Élevage Canard

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Rev. sci. tech. Off. int. Epiz.

, 1994,13 (1), 119-123

Bien-être des canards dans l'élevage intensif


H. RAUD * et J.M. FAURE **

Résumé : L'élevage intensif des canards pose aujourd'hui des problèmes relatifs
au bien-être de ces animaux. L'amélioration des conditions sanitaires et la
rationalisation de l'élevage suscitent un environnement pauvre et restrictif en ce
qui concerne l'expression comportementale des canards, entraînant l'apparition
de comportements anormaux tels que certains modes de picage des animaux
entre eux. Des solutions sont proposées ; les paramètres en cause sont multiples
et de larges champs d'étude restent ouverts.

MOTS-CLÉS : Bien-être - Canards - Production intensive - Volaille.

INTRODUCTION

Le canard c o m m u n (Anas [platyrhynchos] platyrhynchos L i n n a e u s , 1758) et le


canard de barbarie (Cairina moschata Linnaeus, 1758) sont les deux principales espèces
de canards élevées dans le m o n d e de m a n i è r e plus ou moins rationnelle. Le canard
commun tire son origine de la domestication du colvert d a t a n t p r o b a b l e m e n t de
l'Antiquité ; il est principalement présent sur le marché asiatique. L'ancêtre sauvage du
canard de barbarie est un canard percheur des régions tropicales d'Amérique centrale
et du sud (2). Le canard de barbarie est très rustique, ce qui lui a permis de s'adapter
parfaitement à nos climats tempérés (3) ; ces vingt dernières années, il a supplanté le
canard commun en E u r o p e , et notamment en France, principal lieu de sa production.
Le croisement entre ces deux espèces donne l'hybride appelé mulard, utilisé en gavage
pour la production de foie gras.

Le développement important et récent du marché du canard en E u r o p e a entraîné


l'intensification de la production et la rationalisation des modes d'élevage ainsi qu'une
plus grande maîtrise de l'état sanitaire des animaux, ceci afin de proposer un produit
toujours plus économique et plus sain.
L'optimisation des recommandations déjà existantes pour un élevage adéquat de ces
canards n ' a fait l'objet que de peu de recherches scientifiques. Celles-ci concernent
principalement le canard commun et le canard de barbarie ; les recherches relatives au
canard hybride sont encore plus rares. Les quelques études existantes s'intéressent aux
comportements des animaux et proposent des solutions aux problèmes pratiques de
l'élevage, que ce soit en engraissement, gavage ou élevage des reproducteurs. Bien peu
d'études concernent le bien-être des canards domestiques (8).

* Grimaud Frères S.A., La Corbière, 49450 Roussay, France.


** Institut national de la recherche agronomique, Station de recherches avicoles, Centre de
recherches de Tours, 37380 Nouzilly, France.
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P o u r t a n t , l'évolution des t e c h n i q u e s d'élevage ces d e r n i è r e s a n n é e s vers une


meilleure maîtrise de l'hygiène des animaux, ne va pas sans poser des problèmes de
bien-être et, à terme, de production.

RATIONALISATION, INTENSIFICATION DES ÉLEVAGES


DE CANARDS ET BIEN-ÊTRE

Définition des systèmes actuels de production de canards


Trois systèmes de production sont en vigueur aujourd'hui (7) :
a) Le système de production intensive, développé ces 40 dernières années ; canards
reproducteurs et canards de chair (produit final) sont élevés dans des bâtiments clos
2
sous des densités relativement i m p o r t a n t e s (environ 3 c a n a r d s / m en élevage de
2
reproduction, 7 canards/m en élevage de canards de chair). L'élevage en claustration
totale implique l'utilisation de programmes lumineux spécifiques et l'absence de plan
d'eau, voire de litière de paille ou de copeaux (les animaux étant élevés sur des
caillebotis en bois, grillagés ou plastiques).
b) Le système semi-intensif combinant bâtiment et parcours extérieurs (produits
sous label et élevages de canards à gaver).
c) Le système extensif, basé sur l'utilisation essentielle des ressources naturelles en
pâturage et en étendues d'eau (système principalement utilisé en Asie).
Les deux derniers systèmes sont susceptibles d'affecter dans une moindre proportion
le bien-être des animaux en élevage, grâce à la qualité de l ' e n v i r o n n e m e n t qu'ils
p r o p o s e n t . E n r e v a n c h e , la conception des nouveaux b â t i m e n t s vise s u r t o u t
l'amélioration des conditions de travail et de la situation sanitaire du troupeau. Elle
conduit cependant à un appauvrissement du milieu et pose des problèmes de bien-être.
Les principaux problèmes récemment rencontrés
Les déviations comportementales observées chez les canards élevés en production
intensive sont différentes formes de picage pouvant aller jusqu'au cannibalisme. Ces
comportements de picage ont bien sûr un effet direct sur le bien-être des animaux. Ils
ont aussi un effet indirect lorsque l'on recourt au d é b e c q u a g e pour e m p ê c h e r leur
apparition. Ils ont enfin des conséquences économiques importantes.
Picage des plumes
Le picage et l'arrachage des plumes des congénères (avec déchirement de la peau)
apparaissent fréquemment lors de la pousse de la plume adulte dans le jeune âge ou
après la mue des reproducteurs.
Le d é b e c q u a g e des canetons de chair et futurs r e p r o d u c t e u r s p r a t i q u é
c o m m u n é m e n t dans le j e u n e âge p e r m e t de r é d u i r e , voire d ' a n n u l e r les risques de
blessure des animaux e n t r e eux ; mais c'est une p r a t i q u e susceptible d'infliger un
traumatisme à l'animal (le bec étant innervé jusqu'à son apex) (8).
Des recherches récentes ont étudié d'autres techniques pour éviter l'apparition de ce
comportement de picage des congénères. U n e intensité lumineuse faible p e r m e t de
réduire la proportion d'animaux mutilés mais son action ne peut être préventive (4).
Une carence alimentaire ou une mauvaise ambiance dans le bâtiment d'élevage peuvent
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être à l'origine de l'apparition du picage ; l'allocation d'espace plus important à chaque


individu et, dans le m ê m e ordre d'idées, l'utilisation de parcours extérieurs réduisent
sensiblement la fréquence d'expression de ce comportement (6).

Les canards au p l u m a g e s o m b r e sont moins sujets au picage que les c a n a r d s au


plumage blanc : p e u t - o n voir ici un lien g é n é t i q u e possible et/ou la relation avec
l'intensité lumineuse (un p l u m a g e blanc reflète d a v a n t a g e la lumière) ? Si le
déterminisme de ce comportement a une base génétique, des sélections pourraient être
effectuées afin de réduire sa fréquence.

Comme chez la poule, il n'est pas apparu de raison spécifique à un tel comportement
et b e a u c o u p de facteurs semblent en cause ; le picage des plumes des c o n g é n è r e s
pourrait être une forme de picage au sol redirigé (6).

Picage de la région cloacale

Il s'agit ici d ' u n e a u t r e forme de picage ; il est dirigé vers les régions rouges,
attractives du cloaque des canards mâles et femelles r e p r o d u c t e u r s . A t e r m e , ce
comportement p r o v o q u e l'apparition de cloacite chez les canes qui s t o p p e n t leur
activité de p o n t e ; de plus, il est de plus en plus fréquent d ' o b s e r v e r des canes
« harcelant » les mâles en pinçant, jusqu'à le mutiler irrémédiablement, leur pénis long à
se rétracter après l'accouplement.

A p p a r u p o u r la p r e m i è r e fois dans les t r o u p e a u x de canards de b a r b a r i e


reproducteurs vers 1979, ce c o m p o r t e m e n t de mutilation resurgit depuis 1990 plus
gravement e n c o r e . Le r é a j u s t e m e n t du r a t i o n n e m e n t alimentaire, c o m p t e t e n u de
l'évolution des lignées sélectionnées sur les caractères de croissance, n'a pas eu cette
fois l'effet escompté (la mise en place de programmes de rationnement adéquats en
1984 avait sensiblement réduit l'expression de ce c o m p o r t e m e n t ) ; d'autres facteurs
semblent aujourd'hui en cause.

Il semble exister u n e relation e n t r e la qualité de l ' e n v i r o n n e m e n t d'élevage des


futurs r e p r o d u c t e u r s (type de litière et densité) et la fréquence d ' a p p a r i t i o n du
comportement de picage en reproduction. Ce c o m p o r t e m e n t de « h a r c è l e m e n t » des
canards par les canes serait lié à la pauvreté du milieu d'élevage (1) ; une forte densité
en élevage ne ferait qu'accentuer le phénomène. U n e solution pourrait être envisagée,
consistant à enrichir les milieux d'élevage et à d i m i n u e r les densités p r a t i q u é e s .
L'impact de tels comportements est très préjudiciable pour les animaux eux-mêmes
ainsi que pour les performances de reproduction des troupeaux.

Autres problèmes

Outre les problèmes liés aux différents modes de picage des animaux entre eux, qui
retiennent aujourd'hui toute l'attention, il existe d'autres problèmes relatifs au bien-
être des canards en production intensive, par ailleurs semblables à ceux observés dans
d'autres types de production.

C'est le cas par exemple du mode d'alimentation : les canards futurs reproducteurs
sont rationnés durement durant leur croissance (de l'ordre de 65 % de la consommation
ad libitum) ; la compétition à la mangeoire lors des repas est donc sévère. La méthode
consistant à alimenter les canards tous les deux jours avec une quantité doublée permet
d'augmenter la durée de disponibilité de l'aliment : les animaux les plus faibles peuvent
de ce fait avoir accès à la mangeoire.
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C'est également le cas du mode d'abreuvement : pour des raisons sanitaires et afin de
réduire le gaspillage en eau, excessif dans cette production, l'accès à l'eau est aujourd'hui
limité dans la majorité des élevages de canards de chair et de parentaux par l'utilisation
des pipettes. Il n'a jamais été clairement démontré que ce mode d'abreuvement avait un
effet quelconque sur le c o m p o r t e m e n t des canards. O n observe tout de m ê m e une
limitation des comportements de maintien et de confort (aspersion d'eau sur le plumage
et lissage des plumes) des canards abreuvés par pipettes : ici encore, une brèche est
ouverte à l'apparition de comportements anormaux ou stéréotypés.
Le substrat utilisé p e u t aussi créer des p r o b l è m e s de bien-être chez les canards.
Toujours afin de mieux maîtriser l'hygiène des animaux, les litières de paille ont fait
place aux caillebotis en bois, grillagés ou en matière plastique dans la grande majorité
des élevages de canards de chair et de canards futurs reproducteurs ; un système mixte
est e n c o r e r e t e n u p o u r les r e p r o d u c t e u r s . Ces caillebotis causent des p r o b l è m e s
importants, outre ceux liés à la pauvreté environnementale proposée aux canards par ce
substrat : difficultés d'aplomb, surtout pour les canards issus des lignées sélectionnées
sur les caractères de croissance, et irritations importantes, notamment au niveau de la
jonction des doigts de la palme, évoluant avec la croissance de l'animal en une callosité
plus ou moins d é v e l o p p é e souvent striée de plaies. La maîtrise de l ' a m b i a n c e du
bâtiment (taux d'humidité et d'ammoniac) joue un rôle non négligeable sur l'apparition
de ces problèmes d'aplomb (une litière h u m i d e et mal e n t r e t e n u e aurait les mêmes
effets néfastes).

D ' a u t r e s problèmes pourraient être encore cités ; ils concernent les réactions de
stress causées par les manipulations des animaux lors des différentes interventions
d'élevage (sexage, vaccination, transfert d'un bâtiment à l'autre, etc.).

CONCLUSION

Bien que la p l u p a r t des éléments du r é p e r t o i r e c o m p o r t e m e n t a l de l'espèce se


maintiennent chez les canards dans les conditions d'élevage intensif (9), ce répertoire
est certainement t r o n q u é et q u e l q u e p e u modifié. Les facteurs e x a c e r b a n t les
c o m p o r t e m e n t s naturels des canards et p r o v o q u a n t l'apparition de déviations
comportementales ou du picage des congénères peuvent se situer à différents niveaux :
stress du confinement (5), pauvreté des milieux d'élevage (absence de paille pour fouir
et d'eau libre pour le toilettage), rupture de l'ordre social par un ratio mâle-femelle
anormal (5) (généralement un mâle pour trois à quatre femelles), combat pour la place
à la mangeoire en situation de rationnement alimentaire sévère, etc.
Il existe aussi des indicateurs de bien-être chez les canards en condition d'élevage
intensif (8). Ces indicateurs doivent servir à attirer l ' a t t e n t i o n des éleveurs sur
l'apparition des conflits entre les animaux et l'environnement d'élevage proposé.
Des solutions aux différents problèmes posés par l'élevage intensif des canards sont
proposées mais de nombreuses interrogations subsistent concernant les adaptations
comportementales de ces animaux et leurs réactions à ces milieux d'élevage pauvre ; les
réponses à ces différentes interrogations p e r m e t t r o n t d ' a m é l i o r e r le bien-être des
canards en condition d'élevage intensif : de larges champs d'étude restent donc ouverts.

* *
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BIENESTAR DE LOS PATOS EN LA CRÍA INTENSIVA. - H. Raud y J.M. Faure.

Resumen: La cría intensiva de patos plantea actualmente problemas en cuanto


al bienestar de estos animales. La mejora de las condiciones sanitarias y la
racionalización de la cría han dado como resultado un medio ambiente
empobrecido, que restringe la expresión comportamental de los patos, lo que a
su vez ha dado lugar a la aparición de comportamientos anormales, como por
ejemplo ciertas picaduras a que se someten unos a otros los animales. Los
autores proponen soluciones; observan que deben tenerse en cuenta numerosos
parámetros y que se abren en este sentido vastos campos de estudio.

PALABRAS CLAVE: Aves - Bienestar - Patos - Producción intensiva.

*
* *

BIBLIOGRAPHIE

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