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La Rentrée de Classe

L’école était l’avant dernière maison en allant vers la plage. La rentrée !

Le matin, de bonne heure, les enfants débouchaient de tous les côtés, de tous les coins, de
toutes les ruelles, avec des sacs sous les bras, et les cerceaux en main. L’école bruyante,
mouvementée, animée, revivait ! Elle faisait penser au retour des tisserins dans les palmiers. Sa volée
des moineaux lui était revenue. Partout des chants, des appels, des cris. Les anciens se saluent
joyeusement, tandis que les nouveaux, déployés, cherchaient au maintien. Tombés dans le monde
des écoliers, désorientés, inquiets, ils s’accrochaient à leurs parents.

Ici, l’on jouait aux billes, là on s’abattait, ailleurs, c’étaient des jeux de course, un peu plus loin,
le saute-mouton, le colin-maillard, le football.

Voilà le directeur, un homme grand, à la démarche calme. A son approche, les bruits cessent. Il
répond aux nombreux « bonjour Monsieur », sourit à tous, entre de classe, passe le doigt sur le
tableau noir, sur un banc, pose ses livres sur la table et se saisit d’une badine qu’il a fait couper. Il la
plie … Elle est de race comme badine. Elle peut faire du bon travail, aider efficacement à inculquer les
rudiments du français et des autres matières dans les esprits quelque peu bouclés.

Climbié serre son ardoise sous le bras et regarde le directeur qui vient de siffler. Les élèves
accourent. Les anciens s’alignent devant leur classe tandis que les nouveaux se mettent à part. C’est
l’appel. Et chaque élève entre à l’appel de son nom. Les nouveaux ne sont pas nombreux, l’exigibilité
des salles limite leur nombre. Des parents restent là, à supplier le directeur d’accepter leurs enfants
qui, pleurant, refusent de s’en aller.

« Il n’y a plus de pace.

- Ils peuvent s’asseoir dans l’allé, rester debout, pourvu qu’ils apprennent quelque
chose.
- Impossible, j’ai pris le maximum d’élèves.
- Alors que va devenir les enfants refoulés de votre école ?
- Comment voulez-vous que le sache ?
- Vous ne pouvez absolument rien pour eux ?
- Hélas ! »

Et le directeur impuissant regarde partir ces enfants. Il aurait voulu, d’un seul geste, agrandir
cette école. Les deux bras aux chambranles de la porte, il semble tenter l’épreuve. Mais les murs ne
bougent pas.

Le directeur regarde partir les parents et leurs enfants. A chaque rentrée, ce sont les mêmes
scènes, le même spectacle.

Bernard B. DADIE, Climbié,


Seghers

L’oncle

Quand je me rendais à Tindican, c’était le plus jeune de mes oncles qui venait me chercher. Il
était le cadet de ma mère et à peine sorti de l’adolescence ; aussi me semblait-il très proche encore
de moi. Il était naturellement gentil et il n’était pas nécessaire que ma mère lui recommandât de
veiller sur moi : il le faisait spontanément. Il me prenait la main et je marchais à ses côtés, lui, tenant
compte de ma jeunesse, rapetissait se pas, si bien qu’au lieu de mettre deux heures pour atteindre
Tindican, nous en mettions facilement quatre, mais je ne m’apercevais guère de la longueur du
parcours, car toutes sortes de merveilles la coupaient.

A mesure que nous avancions sur la route, nous délogions ici un lièvre, là un sanglier, et des
oiseaux partaient dans un grand bruit d’ailes ; parfois aussi nous rencontrions une troupe de singes,
et chaque fois, je sentais un petit pincement au cœur, comme plus surpris que le gibier même que
notre approche alertai brusquement. Voyant mon plaisir, mon oncle ramassait des cailloux, les jutait
loin devant lui ou bâtait les hautes herbes avec une branche morte pour mieux déloger le gibier. Je
l’imitais mais jamais bien longtemps : le soleil, dans l’après-midi, luit férocement sur la savane ; et je
revenais glisser ma main dans celle de mon oncle. De nouveau, nous marchions paisiblement.

« Tu n’es pas trop fatigué ? demandait mon oncle.

- Non.
- Nous pouvons nous reposer un moment, si tu veux. »

Il choisissait un arbre, un kapokier ou un néré, dont l’ombre lui paraissait suffisamment dense,
et nous nous asseyions. Il me contait les dernières nouvelles de ferme : les naissances, l’achat d’une
bête. Le défrichement d’un nouveau champ ou les méfaits des sangliers, mais c’était les naissances
surtout qui éveillaient mon intérêt.

- Il est né veau, disait-il.


- De qui ? demandais-je. Car je connaissais chaque bête du troupeau.
- De la blanche.

CAMARA LAYE, L’étudiant noir,


plan.

Match de football

Claude Lunant, sportif passionné est capitaine d’une équipe lyonnaise de football dans laquelle
il tient le rôle de gardien de but. Son équipe rencontre à Marseille l’équipe de Saint Raphael. Claude
rêve d’être sélectionné pour faire partie de l’équipe de France.

A l’extrémité de la ville, pas loin du rivage, l’enceinte de gradins est déjà pleine de spectateurs
lorsque les équipes applaudies s’égayent sur la pelouse et évoluent quelques peu, chacune devant
ses buts.

Claude a revêtu son maillot neuf. Sa courte culotte laisse voir ses muscles bosselés. Ses
semelles à crampons mordent le sol à l’arrivée de la balle que ses mains recueillent sans faute. Son
assurance augmente à chaque mouvement. Il pense que la balle a une âme, que cette âme va lui
obéir avec une complaisance nouvelle, qu’un mystérieux messager l’accompagne, visible à lui seul,
qui doit l’ »informer d’avance de ses bonds le plus inattendus.

Les maillots rouges des Raphaelois et les maillots rouges et noirs des lyonnais ont peuplé le
terrain de leurs lignes espacés. L’arbitre siffle le coup d’envoi. Le soleil favorise les lyonnais. Durant
un assez long moment les joueurs exécutent des asses d’une incohérence agréable parce qu’elles
révèlent des corps bien exercés. On a le temps s’acharner en vue du résultat. Des deux côtés, il s’agit
d’ordonner l’affaire, de tâter l’adversaire, de se mettre en train. Un tournoi où l’amour du jeu
l’emporte encore sur le plaisir de vaincre, où la violence est rare et passé pour lâcheté. Cependant les
Raphaelois par l’ordre à peine rompu de leurs lignes, organisent des combinaisons précises qui leur
donnent l’avantage moral et les excitent. Une passe du demi-gauche à l’avant-but, filant au-dessus
de la barre : « J’ai eu chaud », pense Claude Lunant.

Il envoie la balle avec force. Il se trouve un peu nerveux. Derrière lui, la surface de but à l’air de
s’agrandir.

Il a l’espace d’une seconde, des pieds à la tête. Le sentiment du vide. A la pensée qu’il doit se
défendre contre l’une des meilleures équipes de France. Le danger semble imminent, insurmontable,
ses jambes et ses bras se figent, ses nerfs deviennent lâches comme des ficelles. En une autre
seconde, il a vu ses avants fléchir, l’esprit d’offensive changé de camp. L’attaque adverse approche,
menées à folle allure et le ballon inoubliable, suit une autre série de passes redoutables, soudain
repris en plein vol, entré en sifflant au centre du but à deux lignes de sa tête sans qu’il ait même levé
la main.

La clameur des bravos le bouleversait de honte, la foule aux mille visages ne lui adressait que
des moqueries…Rien n’existait plus chez lui que l’envie naïve de crier : « simple accident de
surprise. .Qu’ils reviennent vous applaudir ».

Les voici de nouveau. Cette fois par l’effet d’une fureur exceptionnelle, il regarde les assaillants
comme des ennemis avec défi. Le feu de cette colère pleine de sang-froid le soulève. Il tient du tigre
et du taureau, culbute les joueurs qui s’approchent, leur chipe la balle sur les pieds, le dégage en
tourbillon.

- Un but à zéro à cause de moi. Rentrez- en un. Egalisez. Il faut. Allez ! dit-il repris de
confiance.
La balle fulgurante vole de l’un à l’autre, proie facile et insaisissable, aveuglé et fuyante
comme la fortune, sautant de l’équipe ordonnée des Raphaellois au lyonnais surexcités.
Rivalité de science et d’adresse. Les maillots sont tâchés de sueur. La sueur coule.
A la mi -temps, Claude Lunant traversant le terrain à grande enjambées invectivant le
soleil qui allait l’aveugler, encourageait les autres :
- Nous devons gagner, nous dominons. Allez-y.

Il anima l’attaque, mais l’adversaire, inquiété dans son dernier retranchement, montra
l’excellence de sa défense ; un jeune gardien de but souple et audacieux que soutenaient deux
arrières au choc redoutable.

- Le soleil décline, les ombres s’allongent, les joueurs s’acharnent à chaque torse
rouge, noir un torse rouge s’accroche. Voltigeurs exaltés. Le ressort de leurs jambes, la masse
de leur tête infligent au bolide blond des trajectoires de flèche. Ils se taisent, le mouvement
les intoxique, ils se détachent du sol, ils retombent, leur ardeur se multiplie, environnée de
regards, de rayons de soleil, de poudroiements moléculaires, d’effluves de joie.
- - Un but à zéro à cause de moi, répétait Claude, lamentable, en renvoyant le ballon
au diable, quand retentit le coup de sifflet final. Et je n’irai pas jouer à Paris, ni à Berlin.
Ses genoux plièrent, la soirée se couvrait d’une teinte blafarde. Des larmes nerveuses
brûlaient ses yeux…Il lui semblait qu’une bête de proie lui mordait le cœur.

Joseph JOLINON, Le joueur de Balle, Rieder, éditeur.


La case de mon père

Mon père avait sa case à proximité de l’atelier, et souvent je jouais là, sous la véranda qui
l’entourait.

Elle était faite de briques en terre battue et pétrie avec de l’eau, et comme toutes nos cases,
ronde et fièrement coiffée de chaume. On y pénétrait par une porte rectangulaire.

A l’intérieur, un jour avare tombait d’une fenêtre. A droite, il y avait le lit, en terre battue,
comme les briques, garni d’une simple natte en osier tressé et s’un oreiller bourré de kapok. Au fond
de la case et tout juste sous la petite fenêtre, là où la clarté était la meilleure, se trouvaient les
caisses à outils. A gauche, les boubous et les peaux de prière. Enfin, à la tête du lit, surplombant
l’oreiller et veillant sur le sommeil de mon père, il y avait une série des marmites contenant des
extraits de plantes et d’écorces.

Ces marmites avaient toutes des couvercles de tôle et elles étaient richement et curieusement
cerclées de chapelets de cauris ; on avait tout fait de comprendre qu’elles étaient ce qu’il y avait de
plus important dans la case.

De fait, elles contenaient des gris-gris, ces liquides mystérieux qui éloignent les mauvais esprits
et, qui pour qu’on s’en enduise le corps, le rendent invulnérable aux maléfices, à tous les maléfices.
Mon père, avant de se coucher ne manquer jamais de s’enduire le corps, puisant ici, puisant là-bas,
car chaque liquide ; chaque gri-gri a sa propriété particulière, mais quelle vertu précise ? Je l’ignore ;
j’ai quitté mon père trop tôt.

De la véranda sous laquelle je jouais, j’avais directement vue sur l’atelier, et en retour, on avait
directement l’œil sur moi… Mon domaine, en ce temps-là, c’était la véranda qui entourait la case de
mon père, c’était la case de ma mère, c’était l’oranger planté au centre de la concession.

CAMARA LAYE, l’étudiant noir, plan.

La chasse tragique

Pendant la saison sèche, la tribu de Batouala une chasse au feu de brousse.

Le signal ! Voilà le signal ! Le feu est en marche, le feu multiple et brutal, qui réchauffe ou
brûle, qui débusque le gibier, détruit les serpents, effraie les fauves, abat l’orgueil des herbes et des
arbres, le feu qui défriche les terrains propices aux prochaines semailles …

Qui dira la chanson de feu de brousse ?… Il est ici et là… Il ne tient pas en place. Il dévore les
solitudes en un instant. Il va d’herbe en herbe par bonds pétillants. Il se rapproche …

L’air est chargé de l’odeur des plantes aromatiques. Une dernière fois, affûtons sagaies et
couteaux ! Il est temps !...

Cependant, poussés par la brise du large, les feux de brousse et la famée gagnaient sur la
rivière gobo…

Debout, tous ! Debout ! Le halètement de feu s’enfle, devient plus chaud. Ses fumées
étouffent. Ouh !
Les fosses à bœufs sont- elles bien dissimulées sous des branchages ?

Oui, tout est fin prêt. En place, les bons tireurs ! On a plus qu’attendre, l’œil dur sous les
sourcils froncés et la sagaie au poing.

Des brasillements, des pétillements, des craquements, des détonations, des cris. Et puis de la
cendre, des débris d’herbes sèches et de feuilles brulées, des essaims d’abeilles, des vols de petits
oiseaux et d’insectes de tous genres…

Le vent précipite la vitesse du feu. Les flammes f*deviennent visibles. Leurs longues et larges
langues lèchent les herbes sèchent et rêches qui pètent.
Une clameur ! Des cibissis. D’autres clameurs ! Des antilopes, de cochons sauvages, des lapins…

Quelle fête ! Quelle joie. Djouk ! Flache ! Deux, trois, cinq sagaies trouent la même bête ! Le
sang fume ! Ah ! La bonne odeur du sang. Et comme elle enfièvre/ et comme elle enivre !

Des antilopes ! Des cibissis ! Des porc-épic ! Tuons ces espèces de cochons à piquants longs et
durs qui se roulent en boule !

Du sang, du sang partout ! La chasse est une danse rouge et farouche.

- At…attention !...
- Mouna, la panthère !
- Sauve qui peut !
- Bissibi ngui n’eut pas le loisir d’entendre ne de réfléchir davantage.
L’aboiement des chiens, les cris de leur maître, les flammes, leur éclat, leur chaleur, l’ivresse
née de la vue su sang et de la violence des mouvements…Tout ce tumulte de sons, de gestes
et de lumière l’avait étourdi.
Juste à ce moment, ne massive sagaie bourdonna au-dessus de lui…
Lorsqu’il se releva, tout tremblant encore, le fauve disparaissait avec des feulements
furieux. Par contre, là tout près, Batouala râlait…
Irritée par cette sagaie qu’elle avait vue venir, et qui ne lui était pas destinée, la
panthère au passage ; il avait ouvert le ventre d’un coup de patte.
René Maran, Batouala, Albin Michel

La grande pêche des femmes

La nouvelle courut de sarret en sarret : « Demain on va au mariage de Siaké »

Toute la population féminine fut en effervescence car cette pêche était un des événements de
l’année.
Au premier chant du coq, Ursu sauta de son lit et se mit en route avec sa mère. C’était la première
fois qu’il accompagnait si loin pour la pêche et il savait que ce serait un jeu passionnant.

A l’aube, Ursu vit de longues files de femmes et d’enfants qui se hâtaient vers Siaké. Les grands
paniers de pêche que les femmes portaient sur la tête comme des coiffures leur faisaient d’étranges
silhouettes et augmentaient démesurément leur taille.

Avec la lumière de l’aurore, les bavardages commencèrent. Les rires, les exclamations et les
cris de joie donnaient à l’expédition l’allure d’une fête. Au bord du marigot se rassemblèrent une
centaine de femmes et plus encore de garçons et des filles. Personne ne manquait au rendez-vous.
Les poissons en chasse venaient d’un brusque coup de nageoires, attraper les mouches rouges
qui volaient au ras de l’onde. Ursu les regardait charger et s’élancer hors de l’eau, la gueule ouverte
pour happer leur proie avec un claquement sourd. IL restait à la surface quelques bulles et les
ondulations e cercles qui se propageaient et s’entrecroisaient sur toute la nappe liquide semblant,
par moments transformer le marigot en un immense file aux mailles serrées. Bon signe pour la
pêche !

On commença le dos au soleil pour ne pas être gêné par ses rayons encore très obliques.
Femmes et filles se mirent à l’eau et formèrent bientôt une ligne si serrée que les engins de pêche se
touchaient. Courbées en deux, une main tenant le fond de la nasse, l’autre posée sur l’ouverture
arrondie, elles avancèrent lentement. Les poissons s’enfuirent vers l’autre extrémité. Mais vers le
premier tiers, quelques-uns, affolés, tentèrent de passer et se heurtèrent au rempart des corps. Au
milieu, les pêcheuses immergèrent davantage leurs paniers. Les poissons étaient nombreux, on les
voyait aux villages que laissaient à la surface, leurs mouvements désordonnés.

Ursu, de la berge suivait attentivement la ligne tout en gardant sa petite sœur. Il fixait de son
regard brillant d’impatience, le panier de sa mère, prêt à recevoir les captures. Personne ne se
pressait, toutes voulant agir à coup sûr soudain au dernier tiers de la longueur, les femmes
enfoncèrent leurs engins de pêche tout en faisant quelques pas plus rapides et brusquement les
relevèrent et les sortirent de l’eau. Presque tous contenaient du poisson, certains avaient de belles
pièces. Une clameur de triomphe s’éleva de la ligne jusqu’alors dans le silence de l’attente.
Toute la bande se distingua et les pêcheuses se précipitèrent vers la berge. Celles qui n’avaient rien
essayèrent un peu de poursuite mais sans grand espoir car les poissons filaient maintenant de l’autre
côté.

Djimanda, fière d’avoir rempli sa grande calebasse se reposait, assise au pied d’un tamarinier
et donnait le sein à Falmata.Ursu en profita pour s’emparer de la masse et sauta dans le marigot.
Trop petit encore, il avait de l’eau jusqu’au - dessus des épaules. Quand il voulut soulever l’engin de
pêche, il glissa dans la vase et s’allongea soulevant une gerbe d’eau. Il e releva comme il put, tout
penaud ramassa son panier et sortit de la mare au milieu des rires de l’assistance. Il était furieux mais
ne tarda pas à se calmer en voyant les poissons que sa mère avait mis dans sa petite calebasse et qui
se démenaient comme des enragés. Il était sans rancune et tout ce qui était vie avait le don de
l’épanouir…

Mais il fallait se hâter, le soleil baissait et les travaux du soir restaient à faire. Sur la route du
retour toutes les femmes marchaient d’un pas dégagé, leurs lourdes calebasses en équilibre sur la
tête, la nasse à la main et sur l’épaule accrochée à des bâtons, de gros poissons qui gigotaient
comme des pendus.
Ursu suivait sa mère, il portait sa petite calebasse où les poissons s’agitaient encore avec un bruit
mat en visqueux.

BUNA VALAMU, Ursu enfant de la brousse

Impressions de paris

Je suis à Paris, je foule le sol de Paris. Je regarde partout des blancs, des employés blancs. Nulle
part une tête de Nègre. C’est bien un pays de Blanc. Il fait frais ; le soleil se cache de honte. IL a
conscience d’avoir commis à mon endroit une injustice en me grillant de la tête aux pieds alors qu’il
arrive à peine à bronzer les hommes d’ici.
Des autos passent qui semblent glisser, tant elles vont vite et pas un seul coup de klaxon. C’est
défendu, chacun obéit à la règle, de klaxonner. Ça met en vedette, fait de vous « quelqu’un ». Les
chauffeurs signalent les arrêts, les départs. Depuis le temps qu’ils font ces gestes !

Tout le contraire de ce qui se passe chez nous ou les chauffeurs conduisent un doigt
constamment en l’air, interrogeant tout passant, éventuel client. UN signe de tête sur le trottoir. Un
arrêt brusque faisant gémir, hurler les pneus. Tant pis pour celui qui suit. C’est le code de la « route-
jungle »

Des fleurs partout plusieurs voitures parquées. Et des affiches sur les murs, des panneaux
publicitaires. Je paie ma place dans le car me conduisant aux invalides.

L’argent reprend sa valeur. Les mots ne doivent certainement pas exister dans le langage d’ici.
IL faut conta ment mettre la main dans la poche, faire mentalement son compte. Quel pays !

La première personne que je vois est un vieux en bretelles, discutant avec un ami puis un
ouvrier en vélo ensuite deux enfants. L’animation augmente à mesure qu’on approche de la ville. Du
monde dans les rues, les cafés, les restaurants. On se croirait un jour de fête chez nous, Une
circulation intense, disciplinés, les autos s’arrêtent au feu rouge, attendent patiemment le vert pour
repartir. Un incessant tourbillon.. Les piétons sont les plus pressés. Après tout ne sont-ils pas en
nombre ? Il faut les voir se faufiler à travers les voitures et s’arrêter tout d’un coup. N(‘auraient-ils
pas des ressorts dans les jambes, ressorts remontés chaque matin ?

La grisaille des murs aurait dû influer sur le caractère des habitants. Erreur ! Ils ont du soleil en
réserve, aussi trottent-ils dans un bruit continuel de boule. Le parisien croirait que le monde a cessé
de tourner si une nuit ou u matin, il n’entendait plus ces bruits familiers.

Un peuple consultant la montre à tout instant. Une ville prodigieuse qui vous prend, vous
capte, vous met au pas, vous emporte malgré vous dans un courant impétueux. Ici on ne fait pas de
stage. Il faut marcher, suivre et de la lumière électrique en plein jour dans les restaurants et les
magasins. Certainement pour voir clair dans les comptes, je n’aurais pas peur des redites car avec
cette ville, on semble tourner en rond, être toujours dans le même quartier, voir les mêmes fêtes
blanches. L’imperméabilité que nous portons seulement les jours de pluie, fait ici partie intégrante de
la vêture ?
Pris par la construction de ses maisons collées les unes aux autres, par ses nombreuses rues ne se
coupant jamais à angles droits est une ville qu’on ne peut enchaîner. Cela se sent de prime abord.
C’est son premier air. Et même mettrait-on les fers à la ville que les hommes passeraient au travers
comme les poissons qui mangent les filets, c’est-à-dire les déchirent pour s’échapper. Cela est
imprimé dans l’allure, l’attitude du Parisien. IL respire la liberté. IL est chez lui dans sn Paris. Et c’est
une force prodigieuse que d’être chez soi dans une telle ville.

On trouve ici des maisons si sérieuses, d’aspect qu’on dirait qu’elles ont conscience de ce
qu’elles sont ou représentent. Elles sont de Paris. Elles sont Paris.

Bernard Dadié, Un nègre à Paris, Ed. Présence Africaine

Village dans la forêt

Le petit village de Kouamo est situé dans les entrailles même de la forêt vierge …la route, puis
le sentier qui y conduisent sont, par endroits, plus obscurs qu’une charmille. La visibilité est très
courte. Tout au long du parcours s’élèvent des murailles de hautes futaies. On ne voit que sommets
touffus, écrans étroits ou larges, pointus ou effilés. Parfois une voûte compacte de feuillages et
branchages jaunâtre traverse le chemin, tel un boa endormi, repu du bœuf qu’il vient d’engloutir.

La chaleur a chassé les oiseaux qui ont gagné les hauteurs ; la gent animale dissimulée n’ose
plus se signaler. Un silence inéluctable vous impose sa compagnie ensorcelante. Le vent sel se
permet de faire craquer les grosses branches. Elles murmurent, murmurent comme si des êtres
invisibles dialoguaient. Une contrainte superstitieuse vous étreint. Vous n’avez fait que quelques
centaines de mètres et il vous semble avoir franchi des distances magiques, incalculables. L’horizon
de gauche est aussi fermé que celui de droite : la piste seule vous pousse à avancer.

Puis, sans se faire annoncer par une borne kilométrique, au début d’un long lacet, le village
surgit. Quelques centaines d’habitants serrés les unes contre les autres gisent là : deux longues
rangés des cases aux toits grisâtres et brulants s’alignent de chaque côté de la bande de terre battue
qui fait figure d’artère principale, qui est effectivement le lieu de toutes les réunions, des jeux et des
danses.

Ses habitants vivent là, depuis toujours. Ils ne quittent pas le village, à moins qu’un cas majeur
ne les y contraigne. C’est là qu’ils éprouvent les joies, les malheurs de l’existence et le sentiment de
leur sécurité. Dans les autres villages comme dans les villes, ils sont des étrangers. Chacun d’eux avec
son sort est lié à Kouamo : il en est le membre, il en est le décor. S’absente pour plus d’une semaine,
le voisin demandera de ses nouvelles et prêtera attention au moindre écho le concernant. Pour lui, le
monde commence et finit là.

Dès que le soleil se lève, le village est abandonné : qui débroussaille, qui ramasse sa récolte,
qui fait la cueillette des fruits sauvages. Les jeunes gens, eux, pourchassent le gibier dans les fourrés
ou étalent leur oisiveté remuante à l’ombre des bois géants, selon leur fantaisie du moment.

AKE LOBA, Kocoumbo, L’étudiant noir,


Flammarion

Après l’orage

… Après dix heures de vent et de nuit, c’est un jour tout neuf qui se lève ce matin. Les premiers
rayons de soleil entrent dans un air vide ; à peine envolés, ils sont déjà sur les lointaines collines
entre les genévriers et sur le thym. On dirait que ces terres se sont avancées depuis hier. On le
toucherait de la main…

Le ciel est bleu d’un bord à l’autre. Le profil des herbes est net, et tous les verts sont
perceptibles dans la tache verte des champs : sur une touffe de bourrache, le vent à porter une
feuille d’olivier, la sala delle est plus claire que la chicorée, et, dans ce coin où l’on a épousseté les
sacs de phosphate, des herbes charnues, presque noires, fusent comme les poils les plus vivaces d’un
grain de beauté. Au sommet des pins, on compterait les aiguilles.

Il y a quelque chose d’étrange, aussi : le silence. Hier encore, le ciel était l’arène du bruit ; des
chars, des cavales aux sabots de fer y passaient dans un grondement de galop et des hennissements
de colère. Aujourd’hui, le silence. Le vent a dépassé la borne et court de l’autre côté de la mer. Pas
d’oiseaux. Silence. L’eau, elle-même, ne chante pas ; en écoutant bien, on entend quand même son
pas furtif : elle glisse doucement, du pré de la venelle, sur la pointe de ses petits pieds blancs… Le
silence est lourd comme un plomb…
Malgré tout, ce silence sent bon. Le parfum des chèvrefeuilles et des genêts y coule en grandes
ondes. Et puis, à quoi bon s’inquiéter des gestes de la terre ? Elle fait ce qu’elle veut ; elle est assez
grande pour savoir ce qu’elle a à faire, elle vit son petit train…

Jean GLONO, Colline

Dans les rues d’Accra

Ce sont les femmes ici qui font le commerce à la sauvette. On les appelle les « mamans
marchandes ». Elles vendent de tout. Des cigarettes à la pièce, des miches de pains et de morceaux
de viande cuite sur lesquels les grosses mouches de l’Ouest africain s’en donnent à cœur joie. Elles
adorent marchander et chicaner. Elles représentent un facteur important dans la vie économique du
pays. Les plus riches possèdent leur propre camion, parfois tout un train de camions. Ce sont les
principaux commissionnaires du pays. Ils transportent aussi bien passagers que marchandises et
foncent à travers la campagne, droit devant eux, sans des dangers. Chaque camion a sa devise :
« repentez-vous car la mort est au coin de la rue », « entrez sans espérance », « le dernier voyage »,
« quand il faut, il faut ». Mon camion favori que j’empruntais souvent, implorait : « pas aujourd’hui,
seigneur, pas aujourd’hui ! ».

… La chaleur et l’odeur salée du poisson avarié m’avaient donné une soif atroce. De l’autre
côté de la rue, une « maman marchande » était accroupie près de son tas de marchandises : viandes
cuites, patates, tout un amas de comestibles divers ; il y avait encore quelques bouteilles remplies
d’un liquide blanc et opaque qui pouvait être aussi bien du lait de coco que du jus de palme, et
l’inévitable petite pile de cigarettes à un penny pièce. On m’avait mis en garde contre les risques qu’il
y a à consommer ce genre des marchandises à la sauvette. Mais, que diable, j’avais soif et j’avais eu
affaire aux microbes africains. Je traversai la rue, tâtai les bouteilles et choisis celle qui me sembla la
plus fraîche et la moins opaque.

- Combien ?
- Un shilling.

Le visage qui semblait sculpté dans l’ébène me regardait avec des yeux morts. J’enlevai le
bouchon de papier tortillé, essuyai le goulot et bus un coup. Je ne pus décider si c’était du lait de
coco ou du jus de palme. Le liquide avait été abondamment allongé d’eau et sucré mais c’était
désaltérant. Je bus la moitié de la bouteille, ignorant résolument le petit corps qui y flottait. Je payai
et avalai le reste. Je déposai la bouteille vide et m’éloignai.

… Je quittai la « maman marchande » et continuai par la rue chaude et mélodrame …

Peter ABRAHAMS

Le fleuve en crue

Craintifs, les hommes et les bêtes ont abandonné le fleuve furie.

Seule, la forêt lui résiste, l’oblige à rouler ses eaux dans le labyrinthe de ses arbres et à
contourner çà et là des barrières de lianes. Toute rage, le fleuve s’acharne contre la forêt qui veut le
bouter dans son lit, il envahit ses sombres domaines, ouvre des branches par où il étend ses bras, il la
cerne de toutes parts et met à nu des racines séculaires.
Et il se précipite, rugissait, vers la plaine qui bientôt s’ouvre et lui offre un large espace où il
s’étale. C’est là, sur cette terre nue aux horizons désolés, que s »épuisent ses énergies. Sa
fureur s’apaise peu à peu, son grondement s’est tu et les dépouilles qu’il a ravies pendant un dur
corps-à-corps avec la forêt, il les abandonne en chemin dans la plaine inondée où se réfugient les
poissons malmenés par les tourbillons du courant.

Il est à présent calmé, les flots qui traversent la plaine suivent leur lit naturel, tandis qu’un
lointain, sous les ailes des oiseaux qui fondent d’un vol rapide vers les petits poissons, s’obscurcissent
les eaux immobiles.

Aux confins de la steppe, la forêt n’est guère qu’une tache noire sur la ligne d’horizon, le fleuve
disparait sous la vase verte et noire d’un terrain marécageux ; le parfum de fleurs rouges, jaunes et
bleues parait emplir le ciel bas et sombre, et, plus loin, le fleuve surgit, à la lisière de la forêt où il
s’ouvre des chemins capricieux qui le conduisent jusqu’à l’embouchure de l’autre fleuve.

Flottant sur les eaux de la steppe, tous les trésors qu’il a pillés dans la vallée et la forêt sont
restés loin en arrière. Des canards sauvages grasseyaient dans le ciel de cendre. C’est alors que C’est
alors que l’indigène de la brousse, dans une pirogue qu’il conduit à la gaffe, se confie aux eaux
mortes et jette ses nasses dans le courant.

Castro SOROMENHO, Camaxila, Présence


Africaine

L’écrasement d’un avion

C’est la nuit, l’auteur du récit survole, en direction du Caire, les côtes du Nord de l’Afrique

Plus de lune, Un bitume noir qui s’est dilaté jusqu’aux étoiles. Je n’apercevrai pas un feu, je ne
bénéficierai d’aucun repère faute de radio, je ne recevrai pas un signe d l’homme avant le Nil…Tout
s’est éteint dans le monde extérieur. Il y a prévôt qui s’endort, après avoir bien résisté, et je goûte
mieux ma solitude. Il y a le doux grondement du moteur et, en face de moi, sur la planche de bord,
toutes ces étoiles calmes.
Trois heures de vol, une clarté qui me parait vive jaillit sur ma droite. Je regarde, un long sillage
lumineux s’accroche à la lampe e bout d’aile qui jusque-là m’était demeurée invisible. C’est une lueur
intermittente tantôt appuyée tantôt effacée : voici que je rentre dans un nuage. C’est lui qui réfléchit
ma lampe.

L’aile s’éclaire sous le halo. La lumière s’installe et se fixe et rayonne et forme là-bas un
bouquet rose. Des remous profonds me basculent. Je navigue quelque part dans le ventre d’un
cumulus dont je ne connais pas l’épaisseur. Je m’élève jusqu’à deux mille cinq et n’émerge pas. Je
redescends à mille mètres. Le bouquet de fleurs est toujours présent, immobile et de plus en plus
éclatant. Bon. Ça va Tant pis. Je pense à autre chose. ON verra bien quand on en sortira. Mais je
n’aime pas cette lumière de mauvaise auberge.

Une étoile verte émerge devant moi, rayonnante comme un phare. Est-ce une étoile ou est-ce
un phare ? Je n’aime pas non plus cette clarté surnaturelle. Cet astre de roi-mage, cette invitation
dangereuse.

Quatre heures cinq de vol, Prévot est venu s’asseoir auprès de moi.

- On devait arriver au Caire.


- Je pense bien.
- Est-ce une étoile ça ou un phare ?
J’ai réduit un peu mon moteur, c’est sans doute ce qui a réveillé Prévot. Il est sensible
à toutes les variations des bruits du vol ? Je commence une descente lente pour ne glisser
sous la masse de nuages.
Je me serre contre ma fenêtre. J’essaie de lire sous moi. J’essaie de découvrir des feux, des
signes. Je suis un homme qui fouille des cendres. Je suis un homme qui s’efforce de retrouver
les braises de la vie au fond d’un âtre.
- Un phare marin !
Nous l’avons vu en même temps ce piège à éclipse ! Quelle folie ! Où était-il, ce phare
fantôme, cette invention de la nuit. Car c’est à la seconde même où Prévot et moi nous
penchions pour le retrouver, à trois cents mètres sous nos ailes, que brusquement…
- Ah !
Je crois bien n’avoir rien dit d’autre. Je crois bien n’avoir rien ressenti d’autre qu’un
formidable craquement qui ébranla notre monde sus ses bases.
A deux cent soixante-dix kilomètre-heure nous avons embouti le sol.
Il y eut une sorte de tremblement de terre qui ravagea notre cabine arrachant les fenêtres,
expédiant des tôles à cent mètres, remplissant jusqu’en nos entrailles de son grondement.
L’avion vibrait comme un couteau planté de loin dans les bois dur. Et nous étions brassés par
cette colère. Une seconde, eux seconds…l’avion tremblait toujours et j’attendais, avec une
impatience monstrueuse que ses provisions d’énergie le fissent éclater comme une grenade.
Mais les secousses souterraines se prolongeaient sans aboutir à l’éruption définitive. Et je ne
comprenais rien à cet invisible travail ? Brusquement, nous éprouvâmes une sensation de
rotation, un choc qui projeta encore par la fenêtre nos cigarettes, pulvérisant l’aile droite,
puis rien. Rien qu’une immobilité glacée.
Antoine de Saint Exupéry, Terre des hommes, Gallimard, ed

Un enfant turbulent

A la mission catholique d’Essazam, Gustave âgé de douze ans est chargé de sonner trois fois la
journée la prière de l‘angélus. En récompense, le Révérend Père Le Guen lui a permis d’utiliser son
vélo. Mais Gustave et son ami le cuisinier ses sont mis à discuter

A peine levé, Gustave eut une altercation avec son ami le cuisinier. Celui-ci le surprit à un
moment fort inopportun pour l’enfant, bien sûr tandis qu’il venait d’amorcer la longue série
d’acrobaties au terme de laquelle il avait coutume de se retrouver, fort miraculeusement, à
califourchon sur la selle ou plus souvent encore, debout sur le cadre de l’immense bicyclette.

« Eh, gars ! » s’exclama le cuisinier d’une forte voix d’homme bien nourri, tandis que de
l’enfant se brisait net.

L’enfant souffla de honte de fureur qu’un grand ait assisté à sa lutte avec la machine : s’il en
sortait victorieux, c’était chaque fois au prix d’un ridicule qui n’échappait à ceux qui peuvent, eut,
enfourcher une bicyclette sans effet.

« Eh bien, petit, viens ! Gouaillait le cuisinier, où allais-tu comme ça ? »

- J’ai la permission, non ? bougonna l’enfant … ON m’a autorisé à monter sur la


bicyclette.
- Tu en es bien sûr, gars ? fit le cuisinier avec un rire sardonique.
- Oui, j’ai la permission ! protestait l’enfant. Le père de Guen me l’a donné le jour de
son départ, et il m’a dit seulement de ne pas l’abîmer.
- Je ne comprends pas ! répliquait l’homme railleur, essayant de se donner un air
soucieux. Je ne comprends pas. Ils sont partis, voyons, … mardi. Sans blague ! depuis près
d’une semaine, tu pouvais monter sur la bicyclette à plaisiez, or tu t’es abstenu. Et c’est
aujourd’hui seulement …
- Est-ce que tu veux m’embêter ? dit soudain l’enfant avec énergie. Ou bien est-ce que
tu parles sérieusement ?
- Tu oublies seulement une chose, gars : ici, à la mission, c’est moi qui suis chargé de
veiller sur toi, surtout quand nous sommes seuls. Je veux bien que tu ailles te promener, mais
as-tu seulement vu l’heure qu’il est ? Onze heures et demie ! Qui sonnera l’angélus pendant
que le grand Gustave sera en train de faire de la vitesse sur la route ?
- Tu ne peux pas me rendre ce service ?
- Ah non, mon vieux, non !
- Je t’en supplie, fais-le.
- Non ! non ! non ! Chacun son boulot ! »

Ayant donné une grosse tape sur le postérieur de l’enfant, le cuisinier le souleva et le mit à
califourchon sur la bicyclette qu’il lança, tout en disant :

« Ne compte pas sur moi pour sonner. Alors, rentre vite »

Après un kilomètre de la maison, l’enfant, faisait demi-tour, rebroussa chemin, préoccupé


jusqu’à l’agacement par sonnerie de midi, car il lui tardait infiniment d’être parti. Il alla consulter la
pendule : midi moins vingt ! Tant pis ! se dit l’enfant, vingt minutes d’avance, était-ce un péché
mortel ! Non évidemment !

Il s’approcha du filin qui commandait la cloche, hésita quelques instants en se mordant les
lèvres, s’en saisit et tira plusieurs fois. Aussitôt, s’aidant d’un pilier, il grimpa avec vélocité sur sa
bicyclette et détala sans plus se retourner bien que, dans son dos, le cuisinier hurlât, tel un
chimpanzé qu’on écorche vif.

L’enfant soulagé maintenant d’avoir sonné midi, fût-ce de façon anticipée et bien peu
insistante une sonnerie qui devrais durer le temps d’un angélus, gagna la grande route et se mit à
pédaler avec frénésie.

MONGO BETI, le roi miraculé, Buchet-


Chastel

Danse au clair de la lune

Hier soir, la clarté de la lune avait été suffisante pour qu’on n’allumât pas de feu. La danse
avait commencé vers huit heures. Aux accents redoublés des tambours, Alouma s’était mise à
danser. En tant que grande vedette, on lui avait laissé toute la place, la reine de la jeunesse était là.
Les doigts des batteurs rebondissaient avec une rapidité inouïe sur la surface du cuir fin. Leur torse se
secouait et tremblait, comme pris dans un courant électrique. Au milieu des chants, des ovations
délirantes et des claquements des mains, la jeune fille au corps vibrant, les yeux à demi fermés, les
épaules un peu rehaussées, penchée en avant, le corps parallèle au sol, étalait toute sa grâce et sa
beauté.

Kocoumbo avait cette vision et une jalousie mal définie s’était emparée de son cœur. Alouma
au milieu du cercle, recevait l’admiration de tous les yeux et de toutes les bouches ; durant la
semaine, elle serait le sujet principal de toute conversation.

Sans se soucier des soupçons que son geste pourrait faire naître dans les cœurs, Kocoumbo
s’était jeté près d’elle. D’ailleurs, lui aussi était le roi de la danse ; c’était donc une belle occasion à
saisir pour exprimer ce qu’il ressentait à son égard.

Il n’avait pas hésité : il n’avait plus honte. Son corps s’était mis à se trémousser de haut en bas.
Son ventre contracté se creusait. Il s’appliquait à faire montre à toute sa science, à ce que qu’aucun
des gestes de son exhibition n’échappât à la jeune fille. Les muscles de ses bras se dilataient,
s’étiraient. Ses pieds frappaient le sol avec force. Il tournait sur lui-même en pivotant sur ses talons,
contournait Alouma, revenait à son point de départ, se dérobait et retournait la rejoindre. Il tendait
les mains pour la saisir puis les retirait.il disparaissait, resurgissait, s’approchait, se plaçait elle pour
lui montrer les yeux pleins de tendresse.il la contournait encore pour se placer à ses côtés, faisait
semblant de se frôler, puis, brusquement la dépasser.

Le village d’Alouma s’est transformé. Son expression changeait selon la cadence, selon les
figures. Au fur et à mesure, elle traduisait une certaine joie, mêlée d’amertume. Ses bras fins
semblaient implorer du ciel son droit de l’existence, alors que ses jambes affirmaient d’une manière
héroïque cette existence même. Puis, toutes ses mimiques manifestèrent un grand contentement.
Chaque fois qu’elle redoublait d’élan, on aurait dit qu’elle allait embrasser la terre.

Pendant toute cette pantomime, elle feignit d’être inconsciente de la présence de Kocoumbo.
Cette indifférence qui n’était pas exemple de coquetterie, avait obligé le jeune homme à déployer
tout son art. Sa danse était devenue endiablée. Les yeux grand ouverts, pleins d’hilarité, les poings
fermés, les genoux rivés l’un à l’autre, comme soudés, puis brutalement séparés, il développait sa
technique à pas rapides, avec des mouvements prestes. Sa taille se courbait, se dépliait, se tordait.
Devant ses promesses, les spectateurs ne ménageaient pas les approbations tumultueuses …

Alouma n’avait rien vu hier soir. Elle avait suivi ses parents après la danse. Quelle fierté.

AKE LOBA, l’étudiant noir, Flammarion

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