La Relation Client À L'heure Du Numérique - Le Cas Du Marketing Bancaire
La Relation Client À L'heure Du Numérique - Le Cas Du Marketing Bancaire
La Relation Client À L'heure Du Numérique - Le Cas Du Marketing Bancaire
marketing bancaire
Philippe Mouillot
Dans Management & Avenir 2019/2 (N° 108), pages 63 à 82
Éditions Management Prospective Editions
ISSN 1768-5958
DOI 10.3917/mav.108.0063
© Management Prospective Editions | Téléchargé le 11/03/2024 sur www.cairn.info (IP: 197.18.213.242)
Philippe MOUILLOT1
Résumé
La numérisation de l ’activité bancaire et les stratégies
multicanales rendent moins attractive la visite en agence,
une éducation qui rend les clients moins sensibles aux conseils
dispensés par les conseillers. Dans ce contexte, cet article
étudie la stratégie d’une enseigne qui développe un marketing
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Abstract
The banking service industry’s digitalisation, as well as
multichannel strategies turn agencies into less and less
attractive places for clients who become independent enough
to make their daily operations on their own. This article
here investigates a bank brand’s strategy, which consists in
developing a staff-oriented marketing in order to recreate,
reinforce and eventually sustain a brand identity for strategic
purposes.
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En 2017, l’étude SAB/CGI a mis en exergue que les cinq nouveaux services
bancaires incontournables en 2018 sont respectivement (1) la banque mobile
(i.e. gestion des opérations courantes via son smartphone), (2) les services
d’aide à la gestion des comptes (i.e. analyse en ligne de gestion de ses dépenses
afin de mieux utiliser son argent), (3) les nouveaux moyens de paiement (i.e.
paiement sans contact), (4) les chatbots (i.e. messageries instantanées avec des
robots de conversation), et (5) les cartes bancaires « intelligentes » (i.e. Revolut,
Max, Sharepay, des outils permettant d’agréger plusieurs cartes, d’effectuer
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Nous proposons d’étudier cette question avec le cas d’une enseigne bancaire
qui a souhaité conserver l’anonymat, et par l’ancrage théorique du prisme
identitaire (Kapferer, 1988) et de l’échange social (Homans, 1958). En effet,
lors de nos entretiens, nous avons obtenu confirmation que cette enseigne
avait choisi de remettre le conseiller au cœur de la création de valeur de la
banque dans l’esprit du consommateur à l’aide d’une stratégie de communica-
tion élaborée à destination de ses employés sans pour autant les en informer.
Ceci n’allait pas sans rappeler les travaux de George Homans (1958), auteur
de la théorie de l’échange social qui met en avant l’idée selon laquelle toutes
les relations se forment, se maintiennent ou se brisent en raison d’une analyse
coûts – bénéfices nous amenant à réaliser des comparaisons entre les alter-
natives proposées et à choisir les relations qui nous procurent donc le plus de
bénéfices à moindre coût.
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Ainsi, pour Nathalie Gardes et ses collègues (2013), les représentations sociales
des individus à l’égard des marques bancaires reposent sur les dimensions
d’attribut, d’univers évoqués et d’entreprise ; autrement dit, les clients d’une
banque se la représenteraient au travers de ses produits et services spécifiques,
de ses promesses (i.e. accueil, performance) et de son poids ou de sa notoriété
dans l’espace économique ad hoc plutôt qu’au travers de ses salariés.
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La littérature met donc en exergue une série de réalités qui rendent la com-
position de l’univers bancaire complexe, voire paradoxale puisque le client
recherche à la fois la distance par des instruments de gestion efficaces et la
proximité par une relation humaine rassurante. Ce paradoxe est renforcé par
la présence de consommateurs de plus en plus « mixtes » (Vanheems, 2009)
puisqu’ils personnalisent désormais leur consommation et leurs outils de gestion
grâce à la disponibilité de différents canaux d’information et d’action. Face à
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entre les différents acteurs. Nous sommes donc bien dans une situation de
recherche où le recours au double ancrage théorique Homans-Kapferer prend
tout son sens. En effet, l’avènement des stratégies cross canal et omni canal
ont pour principale conséquence de faire revêtir toujours plus d’importance
à la dimension sociale. La confiance et la fidélité résultent principalement de
la durée et de la qualité de la relation interpersonnelle existant entre le client
et le personnel de la banque. Également, la transaction commerciale bancaire
est parfois perçue comme résultant d’un lien social. Par conséquent, straté-
gies multicanales, confiance et fidélité, et transaction commerciale bancaire
nourrissent ensemble une approche par la théorie de l’échange social. Quant
au prisme identitaire de Kapferer, les représentations sociales des individus
à l’égard des marques bancaires reposant sur des dimensions qui excluent les
salariés, il apparaît justifié de tenter de modifier ces représentations par une
modification du prisme identitaire de la marque bancaire.
Cette synthèse est très importante dans le cas qui nous concerne puisque,
justement, on y trouve la justification de notre recherche. En effet, notre étude
de cas nous a permis d’effectuer une observation participante, notamment
auprès de plusieurs acteurs d’enseignes bancaires.
Les données collectées ont permis de montrer qu’il existe au moins une en-
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Nous avons choisi d’interroger des chefs d’agence afin de mesurer leur degré
de connaissance et d’implication dans ce processus marketing, ainsi que des
employés afin de déterminer si la valeur créée à partir de la relation client était
issue d’une action naturelle des employés ou bien conséquente à la mise en
œuvre d’une stratégie marketing visant à les stimuler. Afin d’en pondérer les
résultats, nous avons souhaité compléter nos données par une série d’entre-
tiens avec des épargnants, clients de la marque étudiée, en postulant que ces
derniers devraient sans doute être plus sensibles à la relation client puisque
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peu connaisseurs des produits financiers, des clients investisseurs, sans doute
plus indépendants dans leur gestion (Julien, 2013 ; Renault, 2017), et d’autres
clients afin de vérifier que cette banque se distinguait vraiment d’autres en-
seignes au travers de son altérité.
Les données ont été recueillies dans le cadre d’un protocole de confidentiali-
té rigoureux. Un responsable d’agence (depuis ayant quitté l’enseigne) avait
organisé une rencontre avec deux autres responsables dans ses bureaux.
Cependant, salariés comme employés ont été interrogés hors de leurs cadres
professionnels afin de limiter les biais cognitifs. Tous ont refusé que les en-
tretiens soient enregistrés mais les prises de notes furent possibles. En ma-
tière de traitement des données, le recours aux verbatim a été préféré aux
méthodes de type Alceste ou NVivo afin de privilégier la détection de sentiments
et de ressentis face à des analyses plus lexicologiques et lexicométriques. Les
verbatim sélectionnés l’ont été sur la base de leur propension à clairement
illustrer les opinions majoritaires.
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Les utilisateurs de services bancaires que nous avons interrogés sont habituel-
lement fidèles à leur enseigne bancaire parce qu’ils sont avant tout fidèles à leur
conseiller, un élément que renforce la complexité encore perçue de changer
de banque, notamment lorsque des crédits sont en cours, et ce malgré la loi de
mobilité bancaire (i.e. verbatim : « Ma conseillère est formidable » ; « je n’ai pas le
choix, j’ai tous mes crédits là-bas » ; « j’ai un très bon contact avec le personnel ;
je pourrais sans doute trouver mieux mais la situation me convient »). Ceci ex-
plique leur difficulté à finalement avoir une vision comparative fiable de l’offre
globale (i.e. verbatim : « Je ne sais pas, je ne connais pas les autres banques » ;
« ils ont peut-être des taux plus attractifs ; ou pas » ; « toute ma famille est là-bas,
je suis le mouvement »), donc à se positionner dans une logique nomade face à
la décision de changer de banque (i.e. verbatim : « Ils m’accompagnent surtout
quand c’est compliqué » ; « mon conseiller est très humain » ; « je ne sais pas »).
Finalement, on constate surtout que la fidélité à l’enseigne est proportionnelle
à sa légitimité technique (i.e. verbatim : « ils sont rassurants car factuels mais je
n’y comprends rien » ; « les chiffres vous savez, on leur fait dire ce que l’on veut ;
heureusement que j’ai confiance dans mon conseiller » ; « les calculs me dépassent
mais ma conseillère, elle, me rassure car elle m’explique » ; « je n’ai pas confiance
dans les solutions numériques car on ne parle jamais avec la même personne » ;
« ces plateformes sont toutes déshumanisées, il faut toujours tout répéter, im-
possible d’avoir un suivi correct ») même si le concept de banque à proprement
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parler est devenu synonyme de défiance (i.e. verbatim : « une banque c’est un
gangster légal » ; « un bâtiment sur lequel il est écrit ‘banque’ » ; « une entreprise
qui est présente quand tout va bien et absente quand tout va mal »). Ce qui ressort
encore une fois, c’est que les rupteurs de loyauté comme les sources de fidélité
à la marque sont souvent en lien avec l’action du conseiller (i.e. verbatim : « J’ai
une bonne relation avec mon conseiller, autant la conserver » ; « je n’ai changé
de banque que deux fois dans ma vie : la première fois parce que l’équipe dont
j’avais l’habitude est partie et que sa remplaçante ne me comprenait pas, et la
seconde fois parce que ma conseillère ne me répondait jamais » ; « ma banque
n’est pas parfaite et je pourrais sans doute trouver mieux ailleurs mais on se
connait depuis longtemps, c’est agréable » ; « un courtier fera certes mieux en
termes de taux d’intérêt mais il ne sera pas là en cas de problème » ; « ma seule
crainte, c’est que mon conseiller qui me connaît si bien quitte mon agence » ;
« vous savez, un Livret A c’est un taux identique pour tous, mais un conseiller
c’est une relation unique »). Notons que les réponses fournies par les clients
d’autres enseignes n’ont créé aucune interférence avec celles fournies par les
clients de la marque étudiée. Ces données ont indiqué que si cet échantillon
d’utilisateurs était fidèle à son enseigne bancaire principalement par absence
de volonté de remettre en question sa loyauté à une banque, souvent à cause
d’une vision indifférenciée de l’offre globale, le conseiller restait un levier es-
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4. Discussion
Mais elle a également pour objet l’image de cette valorisation dans la mesure
où elle essaie d’influer sur la perception qu’a le public de la relation qu’il a ou
pourrait avoir avec elle. La grande majorité des campagnes de notre marque
a donc pour objectif d’amener le client à espérer des conditions d’écoute suf-
fisantes pour débuter une discussion. Là où l’enseigne s’est singularisée en
2016, c’est lorsqu’elle a attribué à ses campagnes publicitaires locales un rôle
prédominant dans la mobilisation de son propre personnel et de sa force de
vente ; car si les directeurs d’agences que nous avons interrogés considèrent
que le seul moyen d’augmenter les parts de marché de façon significative est
d’être directement au contact du prospect, ce que réfutent plusieurs mana-
gers d’un autre groupe interrogés à Niort le 19 juin 2017 au cours d’échanges
informels qui, eux, parient sur la multiplication des outils numériques de ges-
tion, ils ne sont en revanche pas conscients que les outils marketing nationaux
sont élaborés en ce sens. Aussi, afin de recommander à la marque un ancrage
identitaire qui vienne renforcer la création de valeur issue de l’échange social
inhérent aux salariés de l’enseigne, nous proposons de recourir au prisme de
Jean-Noël Kapferer (1988).
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1. La démarche consistant à parier sur la relation client créée par les em-
ployés pour lutter efficacement contre l’attractivité des pure players bancaires
est source d’avantage concurrentiel durable. Cependant, il semble important
de sensibiliser les directeurs d’agence à cette stratégie afin de s’assurer de
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Par exemple, la construction d’une relation humaine exige du temps, ce que l’on
pourrait reprocher à des employés considérés comme trop diserts. Egalement,
construire puis maintenir la relation bancaire autour des acteurs originels que
sont le conseiller avec ses compétences et le client avec ses questionnements
passe nécessairement par une responsabilisation du personnel comme acteur
proactif de cette philosophie. Ce personnel doit être principalement tourné
vers des profils non-investisseurs et privilégier le respect de sa cible par la
pédagogie, la médiation et une relation personnalisée permettant de limiter
la sensation d’intrusion dans la vie privée que révèle toute étude de comptes
bancaires. À ce titre, l’évolution technologique doit rester ce qu’elle est, un
moyen éphémère et renouvelable de gagner du temps et de faciliter certaines
démarches, sans pour autant impacter dans une quelconque mesure la durabilité
et la valeur intangible de la relation humaine. La rotation de personnel doit
donc évidemment être limitée au maximum et l’enseigne doit rester vigilante
quant à la nature de ses choix stratégiques de développement multicanal.
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Conclusion
Nos résultats montrent que cette démarche est prometteuse, et ce à deux niveaux.
Le premier niveau concerne les acteurs. Employés comme clients expriment un
réel attachement à la relation humaine, les premiers par adhésion aux valeurs
de leur enseigne, les seconds par besoin d’être rassurés. Quant au second ni-
veau, il a permis de valider l’idée selon laquelle une banque pouvait mettre en
œuvre une stratégie de communication marketing institutionnelle sans avoir
recours à ses directions locales pour en assurer l’explication, la transmission
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branding interne sur les campagnes associées (Liu et al., 2017), ainsi que sur
les comportements des employés de type in-role / extra-role participant à la
construction de la marque, le tout afin de mieux comprendre l’influence d’une
orientation en marketing relationnel sur le capital marque (Yoganathan et al.,
2015). Quant aux stratégies cross, omni et multi-canal, elles ne cesseront sans
doute d’évoluer avec les technologies et l’intelligence artificielle, remettant
continuellement en cause la solidité de la relation sociale entre un banquier
et son client.
Quoi qu’il en soit, l’actualité semble pour le moment valider notre thèse puisqu’en
octobre 2018, une campagne nationale de communication de cette marque ban-
caire mettait au cœur de sa stratégie marketing sa première place en matière
de relation client, soit près de deux ans après la réalisation de notre étude…
Bibliographie
AMBLER T. et BARROW S. (1996), “The Employer Brand”, Journal of Brand
Management, Vol. 4, n° 3, p. 185-206.
BALMER J.M.T. (1995), “Corporate Branding and Connoisseurship”, Journal
of General Management, Vol. 21, n° 1, p. 24-46.
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