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Questions de communication

26 | 2014
La pornographie et ses discours

Pascale DELORMAS, Dominique MAINGUENEAU et Inger


OSTENSTAD, dirs, Se dire écrivain. Pratiques discursives
de la mise en scène de soi
Limoges, Lambert-Lucas, 2013, coll. Linguistique, 140 pages

Agnès Felten

Édition électronique
URL : https://journals.openedition.org/questionsdecommunication/9438
DOI : 10.4000/questionsdecommunication.9438
ISSN : 2259-8901

Éditeur
Presses universitaires de Lorraine

Édition imprimée
Date de publication : 31 décembre 2014
Pagination : 389-393
ISBN : 978-2-8143-0233-4
ISSN : 1633-5961

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Référence électronique
Agnès Felten, « Pascale DELORMAS, Dominique MAINGUENEAU et Inger OSTENSTAD, dirs, Se dire écrivain.
Pratiques discursives de la mise en scène de soi », Questions de communication [En ligne], 26 | 2014,
mis en ligne le 31 décembre 2014, consulté le 23 novembre 2023. URL : http://
journals.openedition.org/questionsdecommunication/9438 ; DOI : https://doi.org/10.4000/
questionsdecommunication.9438

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Pascale Delormas, Dominique Maingueneau et Inger Ostenstad, dirs, Se dire écr... 1

Pascale DELORMAS, Dominique


MAINGUENEAU et Inger OSTENSTAD,
dirs, Se dire écrivain. Pratiques
discursives de la mise en scène de soi
Limoges, Lambert-Lucas, 2013, coll. Linguistique, 140 pages

Agnès Felten

RÉFÉRENCE
Pascale DELORMAS, Dominique MAINGUENEAU et Inger OSTENSTAD, dirs, Se dire écrivain.
Pratiques discursives de la mise en scène de soi, Limoges, Lambert-Lucas, 2013,
coll. Linguistique, 140 pages

1 L’analyse du discours dans les études littéraires (2004, Toulouse, Presses universitaires du
Mirail) est un ouvrage collectif qui interroge la présence du discursif. Il est constitué
d’articles provenant d’un séminaire qui a eu lieu en mars 1995 et dont l’analyse est
parue dans la revue Langages dans sa 117 e livraison. Dominique Maingueneau et Ruth
Amossy y établissent une approche mettant en exergue l’importance de s’intéresser au
discours pour comprendre une œuvre. Se dire écrivain. Pratiques discursives de la mise en
scène de soi est un recueil issu d’un second séminaire sur le même sujet qui a eu lieu à
Paris à la Fondation Maison des sciences de l’homme du 11 au 13 décembre 2008. Leurs
interrogations sur des problématiques relevant des sciences humaines et sociales ( SHS)
concernent autant la littérature que les sciences du langage. L’ouvrage met en évidence
l’importance de l’analyse discursive dans les études littéraires. Il rassemble différentes
contributions centrées sur la question de la mise en scène de l’auteur afin de vérifier
certaines notions d’analyse du discours portant sur des œuvres littéraires reconnues
dans la francophonie, en Angleterre, en Norvège et en Allemagne.

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2 Historiquement, au XIXe siècle, l’interprétation de texte littéraire est marquée par


l’apparition de l’histoire littéraire. Dès lors, le discours littéraire prend en compte
l’intériorité et l’extériorité de l’œuvre. Le contexte se voit donc autant considéré que le
texte lui-même. Le structuralisme aussi a marqué une étape dans la critique littéraire.
En effet, ce courant propose différentes approches. Il fait coexister plusieurs champs
d’analyse, notamment la sociologie, la linguistique, la pragmatique, et ceux qui
concernent plus particulièrement l’énonciation. Le créateur n’est plus le seul intérêt
des études littéraires, mais la critique traite aussi des dispositifs de communication qui
rendent possible son œuvre. Ainsi le genre de discours devient-il une notion capitale.
Certaines théories sociologiques tendent à minimiser la part du discours dans l’étude
littéraire des textes. Mais l’analyse des discours permet de repenser la position des
études littéraires par rapport à sa méthode et à ses démarches. Par conséquent, il faut
éviter de considérer que seule l’approche dite littéraire permet d’étudier des œuvres
estimées littéraires. Penser ce mode opératoire laisserait entendre que les sciences
sociales ne s’intéressent qu’à des textes réputés moins prestigieux. L’analyse du
discours permet de considérer différemment l’opposition présentée auparavant entre
l’intérieur et l’extérieur du texte. Elle-même repensée, la notion de littérature est plus
difficilement définissable qu’auparavant. L’analyse du discours, quant à elle, porte sur
tous les genres de textes, aussi bien sur ceux faisant classiquement partie d’un
patrimoine littéraire que sur les autres relevant du simple fait littéraire.
3 L’intérêt essentiel de l’ouvrage est de placer au centre des réflexions les gestes par
lesquels un individu se met en scène comme écrivain. Les approches littéraires ne
permettent pas de répondre à cette question, car elles se contentent de considérer,
d’un côté, les textes et, de l’autre, les phénomènes contextuels qui pourraient les
expliquer. En revanche, l’analyse du discours permet de dépasser ce clivage et met en
évidence un espace entre les deux domaines. En effet, il existe l’institution qu’il faut
reconnaître en ce sens où les écrivains effectuent des gestes signifiants et légitimant
leurs œuvres. En outre, se dire écrivain permet de surmonter une opposition surannée
entre l’instance interne du texte, parfois nommée le narrateur, et son instance externe,
l’auteur. L’analyse du discours considère que, à travers ses activités verbales et non
verbales, l’écrivain parvient à se placer sur la scène littéraire.
4 Dans le premier chapitre (pp. 13- 28), Dominique Maingueneau pose la question de
l’auteur en de nouveaux termes. Il revient sur la triade personne, écrivain, inscripteur
qu’il a déjà étudiée en 2004 dans Le discours littéraire. Paratopie et scène d’énonciation
(Paris, A. Colin). Si l’on distingue l’auteur de l’écrivain ou de l’énonciateur, il convient
d’associer l’auteur à son image. C’est pourquoi le titre de cette contribution porte, cette
fois, sur « Écrivain et image d’auteur ». Il étudie ici l’image d’auteur en tant que
concept. Il veut légitimer ce dernier au même titre que ceux des terminologies déjà
employées telles posture ou ethos, tandis que les études littéraires traditionnelles, selon
lui, ne s’en préoccupent pas. Pourtant, il existe une étude de l’image de l’auteur sans
que l’on s’intéresse à ce qui constitue l’extériorité qui ne relève pas vraiment du
littéraire. Dominique Maingueneau distingue trois valeurs de l’image d’auteur. D’abord,
il propose le terme répondant. Il faut voir dans le choix de ce terme l’instance qui
répond d’un texte. Le terme n’a rien de littéraire, mais note que tout texte a son auteur,
celui qui l’a écrit. Ensuite, l’auteur est considéré comme un acteur de la scène littéraire.
Il possède un statut social facilement identifiable. C’est pourquoi, selon Dominique
Maingueneau, la notion d’image d’auteur est fondamentale dans l’approche du discours

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littéraire. Trois pôles de la communication tournent autour de cette problématique. Il


s’agit des pôles de la production, du texte et de la réception. La notion d’image d’auteur
demeure difficile à saisir dans l’ensemble car elle reste complexe et souvent de grande
envergure. Il faut envisager de cerner l’auteur avec une démarche plus investigatrice
qui relèverait de l’érudition afin de vraiment pouvoir exprimer la singularité
auctoriale. Toutefois, contrairement aux sciences du langage qui possèdent une
démarche scientifique, l’érudition ne peut servir de démonstration pour appréhender
une démarche critique sur un auteur.
5 José-Luis Diaz (pp. 29-49) choisit une perspective historique et s’éloigne un peu de
l’analyse du discours. Il s’intéresse donc à ce que l’Histoire montre de l’écrivain et aux
comportements littéraires inscrits dans une durée qu’il définit comme allant de
l’époque classique à celle postromantique. Il se rapproche de Paul Bénichou qui, avec la
notion de « sacre de l’écrivain » (1996, Le sacre de l’écrivain (1750-1830), Paris, Gallimard),
a influencé durablement la critique littéraire. José-Luis Diaz définit le terme
scénographies littéraires par la mise en scène de soi et de la représentation presque
scénique que l’écrivain fait de lui-même. La mise en scène de soi intervient dans un
espace public dans lequel l’écrivain évolue. José-Luis Diaz a déjà défini la notion de
scénographie auctoriale dans un précédent ouvrage (2007, L’écrivain imaginaire,
scénographies auctoriales à l’époque romantique, Paris, Champion) et la reprend dans sa
contribution. La notion de scénographie est entrée sur plusieurs dimensions
complémentaires. La notion d’écrivain imaginaire est capitale. Sa vision de la
scénographie auctoriale est concentrée sur quatre pôles, définis par quatre parties du
mouvement romantique. En effet, il existe le romantisme mélancolique, le romantisme
de l’énergie, le romantisme ironique ou fantaisiste et le romantisme désenchanté.
Chaque partie est elle-même définie par différents emblèmes figuraux, posturaux et
topiques de la fonction intégrée dans le romantisme. La fonction centrale est occupée
par le poète. Longtemps sacralisé dans le romantisme, il est détrôné par une vision de
l’artiste dans un sens plus large. Toutes ces dénominations sont liées au regard porté
par les différentes sociétés sur l’écrivain. La fonction de l’écrivain et son inscription
sociale évoluent selon les siècles, les écrivains jugés purs sont assez rares et certaines
périodes n’apprécient plus les philosophes autant que les écrivains et, parfois, on voit le
contraire. Se dire écrivain permet de convoquer la notion d’imaginaire. Sa mise en
mots est un passage obligé pour définir ce qu’il est vraiment. Il est difficile de répondre
à cette question sans s’attarder sur les procédés d’écriture et, en particulier, sur
l’utilisation de la première personne. C’est pourquoi l’étude de différents journaux, de
lettres ou de textes mettant en avant une écriture de l’ordre de l’intime et du spontané
permet de considérer au mieux ce qu’est l’écrivain quand il semble se livrer plus
intensément. Mais l’écrivain peut aussi se révéler prisonnier de son image et donner un
reflet qui soit autre que ce qu’il est vraiment. C’est pourquoi la perspective imaginaire
rend compte des intentions inconscientes de l’écrivain. Néanmoins, dans certaines
lettres réservées théoriquement à un cadre privé, il peut donner une image moins
travaillée de lui. Même si, tout écrivain a vraisemblablement conscience qu’il peut être
publié un jour. À partir du moment où il écrit, il sait que, à un moment ou à un autre, ce
qu’il ne publie pas peut un jour être publié, y compris sans son autorisation. Tout écrit
est susceptible d’être lu. C’est là l’ambiguïté des écrivains qui ne veulent pas l’être et
qui revendiquent cette étrangeté. Cependant, la majorité veut accéder à la publication
qui reste un moyen d’être reconnu. Cette reconnaissance passe aussi par la filiation et il
est évident que de nombreux jeunes écrivains se recommandent d’autres plus anciens

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et jugés célèbres à travers leurs propres publications. Par conséquent, les écrits de
jeunesse ne correspondent pas vraiment à un scénario auctorial. L’auteur en devenir ne
peut pas encore donner une image de lui alors qu’il peine à trouver son écriture et ce
qu’il envisage de concevoir en tant qu’écrivain. Quoi qu’il en soit, l’écrivain a toujours
des leçons à tirer de l’image que donne de lui le critique. Ce dernier a donc un rôle
important dans la construction de son image. Quant aux personnages, ils peuvent aussi
remplir une fonction de miroir, et ils parviennent souvent à renvoyer une image de
l’auteur. Pour José-Luis Diaz, la question qui semble la plus importante est celle de
l’inscription de l’image d’auteur dans le texte. Il est indéniable que, quand il s’impose
dans le texte, l’auteur met en place différentes prises de paroles et des dispositifs
génériques identifiables, parce que souvent récurrents. Le scénario auctorial construit
son image d’écrivain, mais il conditionne sa vie également. L’image qu’il se fait de lui-
même et qu’il donne à voir oriente son mode de vie. De plus, s’il donne une certaine
image de lui-même, il présente aussi un regard sur son œuvre et ce qu’il dit de ses
ouvrages révèle tout autant son image que les autres constructions imaginaires ou
réelles apportées par lui-même ou les autres. En définitive, certains poètes sacrifient
aux conventions et le romantisme mélancolique fait état de nombreux clichés
facilement identifiables. En somme, il est intéressant d’établir qu’il existe bien une
corrélation entre les scénographies auctoriales et le discours choisi par les auteurs.
6 Quant à Pascale Delormas (pp. 51-67), elle se rapproche de Dominique Maingueneau par
deux aspects, celui de la paratopie et celui de l’analyse du discours. Elle s’intéresse aussi
à la notion d’ethos, définie par la rhétorique comme l’ensemble des traits de caractère
habituels d’un groupe, ou le style d’un orateur. L’ethos est une notion proche de celle de
l’image d’auteur. La paratopie est un champ d’étude qui comporte plusieurs domaines,
ceux de l’identité, du spatial, du temps et de la langue. Ici, la paratopie langagière est
une préoccupation majeure de son travail. Elle y étudie le discours autobiographique de
Jean-Jacques Rousseau et l’œuvre de Patrick Modiano et propose trois types de
paratopies langagière : les paratopies locutoire, périlangagière et pragmatique. Ces
dispositifs sont récurrents. En outre, elle différencie l’ethos montré et l’ethos dit. Ce qui,
pour certains auteurs, n’empêche pas d’afficher un idéal de transparence. Le langage
sert à tout dire tout en mettant à distance l’image de l’auteur. C’est pourquoi certains
malentendus peuvent exister entre auteur et lecteur. Ils sont parfois de l’ordre de la
fascination, voire de l’emprise exercée du côté de l’auteur. Le principe de la double
énonciation identifiable au théâtre est aussi présent dans des récits fictionnels.
L’auteur s’adresse parfois à lui-même et il écrit avant tout pour une autre personne,
différente de lui, mais qu’il souhaiterait parfois à son image afin d’être apte à la
comprendre. Selon Pascale Delormas, en articulant les notions de paratopie et d’ethos
discursif avec des catégories communicationnelles traditionnelles, il est possible de
faire émerger des constantes dans la notion d’image d’auteur. Différents ethè offrent
plusieurs images de l’auteur, qu’il s’agisse du sage, de l’écrivain ou de l’auteur.
Certaines stratégies auctoriales sont établies grâce à l’artifice. Une triple stratégie
remet en cause le principe de communication habituelle de l’auteur pour signifier son
image. Du point de vue de l’ethos affectif, l’auteur est limité par la langue elle-même ;
les insuffisances de sa personne ou l’absence d’interprétation suffisante de la part du
lecteur peuvent être supplées par la vision très positive de l’image d’auteur. L’auteur
peut avoir accès au Panthéon à travers des stratégies personnelles qu’il aurait mis en
place.

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7 Ensuite, Isabelle Chanteloube (pp. 69-81) – de l’université de Lyon – se fonde elle aussi
sur des écrits de Jean-Jacques Rousseau pour montrer comment il se met en scène. Sa
position est originale car il renvoie aux lecteurs une image qui n’est pas vraiment en
conformité avec la figure de l’Auteur. Il est assez difficile à percevoir car il donne
souvent une image de lui-même très différente d’un écrit à un autre. Sur beaucoup de
points, il se présente comme un auteur marginal. Il fait partie d’une communauté
littéraire et de la communauté philosophique mais, en ce qui concerne bien des aspects,
il se retire et s’exclut même de tout cercle duquel il aurait pu faire partie. C’est
pourquoi il se montre très sévère à l’encontre des philosophes qui lui sont
contemporains. Il a donc tendance à donner de lui-même une image correspondant à
l’exact opposé de celle que donnent les autres auteurs. Ses œuvres portent la marque
de son interrogation sur lui-même et sur la vision qu’il veut donner de lui. De
nombreuses marques dans son discours assurent d’une importance accordée à la forme
du dialogue. Il préfère en référer à un discours subjectif plutôt qu’à une forme
d’objectivité moins performante selon lui. Il cherche à établir une relation avec le
lecteur, un dialogue constant avec celui qui le lit. Même dans son traité sur l’éducation
(Émile ou de l’éducation, 1762), il interpelle le lecteur. Cette ouverture d’esprit vers autrui
est visible dans le système énonciatif choisi où, en général, la première personne
abonde. Il a fréquemment recours à des termes axiologiques. Son discours donne donc
de nombreuses informations sur son image d’auteur. D’ailleurs, c’est dans une
perspective de constante modification de son image qu’il procède, dans son œuvre, à
des dédoublements d’image d’auteur de manière assez systématique. Sa production
porte les marques d’interrogations légitimes sur le statut de l’auteur. Il réfléchit
également sur les obligations qu’a un auteur envers son lectorat. C’est pourquoi, Les
Rêveries du promeneur solitaire (1782) marquent l’aboutissement de cette réflexion et
présentent l’intérêt de n’être plus que des pensées personnelles, qui ne seraient pas
forcément destinées à être lues. Par conséquent, il se dégage des obligations de
composition, de justifications et de recours à des explications qu’il pensait devoir aux
autres. S’il n y a pas de lecteur, l’image de l’auteur n’existe plus non plus. Ainsi l’œuvre
de Jean-Jacques Rousseau est-elle axée sur la question de l’auteur. Il adopte deux types
d’attitude. Soit il refuse de n’être qu’un simple auteur, car il se sent beaucoup plus que
cela, soit il se défend car il se sent attaqué sur son image d’auteur. Il se sert de ses
œuvres pour se mettre en scène, mais, chez lui, l’image de l’homme, sincère et
authentique, prime sur une construction artificielle de la figure auctoriale.
8 Pour sa part, Ranghild Evang Reinton (pp. 83-98) – de l’université d’Oslo – éclaire son
propos à partir de l’œuvre de Walter Benjamin. Il fonde ses observations sur le travail
de Dominique Maingueneau, précisément l’ouvrage intitulé Le discours littéraire.
Paratopie et scène d’énonciation (2009). Les concepts proposés par le linguiste concernent
la scène énonciative. En effet, celle-ci est le principe fondateur de l’œuvre. Il étudie les
raisons qui font que, actuellement, on lit encore Walter Benjamin. Au moment de son
vivant, son importance littéraire tient au soutien d’auteurs renommés tels Gershom
Scholem et Theodor Adorno. Mais Walter Benjamin a surtout rencontré un succès
posthume. Toutefois, une part importante de l’image qu’il a donnée de lui l’a été à
travers un récit de type autobiographique, intitulé Enfance berlinoise (1950, trad. de
l’allemand par J. Lacoste, Prais, M. Nadeau, 1978). Il s’agit d’un texte qui est en totale
opposition avec ce qu’il a pu écrire auparavant. Ainsi l’œuvre critique, dans laquelle il
marque une distance par rapport à son image, s’oppose-t-elle complètement à cette
œuvre autobiographique très intime. La scène générique de l’autobiographie n’est pas

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complètement entrevue de manière traditionnelle. En effet, Walter Benjamin ne


respecte pas les conventions habituelles du genre. Ainsi ne respecte-t-il pas l’ordre
chronologique du récit, souvent suivi par les autobiographes. En outre, il s’éloigne aussi
d’un thème attendu dans l’autobiographie qui est celui de la quête de soi dans la vision
donnée par l’auteur de lui-même. De surcroît, l’œuvre autobiographique au regard de
ce que son auteur a publié évolue vers une progressive anonymisation des personnages.
Donc cette œuvre s’inscrit bien dans un espace littéraire correspondant au genre
autobiographique. Mais son discours constituant peut laisser penser que l’aspect
autobiographique est abordé de manière marginale, tout comme Jean-Jacques
Rousseau. Dans les récits autobiographiques de Walter Benjamin, l’identité de
l’énonciateur est complexe en raison, surtout, de son triple statut : personne, écrivain
et inscripteur. Ce dernier aspect réduit considérablement l’image donnée par l’auteur
lui-même. Plus simplement, l’écrivain est considéré comme une personne qui écrit. En
outre, la scénographie d’Enfance berlinoise est marquée à la fois par son aspect
philosophique et sa forme de discours littéraire. En tant que discours littéraire, ce récit
d’enfance comporte davantage de motifs implicites. Les principaux topoï utilisés par
Walter Benjamin sont ceux de la mort et du souvenir. Selon l’expression de Charles
Mauron présente dans Des métaphores obsédantes au mythe personnel (1962, Paris, J. Corti),
ces réseaux obsessionnels montrent le cheminement de l’image de l’auteur à travers ses
textes. D’ailleurs, le motif du labyrinthe est une façon pour l’auteur de vouloir se
perdre dans les méandres de son texte. Par conséquent, la figure labyrinthique est
associée à de nombreuses allusions mythologiques, à celle du mythe d’Ariane en
particulier, qui symbolise le fil conducteur destiné à révéler le sens caché de l’œuvre en
poursuivant avec persévérance. Ainsi Rangild Evang Reinton établit-elle l’intérêt des
études littéraires fondées sur le texte ou le langage poétique tandis que, actuellement,
les nouvelles approches s’intéressent au rapport entre le texte et le contexte. Cette
perspective est radicalement opposée à celle du romantisme. Il existe une interaction
entre le texte littéraire et les lettres. Quelle que soit son origine, le discours constituant
est une forme d’autorité envers la société. Et il s’affiche comme étant en corrélation
permanente avec les autres discours. L’espace littéraire délimité par Walter Benjamin
est circonscrit par son obsession de la mort. L’image qu’il donne de lui dans son œuvre
est apportée par sa renommée personnelle. C’est-à-dire par l’image qu’il a donnée de
lui-même. L’identité de l’énonciateur est à mettre en rapport avec la notion de
paratopie. Les discours paratopiques de l’espace littéraire renvoient à la fois à cet
espace et aux manifestations extérieures engendrées par l’auteur. Comme les shifters
textuels, il existe des embrayeurs paratopiques qui permettent de cerner l’univers
représenté dans l’œuvre et la situation énonciative dans laquelle s’insert le discours.
Ainsi l’auteur peut-il se situer dans l’espace littéraire qui l’entoure et l’englobe, celui
dont il fait partie. Tout écrivain a en quelque sorte vocation à appartenir à un espace
personnel qui rejoint la sphère d’auteurs qu’il admire ou auxquels il s’associe par
parenté d’idées. L’auteur se trouve dans une situation complexe qui le place à la fois
dans son intériorité et dans son extériorité. En effet, la scénographie produit des
images qui relèvent tout autant de l’intérieur que de l’extérieur. Trois instances
tendent encore à compliquer l’image de l’auteur, il s’agit d’abord de la personne en tant
qu’être biographique, ensuite de l’écrivain en tant qu’acteur de l’espace littéraire et,
enfin, en tant qu’inscripteur il n’est qu’un rouage de la création littéraire. Dans ses
autobiographies, Walter Benjamin se montre différent que dans ses textes critiques. Sa
figure auctoriale est très riche et assez récemment découverte.

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9 Dans sa contribution, « L’auteur de physiologie dans tous ses états, sur la scénographie
déceptive » (pp. 99-112), Valérie Stiénon – université de Liège – commence par définir
la notion d’écrivain physiologiste. Ce type d’écrivains est fortement ancré dans une
époque précise du XIXe siècle. Valérie Stiénon cible même une période s’inscrivant de
1839 à 1842. Il s’agit tout de même d’écrivains faisant partie d’une minorité et surtout
de personnes n’ayant pas réellement réussi à percer dans la littérature. C’est pourquoi
ils se sont attachés à publier des œuvres lucratives. Les caractéristiques des
physiologies sont celles d’œuvres mineures, écrites sur commande et destinées à
rapporter à leurs auteurs de l’argent plus que de la notoriété. Elles sont fondées sur
l’humour, le burlesque, l’autodérision et les moqueries diverses. Certains auteurs de
physiologies n’hésitent pas à se mettre en scène sous un jour dévalorisant. Ils se
moquent de leur image d’auteur et se montrent à travers des fantaisies exagérées. Les
physiologies relèvent de plusieurs genres. Elles concernent autant l’essai que le roman.
La scène d’énonciation est diverse, mais doit répondre à des exigences éditoriales qui
peuvent être perçues comme des contraintes. Mais l’importance des discours liés aux
physiologies restent de moindre valeur. Elles ne relèvent pas d’un « discours
d’importance » selon l’expression de Pierre Bourdieu (1982, Ce que parler veut dire,
l’économie des échanges politiques, Paris, Fayard), mais elles appartiennent à une
pragmatique de déprise et à un oubli assez important des responsabilités esthétiques et
idéologiques. L’autorité énonciative est fortement parasitée et sapée par leurs auteurs
eux-mêmes, par les lecteurs et par les auteurs plus reconnus. Les physiologies
contiennent un rapport subversif à l’autorité scientifique et leurs auteurs n’hésitent
pas à revendiquer l’illogisme de leur démarche. En somme, les physiologies se relèvent
être des écrits efficaces car le lectorat est ciblé et le genre considéré comme mineur
n’oblige pas leurs auteurs à recourir à des artifices trop spécieux.
10 Inger Ostenstad (pp. 113-125) – université d’Oslo –fonde son article sur trois exemples.
Elle commence par étudier le cas de George Sand. Cette dernière a choisi de brouiller
son image dans de nombreuses préfaces en se montrant sous un autre sexe. Elle a signé
sous un pseudonyme masculin. Cette liberté d’écriture, elle l’a retrouvée dans sa vie
elle-même en se travestissant en homme afin de pouvoir rejeter le poids de la société.
L’autre figure qui intéresse ici Inger Ostenstad est celle d’Orlando, le personnage clé de
Virginia Woolf (1928, Orlando : A Biography, Londres, Hogarth Press). Le troisième
exemple permet à Inger Ostenstad de montrer comment la femme perd de sa féminité
et devient un exemple de déféminisation. Ces trois attitudes montrent trois stratégies
de la construction de l’image d’auteur. George Sand peut appartenir à une sorte
d’humanisme qui la hisse au rang de surfemme. Quant à Virginia Woolf, elle propose
une figure androgyne ludique à travers le personnage d’Orlando qui évolue d’un genre
sexué vers un autre. Enfin, Hanne Orstavik se présente comme une femme déféminisée.
La problématique du genre de l’énonciateur littéraire gagne à être explorée à travers la
notion d’ethos. Les remarques théoriques effectuées sur l’analyse du discours
permettent de mieux comprendre les dynamiques qui donnent forme à la scénographie
auctoriale.
11 Raphaël Luy (pp. 127-141) – université de Lausanne – pose sa problématique en cernant
l’évolution de l’ethos au fil des ouvrages d’un écrivain handicapé et de la manière dont
cette évolution peut transformer ou du moins redéfinir la représentation que le lecteur
peut avoir du handicap. L’évolution de la posture d’auteur est perceptible tout au long
de l’œuvre de Philippe Vigand. Raphaël Luy montre que sa posture évolue selon deux

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axes principaux. L’auteur s’efface progressivement et son handicap disparaît au fur et à


mesure des écrits. Son écriture porte de moins en moins les stigmates de cette
souffrance. Par conséquent, le deuxième axe marque, au regard du premier, un
affaiblissement de l’auto-désignation de l’écrivain comme homme déficient. Il présente
au fil de ses œuvres de moins en moins de stéréotypes liés à son handicap. Il développe
au contraire une faculté sensorielle particulière, parfois attachée aussi à la situation de
handicap. Raphaël Luy en déduit surtout que le handicap permet de se poster en tant
qu’observateur particulier. Ainsi sa déficience lui donne-t-elle une image auctoriale
très particulière qui ne l’empêche pas de se présenter comme un auteur à part entière.
12 Ainsi l’intérêt de ce recueil est-il de renouveler la position des critiques sur la mise en
scène auctoriale. Les sciences du langage peuvent apporter des preuves efficaces sur les
postures d’écrivains. Certaines études littéraires plus anciennes n’apportent pas de
réponse satisfaisante aux questions soulevées par le volume qui demeure d’une
importance capitale. C’est pourquoi l’analyse de discours est un moyen très efficace
d’appréhender l’image d’auteur et se révèle essentielle dans l’univers de la critique
littéraire.

AUTEURS
AGNÈS FELTEN
L’AMo, université de Nantes, F-44000
[email protected]

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