Marlon Brando

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QUEIMADA

FR3 — 20.35
MARDI 16

BRANDO
DIAMANT BRUT
Méchant, grossier, scandaleux. D‘accord ! Mais capable de jouer et le
cheval et le cavalier. Hollywood s‘est fatigué de cette bête à caprices.
Alors Marlon n‘a plus tenu que des rôles qui lui ressemblent
vez—vous jamais vu rire sereine et accomplie, leurs bras protec—
Brando ? Regard lourd et teurs, leurs dents blanches... Mais Marlon
front buté, profil d‘acier, Brando fait pire encore que ses deux
lèvres boudeuses : ce serait compères. A la fureur de vivre de Dean, il
coup de théâtre que de allie bizarrement l‘indifférence insaisissable
l‘entendre tout à coup de CIift. I! est ce voyou à jamais impro—
glousser, même brièvement, dans l‘un de bable, mi—violent, mi—violé, innocent aux
ses films... L‘acteur le moins drôle du mains sales et brute désarmée. Un dia—
monde. Et, de plus, il se tait. Ou grom— mant mal taillé. Ange et bête à la fois.
melle. Ou distille de sa voix rauque et rare Incontrôlable.
quelques mots essentiels., Et pauvres. Et A noter toutefois, pour les puristes, que,
souvent cruels. Il bouge, mais à peine. Là plus jeune que Montgomery Clift, Brando
où James Dean s‘épuisait en gestes fréné— fut l‘aîné de James Dean, qui l‘admirait,
tiques, regards hystériques et nervosité cherchait vainement à le rencontrer et a
enfantine, Brando, lui, a la torpeur mépri— beaucoup tenté de l‘imiter. Alors quand on
sante du fauve, la nonchalance royale du parlait de Dean à Brando, vedette déjà
déraciné qui se sait sans horizon, sans célèbre d‘Ün Tramway nommé Désir :
famille... « Ah oui ! Ce jeune homme qui porte tou—
Ils étaient trois mousquetaires de l‘Ac— jours mon talent de l‘an passé... »
tor‘s Studio à révolutionner, par leur jeu On l‘a dit méchant. A ses débuts, c‘est
ouvertement réaliste et psychologique, la vrai qu‘il pousse l‘anti—conformisme jus—
cour hollywoodienne un rien poudrée et qu‘à des grossièretés parfois perverses.
empesée des années 50. Ils s‘appelaient Ouvrir sans arrêt sa braguette pour terrori—
James Dean, Montgomery Clift et Marlon ser, en scène, sa vieille partenaire ; la ridi—
Brando. I n‘en reste plus qu‘un ; le troi— culiser, une autre fois, en se plantant une
sième. cigarette dans chaque narine. Uriner, sans
Peut—être parce qu‘il est à la croisée des prévenir, devant un journaliste qui lui
deux autres et qu‘il a su mieux concilier leur déplaît. S‘habiller avec un négligé volon—
destin. James Dean ou l‘éternel ‘adoles— tfairement — repoussant. — Exhiber — ses
cent révolté, extraverti et capricieux, en prouesses sexuelles. Se mettre des boules
rupture et en crise. Montgomery Clift ou le Quiés, sur un tournage, pour ne plus
solitaire silencieux, ravagé jusqu‘au mysti— entendre un metteur en scène, des
cisme par on ne sait quel secret, on ne sait répliques et des acteurs qu‘il juge
quel désir jusqu‘à s‘autodétruire... indignes...
Sur les écrans américains d‘après— Autant de canailleries un peu adoles—
guerre, ces trois—là imposent des visages centes. On dit qu‘aujourd‘hui encore, il
de marginaux ; déclassés socialement ou s‘amuse à tyranniser les invités de son île
sentimentalement ; décalés. Une vraie de Polynésie... Risquons alors bravement
révolution dans l‘imagerie des stars mas— les motivations pesantes : l‘enfance aux
culines alors triomphantes, avec leur virilité côtés d‘une mère alcoolique et morte
jeune, le passage douloureux dans une
Marlon Brando école de l‘armée n‘ont sans doute rien
et Renato Salvatori arrangé...
dans Queimada Pourtant le succès de Marlon Brando
de Gillo Pontecorvo. est quasi—immédiat à la scène, à l‘écran. Et ®

TÉLÉRAMA N° 1952 — 13 JUIN 1987 49


»> s‘il s‘est acharné à répéter, depuis, que pitoyable (Désirée) ; celui qui fut encore,
n‘importe qui peut être acteur, et que ce parmi de grands acteurs shakespeariens,
n‘est surtout pas dans son métier de un Marc—Antoine plus qu‘honorable (Julius
comédien qu‘il trouve son bonheur. Mais Caesar].
à peine débarqué à New York, en 1944, à Marlon Brandon semble parfois avoir
20 ans, il n‘hésite pas un instant que ce choisi sciemment les sentiers de la déroute.
sera le sien. Il étudie fièvreusement l‘art Réalisateur (La Vengeance aux deux
dramatique. visages), il gaspille le temps du tournage
Son professeur, Stella Adler, raconte de manière suicidaire. On ne lui confiera
qu‘il était comédien vingt—quatre heures plus jamais de long métrage... Acteur, il
sur vingt—quatre. Il observait si fort ce qui impose des exigences financières, des
se passait autour de lui, dévorait tant et caprices de monstre sacré qui découra—
tant le moindre détail de la vie : tout lui gent les producteurs. Pour s‘imposer dans
était spectacle, tout lui faisait profit... Le Parrain de Coppola, il lui faudra alors
« Alors, dit—elle, pour une scène de cava— passer, comme les autres, des bouts d‘es—
lerie, il était capable de jouer à la fois et le sai...
cheval et le cavalier. » Car Hollywood un jour s‘est fatigué de
Ce magnétisme aussitôt fait merveille au Marlon ; comme Marlon jamais n‘a pu
théâtre. Avant de reprendre le rôle au supporter Hollywood... Dans les années
cinéma, toujours sous la direction d‘Elia soixante, ce fut même une sacrée traver—
Kazan, Marlon Brando triomphait en effet, sée du désert. Des acteurs plus quotidiens,

ARCHIVES FINNEGANS
dès 1949, dans Un Tramway nommé plus prosaliques, étaient censés rendre le
Désir de Tennessee Williams. Eblouis, les goût de l‘american way of life au public
New—Yorkais découvraient un acteur à la d‘outre—Atlantique. En France, triomphait
sensualité vampirique et assassine. Deux la Nouvelle Vague... On n‘avait plus
ans après, les cinéphiles du monde entier besoin de voyou—voyant manière Brando.
L'Equnpee sauvage de Laslo Benedeck.
frissonnaient aussi au sex—appeal infernal Lui, d‘ailleurs, militait sauvagement du côté
de l‘ouvrier Kovalski. de Sur les quais, le motard de L‘Equipée des minorités indiennes, ou se démenait
Marlon Brando montrait dans le rôle un sauvage, on retrouve ainsi un gros dur généreusement pour les enfants de l‘Uni—
dos, des pectoraux, de talent. Ses muscles tendre, un violent qui prend presque plaisir cef...
jouaient une étourdissante partition. Grâce à recevoir dans chaque film une sérieuse On raconte que Marlon Brando inter—
à lui, le maillot de corps le plus prolo deve— raclée... Quand il sait être le bourreau, rompt régulièrement les prises en murmu—
nait accessoire de séduction aristocra— Marlon Brando prend à cœur de jouer en rant « à quoi bon » ; quel que soit le réali—
tique. Surtout, ce Don Juan des faubourgs même temps les victimes. Comme s‘il vou— sateur, quel que soit le film... Un jour, il n‘a
à la virilité si étouffante, troublait tout le lait briser son image. Pour mieux se plus eu le courage peut—être, de résister à
monde... rompre. S‘oublier. ses doutes, à ses inquiétudes, à sa volonté
« Le sexe n‘a pas de sexe » répétait Pourquoi avoir accepté, par exemple, de se perdre, et à sa dérision d‘être.
volontiers l‘acteur. Il est des premiers à après la trilogie brillante qui fit sa gloire Ou alors, il lui a fallu des œuvres qui
avoir affiché une ambivalence sexuelle qui (Tramway — Quai — Equipée), tant de enfin lui ressemblent. Marlon Brando ne
devait secrètement choquer les pudi— nanars avec ou sans costumes, tant de tourne plus que lorsque son propre mythe
bondes années cinquante... En 1967, il superproductions qui ruinèrent sa réputa— se confond avec le scénario. Le patriarche
interprétait même dans Reflets dans un œœeil tion 2 Qu‘il s‘essaie maladroitement à cruel mais aimant du Parrain ; le déses—
d‘or de John Huston, les désarrois très danser dans Blanches colombes et vilains péré morbide mais sensuel du Dernier
oppressants d‘un homosexuel à peine messieurs, qu‘il se métamorphose en Tango à Paris ; l‘officier colonisateur et
refoulé... Brando le scandaleux porte en lui Japonais hilare dans La Petite Maison de colonisé d’Ap0ca/ypse Now : un fou de
les extrêmes : le féminin, le masculin ; le thé et l‘on oublierait presque la puissance solitude dans une île paumée, une espèce
beau, le laid: ; le mal, le bien. animale du cabot formidable. Celui qui sut de Citizen Kane ayant épuisé toutes les
Dans ses rôles de légendes, le docker être un Napoléon éblouissant dans un film utopies ® FABIENNE PASCAUD

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