La Peste Albert Camus - Critique Littéraire
La Peste Albert Camus - Critique Littéraire
La Peste Albert Camus - Critique Littéraire
Théorie de l’absurde
1
Spiquel, A. (2023). Camus et la révolte devant la souffrance humaine. Jusqu’à la mort accompagner la vie, 153, 9-20.
II
La morale
➢ L’issue heureuse de l’intrigue – la peste a disparu – est accompagnée d’un avertissement, ou même d’une certitude
que l’homme n’est pas sauvé pour toujours, que le danger persiste et persistera.
➢ frontière fine entre l’égoïsme (manque de responsabilité pour sauver sa peau) et le sentiment de culpabilité –
exemple : le journaliste Rambert qui renonce à quitter la ville clandestinement.
➢ c’est un devoir de lutter contre le mal car contre la fatalité du mal l’homme peut entreprendre de se défendre pour
éviter de la résilience lâche et inutile.
➢ le héros camusien revendique son humilité par le rejet systématique de l’attitude héroïque surjouée.
➢ Rieux est un homme simple et engagé dans l’action. Seule l’honnêteté peut sauver dans une situation d’urgence.
➢ il s’agit d’une morale de l’action fondée sur une vision pessimiste de la condition humaine.
Construction symétrique
➢ division en 5 parties. Parties qui suivent une courbe ascendante puis descendante en fonction de la progression de
l’épidémie. La 3ème partie est le point culminant dans la maladie.
➢ rapidité des événements que l’on observe par la fatalité qui s’ancre dans le temps et l’issue heureuse mais précaire.
➢ 11 mois s’écoulent entre l’apparition des rats et la fin du récit
➢ les Oranais vivent au rythme du fléau
➢ Découpage du récit :
1ère partie : apparition des rats le 16 avril, premières victimes; montée de l’inquiétude. l’État de peste est déclaré en mai.
2ème partie : la peste s’installe; la lutte s’organise; Paneloux prononce son 1er sermon (Entre mai et juillet)
3ème partie : c’est la plus brève mais correspond à la plus haute intensité du fléau. Elle est construite sur 2 thèmes:
séparation des amants/incinération des corps (Mois d’aout)
4ème partie : c’est la plus tragique avec la mort de l’enfant mais elle s’achève sur la guérison inespérée
de Grand (Septembre à décembre)
5ème partie : les 1ersignes de libération se font sentir; la ville retrouve son visage passé, les signes de la peste sont effacés.
(Janvier et février/Le 10 février Oran est libérée)
Le récit est organisé non pas par dates chiffrées mais en fonction des événements importants dans la ville :
• la fermeture des portes
• le prêche de Paneloux
• la mort de l’enfant Othon…
Analyse de l’incipit
➢ incipit à vocation informative, récit réaliste inscrit dans une histoire fictionnelle et chronologique, qui répond à la
construction d’un incipit romanesque en raison de sa valeur incitative en plus d’informative.
➢ mise en contexte des événements qui vont être relatés, avec le cadre spatio-temporel
➢ description graduelle allant du général au particulier
➢ écriture journalistique
➢ date erronée, contexte inventé, Oran n’a jamais connu de peste en 40, l’astérisque* marque l’approximation du récit.
➢ le souci de précision n’a pas de but émotionnel mais strictement sémantique et didactique. On observe également
une absence totale de dramatisation.
➢ Description du cadre et du climat faite par le narrateur est partisan à démontrer la dureté de la ville également par
l’emploi de métaphores et des adjectifs péjoratifs.
➢ le narrateur se distance également des discours de certains Oranais.
➢ les questions rhétoriques servent à aiguiser le regard du lecteur et forcent le développement de l’esprit critique.
III
Figures de style
➢ La séquestration et la solitude – la séquestration est utile à Camus car elle lui permet d’étudier ses personnages en « vase
clos » en évitant l’influence néfaste extérieure. Les personnages sont obligés d’agir et de lutter à leur manière, ils ne peuvent
plus échapper à leur destiné. C’est l’illustration parfaitement de la condition humaine, enfermée dans son existence. Camus
adore séquestrer ses personnages exemples : Sisyphe en enfer, Meursault en prison, Rieux et toute la population dans Oran.
De plus, Camus considère que l’aliénation est le plus malheur du monde. La mer est le symbole du ressenti de la séquestration
car les oranais ne peuvent plus s’y rendre alors qu’ils en ont besoin. C’est évidemment un parallèle avec la France sous
l’occupation nazie (ligne de démarcation, passage entre la zone occupée et zone libre difficile, familles séparées) et
évidemment cette séquestration entraîne la solitude. La principale souffrance est la séparation des êtres qui s’aiment. La
séquestration a rendu stérile les mots et l’expression de soi, ils sont incapable d’expression.
➢ Le bonheur – la quête ultime qui représente une possibilité de lutter contre la peste donc en tant que symbole, il représente
un moyen de lutte contre l’oppression et contre l’absurde. Il se trouve dans les plaisirs simples et il est mieux compris. Le
bonheur est un corollaire de l’amour donc quand la virulence de la peste augmente et semble installé la capacité d’aimer est
détruite et le bonheur disparaît.
➢ La mort – la mort comme l’épée d’Damoclès pèse sur nos vies et, est un des aspects principaux du caractère absurde de
notre condition. La société est hédoniste est se refuse d’affronter la réalité. Oran illustre néanmoins « la manière moderne »
de mourir, dans la solitude, au milieu de gens occupée à faire autres choses, la mort survient d’ailleurs après une vie monotone
et vide de sens. Elle est un des aspects essentiels de l'absurde. Elle met un terme définitif à toutes nos activités et à nos espoirs,
sans que nous puissions prévoir le moment où elle surviendra. Quelle que soit notre richesse ou notre puissance, elle peut
nous enlever les êtres aimés. Elle reste abstraite pour nous, elle se limite à des chiffres, à des statistiques. Les Oranais d'ailleurs
sont incapables de s'imaginer ce que représentent trois cents morts par semaine. Est-ce dramatique ? Combien de gens meurent
en temps normal ? La mort du fils d’Otton apporte une dénégation définitive à toutes les théories qui essaient d'expliquer de
façon rationnelle, par une volonté transcendante, la souffrance et la mort. La mort ne s'arrête pas à des barrières sociales, pour
la première fois il existe une égalité absolue entre le condamné et le juge, entre le prisonnier et son gardien.
➢ La peine de mort – Le problème de la peine capitale est abordé à plusieurs reprises. On sait d’ailleurs que Camus a
toujours milité pour les prisonniers politiques et contre la peine de mort. L'Étranger par exemple est un plaidoyer contre la
peine capitale. Des expériences personnelles ont marqué Camus au cours de sa jeunesse.
➢ La métaphysique, la conjecture, la fatalité - L'idée que notre existence dépende du hasard est insoutenable pour de
nombreuses personnes. D’ailleurs Paneloux essaie de retrouver dans cette mort qui frappe au hasard une volonté, un ordre
transcendant pour éviter la folie. Paneloux établit donc un lien de cause à effet entre le comportement des hommes et
l'apparition de la peste, qu'il voit dans le fléau un moyen pour l'homme de s'améliorer, qu'il enseigne d'accepter la volonté
divine et qu'il prêche l'amour exigeant de Dieu.
➢ La lutte - On observe clairement une nécessité d'agir: "nous sommes tous embarqués sur la même galère, le silence
même n'est plus possible à notre époque". A Rambert, qui affirme qu'étant étranger à la ville, il n'a pas à s'occuper de la
peste, Rieux répond qu'elle "nous concerne tous" (p.99) Les existentialistes ont fait de l'action, de l'engagement, le pilier
principal de leur pensée. Sartre affirme que nous sommes définis uniquement par nos actes, que nous avons la dure
liberté de choisir nos actes. Les équipes sanitaires représentent cette morale de l'action.
IV
Pratiquement tous les personnages importants du livre s'y engagent, même ceux dont on ne l'aurait pas attendu, comme
Paneloux, Rambert et le juge Othon. Bien sûr cet engagement est dangereux, mais Camus affirme que face à des
situations exceptionnelles, aucune hésitation n'est permise. Ainsi tous s'engagent en quelque sorte "normalement", sans
considérer leur décision comme un acte héroïque; elle est tout simplement indispensable. Grand représente à la
perfection l'homme qui s'engage sans discourir, sans hésiter, mais aussi sans en tirer le moindre titre de gloire. Il aide
dans la mesure de ses moyens, effectue un travail humble mais utile. Aussi devient-il le véritable modèle du livre, le
seul qui soit à notre mesure.
Partie 1
➢ conscientisation de l’épidémie et peur généralisée dues à la perte de liberté par la mise en quarantaine de la ville
➢ disparition de la communication, les mots perdent leur sens, banalisation des échanges comme soutien psychologie.
➢ le temps (qui passe) devient un concept péjoratif
➢ un procédé d’attente typique à l’absurdisme que l’on retrouvera plus tard chez Beckett avec WFG (très visible dans
la 2ème partie du récit) = j’attends, je ne sais pas quoi ?! mais j’espère que ça viendra….
➢ la peste en tant qu’épidémie n’est plus uniquement une pathologie mais à une fonction conative (elle a par essence
la fonction de provoquer un effet sur le lecteur, un impact durable)
➢ le bain de mer de Tarrou et de Rieux est une scène symbolique et forte de la 2ème partie qui doit se comprendre par le
besoin de liberté et la nécessité de franchir l’interdit pour continuer la lutte. « Le bain de l’amitié, l’intimité de la lutte »,
un moment d’apaisement et de recueil, de mise au point avec la nature, leur symbiose commune représentée par « ils »
un intermède éphémère mais salutaire.
V
➢ les changements de comportements des personnages deviennent des thèmes d’analyse à la fin de la 2 partie. Le ème
paroxysme est atteint lorsque Cottard, criminel en cavale qui tire profit de la peste, devient fou et tire sur la foule depuis
sa fenêtre, n’ayant pas supporté la fin de l’épidémie. Cottard peut être considéré comme le seul bienheureux de toute
cette histoire, malgré la tentative de suicide, malgré l’inculpation, l’usage qu’il fait de l’épidémie lui sert de manière
éphémère et l’empêche de craindre l’enfermement en prison. Paradoxe évident de la construction du récit.
➢ évolution dynamique des liens entre les personnages : individualisme → vers un collectif homogène sans
individualité qui se crée par l’aspiration du fléau puis avec la chute de la peste, l’individus retrouvent leur individualité
en ayant perdu une partie d’eux-même ; (phénomène caractérisé par la dernière scène de Rieux, seul face à la réalité),
soit physiquement (enfant, femme, vie) soit psychologiquement, spirituellement (la perte de la raison, la perte de la foi,
la perte du temps…) (parties 3-5)
➢ la 3ème partie est le point culminant de la maladie, les pires événements surviennent et l’absurdisme atteint son
paroxysme, c’est la partie la plus courte du roman. Le fils du juge Othon (de son nom Philippe) meurt (entre la 3ème et
4ème partie du récit = une longue agonie) ce qui conduira Othon ensuite à s’engager aux côtés des volontaires pour
éradiquer la maladie. Cette mort est de loin la plus marquante : elle dénote de l’impuissance de l’homme, son agonie est
comparable à celle du Christ et les références bibliques y sont saillantes. Le fils d’Othon devient dès lors un « enfant
innocent » ce qu’il n’était pas avant de mourir, avant il était un fils, un jeune garçon, avec un individualité propre.
➢ la menace à prendre en compte parmi ce que l’on négligeait « c’est l’autre » l’individu à côté de soi.
➢ le procédé d’écriture (usage du vocabulaire et du langage) est monotone à l’image de la peste, phénomène cyclique,
routinier, qui est sans fin.
➢ « Tous les malheurs des hommes viennent de ce qu’ils ne tenaient pas en langage (syn. une logique) clair » Tarrou en
s’adressant à Rieux, en faisant un constat à la 4ème partie. Le langage considéré comme un enjeux, qui enduit la réaction
alors qu’il suffit d’agir et de ne pas toujours vouloir ergoter le réel. Il est dès lors préférable de dire moins mais de dire
mieux, à l’image aussi du langage de Camus.
➢ Dans la 4ème partie, Paneloux change ses réflexions, tombe malade et décide même de mourir, le crucifix à la main,
la population n’est plus croyante mais superstitieuse, on assiste à une inversion des valeurs, les inactifs deviennent actifs
et les actifs s’interrogent sur l’action comme si, elle semblait anormale, exemple : « Rieux qui interroge Rambert, puis
Othon pour comprendre leurs motivations à lutter » comme si la banalisation de la situation avait cristallisé les
comportements.
➢ Dans la 5ème partie, le fait que Rieux ne se soit pas révélé avant renforce l’attachement que les lecteurs ont pour lui,
car il n’est pas un homme de lettres, il commet des erreurs de narration, il se dit objectif alors qu’il ne l’est pas totalement.
Néanmoins, il reste lui-même, à l’image du héros camusien, humble, réservé, inconscient de son génie, il garde aussi
ses valeurs : la solidarité et la suppression narcissique et personnel de l’emploi du « moi ».
Analyse de l’excipit
➢ dénouement de l’action, car il marque la fin de l’épidémie mais qui est teinté d’un caractère provisoire de la victoire
➢ champ lexical de la réjouissance, du soulagement
➢ champ lexical de la mise en garde, l’usage du conditionnel à une valeur de futur sur la suite des événements
➢ Rieux en tant que narrateur a le rôle de veilleur/sentinelle car il connaît l’issue, il conserve en mémoire les événements
du passé. Les Oranais ont déjà oublié les morts, ils sont ignorants mais Rieux veille car il sait mieux que quiconque ce
qu’il peut arriver. Antithèse qui marque cette idée : « il savait ce que cette foule en joie ignorait, et qu’on peut lire dans
les livres, que le bacille de la peste ne meurt ni me disparaît jamais »
➢ Rieux se met en retrait, il est à l’écart de la foule, cette victoire est teintée d’amertume. Il dévoile son identité sans
trop d’insistance. Il tire des leçons du fléau, ce qui cristallise la sagesse intemporelle de cette pensée.
➢ On retrouve l’humanisme de Camus, à croire en l’humanité et en ses capacités de révoltes contre l’injustice,
l’absurdisme et tout ce qui affecte le caractère humain.
➢ On comprend les croisements de croyances, de valeurs culturelles et de trajectoires des personnages. Rieux incarne
toutes ces « croyances » car il s’en est fait l’écho au moins une fois (médicales, scientifiques, populaires, religieuses,
métaphysiques).