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Résumés de cours et exercices


L’art

a. La diversité artistique
« Entre la nature et nous, que dis-je ? Entre nous et notre propre conscience, un
voile s’interpose, voile épais pour le commun des hommes, voile léger, presque
transparent, pour l’artiste et le poète. […] Quand nous éprouvons de l’amour ou de
la haine, quand nous nous sentons joyeux ou tristes, est-ce bien notre sentiment
lui-même qui arrive à notre conscience avec les mille nuances fugitives et les
mille résonances profondes qui en font quelque chose d’absolument nôtre ? Nous
serions alors tous romanciers, tous poètes, tous musiciens. »
Bergson, Le Rire

Les formes artistiques et les œuvres d’art sont tellement variées, aujourd’hui
et historiquement, qu’il semble bien difficile de définir l’art et de fixer des
frontières claires et précises à ce qui appartient à son domaine. D’une manière
assez générale, l’on pourrait dire que, tout d’abord, le mot art est synonyme de
technique – le mot grec technè désignant les deux. L’art désigne alors une habileté,
un savoir-faire qui, lorsqu’il est parfaitement maîtrisé, peut provoquer l’admi-
ration du spectateur. On retrouve d’ailleurs ce sens dans certaines expressions
(ex : l’art de la navigation, les arts martiaux). Ce sens peut également s’employer
de manière ironique (ex : l’art de parler pour ne rien dire).
Mais il faut ensuite remarquer que le mot art possède également une signifi-
cation plus moderne : celle des beaux-arts et des œuvres d’art. Il s’agit alors
d’une activité qui peut s’apparenter à un travail, un labeur, mais qui repose le
plus souvent sur une passion : l’on peut bien entendu peindre ou réaliser des
films uniquement pour devenir riche et célèbre, mais l’écrasante majorité des
artistes le font par simple amour de leur domaine et par plaisir de créer. Il existe
une recension officielle de ce qui est considéré comme artistique qui, comme
toute liste, est en partie critiquable : elle regroupe essentiellement la peinture,
la sculpture, l’architecture, la poésie, la photographie, le théâtre, la danse, la
bande dessinée, le cinéma et la littérature. Dans chacun de ces domaines, on
a tendance à hiérarchiser les arts, entre arts majeurs et arts mineurs. On peut
ainsi s’interroger sur la prétendue supériorité de la peinture sur la sculpture selon
Schopenhauer ou de la musique sur la poésie pour Hegel, ou encore critiquer
la soi-disant supériorité de musique classique sur le rock’n’roll ou le R&B, des
drames sur les comédies, ou du cinéma muet sur le cinéma parlant. De même,

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on observe une tendance à hiérarchiser les œuvres elles-mêmes, en en consi-
dérant certaines comme des chefs-d’œuvre. Or, il semble en vérité difficile,
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voire impossible, de parfaitement justifier de telles hiérarchies, et de déterminer


de façon stricte ce qu’est l’art en général. Et c’est pour cela que l’on peut, pour
chaque nouvelle œuvre et chaque nouveau courant, se questionner sur ce qui en
fait quelque chose d’artistique et, par-là, sur l’essence de l’art. La richesse de
ce dernier provient du fait qu’il possède des formes et des objectifs infiniment
variés selon les cultures, les époques et les artistes eux-mêmes. De plus, comme
le souligne Freud, l’idée d’une création artistique, tout comme le fait qu’elle
fasse écho en nous, proviennent de notre vécu, voire de causes enfouies dans les
profondeurs de notre inconscient.
Nous laissons ici volontairement de côté la question de la beauté artistique, et ce
pour deux raisons : d’une part, la notion du programme de Terminale n’est pas
celle du beau mais celle de l’art. D’autre part, la notion de beauté est d’ailleurs
très difficile à définir, si tant est qu’elle ne soit pas un mot vide de sens. Sur ce
point, il n’est pas impossible d’être sceptique, et il ne faut peut-être pas vouloir à
tout prix rechercher des critères d’objectivité dans le domaine de la beauté. Cela
ne signifie bien sûr pas qu’il ne faille pas parler de nos goûts et de l’art, selon
le dicton « des goûts et des couleurs on ne discute pas », mais simplement que
nous devons avoir à l’esprit que ces conversations peuvent uniquement nous
permettre de mieux comprendre autrui ou de modifier nos propres apprécia-
tions, par exemple en commençant à apprécier des œuvres d’art qui ne sont pas
faciles d’accès et qui demandent une certaine culture du goût.

b. Analyses philosophiques d’œuvres d’art


« C’est dans les œuvres de l’art que les peuples ont déposé leurs pensées les plus
intimes et leurs plus riches intuitions. »
Hegel, Cours d’esthétique

Il est possible, et dans un travail de philosophie sur l’art, nécessaire, de donner


quelques illustrations artistiques de cette diversité culturelle, dans laquelle la
question de la beauté n’est en effet que secondaire :
► Dans l’Antiquité grecque, l’art a soit une vocation religieuse, consistant à
honorer les dieux, soit un rôle mimétique dans le cas de la peinture, soit une
fonction éducative et morale, comme le montre bien le cas du théâtre. Mais, depuis
la Renaissance au moins, la peinture et la sculpture ont le plus souvent servi à
immortaliser des événements (ex : La liberté guidant le peuple de Delacroix) ou
à esthétiser de grands personnages historiques, afin de souligner leur importance
(ex : Napoléon Bonaparte de David).

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► Une œuvre d’art peut devenir importante et célèbre à cause de sa complexité
ou de son innovation technique. Le grand public connaît d’ailleurs certaines

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œuvres sans connaître les raisons techniques de leur célébrité. C’est ainsi que la
notoriété de la Joconde de Léonard de Vinci provient du fait que tout le monde
la connaît, de sa notoriété même. Le talent de Léonard de Vinci tient au fait qu’il
ait développé une technique picturale à la fois innovante et difficile à réaliser.
Mais ce qui a rendu célèbre Le portrait de Mona Lisa, c’est son sourire : Vinci est
parvenu à peindre l’esquisse, le mouvement d’un sourire, qui peut alors symboliser
la force intérieure de Mona Lisa, le courage qu’elle a de sourire dans le malheur.
► Il peut également s’agir, pour l’artiste, de créer une nouvelle façon de voir le
monde et créer de nouvelles façons… de créer ! Ce qui est essentiel est alors l’ori-
ginalité du style de l’auteur. De manière plus profonde, on peut alors se demander,
comme l’a fait Kandinsky, si l’art n’a pas une vocation d’ordre existentiel, métaphy-
sique. Ses tableaux ne représentent pas, en effet, un objet du monde, puisqu’il
s’agit d’un art abstrait, qui se développe surtout au xxe siècle. Ce qu’ils repré-
sentent, c’est un sentiment de l’auteur, et peut-être du spectateur, si l’œuvre fait
écho en lui : son sentiment face à l’existence et face au monde, sa façon de le
voir et de l’éprouver. Kandinsky se libérera pour sa part peu à peu de la repré-
sentation d’un modèle concret et organisera ses tableaux autour de symboles et
de jeux de couleurs qui lui sont propres. Il construira ainsi une sorte de code
mystique personnel, comparable à des hiéroglyphes qu’il s’agirait d’interpréter
afin d’accéder ce qui échappe à la perception ordinaire, qui est plutôt de nature
pragmatique, liée à l’action et à l’utile.
► Au xxe siècle, le surréalisme de Salvador Dali ou d’André Breton développe
une philosophie de l’art différente mais proche de la précédente : il repose sur
l’idée selon laquelle notre perception courante ne nous donnerait accès qu’à une
partie de la réalité. Le monde, qui peut certes paraître délirant, du surréel n’est
donc pas à réduire à de l’irréel. L’art serait au contraire un moyen d’élever notre
esprit à un monde qui resterait caché à nos sens, mais qui serait bel et bien réel.
Or, puisque pour y parvenir il est nécessaire de libérer son esprit, les surréalistes
s’inspirent des délires pathologiques, du sens symbolique des rêves, de l’écriture
automatique et des états seconds.
► Les œuvres d’art peuvent être les déclencheurs et les catalyseurs de mouve-
ments sociaux ou de changements dans les façons de penser. Cela est évident
lorsqu’elles sont explicitement engagées sur un plan politique, mais c’est aussi
parfois le cas quand elles modifient des conventions purement esthétiques. Ainsi,
lorsque le compositeur russe Stravinsky présenta, en 1913, le ballet intitulé
Le Sacre du Printemps, qui raconte l’histoire du sacrifice d’une jeune sauvage,
le public se mit à huer et à se battre dans le théâtre : l’œuvre était provocante
pour l’époque dans la mesure où les danseurs rampaient, étaient voûtés, sautaient

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sans aucune grâce, et que la musique comprenait des ruptures de rythme et de
nombreuses dissonances volontaires. Ce nouveau style tranchait tellement avec
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la façon de juger de ce que devait être un ballet qu’elle provoqua à elle seule
de vives réactions. De même, c’est pour livrer un combat au nom de valeurs
morales que les représentantes d’un mouvement féministe ukrainien, les Femen,
posèrent seins nus à côté de la Vénus de Milo, dans le Louvre, le 3 octobre 2012.
Elles déployèrent une pancarte sur laquelle on pouvait lire un slogan provo-
cateur (« Viole-moi, je suis immorale. »), afin de dénoncer les violences faites
aux femmes, notamment un viol qui venait d’être commis en Tunisie, ainsi que
la tendance à réduire les femmes à des objets, que symbolisent les seins nus de
la Vénus. La difficulté pour ces femmes de se défendre était alors symbolisée par
le fait que cette représentation de la déesse Aphrodite ait été retrouvée sur l’île
grecque de Milo en 1820, mais sans ses bras. Son auteur, Alexandre d’Antioche,
n’avait sans doute pas songé que son œuvre aurait un jour un tel destin. Aussi
devons-nous compléter ce point en soulignant le fait que c’est parfois sans que
son auteur ne l’ait voulu que son œuvre va par exemple devenir l’emblème d’une
lutte sociale et politique (ex : la célèbre photographie de la place Tian An Men
où un opposant fait face à un char de l’armée chinoise, en 1989).
► Le pop art va lui aussi, d’une manière qui lui est propre, dans le sens d’une
réflexion engagée, d’une critique des préoccupations sociales et populaires (d’où
son nom). Rejetant une conception trop élitiste et techniciste de l’art, il partage
avec le rap, le reggae ou le rock’n’roll, l’idée selon laquelle l’art doit exprimer des
messages et faire s’interroger le spectateur sur l’art, sur sa société et, finalement,
sur lui-même. Ainsi, avec son œuvre intitulée Marylin Monroe, ce qu’Andy
Warhol choisit de représenter est l’une des plus grandes icônes américaines et
mondiales. C’est en effet le premier grand sex-symbol de l’histoire. Il entend
peut-être ainsi dénoncer cette vision de la femme objet, ainsi que la médiati-
sation excessive, la peopolisation comme nous dirions aujourd’hui. De plus,
cette célèbre image est reproduite de façon industrielle en dix exemplaires, ce
qui suggère une série infinie de reproductions possibles. Cela peut nous amener
à nous interroger sur les fondements de la société de production et de consom-
mation de masse et sur son lien avec celle de la construction et la propagation,
dans les sociétés modernes et libérales, d’icônes populaires. Celles-ci remplacent
peut-être les vieilles idoles religieuses.
► L’art conceptuel se donne lui-aussi pour but de faire réfléchir le spectateur,
notamment sur ce qu’est la création artistique, sur ce qui fait sa valeur. Il va
se démarquer de la tradition artistique, de son histoire, pour mieux interroger
l’essence de l’art. En effet, pourquoi une œuvre d’art serait-elle forcément belle,
harmonieuse ou profonde (ex : Fountain, dit L’urinoir, de Duchamp) ? Pourquoi
sa valeur serait-elle liée au fait qu’elle soit difficile à réaliser (ex : Ceci n’est pas

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une pipe de Magritte) ? Pourquoi serait-elle vouée à durer, donc à être conservée
dans des musées, et non pas à être naturellement éphémère (ex : les ready-made de

Résumés de cours et exercices


Duchamp) ? Pourquoi faudrait-il tenter d’effacer les traces du passage du temps,
en restaurant les œuvres comme s’il fallait les maintenir dans une sorte d’éternité,
attitude de sacralisation de l’art qui témoigne alors d’un rapport religieux à lui ?
Ainsi, le 19 juillet 2007, l’artiste cambodgienne Rindy Sam a commis un acte
artistique et/ou terroriste en déposant une empreinte de rouge à lèvres sur un
monochrome blanc du Triptyque consacré au Phèdre de Platon de Cy Twombly.
Pourquoi l’art serait-il une activité sérieuse, et non pas ludique ou humoris-
tique (ex : Les vacances de Hegel de Magritte) ? Pourquoi les matériaux alors
utilisés devraient-ils être nobles, comme l’est par exemple le marbre, et non
pas quelconques (ex : les concassions métalliques de César) ? Voire repoussants
(ex : l’utilisation d’entrailles de lapin par Beuys, d’ordures par Arman ou d’excré-
ments humains par Manzoni) ? Pourquoi une œuvre d’art devrait-elle former un
tout, et non pas être naturellement divisée en plusieurs morceaux (ex : Merda
d’artista de Manzoni est composé de quatre boîtes vendues séparément ?) Si l’art
conceptuel a été souvent critiqué comme étant du grand n’importe quoi, et que
de nombreux artistes ont sans doute emprunté cette voie par facilité plus que
par conviction ou par talent, les questions qu’il pose n’en sont pas moins impor-
tantes pour un artiste : il s’agit de savoir comment celui-ci doit se positionner
vis-à-vis de l’histoire dans laquelle, qu’il le veuille ou non, il va inscrire ses
propres œuvres. Autrement dit, il se doit de s’interroger sur l’usage qu’il compte
faire de sa propre liberté créatrice.

Sujets de dissertations type Bac


ө Une œuvre d’art a-t-elle toujours un sens ?
ө Une société peut-elle se passer d’artistes ?
ө Qui peut juger de la valeur d’une œuvre d’art ?

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Corrigé de dissertation

Peut-on convaincre autrui qu’une œuvre d’art est belle ?

Introduction
L’affirmation selon laquelle, en matière d’art, c’est « à chacun ses goûts » semble à
première vue bien naïve. Pouvons-nous la dépasser et défendre un point de vue qui montre
que nous pouvons nous entendre sur la valeur et la beauté d’une œuvre d’art ? Est-il
possible de définir rigoureusement la notion de beauté, et pourquoi ? Si tel n’est pas le cas,
il semble difficile, voire impossible, de s’entendre sur la valeur et la beauté d’une chose.

Dans le domaine esthétique, il semble que le fait de s’entendre signifie être capable de
discuter, d’échanger des points de vue et des arguments divergents. Mais n’est-il pas absurde
de vouloir faire changer des goûts, qui appartiennent au domaine de la sensibilité person-
nelle, à l’aide d’arguments, qui sont pour leur part d’ordre rationnel ? C’est à ces interroga-
tions que nous tenterons de répondre dans la suite de notre réflexion, en commençant par
envisager qu’il existe des critères qui nous permettraient de convaincre autrui qu’une œuvre
Corrigés

d’art est belle, à l’aide de certains critères, qui pourraient (ou devraient être) reconnus par
tous. Notre seconde partie aura pour objet de remettre en cause une telle conception, tout en
montrant qu’il est, dans une certaine mesure, possible de convaincre autrui de la supériorité,
de la plus grande valeur d’une œuvre d’art par rapport à une autre.

1re partie
Nous devons prendre soin de ne pas confondre ici deux notions : convaincre, terme
qui provient du latin cum vincere, désigne l’action de vaincre autrui, dans le domaine de
l’échange d’opinions. Convaincre, c’est triompher des arguments d’un interlocuteur,
en l’amenant à reconnaître l’exactitude d’un propos ou l’existence réelle d’un fait,
soit par le raisonnement, soit grâce à des preuves matérielles. Or, dans le domaine
esthétique, qui ne repose pas sur l’exercice de la raison, il n’est pas certain que l’on
puisse « s’entendre » avec autrui en lui démontrant le bien-fondé de notre jugement de
goût. Au sens strict on emploie par contre le terme persuader pour désigner l’action
qui a pour but de faire changer autrui de conviction, de certitude, soit en utilisant
des arguments rationnels, soit en utilisant d’autres moyens, tels que la rhétorique,
le charisme ou le charme. Contrairement au fait de convaincre, la persuasion repose
donc sur la dimension affective et passionnelle de l’homme. C’est pourquoi on peut
tout à fait être convaincu (être à court d’arguments) sans être pour autant, en son for
intérieur, persuadé.

Dans le cas de la beauté des œuvres d’art, il est donc davantage question de persuader
que de convaincre. Contrairement à ce qui se passe par exemple en sciences, il est
clair qu’aucun argument rationnel, aucun enchaînement démonstratif, ne saurait
établir (« par a + b », comme l’on dit) qu’une œuvre d’art déterminée est belle ou que

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telle œuvre est plus belle qu’une autre. Comme l’écrit Hume, de façon apparemment
simpliste mais en réalité très profonde, « nous pouvons observer que cette uniformité du
genre humain n’empêche pas qu’il y ait beaucoup de diversité dans les sentiments de beauté
et de valeur, et que l’éducation, la coutume, le préjugé, le caprice et l’humeur modifient
fréquemment notre goût ». Toutefois, ne pouvons-nous pas opérer une distinction qui nous
permettrait de poser l’existence une beauté universelle, qui devrait être reconnue comme
telle et qu’il serait possible de prouver l’existence ? C’est ce qu’a tenté de montrer Kant,
en distinguant, dans le domaine esthétique, des choses qui seraient belles et des choses
qui seraient seulement agréables. Ce dernier terme désigne alors tout objet qui procure
du plaisir. On réservera par contre l’adjectif beau aux productions artistiques qui nous
procurent un plaisir lié à la vue (ex : un beau tableau, un beau paysage) ou à l’ouïe (ex :
une belle mélodie), au détriment de l’odorat, du goût et du toucher. Contrairement aux
œuvres d’art agréables, celles qui sont belles devraient alors nous donner l’intime
conviction qu’elles peuvent et qu’elles doivent plaire à tout le monde, « universel-
lement » comme le dit Kant. Autrement dit, nous trouvons certaines choses si agréables
que nous sommes tentés « d’exiger » que tout le monde soit du même avis que nous − et
ce sont précisément ces choses que Kant qualifie de belles. Toutefois, ce qui est universel
peut généralement être démontré, comme c’est le cas pour les vérités mathématiques.
On ne peut pas, par contre, démontrer de manière rationnelle qu’une chose est belle et,

Corrigés
par conséquent, convaincre autrui qu’une chose est belle au même sens que l’on peut le
convaincre qu’une chose est réelle ou vraie. En effet, contrairement à ce qui a lieu en
sciences, on peut parfois convaincre quelqu’un qu’une œuvre d’art est belle, c’est-à-dire
le vaincre à l’aide d’arguments. Kant dit en ce sens qu’une œuvre d’art qui est belle
doit plaire « universellement », mais « sans concept », c’est-à-dire sans que l’on puisse le
démontrer de manière rationnelle (cf. Kant, Critique de la faculté de juger, §9, Deuxième
définition du Beau). Ce que l’on nomme la beauté serait donc « une exigence » : lorsque
je suis face à une « belle » œuvre d’art, et non pas seulement face à quelque chose qu’il est
« agréable » à regarder ou à entendre, je serais en droit d’exiger d’autrui qu’il en recon-
naisse que cette œuvre est belle. Autrement dit, même s’il n’est pas concrètement possible
de convaincre mon semblable qu’une œuvre d’art est belle, il existerait une exigence,
une sorte de devoir esthétique (et non pas un devoir moral), qui imposerait à quiconque,
quelle que soit sa culture, de reconnaître que telle œuvre est belle, qu’elle est pour ainsi
dire, selon l’expression platonicienne, la manifestation sensible de « l’Idée de la Beauté ».

2e partie
Que vaut cette distinction et cette conception de la beauté ? Elle exige, certes, au nom
de des « principes de la raison réfléchissante », que l’on suppose l’existence d’œuvres
belles, mais elle ne permet pas de convaincre autrui de la beauté de telle ou telle œuvre
d’art précise. Comme toujours avec le formalisme, la théorie est cohérente et apaisante
du point de vue de la raison, de la volonté de fonder rationnellement les choses, mais elle
reste stérile en situation : il est concrètement impossible de convaincre autrui que telle
œuvre d’art (qu’elle soit célèbre ou non), appartenant à tel courant artistique, relève
du domaine du beau et non pas de l’agréable. De plus, on peut remarquer que l’idée
même de beauté inclut en elle des objets d’une si grande diversité, que l’on ne voit parfois

Chapitre 1. L’art 21

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même plus ce qu’il y a de commun entre elles, c’est-à-dire entre les genres de beauté
qu’elles expriment : qu’ont finalement de commun le Requiem composé par Mozart, les
Tournesols peints par Van Gogh et la Danaïde sculptée par Rodin ? Plus généralement,
qu’y a-t-il de commun entre la beauté d’une œuvre d’art, du geste technique d’un athlète,
de la plaidoirie d’un avocat ou du visage d’une jeune femme ? Nous sommes habitués,
dès notre plus jeune âge, à employer des mots comme beau, sublime, perfection, etc.,
nous croyons savoir ce que ces mots signifient. Mais ils ne désignent peut-être, en
vérité, rien de précis et de réel. Il semble impossible de développer une réflexion rigou-
reuse concernant l’art, si l’on suppose, comme le fait notamment Kant, que la vocation
de celui-ci est de produire des œuvres qui soient, le plus objectivement possible, belles.
C’est à cette conclusion, que l’on peut qualifier de sceptique, qu’aboutissait d’ailleurs
déjà le dialogue de Platon intitulé l’Hippias mineur. Comme le remarque Wittgenstein
au cours de ses Leçons sur l’esthétique, dans le domaine artistique, les spécialistes ne
qualifient d’ailleurs que très rarement les choses de belles, de sublimes, de merveilleuses,
etc. : ils sont capables de préciser ce qui est beau ou laid dans telle ou telle musique ou
dans tel ou tel tableau, et emploient plutôt des expressions comme « Dans ce morceau,
le tempo est incorrect. », « Cet agencement de couleurs est particulièrement subtil. »,
ou encore « On appréciera la tessiture de cette voie. ». Comme le note Wittgenstein (que
son érudition en musique rend sur ce point particulièrement crédible), les spécialistes,
Corrigés

les connaisseurs parlent plutôt en termes de correction ou d’incorrection par rapport


aux normes en vigueur et aux techniques qu’il est utile de savoir maîtriser dans tel ou
tel domaine. Ce n’est que lorsque les mots leur manquent que ces professionnels
rejoignent les gens ordinaires et qu’ils se contentent de qualifier, de manière assez
vague et peu rigoureuse, une œuvre d’art de belle. Ce que nous nommons la beauté
ne semble donc pas exister dans les choses elles-mêmes, mais seulement dans l’esprit
de celui qui contemple quelque chose de beau. En effet, quand nous disons qu’une chose
est belle, nous ne qualifions pas la chose elle-même, mais seulement un plaisir que
nous éprouvons de manière tout à fait personnelle, lorsque nous percevons cette chose.
À proprement parler, nous devrions donc prendre soin de dire, non pas que « cette œuvre
est belle », mais seulement que « nous trouvons belle cette œuvre ».

Par ailleurs, on constate que les hommes ne s’accordent pas sur ce qui peut être légiti-
mement qualifié de beau, de laid ou de quelconque. Or, ce désaccord n’a rien d’énig-
matique, mais provient de facteurs, notamment psychologiques et sociaux, tels que
l’éducation et les habitudes culturelles. Ces facteurs modifient notre goût, faisant que
celui-ci diffère, non seulement de celui d’autrui, mais aussi de nos propres goûts passés
ou à venir. Plus généralement, on constate que tous les prétendus critères objectifs
de la beauté artistique (cf. l’ordre, le parallélisme, l’harmonie, etc.) ont varié en
fonction des cultures et des époques, sans qu’il soit objectivement possible de faire
une hiérarchie entre celles-ci. Les exemples de beauté avancés dans l’Antiquité grecque
n’ont pas grand-chose à voir avec ceux qui furent défendus de l’âge classique, et il y a
peu de chances pour que ce qu’un écossais du xviie siècle et un hollandais du xxe siècle
jugent beau en matière d’art soit identique. Ce qui apparaît alors, et ce que montrent
bien les ouvrages de sociologie et d’histoire de l’art, c’est que nous ne possédons pas tel
ou tel goût précis parce que nous avons de bonnes raisons à avancer en faveur de notre

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