La Meute de Chanais t9 La Meute de Chanais Tome 9 Le Dernier Tome de La Saga D Une Meute Pas Comme Les Autres Duncan L Accusation French Edition 164790
La Meute de Chanais t9 La Meute de Chanais Tome 9 Le Dernier Tome de La Saga D Une Meute Pas Comme Les Autres Duncan L Accusation French Edition 164790
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Duncan – l’accusation
DROITS D’AUTEUR :
Cette œuvre a fait l’objet d’un dépôt. Toute copie, même partielle, est
interdite sans l’autorisation expresse de l’auteure.
ILLUSTRATION DE COUVERTURE :
Illustration © Fleurine Rétoré 2022
ISBN : 978-2-490224-42-5
Sous le nom d’Ysaline Fearfaol :
La meute de Chânais :
Tome 1 : Aymeric – la malédiction
Tome 2 : Aloys – le sacrifice
Tome 2,5 : tranches de vie
Tome 3 : Faolan – la vengeance
Tome 3,5 : tranches de vie
Tome 4 : Ciaran – l’épreuve
Tome 4,5 : Anthony – la rédemption
Tome 5 : Duncan – la genèse
Tome 5,5 : tranches de vie
Tome 6 : Beowyn – le secret
Tome 6,5 : tranches de vie
Tome 7 : Kerwan – la déchirure
Tome 8 : Aydan – la dette
Tome 9 : Duncan – l’accusation
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Sous le nom d’Ayleen Night
Désirs inconnus
Tome 1 : désir captif
Tome 2 : désir caché
Tome 3 : désir soumis
Tome 4 : désir damné
Intégrale des tomes 1 à 4
La défaite
Tome 1 : la défaite
Tome 2 : le challenge
Tome 3 : le défi
Tome 4 : la fin du match (avec Ysaline Fearfaol)
Terre de Castes
Tome 1 : rébellion
Tome 2 : Capture
Le prix à payer
Pour l’oublier
Les tribulations de Maître Renard
Retrouvez mon univers à ces adresses :
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REMERCIEMENTS
Et surtout merci à vous, mes lecteurs, pour votre fidélité, votre gentillesse
et votre intérêt pour mes romans.
Table des matières
REMERCIEMENTS
Introduction
La faute
Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 6
Chapitre 7
Chapitre 8
Chapitre 9
Chapitre 10
Chapitre 11
Chapitre 12
Chapitre 13
Chapitre 14
Chapitre 15
Chapitre 16
Chapitre 17
Chapitre 18
Chapitre 19
Chapitre 20
Chapitre 21
Chapitre 22
Chapitre 23
Chapitre 24
Chapitre 25
Chapitre 26
Épilogue
Le mot d’Ysaline
Bonus
Espoir d’avenir
Passation de pouvoir
Séparation
Série « La meute de Chânais »
Série « Les de Chânais et les Kergallen »
Série « Les Légendes de Djaïd »
Série « Les Plumes d’Ysaline »
Série « Désirs inconnus » :
Série « La défaite »
Série « Terre de Castes » :
Série « Mon enfer dans tes yeux » :
Le prix à payer
Pour l’oublier
Les tribulations de Maître Renard
À propos de l’auteure
Introduction
Je suis une Chroniqueuse. Mon rôle est de relater la vie d’une lignée, de sa
création à sa disparition. Je nais et meurs avec elle. Je n’interviens pas, je ne
donne pas d’opinions, je ne fais que transcrire des faits.
J’ai eu la chance inouïe de naître avec la famille de Chânais, et j’ai été le
témoin privilégié de leur histoire tumultueuse et des passions violentes dont
elle a été et est encore le théâtre. De façon tout à fait exceptionnelle, et
compte tenu du caractère extraordinaire du destin de cette lignée, j’ai été
autorisée à en publier le récit. Bien sûr, vous n’en croirez pas un mot, et vous
lirez mes livres comme des romans. Pourtant, ils sont vrais, de la première à
la dernière ligne.
Mon nom étant imprononçable dans votre langue, j’en ai choisi un venu de
votre monde. Je ne l’ai pas choisi au hasard ; il devait refléter l’histoire que
j’écris encore à ce jour. J’ai choisi de m’appeler Ysaline en hommage à
Yseult et Ysolda. Nos trois prénoms signifient « belle » en celte. Fear-faol
veut dire « loup-garou » en gaélique écossais.
***
***
***
An 1215, en Avalon
Dès qu’elle entra dans son jardin, Ysolda sut qu’elle n’y était pas seule.
Sur le qui-vive, elle affûta ses sorts de défense, prête au pire. En principe,
personne d’autre qu’elle ne pouvait pénétrer en ces lieux. Pourtant, elle y
décelait une présence étrangère. Silencieuse, l’adolescente suivit la piste de
la mystérieuse aura, jusqu’à arriver au bord de la pièce d’eau qu’elle avait
créée. Elle découvrit avec surprise un adolescent de son âge, qui examinait
l’endroit de son insondable regard vert. Une émotion encore inconnue
s’éveilla en elle tandis qu’elle détaillait la haute silhouette au visage
volontaire auréolé de cheveux blonds. En dépit de sa jeunesse, l’intrus
respirait le pouvoir. Ysolda comprit tout de suite qu’il était un druide de haut
niveau. Elle réalisa aussi qu’il cachait de profondes souffrances, et cette
constatation ne fit qu’augmenter son désir de faire sa connaissance.
Ce qui ne l’empêcha pas d’avoir envie de le surprendre, à la fois par jeu
et pour savoir de quelle façon il réagirait, si bien qu’elle attendit qu’il ait le
dos tourné pour se dévoiler.
— On peut savoir comment tu es entré ici ?
La jeune fille eut de mal à garder son sérieux quand il manqua s’étaler en
se retournant. Il la fixa avec un ahurissement non dissimulé avant
d’articuler :
— La grille était ouverte.
La manière dont il la détaillait lui apprit tout ce qui l’intéressait. Rieuse,
elle n’hésita pas à lui réclamer un paiement en nature pour avoir osé
pénétrer sans autorisation en ces lieux qui lui appartenaient. Beau joueur, il
le lui accorda, la laissant mener le jeu à sa guise lorsqu’elle en exprima
l’envie.
Cette nuit-là, elle sut qu’ils se croiseraient à nouveau, et si le lendemain,
elle s’amusa de son embarras quand il découvrit qu’elle était la fille de la
Dame du Lac – à cette époque, Duncan n’était guère au fait des us et
coutumes d’Avalon –, elle s’assura aussi de profiter de sa compagnie durant
son séjour au Palais.
***
— Il n’était pas comme les autres, Darwen. Quinze ans à peine, et il avait
déjà défié ce fou d’Harold de Chânais, qui faisait trembler tout Avalon. Et lui,
il lui tenait tête ! Il ne m’a jamais caché qu’il voulait diriger le clan de
Chânais, tout comme je ne lui ai jamais caché que je savais déjà que je serais
la prochaine Dame du Lac. Avons-nous jamais été jeunes, lui et moi,
Darwen ?
L’étalon la poussa du bout du museau. Ysolda caressa ses naseaux si doux
avant de se perdre à nouveau dans ses souvenirs.
— Nous n’avions que dix-sept ans lorsque nous avons combattu Harold
ensemble et que Myrdin a été blessé. J’en avais vingt à peine quand ma mère
est morte et que j’ai été désignée comme nouvelle Dame du Lac. Et six mois
plus tard, la nuit où il devait faire son choix, la Lune de Sang s’est levée en
Avalon…
***
***
***
— Je ne sais pas si c’est vraiment une solution, mais c’est tout ce que j’ai
trouvé.
Ysolda s’empara sans hâte du parchemin que lui tendait Adam. Le vieil
homme n’avait pas ménagé ses efforts, fouillant l’immense bibliothèque du
Palais du sol au plafond. Le fait qu’il soit celui qui l’avait organisée l’avait
grandement aidé dans ses recherches. L’ancien archéologue avait fini par
exhumer un texte qui tombait presque en poussière, et que Siobhan avait dû
restaurer grâce à un vernis enchanté.
Les sourcils froncés, la Dame du Lac déchiffra l’écriture pâlie par les
siècles. Un timide espoir s’éveillait en elle tandis qu’elle prenait connaissance
du contenu du manuscrit. Elle se résolut à lever la tête.
— Si je parviens à me servir de cela, il a une mince possibilité de sortir
vivant du Palais. La suite dépendra de lui.
Un sourire fatigué se dessina sur le visage d’Ysolda.
— Heureusement, il est lui.
— Que vas-tu faire ? s’enquit Siobhan.
— Étudier ce texte jusqu’à ce que j’en possède les moindres subtilités.
Durant le procès, je n’aurai pas droit à une seconde chance ni à la plus petite
faiblesse. Duncan a voulu prendre toute la faute sur lui afin de m’épargner.
Les mâchoires de la souveraine d’Avalon se crispèrent à se souvenir. Elle
se promit que, dès que tout serait fini, elle aurait une très longue discussion
avec le loup-garou au sujet de sa manie de sans cesse se sacrifier pour les
autres. En attendant, il lui revenait de trouver le moyen d’éviter que le pire se
produise, et si pour ce faire elle devait passer une nuit blanche, elle n’y voyait
aucun inconvénient.
Ce n’était qu’un bien faible prix à payer pour sauver Duncan…
***
Les bras enroulés autour des jambes, Yseult riva le regard sur le feu qui
brûlait au milieu de la clairière. La meute avait choisi de demeurer à
proximité du Palais plutôt que d’utiliser un portail pour se rendre dans l’un de
ses domaines en Avalon. Ils avaient ainsi l’impression d’être plus près de leur
Alpha. Bien sûr, ce n’était que psychologique. Grâce à leur lien, ils pouvaient
rester en contact, quelle que soit la distance. C’était juste qu’aucun d’eux
n’avait envie de s’éloigner physiquement de l’endroit où était détenu Duncan.
— Que va-t-il se passer, demain ?
La voix de Titouan était incertaine. Le jeune homme n’avait pas été
épargné depuis qu’il avait décidé de rejoindre la meute et parfois, il lui
arrivait de se demander s’il avait eu raison. Conscient de son dilemme,
Aymeric s’installa à ses côtés.
— Duncan devra répondre des accusations portées contre lui devant la
Dame du Lac.
— Seul ? Nous n’avons pas le droit d’intervenir ?
— Si, à partir du moment où nous avons quelque chose de pertinent à dire
pour sa défense. Titouan, ce n’est pas la première fois que Duncan joue à ce
jeu. Il en connaît les règles par cœur. S’il estime que l’un de nous doit parler,
il nous le fera savoir. Dans le cas contraire, on se tait, sauf si nous sommes
mis directement en cause.
— Est-ce qu’il va s’en sortir ?
Les yeux gris plongèrent dans les verts et y lurent toute l’angoisse que
recelaient ces derniers. Pourtant, pas une seconde Aymeric n’envisagea de
mentir à Titouan.
— Je l’ignore. Les accusations contre lui n’ont jamais été aussi graves. Il
se battra jusqu’au bout, et Ysolda fera ce qu’elle pourra pour l’aider, mais le
risque d’échec est réel.
— Et si jamais… le pire devait se produire, que deviendrons-nous ?
— Le procès ne concerne que Duncan. La meute passera sous mon
contrôle, à moins que quelqu’un soit assez fou pour me défier à un moment
où je serai vraiment très en colère et où j’aurai très envie de déchiqueter
quelque chose ou quelqu’un.
Titouan esquissa un minuscule sourire.
— Merci de ne pas m’avoir menti, souffla-t-il.
— Je ne te ferai jamais un tel affront.
Aymeric serra l’épaule de Titouan tout en enroulant son bras libre autour
de celles d’Yseult, qui s’était coulée sans bruit à ses côtés.
— Si vous le pouvez, essayez de prendre du repos. La journée risque
d’être longue, demain.
***
On pouvait compter sur les doigts d’une main les fois où l’ambiance avait
été aussi tendue qu’en ce jour au Palais de la Dame du Lac. L’atmosphère y
était quasiment irrespirable, et plus la journée avançait, plus elle
s’alourdissait. Ysolda était invisible depuis la veille au soir, ce qui ne
manquait pas d’alimenter les plus folles rumeurs. D’aucuns affirmaient
qu’elle s’était enfuie avec Duncan, d’autres qu’ils s’étaient donné la mort
pour ne pas affronter le procès qui s’annonçait et qu’une nouvelle Dame du
Lac n’allait pas tarder à se faire connaître. Le camp opposé raillait toutes
leurs assertions, clamant à qui voulait l’entendre que jamais Ysolda ne fuirait
ses responsabilités et que de toute façon, Duncan de Chânais n’avait rien à se
reprocher. Les modérés et les indécis tentaient de maintenir le calme entre les
factions extrêmes.
La situation était néanmoins au bord de l’explosion lorsqu’une voix
glaciale tonna à l’entrée de la Salle des Jugements.
— Que se passe-t-il encore ici ?
Le silence remplaça aussitôt les disputes. L’attention générale se tourna
vers les doubles portes grandes ouvertes, entre lesquelles se discernait une
silhouette altière. Il y eut un moment de flottement tandis que les regards
incrédules se fixaient sur l’arrivante.
Pour la première fois depuis très longtemps, la Dame du Lac portait la
tenue officielle de sa charge : une longue robe bleu nuit, si foncée qu’elle
paraissait presque noire, une cape aux couleurs changeantes, dont elle avait
rabattu la capuche sur sa tête et la grande lance ornée de la Pierre de la Dame.
Les volutes azur tourbillonnant au sein de cette dernière obligèrent plus d’une
des personnes présentes dans la salle à baisser les yeux.
Peu étaient capables de supporter l’éclat du saphir quand sa détentrice y
insufflait sa puissance… La Pierre de la Dame amplifiait les pouvoirs de la
souveraine d’Avalon, et lorsqu’ils étaient aussi conséquents que ceux
d’Ysolda, il y avait de quoi trembler.
Constatant que personne ne se risquait à lui répondre, Ysolda remonta
l’allée sans hâte, d’un pas égal, avant de s’installer sur son trône. L’extrémité
de la lance claqua sur le dallage de pierre. L’assistance sursauta.
— Qu’on amène l’accusé. Et qu’on fasse quérir les siens.
***
***
***
Assis sur la paille de son cachot, Duncan considéra d’un air absent les
chaînes qu’il portait toujours. Elles étaient cette fois plus symboliques
qu’autre chose, avant tout destinées à humilier, et en tout cas bien incapables
de retenir un loup-garou, surtout si en prime il était druide. Il aurait suffi d’un
sortilège au Seigneur des de Chânais pour s’en débarrasser.
D’accord, il avait caressé l’idée de le faire, avant de se raviser pour ne pas
aggraver le poids qui pesait sur les épaules d’Ysolda.
Il détestait les entraves, quelles qu’elles soient.
Le loup-garou serra les dents. Pour la première fois depuis longtemps, il
devait lutter pour conserver son sang-froid. La coupure du lien de meute ne
faisait qu’amplifier le problème. Même s’il n’était pas ouvert en permanence,
il était là, dans un coin de son esprit. Grâce à lui, l’Alpha savait tout de suite
si l’un des siens allait mal ou avait besoin de son aide. Sans lui, Duncan se
sentait désemparé. Il se faisait du souci pour sa meute et pour son clan. En
dépit de sa totale confiance en Aymeric, il estimait être responsable d’eux et
de leur bien-être, et ne supportait pas l’idée d’ignorer ce qu’ils devenaient.
Duncan eut une pensée pour Aydan, qui avait traversé le même enfer, et dans
des conditions bien plus terribles, toutefois, cela n’adoucit pas son
inquiétude.
Une inquiétude qu’il devrait cependant mettre de côté pour mener à bien
sa quête. Le Gardien d’Excalibur ne se laisserait pas aisément fléchir. Duncan
n’était même pas certain de réussir à approcher de son domaine.
Il va falloir que je me montre sacrément persuasif… Et si par hasard il
acceptait, le prix à payer risque d’être exorbitant.
Cela dit, le loup-garou n’avait aucun doute quant au fait qu’il le paierait
sans hésiter.
***
L’aube arriva à la fois trop tôt et trop tard aux yeux de Duncan. Trop tard
parce qu’il aurait déjà voulu être en route, trop tôt parce qu’il n’avait pas
réussi à définir une stratégie convaincante pour aborder le Gardien. Sans
parler du fait qu’il avait une fois de plus à peine dormi, ce qui, malgré son
endurance, allait finir par lui porter préjudice.
Même un druide loup-garou ne pouvait se passer éternellement de
sommeil…
L’Alpha considéra un instant le repas qui venait de lui être fourni. Il
n’avait pas envie de manger, toutefois, son métabolisme particulier ne
pouvait être ignoré, si bien qu’il se résigna à tendre la main vers le pain et la
viande posés sur une assiette. Un sourire se dessina sur ses lèvres dès la
première bouchée en reconnaissant la saveur inimitable des herbes ayant servi
à assaisonner la seconde.
Siobhan…
Il était certain que la guérisseuse s’était débrouillée pour superviser la
confection de son repas, et surtout, y ajouter discrètement un mélange apte à
régénérer son énergie. Elle devait bien se douter qu’il avait passé plus de
temps à réfléchir qu’à reprendre des forces.
Je suis sûr qu’elle a aussi pris soin d’Ysolda.
La pensée lui réchauffa le cœur. Il acheva son assiette de bon appétit, tout
en peaufinant l’impression qu’il souhaitait donner à ses détracteurs.
Quand ses geôlières vinrent, elles le trouvèrent en pleine possession de ses
moyens. Et surtout, en dépit des chaînes, elles découvrirent le Seigneur des
de Chânais dans toute sa puissance... Pour une fois, Duncan n’avait pas
cherché à masquer le Berserker. Il affleurait dans son attitude, rôdait dans son
regard au vert plus brillant que jamais, rehaussait la taille et la carrure déjà
imposantes du loup-garou. La lumière de la torche fichée dans le mur ne
suffisait pas à expliquer l’intense éclat doré de ses cheveux blonds. Il se
tenait négligemment appuyé contre la paroi, une jambe repliée et bras croisés
sur son torse. Tout dans son comportement criait son rang et surtout, défiait
quiconque de se mettre en travers de son chemin.
Personne n’osa protester lorsqu’il prit d’office la tête du groupe, se
dirigeant sans hésiter dans le dédale des couloirs pour gagner la sortie.
Duncan ne fut pas surpris de trouver foule dans la cour du Palais. Il dut
résister à son envie de se focaliser sur Ysolda, se contentant de lui adresser le
même regard moqueur qu’au reste de l’assistance.
Pardonne-moi, ma Dame…
Le loup-garou attendit d’être devant elle pour permettre à un éclair de
chaleur de traverser ses iris. Conscient qu’il lui fallait plus que jamais
respecter le protocole, il mit un genou à terre avant de lever les yeux vers
elle.
— Je suis prêt, ma Dame.
— Relève-toi.
Duncan obtempéra. Il tressaillit de manière imperceptible quand une
Ysolda impassible posa sa main sur ses chaînes.
— Il est temps de t’en débarrasser.
Un profond sentiment de bien-être envahit Duncan lorsque la magie de la
Dame du Lac s’insinua en lui, l’assurant de tout ce qui n’avait encore jamais
été dit entre eux, tandis que ses entraves se dissolvaient sous les doigts
d’Ysolda. Elle rompit le contact dès que le dernier anneau eut disparu. D’un
geste, elle ouvrit les portes donnant sur l’extérieur.
— Que ta quête commence, Duncan de Chânais.
— Je reviendrai, ma Dame. Avec Excalibur.
Le loup-garou s’apprêtait à se mettre en route quand l’une des sentinelles
fit soudain irruption dans la cour, les yeux écarquillés par la stupeur.
— Ma Dame, il faut que vous veniez tout de suite !
— Que se passe-t-il ?
— Les Meneurs, ma Dame. Ils… ils sont là.
La révélation de la guerrière provoqua une onde de choc dans l’assistance.
Les Meneurs… Ils ne se mêlaient que rarement à la population d’Avalon,
préférant rester avec leurs loups. Même les Dames du Lac ne les côtoyaient
que très peu. La rumeur allait jusqu’à dire que certaines d’entre elles n’en
avaient jamais croisé au cours de leur règne. Ils n’étaient en tout cas pas
connus pour se rassembler.
Pourtant, aujourd’hui, les Meneurs d’Avalon encerclaient le Palais…
Chapitre 9
Lorsqu’Yseult ouvrit les yeux, elle ne fut pas surprise de voir Aymeric
déjà debout. Son amant n’avait sans doute que très peu dormi, si toutefois il
était parvenu à trouver le sommeil. Au vu des circonstances, le lieutenant de
Duncan avait décidé de rapatrier toute la meute au château, d’où il pourrait
plus facilement gérer la transition provoquée par le passage des loups-garous
en Avalon. Ils occupaient donc l’ancienne chambre d’Aymeric, chargée des
souvenirs de son enfance et surtout, de son frère Géraud.
Ce qui n’avait probablement pas aidé Aymeric à trouver le repos…
La jeune femme se leva à son tour pour rejoindre son compagnon, qu’elle
enlaça avant de poser sa joue sur son dos nu.
— Je t’ai réveillée ? s’inquiéta aussitôt ce dernier.
— Bien sûr que non. Tu es devant cette fenêtre depuis combien de temps ?
Aymeric poussa un soupir las.
— Pas la moindre idée.
— Tu es au courant que, tout loup-garou et Alpha que tu sois, tu as besoin
de recharger tes batteries ?
— Crois-moi, mon corps n’aimerait rien tant que dormir.
Malheureusement, mon cerveau, lui, n’est pas de cet avis. D’ordinaire, c’est
Duncan qui s’occupe de tout quand nous quittons la Terre des hommes. Moi,
je ne fais que le seconder. Et j’avoue que je suis terrifié à l’idée d’oublier de
prévoir quelque chose.
— Et quand bien même ? Ce ne serait pas la fin du monde. D’autant plus
que ce ne serait qu’un détail ; tu as planifié le plus important.
— Je l’espère, en tout cas.
Aymeric hésita avant d’ajouter :
— La coupure du lien avec Duncan perturbe toute la meute. Pour toi, les
choses sont un peu différentes, puisque c’est moi qui t’ai mordue et que c’est
la magie de la Dame du Lac qui a permis ta transformation, mais pour nous,
c’est comme si on nous avait amputés d’une partie de nous-mêmes.
— J’ai beau être moins connectée à Duncan que vous, j’ai ressenti le
bouleversement du lien de meute.
Yseult fronça les sourcils.
— Qu’en est-il de mon frère et de la meute de Blod ? Ils ne sont pas non
plus directement liés à Duncan, et pourtant, ils réagissent comme vous.
Même Inaïa et Yslaine semblent plus troublées que moi. Je ne comprends pas
pourquoi je suis à part.
Aymeric se tourna pour prendre Yseult dans ses bras.
— Tu as grandi en Terre des hommes, sans soupçonner l’existence
d’Avalon et de la magie. Alors, même si tu t’es très bien adaptée, il y a une
part de toi qui garde une trace de cette période. Ce qui est naturel pour nous
l’est moins pour toi. Beowyn, Brunan, Faran, Scatach, Gareich et Darren ont
l’habitude de compter sur un lien de meute. Une fois qu’ils ont accepté le
nôtre, ils se sont glissés à l’intérieur comme s’ils devaient la morsure à
Duncan. Inaïa est native d’Avalon ; elle a déjà une connexion avec les autres
druidesses, si bien qu’elle n’a aucun problème à se rapprocher de nous. Quant
à Yslaine, qui est moitié Chat d’argent et moitié Cat Sidhe, elle est aussi
familière des contacts mentaux.
— Expliqué comme ça, je me sens dans la peau du vilain petit canard de la
meute…
Le loup-garou aux cheveux noirs lui caressa la joue, un sourire tendre aux
lèvres.
— Comment peux-tu dire ça ? J’ai perçu ton énergie au moment où elle a
fusionné avec la mienne pour apaiser la meute. Tout le monde l’a reconnue.
— J’essaie de t’aider de mon mieux. Comme le font tous les autres, au cas
où tu ne l’aurais pas remarqué.
— Je sais que je peux compter sur toi. Et sur eux, aussi.
— Mais tu es Aymeric de Chânais, et à ce titre, tu t’estimeras toujours
responsable des autres. Tu es un excellent Alpha ; tout le clan a confiance en
toi. Et si jamais tu oses objecter « Je ne suis pas Duncan », tu iras faire
connaissance avec le canapé.
Yseult fut récompensée de sa tentative d’humour par un mince sourire.
— D’accord, je me rends. Je préfère mon lit au canapé. Sauf bien sûr si tu
es sur ledit canapé avec moi.
— Ce n’était pas l’idée.
— Je craignais cette réponse…
La druidesse noua ses bras autour du cou de son compagnon et l’attira vers
elle pour un baiser.
— Je sais que tu es inquiet pour Duncan, et pour nous. Je le suis aussi,
mais il est toujours en vie, que je sache. Alors, on va s’attaquer aux
problèmes les uns après les autres et faire en sorte de leur trouver une
solution.
— Je t’aime.
— Moi aussi, je t’aime.
Aymeric embrassa à nouveau sa compagne, puis se détacha d’elle à regret.
— Je suis désolé d’interrompre ce moment, ma princesse, mais…
— Tu dois descendre, je sais.
— Entre autres urgences, je dois parler à Anthony et Mayeul. Ils seront en
première ligne après notre départ.
— Dans ce cas, nous ferions mieux de nous habiller.
***
***
Titouan reposa son téléphone d’un geste las avant de s’étendre sur son lit,
bras croisés sous la nuque et regard fixé sur le plafond de sa chambre. Il avait
passé presque toute la nuit à discuter avec son copain Corentin. Conscients
que c’était sans doute l’une des dernières fois avant longtemps qu’ils avaient
l’occasion d’avoir ce genre d’échanges, les jeunes gens avaient parlé de tout
et de rien, évoquant en vrac leurs projets pour le futur et leurs souvenirs
d’enfance et d’adolescence, comme ce camp en montagne où ils étaient logés
dans des wigwams[4].
Ils avaient surtout évité de mentionner un avenir où il leur serait
impossible de se contacter chaque fois qu’ils le désireraient.
La fatigue avait fini par rattraper Corentin, qui avait mis fin à la
conversation. Il avait beau être jeune et tout à fait capable de passer une nuit
blanche, il n’en restait pas moins qu’il était humain et que ses études de
vétérinaire étaient aussi prenantes qu’épuisantes. Titouan se retrouvait seul
avec ses pensées moroses et pas la moindre envie de dormir.
Trois coups frappés à sa porte le firent se redresser à demi.
— Oui ?
— Tu es décent, chéri ? Enfin, aussi décent qu’un de Chânais peut l’être…
Le jeune homme sourit en identifiant la voix de sa mère.
— Je suis habillé, si c’est ce que tu demandes, l’informa-t-il en se
rallongeant.
— Tant mieux, commenta Isadora en ouvrant le vantail. J’ai fini par
m’habituer au manque de pudeur de la meute, même si je dois reconnaître
qu’ils font un effort en ma présence, mais toi, tu es mon fils, et il y a des
choses qu’une mère n’a pas besoin de savoir sur son fils.
— J’ai beaucoup de chance d’avoir une mère comme toi.
Isadora referma derrière elle, puis rejoignit Titouan et s’installa au bord de
son lit.
— Tu es inquiet, n’est-ce pas ? reprit-elle en caressant la joue du jeune
homme.
Ce dernier acquiesça.
— Je crains d’avoir fait le mauvais choix. Sur le coup, j’étais sûr de moi,
je voulais rallier la meute, mais à présent que nous allons quitter la Terre des
hommes, je réalise pleinement ce que ça implique, et j’ai peur de regretter.
Vous et Corentin allez tellement me manquer…
La duchesse lui adressa un sourire tendre.
— Titouan, je te connais bien… Tu aurais encore plus regretté de les voir
partir et de rester en arrière. Tu nous manqueras aussi, c’est évident, et tu
manqueras à Corentin autant que lui te manquera, mais la meute t’aurait
manqué bien plus encore. Et puis ce n’est pas comme si nous n’allions plus
jamais te revoir. La meute revient régulièrement en Terre des hommes, même
si elle ne quitte pas le domaine. Enfin, ton père et moi avons toujours su que
tu étais fait pour vivre avec elle.
— Comment… ?
— Je ne pourrais pas t’expliquer comment ou pourquoi. C’est quelque
chose que nous avons tous les deux ressenti le jour de ta naissance, et qui
s’est conforté quand Aymeric t’a pris dans ses bras. La manière dont vous
vous êtes regardés… Tu n’étais qu’un nourrisson, et pourtant, tu as fixé tes
yeux sur lui.
— Il a toujours été là pour moi.
— Et il le sera toujours.
Titouan soupira.
— Alors… tu penses que j’ai fait le bon choix ?
— Je pense que tu as fait ce qui était le mieux pour toi. Tout choix
implique des conséquences, et elles ne sont pas forcément toutes positives. Et
je pense aussi que tu as besoin d’un bon petit déjeuner pour récupérer de ta
nuit blanche.
— Comment sais-tu que… ?
Isadora haussa un sourcil supérieur.
— Je suis ta mère.
Titouan estima préférable de ne pas insister.
***
***
***
***
***
Seule dans son jardin, interdit à tout autre qu’elle, Ysolda songeait à tous
les moments qu’elle y avait passés en compagnie de Duncan. Depuis qu’il en
avait traversé les frontières sans son autorisation, bien des siècles plus tôt,
c’était devenu leur sanctuaire.
C’était aussi l’unique endroit où le Seigneur des de Chânais acceptait de
déposer les armes et de laisser quelqu’un le diriger. Oh, bien sûr, jamais il ne
lui aurait imposé quoi que ce soit, toutefois, il ne s’abandonnait vraiment
qu’une fois franchies les portes du jardin.
C’est étrange, tout de même, qu’il puisse venir ici à son gré.
Le couple avait beau avoir multiplié les recherches, ils n’avaient jamais
découvert ne serait-ce que l’ombre d’une piste expliquant de quelle manière
Duncan avait bien pu passer outre les protections mises en place par Ysolda.
À la suite de cette première fois, le loup-garou avait pris garde à ne pas
réitérer son geste, à la fois par respect pour la Dame du Lac et pour éviter
d’attirer encore plus l’attention sur leur relation, cependant, l’endroit restait
leur lieu de rencontre favori. Souvent, Ysolda avait failli laisser les mots
interdits franchir ses lèvres, se retenant au dernier moment, et elle savait qu’il
en était de même pour Duncan.
J’aurais pourtant aimé pouvoir le lui dire avant son départ.
La main d’Ysolda frôla un buisson de roses rouges, sans craindre les
épines acérées qui le garnissaient. Elle savait qu’elles ne la blesseraient pas. Il
y avait bien longtemps déjà que Duncan avait planté ce rosier pour elle,
assorti d’un sortilège pour qu’il ne la meurtrisse jamais. Depuis, le buisson
prospérait, l’enchantant par ses parfums toujours renouvelés et ses fleurs aux
couleurs changeantes d’année en année. La Dame du Lac soupçonnait que
son amant avait donné un peu de lui-même pour que la plante ne meure pas.
La fragrance d’une magie masculine était attachée au rosier, et elle y
reconnaissait la signature du Seigneur des de Chânais.
Ysolda hésita un instant. La nuit était déjà bien avancée, et une longue
journée l’attendait. Une nouvelle journée où elle devrait résoudre des litiges,
prendre des décisions avec parfois peu d’éléments pour le faire, sans doute
également se déplacer dans Avalon pour montrer que la Dame du Lac était
toujours aussi puissante et ne laisserait jamais la magie noire prendre
possession de sa contrée bien-aimée. D’un autre côté, en dépit du calme de
ses appartements, elle ne dormait jamais bien, ces derniers temps. Il y avait la
condamnation de Duncan, bien sûr, mais ce n’était pas tout. Bien qu’affaiblis
par leur défaite face aux Morri-Génis, les Mages Noirs n’avaient pas renoncé
à leur dessein – ce qui, en soi, n’étonnait personne ; c’était dans leur nature –
et continuaient à répandre le chaos. L’hypothétique emprise de Duncan sur la
Dame du Lac était du pain béni, pour eux. Peu disposée à leur laisser le
champ libre, Ysolda mettait un point d’honneur à les contrer aussi férocement
qu’elle le pouvait, n’hésitant pas à user de ses pouvoirs pour combattre.
Enfin, si l’on en croyait Siobhan, elle abusait plutôt desdits pouvoirs et ne
sollicitait pas assez ceux de ses druidesses…
Dans tous les cas, le résultat était le même : elle était épuisée et avait
grand besoin d’une vraie nuit de repos.
***
***
***
Charles prit une grande inspiration avant d’entrer dans l’un des petits
salons du château. Il était toujours nerveux lorsqu’Aymeric ou Aloys était
présent, et il l’était davantage si les deux cousins étaient réunis comme en cet
instant. Entre le premier qui avait un nombre conséquent de griefs contre lui
et le second qui se ressentait encore des tortures subies, il ne savait jamais ce
qui allait lui arriver. Même si, pour être honnête, cela faisait plusieurs mois
qu’aucun des deux ne s’en était pris à lui. D’ailleurs, pour tout dire, ces
derniers temps, la meute le laissait tranquille. Personne ne lui demandait autre
chose que d’assurer son service au château ou au manoir, ce qui le satisfaisait
amplement.
Tout, plutôt que retourner au Midnight Fever…
Ce qui risquait bien de lui arriver s’il fichait par terre le plateau qu’il
portait et sur lequel était disposé de quoi apaiser la fringale subite de deux
loups-garous…
L’ancien mannequin parvint toutefois à poser son fardeau sans rien
renverser. Il versa un verre de vin à chacun des convives, puis se retira dans
un coin de la pièce, espérant y passer le plus invisible possible. Son
soulagement fut indicible quand Aymeric le congédia sans même le regarder.
— Laisse-nous.
Moins de cinq minutes plus tard, Charles était dehors. D’une main qui
tremblait un peu, il s’apprêtait à s’allumer une cigarette lorsqu’un
mouvement dans les buissons proches attira son attention. Un sourire lui
éclaira les traits quand il aperçut la petite chatte blanche, qui, comme chaque
fois qu’il sortait, trottinait vers lui, sans permettre à sa mauvaise patte de la
ralentir.
— Bonjour, Loullig[9], murmura-t-il en s’accroupissant. Comment vas-tu,
aujourd’hui ?
Pour toute réponse, le félin fourra sa truffe humide dans sa paume, quêtant
des caresses que l’homme lui offrit bien volontiers.
— Au moins, toi, tu es toujours heureuse de me voir.
Une lueur d’inquiétude traversa les yeux de Charles.
— S’ils m’obligent à les suivre, que vas-tu devenir ? Qui s’occupera de
toi ? Ils prendront leurs chats avec eux, mais toi, tu n’en fais pas partie…
— Pourquoi ne leur demandes-tu pas ce qu’ils comptent faire ?
Charles se redressa si brusquement que la petite chatte recula, le poil
hérissé et les oreilles rabattues. Un instant, il la fixa avec terreur – il lui était
difficile d’oublier les talents de ventriloque d’Elwyn –, avant de tressaillir
lorsqu’une main se posa sur son avant-bras, tandis qu’une voix féminine
s’adressait à lui :
— Je suis désolée. Je ne voulais pas te faire peur.
Il se détendit en reconnaissant le timbre d’Elsie.
— Ce n’est rien, affirma-t-il avec une ébauche de sourire. Je suis… un peu
nerveux, en ce moment.
— Je vois ça. Tu as même effrayé ton chat.
L’attention de Charles se reporta sur Loullig, qui semblait hésiter entre
rester et s’enfuir. Il s’accroupit à nouveau et tendit la main vers le félin.
— Viens, ma douce, murmura-t-il. Tu ne crains rien.
Quand il se releva, la petite chatte était dans ses bras.
— C’est la première fois qu’elle me permet de la porter.
— Tu tiens à elle, n’est-ce pas ?
— Elle m’accepte tel que je suis.
— Et tu l’acceptes telle qu’elle est. Avec sa patte folle.
Charles ne répondit pas. Lui qui avait toujours cherché la perfection
physique n’était pas prêt à reconnaître qu’il avait de l’affection pour un
animal boiteux, et pourtant… Il choisit de changer de sujet de conversation,
en revenant sur ce qu’Elsie lui avait dit plus tôt.
— Je ne peux pas les questionner sur ce qu’ils comptent faire de moi.
Sa main libre effleura son collier, un geste machinal qu’il effectuait
chaque fois que les conditions de sa servitude se rappelaient à lui.
— Pas avec ça autour du cou.
Elsie n’insista pas. Si l’homme à ses côtés avait en partie modifié son
comportement, il restait toujours des traces de sa personnalité d’antan, qui ne
demandaient qu’à resurgir à la moindre occasion.
Et elle était bien trop fine pour gâcher l’esquisse d’un futur différent…
Chapitre 14
L’épée sortit du corps de l’homme avec un léger bruit de succion. Sans
prendre la peine de vérifier si son agresseur était bien mort – il y avait de
toute façon peu de chances qu’il survive à une lame plantée en plein
abdomen –, Duncan pivota sur lui-même pour faire face à un nouvel
adversaire. Ils étaient une dizaine à l’assaillir, et si ses sens de druide lui
indiquaient qu’ils ne possédaient aucune magie, ils n’en demeuraient pas
moins des combattants redoutables.
Ils savent se battre.
Le loup-garou évita de justesse un poignard déterminé à lui trancher la
carotide. Un nombre important de blessures pouvait lui être fatal. Or, ceux
d’en face venaient juste de lui prouver qu’ils ne reculaient devant rien pour
parvenir à leurs fins. Et visiblement, la nuit qui tombait ne les dérangeait pas
plus que lui.
On dirait qu’eux aussi sont nyctalopes.
Une telle constatation ne faisait pas du tout l’affaire de Duncan. Il avait
compté sur l’avantage que lui donnaient ses sens lupins, hélas, il semblait
bien qu’il ne pourrait pas en profiter. Bien sûr, il lui restait sa magie,
toutefois, il craignait d’attirer prématurément l’attention du Gardien.
Se présenter à lui en ce moment n’était sans doute pas la meilleure des
idées, surtout que le Gardien risquait fort de ne pas faire de détail en décidant
de tuer tout le monde…
Pourtant, Duncan avait conscience qu’il ne s’en sortirait pas en demeurant
sous sa forme humaine. Ses ennemis étaient trop bien entraînés et trop
aguerris au combat pour lui laisser la moindre chance. De plus, il était clair
qu’ils avaient l’habitude d’œuvrer ensemble. Ils ne l’attaquaient pas au
hasard, faisant au contraire montre d’une stratégie bien rodée. Leurs habits
sombres leur permettaient de se confondre dans l’obscurité grandissante,
accentuant la certitude du loup-garou d’avoir affaire à des professionnels.
Duncan était parvenu à éliminer trois d’entre eux, cependant, ceux qui
restaient étaient encore bien assez nombreux pour venir à bout de sa
résistance. Ils avaient d’ailleurs réussi à le toucher plusieurs fois et du sang
maculait ses vêtements déchirés.
Tant pis. Je dois prendre le risque.
La seconde suivante, un énorme loup crème aux babines retroussées sur
des crocs à la taille impressionnante remplaçait l’homme. Duncan sentait le
Berserker cogner dans son esprit, enragé à l’idée de devoir rester confiné.
Non seulement la magie du lieu l’appelait, mais en plus, ce type de combat
était de ceux qu’il affectionnait le plus. D’ordinaire, dans ce genre de
situation, Duncan s’arrangeait pour lui donner satisfaction en lui permettant
de sortir partiellement. Sauf que cette fois, le Seigneur des de Chânais le
bridait totalement. Libérer le Berserker sur le territoire du Gardien était aussi
suicidaire qu’utiliser sa magie druidique. Duncan ne pouvait compter que sur
le loup.
Par chance, celui-ci était puissant, féroce et très, très en colère…
Il bougea si vite que les autres n’eurent pas le temps de réagir. Ses griffes
éventrèrent l’un de ses agresseurs tandis que ses crocs se refermaient sur la
jugulaire d’un second, faisant jaillir le sang. Une épée s’enfonça dans le flanc
du loup-garou. Par chance, elle ripa sur une côte, ratant ainsi son cœur. La
blessure rendit le Berserker enragé. Il frappa plus fort contre les murs de sa
prison, hurlant dans l’esprit de Duncan. Pour la première fois depuis des
siècles, ce dernier sentit son contrôle sur lui flancher.
Tu dois résister !
Duncan tressaillit. La voix dans sa tête était celle de Fenrir. L’Alpha ne
perdit pas de temps à se poser des questions. Ce n’était pas le bon moment
pour ça. Tout ce qui importait était que l’intervention du Père de l’espèce lui
avait permis de reprendre l’ascendant sur le Berserker. Il profita de ce répit
pour s’attaquer aux survivants, causant des ravages parmi leurs rangs.
Duncan s’appuyait sur sa vitesse pour éviter au maximum les coups, et sur sa
capacité à cicatriser au cas où ses adversaires le toucheraient quand même.
Aussi bien entraînés qu’aient été ces derniers, ils n’étaient pas de taille
face à un loup-garou, en particulier s’il comptait parmi les loups-garous les
plus dangereux d’Avalon. Le sang gicla des blessures ouvertes par les crocs
et les griffes. Les os craquèrent sous la pression des puissantes mâchoires.
Bientôt, il ne resta plus qu’un homme pour affronter Duncan. Un sourd
grondement s’échappa de la gorge du loup-garou tandis que ses yeux se
rivaient au survivant. En dépit de la menace létale qui se tenait devant lui,
l’homme ne recula pas, se contentant de raffermir sa prise sur son épée. Épée
qu’il comptait sans nul doute planter dans le ventre de l’animal lorsque celui-
ci bondirait, comme le laissait supposer sa posture. Ramassé sur lui-même,
son épaisse queue fouettant l’air, le loup donnait en effet tous les signes
d’une attaque imminente. L’homme fléchit les jambes, prêt à se détendre au
moment le plus opportun.
Le loup s’élança.
L’inconnu leva sa lame.
Et ne comprit pas ce qui lui arrivait en sentant un bras s’enrouler autour de
son cou et une voix glaciale retentir à son oreille :
— Et si nous discutions un peu, toi et moi… ?
La capacité de se transformer en pleine action n’était pas donnée à tous les
loups-garous. L’homme avait commis l’erreur d’occulter le fait qu’il
s’attaquait à un de Chânais. Pire : au plus puissant d’entre eux.
Pour la première fois depuis qu’il avait rencontré les de Chânais, Charles
avait oublié la peur qui ne le quittait jamais vraiment lorsqu’il était face à l’un
d’eux. Il ne pouvait lâcher des yeux le chat perché sur l’épaule d’Aymeric.
Loullig… Qu’est-ce que tu fais avec lui ? Est-ce que tu vas me tourner le
dos, toi aussi ?
C’était en effet la petite chatte dont il prenait soin depuis des semaines qui
était en compagnie du loup-garou. Un instant, l’homme éprouva la peur
irrationnelle que celui-ci s’en prenne au petit animal pour lui faire du mal à
lui, Charles, avant de se souvenir que jamais Aymeric ne se comporterait
ainsi. Au contraire, il était toujours en première ligne pour s’occuper des
chats et autres chiens perdus.
Le regard fixé sur Loullig, Charles ne prêta aucune attention au départ
d’Yseult. Bien entendu, il n’avait rien perçu du court dialogue mental entre
les amants, durant lequel la jeune femme avait résumé leur discussion à son
compagnon, avant de conclure qu’il valait mieux qu’elle le laisse juger seul
de l’esquisse de revirement de Charles. Et pour tout dire, même s’il l’avait su,
il s’en serait moqué. Pour l’heure, l’unique chose qui comptait pour lui était
la boule de poils blanche aux yeux d’or qui pétrissait consciencieusement
l’épaule du loup-garou de ses petites pattes.
— Elle me dit que tu la nourris. Et aussi que tu lui as aménagé un abri
avec des couvertures.
Perdu dans ses pensées, Charles ne s’était pas aperçu que l’attention
d’Aymeric s’était portée sur lui. Il sursauta en l’entendant s’adresser à lui.
— C’est… c’est exact.
— Pourquoi ?
— Elle avait faim et nulle part où se réfugier.
Le lieutenant de la meute haussa un sourcil surpris.
— Ça ne te ressemble pas. Pourtant, elle me dit que c’est vrai et qu’elle
t’aime bien, ajouta-t-il en grattant les oreilles du petit félin.
Loullig choisit cet instant pour quitter son perchoir et trottiner vers
Charles, avant d’escalader avec détermination son pantalon. L’homme se
pencha pour la soulever et la nicher dans ses bras.
— Pourquoi boite-t-elle ?
Le ton d’Aymeric s’était fait plus sec. Malgré la terreur qu’il lui inspirait,
Charles trouva le courage de lui tenir tête.
— Je ne sais pas. Je l’ai toujours connue comme ça. Vous… vous n’allez
pas me la prendre, n’est-ce pas ?
— Pourquoi ferais-je cela ? Aussi incroyable que ça paraisse, elle t’a
choisi. Et il semblerait que tu t’occupes bien d’elle, même si elle n’est pas
parfaite.
— Je… je fais de mon mieux. Et je la trouve parfaite.
Aymeric réprima un geste de surprise. Sachant à quel point Charles était
attaché aux apparences, il l’avait intentionnellement provoqué en évoquant la
patte folle de Loullig. La manière dont son interlocuteur l’avait contredit
confortait les propos d’Yseult.
Charles avait changé…
Néanmoins, Aymeric n’était pas disposé à enterrer aussi vite le passé. Il y
avait Yseult, bien sûr, mais également Aloys, son cousin bien-aimé. Et puis le
revirement de Charles était encore fragile, marqué par tous les événements de
ces années.
— Si jamais tu t’avisais de lui faire du mal, tu aurais affaire à moi. Et tu
sais de quoi je suis capable, n’est-ce pas ?
Charles aurait souhaité avoir assez de cran pour s’indigner, cependant,
défier Aymeric de Chânais n’était pas une option pour lui. Oui, il savait sans
doute mieux que personne de quoi le loup-garou était capable quand
quelqu’un s’en prenait à ceux qu’il aimait, et il ne tenait pas à lui donner
l’occasion de se déchaîner sur lui… L’homme recula d’un pas, Loullig serrée
contre lui.
— Pourquoi lui ferais-je du mal ? souffla-t-il sans parvenir tout à fait à
maîtriser ses tremblements. Elle est venue à moi, et elle m’accepte tel que je
suis. Même… avec ça, ajouta-t-il en touchant son collier.
L’intensité du regard gris posé sur lui le fit déglutir. Il aurait donné
n’importe quoi pour être ailleurs, tout en sachant qu’il lui était impossible de
se dérober.
***
Duncan dut faire appel à toute sa volonté pour rester immobile lorsque les
lourds battants pivotèrent, révélant la silhouette d’Ysolda. Comme souvent,
elle était vêtue en guerrière. Ses longs cheveux cascadaient librement sur ses
reins, ondulations noires aux reflets fauves. D’où il était, il ne pouvait
qu’imaginer l’éclat de son regard, ce regard dans lequel il aimait tant se
perdre, et qu’il pourrait à présent croiser sans plus jamais cacher ce qu’il
éprouvait pour sa propriétaire. À son tour, il reprit sa route pour combler la
distance qui le séparait d’Ysolda. Ils s’arrêtèrent à moins d’un mètre l’un de
l’autre, conscients qu’ils ne devaient en aucun cas briser la solennité du
moment, et ce en dépit de leurs corps qui brûlaient de se retrouver enfin. Sans
lâcher la jeune femme des yeux, le loup-garou dégaina Excalibur et mit un
genou à terre avant de poser la lame étincelante aux pieds de la souveraine
d’Avalon.
— Mon cœur et mon bras sont au service de la Dame du Lac, maintenant
et à jamais.
L’émotion empêcha Ysolda de répondre tout de suite. Elle tendit la main
pour effleurer de sa paume la joue de Duncan.
— Jamais femme n’a reçu un cadeau si précieux, Seigneur des de Chânais.
Relève-toi et viens prendre la place de consort qui est dorénavant la tienne.
Le maître d’Excalibur obéit dans un silence absolu. Il y avait foule autour
d’eux, pourtant, on n’entendait même pas le bruit ténu des respirations,
comme si tous les assistants à la scène retenaient leur souffle. Faisant fi des
conventions, Duncan attira Ysolda dans ses bras.
— Enfin… murmura-t-il tout en laissant son amour pour elle les
envelopper.
Leurs lèvres se joignirent avec passion, faisant vibrer leurs magies.
Libérées des contraintes de leurs charges, elles explosèrent, avant de se mêler
d’une manière tellement inextricable que plus personne ne put faire la
différence entre celle de Duncan et celle d’Ysolda.
Désormais, eux seuls sauraient les distinguer.
Toute la scène avait eu un parfum d’irréalité aux yeux de ceux et celles qui
y avaient assisté. Nul doute qu’elle serait très bientôt chantée par les
ménestrels et jouée par les saltimbanques. Nul doute non plus que la nouvelle
était déjà en train de faire le tour de la contrée magique ni qu’elle serait très
vite amplifiée et déformée, car tel était le sort réservé aux hauts faits, en
Avalon peut-être encore plus qu’ailleurs.
En attendant, ceux qui avaient eu le privilège d’assister à la scène
pourraient raconter à l’envi qu’ils avaient été présents quand la Dame du Lac
et son consort avaient échangé leur premier baiser et qu’ils avaient escorté le
couple jusqu’au Palais. Un couple silencieux, qui ne perdait rien de ce qui se
murmurait sur son passage. Ainsi que le voulait son statut et comme il l’avait
toujours fait, Duncan se tenait légèrement en retrait par rapport à Ysolda.
Toutefois, personne ne pouvait ignorer la lame qui pendait à son côté.
Excalibur.
La plus légendaire de toutes les épées.
Celle qui faisait de son porteur le seul à pouvoir transgresser les règles
d’Avalon sans que la contrée magique ne s’effondre.
Celle qui avait choisi le seul être au monde qui n’en transgresserait
aucune, excepté une : dorénavant, Duncan de Chânais serait l’unique amant
de la Dame du Lac.
***
La nuit tombait quand la meute regagna le manoir, les ombres qui avaient
plané sur elle enfin chassées. Tandis que les siens se précipitaient vers leurs
quartiers pour se doucher et s’habiller, Duncan, lui, endossa à nouveau son
rôle de Seigneur et prévint Mayeul de son retour. Il le chargea d’en aviser le
clan dans les plus brefs délais afin que tous se tiennent prêts à franchir les
portails qu’il ouvrirait. Ainsi, ceux qui étaient trop loin pour venir par leurs
propres moyens pourraient les rejoindre. Le loup-garou caressa Prince, qui ne
l’avait pas quitté depuis son arrivée.
— Et voilà, mon chat. Notre départ approche. Pour la première fois, c’est
un autre que moi qui l’a préparé. Et je dois dire qu’il a bien travaillé.
Duncan sourit en se remémorant les échanges qu’il avait eus avec
Aymeric pendant que la meute courait dans les bois. Un Alpha et son
lieutenant possédaient un lien privilégié, ce qui avait permis au second de
littéralement déverser un compte-rendu de ses actions dans l’esprit du
premier. Grâce à sa capacité à collecter les souvenirs, Duncan s’était
approprié l’ensemble des informations en très peu de temps. Il n’avait pu que
se féliciter des initiatives adoptées par Aymeric, ce qui avait grandement
soulagé ce dernier. En dépit de ses indéniables aptitudes à prendre des
décisions, le loup-garou n’avait pas toujours été certain d’agir au mieux pour
la meute, et l’approbation de son Alpha avait été un baume sur ses
inquiétudes.
— Eh bien, je n’ai plus qu’à aller me doucher, poursuivit Duncan. Tu
m’accompagnes ?
Le regard horrifié de Prince eut pour écho l’éclat de rire du Seigneur des
de Chânais. Si le félin qui l’avait adopté possédait d’étranges capacités –
comme celle de pouvoir entrer dans une pièce fermée –, il avait au moins un
point commun avec la majorité des chats « ordinaires ».
Il détestait l’eau.
***
Par égard pour ceux de son clan qui n’avaient pas activé le gène, et qui
avaient besoin de davantage de sommeil que les loups-garous, Duncan
patienta jusqu’au matin pour se rendre au château. Il avait conservé la tenue
de chasse qu’il portait en Avalon. Quant à Excalibur, elle était à ses côtés,
invisible, prête à répondre à son appel. En dépit de la curiosité de la meute,
Duncan avait décidé d’attendre d’être en présence de tous les siens pour faire
apparaître l’arme qu’il avait conquise de haute lutte.
Le Seigneur des de Chânais ne détestait pas les effets théâtraux…
— C’est curieux, quand même… commenta Aymeric, qui marchait près
de son Alpha. Proportionnellement, au fil des siècles, nous avons passé
beaucoup plus de temps en Avalon qu’en Terre des hommes, et pourtant,
c’est toujours aussi difficile de quitter la Terre des hommes.
— Alors qu’il est aisé de quitter Avalon pour y revenir, c’est ça ?
Le loup-garou acquiesça en silence, avant de reprendre :
— Tu as une explication ?
— Pas vraiment. Je suppose que ça a un lien avec le fait que quasiment
tous les membres de la meute ont grandi en Terre des hommes. Beowyn,
Inaïa et Yslaine se sentiront toujours probablement mieux en Avalon.
— J’aime Avalon, et j’aime y résider. Elle correspond plus à notre nature
que la Terre des hommes. Nous y sommes plus libres, puisque nous n’avons
pas à cacher ce que nous sommes. Pourtant, l’idée de quitter la Terre des
hommes pour une durée indéterminée me serre chaque fois le cœur.
— C’est peut-être un autre aspect du problème. Avalon, nous pouvons
nous y rendre à notre guise sans que personne ne s’étonne de ne pas nous voir
vieillir. Plus les siècles passent, plus long est le temps durant lequel nous
devons rester éloignés de la Terre des hommes pour ne pas éveiller les
soupçons. C’était beaucoup plus simple lorsque nos gens savaient ce que
nous sommes.
— Une époque que je n’ai jamais connue, mais je te crois sur parole.
La vue des tours du château signa la fin de leur discussion. Prévenus de
l’arrivée de la meute par leur fils, Mayeul et Isadora se tenaient en bas des
marches de l’entrée, encadrés par ceux du clan qui avaient usé de leurs
propres moyens de locomotion pour les rejoindre. Aucun des employés
n’était présent, le duc et la duchesse les ayant éloignés du domaine pour la
journée.
Il était de la responsabilité du duc en titre de reconnaître les situations
dans lesquelles le Seigneur des de Chânais ne souhaitait que les siens dans
son entourage.
Aymeric fit signe à ses compagnons de s’arrêter tandis que Duncan
s’avançait vers le groupe réuni auprès de Mayeul et Isadora. L’Alpha avait
laissé libre cours à son pouvoir, qui rayonnait autour de lui, plus puissant que
jamais. Avec un bel ensemble, les hommes devant lui mirent un genou à
terre, pendant que les femmes s’inclinaient en une profonde révérence.
— Bienvenue chez vous, Seigneur, l’accueillit Mayeul lorsque Duncan
s’immobilisa à quelques pas de lui.
— Je ne suis pas mécontent d’être rentré, reconnut le loup-garou. Même
si, dans les faits, je ne vais rester que très peu de temps.
— Tous se tiennent prêts à franchir leur portail, Seigneur.
Mayeul tendit une liste à l’Alpha.
— Les noms et lieux de ceux qui attendent, Seigneur. Ils ont fait en sorte
de se regrouper le plus possible.
— Parfait, approuva Duncan.
D’un geste, il invita les siens à se relever.
— Inutile donc de perdre davantage de temps.
Il ne fallut pas loin de deux heures au loup-garou pour rassembler le clan
au domaine, avant de réunir tous ses membres dans la grande salle du
château, celle-là même où il rendait aussi ses jugements. Il prit place sur
l’estrade, dans le siège qui lui était réservé, Aymeric à sa droite et Kerwan à
sa gauche. Un silence empli d’une attente inquiète régnait dans la pièce. Si
tous étaient déjà au fait ce qu’il allait leur annoncer, aucun ne s’en réjouissait,
les de Chânais préférant les périodes où leur Seigneur résidait en Terre des
hommes. Et quand la voix de celui-ci retentit, beaucoup d’entre eux en eurent
les larmes aux yeux.
Pour ce qu’ils en savaient, c’était peut-être la dernière fois qu’ils
l’entendaient…
— Je ne vais pas revenir sur les circonstances qui m’ont, disons, appelé en
Avalon. Aymeric s’est chargé de vous expliquer ce qu’il en était. Puisque je
suis ici, vous aurez également tous compris que j’ai réussi ma quête, et
qu’Excalibur est désormais mienne.
Sur ces mots, Duncan se leva et tendit le bras. L’assistance retint son
souffle lorsque la garde de l’épée légendaire se logea dans la paume du loup-
garou. L’arme brillait de tous ses feux, et les inscriptions gravées sur sa lame
étincelaient d’une lueur bleue, vestiges du feu de Pendragon. Duncan attendit
que les murmures admiratifs se taisent avant de se rasseoir et de poser l’épée
en travers de ses cuisses.
— Pour qu’Excalibur me reconnaisse comme son maître, j’ai affronté le
Marteau de Thor de Pendragon. Tout ce que j’ai à dire à ce sujet, c’est que
c’était loin d’être une partie de plaisir. La première conséquence de ma
victoire a été Excalibur. L’autre, et non la moindre, est que désormais, je
serai non plus l’amant favori de la Dame du Lac, mais son consort.
Les yeux verts du Seigneur des de Chânais parcoururent la foule.
— En clair, ni elle ni moi n’aurons plus jamais à choisir un ou une autre
partenaire. Elle restera toujours l’unique souveraine d’Avalon. Mon rôle à
moi sera de me tenir à ses côtés, pas de régner.
Duncan observa un nouveau moment de silence afin de permettre aux
siens d’assimiler les conséquences de ce qu’il venait de leur apprendre. Il
finit par conclure d’un ton qui n’était pas dépourvu d’une certaine tristesse :
— La vie est une succession de choix, et plus elle est longue, plus on a de
choix à faire, qui tous contiennent une part d’amertume. Le temps était venu
pour la meute de retourner en Avalon, vous le savez tous. Cela fait
maintenant plus de dix ans que nous sommes en Terre des hommes. C’est une
longue période, surtout à l’heure des nouvelles technologies. Et si bien sûr je
me réjouis de pouvoir enfin vivre auprès d’Ysolda, je n’éprouve aucun plaisir
à vous laisser derrière moi.
Le loup-garou blond jeta un bref coup d’œil en direction de Mayeul et
Isadora.
— Ni à arracher un fils à ses parents, ajouta-t-il doucement. Même si nous
reviendrons régulièrement en Terre des hommes, et si je serai toujours là pour
ceux qui en auront besoin, ce ne sera jamais pareil, et nous savons tous que la
possibilité que nous nous voyions pour la dernière fois aujourd’hui est bien
réelle. Il nous faudra vivre avec, et nous y parviendrons tous. Parce que nous
sommes des Chânais, et que les de Chânais ne se laissent jamais abattre.
Pour une fois, Duncan n’hésita pas à instiller un peu de magie dans sa
voix. Il ressentait le bouleversement qu’éprouvaient les siens, et, en Seigneur
digne de ce nom, avait à cœur de les réconforter, ainsi que le prouva la suite
de son discours.
— Mais pour ce soir, fi de la tristesse ! Nous sommes tous réunis, ce qui,
convenez-en, ne se produit pas toutes les cinq minutes, alors profitons-en !
Que le reste de la journée et que la nuit soient consacrés à la fête ! Et pas de
souci à avoir pour la météo ; les Kergallen nous rejoindront bientôt. Joanna se
chargera volontiers de nous assurer une nuit au sec !
— Il suffira juste qu’elle n’approche pas de Tasia[13] ! lança une voix
rieuse dans la foule.
Duncan ne mit qu’un instant à identifier le plaisantin, et un sourire se
dessina sur ses traits.
— Puisque tu en parles… Ce sera de ta responsabilité, Tanguy de
Chânais[14] !
L’interpellé ouvrit des yeux horrifiés tandis que des gloussements
retentissaient autour de lui.
— Qui, moi ? Mais…
— Tu seras parfait en baby-sitter, je t’assure, l’interrompit sa jumelle
hilare.
— Mais…
— Et ne t’inquiète pas, je me charge de ton chéri, ajouta Bess en déposant
un baiser sur la joue d’un Sullivan qui faisait de son mieux pour se montrer
solidaire avec son amant en n’éclatant pas de rire.
L’intervention de Tanguy eut le mérite d’alléger l’atmosphère, et quand
Duncan se mêla aux siens, seule demeura la joie du clan à l’idée que son
Seigneur puisse enfin vivre aux côtés de sa Dame sans plus avoir à cacher ce
qu’il éprouvait pour elle.
***
***
La foule qui se pressait dans la Salle des Jugements était si dense que dans
les espaces réservés au public, on ne voyait plus le sol. Il y avait là des
représentants de tous les peuples d’Avalon. Les loups-garous en particulier
avaient tenu à être présents. Faute de place suffisante, seuls les Alphas
avaient été autorisés à entrer dans la pièce – exception faite pour Odon et les
siens, qui étaient partie prenante dans certains des procès à venir, et bien
entendu pour les de Chânais. Les autres Alphas se serviraient du lien de
meute pour informer les leurs en direct. Au grand dam de Duncan, même
Amriel était présent. Le loup-garou blond ignorait comment le pirate avait
réussi à se procurer un sauf-conduit signé de la main d’Ysolda pour assister
aux audiences sans être immédiatement arrêté au motif de l’un des nombreux
chefs d’inculpation auxquels il devrait en théorie faire face. Interrogée,
Ysolda s’était contentée de rire en lui affirmant que le fameux sauf-conduit
n’était pas un faux et qu’Amriel accompagnait les Morri-Genis. Duncan
n’avait pas répondu, mais son expression devait être suffisamment éloquente,
puisqu’Ysolda l’avait gratifié d’un baiser tout en lui promettant qu’avant la
fin de la nuit à venir, il ne penserait plus au pirate.
En attendant, le Seigneur des de Chânais entendait bien démontrer à ce
fichu empêcheur de tourner en rond qu’il lui faudrait désormais compter avec
sa présence constante en Avalon, même si, pour l’heure, il se positionnait
derrière le trône de la Dame du Lac…
Pour la deuxième fois en peu de temps, Ysolda avait revêtu les atours de
sa charge : la longue robe bleu nuit, si foncée qu’elle paraissait presque noire,
la cape aux couleurs changeantes, et surtout, la grande lance ornée de la
Pierre de la Dame. Quant à Duncan, il avait à nouveau choisi une tenue de
chasse, et bien sûr, Excalibur pendait à son côté. D’ailleurs, il ne manquait
pas de noter les regards curieux, intéressés ou même envieux qui s’égaraient
en direction de l’épée, qu’il s’était arrangé pour laisser en évidence en
prenant la place dévolue au consort. Le loup-garou jeta un bref coup d’œil
aux siens, campés à gauche de l’estrade, puis à la garde rapprochée de la
Dame du Lac, qui occupait le bord droit.
Les acteurs étaient presque tous en position.
La pièce allait pouvoir commencer.
Une pièce dans laquelle il resterait à l’arrière-plan, même s’il était
concerné au premier chef, car rendre la justice était le rôle de la Dame du
Lac, non celui de son consort.
Les portes s’ouvrirent, livrant passage aux guerrières sélectionnées par
Ysolda pour escorter les premières accusées, celles qui avaient engagé les
Mercenaires pour l’éliminer et, comme elle l’avait découvert au retour de son
amant, pour assassiner Duncan. Les prisonnières enchaînées furent jetées au
pied du trône, tandis qu’Ysolda dardait sur elles un regard dur et dépourvu de
toute compassion.
— Haute trahison.
Amplifiés par la magie, les mots résonnèrent dans la salle, tombant tels
des couperets.
— Il n’y a pas d’autres termes pour qualifier vos actes, et mon jugement
sera à la hauteur de vos crimes.
— Il n’y a pas de crime à vouloir éliminer celle qui a trahi Avalon pour un
homme ! cracha l’une des accusées, ses yeux emplis de défi levés vers la
Dame du Lac.
Une vague de murmures parcourut la salle, menaçant de se transformer en
cacophonie. Ysolda ne lui en laissa pas le temps.
— Silence ! ordonna-t-elle tout en frappant la lance sur le sol, ce qui fit
étinceler le saphir qui l’ornait. Je n’ai pas pour habitude de rendre mes
sentences au milieu d’une volière ! Odon, approche.
Le loup-garou obéit sans un mot. Ignorant superbement les captives, il
posa un genou à terre devant l’estrade.
— Ma Dame…
D’un geste, elle l’invita à se relever.
— Le moment est venu pour toi de faire le récit de ce que tu as vu et fait,
lors de notre dernière rencontre.
— Avec plaisir, ma Dame.
L’Alpha s’inclina, puis se tourna pour faire face à l’assistance. En
quelques phrases, il résuma l’attaque des Mercenaires et l’intervention de sa
meute afin de venir en aide à la Dame du Lac. Le loup-garou prit garde à ne
proférer aucun jugement et à ne formuler aucune opinion, conscient que ce
privilège était réservé à la souveraine d’Avalon.
Accessoirement, il ne tenait pas du tout à provoquer l’éventuelle colère de
Duncan de Chânais, surtout à présent qu’il portait Excalibur et surtout, le titre
de consort…
— Des guerrières valeureuses sont mortes ce jour-là, reprit Ysolda quand
le loup-garou se tut. Mortes pour me défendre, parce qu’elles croyaient en
moi, mais aussi au droit de Duncan de Chânais de mener sa quête. C’est vrai,
lui et moi sommes amants depuis huit siècles, mais en dépit des sentiments
que nous avons toujours éprouvés l’un pour l’autre, nous n’avons jamais
négligé nos devoirs et nos responsabilités, que ce soit envers Avalon pour
moi ou envers sa meute pour lui. Et la meilleure preuve en est cette épée qu’il
porte désormais, après avoir affronté le Marteau de Thor de Pendragon.
Excalibur l’a jugé digne d’elle, et personne, vous entendez, personne n’a de
légitimité pour douter de son choix. Et personne non plus n’avait le droit
d’intervenir avant que Duncan ait tenté sa chance auprès de Pendragon.
Le regard bleu-violet se posa à nouveau sur les accusées, plus glacial que
jamais.
— Et c’est aussi pour cela que vous serez punies. Pour avoir voulu le tuer
sans lui laisser la possibilité de prouver son innocence.
— Je ne regrette rien, éructa la meneuse. Une Dame du Lac doit régner
seule ! Les hommes sont juste bons à satisfaire ses désirs ; ils n’ont aucune
autre espèce d’importance !
Un silence choqué suivit les paroles de la druidesse, non pas tant en raison
de leur teneur qu’en raison du fiel qu’elles contenaient. Ysolda fut la
première à se reprendre. Sa voix était toujours aussi dure lorsqu’elle s’adressa
à celles qui avaient voulu la tuer.
— En d’autres circonstances, j’aurais peut-être cherché à comprendre d’où
vous vient cette ridicule haine des hommes, à toi et à tes complices. J’aurais
peut-être même pu vous trouver des excuses, mais il se trouve que je suis
d’autant moins d’humeur magnanime que je sais pertinemment que même le
fait que Duncan soit revenu avec Excalibur ne vous fera pas changer d’avis.
Vous essaierez encore et encore de le tuer, et aussi de me tuer moi, sans
parler de ceux et celles qui périraient en nous défendant.
La Dame du Lac se leva sans hâte, tandis que l’atmosphère dans la salle se
chargeait d’une tension insupportable.
— Aujourd’hui, je serai juge, jury et bourreau, énonça la souveraine
d’Avalon d’une voix plus coupante que l’acier.
Un éclair bleu jaillit de la Pierre de la Dame. Il se divisa en autant de
branches qu’il y avait d’accusées, frappant chacune d’elle au cœur.
— Et ma sentence est la mort, acheva Ysolda dans un silence
assourdissant.
Chapitre 25
Duncan suivit du regard les druidesses qui emportaient les corps de celles
ayant défié Ysolda. Bien qu’il sût que c’était nécessaire, il n’avait pas été
facile pour lui de demeurer en retrait pendant que sa compagne rendait la
justice. Il avait plutôt l’habitude d’être celui qui présidait le tribunal, pas celui
qui écoutait. Il lui avait fallu toute sa maîtrise de lui-même pour rester
impassible alors que le loup et le Berserker en lui ne rêvaient que de
déchiqueter celles qui avaient osé s’en prendre à la femme qu’il aimait. La
pensée qu’Ysolda avait failli être tuée à cause de leur relation le rendait fou.
Le Seigneur des de Chânais inspira profondément. Il devait absolument
retrouver son calme pour la seconde phase des confrontations. Déjà la porte
s’ouvrait à nouveau, livrant cette fois passage à ceux et celles qui l’avaient
fait inculper. Ryanne marchait en tête du groupe, assumant jusqu’au bout son
rôle de meneuse. Les nouveaux venus ne portaient pas de chaînes. Après tout,
il ne s’agissait pas réellement d’un procès ; ceux et celles qui se présentaient
en cet instant face à la Dame du Lac avaient parfaitement le droit de lancer
les accusations qui avaient conduit Duncan sur le territoire de Pendragon.
Toutefois, cela ne signifiait pas qu’Ysolda était prête à tourner la page sur
ce qu’elle considérait comme un affront envers tous les sacrifices auxquels
elle avait consenti pour Avalon, si bien qu’une troupe en armes escortait les
arrivants. Conscients de la précarité de leur situation, ceux-ci ne manquèrent
pas de plier le genou devant la souveraine d’Avalon.
— Ma Dame…
Sans surprise, Ryanne avait pris la parole au nom de ses compagnons.
— Nous revoilà donc face à face, Ryanne d’Avalon… Comme toi et les
tiens pouvez le constater, Duncan de Chânais est revenu avec Excalibur, ce
qui l’innocente de vos allégations de trahison.
— En effet, ma Dame.
Rien, dans l’attitude et le ton d’Ysolda, ne permettait de présager de son
humeur et encore moins de ses futures décisions. Et ce n’était pas la certitude
d’avoir été dans leur bon droit qui sauverait les accusateurs de Duncan…
Tout comme ils avaient eu le droit de le traîner en justice, lui avait celui
d’exiger réparation pour avoir été diffamé. D’ailleurs, Ysolda se tournait
justement vers son consort.
— Puisque c’est toi qui as été lésé, la décision d’aller au procès est tienne,
Duncan.
L’interpellé s’avança jusqu’à se tenir aux côtés d’Ysolda.
— Avant toute chose, je sollicite l’intervention des porteuses de la rune de
Dag présentes au Palais. Puisqu’Inaïa appartient à ma meute, que ses
consœurs la secondent dans sa tâche afin que nul ne puisse contester ses
dires.
— Qu’il en soit ainsi.
Un groupe de cinq druidesses rejoignit Inaïa. Elles s’inclinèrent devant
Duncan, attendant ses instructions.
— Je vous demande de questionner Ryanne et chacune des personnes qui
l’accompagnent. Vous seules pourrez nous dire si elles croyaient sincèrement
agir pour le bien d’Avalon, ou si l’une ou plusieurs d’entre elles
poursuivaient un autre but.
L’interrogatoire, courant pour les porteuses de la rune de Dag, ne prit que
peu de temps. Ainsi que le pensait Duncan, il révéla qu’aucun des membres
du groupe mené par Ryanne n’avait d’ambition pour lui-même ou de dessein
caché. Tous imaginaient protéger Avalon.
Fort de cette certitude, Duncan se tourna vers Ysolda.
— Dans ce cas… Je demande votre clémence, ma Dame. Leur démarche
n’avait rien de personnel ; elle aurait été faite envers n’importe qui.
Ryanne ouvrit de grands yeux stupéfaits. Elle s’était réellement attendue à
ce que Duncan réclame vengeance, et au contraire, il agissait en véritable
prince consort en mettant de côté ses griefs privés au profit du bien commun.
La druidesse inclina la tête.
— Il semble que je te doive des excuses, Duncan de Chânais. Tu n’es pas
l’assoiffé de pouvoir que je t’ai accusé d’être.
— Non, en effet, je ne le suis pas.
— Je saurai m’en souvenir. Que les porteuses de la rune de Dag soient
témoins de mon serment.
— Je ne doute pas un instant de ta parole.
La druidesse reporta son attention sur Ysolda.
— Ma Dame, mes compagnons et moi-même sommes prêts à nous
soumettre à votre décision.
— Mon consort ayant réclamé ma clémence, je vous l’accorderai.
Cependant, je ne suis pas disposée à vous amnistier complètement, aussi
porterez-vous un collier de loyauté durant un an. Au terme de cette année,
vous comparaîtrez à nouveau devant moi, et nous verrons ce qu’il en sera.
Ysolda se leva sur ces mots.
— La séance est terminée. Que chacun retourne à ses occupations.
Tandis que la salle se vidait, le regard de la Dame du Lac se posa sur
Amriel, et un sourire releva le coin de ses lèvres.
— À ta place, je ne traînerais pas, Amriel d’Avalon. Ton sauf-conduit
expire dans très peu de temps, et j’ai dans l’idée qu’au moins une personne
ici serait ravie de se lancer à tes trousses.
— Un jour, mon charme me perdra… soupira le pirate avant de plonger
dans une profonde révérence. Au plaisir de vous revoir, Dame du Lac !
L’instant d’après, Amriel ouvrait l’une des fenêtres et s’élançait dans un
improbable exercice de haute voltige, qui le mena au pied des murailles du
Palais.
— Je hais ce type, grommela Duncan en le suivant des yeux tandis qu’il
courait vers la sortie. Un de ces jours, je me ferai une descente de lit avec sa
peau.
Afin que tous ceux qui le souhaitaient puissent assister au procès, les
portes d’entrée avaient été laissées grandes ouvertes, si bien que le pirate put
quitter les lieux sans être inquiété.
— Ce serait dommage, le taquina Ysolda, qui l’avait rejoint auprès de la
fenêtre par laquelle Amriel s’était échappé. Il est si charmant, ce garçon…
— C’est vrai, renchérit Ailis, également penchée par l’embrasure. Et
tellement séduisant, aussi…
— Séduisant ? suffoqua Aloys. Tu le trouves… séduisant ?
La rouquine coula un regard moqueur dans sa direction.
— Bien sûr qu’il est séduisant. Pas vrai, les filles ?
— Je confirme, approuva Blodwyn. Séduisant et tellement séducteur…
— Ce bellâtre, un séducteur ? s’étouffa Faolan.
— Un vrai pirate de légende, affirma à son tour Yseult d’un air rêveur.
— Duncan, tu es peut-être mon Seigneur, mais si je l’attrape avant toi,
c’est moi qui me ferai une descente de lit avec sa peau, grommela Aymeric.
Bon sang, mais qu’est-ce qu’il a de plus que les autres, ce type, pour que
toutes les filles lui tombent dans les bras comme ça ?
— Le pire, c’est que lui ne s’intéresse qu’aux hommes, grogna Beowyn,
lui aussi peu ravi de voir sa compagne suivre du regard la silhouette du
fuyard.
— C’est pas beau, la jalousie, persifla Eryn à l’intention de son amant.
L’interpellé leva les yeux au ciel d’un air qu’il aurait voulu indigné,
toutefois, il ne put masquer tout à fait son amusement face à ce rappel de la
première fois qu’il avait servi de cible à l’Archère[15].
— Maintenant que le spectacle est fini et que toutes les petites formalités
ont été réglées, j’estime que nous avons le droit à un peu de calme, déclara
Ysolda après un dernier regard dans la direction prise par le pirate.
— J’ai fait servir une collation dans les jardins, annonça Siobhan. Une
collation spéciale loups-garous, compléta la guérisseuse avec un sourire
moqueur.
— Excellente idée, approuva Ysolda. Tu es décidément une amie
précieuse.
Quelques minutes plus tard, le groupe s’installait sous une immense
tonnelle de roses. Une table garnie de mets variés et de boissons tout aussi
variées y était dressée. Les arrivants prirent place dans un joyeux désordre, et
durant un long moment, seuls rires et plaisanteries fusèrent parmi les
convives. Ce ne fut qu’une fois l’ultime miette avalée que la Dame du Lac
revint à l’un des sujets qui la préoccupaient.
— Siobhan, quels sont les derniers échos d’Avalon ?
— Comme toujours, Avalon bruisse de mille rumeurs, mais les plus
bruyantes concernent toutes le Seigneur des de Chânais.
— Tant de popularité va finir par m’effrayer, ironisa l’intéressé. Combien
de contrats sur ma tête, cette fois ?
— Excalibur a convaincu la majorité que tu n’étais pas un danger pour
Avalon, sourit Siobhan. Et de nombreuses voix s’élèvent pour rappeler qu’au
cours des siècles écoulés, tu as prouvé d’innombrables fois ton dévouement
envers Avalon. Ne serait-ce qu’en nous débarrassant d’Harold, entre autres
exemples.
— Si je peux rendre service… Plaisanterie mise à part, et juste pour être
sûr, je suppose que la tranquillité n’est pas à l’ordre du jour ?
— Pourquoi poser une question dont tu connais la réponse ? intervint la
Dame du Lac en entrelaçant ses doigts aux siens.
Duncan embrassa les phalanges avant de l’attirer dans ses bras.
— Une brève, très brève seconde, j’ai rêvé que nous pourrions vivre dans
un monde sans drames ni combats, mais ce n’était qu’un rêve.
— Ça paraît tentant, mais tu t’ennuierais très vite, asséna Ysolda. Après
tout, tu es un loup-garou, et les loups-garous ne sont pas vraiment réputés
pour aimer le calme.
— Que de préjugés envers nous… feignit de déplorer Duncan. Quoique,
quand je vois certains des membres de ma meute… ajouta l’Alpha avec un
regard appuyé en direction de son lieutenant et des jumeaux.
— Ce n’est quand même pas ma faute si les gens s’obstinent à me prendre
à rebrousse-poil, riposta Aymeric, un air de vertueuse indignation peint sur le
visage, tandis que Faolan et Ciaran, eux, faisaient de leur mieux pour se faire
oublier.
— Mais bien sûr, on va te croire, ironisa Beowyn. Attends, affranchis-moi
d’un truc… Ce n’est pas toi qu’on appelle l’Exécuteur ? Tu sais, le type qui
fait peur à tout le monde juste en arrivant quelque part… Enfin, sauf à moi,
évidemment.
— Venant de celui qui a dirigé la Meute Sauvage, c’est une remarque qui
ne manque pas de sel… Et pour info, je ne suis pas le seul Exécuteur. Hé !
Le cri de protestation du loup-garou aux cheveux noirs eut pour écho celui
de Beowyn. Outré, le duo se leva d’un bond, cherchant qui avait bien pu leur
déverser une cruche d’eau sur la tête.
Jusqu’à ce qu’ils croisent le regard d’Yseult, et comprennent qu’il était
plus prudent de faire comme si de rien n’était, sous peine que la druidesse
décide d’une vengeance beaucoup plus créative qu’un simple tour de magie
consistant à faire voler une cruche.
— Vous êtes pires que des gosses, tous les deux, maugréa l’historienne.
On ne dirait vraiment pas que vous avez plusieurs siècles !
— Si jamais ils t’embêtent trop, tu peux venir te réfugier dans ma
bibliothèque, offrit Adam. Tu y seras toujours la bienvenue, et je me fais fort
d’en interdire l’accès à quiconque, y compris à des loups-garous vieux de
plusieurs siècles.
— Vendu ! s’exclama Yseult sous les rires de ses amies.
— Nous aussi, on peut venir, si les garçons nous embêtent ? s’enquit Ailis,
un sourire taquin aux lèvres.
— Ma porte est toujours ouverte aux damoiselles en détresse.
— Enfin un homme selon mon cœur… fit mine de défaillir Blodwyn. On
se marie quand ?
— Tu es déjà unie ! protesta Faolan.
— Et toi, tu as perdu ton sens de l’humour, mon loup, répliqua sa
compagne en s’installant sur ses genoux.
Un instant assombrie, l’ambiance s’était à nouveau détendue. Duncan
sourit en entendant les siens plaisanter et évacuer la tension qui les habitait
depuis des semaines. Un jour plus ou moins proche, les soucis reviendraient
frapper à leur porte, mais en attendant, même lui pouvait pour un temps les
oublier.
Chapitre 26
Jardin de la Dame du Lac, six mois plus tard…
***
***
***
***
— Avalon a décidé ; il n’y a rien que nous ne puissions y faire, finit par
déclarer Duncan.
— Tu as raison, inutile de s’appesantir sur le sujet. D’ailleurs, j’ai quelque
chose à te proposer.
— Quoi donc ?
Ysolda bougea pour se retrouver allongée sur Duncan.
— Tant que nous serons ici, interdiction de parler de sujets tristes ou de
sujets qui fâchent. Ce jardin, c’est l’endroit où nous nous sommes aimés pour
la première fois, celui où j’ai su qu’un jour, tu serais mien. Nous nous y
sommes toujours réfugiés pour être tranquilles. C’est notre sanctuaire, et rien
ne doit profaner un sanctuaire.
Le loup-garou referma les mains sur les hanches de sa compagne.
— Comme je l’ai toujours dit, les désirs de la Dame du Lac sont mes
désirs.
— Et donc, la bosse dure que je sens, c’est…
— Il se peut que, dans certaines circonstances, j’anticipe les désirs de la
dame de mon cœur…
— Quel genre de circonstances ?
— Voyons voir… Par exemple, quand je suis nu et que la plus belle
femme du monde, que dis-je, des mondes, est couchée sur moi. Trop habillée,
c’est certain, mais couchée sur moi quand même. Après tout, je ne suis qu’un
homme ; qui pourrait m’en vouloir ?
— Essaierais-tu de me séduire… ?
— Toujours.
Le rire clair d’Ysolda s’éleva tandis que Duncan utilisait la magie pour la
débarrasser de ses vêtements.
— Tu triches, l’accusa-t-elle tendrement.
— Bien sûr que je triche. À quoi me servirait-il d’être un druide si je ne
pouvais pas profiter un peu de mes pouvoirs ? Et puis, je suis plutôt agréable
à regarder, non ?
Les iris bleu-violet se teintèrent d’incrédulité, avant que l’hilarité de la
Dame du Lac ne redouble.
— Depuis le temps, je devrais y être habituée, mais j’avoue que l’ego des
de Chânais me stupéfiera toujours.
— Je ne fais qu’énoncer une vérité, pourtant… Qu’est-ce qui, sinon,
expliquerait que j’aie autant de succès auprès de la gent féminine ?
Le regard vert pétillait, démentant l’apparente vantardise des propos de
Duncan. Ysolda le connaissait trop bien pour s’y tromper, toutefois, lorsque
l’expression de son amant se fit grave et qu’il plongea une main dans la
lourde masse de sa chevelure, elle sentit des larmes d’émotion perler à ses
paupières.
— Je t’aime, Ysolda. J’ai attendu si longtemps pour pouvoir te le dire que
je compte bien te le répéter chaque jour de ma vie. Quels que soient les
écueils que tu rencontreras sur ton chemin, je serai là, à tes côtés, au grand
jour et non plus caché dans l’ombre. Ceux qui s’attaqueront à toi me
trouveront sur leur route, et je ne serai pas clément. Il est dans la nature des
loups de protéger ceux qu’ils aiment, et il se trouve que tu es la personne à
laquelle je tiens le plus.
Les doigts d’Ysolda dessinèrent les contours du visage de son compagnon.
— Et si tu me montrais à quel point tu m’aimes… ?
— Avec le plus grand plaisir, ma Dame…
Épilogue
Titouan serra sa mère dans ses bras sans chercher à masquer son trouble.
Cela faisait plusieurs mois à présent qu’il n’était pas revenu en Terre des
hommes, et même s’il adorait sa vie en Avalon, ses parents lui avaient
manqué.
— Merci de nous l’avoir amené, Seigneur, murmura un Mayeul ému à
l’adresse de Duncan.
— Je le prendrai avec moi le plus souvent possible, promit Duncan. J’ai
conscience d’à quel point la situation est difficile pour vous, surtout depuis
qu’il a fallu mettre en scène sa disparition.
— Je reconnais avoir été soulagé qu’Anthony se propose de s’en charger.
Il a recruté Tanguy et Sullivan pour fracasser le bateau de Titouan sur les
rochers au cours d’une tempête. J’avoue que je ne sais pas si j’aurais été
capable de le faire.
— S’il l’avait fallu, tu l’aurais fait. Je ne t’aurais pas choisi comme duc si
je n’avais pas été certain de ta force, mais c’est aussi bien que les choses se
soient passées ainsi.
— Anthony est également un bon choix, Seigneur. Je lui laisse de plus en
plus de responsabilités, et il les assume toutes avec brio.
— Quand il sera prêt, Isadora et toi pourrez vous retirer si vous le
souhaitez.
— Nous comptions solliciter ton autorisation pour le faire. Après tout, la
disparition de notre fils unique est un excellent prétexte pour quitter la vie
publique.
Mayeul hésita avant d’ajouter :
— Nous aurions aussi aimé passer plus de temps en Avalon.
— Je comprends. À partir du moment où vous aurez abandonné la vie
publique, je pourrai organiser votre installation définitive en Avalon, si c’est
ce que vous voulez.
— Merci, Seigneur.
Mayeul savait qu’Isadora et lui n’y seraient pas seuls. Quelques branches
du clan de Chânais n’avaient jamais réellement vécu en Terre des hommes, se
contentant d’y faire de brèves incursions afin de connaître l’autre côté du
voile. L’inverse était également vrai : si tous les de Chânais se rendaient un
jour ou l’autre dans la contrée magique, certains d’entre eux renouvelaient
l’expérience le moins possible.
Duncan laissait toujours les siens libres de choisir la fréquence de leurs
visites dans l’un ou l’autre des mondes.
— Comment… se comporte Titouan ? s’enquit Mayeul après un instant de
silence.
Les deux hommes se tenaient en retrait, suffisamment loin pour que le
jeune loup-garou ne puisse les entendre.
— Il s’adapte très bien à la vie en Avalon. Bien sûr, vous lui manquez, et
Corentin lui manque aussi, mais il était fait pour vivre avec la meute.
— Nous l’avons toujours su, intervint Isadora en les rejoignant en
compagnie de Titouan. De toute façon, le destin des enfants est de suivre leur
propre voie, pas de rester dans le giron de leurs parents. En ce qui me
concerne, je suis fière de mon fils.
— Moi de même, affirma Mayeul en ébouriffant affectueusement les
cheveux du jeune homme.
— Vous allez me faire rougir, marmonna l’intéressé en tentant de
discipliner ses mèches noires.
— Nuance : tu rougis déjà, le taquina Duncan. File, maintenant. Quelque
chose me dit que Corentin arrive et que vous avez des milliers de choses à
vous raconter.
Titouan ne se le fit pas répéter deux fois et s’élança vers le portail du
domaine. D’ici quelques jours, Duncan et lui repartiraient, mais dans
l’intervalle, Titouan comptait bien profiter de sa famille et de son ami
d’enfance.
***
— Tu ne devrais pas fumer comme ça. Ce n’est jamais bon pour la santé.
Surpris, Charles leva les yeux du paquet de cigarettes qu’il tenait en main
pour voir à qui appartenait la voix réprobatrice. Il n’avait reconnu ni les
louves de la meute ni la duchesse de Chânais. D’ailleurs, étrangement, aucun
des membres du clan ne lui avait jamais reproché cette habitude qu’il avait
prise peu après son asservissement, et qu’il pouvait se permettre grâce à la
modique somme que Duncan lui octroyait chaque mois. Il leur aurait pourtant
été si facile de le priver de ce qui était devenu l’un de ses derniers plaisirs…
L’ancien mannequin tressaillit en reconnaissant la silhouette qui lui faisait
face. Elsie était l’une des femmes de chambre d’Isadora. Elle travaillait au
château depuis de longues années. Originaire des plus anciennes familles du
village, elle faisait partie de ceux qui n’avaient pas oublié de quelle manière
les de Chânais protégeaient les leurs, et rien de ce qui se passait sur le
domaine ne pouvait l’étonner. Elle était aussi la seule à ne pas avoir fait sentir
son mépris à Charles lorsqu’il avait emménagé de manière définitive au
château, et sans même s’en rendre compte, ce dernier avait fini par rechercher
sa compagnie. Si n’importe quel autre membre de la domesticité lui avait fait
cette remarque, il se serait rebiffé, mais en l’occurrence, il remit la cigarette à
demi-sortie dans le paquet.
— Donne-le-moi. Comme ça, tu ne seras pas tenté de recommencer.
Charles eut un rictus amer.
— Quelle importance, si ça me tue ? La vie que j’ai ne vaut pas la peine
d’être vécue.
— Alors dans ce cas, pourquoi t’y attaches-tu autant ?
— Parce qu’on ne me laisse pas le choix.
— Vraiment ?
L’ex-star des podiums se figea. Il ne comprenait pas du tout où voulait en
venir sa compagne. Sans se préoccuper de son trouble, Elsie reprit.
— Ils laissent toujours le choix.
Le premier réflexe de Charles fut de riposter vertement « Sauf dans mon
cas », mais sa conversation avec Yseult lui revint subitement en mémoire.
Sans compter que la femme devant lui ne méritait pas son acrimonie…
— C’est trop tard, maintenant… souffla-t-il à la place. J’ai fait trop
d’erreurs.
Elsie secoua la tête.
— Il n’est jamais trop tard.
Elle combla la distance qui les séparait avant de se saisir des cigarettes de
Charles.
— Je les garde, déclara-t-elle avec autorité. Tu n’en as pas besoin.
— Oui, m’dame.
Pour la première fois depuis très longtemps, l’ébauche d’un vrai sourire
éclaira les traits de l’ancien mannequin, lui rendant la séduction naturelle qui
avait été la sienne. L’autorité qu’Elsie exerçait sur lui n’avait rien en commun
avec celle qu’il avait l’habitude de subir. La femme devant lui avait vécu. Il
s’était renseigné discrètement à son sujet, et avait appris qu’elle avait perdu
son mari dans un accident de voiture, une dizaine d’années plus tôt. En dépit
du chagrin, elle était restée telle qu’elle était avant le drame, généreuse et
ouverte aux autres. Et pour une raison qu’il ne s’expliquait pas, elle se
souciait de son bien-être à lui, l’esclave du clan.
— Pourquoi vous intéressez-vous à moi ?
Il n’avait pas cherché à retenir la question qui le taraudait. Elsie leva les
yeux au ciel.
— Il me semble t’avoir déjà dit de ne pas me vouvoyer.
— L’habitude.
Charles porta la main à son collier.
— Il m’empêche d’oublier ma place.
Pensive, Elsie considéra l’homme qui lui faisait face. En dépit de tout, il
avait gardé ce charme qui avait fait de lui une star. Elle-même ne s’intéressait
pas du tout à la presse people, mais il était impossible d’être au service du
clan de Chânais sans finir par savoir la vérité sur Charles, même si l’on
n’avait aucune envie de l’apprendre. Toutefois, la femme de chambre n’était
pas du genre à juger sur les on-dit. Si elle n’avait que très peu côtoyé Charles
avant le départ de la meute en Avalon, elle n’avait pu s’empêcher de
l’observer attentivement depuis qu’il vivait au château, et en dépit de tout ce
qu’elle savait, elle avait avant tout vu un homme brisé. Par sa propre faute,
certes, mais brisé malgré tout. Et son bon cœur naturel l’avait poussée à se
rapprocher de lui. Une tâche au début difficile, mais plus les semaines avaient
passé, moins l’ancien mannequin s’était montré aux abois, acceptant peu à
peu la main qu’elle lui tendait. Cédant à son impulsion, elle posa à son tour
ses doigts sur le collier.
— Il n’est pas trop tard. Ils peuvent encore t’en débarrasser.
— Aymeric ne me pardonnera jamais. Ni pour Yseult ni pour Aloys.
— Bien sûr que si. À toi de lui montrer que tu mérites son pardon.
— Ça risque d’être difficile, étant donné qu’il n’est plus là.
— Il y a toujours des de Chânais, en Terre des hommes.
Charles eut un rire.
— Depuis le temps, je devrais pourtant savoir que je n’aurai jamais le
dernier mot avec une femme.
Il fut le premier surpris par ses paroles. D’où lui était venue cette
réflexion ? Jamais il ne l’aurait eue dix ans plus tôt, mais aujourd’hui…
Aujourd’hui, tout avait changé, et il semblait bien qu’une nouvelle étape
de sa vie s’annonçait. Une étape qu’il abordait avec une crainte prudente
mêlée de curiosité. Après tout, ces dix dernières années, chacun des
changements qu’il avait connus n’avait été qu’une dégringolade vers un enfer
pire que le précédent – il se souvenait notamment d’un certain Calendrier de
l’Avent –, et il avait perdu l’habitude d’espérer. Le cœur battant, il reprit la
parole :
— Pourquoi t’intéresser à moi ? En général, les autres employés préfèrent
m’éviter. Ou me donner des ordres.
— Tu t’en plains ?
L’ancien mannequin hésita. Pouvait-il vraiment prendre le risque de se
dévoiler, ou n’était-ce qu’un nouveau piège pour le faire chuter encore plus
bas ? Il y avait longtemps qu’il ne faisait plus confiance à son instinct sur le
sujet… D’un autre côté, il avait envie de croire au regard qu’Elsie posait sur
lui et qui, pour la première fois depuis longtemps, lui donnait l’impression
qu’il comptait pour quelqu’un.
— Non, finit-il par reconnaître. Non, je ne me plains pas de ton intérêt.
Mais je ne suis pas sûr de le mériter.
L’aveu lui avait échappé. Il aurait dû se récrier, démentir, cependant, il
constata avec surprise qu’il n’en avait aucune envie. Mieux : qu’il le pensait
sincèrement.
— C’est la meilleure preuve que tu le mérites. Pourquoi te refuser à toi-
même une seconde chance ?
Charles détourna la tête. Il était seul depuis si longtemps… Tous ses soi-
disant amis lui avaient tourné le dos après sa déchéance, tout comme sa
famille. Au final, à part les de Chânais et les Kergallen, il ne côtoyait
personne. Quant au personnel du château… Il réalisait à présent que son
attitude hautaine l’avait empêché de saisir les mains tendues. Ceux qui étaient
venus vers lui avaient fini par se lasser, et par passer le mot autour d’eux, le
laissant se complaire dans son statut de réprouvé.
Un statut dont il ne savait plus comment sortir, lui qui n’avait de toute
façon jamais été très doué pour créer des liens sociaux. L’ancien mannequin
savait charmer, embobiner, plier les autres à ses caprices, mais créer un
véritable lien, quel qu’il soit, ça, c’était hors de sa portée. Il prit son courage à
deux mains pour tenter une timide ouverture.
— Ce serait plus facile s’il y avait quelqu’un pour m’accompagner. En
supposant qu’il y ait quelqu’un pour se dévouer.
— Qui dit que ce serait une corvée ?
Charles plongea son regard dans celui d’Elsie. En quelques secondes, tout
son passé défila devant lui.
Les podiums.
Sa rencontre avec les de Chânais.
Sa déchéance.
Les années d’humiliation.
Et après le départ de la meute en Avalon, son installation au château, où sa
route avait croisé celle de cette femme tranquille, au charme discret et
rayonnant, à laquelle il s’était surpris à penser le soir dans la solitude de sa
mansarde. Une femme bien loin de ses standards de jadis, mais avec laquelle
il se sentait bien. Une femme qui, il le savait, était insensible à son physique
– étonnamment toujours remarquable en dépit du temps écoulé –, et qui
s’intéressait à lui pour ce qu’il était.
Une femme qui méritait mieux qu’un homme portant un collier de
loyauté…
— Tu penses trop.
La voix d’Elsie fit tressaillir Charles. À l’expression de sa compagne, il
comprit qu’elle avait deviné vers quels chemins le menaient ses ruminations.
Un sourire apparut sur ses traits.
— Je vais finir par croire que tu lis dans l’esprit des gens.
— Ce n’est pas bien compliqué, quand on sait observer.
— Que vont penser les autres si tu t’affiches avec moi ?
— As-tu déjà eu l’impression que l’opinion des autres m’importait ?
— Non, m’dame.
— Dans ce cas, où est le problème ?
— Je suppose qu’il n’y en a pas.
— Non, il n’y en a pas.
Charles hésita. Il n’avait pas grand-chose à offrir à Elsie – ni ses finances
ni son statut ne lui permettaient de lui proposer un repas au restaurant, par
exemple –, toutefois, il aurait vraiment aimé passer un peu de temps avec elle
ailleurs qu’en service. Le décor qui l’entourait finit par lui inspirer une idée
qui, si elle ne brillait pas par son originalité, avait au moins le mérite
d’exister. Sans compter que, d’après ce qu’il savait d’Elsie, elle serait
susceptible de lui plaire. Il se lança avant que le courage le déserte.
— Je serais ravi qu’on aille se promener dans les jardins, ce soir. Juste…
pour parler.
Charles hésita une ultime seconde avant de poursuivre avec résignation.
— Enfin, si personne n’a besoin de moi.
Elsie posa une main légère sur son avant-bras.
— Je suis certaine que personne n’aura besoin de toi. Et je n’ai pas besoin
de plus qu’une promenade dans un jardin. On se retrouve après le dîner ?
— Avec plaisir.
Charles suivit Elsie des yeux tandis qu’elle regagnait le château. Elle avait
gardé ses cigarettes, mais peu lui importait. Il n’en avait plus besoin.
Aussi incroyable que cela puisse paraître, la vie lui offrait un fragile espoir
d’avenir, et cette fois, il était bien décidé à ne pas le gâcher…
Passation de pouvoir
Justine fixa Elwyn et Morgane avec effarement. Pour une fois, la pétulante
rousse ne trouvait pas ses mots. Elle finit par articuler une question d’une
voix enrouée :
— Vous êtes sérieux ?
— Tout ce qu’il y a de plus sérieux, affirma Elwyn. Morgane et moi allons
partir, et tu es la plus apte à reprendre la troupe.
— Tu as toutes les qualités d’une meneuse, et en plus, tu es une excellente
gestionnaire, enchaîna la sorcière.
— Mais… commença à objecter la jeune femme.
— Toute la troupe a confiance en toi ; ils te suivront naturellement, insista
Morgane. Sans compter que ça fait un moment déjà que tu nous secondes,
Elwyn et moi.
— Je n’ai pas assez d’argent pour vous racheter les droits d’exploitation,
et aucun banquier ne voudra m’accorder un prêt.
Le loup-garou balaya ses arguments d’un geste.
— Qui a parlé d’argent ? Nous ne te demandons rien. Il s’agit d’un don.
Tout a été réglé avec qui de droit pour que personne ne puisse contester ta
légitimité à la tête de cette troupe. Tu n’as plus qu’à signer les documents.
Un instant, Justine envisagea de demander si c’était vraiment légal, avant
de se souvenir de toutes les fois où Elwyn avait fait des choses qui
paraissaient impossibles.
Après tout, c’est un de Chânais… Ils font la pluie et le beau temps, ici.
La jolie rousse prit une grande inspiration avant de hocher la tête.
— Il est bien entendu que lorsque vous reviendrez de votre tour du monde,
vous reprendrez la direction de la troupe !
— Comme tu voudras, acquiesça Morgane.
Toutefois, le long regard qu’échangea le couple convainquit Justine que
son pressentiment était juste.
Elle ne les reverrait jamais.
En bonne actrice, elle joua cependant le jeu, et feignit de croire à ce futur
qui n’existerait jamais.
— Dans ce cas, j’accepte.
— Parfait ! se réjouit Elwyn avant d’ouvrir le dossier qu’il avait posé
devant lui au début de l’entretien et de le tourner vers la nouvelle directrice
de la troupe.
— C’est la pièce que tu écrivais ? s’enquit celle-ci en saisissant les
feuillets où s’étalait l’écriture élégante du loup-garou – tous avaient fini par
s’habituer à son étrange habitude d’écrire à la plume.
— En effet. Et si tu n’y vois pas d’inconvénients, j’ai choisi les acteurs
pour les divers rôles.
— Pourquoi en verrais-je ? C’est ta pièce.
— Mais c’est toi la patronne, maintenant.
— Il n’empêche que c’est ta pièce, et que tu es le plus à même de choisir
ceux qui vont y jouer.
Les yeux de Justine s’écarquillèrent lorsqu’elle découvrit l’identité d’un
des protagonistes de la pièce. Stupéfaite, elle releva la tête pour fixer Elwyn.
— Tu es sûr ?
— Tu y vois un inconvénient ?
— Objectivement, non. C’est le meilleur choix. Mais j’avoue que je suis
surprise.
— Je l’ai été aussi, intervint Morgane. Puis j’ai compris qu’Elwyn avait
raison.
— J’ai toujours raison, fanfaronna l’intéressé en se levant.
— Sauf quand tu as tort ! lui cria sa compagne tandis qu’il s’éloignait.
— Où va-t-il ? s’enquit Justine.
— Il veut lui annoncer la nouvelle en personne.
***
Une meute forte et puissante, avec des mâles sexy à mourir et des filles
qui ne s’en laissent pas compter…
Une meute qui a des ennemis et qui doit se défendre…
Amour, humour, aventure, magie… Le quotidien des de Chânais ne laisse
pas de place à l’ennui
Série « Les de Chânais et les Kergallen »
(Ysaline Fearfaol et Aurore Aylin)
Quand les filles des deux clans se rencontrent, les mâles ont du souci à se
faire…
Les Plumes d’Ysaline sont des recueils de textes écrits dans le cadre de
défis littéraires. Ils répondent tous à deux exigences : se conformer à une
consigne précise – expliquée au début de chaque texte –, et ne pas dépasser la
longueur de deux pages format A4.
Amour, magie, poésie, féérie… Les thèmes sont nombreux, et servent
parfois à raconter de petits moments de vie des personnages d’Ayleen et
d’Ysaline.
Série « Désirs inconnus » :
(Ayleen Night)
Il n’est pas si facile d’obliger son corps à obéir lorsque des désirs inconnus
éclosent au plus secret de l’esprit…
Ils sont beaux, ils sont jeunes, ils s’aiment et parfois se perdent… Terence
et Alexandre sont étudiants et basketteurs. Ils sont aussi très amoureux l’un
de l’autre, mais la vie prend plaisir à malmener les amoureux et leur
entourage.
Heureusement, Sandrine, la sœur de Terence, veille en compagnie des
démones du campus…
Série « Terre de Castes » :
(Ayleen Night)
Tueur à gages vénitien, Damon Salvieri est contraint de fuir la Cité des
Doges suite à un contrat qui a mal tourné. Grâce à l’un de ses amis, il se voit
accorder l’asile et un poste de garde du corps chez Sergueï Dragonovitch, un
puissant mafieux russe.
Mais c’est lorsque son regard croise celui de l’héritier, Nikolaï, qui affiche
ouvertement son homosexualité, que tout dérape…
Le prix à payer
(Ayleen Night)
Et devoir fuir ensemble pour sauver leur peau n’y changera rien.
Ils n’ont rien à faire l’un avec l’autre.
Point final.
Pour l’oublier
(Ayleen Night)
[1]
Voir le texte Intuition dans le tome 5,5 pour Prince et Les de Chânais et les Kergallen : jeux de
scène pour Mordor.
[2]
Voir Les Kergallen tome 3 : Nina (Aurore Aylin).
[3]
Roderick est né et 1894 et a accepté la morsure en 1914.
[4]
Voir Les de Chânais et les Kergallen 5 : les Aventuriers du Camp Perdu.
[5]
Naïade vivant dans les lacs.
[6]
Voir Les Kergallen tome 3 : Nina (Aurore Aylin).
[7]
Voir Les Kergallen tome 5,5 : Gwenn (Aurore Aylin).
[8]
Dans le contexte, palissade qui délimite la carrière ou le terrain de concours d’un club
d’équitation.
[9]
« Petite boule de poils » en breton.
[10]
Chacune des branches partant de la garde d’une épée.
[11]
Voir Les de Chânais et les Kergallen 1 : pari risqué (Aurore Aylin et Ysaline Fearfaol).
[12]
« À la tienne » en gaélique
[13]
Tasia, la fille de Joanna et Dragan, a comme pouvoir magique celui d’annuler les pouvoirs des
autres… (Voir Les Kergallen, d’Aurore Aylin.)
[14]
Voir La défaite 3 : le défi (Ayleen Night).
[15]
Voir La meute de Chânais tome 6 : Beowyn – le secret, où les louves de Chânais et les Chipies
Kergallen font assaut de citations tirées de publicités durant l’entraînement d’Eryn.
[16]
Le Faol (« loup » en gaélique écossais) est le navire d’Amriel d’Avalon.