' échec ou de la réussite. Un fait est, certes, indéniable que les
écoles situées dans les zones à risque ne bénéficient pas des retombées « positi ves »
des assistances psychologiques, car ces dernières ne sont pas à la portée des petites
bourses. Ce qui entraîne un déséquilibre des inégalités aux conséquences encore plus
pointues. On serait, par le fait même, tenté de conclure hâtivement que la
psychologisation de l' éducation constitue un nouveau paradigme de justification des
inégalités. Pour se faire une idée, relatons certains faits tirés de 1' ouvrage de N ico
Hirtt, L'école de l 'inégalité.
pauvres n' obtiennent pas leur diplôme de fin d' études secondaires contre 2.3% des
enfants de milieux aisés. Dans les classes sociales supérieures, 80% des enfants
entrent au collège contre 20% des enfants de parents pauvres (données tirées de Hirtt,
2004, p. 6). Ces quelques exemples sont loin de dresser un tableau exhaustif de la
réalité des inégalités, mais ils permettent de saisir l' ampleur de la situation.
Si la situation est aussi accablante dans ces pays où l'on reconnaît, tout au moins, le
droit à l' éducation, on se demande combien effarant est ce tableau dans l' éventualité
d' exhiber les chiffres des inégalités devant l'école ou devant la vie des pays sous-
développés. Les résultats ne sont pas en mesure de nous peindre un tableau beaucoup
plus « merveilleux », mais au contraire il semble que la situation, même avec 1' appui
des recherches psychologiques, tend à s'aggraver au point que la hantise d' un
questionnement politique et économique de cette psychologisation est encore
marquante. Cela ne signifie pas que la psychologisation soit sans influence positive,
mais les résultats fournis interpellent et demandent une certaine distance pour mieux
identifier ses interférences dans le processus de sélection scolaire. Qu ' on ne s' y
méprenne pas, la psychologisation de 1' éducation exerce certaines influences
positives qui donnent un éclairage plus précis et pratique, quant à la compréhension
de l' univers scolaire, mais d' autres paramètres, et non des moindres, complètent le
tableau de justification des inégalités.
Si dans la plupart des cas la compétence de l' enseignant est mise en cause dans
l' échec scolaire de l' élève, il faut reconnaître qu' il ne lui est pas donné toute la
latitude de rechercher lui-même les solutions qu ' il juge appropriées. Dans la majorité
61
des cas les solutions, qu ' on lui propose, ne sont pas déterminées par les difficultés
réelles de l' enfant, mais elles sont le résultat d'un diagnostic émanant d'un spécialiste
étranger aux difficultés quotidiennes réelles de l' enfant et aux interventions passées
qui n' ont rien donné. L ' enseignant, souligne Perron et al. (1998), est tenu de respecter
scrupuleusement les recommandations, tout en sachant, par expériences vécues,
qu ' elles ne sont pas de nature à produire l' effet désiré. Sa conduite est donc
réglementée, en salle de classe, par des considérations psychologiques pour des cas
qui nécessitent strictement des interventions pédagogiques. Illustrons cette situation
par les conclusions des auteurs de L'enfant en difficultés : l'aide psychologique à
l'école. « Il ne s' agit pas, par ces considérations, d' inciter le pédagogue à récuser les
apports des disciplines attachées à mieux comprendre le développement, le
fonctionnement et le dysfonctionnement des enfants, des hommes et des institutions.
Il s' agit tout simplement de souligner une évidence : l' enseignant aux prises
quotidiennement avec les difficultés de son métier doit se sentir autorisé à en juger et
à en traiter dans ses perspectives propres. li est souhaitable, certes, qu ' il puisse
recevoir les avis nécessaires, mais de façon proche, dans l' espace scolaire lui-même,
et à propos des cas concrets et non sous forme de généralités mystifiantes» (Perron et
al. , 1998, p. 54).
On ne veut pas non plus soutenir que les interventions du psychologue entravent le
travail de l'enseignant, mais de préférence on souhaite que ses recommandations
puissent s' inspirer des avis de l'enseignant en proie aux difficultés quotidiennes de
l' enfant. On veut qu'il ne se perde pas dans des généralisations n' ayant rien à voir
avec les problèmes spécifiques de l' enfant. À des problèmes spécifiques, traitement et
diagnostic rigoureusement individuels, si on souhaite véritablement changer le cours
des choses quant à l' échec, au redoublement, au décrochage et aux inégalités devant
l' école et devant la vie. À moins qu'il ne s'agisse de la réalisation d' autres objectifs
qui sont politiquement et économiquement motivés. Dans le cas contraire, une
62
collaboration entre enseignant et psychologue s' avère indispensable à l' atteinte des
objectifs fixés. Aussi longtemps que la tendance à la généralisation collective des
difficultés individuelles se maintient, que les recommandations inconsidérées du
psychologue perdurent et que l' enseignant se voit obligé de consacrer plus de la
moitié de son temps à des mesures disciplinaires ou comportementales, les efforts de
rémédiation de l'échec, du redoublement, du décrochage et des inégalités risquent de
ne pas connaître d' amélioration.
Par ailleurs, les erreurs faisant passer la pédagogie à la fois pour un art et un ensemble
de techniques passe-partout, applicables à des situations collectives ne tenant pas
compte de la valeur spécifique, strictement individuelle, sont à réévaluer. Au lieu de
vouloir modéliser le comportement de l'enseignant, la psychologie scolaire doit
1' accompagner dans ses démarches, tout en lui donnant la liberté de trouver ses
propres solutions aux difficultés qu'il vit quotidiennement. À cet effet, soulignent les
auteurs de L'enfant en difficultés : « L ' enseignant rencontre, dans sa pratique
quotidienne, certaines difficultés; il remarque qu'elles peuvent se regrouper en
certains types. S' il en a le loisir et les moyens, il développe à cet égard une réflexion
qui lui permet de mieux comprendre ce qui se passe en pareil cas. Il se peut,
cependant, qu'il n' en ait pas le loisir, car il est pris par les nécessités de l' action
quotidienne, au plus près du réel; ni les moyens qui peuvent supposer une formation
spécifique dont il ne dispose pas» (Perron et al. , 1998, p. 54). Cette préoccupation est
aussi partagée par Emmanuel Diet, dans son texte «Objectivation psychologique et
perversion pédagogique» publié en 2004 dans Connexions (no 81) :« Soumis à des
injonctions contradictoires, ayant dans l'angoisse à faire face à des enfants qui ont
peine à devenir des élèves et auxquels ils ont peine à s' identifier, les enseignants,
malmenés autant par une institution qui leur interdit de transmettre les savoirs- que
leurs «apprenants » sont censés découvrir ou construire par eux-mêmes - que par des
parents exigeant de plus en plus souvent qu' ils produisent des enfants performants, se
63
débattent comme ils peuvent pour maintenir une pratique à peu près cohérente et
survivre dans un univers pédagogique à proprement parler maltraitant pour tous. Et
[ ... ], convoqués dans des postures et des rôles contradictoires du fait de 1' effacement
de l' institution scolaire elle-même - de la tâche primaire et de la référence à la culture
commune, les enseignants cherchent désespérément à donner sens à un vécu
paranoïde envahissant» (Diet, 2004, p.4). De ce fait, une collaboration étroite entre
le spécialiste et l'enseignant s' avère plus que nécessaire. Sans quoi, la prétention d'en
venir à bout ne sera qu ' une instance de justification où les inégalités tendent à se
préciser, 1' inadaptation à s'aggraver, 1' échec scolaire à s'étirer et les hiérarchies
sociales à se maintenir.
incapacité de la part des chercheurs ou d'un manque de volonté? Il est trop prématuré
pour en arriver là. On comprend difficilement la volonté de réduire le comportement
des acteurs à des paramètres psychologiques strictement observables, alors que
d' autres paramètres, et non des moindres, continuent à influencer les difficultés des
élèves.
Le milieu familial peut être, de l' avis de certains spécialistes, source de réussite ou
d' échec. Il a fait l' objet d'un nombre sans précédent de recherches. Si les conclusions
s' accordent sur une influence considérable du poids de l'univers familial dans la
recherche de solution aux difficultés scolaires, il n' en demeure pas moins vrai qu ' il
faut un contrôle du comportement de l'élève. Les déductions de comportement des
parents, comme implications inévitables sur le comportement des enfants, sont
parfois exagérées. Le milieu familial n' est pas la seule source d' influence. La société
est, certes, la plus influente. C' est vrai que la psychologisation de l' éducation établit
certains principes que l' élève doit scrupuleusement respecter, pour ne pas se voir
placé dans la catégorie des indisciplinés. Il est aussi vrai que ce comportement
discipliné, rigoureusement surveillé, cherche à établir un modèle de comportement,
inspiré des valeurs de la classe dominante, n' ayant aucune valeur culturellement
acceptable tirée de l'expérience quotidienne de certains enfants.
d' un ensemble d ' activités qui prennent en charge l'individu et qUI permettent
d' encadrer ses pratiques. Malgré leur prétention à instaurer l' ordre, ces mesures
constituent une dénégation de l'ordre scolaire, car elles se contentent d' extemaliser
les élèves qui posent problème par leur comportement, sans donner aucun moyen au
système scolaire de produire un ordre scolaire favorable aux apprentissages. Et
Philippe Gombert, auteur de L'école et ses stratèges, résume :
L ' essor de ces nouvelles professions répond à la volonté de contrôler les
enfants de ce qu ' on appelait autrefois les classes dangereuses. À l' image des
assistantes sociales, des infirmières scolaires ou des travailleurs sociaux, les
nouveaux métiers de la médiation, à l' interface de l ' école et de la police, font
partie d'un assemblage de dispositifs de surveillance des couches sociales
défavorisées. Leurs activités participent à la mise en place de véritables
techniques éducatives qui visent essentiellement à dresser les individus. Ces
formes d' action s' opposent en apparence à la répression, car elles font un grand
usage de la psychologie et plus globalement d' une recherche de compréhension
face aux attitudes des jeunes. Elles montrent bien comment l' on assiste à un
enchevêtrement de plus en plus complexe des logiques scolaires et judiciaires.
(Gombert, 2008, p. 218 .)
Il est, certes, hautement apprécié d' instaurer à l' école une espèce de pnnc1pes
spécifiques réglementant la vie scolaire. Cependant, de tels principes doivent
bénéficier de la complémentarité culturelle de J' enfant. Toute tentative, dans ce sens,
finira par produire d' excellents bénéfices quant à l' apprentissage de l' élève. Voilà
pourquoi on insiste pour ne pas appliquer des mesures collectives à des situations
individuelles. Tant que ce processus de psychologisation ne reconnaît pas l'unicité
culturelle de chaque enfant, 1' on assistera toujours au refus sans cesse renouvelé de
l' enfant, se rebellant contre toute modélisation de comportement au détriment de ses
traditions et valeurs sociales.
Évoquons, à titre d' exemple, le renvoi de certains élèves à la maison, les pourparlers
entre les parents et les responsables et le retrait définitif de certains enfants. On ne
veut pas dire que, dans la plupart des cas, ces mesures ne se justifient pas, mais on
insiste sur le fait qu ' elles ne traduisent pas toujours la réalité des situations et que
certains élèves en sont sortis victimes. Par exemple, des enfants intelligents sont mis
à l' écart et certains autres qui souffrent de grosses difficultés dans leur apprentissage
sont tolérés, sous prétexte qu' ils satisfont aux exigences de contrôle de
comportement. Au lieu d' en donner un traitement spécial, les autorités éducatives
cherchent de préférence à mieux contrôler et prévenir les actes de délinquance,
surtout quand le milieu défavorisé est considéré comme pourvoyeur de délinquance.
On souhaite le respect des principes, mais il ne doit pas servir de prétexte à
l' exclusion de l'élève.
par des firmes transnationales et les contrats juteux de recherches dont les
conclusions, une fois publiées, sont jetées dans le tiroir de 1' oubli . Situation due à
une déconnexion de ces résultats d' avec la réalité quotidienne de l' espace scolaire, à
la vitesse du changement des réformes proposées et aussi à une technicité trop élevée
ne permettant pas une application rigoureuse. Dans la plupart des cas, ces recherches
à valeur didactique ou pédagogique se perdent au milieu de leur confusion technique.
Le marché des produits pédagogiques ne cesse de s' allonger, au point où il pourrait
s' approprier les outils essentiels de développement du savoir lui-même. Le défi
aujourd 'hui consiste à l' empêcher de s' étendre. Si rien n'est fait et si ce processus se
poursuit, l' accès à l' école sera dénié aux couches vulnérables de la population et les
inégalités économiques, sociales et culturelles s' amplifieront davantage.
Parce que les outils pédagogiques constituent un vaste marché à capacité économique
florissante, on comprend pourquoi les organismes internationaux investissent des
sommes mirobolantes dans les recherches «scientifiques » et pourquoi ces recherches
ne sont pas déterminées par le souci de répondre premièrement à un besoin social,
mais motivées par leur potentiel économique. Des clubs de recherches se multiplient,
et, dans le domaine de 1' enseignement, ces recherches se portent particulièrement sur
la psychologie des difficultés scolaires. Un marché énorme quand on sait que la
division systématique de ces difficultés en spécialités singulières crée une variété
infinie de possibilités de recherches. Ce morcellement rend difficile toute prise en
charge globale, surtout que chaque spécialiste interprète les choses à sa façon sans
tenir compte de l'avis de l' autre. TI en résulte que les solutions proposées ne
parviennent pas à expliquer les sens réels et profonds des difficultés. De plus, ces
spécialistes, peu soucieux de la valeur scientifique de leurs recherches, donc
universalisante, leur donnent une forme expéditive comme s' il était question de
principes de gestion d'une entreprise. Et le pire, ils cherchent à étendre les
conclusions générales à des situations individuelles. Cela entraîne une diversité
72
Ces propos ne sont nullement une condamnation de l' innovation pédagogique, mais
une mise en garde de la qualité de l' enseignement. La coopération internationale est
une exigence culturelle, mais la qualité de 1' enseignement indépendamment de
l' innovation technologique doit demeurer l' objectif primordial. La compétition en est
une forme. Cependant, elle encourage, dans le domaine éducatif: des dogmes de libre-
74
échangistes et stimule l'utopie d 'un vaste réseau éducatif mondial. Par contre,
souligne Christian Laval, «1' institution étatique serait sinon entièrement renvoyée
aux poubelles de l' histoire du moins découpée selon les segments plus ou moins
rentables qui la composent» (Laval, 2003 , p. 134). Que penser alors de l' éducation de
la masse? Si 1' école échappe au contrôle des autorités, pour se convertir en institution
privée et globale, qui se chargera de l' enseignement de la classe défavorisée? Déjà,
elle n' est pas en mesure de répondre à cette compétition monstrueuse. Ne serait-il pas
approprié de dire que cet effort de globalisation participe à l' idée de plus en plus
manifeste de mettre en quarantaine cette couche défavorisée? Il est absolument
impensable d' assurer la gestion de l' école comme la gestion d ' une entreprise privée.
Confier la gestion de l' école à des firmes privées, c'est une forme de liquidation
brutale. Et la fuite de cerveaux peut être très dévastatrice à l' école publique. Les pays
industrialisés peuvent se payer le luxe de leur offrir des avantages qu' ils ne trouvent
pas dans leur pays d ' origine. Les responsables du commerce extérieur de ces pays
industrialisés cherchent, tout à la fois, à vendre de la formation et du savoir-faire, tout
en drainant les cerveaux souvent en partie formés aux frais des pays les plus pauvres.
Si le marché éducatif mondial se développe actuellement par l' accueil imposant des
étudiants internationaux aux études supérieures, on doit s' attendre, si rien n' est fait
pour le contenir, au développement d' un marché aux cycles primaire et secondaire,
particulièrement dans le domaine de la langue.
La constitution d'un marché global de l' éducation reçoit l' appui inconditionnel de
certaines institutions internationales telles que : OMC, GATE, AGCS (Accord
général sur le commerce des services) et OCDE. Elles participent toutes, ces
institutions, à la définition des principes et des termes de coopération. «L ' éducation
mondialisée échapperait à la souveraineté des nations pour entrer de façon plus
décisive dans une ère d' homogénéisation mondiale dirigée par les logiques de
marché» (Laval, 2003 , p. 137). Quelle est la place de la psychologisation de
75
Les contraintes économiques pèsent sur la qualité de l' enseignement. Une économie
globalisée, au service d'une école unique, qui se détourne de ses objectifs didactiques
pour se consacrer exclusivement à la recherche de profits. L ' école est donc
instrument économique, négation de savoir et de savoir-faire. La pente économique
qu 'elle suit, la convertit en une industrie prospère où ses différentes composantes se
transforment en marchandises. L'enseignant se transforme en entrepreneur et doit
confondre, dans la plus complète légalité, ses fonctions d' enseignement, de recherche
76
L'un des aspects encore moins connus, fait remarquer Laval, de la privatisation de
1' enseignement tient à 1' essor de 1' éducation dans 1' ombre, celle des petits cours et de
tutorat (Laval, 2003, p. 142). Ce phénomène s' étend à travers le monde, au point que
des millions d'élèves suivent ce parcours scolaire parallèle qui devient un marché
capable de drainer des fonds de plus en plus importants. Des entreprises de cours
78
La crise que connaît l' institution scolaire ne date pas d' aujourd ' hui . La critique
sociologique 1'a bel et bien décrite. Sélection sociale, soumission de 1' esprit à 1' ordre
social établi, manque d'efficacité et d' innovation sont, entre autres, les coups de
pioche de cette critique. De la virulence des critiques, naît le phénomène de la
massification scolaire dont les implications entraînent la marginalisation de fractions
importantes de la population et accroissent les inégalités affectant le fonctionnement
de l' école. Avec l' extinction progressive de la reproduction directe des métiers, la
poussée néolibérale appelle à une nécessaire « réforme », expression passe-partout
faisant office de slogan éducatif Et les réformes se succèdent à n' en plus finir. Ces
81
réformes visent à construire quel type d' école et une école destinée à quel type de
société? S' agit-il de la volonté manifeste d'une réforme profonde ou du souci
gestionnaire du colmatage à courte vue ou bien encore d'un étrange culte de
l' « innovation » pour elle-même, coupée de tout enjeu politique et scolaire
explicitement clair. On comprend la nécessité de repenser ou de réformer l' école,
mais il faut dépasser le simple fait du bricolage innovateur et de la réforme incessante
pour s' inscrire dans un dynamisme réel de refondation. De là, il convient de se
demander si les réformes et contre-réformes tenant en otage l' institution scolaire dans
son fonctionnement ne traduisent pas plutôt une certaine idée de 1' école, un modèle
nouveau d' éducation qu ' il faudrait explorer, ne serait-ce que par souci d' ajustements
structurels et notionnels.
Par ailleurs, les reproches formulés contre la massification mal pensée, mal préparée,
trop peu financée de l'école ne se justifient pas aujourd'hui . Au contraire, on s' élève
contre certaines conceptions qui semblent privilégier la consommation à la
transmission du savoir. Et cette influence est telle qu'elle risque de détruire, si ce
n' est pas déjà le cas, toutes les structures publiques de l'école. Les affrontements
entre les partisans d' une privatisation à outrance, pour effacer tout vestige d' une école
publique, et les adversaires résument bien la modélisation scolaire qui s'impose dans
les sociétés de marché d' aujourd' hui . L' auteur de L 'école n 'est pas une entreprise se
pose la question suivante : «S' agit-il d' adapter plus étroitement l'école à l'économie
capitaliste et à la société libérale, adaptation qui mettrait de plus en plus en danger
l' autonomie de l'institution scolaire mais qui ne la détruirait pas, ou bien a-t-on
affaire à une marche plus décidée vers la liquidation de l' école en tant que telle»
(Laval, 2003, p.13). Et ce même auteur reprend la thèse de Gilles Deleuze quand il
écrit: « On essaie de nous faire croire à une réforme de l'école, alors que c' est une
liquidation» (citation reprise dans Laval, 2003 , p. 13).
divers et à une large clientèle, pour reprendre la formule de l' OCDE, ce qui la conduit
à se diversifier selon les marchés locaux et les demandes sociales. Elle est au service
de la compétitivité économique; elle est structurée comme un marché; elle doit être
gérée sur le mode des entreprises. Toutefois, il faut souligner que cette logique
marchande de l'école est commandée par l'égalité des chances. Curieusement, elle
consolide de préférence et accroît même les inégalités.
Faut-il accepter les bouleversements que subit l' école? Devons-nous les prendre
comme des mutations inévitables pour mieux gérer les dérives ou les rejeter tout
simplement? La privatisation marchande de l' enseignement ouvre-t-elle la porte au
contrôle des contenus par les marchés ou sonne-t-elle le glas de l' école gratuite? Peut-
elle nous aider à éviter l' aggravation des inégalités sociales face au savoir?
L' adoption par l'école d'un esprit de compétition et sa transmission aux élèves sont-
elles compatibles avec le désir de forger des esprits libres et critiques? La
dérégulation qui 1'accompagne, l' autonomie pédagogique, administrative et
financière s' inscrivent-elles dans 1' initiative de stimuler l'expérimentation
pédagogique? La prétention des maîtres de l' économie, selon Nice Hirtt dans son
livre École prostituée, à transformer les savoirs, les compétences, les comportements,
la conscience en autant de nouvelles marchandises, est-elle le dernier avatar du libre-
échange de travail , ou bien assiste-t-on à la déshumanisation finale du travailleur, à la
négation ultime des valeurs humanistes d' éducation qu ' on croyait inviolables? Ces
questionnements ne constituent pas, en eux-mêmes, le rejet de la conception
marchande de l'école, mais participent à un processus de compréhension,
d'explication, pour mieux appréhender ses implications, à la fois, sur le savoir
transmis et l' apprenant lui-même.
L' objectif poursuivi ici, ce n'est pas la critique de la psychologisation comme telle,
de la marchandisation de l' école ni non plus de ses retombées économiques, mais
84
plutôt de ses implications sur la qualité de l' éducation. Comment s' y prendre?
Comment décanter la réalité éducative d' aujourd ' hui de la propagande partisane
d'une théorie à l' autre, ou, du moins, comment établir 1' évidence des faits sans
s' embourber dans une querelle idéologique? Comment expliquer la nature de cette
refondation et quelle est la vision éducative qui la sous-tend? Peut-on affirmer, tout
en s' appuyant sur les contributions sans nombre de l' économie, que les conditions
d' apprentissage se sont améliorées, que les inégalités se réduisent et que la qualité de
l' enseignement connaît certaines améliorations? Quel est le rôle de la
psychologisation de l' éducation dans tout ça? Les entreprises privées ont signifié aux
parents que l' échec de leurs enfants est en relation directe avec la précarité
économique des écoles publiques. Cette propagande, soutenue par des explications
d' ordre psychologique, gagne les parents qui se défoncent pour envoyer leurs enfants
dans les écoles privées, alors que les écoles publiques sont clairsemées. Il en résulte
une aggravation des inégalités, car le statut social est fonction de l' école fréquentée.
Les inégalités économiques qui se creusent ne doivent pas être interprétées comme
1' échec généralisé de la masse défavorisée à l' école. Au contraire, certaines
statistiques font observer qu ' il y a un nombre significatif de cette catégorie qui accède
aux études supérieures. Mais le nombre des employés n' est pas en adéquation avec le
nombre des diplômés. Ici le problème est d' autant plus sérieux. TI est clair que le
monde fait face à une crise économique sans précédent, on le reconnaît fort bien.
Cependant, le fait troublant est le nombre des gens employés dans le milieu favorisé,
à capacité égale et parfois nettement inférieure, en comparaison du nombre des sans-
emploi dans l'autre catégorie. Il est vrai que dans le milieu favorisé le nombre des
diplômés est de loin supérieur à celui du milieu défavorisé. Cependant, on se
demande pourquoi les gens de cette catégorie, à qualification égale, ne jouissent pas
du privilège d' emploi tel que le connaissent ceux du milieu aisé? En fait, il semble
que la rentabilité économique n' est pas mesurable à la qualité de l'éducation.
milieux aisés. Tandis que les professions les moins valorisées se prolétarisent. Il en
résulte déjà une forme de sélection qui aura encore plus de valeur sélective.
réussit très bien et ... au bas de la pyramide scolaire, un «déchet». Entre les deux, une
population qui craint de ne pas vraiment savoir où est sa véritable position. La
sélection des élites fonctionne bien, l' évolution démographique des grandes écoles
sélectives, est toujours régulière : 4 à 5% d' une classe d' âge qui bénéficie de 30% de
l' investissement universitaire offert par le Ministère de l'Éducation Nationale à la
population» (Les nouvelles inégalités de l 'école, 2003 , p.23). Par ailleurs, la
massification qui prévaut actuellement ne réduit pas les inégalités. Selon les données
statistiques (1950) du Ministère de l'Éducation Nationale en France, 15% d' une
classe d' âge avait le baccalauréat, 65% des enfants de cadres et 6% parmi les enfants
d' ouvriers. En 2002, 62% d'une classe d' âge obtient le baccalauréat, 90% des
enfants de cadres et 45% des enfants d' ouvriers (Hirtt, 2002, p.15). Apparemment, on
serait parvenu à réduire les inégalités. En fait, c'est de la pure apparence, car ce n' est
plus le baccalauréat qui fait la différence, mais 1' accès à 1' enseignement supérieur le
plus sélectif
conditions à plus d' inégalités. Les propos d' Ashton et Green de 1996 résument bien
la situation : «Les inégalités, en matière d' éducation, se sont renforcées et les
améliorations de 1' éducation ont été sacrifiées sur 1' autel de 1' idéologie de marché et
de la contention fiscale » (Le manifeste pour une école globale, 2002, p. 26).
Il n' est un secret pour personne que la privatisation rampante de l' institution scolaire,
sous la dictée de l' idéologie marchande, entraîne des conséquences économiques que
certains parents ne parviennent pas à assumer. Situation d' autant plus dramatique
avec le désengagement de l'État et la réduction substantielle des dépenses publiques
en éducation. Il se développe le phénomène de la flambée des prix échappant
totalement au contrôle du Ministère de l' éducation et de l'instance responsable. La
rentabilité économique prime sur la qualité de 1' enseignement. Tout est géré sur le
modèle de la gestion des entreprises. Un fait surprenant à signaler, le personnel
administratif, dans certains cas, n' a absolument aucune notion de gestion scolaire, ce
qui entraîne la banalisation de l' éducation, et le personnel enseignant souffre de
manque de compétence et de qualification. Et ce n' est pas innocent, plus
l' établissement scolaire engage un personnel enseignant à moitié qualifié, plus le
salaire de ce personnel est maigre, et plus l' établissement scolaire est en mesure de
gagner plus de profits. Ce n' est pas la recherche de la qualité de J' enseignement qui
est en cause, c' est la recherche sordide du profit. On pourrait tenter de dire que ce
phénomène est exclusivement tiers-mondiste, et pourtant, il s' étend de plus en plus
dans les pays industrialisés. On comprend qu ' il peut avoir une résonnance dramatique
dans les pays pauvres à cause d 'une absence remarquée de législation relative à
l' organisation et à la gestion de l' école. Cependant, si dans les pays industrialisés une
certaine forme de législation colore la gestion de l' école, la possibilité de rythmer
l' augmentation des prix est plus évidente. Parfois, la complicité des parents, pour ne
90
pas exposer à l'exclusion leurs enfants, est déconcertante. ils acceptent tout, s' ils se
plaignent, ils le font de manière subtile.
Signalons que le coût de l'éducation vane d' un établissement à l' autre. Les
établissements situés dans les quartiers huppés, ayant une clientèle spéciale,
connaissent substantiellement une augmentation de prix. Une politique d' exclusion de
certaines catégories insolvables est implicitement à la base de cette logique des prix.
L' argent, en effet, détermine la fréquentation de tel ou tel établissement privé.
Comme le dit R. Callahan, «le dollar devient alors le principal critère éducatif »
(citation reprise dans Laval, 2003, p. 212). Et les statistiques semblent lui donner
raison. Le niveau de réussite dans ces établissements est largement supérieur à celui
de la réussite des écoles publiques. Sous la pression de la poussée néolibérale,
discréditées, les écoles publiques n' ont pas de budget de fonctionnement adéquat. Ce
qui pousse les parents à se sacrifier pour envoyer leurs enfants dans une école privée.
Les prix à payer sont exorbitants. Prenons, par exemple, les écoles privées d'Haïti :
les écoles privées performantes profitant de l' absence de régulation du marché se
lancent dans une course effrénée des prix. Elles exigent en moyenne 400 à 500 dollars
américains pour les frais scolaires. Dans la plupart des cas, on exige aux parents Je
dollar comme mode de paiement pour compenser la fluctuation du prix de la monnaie
nationale. On peut avoir la propension de dire que c'est très peu comparativement à la
politique des prix des autres systèmes, mais reconnaissons que le salaire minimum
est de 70 gourdes par jour, une approximation de 1,75 dollars, et que l'État donne 500
dollars américains par mois à 1'enseignant. Soulignons en passant que pour
l'enseignement primaire (OCDE, 1999), en Autriche, au Danemark, en Suède, aux
États-Unis et en Suisse, la dépense se chiffre entre 4900 et 5900 dollars par élève,
tandis qu 'en Allemagne, en Belgique et en France, on dépense 3000 à 3350
dollars (OCDE, 1999, p. 79). La politique des prix, si on doit le souligner, est
91
fluctuante. Elle répond à une exigence d'ajustement des pnx pour faire face à
certaines dépenses imprévues. Et les parents dans tout ça doivent s'y ajuster.
Un certain ajustement raisonnable de prix facilitera la tâche des parents, mais une
escalade non justifiée, sous prétexte d' amélioration des conditions d' apprentissage,
rendra encore plus difficile la situation économique des parents. Si le coût des frais de
scolarité grimpe, on se demande qu' en est-il du coût des matériels pédagogiques? Les
ouvrages, résultat d'une compilation, pullulent et se multiplient, au point qu ' à chaque
rentrée scolaire les parents se cassent la tête. Les établissements scolaires, de
connivence avec les librairies, orientent les parents et ils reçoivent leur contrepartie
des bénéfices. Tout se passe comme si la transparence était de règle. Dans certaines
situations, certains parents n' arrivent pas à envoyer leurs enfants à l'école par manque
d' outils pédagogiques. Désespérés, ces enfants se cherchent un travail et finiront par
se retirer du champ pédagogique. Ceux-là qui persévèrent jusqu 'à l' université, après
une période se retirent. TI est hors de doute que le financement des études dans
certains pays soit disponible, mais la précarité des conditions de vie de l' élève, même
avec cette possibilité, achèvera sa détermination et aura gain de cause. Parfois même,
le coût exagéré des dépenses et le niveau d'endettement avant la fin des études ont
psychologiquement influencé son parcours. Certaines statistiques, soutient Gombert
(2008), font croire que la déclaration de faillite des élèves, incapables d' honorer leur
dette, va en augmentant. Tout ceci participe à 1' effort de désistement des élèves. Et
Philippe Gombert, auteur du livre L'École et ses stratèges, publié en 2008, avance :
«Tout compte fait, les prix grimpent et l' idéologie marchande continue de marquer la
gestion scolaire. Qu' en est-il de l' avenir des enfants défavorisés à l' école? Peuvent-ils
continuer ou s' en écartent-ils définitivement?» (Gombert, 2008, p. 146).
92
Il peut paraître simpliste de dire que toute conclusion cherchant à réduire la mise à
l' écart des enfants défavorisés du champ des compétences pédagogiques par les
seules influences économiques participe à cet effort de psychologisation de
l' éducation. Ce long processus suit les méandres de toutes les techniques de tri ou de
sélection tout au long de l' histoire de la pensée de l' école ou sur l' école. Il a pris une
variété de formes qu ' il convient, pour les besoins de l' histoire, d' évoquer par la
mention que la question de J' inadaptation scolaire participe à cet effort de sélection,
laquelle a été une forme privilégiée. Dénoncée par la critique sociologique qui la
perçoit comme une forme discriminatoire cherchant à privilégier davantage la
perception de 1' enfant favorisé au détriment de celui à qui 1' on «colle »
l' inadaptation, elle s' est transformée en revendication à plus de justice sociale.
de la dominance sociale, politique et culturelle d' une classe. C' est du moms la
prééminence des stratégies de l' école, à en croire Philippe Gombert, l' auteur de
L 'école et ses stratèges (2008). Donc, il ne fait aucun doute que le processus de mise
à 1' écart de la masse défavorisée du champ de compétence pédagogique et didactique
ne saurait être réduit aux seules influences économiques.
Si ces influences sont les plus visibles ou les plus contraignantes dans la conjugai son
de cet effort de mise à l' écart, elles sont, cependant en soi, les plus marquantes.
Reconnaissons par le fait même que les effets de la privatisation, exacerbés par la
rentabilité économique, suivis des exigences de globalisation et du désengagement
progressif de l'État, rendent la situation encore plus compliquée. Et il semble évident
aussi que le processus de déresponsabilisation des familles dans la prise en charge de
l' éducation de leurs enfants y contribue grandement. Il se produit, tout au long du
parcours, une situation où la société crée deux types d' écoles : une école riche et une
école pauvre. Situation de ségrégation, dirait-on, mais en réalité elle traduit la volonté
de marquer les différences entre les enfants du même âge. Par contre, l'effet
psychologique qui en découle réduit considérablement les chances de réussite et
d' adaptation de 1' enfant qui vit cette situation. Un sentiment d' infériorité, corroboré
par un manque d' estime de soi, lui fait vivre une situation de marginalisation qui
compenserait son statut de pauvre. Il ne lui reste qu' une seule option, qui pour lui est
la plus évidente : se démarquer de ses petits amis qui fréquentent une école riche et
fuir l' école. On comprend les stigmatisations qu ' il subit et, même s' il réussit à s'y
tenir jusqu 'à son succès finalement, il aura à faire face à l' effet de prestige de
certaines professions. Car, il y a des professions qui sont socialement valorisées
auxquelles il ne pourra pas espérer accéder à cause de sa situation économique et de
son statut social. Il se doit d' envisager une profession socialement peu valorisée et sa
chance de trouver un emploi se réduit à moins que la moitié. Il naît donc un sentiment
94
Peut-être, dirait-on, que cette analyse frise le pessimisme ou qu ' elle ne traduit pas la
réalité profonde. Un tel sentiment se justifie, si on prend en compte les quelques
réchappés qui ont réussi à se tailler une place, surmonter les obstacles sans nombre
dressés par des systèmes éducatifs éminemment élitistes et socialement inégalitaires.
Cependant, il ne serait pas non plus concluant d' identifier quelques éléments
importants, il est vrai, mais non représentatifs en comparaison avec le nombre des
exclus pour saper les bases fondamentales de cette réflexion. Toute analyse, dans l' un
ou dans l' autre sens, ne peut pas prétendre cerner tous les détails en fonction des
paramètres qui viennent s'ajouter au fur et à mesure. Mais il demeure un fait
indéniablement vrai que la mise à l'écart des enfants défavorisés du champ de
compétence pédagogique et didactique participe au projet social de l' école. On peut
discuter des influences de certains facteurs, fondamentalement ce qui en ressort c' est
leur aspect idéologique; qu ' il prenne la forme d' inadaptation, de massification, de
psychologisation et de globalisation.
faisant du premier un service éducatif payant et du second un lieu de gestion des plus
démunis, indispensable pour cette raison même ... le service public gardera ceux dont
le marché ne veut pas et sans doute quelques formations vraiment sélectives, gratuites
ou subventionnées, afm que 1'élite de la nation puisse continuer à se reproduire, et
cautionner à son tour ce fonctionnement du système d' enseignement. Dans ces
conditions, rien ne servira de défendre le public contre la menace du privé, tous deux
étant les éléments fonctionnels d'un même système (Revue du Mauss, 2006, p.l25).
On comprend maintenant pourquoi la compétition est si difficile au point qu ' elle finit
par écrémer certains éléments. Dans ces conditions, il ne faut pas s' étonner que
Meirieu en vienne à développer une psychosociologie douteuse. « Les bons élèves -
écrit-il - le sont quasiment spontanément. Quasiment spontanément, cela veut dire
qu ' ils l'ont appris ailleurs qu' à l' école ... » (cité dans Baillot et Le Du, 1993, p.71).
CHAPITRE V
Les pratiques éducatives obéissent, dans la plupart des cas, à des considérations
d'ordre psychologique. La logique psychologique de l'éducation, de l'avis de ses
tenants, est tout dessinée pour apporter des solutions aux difficultés scolaires. Si la
réception massive, dont elle est 1' objet, témoigne de son efficacité publicitaire, il en
est tout autrement dans la réalité. Cela ne signifie nullement qu ' elle est sans
contribution dans la recherche de solutions aux difficultés scolaires, mais les
solutions proposées, malgré leurs contributions, peuvent aussi grossir la liste
incroyablement longue des problèmes. On doit reconnaître les efforts sans cesse
croissants déployés. Cependant, cette reconnaissance ne doit pas servir de prétexte
nous empêchant de questionner la fonction essentielle de la pratique scolaire. On doit
se demander si elle est vraiment construite pour améliorer les pratiques éducatives ou
si elle participe à cet effort de domination ou de maintien des privilèges? Pour se faire
une idée plus exhaustive, il importe d' analyser quelques pratiques suivantes : la
répartition d'élèves par classement de performance, l' isolement d'une catégorie
«violente» en classe spéciale, la politique de passage, la fréquentation de l' école de
son quartier et la modélisation d'un élève standard. Ces quelques exemples, parmi
tant d' autres, ne suffiront pas à cerner toute la profondeur de notre questionnement,
mais ils permettront plus ou moins de se faire une idée et de comprendre la
dynamique en question.
psychologique, se voit forcé de répartir ses élèves par catégorie de performance. «Il
est donc pris dans d'infinies doubles contraintes, démocratiser mais évaluer, gérer le
groupe mais individualiser, permettre les apprentissages mais ne pas transmettre»,
etc., fait observer Diet (Diet, 2004, p.4). Une question fondamentale doit être posée,
a-t-il les moyens de cette politique ou doit-il compromettre l' avancement de ses plus
performants au détriment des autres plus lents et moins performants ou inversement?
En effet, la recherche de performance n' est pas seulement une préoccupation de
l' enseignant, elle est aussi celle des parents. Elle peut conduire les parents à mener de
véritables enquêtes sociales afin de trouver le meilleur établissement. « Les
connaissances en psychologie, à en croire 1' auteur de L'école et ses stratèges,
mobilisent ces parents dans l'objectif d ' augmenter les performances des élèves. Ces
connaissances permettent à ces catégories sociales de rationaliser leurs choix d ' écoles
et plus globalement leurs pratiques éducatives. Ces capacités réflexives renvoient
essentiellement à des préoccupations centrées sur la compétition éducative»
(Gombert, 2008, p. 142).
Aussi la concurrence scolaire rend-elle inévitable le choix d' école comme facteur
déterminant dans la réussite sociale des enfants. Il est de plus en plus renforcé par
l' idée de sélection qui emprunte de multiples formes allant de la consultation de
palmarès d' établissements à des enquêtes rigoureuses, afin d'obtenir des informations
précises sur la qualité des écoles. Ces stratégies ne vont pas sans influencer la
pratique scolaire de ces établissements. Comment concilier les impératifs de mixité
sociale et d'égalité des chances avec une exigence de performance? « Cette mixité
sociale apparaît, de l' avis de Gombert, un obstacle à la satisfaction des parents qui
défendent une conception élitaire » (Gombert, 2008, p. 143). Dans certaines écoles,
1' appartenance à une classe sociale est un facteur important dans le classement par
performance. Quelle est la meilleure stratégie de ces établissements pour ne pas
donner la perception qu' ils cherchent à favoriser un groupe au détriment d' un autre?
98
Si, dans le temps, le classement social était déterminé par l' origine et la couleur,
aujourd'hui il change de paramètres pour se concentrer sur la notion de performance
et d' appartenance scolaires. Dans toute cette transformation, la psychologisation de
l' éducation est un facteur déterminant. Les pressions sociales sur les acteurs afin de
modifier et d'améliorer les performances des établissements intensifient les
opérations de classement, de sélection et de tri social. Il n' est pas rare que certains
parents réclament ouvertement l' intensification de la sélection scolaire. Dans certains
cas, ils veillent aux fréquentations à 1' intérieur des établissements. « Ils cherchent,
99
selon Van Zanten (2001), par tous les moyens à s' assurer l' existence d' un certain
nombre de garanties, voire à les recréer par un travail de colonisation interne des
établissements, à travers une présence intensive et une vigilance de tous les
instants» (Gombert, 2008, p. 146). Au-delà des dimensions compétitives et
instrumentales de classement par performance, se joue l' intensification de la sélection
scolaire.
Il n' est pas dans notre intention de faire le procès de la violence à 1' école ni non plus
d' en rechercher les causes. Il est question d' analyser les retombées d'une pratique
éducative, quant à la gestion même de cette violence. Par contre, le recours à un
traitement psychologique n' est pas en soi mauvais ni non plus déconseillé. En fait,
c' est la marginalisation de 1' élève «violent » qui pose problème. Imaginons qu 'une
100
catégorie d'élèves, pour une raison ou une autre, souffre de troubles profonds de
comportement. Sur les recommandations des acteurs, entendons par là, enseignants,
psychologues, anthropologues et conseil administratif, ces élèves se trouvent placés
dans des classes spéciales. Ces dernières sont destinées à accueillir les enfants qui
semblent voués à l' échec au niveau de l' enseignement primaire : enfants présentant
des retards de maturation, enfants subissant des blocages affectifs, des troubles
psychomoteurs divers, enfants dont le milieu familial ou social a retardé le
développement, principalement sur le plan de la communication, enfants présumés
déficients intellectuels, handicapés moteurs ou sensoriels légers. Au point de vue
d' une politique de gestion de la classe, une telle mesure aurait la potentialité de
favoriser l' apprentissage de tous. Cependant, comme toute pratique scolaire, elle est
lourde de conséquences. Elle aura permis à ces élèves, en situation de décrochage, de
se résoudre à l'abandon. Situation qui ne résulterait pas d'une espèce de fatalité, mais
d'une conjugaison de facteurs .
Face à une telle situation, on doit se poser la question : à qui profite ce manque
d' intérêt dans la prise en charge véritable de l' éducation de cette catégorie? Est-il
nécessaire de soumettre la communauté des élèves à des prescriptions collectives, des
normes communes, sans tenir compte de la variété culturelle qui exerce une
influence prépondérante? Il semble que, dans les pratiques éducatives, cette exigence
culturelle, si elle n'est pas absente, soit carrément ignorée. C'est peut-être par priorité
ou par motivation qu' on n'en tient pas compte. Les résistances observées chez
certains élèves dans le respect des normes communes sont-elles le signe
d' inadaptation? Ainsi 1'enseignant, au lieu de guider le pas de 1'élève vers la
connaissance qui le libérera de l' emprise de ces normes ou de ces valeurs, se réduit à
l' application stricte de ces normes et se retire, par le fait même, du champ de la
compétence pédagogique et didactique. Il est de l' intérêt de l' élève de faire ce suivi
de comportement, mais la réflexion de l'éducateur permettra d' identifier les enjeux
101
potentiels et évitera d' en faire un usage trop mécanique. Si le souci est l' amélioration
de la conduite, de l'apprentissage, il n' est ni dans l' intérêt du système ni dans celui de
l' enseignant de se préoccuper du respect scrupuleux de ces normes, quand leur
application est source potentielle de conflit entre les dimensions culturelles qu ' elles
imposent et celles des élèves en question. Il serait encourageant de faire la promotion
d' un pluralisme culturel, là encore la réflexion de l' enseignant est déterminante. C' est
pourquoi, souligne Meirieu, «toutes les pratiques didactiques ne se valent pas au
regard des valeurs qu' elles prétendent promouvoir» (Meirieu, 2007, p. 149).
Cette reconnaissance de la variété culturelle est doublement importante. Elle
permettra, premièrement, d' avoir un jugement rationnel quant à la limite de certaines
pratiques, et, deuxièmement, elle évitera les conclusions hâtives susceptibles
d' induire en erreur les responsables.
Pour simples qu' elles puissent paraître, certaines pratiques pédagogiques se cachent
derrière les renforcements prononcés de la ségrégation scolaire ayant des
considérations à la fois locales et globales. Ces considérations s' accompagnent de
l' entrée en scène de la nouvelle doxa scolaire à philosophie puérocentrée, dominée
par l' approche psychologique de l' éducation. Les experts s' accordent pour dire que
plus l'accent est mis sur l' apprentissage du jeune enfant, plus la chance de réussite
augmente. Cette nouvelle doxa scolaire, en dépit de la prise en charge de l' enfant et
des avancées pédagogiques nouvelles, connaît encore des défis. Peut-être sans le
vouloir, elle accentue le processus d' élimination, c'est-à-dire qu' elle renforce la
conception de l'école-raffinerie. Ce qui porte Patrick Fauconnier, auteur de l' ouvrage
La fabrique de l'excellence des meilleurs, à déclarer : « Notre école-raffinerie axée
sur la sélection d'une élite et le rejet de «maillons faibles» doit devenir une école
pépinière où l' on encourage mieux chacun à réussir » (Fauconnier, 2005, p.15).
Par contre, il faut éviter de créer une situation où 1' école est appelée à cautionner la
séparation entre élus et déchus, pour reprendre l' expression très caricaturale de
102
Fauconnier. L ' itinéraire scolaire semble conçu pour orgaruser d' incessantes
séparations entre des «supérieurs » et des « inférieurs » plutôt que valoriser la culture
de la diversité et les vertus des mélanges. Les pratiques scolaires se donnent pour
objectif d' homogénéiser les classes, comme en témoignent les stratégies d' évaluation.
Si ces pratiques d' évaluation sont les mêmes pour tous, personne ne serait enclin à
penser qu ' elles risquent de privilégier un groupe au détriment d' un autre. Et pourtant,
elles impriment dans les petites cervelles des élèves une névrose de la course
individuelle et du classement, puisque les résultats obtenus établissent une certaine
perception de supériorité ou d' infériorité. À ce point, Alain Ehrenberg dans Le Culte
de la p e1jormance souligne : « Avec le louable objectif d'être excellent, on finit par
être exclusif au sens du facteur d'exclusion. Par un bizarre retournement idéologique,
notre école qui se pique, depuis son origine, de vouloir constituer un espace de
citoyenneté, d'égalité et de justice imperméable aux lois du marché, s' est muée en
sourcilleux zélateur des tics de la concurrence sauvage, immergeant bien trop tôt les
gosses dans une atmosphère de course où il y aura des élus et des déchus» ( cité dans
Fauconnier, 2005 , p. 31 ).
Soulignons, pour le besoin de la curiosité, qu'une école où l' objectif du rang prime
sur l' objectif du savoir véhicule de manière consciente ou non une redoutable
philosophie qui veut que l'autre soit une menace. La déclaration de Fauconnier
résume bien la situation : «Notre course au concours repose sur le fait qu ' il n' y en
aura pas pour tout le monde. En soi, il n' est pas condamnable qu ' un système
distingue les meilleurs (si la société s'accorde sur ce qu ' elle entend par
«meilleur>>... ). Mais il est très mauvais que 1' organisation de notre système scolaire
(«voie royale», grandes écoles) ait pour résultat que cette course démarre dès la
maternelle avec des orientations sans retour. Et il est tout aussi mauvais dans ce
système que le diplôme soit plus un laissez-passer qu ' un certificat d' aptitude »
(Fauconnier, 2005, p. 33). Cette situation française, que décrit l' auteur du livre La
103
fabrique de l 'excellence des meilleurs, franchit tous les systèmes. Il ne saurait en être
autrement, car fabriquer les meilleurs obéit à une logique sociale, voire économique.
Ce n'est pas sans importance que l' école détermine très précocement, et cela sans
donner une chance de rattrapage, l'orientation des jeunes. Les enfants d' ouvriers, sauf
à des exceptions près, se dirigent immanquablement vers les filières professionnelles,
alors que les enfants de cadres prennent l'option des professions libérales,
socialement valorisées. Cet exercice est si contraignant qu ' il laisse très peu de
passerelles permettant de modifier le cours du destin ainsi scellé. Tout se passe
comme si psychologiquement tel enfant était prédestiné à des filières peu valorisées
et tel autre à des filières plus valorisantes. On doit éviter ce qu' un auteur appelle une
constance macabre, entendons par là cette proportion constante d'élèves qui doivent
ainsi, quoi que 1' on fasse, se retrouver soit en situation d' échec, soit en situation
d' exercer une profession contre leur gré.
En fin de compte, les pratiques scolaires d'élimination par l' échec comportent des
éléments d'explication sociale, pédagogique ou culturelle. Elles entraînent des
conséquences dramatiques, comme le soutignent Stéphane Ehrlich et Paulette
Maillard. « Il a été montré que les notes des élèves diminuent au cours des trimestres
d'une année à l'autre. Dans le groupe des élèves les plus performants, cette baisse est
légère. Dans celui des élèves les plus faibles, elle est massive. Intéressons-nous à
l'un de ces derniers. Pour lui les choses sont claires ... et douloureuses. Trimestre
après trimestre, il récolte des notes de plus en plus basses. Autrement dit, il se voit
devenir de plus en plus mauvais. Petit à petit, il perd l'espoir de réussir, ses efforts
faiblissent, les notes baissent encore et ceci précipite une spirale de pente négative »
(Ehrlich et Maillard, 2004, p. 79, cité dans Fauconnier, 2005, p. 55). L ' institution
scolaire se transforme constamment, elle produit de nouvelles techniques de tri et de
traitement des singularités. Les opérations d' évaluation, d' étiquetage et d'orientation
104
portent prioritairement sur leurs manières d' évoluer, de devenir. Le travail de tri
scolaire se trouve ainsi déplacé. Il s' applique aujourd' hui plus aux processus
d' individuation qu ' aux individus eux-mêmes. Ce travail auquel la psychologie
scientifique s' est consacrée depuis le XX:e siècle se fait écho et tend de plus en plus
à s' ériger en pratique scolaire indispensable. Ses approches cliniques ou
psychanalytiques, loin de réduire les effets du tri, légitiment de nouvelles pratiques de
tri et d' éducation.
Qu' on ne s' y méprenne pas, l' expression «psychologisation comme démagogie des
planificateurs et des acteurs» n' est pas la négation de la psychologie, mais elle est
plutôt, selon l'expression de Bernard Charlot, une mystification pédagogique définie
comme camouflage de sa valeur idéologique (Charlot, 1976, p.24). La
psychologisation de 1' éducation cherche à réduire le fossé d' inégalités séparant une
catégorie d' élèves d'une autre catégorie, à circonscrire 1' inaptitude scolaire souvent
évoquée dans le processus de sélection. Cependant, même avec la floraison des
avancées psychologiques liées aux techniques nouvelles et une pléthore de
spécialistes des questions éducatives, la situation continue à se développer et les
progrès réalisés sont loin de combler les attentes. ll semble que les solutions
«scientifiques» adoptées ne sont pas les plus appropriées ou qu'elles constituent un
instrument de justification donnant l' impression d' avoir, pour le moins, essayé. Des
statistiques disponibles en France, comme celles décrites par Georges Snyders (1976)
et Robert Ballion (1977), démontrent une amplification des cas d' élèves qui
connaissent un an ou deux ans de retard dans leur cheminement scolaire. Il ne s' agit
pas ici des élèves souffrant des déficiences sévères ou légères, mais il est plutôt
question d'une certaine catégorie d' élèves qui, après un diagnostic plus ou moins
profond d' un enseignant, confirmé par un psychologue de l' éducation et certifié par
un personnel administratif, sont envoyés à des traitements psychologiques. La
soustraction de ces élèves du champ de compétence pédagogique ou didactique peut,
dans la plupart des cas, obéir à la volonté des décideurs d' offrir une chance égale de
réussite.
sélection de 1'école? Notre questionnement se base sur les observations qui illuminent
le fait que les enfants de catégories sociales défavorisées sont le plus souvent frappés
d' inaptitude ou d' anormalité. Cette inaptitude est un avatar qui leur est collé comme
une seconde nature. Quoi qu 'ils fassent, il ne leur est pas toujours facile de s' en
défaire. Non seulement les consultations psychologiques spécialisées ne sont pas à
leur portée, mais encore, même s' ils parviennent à satisfaire bon gré mal gré aux
exigences économiques, l'étiquette d'inaptitude finira par avoir gain de cause. De
construction récente, le mot «inaptitude» apparaît dans les textes officiels dans les
années 1970, selon Le Robert (1998), et présente la particularité de remplir un vide de
désignation. L ' inadapté est un pseudo-handicapé, pas tout à fait handicapé pour que
sa reconnaissance officielle lui ouvre l'accès aux droits légalement attribués, mais
suffisamment affecté pour qu ' on ne puisse pas y lire ce qui constitue de tout temps sa
caractéristique essentielle : l' indigence de ses conditions socioéconomiques.
eux, 15% ont deux ans de plus de retard; 73% des enfants d' ouvriers connaissent 2
ans ou plus de retard en primaire et 24% des enfants de cadres supérieurs, 31% des
enfants d' industriels (Charlot, 1977, p. 199).
L' argument selon lequel il faut respecter le développement de l' enfant sert souvent à
dissimuler le fait que ce développement se déroule dans des conditions sociales
inégalitaires. On comprend que certains enfants progressent plus rapidement que
d'autres. Le quotient intellectuel, s'il joue une fonction importante dans la prise de
décision, peut bien favoriser certains enfants au détriment de certains autres, en raison
de conditions sociales inégalitaires. La comparaison de progression dans
l' apprentissage est à la base de décision de sélection, comparaison biaisée au départ si
les conditions sociales sont si disparates. Une telle comparaison, si elle est révélatrice
de performance d'un côté et de médiocrité de l'autre, n' est pas sans conséquence. Elle
aura permis de prendre une décision qui ne se justifierait pas, si en fait il fallait
respecter le rythme de 1' enfant. Là encore, il faut utiliser avec prudence la
psychologie de l' enfant. Car, de l' avis de B . Charlot, «la connaissance de la
108
psychologie de l' enfant ne permet pas de déterminer les fins de l' éducation. Elle
n' est pas non plus suffisante, à elle seule, pour définir la démarche pédagogique.
Mais elle est essentielle pour traduire les fins sociales en fins proprement
pédagogiques» (Charlot, 1976, p. 200). Ainsi, on ne peut ne pas étudier un enfant
qui vit dans des conditions pédagogiquement et socialement déterminées. Ne pas
s' en souvenir, c'est être victime d'un mode de pensée idéologique, en présentant
comme naturelle et universelle l'influence des facteurs psychologiques qui, en fait,
tiennent au mode d' éducation et à l'environnement de l'enfant. Dans ces conditions,
il n' est pas possible d' attendre de cette psychologisation qu' elle détermine des fin s
éducatives ayant une valeur sociale s' imposant à tous. Elle peut aider à traduire des
fins sociales de l' éducation en fins proprement pédagogiques, mais elle ne peut pas
fonder les fins de 1'éducation ni en constituer des paramètres inévitables.
Cette situation frappe beaucoup plus les enfants des quartiers défavorisés au point que
les meilleurs enfants, venus de ces écoles, sont les plus faibles des écoles des zones
favorisées. S'agit-il d'un déséquilibre culturel, au sens philosophique, ou convient-il
110
L ' histoire de l' éducation des sociétés stables, telle que décrite par Margareth Mead,
ne se pose pas de problèmes pédagogiques, contrairement aux sociétés occidentales
en proie à une crise d' efficacité et à une chute libre de niveau. Subjuguées par les
défis sans cesse croissants d'une éducation en péril, en raison du taux d' échec
alarmant, ces sociétés recourent à la psychologie. Cependant, lorsque dans une
société les tensions s' accroissent et les conflits s' exacerbent, l' éducation elle-même
cesse d' apparaître comme un processus essentiellement culturel et individuel, et elle
se révèle explicitement comme enjeu des luttes sociales, ce qu' elle est toujours
implicitement, précise l'auteur de La mystification p édagogique (Charlot, 1976, 17).
Comment vouloir prétendre, même avec le caractère scientifique qu ' on lui reconnaît,
que le processus de psychologisation de 1' éducation comme médicalisation de la crise
soit étranger à toute manipulation idéologique. Il n'y a pas de neutralité politique en
éducation, tout système éducatif est fondamentalement politique. Cela étant dit, tout
phénomène qui charpente les théories et les pratiques de 1' éducation ne peut échapper
à sa politisation. La première raison de penser que les idées éducatives sont
dépendantes d'une allégeance idéologique repose sur la nature politique de
l' éducation. Des théories, comme celles de Freire et de Siegel, mettent l' accent sur le
fait que 1' institution scolaire est nécessairement politique par nature. De ce fait, écrit
Freire : « Il n' y a pas véritablement d' éducation neutre» (cité dans Siegel, 1988,
p.66). Et Henry Giroux déclare : « Par nature, toute pédagogie est essentiellement une
issue politique et toutes les théories éducatives sont des théories politiques» (cité dans
Siegel, 1988, p. 67). Ces auteurs n' ont pas été les seuls à relater le caractère
résolument politique de l' éducation. À cet effet, Jonathan Kozol (1991) pense que
tout apprentissage est idéologique, d'une manière ou d'une autre. L' éducation est soit
pour la domestication, soit pour la libération. Et il est impossible, de 1' avis d '1van
Illich et de Michael Barber (cité dans Siegel, 1988, p.67), d' éviter une connotation
idéologique. Car l' idéologie forme la conscience et affecte matériellement les
112
Reprenons les commentaires deN. Kroupskaïa en 1926, cités par B. Charlot : « Tant
qu 'existe une société de classes, l' école sera inévitablement école de classes. Toute la
question est là : quelle est la classe qui est au pouvoir et quelle est la classe qui dirige
l' école, les buts des classes étant différents? ... Étant au pouvoir, la bourgeoisie tente
de transformer l' école de masses en instrument capable d' asservir les travailleurs :
elle apprend aux enfants à obéir, à être gouvernés, séparés et leur remplit le crâne
avec des préjugés religieux et nationalistes. La bourgeoisie a pour ses enfants d'autres
écoles où on les éduque » (cité dans Charlot, 1976, p. 18). Et des exemples, en ce
sens, pullulent dans l' histoire de l' éducation. Face à la signification sociale de
l' éducation, comment décanter la psychologisation de l' éducation de cette prégnance
sociale?
Affirmer que l' éducation accuse une signification politique et sociale, c' est considérer
que c' est la culture individuelle qui est déterminée par la situation sociale, et non
l'inverse. Les modèles de comportement, de discipline, proposés à l' enfant dépendent
de son environnement et de son appartenance de classe. À partir du moment où
chaque élève ne se voit pas offrir des possibilités semblables de culture personnelle,
où la culture qui lui est proposée dépend de son origine sociale, et où son destin
social reproduit cette origine, il est impossible de soutenir que les différences
culturelles sont source des différences sociales; il apparaît clairement que les
différences sociales sont à la base des différences culturelles. Dans ces conditions,
comment vouloir comparer les scores d'un enfant de milieu défavorisé avec ceux
d'un enfant de milieu favorisé? S'il est impossible d' opérer ainsi, quelle est la validité
d'une recherche psychologique ayant des enfants pauvres comme échantillon dans un
milieu social aisé ou vice versa?
Tout compte fait, la signification politique et sociale de l' éducation est à décanter.
Tout processus culturel qui occulte cette signification n'est pas victime d'une erreur,
114
d' un oubli ou d'une négligence, mais, en réalité, il fonctionne comme une idéologie.
De ce fait, précise Charlot, la pédagogie camoufle idéologiquement la réalité sociale,
économique et politique de l' éducation derrière des considérations culturelles,
spirituelles, morales et philosophiques, etc. Ce qu ' elle masque avant tout, c' est la
signification politique dans une société où s' installe la dominance de classe, c' est
l' influence exercée sur l'éducation par la division sociale du travail et la lutte des
classes (Charlot, 1976, p.24). La signification sociale, politique et économique de la
psychologisation de l'éducation se révèle d' elle-même et montre que toute
occultation participe à une manipulation idéologique. Reconnaissons que tout
phénomène, qu ' il soit scientifique ou pas, bénéficie d 'un apport social, politique et
économique. Comment vouloir détacher la psychologisation de 1' éducation de ce
bénéfice quand on sait qu ' elle répond à un besoin social de l' éducation? Il est
absolument nécessaire de reconnaître cette prégnance sociale et politique, si on veut
éviter de faire le jeu de son aspect idéologique. Elle est non seulement
idéologiquement déterminée, mais aussi elle dissimule un cachet pathologique de la
pensée.
problématique. L ' éducation devient morne, coupée des intérêts des élèves. Pour
justifier cet état de fait, l' on assimile à l' incompétence des enseignants leur manque
de préparation. C' est comme si leur formation par le biais de nouvelles méthodes, au
mieux de quelque technique, assurera le salut des élèves. Cependant, observe Adorno,
« on entend toujours dire que des enseignants auraient été brisés pendant leur période
de formation, forgés dans le même moule au point qu ' on a tué en eux tout élan, tout
ce qu ' il y avait de meilleur en eux. Des transformations importantes supposent des
recherches sur la formation des maitres. Il faudrait en particulier voir jusqu 'à quel
point la notion de nécessité scolaire réprime la liberté et la formation de l' esprit »
(Adorno, 1984, p. 203).
Est-ce à dire que l' on s' inscrit en faux contre tout recours à la psychologie pour
mieux saisir la réalité éducative? Absolument pas. Car la psychologie offre des
perspectives éclairantes et des recommandations intéressantes dans la gestion et
117
l' amélioration de l'école. Loin de là, la pensée de vouloir minimiser son impact ou
même lui nier droit de cité. La question ne se pose pas à ce niveau. Notre
questionnement relève de préférence de l'usage exclusif qu'on en fait et de la mise à
l' écart de toute autre modélisation, capable de contribution à l'émergence d'une
pensée critique, plus élaborée et plus représentative. L ' hyper-psychologisation que
connaît aujourd' hui le monde de l'éducation semble indiquer que l' on s' achemine
inéluctablement vers le déploiement d' une pensée unique. Si elle est inspirée de
rentabilité économique, ou tout au moins de préoccupation pédagogique, il ne faut
pas tergiverser à la combattre. Certaines techniques non seulement prennent la forme
d' une généralisation, mais aussi compliquent toute compréhension des difficultés
scolaires.
devient argument incontournable. Citons, par exemple: c' est psychologique, il est
psychologiquement vrai, c' est un problème psychologique, etc. Et que dire des
instruments psychométriques? Facilement, on se met à appliquer ses techniques, au
point qu ' il est presque difficile de ne pas en tenir compte. Reconnaissons la portée
significative de cette culture psychologique, mais aussi tenons en compte des
influences des autres modélisations pour mieux réfléchir et saisir ses enjeux
épistémologiques.
Par nature, l' institution scolaire est politiquement chargée et toute modélisation y
relative porte les empreintes indélébiles de la politique. Changer de modèle, parce
119
que politiquement trop chargé, c' est encore s' enliser dans les méandres de la
politique. Il est absolument inconcevable d ' avoir un modèle pédagogique qui
échapperait à sa dimension politique. Conceptuellement ou pratiquement, l' approche
psychologique, de quelque situation que ce soit, reste fondamentalement sociale, ce
qui entraîne une dimension politique. Ainsi donc, psychologiser un phénomène ou
une situation n' enlève pas son caractère politique. On peut réussir à masquer ou
dissimuler ce qui en fait sa dimension politique à première vue, mais l' analyse de son
arrière-fond finira par le révéler. Comme, par exemple, on peut apporter des réponses
induites, dissimuler l' arbitraire social et politique qui est son principe, mais au fond
sa politisation persiste. Si la réponse psychologique aux dénonciations sociologiques
des difficultés scolaires vise à s' échapper de toute couleur politique, en ce faisant elle
renforce ses implications éminemment politiques et est le masque psychologique
d'une réalité sociologique. Toute analyse relative à la mesure du quotient intellectuel,
à 1' inadaptation scolaire, à l' arriération scolaire, aux inégalités culturelles, à
l' existence des classes spéciales, au regroupement homogène, loin d' euphémiser la
crudité de la réalité, laisse transparaître de manière éclatante l' expression d'une
volonté politique.
De ce fait, « l' échec scolaire, rappelle 1' auteure du livre La débilité légère, n ' est pas
compréhensible dans un schéma explicatif univoque; son analyse nécessite une
approche pluridimensionnelle où la structuration individuelle ne peut être
appréhendée indépendamment des influences sociales et culturelles qUl
l' accompagnent, où la dynamique institutionnelle dans laquelle s' inscrit le processus
d' adaptation paraît essentielle» (Gâteaux-Mennecier, 1990, p. 122-123). Il n' est pas
facile de comprendre les difficultés scolaires par les seules causalités psychologiques
quand on sait qu ' il s' agit d' une réalité nécessitant une approche plurielle. Si cette
volonté d' interpréter les difficultés scolaires, selon ce modèle singulier, ne s' inscrit
pas dans la lignée de la mise en garde des textes de Binet et de Simon témoignant du
120
souci de préserver 1' ordre social, face aux dangers que représenteraient les
indisciplinés scolaires, elle le définit plus ou moins explicitement en termes de
conformité. Les interprétations psychologisantes envahissant l' espace scolaire sont-
elles l' expression d'une nouvelle idéologie ou d'un phénomène passager?
Ainsi donc, lorsqu 'un professeur enseigne, son action n'est pas tout à fait contrôlée ni
tout à fait libre. Ses convictions pédagogiques, ses référents politiques, ses
représentations sociales agissent à son insu dans sa conduite de la classe.
Reconnaissons avant tout que ses jugements sont construits dans et par le social, c'est-
à-dire qu ' ils ne s'imposent pas naturellement du point de vue d' un hypothétique libre-
arbitre individuel, mais qu ' ils prennent leur source dans des déterminismes structurels
dépassant l' individu, relayés par des institutions qui les portent, les véhiculent et les
accompagnent (Douglas, 2004, p.7). Cela dit que la modélisation psychologique, pour
scientifique qu 'elle puisse être, traduit un degré de catégorisations sociales
incorporées, lesquelles catégorisations portent les marques indélébiles de la réalité
politique contextualisée dont les influences ont un impact significatif sur le processus
de scolarisation.
Toute analyse en ce sens doit tenir compte des conséquences de la théorie néolibérale
sur l'éducation. Déjà, l' école comme institution est considérée comme un marché
potentiel à rentabilité économique sans précédent. Ce n' est pas par souci d' innovation
que les investisseurs renflouent les caisses des établissements scolaires ni par pure
générosité. C' est pour la potentialité économique que représente ce secteur qui
cristallise ce renfort de capitalisation. Sous la houlette du néolibéralisme, les écoles
publiques sont la cible privilégiée des investisseurs potentiels. Le processus de
privatisation, sous le fallacieux prétexte d' école désargentée, sape tout travail de
restructuration amorcé par l'État. Un processus de liquidation est mis en branle. Et
pourtant, la capitalisation des écoles publiques ou la substitution par des capitaux
privés ne fait que renforcer les inégalités; 1' inadaptation scolaire ne constitue pas une
exception mais en est la règle, le recours au quotient intellectuel joue la fonction de
prédiction du cheminement scolaire et les causalités psychologiques sont les
paramètres de mesure. Ce n'est pas sans raison que toute une panoplie d' ouvrages au
profil psychologique enrichit le savoir pédagogique.
Et ce n' est pas non plus sans raison qu'un processus de spécialisation à outrance,
entendons par là parcellisation de connaissances, déferle sur le secteur scolaire
donnant toute une variété de spécialistes appelés à jouer une fonction ou une autre
dans le règlement des difficultés scolaires. La galaxie des «dys» par son volet
médicalisant a rendez- vous à l' hôpital plutôt qu ' à l' école où des centres de référence
sont justement conçus pour un diagnostic et un soin particulier. On en veut pour
preuve la dyslexie, la dysorthographie, la dyscalculie, la logopédie, sans oublier la
fonction clinique de la psychologie scolaire. Admettons que ces spécialités sont
importantes dans la prise en charge des difficultés solaires, mais reconnaissons en
même temps que les services fournis par ces spécialistes ne sont pas disponibles à
l' école. Par exemple, en France, les médecins de l' éducation nationale peuvent être
appelés à procéder à des examens des enfants concernés. Après une synthèse réalisée
123
à l' école par l' équipe éducative, les familles sont orientées vers des centres de
référence si des hypothèses de troubles spécifiques de l'apprentissage du langage oral
ou écrit existent. De telles interventions ont des retombées positives dans
l' apprentissage de l' enfant.
Rappelons, cependant, que ces interventions ne sont pas gratuites, elles nécessitent
des contributions financières de la part du prestataire. Dans la plupart des cas, les
catégories sociales ayant besoin de ces interventions sont confrontées à des conditions
économiques précaires ne leur permettant pas d' y faire face. Les coûts exagérés de
ces consultations nuisent aux catégories défavorisées. Rien ne justifie que le recours
à ces pratiques fera une différence, mais les exigences à la base les rendent
obligatoires. Les enfants qui ne sont pas en mesure de payer ce luxe en payeront à
coup sûr le prix de désistement. Et ils iront grossir la liste des inadaptés. Éliminés par
ce processus complexe du poids politique et économique de la psychologisation, ces
enfants se consoleront à occuper la place qu ' un système éducatif élitiste et
inégalitaire leur réserve.
Il est indéniablement vrai que l' analyse de la psychologisation de l' éducation établit
le poids des implications politiques et économiques dans le processus de
scolarisation, et que toute tentative qui vise à le dissimuler ou à le masquer est de
construction idéologique. Soulignons en passant que, malgré les prétentions de la
culture psychologique à ne pas se doter de fonction politique et que la rentabilité
économique n' est pas l' objectif premier, ces facteurs sont déterminants dans le
traitement des difficultés, si on veut saisir leur signification exhaustive.
CONCLUSIO
Qu ' en est-il de ses implications politiques? L ' éducation, quel que soit l' angle
envisagé, ne peut échapper à la dimension politique liée à son contexte. Les réformes
et contre-réformes, les théories et contre-théories suivent les aléas de la politique. En
fait, la psychologisation de 1' éducation, structure pensante des théories éducatives,
n' est pas un phénomène neutre. Il se peut bien qu ' elle ne soit pas commandée, à
première vue, par une quelconque allégeance idéologique; mais sa signification
politique est éminemment prévisible de par la nature politique incontournable de
l' éducation. L ' enseignement sera toujours aristocratique, en dépit des déclarations
démagogiques sur sa démocratisation, déclare Lebel en 1966. Peut-être, a-t-on pensé
que l' expansion de la culture psychologique, pour une prise en charge des difficultés
scolaires et pédagogiques, ferait éclipser la signification politique de l' éducation.
Loin de là, les inégalités se précisent, la chance de réussite est encore fonction de son
appartenance sociale et de l' école fréquentée, l' équation de sélection par écrémage est
125
plus que Jamais balancée, le taux de succès des écoles situées dans les zones
favorisées est remarquablement plus élevé que celui des zones défavorisées, les
filières de professions libérales, socialement valorisées, sont réservées aux enfants de
couches aisées et la fabrication d' une «élite» ne connaît pas de répit. En dépit de la
multiplication incroyable des recherches psychologiques et didactiques, l' évolution
de ces injustices sociales dans la pratique se poursuit. L ' égalitarisme en éducation
n' est pas de mise. La société n'est pas moins inégale qu 'elle ne l' a été un siècle plus
tôt. Si la signification politique de la psychologisation de l'éducation ne s' efface pas
devant les efforts gigantesques de la culture psychologique à offrir des conditions
d' apprentissage meilleures, on peut tout de même souhaiter qu ' elle n' ait pas
d' implications économiques.
Cependant, notre analyse a montré que les implications économiques sont bien
réelles. Les enfants souffrant de déficiences et nécessitant l' intervention d'un
spécialiste, dans la majorité des cas, ne sont pas pris en charge par les autorités
administratives. Et les écoles ne peuvent pas se payer le luxe d' avoir des spécialistes
pour s' occuper de ces enfants. Les enseignants «spécialisés» sont débordés par une
classe de 15 enfants, par exemple, ayant besoin d' attention spéciale. Les centres de
consultation psychologique sont bondés de monde et les parents à conditions
économiques précaires ne peuvent pas satisfaire à ces exigences économiques. De
plus, la pente néolibérale de 1' éducation convertit 1' école en une entreprise florissante .
Les recherches psychologiques se multiplient à un rythme incroyable. C' est vrai que
certaines techniques psychologiques peuvent aider, dans des cas spécifiques, à des
enfants en difficulté, tels des problèmes de dyslexie, de dyscalculie, de
dysorthographie, mais le coût associé à ces interventions peut démotiver les parents
dont les conditions économiques sont précaires. En fait, malgré les résonnances
politiques et économiques de la psychologisation de l'éducation, on doit préciser que
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