Sociologie Du Commerce - HalSHS
Sociologie Du Commerce - HalSHS
Sociologie Du Commerce - HalSHS
Résumé : Cet article propose des pistes théoriques pour le développement d’une sociologie du commerce et des transports
en sociologie économique. Pour cela, il revient sur les transformations des modèles agricoles et alimentaires au 20 e siècle.
Alors que les questions de production et de consommation sont souvent abordées séparément, cet article étudie les
transformations de leur mise en relation, à partir de l’émergence de la catégorie de « distribution » comme rationalité
économique. Il montre que cette notion renvoie d’abord à des transformations dans le domaine des transports et de la
logistique – plutôt qu’à des innovations dans la sphère de la vente au détail (supermarchés, etc.) – consistant à stabiliser des
produits afin de massifier des flux et rendre le circuit entre le producteur et le consommateur à la fois le plus extensible et le
moins coûteux possible. La distribution apparaît alors comme une rationalité visant à optimiser et sécuriser des flux de
marchandises, en rendant connaissable et calculable leur schéma global de circulation. Ceci invite à voir les transports non
comme une simple extension des besoins de l’offre ou de la demande, mais comme des « technologies politiques » qui
contribuent à ordonner l’économie. Pendre les transports pour objet implique de construire une sociologie du commerce,
distincte d’une sociologie du marché.
Mots-clés : distribution ; transports ; sociologie économique ; sociologie du commerce ; technologies politiques : agriculture ;
alimentation.
Comment appréhender les transformations qu’ont connues les économies occidentales au 20e siècle
dans les sphères de la production et de la consommation de denrées périssables1 ? Il semble bien établi
que la seconde moitié de ce siècle ait été marquée par l’avènement de la norme de la consommation
de masse (Cochoy, 1999 ; Daumas, 2006 ; Moati, 2001), étayée par le développement de deux forces
concomitantes, le productivisme agricole (Mendras, 1989) et la grande distribution (Barrey, Cochoy et
Dubuisson-Quellier, 2000 ; Chessel et Chatriot, 2006 ; Grandclément, 2008 ; Grandclément et Cochoy,
2006), l’une apparaissant implicitement comme solidaire, ou comme le complément nécessaire de
l’autre. Cet article propose d’envisager ces transformations d’une manière quelque peu différente, et
dans donner une lecture non pas contradictoire, mais complémentaire. Cette approche consiste à
regarder productivisme et grande distribution, non pas comme la cause – ou comme deux causes, liées
de manière structurale – des transformations évoquées, mais plutôt comme leur résultat, comme le
produit d’un processus trouvant sa source dans les besoins du commerce au long cours, de l’échange
à distance (Bernard de Raymond, 2013, 2014). Autrement dit, il s’agit de partir non pas de la production
et de la consommation (considérées d’emblée comme des sphères autonomes), mais de la manière
dont on a problématisé leur mise en relation, pensé leur articulation tout en produisant leur
différenciation (Harvey, Quilley et Beynon, 2003). Ceci implique en particulier de revenir sur les
conditions d’émergence de la catégorie de « distribution » (non équivalente à celle de « grande
distribution »), les catégories et les pratiques avec lesquelles elle entre en tension et qu’elle vise à
dépasser. Souvent assimilée à la « grande distribution », et donc à des transformations dans le
domaine de la vente au détail, on verra ainsi que le foyer d’origine de la distribution se situe en réalité
dans le domaine des transports et de la logistique, et des contraintes qui leur sont propres, et que le
terme de distribution émerge comme une exigence de penser l’ensemble du circuit que suivent les
marchandises depuis le producteur jusqu’au consommateur, et ce afin de l’optimiser et de le rendre à
1
Je remercie Sandrine Barrey et Hélène Ducourant pour leur relecture et leurs suggestions sur une version
antérieure de ce texte.
la fois le plus extensible et le moins coûteux possible. Il s’agira alors de saisir en quoi les
transformations survenues dans le domaine des transports ont pu avoir des conséquences dans
d’autres domaines et dans la manière d’articuler des sphères d’activités pensées comme différenciées.
Ceci permet une autre lecture de l’histoire de la consommation de masse et du développement de la
grande distribution, qui apparaît alors moins comme la cause première des changements survenus au
20e siècle, que comme l’organisation de la vente au détail qui a su le mieux tirer parti de la révolution
des transports, de la logistique et de la conservation des produits. Ce constat socio-historique permet
de poser, plus généralement et d’un point de vue théorique, la question du rôle du commerce et des
transports (et non seulement de l’échange marchand) dans la construction de l’ordre économique.
Dans un premier temps, l’article revient sur la manière dont, depuis les années 1980, les études rurales
de langue anglaise ont cherché à dépasser les apories d’une sociologie centrée uniquement sur les
agriculteurs et la production agricole, pour construire des modèles permettant d’intégrer les enjeux
de production et de consommation, ce qui a donné naissance à la « commodity system analysis »
(Belasco et Horowitz, 2010 ; Friedland, 1984). Cet article apporte une contribution spécifique à ce
champ de recherches, en montrant le rôle des transports et de la logistique dans la dynamique des
« food systems ». Cet argument est développé dans la deuxième partie, qui retrace l’émergence de la
catégorie de « distribution », comme rationalité organisatrice de l’économie. Ce constat d’un rôle
crucial des transports et de la circulation des produits dans la transformation des économies amène –
bien au-delà du cas de l’agriculture et de l’alimentation – à reconsidérer la question de l’échange
marchand. Dans une troisième partie, ce texte montre que la question des transports et de la
circulation des produits permet de poser les bases d’une sociologie du commerce, distincte de la
sociologie du marché (Polanyi, 1957). Montrant que cette dimension a été insuffisamment prise en
compte par la sociologie économique jusqu’à présent, il propose quelques pistes pour construire une
telle approche.
Une autre approche, moins connue, a aussi cherché à répondre à ce défi de saisir de manière globale
l’articulation entre agriculture et alimentation, que l’on rapporte généralement à un article séminal de
Friedland sur la commodity chain analysis (Friedland, 1984). Dans cet article, Friedland propose de
développer des recherches au-delà du seuil des exploitations agricoles, pour analyser l’ensemble du
schéma de circulation des produits agricoles, et les différentes étapes de leur transformation en
marchandises, tout au long de leur parcours jusqu’au consommateur. Cette approche n’a pas
l’ambition de produire un cadre d’analyse aussi cohérent que celle des « food regimes », mais part
plutôt de considérations pratiques : que deviennent les produits agricoles quand ils ont franchi le seuil
de l’exploitation agricole ? Comment expliquer les changements de pratiques des agriculteurs ? Qui
détient le pouvoir sur ces commodity chains ? Cette moindre ambition explique peut-être la plus faible
renommée académique de ce courant de recherche, qui a par ailleurs une moins grande cohérence
théorique que l’école des food regimes (Carolan, 2012), et qui a depuis essaimé en différents courants
(commodity chain analysis, food chains analysis, food system approach, global value chains, etc.).
Néanmoins, ces réflexions ont donné lieu à des travaux féconds, qui ont permis d’appréhender de
manière complexe l’articulation entre production agricole et consommation alimentaire, les
transformations d’ensemble des systèmes d’approvisionnement, ainsi que la montée en puissance de
la grande distribution au sein de ces systèmes. A la différence de l’approche des food regimes, qui part
des constructions macro-institutionnelles pour en déduire des arrangements concrets, ces travaux,
dans leur diversité, ont en commun de prêter une attention fine aux agencements situés qui organisent
la circulation et la transformation des produits depuis le producteur jusqu’au consommateur.
Mais cette approche empirique renvoie à un parti-pris théorique (Collins, 2005) consistant à rejeter le
déterminisme ou, plus exactement, le monisme causal. Pour les chercheurs engagés dans ce courant
de recherches, restituer l’ensemble du jeu d’acteurs qui permet de lier l’agriculture et l’alimentation,
c’est faire le pari d’une certaine contingence des phénomènes sociaux, de l’hétérogénéité des sources
du pouvoir. Refuser d’étudier seulement l’agriculture, ou seulement l’alimentation, c’est à la fois
refuser d’hypostasier un objet et faire place à la complexité du réel, à la pluralité des mondes possibles.
Cette rupture avec le monisme causal se double d’une rupture avec l’économicisme, et une vision du
changement social comme strictement guidé par les besoins du capital. La commodity system analysis
fait au contraire place aux acteurs, au sens qu’ils confèrent à leurs actions, et plus largement aux
phénomènes culturels. Cette volonté de rendre compte de la complexité des facteurs causaux ne
conduit pas à une forme d’angélisme sur les contraintes qui pèsent sur les acteurs, mais bien plutôt à
montrer comment des formes de pouvoir très globales et durables peuvent être le produit contingent
de différents processus. En mettant à jour les rapports d’interdépendance, de pouvoir, dans lesquels
sont pris aussi bien l’agriculture, que le commerce ou l’alimentation, on se donne justement les
moyens de rendre compte de manière adéquate de chacun de ces phénomènes. Bref, les commodity
system analyses déplacent la focale pour objectiver les contraintes systémiques dans lesquelles sont
pris des objets que l’on étudie habituellement de manière autonome, comme s’ils constituaient un
tout cohérent. C’est ce geste qu’accomplit Fine par exemple (Fine, 1994), lorsqu’il rejette les approches
conventionnelles de la sociologie de la consommation, qu’il qualifie d’horizontales, pour proposer une
approche verticale de la consommation, fondée sur les « systèmes d’approvisionnement » (systems of
provision).
Partant de travaux néo-marxistes de sociologie de l’agriculture (Friedland, Barton et Thomas, 1981)
cherchant à intégrer l’environnement des pratiques agricoles (marché du travail, fourniture d’intrants,
mise en marché, etc.), les commodity systems analyses ont peu à peu suscité d’autres recherches qui
ont intégré des aspects plus éloignés de la production, tels que le commerce de gros et de détail,
l’industrie de la transformation, le design des produits, ainsi que la consommation (Dixon, 1999, 2009).
Avec le temps, une attention de plus en plus grande a été conférée au rôle des pouvoirs publics et aux
activités de régulation des systèmes alimentaires, ou encore aux mouvements sociaux (Wright, 2005).
Beaucoup de recherches ont été consacrées à la mise en place et aux transformations de circuits allant
du producteur au consommateur pour une denrée donnée, recherches dont le travail de Mintz sur le
sucre, dans un contexte colonial, constitue un exemple paradigmatique (Mintz, 1986). Cette recherche
relie en effet les transformations de la demande de sucre en Angleterre – qui, entre le 13e et le 18e
siècle, passe peu à peu d’une consommation exceptionnelle, réservée à la cour du roi, à un statut
d’élément de base et incontournable de l’alimentation du peuple – aux transformations de ses
conditions de production. L’élément qui permet l’accroissement de la production est en effet
l’introduction de la culture de la canne à sucre dans le nouveau monde, peu après sa découverte en
1492. Alors que les Espagnols et les Portugais développent les plantations, les Anglais et les Hollandais
apportent la force de travail et assurent le transport du produit fini vers l’Europe. Le développement
des plantations marque ainsi le début du commerce triangulaire entre l’Afrique, l’Europe et
l’Amérique, et la mise en place de rapports de travail esclavagistes en Amérique. Les modes
d’exploitation de la nature en vue de la production de sucre donnent en outre lieu à un épuisement
très rapide des ressources et contraignent donc à des cycles de croissance puis d’effondrement, ainsi
qu’à une forte mobilité des lieux de production. La spécialisation des lieux de production dans une
monoculture (sucre, cacaco, etc.) destinée exclusivement à l’exportation vers l’Europe, contraint en
outre les populations locales à consommer des denrées importées, et fait ainsi coexister une situation
d’augmentation de la production agricole et de pénurie de denrées alimentaires.
Au-delà des systèmes de marchandises dans les contextes coloniaux, les commodity system analyses
se sont beaucoup intéressées à l’agriculture et l’alimentation contemporaine, à travers deux
phénomènes en particulier, l’industrialisation de l’agriculture et la globalisation des marchés agricoles.
Elles ont en particulier décrit une nouvelle étape de la globalisation depuis les années 1980, avec la
généralisation de marchés d’exportation de fruits et légumes frais, depuis les pays du Sud vers les pays
du Nord (Dixon, 1999 ; Friedland, 2001). Dans un premier temps, ces travaux ont surtout porté
attention aux conditions et aux effets de la mise en place de telles chaînes d’approvisionnement pour
les pays du Nord, et à la manière dont elles sont régulées. De la sorte, ils ont cherché à répondre à une
question récurrente dans cette approche : quel est le lieu du pouvoir au sein du commodity system ?
Ces travaux donnent alors à voir la prise de pouvoir de la grande distribution sur les chaînes
alimentaires, aboutissant au résultat (largement partagé dans la littérature) que le pouvoir ne se situe
ni au niveau de l’agriculteur, ni au niveau du consommateur, mais plutôt à celui intermédiaire de la
grande distribution ou des grandes industries agroalimentaires qui transforment les matières
premières agricoles de manière de plus en plus élaborée (food processors). Ces recherches montrent
comment la grande distribution acquiert un pouvoir sur l’agriculture grâce à sa puissance d’achat, non
seulement en mettant en concurrence différentes sources d’approvisionnement, mais aussi par sa
capacité à définir les qualités attendues du produit fini. Ce pouvoir de définition de l’objet de l’échange
permet à la grande distribution d’imposer ses propres contraintes à l’ensemble des acteurs de la chaîne
d’approvisionnement, et à leur en faire supporter une partie des coûts associés. Après avoir favorisé
la standardisation et l’homogénéisation des marchandises, les chaînes de supermarchés, pour se
différencier dans la concurrence qu’elles se livrent, misent de plus en plus la segmentation du marché
et la diversification des qualités attendues, mettant particulièrement en avant les enjeux sanitaires,
environnementaux voire éthiques. Ceci donne lieu à un double phénomène, d’approfondissement de
la standardisation et de la massification du marché, et de multiplication des niches combinant
différentes propriétés spécifiques (Agriculture Biologique, Commerce équitable, etc.), ces produits de
niches étant particulièrement prisés des classes moyennes aisées des grandes villes occidentales. Ces
« marchés de multitudes » (Konefal et Busch, 2010), construits d’emblée à l’échelle internationale sont
régulées par le système de la certification par tiers, qui a donné lieu à une abondante littérature
(International Journal of Sociology of Agriculture and Food, 2013a, 2013b). Actuellement, on assiste
au développement de travaux sur les effets environnementaux et sociaux de ces systèmes alimentaires
globalisés au niveau de la production agricole (Gertel et Sippel, 2014 ; Sage, 2011).
Cet article s’inscrit dans ce courant de recherche, auquel il ajoute un apport spécifique, à savoir – d’un
point de vue empirique – le rôle des transports et de la logistique et – d’un point de vue épistémique
– un éclairage sur les contraintes propres de l’échange à distance, à partir du cas de l’émergence de la
catégorie de « distribution ». En effet, comme le souligne Collins, il est souvent reproché aux
commodity system analyses une forme de fonctionnalisme voire de téléologisme (Collins, 2005),
consistant à prendre la division du travail entre différents acteurs (producteurs, commerçants,
distributeurs, consommateurs, etc.) de même que l’organisation des échanges en filières spécialisées
par produit pour une évidence et pour une nécessité. En prenant pour objet l’émergence d’une
catégorie de pensée et d’action, on donne au contraire à voir comment se construit et se déploie une
rationalité qui produit de la différenciation et la calculabilité globale d’un schéma de circulation des
produits.
Etudier le cas des denrées alimentaires pour saisir le rôle des transports dans la dynamique de
l’économie présente un intérêt en raison de la spécificité de ces produits, liée à leur périssabilité. Or,
une transformation radicale est survenue entre la fin du 19e et le milieu du 20e siècles, à savoir
l’émergence d’une capacité à maintenir durablement les denrées périssables dans un certain état, qui
va changer radicalement la manière d’organiser les échanges, notre conception de la fraîcheur des
produits, et la manière de les consommer (Freidberg, 2010). Mais comment de telles transformations
ont-elles été possibles, et quelles conséquences ont-elles eues ?
Ce texte fait l’hypothèse que cette transformation majeure des économies occidentales au 20e siècle
tient à l’émergence de la distribution, par opposition au commerce (entendu ici non comme une
catégorie analytique, comme cela a été le cas jusqu’à présent, mais comme objet empirique).
L’utilisation du vocable « grande distribution » en français favorise l’assimilation et la confusion entre
distribution et grande distribution, alors qu’il s’agit de deux choses différentes. Or, c’est bien cette
émergence de la distribution comme rationalité organisatrice de l’économie qui est première et
décisive. L’émergence de cette rationalité renvoie à une transformation non pas de la production ou
de la vente au détail, mais des transports et de la logistique, une transformation dans la manière de
penser et d’organiser ce qui circule, ce qui relie. Autrement dit, la distribution précède ce qu’on appelle
la grande distribution, et en est sinon la cause, en tout cas la condition de possibilité.
Le cas du commerce des agrumes dans l’Algérie coloniale apporte un éclairage intéressant2. Ces
produits, caractérisés par une périssabilité plus faible et une résistance aux transports plus forte que
la plupart des autres fruits et légumes, s’inscrivent facilement dans des réseaux de commerce à
distance. Dans les années 1920-1930, l’Algérie exporte la quasi-totalité de sa production,
particulièrement de clémentines, vers la métropole. Ce marché entre en crise au tournant des
années 1930, sous l’effet de la concurrence étrangère (espagnole notamment). Le gouvernement
colonial décide alors de mettre en œuvre la standardisation obligatoire des fruits et légumes destinés
à l’exportation, afin de rétablir la réputation des produits algériens, souvent accusés de faire l’objet de
fraude sur les colis (fardage), sur les marchés extérieurs. Dans cette perspective, le recours à la
standardisation a pour but de résoudre un problème de loyauté des échanges (à distance). Mais, dès
les années 1930, une autre conception de la standardisation s’affirme, inspirée des expériences
américaines et, plus particulièrement, californiennes, qui vise non seulement à prémunir les acheteurs
contre des comportements opportunistes, mais aussi à développer les marchés sur une toute autre
échelle et à changer le statut du produit consommé. Plus que le statut du produit, il s’agit de
transformer le produit pour qu’il se prête à ce changement d’échelle (spatiale et temporelle). Ainsi, à
partir des années 1940, l’élite réformatrice du gouvernement colonial s’attèle à la question de la
commercialisation des denrées en métropole : à quoi sert de standardiser les produits algériens, si les
commerçants métropolitains ne les mettent pas en valeur ? La politique de standardisation oblige en
effet l’Algérie à étendre ses plantations et à augmenter ses rendements, dans un contexte où la
concurrence étrangère fait de même. Elle doit donc trouver les moyens de vendre plus de
marchandises tout en maîtrisant ses coûts de revient. L’effort doit non seulement porter sur les
techniques productives et l’organisation des producteurs, mais aussi sur l’organisation des ventes : si
l’Algérie arrive à produire en masse, elle doit aussi pouvoir vendre en masse. Pour cela, il faut
développer la consommation, toucher de nouvelles classes sociales (les agrumes sont jusqu’alors un
produit de luxe, consommé dans les grands restaurants – principalement parisiens – et pour les fêtes),
étendre les périodes où il est possible de consommer ces agrumes, les zones où l’on peut en trouver
et créer une désirabilité des agrumes en développant la publicité. Or, du point de vue des
« modernisateurs » coloniaux, tout cela est impossible dans l’état actuel des circuits commerciaux
métropolitains, fondé sur des places de marché et sur le système de vente à la commission.
Se développe alors un discours sur la distribution des produits, comme critique du commerce, activité
inscrite sur une place et qui, pour cette raison, est incapable de concevoir une rationalité des
débouchés dans leur globalité. Le commerçant se contente « d’attendre le client », et c’est bien ce
qu’on lui reproche : en ne faisant que réceptionner les marchandises pour les revendre sans se soucier
2
Ce paragraphe et le suivant reprennent et approfondissent un propos développé dans (Bernard de Raymond,
2014).
de ce qu’elles deviennent, il suit les tendances et ne fait qu’amplifier les phénomènes de spéculation
et les déséquilibres entre les différents lieux de consommation. A contrario, la distribution 1) englobe
l’ensemble des opérations qui jalonnent le parcours du produit du producteur jusqu’au
consommateur, et 2) se fonde non pas sur un opérateur individuel mais sur la répartition des produits
entre l’ensemble des opérateurs situés à un même stade du circuit commercial. Il s’ensuit une mise en
réseau, combinant des relations de coopération et de concurrence. Ce réseau entre entités distinctes
n’est pas le résultat « naturel » d’une division du travail plus poussée. Il n’existe que grâce à
l’établissement d’une entité centralisatrice et régulatrice, apte à le concevoir comme tel. C’est
pourquoi les modernisateurs coloniaux encouragent les producteurs à se regrouper en coopératives,
tournées non seulement vers l’amont (définition de techniques et de pratiques agricoles collectives),
mais aussi vers l’aval (groupements de vente). Le contrôle, par ces coopératives, de l’agence
centralisée organisant les ventes doit permettre de maîtriser la répartition de la valeur sur l’ensemble
du réseau de distribution, et profiter de fait aux producteurs algériens.
Loin d’être uniquement technologiques, ces transformations engagent ainsi un important travail sur
les catégories de perception des consommateurs, sur leurs repères culturels. La banalisation
technologique (production) et marchande (prix) du produit implique tout un travail pour susciter une
désirabilité propre dès lors que l’on quitte la sphère du luxe. Aussi, la généralisation des échanges à
distance et la massification qu’engendre la distribution marque-t-elle l’avènement de la publicité et du
marketing qui, dans le cas des fruits et légumes, développent des thèmes tels que la santé, la minceur
(des femmes), le développement de l’enfant ou encore l’exotisme.
En tout état de cause, le développement de la distribution au 20e siècle engendre bien de nouveaux
rapports entre l’urbain et le rural, en permettant de désolidariser les villes de leur hinterland immédiat,
pour les inscrire dans des rapports d’interdépendance à plus grande distance avec d’autres régions
rurales, tout d’abord dans le cadre de la construction d’économies nationales, puis dans l’émergence
d’espaces commerciaux sinon mondialisés en tout cas fortement internationalisés. Ces rapports ne
sont possibles que dans la mesure où aussi bien la sphère de la production que la sphère de la
consommation « acceptent » de se plier aux exigences du commerce au long cours. La distribution à la
fois intègre et différencie des espaces, de plus en plus spécialisés. Par la multiplication (et donc la mise
en concurrence) des sources d’approvisionnement, depuis des régions productives elles-mêmes
modernisées et spécialisées, elle rend possible l’approvisionnement constant d’un marché de masse,
fondé sur la recherche permanente du plus bas coût de revient global, grâce à la concentration de la
puissance d’achat. Ce système d’échange à distance est permis par la standardisation des produits,
comprise à la fois comme une forme de codification de l’information pertinente et une transformation
des propriétés physiques du produit lui-même. La standardisation promeut une conception générique
de la qualité, répondant prioritairement à un impératif de sécurité des approvisionnements. Il apparaît
ainsi que parmi les propriétés centrales des économies contemporaines, s’ajoutent à celles bien
connues du productivisme, ou de la liberté des échanges, celles de la maximisation des flux et de
l’allongement de la distance entre producteur et consommateur. En outre, si les réseaux de transport
et communication et les flux commerciaux se répandent dans le monde entier, donnant lieu à un
grande marché mondial (ou à un ensemble de marchés internationaux) intégrant de multiples sites
productifs, cela ne signifie pas que ces flux sont uniformes et répartis de manière homogène à
l’intérieur de ces nouveaux espaces économiques. Au contraire, la dispersion de la production et
l’intégration commerciale se doublent d’une centralisation des flux et de lieux de prise de décision. Le
développement de la distribution favorise donc l’émergence de réseaux de circulation très hiérarchisés
et centralisés.
3. Commerce et transports
3.1. Sociologie du marché et sociologie du commerce
Que peut nous apprendre, d’un pont de vue théorique, ce retour historique sur l’émergence de la
distribution comme rationalité organisatrice de l’économie ? Elle peut être une invitation à développer
une sociologie du commerce3, qui soit distincte d’une sociologie du marché ou de l’échange marchand.
3
Dans la 2e partie du texte, le « commerce » est abordée comme une réalité empirique, qui fait l’objet d’une
critique par les tenants de la « distribution ». Dans cette 3e partie, le « commerce » est envisagé comme une
En effet, la sociologie économique, depuis son renouveau dans les années 1980-1990, c’est-à-dire ce
que l’on appelé par la suite la « Nouvelle sociologie économique » (NSE) s’est focalisée prioritairement
sur la catégorie du marché (Granovetter, 1985 ; Smelser et Swedberg, 2005), et s’est largement
construite comme une critique du modèle du marché porté par la théorie économique standard
(modèle de la concurrence pure et parfaite). Elle a notamment pointé le caractère désincarné,
anhistorique et désocialisé des hypothèses qui étayent les modèles des économistes (Bourdieu, 2000),
pour revendiquer une approche empirique des marchés, permettant de mettre à jour les processus
sociaux, les institutions, les organisations, les réseaux, les dispositifs de calcul, etc. qui permettent aux
marchés de fonctionner et en expliquent la dynamique (Bourdieu, 1997 ; Callon et Muniesa, 2003 ;
Fligstein, 1996 ; Granovetter, 1985 ; Powell et DiMaggio, 1991). Cette approche a donné lieu à un
foisonnement de travaux et de recherches, marqués par des multiples courants et approches
théoriques, que l’on peut néanmoins regrouper sous l’expression de « sociologie de l’encastrement
marchand ». Mais, ce faisant, la NSE a reproduit le tropisme de la théorie économique pour le marché
ou, plus exactement, sur le moment spécifique de l’échange marchand, c’est-à-dire à ce moment où
l’offre et la demande se confrontent, se rencontrent et finalement se nouent par l’établissement d’une
équivalence entre deux choses, aboutissant à un transfert de propriété (Testart, 2001).
Ainsi, la NSE a pu tendre à minorer l’importance du commerce ou à rabattre cette catégorie sur celle
de marché. Paradoxalement, c’est en s’appuyant sur un auteur (Polanyi) qui s’était particulièrement
intéressé à la question du commerce, que la nouvelle sociologie économique a organisé cet effacement
et s’est rabattue sur l’échange. Pour Polanyi, le marché a une composante interne et une composante
externe à la société, et n’est de ce fait jamais purement et simplement encastré dans les normes et
règles propres à une société. Le déterminant externe le plus important pour les marchés est la nature
du commerce au long cours (Irwin et Kasarda, 1994). De sorte que plutôt que de parler (seulement) de
marché encastré, on pourrait parler de commerce désencastrant. Ou encore, si l’économie est
encastrée dans le social, le commerce est lui un élément externe qui transforme les structures sociales.
Pour Polanyi, il faut distinguer analytiquement commerce (trade) et marché, même si, dans les sociétés
contemporaines, les deux phénomènes deviennent co-extensifs (Polanyi, 1957). Après avoir défini
différentes formes d’organisation économique (réciprocité, redistribution, échange), Polanyi souligne
que l’on trouve des relations de type commercial dans toutes les sociétés et à toutes les époques,
tandis que l’échange marchand est spécifique à certaines sociétés, et absent ou très fortement limité
dans d’autres. L’élément constitutif du commerce est « l’acquisition de biens à distance » (acquisition
of goods from a distance). C’est une activité bi-latérale (two-sidedness) mais qui ne se règle pas
nécessairement par l’échange marchand. Ce qui la caractérise en propre est le transport de biens sur
une certaine distance. Cette distance (physique, mais pas seulement) implique d’une part une mise en
rapport d’espaces sociaux différenciés4 (si l’on va chercher quelque chose ailleurs, c’est qu’on ne l’a
pas chez soi), et d’autre par le transport de biens (et/ ou services). Aussi, par rapport à la question de
l’encastrement marchand, la perspective se trouve renversée. Plutôt que de s’intéresser à la manière
dont l’économie est cadrée, intégrée par des forces sociales qui en assurent un fonctionnement réglé,
on est ici amené à s’intéresser à la manière dont des activités économiques exercent une puissance
disruptive sur des espaces sociaux, contribuent à les transformer et à les arrimer (voire les intégrer) à
d’autres espaces sociaux, les tensions et les contradictions qui en résultent.
catégorie analytique, distincte de celle de marché. La signification associée au terme de commerce n’est donc
pas la même tout au long du texte.
4
Ou encore, la différenciation d’espaces sociaux.
politique) on compte à l’inverse de nombreuses recherches sur ces questions. Il s’agit ainsi de
s’appuyer sur ces travaux pour développer une sociologie du commerce. En sociologie économique
proprement dite, il existe effectivement des travaux sur le commerce, mais qui ne prennent pas à bras
le corps la question de la circulation et des transports. Les travaux de Zelizer et Steiner, par exemple,
proposent une conceptualisation explicite du « commerce », comme forme d’échange étendue, plus
complexe que l’échange marchand, mais se fondent pour cela sur un retour au sens ancien du mot
commerce, compris comme une forme d’échange social, n’impliquant pas nécessairement de
dimension économique (Steiner, 2010 ; Zelizer, 2004, 2005). Ce travail conceptuel leur permet de
décrire des systèmes d’échange qui, tout en remplissant une fonction économique, n’engagent pas
nécessairement le marché, permettant ainsi de satisfaire des exigences morales ou éthiques qui
seraient menacées par un système marchand d’allocation, ne répondant qu’à des logiques de calcul.
Ou encore, cette approche permet de décrire la variété des formes d’agencement entre logiques
économiques et logiques sociales, et la renégociation permanente des frontières entre économie et
morale. Mais le problème est que dans le concept de « circuit de commerce » proposé par Zelizer, il
n’y a pas de circuit commercial.
Suite aux recherches présentées ci-dessus sur la naissance de la distribution, je propose de compléter
cette approche transactionnelle du commerce par une approche centrée sur la question des conditions
matérielles de circulation des produits, sur les transports, la logistique et les systèmes de
communication. Ceci permet de consolider une sociologie du commerce, distincte d’une sociologie du
marché. En effet, la sociologie économique, du fait de sa focalisation sur l’échange marchand, tend
très souvent à réduire la circulation des marchandises et les transports à une simple extension de
l’offre ou de la demande, à faire de ces activités une simple fonction dérivée des besoins des industries
manufacturières ou de vente au détail. C’est ce point de vue qu’il s’agit d’abandonner, pour prendre
directement comme objet les transports et la logistique, et observer leur rôle dans la transformation
des économies.
Plus que de définir un programme de recherche, cette dernière partie s’efforce de définir quelques
pistes de recherche féconde pour une intégration du commerce et des transports dans la sociologie
économique.
En outre, on peut relire l’histoire des classifications et des formes de qualification des produits non
seulement comme l’établissement d’une convention d’équivalence, permettant un appareillage entre
une offre et une demande (Stanziani, 2003, 2005), mais aussi comme un effort pour rendre possible la
circulation à distance des produits. C’est évidemment le cas pour la standardisation, évoquée plus
haut, et dont on a vu qu’elle ne s’applique pas seulement aux produits mais aussi aux espaces à
l’intérieur desquels elle circule, mais cela l’est aussi plus généralement de la réglementation de la
qualité alimentaire. Plus généralement, à partir du moment où se mettent en place des chaînes
d’approvisionnement à distance, marquée par l’intervention de nombreux d’intermédiaires, et la
multiplication des opérations de transformation du produit, le maintien de l’intégrité de la chaîne
d’approvisionnement devient un objet de vigilance collective permanente (Belasco et Horowitz, 2010 ;
Freidberg, 2010). Les outils techniques et juridiques permettant d’assurer la « gouvernance » de la
chaîne d’approvisionnement deviennent une priorité. Des méthodes telles que l’HACCP ou la
traçabilité, visent à prévenir la survenance d’incidents tout au long de la chaîne, mais aussi à permettre
une identification rapide du lieu de survenance d’un incident (contamination, défaut de fabrication
d’une pièce, etc.), afin de retirer rapidement du marché les produits éventuellement défectueux,
maintenir le fonctionnement global de la chaîne d’approvisionnement et remettre en état de
fonctionnement le lieu de survenance de l’incident (Demortain, 2007 ; Torny, 1998). Par rapport à des
techniques traditionnelles de gouvernement (quarantaine), ces outils visent à répondre à différents
risques sans avoir à interrompre un flux, i.e. tout en maintenant en permanence la circulation des biens
et des personnes. Bref, ils relèvent de ce que, après Foucault, on peut nommer la biosécurité (Foucault,
2004 ; Gros, 2012). Ces enjeux de gouvernance sont d’autant plus complexes qu’ils sont d’emblée
destinés à l’organisation de marchés internationaux, c’est-à-dire entre des espaces juridiques
hétérogènes (Alphandéry et al., 2012 ; Boudia et Demortain, 2014 ; Demortain, 2010 ; Fouilleux, 2013).
Les recherches ci-dessus prennent pour objet un mode de transport spécifique, pour étudier la
configuration résultant de sa dynamique interne. Et, précisément, l’existence d’une dynamique propre
à un mode de transport invite à appréhender les transports non pas comme la dérivée des besoins des
entreprises de production ou de vente mais comme une structure dotée de sa propre logique, qui
contraint ou du moins oriente les décisions des entreprises (Akyelken et Keller, 2014 ; Coe, 2014 ; Irwin
et Kasarda, 1994 ; Rodrigue, 2006). Il s’agit ici d’observer non pas comment les besoins des entreprises
transforment le système de transports mais, à l’inverse, de prendre le système de transports pour
objet pour cerner ses effets sur l’économie. La recherche d’Irwin et Kasarda sur le système de
transports aériens aux Etats-Unis est caractéristique de cette approche (Irwin et Kasarda, 1991). A
partir de données portant sur les années 1950 à 1980, ils étudient les liens entre la position des villes
dans le réseau de transport aérien et la croissance de leur bassin d’emploi, et montrent que c’est la
position relative dans le système de transport qui permet d’expliquer la croissance de l’emploi, et non
l’inverse.
Au-delà de la construction d’un marché national grâce à un moyen de transport particulier, ce résultat
présente un intérêt particulier dans le cadre d’une sociologie de la mondialisation. Il tend en effet à
montrer que la position structurelle dans un réseau de communication et de transport externe devient
l’enjeu de la compétitivité économique, plus que le développement d’un territoire en tant que tel, d’un
point de vue interne. Les travaux de sociologie ou d’économie politique sur la globalisation (Gereffi,
Humphrey et Sturgeon, 2005 ; Sassen, 2009) visent à rendre compte d’un double phénomène en
apparence paradoxal : l’intégration du commerce mondial et la fragmentation des activités
productives. Ces travaux lèvent le paradoxe en montrant que l’éclatement des réseaux productifs se
double d’une recentralisation des fonctions de prise de décision, de management et d’innovation. Tant
et si bien qu’on voit apparaître des systèmes intriquant de manière complexe activités de conception,
de production, de transport et de marketing, que certains chercheurs qualifient de « global production
networks » (Coe et al., 2004 ; Rodrigue, 2006) Avec la transformation des systèmes de transport et de
communication, la mondialisation donne ainsi lieu à une nouvelle géographie économique, à de
nouvelles centralités, de nouveaux rapports entre les villes entre elles à l’échelle internationale, ainsi
qu’entre les villes et leur territoire. Beaucoup plus qu’à des rapports entre nations, on assiste à la mise
en place de réseaux inter-urbains à l’échelle mondiale. Ce qui devient critique dans ses réseaux, c’est
le commerce de services, beaucoup plus que le commerce de biens matériels. La concurrence entre
les villes à l’échelle internationale se joue alors sur la capacité à développer des infrastructures et des
offres de services diversifiées, pour attirer les sièges sociaux des firmes multinationales (Sassen, 2001,
2009). Ce réseau, caractérisé par des flux de biens, de services, d’information et de personnes, tend à
désolidariser les villes globales de leur hinterland immédiat et à les éloigner d’une logique de
développement territorial. Les villes (régions, et nations) qui ne parviennent pas à occuper une position
centrale dans ce réseau connaissent une relégation économique et politique.
5
Au demeurant, bien avant l’émergence des AMAP, on peut noter que les agriculteurs avaient depuis
longtemps intégré leur dépendance vis-à-vis du système commercial incarné par la distribution dans leurs
mobilisations collectives, le blocage des routes devenant à partir des années 1960 un de leurs modes
préférentiels d’interpellation du pouvoir (Lynch, 2014).
spéculatives destinées à l’exportation vers les pays du Nord, au détriment des cultures vivrières et des
marchés locaux, qui occasionnerait de graves conséquences en termes de sécurité alimentaire dans
des pays beaucoup moins riches et urbanisés que les pays occidentaux et, plus largement, porterait
atteinte à leur souveraineté politique (Thivet, 2012).
Conclusion
En questionnant l’évidence d’une catégorie aussi ordinaire que celle de « distribution », et en mettant
en exergue son origine dans la sphère du commerce au long cours, cet article a montré comment les
transports peuvent ordonner l’économie. Ceci permet de rompre avec une vision fonctionnaliste des
transports, comme dérivée des besoins des producteurs ou des détaillants, pour les envisager à part
entière, comme des technologies permettant de différencier des espaces sociaux tout en les intégrant.
Plutôt que de les voir comme une extension de systèmes sociaux intégrés, il s’agit alors de prendre
pour objet le système que forment les transports, les rationalités dont ils sont porteurs, et la manière
dont ils servent de point d’appui pour la critique. En s’appuyant sur les contributions de disciplines
voisines (histoire, géographie, science politique), les sociologues peuvent se saisir de cet objet pour
développer une sociologie du commerce, distincte de la sociologie du marché stricto sensu. Autrement
dit, envisager les transports comme des « technologies politiques », c’est se donner de comprendre
l’économie comme ordre autrement que par le seul prisme du marché.
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