Hannah Arendt Cours
Hannah Arendt Cours
Hannah Arendt Cours
Les deux textes d’Hannah Arendt que nous avons au programme, publiés
en 1968 et 1972 abordent la question cruciale du rapport de la politique et de
la vérité et se demandent pourquoi la pratique politique s’éloigne si souvent et
si facilement du vrai, pourquoi le recours au mensonge y est si commun au
point de faire perdre le contact avec les faits.
1 – Biographie
Elle s’installe à Paris où elle travaille à l’accueil et à l’aide des réfugiés juifs
et/ou antifascistes qui fuient l’Allemagne. Lors du déclenchement de la guerre
elle est internée en tant que réfugiée au camp de Gurs dont elle parvient à
s’échapper. Avec son mari elle rejoint le Portugal d’où ils partent pour les Etats-
Unis.
Elle voit ds la trad philo une forme d’hostilité vis-à-vis de la politique qui
commence chez Platon : valorisation de la pensée par rapport à l’action qui
entraine une appréciation de la politique comme une nécessité inférieure à la
vie philosophique. Cette tradition pense l’homme individuellement alors que
pour elle l’homme est plongé d’emblée ds la pluralité.
Les deux textes au programme ont d’abord paru sous forme d’articles
dans des magazines américains en réaction à des évènements politiques : le
premier est la violente polémique suscitée par la publication dans la presse des
comptes rendus faits par H. Arendt du procès du criminel nazi Eichmann à
Jérusalem, le second qq années plus tard réagit à la divulgation de documents
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du Pentagone sur la conduite de la guerre au Vietnam. Ces deux textes ont été
publié par la presse et réagissent à des évènements provoqués par la presse, H.
Arendt se présentait ds la lettre à Jaspers vue plus haut comme « une
journaliste politique » et dans Du mensonge en politique elle insiste sur le rôle
de la presse comme garantie démocratique.
1 – Vérité et politique
A – Publication
pensée. Là est le mal, la plate banalité du mal. Karl Jaspers, dont elle fut l’élève,
résumait ainsi dès 1946 un de ses premiers travaux : « La terreur produisit un
phénomène étonnant, elle fit que le peuple allemand participa aux crimes des
chefs… Des hommes dont on ne l’eût jamais cru possible, des pères de famille,
des citoyens qui exerçaient consciencieusement leur métier, quel qu’il fût, se
mirent avec la même conscience à assassiner et à commettre, si l’ordre leur en
était donné, d’autres forfaits dans les camps de concentration. »
H.A. après son constat initial pose une série de qst sur l’impuissance de la
vérité et le caractère trompeur du pouvoir. L’opp entre vérité et polit est
illustrée par l’adage latin « Fiat justicia et pereat mundus » -> H.A. qualifie
d’absurde la pensée kantienne selon laquelle la justice doit prévaloir sur toute
autre considération y compris la préservation du monde lui-même (pensée
déontologique : les actions doivent être jugées en fonction de leur valeur
universelle et non selon le but qu’elles cherchent à atteindre). H.A. défend
plutôt une approche conséquentialiste de la polit ds laquelle seuls les résultats
atteints par l’action publique doivent être jugés moralement => elle récuse alors
la formule où « justicia » est remplacée par « veritas » en expliquant que le
mensonge peut être un moyen non-violent de l’action polit (291).
Ceci prend une tournure polit car le pouvoir « repose sur l’opinion »
(296). Platon oppose la com philosophique ss forme de dialogue à la
rhétorique, outil du démagogue qui flatte l’opinion.
Les faits ne sont donc pas totalement indépendants de l’opinion car ils
sont sujets à interprétation il faut les dégager du « chaos de purs
évènements » qui constitue l’histoire, selon quels critères ?->relèvent de la
subjectivité
Il faut les mettre en forme pour pouvoir les raconter selon un certain
point de vue : difficulté de la science historique.
Mais pour modifier ces faits il faudrait un pouvoir absolu s’exerçant « sur
la totalité du monde civilisé » ce qui n’est pas inimaginable (cf 1984) ce qui
conduirait à la destruction de la vérité.
Cependant la vérité de faits n’est pas plus évidente que l’opinion, les faits
sont contingents, n’ont « aucune raison décisive d’être ce qu’ils sont » (309),
comme ils auraient pu être autres il est facile de les rejeter car « la vérité de fait
n’est pas plus évidente que l’opinion » (310). Etablissement de l’évidence
factuelle par des témoins -sujets à caution-, des documents ou monuments -
contestables, faux- « dans la mesure où la vérité de fait est exposée à
l’hostilité des teneurs d’opinion, elle est au moins aussi vulnérable que la vérité
philosophique rationnelle. » (310)
Le diseur de vérité peut faire preuve de courage mais cela ne fera pas
reconnaître sa vérité et le menteur aussi peut persévérer ds ses mensonges
avec un gd courage au service d’une cause.
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Exemples d’homme polit respectés fondant leur action sur des « non-
faits » évidents :
Pour H.A. ces mensonges sont violents car ils détruisent la réalité qu’ils veulent
cacher, effacer. Cette violence est bcp plus nette ds les Etats totalitaires car elle
conduit au meurtre (élimination physique de celui qu’on veut effacer). C’est ce
que montre l’exemple de Trotski que Staline a fait effacer de l’histoire de la
révol russe avant de le faire assassiner.
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Le mensonge moderne est d’une telle ampleur qu’il fabrique une réalité
alternative qui se substitue parfaitement au réel au point que le menteur peut
lui-même finir par y croire. Anecdote de la sentinelle illustre cela : le menteur
pris ds son propre mensonge en devient plus crédible. La « tromperie de soi »
est particulièrement grave car elle fait totalement disparaitre la vérité qui avant
existait au moins chez le menteur. (324)
Mais aucun pouvoir n’est assez puissant pour tout contrôler, pour
tromper totalement « des fragments de faits dérangent constamment et
ruinent la guerre de propagande entre images adverses » (326), la vérité prend
sa revanche : exple difficultés de la réécriture de l’histoire en URSS p.327, tâche
sans fin. Le lavage de cerveau apparaît comme le seul moyen d’assurer la
tromperie généralisée mais il aboutit à « un refus absolu de croire la vérité
d’aucune chose, si bien établie que puisse être cette vérité » (327) ce qui conduit
à la perte de ce qui nous permet de nous orienter ds le monde réel. Tous les
repères disparaissent et le mensonge illimité (en raison contingence des faits)
conduit à l’autodestruction (328) : image du sol qui se dérobe sous les pieds
sans rien sur quoi se tenir (exp vie ss régime totalitaire).
La vérité possède une force propre : quoi que fasse les détenteurs
du pouvoir ils ne peuvent en inventer un substitut viable. La vérité
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Le raconteur d’histoire, celui qui dit ce qui est, a pour rôle d’enseigner
l’acceptation des choses telles qu’elles sont, cela repose sur la bonne foi et la
faculté de jugement. (334) La recherche désintéressée de la vérité remonte à
Homère selon H.A. (335)
2 – Du mensonge en politique
Après la fin de la seconde guerre mondiale, les deux Etats qui disposent
de la puissance permettant de s’imposer sur la scène mondiale, les Etats-Unis
et l’URSS entrent en rivalité. Leur système polit et leur idéologie sont
diamétralement opposées : une démocratie libérale et une économie
capitaliste côté américain, un régime communiste totalitaire et une économie
dirigée par l’Etat côté russe. Chacun veut étendre son influence et répandre ses
valeurs ds le monde et craint les ambitions de l’autre. Pour se protéger à
l’ouest, l’URSS installe des régimes communistes ds les pays d’Europe centrale,
face à cela les USA adoptent une stratégie d’endiguement du communisme en
privilégiant la reconstruction des pays d’Europe de l’Ouest démocratiques. Une
situation de méfiance et d’hostilité se met en place avec la présence face à face
de forces militaires importantes, c’est ce qu’on nommera la guerre froide.
b) La guerre du Vietnam
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napalm et l'« agent orange », sont utilisés à très grande échelle. L'US Air Force
s'en sert pour brûler le couvert végétal, les habitations en bois et les récoltes,
avec des effets ravageurs à très long terme.
politique et militaire des États-Unis dans la guerre du Viêt Nam de 1955 à 1971.
Le document, rédigé par trente-six officiers militaires et experts politiques civils,
éclaircit en particulier la planification et la prise de décisions propre au
gouvernement fédéral des États-Unis. Il fut rédigé à la demande de Robert
McNamara, alors au poste de secrétaire à la Défense, en 1967, et son contenu
est diffusé sous forme d'articles en 1971 par le New York Times, puis par le
Washington Post. La majorité de ces 7 000 pages de textes et d'analyses
couvrant la période 1945-1967 fut clandestinement communiquée à la
rédaction du New York Times au début de l'année 1971 par Daniel Ellsberg, un
ancien fonctionnaire.
C – Du mensonge à la violence
D – Du mensonge à l’auto-intoxication
Elle rappelle que bien sûr « La véracité n’a jamais figuré au nombre des
vertus politiques » (13) et que mensonge, tromperie, falsification, secret font
partie de l’histoire mais elle est intriguée par l’accumulation de tromperies et
d’erreurs qui ont dominé la polit américaine lors de la guerre du Vietnam. Elle
s’interroge sur notre capacité « à déformer par la pensée et par la parole, tout
ce qui se présente clairement comme un fait réel » (13).
Mais poussé au-delà d’une certaine limite le mensonge peut avoir des
résultats contraires au but recherché (17), il est impossible de transformer
totalement le réel même pour un pouvoir totalitaire violent.
Mais la réalité est tjs plus complexe et imprévisible que les théories, elle
ne répond pas à des enchaînements logiques donc la manipulation de l’opinion
est vouée à terme à un échec car il faudrait avoir la capacité de détruire
totalement le réel ce qui est impossible même pour les régimes totalitaires les
plus féroces et les plus puissants.
L’enjeu du conflit est donc de donner une image, celle d’une nation toute
puissante venant en aide à ses alliés alors que ds les faits il apparaît impossible
de gagner cette guerre. Cet objectif a occulté tous les autres. Faire de la
formation d’une image la base de toute politique apparaît à H.A. « qqch de
nouveau ds cet amas de folies humaines enregistré par l’histoire. » (30) Et il
apparait surprenant que des intellectuels de bon niveau mènent cette politique
avec énergie, aveugles à la réalité, insensibles au simple bon sens et incapables
de mesurer les csq terribles de leurs décisions, en pensant modifier l’état
d’esprit du public. Ces spécialistes restaient enfermés ds leur logique, ne
considérant que des chiffres et des pourcentages ils étaient inconscients de
l’horreur vécue sur le terrain (31) et incapables de comprendre que cela
dégradait considérablement l’image internationale des USA qu’ils voulaient
pourtant préserver.
e) Conclusion
1 – La politique et la vérité
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Pour faire croire on joue sur la confusion entre vérités de faits et opinion
(VP 318). Faire croire revient donc à malmener ou négliger la vérité (VP 302)
« nier ou pervertir toute espèce de vérité » à cause de la nature tyrannique de la
vérité qui ne peut pas être autrement. L’exercice du pouvoir aux USA sous la
présidence Johnson montre la négation des faits, « la disparité totale entre les
faits » et les décisions (MP 38).
3 – Résistance de la vérité
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Malgré la force du mensonge la vérité résiste, les faits font preuve d’une
certaine « obstination » (VP 329) d’une « ténacité » (VP 307), d’une « résistance
à la torsion » que leur confère la réalité. Le mensonge a des limites, il ne peut
totalement se substituer à la réalité car il ne peut « recouvrir la texture entière
du réel » (MP 16). Le mensonge moderne cherche à détruire les faits (pas
seulement les cacher) mais cela s’avère très difficile comme le montre l’exemple
de Trotsky (VP 322) on peut détruire la vérité mais pas la remplacer (VP 330).
CONCLUSION
Ds ses deux essais H.A. montre bien le décalage qui existe inévitablement
entre la politique et la vérité, le mensonge ou la tentation du mensonge sont tjs
présents pour agir ds la pluralité complexe des sociétés humaines. Il prend ds
les Etats totalitaires une dimension terrifiante en allant jusqu’à remplacer le
réel mais il peut aussi faire des ravages ds les sociétés démocratiques comme le
montre ce qui s’est passé aux USA lors de la guerre du Vietnam. D’où
l’importance de la liberté de la presse et d’institutions indépendantes pour la
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garantir. De nos jours les moyens de manipuler la réalité sont encore plus
puissants, le rôle d’une presse libre est donc d’autant plus important.