Reflexions Sur Une Inscription Bilingue Libyco Latine de Kabylie HAMDOUNE
Reflexions Sur Une Inscription Bilingue Libyco Latine de Kabylie HAMDOUNE
Reflexions Sur Une Inscription Bilingue Libyco Latine de Kabylie HAMDOUNE
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There are few epigraphic testimonies of bilingual texts (libyc/latin). The most
numerous, found à Thullium in Tunisia are caracteristic of multiculturalism.
The Crescentius’ epitaph, found in Kabylia, published by L Galand, is very
different but particularly worthy of interest in spite of rustic aspect. In a
territory late affected by romanisation, the inscription gives preference to the
libyc terms meanwhile the latin words recall that the defunct as been soldier in
Roman army. In later monuments, a sculpture in relief put in the place of the
libyc writing.
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Christine Hamdoune
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Voir notammment le texte du Wadi Chanafès (p. 218) qui indique la construction d’un mausolée par
Pudens et Seuerus pour leur père Amsuala, fils de Maduna pour un montant de 1700 deniers et celui
du wadi Ghalbun (p. 219) relatif à la construction d’un mausolée par les quatre enfants du défunt,
dans lequel figure deux fois le mot procurator.
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AUG. Ep, 20*, 3 : « j’avais entendu dire que par surcroît il savait la langue punique », et linguam
punicam scire audieram. Sur l’usage de la lingua punica à cette époque, voir Lancel (1982 : 270-
272).
3
AMM. MARC., XXIX, 5, 28 : « de très nombreuses peuplades différentes par les coutumes et la
diversité des langues », dissonas cultu et sermonum uarietate, nationes plurimas. Voir aussi Gsell
(1920 : 118, n. 10) qui cite la chronique compilée par saint Hippolyte (Bauer, Chronikon Hippolytos,
p. 102) qui indique parmi les langues parlées en Afrique celle des Mazices avec celles des Mauroi,
des Gaitouli, et des Afroi.
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PLINE, HA, V, 1 : « Les noms de ses peuples et de ses villes sont tout particulièrement
imprononçables pour d’autres bouches que celles des indigènes », populorum eius oppidorumque
nomina uel maxime sunt ineffabilia praeterquam ipsorum linguis.
5
Chabot (1940) en recense 1073 sur 1124 au total, provenant de cette aire géographique. Une
trentaine de documents ont été trouvés au Maroc (voir Galand [1966]). Une cinquantaine de textes
proviennent de la Césarienne à l’Ouest de Sétif dont la plupart de Kabylie où de nombreux documents
ont été récemment découverts.
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Voir sur ce problème en particulier l’interprétation des noms propres qui peuvent aussibien
correspondre à des anthroponymes qu’à des toponymes dans Drouin (1997 : 3-4).
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Voir Rebuffat (2007).
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ILALg. 1, 137 voir infra) ; ILAlg. 1, 138 : Nabdhsen Cotuza/nis f(ilius) trib(u) Misisciri uix(it) /
annis XX ; h(ic) s(itus) e(st). Le nom du défunt se retrouve dans l’inscription libyque NBDDSN ;
ILALg. 1, 156 : Chinidial / Misicit f(ilius) / tribu Misi/ciri uix(it) / an(nis) XXXX ; on retrouve aussi le
nom du défunt en libyque KNDYL W MSGT ; ILAlg. 1, 174, en latin seulement et mutilé où l’on peut
lire : D(is) M(anibus) s(acrum / Auc[---] / Sadauis fi(lius) Nu/mida Misic[iri] / pius uix(it) an(nis)
LX.
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Voir Gsell, IlAlg. 1, p. 14 : il s’agit d’une petite cité, devenue municipe et mentionnée par saint
Augustin (De cura pro mortuis gereunda, XI, 5), placée dans l’orbite du diocèse d’Hippone.
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On n’en trouve que deux autres l’une près de Ghardimaou (CIL, VIII, 17317) et l’autre en Kabylie.
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ILAlg. 1, 145 : Dis / Manibus / sac(rum). / L. Postumi/us Cres/cens u(ixit) a(nnis) LX. ILAlg. 1,
168 : D(is) M(anibus) s(acrum. / Paternus / Zaedonis / fil(ius) uix(it) an/ nis XXXVII .
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D’après un article, « Une inscription latine sur le tracé de l’autoroute de la Soummam », Al Watan
du 24 janvier 2014.
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ILAlg. 1, 137 : C. Iulius Getu/lus uet(eranus) donatis / donatis torqui/bus et armillis / dimissus et in
ciuit(ate) / sua Thullio flam(en) / perp(etuus) uix(it) an(nis) LXXX ; / h(ic) s(itus e(st).
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siècle car l’inscription provient d’une région très isolée et c’est à partir du règne de
Trajan que sont attestés des contingents de soldats maures recrutés dans les tribus
et parfois détachés en garnison en Dacie (Hamdoune, 1999).
À Thullium, les inscriptions bilingues montrent que les textes comportent des
indications différentes dans les deux langues car ils ne s’adressent pas aux mêmes
lecteurs. La multiplication des bilingues y est l’expression d’une société déjà
romanisée. Il n’en va pas de même pour l’inscription d’Ifoughalen, située dans une
région isolée à plus de 50 km de la colonie augustéenne de Saldae.
Il me semble donc nécessaire de replacer dans son contexte précis l’épitaphe de
Crescentius pour en déterminer la signification exacte et, en particulier, de la
comparer aux autres stèles à caractère funéraire de Kabylie. Celles-ci concernent
avant tout des notables, le plus souvent, tribaux présents dans deux types de
documents :
Des stèles le plus souvent anépigraphes représentant un cavalier armé de
javelots et portant les insignes du pouvoir (Laporte, 1992) dont la plus célèbre
est celle d’Abizar. L’une des plus intéressantes est la stèle de Kerfala (vallée de
l’Isser) qui mentionne un chef de tribu GLD MSK MSKBN (Ier-IIe siècle a.C.)
Des stèles à registre avec une inscription latine : la plus précoce est celle de
Toudja (24 km au sud de Bejaia), mais cette série est illustrée par les stèles à
registre de Castellum Tulei (Hamdoune, 2004) et celles de Tigisis(Taourga)
dessinées par Vigneral (1868, pl. 2).
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Il faut également ajouter à cette liste, une nouvelle stèle à triple registre provenant
d’Ighil Oumsed14 (commune de Chellata dans la vallée de la Soummam non loin de
M’lakou, où existent les traces d’une agglomération antique marquée par des
influences romaines.Cette stèle, comme celles de Castellum Tuleiet de Tigisis,
reprend l’image du cavalier, mais lui ajoute le thème romain du banquet funéraire
et, entre les deux registres historiés, une épitaphe comportant la consécration aux
Mânes, le nom et la qualité du défunt. J’ai montré dans une étude antérieure
14
Voir D 1, dans « Dépliant Stèles libyques et libyco-romaines de la wilaya de Bejaia »,
http://gehimab.org. La stèle trouvée en 2006 est très proche de celle de Tigisis : dans le
registre supérieur un rapace face à la silhouette à moitié allongée d’une femme (= Terra
mater ?) ; au registre suivant un cavalier portant un manteau flottant ; le registre
épigraphique dans une tabula ansata, enfin au registre inféreiur le bnquet funéraire avec le
défunt allongé au centre entre sa femme à droite et un serviteur à gauche. Le texte de 3
lignes se développe entre les lettres DMS : D(is) M(anibus s(acrum). / Lesgig militis / uixit
annis / LXXV. H(ic) s(itus) e(st). Du même site proviennent des fragments d’une autre stèle
dont il reste une partie des registres du cavalier et du banquet (voir D 3 dans « Dépliant
Stèles libyques et libyco-romaines de la wilaya de Bejaia », http://gehimab.org). Une stèle
anépigraphe de Tigisis est très semblable.
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(Hamdoune, 2004) que les inscriptions latines jouaient là un rôle secondaire par
rapport au monument qu’elles accompagnaient. La finalité de ces textes n’était pas
la lecture, comme dans les nécropoles péri-urbaines où les tombes étaient parfois
accompagnées de poèmes rappelant le défunt et destinés à être lus par le passant
auquel le texte s’adresse parfois directement. Le bas-relief au cavalier qui
accompagne les épitaphes latines de Kabylie joue en quelque sorte le même rôle
que le texte libyque des inscriptions de la Cheffia, et inscrit le monument funéraire
dans la continuité des traditions libyques alors que le texte et le bas-relief du
banquet montrent l’adoption des modes de pensée et de représentation romaine.
Dans un tel contexte, on ne peut que souligner la singularité de l’épitaphe bilingue
de Crescentius qui s’inscrit dans un autre contexte. Elle est visiblement antérieure
aux stèles latines à registres de Kabylie. Outre le caractère très fruste de la pierre
qui la distingue tant des stèles de Thullium que de celles de Kabylie, l’important est
bien le texte libyque, alors que les quelques mots de latin, gravés maladroitement
attestent de la volonté de Crescentius d’affirmer, dans son épitaphe, l’empreinte
laissée par son passage dans l’armée romaine. Cette priorité du libyque explique
donc que j’ai volontairement désigné ce document comme libyco-latin. De la
même région provient une seule autre inscription, latine celle-ci 15 , un peu plus
tardive et d’une typologie différente, puisqu’il s’agit d’une stèle à registres
représentant un cavalier, armé de la lance et du petit bouclier rond16, suivi de son
épouse ; dans une tabula ansata, le texte de l’épitaphe : Dis Manibus. /
[M]onumentu(m). [-]ianan uixit ann(is) / LXXX. Elle témoigne d’un niveau de
romanisation plus marqué, peut-être à la suite du retour chez eux de soldats maures,
mais on ne peut pas, à moins de découvrir de nouveaux documents, parler de
situation pluriculturelle dans cette région très isolée.
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Réflexions sur une inscription bilingue libyco-latine de kabylie
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