JM Rens Analyse
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Licence 660D1CE20C - #17113 - Sylvain COURTNEY - 2023-06-10
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X. Le sixième degré 59
1. VI dans la chaîne des 5tes 59
1.1 un procédé d’écriture : les pédales 59
1.2 exercice de clavier 60
2. VI, substitut de I 61
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Index 211
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Avant-propos
Ce précis d’analyse musicale est né d’un besoin ressenti au fil des quelques années de cours
d’analyse musicale que je dispense au Conservatoire de Liège depuis 1993.
Il a pour seule ambition d’aider l’analyste apprenti dans ses premiers pas. Il ne s’agit donc en
aucun cas d’un cours et encore moins d’une méthodologie de l’analyse. Et si, au travers de
ces quelques pages, je me permets de proposer un certain nombre d’outils aidant à
l’investigation et à la compréhension de la musique, l’étudiant devra toujours les méditer, les
remettre en question et imaginer, quand la musique le demande, ses propres outils.
Les différentes propositions qui seront faites ici sont la somme de plusieurs années de travail,
de réflexions et de remises en question. Cette remise en question permanente, fondamentale
dans toute investigation, je la dois à mon Maître et ami Jean-Claude Baertsoen qui a su
stimuler chez ses étudiants le goût de la recherche. Aussi, cet ouvrage, qui en est à sa
première version, risque d’être modifié à plusieurs reprises afin de perfectionner, voire de
renouveler complètement certains outils d’analyse qui y sont proposés.
La progression de l’étude harmonique, ainsi que bon nombre d’exemples de ce petit guide,
sont directement inspirés du cours d’harmonie que j’ai eu la chance de suivre avec Jean-
Claude Baertsoen ainsi que de son ouvrage « Créatif ; à l’école des Grands Compositeurs,
Editions DELATOUR FRANCE ».
Le lecteur ne s’étonnera donc pas de voir figurer ici et en particulier dans les chapitres
consacrés à l’étude systématique de l’harmonie, des extraits d’œuvres de Mozart, Schubert,
… ainsi que des exercices de clavier identiques à ceux proposés par Jean-Claude Baertsoen
dans son ouvrage cité plus haut.
Je ne peux d’ailleurs qu’encourager les jeunes analystes en herbe à lire cet ouvrage qui, par le
travail de recherche systématique et la rigueur scientifique avec laquelle elle a été menée par
son auteur, propose une approche tout à fait originale de l’étude de la grammaire tonale.
Enfin, je voudrais remercier les amis et collègues qui m’ont aidé par leurs remarques, leurs
suggestions ainsi que par leur générosité, dans cette entreprise.
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1. L’analyse pourquoi ?
Si la question peut paraître simpliste elle est sans nul doute fondamentale. Le cours
d’analyse, créé dans nos conservatoires belges en 1971 et trouvant pour la première fois sa
place en école de musique à travers le décret de l’enseignement artistique à horaire réduit de
la Communauté Française de Belgique en 1998, est, parmi les disciplines théoriques
enseignées dans les conservatoires, celui dont l’intitulé est le plus vague, le plus inquiétant et
le plus mystérieux.
Et pour cause. Contrairement à un cours de solfège, d’harmonie ou de contrepoint, où
l’intitulé définit relativement clairement le contenu, le cours d’analyse se doit de tenter
d’aborder de front tous les paramètres de la musique en essayant d’en faire bénéficier les
futurs interprètes, pédagogues et compositeurs.
Il doit aussi aborder différentes grammaires, étudier les formes, aborder les problèmes du
style, ...
Le lecteur aura très vite compris que ce premier tome, consacré essentiellement à l’analyse
des œuvres de l’âge d’or de la musique tonale, ne pourra qu’entrouvrir quelques portes. Si au
bout de ce petit parcours nous arrivons à faire comprendre et surtout ressentir le besoin de
l’analyse dans la vie de musicien, nous aurons rempli notre mission.
L’analyse est une démarche qui se pratique et se perfectionne à tous les niveaux de
l’apprentissage musical. Lorsque le mélomane achète un enregistrement d’une symphonie de
Beethoven ou de Brahms et qu’il prend le temps de lire le petit texte qui l’accompagne, il
reçoit quelques données analytiques sur l’oeuvre. De même, un jeune pianiste qui, en
académie de musique, aborde pour la première fois une invention à 2 voix ou un prélude et
fugue de Jean-Sébastien Bach, ne peut l’interpréter que si un certain nombre d’éléments
comme la forme, les rapports de tonalités, les gestes propres à la rhétorique baroque, lui ont
été expliqués. Il me semble de plus en plus évident qu’une interprétation pleinement
revendiquée doit passer par une compréhension du langage. Et si l’instinct ou plus
précisément l’intuition sont importants pour le musicien, une analyse ne pourra que les
conforter.
Mais revenons à notre propos, celui du questionnement sur les raisons de l’analyse ; si la
première interrogation était « l’analyse pourquoi ?», la seconde porte plutôt sur les musiques
à aborder.
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2. L’analyse de quoi ?
Si toutes les musiques occidentales, de l’antiquité à nos jours, mais aussi les musiques
ethniques de tradition orale, comme celles des Pygmées d’Afrique centrale ou encore les
musiques d’Extrême-Orient, méritent d’être étudiées, le temps dont nous disposons nous
oblige à faire des choix.
Ces choix sont bien évidemment guidés par les besoins des études musicales dans nos
conservatoires et écoles de musique. Ils sont donc liés au répertoire abordé par la majorité des
étudiants dans ces institutions.
Si, de manière générale, le répertoire interprété dans les différentes classes instrumentales et
vocales va de la seconde partie du XVIIe jusqu’à la première moitié du XXe siècle (plus
rarement la seconde), c’est plus particulièrement les périodes classique et romantique, donc la
musique dite tonale, qui sont au hit-parade.
Aussi, si le cours d’analyse doit être un cours qui familiarise l’étudiant à la grammaire tonale,
il est important qu’il s’attache dans un premier temps à l’étude de celle-ci. Autrement dit,
c’est la musique tonale qui sera, nous l’avons déjà évoqué plus haut, au centre de nos
préoccupations.
3. L’analyse comment ?
Si l’étude sérieuse d’une musique suppose généralement d’en avoir le texte sous les yeux, la
compréhension auditive de l’œuvre dans sa grande trajectoire est un préalable indispensable à
son analyse sur partition. Il serait aberrant d’entrer dans des problèmes d’analyse
harmonique, cellulaire ou stylistique sans pouvoir d’abord suivre à l’oreille la grande
architecture. Malheureusement, ce travail d’oreille n’est pas vraiment inscrit dans notre
tradition de la pédagogie musicale. Dans le pire des cas, encore parfois d’actualité, on
propose à l’apprenti musicien de commencer par apprendre à lire et écrire la musique avant
même de l’avoir pratiquée. Imaginez que, petit enfant, on vous ait obligé à apprendre la
lecture et l’écriture avant même que vous n’ayez énoncé la moindre phrase structurée !
Nous ne pouvons donc qu’encourager l’apprenti analyste à toujours commencer une
investigation analytique sans le recours à la partition.
Nous aurons également, au cours de notre travail, l’occasion d’écrire de la musique ou plus
précisément de pratiquer des exercices de réécriture, ceux-ci ayant pour seule ambition de
faire mieux comprendre les mécanismes de la composition. Jean-Jacques Rousseau disait
« … de plus, pour bien savoir la musique il ne suffit pas de la rendre, il faut la composer, et
l’un doit s’apprendre avec l’autre, sans quoi l’on ne la sait jamais bien »1.
Enfin, toute l’étude de l’harmonie sera accompagnée d’un travail au clavier afin de mieux
saisir les relations des accords entre eux.
1
« Emile » Jean-Jacques Rousseau – Œuvres complètes IV – NRF Pléiade, p. 405.
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Que ce soit sur le plan de la mélodie, des relations harmoniques entre les différents accords
au sein d’une même tonalité ou encore au niveau des rapports des tonalités, c’est la tonique,
mélodique, harmonique ou tonale, qui détient le pouvoir de détente et de stabilité.
Tout ce qui n’est pas tonique peut être considéré globalement comme tension3.
Ce rapport tension – détente constitue la forme hiérarchique la plus simple et la plus
fondamentale du système tonal.
Mais d’autres hiérarchies apparaissent. C’est tout particulièrement à l’intérieur de la catégorie
appelée tension que nous les mettrons à jour.
Nous verrons tout au long de notre étude que la grammaire tonale est complexe et que selon
le niveau d’observation (mélodie, harmonie, etc.), mais aussi en fonction des différentes
époques et styles (l’organisation du plan tonal d’une œuvre peut être très différente chez
Mozart, Schubert ou Wagner), des hiérarchies sensiblement différentes peuvent apparaître.
2
Nous entendons par hiérarchie l’importance grammaticale et structurelle que peuvent avoir certains sons,
certaines harmonies, tonalités, cellules musicales, etc. Les hiérarchies dégagées sont donc liées au paramètre
syntaxique de l’étude et à lui seul.
3
Tension est à comprendre ici comme un élément instable, devant se résoudre à un moment ou l’autre dans le
discours musical.
4
Bien entendu ce postulat, qui se vérifie souvent, peut être contredit et en particulier sur le plan des rapports de
tonalités où la dominante peut se placer hiérarchiquement au troisième ou quatrième rang. Déjà chez Beethoven,
mais plus particulièrement à partir de Schubert, la modulation au ton de la dominante n’est plus la première
convoitée. Elle laisse la place à des modulations où le rapport de quinte se voit remplacé par des rapports de
tierces qui, de ce fait, occupent un rang hiérarchique supérieur à celui de la dominante.
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Dans cette danse de Schubert, l’accord de tonique est entendu pendant deux mesures avant de
s’enchaîner à la septième de dominante. Cette nouvelle harmonie - cette tension - appelle
véritablement le retour de la tonique5. La septième de dominante est donc subordonnée à
l’harmonie de tonique. Elle se réfère hiérarchiquement à elle.
5
Tous les accords ne jouent pas ce rôle appellatif de la tonique. Ce sont les composantes de l’accord de 7ème de
dominante, conjuguées à la trajectoire mélodique, qui conditionnent le retour du centre tonal. Nous y
reviendrons plus tard.
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2. Affirmation de la tonique
2.1. Installation harmonique
Dans les deux exemples de Schubert et de Mozart (exemples II.1 et 2), c’est la durée de
l’accord initial de tonique qui installe, qui grave véritablement dans notre mémoire le centre
de référence du morceau6.
Il suffit d’ouvrir la littérature des XVIIe et XVIIIe siècles pour voir à quel point les auteurs
prennent un soin tout particulier à énoncer la tonique clairement en début de morceau. Que ce
soit par une durée suffisante (2 mesures dans nos exemples II.1 et 2) ou encore, comme nous
le montre l’exemple II.3, par des retours nombreux sur un temps métrique posé, l’objectif est
toujours le même : installer le centre de gravité, la tonique.
6
D’autres procédés d’installation du ton existent dans la littérature et en particulier dès Beethoven. Ceux-ci,
beaucoup moins fréquents que la tonique initiale, seront évoqués plus tard.
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12
Cette chanson populaire bien connue montre une organisation précise et propre à la
construction de nombreuses mélodies tonales.
7
Toutes les chansons ne commencent pas par une tonique aussi nettement marquée. A l’exemple II.5. le début
de « J’ai du bon tabac » installe le ton sans équivoque. C’est le rapport de tierce fa – la mis en jeu dès le début
de la chanson, mais aussi l’échelle choisie qui installe rapidement le centre tonal. Dans « A la claire fontaine »,
l’échelle de fa majeur ainsi que la tierce initiale fa – la contribuent tout autant que la répétition de la tonique à la
mise en place du centre de gravité de la chanson. Ajoutons encore que bon nombre de chansons populaires ont
une harmonie sous-jacente. Les 7 premières mesures de « A la claire fontaine » ne sont qu’un grand accord
parfait de fa majeur qui se déploie.
8
Ce DO, tellement expressif, est admirablement amené par son « autopréparation » à la mesure 6. Nous y
reviendrons au chapitre XV consacré à l’analyse mélodique.
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Exemple II.6. Die Zauberflöte KV620 2ème acte Air “Ein Maüchen oder Weibchen“ – Mozart
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Nous verrons en détail, dans le chapitre consacré à l’harmonie, que ce repos, cette
ponctuation du discours, s’accompagne d’un accord de dominante en position fondamentale
(il y a donc, ici aussi, hiérarchie : l’accord de dominante – « repos à la dominante » – est
subordonné à l’accord de tonique). Nous voyons donc apparaître dans notre chanson « A la
claire fontaine » l’importance de la dominante sur le plan mélodique et harmonique et ce, à
des endroits différents dans le texte (mélodiquement à la mesure 7, harmoniquement à la
mesure 8 où elle est le support indispensable au deuxième degré). C’est donc bien en fonction
du niveau d’observation (harmonique, mélodique, …) que les différences hiérarchiques se
dégagent.
Dans l’exemple suivant, la hiérarchie dégagée est symbolisée par des cadres. La tonique,
avec ses 3 cadres est, évidemment, sur le plan grammatical, le son le plus important.
Elle donne un statut aux autres.
Exemple II.8.
Les deux cadres pour le sol à la mesure 8 sont justifiés par l’harmonie.
9
La hiérarchie dégagée ici est, en partie, liée a d’autres paramètres comme le rythme, la carrure, … Nous en
reparlerons plus tard.
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Si les hiérarchies peuvent être différentes selon qu’on parle de mélodie, d’harmonie ou de
tonalité, des constantes apparaissent. Dans les trois niveaux observés ici la dominante trouve
à chaque fois une place privilégiée dans la hiérarchie. Cette interaction entre les différents
facteurs de la grammaire, mais aussi, nous le verrons, sur le plan cellulaire, thématique,
rythmique, … est chose courante dans la musique tonale. Les éléments propres à la
microstructure d’une œuvre (notes d’appuis, harmonies, cellules musicales, thèmes etc.),
trouvent souvent un développement, un écho, dans la macrostructure (plan tonal, forme, etc.).
Parmi les 4 notes importantes observées dans notre chanson, 3 appartiennent à l’accord
parfait de tonique. Parler d’accord nous mène directement à l’étape suivante de notre étude :
l’harmonie.
Mais avant même d’aborder le rôle de chacun des accords dans la grammaire tonale, il nous
faut les identifier, les codifier.
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• L’accord parfait : formé d’une 5te juste à l’intérieur de laquelle s’inscrivent deux tierces,
l’une majeure, l’autre mineure (deux situations possibles).
• L’accord de 5te diminuée : formé d’une 5te diminuée (appelée aussi fausse quinte) à
l’intérieur de laquelle s’inscrivent 2 tierces mineures11.
Il suffit de bâtir un accord de 3 sons (empilement de 2 tierces) sur n’importe quel degré d’une
échelle majeure ou mineure (dans sa forme naturelle) pour le vérifier.
Chacun de ces accords peut se voir ajouter une 7ème, et, pour certains, une 9ème, une 11ème…
Plusieurs théoriciens voient l’accord parfait majeur comme une émergence de l’échelle des
harmoniques. Si on ne peut nier le fait que les 6 premiers partiels d’un son donnent la totalité
de l’accord parfait, il faut bien reconnaître que l’expérience musicale a joué un rôle tout aussi
déterminant que l’acoustique. Du reste, lorsque ces mêmes théoriciens tentent d’expliquer
l’accord parfait mineur, ils doivent user d’un attirail d’extrapolations pour le justifier12.
Voici, pour rappel, le début de l’échelle des harmoniques, du son fondamental (appelé aussi
son 1) au son 12.
Exemple III.1.
Les sons harmoniques 7 et 11 sont en réalité nettement plus bas que dans un tempérament égal.
10
Nous entendons par niveau neutre, la définition d’un accord en dehors de tout contexte tonal. Il est considéré
comme un objet isolé. Le propos est donc de définir une « typologie » des différents accords les plus usités.
11
La 5te augmentée est parfois utilisée par les auteurs, mais elle est issue d’une altération du mode. (La
septième diminuée dont nous parlerons plus loin, est, elle aussi, une harmonie dépendante d’altérations dans le
mode).
12
Riemann tente d’expliquer l’accord parfait mineur par le renversement des harmoniques. Vision purement
théorique des choses, car, si à l’écoute d’un son fondamental on peut distinguer clairement les premiers
harmoniques supérieurs, les harmoniques inférieurs n’existent pas.
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2. Chiffrage de basse
Tant dans les classes d’harmonie que d’analyse musicale, c’est traditionnellement le chiffrage
de basse qui indique la qualité et le renversement d’un accord. Un accord parfait majeur ou
mineur en position fondamentale est généralement chiffré 5. S’il se présente en premier
renversement il est signalé par 6. Ces chiffres indiquent les intervalles à construire sur la
basse et ce, compte tenu de la tonalité et du mode. C’est donc, lorsque les auteurs indiquent 5
pour un accord parfait, le contexte tonal qui détermine si la tierce est majeure ou mineure
(sauf altération particulière).
Voici les différents types d’accords de 3 et 4 sons les plus courants et le chiffrage traditionnel
qui les accompagne.
Exemple III.2.
Si on se place dans une perspective historique on ne peut nier le rôle très spécifique de la
basse chiffrée. Sa fonction était avant tout pratique et n’avait pas l’ambition d’être un outil de
théorisation – un peu à l’image des sigles très synthétiques utilisés par les jazzmen. Le
musicien réalisait – improvisait - l’accompagnement à partir des intervalles proposés sur la
basse notée.
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Cette multiplicité de symboles, indispensable dans le rôle qui lui est dévolu, n’offre que peu
d’avantages dans le domaine de l’analyse et risque de faire perdre de vue ce que Rameau
explique clairement au travers de son traité d’harmonie (mais d’autres ouvrages antérieurs en
parlent déjà) : l’accord mi - sol - do a la même fondamentale que l’accord do – mi – sol.
Autrement dit, un accord peut se renverser tout en conservant une note de référence, sa
fondamentale.
Bien d’autres arguments encore nous ont amené à considérer qu’il serait plus simple et plus
synthétique de définir la qualité d’un accord, quel que soit sa disposition (renversement), par
un signe unique. Cela dit, la basse chiffrée n’est pas à bannir, mais doit répondre à des
besoins précis comme par exemple signaler des lignes contrapuntiques remarquables.
La qualité des accords les plus utilisés dans la grammaire tonale, qu’ils soient à l’état
fondamental ou en renversement, pourrait être symbolisée de la manière suivante13 :
Accords de 3 sons :
Majeur M A
Mineur m B
Accords de 4 sons :
Septième de dominante D7 D
(accord parfait majeur + septième mineure)
Parfait majeur avec septième majeure M7 E
Le chiffre proposé en indice signale toute note ajoutée à un accord de 3 sons. Si un accord
parfait majeur est indiqué par « M », l’ajout d’une 7ème majeure verra le symbole devenir M7,
l’ajout d’une 7ème mineure à un accord mineur : m7. Cette manière de faire nous permettra de
signaler d’autres notes ajoutées ou altérées.
Un accord de 7ème de dominante dont la 5te est augmentée sera noté : D7#5
D’autres accords comme la sixte augmentée ou encore les accords de 9ème et de 11ème
trouvent également leur place dans la grammaire tonale. Mais il est un peu tôt pour les
aborder.
13
La symbolisation proposée ici ne sera utilisée que pour définir la qualité d’un accord. Une fois l’étude de la
qualité terminée, nous l’abandonnerons au profit du chiffrage de fondamentale. Les lettres sont en relation avec
l’exemple III.2.
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20
M7
3 1
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Nous entendons par constituants les composantes de l’accord. Un accord de septième de dominante a comme
constituants la fondamentale, sa tierce majeure, sa quinte juste et sa septième mineure.
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Si la reconnaissance des accords peut se faire aisément lorsque les sons qui les constituent
sont donnés simultanément, dans la réalité musicale, plusieurs paramètres comme le rythme,
les arpégiations, la figuration (notes étrangères à l’harmonie), etc., peuvent perturber leur
lisibilité.
1. L’arpégiation
Exemple IV.1. Sonate pour piano K 283 – Mozart
La basse marquée sur le premier temps de chaque mesure, même si elle n’est pas prolongée
dans l’écriture, reste dans l’oreille15. Cette séquence sera donc chiffrée :
Les deux accords parfaits de cette séquence (M) ne précisent pas la position de l’accord.
Nous retiendrons comme règle que la position fondamentale d’un accord, quel que soit sa
qualité, ne précisera pas le constituant de basse. Par contre, lors d’un changement de position
significatif dans le déploiement d’un accord, il est utile de signaler le mouvement de la basse
comme le montre l’exemple IV.2.
Exemple IV.2.
15
Dans son traité d’harmonie, Sadai parle de « pédale virtuelle »
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2. La figuration
On entend par figuration les notes étrangères à l’harmonie. Ces notes, indispensables au
paysage mélodique, peuvent se classer en 3 grandes catégories :
Une quatrième catégorie de notes étrangères à l’harmonie, mais non figurative celle là,
existe. Il s’agit des notes « pédales » (le plus souvent de tonique ou de dominante) qui
peuvent supporter des harmonies indépendantes de celle-ci.
2.1.1. note de passage : elle relie deux notes d’harmonie par un mouvement
conjoint ascendant ou descendant.
Ce petit canon de J.S. Bach, construit sur l’accord parfait, peut se chanter à 4 ou à 8 voix. Les
notes d’harmonies sont reliées les unes aux autres par des notes de passages signalées par un
« P ».
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Cet autre canon à 4 voix (exemple IV.5.) du XVIe siècle est, lui aussi, construit entièrement
sur l’accord parfait de fa majeur orné de quelques notes de broderies. Afin de bien saisir les
différentes rencontres verticales, voici une réécriture de ce canon qui visualise la réalité
sonore lorsque les quatre voix sont entrées.
Exemple IV.6.
Dans les exemples IV.4. et IV.5., les notes de passage et de broderie sont entendues, comme
c’est d’ailleurs souvent le cas, sur une partie de temps plus faible que leurs résolutions. Mais
dans certains cas de figure, la note étrangère peut occuper une place métrique plus forte que
sa résolution. Dans ce cas, nous le préciserons à l’aide d’un trait placé au-dessous de la lettre
symbolisant le type de figuration. La note de figuration est soulignée ( P ou B ).
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Exemple IV.8.
Exemple IV.9.16
Exemple IV.10
16
Dans cet exemple, une analyse plus fine peut mettre en évidence le poids de chacune des notes de passage. Au
deuxième temps de la première mesure, sol apparaît comme une note de passage plus marquée que sol# qui le
suit. Ce sol# peut, dans ce cas, s’interpréter comme une note de passage secondaire reliant la note de passage
principale à la note d’harmonie du troisième temps. Le quatrième temps des deux mesures s’analyse de la même
manière.
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Exemple IV.11.
Exemple IV.12.
Le retard et son inverse l’anticipation ainsi que l’échappée, sont généralement liés à un
contexte harmonique où deux accords sont impliqués.
2.3.2. l’anticipation : notée par « Ant », elle annonce une note appartenant à
l’harmonie à venir.
17
Le terme note d’approche accentuée a été préféré à appoggiature car celle-ci n’est pas toujours une note
étrangère à l’harmonie. Nous trouvons dans la littérature des appoggiatures qui sont bel et bien des notes
d’harmonies.
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Exemple IV.13.
Exemple IV.14.
A la troisième mesure de l’extrait suivant d’un prélude de J.-S. Bach, la pédale de tonique n’a
plus de note commune avec l’harmonie qui se superpose à elle. Elle devient de ce fait même,
étrangère à l’harmonie sans pour autant devenir une note de figuration.
18
Il peut arriver qu’une note d’échappée se résolve sur un son appartenant au même accord, mais ce cas de
figure est, semble-t-il, assez rare.
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3. Exercice d’analyse
Vous trouverez en annexe quelques extraits d’œuvres où plusieurs de ces notes de figuration
sont présentes (exemples IV.16 à 21). Elles sont, comme nous l’avons signalé plus haut,
inhérentes au développement mélodique. De grands mouvements d’arabesque sur un seul
accord en usent énormément comme le montre le début du 5ème concerto pour piano de
Beethoven ou encore la fantaisie en LA majeur de C.P.E. Bach.
En guise d’exercice, observez attentivement ces extraits et notez précisément, au-dessus de
chacune des notes de figuration, de quel type il s’agit.
Si toutes les notes de figuration ont été étudiées isolément, plusieurs formes de notes
étrangères à l’harmonie peuvent se combiner. Voici un exercice que vous pourriez, à l’image
des exemples IV.9.10.11.12, réaliser sur base de la ligne mélodique du canon de J.-S. Bach
donné à l’exemple IV.4. :
4. Exercice d’écriture
Relisez attentivement les canons proposés aux exemples IV.4.5.6. (le célèbre canon « Frère
Jacques » est lui aussi construit dans le même moule) et lancez-vous dans la réalisation d’un
canon (à 3 ou 4 entrées) sur l’accord de tonique. Vous pourriez aussi imaginer un texte.
Attention, ce travail n’est pas aussi simple qu’il n’y paraît, car vous devez avoir en
permanence un double contrôle :
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Nous commencerons par définir le fonctionnement des relations harmoniques tel qu’il est
utilisé couramment au XVIIIe et en partie au XIXe siècle.
Fondamentalement, le système est simple. Partant d’une tonique, point de départ obligé19, on
passe à un autre accord de l’espace tonal défini20 pour se laisser revenir à cette tonique
initiale par une voie hiérarchisée.
En dehors de la tonique, qui peut être suivie de n’importe quel autre accord du ton, c’est
le rapport de 5te descendante qui préside aux différents enchaînements.
Chaque fondamentale d’un accord, quelle que soit sa disposition (renversement), sera
signalée par un chiffre romain.
si mi la ré sol do fa
VII III VI II V I IV
En résumé : si, après l’accord de tonique, c’est le VI qui se fait entendre, il sera le plus
souvent suivi du II, qui lui-même sera suivi du V, dernier chaînon avant le retour à la tonique.
19
Rappelons que certaines œuvres ne commencent pas par la tonique, elles constituent des cas d’exceptions et
feront ultérieurement l’objet d’une étude précise.
20
Comme nous l’avons déjà signalé, chaque degré du ton peut supporter un accord de 3 sons. La qualité des
différents accords est liée à l’échelle tonale choisie.
21
Espace tonal diatonique doit s’entendre ici comme l’ensemble des accords bâtis sur chaque degré de l’échelle
choisie (majeure ou mineure) sans qu’aucune altération particulière n’intervienne.
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30
Bien entendu, certains accords peuvent avoir des substituts, et des accidents peuvent survenir
dans ces cascades de 5tes22. Nous les étudierons progressivement.
Voici « en toutes notes » un tour complet des accords du ton tel qu’on le rencontre dans toute
la littérature musicale tonale.
Exemple V.1.
I IV VII III VI II V I
Comme le montre clairement cet exemple, que notre oreille reconnaît sans peine, les 5tes
justes gèrent tous les rapports harmoniques à l’exception de l’enchaînement IV – VII.
Que nous soyons en mode majeur ou mineur, une des 5tes est nécessairement diminuée – de
façon que l’on ne sorte pas de l’échelle tonale. Si, en majeur, c’est la concaténation du IV au
VII qui voit sa 5te diminuée, en mineur c’est le rapport du VI au II qui subira le même sort.
De nombreuses raisons peuvent expliquer cette suprématie des rapports de 5tes dans
l’enchaînement des accords. Nous aurons l’occasion d’y revenir.
22
Beethoven et Schubert sont les premiers à amener, de manière récurrente, des rapports de 3ces dans les
enchaînements. Il ne s’agit plus d’accidents, mais bien d’une volonté de favoriser d’autres types de relations
harmoniques.
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31
Voici un autre schéma, auquel nous reviendrons plus tard, qui représente mieux l’idée de
cycle des 5tes.
Exemple V.2.
Ré
Réb
Ce principe de base étant défini, passons à l’étude systématique de chacune des relations
harmoniques et commençons par ce qui, logiquement, constitue le chemin le plus court et le
plus fréquent, le rapport de la dominante à la tonique (V – I).
Mais avant toute chose, il faut rappeler brièvement ce qui a été dit à propos du « chiffrage de
qualité » à la page 14. Toute note ajoutée à un accord de trois sons, qu’il s’agisse d’une 7ème,
d’une 9ème ou encore d’une altération particulière de l’accord de base, sera mentionnée en
suffixe à côté du chiffrage de qualité. A partir du moment où nous chiffrons la fondamentale
de l’accord, celui-ci s’inscrit dans un contexte tonal défini. Du coup, le chiffrage de qualité
ne s’impose plus. Aussi le chiffrage de fondamentale se substitue-t-il au chiffre de qualité
tout en précisant, en suffixe, les tensions éventuelles (7, 9, b9, …) ainsi que les altérations
accidentelles (b5, #5, …). C’est ainsi que nous distinguerons un accord parfait de dominante
d’un accord de septième de dominante. Le premier sera chiffré V, le second V7.
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33
Bon nombre de phrases musicales, voire de petites pièces complètes, n’utilisent que ce
matériau harmonique minimal et plus particulièrement l’enchaînement de la septième de
dominante à la tonique.
Schubert, dans ses danses pour piano, écrit plusieurs Ländler23 sur la base de ce rapport
harmonique.
1. L’enchaînement V7 - I
23
Ländler : danse allemande en 3 temps de caractère populaire pratiquée plus particulièrement en Autriche, en
Allemagne du sud et en Suisse alémanique. C’est le Ländler qui donna naissance à la valse dès le XVIIIe siècle.
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34
Ces deux danses de Schubert sont entièrement construites sur le rapport harmonique V7 – I en
position fondamentale. Cependant, deux de ces enchaînements ont un statut un peu
particulier. Le dernier enchaînement de chacune des sections a une fonction conclusive. La
tournure mélodique et/ou rythmique collabore grandement à cette sensation de fin. Autrement
dit, la cadence parfaite (c’est le nom donné à cette formule finale) ne se définit pas
seulement par le rapport harmonique V7 – I en position fondamentale, encore faut-il que la
mélodie cadence également. Dans ces deux danses, tous les éléments nécessaires à la cadence
parfaite sont réunis : la formule harmonique, la tournure mélodique et rythmique (tonique
longue sur un temps fort). On pourrait qualifier la cadence parfaite de formule « mélodico-
rythmico-harmonique ».
Comparons les mesures 4 et 8 ainsi que les mesures 12 et 16 du Ländler en mib majeur donné
à l’exemple VI.1 :
Exemple VI.3.
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35
Les mesures 4 et 12 ont une tonique placée sur le deuxième temps (le 3ème ramenant
l’anacrouse initiale). Bien que marquant une articulation dans la phrase24, ces quatrièmes
mesures des unités phraséologiques respectives, n’interrompent pas le discours, tandis que les
mesures 8 et 16, synchronisant l’arrivée à la tonique mélodique (longue) et harmonique sur le
temps fort, donnent bien une sensation de conclusion. Une analyse plus fine nous montre
aussi que si ces mesures 8 et 16 sont bien cadentielles, la dernière l’est encore un peu plus par
son accompagnement qui ne se prolonge pas sur le deuxième temps. Et pour cause, la
deuxième cadence termine la danse. Il y a donc, ici aussi, hiérarchie.
Il faut encore ajouter que la carrure joue un rôle important dans notre perception de la
cadence. Si la première partie du Ländler s’était terminée à la 4ème mesure sur une tonique
prolongée, aurions-nous eu la même impression de fin ? Non, car ce membre de phrase étant
très court, il appelle une continuation25 - en l’occurrence : la quasi répétition des quatre
premières mesures.
En résumé, les conditions nécessaires pour qu’on puisse parler de cadence parfaite sont :
Le second Ländler en sib (exemple VI.2.) est fait dans le même moule. Observez
attentivement les mesures 4 et 12 et comparez-les respectivement aux mesures 8 et 16.
24
Phrase est entendu ici comme une entité musicale se terminant par une cadence parfaite ou par toute autre
ponctuation marquante. Nous aurons l’occasion de revenir sur cette terminologie dans le chapitre XVI consacré
aux formes musicales.
25
Un ami m’a fait remarquer très justement que si au XVIIIe siècle la longueur de la phrase pouvait jouer un
rôle dans la perception de la cadence parfaite chez l’auditeur, aujourd’hui, à l’aire des jingles, une formule
musicale très courte peut s’entendre comme complète !
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36
Exemple VI.4.
Les chiffres indiqués au-dessus et en-dessous des portées correspondent aux doigtés.
Exemple VI.5.
26
L’ouvrage « Créatif, approche globale » de Jean-Claude Baertsoen, édité aux éditions Delatour France,
propose toute une série de chansons populaires. Celles-ci s’organisent dans une progression assez proche de
celle proposée ici.
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37
Celui-ci est présenté comme le canon anonyme cité plus haut (exemple IV.6). Il est écrit de
manière à visualiser les rapports verticaux. Les mouvements de voix dans la résolution au I
sont indiqués précisément : les flèches pleines indiquent la résolution obligée de la septième
de l’accord et de la sensible du ton, les flèches pointillées le mouvement plus libre de la
quinte de V7 à la tonique ou à la tierce de I. Enfin, une note commune (DO) soude
véritablement les deux harmonies tandis que la note de basse donne à chaque fois les
fondamentales.
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2. L’accord V
Si l’accord de septième de dominante a souvent pour mission, grâce à ses tensions
appellatives (intervalles de 7ème et de quinte diminuée), de créer une tension et de faire
avancer le discours, l’accord parfait de dominante est plutôt utilisé pour créer un
enchaînement plus calme, moins appellatif ou encore pour créer un repos dans une phrase.
Certains mouvements contrapuntiques peuvent eux aussi justifier l’emploi de V à la place de
V7.
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39
Les deux derniers temps de la mesure 7, qui ponctuent la partie B du Lied avant le retour de
la phrase initiale, constituent un autre exemple très clair et du reste plus marqué que le
précédent grâce au long accord V non rythmé.
Une des origines possibles de cette disposition spécifique à la demi-cadence (intervalle de 5te
entre parties extrêmes) provient de la polyphonie des cors. Si les intervalles couramment
utilisés lorsque deux cors (sans pistons au XVIIIe et une partie du XIXe siècle) jouent
ensemble sont la tierce et la sixte, l’intervalle de 5te est représentatif de la dominante. Cette
sonnerie de chasse bien connue le montre parfaitement.
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Cette tradition des trompes de chasse trouve sa place dans la littérature des classiques.
L’exemple suivant montre l’utilisation des cors dans le 5ème concerto pour piano de
Beethoven.
Exemple VI.14. Concerto pour piano n°5 en Mib, op. 73, (mesures 50 à 58) – Beethoven.
Exemple VI.15.
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41
3. L’appoggiature de V ou de V7
C’est de l’accord connu sous le vocable de « sixte et quarte d’appoggiature » (pour reprendre
le chiffrage de basse) qu’il s’agit27. Est-ce un accord à part entière ou un complexe de
figuration ? La question continue à alimenter les discussions chez les théoriciens. Mais il faut
bien admettre que, la plupart du temps, il est perçu comme un accord appoggiature.
Dans ce cas, il faut faire apparaître le degré réel V tout en précisant que l’accord de tonique
est appoggiature.
Si la perception est un argument on ne peut plus subjectif, la concaténation des accords par
des rapports de quintes l’est beaucoup moins. En effet, lorsque cette sixte et quarte est
précédée d’un II (accord ayant pour mission, nous le verrons plus tard, de préparer la
dominante), il est bien plus cohérent de faire apparaître le pattern fondamental de 5te :
II - V - I
En règle générale, c’est la basse de l’accord qui est renforcée. La raison en est bien simple. Si
l’accord doit nous suggérer la résolution vers V, on renforce ce degré. D’autre part, étant une
appoggiature (appuyer), cet accord se place sur une partie de temps plus forte ou au moins
aussi forte que sa résolution.
Comment chiffrer ?
Exemple VI.17.
Cette manière de chiffrer est, il faut bien l’admettre, peu conventionnelle. Mais elle a
l’avantage de ne pas véritablement trancher. Elle est en quelque sorte un compromis : le
premier accord est bien figuratif (les parenthèses le symbolisent), mais il est aussi composé
de toutes les notes de l’accord de tonique (le chiffre romain en atteste). Cela dit, beaucoup
d’harmonistes et analystes (en particulier en France et en Belgique) à la recherche de
nouveaux chiffrages plus adaptés aux besoins de leur étude, ont gardé le chiffrage de basse
pour noter ce complexe harmonique. Aussi, si l’étudiant y trouve plus de commodités, il
n’hésitera pas à l’analyser à l’aide du chiffrage traditionnel. Nous lui conseillons toutefois de
27
D’autres sixtes et quartes se rencontrent, elles sont généralement figuratives. A la mesure 4 de l’exemple
VI.16. en annexe (Le nozze di Figaro, 4ème acte, scène 27 –Andante), c’est une sixte et quarte de broderie,
insérée entre deux accords de tonique, que Mozart utilise.
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43
1. Un accord multidirectionnel
Distant de la tonique d’une quinte descendante, il est le seul accord à se trouver à « gauche »
de la tonique dans le cercle des quintes. Il a un statut un peu particulier et peut avoir plusieurs
trajectoires. Son rôle le plus fréquent est, dans la logique des rapports de quintes, de revenir à
la tonique28.
28
Le mouvement I – IV – I, lorsqu’il est cadentiel, est qualifié de « cadence plagale ». Si cet enchaînement
n’est pas cadentiel, nous l’appellerons « formule plagale » afin de garder une terminologie cohérente avec le
mouvement V – I (non cadentiel) baptisé au chapitre VI de « formule parfaite ».
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Exemple VII.2.
Faites une analyse harmonique des deux Ländler de Schubert proposés en annexe (exemples
VII.3 et 4).
Une fois le schéma harmonique dégagé, faites un commentaire sur l’organisation des
cadences, des diverses articulations ainsi que sur le rythme harmonique.
Vous pourriez également chanter la partie supérieure et vous accompagner à l’aide des
formules de clavier.
Ne vous préoccupez pas des renversements que Schubert fait intervenir dans la seconde
pièce, le but du travail de clavier étant de fixer l’identité de chaque accord.
Les formules nécessaires pour accompagner ces deux danses sont :
I – V7 – I et I – IV – I.
Toujours afin de fixer le mieux possible ce nouvel accord, composez un Ländler utilisant le
IV pour amorcer la seconde partie de la danse.
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1. Le deuxième degré – II
A distance de 5te de la dominante, cet accord est fréquemment utilisé en premier
renversement. C’est souvent la tierce de l’accord, en l’occurrence la basse, qui est renforcée
et il semble (mais une étude plus poussée devrait être entreprise) que les auteurs évitent de
placer la 5te de l’accord à la partie supérieure. Deux raisons justifient ces dispositions
particulières : le souci de créer une instabilité de l’accord et la trajectoire mélodique de la
basse (en particulier dans les mouvements de cadence).
L’accord II a besoin d’être en déséquilibre. Le placer sur sa tierce lui procure une instabilité
appellative que la position fondamentale ne donne pas aussi clairement29.
Le renforcement de la tierce, dans une écriture à 4, 5 ou 6 parties, évite également une trop
grande assise (la doublure de la fondamentale ou de la quinte d’un accord lui donne plus de
stabilité). Enfin, lorsque le second degré passe à l’accord de dominante ou de septième de
dominante en position fondamentale (approche caractéristique de la cadence), la ligne de
basse, faite d’une seconde montante suivie d’une quinte descendante (ou d’une quarte
montante), emprunte un stéréotype mélodique cadentiel qui remonte à la polyphonie de la
Renaissance30.
29
Il se présente parfois en position fondamentale et en particulier lorsqu’il est précédé du VI et suivi du V tous
deux également en position fondamentale.
30
A la Renaissance, la grammaire musicale était essentiellement basée sur un contrepoint d’intervalles. Il n’était
donc pas question de rapports harmoniques fonctionnels au sens où nous les entendons dans notre étude.
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Menuet
Exemple VIII.3.
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Exemple VIII.4.
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2. IV, substitut de II
L’accord IV a une évidente parenté avec II. D’abord ils ont deux notes en commun (comme
tous les accords distants d’une tierce dans l’échelle diatonique) et d’autre part, II étant la
plupart du temps placé sur sa tierce, ils ont, lorsque que IV est en position fondamentale, la
même basse. Si cette parenté permet à ces deux accords de préparer la dominante, le choix est
souvent dicté par des raisons expressives ou contrapuntiques.
Dans l’exemple suivant, extrait de « La vie et l’amour d’une femme », Schumann utilise le
IV pour son calme et sa sérénité31. Le second degré eût été trop instable, trop appellatif, il
aurait détruit ce magnifique silence qui précède l’arrivée de la dominante et nous aurait
conditionné à prévoir l’arrivée inéluctable de celle-ci. L’accord de sous-dominante en
position fondamentale laisse l’auditeur dans l’attente, dans l’interrogation de sa résolution.
Exemple VIII.5. Frauenliebe und leben op.42, Seit ich ihn gesehen – Schumann
Un autre cas, d’ordre stylistique celui-là, justifie le choix de IV en lieu et place de II. Il s’agit
de ce que certains auteurs appellent la demi-cadence « baroque ». Comme son nom l’indique,
c’est à l’époque baroque que cet enchaînement est le plus couramment utilisé (bien que
certains classiques en usent encore). Dans cet enchaînement, conditionné par le mouvement
contrapuntique des voix, la sous-dominante est en premier renversement et s’enchaîne à
l’accord parfait de dominante en position fondamentale (puisque c’est de repos à la
dominante dont il s’agit).
De plus, toujours dicté par les trajectoires de voix, l’accord de dominante se présente avec
l’intervalle d’octave entre les parties extrêmes. La position fondamentale, cumulée aux
octaves entre parties extrêmes, donne à ce repos à la dominante une assise et une stabilité tout
à fait remarquables.
31
Il est du reste intéressant de signaler que Schumann affectionne particulièrement le IV pour préparer un
accord de dominante. Le tome II de cet ouvrage étudiera, entre autres, les spécificités du langage harmonique de
Schumann.
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50
On ne sait pas pourquoi, quand et par qui le terme a été introduit. Un rapport particulier avec
« l’Ecole napolitaine » au XVIIIe siècle ne s’impose pas puisque les musiciens de cette école
n’ont pas l’air d’utiliser ce deuxième degré baissé plus que leurs contemporains.
Ce bII, en majeur comme en mineur (c’est plus souvent dans le mode mineur qu’il trouve sa
place), est toujours un accord parfait majeur.
Il se substitue à l’accord II tout en gardant ses caractéristiques.
Il est donc utilisé en premier renversement (d’où son appellation de 6te provenant du
chiffrage de basse) et voit sa tierce renforcée lors de doublures.
L’utilisation du second degré baissé, bien que souvent liée à la « couleur harmonique »
particulière qu’il propose, est également conditionnée par l’aspect mélodique. Son
enchaînement à la dominante provoque, dans la conduite d’une des voix, un véritable « étau »
mélodique vers la tonique. Celle-ci, comme le montre l’exercice de clavier ci-dessous, est
amenée par son demi-ton supérieur (bII) et inférieur (V7), en l’occurrence réb et si bécarre.
Exemple VIII.8.
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Nous abordons ici un chapitre assez vaste et qui va nous conduire à discuter de la
modulation.
Mais partons d’un exemple concret :
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52
Dégager l’unité tonale est une préoccupation qu’ont eue de nombreux théoriciens tels que
Riemann, Schenker, Schoenberg, et bien d’autres encore.
Chacun de ces théoriciens utilise d’ailleurs sa propre terminologie pour définir les intrusions
d’accords pouvants être interprétés dans d’autres tonalités.
Si les moyens utilisés pour décrire ce procédé d’extension tonale sont nombreux, un objectif
commun les réunit : symboliser l’unité tonale.
Mais revenons à notre exemple VIII.9. Si notre oreille admet que nous sommes toujours dans
le ton de RE majeur, il faut trouver le moyen de chiffrer l’accord X de manière à symboliser
cette unité tonale. Deux manières de faire :
1. Conception finaliste : V7
V
32
Si les terminologies sont nombreuses pour définir globalement l’élargissement d’un ton, l’accord V/V analysé
ici (mais aussi tout autre V/X) est souvent baptisé « dominante secondaire ».
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Si les deux propositions de chiffrage peuvent être utilisées indifféremment, c’est souvent
l’analyse qui décidera de la pertinence du choix. Nous pouvons adopter comme principe que
si l’accord visé est atteint, la conception finaliste sera plutôt choisie. Par contre, si l’accord
d’arrivée n’est pas atteint33, c’est la conception énergétique qui s’avérera souvent la plus
efficace.
Exemple VIII.10.
Si ce principe d’élargissement du ton est bien compris, il est aisé de l’étendre à d’autres
régions.
Beethoven ouvre sa première symphonie par ce procédé appliqué à la dominante mais aussi à
la sous-dominante.
33
Il peut arriver qu’une dominante secondaire s’enchaîne à une autre dominante secondaire. Nous en parlerons
plus tard.
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54
Cet exemple est souvent cité car il constitue une manière assez surprenante et tout à fait
originale de présenter le ton principal, en l’occurrence do majeur. Beethoven recherche ici,
comme il le fera encore à de nombreuses reprises, à renouveler les procédés d’affirmation
tonale, et créer de la sorte un effet chromatique tout à fait remarquable.
Dès la première mesure, l’accord de sous-dominante est amené par sa propre dominante
(accord de tonique avec pour qualité une septième de dominante). C’est ensuite à la
dominante du ton (mesure 4) de se faire désirer par sa septième de dominante.
Cette magnifique et audacieuse introduction contredit et renforce en même temps ce qui a été
expliqué au chapitre II 1.1. On y évoquait l’importance d’avoir une tonique suffisamment
longue en tête de morceau pour qu’elle puisse s’installer, se « graver » dans notre mémoire
comme le centre tonal du morceau.
Dans ce début de symphonie Beethoven tente de nous faire croire, par l’insistance de l’accord
initial de septième de dominante, à une polarisation de l’accord de fa majeur. Et pourtant,
malgré qu’il soit le premier accord parfait à être entendu, il ne s’installe pas comme tonique.
Pourquoi ? Tout simplement parce que l’espace temporel accordé à cet accord est trop court.
Cet accord joué piano ne dure que l’espace d’une croche. De plus, l’accord qui suit (septième
de dominante du ton) nous fait tout de suite réinterpréter la première mesure entendue.
En principe, tout accord du ton peut être amené par sa propre dominante, pourvu que l’accord
visé ait bien une quinte juste. Autrement dit, le VII en majeur ainsi que le II en mineur, ayant
tous deux une quinte diminuée, n’ont pas de dominante.34
Les exemples discutés ci-dessus n’empruntent qu’un accord à la région convoitée, mais le
procédé d’extension peut s’élargir davantage. L’accord de dominante secondaire peut être
préparé par son propre second degré qui peut être lui-même préparé par le sixième degré...
Dans ce cas, le chiffrage par étage (conception finaliste) s’avère très utile car il révèle
clairement les patterns. Un élargissement à un degré quelconque du ton (ici le II) pourrait être
chiffré :
I II V7 I (= II) V7 I
II II II
De même, comme le montre le chiffrage ci-dessous, deux dominantes secondaires peuvent
s’enchaîner.
C’est la conception énergétique qui a été choisie ici car l’accord de septième de dominante
sur la tonique (V/IV dans la conception finaliste) ne se résout pas à IV.
I I7 VI7 II V7 I
D D
Et la modulation alors ? Nous y viendrons dans un instant après avoir examiné le dernier
accord de préparation de la dominante.
34
C’est une des raisons pour lesquelles le bII (le degré napolitain) est, entre-autre chez Beethoven, plus utilisé
en mineur qu’en majeur. Le bII permet l’utilisation de sa propre dominante.
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55
Exemple VIII.14.
L’accord IV, en premier renversement (A), voit sa 3ce altérée vers le bas et sa fondamentale
vers le haut (B). Cette double altération crée un intervalle de 6te augmentée (cette
terminologie est, à nouveau, tributaire du chiffrage de basse) sur la basse et un appel
extrêmement fort vers la dominante (C).
Cette double altération dénature considérablement la qualité de la sous-dominante initiale et
tente même, surtout à cause de la quarte triton (ou quinte diminuée) fa# - do à nous faire
assimiler cet accord à un V/V altéré (LAb) sans sa fondamentale. Cette notion d’accord sans
fondamentale sera étudiée ultérieurement, mais nous pouvons dès à présent signaler qu’un
accord amputé de sa fondamentale sera symbolisé par une mise entre crochets. Ainsi, notre
accord de 6te augmentée sera chiffré [V]35 .
V
Cet accord de 6te augmentée, extrêmement appellatif et directionnel connaît trois formes.
Exemple VIII.15.
35
La mise crochet signifie « mis pour ». Il s’agit en réalité d’un accord de substitution, nous y reviendrons.
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56
Exemple VIII.16.
36
C’est W. Piston qui dans son traité d’harmonie a nommé, afin de bien les distinguer, les différentes formes de
la 6te augmentée.
37
Dans la huitième édition de son traité d’harmonie, W. Piston a baptisé cette forme orthographique de la sixte
augmentée : « suisse ».
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57
Après cette large description des emprunts, une question se pose : ne peut-on pas considérer
qu’il n’y a qu’une seule tonalité dans un morceau et donc tenter d’expliquer toute autre
polarité comme un emprunt, ou un élargissement du ton ? C’est tentant, mais cela supposerait
un appareillage de chiffrages considérable et surtout, il faudrait veiller à montrer l’ordre de
grandeur qui existe entre une brève séquence et toute une phrase à la région de la dominante.
Alors, que faire ? Se fixer des limites !
Nous considérerons qu’une nouvelle tonalité s’est installée à partir du moment où une
séquence harmonique suffisamment longue aura été entendue dans le nouveau ton et qu’une
articulation marquante aura ponctué ce nouveau ton (demi-cadence, cadence parfaite, …).
Dans l’exemple IX.1. la phrase peut être considérée comme modulante. La nouvelle tonalité
occupe la moitié de cette phrase et, de plus, cadence clairement au ton de la dominante.
• Modulations structurantes
• Les autres …
Nous n’aborderons ici que quelques généralités sur les modulations structurantes. L’étude
plus approfondie de celles-ci ainsi que des autres modulations, sera l’objet d’un chapitre
ultérieur.
Les modulations structurantes, comme le nom le laisse supposer, organisent la forme38. Elles
sont le plus souvent, chez les baroques et les classiques, au nombre de deux :
1. Le ton de la dominante
2. Le ton du relatif
38
Une exposition de forme sonate, forme que nous étudierons plus tard, s’organise très clairement autour du
rapport dialectique entre le ton principal et le second ton dit structurant.
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1. Le ton de la dominante
Partant d’une tonalité majeure c’est le ton de la dominante qui est le plus souvent convoité (il
faut attendre les romantiques et en particulier Schubert, pour voir cette règle grammaticale
véritablement perturbée)39.
• C’est, parmi les tons voisins, celui duquel on revient le plus facilement à la tonique. Il
peut être considéré comme une forme d’agrandissement du mouvement harmonique
V – I.
• Le passage (la modulation) du ton de la tonique au ton de la dominante crée une
dynamique tout à fait remarquable et sujette à une dramatisation40 du discours musical -
ce que la modulation au ton de la sous-dominante par exemple (autre ton voisin) ne
génère manifestement pas.
• La dominante est, dans l’échelle des harmoniques, le premier son différent de la
fondamentale.
2. Le ton du relatif
Si dans le mode mineur le ton structurant peut toujours être une quinte à droite dans le cycle
des 5tes (ton de la dominante mineure), les auteurs du XVIIIe siècle lui préfèrent souvent le
ton du relatif majeur.
• Le relatif est le ton voisin le plus proche du ton principal et propose un contraste modal
lui aussi sujet à une dramatisation.
• Deux notes communes unissent les accords de toniques des deux tonalités.
3. Exercice d’analyse
Les exemples IX.2, 3, et 4 en annexe ainsi que l’exemple XVII.9 proposent quelques cas de
modulations structurantes.
Analysez ces pièces et commentez-les le plus précisément possible. Attention, l’exemple
XVII.9 utilise un accord sans fondamentale. Le chapitre XII en parle en détail.
Souvent, afin de bien saisir les moyens mis en œuvre pour passer d’un ton à l’autre, il est
utile de chiffrer la zone modulante dans les deux tons, le ton de départ et le ton convoité.
Lorsque l’analyse harmonique se réalise dans 2 tonalités, on parle de multi-chiffrage.
39
Haydn, avec l’esprit de recherche et d’expérimentation qu’on lui connaît, tente quelques fois d’autres sorties
tonales, mais celles-ci restent des exceptions.
40
Nous reviendrons à cette idée de dramatisation du discours musical et en particulier dans l’étude de la forme
sonate.
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X. Le sixième degré
Cette danse allemande use beaucoup d’un procédé que nous avons eu l’occasion d’évoquer
dans le chapitre IV consacré aux notes étrangères : les pédales.
C’est une pédale de tonique qui accompagne les quatre premières mesures de la première
phrase. Si cette note pédale est bien commune aux accords de I et IV (1ère, 2ème et 4ème
mesures), elle est étrangère à l’harmonie de septième de dominante de la 3ème mesure.
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La seconde phrase utilise, elle aussi, une pédale. Mais cette fois, c’est une tenue de la
dominante qui marque le deuxième temps de chaque mesure (ici, la note pédale n’est à aucun
moment étrangère à l’harmonie).
La dernière mesure de la pièce, pour les besoins de la cadence, ramène la tonique à la basse.
En règle générale, et le Ländler de Schubert le met bien en évidence, une pédale de tonique
s’amorce et se quitte par un accord de tonique.
De la même manière, une pédale de dominante débute et se termine par une harmonie de
dominante.
Exemple X.2.
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2. VI, substitut du I
Ayant deux sons en commun avec l’accord de tonique (même parenté que IV et II), le
sixième degré peut se substituer à elle pour créer une surprise, un accident de cadence. Ce
procédé, appelé cadence rompue (cadence évitée chez certains auteurs), fait un effet tout
particulier lorsque la cadence parfaite est attendue.
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Cet enchaînement V – VI ne survient pas toujours dans un contexte cadentiel. Il peut, comme
c’est le cas dans l’exemple X.4, se produire dans les toutes premières mesures d’une pièce.
Lorsque cet enchaînement n’est pas inscrit dans un mouvement de cadence (voir les
composantes de la cadence parfaite au chapitre VI), nous parlerons plus volontiers de
« mouvement rompu » ou encore de « formule parfaite rompue ».
Le sixième degré ne constitue pas le seul accident possible après V ou V7. D’autres licences
existent chez les Maîtres.
V peut passer au sixième degré baissé ou encore, comme on le rencontre chez les baroques,
au IV placé sur sa tierce41 – exemple X.5.
Exemple X.5.
41
Certains auteurs parlent dans ce cas de cadence rompue baroque.
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Comme le montrent ces deux exemples et dans la logique des rapports de 5tes descendantes,
VII précède III.
L’accord de sous-dominante, qualifié d’accord multidirectionnel (pour rappel : IV peut aussi
s’enchaîner à I ou se substituer à II), amène, dans cette marche42 harmonique, le VII.
Si ces deux accords réunis dans une marche suscitent peu de commentaires, ils peuvent subir
des traitements particuliers lorsqu’ils sont pris isolément.
42
La marche, parfois appelée « progression », est la répétition d’une succession d’accords considérés comme
modèle (ici les deux premiers accords) à un intervalle supérieur ou inférieur. Dans les exemples ci-dessus, la
marche est tonale, car les progressions se font sur les degrés de la tonalité du modèle. Dans ce cas, la qualité de
l’accord est dépendante du degré sur lequel est construit l’accord. L’extrait du Requiem de Mozart KV 626
« Rex tremendae majestis » fait entendre 2 marches tonales complètes. L’une est en sol mineur, l’autre en ré
mineur. Ecoutez-le.
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C’est grâce à une morphologie très proche de la septième de dominante que l’accord VII peut
s’enchaîner directement à I.
Les trois notes qui composent l’accord du septième degré sont communes à l’accord de
septième de dominante. De plus, deux d’entre elles donnent l’intervalle attractif de quinte
diminuée caractéristique de V7 (la sensible du ton et la 7ème de l’accord).
Cette substitution, courante chez les auteurs du XVIIIe et XIXe siècle, est souvent
conditionnée par les lignes contrapuntiques. Bach use abondamment de cet accord dans ses
chorals.
Exemple XI.3. extrait de « Christus, der ist mein Leben » BWV 281 – J.S. Bach
L’accord VII, renversé sur sa tierce (le fa lié est le retard du MI), s’enchaîne au I, lui aussi en
premier renversement.
C’est le mouvement contraire entre la partie de soprano et de ténor ainsi que les dixièmes
parallèles entre la basse et le ténor qui poussent Bach à utiliser le septième degré.
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Le même passage avec la septième de dominante qui se substitue au VII ne change pas le rôle
de l’accord mais appauvrit manifestement la ligne du ténor.
Exemple XI.3.b.
A la lumière de cet exemple, nous pouvons considérer que cet accord du septième degré,
lorsqu’il s’enchaîne au I, joue le rôle d’une septième de dominante sans sa fondamentale.
Dans ce cas, cet accord sera chiffré [V] (nous avions déjà eu l’occasion de mentionner ce
procédé dans le paragraphe consacré à la sixte augmentée).
I [V] I II V I
Voici un autre exemple, en mineur cette fois, où Bach utilise le septième degré haussé.
Il joue alors le rôle de sensible qu’on lui connaît en majeur.
Exemple XI.4. extrait de « Aus tiefer Not schrei ich zu dir » BWV 38/6 – J.S. Bach
Si dans l’exemple XI.3. c’est le contrepoint qui conditionne l’utilisation d’une septième de
dominante sans fondamentale, c’est parfois la « couleur » harmonique et ce qu’elle implique
au niveau du discours et du style, qui justifie le choix de cet accord.
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L’accord de septième diminuée de la mesure 5 suivi de son arpégiation se résout bien sur
l’accord de tonique à la mesure 8.
Beethoven choisit cet accord de septième diminuée plutôt que la septième de dominante pour
son caractère dramatique mais aussi pour sa couleur (sa sonorité) et son instabilité43.
43
Si la quinte juste est impérative pour la stabilité interne d’un accord, la septième diminuée est, parmi les
accords étudiés, celui qui est le plus instable. Il a non seulement, par rapport à sa fondamentale, un intervalle de
quinte diminuée, mais les deux sons restants donnent également un intervalle de quinte diminuée.
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Afin de bien saisir auditivement la différence mais aussi les similitudes qui existent entre
l’accord de septième diminuée, choisi par Beethoven, et l’accord de 7ème de dominante,
rejouez cet extrait en substituant à chaque 7ème diminuée une septième de dominante.
Exemple XII.1.b.
Tout le côté dramatique de ce début de sonate disparaît. Cette substitution altère même, en
partie, le style. Pourtant, la fonction, le rôle que joue l’accord dans cette phrase (ramener la
tonique), est identique.
La version originale sera chiffrée [V], l’autre V.
44
Si elle était prise en compte, il faudrait signaler non pas un accord de septième diminuée, mais une neuvième
de dominante.
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Lorsqu’on parle d’accord sans fondamentale, c’est presque toujours dans le cas d’une
fonction de dominante (qu’il s’agisse de la dominante du ton ou d’une dominante
secondaire). Les deux accords les plus couramment utilisés pour se substituer à la septième
de dominante sont la quinte diminuée, appelée aussi fausse quinte (avec ou sans septième) et
la septième diminuée.
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Pratiquez les exercices de clavier et essayez d’improviser différents parcours sur la base de ce
schéma qui, s’il peut paraître complexe à la première lecture, est en réalité assez simple s’il
est exploré progressivement.
Partez d’une tonique et déplacez-vous à un des accords de l’espace tonal défini. Il suffit alors
de se laisser revenir au point de départ. Essayez de construire votre phrase en rythmant ces
différentes harmonies. A titre d’exemple, le premier parcours s’inscrit dans une mesure en
2/4.
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Quelques parcours :
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Si dans la musique tonale, l’ingrédient fondamental est l’harmonie, il arrive que d’autres
modes d’écritures interviennent. Parmi ceux-ci, la polyphonie parallèle. Afin de bien saisir ce
qu’on entend par polyphonie parallèle, voici un exemple extrait d’une sonate de Mozart.
Ce début de 3ème mouvement (presto) de la sonate pour piano KV. 283 est composé sans que
l’harmonie ne soit mise en jeu. Il s’agit tout simplement d’une mélodie accompagnée d’une
deuxième voix à la tierce inférieure, le tout sur pédale de tonique. Cette manière de faire,
somme toute très traditionnelle puisque bon nombre de chansons populaires s’accommodent
de ce procédé, est utilisée couramment chez les baroques et les classiques (les romantiques en
usent aussi, mais de manière plus particulière). C’est généralement la 3ce ou la 6te qui sont
les intervalles privilégiés pour accompagner la voix principale.
Ce procédé, qui consiste à écrire une seconde voix parallèle à la première, est ancien. Les
premières polyphonies étaient faites de cette manière, si ce n’est que l’intervalle choisi était
la 4te ou la 5te (« Organum »)45.
Nous l’avons dit, l’écriture d’une seconde voix sur la partie principale était chose courante à
l’époque baroque.
Telemann, Haendel ou encore J.-S. Bach écrivent des pièces à 2 voix où la grammaire est
presque entièrement fondée sur les rapports d’intervalles (à la cadence, l’harmonie reprenait
souvent ses droits sous forme de stéréotypes, de formules toutes faites).
L’exemple XIV.2. est extrait de la seconde Partita de J.-S. Bach. Ce début de phrase est fait
de tierces (ou dixièmes) parallèles légèrement décalées, ce qui donne une extraordinaire
dynamique à cette phrase.
45
A l’exception de l’Angleterre qui pratiquait l’organum à la tierce.
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Cette autre phrase de Mozart montre combien la polyphonie parallèle habite ce thème, à
l’exception toutefois de la demi-cadence et de la cadence parfaite où l’harmonie, reprenant la
parole, articule la phrase. Il est tout à fait remarquable de voir la manière dont Mozart, par les
sf des mesures 4 et 7, entre dans les « zones harmoniques ». La dynamique balise
véritablement le passage d’un mode d’écriture à l’autre.
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Les mouvements parallèles de voix se rencontrent, nous l’avons dit plus haut, dans des
rapports de 3ce ou de 6te. Les auteurs utilisent parfois les deux intervalles superposés pour
créer des mouvements de glissement.
Dans cet exemple, l’accord initial est une tonique en 1er renversement (autrement dit une
superposition de 3ce et de 6te). Haydn fait glisser cet accord pour l’amener, au dernier temps
de la seconde mesure, une octave plus basse. Aux troisième et quatrième mesures, la phrase
se ponctue par le mouvement cadentiel II – V7 – I.
Comme le montre l’analyse, il faut chiffrer I pour les deux premières mesures et indiquer
précisément le mouvement des 6tes et 3ces parallèles.
46
Certains analystes, dont le compositeur Ligeti, expliquent tout ce début harmoniquement. « Neuf essais sur la
musique » György Ligeti – Convention et originalité, la « dissonance » dans le quatuor à cordes en do majeur
K. 465 de Mozart, page 27. Éditions Contrechamps 2001.
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Ecoutez également le prélude pour piano en mi mineur de Chopin, il est construit sur ce type
de glissement chromatique voix par voix.
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77
Si la 3ce et la 6te sont sans nul doute les intervalles les plus fréquents dans la polyphonie
parallèle des baroques et des classiques, d’autres relations sont utilisées et surtout nécessaires
lorsqu’on sort du parallélisme des voix. Il suffit d’écouter la première invention à 2 voix de
J.-S. Bach, dont la pensée est extrêmement contrapuntique, pour s’apercevoir que les deux
voix ont une réelle indépendance et que d’autres intervalles interviennent.
• L’unisson et l’octave sont généralement des intervalles que les auteurs manipulent avec
précaution. S’ils sont couramment utilisés en début de morceau ou dans les mouvements
de cadence, il faut se méfier de la « platitude » et de la perturbation que ces intervalles
peuvent provoquer dans la continuité du discours lorsqu’ils se trouvent sur un temps
métrique trop marqué et/ou sur une valeur longue.
• Le rôle le plus remarquable de la 5te est d’ordre harmonique. Elle marque le plus souvent
une articulation dans la phrase (demi-cadence). Mais elle peut également intervenir dans
un mouvement de cadence parfaite, voire sur une tonique initiale.
• La 5te diminuée (et son renversement la quarte triton) joue le rôle dissonant et appellatif
qu’on lui connaît dans la 7ème de dominante. Elle se résout le plus souvent sur l’intervalle
de 3ce (6te s’il s’agit de son renversement : la quarte triton).
Les autres intervalles (2de, 4te, 7ème, 9ème, …) sont généralement générés par la figuration.
Nous y viendrons dans un instant.
Sur les 2 basses proposées ci-dessous, toutes deux publiées dans « Créatif, à l’école des
grands compositeurs » de Jean-Claude Baertsoen, écrivez quatre contrepoints
homorythmiques différents tout en mélangeant les intervalles de 3ce et de 6te. Il n’est donc
plus question ici de parallélisme, mais bien d’indépendance des 2 voix. Si la tierce et la sixte
constituent l’essentiel du matériau, vous pouvez commencer et terminer par l’octave ou
l’unisson et envisager une place pour la quinte dans l’exercice en ré mineur.
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L’exemple XIV.6., extrait d’une pièce de clavier de Telemann, montre clairement les
intervalles d’appuis principaux (3ce, 6te, 5te, 8ve) et les intervalles secondaires (de
figuration).
Remarquez combien, aux mesures 6 et 7, l’harmonie prend le dessus. Si partout ailleurs les
mouvements harmoniques de la musique tonale sont absents, ici, le mouvement IV – II – V
(demi-cadence) est très reconnaissable.
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Les deux énoncés suivants, eux aussi empruntés à l’ouvrage de Jean-Claude Baertsoen cité
plus haut, proposent une trame générale aux deux voix, ajoutez-y de la figuration (notes de
passages et de broderies essentiellement). Attention, tenez compte du caractère proposé : le
premier est un menuet, le second débute de manière canonique.
Tempo de menuet
En style canonique
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Qu’est-ce qui fait la qualité d’une mélodie ? Comment est-elle construite ? Pourquoi
certaines mélodies populaires traversent-elles les siècles sans presque se modifier ? Quels
sont les ingrédients qui créent la cohérence d’une mélodie ?
Autant de questions auxquelles nous allons tenter de répondre en travaillant sur quelques
chansons populaires simples.
Mais en y regardant d’un peu plus près, une subdivision en 3 tronçons de quatre mesures
n’est pas sans intérêt. Celle-ci fait apparaître les similitudes rythmiques qui existent entre ces
trois parties de la chanson.
Exemple XV.1.
Les deux premières parties sont identiques. La troisième, très proche des précédentes, fait un
« monnayage rythmique » des croches en double-croches.
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Exemple XV.2.
Et si nous allons plus loin dans le détail, nous pouvons considérer qu’il existe un modèle
générateur. Celui-ci se résume à une noire et deux croches (une longue et deux brèves). La
mesure 4 est alors le rétrograde de la mesure 1 et la variation rythmique du refrain, croche
deux doubles, n’est qu’une simple diminution rythmique de la cellule de base (facteur 1/2).
Cette hypothèse est renforcée par le texte littéraire. La dernière croche de la deuxième
mesure (note de passage qui relie la tierce à la tonique) se chante sur le « e » muet de
« fontaine », ce qui donne à cette note de passage un rôle tout à fait secondaire. Cette
deuxième mesure est en quelque sorte un paradigme de la quatrième.
47
Technique d’analyse utilisée en linguistique. Elle met à jour les classes d’éléments linguistiques qui
entretiennent entre eux des rapports de substituabilité. (Exemple : pour une proposition telle que le lilas fleurit,
les noms jasmin, lis, muguet, etc., ainsi que les verbes embaume, se fane, est cueilli…, constituent un
paradigme. C’est à Nicolas Ruwet et Jean-Jacques Nattiez qu’on doit l’application de cette technique à la
musique.
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Observons maintenant quelques éléments générateurs d’unités sur le plan des hauteurs.
Là aussi, plusieurs récurrences sont à mettre en évidence.
Les notes répétées en début de chaque mesure impaire sont perçues comme un élément
unificateur de cette mélodie.
Les mesures 5 et 7 gardent la note répétée (constante) mais amènent une variation de hauteur.
Si dans le premier membre de 4 mesures c’est la tonique qui était renforcée par sa répétition,
c’est, maintenant, le la et le do qui sont mis en évidence. Il y a donc « variation » d’un
élément déjà entendu. La nouveauté et la répétition coexistent. Cette manière de composer, ce
que j’appelle volontiers la cohérence du discours musical, se vérifie chez tous les auteurs. Et
pas seulement au sein d’une même mélodie ou d’un thème, mais bien entre deux thèmes
différents d’un même mouvement ou encore entre les différents mouvements d’une même
œuvre.
Ces deux groupes thématiques sont, à la première audition, très contrastés. Le premier,
lyrique et expressif, contraste avec le caractère léger et sautillant du second groupe. Leur
accompagnement les distingue également. Et pourtant, malgré tous les contrastes amenés par
Beethoven, ils sont très proches. Ils sont même quasi identiques dans leurs démarrages.
Le second groupe démarre lui aussi par une anacrouse, mais cette fois c’est un intervalle de
septième qui lance la phrase pour s’enchaîner à une répétition d’un la (exemple XV.3b).
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Exemple XV.3b.
Une anacrouse (6te ou 7ème) ainsi que les notes répétées, sont les formants générateurs des
deux idées musicales.
Essayez de jouer ce premier groupe thématique avec sol à la place du fa# et jouez ensuite le
second groupe thématique en substituant au deuxième « LA » répété un sol de broderie.
L’expérience est convaincante.
De la même manière que dans la mélodie « A la claire fontaine », la nouveauté du second
groupe thématique s’inscrit dans une continuité du discours tiré directement du premier
groupe.
Cet autre exemple de Beethoven montre le rapport qui existe entre les deux groupes
thématiques du premier mouvement mais aussi la manière dont la tête du premier groupe est
utilisée pour amorcer le début du second mouvement ainsi qu’une section du troisième
mouvement de la première sonate pour piano.
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Exemple XV.5
Exemple XV.6.
Le début du deuxième mouvement (exemple XV.6.) commence par une anacrouse et un saut
de 6te Majeure (do – la). Les points d’appuis du premier groupe thématique du premier
mouvement sont identiques : c’est bien le do qui est anacrouse et qui se porte vers le lab une
octave au-dessus.
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La parenté est encore plus marquée à la 5ème mesure du premier mouvement qui fait entendre
ce même intervalle sans son octaviation (exemple XV.7.) : sorte de condensé des 2 premières
mesures.
Exemple XV.7.
Le début du trio dans le troisième mouvement démarre lui aussi par la double relation
d’intervalle (6te montante anacrousique et 3ce desendante) observée dans les deux premiers
mouvements.
Exemple XV.8.
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Nous pourrions multiplier les exemples de la sorte et ce, tant chez Beethoven que Mozart,
Schubert ou Brahms. Mais revenons à notre chanson.
Dans la description générale de la mélodie, nous avons évoqué l’importance de l’accord
parfait. Il est tout à fait remarquable de voir que l’arpège de fa majeur se fait aussi entendre,
au centre de la mélodie, en mouvement ascendant et descendant,. Ce moment particulier de la
chanson synthétise en quelque sorte sa trajectoire générale.
Exemple XV.9.
Nous terminerons cette analyse par la mise en évidence de récurrences moins lisibles. Pour
arriver à les dégager, l’analyse paradigmatique s’avère être, nous allons le constater, un outil
fort efficace.
La chanson est réécrite ici de manière à dégager uniquement les structures de hauteurs
(exemple XV.10).
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Exemple XV.10.
Cet exemple XV.10. met en évidence le déploiement de l’arpège de fa par les notes répétées,
la manière dont chaque nouveau tronçon de 2 mesures prend naissance dans celui qui le
précède ainsi que diverses récurrences. Cette réécriture met également en évidence le rapport
qui existe entre le couplet et le refrain.
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Ce chapitre, consacré à ce qu’il est convenu d’appeler « les petites formes », va nous amener
à étudier des pièces comme le Ländler et le Lied. Les plus grandes formes comme la sonate,
le rondo, etc., feront l’objet de chapitres distincts.
1. Le Ländler
Nous avons déjà eu l’occasion d’évoquer dans les chapitres précédents la structure de cette
danse. C’est d’ailleurs le Ländler de Schubert en mib majeur, cité aux chapitres II et VI, qui
va nous servir de support pour tenter de mieux saisir l’organisation de cette forme ainsi que
les éléments internes qui la constituent.
Nous entrons donc dans une analyse où le propos est d’étudier tous les paramètres de la
composition. Aussi, afin de ne pas se perdre en essayant de tout aborder de front, il est
nécessaire de structurer l’analyse. Voici, dans l’ordre, les points qui seront discutés :
Les différentes étapes proposées sont bien entendu liées à l’objet analysé. Si cette courte
danse, qui reste dans le ton principal, s’accommode volontiers des étapes proposées ici, elles
seront à reconsidérer pour des pièces de plus grande envergure et à plus fortes raisons pour
des œuvres d’autres époques.
Nous essayerons aussi, au travers de cette analyse, d’aborder les problèmes de phraséologie.
Qu’est-ce qu’une phrase, une proposition, etc. ?
Nous n’arriverons pas à épuiser le sujet, mais les quelques termes proposés ici seront d’une
certaine utilité pour l’investigation d’autres formes musicales.
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90
Les deux grandes sections48 de cette danse sont indiquées par des traits précédés de la lettre
« S » associée à un chiffre.
Elles restent toutes deux dans le ton de mib majeur. Le trait parfaitement droit symbolise
cette unité tonale – une section modulante verra cette ligne monter ou descendre selon le ton
convoité – mais montre aussi graphiquement les proportions temporelles de chacune des
sections de la danse.
Ces deux traits horizontaux se ponctuent par un petit trait vertical descendant. Celui-ci
signale que la section est conclusive et se termine par une cadence parfaite. Le trait vertical
ascendant symbolise une articulation ou ponctuation suspensive.
48
Le terme « Section » a été choisi pour sa neutralité grammaticale – il n’a pas de sens particulier comme
phrase, proposition, etc., dont nous parlerons ci-dessous. Il s’agit tout simplement d’un découpage du texte
destiné à faciliter son analyse.
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91
Les deux sections de ce Ländler proposent une structure mélodique complète et cohérente.
Aussi, sur un plan purement phraséologique, elles peuvent être considérées comme des
« phrases ». Encore faut-il s’entendre sur le sens qu’on donne à ce mot en musique.
Dans son sens grammatical, le petit Larousse définit « phrase » de la manière suivante :
« Unité du discours, partie d’un énoncé généralement formée de plusieurs mots ou groupes
de mots (propositions) dont la construction présente un sens ».
C’est bien en ces termes que le mot « phrase » peut être compris en musique.
• La phrase est une partie d’une pièce (bien que quelques rares chansons populaires ne
contiennent qu’une seule phrase).
• Elle est constituée d’un ou de plusieurs motifs qui, réunis, peuvent créer une
proposition49.
• Elle contient, en règle générale, un minimum de deux propositions50.
• Une phrase se termine par une ponctuation marquante (cadence parfaite ou repos à la
dominante).
• Elle est porteuse d’idée(s) musicale(s) et sa construction présente un sens.
Si dans cette danse, section et phrase représentent la même chose, la section peut être plus
vaste. Une section peut contenir plusieurs phrases différentes51.
Ce sont des lettres majuscules qui, dans la représentation formelle du Ländler à la page 90,
indiquent les propositions.
Les deux phrases (sections) de cette danse se divisent en 2 propositions de 4 mesures. Ces
deux propositions sont tellement proches, dans chacune des phrases, qu’une même lettre les
symbolise52. Les chiffres qui accompagnent ces lettres montrent la différence qui les
distingue (arrivée de la tonique mélodique sur le second temps des mesures 4 et 12 et sur le
premier aux mesures 8 et 16).
La forme générale dégagée est extrêmement symétrique (2 sections de même longueur,
carrure par groupes de 4 mesures, etc.). Cette organisation binaire est en partie liée au genre
de cette musique. C’est, ne l’oublions pas, une danse. Et, comme dans bon nombre de danses
comme la valse, la bourrée, etc., une carrure bien marquée, ici par quatre mesures, est
nécessaire pour ne pas faire chavirer les danseurs.
49
La proposition est un membre de phrase présentant un ou plusieurs motifs. La danse de Schubert que nous
examinons est organisée en deux phrases contenant chacune deux propositions de quatre mesures.
50
Bien que cela soit exceptionnel, certaines phrases sont faites d’une seule proposition.
51
Nous en parlerons lorsque nous aborderons des formes plus importantes.
52
Afin de conserver une terminologie largement répandue, le premier membre de phrase, généralement
suspensif sera appelé « proposition antécédent ». Le second membre de phrase : « proposition conséquent ».
Si la phrase est souvent constituée d’un minimum de deux propositions, la terminologie antécédent et
conséquent ne s’applique pas toujours. Ne sera considéré comme conséquent qu’une proposition qui reprend de
manière significative les éléments entendus dans la première proposition.
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Les deux accords en présence (V7 et I) sont, nous l’avons déjà signalé, le matériau
harmonique minimal de la musique tonale.
Il n’y aura donc que peu de commentaires à faire sur leurs qualités. Par contre, il est
intéressant de constater que si la première phrase débute par la tonique, la seconde s’ouvre
par la septième de dominante. C’est le contraste que Schubert veut établir entre les deux
phrases qui justifie cette amorce harmonique différente. Du reste, en observant attentivement
les danses de Schubert, mais aussi plusieurs autres petites formes musicales, on constate cette
volonté, qu’ont les auteurs, d’éviter de faire démarrer les deux phrases ou sections musicales,
par une même harmonie. Si I a ouvert la danse, c’est V ou IV (ou un autre ton) qui le plus
souvent attaquera la deuxième section de la pièce.
Dernier constat et il est, lui aussi, lié à l’idée de contraste : Schubert donne à la deuxième
phrase un rythme harmonique différent. Si dans la deuxième section le rythme d’alternance
harmonique se fait à la mesure (rythme rapide), la première phrase débute par deux mesures
de I avant de passer, pour une mesure, à la dominante. Les trois mesures qui suivent, sur
l’accord de tonique, impriment à cette première partie, un rythme harmonique manifestement
plus lent. Nous aurons encore l’occasion de discuter du rythme harmonique, paramètre
syntaxique important de la musique tonale.
Exemple XVI.2.
Cette première phrase se découpe, nous l’avons déjà signalé, en deux propositions de 4
mesures. Si nous examinons maintenant les quatre premières mesures, nous pouvons les
découper en 2 tronçons de 2 mesures (découpage lié en partie à l’harmonie) dont le premier
propose deux éléments identiques : l’arpège descendant de la tonique.
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Lorsqu’on descend à ce niveau de découpage on entre dans l’analyse des « motifs »53 et il
nous faut choisir une manière de codifier ces différents éléments. Ce sont les lettres
minuscules de l’alphabet qui vont nous servir ici.
Le premier motif du Ländler (l’anacrouse et les deux premiers temps de la première mesure)
est entendu deux fois consécutivement. Il est indiqué dans le texte par « a ». Le second motif
(du dernier temps de la mesure 2 au deuxième temps de la mesure 4) est baptisé « b ». Etant
donné la modification opérée dans la dernière mesure, nous indiquerons « b1 » sa première
apparition et « b2 » la seconde.
Exemple XVI.3.
a_______a________b1______________a________a________b2____________
Après « b », c’est un nouveau motif qui se fait entendre. Une continuité de croches, en
mouvements conjoints, donne à cette deuxième partie une identité mélodique. Nous verrons
plus tard, lors de l’analyse paradigmatique, que, malgré cette identité, une cellule assure un
lien avec le motif « a ». Cette partie en croches continues est indiquée par « c ».
53
Le motif peut être considéré comme la plus petite entité sémantique. Si l’analyse doit, pour éclairer les
mécanismes de composition, réduire le motif, nous parlerons de « cellule ». La cellule, prise isolément, n’a pas
véritablement de sens mais elle est un ingrédient indispensable à la cohérence du motif. La différence entre
motif et cellule est comparable à ce qu’en linguistique on appelle le phonème d’un mot et le mot lui-même.
Le phonème est porteur de sens, le mot a un sens.
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Exemple XVI.4.
L’analyse paradigmatique qui suit met en évidence quelques-uns des rapports plus cachés qui
unissent les deux grandes phrases de la pièce. Les deux premières lignes de l’exemple XVI.5.
reprennent les motifs a et b. Les deux lignes suivantes montrent le rapport qui existe entre c
et les deux premiers motifs. Les trois sons de la dernière portée (‘’a’’) forment une cellule
commune aux trois motifs. Signalons encore que dans les deux phrases de ce Ländler,
l’appoggiature est un facteur d’unité.
Exemple XVI.5.
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Plusieurs divergences et convergences ont déjà été discutées sur le plan formel, harmonique
et mélodique.
Il reste un point que nous n’avons pas encore abordé ; l’accompagnement de la main gauche.
Deux contrastes importants sont à mettre en évidence.
Le premier est d’ordre rythmique : si la conduite mélodique de la première phrase
s’accompagne du rythme typique du Ländler (et de la valse), la seconde section contraste par
sa formule « blanche – noire ».
Cette formule, et c’est là le deuxième contraste mis en œuvre par le compositeur, est
entendue dans un registre plus élevé. C’est d’ailleurs grâce à cette tessiture plus aiguë que la
seconde phrase acquiert une « légèreté » qui eût été menacée s’il elle avait été entendue dans
le registre initial.
D’autres procédés sont possibles pour établir un contraste entre les deux sections d’un
Ländler, comme celui de la dynamique, des pédales, etc. Les Ländler proposés aux chapitres
VI et VII le montrent.
Cette analyse, certes exhaustive pour le moment, ne peut qu’aider l’interprète à mieux
comprendre et donc, mieux structurer le discours musical. Mais elle peut également s’avérer
être une aide fort utile à la mémorisation du texte.
54
Au-delà du sens donné aux différents termes proposés ici, c’est l’échelle hiérarchique qu’il est important de
saisir.
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Faites une analyse complète du Ländler D. 679 1 de Schubert ci-dessous. Si la forme est en
tous points identique à la danse en mib majeur, quelques particularités rythmiques méritent
d’être mises à jour.
A la lumière de ces deux analyses et afin de fixer le mieux possible les données analytiques
proposées ici, lancez-vous dans la composition d’un Ländler à la manière de Schubert.
Il peut être réalisé pour le piano ou pour une flûte (ou un violon) avec un accompagnement
utilisant les formules de clavier proposées dans les chapitres précédents.
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2. Le Lied
La forme Lied, définie aussi de manière un peu sommaire par « ABA », est liée à la forme
tripartite de la chanson : refrain – couplet – refrain.
Le lied que nous allons étudier a déjà été cité au chapitre VI et nous avait servi de support
pour décrire le rôle de l’accord parfait de dominante. Il s’agit du Wiegenlied op 98 n°2 de
Schubert.
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Les différentes étapes de l’analyse seront identiques à celles proposées pour le Ländler en
mib majeur étudié plus haut. Nous rajouterons à celles-ci une étude de certaines corrélations
qui existent entre le texte littéraire et la musique. Ce point particulier de l’analyse sera mis en
lumière à travers les différentes étapes de l’étude.
1. Plan formel
2. Analyse harmonique
3. Analyse mélodique
4. Similitudes et différences
Si ce plan général représente bien le déroulement temporel du lied, des questions se posent
quant à sa symbolisation et donc, inévitablement, à la phraséologie.
La cadence qui clôt la première section de la pièce nous fait percevoir celle-ci comme une
entité bien délimitée. C’est une phrase complète.
Par contre, la deuxième section est extrêmement courte et s’enchaîne, se soude véritablement,
à la troisième. De plus, mis à part l’introduction et la coda (qui peuvent être comprises
comme des extensions initiales de période), S2 et S3 réunis ont la même longueur que S1.
A la lumière de ces différents arguments, ne pourrait-on pas considérer que cette berceuse est
constituée de 2 et non de 3 sections ?
Il est difficile de trancher, car si l’aspect temporel plaide en faveur d’une découpe en 2, le
retour de l’idée musicale initiale à la mesure 8 balise le discours, tente à structurer notre
perception de la forme en 3 parties.
Aussi, devant un tel cas de figure, nous pouvons admettre que la forme peut être perçue en 2
ou 3 sections selon les paramètres pris en compte.
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100
Ce lied de Schubert n’est pas un cas unique et bon nombre de thèmes à variations sont
construits dans le même moule.
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101
Si la forme peut être perçue de deux manières, l’organisation des propositions est sans
équivoque. C’est bien une proposition antécédent (A1) et une proposition conséquent (A2)
qui structure la première phrase (S1). La proposition (B), contrastante, se ponctue par une
dominante qui ramène la proposition conséquent A2.
Dans cette berceuse, Schubert écrit une introduction avant la première proposition.
Qu’elle est sa fonction ?
Elle commence bien évidemment par installer le centre tonal de la pièce - fa majeur.
Mais son rôle ne s’arrête pas là. Elle annonce aussi le premier intervalle de la partie vocale :
la tierce mineure la – do et surtout, elle assoit le climat de la pièce par son double rythme
pendulaire de berceuse.
Exemple XVI.9.
La pièce se termine par deux mesures jouées au piano. Il s’agit de la coda qui, bâtie sur une
double pédale (tonique à la basse et dominante à la partie supérieure), invite l’enfant au
sommeil. Nous reviendrons à cette coda lors de l’analyse mélodique.
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Le schéma harmonique a déjà été largement commenté dans le chapitre consacré à l’accord
parfait de dominante. L’analyse mettait en évidence le rôle structurel (articulation de la
forme) et expressif (au service du texte littéraire) de l’accord V.
Par contre, le rythme harmonique n’a pas encore été discuté.
Exemple XVI.10.
Schéma harmonique :
Toujours dans cette perspective de contraste, B débute par une harmonie de dominante alors
que chaque proposition A commence par une tonique.
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Exemple XVI.11.
C’est l’intervalle de 3ce, véritable cellule génératrice, qui alimente les motifs a et b55. Il suffit
de supprimer la figuration pour voir se dégager le squelette mélodique et ses différents
rapports de 3ce.
Exemple XVI.12.
Si le mouvement des tierces est ascendant pour les motifs a1 et descendant pour b1 et b2, les
deux propositions ont, globalement, un profil mélodique descendant.
Exemple XVI.13.
55
La tierce et la douceur qu’elle représente est l’intervalle typique des berceuses (Fais dodo,
dodo l’enfant do, la berceuse de Brahms, …)
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La deuxième section (proposition B) a son centre de gravité mélodique bien ancré autour du
second degré de l’échelle de fa majeur. C’est en effet le sol qui ouvre et ferme cette
proposition (la désinence est identique à celle de la proposition A2).
Il est remarquable de voir à quel point Schubert installe un équilibre entre le statisme
mélodique du sol (initial et final) et le saut de quinte ascendante (fa – do) en plein centre de
la proposition.
Enfin, c’est toujours une cellule génératrice de 3ce qui alimente cette section.
Exemple XVI.14.
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Voici, pour terminer l’étude mélodique de cette berceuse, une analyse paradigmatique qui
présente le motif de tierce et ses différentes récurrences.
Exemple XVI.15.
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106
Les cellules 1, 4, 10 et 11 présentent l’intervalle de tierce à l’état « pur ». Autrement dit, c’est
la cellule non figurée qui ouvre et clôt la partition. De plus, à 10 et 11 (fin de la coda), le
mouvement ascendant et descendant de tierce à partir de la tonique est d’une grande
efficacité pour conclure la pièce56.
• à 3 : tierce descendante
• à 6 : tierce ascendante
• à 9 : variation de la tierce ascendante de 6 dans un mouvement descendant.
Elles ont déjà été largement explicitées aux points précédents. Il nous reste à parler de la
texture de l’accompagnement qui, dans la proposition contrastante « B », abandonne le
rythme de berceuse.
C’est, ici, un rythme en quasi « homorythmie » avec la partie vocale, qui assure, au même
titre que la conduite mélodique et le rythme harmonique, le contraste nécessaire à la forme
Lied. Ajoutons encore que la simplicité rythmique de ce passage est en relation directe avec
le texte littéraire qui, comme nous l’avons déjà signalé au chapitre VI, parle de « calme » et
de « douceur ».
56
Cette manière de conclure est tout à fait en rapport avec la définition de la coda proposée par Schoenberg :
« liquidation » ou « dilution » de matériau.
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Nous donnerons ici, à titre d’exemple, deux mouvements lents de sonate pour piano. Le
premier est de Mozart – sonate KV 330, le second de Beethoven – op. 2 n°1. Nous ne nous
lancerons pas ici dans une analyse détaillée de ces deux pièces (le chapitre consacré aux
grandes formes le fera). Mais nous nous contenterons seulement d’en résumer l’organisation
formelle.
Le mouvement lent de la sonate KV 330 de Mozart est un ABA clairement délimité par des
cadences et des tonalités qui personnalisent chacune des sections.
A de 1 à 20 fa majeur
B de 20 à 40 fa mineur (ton direct)
A de 40 à la fin fa majeur
La première grande partie (A) s’organise en 2 sections (toutes deux avec reprise). La
première cadence au ton de la dominante tandis que la seconde ramène le ton principal de fa
majeur.
La deuxième partie (B) est construite de la même manière si ce n’est que la ponctuation
tonale de la première section se fait au relatif du ton direct – lab majeur. La seconde section
se termine par une cadence au ton direct (ton central de ce grand B). C’est ensuite 4 mesures
qui reprennent l’idée musicale du début de B et qui, sur pédale de tonique, ponctuent cette
grande partie contrastante.
Le retour de A, 3ème et dernière partie, se fait entendre cette fois sans reprises. Mozart termine
ce magnifique mouvement lent en rappelant la musique de la partie B pendant 4 mesures.
Mais cette fois, c’est en mode majeur qu’elle se fait entendre.
A de 1 à 16 fa majeur a de 1 à 8 ; b de 8 à 12 ; a 12 à 16
B de 16 à 31 do majeur (ton de la dominante)
A de 31 à 47 fa Majeur
Le mouvement se termine par le retour de la seconde section de la partie du B, mais cette fois
au ton principal.
Nous aurons l’occasion, lors de l’étude des grandes formes comme le menuet, le rondo, … de
revenir à la forme lied. Mais avant cela il nous faut étudier la grande forme de la musique
tonale classique : la forme sonate. Nous verrons d’ailleurs que cette étude ne sera pas sans
conséquences pour la compréhension des autres formes qui, à un moment ou l’autre de leur
évolution, ont subi l’influence de la forme sonate.
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Aborder la forme sonate en quelques pages peut paraître, à la lumière des différents ouvrages
qui lui ont été consacrés, et en particulier celui de Charles Rosen57 « Formes sonate », une
gageure quelque peu prétentieuse.
Mais qu’on se rassure tout de suite, le propos sera ici d’en dégager les fondements tels qu’ils
apparaissent aux XVIIIe et XIXe siècles et non d’en retracer la genèse et les développements
multiples comme le fait admirablement Charles Rosen.
Notre seule ambition sera de faire comprendre et surtout entendre le mieux possible, cette
forme archétypale de la musique tonale et de bien en saisir les innombrables manifestations.
C’est donc bien de la structure interne d’une pièce qu’il sera question tout au long de ce
chapitre (ce qu’on appelle communément un « allegro de sonate ») et non de la sonate en 3
ou 4 mouvements comme on la rencontre de la période baroque à Pierre Boulez.
Si cette forme musicale, théorisée pour la première fois par Czerny autour de 1840-185058 et
plus tard par Riemann à la fin du XIXe siècle, est sans conteste la grande forme de la
musique tonale - nous dirions même sa quintessence - c’est qu’elle est en quelque sorte la
mise en œuvre, à l’échelle des tonalités, d’un des fondements de la grammaire tonale : le
rapport tension-détente.
Nous pourrions, en étant caricatural à l’extrême, définir la forme sonate dans la trajectoire
modulante suivante59 :
I V I
57
Formes sonate - Charles Rosen : traduit de l’anglais par Marie-Stella et Alain Pâris. Editions Actes sud, 1993.
58
La définition de Czerny est celle que l’on rencontre dans les manuels de théorie et qui présente globalement la
forme sonate de la manière suivante : Exposition de deux thèmes dans deux tons opposés (en général tonique et
dominante ou relatif). Ces deux thèmes sont le plus souvent reliés par un pont modulant. Développement des
thèmes qui se « combattent », s’entre-déchirent dans une trajectoire modulante. Enfin une réexposition ou les
deux thèmes sont réentendus au ton principal. Le tout se ponctuant par une coda. Si cette description peut
s’appliquer à quelques sonates, il est clair, et les exemples qui suivent le montrent, qu’elle est beaucoup trop
réductrice.
59
Ce rapport entre le ton de la tonique et celui de la dominante est quasi systématique lorsque le mode est
majeur. Partant d’une tonalité mineure, la modulation au ton du relatif peut se substituer à celle de la dominante
et donc devenir la modulation structurante (nous l’avions déjà évoqué au chapitre IX). Bien que ce cas sera
examiné de plus près ultérieurement, nous pouvons d’ores et déjà évoquer la double problématique qui se pose
au compositeur lorsque qu’il fait entendre une idée musicale (thème) au ton du relatif. Le premier problème est
celui de la tension tonale. La modulation au ton du relatif n’a pas la même densité de tension que la modulation
au ton de la dominante. Si la tonalité ne peut assumer son rôle de tension, c’est alors d’autres paramètres comme
la mélodie, l’harmonie, les textures, ..., qui s’en chargeront. Le second problème est d’ordre thématique. En
effet, le thème, présenté dans l’exposition au ton du relatif, doit, à la réexposition, être réinterprété à la tonique
et donc dans le mode mineur. Ceci nécessite de prévoir un matériau musical pouvant s’accommoder des deux
modes.
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1. L’exposition
1.1. Opposition tonale / opposition thématique
Chez les classiques, le moyen le plus usité pour personnaliser le nouveau ton consiste à lui
conférer une idée musicale qui lui soit propre (chez les baroques et en particulier chez
Haydn, c’est parfois le retour de l’idée thématique initiale qui signale l’entrée du nouveau
ton). Cette personnalisation du second ton est très lisible dans le menuet de Mozart déjà cité
au chapitre X :
La première section de ce menuet de jeunesse est faite de deux propositions ayant chacune
leur tonalité et leur propre « idée » musicale.
Un mouvement de 3 tierces reliées par une note de passage et rythmé en triolet, caractérise le
début de l’idée musicale au ton de la tonique. L’idée exposée au ton de la dominante, dès la
mesure 5, a clairement une autre dynamique rythmique et, en partie, mélodique. Il y a bien
ici, chez le jeune Mozart, le besoin de signaler le nouveau ton par une autre idée musicale60.
60
Ce petit menuet, qui esquisse les principes de la forme sonate, nous montre à quel point, et nous aurons
l’occasion de développer cet aspect, celle-ci peut s’accommoder de caractères musicaux divers. Il n’est pas rare
de rencontrer des mouvements lents ou des finales de sonates qui épousent la forme sonate. Chez Mozart,
certaines sonates (entre-autre la première - KV 279 - pour piano) utilisent la forme sonate pour chacun des
mouvements qui la constituent.
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Cette opposition des deux tonalités et des deux idées musicales qui leur sont associées,
constitue la première section d’une forme sonate : ce que Czerny appelle « exposition de
sonate ».
On expose donc deux tons. Chacun d’eux ayant sa propre idée musicale ou, toujours pour
reprendre la terminologie de Czerny, son propre thème.
Si le terme d’exposition semble tout à fait judicieux (on expose deux tonalités), celui de
thème est plus discutable car quelque peu limitatif. En effet, et nous aurons largement
l’occasion d’étayer ce propos ultérieurement, une tonalité peut s’accompagner de plusieurs
idées musicales, de plusieurs ‘‘thèmes’’. Aussi préférerons-nous le terme de groupe
thématique pour signaler chaque tonalité et sa/ses idée(s) musicale(s). Le terme de thème
étant réservé à une idée musicale précise.
En résumé :
Le ton principal et le ou les thèmes qui l’accompagnent, seront baptisés groupe thématique A
‘‘GTA’’.
Le ou les thèmes associés au ton opposé groupe thématique B
‘‘GTB’’.
Exemple XVII.2.
Ton de la dominante
Ton de la tonique
GTA____________________________ GTB___________________________
Le plus souvent toute cette partie est reprise. Nous aurons, là aussi, l’occasion d’en discuter
les raisons ultérieurement.
Voici plusieurs exemples d’expositions qui vont nous permettre de bien fixer les points
décrits ci-dessus, mais aussi de découvrir différentes manières de traiter ce moule général.
Ils sont tirés de sonatines et sonates de Clementi, Kuhlau, Mozart, Beethoven, etc…
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113
Le ton principal (do majeur) s’étend de la mesure 1 à la mesure 8. Son groupe thématique
GTA est constitué d’une phrase de 8 mesures qui se ponctue par une demi-cadence.
Nous sommes ici devant un deuxième procédé harmonique de ponctuation d’un GTA puisque
dans le menuet de Mozart cité plus haut le ton principal était quitté après une cadence
parfaite.
Ce thème (en l’occurrence une phrase) se subdivise clairement en 2 propositions de 4
mesures.
Entre maintenant le ton de la dominante (mesure 8) accompagné de son idée musicale GTB.
Celle-ci se caractérise, entre-autre, par une texture d’accompagnement différente61.
C’est un continuum de croches qui soutient les 4 premières mesures de cette phrase. Celle-ci
contraste également par divers éléments tels que ; une amorce anacrousique, un caractère plus
doux (dolce), etc…
Ce second groupe thématique, qui va de la mesure 8 (anacrouse) à la mesure 15, se ponctue
par une cadence parfaite très marquée par le pattern harmonique I – II – V7 – I des mesures
13 à 15.
Le GTB s’articule en une proposition de 4 mesures (accompagnement de croche à la main
gauche) et une petite proposition conclusive de 3 mesures.
Si plusieurs contrastes distinguent bien chaque groupe thématique, des similitudes existent.
Et pour cause, c’est bien le même morceau !
61
Le changement de la formule d’accompagnement pour faire contraster deux groupes thématiques est un
procédé courant. Il n’est pas rare de voir un GTB s’accompagner d’une basse d’Alberti lorsque le premier
groupe thématique s’accompagnait d’une écriture de type plus homorythmique et inversement.
62
Lorsque la coda est de courte dimension et qu’elle n’a pour mission que la confirmation tonale sans prétention
de développement motivique ou thématique, certains auteurs la nomment plus volontiers « codetta » (petite
coda) ou encore, « groupe de cadence ». Nous en reparlerons un peu plus loin.
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Exemple XVII.4
L’exemple suivant est une exposition d’une sonatine de Clementi faite dans le même moule.
Une différence toutefois : le premier groupe (GTA) se ponctue (tout comme le petit menuet
de Mozart) par une cadence parfaite dans le ton principal.
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116
Nous pourrions représenter graphiquement la forme générale, ainsi que les différentes
propositions qui constituent chaque groupe thématique, de la manière suivante :
Exemple XVII.6.
S’il y a bien contraste entre les deux motifs générateurs de ce premier groupe thématique de
sonatine (mouvements disjoints et conjoints), deux éléments les unifient clairement : il s’agit
des trois croches répétées des mesures 1, 3 et 4 ainsi que le motif d’accompagnement fait
d’un continuum de croches sur pédale de tonique.
S’ouvre maintenant le ton de la dominante. Tout comme le GTA, ce sont trois propositions,
suivies cette fois d’une coda (de 24 à 26), qui constituent le second groupe thématique.
63
Nous l’avions déjà signalé au chapitre X, la cadence évitée est, pour certains théoriciens, synonyme de
cadence rompue. Dans notre étude, la « cadence évitée » doit être comprise comme un événement musical ne
réunissant pas tous les paramètres nécessaires à la cadence parfaite. Dans l’exemple discuté ici, ces paramètres
sont presque tous réunis, à l’exception de l’arrêt de la phrase sur la tonique à la partie supérieure (mélodie).
C’est la continuité mélodique (do ; ré ; mi) qui empêche la conclusion de la phrase, la cadence parfaite.
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C’est tout d’abord la proposition C1 qui énonce un matériau neuf tant sur le plan mélodique
que sur celui de l’accompagnement.
La seconde proposition D1 reprend quant à elle des éléments déjà entendus dans le GTA.
C’est son fond mélodique fait de mouvements d’arpèges ainsi que la texture de son
accompagnement qui assurent la cohérence et l’unité entre les deux grandes parties de
l’exposition (la proposition D2 n’est qu’une variation de D1).
Signalons encore le procédé de cadence évitée de la mesure 21 qui n’est pas sans nous
rappeler la mesure 8. La cadence, qui avorte aux mesures 20 et 21, se réalise aux mesures 23
et 24.
Les trois exemples observés jusqu’ici ont un premier groupe thématique qui se ponctue soit à
la tonique (cadence parfaite) soit à la dominante (repos ou ½ cadence) du ton principal. Mais
il peut arriver que la fin du GTA annonce déjà clairement le ton de la dominante. C’est le cas
de la sonatine de Clementi op 36 n°1.
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L’exposition de cette sonatine est extrêmement courte puisqu’elle ne totalise que 15 mesures.
Le premier groupe thématique de 8 mesures est fait de deux propositions. La première, A1, se
ponctue par un repos à la dominante (mesure 4) tandis que la seconde, A2, amène clairement
le nouveau ton. Elle amorce même une cadence au ton de la dominante que Clementi utilise
comme départ du second groupe thématique à la mesure 8 (procédé de tuilage)64.
C’est la première fois que nous rencontrons un GTA modulant. Ceci va nous obliger à
réfléchir à la manière dont nous allons analyser cette modulation. A quel moment quitte-t-on
le ton de la tonique ? Par quel procédé Clementi nous entraîne-t-il au ton de la dominante ?
S’il ne fait aucun doute que la première proposition est entièrement en do majeur et sera donc
chiffrée au ton principal, l’analyse harmonique de la seconde doit tenter de montrer le
« mécanisme » de modulation.
Pour y arriver nous utiliserons ce qu’il est convenu d’appeler le « multi-chiffrage ».
Il s’agit tout simplement de chiffrer cette proposition dans le ton convoité mais aussi, ici les
deux premières mesures, au ton principal.
Exemple XVII.8.
en DO I I V/V V
(I)
en SOL IV IV V I II V I
Terminons l’analyse de l’exemple XVII.7 : Clementi enchaîne, nous devrions dire « tuile » la
fin du GTA et la tête du GTB. Ce deuxième groupe thématique, entièrement au ton de la
dominante, a les mêmes proportions que le GTA. Il est construit en deux propositions de 4
mesures dont la seconde (C) cadence par le pattern II V I (mesures 13 à 15).
L’exemple suivant est de Beethoven. Il est cette fois en mode mineur, ce qui va provoquer ici
une modulation au ton du relatif (nous avions déjà évoqué cette autre modulation structurante
au chapitre IX).
64
Cette manière d’enchaîner harmoniquement les deux groupes thématiques est assez exceptionnelle.
Lorsque le GTA est modulant, il se ponctue la plupart du temps sur la dominante du nouveau ton.
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Toujours afin de bien saisir le mécanisme de modulation, il est utile de chiffrer dès la mesure
11 dans le ton du relatif - l’analyse harmonique au ton principal pouvant quant à elle se
poursuivre jusqu’à la mesure 14.
11
Avant d’aller plus loin dans notre étude, voici une synthèse des différentes ponctuations
tonales du GTA étudiées jusqu’ici.
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Si la modulation est un des moyens de préparer la venue du nouveau groupe thématique, une
« transition » ou, pour reprendre la terminologie de Czerny, un « pont », peut s’avérer tout
aussi efficace.
Le pont65 est une section, modulante ou non, qui, comme son nom l’indique, crée une
passerelle entre les deux groupes thématiques d’une exposition de sonate.
Son matériau musical peut être emprunté à celui du GTA ou éventuellement préparer celui du
GTB. Mais il peut aussi avoir son propre matériau thématique. Comme nous le verrons à
travers quelques exemples, il arrive que ses proportions soient aussi importantes, voire plus
importantes, que le premier groupe thématique lui-même. C’est en particulier à partir de
Beethoven que cette section de l’exposition s’émancipe de manière remarquable.
Contrairement à ce qui a été proposé dans ce début de chapitre, nous ne ferons que peu
d’analyse motivique et harmonique. Mais nous inviterons régulièrement l’apprenti analyste à
se lancer dans celles-ci.
Il veillera dans ce cas à utiliser les différents outils proposés dans les chapitres précédents
(analyse paradigmatique, multi-chiffrage, …)
Dans cet extrait de la sonate pour piano KV. 283 de Mozart, le « pont non modulant » a un
matériau musical qui lui est propre.
Il a pour mission, et son mouvement ascendant progressif est en parfaite adéquation avec
celle-ci, de nous faire désirer la venue d’un événement musical neuf. Véritable tremplin, il se
porte vers l’accord de dominante du ton principal alors que le GTA s’était ponctué par une
cadence parfaite au ton principal. Ce pont relance donc le mouvement interrompu par la
cadence parfaite. Mais surtout, il dramatise le discours musical, fait croître le suspense. Il va
nous amener à recevoir dans les meilleures conditions d’attention possible le nouveau
protagoniste de l’histoire : le séduisant ? violent ? tendre ? … GTB.
65
Dans son ouvrage déjà cité plus haut, Rosen utilise plus volontiers le terme de transition.
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Dans cet autre extrait, tiré de la sonate pour piano op 49 n°2 de Beethoven, le GTA n’est pas
conclu par un mouvement cadentiel. Il se prolonge, se tuile au pont.
De plus, contrairement à l’exemple de Mozart ci-dessus, le matériau thématique de ce pont,
toujours non modulant, est directement dérivé de la cellule en triolet entendue dans la toute
première mesure de la sonate. Son rôle est de créer ici une tension harmonique (c’est bien
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entendu toujours l’idée de dramatiser le discours qui compte). Cette tension, Beethoven la
réalise à l’aide d’une grande dominante tenue pendant 6 mesures - ce que nous pouvons
qualifier de « suspense à la dominante66 ». Cette longue pédale, qui constitue une des formes
possibles d’un pont, conditionne très clairement notre attente de quelque chose d’important,
en l’occurrence l’entrée imminente du GTB.
66
Ce terme est emprunté à l’ouvrage de Jean-Claude Baertsoen déjà cité plus haut. Nous aurons l’occasion d’en
reparler lors de l’étude du développement.
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Voici un dernier exemple de pont non modulant dont le matériau thématique est directement
lié à la dynamique générale du GTA. Ici aussi, tout comme dans l’exemple précédent, il
s’enchaîne directement au premier groupe thématique.
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Le propos d’un pont modulant n’est pas fondamentalement différent de celui du pont non
modulant. C’est de transition et de dramatisation qu’il est toujours question. L’intention du
compositeur est de provoquer une tension, créer un rebondissement dans l’intrigue.
De la même manière que pour un pont non modulant, le matériau thématique peut être
original au GTB, dérivé du premier groupe thématique ou encore préparer le matériel
thématique.
Le premier exemple, tiré d’une sonatine de Kuhlau (op 20 n°1), propose un pont modulant
utilisant très clairement la tête du GTA. Il commence dès la mesure 9 (avec son anacrouse)
pour s’étendre sur 8 mesures. C’est en particulier au moment de la minorisation de l’accord
de tonique (mesure 13) qu’il y a « dramatisation » du discours. Toujours afin de bien saisir le
processus de modulation, nous chiffrerons cette séquence et ce, dès la mesure 13, dans le ton
de la dominante. Mais nous pourrions aussi, et l’articulation entre le GTA et le pont nous y
pousse, chiffrer tout le passage dans le ton convoité. Dans ce cas nous pratiquerons, comme
le montre l’exemple XVII.13, un multi-chiffrage pour les 5 premières mesures du pont.
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Le second exemple est tiré de la première sonate pour piano de Beethoven déjà cité au
chapitre consacré à l’analyse mélodique.
Il est assez remarquable de voir que ce pont, qui commence dès le dernier temps de la mesure
8, occupe une place temporelle plus importante que le GTA lui-même. Tout comme dans la
sonatine de Kuhlau, son matériau thématique est issu du GTA avec toutefois une différence
notable. C’est une transposition du motif initial au ton de la dominante qui ouvre le pont.
Beethoven joue, comme il aime souvent le faire (tout comme Haydn d’ailleurs) sur une sorte
d’ambiguïté. En nous faisant croire un moment à une nouvelle présentation de la phrase
initiale transposée au ton de la dominante, alors que le ton convoité pour le GTB est
clairement celui du ton de relatif, le Maître viennois donne à ce début de pont modulant une
force toute particulière. C’est une surprise, un rebondissement tonal, qui dramatise le
discours.
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Partant du ton de fa mineur, c’est donc le ton du relatif - lab majeur - qui accueille le GTB et
structure tonalement cette exposition.
Aussi, afin de bien saisir le processus de modulation, il nous faut analyser tout ce passage
dans le ton convoité par Beethoven. C’est donc tout naturellement en lab que nous avons
chiffré tout le pont modulant.
mesures
9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20
do min I IV7
Ce chiffrage met à jour des patterns harmoniques fondamentaux mais nous montre aussi
l’insistance avec laquelle le Maître viennois fait entendre la dominante du ton du relatif (elle-
même préparée par sa propre dominante). Nous sommes presque en présence d’un suspense à
la dominante faisant suite au processus de modulation lui-même. Il est d’ailleurs tout à fait
remarquable de voir l’incidence de cette dominante sur la suite du discours. C’est en effet sur
la prolongation de cette dominante, à la mesure 20, que le GTB fait son entrée.
Inutile d’insister ici sur les relations d’ordre thématique qui existent entre le GTA et le pont.
Elles sont tout de suite lisibles. Par contre, dans cet autre exemple de Beethoven extrait de la
sonate pour piano op 10 n°1, lui aussi déjà cité plus haut, le matériau musical du pont est tout
à fait original et nous prépare à l’arrivée du second groupe thématique au ton du relatif
(mesure 56). Nous avons repris dans cet exemple la fin du GTA, le pont et le début du GTB.
Observez attentivement ce pont modulant qui, pour amener le ton du relatif, emprunte un
chemin modulant particulier. Pourriez-vous le chiffrer et tenter d’expliquer le processus de
modulation par rapport au ton convoité pour le GTB ? Peut-être aussi qu’une partie de ce
pont peut s’interpréter dans le ton principal de do mineur ? Alors le multi-chiffrage sera d’un
certain secours.
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Voici un dernier exemple extrait du troisième mouvement de la première sonate pour piano
de Mozart KV 279. Ici, contrairement aux exemples précédents, Mozart marque une
articulation très nette entre le pont (qui commence dès la mesure 11) et le GTB. C’est la
dominante du nouveau ton (mesure 23) qui ponctue cette séquence et introduit le nouveau
groupe thématique.
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Avant d’aborder l’étude de la dernière partie de l’exposition d’une forme sonate, la coda,
voici une synthèse des différentes ponctuations tonales d’un pont.
Cette dernière possibilité, bien que relativement peu courante chez les classiques, mérite un
commentaire particulier, car elle imprime au discours musical un effet de surprise, un
rebondissement tout à fait inattendu. Le terme de dramatisation prend là aussi tout son sens.
Dans la sonate pour piano op 10 n°2 à l’exemple XVII.17, Beethoven utilise ce procédé de
déviation, nous pourrions dire de fausse piste tonale, pour créer une dramatisation toute
particulière. Il nous laisse, au seuil du second groupe thématique, devant un mystère.
Ce « geste » musical n’est pas sans incidence sur le reste du texte. Beethoven nous
emmènera, tout au long du premier mouvement, dans une série d’autres fausses pistes.
L’organisation du GTA est lui-même, en partie, conditionné par le projet général de cette
sonate (projet général qu’un Haydn aurait pu titrer « l’hésitation »).
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Elle est, nous l’avons dit plus haut, le moment de la confirmation du ton de la dominante (ou
du relatif). Cette confirmation tonale peut prendre des aspects sensiblement différents d’une
œuvre à l’autre. En effet, certaines codas, et nous dirions plus volontiers dans ce cas
« codetta », n’ont pour seule mission, nous l’avons déjà dit, que d’affirmer le ton structurant
par de nombreuses répétitions cadentielles. Mais d’autres formes de coda – le terme coda
prend alors tout son sens - ont, en plus de leur fonction conclusive, un rôle à jouer sur le plan
thématique. La plupart du temps c’est le matériau mélodique ou motivique d’un des deux
groupes thématiques, voire des deux, qui alimente la coda. Mais il peut arriver aussi qu’elle
ait son propre matériau.
Nous ne nous étendrons pas plus sur cette dernière partie de l’exposition d’une forme sonate
car nous en reparlerons lors de l’étude de la réexposition. L’exemple XVII.18, le seul que
nous donnerons ici, a la particularité et l’avantage, de faire entendre une coda suivie d’une
très courte codetta. Il est extrait de la sonate KV 283 de Mozart déjà citée plus haut.
L’exemple reprend la fin du GTB suivie de la coda (mesure 43) et de la codetta (mesure 51)
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Le matériau thématique de cette coda est très clairement dérivé du GTB. Comparez les
mesures 45 et 23 tant sur le plan rythmique que thématique ainsi que, rythmiquement, les
mesures 31 et 51. D’autres correspondances peuvent encore être mises à jour, mais il semble
que celles proposées ici soient suffisamment parlantes.
Afin de bien ancrer les données étudiées dans ce chapitre consacré à l’exposition, nous
proposons au lecteur de prendre trois mouvements de sonate de Mozart : la sonate pour piano
KV 280, premier et second mouvement et le mouvement lent du quatuor à cordes KV 160.
Analysez l’exposition de ces trois pièces en essayant de dégager les particularités de chaque
groupe thématique ainsi que les éventuelles similitudes qui les unifient. Chacun de ces
mouvements mérite également d’être étudié de près sur le plan harmonique.
Aussi, afin de pousser votre investigation le plus loin possible, n’hésitez pas à utiliser les
« outils analytiques » tels que l’analyse paradigmatique, le multi-chiffrage, etc.
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2. Le développement
Le terme de développement, tout comme celui de sonate comme nous l’avons vu au début de
ce chapitre, peut être compris de deux manières. Le terme général désigne l’ensemble des
moyens utilisés pour modifier, transformer, étendre, …, une idée musicale exposée
préalablement. Le second sens donné au terme développement est formel. Il s’agit de la
deuxième grande section de la forme sonate. Nous nous occuperons de définir les deux
acceptions du terme car la section développement (sens formel) utilise le plus souvent - mais
pas toujours - des procédés de transformations, d’extensions, d’éléments thématiques et/ou
motiviques entendus dans l’exposition.
Dans son sens formel, le développement a pour mission première de prolonger et d’intensifier
les tensions mises en jeu dans l’exposition. Cette prolongation de la tension peut s’opérer à
divers niveaux : plan modulant, matériel thématique et motivique, dynamiques, etc.
Les moyens mis en œuvre pour créer cette tension font du développement la section où la
dramatisation du discours est, le plus souvent, la plus forte. Rebondissements inattendus,
déchirements thématiques et motiviques, fausses pistes tonales, grands contrastes
dynamiques, etc., sont quelques-uns des ingrédients des développements de grandes
dimensions que nous étudierons chez Mozart, Beethoven et Schubert entres autres.
Mais avant d’examiner des développements de grande envergure dans leur globalité, nous
allons commencer par en étudier quelques-uns en essayant de comprendre leur organisation
sur le plan tonal. C’est donc dans ce cas le sens général du terme qui nous intéressera.
Nous les reprendrons ensuite en tentant d’en dégager les propriétés thématiques et
motiviques, dynamiques, etc.
Hormis quelques cas exceptionnels de formes sonates sans ce développement67 (par exemple
la sonatine op. 37 n°1 de Clementi), les développements les plus courts consistent en une
pédale de dominante au ton principal. Plus qu’un développement à proprement parlé, il s’agit
plutôt d’une transition qui à pour mission de ramener le GTA et donc la réexposition
(certains auteurs qualifient cette zone de « retransition »). C’est le cas de la sonatine de
Clementi op 36 n°3 (cette sonatine a déjà fait l’objet d’une étude au paragraphe consacré à
l’exposition exemple XVII.5). Mais ce petit développement a, malgré son parcours tonal
minimum, une inflexion tonale particulière (nous pourrions dire ici modale). Il s’agit de la
minorisation du ton principal (ton direct) qui, à la 6ème mesure de ce développement,
« dramatise » le discours musical. Ce passage au ton direct est en relation avec un
changement dynamique et motivique dont nous parlerons plus tard.
67
On rencontre quelques autres cas de forme sonate sans développement notamment chez Haydn.
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Dans ce même op 36, mais le n°1 cette fois (déjà cité à l’exemple XVII.7.), Clementi
compose tout son développement en do mineur (ton direct du ton principal).
Ce développement, tout comme celui de l’op 36 n°3 d’ailleurs, commence et se ponctue par
l’accord de dominante du ton de la tonique.
Malgré la simplicité du procédé, la minorisation est d’un effet assez efficace et prend, sous la
plume de Clémenti, l’allure d’un véritable contraste.
Mozart, dans le second mouvement de son quatuor à cordes KV 160 déjà cité plus haut, fait
un développement tout aussi court que ceux de Clémenti dans les deux sonatines proposées
ci-dessus. Tout comme chez Clementi, il débute et se ponctue par la dominante du ton
principal - ton dans lequel il est entièrement composé. La seule différence est l’absence de
tout contraste modal.
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23
V V I I I IV II V
D D
Dans ces 3 premiers exemples, le développement commence tout de suite au ton de la tonique
et par son accord de dominante. Cet accord de dominante du ton principal n’est en réalité que
le prolongement du ton de la dominante (ton dans lequel l’exposition avait cadencé) et,
malgré la dramatisation due au ton direct chez Clementi, ou à tout autre procédé d’ailleurs, ce
type de développement, nous l’avons dit, n’est, la plupart du temps, qu’une forme de
transition.
Si le développement peut commencer par la dominante du ton principal il peut tout aussi bien
débuter dans le ton d’arrivée de l’exposition et donc rester (nous pourrions dire prolonger) au
ton de la dominante avant de revenir au ton principal et à son « presque » inévitable accord
de dominante de transition vers la réexposition.
Nous sommes cette fois en présence d’un vrai développement, tant par ses proportions que
par les procédés d’écritures utilisés (nous y reviendrons lors de l’analyse thématique).
Après une phrase de 8 mesures au ton de la dominante, Mozart nous fait entendre un
suspense à la dominante du ton principal qui ne dure pas moins de 10 mesures. Le suspense
(presque toujours sous la forme d’une pédale) avant l’entrée de la réexposition et du GTA qui
l’accompagne, est un procédé extrêmement fréquent - rappelons que c’est l’accord de
dominante qui est le plus efficace pour faire désirer le retour de la tonique. Les auteurs, par
ce procédé, nous préparent au retour du GTA. Ils balisent véritablement le discours.
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Nous pouvons symboliser les parcours étudiés jusqu’à présent de la manière suivante :
1. Retour à la tonique
V (V) « GTA »
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V « GTA »
Nous avons provisoirement occulté le cas des sonates en mineur. Nous y reviendrons plus
tard, car il semble - mais une étude systématique devrait être menée - que le mode mineur
implique un développement dont le chemin modulant fait appel à d’autres tonalités que celles
entendues dans l’exposition68.
Si les premiers exemples examinés ici n’ont mis en jeu que les tonalités déjà entendues dans
l’exposition, la plupart des développements de forme sonate vont aller visiter un, voire
plusieurs tons proches du centre de gravité qu’est la tonique.
Beethoven, dans sa sonate pour piano op 49 n°2 en sol majeur (exemple XVII.22.) déjà
évoquée plus haut, va amener le ton central du développement, mi mineur (ton du relatif), par
un court passage au ton de la mineur (ton relatif de la sous-dominante) pour ensuite ramener
le ton de la tonique par un pattern de 5te. Voici en résumé le parcours tonal et harmonique :
D ré maj.
T sol maj.
VI II V I
R mi min.
IV V I V/V V I
69
R - S.D la (pédale)
IV V I I
68
Pour éviter toute confusion, précisons que nous ne considérons pas le ton direct comme une véritable
modulation. Dans les deux exemples de Clementi proposés ci-dessus, celui-ci est à nos yeux un simple
changement modal.
69
Les flèches verticales symbolisent le multi-chiffrage : analyse d’une séquence harmonique dans deux tons
différents afin de vérifier la pertinence des patterns harmoniques.
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Pour bien saisir la trajectoire tonale de ce développement, il faut la mettre en rapport avec
l’exposition et donc considérer maintenant le plan tonal dans sa globalité. Des choses
intéressantes se dégagent.
Les tonalités exploitées dans l’exposition et le développement, avant le retour au ton
principal, sont :
Le début du développement mérite lui aussi qu’on s’y arrête quelques instants.
Beethoven le lance par la minorisation de l’accord de conclusion de l’exposition. Il s’agit là
sans nul doute d’un geste de dramatisation du discours par un procédé harmonique que le
Maître viennois a souvent utilisé ainsi que Mozart et Haydn. Cet accord mineur nous laisse
devant l’attente d’une direction tonale et en particulier dans le cas qui nous préoccupe -
accord joué « f » et mis en suspension dès le troisième temps de la mesure.
Si dans le développement qui nous occupe, l’accord minorisé a un rôle harmonique de sous-
dominante du ton du II, il peut aussi nous emmener vers d’autres tonalités. Le début des
développements des sonates KV 279 –1er mouvement (mesure 39), KV 284 –1er mouvement
(mesure 52) ainsi que la toute fin de l’exposition de la sonate op 2 n° 2 de Beethoven –1er
mouvement, nous en donne quelques exemples.
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Dans le premier mouvement de son quatuor avec flûte KV 285A en sol majeur, Mozart
choisit, pour le développement, un chemin modulant qui va le conduire du ton de la
dominante (ré majeur ; ton de conclusion de l’exposition) au ton du relatif (mi mineur ; ton
du VI), avant d’évoquer le ton du II (la mineur) et de ramener le ton principal – et la
réexposition – par l’accord de dominante.
Les différents tons abordés dans ce développement n’ont pas tous le même poids. Ils sont en
quelque sorte hiérarchisés. Le ton de la dominante et celui du VI tiennent une place
importante. Ils s’étendent tous deux sur quatre mesures, effectuent un pattern harmonique
complet (I – IV – V – I ou VI) et se ponctuent par une formule cadentielle (ré majeur par une
formule parfaite à la mesure 38 de l’exemple XVII.23 et mi mineur par une cadence rompue
à la mesure 42). Par contre, le ton du II, de par ses proportions temporelles et son rôle
clairement défini de préparation de la dominante du ton principal, est à un rang hiérarchique
inférieur.
Il agit d’avantage comme une tonalité de transition, que comme une réelle modulation.
V VI II V I
Tonalité Emprunt Accord Réexposition
mesures : 35 à 38 39 à 42 43 et … 48
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Ce parcours modulant choisi par Mozart donne clairement une trajectoire qui n’est pas sans
rappeler un pattern harmonique bien connu (V – VI – II – V – I). Ce pattern est du reste
entendu dès les premières mesures du quatuor qui deviennent en quelque sorte le
« programme modulant » du développement.
Exemple XVII.24.
I I V [V/VI] VI II V/II II V I
6
4
Cette stratégie compositionnelle qui consiste à utiliser un mouvement harmonique significatif
de l’exposition comme parcours modulant n’est pas l’apanage du seul Mozart. Bach, pour ne
citer que lui, utilise chronologiquement chaque note du sujet des fugues en do mineur et en si
mineur du deuxième cahier du clavier bien tempéré, comme tonalités pour l’organisation de
la fugue.
Continuons notre investigation par une sonate en mineur. Nous prendrons l’op 49 n°1 de
Beethoven déjà cité à l’exemple XVII.9.
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Après une exposition se ponctuant au ton du relatif (sib majeur – mesure 33 dans l’exemple
ci-dessus), Beethoven ouvre son développement en conférant à l’accord de sib la fonction de
dominante du ton de mib majeur (ton du VI – sous-dominante du relatif). Ce ton de mib se
présente comme le ton central du développement dans lequel Beethoven fait entendre une
idée musicale neuve (mesures 39). C’est ensuite, dans la seconde partie du développement,
une marche harmonique (transition – mesure 47) qui va ramener le ton principal avant
d’annoncer la réexposition par un long suspense à la dominante (mesures 55 à 64) introduit
par un accord de sixte augmentée (mesure 54).
sib
V I I
S-D du R
mib
V V7 I II V I V I IV V I V I II
V
sol
VI V/VI VI V/IV IV V I V I V/V V
(6 aug) pédale
S-D du R
mib I V I V/VI VI
« transition » « suspense »
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Nous ne prendrons ici qu’un seul exemple car ce point sera encore discuté lorsque nous
aborderons l’analyse de développements dans leurs globalités. Nous verrons aussi, sans pour
autant s’étendre trop largement car ce sera l’objet du chapitre suivant, comment le matériau
thématique est en parfaite adéquation avec le plan modulant.
Après une cadence très marquée en sib majeur (groupe cadentiel au ton du relatif – mesures
94 à 99) et le mouvement V – I en sol mineur nécessaire à la reprise de l’exposition (mesures
100 et 1er temps de 101), Mozart ouvre son développement par un accord de 7ème diminuée
sur le second temps de la mesure 101. Accord « ouvert » par excellence, la 7ème diminuée
nous laisse devant l’inconnu, devant l’interrogation du ton à venir. Après ce geste hautement
dramatique, Mozart nous emmène, par le mouvement descendant des bois (mesures 102 à
105), vers le ton de fa# mineur qui se confirme dès l’entrée du 1er thème aux violons.
Exemple XVII.26.
Une fois fa# installé il se dirige vers le ton de mi mineur (mesure 115) par un mouvement de
5tes descendantes (sol# - do# - fa# - si - mi).
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147
Exemple XVII.27.
Cette nouvelle tonalité, mise en évidence par la dynamique mais aussi par la texture
orchestrale, ne restera qu’un court instant et cédera la place à ré mineur (mesure 119). Cette
tonalité (ou emprunt, nous en discuterons dans un instant) laisse la place à do majeur
(mesure 123). Mozart crée ici, par la majorisation et l’éclairage harmonique qu’il provoque,
un effet dramatique tout à fait remarquable. En effet, les appuis entendus jusqu’à présent
(fa#, mi et ré) sont tous dans le mode mineur. Par cette majorisaton, Mozart évite de
poursuivre cette descente d’accords mineurs par tons entiers au-delà de la tonalité de sol
mineur (ton principal) et donc au-delà des deux bémols (fa# = 3#, mi = 1#, ré = 1b, do = 3b et
donc do majeur = aucune altération).
Chacun des points d’appuis décrit ci-dessus est amené par sa propre dominante et donc toutes
les fondamentales entendues sont dans un rapport de 5tes descendantes. Et en réalité, comme
le montre l’exemple XVII.28, c’est toute la première section du développement qui
fonctionne à partir d’un grand pattern de 5tes. Parti de fa# mineur, Mozart nous emmène
jusqu’au ton de sib majeur (mesure 127) avant de se stabiliser sur un suspense à la
dominante en ré mineur à la mesure 134 (ton de la dominante de sol mineur)
Si ce sont bien des 5tes descendantes qui organisent le parcours harmonique de la première
partie de ce développement, des hiérarchies se dégagent car toutes les fondamentales, nous
l’avons déjà évoqué plus haut, n’ont pas le même poids. Au premier rang de la hiérarchie
nous avons les tonalités qui constituent de véritables points d’ancrages (ligne A dans
l’exemple XVII.28). Elles donnent des zones plus ou moins stables tonalement. Au second
rang (B) nous avons ce que nous considérons comme des emprunts. Ils sont extrêmement
rapides et parfois fugitifs. Le troisième rang (C) reprend toutes les fondamentales en pas de
5tes (certaines harmonies secondaires ne sont pas reprises ici).
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Exemple XVII.28.
B fa# mi ré do sib ré
mesures
101 105 107 109 111 113 115 118 119 122 124 126 127 128 129 130 131 132 134
I II III IV
transition changement de dynamique tutti
suspense
A sol
B sol
V VI
marche pour ramener le ton suspense réexposition
Comme le montre le niveau A, Mozart ne stabilise que le ton de ré mineur et en partie le ton
de fa# mineur, qui ouvre le développement, ainsi que celui de sib majeur (retour du ton du
relatif). Ce dernier, à la mesure 128, est marqué par un changement de la dynamique et de la
texture orchestrale. Tout le reste n’est qu’emprunts ou simples harmonies associées à ces
emprunts.
Si nous considérons les tonalités les plus marquantes depuis le début du mouvement, nous
pouvons constater qu’elles sont toutes dans des rapports de tierce. Une seule exception : les
deux dernières tonalités (ré mineur et sol mineur) sont dans un rapport de 5te descendante
V – I. Signalons encore que les trois dernières tonalités marquées donnent l’accord parfait de
sol mineur.
70
sol mineur, ton principal et sib majeur, ton de la conclusion de l’exposition, ont été repris pour les besoins de
la démonstration.
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Dans l’exemple XVII.29., nous avons mis en regard (analyse paradigmatique) la première
partie du GTA (a) et les différents traitements opérés par Mozart dans son développement.
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Comme le montre assez clairement cette réécriture, seules les deux premières propositions du
GTA sont exploitées sur le plan mélodique (nous pourrions dire la première, puisque la
seconde n’est qu’une répétition transposée, pour les besoins de l’harmonie).
Le début du développement reprend ces deux propositions quasi intégralement avec des
modifications qui interviennent essentiellement aux désinences.
En « b » (signalé par I dans l’exemple XVII.28), c’est d’abord le dernier intervalle qui
change (cette modification est liée au contexte harmonique déjà étudié plus haut). La seconde
modification (deuxième système de b) est conditionnée par la dynamique et le mouvement
que Mozart imprime à la musique au moment de l’arrivée du ton de mi mineur.
« c » (II de l’exemple XVII.28) reprend les propositions en variant les registres et les
désinences. La dernière proposition de « c », celle en sib majeur (III dans l’exemple
XVII.28), se débarrasse de la désinence des notes répétées pour ne garder en « d » que le
mouvement de 6te ascendante et la descente en mouvement conjoint. « d » élide également la
tête du thème, le mouvement anacrousique.
Le suspense à la dominante en ré mineur ainsi que toute la marche pour ramener le ton de sol
mineur (« e » et IV ; V dans l’exemple XVII.28) ne garde que la tête du thème (anacrouse) et
la désinence (les notes répétées) va se voir élider d’un son en « f ». Enfin, Mozart ne gardera
en « g » que la cellule génératrice initiale (intervalle de seconde descendante mais aussi
ascendante) pour le suspense à la dominante en sol mineur.
On voit clairement se dégager le procédé d’élision progressive. Ce procédé a pour effet, au
moment où Mozart ne garde que la cellule génératrice associée au suspense de dominante
« g », de provoquer une grande tension et de donner le besoin à l’auditeur d’arriver au saut de
6te libérateur71.
Cette brève analyse montre combien le lien qui existe entre le développement tonal et
thématique est source d’unité et de cohésion. Le chapitre suivant aborde l’analyse de
quelques développements sous l’angle du traitement thématique et motivique avant de passer,
pour terminer, à l’étude de deux développements dans leur globalité.
71
Notons que ce procédé sera abondamment utilisé par Beethoven et entre autre dans les transitions. Tout le
développement de la Sonate op. 28 en RE Maj est construit à partir de ce procédé d’élision progressive de la
thématique.
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En reprenant quelques-uns des exemples proposés ci-dessus nous allons avoir un échantillon
assez large des diverses possibilités de traitement thématique et motivique dans un
développement de forme sonate.
Exemple XVII.30.
Le développement s’ouvre par l’arpège initial du GTA, mais cette fois en renversement. La
désinence de ce motif d’arpège est empruntée la première fois à une partie du GTB et la
seconde fois à la gamme montante entendue dès la deuxième mesure du GTA.
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Dans ce même op 36 n°1, cité aux exemples XVII.7 et XVII.20, Clémenti utilise la première
proposition du GTA pour construire son développement.
Exemple XVII.31.
Ces deux premiers exemples montrent comment un développement, court dans les deux cas,
utilise le matériel thématique de l’exposition.
Beethoven, dans la sonate op 49 n°2 (exemples XVII.11 pour l’exposition et XVII.22 pour le
développement), utilise également les idées thématiques entendues dans l’exposition mais les
manipule avec plus d’audace.
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Nous avons repris aux deux premières portées les éléments motiviques qui, par leurs profils
mélodiques et/ou leurs caractéristiques rythmiques, semblent constituer la source de ce
développement.
Celui-ci commence par deux propositions de 3 mesures directement dérivées des GTA et
GTB (« a et b »).
Les deux derniers temps de la dernière mesure de « b » préparent la pédale de dominante de
mi mineur et la formule rythmique « c » inspirée de la troisième mesure du GTA. Ces 4
croches descendantes, qui peuvent être mises en rapport avec plusieurs motifs ou cellules de
l’exposition, vont également servir à l’élaboration de la transition vers la réexposition « d » et
« e ».
Les procédés de développement que nous venons d’examiner dans cette sonate sont fréquents
chez Beethoven. A tel point que la transformation des cellules ou motifs des groupes
thématiques que nous venons de démontrer pourrait s’expliquer différemment. Nous
pourrions par exemple rapprocher les deuxièmes mesures de « a » et « b » de la seconde
mesure du GTA qui, par la broderie du sol et le mouvement ascendant qui suit, est à l’origine
du GTB comme nous pourrions également mettre le tout début du développement en rapport
avec les gammes ascendantes et descendantes de la seconde partie du GTB (mesures 36 et
suite).
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Multiplier ce type d’exemples chez le Maître viennois est chose aisée tant la volonté de créer
une unité thématique est présente non seulement dans le développement mais aussi au sein
d’un mouvement, voire au travers des différents mouvements d’une œuvre.
L’analyse paradigmatique non exhaustive qui suit le démontre clairement. Nous avons repris
quelques éléments du GTA et nous les avons mis en regard avec le pont mais aussi avec le
GTB et la coda.
Exemple XVII.33
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72
La ligne qui relie la répétition d’un motif signale la possibilité de le mettre en relation avec d’autres
événements.
73
Notons au passage la similitude qui existe entre le début de l’op 49 n°1 et 2.
Outre le rapport tonal évident (sol majeur pour l’une et sol min pour l’autre) Beethoven utilise dès le début du
GTA une même figure de broderie du sol – deuxième mesure dans l’op 49 n°2 et première dans le n°2.
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Mozart, dans la sonate pour piano KV 283 citée aux exemples XVII.10 et XVII.21, construit
toute la première partie de son développement à partir des hauteurs entendues dans le GTB
sans se soucier du rythme qui leur était attribué. Comme la phrase de Beethoven en mib
majeur que nous venons de voir dans le développement de l’op 49 n° 1, celle de Mozart est
construite en deux propositions dont la seconde est une variation ornementale de la première.
Avec son caractère léger aux allures de petite valse, cette phrase sonne comme quelque chose
de tout à fait nouveau et contrastant et ce, malgré le lien qui la rattache au GTB.
L’exemple XVII.35. reprend les huit premières mesures du développement et la trajectoire
des hauteurs du début du GTB.
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Exemple XVII.35
Après cette phrase de huit mesures, Mozart amorce le suspense à la dominante au ton
principal sol majeur pour réintroduire le GTA et donc la réexposition.
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Comme souvent chez Beethoven, ces premières mesures constituent le germe des autres
idées.
Le pont reprend la tête de ce premier groupe thématique pour amener le second qui ne
compte pas moins de trois idées musicales différentes.
Exemple XVII.37
Exemple XVII.38.
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La deuxième partie, qui est aussi la partie centrale de ce développement qui en compte trois,
utilise, à partir de la mesure 77 jusqu’à la mesure 94, le motif de broderie décrit plus haut à
l’exemple 45. Il est présenté soit dans sa forme mélodique originale ou légèrement
transformé. Si la forme mélodique est assez fidèle au modèle, la formule rythmique choisie
par Beethoven, conjuguée à la texture en octave, crée une sorte de miroitement du son. La
formule mélodico-rythmique choisie engendre un timbre tout à fait remarquable.
L’exemple XVII.40 reprend tout ce passage en ne gardant que les sons définissant la
trajectoire générale, le motif qui s’en dégage ainsi que les harmonies non rythmées.
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160
Partant du ton de ré mineur (ton du relatif –VI), Beethoven nous entraîne vers sol mineur
situé à la quinte inférieur (ton du II) avant d’amener, par un bref emprunt en do mineur, le ton
de la sous-dominante (sib majeur) à la mesure 91.
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77 78 79 80 81 82 83 84 85 86 87 88 89 90
VI ré min. I V I V I I IV I IV
D D
II sol min. V I V I V I V I I IV I IV
D D
Beethoven introduit alors une réexposition (nous devrions dire une fausse réexposition) dans
le ton de ré majeur. Autrement dit dans un mauvais ton. Du reste lorsque le GTA est présenté
dans le ton inattendu de ré majeur et non en fa majeur comme il se doit, il s’accompagne de
toute une série d’accidents qui montrent bien le doute du bienfondé de la réexposition à cet
endroit. Il en résulte à nouveau un magnifique effet dramatique que nous expliquerons dans
le chapitre consacré à la réexposition.
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163
IV Sib majeur I V
sib mineur V I V I II
D
I fa mineur IV V I VI [II] ?
D
Nous proposons à l’exemple XVII.42 une réécriture sans nul doute beaucoup moins efficace
sur le plan dramatique que celle composée par Beethoven, qui introduit le retour du GTA et
donc la réexposition, dans le bon ton.
Transformer le texte d’un auteur afin de comprendre les différentes trajectoires possibles
d’une transition - ou de tout autre passage d’ailleurs - est sans doute l’un des meilleurs outils
pour bien saisir les mécanismes compositionnels des Maîtres.
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164
Exemple XVII.42
Dans cette transformation, l’accord II/D dernier accord de notre analyse harmonique ci-
dessus, s’enchaîne à l’accord V appoggiaturé par la sixte et quarte avant de pouvoir
éventuellement reprendre le GTA tel qu’il a été présenté au début de l’exposition.
Beethoven a donc dévié la résolution possible en fa pour aller préparer l’arrivée de la fausse
réexposition en ré majeur. C’est bien entendu grâce à l’accord orthographié comme une 7ème
de dominante sur sib (mesure 111) que le ton de fa est évité. Le sens de cet accord et donc de
la modulation devient tout à fait clair s’il est orthographié avec un sol# en lieu et place du
lab. Il est alors compris comme une sixte augmentée allemande dans le ton de ré et joue le
rôle d’un V/V.
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I fa mineur IV V I VI [II]
D
(I)
III ré mineur [II]7 [II] V
6te aug
Signalons encore que le rapport de tierce qui lie le parcours tonal peut être mis en relation
avec l’intervalle qui initialise les groupes thématiques.
Le second développement que nous allons étudier dans sa globalité est celui de la sonate op
10 n°1 en do mineur dont nous avons déjà discuté dans le chapitre consacré à l’exposition.
Nous tenterons ici de décrire le développement sur le plan tonal et thématique en même
temps. Mais avant de l’étudier décrivons rapidement l’organisation tonale de l’exposition.
L’exposition met en opposition le ton principal de do mineur et celui du relatif mib majeur.
Ces deux tonalités et les deux groupes thématiques qui les accompagnent, s’enchaînent par
un pont modulant que nous avions déjà reproduit à l’exemple XVII.15.
Une fois l’exposition terminée, Beethoven ouvre le développement par un accord de do
majeur joué « F ». Celui-ci initialise le premier groupe thématique qui sera exploité durant
toute la première partie du développement.
La première tonalité marquante est celle de la sous-dominante (fa mineur) qui s’affirme à la
mesure 118. Cette affirmation tonale, qui s’accompagne d’une nouvelle idée musicale, nous
fait comprendre les 12 premières mesures du développement comme une sorte de transition
ou d’introduction. Nous pourrions donc dans ce cas, tenter de comprendre tout ce passage
dans le ton de la sous-dominante.
La venue du ton de la sous-dominante ayant été préparée tant sur le plan harmonique que
thématique, Beethoven fait entrer maintenant une nouvelle idée musicale largement inspirée
du GTB. Cette idée musicale d’abord présentée dans le ton de fa mineur est ensuite entendue
transposée au ton de sib mineur (mesure 126) avant d’amorcer une nouvelle modulation vers
le ton du relatif de ce dernier (réb majeur) à la mesure 134.
Mais avant d’aller plus loin dans l’analyse tonale et de tenter de comprendre la stratégie
modulante générale, arrêtons-nous un instant sur les quelques rapports qui existent entre les
différents éléments de l’exposition et la nouvelle idée musicale entendue dès la mesure 118.
Le lien le plus apparent est la formule d’accompagnement commune avec celle du GTB
(mesure 56). Mais le contour mélodique du GTB se retrouve lui aussi tout comme un élément
motivique (une cellule) entendu dans la transition. L’analyse paradigmatique ci-dessous
montre ces différentes parentés.
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Exemple XVII.43
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Revenons au parcours modulant que nous avions laissé à l’entrée du ton de réb majeur de la
mesure 134. C’est avec celui-ci que le développement entre dans une nouvelle phase au cours
de laquelle la texture de « mélodie accompagnée » laisse la place à une écriture à 2 voix
beaucoup plus légère et aérienne.
L’exemple XVII.44. reprend toute la séquence du ton napolitain de la mesure 136 à l’entrée
du suspense à la dominante du ton principal qui précède la réexposition. Les harmonies,
réelles ou sous-jacentes y sont notées (les notes entre crochets complètes l’accord ou donnent
la fondamentale sous-entendue) ainsi que quelques-uns des rapports aux éléments
thématiques proposés à l’exemple XVII.43.
74
Le premier mouvement du quatuor à cordes op 59 n°2 en mi mineur est un bel exemple d’utilisation du degré
napolitain.
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3. La réexposition.
La troisième et dernière grande section de la forme sonate, nous l’avons dit plus haut, fut
baptisée par Czerny « Reprise » (réexposition en français). Si en Belgique comme en France
ce terme est couramment utilisé, les anglo-saxons lui préfèrent généralement
« recapitulation ». Mais nous pourrions tout aussi bien qualifier cette dernière étape du
discours dramatique de « réécriture » tant les procédés mis en jeu par les maîtres du XVIIIe
et XIXe consistent souvent en une « réinterprétation » (tiens, voilà encore un terme qui
pourrait convenir) des constituants thématiques : textures, registres, dynamiques, … En fait,
réexposition, nous allons le voir ci-dessous, est la plupart du temps, synonyme de
réinterprétation.
Mais avant d’observer les particularités de chaque compositeur, voire de chaque sonate, nous
allons prendre un certain recul et considérer la réexposition dans sa globalité.
La réexposition peut être considérée comme le moment de résolution des tensions – tonales
pour la plupart, mais aussi thématiques – entendues dans le groupe thématique B de
l’exposition, mais aussi dans le développement. Bien que nous aurons l’occasion de montrer
quelques cas exceptionnels, c’est plus particulièrement lors de la réexposition du GTB au ton
principal que toutes les tensions sont résolues. Lorsque nous parlons de tensions, c’est bien
entendu au niveau de la grande architecture tonale du mouvement que nous nous plaçons.
Comme nous le verrons au travers de l’analyse détaillée de certains exemples, la transition
ainsi que le GTB peuvent, au moment de la réexposition, contenir un certain nombre de
tensions harmoniques, thématiques, de textures, etc., mais celles-ci se situent à un autre
niveau hiérarchique.
Pour la commodité du lecteur, la plupart des œuvres que nous allons examiner ont déjà été
évoquées dans les chapitres précédents. Nous les avons répertoriées en deux grandes
catégories :
75
Il existe quelques cas particuliers ou le second groupe thématique n’est pas réexposé au ton principal. Il arrive
même que le premier groupe thématique ne soit pas entendu au ton principal comme dans le 1er mouvement de
la sonate KV 550 dite « facile » où Mozart réexpose le GTA au ton de la sous-dominante. Mais ce sont des cas
exceptionnels qui ne peuvent s’expliquer qu’à la lumière du projet général de la sonate.
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171
Le premier exemple que nous allons examiner est extrait de la sonatine op 36 n°1 de
Clementi déjà citée à l’exemple XVII.7 (exposition) et XVII.20 (développement).
Le GTA, nous l’avons signalé plus haut, a une trajectoire modulante. Celui-ci, à l’exposition,
se ponctue par une cadence parfaite au ton de la dominante. C’est d’ailleurs à cause de cette
cadence, mais aussi en partie par le fait que le GTB, au ton de la dominante bien sûr,
commence par l’harmonie du premier degré, que Clementi tuile les deux idées thématiques
de l’exposition.
Dans la réexposition, nous l’avons évoqué plus haut, le GTB se fait entendre, le plus souvent,
au ton de la tonique (en l’occurrence do majeur)76. Ceci oblige Clementi à ajuster la fin du
GTA afin que celui-ci s’enchaîne au mieux avec le GTB au ton de la tonique. Il doit donc
faire cadencer le GTA non plus au ton de la dominante, mais au ton principal.
Dans l’exemple XVII.45, nous avons mis en regard l’exposition et la réexposition.
76
Rappelons que c’est au moment de cette réinterprétation du GTB au ton principal que les tensions tonales
entendues dans l’exposition et le développement (voire parfois, mais de manière exceptionnelle, à la
réexposition du GTA), trouvent leur ultime résolution.
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172
Cette disposition graphique a l’avantage de montrer clairement les différences, mais aussi les
similitudes entre la présentation des deux groupes thématiques à l’exposition et à la
réexposition. Nous nous intéresserons ici aux différences en ne les reprenant pas
nécessairement dans l’ordre chronologique. Nous commencerons d’abord par les
modifications obligées par le plan tonal et harmonique pour aller ensuite vers des
changements justifiés essentiellement par le souci de variation et par l’imagination et la
créativité du compositeur.
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77
Jouez toute cette réexposition dans la registration supérieure et comparez.
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175
1. La modification de la formule d’arpège (marquée par a dans l’exemple 46). Celle-ci est
conditionnée par l’enchaînement harmonique avec l’accord qui précède – une simple
transposition aurait occasionné un mauvais enchaînement comme le montre l’exemple
XVII.47.
Exemple XVII.47.
Dans sa sonate op 49 n°1 en sol mineur, déjà évoquée dans les chapitres précédents,
Beethoven fait moduler son premier groupe thématique au ton du relatif. C’est à la mesure 12
que le processus modulant se met en marche pour aboutir à la mesure 15 sur la dominante du
nouveau ton. C’est du reste sur cette dominante que le GTB prend sa source.
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176
GTB, qui avait été présenté en sol mineur à l’exposition allait se présenter ici au ton direct
(donc sol majeur). Bref, une série de modifications qui montre combien la réexposition peut
être le moment de réinterpréter le texte déjà entendu.
L’exemple XVII.48 superpose les deux présentations de la seconde phrase du GTA. Comme
nous pouvons le constater, le schéma harmonique s’est considérablement enrichi.
Mais la réécriture ne s’arrête pas là. Les modifications amenées dans le GTA vont presque
inévitablement contaminer le GTB. Beethoven va d’une part agrandir l’espace cadentiel et
d’autre part développer la coda comme le montre l’exemple XVII.49 ci-dessous78.
78
Ce procédé est courant chez tous les auteurs et nous aurons l’occasion d’en reparler ultérieurement. La
cadence finale de la réexposition (donc la fin du mouvement) doit avoir un autre impact que la cadence d’une
exposition. D’abord parce que le compositeur souhaite nous faire comprendre qu’il ponctue le mouvement et
ensuite parce que la cadence au ton principal doit être plus forte, plus conclusive, que celle qui ponctue un autre
ton.
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177
Exemple XVII.49.
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A s’étend sur deux mesures jouées deux fois – densité harmonique de quatre accords. B
s’étend sur une mesure jouée deux fois – densité harmonique de deux accords. C s’étend sur
½ mesure jouée trois fois – densité harmonique d’un accord. Réduire encore ne peut conduire
qu’au silence.
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Exposition
(mesures) 9 10 11 12 13 14 15 16 17
Ton de lab Maj. III VI II V I II V/V V I II etc.
Réexposition
109 110 111 112 113 114 115 116 117
Ton de fa min. I bII IV V/V V etc.
VI II V I
IV___________________
fondamentales fa solb do fa sib
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Nous constatons aussi que la transition de la réexposition est plus courte d’une mesure et que
le matériel mélodique est modifié à partir de la mesure 10 de l’exemple ci-dessus.
Ceci nous montre encore une fois la volonté de Beethoven (mais cette manière de faire existe
aussi chez beaucoup d’autres auteurs) de réécrire, de réinterpréter les évènements entendus
dans l’exposition.
Une modification dans la trajectoire tonale semble, comme le montrent les quelques
exemples analysés ci-dessus, avoir des répercussions sur les autres paramètres. Nous aurons
l’occasion d’y revenir plus en détail ultérieurement.
Nous pourrions multiplier les exemples et découvrir pour chacun d’eux des caractéristiques.
Mais il ne nous semble pas nécessaire de démontrer les particularismes de chaque
compositeur et de chaque sonate. Une étude plus exhaustive, bien qu’extrêmement
intéressante à mener, risque de nous écarter de nos principaux objectifs.
Aussi, nous nous proposons maintenant de passer à l’examen de quelques réexpositions où la
réécriture n’est pas conditionnée par les besoins de la tonalité (en dehors de l’inévitable
réinterprétation du second groupe thématique au ton principal).
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L’arrivée du ton de la sous-dominante, même sous forme d’emprunt comme c’est le cas ici,
est assez courante chez Beethoven comme chez Haydn et Mozart d’ailleurs. En réalité le ton
de la sous-dominante est, en particulier à la réexposition, utilisé comme le contrepoids du ton
de la dominante entendu dans l’exposition. Il y a en quelque sorte rééquilibrage tonal. A la
tension du ton de la dominante (une quinte à droite) dans l’exposition répond la détente du
ton de la sous-dominante (une quinte à gauche).
Ce procédé de rééquilibrage tonal est déjà utilisé couramment chez les baroques. Nous
donnons ici à titre d’exemple un extrait de la 1ère invention à deux voix de Jean-Sébastien
Bach.
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Exemple XVII.51 première invention à 2 voix BWV. 772 –Jean-Sébastien Bach (mesure 15)
Passons maintenant au premier mouvement de la sonate KV 283 de Mozart dont nous avons
déjà parlé.
Mozart nous réserve lui aussi des surprises à la réexposition. Tout comme dans la sonate op
49 n°2 de Beethoven, le premier groupe thématique ainsi que la transition restent, dans
l’exposition, au ton principal. Mozart comme Beethoven fait aboutir la fin de la transition sur
l’accord de dominante. C’est à partir de cet accord, qui devient le centre tonal du ton de la
dominante, que le second groupe thématique s’élance. Mozart aurait donc pu, à la
réexposition, répéter tout le GTA ainsi que la transition sans modification. Et pourtant,
comme nous allons le voir, la présentation du GTA est considérablement bouleversée lors de
la réexposition.
Comme nous l’avons fait pour les exemples précédents, nous avons superposé les deux
présentations du GTA.
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La première réécriture consiste à faire dévier tonalement le GTA. Dès la fin de la première
proposition, un glissement inattendu et, du reste marqué par la dynamique, polarise le ton du
deuxième degré : la mineur. Cet emprunt tonal est suivi d’un second glissement tout aussi
marqué en do majeur, ton de la sous-dominante. Afin de montrer ces différents emprunts,
nous avons chiffré les fondamentales de toute cette séquence dans le ton principal de sol
majeur :
Ces deux emprunts se font à la région de la sous-dominante (do majeur et son ton relatif, la
mineur) dont nous avons déjà montré l’importance dans la réexposition. Mais l’équilibre
tonal entre dominante et sous-dominante n’est pas la seule explication à ces magnifiques et
surprenants dérapages.
En examinant le développement de plus près, on se rend compte à quel point il reste ancré au
ton de la dominante.
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Il ne propose donc aucune autre tonalité que celles entendues dans l’exposition et de plus il
est relativement court par rapport à l’exposition (18 mesures pour 53 mesures dans
l’exposition). Nous pourrions donc considérer que Mozart postpose à la réexposition les
procédés d’exploration tonale (mais aussi en partie thématique) qui auraient été, nous
semble-t-il, plus à leur place dans le développement79. Il s’ensuit pour notre écoute un effet
de surprise et de dramatisation du discours tout à fait remarquable.
Mais revenons à notre sonate KV 280 afin d’expliquer les raisons qui nous poussent à
considérer ici qu’il y a bel et bien fausse réexposition.
Le premier argument repose sur le fait que le GTA, présenté dans son intégralité et au ton
principal de fa mineur, se fait entendre à la suite de l’exposé de ses 4 premières mesures au
ton de la dominante (dans la sonate KV 545, Mozart faisait dévier la trajectoire tonale du
GTA sans le répéter). C’est donc la répétition de la première proposition du GTA au ton
principal qui nous fait plaider en faveur d’une fausse réexposition.
79
Bien que ces procédés d’élargissement tonal ne soient pas exceptionnels dans une réexposition (nous en
verrons un autre exemple un peu plus loin), l’examen des sonates classiques semble nous montrer que les
déviations surprises, les rebondissements tonaux, sont plutôt utilisés dans le corps du développement.
80
La réexposition du GTA est souvent écourtée à la réexposition. Dans une sonate pour violon et piano par
exemple, si le GTA est présenté au piano et ensuite au violon (ou inversement) il n’est pas rare de n’avoir
qu’une seule présentation de celui-ci à la réexposition.
81
Dans cette sonate en do majeur, Mozart réexpose le GTA au ton de fa majeur, ton de la sous-dominante.
Celui-ci va ensuite reprendre le « droit chemin » et moduler au ton principal pour amener le GTB.
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Le second argument est lié à la préparation du retour thématique. Nous l’avons vu plus haut,
la fin du développement est, le plus souvent, le moment où le compositeur met tout en œuvre
pour nous faire ressentir le besoin du retour thématique. Ce besoin du retour est suggéré en
partie par la conduite mélodique, mais surtout par la fixation harmonique de la dominante du
ton convoité, donc généralement le ton principal.
Comme le montre l’exemple XVII.53 ci-dessous, Mozart termine son court développement
de 8 mesures par la fixation de la dominante de do mineur dans les deux dernières mesures.
Mais en observant le texte d’un peu plus près, nous pouvons comprendre le point d’orgue qui
ponctue le développement comme une sorte d’interrogation. On peut, sur un plan purement
métaphorique, imaginer que Mozart s’interroge musicalement sur le bienfondé de cette porte
de sortie tonale. En réalité, le Maître viennois nous laisse dans l’attente d’une solution.
Et en poussant notre investigation encore un peu plus loin, nous nous apercevons que ce point
d’orgue, cette suspension, avait déjà été énoncée dans l’exposition puisque la même attente
s’était faite sentir avant l’introduction du second groupe thématique en lab majeur à la
mesure 8 de notre exemple 54 ci-dessous.
Nous pouvons donc considérer que la suspension entre les deux groupes thématiques de
l’exposition agit à la fois sur le développement mais contamine aussi la réexposition.
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Exemple XVII.54
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Une lecture attentive de l’exemple ci-dessus mettra à jour les quelques modifications que
Mozart amène dans la réexposition.
Nous allons aborder maintenant un cas de fausse réexposition tout à fait remarquable chez
Beethoven. Il est tiré de la sonate op 10 n°2 déjà citée au chapitre consacré au développement
– 2.3. (stratégie tonale et thématique : une symbiose).
C’est donc dans cette tonalité de ré, mais dans le mode majeur cette fois, que Beethoven nous
fait entendre le retour du GTA. Mais en y regardant attentivement, plusieurs transformations,
nous pourrions dire « anomalies », se glissent dans le texte.
Exemple XVII.55 sonate pour piano op 10 n°2 –Beethoven (mesures 117 à 140)
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Les différentes transformations n’ont pas le même poids. Certaines sont lisibles directement,
d’autres demandent une attention plus grande.
Les silences et leurs effets de suspension interrogative et dramatique sont certainement les
transformations les plus directement perceptibles. Le premier silence – nous en avions déjà
parlé plus haut – est celui qui précède le début du retour du GTA (donc le début de cette
fausse réexposition, mesure 117). Le second silence quant à lui arrive à la fin de l’exposé
complet de ce premier groupe thématique qui se ponctue par une cadence parfaite dans le ton
de ré majeur (mesures 129-130).
Ils ont tous deux le même type de fonction, le même type de « rôle »82 à jouer.
Le premier silence, celui qui précède l’exposé du GTA dans le ton de ré, est interrogatif. Si
ce silence, ce rôle, était doté de la parole, il aurait pu nous dire « mais, … qu’est-ce que je
fais ici ? Je me suis égaré, je ne suis pas au bon endroit …, je ne suis pas dans le bon ton ! »
Malgré cette « mauvaise » tonalité, Beethoven se lance malgré tout dans la présentation du
GTA qui contient quelques anomalies, nous l’avons déjà évoqué plus haut.
A l’issue de cette présentation complète dans le ton de ré majeur, Beethoven introduit un
nouveau silence interrogatif. Qu’a-t-il à nous dire celui-ci ? Peut-être : « non, décidément, ça
ne marche pas …, ce thème a besoin de « son » ton ».
La suite du texte est en tous cas clairement une transition tonale qui a pour mission de
ramener le ton principal de fa majeur à la mesure 136.
82
« Rôle » doit être compris ici dans un sens théâtral : le silence est un véritable personnage.
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Les silences, nous venons de le voir, jouent un rôle important dans l’élaboration du discours.
Ils marquent, signalent en quelque sorte, la bizarrerie de cette tonalité de ré majeur83.
Mais le silence n’est pas le seul moyen de suggérer l’anomalie tonale : Beethoven va
également nous la faire comprendre par des transformations dans les hauteurs et les registres.
En effet, si nous comparons les 4 premières mesures de l’exposition à celles de la
réexposition, nous voyons clairement que le motif en triolet de double-croches n’est pas dans
le même registre. De plus, lorsqu’il est répété, il ne suit pas la conduite mélodique proposée
par le motif qui précède. Il est en quelque sorte figé ou « gelé ».
Pour terminer l’examen de ces 4 premières mesures, signalons encore le changement de
densité des accords qui accompagnent le début de ce thème en ré majeur. Les 4 premiers
accords qui accompagnent le début du GTA en fa majeur « a, b, c et d » ont une densité de 6
ou 7 sons. Par contre à la fausse réexposition leur densité est passée à 4 sons « e, f, g et h ».
Ajoutons encore que la doublure à l’octave supérieure de la basse a disparu. Ces
modifications de registre et de densité donnent à ce début de fausse réexposition une légèreté
mais aussi une certaine forme de fragilité.
Dans l’exemple XVII.56 ci-dessous, nous avons superposé la présentation du GTA tel qu’il
se présente à l’exposition et sa fausse réexposition dans le ton de ré majeur.
L’effet est particulièrement réussi. Tout comme les silences, ces petites bizarreries
mélodiques sont là pour nous signaler que quelque chose ne fonctionne pas. Beethoven joue
avec ce « dysfonctionnement » passager pour prolonger de manière inattendue les tensions
dramatiques déjà engendrées par le développement.
83
Si ré majeur n’est pas le ton attendu à ce moment de la forme (la réexposition) il n’en est pas pour autant une
tonalité étrange. En effet, nous l’avons déjà évoqué plus haut, Beethoven affectionne particulièrement le rapport
de tierce qui se substitue en quelque sorte au rapport de quinte plus conventionnel. Les exemples sont nombreux
chez le Maître viennois, non seulement dans des zones comme le développement, mais aussi au sein de
l’exposition.
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Nous pourrions encore observer les autres modifications que Beethoven amène dans la
réexposition de ce premier mouvement de sonate tout comme nous pourrions multiplier les
exemples, mais ceci nous obligerait à dépasser largement les objectifs que nous nous sommes
fixés dans cette étude. Aussi, comme nous l’avions dit plus haut, nous invitons le lecteur qui
souhaite prolonger cette étude à lire l’ouvrage de Charles Rosen qui analyse non seulement
plusieurs sonates de divers auteurs, mais étudie aussi en détail la genèse et l’historique de
cette grande forme archétypale de la musique tonale.
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Index
A
Alberti, Domenico, 113, 179
B
Bach, Carl Philipp Emmanuel., 28, 198
Fantaisie en La majeur, 195
Bach, Johann Sebastian, 7, 23, 27, 28, 64, 65, 73, 77, 113, 182
Aus tiefer Not schrei ich zu dir BWV 38/6, 65
Canon, 23
Christus, der ist mein Leben BWV 281, 64
Petit prélude en Do majeur, 27
Partita n°2 BWV 826, Rondeau, 73, 74
Prélude et fugue en Do BWV 846, 209
Première invention à 2 voix en DO majeur, BWV.772, 183
Baertsoen, Jean-Claude, 5, 20, 36, 77, 79, 123
Bartok, Bela, 5
Beethoven, Ludwig, 7, 9, 11, 30, 54, 67, 68, 83, 84, 87, 107, 118, 121, 123, 126, 128, 131,
135, 140, 145, 150, 153, 155, 156, 158, 159, 160, 161, 163, 164, 165,
167, 175, 179, 180, 181, 182, 183, 186, 190, 191, 192, 193
Andante grazioso WoO 57, 205
Concerto pour piano n°5 en Mib majeur, op. 73, 28, 40, 197
Sonate pour piano op. 27 n°2, 50
op. 10 n°1, 67, 129
op. 10 n°2, 128, 129, 154, 187,
op. 49 n°1, 83, 119, 143, 144, 155, 156, 175, 176
op. 49 n°2, 122, 123, 139, 141, 152, 153, 154, 155, 183
op. 2 n°1, 84, 107, 127, 179, 180
op. 2 n°2, 140
Sonate pour violon et piano op. 12 n°2, 51
Symphonie n°1 en do majeur op. 21, 53, 54
Bizet, Georges, 42
Carmen, 42
Boulez, Pierre, 109
Brahms, Johannes, 7, 64, 87, 103
Symphonie n°1, op. 68 en do mineur 4ème mouvement, 13
C
Chopin, Frédéric,
Nocturne en Réb majeur, op. 27 n°2, 25, 196
Prélude pour piano n°4 en mi mineur, largo, 76
Clementi, Muzio, 111, 114, 117, 118, 171, 173
Sonatine pour piano op 36 n°3, 114, 115, 136, 151
op 36 n°1, 117, 118, 136, 152, 171, 172, 173
Czerny, Karl, 109, 111, 121, 170
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D
Debussy, Claude, 5
H
Haendel, George-Frederick, 73
Sonate IX op. 1pour traverso, Adagio, 49
Suite n°7 pour clavecin, Passacaille, 63
Haydn, Franz Joseph, 9, 58, 110, 126, 131, 135, 140, 169, 182
Symphonie „l’Horloge“, 75
K
Kulhau, Friedrich, Daniel, Rudolph, 111, 126, 175
Sonatine pour piano op. 55 n°1, 112
op. 20 n°1, 125, 173, 174, 175
M
Mahler, Gustave, 22
Symphonie n°5, 4ème mouvement, Adagietto, 22
Merlet, Michel, 52
Mozart, Wolfgang Amadeus, 5, 9, 10, 11, 56, 73, 74, 75, 87, 107, 110, 111, 112, 113, 114,
122, 130, 135, 137, 140, 143, 151, 156, 169, 182, 183, 186, 187
Divertimento KV. 205 Menuet, 45,
KV. 602 Menuet, 46
KV. 213 Menuet, 208
Die Zauberflöte, KV. 620 2ème acte Air “Ein Maüchen oder Weibchen“, 13
Don Giovanni, 10, 57, 205
Le nozze di Figaro, 4ème acte, scène 27 –Andante, 41, 203
3ème acte, scène II – Duetto, 206
Menuet de jeunesse en Fa majeur, 61, 110
Quatuor avec flûte KV. 294 Andante, 207
KV. 285A, 141, 142, 143
Quatuor à cordes KV. 465, Adagio, 75, 76
KV. 160, 134, 136
Requiem KV.626 « Rex tremendae majestis », 63
Sonate pour piano KV. 545, 7, 63
KV. 280, 134, 186, 187, 190
KV. 283, 21, 73, 121, 122, 133, 137, 138, 156, 157, 183, 184
KV. 545, 11, 186
KV. 331, 74, 100
KV. 330, 107
KV. 279, 124, 130
KV. 284, 133
KV. 550, 163, 170
Sonate pour violon et piano KV. 377, Tempo di menuetto, 62
Symphonie KV. 550 en sol mineur, 143, 146, 147, 148, 149, 150
N
Nattiez, Jean-Jacques, 82
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P
Piston, Walter, 39, 56
R
Rameau, Jean-Philippe, 19
Canon à six voix, 37
Riemann, Hugo, 17, 52, 109
Rosen, Charles, 109, 121, 169, 193
Rousseau, Jean-Jacques, 8
Ruwet, Nicolas, 82
S
Sadai, 21
Schenker, Henrich, 52
Schoenberg, Arnold, 5, 52, 106
Schubert, Franz, 5, 9, 11, 30, 33, 34, 43, 44, 58, 59, 60, 64, 87, 91, 93, 94, 95, 97, 98, 104,
107, 135, 169
Zwei Ländler D 679/1, 97
Zwei Ländler D 679/2,10, 33, 89, 90, 93, 94, 95
Acht Ländler D 378/2, 34
Wiegenlied op. 98 n°2, 38, 39, 40, 98, 101
Siebzehn Ländler op. 18 – D 145/3, 43
Sechehn Deursche Tänze op. 33 – D 783/12, 59
Trocken Blumen, 199
Danse allemande D 970 n°3, 201
Ländler D 378 n°4, 202
Ländler op. 18 n°17, 204
Ländler op. 9 n°17, 204
Schumann, Robert, 48
Frauenliebe und leben op. 42, Seit ich ihn gesehen, 48
Stravinsky, Igor, 5
T
Telemann, Georg Philipp, 73, 78
Fantaisie pour clavecin n°10, allegro, 78
W
Wagner, Richard, 9
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