Oser Avec Audace (French Edition) - B09ZFCVX66 - EBOK - Nodrm

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BRENÉ BROWN, PH.D.

, LMSW
Auteure des best-sellers La grâce de l’imperfection et Braver sa nature
sauvage

Comment le courage d’être vulnérables transforme notre façon de


vivre, d’aimer, d’être un parent et un leader

Traduit par Claire Laberge


L’édition originale de cet ouvrage a été publiée sous le titre
DARING GREATLY
How the courage to be vulnerable transforms
the way we live, love, parent, and lead
© 2012 Brené Brown
Penguin Random House - ISBN 978-1-592-40841-2

Conception de la couverture : Pete Garceau


Réalisation de la couverture : Jean-François Szakacs

Tous droits réservés


© 2022, BÉLIVEAU Éditeur

Dépôt légal : 2e trimestre 2022


Bibliothèque et Archives nationales du Québec
Bibliothèque et Archives Canada

ISBN 978-2-89793-231-2
ISBN Epub 978-2-89793-232-9

567, rue de Bienville


Boucherville (Québec) J4B 2Z5
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Toute reproduction ou utilisation d’un extrait du fichier Epub ou PDF de ce livre autre qu’un
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poursuites pénales ou civiles.
À Steve
Tu fais du monde
un meilleur endroit,
et de moi,
une personne plus brave.
Ce que signifie
oser avec audace

L’expression Oser avec audace provient d’un discours de Theodore


Roosevelt : « Le citoyen d’une république ». Ce discours, souvent désigné
« L’homme dans l’arène », a été prononcé à la Sorbonne de Paris, en
France, le 23 avril 1910. Voici le passage qui en a fait sa réputation :
« Ce n’est pas le critique qui compte, ni celui qui montre comment
l’homme fort a trébuché ou comment l’homme d’action aurait pu mieux
faire.
Tout le mérite appartient à celui qui descend vraiment dans l’arène, dont
le visage est couvert de sueur, de poussière et de sang, qui se bat
vaillamment, qui se trompe, qui échoue encore et encore,
car il n’y a pas d’effort sans erreur et échec, mais qui fait son maximum
pour progresser, qui est très enthousiaste, qui se consacre à une noble
cause,

qui au mieux connaîtra à la fin le triomphe d’une grande réalisation et


qui, au pire, s’il échoue, aura osé avec audace, et saura que sa place n’a
jamais été parmi les âmes froides et timorées qui ne connaissent ni la
victoire ni l’échec. »
La première fois que j’ai lu cette citation, je me suis dit : C’est ça, la
vulnérabilité. Tout ce que j’ai appris en plus de dix années de recherche sur
la vulnérabilité m’a enseigné cette leçon exacte. La vulnérabilité n’est pas
de connaître la victoire ou la défaite, c’est de comprendre la nécessité des
deux ; c’est s’engager. Y aller de tout son être.
La vulnérabilité n’est pas de la faiblesse, et l’incertitude, le risque et
l’exposition émotionnelle qui nous confrontent chaque jour ne sont pas
optionnels. Notre seul choix est une question d’engagement. Notre volonté
de posséder notre vulnérabilité et de nous engager avec elle détermine la
profondeur de notre courage et la clarté de nos objectifs ; le degré auquel
nous nous protégeons d’être vulnérables est une mesure de notre peur et de
notre déconnexion.
Lorsque nous passons notre vie à attendre d’être parfaits ou blindés
avant d’entrer dans l’arène, nous sacrifions en fin de compte des relations et
des occasions peut-être irrécupérables, nous gaspillons notre précieux temps
et nous tournons le dos à nos cadeaux, ces contributions uniques que nous
seuls pouvons faire.
Parfait et blindé sont séduisants, mais ils n’existent pas dans
l’expérience humaine. Nous devons entrer dans l’arène, quelle qu’elle soit –
une nouvelle relation, une réunion importante, notre processus créatif ou
une conversation familiale difficile – avec courage et détermination de nous
engager. Plutôt que de rester sur la touche et de lancer des jugements et des
conseils, nous devons oser nous présenter et nous laisser être
véritablement vus. C’est ça, la vulnérabilité. C’est oser avec audace.
Venez explorer avec moi les réponses à ces questions :
– Qu’est-ce qui propulse notre peur d’être vulnérables ?
– Comment nous protégeons-nous de la vulnérabilité ?
– Quel prix payons-nous quand nous nous fermons et que nous nous
désengageons ?
– Comment possédons-nous la vulnérabilité et nous engageons-nous
avec elle pour faire en sorte de transformer notre façon de vivre,
d’aimer, d’être parent et de diriger ?
Introduction

Mes aventures
dans l’arène

Je l’ai regardée sans détour et j’ai avoué : « Je déteste la maudite


vulnérabilité. » Je me suis dit qu’elle est thérapeute et qu’elle a sûrement eu
des cas plus difficiles. En outre, plus vite elle sait à qui elle a affaire, plus
vite nous pouvons mettre fin à cette histoire de thérapie. « Je déteste
l’incertitude. Je hais ne pas savoir. Je ne peux pas supporter de m’ouvrir et
d’être blessée ou déçue. C’est insoutenable. La vulnérabilité est
compliquée. Et insoutenable. Savez-vous ce que je veux dire ? »
Diana hoche la tête. « Oui, je connais la vulnérabilité. Je la connais bien.
C’est une émotion exquise. » Puis elle lève les yeux et esquisse un sourire,
comme si elle voyait quelque chose de fabuleux. J’ai assurément l’air
confus parce que je ne peux pas m’imaginer ce qu’elle voit. Je suis
soudainement inquiète de son bien-être et du mien.
« J’ai dit que c’était insoutenable, pas exquis, soulignai-je. Et laissez-
moi ajouter ceci pour votre information : si ma recherche ne reliait pas le
fait d’être vulnérable à une vie vécue Sans réserve, je ne serais pas ici. Je
déteste comment cela me fait me sentir. »
« Comment vous sentez-vous ? »
« Comme si je sortais de ma peau. Comme si je devais réparer quoi qu’il
arrive et l’améliorer. »
« Et si vous ne le pouvez pas ? »
« Alors j’ai envie de balancer un coup de poing dans le visage de
quelqu’un. »
« Et le faites-vous ? »
« Non, bien sûr que non. »
« Alors que faites-vous ? »
« Je fais du ménage. Je mange du beurre d’arachide. Je blâme les gens.
Je fais en sorte que tout ce qui m’entoure soit parfait. Je contrôle tout ce que
je peux, quoi que ce soit qui n’est pas fixé. »
« Quand vous sentez-vous le plus vulnérable ? »
« Quand je suis dans la peur. » Je regarde Diana qui répond par cette
pause agaçante et ce hochement que font les thérapeutes pour que nous
nous exprimions. « Quand je suis anxieuse et incertaine de la façon dont les
choses vont tourner, ou si j’ai une conversation difficile, ou si j’essaie du
nouveau ou que je fais une action qui me rend mal à l’aise ou m’expose à la
critique ou au jugement. » Une autre pause énervante et un hochement
empathique se poursuivent. « Quand je pense à tout l’amour que j’ai pour
mes enfants et Steve, et comment ma vie serait terminée s’il leur arrivait
quelque chose. Quand je vois les gens que j’aime aux prises avec des
difficultés que je ne peux ni réparer ni améliorer, tout ce que je peux faire,
c’est être avec eux. »
« Je vois. »
« Je ressens cela lorsque j’ai peur parce que les choses vont trop bien.
Ou qu’elles sont trop menaçantes. J’aimerais vraiment que ce soit exquis,
mais présentement c’est insoutenable. Les gens peuvent-ils y changer
quelque chose ? »
« Oui, je crois qu’ils le peuvent. »
« Pouvez-vous me donner un devoir ou autre chose ? Dois-je revoir les
données ? »
« Ni données ni devoir. Pas de travail scolaire ni d’étoiles dorées ici.
Penser moins. Ressentir plus. »
« Puis-je parvenir à exquis sans avoir à me sentir vraiment vulnérable
dans le processus ? »
« Non. »
« Eh bien, merde. C’est tout simplement épatant. »

Si vous ne savez rien de moi d’après mes autres livres, mon blog ou les
vidéos TED qui ont une circulation virale en ligne, laissez-moi vous mettre
à jour. Si, par ailleurs, vous vous sentez déjà un peu nauséeux à la seule
mention d’un thérapeute, sautez ce chapitre au complet et allez directement
à l’annexe qui traite de mon processus de recherche. J’ai passé ma vie
entière à tenter d’échapper à la vulnérabilité et à la déjouer. Je suis une
Texane de la cinquième génération dont la devise est « verrouiller et
charger », alors je combats mon aversion pour l’incertitude et l’exposition
émotionnelle honnêtement (et génétiquement). Vers l’époque de l’école
intermédiaire1, soit le moment où la plupart d’entre nous commençons à
lutter contre la vulnérabilité, je me suis mise à développer et à affiner mes
talents d’évitement de la vulnérabilité.
Au fil du temps, j’ai tout essayé du numéro de la « bonne fille » avec ma
« prière de performer parfaitement » au « poète qui fume des clous de
girofle », à l’activiste en colère, à l’arriviste corporatif et à la fêtarde hors de
contrôle. De prime abord, cela peut sembler être des phases raisonnables du
développement, sinon prévisibles, mais elles étaient plus que cela pour moi.
Toutes mes phases étaient différentes armures qui m’empêchaient de
devenir trop impliquée et trop vulnérable. Chaque stratégie était érigée sur
la même prémisse : Garde chacun à bonne distance et prévois toujours une
stratégie de sortie.
Outre ma peur de la vulnérabilité, j’ai aussi hérité d’un cœur immense et
d’une empathie active. Alors, à la fin de ma vingtaine, j’ai quitté un poste
de direction chez AT&T, trouvé un emploi de serveuse et tenancière de bar,
et je suis retournée aux études pour devenir travailleuse sociale. Quand j’ai
remis ma démission à ma patronne chez AT&T, je n’oublierai jamais sa
réponse : « Laisse-moi deviner. Tu t’en vas pour devenir une travailleuse
sociale ou une VJ2 à l’émission Headbanger’s Ball de MTV ? »
Comme bien des gens attirés par le travail social, j’aimais l’idée de
réparer les gens et les systèmes. Après que j’ai obtenu mon diplôme de
baccalauréat (BSW3) et que je terminais ma maîtrise (MSW4), cependant,
j’ai réalisé qu’en travail social, il ne s’agissait pas de réparer. Cela
concernait et concerne encore surtout de contextualiser et de « saisir les
occasions ». Le travail social se résume surtout à se pencher vers l’inconfort
de l’ambiguïté et de l’incertitude, et à garder un espace ouvert à l’empathie
de sorte que les gens puissent trouver leur propre voie. En un mot,
embrouillé.
Comme je tâchais de figurer comment faire fonctionner une carrière en
travail social, j’ai été frappée par un énoncé de l’un de mes professeurs de
recherche. « Si vous ne pouvez pas le mesurer, cela n’existe pas. » Il a
expliqué qu’à l’encontre des autres cours du programme, la recherche est
axée sur la prédiction et le contrôle. J’étais époustouflée. Vous voulez dire
qu’au lieu de m’appuyer et de tenir, je pouvais passer ma carrière à prédire
et à contrôler ? J’avais trouvé ma vocation.
Ce que j’ai gardé de plus sûr de mon BSW, ma MSW et de mon Ph.D. en
travail social est ceci : la connexion est la raison pour laquelle nous sommes
ici. Nous sommes programmés pour nous connecter aux autres, c’est ce qui
confère un but et un sens à nos vies, et sans connexion, il y a de la
souffrance. Je voulais élaborer une recherche qui explique l’anatomie de la
connexion.
Étudier la connexion était une idée simple, mais avant de m’en rendre
compte, j’ai été détournée par les participants à ma recherche qui, lorsque
interrogés sur leurs relations les plus importantes et leurs expériences de
connexion, ne cessaient de parler de rupture, de trahison et de honte – la
peur de ne pas être digne d’une connexion réelle. Nous, les humains, avons
tendance à définir les choses par ce qu’elles ne sont pas, en particulier pour
nos expériences émotionnelles.
Donc, par accident, je suis devenue chercheuse de la honte et de
l’empathie, et j’ai passé six ans à développer une théorie qui explique ce
qu’est la honte, comment elle fonctionne, et comment nous cultivons la
résilience en réponse à notre croyance que nous ne sommes pas assez – que
nous ne sommes pas dignes d’amour et d’appartenance. En 2006, j’ai
réalisé qu’en plus de comprendre la honte, je devais en concevoir l’envers :
« Qu’ont en commun les gens qui sont le plus résilients face à la honte, qui
croient en leur valeur – je les appelle les Sans réserve – ? »
J’espérais ardemment que la réponse à cette question soit : « Ce sont des
chercheurs sur la honte. Pour être Sans réserve, vous devez en connaître un
bon bout sur la honte. » Mais j’avais tort. Comprendre la honte n’est qu’une
variable qui contribue à être Sans réserve, une manière de s’engager avec le
monde d’un endroit de valeur. Dans La grâce de l’imperfection, j’ai défini
dix « balises » pour vivre Sans réserve qui indiquent les tâches Sans réserve
à cultiver et en quoi elles aident à lâcher prise.
1. Cultiver l’authenticité : Lâcher prise sur ce que les autres
pensent.
2. Cultiver la compassion envers soi : Lâcher prise sur le
perfectionnisme.
3. Cultiver un esprit résilient : Lâcher prise sur l’engourdissement et
l’impuissance.
4. Cultiver la reconnaissance et la joie : Lâcher prise sur le manque
et la peur du noir.
5. Cultiver l’intuition et s’en remettre à la foi : Lâcher prise sur le
besoin de certitude.
6. Cultiver la créativité : Lâcher prise sur les comparaisons.
7. Cultiver le jeu et le repos : Lâcher prise sur l’épuisement comme
symbole de réussite et sur la productivité comme valeur de soi.
8. Cultiver le calme et l’immobilité : Lâcher prise sur l’angoisse
comme mode de vie.
9. Cultiver un travail porteur de sens : Lâcher prise sur le doute de
soi et les « devrais ».
10. Cultiver le rire, la chanson et la danse : Lâcher prise sur être cool
et « toujours en contrôle ».
En analysant les données, je me suis rendu compte que j’avais environ
deux sur dix dans ma propre vie quand il s’agit de vivre Sans réserve.
C’était personnellement désastreux. C’est arrivé quelques semaines avant
mon quarante et unième anniversaire, et a déclenché l’effondrement de ma
quarantaine. Il se trouve que comprendre intellectuellement ces enjeux n’est
pas synonyme de les vivre et de les aimer de tout cœur.
J’ai écrit en détail dans La grâce de l’imperfection ce que signifie être
Sans réserve et la dépression le réveil spirituel qui a suivi cette réalisation.
Mais je veux ici partager la définition de vivre Sans réserve et les cinq
thèmes les plus importants qui sont issus des données et m’ont menée aux
percées dont je fais part dans ce livre. Vous aurez alors une idée de ce qui
va suivre.
Vivre Sans réserve signifie s’engager dans notre vie avec dignité. C’est
cultiver le courage, la compassion, la connexion et pouvoir se lever le matin
en pensant : Peu importe ce qui sera fait et combien ne le sera pas encore,
je suis à la hauteur. C’est aller au lit le soir en se disant : Oui, je suis
imparfait et vulnérable, et même parfois effrayé, mais cela ne change rien
au fait que je suis également courageux, digne d’amour et d’appartenance.
Cette définition est basée sur ces idéaux fondamentaux :
1. L’amour et l’appartenance sont les besoins irréductibles de tous,
hommes, femmes et enfants. Nous sommes programmés pour la
connexion, c’est ce qui donne un but et un sens à notre vie.
L’absence d’amour, d’appartenance et de connexion engendre
toujours la souffrance.
2. Si l’on divise approximativement les hommes et les femmes que
j’ai interviewés en deux groupes – ceux qui ont un sens profond
de l’amour et de l’appartenance, et ceux qui luttent pour le
ressentir – il n’y a qu’une variable qui sépare les deux groupes.
Ceux qui se sentent aimables, qui aiment et qui connaissent
l’appartenance croient simplement qu’ils sont dignes d’amour et
d’appartenance. Leur vie n’est ni meilleure ni plus facile, ils
n’ont pas moins de problèmes avec la dépendance ou la
dépression, et ils n’ont pas survécu à moins de traumatismes, ou
de faillites, ou de divorces, mais au milieu de toutes ces luttes, ils
ont développé des pratiques qui leur permettent de s’accrocher à
la conviction qu’ils sont dignes d’amour, d’appartenance et
même de joie.
3. Une croyance solide en notre valeur n’arrive pas tout
bonnement – elle est cultivée lorsque nous comprenons les
balises comme étant des choix et des pratiques quotidiennes.
4. Le principal motif des hommes et des femmes Sans réserve est de
vivre une vie définie par le courage, la compassion et la
connexion.
5. Les personnes Sans réserve identifient la vulnérabilité comme
étant un catalyseur de courage, de compassion et de connexion.
En fait, la volonté d’être vulnérable est ressortie comme étant la
seule valeur la plus évidente partagée par toutes les femmes et
tous les hommes que je décrirais Sans réserve. Ils attribuent toute
chose – de leur réussite professionnelle à leur mariage et à leurs
plus fiers moments en tant que parents – à leur capacité d’être
vulnérables.
J’ai écrit sur la vulnérabilité dans mes livres précédents, en fait, il y a
même un chapitre à ce sujet dans ma dissertation. Dès le début de ma
recherche, embrasser la vulnérabilité s’est détaché comme une catégorie
importante. J’ai également compris les relations entre la vulnérabilité et les
autres émotions que j’ai étudiées. Mais dans ces livres précédents, j’ai
présumé que les relations entre la vulnérabilité et différentes notions comme
la honte, l’appartenance et la valeur étaient des coïncidences. Ce n’est
qu’après douze années5 à creuser de plus en plus profondément dans ce
travail que j’ai finalement compris le rôle qu’elle tient dans nos vies. La
vulnérabilité est le noyau, le cœur et le centre des expériences humaines
significatives.
Cette nouvelle information a créé un dilemme majeur pour moi
personnellement. D’une part, comment pouvez-vous parler de l’importance
de la vulnérabilité de manière honnête et sensée sans être vulnérable ?
D’autre part, comment pouvez-vous être vulnérable sans sacrifier votre
légitimité à titre de chercheuse ? En toute honnêteté, je crois que
l’accessibilité émotionnelle est un déclencheur de honte pour les chercheurs
et les universitaires. Très tôt dans notre formation, on nous enseigne qu’une
bonne distance et l’inaccessibilité contribuent au prestige, et que si vous
êtes trop approchable, vos diplômes sont remis en question. Bien qu’être
qualifié de pédant soit une insulte dans presque tous les milieux, dans la
tour d’ivoire on nous enseigne à porter l’étiquette pédant comme une
armure.
Comment risquerais-je d’être vraiment vulnérable et de raconter des
histoires sur mon propre parcours boiteux au cours de cette recherche sans
paraître instable ? Et qu’en est-il de mon armure professionnelle ?
Mon moment « d’oser avec audace », comme Theodore Roosevelt a
enjoint les citoyens de faire, est venu en juin 2010 quand j’ai été invitée à
parler à TEDxHouston, qui est l’un des nombreux événements organisés
indépendamment sur le modèle de TED – un organisme sans but lucratif qui
s’intéresse aux domaines de la technologie, du divertissement et du design,
et se consacre aux « Idées dignes de diffusion ». TED et ses organisateurs
rassemblent « les penseurs et les gens d’action les plus fascinants au
monde » et les mettent au défi de donner le discours de leur vie en dix-huit
minutes ou moins.
Les programmateurs de TEDxHouston étaient différents de tous les
organisateurs d’événements que j’ai connus. Convoquer un chercheur sur la
honte et la vulnérabilité rend les organisateurs quelque peu nerveux et en
oblige quelques-uns à devenir normatifs quant au contenu de la conférence.
Quand j’ai demandé aux gens de TEDx de quoi ils voulaient que je parle, ils
ont répondu : « Nous aimons votre travail. Parlez de n’importe quoi qui
vous fait sentir extraordinaire. Faites votre affaire. Nous sommes
reconnaissants de partager la journée avec vous. » En réalité, je ne sais pas
comment ils ont pris la décision de me laisser faire mon affaire, parce
qu’avant cette conférence, je ne savais pas que j’avais une affaire.
J’aimais la liberté de cette invitation et je la détestais. De nouveau je
faisais chevaucher la tension entre me laisser aller à l’inconfort et trouver
refuge chez mes vieux amis : la prévisibilité et le contrôle. J’ai décidé d’y
aller. En vérité, je n’avais aucune idée de ce dans quoi je m’embarquais.
Ma décision d’oser avec audace ne provenait pas tant de ma confiance en
moi que de la foi dans ma recherche. Je sais que je suis une bonne
chercheuse et je savais que les conclusions que j’avais tirées des données
étaient valides et fiables. La vulnérabilité m’emmènerait là où je voulais ou
là où j’avais besoin d’aller. Je me suis aussi convaincue que ce n’était pas
vraiment une grosse affaire. C’est Houston, une foule de mon patelin. Dans
le pire des cas, cinq cents et quelques personnes regardant la transmission
en direct vont penser que je suis folle.
Le matin suivant la conférence, je me suis réveillée avec le pire
lendemain de veille de vulnérabilité de ma vie. Vous savez, ce sentiment au
réveil quand tout semble bien aller et que le souvenir de vous être ouverte
vous envahit et vous voulez vous cacher sous les couvertures ? Qu’est-ce
que j’ai fait ? Cinq cents personnes croient officiellement que je suis folle et
c’est merdique. J’ai oublié de mentionner deux choses importantes. Est-ce
qu’une de mes diapositives portait le mot dépression pour renforcer
l’histoire que je n’aurais pas dû dire en premier lieu ? Je dois quitter la
ville.
Mais il n’y avait nulle part où m’enfuir. Six mois après la conférence,
j’ai reçu un courriel des programmateurs de TEDxHouston me félicitant
parce que ma conférence allait être offerte au site Web principal de TED. Je
savais que c’était une bonne chose, un honneur convoité même, mais j’étais
terrifiée. Premièrement, je me faisais à peine à l’idée que « seulement » cinq
cents personnes me croyaient folle. Deuxièmement, dans une culture
peuplée de critiques et de cyniques, je m’étais toujours sentie plus en
sécurité dans ma carrière en volant sous le radar. En rétrospective, je ne suis
pas certaine de la façon dont j’aurais répondu à ce courriel si j’avais su
qu’avoir une vidéo devenir virale sur la vulnérabilité et l’importance de se
laisser être vu me ferait me sentir si inconfortablement (et ironiquement)
vulnérable et exposée.
Aujourd’hui, cette conférence est l’une des plus visionnées sur
TED.com, avec plus de cinq millions d’accès et des traductions offertes en
trente-huit langues. Je ne l’ai jamais regardée. Je suis contente de l’avoir
fait, mais ça me rend encore réellement mal à l’aise.
De la façon que je le vois, 2010 a été l’année de la conférence
TEDxHouston et 2011 a été celle de joindre l’action à la parole,
littéralement. J’ai traversé le pays en parlant à des groupes allant
d’entreprises Fortune 500 à des conseillers de leadership, et des militaires, à
des avocats, des groupes de parents et des commissions scolaires. En 2012,
j’ai été invitée à donner une autre conférence au centre principal de TED à
Long Beach, Californie. Pour moi, la conférence de 2012 était l’occasion de
présenter le travail qui a littéralement été le fondement et le tremplin de
toute ma recherche – j’ai parlé de la honte et de comment nous devons la
comprendre et y travailler si nous voulons réellement oser avec audace.
L’expérience de partager ma recherche m’a amenée à écrire ce livre. À la
suite de discussions avec mon éditeur au sujet de la possibilité d’un livre sur
les affaires et/ou d’un livre sur la parentalité, plus un livre pour les
enseignants, j’ai réalisé que le besoin se limitait à un seul livre parce que,
peu importe où j’allais ou avec qui je parlais, les problèmes fondamentaux
étaient les mêmes : la peur, le désengagement et le désir de plus de courage.
Mes conférences d’entreprise portent presque toujours sur le leadership
inspiré ou sur la créativité et l’innovation. Les problèmes les plus
significatifs dont chacun me parle, des cadres supérieurs aux dirigeants,
découlent du désengagement, de l’absence de rétroaction, de la peur de
demeurer pertinent au sein du changement rapide et du besoin de clarté des
objectifs. Si nous voulons rallumer l’innovation et la passion, nous devons
réhumaniser le travail. Lorsque la honte devient un style de gestion,
l’engagement meurt. Lorsque l’échec n’est pas une option, nous pouvons
oublier l’apprentissage, la créativité et l’innovation.
Quand il s’agit de parentage, la pratique de classer les mères et les pères
comme étant bons ou mauvais est à la fois répandue et corrosive, et elle
situe le parentage sur le terrain miné de la honte. La véritable question pour
les parents devrait être : « Êtes-vous engagés ? Portez-vous attention ? » Si
c’est le cas, prévoyez faire des tas d’erreurs et prendre de mauvaises
décisions. Les moments de parentage imparfait se transforment en cadeaux
quand nos enfants nous regardent tenter de trouver ce qui a dévié et ce que
nous pouvons faire de mieux la prochaine fois. Le mandat n’est pas d’être
parfaits et d’élever des enfants heureux. La perfection n’existe pas et j’ai
découvert que ce qui rend les enfants heureux ne les prépare pas toujours à
être des adultes courageux et engagés. La même chose s’applique aux
écoles. Je n’ai pas rencontré un seul problème qui n’est pas attribué à une
combinaison de désengagement des parents, des enseignants, de
l’administration et/ou des élèves, et au conflit des intervenants en
concurrence luttant pour définir un objectif.
J’ai constaté que le défi le plus difficile et le plus satisfaisant de mon
travail consiste à être à la fois cartographe et voyageuse. Mes cartes, ou mes
théories, sur la résilience à la honte, la sincérité Sans réserve et la
vulnérabilité n’ont pas été tirées des expériences de mes propres voyages,
mais des données que j’ai recueillies au cours des douze dernières années –
les expériences de milliers d’hommes et de femmes qui forgent des voies
dans la direction où moi-même et bien d’autres voulons amener nos vies.
Au fil des ans, j’ai appris qu’un cartographe précautionneux et confiant
ne fait pas un voyageur rapide. Je trébuche et je tombe, et je me retrouve
toujours à changer de parcours. Et même si je tente de suivre une carte que
j’ai tracée, bien des fois, la frustration et le doute prennent le dessus, alors
je froisse la carte et je l’enfonce dans le tiroir fourre-tout de la cuisine. Ce
n’est pas un trajet facile de l’insoutenable à l’exquis, mais pour moi, chaque
pas en a valu la peine.
Ce que nous partageons tous, ce sur quoi j’ai passé les dernières années à
m’entretenir avec des dirigeants, des parents et des éducateurs, est la vérité
qui forme le cœur de ce livre : Ce que nous savons importe, mais qui nous
sommes importe davantage.
Être plutôt que savoir nécessite de se présenter et de se laisser voir. Cela
nécessite d’oser avec audace, d’être vulnérable. La première étape de cette
aventure est de comprendre où nous sommes, à quoi nous sommes
confrontés et où nous devons aller. Je crois que nous pouvons le faire au
mieux en examinant notre culture du « jamais assez » omniprésente.

1 - Le système scolaire américain.


2 - Video Jockey.
3 - Bachelor of Social Work - Baccalauréat en travail social.
4 - Master of Social Work - Maîtrise en travail social.
5 - Note de Béliveau éditeur : Toutes les dates et années citées à l’intérieur de ce livre sont en
référence au moment où l’auteure l’a écrit en anglais.
Chapitre 1

L’insuffisance

un regard sur notre culture

du « jamais assez »

Après avoir fait ce travail au cours des douze dernières années et avoir
observé l’insuffisance bafouer nos familles, nos organisations et nos
communautés, je dirais que nous avons une chose en commun : nous
sommes dégoûtés d’avoir peur. Nous voulons oser avec audace. Nous
sommes fatigués de la conversation à l’échelle nationale axée sur « Que
devrions-nous craindre ? » et « Qui devrions-nous blâmer ? » Nous voulons
tous être braves.

«V ous ne pouvez pas balancer un chat sans frapper un narcissique. »


Je vous l’accorde, ce n’était pas mon moment le plus éloquent sur scène.
Je n’avais pas non plus l’intention d’offenser quiconque, mais quand je suis
vraiment en feu ou frustrée, j’ai tendance à reprendre la langue qui m’a été
léguée par les générations antérieures de Texans. Je balance des chats, les
choses me restent en travers de la gorge et je suis « en train de me défaire ».
Ces régressions surviennent normalement quand je suis en famille ou avec
des amis, mais à l’occasion, quand je me sens irritable, elles m’échappent
alors que je suis sur scène.
J’ai entendu et utilisé l’expression « balancer un chat » toute ma vie, et
je n’avais jamais pensé que plusieurs parmi les milliers de spectateurs
nombreux m’imaginaient frapper des gens imbus d’eux-mêmes avec un vrai
félin. À ma défense, en réponse à de nombreux courriels envoyés par des
membres du public qui croyaient que la cruauté envers les animaux ne
cadrait pas avec mon message de vulnérabilité et de connexion, j’ai appris
que l’expression n’avait rien à voir avec les animaux. C’est en fait une
référence de la Marine britannique à la difficulté de se servir d’un chat à
neuf queues6 dans les quartiers étroits d’un navire. Je sais. Pas formidable
non plus.
Dans cet exemple en particulier, « balancer un chat » a été déclenché
lorsqu’une femme dans l’audience a crié : « Les jeunes de nos jours croient
qu’ils sont si spéciaux. Qu’est-ce qui fait que tant de gens se tournent vers
le narcissisme ? » Ma réponse moins que brillante frôla l’impertinence :
« Ouais, vous ne pouvez pas balancer un chat sans frapper un narcissique. »
Mais cela provient d’une frustration que je ressens quand j’entends le terme
narcissisme utilisé à tort et à travers. Facebook est tellement narcissique.
Pourquoi les gens croient-ils que ce qu’ils font est si important ? Les jeunes
aujourd’hui sont tous narcissiques. C’est toujours moi, moi, moi. Ma
patronne est tellement narcissique. Elle se pense meilleure que tout le
monde et est toujours en train de dénigrer les gens.
Et tandis que les profanes utilisent le narcissisme comme fourre-tout
diagnostique, allant de l’arrogance au comportement grossier, les
chercheurs et les professionnels qui les assistent vérifient l’élasticité du
concept de toutes les manières imaginables. Récemment, un groupe de
chercheurs a mené une analyse informatique de chansons à succès sur trois
décennies. Ils ont observé une tendance statistiquement significative vers le
narcissisme et l’hostilité dans la musique populaire. Conformément à leur
hypothèse, ils ont constaté une diminution de l’usage du nous et une
augmentation de l’usage du je et du moi.
Les chercheurs ont également rapporté un déclin des mots liés à la
connexion sociale et aux émotions positives, et une augmentation pour les
termes liés à la colère et au comportement antisocial, comme haïr et tuer.
Deux des chercheurs de cette étude, Jean Twenge et Keith Campbell,
auteurs du livre The Narcissism Epidemic, font valoir que l’incidence du
trouble de la personnalité narcissique a plus que doublé aux États-Unis au
cours des dix dernières années.
D’après une autre délicieuse expression de ma grand-mère, on dirait que
le monde s’en va en enfer dans un panier à main.
Ou est-ce le cas ? Sommes-nous entourés de narcissiques ? Sommes-
nous devenus une culture de gens égocentriques et grandiloquents qui ne
s’intéressent qu’au pouvoir, au succès, à la beauté et à être spéciaux ? Nous
accordons-nous tellement de droits que nous nous croyons vraiment
supérieurs même lorsque nous ne contribuons pas vraiment à quelque chose
de valeur ou que nous n’en accomplissons pas ? Est-il vrai qu’il nous
manque l’empathie nécessaire pour être des personnes compatissantes,
connectées ?
Si vous êtes comme moi, vous sourcillez un peu et vous pensez : Oui.
C’est exactement le problème. Il ne s’agit pas de moi, évidemment. Mais en
général… ça me semble assez juste !
Ça fait du bien d’avoir une explication, surtout quand elle nous fait
sentir mieux à propos de nous-mêmes et qu’elle jette le blâme sur ces
personnes. En fait, quand j’entends les gens revendiquer l’argument du
narcissisme, il est normalement accompagné de mépris, de colère et de
jugement. Pour être honnête, j’ai même ressenti ces émotions quand j’ai
écrit ce paragraphe.
Notre première tendance est de guérir « les narcissiques » en les
remettant à leur place. Peu importe à qui je parle, aux enseignants, aux
parents, aux PDG ou à mes voisins, la réponse est la même : Ces
égomaniaques ont besoin d’apprendre qu’ils ne sont pas spéciaux, qu’ils ne
sont pas si formidables, qu’ils n’ont droit à rien et qu’ils doivent
redescendre sur terre. On se fout d’eux. (C’est la version Pour tous.)
Voici quand cela devient épineux. Et frustrant. Et même un peu
déchirant. Le sujet du narcissisme a pénétré la conscience sociale
suffisamment pour que la plupart des gens l’associent à juste titre à un
modèle de comportements qui inclut la grandiosité, un besoin omniprésent
d’admiration et une absence d’empathie. Ce que presque personne ne
comprend est comment chaque degré de gravité de ce diagnostic est sous-
tendu par la honte. Ce qui signifie qu’on ne le « guérit pas » en ramenant les
gens à une dimension plus humble et en leur rappelant leurs faiblesses et
leur petitesse. La honte est plus susceptible d’être la cause plutôt que le
remède à ces comportements.

► REGARDER LE NARCISSISME PAR LA LENTILLE DE LA


VULNÉRABILITÉ

Diagnostiquer et étiqueter les gens dont les difficultés sont plus


environnementales ou acquises que génétiques ou organiques est souvent
beaucoup plus nuisible qu’utile à la guérison et au changement. Et lorsque
nous avons une épidémie sur les bras, à moins qu’il ne s’agisse de quelque
chose de physiquement contagieux, la cause est beaucoup plus susceptible
d’être environnementale qu’une question de câblage. Étiqueter le problème
de manière à ce qu’il révèle qui sont ces gens plutôt que les choix qu’ils
font nous déresponsabilise tous. Tant pis. C’est ce que je suis. Je crois
fermement à tenir les gens responsables de leurs comportements, je ne parle
donc pas de « blâmer le système » ici. Je parle de comprendre la cause
profonde de manière à aborder les problèmes.
Il est souvent utile de reconnaître les modèles de comportements et de
comprendre ce qu’ils peuvent indiquer, mais c’est très différent d’être défini
par un diagnostic, ce qui selon moi, et la recherche le démontre, exacerbe
souvent la honte et empêche les gens de chercher de l’aide.
Il nous faut comprendre ces tendances et ces influences, mais je trouve
beaucoup plus utile, et même transformateur dans bien des cas, d’examiner
les modèles de comportements par la lentille de la vulnérabilité. Par
exemple, lorsque je regarde le narcissisme à travers la lentille de la
vulnérabilité, je vois la peur d’être ordinaire fondée sur la honte. Je vois
la crainte de ne jamais se sentir assez extraordinaire pour être remarqué,
être aimable, pour appartenir ou pour cultiver le sens d’avoir un but.
Parfois, le simple fait d’humaniser les problèmes jette un éclairage
important sur eux, un éclairage qui s’éteint souvent dès qu’une étiquette
stigmatisante est appliquée.
Cette nouvelle définition du narcissisme offre une certaine clarté et elle
éclaire tant la source du problème que les solutions possibles. Je peux voir
exactement comment et pourquoi davantage de gens luttent afin de trouver
comment croire que ce qu’ils sont est suffisant. Je vois partout le message
culturel qui dit qu’une vie ordinaire est une vie insignifiante. Et je vois que
les enfants qui grandissent avec une ration régulière de téléréalité, de
culture de la célébrité et de médias sociaux non supervisés peuvent absorber
ce message et développer un sens absolument biaisé du monde. Je vaux
seulement le nombre de « likes » que je reçois sur Facebook ou Instagram.
Parce que nous sommes tous vulnérables au message qui alimente ces
comportements, cette nouvelle lentille élimine l’élément du nous-contre-
ces-satanés-narcissiques. Je sais que le profond désir de croire que ce que je
fais importe et comme il est facile de le confondre avec l’ambition d’être
extraordinaire. Je sais combien il est séduisant d’utiliser le critère de la
culture de la célébrité pour mesurer la petitesse de nos vies. Je comprends
aussi comment la grandiosité, le sentiment que tout nous est dû et la
recherche d’admiration semblent le baume approprié pour soulager la
souffrance d’être trop ordinaires et inadéquats. Oui, ces pensées et ces
comportements finissent par causer plus de souffrance et plus de
déconnexions, mais quand on a mal et que l’amour et l’appartenance sont
en jeu, nous prenons ce que nous croyons qui nous offrira la meilleure
protection.
Il y a assurément des exemples où un diagnostic peut être nécessaire si
nous voulons trouver le bon traitement, mais je ne peux penser à un seul
exemple où l’on ne bénéficie pas d’examiner également la lutte par la
lentille de la vulnérabilité. On peut toujours apprendre quelque chose en
réfléchissant aux questions suivantes :
1. Quels sont les messages et les attentes qui définissent notre
culture et comment la culture influence-t-elle nos
comportements ?
2. Comment nos luttes et nos comportements sont-ils liés à nous
protéger nous-mêmes ?
3. Comment nos comportements, nos pensées et nos émotions sont-
ils liés à la vulnérabilité et au besoin d’un profond sentiment de
notre valeur ?
Si nous retournons à la question antérieure à savoir si oui ou non nous
sommes entourés de gens ayant le trouble de la personnalité narcissique, ma
réponse est non. Une puissante influence culturelle sévit présentement et je
crois que la peur d’être ordinaires en fait partie, mais je crois aussi qu’elle
est plus profonde que cela. Pour trouver la source, nous devons aller au-delà
des injures et de l’étiquetage.
Nous avons posé ici la lentille de la vulnérabilité sur quelques
comportements spécifiques, mais si nous regardons aussi large que possible,
la perspective change. Nous ne perdons pas de vue les problèmes dont nous
avons discuté, mais nous les voyons intégrés dans un paysage plus vaste, ce
qui nous permet d’identifier exactement la plus grande influence culturelle
de notre temps – l’environnement qui explique non seulement que tout le
monde dénonce une épidémie de narcissisme, mais qui offre aussi une vue
panoramique des pensées, des comportements et des émotions qui changent
lentement qui nous sommes et comment nous vivons, aimons, travaillons,
dirigeons, sommes parents, gouvernons, enseignons et connectons les uns
avec les autres. Cet environnement dont je parle est notre culture de
l’insuffisance.

► L’INSUFFISANCE : LE PROBLÈME DU « JAMAIS ASSEZ »


Un aspect essentiel de mon travail est de trouver un langage qui
représente précisément les données et qui résonne profondément chez les
participants. Je sais que je rate la cible quand ils font semblant de
comprendre, ou s’ils répondent à mes termes et définitions par « euh » ou
« ça semble intéressant ». Étant donné les sujets que j’étudie, je sais que je
suis sur une bonne piste quand les gens regardent au loin, qu’ils se couvrent
le visage de leurs mains, ou qu’ils répondent « ouch », « taisez-vous » ou
« sortez de ma tête ». Cette dernière réplique est normalement la façon dont
les gens répondent quand ils entendent ou voient l’expression suivante :
Jamais assez________. Il ne faut que quelques secondes avant qu’ils
remplissent les espaces avec leurs propres cassettes.
Jamais assez bon.
Jamais assez parfait.
Jamais assez mince.
Jamais assez puissant.
Jamais assez performant.
Jamais assez intelligent.
Jamais assez certain.
Jamais assez en sécurité.
Jamais assez extraordinaire.
Nous obtenons l’insuffisance parce que nous la vivons.
L’une de mes auteures favorites sur l’insuffisance est l’activiste
mondiale et stratégiste de collecte de fonds Lynne Twist. Dans son livre The
Soul of Money, elle parle de l’insuffisance comme étant « le grand
mensonge ». Elle écrit :

Pour moi, et pour nombre d’entre nous, notre première pensée au réveil
est « je n’ai pas assez dormi ». La suivante est « je n’ai pas assez de
temps. » Que ce soit vrai ou pas, cette pensée de pas assez nous vient
automatiquement avant même que l’on songe à la questionner ou à
l’examiner. Nous passons le plus clair des heures et des jours de notre
vie à écouter, expliquer, déplorer, ou à nous inquiéter de ce que nous
n’avons pas suffisamment… Avant même de nous asseoir sur notre lit,
avant que nos pieds ne touchent le sol, nous sommes déjà inadéquats,
déjà en retard, déjà perdants, déjà en manque de quelque chose. Et
quand vient le temps d’aller au lit le soir, notre esprit défile une litanie
de ce que nous n’avons pas obtenu, ou pas fait ce jour-là. Nous nous
endormons épuisés sous le fardeau de ces pensées et nous éveillons à
cette rêverie du manque... Cette condition intérieure de l’insuffisance,
cet état d’esprit de l’insuffisance, réside au cœur même de nos jalousies,
de notre cupidité, de nos préjudices, et de nos disputes avec la vie... (43-
45).
L’insuffisance (scarcity) est le problème du « jamais assez ». Le mot
scarce provient du vieux français normand scars, qui signifie « réduit en
quantité » (c. 1300). L’insuffisance se développe dans une culture où tout le
monde est hyper-conscient du manque. Tout, de la sécurité à l’amour, à
l’argent et aux ressources semble restreint ou manquant. Nous passons des
quantités de temps démesurées à calculer combien nous avons, voulons et
n’avons pas, et combien tous les autres possèdent, ont besoin et veulent.
Ce qui fait que cette évaluation et cette comparaison constantes sont si
autodestructrices est que nous comparons souvent nos vies, nos mariages,
nos familles et nos communautés à des versions de perfection
inatteignables, véhiculées par les médias, ou nous mesurons notre réalité
contre notre propre récit fictif de la réussite de quelqu’un d’autre. La
nostalgie est aussi une forme de comparaison dangereuse. Pensez à combien
de fois nous comparons nous-mêmes et nos vies à un souvenir que la
nostalgie a tellement changé qu’il n’a jamais réellement existé. « Souviens-
toi quand… » « C’était le bon temps… »

► LA SOURCE DE L’INSUFFISANCE
L’insuffisance ne se répand pas dans une culture du jour au lendemain.
Mais le sens de l’insuffisance grandit dans des cultures sujettes à la honte
qui sont profondément engagées dans la comparaison et fracturées par le
désengagement. (Par une culture sujette à la honte, je n’entends pas que
nous sommes honteux de notre identité collective, mais que nous sommes
assez nombreux aux prises avec l’enjeu de la valeur qui façonne notre
culture.)
Au cours des dix dernières années, j’ai été témoin de changements
majeurs dans l’esprit du temps de notre pays. Je l’ai vu dans les données et,
honnêtement, je l’ai vu dans le visage des gens que je rencontre, que
j’interroge et à qui je parle. Le monde n’a jamais été un endroit facile, mais
la dernière décennie a été traumatisante pour tant de gens qu’elle a
provoqué des changements dans notre culture. Depuis le 11 septembre
2001, les nombreuses guerres et la récession aux désastres naturels
catastrophiques et à l’augmentation de la violence gratuite et des tueries
dans les écoles, nous avons survécu et survivons encore à des événements
qui ont mis en pièces notre sentiment de sécurité avec une telle force que
nous les avons vécus comme des traumas même sans être directement
impliqués. Et quand il s’agit du nombre ahurissant de ceux qui sont sans
emploi ou en sous-emploi, je crois que chacun d’entre nous a été touché
directement ou de près par quelqu’un dans cette situation.
S’inquiéter de l’insuffisance est notre version culturelle du stress post-
traumatique. Cela survient quand nous en avons trop fait, et plutôt que de
nous réunir pour guérir (ce qui exige de la vulnérabilité), nous sommes en
colère, apeurés et à couteaux tirés. Ce n’est pas seulement la culture élargie
qui souffre : j’ai trouvé que la même dynamique se produit dans la culture
familiale, la culture du travail, la culture scolaire et la culture
communautaire. Et elles partagent toutes la même formule de honte, de
comparaison et de désengagement. L’insuffisance se reproduit dans ces
conditions et se perpétue jusqu’à ce qu’une masse critique de gens
commencent à faire des choix différents et qu’ils refaçonnent les cultures
plus modestes auxquelles ils appartiennent.
Une façon de concevoir les trois éléments de l’insuffisance et la manière
dont ils influencent la culture est de réfléchir aux questions suivantes. En
lisant les questions, il est utile de garder en tête toute culture ou système
social où vous appartenez, que ce soit votre classe, votre famille, votre
communauté ou peut-être votre équipe de travail.
1. La honte : La peur du ridicule ou d’être dénigré est-elle utilisée
pour gérer les gens et/ou les garder à leur place ? L’estime de soi
est-elle liée à l’accomplissement, à la productivité ou à la
conformité ? Le blâme et l’accusation sont-ils la norme ?
L’humiliation et les insultes sont-elles généralisées ? Et le
favoritisme ? Le perfectionnisme est-il un enjeu ?
2. La comparaison : Une saine compétition peut être bénéfique,
mais y a-t-il constamment une comparaison et un classement
ouverts ou cachés ? La créativité est-elle étouffée ? Les gens
sont-ils tenus à une norme étroite plutôt qu’être reconnus pour
leurs talents uniques et leurs contributions ? Y a-t-il une manière
d’être idéale ou une forme de talent qui sert à mesurer la valeur
de tous les autres ?
3. Le désengagement : Les gens ont-ils peur de prendre des risques
ou d’essayer de nouvelles choses ? Est-il plus facile de rester
tranquille que de raconter des histoires, des expériences et des
idées ? Semble-t-il que personne ne porte attention ou n’écoute ?
Chacun peine-t-il à être vu et entendu ?
Quand je regarde ces questions et que je pense à notre culture élargie,
aux médias et au paysage socio-économique-politique, ma réponse est OUI,
OUI et OUI !
Quand je pense à ma famille dans le contexte de ces questions, je sais
que ce sont exactement les enjeux que mon mari, Steve, et moi-même
tâchons de surmonter chaque jour. J’emploie le mot surmonter parce que
pour entretenir une relation, ou élever une famille, ou créer une culture
organisationnelle, ou diriger une école, ou inspirer une communauté
confessionnelle, tout cela d’une façon diamétralement opposée aux normes
culturelles induites par l’insuffisance, il faut de la conscience, de
l’engagement et du travail… chaque jour. La culture élargie applique
constamment de la pression, et à moins que nous soyons prêts à la repousser
et à nous battre pour ce en quoi nous croyons, y faire défaut devient un état
d’insuffisance. Nous sommes appelés à « oser avec audace » chaque fois
que nos choix défient le climat social de l’insuffisance.
L’approche contraire à vivre dans l’insuffisance n’est pas l’abondance.
En fait, je crois que l’abondance et l’insuffisance sont les deux côtés de la
même pièce. Le contraire de « jamais assez » n’est pas l’abondance ou
« plus que vous ne pouvez l’imaginer ». Le contraire de l’insuffisance est
assez, ou ce que j’appelle la sincérité. Comme je l’ai expliqué dans
l’introduction, il existe de nombreux principes de sincérité, mais au cœur
même de celle-ci, il y a la vulnérabilité et la valeur : faire face à
l’incertitude, à l’exposition et aux risques émotionnels, et savoir que je suis
assez.
Si vous revenez aux trois groupes de questions sur l’insuffisance que je
viens d’inscrire et que vous vous demandez si vous seriez prêt à être
vulnérable ou à oser avec audace dans toute occasion définie par ces
valeurs, la réponse pour la plupart d’entre nous est un non retentissant. Si
vous vous demandez si ces conditions conduisent à cultiver la valeur, la
réponse est encore non. Les plus grandes victimes de la culture de
l’insuffisance sont notre volonté d’assumer nos vulnérabilités et notre
capacité à nous engager avec le monde à partir d’un lieu de valeur.
Après avoir fait ce travail au cours des douze dernières années et avoir
observé l’insuffisance bafouer nos familles, nos organisations et nos
communautés, je dirais qu’une chose que nous avons en commun : nous
sommes dégoûtés d’avoir peur. Nous voulons tous être braves. Nous
voulons oser avec audace. Nous sommes fatigués de la conversation à
l’échelle nationale axée sur « Que devrions-nous craindre ? » et « Qui
devrions-nous blâmer ? »
Au prochain chapitre, nous parlerons des mythes de la vulnérabilité qui
nourrissent l’insuffisance et de la manière dont le courage commence en
nous présentant et en nous laissant être vus.
6 - Un martinet, un fouet.
Chapitre 2

Briser les mythes


de la vulnérabilité

Oui, nous sommes totalement exposés lorsque nous sommes vulnérables.


Oui, nous sommes dans la chambre des tortures que nous appelons
l’incertitude. Et, oui, nous prenons un énorme risque émotionnel lorsque
nous nous permettons d’être vulnérables. Mais il n’existe aucune équation
où prendre des risques, braver l’incertitude et nous ouvrir à l’exposition
émotionnelle équivaut à de la faiblesse.

MYTHE NO 1 : « LA VULNÉRABILITÉ EST UNE FAIBLESSE »


La perception selon laquelle la vulnérabilité est une faiblesse est le
mythe le plus largement accepté à propos de la vulnérabilité et le plus
dangereux. Quand nous passons notre vie à repousser et à nous protéger de
nous sentir vulnérables ou d’être perçus comme étant trop émotionnels,
nous ressentons du mépris quand les autres sont moins capables ou désireux
de masquer leurs sentiments, de les réprimer et de persévérer. Nous en
sommes au point où, plutôt que de respecter et d’apprécier le courage et
l’audace derrière la vulnérabilité, nous laissons notre peur et notre malaise
devenir jugement et critique.
La vulnérabilité n’est ni bonne ni mauvaise. Ce n’est pas ce que nous
appelons une émotion sombre, pas plus que c’est toujours une expérience
légère, positive. La vulnérabilité est le cœur de toutes les émotions et de
tous les sentiments. Ressentir est être vulnérable. Croire que la vulnérabilité
est faiblesse est croire que ressentir est faiblesse. Éliminer notre vie
émotionnelle à cause de la peur que les coûts en soient trop élevés consiste
à s’éloigner de la chose même qui donne un but et un sens à la vie.
Notre rejet de la vulnérabilité provient souvent de ce que nous
l’associons aux émotions sombres comme la peur, la honte, la peine, la
tristesse et la déception – des émotions dont nous ne voulons pas discuter,
même quand elles affectent profondément notre façon de vivre, d’aimer, de
travailler et même de diriger. Ce que la plupart d’entre nous ne
comprennent pas et que j’ai mis une décennie à apprendre est que la
vulnérabilité est aussi le berceau des émotions et des expériences que nous
désirons. La vulnérabilité est là où naissent l’amour, l’appartenance, la joie,
le courage, l’empathie et la créativité. C’est la source de l’espoir, de
l’empathie, de la responsabilité et de l’authenticité. Si nous voulons une
plus grande clarté de notre but ou une vie spirituelle plus profonde et
significative, la vulnérabilité est la voie.
Je sais que c’est difficile à croire, surtout si nous avons cru toute notre
vie que la vulnérabilité et la faiblesse sont synonymes, mais c’est vrai. Je
définis la vulnérabilité comme étant l’incertitude, le risque et
l’exposition émotionnelle. Avec cette définition en tête, réfléchissons à
l’amour. S’éveiller chaque jour et aimer quelqu’un qui peut ou ne peut pas
nous aimer en retour, dont nous ne pouvons pas assurer la sécurité, qui peut
rester dans notre vie ou nous quitter sans préavis, qui peut être loyal jusqu’à
sa mort ou nous trahir demain – c’est de la vulnérabilité. L’amour est
incertain. Incroyablement risqué. Et aimer quelqu’un nous laisse
émotionnellement exposés. Oui, c’est apeurant et, oui, nous sommes
ouverts à être blessés, mais pouvez-vous imaginer votre vie sans aimer ou
être aimé ?
Exposer notre art, nos écrits, nos photographies, nos idées dans le monde
sans aucune assurance d’être acceptés ou appréciés – c’est aussi de la
vulnérabilité. Nous laisser baigner dans les moments joyeux de notre vie
même si nous savons qu’ils sont fuyants, même si le monde nous dit de ne
pas être trop heureux, de peur d’inviter le désastre – c’est une forme intense
de vulnérabilité.
Le danger profond est que, comme je l’ai noté ci-dessus, nous nous
mettions à concevoir le fait de ressentir comme une faiblesse. À l’exception
de la colère (qui est une émotion secondaire qui ne sert que de masque
socialement acceptable pour les émotions sous-jacentes plus difficiles que
nous ressentons), nous perdons notre tolérance aux émotions et par
conséquent à la vulnérabilité.
Nous commençons à trouver un sens à notre rejet de la vulnérabilité
comme étant une faiblesse seulement lorsque nous réalisons que nous avons
confondu sentiment et échec, et émotions et responsabilités. Si nous
voulons reprendre la partie émotionnelle essentielle de notre vie et rallumer
notre passion et notre raison d’être, nous devons apprendre à posséder notre
vulnérabilité et à nous y engager, et à comment ressentir les émotions qui
l’accompagnent. Pour certains d’entre nous, c’est un nouvel apprentissage,
et pour d’autres, c’est réapprendre. D’une manière ou d’une autre, la
recherche m’a enseigné que le meilleur endroit pour commencer, c’est de
définir, de reconnaître et de comprendre la vulnérabilité.
Ce qui rend la définition de la vulnérabilité intime et personnelle, ce sont
les exemples mentionnés par les personnes à qui j’ai demandé de compléter
cette phrase : « La vulnérabilité est _____________________. » Voici
certaines réponses :
Partager une opinion impopulaire.
Me tenir debout pour moi-même.
Demander de l’aide.
Dire non.
Démarrer ma propre entreprise.
Aider mon épouse de 37 ans souffrant d’un cancer du sein au stade
4 à prendre des décisions testamentaires.
Prendre l’initiative d’une relation sexuelle avec ma femme.
Prendre l’initiative d’une relation sexuelle avec mon mari.
Entendre à quel point mon fils veut être le meilleur joueur de son
instrument dans l’orchestre et l’encourager tout en sachant que
cela ne se produira probablement pas.
Appeler un ami qui vient de perdre un enfant.
Inscrire maman à des soins palliatifs.
Le premier rendez-vous après mon divorce.
Dire « Je t’aime » en premier sans savoir si je suis aimée en retour.
Montrer quelque chose que j’ai écrit ou une création artistique que
j’ai faite.
Obtenir une promotion sans savoir si je vais réussir.
Me faire congédier.
Tomber en amour.
Essayer quelque chose de nouveau.
Emmener mon nouveau petit-ami à la maison.
Tomber enceinte après trois fausses couches.
Attendre le résultat d’une biopsie.
Épauler mon fils qui traverse un divorce difficile.
Faire de l’exercice en public surtout quand je ne sais pas ce que je
fais et que je ne suis pas en forme.
Admettre que j’ai peur.
Me présenter au marbre après avoir subi de nombreux retraits.
Annoncer à mon chef que nous ne bouclerons pas les salaires le
mois prochain.
Congédier des employés.
Présenter mes produits au monde et n’obtenir aucune réponse.
Prendre ma propre défense et celle de mes amis quand quelqu’un
d’autre critique ou fait des commérages.
Être responsable.
Demander pardon.
Avoir la foi.
Est-ce que ces phrases sonnent comme de la faiblesse ? Est-ce que se
porter au secours d’une personne en grande difficulté sonne comme une
faiblesse ? Accepter la responsabilité est-il faible ? Se présenter au marbre
après plusieurs retraits est-il un signe de faiblesse ? NON. La vulnérabilité
sonne comme la vérité et se ressent comme le courage. La vérité et le
courage ne sont pas toujours aisés, mais ils ne sont jamais de la faiblesse.
Oui, nous sommes totalement exposés lorsque nous sommes vulnérables.
Oui, nous sommes dans la chambre des tortures que nous appelons
l’incertitude. Et, oui, nous prenons un énorme risque émotionnel lorsque
nous nous permettons d’être vulnérables. Mais il n’existe aucune équation
où prendre des risques, braver l’incertitude et nous ouvrir à l’exposition
émotionnelle équivaut à de la faiblesse.
Quand nous avons posé la question : « Comment se ressent la
vulnérabilité ? », les réponses étaient également puissantes :
C’est retirer le masque et espérer que le vrai moi ne soit pas trop
décevant.
Ne plus encaisser.
C’est là où se rencontrent le courage et la peur.
Vous êtes à mi-chemin sur une corde raide, et avancer ou reculer
sont tout aussi terrifiants.
Des mains moites et un cœur qui s’emballe.
Apeurant et excitant, terrifiant et plein d’espoir.
Enlever une camisole de force.
Prendre une chance, une chance très élevée.
Faire le premier pas vers ce que vous redoutez le plus.
Être entièrement là.
Je me sens si bizarre et apeuré, mais ça me rend humain et vivant.
J’ai une boule dans la gorge et un nœud dans la poitrine.
Le bout terrifiant des montagnes russes quand on est sur le point
de basculer hors de la piste et qu’ensuite on plonge.
Liberté et libération.
On ressent la peur, chaque fois.
Panique, anxiété, peur et hystérie, suivies de liberté, de fierté et
d’étonnement – puis encore un peu de panique.
Exposer son ventre nu en face de l’ennemi.
Infiniment terrifiant et douloureusement nécessaire.
Je sais que cela survient quand je ressens le besoin de frapper
d’abord avant d’être frappé.
Ça ressemble à une chute libre.
C’est comme le moment entre entendre un coup de fusil et vouloir
vérifier si on est atteint.
Lâcher prise sur le contrôle.
Et la réponse apparue à maintes reprises dans nos tentatives de mieux
comprendre la vulnérabilité ? Nu.
La vulnérabilité est comme être nu sur scène et espérer des
applaudissements plutôt que des rires.
C’est être nu quand tous les autres sont entièrement vêtus.
Ça ressemble au rêve où l’on est nu. Vous êtes à l’aéroport et
flambant nu.
En discutant de la vulnérabilité, il est utile de consulter la définition et
l’étymologie du mot vulnérable. Selon le dictionnaire Merriam-Webster, le
mot vulnérabilité est dérivé du mot latin vulnerare qui signifie « blesser ».
La définition inclut « capable d’être blessé » et « ouvert à l’attaque ou aux
torts ». Merriam-Webster définit la faiblesse comme étant l’incapacité de
supporter l’attaque ou les blessures. D’une perspective uniquement
linguistique, il est évident qu’il s’agit de concepts très différents et, en fait,
on pourrait prétendre que la faiblesse provient souvent d’un manque de
vulnérabilité – lorsque nous ne reconnaissons pas comment et où nous
sommes sensibles, nous sommes davantage à risque d’être blessés.
La psychologie et la psychologie sociale ont produit des données très
probantes sur l’importance de reconnaître les vulnérabilités. Dans le
domaine de la psychologie de la santé, les études démontrent que la
vulnérabilité perçue, soit la capacité de reconnaître nos risques et notre
exposition, augmente de beaucoup nos chances d’adhérer à un certain
régime de santé positif. Afin d’amener les patients à se conformer à des
habitudes préventives, ils doivent travailler à la vulnérabilité perçue. Ce qui
rend le tout très intéressant est que la question cruciale ne porte pas sur
notre niveau réel de vulnérabilité, mais sur le niveau auquel nous
reconnaissons nos vulnérabilités au sujet d’une certaine maladie ou d’une
menace.
Dans le domaine de la psychologie sociale, les chercheurs en matière
d’influence et de persuasion, qui examinent comment les gens sont affectés
par la publicité et le marketing, ont mené une série d’études sur la
vulnérabilité. Ils ont constaté que les participants qui ne se croyaient ni
susceptibles ni vulnérables à la publicité mensongère étaient en fait les plus
vulnérables. L’explication des chercheurs pour ce phénomène est très
révélatrice : « Loin d’être un bouclier efficace, l’illusion de
l’invulnérabilité nuit à la réponse même qui aurait fourni une véritable
protection. »
L’une des expériences les plus anxiogènes de ma carrière a été de parler
à la Conférence TED de Long Beach, que j’ai mentionnée dans
l’introduction. Outre toutes les craintes normales associées au fait de
prononcer un discours filmé de dix-huit minutes devant un public très averti
avec de grandes attentes, j’étais la dernière conférencière de tout
l’événement. Pendant trois jours, j’ai regardé certaines des conférences les
plus étonnantes et provocantes que j’ai jamais vues.
Après chaque conférence, je me suis enfoncée un peu plus dans mon
siège en réalisant que, pour que mon discours « fonctionne », je devrai
abandonner d’essayer de faire comme tous les autres et je devrai me
connecter avec l’auditoire. Je voulais désespérément trouver un discours
que je pourrais copier ou utiliser comme modèle, mais les discours qui
résonnaient le plus fort pour moi ne suivaient pas de format, ils étaient
simplement vrais. Cela voulait dire que je devais être moi. Je devais être
vulnérable et ouverte. Je devais m’éloigner de mon texte et regarder les
gens dans les yeux. Je devais être nue. Et, oh mon Dieu, je déteste le nu.
J’ai des cauchemars récurrents à propos du nu.
Quand je me suis finalement rendue sur la scène, la première chose que
j’ai faite a été d’établir un contact visuel avec quelques personnes de
l’auditoire. J’ai demandé au régisseur d’allumer dans la salle pour que je
puisse voir les gens. J’avais besoin de me sentir connectée. Simplement voir
les gens comme des gens et non comme « l’auditoire » me rappelait que les
défis qui me font peur – comme être nue – font peur à tout le monde. Je
crois que c’est pourquoi on peut transmettre l’empathie sans dire un mot – il
suffit de regarder quelqu’un dans les yeux et de se voir soi-même reflété en
retour d’une manière engagée.
Durant ma conférence, j’ai posé deux questions à l’auditoire qui révèlent
tellement les nombreux paradoxes définissant la vulnérabilité. En premier,
j’ai demandé : « Combien d’entre vous ont de la difficulté à être vulnérables
parce que vous croyez que la vulnérabilité est une faiblesse ? » Des mains
se sont levées dans la salle. Puis j’ai demandé : « Quand vous avez regardé
des gens sur cette scène être vulnérables, combien d’entre vous ont pensé
que c’était courageux ? » De nouveau, des mains se sont levées.
Nous aimons voir la stricte vérité et l’ouverture chez les autres, mais
nous craignons de les laisser voir la même chose en nous. Nous craignons
que notre vérité ne suffise pas – que ce que nous avons à offrir n’est pas
suffisant sans les apparats, sans corrections et sans impression. J’avais peur
de marcher sur cette scène et de montrer au public mon moi ordinaire – ces
gens étaient trop importants, trop prospères et trop célèbres. Mon moi
ordinaire est trop brouillon, trop imparfait, trop imprévisible.
Voici le nœud de ce combat :
– Je veux connaître votre vulnérabilité, mais je ne veux pas être
vulnérable.
– La vulnérabilité est le courage en vous et l’inadéquation en moi.
– Je suis attirée par votre vulnérabilité mais repoussée par la mienne.
En marchant sur la scène, j’ai axé mes pensées sur Steve, assis dans la
salle, sur mes sœurs au Texas et sur des amis qui regardaient en direct de
TEDActivem, un endroit hors site. J’ai aussi puisé du courage de quelque
chose que j’avais appris à TED – une leçon très inattendue sur l’échec. La
vaste majorité des gens que Steve et moi avons rencontrés durant les trois
jours précédant ma conférence ont parlé ouvertement de l’échec. Il n’était
pas inhabituel pour quelqu’un de vous révéler deux ou trois aventures, ou
inventions qui avaient échoué lorsqu’ils expliquaient leur travail ou qu’ils
parlaient de leurs passions. J’ai été éblouie et inspirée.
J’ai respiré à fond et récité ma prière de la vulnérabilité en attendant
mon tour. Donne-moi le courage de me présenter et de me laisser être vue.
Puis, quelques secondes avant qu’on me présente, j’ai pensé à un presse-
papier sur mon bureau où on peut lire : « Que tenteriez-vous de faire si vous
saviez que vous ne pouvez pas échouer ? » J’ai chassé cette question de ma
tête pour faire place à une nouvelle question. En montant sur scène, je me
suis chuchoté assez fort : « Qu’est-ce qu’il vaut la peine de faire même si
j’échoue ? »
Honnêtement, je ne me souviens pas beaucoup de ce que j’ai dit, mais
quand ce fut terminé, j’étais jusqu’aux genoux dans les effets secondaires
de la vulnérabilité, ENCORE ! Le risque en valait-il la peine ? Absolument.
Je me passionne pour mon travail et je crois en ce que j’ai appris de mes
participants à ma recherche. Je crois que des conversations honnêtes sur la
vulnérabilité et la honte peuvent changer le monde. Les deux conférences
ont des défauts et sont imparfaites, mais j’ai sauté dans l’arène et j’ai fait de
mon mieux. La volonté de se présenter nous change. Cela nous rend un peu
plus braves chaque fois. Et je ne suis pas certaine de la façon dont on
mesure le succès ou l’échec d’une conférence, mais à la minute où j’ai
terminé, j’ai su que même si elle était un fiasco ou s’attirait des critiques,
elle valait totalement la peine de l’avoir faite.
Dans sa chanson Hallelujah, Leonard Cohen écrit : « L’amour n’est pas
une marche victorieuse, c’est un hallelujah froid et brisé. » L’amour est une
forme de vulnérabilité et si vous remplacez le mot amour par vulnérabilité
dans cet extrait, c’est tout aussi vrai. Qu’il s’agisse d’appeler un ami qui a
vécu une terrible tragédie ou de démarrer votre propre entreprise, de vous
sentir terrorisé de connaître une libération, la vulnérabilité est le grand défi
de la vie. C’est la vie qui demande : « Êtes-vous entièrement là ? Pouvez-
vous valoriser votre propre vulnérabilité autant que vous la valorisez chez
les autres ? » Répondre oui à ces questions n’est pas de la faiblesse. C’est
du courage au-delà de toute mesure. C’est oser avec audace. Et souvent, le
résultat d’oser avec audace n’est pas une marche victorieuse autant qu’un
sentiment paisible de liberté mêlé à une petite fatigue d’après bataille.

► MYTHE NO 2 : « JE NE PRATIQUE PAS LA VULNÉRABILITÉ »

Quand nous étions enfants, nous croyions que lorsque nous serions
grands, nous ne serions plus vulnérables. Mais grandir est accepter
la vulnérabilité. Être en vie est être vulnérable.
– Madeleine L’Engle
La définition et les exemples que vous venez de lire facilitent la tâche de
faire sauter le deuxième mythe de la vulnérabilité. Je ne peux pas vous citer
combien de fois j’ai entendu les gens dire : « Sujet intéressant mais je ne
pratique pas la vulnérabilité. » C’est souvent étayé par une explication de
genre ou professionnelle : « Je suis ingénieur, nous détestons la
vulnérabilité. » « Je suis avocat, nous mangeons de la vulnérabilité au petit-
déjeuner. » « Les gars ne pratiquent pas la vulnérabilité. » Ne vous en faites
pas, je comprends. Je ne suis ni un gars, ni ingénieur, ni avocat, mais j’ai
prononcé exactement ces mots une centaine de fois. Malheureusement, il
n’y a pas de carte de « sortie gratuitement de la vulnérabilité ». Nous ne
pouvons pas choisir de sortir de l’incertitude, du risque et de l’exposition
émotionnelle qui se tissent dans nos expériences quotidiennes. La vie est
vulnérable.
Revenez à la liste d’exemples. Il y a les enjeux d’être en vie, d’être dans
une relation, d’être connecté. Même si nous choisissons de rester en dehors
des relations et que nous optons pour une déconnexion comme forme de
protection, nous sommes tout de même vivants, ce qui veut dire que la
vulnérabilité se manifeste. Quand nous fonctionnons en vertu de la
croyance que « nous ne pratiquons pas la vulnérabilité », il est extrêmement
utile de nous poser les questions suivantes. Si nous ne savons pas
honnêtement les réponses, nous pouvons demander bravement à un
proche – il aura probablement une réponse (même si nous ne voulons pas
l’entendre).
1. Que faire quand je me sens émotionnellement exposé ?
2. Comment me comporter quand je me sens très mal à l’aise et
incertain ?
3. À quel point est-ce que je consens à prendre des risques
émotionnels ?
Avant d’entreprendre ce travail, mes réponses honnêtes auraient été :
1. Effrayée, en colère, critique, contrôlante, perfectionniste,
inventant une certitude.
2. Effrayée, en colère, critique, contrôlante, perfectionniste,
inventant une certitude.
3. Au travail, très réticente si la critique, le jugement, le blâme ou la
honte était possible. Prendre des risques émotionnels avec les
gens que j’aime était toujours teinté de la peur que quelque chose
de négatif survienne – un total rabat-joie que nous explorerons au
chapitre 4 : « L’arsenal de la vulnérabilité ».
Ce processus du questionnement est utile parce que, comme vous
pouvez voir par mes réponses, peu importe notre disposition à pratiquer la
vulnérabilité, elle nous pratique. Quand nous prétendons pouvoir éviter la
vulnérabilité, nous adoptons des comportements qui sont souvent
incompatibles avec qui nous voulons être. Vivre la vulnérabilité n’est pas
un choix – le seul choix que nous ayons est comment nous allons réagir
quand nous sommes confrontés à l’incertitude, au risque et à l’exposition
émotionnelle. À titre d’admiratrice du groupe Rush, l’endroit semble tout
indiqué pour inclure un extrait de leur chanson Freewill : « Si vous
choisissez de ne pas décider, vous avez quand même fait un choix. »
Au chapitre 4, nous examinerons de près les comportements conscients
et inconscients que nous utilisons pour nous protéger quand nous croyons
que nous ne « pratiquons pas la vulnérabilité. »

► MYTHE NO 3 : LA VULNÉRABILITÉ, C’EST TOUT LAISSER


ALLER

Je reçois souvent des questions au sujet de notre culture du « tout laisser


aller ». Peut-il y avoir trop de vulnérabilité ? N’y a-t-il pas ce qu’on appelle
le partage à outrance ? Ces questions sont inévitablement suivies
d’exemples de la culture des célébrités. Et quand l’actrice X a divulgué la
tentative de suicide de son mari ? Ou quand les vedettes de téléréalité
révèlent des détails intimes de leur vie et de celle de leurs enfants au monde
entier ?
La vulnérabilité se fonde sur la mutualité et nécessite limites et
confiance. Ce n’est ni un partage à outrance, ni une purge, ni une
divulgation sans discrimination, ni un déversement de style célébrité dans
les médias sociaux. La vulnérabilité concerne le partage de nos sentiments
et de nos expériences avec des gens qui ont mérité le droit de les entendre.
Être vulnérable et ouvert est mutuel et fait partie intégrante du processus de
développement de la confiance.
Il n’est pas possible de toujours avoir des garanties en place avant de
risquer de partager, toutefois, nous ne dénudons pas notre âme la première
fois que nous rencontrons quelqu’un. Nous ne commençons pas par :
« Allô, je m’appelle Brené et voici mon problème le plus sombre. » Ce
n’est pas de la vulnérabilité. C’est peut-être du désespoir, des blessures ou
même une recherche d’attention, mais ce n’est pas de la vulnérabilité.
Pourquoi ? Parce que partager de façon appropriée, avec des limites,
signifie partager avec des gens avec qui nous avons développé des relations
qui peuvent porter le poids de nos histoires. Le résultat de cette
vulnérabilité mutuellement respectueuse est une connexion, une confiance
et un engagement accrus.
La vulnérabilité sans frontières ou sans limites entraîne une
déconnexion, de la méfiance et un désengagement. En fait, comme nous le
verrons au chapitre 4, « tout laisser sortir » ou la divulgation sans limites est
une façon de nous protéger de la véritable vulnérabilité. Et la question du
TMI7 n’est même pas un cas de « trop de vulnérabilité » – la vulnérabilité
fait faillite en ses propres termes lorsque les gens passent d’être vulnérables
à utiliser la vulnérabilité pour répondre à des besoins non comblés, obtenir
de l’attention ou adopter des comportements choc-et-effroi qui sont si
répandus dans notre culture.
Afin de dissiper plus efficacement le mythe que la vulnérabilité est un
tout-aller de partage de secrets, examinons la question de la confiance.
Quand je parle aux groupes de l’importance d’être vulnérable, il y a
toujours un flot de questions au sujet du besoin de confiance :
« Comment savoir si je peux faire assez confiance à quelqu’un pour être
vulnérable ? »
« Je serai vulnérable avec une autre personne seulement si je suis certain
qu’elle ne se tournera pas contre moi. »
« Comment savoir si un autre assure mes arrières ? »
« Comment peut-on développer de la confiance avec les gens ? »
La bonne nouvelle est que les réponses à ces questions ont émergé des
données. La mauvaise est qu’il s’agit d’un dilemme de l’œuf ou la poule.
Nous devons éprouver de la confiance pour être vulnérables et nous devons
être vulnérables afin de faire confiance.
Il n’y a pas d’examen de confiance ou de système de points, pas de feu
vert qui nous indique qu’il est sécuritaire de nous laisser être vus. Les
participants à la recherche ont décrit la confiance comme un processus par
couches au développement lent qui survient avec le temps. Dans notre
famille, nous désignons la confiance comme le « bocal de billes ».
Au milieu de sa troisième année, Ellen a connu sa première expérience
de trahison. Dans nombre d’écoles primaires, la troisième année est un
passage important. Les élèves ne sont plus encombrés par la foule de la
maternelle à la deuxième année, ils naviguent désormais dans le groupe de
la troisième à la cinquième année. À la récréation, elle s’était confiée à une
amie de sa classe à propos d’une chose amusante et quelque peu
embarrassante qui était survenue plus tôt ce jour-là. À l’heure du lunch,
toutes les filles de son groupe de camarades connaissaient son secret et
l’embêtaient. C’était une leçon importante, mais également douloureuse,
parce que jusque-là elle n’avait jamais considéré la possibilité que
quelqu’un fasse une telle chose.
En rentrant à la maison, elle a éclaté en sanglots et m’a dit que plus
jamais elle ne partagerait quelque chose à un autre. Ses sentiments étaient
tellement blessés. En l’écoutant, mon cœur me faisait mal pour elle. Pour
empirer les choses, Ellen a ajouté que les filles riaient encore d’elle quand
elles sont retournées en classe, à tel point que l’enseignante les a séparées et
a retiré des billes du bocal.
L’enseignante d’Ellen avait un grand vase de verre translucide qu’elle et
les enfants appelaient le « bocal de billes ». Elle gardait un sac de billes
colorées près du bocal et quand la classe faisait collectivement des bons
choix, elle jetait quelques billes dans le bocal. Quand la classe se
comportait mal, enfreignait les règles ou n’écoutait pas, l’enseignante
retirait des billes du bocal. Si et quand les billes atteignaient le sommet du
bocal, les élèves étaient récompensés par une célébration.
Autant je voulais prendre Ellen près de moi et lui murmurer : « Ne pas
partager avec ces filles est une merveilleuse idée ! Ainsi elles ne nous te
blesseront plus jamais. » J’ai mis mes peurs et ma colère de côté, et j’ai
commencé à figurer comment lui parler de confiance et de connexion.
Comme je cherchais une bonne façon de traduire mes propres expériences
de confiance, et ce que j’apprenais sur la confiance grâce à la recherche, j’ai
pensé : Ah, le bocal de billes. Parfait.
J’ai dit à Ellen de penser à ses amitiés comme étant des bocaux de billes.
Chaque fois que quelqu’un te soutient, ou est gentil avec toi, ou prend ta
défense, ou honore ce que tu lui partages en le gardant privé, tu mets des
billes dans le bocal. Quand les gens sont méchants, ou irrespectueux, ou
qu’ils divulguent tes secrets, les billes sortent du bocal. Quand je lui ai
demandé si ça avait du sens, elle a hoché la tête joyeusement et a répondu :
« J’ai des amies bocal de billes ! J’ai des amies bocal de billes ! »
Je lui ai demandé alors de m’en parler. Elle a décrit quatre amies sur qui
elle pouvait toujours compter, qui savaient certains de ses secrets et ne les
raconteraient jamais, et qui lui confiaient aussi certains de leurs secrets.
« Ce sont les amies qui me demandent de m’asseoir avec elles, m’a-t-elle
dit, même si elles sont invitées à s’asseoir à la table des jeunes populaires.
qu’ils soient résilients à la hon »
Ce fut un moment si fantastique pour nous deux. Quand je l’ai
questionnée à savoir comment ses amies bocal de billes étaient devenues
des amies bocal de billes, elle a réfléchi une minute puis a répondu : « Je
n’en suis pas certaine. Comment tes amis bocal de billes ont-ils obtenu leurs
billes ? » Après y avoir réfléchi un moment, nous avons commencé à sortir
nos réponses. Certaines des siennes étaient :
Elles gardent nos secrets.
Elles nous disent leurs secrets.
Elles se souviennent de mon anniversaire.
Elles savent qui sont Oma et Opa.
Elles s’assurent toujours de m’inclure dans les activités amusantes.
Elles savent quand je suis triste et me demandent pourquoi.
Quand je manque l’école parce que je suis malade, elles
demandent à leur maman d’appeler pour s’informer à mon sujet.
Et la mienne ? Exactement la même (sauf que, pour moi, Oma et Opa
sont Deanne et David, ma mère et mon beau-père). Quand ma mère assiste
aux activités d’Ellen et de Charlie, c’est merveilleux d’entendre une de mes
amies s’exclamer : « Oh ! Deanne ! Comme c’est bon de te voir. » Je me dis
toujours : Elle se souvient du nom de ma mère. Elle s’en préoccupe. Elle lui
porte attention.
La confiance se développe une bille à la fois.
Le dilemme de l’œuf ou de la poule entre en jeu quand nous pensons à
l’investissement et au saut que doivent faire les gens en relations avant
même que le processus du développement commence. L’enseignante n’a
pas dit : « Je n’achète pas de bocal ni de billes jusqu’à ce que je sache que
la classe peut faire de bons choix collectivement. » Le bocal était là dès le
premier jour d’école. En fait, dès la fin du premier jour, elle en avait déjà
recouvert le fond d’un étage de billes. Les élèves n’ont pas dit : « Nous
n’allons pas faire de bons choix parce que nous ne croyons pas que vous
allez mettre des billes dans le bocal. » Ils ont travaillé fort et ont participé
avec enthousiasme à l’idée du bocal de billes grâce aux paroles de leur
enseignante.
L’un de mes professeurs préférés dans le domaine des relations est John
Gottman. Il est considéré comme le plus important chercheur du pays sur
les couples en raison de la puissance et de l’accessibilité de ses travaux
innovateurs sur la manière dont nous connectons et bâtissons des relations.
Son livre, The Science of Trust : Emotional Attunement for Couples, est
instructif et avisé sur l’anatomie et le développement de la confiance. Dans
un article sur le site Web « Greater Good » de l’Université de Californie à
Berkeley (greatergood.berkeley.edu), Gottman décrit le développement de
la confiance avec nos partenaires d’une manière entièrement conforme à ce
que j’ai découvert dans ma recherche et dans ce qu’Ellen et moi appelons le
bocal de billes. Voici ce qu’il écrit :
J’ai observé par ma recherche que la confiance se développe dans de
très petits moments, que j’appelle des moments de « porte coulissante »,
d’après le film Sliding Doors. Dans toute interaction, il y a une
possibilité de connexion avec votre partenaire ou de vous détourner de
votre partenaire.
Permettez-moi de vous en donner un exemple tiré de ma propre relation.
Un soir, je voulais vraiment terminer la lecture d’un polar. Je croyais
savoir qui était le meurtrier, mais j’avais hâte de le découvrir. À un
moment de la soirée, j’ai déposé le livre sur ma table de chevet et je me
suis rendu à la salle de bain.
En passant devant le miroir, j’ai vu le visage de mon épouse qui y était
réfléchi, et elle avait l’air triste en se brossant les cheveux. C’était un
moment porte coulissante.

J’avais un choix. Je pouvais sortir furtivement de la salle de bain et me


dire : Je ne veux pas m’occuper de sa tristesse ce soir, je veux lire mon
polar. Mais plutôt, parce que je suis un chercheur sensible sur les
relations, j’ai décidé d’entrer dans la salle de bain, je lui ai pris la brosse
des mains et j’ai demandé : « Qu’est-ce qui ne va pas, chérie ? » Et elle
m’a dit pourquoi elle était triste.
À ce moment, j’ai développé la confiance ; j’étais là pour elle. J’ai
connecté avec elle plutôt que de choisir de ne penser qu’à ce que je
voulais. Nous avons découvert que ce sont là les moments qui
développent la confiance.
Un moment semblable n’est pas si important, mais si vous choisissez
toujours de vous détourner, alors la confiance s’érode dans une
relation – très graduellement, très lentement.
Quand nous pensons à la trahison au sens de la métaphore du bocal de
billes, la plupart d’entre nous pensons à quelqu’un à qui nous faisons
confiance et qui ferait quelque chose de si terrible que cela nous forcerait à
saisir le bocal et à en extraire chaque bille. Quelle est la pire trahison de
votre confiance que vous puissiez imaginer ? Il couche avec ma meilleure
amie. Elle ment au sujet de l’argent disparu. Il/elle préfère quelqu’un
d’autre que moi. Quelqu’un se sert de ma vulnérabilité contre moi (un geste
de trahison émotionnelle qui fait que la plupart d’entre nous fracassons tout
le bocal par terre plutôt que d’en extraire les billes). Toutes de terribles
trahisons, absolument, mais il y a une sorte de trahison particulière qui est
plus insidieuse et tout aussi corrosive pour la confiance.
En fait, cette trahison survient habituellement bien avant les autres. Je
parle de la trahison du désengagement. De ne pas être bienveillant. De
laisser aller la connexion. De ne pas vouloir consacrer du temps et des
efforts à la relation. Le mot trahison évoque des expériences de tricherie, de
mensonge, de bris de confidence, de ne pas nous défendre face à quelqu’un
qui répand des ragots à notre sujet, et de choisir d’autres personnes plutôt
que nous-mêmes. Ces comportements sont certainement des trahisons, mais
ne sont pas la seule forme de trahison. Si je devais choisir la forme de
trahison qui est la plus fréquemment issue de ma recherche et qui était la
plus dangereuse sur le plan de corroder la connexion de confiance, je dirais
que c’est le désengagement.
Quand les gens que nous aimons ou avec qui nous avons une connexion
profonde cessent d’être bienveillants envers nous, arrêtent de nous porter
attention, cessent de s’investir et de se battre pour la relation, la confiance
se met à s’étioler et la souffrance se met à s’insinuer. Le désengagement
déclenche la honte et nos plus grandes craintes – les craintes d’être
abandonné, d’être sans valeur et indigne d’amour. Ce qui peut rendre cette
trahison secrète tellement plus dangereuse que quelque chose comme un
mensonge ou une liaison est que nous ne pouvons trouver précisément la
source de notre souffrance – il n’y a pas d’événement, aucune preuve
évidente de cassure. On peut se sentir devenir fou.
Nous pouvons dire à un partenaire désengagé : « Tu n’as plus l’air de te
soucier de nous », mais sans « preuve », la réponse est : « Je rentre du
travail tous les soirs vers 18 h. Je borde les enfants. J’emmène les garçons
au soccer. Que veux-tu de moi ? » Ou au travail, nous pensons : Pourquoi
est-ce que je n’obtiens pas de commentaires ? Dis-moi que tu aimes ça !
Dis-moi que c’est merdique ! Dis-moi seulement quelque chose que je sache
que tu te souviens que je travaille ici !
Avec les enfants, les actions parlent plus fort que les paroles. Quand
nous cessons d’exiger des invitations dans leur vie en les interrogeant sur
leur journée, en leur demandant de nous dire leurs chansons préférées ou
comment vont leurs amis, alors les enfants ressentent souffrance et peur (et
non du soulagement malgré la façon dont nos adolescents peuvent agir).
Parce qu’ils ne peuvent exprimer comment ils se sentent par rapport à notre
désengagement quand nous cessons de faire des efforts avec eux, ils nous le
montrent en s’extériorisant, en se disant : Ça va attirer leur attention.
Comme pour la confiance, la plupart des expériences de trahison
surviennent lentement, une bille à la fois. En fait, les trahisons ouvertes ou
« grosses » que j’ai mentionnées auparavant sont plus susceptibles de se
produire après une période de désengagement et de confiance lentement
érodée. Ce que j’ai appris sur la confiance professionnellement et ce que j’ai
vécu personnellement revient à ceci :
La confiance est un produit de la vulnérabilité qui croît avec le temps et
qui demande du travail, de l’attention et un plein engagement. La
confiance n’est pas un grand geste – c’est une collection de billes en
croissance.
► MYTHE NO 4 : ON PEUT S’EN SORTIR SEUL

S’en sortir seul est une valeur que nous tenons en haute estime dans
notre culture, ironiquement même quand il s’agit de cultiver une connexion.
Je comprends l’attraction, j’ai cet individualisme sauvage dans mon ADN.
En fait, l’une de mes chansons favorites sur le thème de quitte-moi-fais-
moi-mal-personne-nepeut-me-blesser est « Here I Go Again » de
Whitesnake. Si vous êtes d’un certain âge, je gagerais de l’argent que vous
avez déjà descendu la fenêtre et chanté de manière provocante : « Et me
revoici de nouveau seul… Comme un vagabond je suis né pour marcher
seul… » Si Whitesnake ne vous plaît pas, il y a des hymnes sur ce sujet de
tous les genres imaginables. En réalité, marcher seul peut sembler misérable
et déprimant, mais nous admirons la force que cela transmet, et s’en sortir
seul est vénéré dans notre culture.
Autant que j’aime l’idée de marcher seule dans une rue de rêve
pittoresque, le chemin de la vulnérabilité n’est pas le genre de parcours
qu’on peut faire seul. Nous avons besoin de soutien. Nous avons besoin de
gens qui nous laisseront expérimenter de nouvelles façons d’être sans nous
juger. Nous avons besoin d’une main qui nous relèvera quand nous sommes
projetés par terre dans l’arène (et si nous menons une vie courageuse, cela
se produira). Au cours de ma recherche, les participants ont souligné très
clairement leur besoin de soutien, d’encouragement et parfois d’aide
professionnelle en se réengageant à la vulnérabilité et à leur vie
émotionnelle. La plupart d’entre nous sommes habiles à donner de l’aide,
mais quand il s’agit de vulnérabilité, nous devons aussi demander de l’aide.
Dans La grâce de l’imperfection, j’écris : « Tant qu’on ne peut pas
recevoir avec un cœur ouvert, on ne peut jamais réellement donner avec un
cœur ouvert. Quand on porte un jugement sur le fait de recevoir de l’aide,
on porte un jugement, conscient ou non, sur le fait de donner de l’aide. »
Nous avons tous besoin d’aide. Je sais que je n’aurais pas pu y arriver sans
appuis, dont mon mari Steve, une extraordinaire thérapeute, une pile de
livres d’un kilomètre de haut, des amis et des membres de la famille qui
étaient sur un chemin semblable. La vulnérabilité engendre la vulnérabilité ;
le courage est contagieux.
Il y a, en fait, une recherche très convaincante sur le leadership qui soutient
l’idée qu’il est essentiel de demander du soutien et que la vulnérabilité et le
courage sont contagieux. Dans un article de 2011 du Harvard Business
Review, Peter Fuda et Richard Badham utilisent une série de métaphores
pour explorer comment les leaders suscitent et maintiennent le changement.
L’une des métaphores est la boule de neige. La boule de neige se met à
rouler lorsqu’un leader est disposé à être vulnérable avec ses subordonnés.
Leur recherche démontre que ce geste de vulnérabilité est, de manière
prévisible, perçu comme courageux par les membres de l’équipe et en
inspire d’autres à en faire autant.
Soutenir la métaphore de la boule de neige est l’histoire de Clynton, le
directeur général d’une vaste entreprise allemande qui s’est rendu compte
que le style de leadership de la direction empêchait les principaux directeurs
de prendre des initiatives. Les chercheurs expliquent : « Il aurait pu
travailler en privé à changer son comportement – mais il s’est plutôt levé à
une assemblée annuelle de ses soixante principaux directeurs, a reconnu ses
torts et a présenté ses tâches personnelles et organisationnelles. Il a admis
ne pas avoir toutes les réponses et a demandé à son équipe de l’aide pour
diriger l’entreprise. » Ayant étudié la transformation qui a suivi cet
événement, les chercheurs rapportent que l’efficacité de Clynton a
augmenté, que son équipe s’est épanouie, que l’initiative et l’innovation
croissaient, que son organisation a continué d’avoir un meilleur rendement
que des compétiteurs plus importants.
Semblables à l’histoire ci-dessus, mes plus grandes transformations
personnelles et professionnelles ont eu lieu quand je me suis mise à poser
des questions difficiles sur la façon dont ma peur d’être vulnérable me
retenait et quand j’ai trouvé le courage de partager ma difficulté et de
demander de l’aide. Après avoir fui la vulnérabilité, j’ai découvert
qu’apprendre à se pencher sur le malaise de l’incertitude, du risque et de
l’exposition émotionnelle était un processus pénible.
Je croyais que je pouvais choisir de ne pas me sentir vulnérable, alors
quand c’est arrivé – quand le téléphone a sonné avec des nouvelles
inimaginables, ou quand j’ai été effrayée, ou quand j’ai aimé si férocement
que plutôt que d’éprouver de la gratitude et de la joie, je ne pouvais que me
préparer à perdre – je contrôlais les choses. Je gérais les situations et je
microgérais les gens autour de moi. J’ai performé jusqu’à ce qu’il n’y ait
plus d’énergie à sentir. Je rendais certain l’incertain, peu importe le coût. Je
suis restée si occupée que la vérité de ma souffrance et de ma peur ne
pouvait jamais prendre le dessus. J’avais l’air brave de l’extérieur et je me
sentais effrayée à l’intérieur.
Lentement, j’ai appris que ce bouclier était trop lourd à trimbaler et que
la seule chose qu’il faisait vraiment était de m’empêcher de me connaître
moi-même et de me laisser connaître. Cette protection réclamait que je
demeure petite et tranquille derrière elle de sorte de ne pas attirer l’attention
sur mes imperfections et mes vulnérabilités. C’était épuisant.
Je me souviens d’un moment très tendre de cette année-là, quand Steve
et moi étions couchés par terre à regarder Ellen faire une série de
mouvements de danse fous, les bras en l’air en claquant ses genoux, et des
culbutes. J’ai regardé Steve et j’ai dit : « N’est-ce pas curieux que je l’aime
tellement plus d’être si vulnérable et désinhibée et loufoque. Je ne pourrais
jamais faire ça. Peux-tu imaginer savoir que tu es aimé à ce point ? » Steve
m’a regardée et a ajouté : « Je t’aime exactement comme ça. »
Honnêtement, en tant que personne qui risquait rarement la vulnérabilité et
se tenait toujours à l’écart d’être sotte ou loufoque, il ne m’est jamais
apparu que les adultes pouvaient s’aimer l’un l’autre de cette façon, que je
pouvais être aimée pour mes vulnérabilités et non malgré elles.
Tout l’amour et le soutien que j’ai reçus – spécialement de Steve et de
Diana, ma thérapeute – m’ont permis de lentement prendre plus de risques,
de me présenter de nouvelles façons au travail et à la maison. J’ai pris plus
de chances et essayé de nouvelles choses, comme raconter des histoires. J’ai
appris à établir de nouvelles limites et à dire non, même quand j’étais
terrifiée de décevoir un ami ou de rater une occasion professionnelle que
j’allais regretter. Jusqu’ici, je n’ai pas regretté un seul non.
Pour revenir au discours de Roosevelt « L’homme dans l’arène », j’ai
aussi appris que les gens qui m’aiment, ceux de qui je dépends réellement,
n’étaient jamais les critiques qui me pointaient du doigt quand je trébuchais.
Ils n’étaient pas du tout dans les estrades. Ils étaient avec moi dans l’arène.
Luttant pour moi et avec moi.
Rien n’a transformé ma vie davantage que de réaliser la perte de temps
qu’est d’évaluer ma valeur en mesurant la réaction des individus dans les
estrades. Les gens qui m’aiment et qui seront là peu importe le résultat sont
à portée de main. Cette réalisation a tout changé. C’est l’épouse, la mère et
l’amie que je m’efforce d’être maintenant. Je veux que notre demeure soit
un endroit où nous pouvons être nous-mêmes, notre moi le plus brave et
notre moi le plus craintif. Où nous pratiquons des conversations difficiles et
partageons nos moments honteux à l’école et au travail. Je veux regarder
Steve et mes enfants, et dire : « Je suis avec vous. Dans l’arène. Et en cas
d’échec, nous échouerons ensemble, en osant avec audace. » Nous ne
pouvons simplement pas apprendre seuls à être plus vulnérables et
courageux. Parfois, le premier et le plus grand défi est de demander du
soutien.

7 - Too Much Information - Trop d’information.


Chapitre 3

Comprendre et
combattre la honte

(alias l’entraînement
du guerrier Ninja Gremlin)

La honte tire son pouvoir du fait d’être indicible. C’est pourquoi elle aime
les perfectionnistes – c’est si facile de nous faire taire. Si nous cultivons
suffisamment de sensibilisation face à la honte pour la nommer et en parler,
nous lui avons fondamentalement coupé l’herbe sous le pied. La honte
déteste qu’on l’enveloppe de mots. Si nous parlons de honte, elle se met à
flétrir. Tout comme l’exposition à la lumière était mortelle pour les
gremlins, le langage et l’histoire apportent de la lumière à la honte et la
détruisent.

VULNÉRABILITÉ ET HONTE DANS LE MÊME LIVRE !


ESSAYEZ-VOUS DE NOUS TUER ? OU DE NOUS DÉFENDRE
CONTRE LES FORCES DU MAL
L’an dernier, au terme d’une conférence sur les familles Sans réserve, un
homme s’est approché de moi sur la scène. Il a tendu la main en disant :
« Je veux seulement vous dire merci. » Je lui ai serré la main et lui ai offert
un gentil sourire alors qu’il regardait par terre. Je voyais qu’il luttait contre
ses larmes.
Il a respiré profondément et a poursuivi : « Je dois vous dire que je ne
voulais vraiment pas venir ce soir. J’ai tenté de me défiler, mais ma femme
m’a obligé. »
J’ai ri. « Oui, ça m’arrive souvent. »
« Je ne pouvais pas comprendre pourquoi elle était si enthousiaste. Je lui
ai dit que je ne pouvais pas imaginer pire façon de passer un jeudi soir que
d’écouter une chercheuse sur la honte. Elle a ajouté que c’était vraiment
important pour elle et que je devais arrêter de me plaindre, autrement je lui
gâcherais la soirée. » Il a pris quelques secondes, puis m’a surprise en me
demandant : « Êtes-vous une fan d’Harry Potter ? »
J’ai arrêté une seconde, essayant de relier tout ce qu’il disait. Quand j’ai
finalement renoncé, j’ai répondu à sa question. « Oui, je suis une grande
fan. J’ai lu tous les livres plusieurs fois et j’ai regardé tous les films à
plusieurs reprises. Je suis une inconditionnelle. Pourquoi ? »
Il semblait un peu embarrassé avant d’expliquer : « Eh bien, je ne savais
rien de vous, et comme je redoutais de plus en plus de venir ce soir, je vous
imaginais comme Rogue. Je croyais que vous seriez terrifiante, que vous
seriez toute vêtue de noir et que vous parleriez lentement, d’une voix
caverneuse, envoûtante – comme si c’était la fin du monde. »
J’ai ri tellement fort que j’en ai presque recraché l’eau que je buvais.
« J’adore Rogue. Je ne suis pas certaine de vouloir lui ressembler, mais
c’est mon personnage préféré. » J’ai tout de suite jeté un coup d’œil à mon
sac à main, qui était encore posé sous le lutrin. À l’intérieur, mes clés y
étaient attachées (et le sont encore) à mon cher porte-clés LEGO Rogue.
Nous avons rigolé de sa projection sur Rogue, puis les choses ont pris un
ton plus sérieux. « Ce que vous avez dit avait vraiment du sens pour moi.
Surtout la partie sur nous qui avons tellement peur du noir. Quelle était la
citation que vous avez mentionnée avec l’image des lumières
scintillantes ? »
« Oh ! la citation des lumières scintillantes. C’est une de mes préférées.
“Ce n’est que lorsque nous serons assez braves pour explorer la noirceur
que nous découvrirons le pouvoir infini de notre lumière.” »
Il a acquiescé. « Oui ! Celle-là ! Je suis certain que c’est pourquoi je ne
voulais pas venir. C’est fou l’énergie que nous gaspillons à essayer d’éviter
ces sujets difficiles, alors que ce sont les seuls qui peuvent nous libérer. J’ai
été couvert de honte en grandissant et je ne veux pas transmettre cela à mes
trois enfants. Je veux qu’ils sachent qu’ils sont assez. Je ne veux pas qu’ils
craignent de parler des choses difficiles avec nous. Je veux qu’ils soient
résilients à la honte. »
À ce moment, nous avions tous deux les larmes aux yeux. Je me suis
approchée et j’ai eu ce geste bizarre « aimez-vous les câlins », puis je l’ai
pris dans mes bras. Après avoir relâché notre étreinte (ces-choses-sont-
difficiles-mais-nous-pouvons-le-faire), il m’a regardée et a poursuivi : « Je
suis juste très mauvais dans la vulnérabilité, mais je suis vraiment bon dans
la honte. Est-il nécessaire de dépasser la honte pour atteindre la
vulnérabilité ? »
« Oui. La résilience à la honte est capitale pour embrasser notre
vulnérabilité. Nous ne pouvons pas nous laisser être vus si nous sommes
terrifiés par ce que les gens pourraient penser. Souvent, “ne pas être bon
dans la vulnérabilité” signifie que nous sommes très bons dans la honte. »
Comme je cherchais un langage plus clair pour expliquer comment la
honte nous empêche d’être vulnérables et connectés, je me suis souvenue de
mon extrait favori d’Harry Potter. « Vous souvenez-vous quand Harry
s’inquiétait d’être mauvais parce qu’il était tout le temps en colère et avait
de sombres sentiments ? »
Avec enthousiasme, il a répondu : « Oui ! Bien sûr ! La conversation
avec Sirius Black ! C’est la morale de toute l’histoire. »
« Exactement ! Sirius a prévenu Harry de l’écouter attentivement, puis il
a dit : “Tu n’es pas une mauvaise personne. Tu es une très bonne personne à
qui il est arrivé de mauvaises choses. D’ailleurs, le monde ne se divise pas
en bonnes personnes et en Mangemorts. Nous avons tous de la lumière et de
l’obscurité en nous. Ce qui importe est la partie sur laquelle nous
choisissons d’agir. Voilà qui nous sommes réellement.” »
« Je comprends », soupira-t-il.
« Nous avons tous de la honte. Nous avons tous du bon et du mauvais,
de l’obscurité et de la lumière en nous. Mais si nous ne venons pas à bout
de notre honte, de nos luttes, nous commençons à croire que quelque chose
ne va pas chez nous – que nous sommes mauvais, imparfaits, pas assez
bons – et même pire, nous nous mettons à agir selon ces croyances. Si nous
voulons être pleinement engagés, connectés, nous devons être vulnérables.
Et à cette fin, nous devons développer une résistance à la honte. »
À ce moment-là, son épouse attendait près de l’escalier de la scène. Il
m’a remerciée, m’a étreinte rapidement et s’est éloigné. Rendu au bas de
l’escalier, il s’est retourné et a dit : « Vous n’êtes peut-être pas Rogue, mais
vous êtes un sacré bon professeur de défense contre les forces du mal ! »
Ce fut une conversation et un moment que je n’oublierai jamais. En
rentrant à la maison ce soir-là, j’ai pensé à une phrase de l’un des livres où
Harry décrivait le sort de plusieurs professeurs de défense ratés contre les
Forces du Mal. « Un de congédié, un de mort, un qui a perdu la mémoire et
un qui a été enfermé dans une valise pendant neuf mois. » Je me souviens
d’avoir pensé : Ça semble assez juste.
Je ne vais pas poursuivre avec la métaphore d’Harry Potter parce que,
assurément, il y en a un ou deux d’entre vous qui n’ont pas eu la chance de
lire les livres ou de voir les films, mais je dois dire que l’imagination
fabuleuse de J.K. Rowling a fait que l’enseignement de la honte est devenu
beaucoup plus facile et plus amusant. Le pouvoir allégorique d’Harry
Potter est propice à toutes conversations, de la lutte entre la lumière et
l’obscurité au cheminement du héros, et pourquoi la vulnérabilité et l’amour
sont les marques véritables du courage. Ayant passé tant de temps à tâcher
de décrire et de définir des émotions et des expériences sans nom, je
constate qu’Harry Potter m’a donné un trésor de personnages, de monstres
et d’images à utiliser dans mon enseignement. Pour cela, je lui voue une
gratitude éternelle.
Je n’ai pas décidé de devenir une évangéliste de la honte ou un
professeur de défense contre les Forces du Mal, mais après avoir passé la
dernière décennie à étudier l’effet corrosif qu’a la honte sur notre façon de
vivre, d’aimer, d’être parent, de travailler et de diriger, je me suis retrouvée
pratiquement à hurler à pleins poumons : « Oui, il est difficile de parler de
la honte. Mais la conversation est loin d’être aussi dangereuse que ce que
nous créons par notre silence ! Nous connaissons tous la honte. Nous avons
tous peur d’en parler. Et moins nous en parlons, plus nous en avons. »
Nous devons être vulnérables si nous voulons plus de courage, si nous
voulons oser avec audace. Mais comme j’ai dit à mon ami d’Harry Potter,
comment pouvons-nous nous laisser être vus si la honte nous fait craindre
ce que les gens peuvent penser ?
Laissez-moi vous donner un exemple.
Vous avez conçu un produit, ou avez écrit un article, ou créé une œuvre
d’art que vous voulez partager avec un groupe d’amis. Partager quelque
chose que vous avez créé est une partie aussi vulnérable qu’essentielle
d’une vie engagée et Sans réserve. C’est le summum d’oser avec audace.
Mais en raison de la façon dont vous avez été élevé ou dont vous
appréhendez le monde, sciemment ou à votre insu, vous avez attaché votre
propre valeur à la manière dont votre produit ou votre art est reçu.
Simplement, s’ils l’aiment, vous êtes digne, sinon, vous ne valez rien.
L’une de deux choses se produit à ce stade du processus :
1. Quand vous réalisez que votre valeur est liée à ce que vous avez
produit ou créé, il est peu probable que vous le partagiez ou si
vous le faites, vous éliminerez une couche ou deux de la
créativité et de l’innovation les plus originales afin que la
révélation soit moins risquée. Il y a trop en jeu pour simplement
exposer vos créations les plus hardies.
2. Si vous le partagez dans sa forme la plus créatrice et que la
réception ne satisfait pas vos attentes, vous êtes accablé. Votre
offre n’est pas bonne et vous n’êtes pas bon. Les chances de
solliciter des commentaires, de vous réengager et de retourner à
la table à dessin sont minces. Vous vous fermez. La honte vous
dit que vous n’auriez même pas dû essayer. La honte vous dit que
vous n’êtes pas assez bon et que vous auriez dû le savoir.
Si vous vous demandez ce qui arrive si vous liez votre propre valeur à
votre art ou à votre produit et que les gens l’aiment, permettez-moi de
répondre d’après mon expérience personnelle et professionnelle. Vous êtes
dans un problème encore plus profond. Tout ce dont la honte a besoin pour
détourner et contrôler votre vie est en place. Vous avez remis votre propre
valeur à ce que pensent les gens. Cela a fonctionné une fois ou deux, mais
maintenant, cela ressemble beaucoup à Hotel California. Vous pouvez vous
enregistrer, mais ne pouvez jamais quitter l’hôtel. Vous êtes officiellement
un prisonnier de « faire plaisir, performer et perfectionner ».
Avec des aptitudes de sensibilisation et de forte résilience à la honte, ce
scénario est totalement différent. Vous désirez encore que les gens aiment,
respectent, voire admirent ce que vous avez créé, mais votre propre valeur
n’est pas à prendre. Vous savez que vous êtes bien plus qu’une peinture,
qu’une idée innovatrice, qu’un argument de vente efficace, qu’un bon
sermon ou qu’un poste élevé chez Amazon.com. Oui, il serait décevant et
difficile que vos amis et collègues ne partagent pas votre enthousiasme, ou
que les choses ne se passent pas bien, mais cette initiative concerne ce que
vous faites, pas ce que vous êtes. Peu importe le résultat, vous avez déjà osé
avec audace, et cela est tout à fait conforme à vos valeurs, à celui que vous
voulez être.
Quand notre propre valeur n’est pas en jeu, nous sommes beaucoup plus
portés à être courageux et à partager nos talents et nos dons bruts. D’après
mes recherches auprès des familles, des écoles et des organisations, il est
évident que les cultures résilientes à la honte forment des gens qui sont
beaucoup plus ouverts à solliciter, à accepter et à incorporer la rétroaction.
Ces cultures forment également des gens engagés, tenaces qui s’attendent à
devoir essayer à maintes reprises pour obtenir un bon résultat – des gens
beaucoup plus disposés à l’innovation et à la création dans leurs initiatives.
Un sentiment de notre propre valeur nous inspire à être vulnérables, à
nous exprimer ouvertement et à persévérer. La honte nous garde petits,
amers et effrayés. Dans les cultures sujettes à la honte, où les parents, les
dirigeants et les administrateurs encouragent consciemment ou
inconsciemment les gens à lier leur propre valeur à ce qu’ils produisent, je
vois le désengagement, le blâme, le commérage, la stagnation, le
favoritisme et un manque total de créativité et d’innovation.
Peter Sheahan est auteur, conférencier et PDG de ChangeLabs™, une
entreprise de consultation mondiale qui réalise des projets de changement
de comportement à grande échelle pour des clients comme Apple et IBM.
Pete et moi avons eu la chance de travailler ensemble l’été dernier et je
crois que sa perspective sur la honte est parfaite. Peter dit :

Le tueur secret de l’innovation est la honte. Vous ne pouvez pas la


mesurer, mais elle est là. Chaque fois que quelqu’un retient une
nouvelle idée, qu’il n’arrive pas à donner à son directeur un
commentaire très nécessaire et qu’il a peur de s’exprimer devant un
client, vous pouvez être assuré que la honte joue un rôle. Cette crainte
profonde que nous avons tous d’avoir tort, d’être rabaissés et de nous
sentir inférieurs est ce qui nous empêche de prendre les risques mêmes
qui sont nécessaires à l’avancement de nos entreprises.
Si vous voulez une culture de créativité et d’innovation, où les risques
intelligents sont accueillis tant au niveau commercial qu’individuel,
commencez par développer la capacité des directeurs de cultiver une
ouverture à la vulnérabilité au sein de leurs équipes. Et ceci, peut-être
paradoxalement, exige d’abord qu’ils soient eux-mêmes vulnérables.
Cette notion que le leader doive être « en charge » et qu’il « connaisse
toutes les réponses » est périmée et destructrice. Son influence sur les
autres est le sentiment qu’ils en savent moins et qu’ils sont moins. Une
recette pour l’aversion du risque s’il en existe une. La honte devient la
peur. La peur entraîne l’aversion du risque. L’aversion du risque tue
l’innovation.
Ce qu’il faut retenir est qu’oser avec audace requiert de la valeur. La
honte envoie des gremlins nous remplir la tête de messages absolument
différents comme :
– N’ose pas ! Tu n’es pas assez bon !
– Ne t’avise surtout pas de devenir trop grand pour tes culottes !
Le terme gremlin – avec lequel nous sommes plutôt familiers – vient
d’une comédie d’horreur de 1984 de Steven Spielberg, Gremlins. Les
gremlins sont ces petits filous verts maléfiques qui sèment la pagaille
partout où ils vont. Ce sont des monstres manipulateurs qui tirent plaisir de
la destruction. Dans bien des cercles, y compris le mien, le mot gremlin est
devenu synonyme de « cassette de la honte ».
Par exemple, j’avais peine récemment à terminer un article. J’ai appelé
une bonne amie pour lui parler de mon angoisse de la page blanche et elle
m’a immédiatement répondu : « Que disent les gremlins ? »
C’est une façon très efficace de s’enquérir des cassettes de la honte – les
messages de doute de soi et d’autocritique que nous portons dans notre tête.
J’ai répondu : « Il y en a quelques-uns. L’un dit que mon écriture est pourrie
et que personne ne s’intéresse à ces sujets. Un autre me rappelle que je vais
être critiquée et que je le mériterai. Et le plus gros répète : “Les vrais
écrivains ne luttent pas comme ça. Les vrais écrivains ne balancent pas
leurs modificateurs.” »
Comprendre nos cassettes de la honte ou nos gremlins est essentiel pour
surmonter la honte parce que nous ne pouvons pas toujours référer à un
certain moment ou à une humiliation spécifique aux mains d’une autre
personne. La honte est parfois le résultat de nous qui faisons jouer les vieux
enregistrements qui ont été programmés quand nous étions enfants ou
simplement absorbés par la culture. Mon bon ami et collègue Robert
Hilliker dit : « La honte a commencé comme une expérience qui se joue à
deux, mais en vieillissant, j’ai appris comment opérer la honte par moi-
même. » Parfois, quand nous osons entrer dans l’arène, le critique le plus
sévère est nous-mêmes.
La honte tire son pouvoir du fait d’être indicible. C’est pourquoi elle
aime les perfectionnistes – c’est si facile de nous faire taire. Si nous
cultivons suffisamment de sensibilisation face à la honte pour la nommer et
en parler, nous lui avons fondamentalement coupé l’herbe sous le pied. La
honte déteste qu’on l’enveloppe de mots. Si nous parlons de honte, elle se
met à flétrir. Tout comme l’exposition à la lumière était mortelle pour les
gremlins, le langage et l’histoire apportent de la lumière à la honte et la
détruisent.
Comme Roosevelt l’a conseillé, quand nous osons avec audace, nous
nous tromperons et raterons notre coup encore et encore. Il y aura des
échecs, et des erreurs, et des critiques. Si nous voulons être capables de
traverser les déceptions difficiles, les sentiments blessés et les déchirements
qui sont inévitables dans une vie pleinement vécue, nous ne pouvons pas
mettre à égalité défaite et être indigne d’amour, d’appartenance et de joie.
Si nous le faisons, nous ne nous présenterons plus jamais et nous
n’essaierons plus. La honte se tient dans le stationnement de l’arène,
attendant que nous en sortions défaits et déterminés à ne jamais prendre de
risques. Elle ricane et chuchote : « Je t’ai dit que c’était une erreur. Je savais
que tu n’es pas assez _______________. » La résilience à la honte est la
capacité d’avouer : « Ça fait mal. C’est décevant, peut-être même
désastreux. Mais le succès, la reconnaissance et l’approbation ne sont pas
les valeurs qui me propulsent. Ma valeur est le courage et j’ai justement été
courageux. Tu peux t’en aller, honte. »
Donc, je n’essaie pas de vous tuer. Je dis simplement : « Nous ne
pouvons pas embrasser la vulnérabilité si la honte étouffe le sentiment de
notre valeur et de notre connexion. » Attachez-vous et examinons avec
notre tête et notre cœur cette expérience qu’on appelle la honte, afin de
parvenir à l’entreprise de vivre véritablement.
► QU’EST-CE QUE LA HONTE ET POURQUOI EST-IL SI
DIFFICILE D’EN PARLER ?

(Si vous êtes certain que la honte ne s’applique pas à vous, poursuivez
votre lecture. Je vais clarifier le sujet dans les quelques pages suivantes.)
Je commence chaque conférence, article et chapitre sur la honte avec les
1-2-3 de la honte, ou les trois premières choses que vous devez savoir sur la
honte de sorte que vous continuiez d’écouter :
1. Nous l’avons tous. La honte est universelle et l’une des émotions
humaines les plus primitives que nous éprouvions. Les seules
personnes qui ne connaissent pas la honte n’ont pas la capacité
d’empathie et de connexion humaine. Voici votre choix :
confessez que vous éprouvez de la honte ou admettez que vous
êtes un sociopathe. Note brève : c’est la seule fois où la honte
semble être une bonne option.
2. Nous craignons tous de parler de la honte.
3. Moins nous parlons de la honte, plus elle exerce un contrôle sur
nos vies.
Il y a une ou deux façons très utiles de réfléchir à la honte.
Premièrement, la honte est la peur de la déconnexion. Nous sommes
psychologiquement, émotionnellement, cognitivement et spirituellement
programmés pour la connexion, l’amour et l’appartenance. La connexion,
avec l’amour et l’appartenance (deux expressions de la connexion), est ce
pourquoi nous sommes ici et c’est ce qui donne un but et un sens à notre
vie. La honte est la peur de la déconnexion – c’est la peur que quelque
chose que nous avons fait ou omis de faire, qu’un idéal que nous n’avons
pas respecté ou qu’un but que nous n’avons pas atteint nous rende indigne
de connexion. Je ne suis pas digne ou assez bon pour l’amour,
l’appartenance ou la connexion. Je ne suis pas aimable, je n’appartiens pas.
Voici la définition de la honte qui a émergé de ma recherche :

La honte est le sentiment ou l’expérience intensément douloureuse de


croire que nous sommes imparfaits et, par conséquent, indignes
d’amour et d’appartenance.
Les gens veulent souvent croire que la honte est réservée aux personnes
qui ont survécu à un trauma sans nom, mais c’est faux. La honte est une
chose que nous connaissons tous. Et même s’il semble que la honte se tapit
dans nos replis les plus sombres, en fait elle tend à se montrer dans tous les
endroits familiers. Douze « catégories de honte » se sont détachées de ma
recherche :
apparence et image corporelle ;
argent et travail ;
maternité/paternité ;
famille ;
parentage ;
santé mentale et physique ;
dépendance ;
sexe ;
vieillissement ;
religion ;
survivre à un trauma ;
être stéréotypé ou étiqueté.
Voici certaines réponses reçues après avoir demandé aux gens un
exemple de honte :
La honte, c’est être congédié et devoir l’annoncer à ma femme
enceinte.
La honte, c’est quelqu’un qui me demande “C’est pour quand ?”
alors que je ne suis pas enceinte.
La honte, c’est cacher le fait que je suis en rétablissement.
La honte, c’est m’enrager contre mes enfants.
La honte, c’est faire faillite.
La honte, c’est mon patron qui me traite d’idiot devant le client.
La honte, c’est de ne pas devenir partenaire.
La honte, c’est mon mari qui me quitte pour la voisine d’à côté.
La honte, c’est ma femme qui demande le divorce et qui me dit
qu’elle veut des enfants, mais pas avec moi.
La honte, c’est ma conduite avec facultés affaiblies.
La honte, c’est l’infertilité.
La honte, c’est dire à ma fiancée que mon père habite en France
alors qu’en fait il est en prison.
La honte, c’est la porno sur Internet.
La honte, c’est décrocher de l’école. Deux fois.
La honte, c’est entendre mes parents se disputer à travers les murs
et me demander si je suis le seul qui se sent effrayé.
La honte est une douleur réelle. L’importance de l’acceptation sociale et
de la connexion est renforcée par la chimie de notre cerveau, et la douleur
résultant du rejet social et de la déconnexion est une douleur réelle. Dans
une étude de 2011 financée par l’Institut national de santé mentale et
l’Institut national sur l’abus des drogues, les chercheurs ont constaté que,
pour autant que le cerveau est concerné, la douleur physique et les
expériences intenses de rejet social font mal de la même façon. Donc,
quand je définis la honte comme une expérience intensément
« douloureuse », je ne plaisante pas. Les progrès des neurosciences
confirment ce que nous savions déjà : les émotions peuvent faire mal et
causer de la douleur. Et comme nous avons souvent du mal à définir la
souffrance physique, décrire la souffrance émotionnelle est difficile. La
honte est particulièrement difficile parce qu’elle déteste être enveloppée de
mots. Elle déteste qu’on en parle.
► DÉMÊLER LA HONTE, LA CULPABILITÉ, L’HUMILIATION
ET L’EMBARRAS

En fait, quand nous travaillons à comprendre la honte, l’une des simples


raisons pour lesquelles il est si difficile d’en parler est le vocabulaire. Nous
interchangeons souvent les termes embarras, culpabilité, humiliation et
honte. Il peut sembler trop pointu de souligner l’importance d’utiliser le
terme approprié pour décrire une expérience ou une émotion ; toutefois, il
s’agit bien plus que de sémantique.
Comment nous vivons ces différentes émotions revient au dialogue
intérieur. Comment parlons-nous à nous-mêmes au sujet de ce qui se
passe ? Le meilleur endroit pour commencer à examiner le dialogue
intérieur et à démêler ces quatre émotions distinctes est avec la honte et la
culpabilité. En majorité, les chercheurs sur la honte et les cliniciens
conviennent que la différence entre honte et culpabilité est mieux comprise
lorsque comparée à la différence entre « Je suis mauvais » et « J’ai fait
quelque chose de mal. »
Culpabilité = J’ai fait quelque chose de mal.
Honte = Je suis mauvais.
Par exemple, disons que vous avez oublié que vous aviez prévu
rencontrer un ami à midi pour le lunch. À 12 h 15, votre ami téléphone du
restaurant pour s’assurer que vous allez bien. Si votre dialogue intérieur
est : « Je suis un sombre idiot. Je suis un ami déplorable et un vrai
perdant » – c’est de la honte. Si, par ailleurs, votre dialogue intérieur se
résume à « Je ne peux pas croire que j’ai fait ça. Quelle chose merdique à
faire » – c’est de la culpabilité.
Voici ce qui est intéressant – surtout pour ceux qui pensent
automatiquement : Vous devriez vous sentir comme un ami déplorable ! ou
Un peu de honte vous aidera à mieux faire les choses la prochaine fois.
Quand nous ressentons de la honte, nous sommes plus susceptibles de nous
protéger en blâmant quelque chose ou quelqu’un, en rationalisant notre
erreur, en offrant des excuses fallacieuses ou en nous cachant. Plutôt que de
demander pardon, nous blâmons notre ami et rationalisons notre oubli : « Je
t’ai dit que j’étais vraiment occupé. Ce n’était pas une bonne journée pour
moi. » Ou nous nous excusons à contrecœur et nous nous disons : Peu
importe. S’il savait à quel point je suis occupé, il s’excuserait. Ou alors
nous voyons qui appelle et nous ne répondons pas du tout et ensuite, quand
nous ne pouvons plus éviter notre ami, nous mentons : « N’as-tu pas reçu
mon courriel ? J’ai annulé ce matin. Tu devrais vérifier ton dossier
pourriel. »
Quand nous nous excusons pour quelque chose que nous avons fait, que
nous faisons amende honorable ou que nous changeons un comportement
qui ne correspond pas à nos valeurs, la culpabilité – et non la honte – est le
plus souvent la force agissante. Nous nous sentons coupables quand nous
comparons ce que nous avons fait ou manqué de faire avec nos valeurs et
que nous constatons qu’elles ne correspondent pas. C’est un sentiment
désagréable, mais il est utile. Le malaise psychologique, qui ressemble à
une dissonance cognitive, est ce qui motive un changement important. La
culpabilité est tout aussi puissante que la honte, mais son influence est
positive alors que celle de la honte est destructrice. En fait, dans ma
recherche, j’ai observé que la honte corrode la partie de nous qui croit que
nous pouvons changer et nous améliorer.
Nous vivons dans un monde où la plupart des gens adoptent encore la
croyance voulant que la honte soit un bon outil pour garder les gens à leur
place. C’est non seulement faux mais dangereux. La honte est fortement
corrélée avec la dépendance, la violence, l’agression, la dépression, les
troubles alimentaires et l’intimidation. Les chercheurs ne trouvent aucune
corrélation de la honte avec un quelconque résultat positif – il n’y a pas de
données qui soutiennent que la honte est un instrument utile à un bon
comportement. En fait, la honte est beaucoup plus susceptible d’être la
cause de comportements destructeurs et blessants que d’en être la solution.
De nouveau, la nature humaine fait que nous voulons nous sentir dignes
d’amour et d’appartenance. Lorsque nous éprouvons la honte, nous nous
sentons déconnectés et désespérés d’avoir une valeur. Lorsque nous
souffrons, soit pleinement de la honte ou seulement d’en avoir peur, il est
plus plausible que nous adoptions des comportements autodestructeurs et
que nous attaquions ou dénigrions les autres. Dans les chapitres sur le
parentage, le leadership et l’éducation, nous explorerons comment la honte
gruge notre courage et nourrit le désengagement, et ce que nous pouvons
faire pour nourrir des cultures de valeur, de vulnérabilité et de résilience à la
honte.
L’humiliation est un autre mot que nous confondons souvent avec la
honte. Donald Klein saisit la différence entre honte et humiliation quand il
écrit : « Les gens croient qu’ils méritent leur honte ; ils ne croient pas
mériter leur humiliation. » Si John est dans une réunion avec ses collègues
et son patron, et que celui-ci le traite de perdant en raison de son incapacité
à conclure une vente, John éprouvera probablement soit de la honte, soit
une humiliation.
Si le dialogue intérieur de John est : Mon Dieu, je suis un perdant, un
raté – c’est de la honte. Si, par ailleurs, il se dit : Mon patron a perdu le
contrôle. C’est ridicule. Je ne mérite pas ça – c’est de l’humiliation.
L’humiliation provoque un sentiment terrible et crée un environnement
misérable au travail et à la maison – et si c’est constant, cela peut
certainement devenir de la honte si nous commençons à intégrer le
message. C’est toutefois quand même mieux que la honte. Plutôt que
d’internaliser le commentaire de « perdant », John se dit : Ceci ne me
concerne pas. Quand nous faisons cela, il est moins probable que nous nous
fermions, que nous passions à l’action ou que nous combattions. Nous
restons fidèles à nos valeurs tout en essayant de résoudre le problème.
L’embarras est la moins sérieuse des quatre émotions. Elle est
normalement fugitive et peut être amusante. La marque de l’embarras est
que lorsque nous faisons quelque chose d’embarrassant, nous ne nous
sentons pas seuls. Nous savons que d’autres en ont fait autant et, comme le
fait de rougir, cela passera plutôt que de nous définir.
Se familiariser avec le langage est important pour comprendre la honte.
Cela fait partie du premier élément de ce que j’appelle la résilience à la
honte.

► JE COMPRENDS. LA HONTE EST MAUVAISE. ALORS QUE


POUVONS-NOUS FAIRE ?

La réponse est la résilience à la honte. Remarquez que la résistance à la


honte n’est pas possible. Aussi longtemps que nous nous soucierons de la
connexion, la crainte de la déconnexion sera toujours une force vive dans
nos vies, et la douleur causée par la honte sera toujours réelle. Mais voici
une excellente nouvelle. Dans toutes mes études, j’ai constaté que les
femmes et les hommes qui ont un taux élevé de résilience à la honte ont
quatre choses en commun, ce que j’appelle les éléments de la résilience à la
honte. Apprendre à mettre en action ces éléments est ce que je nomme
« l’entraînement du guerrier Ninja Gremlin ».
Nous allons regarder chacun de ces quatre éléments, mais je veux
d’abord expliquer ce que j’entends par la résilience à la honte. Je veux dire
la capacité à pratiquer l’authenticité lorsque nous éprouvons de la honte, à
traverser l’expérience de la honte sans sacrifier nos valeurs et en sortir avec
plus de courage, de compassion et de connexion que nous en avions au
départ. La résilience à la honte signifie passer de la honte à l’empathie – le
véritable antidote à la honte.
Si nous pouvons partager notre histoire avec quelqu’un qui répond avec
empathie et compréhension, la honte ne peut pas survivre.
L’autocompassion est aussi essentiellement importante, mais parce que la
honte est un concept social – elle se produit entre personnes – elle se guérit
aussi mieux entre personnes. Une blessure sociale nécessite un baume
social, et l’empathie est ce baume. L’autocompassion est essentielle parce
que lorsque nous sommes capables de douceur à notre égard au milieu de la
honte, nous sommes plus enclins à tendre la main, à connecter et à éprouver
de l’empathie.
Pour parvenir à l’empathie, nous devons savoir de quoi il est question.
Voici les quatre éléments de la résilience à la honte ; les étapes ne
surviennent pas toujours dans cet ordre, mais elles nous mènent toujours en
fin de compte à l’empathie et à la guérison :
1. Reconnaître la honte et comprendre ses déclencheurs. La
honte est biologie et biographie. Pouvez-vous reconnaître
physiquement quand vous êtes aux prises avec la honte, sentir
que vous la traversez et trouver quels messages et quelles attentes
l’ont déclenchée ?
2. Pratiquer la conscience critique. Pouvez-vous évaluer la réalité
des messages et des attentes qui alimentent votre honte ? Sont-ils
réalistes ? Atteignables ? Sont-ils ce que vous voulez être ou ce
que vous croyez que les autres veulent ou nécessitent de vous ?
3. Tendre la main. Possédez-vous et partagez-vous votre histoire ?
Nous ne pouvons éprouver d’empathie si nous ne connectons pas.
4. Parler de la honte. Parlez-vous de ce que vous ressentez et
exprimez-vous vos besoins quand vous éprouvez de la honte ?
La résilience à la honte est une stratégie pour protéger la connexion –
notre connexion à nous-mêmes et nos connexions aux gens qui nous sont
chers. Mais la résilience demande la cognition, ou la pensée, et c’est là que
la honte a un net avantage. Quand la honte descend sur nous, nous sommes
presque toujours pris en otages par le système limbique. Autrement dit, le
cortex préfrontal où se déroulent toutes nos pensées, nos analyses et nos
stratégies ouvre la voie à la partie primitive lutte-ou-fuite de notre cerveau.
Dans son livre Incognito, le neuroscientifique David Eagleman décrit le
cerveau comme étant une « équipe de rivaux ». Il écrit : « Il existe une
conversation permanente au sein des différentes factions de votre cerveau,
chacune se livrant à une concurrence pour contrôler le seul canal de sortie
de votre comportement. » Il présente le système bipartite dominant de la
raison et de l’émotion. « Le système rationnel est celui qui s’occupe de
l’analyse des choses du monde extérieur, alors que le système émotionnel
surveille l’état interne et s’inquiète de savoir si les choses sont bonnes ou
mauvaises. » Eagleman défend le fait que parce que les deux parties se
battent pour le contrôle d’une sortie – le comportement – les émotions
peuvent faire basculer la balance du processus décisionnel. Je dirais que
c’est définitivement exact lorsque l’émotion est la honte.
Nos stratégies lutte-ou-fuite sont efficaces pour la survie, pas pour
raisonner ou se connecter. Et la douleur de la honte suffit à déclencher la
partie de la survie de notre cerveau qui court, se cache ou réagit
vigoureusement. En fait, quand j’ai demandé aux participants à la recherche
comment ils réagissaient normalement à la honte avant de commencer à
travailler à la résilience à la honte, j’ai entendu de nombreux commentaires
semblables à ceux-ci :
« Quand je ressens de la honte, je suis comme une personne
dingue. Je fais et dis des choses que je ne ferais ni ne dirais en
temps normal. »
« Parfois, je souhaite seulement que je puisse faire en sorte que les
autres se sentent aussi mal que moi. Je veux juste m’en prendre
aux autres et crier après tout le monde. »
« Je deviens désespéré quand j’éprouve de la honte. Comme si je
n’avais nulle part où me tourner. Personne à qui parler. »
« Quand j’ai honte, je m’enfuis mentalement et émotionnellement.
Même avec ma famille. »
« La honte vous fait sentir étranger au monde. Je me cache. »
« Une fois, je me suis arrêté prendre de l’essence et ma carte de
crédit a été refusée. Le type m’a mené la vie dure. En sortant de la
station-service, mon fils de trois ans s’est mis à pleurer. Je me suis
mis à hurler. “Ferme-la… fermela… ferme-la.” J’avais tellement
honte à cause de ma carte. J’ai viré sur le capot. Puis j’ai eu honte
d’avoir crié après mon fils. »
Quand il s’agit de comprendre comment nous nous défendons contre la
honte, je me réfère à la merveilleuse recherche du Stone Center à Wellesley.
La Dre Linda Hartling, une ancienne théoricienne relationnelle-culturelle à
Stone Center, aujourd’hui directrice des Études sur la dignité humaine et
l’humiliation, utilise le travail de la défunte Karen Horney sur « aller de
l’avant, aller à l’encontre et s’éloigner » pour présenter les stratégies de
déconnexion que nous utilisons pour faire face à la honte.
Selon la Dre Hartling, afin de faire face à la honte, certains d’entre nous
s’éloignent en se retirant, en se cachant, en se taisant et en gardant des
secrets. Certains vont de l’avant en tentant d’apaiser et de plaire. Et d’autres
vont à l’encontre en essayant de gagner du pouvoir sur les autres, en étant
agressifs et en utilisant la honte pour combattre la honte (comme envoyer
des courriels insultants). Pour la plupart, nous les utilisons tous – à
différents moments avec différentes personnes pour différentes raisons. Et
pourtant, toutes ces stratégies nous éloignent de la connexion – ce sont des
stratégies pour nous déconnecter de la douleur de la honte.
Voici une histoire sur l’une de mes propres expériences de honte qui
illustre tous ces concepts. Ce n’est pas un de mes meilleurs moments, mais
c’est un bon exemple de l’importance de cultiver et de pratiquer la
résilience à la honte si nous ne voulons pas ajouter encore plus de honte
par-dessus une situation pénible.
Premièrement, permettez-moi de commencer par un peu de contexte.
Refuser des invitations à une conférence est un processus vulnérable pour
moi. Des années à vouloir plaire et à perfectionner ont installé le sentiment
d’être moins qu’à l’aise de décevoir les gens – la « bonne fille » en moi
déteste laisser tomber les gens. Les gremlins chuchotent : « Ils vont penser
que tu es ingrate » et « Ne sois pas égoïste. » Je me bats aussi avec la
crainte que si je refuse, tout le monde va cesser de me demander. C’est alors
que les gremlins disent : « Tu veux plus de temps pour te reposer ? Fais
attention à ce que tu souhaites, ce travail que tu adores pourrait disparaître
au complet. »
Mon nouvel engagement à établir des limites provient des douze années
que j’ai passées à étudier être Sans réserve et ce qu’il faut pour faire le
chemin de « Qu’est-ce que les gens vont penser ? » jusqu’à « Je suis
assez. » Les personnes les plus connectées et compatissantes parmi celles
que j’ai interviewées établissent et respectent des limites. Je ne veux pas
seulement faire des recherches et voyager tout le temps pour parler d’être
Sans réserve. Je veux le vivre. Ce qui signifie que je refuse environ 80 pour
cent des invitations à parler que je reçois. J’accepte quand c’est conforme à
mon calendrier familial, à mes engagements de recherche et à ma vie.
Eh bien, l’an dernier, j’ai reçu un courriel d’un homme qui était vraiment
fâché contre moi parce que je n’étais pas capable de parler à un événement
qu’il organisait. J’ai refusé l’invitation parce qu’elle avait lieu en même
temps qu’un anniversaire familial. Le courriel était mesquin et débordant
d’attaques personnelles. Mes gremlins s’en donnaient à cœur joie !
Plutôt que de répondre, j’ai décidé de faire suivre le courriel à mon mari
avec une note lui disant exactement ce que je pensais de ce type et de son
courriel. Faites-moi confiance, ce n’était pas un courriel de « bonne fille ».
Je ne peux ni nier ni confirmer avoir utilisé le mot conneries. Deux fois.
J’ai appuyé sur Envoyer plutôt que sur Transférer.
La seconde où mon ordi a fait le son qu’il fait quand on appuie sur
Envoyer, j’ai hurlé : « Reviens ! Je t’en prie, reviens ! » Je fixais encore
l’écran, totalement immobilisée par la honte couverte sur une couche de
honte, quand cet homme a mitraillé une réponse, dans le goût de « Ah, ha !
Je le savais ! Vous êtes une horrible personne. Vous n’êtes pas Sans réserve.
Vous êtes minable. »
L’attaque de honte était déjà à son paroxysme. J’avais la bouche sèche,
le temps était au ralenti et ma vision était en tunnel. J’avais peine à avaler,
car les gremlins chuchotaient : « Tu es minable ! Comment peux-tu être si
stupide ? » Ils savent toujours exactement quoi dire. Dès que j’ai pu
respirer, je me suis mise à murmurer : « Douleur, douleur, douleur, douleur,
douleur… »
Cette stratégie est la création de Caroline, une femme que j’ai
interviewée au début de ma recherche, puis quelques années plus tard, après
qu’elle a pratiqué la résilience à la honte. Caroline m’a raconté que
lorsqu’elle éprouvait de la honte, elle se mettait immédiatement à répéter le
mot douleur à voix haute. « Douleur, douleur, douleur, douleur, douleur. »
Elle m’a dit : « Je suis certaine que ça a l’air fou et j’ai probablement
l’allure d’une démente, mais pour une raison que j’ignore, cela fonctionne
vraiment. »
Bien sûr que cela fonctionne ! C’est un moyen brillant de sortir du mode
de survie du cerveau lézard et de remettre en action ce cortex préfrontal.
Après une ou deux minutes d’incantation de « douleur », j’ai respiré à fond
et essayé de me concentrer. J’ai pensé : Ça va. Attaque de honte. Je vais
bien. Et quoi maintenant ? Je peux le faire.
J’ai reconnu les symptômes physiques qui m’ont permis de redémarrer
mon cerveau pensant et de me souvenir des trois entraînements des
guerriers Ninja Gremlins qui sont la voie la plus efficace pour moi vers la
résilience à la honte. Et heureusement, j’ai pratiqué ces mouvements assez
longtemps pour savoir qu’ils sont tout à fait contre-intuitifs et que je dois
faire confiance au processus.
1. Pratiquer le courage et aller vers l’autre ! Oui, je veux me cacher,
mais la façon de combattre la honte et d’honorer qui nous
sommes est en partageant notre expérience avec quelqu’un qui a
mérité le droit de l’entendre – quelqu’un qui nous aime, non pas
malgré nos vulnérabilités mais à cause d’elles.
2. Me parler de la manière dont je parlerais à quelqu’un que j’aime
vraiment et que j’essaie de réconforter au milieu d’une crise. T’es
correct. T’es humain – nous faisons tous des erreurs. Compte sur
mon appui. Normalement durant une attaque de honte, nous nous
parlons d’une manière que nous n’utiliserions JAMAIS avec des
personnes que nous aimons et respectons.
3. Posséder mon histoire ! Ne pas l’enterrer et la laisser couver ou
me définir. Je dis souvent ceci à voix haute : « Si tu possèdes
cette histoire, tu peux en écrire la fin. » Lorsque nous enterrons
l’histoire, nous en demeurons à jamais le sujet. Si nous la
possédons, nous en dictons la fin. Comme l’a dit Carl Jung : « Je
ne suis pas ce qui m’est arrivé. Je suis ce que je choisis de
devenir. »
Même si je savais que la chose la plus dangereuse à faire après une
expérience de honte est de cacher ou d’enterrer notre histoire, j’avais peur
de faire cet appel, mais je l’ai fait.
J’ai téléphoné à mon mari Steve et à ma grande amie Karen. Ils m’ont
donné ce dont j’avais le plus besoin : l’empathie, le meilleur rappel que
nous ne sommes pas seuls. Au lieu du jugement (qui exacerbe la honte),
l’empathie transmet une simple reconnaissance : « Vous n’êtes pas seul. »
L’empathie est une connexion, une échelle hors du trou de la honte. Non
seulement Steve et Karen m’ont-ils aidée à grimper hors du trou en
m’écoutant et en m’aimant, mais ils se sont montrés vulnérables en me
partageant qu’eux aussi avaient passé du temps dans ce même trou.
L’empathie ne demande pas que nous ayons exactement les mêmes
expériences que la personne qui nous partage son histoire. Ni Karen ni
Steve n’avaient envoyé un courriel semblable, mais ils étaient intimement
familiers avec les gremlins imposteurs et le sentiment « de se faire
prendre » et l’expérience du « Oh ! merde ! » L’empathie est la connexion à
l’émotion qu’une personne ressent et non à l’événement ou à la
circonstance. La honte s’est dissipée la minute où j’ai réalisé que je n’étais
pas seule – que mon expérience était humaine.
Fait intéressant, les réponses de Steve et Karen étaient totalement
différentes. Steve était plus sérieux et plus « Oh ! comme je connais ce
sentiment ! » Karen a pris une approche qui m’a fait rire en trente secondes
environ. Les réponses avaient en commun le pouvoir du « moi aussi ».
L’empathie est une chose étrange et puissante. Il n’y a pas de guide, ni de
bonne ou mauvaise façon de la transmettre. C’est simplement écouter,
occuper un espace, réserver le jugement, se connecter émotionnellement et
communiquer ce message incroyablement guérisseur : « Vous n’êtes pas
seul. »
Ma conversation avec Steve et Karen m’a permis de traverser la honte,
de me remettre sur mes pieds émotionnels et de répondre au courriel de
l’homme « Je le savais ! » d’un endroit d’authenticité et de valeur propre.
J’ai reconnu ma part de l’échange coléreux et je me suis excusée de mon
langage inapproprié. J’ai aussi établi des limites à l’égard de mes futures
communications. Je n’ai plus jamais entendu parler de lui.
La honte s’épanouit avec les secrets que l’on garde et il y a une science
sérieuse derrière le dicton du Programme des Douze Étapes qui dit : « Vous
êtes seulement aussi malade que vos secrets. » Dans une étude innovatrice,
le psychologue et professeur à l’Université du Texas James Pennebaker et
ses collègues ont étudié ce qui se produisait quand des survivants à un
trauma – spécifiquement des survivants du viol et de l’inceste – gardent leur
expérience secrète. L’équipe de recherche a constaté que le fait de ne pas
discuter d’un événement traumatisant ou de ne pas le confier à une autre
personne pouvait être plus dommageable que l’événement en soi. À
l’inverse, quand les gens partageaient leurs histoires et leurs expériences,
leur santé physique s’améliorait, leurs visites à un médecin diminuaient et
ils présentaient des réductions significatives de leurs hormones de stress.
Depuis ses premiers travaux sur les effets des secrets gardés, Pennebaker
a axé une grande partie de ses recherches sur le pouvoir guérisseur de
l’écriture expressive. Dans son livre Writing to Heal, Pennebaker écrit :
« Depuis le milieu des années 1980, un nombre croissant d’études a porté
sur la valeur de l’écriture expressive comme moyen d’entraîner la guérison.
Les données probantes s’accumulent sur le fait que l’acte d’écrire sur ses
expériences traumatiques pendant aussi peu que quinze à vingt minutes par
jour durant trois à quatre jours peut produire des changements mesurables
dans la santé physique et mentale. L’écriture émotionnelle peut aussi agir
sur les habitudes de sommeil des gens, l’efficacité au travail et leur façon de
connecter avec autrui. »
La résilience à la honte est une pratique et comme Pennebaker, je crois
qu’écrire sur nos expériences de honte est une composante incroyablement
puissante de la pratique. Il faut du temps pour cultiver cette pratique et du
courage pour sortir ces choses pénibles. Si vous lisez ceci et que vous
pensez : J’aimerais être capable d’avoir ces conversations avec mon
partenaire, ou mon ami, ou mon enfant – faites-le ! Si vous le lisez et que
vous pensez : La honte est devenue un style de gestion par ici et il n’est pas
étonnant que les gens soient désengagés – nous devrions en parler – faites-
le ! Vous n’avez pas à le comprendre d’abord ou à maîtriser l’information
avant de vous engager dans une conversation. Vous n’avez qu’à dire : « J’ai
lu un livre qui compte un chapitre sur la honte. J’aimerais en discuter avec
toi. Si je te prête mon livre, vas-tu le regarder ? »
La prochaine section concerne les hommes, les femmes, la honte et la
valeur. Je crois que vous voudrez leur prêter ce chapitre également. Ce que
j’ai appris sur les hommes et la honte a changé ma vie.

► TOILES ET BOÎTES : COMMENT HOMMES ET FEMMES


ÉPROUVENT LA HONTE DIFFÉREMMENT

Pendant les quatre premières années de mon étude sur la honte, je me


suis concentrée uniquement sur les femmes. À cette époque, nombre de
chercheurs croyaient, et certains le croient encore, que les expériences de
honte des hommes et des femmes étaient différentes. Je craignais que si je
combinais les données des hommes et des femmes, je raterais certaines
nuances importantes de leurs expériences. Que j’aie opté d’interviewer
seulement des femmes, je l’avoue, était partiellement attribuable à mon état
d’esprit que lorsqu’il s’agissait de valeur, les femmes étaient celles en
difficulté. À un certain niveau, je crois également que ma résistance était
fondée sur un sens intuitif qu’interviewer des hommes serait comme tomber
sur un monde nouveau et étrange.
Il se trouve que c’était absolument un nouveau monde étrange – un
monde de douleur muette. J’ai eu un aperçu de ce monde en 2005 au terme
de l’une de mes conférences. Un homme grand et élancé que je devinais
être au début de la soixantaine a suivi sa femme au devant de la salle. Il
portait un chandail de golf Izod jaune, une image que je n’oublierai jamais.
J’ai parlé quelques minutes avec sa femme tout en dédicaçant une pile de
livres qu’elle avait achetés pour elle-même et ses filles. Comme elle
s’éloignait, son mari lui a dit : « Je te rejoins. Donne-moi une minute. »
Manifestement, elle ne voulait pas qu’il reste me parler. Elle a tenté de le
convaincre avec quelques « Viens-t’en », mais il n’a pas bougé. Moi,
évidemment, je pensais : Va avec elle, mon gars. Tu me fais peur. Après
quelques vaines tentatives, elle s’est dirigée vers l’arrière de la salle. Et il
m’a fait face à ma table de dédicace.
Le début était assez innocent. « J’aime ce que vous avez à dire sur la
honte. C’est intéressant. »
Je l’ai remercié et j’ai attendu – je sentais qu’il y avait plus.
Il s’est penché vers moi et a continué : « Je suis curieux. Qu’en est-il des
hommes et la honte ? Qu’avez-vous appris sur nous ? »
Je me suis sentie soulagée. Cela ne serait pas long parce que je n’en
savais pas beaucoup. J’ai expliqué : « Je n’ai pas fait beaucoup d’interviews
avec les hommes. Je n’étudie que les femmes. »
Il a hoché la tête en ajoutant : « Eh bien, c’est pratique. »
J’ai senti les poils de ma nuque se dresser en défense. J’ai feint un
sourire et demandé : « Pourquoi pratique ? » de la voix perchée que j’utilise
quand je suis mal à l’aise. Il a répondu tout en me questionnant si je voulais
vraiment le savoir. J’ai dit oui, ce qui était une demi-vérité. J’étais sur mes
gardes.
Alors ses yeux se sont remplis de larmes. Il a poursuivi : « Nous avons
de la honte. Une honte profonde. Mais quand nous tendons la main et
partageons nos histoires, nous nous faisons rabrouer par le jargon
émotionnel. » J’ai lutté pour maintenir le contact visuel avec lui. Sa douleur
brute m’avait touchée, mais j’essayais encore de me protéger. Juste comme
j’allais commenter sur la façon dont les hommes sont durs les uns envers les
autres, il a ajouté : « Avant de dire quoi que ce soit au sujet de ces méchants
entraîneurs, patrons, frères et pères qui sont les seuls… » Il a indiqué
l’arrière de la salle où était sa femme et il a continué : « Ma femme et mes
filles – celles pour qui vous avez dédicacé tous ces livres – elles
préféreraient me voir mourir sur mon cheval blanc plutôt que de me voir en
tomber. Vous dites vouloir que nous soyons vulnérables et vrais, mais
voyons. Vous ne pouvez pas le supporter. Ça vous rend malades de nous
voir comme ça. »
Retenant mon souffle, j’avais cette réaction très viscérale à ce qu’il
disait. Cela m’a frappée comme seule la vérité peut le faire. Il a poussé un
long soupir et aussi vite qu’il avait commencé, il a conclu : « C’est tout ce
que je voulais dire. Merci de m’avoir écouté. » Puis il est parti.
J’avais passé des années à faire des recherches sur les femmes et à
entendre les histoires de leurs combats. À ce moment, j’ai réalisé que les
hommes ont leurs propres histoires et que si nous devons trouver la voie
pour sortir de la honte, ce sera ensemble. Donc, cette section présente ce
que j’ai appris sur les femmes, les hommes, comment nous nous faisons du
mal et comment nous avons besoin les uns des autres pour guérir.
Ce que j’en suis venue à croire sur les hommes et les femmes,
maintenant que j’ai étudié les deux, est qu’hommes et femmes sont
également affectés par la honte. Les messages et les attentes qui nourrissent
la honte sont absolument organisés par genre, mais l’expérience de la honte
est universelle et profondément humaine.

► LES FEMMES ET LA TOILE DE LA HONTE

Quand j’ai demandé à des femmes de partager leurs définitions ou leurs


expériences de la honte, voici ce que j’ai entendu :
L’allure parfaite. Faire parfaitement. Être parfaite. N’importe quoi
de moins que cela est honteux.
Être jugée par d’autres mères.
Être exposée – les parties imparfaites de vous-même que vous
voulez cacher aux autres sont révélées.
Peu importe ce que j’ai réalisé ou tout ce que j’ai parcouru, d’où je
viens et ce à quoi j’ai survécu vont toujours me faire sentir que ce
que je suis n’est pas assez.
Même si chacun sait qu’il n’y a pas moyen de tout faire, tout le
monde s’y attend quand même. La honte, c’est quand vous
n’arrivez pas à faire semblant que tout est sous contrôle.
Jamais assez à la maison. Jamais assez au travail. Jamais assez au
lit. Jamais assez avec mes parents. La honte est « jamais assez ».
Pas de siège à la table « cool ». Les jolies filles rient.
Si vous vous souvenez des douze catégories de la honte (apparence et
image corporelle, argent et travail, maternité/ paternité, famille, parentage,
santé physique et mentale, dépendance, sexe, vieillissement, religion,
survivre à un trauma et être stéréotypé ou étiqueté), le principal déclencheur
pour les femmes, en ce qui concerne son pouvoir et son universalité, est la
première catégorie : l’apparence. Encore. Après toute la sensibilisation et
les prises de conscience, nous ressentons encore le plus de honte à propos
de ne pas être assez minces, jeunes et belles.
Curieusement, pour ce qui est des déclencheurs de honte pour les
femmes, la maternité est bon deuxième. Et (bonus !) vous n’avez pas à être
une mère pour connaître la honte d’une mère. La société voit la féminité et
la maternité inextricablement liées, donc notre valeur comme femmes est
souvent déterminée par où nous en sommes relativement à nos rôles de
mères ou de mères potentielles. Les femmes se font constamment demander
pourquoi elles ne sont pas mariées ou si elles le sont, pourquoi elles n’ont
pas d’enfant. Même les femmes qui sont mariées et ont un enfant se font
demander pourquoi elles n’en ont pas un deuxième. Vous avez eu vos
enfants trop distancés ? « À quoi avez-vous pensé ? » Trop près ?
« Pourquoi ? C’est si injuste pour les enfants. » Si vous travaillez à
l’extérieur de la maison, la première question est : « Et que faites-vous des
enfants ? » Si vous ne travaillez pas, la question est : « Quel exemple
donnez-vous à vos filles ? » La honte de la mère est omniprésente, c’est un
droit de naissance pour les filles et les femmes.
Mais le véritable combat pour les femmes – ce qui amplifie la honte sans
égard à la catégorie – est que nous sommes censées (et désirons parfois)
être parfaites, et pourtant il n’est pas permis d’avoir l’air d’y travailler.
Nous voulons simplement que cela se matérialise tout seul. Tout devrait être
sans effort. L’attente est que nous soyons des beautés naturelles, des mères
naturelles, des meneuses naturelles et des parents naturellement bons, et
nous voulons appartenir à des familles naturellement fabuleuses. Pensez à
tout l’argent encaissé à vendre des produits qui promettent « l’allure
naturelle ». Et quand il s’agit du travail, nous adorons entendre : « Ça
semble si facile pour elle » ou « C’est inné chez elle. »
Quand je me suis arrêtée à lire les pages de définitions et d’exemples
fournis par les femmes, j’avais la vision d’une toile. Ce que je voyais était
une toile d’araignée visqueuse, complexe, faite d’attentes, conflictuelles et
concurrentielles qui dictent exactement :
qui nous devrions être ;
ce que nous devrions être ;
comment nous devrions être.
Quand je pense à mes propres tentatives d’être tout pour chacun – ce que
les femmes sont socialisées à accomplir – je peux voir comment chacun de
mes gestes ne fait que me piéger davantage. Chaque tentative de m’extirper
hors de la toile mène à être davantage piégée, parce que chaque choix a des
conséquences ou mène à quelqu’un de désappointé.
La toile est une métaphore pour la situation classique de la double
contrainte. L’auteure Marilyn Frye décrit une double contrainte comme
étant « une situation où les options sont très limitées et où elles nous
exposent toutes à une pénalité, à une censure ou à une privation ». Si vous
prenez des attentes concurrentielles et conflictuelles (qui sont souvent
inatteignables dès le départ) vous avez ceci :
Soyez parfaite, mais n’en faites pas toute une histoire et n’enlevez
pas de temps à quoi que ce soit, comme votre famille, votre
partenaire ou votre travail pour concrétiser votre perfection. Si
vous êtes vraiment douée, la perfection devrait être facile.
Ne contrariez personne ou ne heurtez pas leurs sentiments, mais
dites ce que vous avez en tête.
Montez le niveau de sexualité au maximum (après le coucher des
enfants, la promenade du chien et les tâches ménagères), mais
descendez-le au plus bas à la rencontre parents-enseignants. Et
quoi que vous fassiez, ne confondez pas les deux – vous savez
comment nous parlons de ces bombes sexuelles.
Soyez simplement vous-même, mais pas si cela veut dire être
timide ou incertaine. Rien n’est plus sexy que la confiance en soi
(surtout si vous êtes jeune et attirante).
Ne rendez pas les gens mal à l’aise, mais soyez honnête.
Ne soyez pas trop émotionnelle, mais ne soyez pas non plus trop
détachée. Trop émotionnelle et vous êtes hystérique. Trop détachée
et vous êtes une garce sans cœur.
Dans une étude américaine sur la conformité aux normes féminines, des
chercheurs ont récemment énuméré les attributs les plus importants associés
à « être féminine » comme étant gentille, rechercher un idéal de minceur
corporelle, faire preuve de modestie en n’attirant pas l’attention sur ses
talents ou ses capacités, être femme d’intérieur, prendre soin des enfants,
investir dans une relation romantique, garder l’intimité sexuelle confinée à
une relation engagée et utiliser nos ressources pour investir dans notre
apparence.
Fondamentalement, nous devons aspirer à demeurer aussi petites,
mignonnes et tranquilles que possible, et à utiliser notre temps et notre
talent à être jolies. Nos rêves, nos ambitions et nos talents n’ont aucune
importance. Dieu nous garde qu’une jeune fille qui aurait le remède du
cancer enfoui dans ses compétences trouve cette liste et décide d’en suivre
les règles. Si elle le fait, nous ne connaîtrons jamais son génie – et j’en suis
convaincue. Pourquoi ? Parce que chaque femme prospère que j’ai
interviewée m’a parlé du combat parfois quotidien pour dépasser « les
règles » de sorte qu’elle puisse s’affirmer, défendre ses idées et se sentir à
l’aise avec son pouvoir et ses dons.
Même pour moi, la question de « demeurer petite, mignonne, tranquille
et modeste » semble un problème dépassé, mais la vérité est que les femmes
accourent à ces demandes au moment où nous trouvons et utilisons notre
voix. Lorsque la vidéo de TEDxHouston est devenue virale, je voulais me
cacher. J’ai supplié mon mari Steve de pirater le site Web TED et de « me
débarrasser de toute la chose ». Je fantasmais d’entrer par effraction dans
les bureaux où on gardait la vidéo et de la voler. J’étais désespérée. C’est là
que j’ai réalisé que j’avais inconsciemment travaillé toute ma carrière à
garder mon travail modeste. J’aimais écrire pour la communauté de mes
lecteurs, parce que prêcher à des convertis est facile et relativement sûr. La
diffusion rapide et mondiale de mon travail était exactement ce que j’avais
toujours tenté d’éviter. Je ne voulais pas cette exposition et j’étais terrifiée
par les critiques méchantes qui sont si omniprésentes dans la culture
d’Internet.
Eh bien, la méchanceté est apparue et était dirigée en grande partie au
renforcement des normes que nous aimions croire dépassées. Lorsqu’un
nouvel organisme a diffusé la vidéo sur son site, un débat houleux a éclaté
dans la section des commentaires de leur site Web à propos (évidemment !)
de mon poids. « Comment peut-elle parler à propos de valeur alors qu’elle a
nettement besoin de perdre sept kilos ? » Sur un autre site, le débat s’est
articulé autour du caractère approprié des mères qui vivent des dépressions.
« Je suis désolé pour ses enfants. Les bonnes mères ne s’effondrent pas. »
Un autre commentaire disait : « Moins de recherche, plus de Botox. »
Quelque chose de semblable s’est produit quand j’ai écrit un article sur
l’imperfection pour CNN.com. Pour accompagner l’article, l’éditeur
utilisait une photo d’une amie qui avait écrit « Je suis assez » sur sa
poitrine. C’est une belle photo qui trône dans mon bureau comme un rappel.
Eh bien, elle a suscité des commentaires comme « Elle peut bien croire
qu’elle est assez, mais à en juger par cette poitrine, elle pourrait en avoir
plus » et « Si je ressemblais à Brené Brown, j’embrasserais aussi
l’imperfection. »
Je sais que ces exemples sont symptomatiques de la culture de la cruauté
dans laquelle nous vivons aujourd’hui et que tout le monde y passe, mais
songez à comment et à quoi ils choisissent de s’attaquer. Ils s’en sont pris à
mon apparence et à mon rôle de mère – deux coups meurtriers pris tout
droit de la liste des normes féminines. Ils n’ont pas visé mon intellect ou
mes arguments. Ça ne ferait pas assez mal.
Donc, non, ces normes sociétales ne sont pas dépassées, même si elles
sont réductionnistes et qu’elles arrachent la vie hors de nous, et la honte est
le moyen de les appliquer. Ce qui est un autre rappel de la raison pour
laquelle la résilience à la honte est un prérequis pour la vulnérabilité. Je
crois que j’ai osé avec audace dans ma conférence TEDxHouston. Parler de
mes combats était un geste courageux pour moi, étant donné ma tendance à
m’autoprotéger et à utiliser ma recherche comme une armure. Et la seule
raison pour laquelle je suis encore debout (et assise ici à écrire ce livre) est
parce que j’ai cultivé des compétences robustes de résilience à la honte et
que je sais très clairement que le courage est une valeur importante pour
moi.
J’ai nettement vu que ces commentaires déclenchaient la honte en moi et
que je pouvais rapidement vérifier la réalité de ces messages. Oui, ils font
encore mal. Oui, j’étais fâchée. Oui, j’ai versé de chaudes larmes. Oui, je
voulais disparaître. Mais je me suis donné la permission de ressentir ces
choses pour quelques heures ou jours, puis j’ai tendu la main, j’ai parlé de
mes sentiments avec des gens de confiance que j’aime. Je me sentais plus
courageuse, plus compatissante, plus connectée. (J’ai aussi cessé de lire des
commentaires anonymes. Si vous n’êtes pas dans l’arène avec nous, à lutter
et à vous faire botter le derrière à l’occasion, je ne suis pas intéressée par
votre rétroaction.)

► COMMENT LES HOMMES ÉPROUVENT DE LA HONTE

Quand j’ai demandé à des hommes de définir la honte ou de me donner


une réponse, voici ce que j’ai entendu :
La honte est un échec. Au travail. Sur le terrain de football. Dans
votre mariage. Au lit. Avec l’argent. Avec vos enfants. Peu
importe – la honte est un échec.
La honte est avoir tort. Pas faire du tort, mais avoir tort.
La honte est le sentiment d’être défectueux.
La honte survient quand les gens croient que vous êtes un mou.
C’est dégradant et honteux d’être vu comme autre chose qu’un
dur.
Révéler une faiblesse est honteux. À la base, la honte est une
faiblesse.
Montrer la peur est honteux. Vous ne pouvez pas manifester la
peur. Vous ne pouvez pas avoir peur – en aucun cas.
La honte est d’être vu comme « le gars que tu peux violemment
pousser contre les casiers du vestiaire ».
Notre pire crainte est d’être critiqués ou ridiculisés – l’un ou
l’autre est extrêmement honteux.
Fondamentalement, les hommes vivent sous la pression d’un message
sans relâche : ne sois pas perçu comme un faible.
Quand mes étudiants diplômés allaient interviewer des hommes, je leur
disais de se préparer à trois choses : des histoires du secondaire, des
métaphores sportives et le mot mauviette). Si vous ne pouvez pas croire que
je viens d’écrire cela, je comprends. C’est un de mes mots les moins
préférés. Mais comme chercheuse, je sais qu’il est important d’être honnête
à propos de ce qui a transpiré, et ce mot est survenu tout le temps des
entrevues. Que l’homme ait dix-huit ans ou quatre-vingts, si je demandais :
« Quel est le message de la honte ? », la réponse était : « Ne sois pas une
mauviette. »
Quand j’ai commencé à écrire sur mon travail avec les hommes, j’ai
utilisé l’image d’une boîte – quelque chose qui ressemblait à une caisse
d’expédition – pour expliquer comment la honte prend les hommes au
piège. Comme les demandes aux femmes d’être naturellement belles,
minces et parfaites en tout, surtout la maternité, la boîte comprend des
règles qui dictent aux hommes ce qu’ils devraient faire et ne pas faire, et qui
on leur permet d’être. Mais pour les hommes, chaque règle revient au même
mandat : « Ne sois pas faible. »
Je n’oublierai jamais ce qu’un homme de vingt ans qui faisait partie d’un
petit groupe d’étudiants universitaires que j’interviewais a dit : « Laissez-
moi vous montrer la boîte. » Je savais qu’il était grand, mais quand il s’est
levé, il était évident qu’il faisait au moins six pieds quatre pouces (1,93 m).
Il a ajouté : « Imaginez vivre comme ça », alors qu’il s’accroupissait et
prétendait être entassé dans une petite boîte.
Encore recroquevillé, il a poursuivi : « Vous n’avez réellement que trois
possibilités. Vous passez votre vie à lutter pour sortir, en assenant des coups
de poing sur le côté de la boîte en espérant qu’il se brise. Vous êtes toujours
en colère et vous remuez toujours. Ou vous abandonnez simplement. Vous
vous foutez de tout. » À ce moment, il s’est étendu par terre. On aurait pu
entendre voler une mouche dans la salle.
Puis il s’est levé, a secoué la tête et a dit : « Ou vous restez défoncé de
sorte que vous ne remarquez pas à quel point c’est insupportable. C’est la
solution la plus facile. » Les étudiants se sont emparés du restez défoncé
comme d’une bouée de sauvetage et ont eu un rire nerveux. Cela arrive
souvent quand on parle de honte ou de vulnérabilité – n’importe quoi pour
soulager la tension.
Mais ce brave jeune homme ne riait pas et moi non plus. Sa
démonstration était l’une des choses les plus honnêtes et courageuses que
j’aie eu le privilège de voir, et je sais que les gens dans la salle en ont été
profondément affectés. Après l’interview du groupe, il m’a parlé de ses
expériences en grandissant. Enfant, il était un artiste passionné et il
tressaillait en décrivant à quel point, dès en bas âge, il était certain d’être
heureux s’il pouvait passer sa vie à peindre et à dessiner. Il a raconté qu’un
jour, il était dans la cuisine avec son père et son oncle. L’oncle a indiqué
une collection de ses œuvres qui était collée sur le réfrigérateur et a dit en
blague à son père : « Quoi ? Tu élèves une tapette artiste maintenant ? »
Après cela, a-t-il continué, son père, qui avait toujours été neutre face à
son art, lui a défendu de suivre des cours. Même sa mère, qui avait toujours
été si fière de son talent, s’est rangée du côté que « ça faisait un peu
fillette. » Il m’a confié qu’il avait dessiné sa maison la veille où tout ceci
s’est déroulé, et qu’à ce jour, c’est la dernière chose qu’il avait dessinée. Ce
soir-là, j’ai pleuré pour lui et pour tous ceux qui n’ont jamais pu voir ses
œuvres. Je pense à lui tout le temps et j’espère qu’il s’est reconnecté à son
art. Je sais que c’est une énorme perte pour lui et je suis également certaine
que le monde manque quelque chose.

► NE PORTEZ PAS ATTENTION À CET HOMME DERRIÈRE LE


RIDEAU

Ayant appris davantage sur les hommes et leurs expériences de honte, je


vois encore cette image de la caisse d’expédition sur laquelle est apposé un
gros timbre qui dit « ATTENTION : ne soyez pas perçu comme étant
faible ». Je vois comment les garçons reçoivent une caisse en naissant. Ce
n’est pas trop étroit quand ils sont bambins. Ils sont encore petits et peuvent
se déplacer un peu. Ils peuvent pleurer et s’agripper à maman, mais en
grandissant, ils ont de moins en moins de place pour gigoter. Quand ils
deviennent des hommes, c’est suffocant.
Mais tout comme les femmes, les hommes sont pris dans leur propre
double contrainte. Au cours des quelques dernières années, surtout depuis la
baisse de l’économie, j’ai commencé à voir la boîte du Magicien d’Oz. Je
parle de la petite boîte cachée par un rideau dans laquelle se tient debout le
magicien et où il contrôle son image d’Oz « grande et puissante ». Comme
l’insuffisance s’est emparée de notre culture, ce n’est pas seulement « Ne
soyez pas perçu comme étant faible », mais aussi « Vous seriez mieux d’être
grand et tout-puissant. » Cette image m’est d’abord venue en tête quand j’ai
interviewé un homme qui était dans une honte profonde pour avoir été
licencié à la suite d’une réduction de l’entreprise. Il m’a dit : « C’est
curieux, mon père le sait, mes deux amis le savent. Mais ma femme ne le
sait pas. Ça fait six mois et chaque matin, je m’habille et je sors comme si
j’allais au travail. Je roule en ville, je vais dans des cafés et je cherche un
emploi. »
Je suis une intervieweuse habile, mais je peux imaginer que mon
expression alléguait quelque chose comme : « Comment diable avez-vous
pu vous en tirer ? » Sans attendre ma question suivante, il a répondu : « Elle
ne veut pas le savoir. Si elle le sait déjà, elle veut que je continue à faire
semblant. Croyez-moi, si je trouve un autre emploi et que je lui dis après
que je serai de retour au travail, elle sera reconnaissante. Savoir changerait
la façon dont elle me considère. Elle ne s’est pas engagée pour ça. »
Je n’étais pas préparée à entendre à répétition de la part des hommes
comment les femmes – les mères, les sœurs, les copines, les épouses – de
leur vie les critiquent constamment de ne pas être ouverts, vulnérables et
intimes, pendant qu'elles se tiennent devant ce placard étroit du magicien où
leurs hommes sont recroquevillés à l’intérieur, où elles ajustent le rideau et
s’assurent que personne ne voit à l’intérieur et que personne n’en sorte.
Une fois, je revenais à la maison après une interview avec un petit groupe
d’hommes et j’ai pensé : Merde alors ! Je suis le patriarcat.
Voici le modèle douloureux qui s’est dégagé de ma recherche auprès des
hommes. Nous leur demandons d’être vulnérables, nous les supplions de
nous laisser entrer et nous les prions de nous dire quand ils ont peur, mais la
vérité est que la plupart des femmes ne peuvent le supporter. Lors de ces
moments où une réelle vulnérabilité se produit chez les hommes, la plupart
d’entre nous reculons par peur et cette peur se manifeste par la déception
allant jusqu’au dégoût. Et les hommes sont très rusés. Ils connaissent les
risques et ils voient le regard dans nos yeux quand nous pensons : Allez !
Ressaisis-toi. Sois un homme. Comme Joe Reynolds, un de mes mentors et
le doyen à notre église, m’a dit une fois durant une conversation à propos
des hommes, de la vulnérabilité et de la honte : « Les homme savent ce que
veulent vraiment les femmes. Elles veulent que nous prétendions être
vulnérables. Nous devenons vraiment bons à faire semblant. »
La honte cachée fait aussi mal que la honte ouverte. Prenez par exemple
l’homme qui m’a confié se sentir toujours honteux avec sa femme au sujet
de l’argent. Le dernier exemple était quand sa femme est revenue à la
maison et a dit : « Je viens de voir la nouvelle maison de Katie ! C’est
merveilleux. Elle est si heureuse de finalement avoir la maison de ses rêves.
Par-dessus le marché, elle va cesser de travailler l’an prochain. »
Il m’a dit aussi que sa réponse immédiate a été la rage. Alors il a
entrepris de se disputer avec sa femme à propos de la mère de celle-ci qui
venait en visite, puis il a vite disparu ailleurs dans la maison. Alors que
nous parlions de cette conversation, il a ajouté : « C’était de la honte.
Pourquoi avait-elle besoin de dire ça ? Je sais que le mari de Katie gagne
beaucoup d’argent. Il prend mieux soin d’elle. Je ne peux pas rivaliser. »
Quand je lui ai demandé s’il croyait qu’elle voulait intentionnellement le
blesser ou lui faire honte, il a répondu : « Je ne suis pas certain. Qui sait ?
J’ai refusé un emploi qui payait beaucoup plus mais nécessitait de voyager
trois semaines par mois. Elle a dit qu’elle m’appuyait dans ma décision et
qu’elle et les enfants s’ennuieraient trop de moi, mais maintenant elle fait
d’incessants petits commentaires sur l’argent. Je ne sais pas quoi penser. »

► FURIEUX OU FERMÉ

Je ne veux pas simplifier à outrance une chose aussi complexe que la


réaction à la honte, mais je dois dire que lorsqu’il s’agit des hommes, il
semble y avoir deux réponses principales : furieux ou fermé. Bien sûr,
comme les femmes, à mesure que les hommes développent la résilience à la
honte, cela change et ils apprennent à réagir à la honte avec sensibilisation,
autocompassion et empathie. Mais sans cette sensibilisation, lorsque les
hommes ressentent cette vague d’insuffisance et de petitesse, ils réagissent
normalement par la colère et/ou en se fermant complètement.
Quand j’ai eu recueilli suffisamment d’interviews pour commencer à
distinguer des modèles et des thèmes apparents, j’ai organisé des interviews
avec plusieurs thérapeutes masculins qui se spécialisent dans les enjeux des
hommes. Je voulais m’assurer que je ne filtrais pas ce que j’avais entendu
des hommes au moyen de mes propres expériences. Quand j’ai questionné
un de ces thérapeutes sur le concept de « furieux ou fermé », il m’a raconté
cette histoire pour illustrer mon point.
Au milieu du cours secondaire, il a fait des essais et a été accepté dans
l’équipe de football. Le premier jour de la pratique, le coach a demandé aux
garçons de faire la file sur la ligne de mêlée. Le thérapeute avait grandi en
jouant beaucoup au football dans son quartier, mais c’était sa première
expérience sur un vrai terrain, tout équipé, en face de garçons dont le but
était de l’aplatir. Il a confié : « J’étais soudainement pris de frayeur. Je me
disais combien ça allait faire mal et je crois que la peur s’est vue sur mon
visage. »
Il a ajouté que son coach a crié son nom de famille et dit : « Ne sois pas
une mauviette ! Va sur la ligne. » Il a immédiatement senti la honte
parcourir son corps. « En ce moment précis, il m’est apparu très clairement
comment le monde fonctionne et ce que ça signifie d’être un homme :
« Je n’ai pas le droit d’avoir peur.
« Je n’ai pas le droit de montrer que j’ai peur.
« Je n’ai pas le droit d’être vulnérable.
« La honte, c’est avoir peur, le montrer ou être vulnérable. »
Quand je lui ai demandé ce qu’il a fait ensuite, il m’a regardée dans les
yeux et a répondu : « J’ai converti ma peur en rage et j’ai foncé sur le gars
devant moi. Ça a si bien fonctionné que j’ai passé les vingt années suivantes
à convertir ma peur et ma vulnérabilité en rage et à foncer sur qui que ce
soit devant moi. Ma femme. Mes enfants. Mes employés. Il n’y avait pas
d’autre façon de me soustraire à la peur et à la honte. »
J’ai entendu tant de chagrin et de lucidité dans sa voix. Il était très sensé.
La peur et la vulnérabilité sont de puissantes émotions. On ne peut pas
seulement souhaiter qu’elles disparaissent. Il faut y faire quelque chose.
Bien des hommes, en fait, utilisent des descriptions physiologiques quand
ils me parlent de « furieux ou fermé ». C’est presque comme si la honte, la
critique et le ridicule sont physiquement intolérables.
Le thérapeute a conclu : « Je suis entré en thérapie quand ma rage et ma
consommation d’alcool n’étaient plus gérables. Quand cela a commencé à
me coûter mon mariage et ma relation avec mes enfants. C’est pourquoi je
fais ce travail aujourd’hui. »
La résilience à la honte – les quatre éléments dont nous avons discuté au
chapitre précédent – consiste à trouver une voie médiane, une option qui
nous permet de demeurer engagés et de trouver le courage émotionnel qu’il
nous faut pour répondre d’une façon conforme à nos valeurs.

► JE SUIS DUR ENVERS LES AUTRES AU MÊME TITRE QUE


JE LE SUIS ENVERS MOI-MÊME

Tout comme le père qui fustige son fils artiste en herbe ou le coach qui
donne du fil à retordre à son joueur, les femmes peuvent aussi être très dures
envers les autres femmes. Nous sommes dures envers les autres parce que
nous le sommes envers nous-mêmes. C’est exactement ainsi que le
jugement fonctionne. Trouver quelqu’un à abaisser, à juger ou à critiquer
devient une façon de nous sortir de la toile ou d’attirer l’attention loin de
notre boîte. Si vous faites pire que moi dans quelque chose, je crois que mes
chances de survie sont meilleures.
Steve et moi nous sommes rencontrés quand nous étions secouristes et
entraîneurs de natation. La règle d’or du secourisme est d’utiliser tous les
moyens possibles avant de sauter à l’eau et d’essayer de tirer quelqu’un
hors de l’eau. Même si vous êtes bon nageur et que la personne à aider est
deux fois plus petite que vous, une personne désespérée fera n’importe quoi
pour se sauver elle-même – pour respirer un coup – y compris vous noyer
dans sa tentative pour survivre. La même chose s’applique aux femmes et à
la toile de la honte. Nous sommes si désespérées d’en sortir et de rester en
dehors de la honte que nous traitons constamment les gens autour de nous
comme des proies plus méritantes.
Ce qui est ironique (ou peut-être est-ce naturel) est que la recherche nous
dit que nous jugeons les gens dans des domaines où nous sommes
vulnérables à la honte, surtout quand on cible ceux qui font pire que nous.
Si je me sens bien dans mon rôle de parent, je n’ai pas d’intérêt à juger les
choix des autres. Si je me sens bien dans mon corps, je ne me promène pas
en riant du poids ou de l’apparence des gens. Nous sommes durs les uns
envers les autres parce que nous nous servons d’eux comme d’un tremplin
pour notre propre déficience honteuse perçue. C’est blessant et inefficace, et
si vous vous penchez sur la culture de la méchante fille dans les écoles
secondaires, c’est aussi contagieux. Nous avons transmis ce mécanisme de
survie contrefait à nos enfants.
Dans mes interviews avec des enseignants et des administrateurs
d’écoles, deux modèles se sont dégagés qui traitent directement de cette
question. Le premier modèle rapporté par les professeurs et les directeurs
était que souvent les enfants qui adoptent des comportements d’intimidation
ou qui rivalisent pour un rang social en descendant les autres ont des
parents qui utilisent les mêmes comportements. Au sujet des filles,
l’expression qui ressortait des interviews était : « Les parents ne sont pas
troublés par les comportements de leurs filles, ils sont fiers d’elles parce
qu’elles sont populaires. » Un directeur d’école a comparé ce comportement
à celui des pères qui demandent d’abord : « Eh bien, a-t-il au moins gagné
le combat ? »
L’autre modèle, qui s’est dégagé il n’y a que quelques années, est l’âge
des enfants quand ceci arrive. Quand j’ai commencé ce travail,
l’intimidation n’était pas un sujet chaud, mais comme chercheuse sur la
honte, j’étais consciente que c’était une tendance croissante. En fait, j’ai
écrit un article d’opinion sur l’intimidation et la télé-réalité pour le Houston
Chronicle, il y a plus de dix ans. À l’époque, j’étais axée sur les adolescents
comme tranche d’âge principale pour ces comportements. Ces dernières
années, j’entends parler de filles et de garçons aussi jeunes qu’en première
année qui s’adonnent à ces comportements.
Comment briser un modèle si insidieux ? Peut-être en décidant (et en
montrant à nos enfants) que la solution à être coincés dans la honte n’est
pas de dénigrer les autres qui sont aussi coincés comme nous, mais de
joindre nos mains et de nous en libérer ensemble. Par exemple, si nous
sommes à l’épicerie, que nous poussons notre panier et dépassons une autre
mère dont l’enfant hurle au meurtre et lance des Cheerios par terre, nous
avons un choix. Si nous choisissons ce moment pour confirmer que nous
sommes meilleures qu’elle, et qu’elle est prise dans la toile de façons que
nous ne le sommes pas, nous aurons un regard désapprobateur et nous
éloignerons. Notre autre choix, cependant, est de faire notre meilleur sourire
signifiant « vous n’êtes pas seule – ça m’est arrivé » parce que nous savons
ce qu’elle ressent. Oui, l’empathie demande une certaine vulnérabilité et
nous risquons de recevoir un « mêlez-vous de vos maudites affaires » en
retour, mais ça en vaut la peine. Ça ne fait pas que relâcher la toile pour
elle. Cela la relâche pour nous la prochaine fois que ce sera notre enfant et
nos Cheerios – et vous pouvez gager que ce sera le cas.
Ce qui me donne de l’espoir au sujet de notre volonté à tendre la main et
à nous soutenir les uns les autres est le nombre croissant d’hommes et de
femmes que je rencontre qui sont disposés à risquer la vulnérabilité et à
partager leurs histoires de résilience à la honte. Je vois cela dans des
programmes de mentorat officiels et informels. Je vois cela chez des gens
qui rédigent des blogs et partagent leurs expériences avec les lecteurs. Je
vois cela dans des écoles et des programmes qui non seulement deviennent
de moins en moins tolérants face à l’intimidation des élèves, mais qui
tiennent les enseignants, les administrateurs et les parents responsables de
leurs comportements. On demande aux adultes d’être un modèle de la
sincérité Sans réserve qu’ils veulent voir chez leurs enfants.
Une transformation paisible survient qui nous fait passer de « nous
tourner les uns contre les autres » à « nous tourner les uns envers les
autres ». Nul doute que cette transformation demandera de la résilience à la
honte. Si nous sommes prêts à oser avec audace et à risquer la vulnérabilité
les uns envers les autres, la valeur a le pouvoir de nous libérer.

► IL NE S’AGIT PAS DU GRAS DORSAL : LES HOMMES, LES


FEMMES, LE SEXE ET L’IMAGE CORPORELLE

En 2006, j’ai rencontré vingt-deux étudiants d’un collège


communautaire, hommes et femmes, pour parler de la honte. C’était ma
première interview d’un grand groupe mixte. À un moment donné, un jeune
homme au début de la vingtaine a expliqué comment il avait récemment
divorcé de sa femme, après son retour d’un service militaire et avoir
découvert qu’elle avait une aventure. Il a dit qu’il n’était pas surpris parce
qu’il ne s’était jamais « senti assez bon pour elle. » Il a expliqué qu’il lui
demandait constamment de quoi elle avait besoin et ce qu’elle voulait, et
que chaque fois qu’il était près de répondre à ses besoins, elle « changeait
les règles du jeu. »
Une jeune femme de la classe s’est exprimée : « Les gars sont pareils. Ils
ne sont jamais satisfaits non plus. Nous ne sommes jamais assez jolies, sexy
ou minces. » En quelques secondes, une conversation a débuté sur l’image
corporelle et le sexe, principalement au sujet de la peur d’avoir des rapports
sexuels avec une personne qui nous est chère alors qu’on s’inquiète de
l’apparence de notre corps. Les jeunes femmes qui ont entamé la
conversation ont dit : « Ce n’est pas facile d’avoir un rapport sexuel tout en
rentrant le ventre. Comment pouvons-nous nous laisser aller lorsque nous
nous soucions de notre gras dorsal ? »
Le jeune homme qui avait raconté l’histoire de son divorce a frappé le
bureau avec sa main et s’est écrié : « Il ne s’agit pas de gras dorsal ! Vous
vous en souciez. Pas nous. On s’en fout ! » La classe est devenue
silencieuse. Il a respiré à fond et a dit : « Cessez d’inventer toutes ces
histoires sur ce que nous pensons. Ce que nous pensons vraiment c’est
“M’aimes-tu ? Te soucies-tu de moi ? Me veux-tu ? Suis-je important pour
toi ? Suis-je assez bon ?” Voilà ce que nous pensons. Quand il s’agit de
sexe, il semble que notre vie est en jeu et vous vous souciez de ces
conneries ? »
À ce moment, la moitié des jeunes hommes dans la salle étaient si
émotionnels qu’ils se cachaient le visage dans leurs mains. Quelques filles
étaient en larmes, et je ne pouvais respirer. La jeune femme qui avait
évoqué la question de l’image corporelle a ajouté : « Je ne comprends pas.
Mon dernier petit ami critiquait toujours mon corps. »
Le jeune vétéran qui venait juste de nous abasourdir a répondu : « C’est
parce que c’est un trou de cul. Ce n’est pas parce que c’est un gars. Certains
d’entre nous sont juste des gars. Donnez-nous une chance. S’il vous plaît. »
Un homme d’âge moyen dans le groupe s’est joint à la conversation, les
yeux rivés sur son bureau. « C’est vrai. Lorsque vous voulez être avec
nous… de cette manière… nous nous sentons plus valeureux. Nous
grandissons un peu. Nous croyons en nous davantage. Je ne sais pas
pourquoi, mais c’est vrai. Et je suis marié depuis que j’ai dix-huit ans. C’est
encore comment je me sens avec ma femme. »
Jamais dans ma vie avant ce moment je n’avais pensé aux hommes se
sentant vulnérables à propos du sexe. Jamais je n’avais pensé que leur
valeur propre était en jeu d’aucune façon. Je ne comprenais pas. Alors j’ai
interviewé beaucoup plus d’hommes au sujet de la sexualité, de la honte et
de la valeur, y compris des professionnels de la santé mentale. Dans l’une
de mes interviews finales sur le sujet, je me suis assise avec un thérapeute
qui avait travaillé plus de vingt-cinq ans avec des hommes. Il a expliqué
que dès l’âge de huit à dix ans, les garçons apprennent qu’initier le sexe est
leur responsabilité et que le rejet sexuel devient vite le domaine de la honte
masculine.
Il a expliqué : « Même dans ma propre vie, quand ma femme n’est pas
intéressée, je dois encore combattre des sentiments de honte. Peu importe si
je comprends intellectuellement pourquoi elle n’a pas le goût, je suis
vulnérable et c’est très difficile. » Quand je l’ai interrogé sur son travail sur
la dépendance et la pornographie, il m’a donné une réponse qui m’a aidée à
comprendre cet enjeu d’un tout nouvel éclairage. Il a dit : « Pour cinq
dollars et cinq minutes, tu penses que tu obtiens ce que tu veux et tu ne
cours pas de risque de rejet. »
La raison pour laquelle cette réponse était si révélatrice pour moi est
qu’elle était si entièrement différente de ce que les femmes ressentaient.
Après avoir interviewé des femmes pendant dix ans, il était clair que celles-
ci voient la question des hommes et de la pornographie liée à leur apparence
inadéquate et/ou à leur manque d’expertise sexuelle. À la fin de mon
interview avec cet homme merveilleux et sage, il a ajouté : « Je devine que
le secret est que le sexe est terrifiant pour la plupart des hommes. C’est
pourquoi vous voyez tout ce qui relève de la porno comme étant des
tentatives violentes, désespérées d’exercer un pouvoir et un contrôle. Le
rejet est profondément douloureux. »
Cultiver l’intimité – physique ou émotionnelle – est presque impossible
quand nos déclencheurs de la honte font une rencontre face à face et créent
la parfaite tempête de honte. Ces tempêtes de honte concernent parfois
directement le sexe et l’intimité, mais parfois il y a des gremlins en
périphérie qui font des ravages dans nos relations. Les enjeux communs
sont notamment l’image corporelle, le vieillissement, l’apparence, l’argent,
le parentage, la maternité, l’épuisement, le ressentiment et la peur. Quand
j’ai demandé aux hommes, aux femmes et aux couples comment ils
pratiquaient la sincérité Sans réserve autour de ces enjeux très sensibles et
personnels, une réponse est revenue sans cesse : des conversations
honnêtes, aimantes qui exigent une grande vulnérabilité. Nous devons être
capables d’exprimer comment nous nous sentons, ce dont nous avons
besoin et ce que nous désirons, et nous devons être capables d’écouter d’un
cœur et d’un esprit ouverts. Il n’y a pas d’intimité sans vulnérabilité. Encore
un autre exemple puissant de vulnérabilité en tant que courage.

► LES PAROLES QUE NOUS NE POUVONS JAMAIS RETIRER

Les missiles sont trop proches, je passe aux armes.


– Top Gun

Quand je parle à des couples, je peux voir comment la honte crée une
des dynamiques les plus fatales pour une relation. Les femmes, qui
éprouvent de la honte lorsqu’elles ne se sentent pas entendues ou validées,
recourent souvent à pousser et à provoquer par la critique (« Pourquoi tu
n’en fais jamais assez ? » ou encore « Tu ne le fais jamais bien. ») Les
hommes qui, à leur tour, ressentent la honte quand ils se sentent critiqués
pour leur insuffisance, soit se ferment (laissant les femmes pousser et
provoquer davantage), soit rétorquent avec colère.
Au cours des cinq premières années de notre mariage, Steve et moi
sommes tombés dans ce modèle. Je me souviens d’une dispute où nous
étions tous deux incroyablement fâchés. Après dix minutes de réprimandes
de ma part, il m’a regardée et a dit : « Laisse-moi seul vingt minutes. J’ai
terminé. Je ne vais plus faire cela. » Quand il a fermé et verrouillé la porte,
j’étais tellement enragée que j’ai frappé sur la porte en disant : « Reviens ici
et bats-toi avec moi. » C’est alors que je me suis entendue et que j’ai vu ce
qui se passait. Il était sur le point de se fermer ou d’être enragé, et je ne me
sentais ni écoutée ni comprise. Il en résultait que nous étions mutuellement
désespérés.
Steve et moi en sommes à notre dix-huitième année de mariage et cette
année nous célébrerons le vingt-cinquième anniversaire de notre premier
rendez-vous. Il est, sans aucun doute, la meilleure chose qui me soit jamais
arrivée. Quand nous nous sommes mariés, aucun de nous n’avait une idée
de ce qu’un partenariat solide pouvait avoir l’air ou de ce que ça prenait
pour qu’il fonctionne. Si vous nous demandiez aujourd’hui ce qu’est la clé
de notre relation, la réponse serait la vulnérabilité, l’amour, l’humour, le
respect, les disputes sans honte et la vie sans blâme. Nous en avons appris
une partie par nous-mêmes par la bonne vieille méthode des essais et
erreurs. Mais nous avons aussi appris de mon travail et des participants à la
recherche qui étaient assez braves pour partager avec moi leurs histoires. Je
leur en suis extrêmement reconnaissante.
Je crois que nous convenons tous qu’éprouver de la honte est une
expérience incroyablement douloureuse. Ce que nous ne réalisons pas
souvent est que perpétrer la honte est tout aussi douloureux, et personne ne
le fait avec la précision d’un partenaire ou d’un parent. Ce sont les
personnes qui nous connaissent le mieux et qui sont témoins de nos
vulnérabilités et de nos peurs. Heureusement, nous pouvons nous excuser
d’avoir causé de la honte à une personne que nous aimons mais à la vérité,
les commentaires qui suscitent la honte laissent des marques. Et causer de la
honte à une personne aimée en lien avec la vulnérabilité est la plus sérieuse
de toutes les violations de la sécurité. Même si nous demandons pardon,
nous avons causé des dommages sérieux parce que nous avons démontré
notre volonté d’utiliser des informations sacrées comme une arme.
Dans La grâce de l’imperfection, je fais part de la définition de l’amour
que j’ai élaborée d’après mes données. La voici :
Nous cultivons l’amour lorsque nous laissons voir et connaître
profondément notre individualité la plus vulnérable et la plus forte, et
quand nous honorons la connexion spirituelle qui germe de ce don avec
confiance, respect, tendresse et affection.
L’amour n’est pas quelque chose que nous donnons ou que nous
recevons ; l’amour est une plante que nous nourrissons et qui grandit,
une connexion qui peut seulement être cultivée entre deux personnes
lorsqu’elle existe au plus profond de chacune d’elles – l’amour que nous
avons pour les autres se mesure à l’amour que nous avons pour nous-
mêmes.
La honte, le blâme, l’irrespect, la trahison et l’absence d’affection
endommagent les racines qui nourrissent l’amour. L’amour ne peut
survivre à ces blessures que si elles sont reconnues, guéries et rares.
Développer cette définition est l’une des choses les plus difficiles que
j’ai faites. Professionnellement, il semblait arrogant de tenter de définir une
chose aussi énorme et importante que l’amour. Cela semblait une entreprise
qu’il valait mieux laisser aux poètes et aux artistes. Ma motivation n’était
pas de nécessairement « la réussir », mais de démarrer une conversation au
sujet de ce que nous avons besoin et voulons de l’amour. Peu m’importe si
j’ai tort, mais parlons de l’amour. Ayons des entretiens sur l’expérience qui
donne du sens à nos vies.
Personnellement, je me suis battue contre les données avec tout mon
être. Encore et encore, j’entendais l’idée que l’amour de soi est un prérequis
à aimer les autres, et je la détestais. Il est parfois tellement plus facile
d’aimer Steve et les enfants que de m’aimer. Il est tellement plus facile
d’accepter leurs manies et leurs excentricités que de pratiquer l’amour de
soi avec ce que je vois comme étant mes défauts profonds. Mais ayant
pratiqué l’amour de soi au cours des quelques dernières années, je peux dire
que mes relations avec les gens que j’aime en ont été incommensurablement
approfondies. Cela m’a donné le courage de me présenter et d’être
vulnérable différemment, et c’est tout ce qui constitue l’amour.
En réfléchissant à la honte et à l’amour, la question la plus brûlante est
celle-ci : pratiquons-nous l’amour ? Oui, pour la plupart nous excellons à le
professer – parfois dix fois par jour. Mais joignons-nous le geste à la
parole ? Sommes-nous à notre moi le plus vulnérable ? Démontrons-nous la
confiance, la bonté, l’affection et le respect à nos partenaires ? Professer ou
non n’est pas ce qui cause des difficultés dans nos relations, c’est omettre
de pratiquer l’amour qui entraîne la souffrance.

► DEVENIR RÉEL

Vous souvenez-vous que j’ai mentionné plus tôt dans ce chapitre que les
chercheurs ont trouvé que des attributs comme jolie, mince et modeste sont
des qualités que notre culture associe à la féminité ? Eh bien, en regardant
les attributs associés à la masculinité aux États-Unis, les mêmes chercheurs
ont identifié ce qui suit : gagner, contrôle émotionnel, prise de risque,
violence, domination, playboy, confiance en soi, primauté du travail,
pouvoir sur les femmes, dédain de l’homosexualité et poursuite d’un statut.
Comprendre ces listes et ce qu’elles signifient est d’une importance
capitale pour comprendre la honte et cultiver la résilience. Comme je l’ai
expliqué au début du chapitre, la honte est universelle, mais les messages et
les attentes qui propulsent la honte sont organisés selon le genre. Ces
normes féminines et masculines sont le fondement des déclencheurs de la
honte et voici pourquoi : si les femmes veulent suivre les règles, elles
doivent être gentilles, minces et jolies, rester tranquilles, être des mères et
des épouses parfaites et ne pas étaler leur pouvoir. Un geste hors de ces
attentes et BANG ! La toile de la honte se resserre. Les hommes, par
ailleurs, doivent cesser de ressentir, commencer à gagner de l’argent, mettre
chacun à sa place et gravir leur chemin jusqu’au sommet ou mourir en
essayant. Soulevez le couvercle de votre boîte pour prendre une peu d’air
ou faites glisser le rideau pour voir ce qui se passe et BANG ! La honte vous
ramène à votre taille.
Je crois important d’ajouter que, pour les hommes, il y a aussi un
message culturel qui promeut la cruauté homophobe. Si vous voulez être
masculin dans notre culture, il ne suffit pas d’être hétéro – vous devez aussi
démontrer un dégoût envers la communauté gay. L’idée de « faites ceci ou
détestez ces gens si vous voulez être accepté dans notre groupe » est
apparue comme un piège à honte majeur dans la recherche.
Peu importe si le groupe est une église, un gang, un cercle de couture ou
de masculinité même, demander aux membres de détester, de renier ou de
se distancier d’un autre groupe de gens comme condition
« d’appartenance » tient toujours du contrôle et du pouvoir. Je crois qu’il
faut questionner les intentions de tout groupe qui insiste sur le dédain
envers d’autres gens comme condition d’adhésion. Cela peut avoir
l’apparence de l’appartenance, mais la véritable appartenance ne nécessite
pas le dédain.
Quand je regarde les onze attributs de la masculinité, ce n’est pas le
genre d’homme avec qui je veux passer ma vie et ce n’est pas ainsi que je
veux élever mon fils. Le mot qui me vient en tête quand je pense à une vie
bâtie sur ces qualités est solitaire. Mon image mentale retourne au Magicien
d’Oz. Il n’est pas une personne réelle avec des besoins humains, mais une
« magnifique et puissante » projection de ce qu’un homme est censé être.
Solitaire, épuisant et énergivore.
Quand je parle à des hommes et à des femmes qui ont un niveau élevé de
résilience à la honte, ils sont très au courant de ces listes. Ils gardent ces
restrictions en tête de sorte que si la honte se met à ramper sur eux, ou
qu’ils se trouvent pleinement dans la honte, ils peuvent vérifier la réalité de
ces « normes » et pratiquent ainsi le deuxième élément de la résilience à la
honte – la conscience critique. Fondamentalement, ils peuvent choisir
consciemment de ne pas jouer le jeu.
L’homme dans la honte dit : « Je ne suis pas censé être émotionnel
quand je dois licencier ces gens. »
L’homme qui pratique la résilience à la honte répond : « Je n’achète pas
ce message. J’ai travaillé avec ces gars-là pendant cinq ans. Je connais leurs
familles. J’ai le droit de me soucier d’eux. »
La honte chuchote à l’oreille de la femme qui est hors de la ville par
affaires : « Tu n’es pas une bonne mère parce que tu vas rater la pièce de la
classe de ton fils. »
Elle répond : « Je t’entends, mais je ne fais pas jouer cette cassette
aujourd’hui. Mon rôle de mère est beaucoup plus grand qu’une prestation
de la classe. Tu peux partir maintenant. »
L’une des façons les plus puissantes qui renforcent les déclencheurs de la
honte est lorsque nous entérinons un contrat social basé sur ces carcans de
genre. Nos relations sont définies par des femmes et des hommes qui
disent : « Je vais jouer mon rôle et tu joues le tien. » L’un des modèles
révélés par la recherche était comment tous ces jeux de rôle deviennent
presque insupportables en milieu de vie. Les hommes se sentent de plus en
plus déconnectés et la peur de l’échec devient paralysante. Les femmes sont
épuisées et pour la première fois, elles entrevoient clairement que les
attentes sont impossibles. Les réalisations, les éloges et les acquisitions qui
sont l’aspect séducteur de vivre en vertu de ce contrat commencent à
ressembler à un pacte faustien.
Se rappeler que la honte est la peur de la déconnexion – la peur de ne pas
être digne d’amour et de ne pas appartenir – aide à voir pourquoi tant de
gens en milieu de vie mettent davantage l’accent sur la vie de leurs enfants,
travaillent soixante heures par semaine ou choisissent des liaisons, une
dépendance et le désengagement. Nous commençons à nous dénouer. Les
attentes et les messages qui nourrissent la honte nous empêchent de réaliser
pleinement qui nous sommes comme personnes.
Aujourd’hui, je regarde en arrière et je me sens si reconnaissante envers
les femmes et les hommes qui ont partagé avec moi leurs histoires. Je suis
reconnaissante envers les gens qui ont été assez braves pour dire : « Ce sont
mes secrets et mes craintes, voici comment ils m’ont fait plier les genoux, et
voici comment j’ai appris à me tenir debout de nouveau dans ma propre
valeur. » J’ai également une dette envers l’homme au chandail jaune Izod.
Sa vulnérabilité et son honnêteté ont posé les jalons d’un travail qui a
définitivement changé ma carrière et, encore plus important, ma vie.
En regardant ce que j’ai appris sur la honte, le genre et la valeur, la plus
grande leçon est la suivante : si nous devons trouver notre voie hors de la
honte et de retour les uns aux autres, la vulnérabilité est le chemin et le
courage est la lumière. Établir ces listes de ce que nous sommes censés être
est brave. Nous aimer et nous soutenir les uns les autres dans le processus
de devenir réels est sans doute le geste le plus formidable d’oser avec
audace.
Je vous laisse avec ce passage d’un classique de 1922 pour les enfants,
Le Lapin de velours, de Margery Williams. Mon amie DeeDee Parker
Wright me l’a envoyé l’an dernier avec une note qui disait : « C’est ce que
signifie être sincère Sans réserve. » Je suis d’accord. C’est un magnifique
rappel de combien il est plus facile de devenir réels quand nous savons que
nous sommes aimés.

« Réel n’est pas la façon dont vous êtes fait, a déclaré le Cheval à
bascule. C’est une chose qui vous arrive. Quand un enfant vous aime
pendant très, très longtemps, pas seulement pour jouer avec vous, mais
vous aime vraiment, alors vous devenez Réel.
— Est-ce que ça fait mal ?, demanda le lapin.
— Parfois, dit le Cheval à bascule, car il disait toujours la vérité. Quand
vous êtes Réel, cela ne vous dérange pas d’être blessé.
— Est-ce que cela se produit d’un seul coup, comme se faire remonter,
a-t-il demandé, ou petit à petit ?
— Cela n’arrive pas tout d’un coup, a déclaré le Cheval à bascule. Vous
le devenez. Cela prend beaucoup de temps. C’est pourquoi cela n’arrive
pas souvent aux personnes qui se cassent facilement, ou ont des bords
tranchants, ou qui doivent être soigneusement entretenues.
Généralement, au moment où vous devenez Réel, presque tous vos poils
ont été usés d’amour, vos yeux tombent et vos articulations sont
relâchées, et vous êtes très délabré. Mais ces choses n’ont aucune
importance, car une fois que vous êtes Réel, vous ne pouvez pas être
laid, sauf pour les gens qui ne comprennent pas. »
Chapitre 4

L’arsenal de
la vulnérabilité

Enfants, nous trouvions des façons de nous protéger de la vulnérabilité,


d’être blessés, diminués et désappointés. Nous revêtions une armure, nous
utilisions nos pensées, nos émotions et nos comportements comme des
armes et nous apprenions comment nous faire discrets, et même comment
disparaître. Maintenant adultes, nous réalisons que pour vivre avec courage,
finalité et connexion – pour être la personne que nous désirons être – nous
devons être à nouveau vulnérables. Nous devons retirer l’armure, déposer
les armes, nous présenter et nous laisser être vus.

Le mot persona est le terme grec signifiant « masque de théâtre ». Dans


mon travail, les masques et les armures sont de parfaites métaphores de la
façon dont nous nous protégeons du malaise de la vulnérabilité. Les
masques nous font sentir plus en sécurité même quand ils deviennent
suffocants. L’armure nous fait sentir plus forts même quand nous nous
fatiguons de porter tout ce poids additionnel. L’ironie est que lorsque nous
faisons face à quelqu’un qui est caché ou abrité par des masques et une
armure, nous nous sentons frustrés et déconnectés. C’est le paradoxe ici : la
vulnérabilité est la dernière chose que je veux que tu voies en moi, mais la
première chose que je cherche en toi.
Si je mettais en scène une pièce sur l’arsenal de la vulnérabilité, le décor
serait la cafétéria d’une école intermédiaire, et les personnages seraient
nous-mêmes à 11, 12 et 13 ans. Je choisis cet âge parce que l’armure peut
être difficile à voir sur les adultes. Quand nous l’avons portée assez
longtemps, elle se moule à notre silhouette et est finalement indétectable –
comme une seconde peau. Les masques sont semblables. J’ai interviewé
des centaines de participants qui ont exprimé la même crainte : « Je ne peux
pas enlever le masque maintenant – personne ne sait de quoi j’ai vraiment
l’air. Ils n’ont jamais rencontré le vrai moi. Je ne suis même pas certain de
qui je suis là-dessous. »
Les pré-adolescents (tweens) toutefois sont très différents. Les classes
avancées de l’école primaire et de l’école intermédiaire sont l’endroit où,
pour la plupart, nous avons commencé à essayer de nouvelles et différentes
formes de protection. À cet âge tendre, l’armure est encore bizarre et mal
ajustée. Les enfants déploient des efforts malhabiles pour cacher la peur et
le doute de soi, ce qui, pour les observateurs, facilite de voir exactement
quelle armure ils utilisent et pourquoi. Et en fonction du niveau de honte et
de peur, la plupart des enfants doivent encore être convaincus que la
lourdeur de l’armure ou la nature suffocante du masque en valent la peine.
Ils mettent et enlèvent des masques et une protection sans hésitation, parfois
dans la même phrase. « Je me fous de ce que ces gens-là pensent. Ils sont si
stupides. La danse est stupide. Pouvez-vous appeler leurs mamans pour
savoir ce qu’ils portent ? J’espère que je vais danser. »
Dans ma jeunesse, les émissions éducatives télévisées pour ados en fin
d’après-midi semblaient être consacrées à explorer ces mêmes idées. Ils
nous montraient le mauvais garçon qui ne voulait vraiment qu’être inclus et
la fille je-sais-tout qui se vantait à l’école pour cacher sa misère à cause du
divorce récent de ses parents. Nos mécanismes de protection sont peut-être
plus complexes maintenant que nous sommes adultes, mais pour la plupart
nous avons appris sur l’armure durant ces années brutes et
impressionnables, et nous pouvons être ramenés à cette époque en un clin
d’œil.
D’après mes expériences personnelles, je peux vous avouer que le plus
difficile d’être parent d’une fille à l’école intermédiaire est d’arriver face à
face avec l’élève de septième année maladroite, anxieuse qui vit à
l’intérieur de moi. Mon instinct à l’époque était d’esquiver et de courir, et je
sens souvent cette impulsion monter en moi quand Ellen vit une difficulté.
Je jure qu’il y a des fois où elle décrit une situation à l’école et je peux
vraiment sentir la cafétéria de mon école intermédiaire.
Que l’on ait 14 ou 54 ans, notre armure et nos masques sont aussi
individualisés et uniques que la vulnérabilité personnelle, le malaise et la
douleur que nous tentons de minimiser. C’est pourquoi j’ai été surprise de
découvrir que nous avons tous un arsenal modeste de mécanismes de
protection communs. Notre armure peut être sur mesure, mais certaines
parties en sont interchangeables. En ouvrant les portes de l’arsenal, nous
pouvons exposer au jour les menus objets plus universels et aussi fouiller
dans les placards qui abritent des éléments moins universels, mais souvent
dangereux, de protection de la vulnérabilité.
Si vous êtes comme moi, il est tentant d’utiliser cette information et de
créer votre propre émission éducative de fin d’après-midi. Quand ces
mécanismes partagés ont émergé des données, mon premier instinct a été
d’étiqueter le comportement et d’assigner les gens autour de moi à des
stéréotypes. « Elle porte tellement ce masque, et mon voisin utilise tout à
fait cette armure. » Le désir de catégoriser et de simplifier à outrance relève
de la nature humaine, mais je crois que c’est à côté de la question. Aucun
d’entre nous n’utilise une seule de ces défenses communes. En majorité,
nous serons capables de nous associer à presque toutes, selon les différentes
circonstances que nous traversons. J’ai espoir qu’un aperçu de l’intérieur de
l’armure nous aidera à regarder à l’intérieur de nous. Comment nous
protégeons-nous ? Quand et comment avons-nous commencé à utiliser ces
mécanismes de défense ? Que faudrait-il pour que nous mettions l’armure
de côté ?

► LE MANDAT « ASSEZ »

Pour moi, la partie la plus dominante de cette recherche a été de


découvrir les stratégies qui semblent habiliter les gens à retirer les masques
et l’armure que je m’apprête à décrire. J’ai supposé que je trouverais des
stratégies uniques pour chaque mécanisme de protection, pareillement à ce
qui s’est révélé dans les dix principes directeurs que je présente dans La
grâce de l’imperfection. Mais ce n’était pas le cas ici.
Dans le premier chapitre, j’ai parlé de « assez » comme étant le contraire
de l’insuffisance, et des propriétés de l’insuffisance comme la honte, la
comparaison et le désengagement. Eh bien, il semble que croire que nous
sommes « assez » est la porte de sortie de l’armure – cela nous donne la
permission de retirer le masque. Ce sentiment d’être « assez »
s’accompagne d’embrasser la valeur, les limites et l’engagement, ce qui
loge au cœur de chaque stratégie mise en lumière par les participants à la
recherche qui se sont libérés de leur armure.
Je suis assez (valeur contre honte).
J’en ai assez (limites contre devancer l’autre et comparaison).
Se présenter, prendre des risques et me laisser être vu (engagement
contre désengagement).
En lisant ce chapitre, je crois qu’il vous sera utile de savoir que chaque
personne que j’ai interviewée a parlé de son combat avec la vulnérabilité.
Ce n’est pas comme s’il y avait des chanceux parmi nous qui peuvent
ouvertement embrasser la vulnérabilité sans restriction, hésitation ou peur.
Lorsqu’il s’agit d’incertitude, de risque et d’exposition émotionnelle, ce que
j’ai entendu maintes fois était des descriptions de gens essayant une armure
ou une autre avant de finalement laisser tomber :
« Mon premier instinct est de________________ , mais ça n’a
jamais fonctionné, alors maintenant je
________________________, et cela a changé ma vie. »
« J’ai passé des années _____________________jusqu’au jour où
j’ai essayé _________________________, et cela a solidifié mon
mariage. »
L’an dernier, j’ai donné une conférence sur la vulnérabilité à 350 agents
du SWAT, agents des libérations conditionnelles et agents des services
correctionnels. (Oui, c’était aussi intimidant qu’il y paraît.) Un agent du
SWAT est venu à ma rencontre après la conférence et a dit : « La seule
raison pour laquelle nous vous avons écoutée est que vous êtes aussi
malhabile que nous à être ouverte. Si vous ne luttiez pas pour être
vulnérable, nous ne vous ferions pas du tout confiance. »
Non seulement je le croyais, mais j’étais pleinement d’accord. J’ai foi
dans les stratégies dont je parle ici pour deux raisons. Premièrement, les
participants à la recherche qui m’en ont fait part avaient lutté avec les
mêmes gremlins, les mêmes malaises et doutes de soi auxquels nous faisons
tous face. Deuxièmement, j’ai pratiqué ces stratégies dans ma propre vie et
je sais pertinemment qu’elles ne font pas que changer la donne – ce sont des
bouées de sauvetage.
Les trois formes de protection que je vais vous présenter sont ce que
j’appelle « l’arsenal commun de la vulnérabilité » parce que j’ai découvert
que nous les incorporons tous dans notre propre armure d’une manière ou
d’une autre. Ce sont l’appréhension de la joie, ou l’angoisse paradoxale
qui sévit lors d’une joie momentanée, le perfectionnisme, ou la croyance
que tout faire parfaitement signifie que vous n’éprouverez jamais de honte,
et l’engourdissement, l’adoption de tout ce qui peut atténuer la souffrance
du malaise et de la douleur. Chaque bouclier est suivi de stratégies « Oser
avec audace », toutes des variantes « d’être assez » qui se sont avérées
efficaces pour désarmer les trois formes communes de protection.
► LES TROIS BOUCLIERS DE LA VULNÉRABILITÉ

LE BOUCLIER : APPRÉHENSION DE LA JOIE

Étant donné que j’étudie des émotions comme la honte, la peur et la


vulnérabilité, je ne m’attendais guère à ce qu’un jour je vous dise
qu’explorer le concept de la joie retournerait ma vie professionnelle et
personnelle à l’envers. Mais c’est la vérité. En fait, ayant passé plusieurs
années à étudier ce que signifie être joyeux, je ferais valoir que la joie est
probablement l’émotion la plus difficile à vraiment ressentir. Pourquoi ?
Parce que quand nous perdons la capacité ou la volonté d’être vulnérables,
la joie est une chose que nous approchons avec une profonde appréhension.
Ce changement de l’accueil de la joie, que nous avions étant jeunes avec un
pur enchantement, se produit lentement et hors de notre conscience. Nous
semblons même ignorer qu’il arrive ou pourquoi. Nous savons seulement
que nous désirons plus de joie dans nos vies, que nous sommes affamés de
joie.
Dans une culture de profonde insuffisance – de ne jamais se sentir en
sécurité, assuré et suffisamment certain – la joie peut sembler un piège.
Nous nous réveillons le matin et nous pensons : Ça va bien au travail. Toute
la famille est en santé. Aucune crise majeure en cours. La maison tient
encore debout. Je m’entraîne et je me sens bien. Oh ! merde. Ce n’est pas
bon. Vraiment pas bon. Un désastre doit se cacher au coin de la rue.
Ou alors nous obtenons une promotion et notre première pensée est :
Trop beau pour être vrai. Quelle est l’attrape ? Nous découvrons que nous
sommes enceintes et nous pensons : Notre fille est en santé et heureuse,
alors quelque chose de grave va arriver à ce bébé, je le sais. Nous prenons
nos premières vacances en famille, mais plutôt que d’être enthousiastes,
nous prenons des précautions au cas où l’avion s’écraserait ou que le bateau
coulerait.
Nous attendons toujours « que tombe la prochaine chaussure » ou la
prochaine tuile. Cette expression tire son origine du début des années 1900,
alors que les nouveaux immigrants et les gens assaillant les villes étaient
entassés dans des habitations modestes où vous pouviez littéralement
entendre le voisin du haut retirer ses chaussures le soir. Lorsque vous
entendiez la première chaussure tomber sur le plancher, vous attendiez que
l’autre chaussure tombe. Même si le monde aujourd’hui est beaucoup plus
sûr de bien des manières qu’il ne l’était au début de ce siècle, et notre
espérance de vie est beaucoup plus vaste que celle des gens qui écoutaient
une deuxième chaussure tomber sur le plancher, les enjeux nous semblent
beaucoup plus élevés. De nos jours pour la plupart, nous croyons que
l’autre chaussure est quelque chose de terrifiant : une attaque terroriste, un
désastre naturel, une éclosion d’E.coli à notre épicerie locale, une fusillade
dans une école.
Quand j’ai commencé à interroger les participants au sujet des
expériences qui les faisaient se sentir le plus vulnérables, je ne m’attendais
pas à ce que la joie soit une des réponses. Je m’attendais à la peur et à la
honte, mais pas aux moments joyeux de leur vie. J’ai été surprise
d’entendre les gens dire les moments où ils étaient le plus vulnérables :
me pencher sur mes enfants lorsqu’ils dorment ;
reconnaître combien j’aime mon mari/ma femme ;
savoir comment tout est bien pour moi ;
aimer mon travail ;
passer du temps avec mes parents ;
regarder mes parents avec mes enfants ;
penser à ma relation avec mon copain ;
me fiancer ;
entrer en rémission ;
avoir un bébé ;
obtenir une promotion ;
être heureux ;
tomber amoureux.
Non seulement je fus stupéfaite d’entendre ces réponses, mais je savais
alors que j’étais en difficulté.
Avant ma dépression mon réveil spirituel de 2007, appréhender la joie
était l’une de mes pièces inconscientes de mon armure. Quand j’ai d’abord
fait le lien entre la vulnérabilité et la joie déclarées par les participants,
j’avais peine à respirer. J’avais décidé que ma constante planification de
désastres était mon petit secret. J’étais convaincue que j’étais la seule à se
pencher sur ses enfants endormis et, dans la fraction de seconde où j’étais
envahie d’amour et d’adoration, j’imaginais quelque chose de vraiment
terrible leur arriver. J’étais persuadée d’être la seule qui imaginait des
collisions d’automobiles et qui répétait les conversations téléphoniques
horribles avec la police que nous redoutons tous.
Une des premières histoires que j’ai entendues venait d’une femme à la
fin de la quarantaine. « Je prenais chaque bonne chose et j’imaginais le pire
désastre possible, m’a-t-elle dit. J’imaginais littéralement les pires scénarios
et je tentais de contrôler tous les résultats. Quand ma fille a été admise au
collège de ses rêves, je savais qu’un malheur arriverait si elle déménageait
trop loin. J’ai passé tout l’été avant son départ à tenter de la convaincre
d’aller à une école locale. Cela a effrité sa confiance et annulé le plaisir de
notre dernier été. Ce fut une leçon pénible. Maintenant je me croise les
doigts, je reste dans la gratitude et j’essaie de toutes mes forces de chasser
les mauvaises images de mon esprit. Malheureusement, j’ai transmis ce
mode de pensée à ma fille. Elle a de plus en plus peur d’essayer de
nouvelles choses, surtout quand sa vie va bien. Elle dit qu’elle ne veut pas
“tenter le sort”. »
Un homme du début de la soixantaine m’a confié : « Je croyais que la
meilleure façon de naviguer à travers la vie était de s’attendre au pire.
Ainsi, si celui-ci se produisait, vous étiez préparé et s’il n’arrivait pas, vous
étiez agréablement surpris. Puis j’ai eu un accident de la route et ma femme
a été tuée. Inutile de vous dire que m’attendre au pire ne m’avait pas du tout
préparé. Et, pire encore, je regrette tous les merveilleux moments que nous
avons partagés et dont je n’ai pas pleinement profité. Mon engagement
envers elle est de profiter pleinement de chaque moment maintenant. Je
souhaite simplement qu’elle soit ici, maintenant que je sais comment m’y
prendre. »
Ces histoires illustrent comment le concept d’appréhender la joie comme
méthode de minimiser la vulnérabilité se conçoit mieux comme un
continuum qui va de « répéter la tragédie » à ce que j’appelle le
« désappointement perpétuel ». Certains, comme la femme de la première
histoire, se ruent sur le plus sombre scénario quand la joie montre sa tête
vulnérable, alors que d’autres ne voient même pas du tout la joie, préférant
demeurer dans un état immobile de désappointement perpétuel. Voici ce
qu’ont décrit les personnes du désappointement perpétuel : « Il est plus
facile de vivre désappointé que de se sentir désappointé. On se sent plus
vulnérable d’entrer dans le désappointement et d’en sortir que de s’y
installer. Vous sacrifiez la joie, mais vous endurez moins de souffrance. »
Les deux extrémités de ce continuum racontent la même histoire : nous
adoucir dans les moments joyeux de notre vie exige la vulnérabilité. Si,
comme moi, vous vous êtes déjà penché sur vos enfants et vous êtes dit : Je
vous aime tant que je peux à peine respirer, et qu’à ce moment précis, vous
avez été envahi d’images d’un malheur terrible frappant votre enfant,
sachez que vous n’êtes ni fou ni seul. Environ quatre-vingts pour cent des
parents que j’ai interviewés ont reconnu avoir cette expérience. Le même
pourcentage se tient pour les milliers de parents à qui j’ai parlé et avec qui
j’ai travaillé au cours des ans. Pourquoi ? Que faisons-nous et, dieu du ciel,
pourquoi le faisons-nous ?
Quand nous faisons le lien entre vulnérabilité et joie, la réponse est sans
détour : nous tentons de couper l’herbe sous le pied de la vulnérabilité.
Nous ne voulons pas être surpris par la douleur. Nous ne voulons pas être
pris de court, alors nous pratiquons littéralement d’être dévastés ou de ne
jamais bouger du désappointement choisi.
Pour ceux d’entre nous qui répétons la tragédie, il y a une raison pour
laquelle ces images envahissent notre esprit dès que nous exultons de joie.
Quand nous passons notre vie (consciemment ou non) à repousser la
vulnérabilité, nous ne pouvons réserver de l’espace pour l’incertitude, le
risque et l’exposition émotionnelle de la joie. Pour beaucoup d’entre nous,
il y a même une réaction physiologique – un sentiment de « sortir de notre
peau ». Nous voulons désespérément la joie, mais en même temps, nous ne
pouvons tolérer la vulnérabilité.
Et notre culture aide cette répétition de destin tragique : en majorité,
nous avons une pile d’images terribles que nous pouvons consulter à
l’instant où nous sommes aux prises avec la vulnérabilité. Je demande
souvent aux membres de l’auditoire de lever la main s’ils ont vu une image
violente descriptive dans la semaine écoulée. Environ vingt pour cent de
l’auditoire lève normalement la main. Puis je reformule la question :
« Levez la main si vous avez regardé les nouvelles, CSI, NCIS, Law &
Order, Bones ou toute autre émission policière à la télé. » Alors environ
quatre-vingts ou quatre-vingt-dix pour cent de l’auditoire lève la main.
Nous avons les images dont nous avons besoin pour activer l’appréhension
de la joie juste au bout de nos doigts neurologiques.
Nous sommes des êtres visuels. Nous croyons, consommons et
emmagasinons mentalement tout ce que nous voyons. Je me souviens
récemment d’être dans la voiture avec Steve et les enfants, en route pour
une longue fin de semaine à San Antonio. Charlie exécutait son nouveau
numéro de la maternelle pour nous, et il nous faisait tous rire – même sa
grande sœur. J’ai commencé à me remplir de joie, et à la fraction de
seconde où la vulnérabilité, compagne constante de la joie, m’a frappée, j’ai
frémi en me rappelant une image vue aux nouvelles d’un VUS renversé sur
l’autoroute et de deux sièges d’auto vides sur le sol tout près du véhicule.
Mon rire a tourné à la panique et je me souviens d’avoir dit : « Ralentis,
Steve. » Il m’a jeté un regard dubitatif et a dit : « Nous sommes arrêtés. »

► OSER AVEC AUDACE : PRATIQUER LA GRATITUDE


Même ceux d’entre nous qui avons appris à « se laisser aller » à la joie et
à accueillir nos expériences ne sont pas immunisés contre l’assaut
désagréable de la vulnérabilité qui accompagne souvent les moments
joyeux. Nous venons d’apprendre à l’utiliser comme un rappel plutôt qu’un
avertissement. La différence la plus étonnante (et la plus bouleversante)
pour moi a été la nature de ce rappel. Pour ceux qui accueillent
l’expérience, le frémissement de vulnérabilité qui accompagne la joie est
une invitation à pratiquer la gratitude, à reconnaître à quel point nous
sommes véritablement reconnaissants pour la personne, la beauté, la
connexion ou simplement le moment devant nous.
Donc, la gratitude est ressortie des données comme étant l’antidote à
l’appréhension de la joie. En fait, chaque participant qui a parlé de la
capacité de demeurer ouvert à la joie a aussi parlé de l’importance de
pratiquer la gratitude. Ce modèle d’association était tellement prévalent
dans les données que je me suis engagée comme chercheuse à ne pas parler
de la joie sans mentionner la gratitude.
Ce n’est pas que la relation entre la joie et la gratitude qui m’a surprise.
J’étais aussi étonnée du fait que les participants à la recherche décrivaient
constamment la joie et la gratitude comme des pratiques spirituelles qui
étaient liées à la connectivité humaine et à une puissance supérieure à nous.
Leurs histoires et leurs descriptions élaboraient ce point, indiquant une nette
distinction entre le bonheur et la joie. Les participants décrivaient le
bonheur comme une émotion qui est connectée aux circonstances, et la joie
comme un moyen spirituel de s’engager avec le monde qui est connecté à la
pratique de la gratitude. Alors que j’étais d’abord décontenancée par la
relation entre joie et vulnérabilité, elle est parfaitement sensée pour moi
désormais, et je peux voir pourquoi la gratitude serait l’antidote à
l’appréhension de la joie.
L’insuffisance et la peur alimentent l’appréhension de la joie. Nous
craignons que le sentiment de joie ne dure pas, ou qu’il n’y en ait pas
suffisamment, ou que la transition au désappointement (ou ce qui nous
attend par la suite) soit trop difficile. Nous avons appris que céder à la joie
est, au mieux, nous préparer au désappointement et, au pire, à inviter le
désastre. Et nous sommes aux prises avec la question de la valeur.
Méritons-nous notre joie, avec nos inadéquations et nos imperfections ?
Qu’en est-il des enfants affamés et du monde ravagé par la guerre ? Qui
sommes-nous pour être joyeux ?
Si le contraire de l’insuffisance est assez, alors pratiquer la gratitude est
notre façon de reconnaître qu’il y a assez et que nous sommes assez.
J’utilise le mot pratiquer parce que les participants à la recherche ont parlé
de pratiques de gratitude tangibles, plus que de simples attitudes de
gratitude ou d’un sentiment de gratitude En fait, ils ont donné des exemples
précis de pratiques de gratitude qui comprenaient tout de la tenue d’un
journal de gratitude jusqu’au bocal de gratitude pour mettre en œuvre les
rituels de gratitude familiale.
En réalité, j’ai appris le plus sur les pratiques de gratitude et la relation
entre insuffisance et joie qui se joue dans la vulnérabilité des hommes et des
femmes qui ont connu des pertes très profondes ou qui ont survécu aux
traumas les plus graves. Il y avait dans le groupe des parents dont les
enfants étaient décédés, des membres de la famille dont les êtres chers
étaient mourants et des survivants d’un génocide et d’un trauma. L’une des
questions qu’on me pose le plus souvent est : « N’êtes-vous pas vraiment
déprimée de parler de la vulnérabilité et d’entendre les revers les plus
sombres des gens ? » Ma réponse est non, jamais. Parce que j’ai appris
davantage sur la valeur, la résilience et la joie de ces gens qui ont partagé
courageusement avec moi leurs luttes que de toute autre partie de mon
travail.
Et je n’ai pas eu de cadeau plus grand que les trois leçons que j’ai
apprises sur la joie et la lumière de la part de gens qui ont connu des temps
de tristesse et d’obscurité.
1. La joie nous vient dans des moments – des moments
ordinaires. Nous risquons de rater la joie quand nous sommes
trop occupés à rechercher l’extraordinaire. La culture de
l’insuffisance peut nous garder craintifs de vivre des vies
modestes, ordinaires mais quand vous parlez à des gens qui ont
survécu à de graves pertes, il est évident que la joie n’est pas une
constante. Sans exception, tous les participants qui m’ont parlé
de ces pertes, et de ce qui leur manquait le plus, mentionnaient
les moments ordinaires. « Si je pouvais aller en bas et voir mon
mari assis à la table et pestant contre le journal… » « Si je
pouvais entendre mon fils glousser dans la cour… » « Maman
m’envoyait les textos les plus déjantés – elle n’a jamais su faire
fonctionner son téléphone. Je donnerais n’importe quoi pour
recevoir un de ces textos dès maintenant. »
2. Ayez de la gratitude pour ce que vous avez. Quand j’ai
demandé aux gens qui avaient survécu à une tragédie comment
nous pouvons cultiver la compassion et en manifester davantage
aux personnes qui souffrent, la réponse était toujours la même :
Ne reculez pas devant la joie de votre enfant parce que j’ai perdu
le mien. Ne tenez pas pour acquis ce que vous avez – célébrez-le.
Ne vous excusez pas de ce que vous avez. Soyez-en
reconnaissant et partagez votre gratitude avec d’autres. Vos
partenaires sont-ils en santé ? Réjouissez-vous. Laissez-leur
savoir ce qu’ils signifient pour vous. Quand vous honorez ce que
vous avez, vous honorez ce que j’ai perdu.
3. Ne gaspillez pas la joie. Nous ne pouvons pas nous préparer à la
tragédie et à la perte. Quand nous transformons chaque occasion
de ressentir la joie en un essai pour le désespoir, nous diminuons
en fait notre résilience. Oui, se laisser adoucir dans la joie est
malaisé. Oui, c’est apeurant. Oui, c’est vulnérable. Mais chaque
fois que nous nous permettons d’embrasser la joie et que nous
cédons à ces moments, nous bâtissons la résilience et nous
cultivons l’espoir. La joie devient partie de ce que nous sommes,
et quand arrivent des malheurs – et ils arrivent – nous sommes
plus forts.
Il m’a fallu quelques années pour comprendre et intégrer cette
information et pour commencer à cultiver une pratique de gratitude. Ellen,
par ailleurs, semblait comprendre intuitivement l’importance de reconnaître
et de posséder la joie. Quand elle était en première année, nous avons fait
l’école buissonnière un après-midi que nous avons passé au parc. À un
moment, nous étions dans un pédalo et donnions aux canards du pain rassis
que nous avions apporté de la maison quand je me suis rendu compte
qu’elle avait cessé de pédaler et était immobile sur son siège. Ses mains
tenaient le sac de pain, sa tête était inclinée et ses yeux étaient fermés. Le
soleil brillait sur son visage offert où se dessinait un sourire calme. J’étais
tellement frappée par sa beauté et sa vulnérabilité que je pouvais à peine
respirer.
Je l’ai observée toute une minute, mais comme elle ne bougeait pas, j’ai
commencé à être un peu nerveuse. « El lie ? Ça va, ma douce ? »
Son sourire s’est élargi et elle a ouvert les yeux. Elle m’a regardée et a
dit : « Ça va, maman. Je fabriquais seulement un souvenir en image. »
Je n’avais jamais entendu parler d’un souvenir en image, mais j’ai aimé
comment ça sonnait. « Qu’est-ce que ça signifie ? »
« Oh, un souvenir en image est une image que je prends dans ma tête
quand je suis vraiment, vraiment heureuse. Je ferme les yeux et je prends
une image, alors quand je me sens triste, ou effrayée, ou seule, je peux
regarder mes souvenirs en image. »
Je ne suis pas aussi éloquente ou équilibrée que ma fille de six ans à
l’époque, mais j’ai pratiqué. Pour moi, exprimer de la gratitude est encore
plus cahoteux que gracieux ou fluide. Je deviens encore accablée de
vulnérabilité au milieu d’expériences joyeuses. Mais maintenant, j’ai appris
à dire littéralement tout fort : « Je me sens vulnérable et je suis si
reconnaissante de_____________________ . »
D’accord, ceci peut être assez bizarre au milieu d’une conversation, mais
c’est beaucoup mieux que l’autre option – la dramatisation et le contrôle.
Tout récemment, Steve m’a dit qu’il pensait emmener les enfants à la ferme
de sa famille en Pennsylvanie pendant que j’étais à l’extérieur de la ville
pour le travail. J’ai immédiatement pensé que c’était une bonne idée,
jusqu’à ce que j’embarque dans le train fou de Oh mon Dieu, je ne peux pas
les laisser prendre l’avion sans moi, s’il arrivait quelque chose ? Plutôt que
de provoquer une dispute, de critiquer ou de faire quelque chose pour tuer
l’idée sans révéler mes peurs déraisonnables (p. ex. : « C’est une mauvaise
idée. Les tarifs aériens sont très élevés en ce moment » ou « C’est égoïste.
Je veux y aller aussi »), j’ai simplement dit : « Vulnérabilité. Vulnérabilité.
Je suis reconnaissante de… de… ce que les enfants passent du temps seuls
avec toi et qu’ils explorent le pays ailleurs. »
Steve a souri. Il connaît bien ma pratique et il savait que j’étais sincère.
Avant que je mette en pratique cette recherche de m’opposer à appréhender
la joie, je ne savais jamais comment surmonter ce frisson de vulnérabilité
immédiate. Je n’avais pas l’information pour passer de ce que je craignais à
comment je me sentais vraiment, et à ce que je désirais vraiment : la joie
fondée sur la gratitude.

LE BOUCLIER : LE PERFECTIONNISME

L’une des publications préférées de mon blog est ma série Inspiration


Interviews. Pour moi, elle est spéciale parce que je n’interviewe les gens
que lorsque je trouve des personnes vraiment inspirantes – des personnes
qui s’engagent avec le monde d’une façon qui m’inspire à être plus
créatrice et un peu plus brave dans mon propre travail. J’ai toujours posé
aux personnes interviewées le même groupe de questions, et après
l’émergence de la recherche sur les Sans réserve, j’ai commencé à poser des
questions sur la vulnérabilité et le perfectionnisme. À titre de
perfectionniste en rétablissement et d’aspirante à « être assez bonne », je me
retrouve toujours à sauter au bas de la liste pour lire d’abord la réponse à
cette question : Le perfectionnisme est-il un problème pour vous ? Le cas
échéant, quelle est l’une de vos stratégies pour le gérer ?
Je pose cette question parce que, dans toute ma collecte de données, je
n’ai jamais entendu une personne attribuer sa joie, son succès ou le fait
d’être Sans réserve à être parfait. En fait, ce que j’ai entendu à maintes
reprises au fil des ans est un message clair : « Les choses les plus valables et
importantes dans ma vie me sont venues quand j’ai cultivé le courage d’être
vulnérable, imparfait et compatissant à mon égard. » Le perfectionnisme
n’est pas la voie qui nous mène à nos dons et à notre sentiment de finalité ;
c’est le détour dangereux.
Je vais partager avec vous quelques-unes de mes réponses préférées
tirées de mes interviews, mais je veux d’abord vous faire part de la
définition du perfectionnisme qui a ressorti des données et de ce que j’ai
appris :
Comme la vulnérabilité, le perfectionnisme a accumulé dans son
entourage une mythologie considérable. Je crois utile de commencer par
ce que le perfectionnisme n’est pas :
Le perfectionnisme n’est pas synonyme d’aspirer à l’excellence.
Le perfectionnisme n’est pas une réalisation saine ni la croissance.
Le perfectionnisme est un mouvement défensif. C’est croire que si
nous faisons les choses à la perfection et qu’elles semblent
parfaites, nous pouvons minimiser ou éviter la douleur du blâme,
du jugement et de la honte. Le perfectionnisme est un bouclier de
vingt tonnes que nous traînons aux alentours, croyant qu’il va nous
protéger, quand en fait, c’est la chose qui nous empêche vraiment
d’être vus.
Le perfectionnisme n’est pas de l’auto-amélioration. Dans son
essence, le perfectionnisme est un essai de gagner l’approbation.
La plupart des perfectionnistes ont grandi en étant louangés pour
leurs réalisations et leur rendement (notes, manières, obéissance
aux règles, plaire aux gens, apparence, sports). Quelque part en
chemin, ils ont adopté ce système de croyances dangereux et
débilitant : « Je suis ce que j’accomplis et la parfaite mesure où je
l’accomplis. S’il vous plaît. Performez. Parfaitement. » Les efforts
sains sont centrés sur soi. Comment m’améliorer ? Le
perfectionnisme est centré sur les autres. Qu’est-ce qu’ils vont
penser ? Le perfectionnisme est une bousculade.
Le perfectionnisme n’est pas la clé du succès. En fait, la recherche
révèle que le perfectionnisme entrave la réalisation. Le
perfectionnisme est corrélé à la dépression, l’anxiété, la
dépendance et la paralysie de la vie ou aux occasions manquées.
La peur d’échouer, de faire des erreurs, de ne pas répondre aux
attentes des gens et d’être critiqués nous tient hors de l’arène où se
déroulent une compétition et des efforts sains.
Enfin, le perfectionnisme n’est pas un moyen d’éviter la honte. Le
perfectionnisme est une forme de honte. Quand nous sommes aux
prises avec le perfectionnisme, nous sommes aux prises avec la
honte.
Après avoir utilisé les données pour débroussailler mon chemin à travers
les mythes, j’ai ensuite élaboré la définition suivante du perfectionnisme :
Le perfectionnisme est un système de croyances autodestructeur
qui crée une dépendance et qui nourrit cette pensée primaire : Si
j’ai l’air parfait et que je fais tout parfaitement, je peux éviter ou
minimiser les sentiments douloureux de la honte, du jugement et
du blâme.
Le perfectionnisme est autodestructeur simplement parce que la
perfection n’existe pas. C’est un but inatteignable. Le
perfectionnisme relève davantage de la perception que de la
motivation interne, et il n’y a pas moyen de contrôler la
perception, peu importe le temps et l’énergie qu’on y met.
Le perfectionnisme crée une dépendance, parce que lorsque nous
éprouvons invariablement de la honte, du jugement et du blâme,
nous l’attribuons souvent au fait de ne pas être assez parfaits.
Plutôt que de questionner la logique fautive du perfectionnisme,
nous devenons encore plus déterminés dans notre quête d’avoir
l’air et de tout faire impeccablement.
Le perfectionnisme nous dispose, en fait, à ressentir la honte, le
jugement et le blâme, ce qui mène à encore plus de honte et de
culpabilité : « C’est ma faute. Je me sens comme ça parce que je
ne suis pas assez bon. »

► OSER AVEC AUDACE : APPRÉCIER LA BEAUTÉ DES


FISSURES
Tout comme nos expériences d’appréhension de la joie peuvent être
situées sur un continuum, j’ai découvert que pour la majorité d’entre nous,
nous tombons quelque part sur le continuum du perfectionnisme. Autrement
dit, quand il s’agit de cacher nos défauts, de gérer la perception et de
vouloir gagner sur les autres, nous nous agitons tous un peu. Pour certains,
le perfectionnisme peut se montrer seulement lorsqu’ils se sentent
particulièrement vulnérables. Pour d’autres, le perfectionnisme est
compulsif, chronique et débilitant – il ressemble à une dépendance et se
ressent ainsi.
Peu importe où nous nous situons sur ce continuum, si nous voulons être
libérés du perfectionnisme, nous devons parcourir le long chemin de
« Qu’est-ce que les gens vont penser ? » à « Je suis assez. » Ce chemin
commence par la résilience à la honte, l’autocompassion et la possession de
nos histoires. Pour affirmer les vérités sur qui nous sommes, d’où nous
venons, ce que nous croyons et la nature très imparfaite de nos vies, nous
devons être disposés à nous donner une chance et à apprécier la beauté de
nos fissures ou de nos imperfections. À être plus gentils et délicats envers
nous-mêmes et entre nous. À nous parler de la même manière que nous
parlerions à quelqu’un que nous aimons.
La Dre Kristin Neff, chercheuse et professeure à l’Université du Texas à
Austin, dirige le Laboratoire de recherche sur l’autocompassion, où elle
étudie comment nous développons et pratiquons l’autocompassion. D’après
elle, l’autocompassion compte trois éléments : l’autogentillesse, l’humanité
commune et la pleine conscience. Dans son livre, Self-Compassion : Stop
Beating Yourself Up and Leave Insecurity Behind, elle définit chacun de ces
éléments :
Autogentillesse : être chaleureux et compréhensif envers nous-
mêmes quand nous souffrons, échouons ou que nous nous sentons
inadéquats plutôt que d’ignorer notre souffrance ou de nous
flageller à coups d’autocritique.
Humanité commune : l’humanité commune reconnaît que la
souffrance et les sentiments d’inadéquation personnelle font partie
de l’expérience humaine partagée – quelque chose que nous
connaissons tous plutôt que quelque chose qui arrive à « moi »
seul.
Pleine conscience : adopter une approche équilibrée des émotions
négatives de sorte que les sensations ne soient ni supprimées ni
exagérées. Nous ne pouvons pas ignorer notre souffrance et en
éprouver de la compassion en même temps. La pleine conscience
demande de ne pas nous « outre identifier » avec les pensées et les
sentiments pour ne pas être captifs et emportés par la négativité.
J’aime comment sa définition de la pleine conscience nous rappelle
qu’être pleinement conscients veut aussi dire ne pas trop nous « outre
identifier » à nos sentiments ou de les exagérer. Pour moi, il est si facile
d’être coincée dans le regret ou la honte ou l’autocritique quand je fais une
erreur. Mais l’autocompassion demande une perspective attentive et précise
lorsqu’on ressent de la honte ou de la souffrance. Le site Web de Neff offre
un inventaire d’autocompassion et davantage sur sa recherche, à l’adresse
www.self-compassion.org.
Outre la pratique de l’autocompassion (et croyez-moi, comme la
gratitude et tout ce qui en vaut la peine, c’est une pratique), il faut aussi
nous rappeler que notre valeur, cette croyance fondamentale que nous
sommes assez, ne vient que lorsque nous vivons à l’intérieur de notre
histoire. Soit que nous possédions nos histoires (même les brouillonnes),
soit que nous nous tenions à l’extérieur d’elles – niant nos imperfections et
nos vulnérabilités, reniant les parties de nous qui ne correspondent pas à ce
que ou à qui nous croyons que nous sommes censés être, et persuadant
d’autres gens d’approuver notre valeur. Le perfectionnisme est épuisant
parce que persuader est épuisant. C’est une performance sans fin.
J’aimerais revenir à la série Inspiration Interviews de mon blog et
partager avec vous certaines réponses. Je vois dans celles-ci la beauté d’être
réel – d’accueillir les fissures — et je suis inspirée par l’autocompassion. Je
crois qu’elles vont aussi vous inspirer. La première est de Gretchen Rubin,
l’auteure de best-sellers dont le livre The Happiness Project qui est le récit
de l’année qu’elle a passé à vérifier des études et des théories sur la façon
d’être plus heureux. Son autre livre, Happier at Home, porte sur les facteurs
qui importent à la maison tels que les possessions, le mariage, le temps, la
parentalité, le voisinage. Voici sa réponse à propos de comment gérer le
perfectionnisme :

Je me rappelle ceci : « Ne laisse pas le parfait être l’ennemi du bien »,


(tiré de Voltaire). Une marche de vingt minutes que je fais vaut mieux
qu’une course de quatre kilomètres que je ne fais pas. Le livre imparfait
qui est publié vaut mieux que le livre parfait qui ne quitte jamais mon
ordinateur. Le souper de fête avec des mets asiatiques pour emporter
vaut mieux que le souper élégant dont je ne suis jamais l’hôtesse.
Andrea Scher est photographe, auteure et coach de vie demeurant à
Berkeley, Californie. Par ses cybercours « Superhero Photo » et « Mondo
Beyondo » et son blog primé Superhero Journal, Andrea inspire les gens à
mener une vie authentique, colorée et créatrice. Vous pouvez souvent la
trouver assise sur le plancher de la cuisine, tenant son nouveau bébé et
demandant à son fils de quatre ans de sauter afin qu’elle puisse faire un
portrait de super héros. Elle écrit ici au sujet du perfectionnisme (j’adore ses
mantras !) :
Enfant, j’étais gymnaste de compétition, j’avais une parfaite assiduité
chaque année en classe, j’étais terrifiée d’obtenir pire qu’un A moins, et
j’avais un trouble alimentaire au secondaire.

Oh, et je crois que j’étais la reine du bal.


Ouais. Je crois que j’ai des problèmes avec le perfectionnisme !
Mais j’y ai travaillé. Enfant, je plaçais à égalité être parfaite et être
aimée… et je pense que je confonds encore les deux. Je me retrouve
souvent à faire ce que Brené appelle « la bousculade pour la valeur ».
Cette danse que nous faisons de sorte que les gens ne voient pas comme
nous sommes incroyablement imparfaits et humains. Parfois, ma valeur
personnelle est drapée dans ce que je fais et dans l’allure que j’ai à le
faire, mais surtout j’apprends à lâcher prise. La parentalité m’a
beaucoup enseigné à cet égard. C’est désordonné et ça porte à
l’humilité, et j’apprends à montrer mon désordre.

Pour gérer mon perfectionnisme, je m’accorde des tonnes de


permissions de faire des choses assez bonnes. Je les fais rapidement
(avoir deux petits enfants vous enseigne comment accomplir la plupart
des tâches à la vitesse de l’éclair) et si c’est assez bon, j’y appose mon
timbre d’approbation. J’ai quelques mantras qui aident :
Rapide et sale gagne la course.
La perfection est l’ennemi de terminé.
Assez bon est vraiment super bon.
Nicholas Wilton est l’artiste derrière les magnifiques illustrations des
couvertures de mes livres précédents et de mon site Web. Outre des
expositions dans des galeries et des présences dans des collections privées,
il est le fondateur d’Artplane Method, un système de peinture fondamentale
et de principes intuitifs qui aident au processus créatif.
J’aime absolument ce qu’il écrit sur le perfectionnisme et l’art. Je suis
entièrement d’accord avec le résultat de la recherche affirmant que le
perfectionnisme écrase la créativité – et c’est pourquoi l’une des façons les
plus efficaces de commencer à se rétablir du perfectionnisme est de
commencer à créer. Voici ce que Nick a à nous dire :
J’ai toujours cru que quelqu’un, il y a longtemps, a organisé les affaires
du monde en secteurs qui avaient du sens – des catégories de choses à
parfaire, des choses qui s’ajustent en parfaits paquets. Le monde des
affaires, par exemple, est ainsi – postes distincts, feuilles de calcul,
choses qui s’additionnent, qui sont perfectibles. Le système juridique –
pas toujours parfait mais néanmoins un effort abrutissant d’écrire en
réalité toutes sortes de lois et d’instructions qui couvrent tous les aspects
d’être humain, un genre de code de conduite parapluie que nous
devrions tous suivre.
La perfection est cruciale pour bâtir un avion, un pont ou un train à
grande vitesse. Le code et les mathématiques qui résident
immédiatement sous la surface d’Internet sont également ainsi. Les
choses sont soit exactement justes, soit elles ne fonctionnent pas. Donc
une grande partie du monde dans lequel nous vivons et travaillons est
basée sur être correct, être parfait.
Mais après que cette personne a eu fini d’organiser tout à la perfection,
il (ou probablement elle) lui restait un paquet d’affaires qui n’allaient
nulle part – des choses dans une boîte à souliers qui devaient trouver un
endroit.
Alors, en désespoir de cause, cette personne a levé les bras en l’air et a
dit : « Ok ! Bien. Tout le reste de ces objets qui n’est pas perfectible, qui
ne semble pas convenir nulle part, sera empilé dans une dernière grande
boîte abîmée que nous pouvons pousser derrière le divan en quelque
sorte. Nous pouvons peut-être revenir plus tard et trouver où tout est
censé aller. Nommons-la boîte ART. »

Le problème n’a heureusement jamais été réglé et avec le temps la boîte


a débordé, car de plus en plus d’art s’y entassait. Je crois que le
dilemme existe parce que l’art, parmi toutes les autres catégories
rangées, ressemble de plus près à ce qu’est être humain. Être en vie.
C’est notre nature d’être imparfaits. D’avoir des sentiments et des
émotions non catégorisés. De fabriquer ou de faire des choses qui
parfois n’ont pas nécessairement de sens.

L’art est simplement parfaitement imparfait.


Quand le mot Art entre dans la description de ce que vous faites, c’est
presque comme obtenir un laissez-passer de la perfection. Cela nous
libère heureusement de toute attente de perfection.

Relativement à mon propre travail n’étant pas parfait, j’indique toujours


la boîte abîmée derrière le divan et je mentionne le mot Art, et les gens
semblent comprendre et vous laissent tranquille à propos d’être parfait
et ils retournent à leurs affaires.
Il y a une citation que je partage chaque fois que je parle de vulnérabilité
et de perfectionnisme. Ma fixation sur ces mots de la chanson Anthem de
Leonard Cohen provient de ce qu’ils me donnent tellement de réconfort et
d’espoir quand je mets « assez » en pratique : « Il y a une fissure dans tout.
C’est comme ça que la lumière entre. »

LE BOUCLIER : L’ENGOURDISSEMENT

Si vous vous demandez si cette section porte sur la dépendance et que


vous pensez : Ça ne me concerne pas, s’il vous plaît, poursuivez la lecture.
Ceci nous concerne tous. Premièrement, une des stratégies
d’engourdissement les plus universelles est ce que j’appelle occupé-en-fou.
Je dis souvent que lorsqu’ils vont tenir des réunions de Douze Étapes pour
les occupés-oliques, ils vont devoir louer des stades de football. Nous
sommes une culture de gens qui ont acheté l’idée que si nous demeurons
suffisamment occupés, la vérité de nos vies ne nous rattrapera pas.
Deuxièmement, les statistiques dictent que très peu de gens n’ont pas été
touchés par la dépendance. Je crois que nous engourdissons tous nos
sentiments, peut-être pas compulsivement et chroniquement, ce qui est de la
dépendance, mais cela ne veut pas dire que nous n’engourdissons pas notre
sens de la vulnérabilité. Et engourdir la vulnérabilité est spécialement
débilitant parce que cela n’étouffe pas seulement la souffrance de nos
expériences douloureuses, mais cela atténue aussi nos expériences d’amour,
de joie, d’appartenance, de créativité et d’empathie. On ne peut pas
engourdir sélectivement nos émotions. Engourdissez la noirceur et vous
engourdissez la lumière.
Si vous vous demandez aussi si l’engourdissement signifie utiliser des
drogues illégales ou prendre quelques verres de vin après le travail – la
réponse est oui. Je vais défendre que nous devons examiner l’idée de « se
calmer », ce qui veut dire tenir compte des verres de vin que nous buvons
en cuisinant le repas du soir, en mangeant et en nettoyant après, de nos
semaines de travail de soixante heures, du sucre, du fantasy football, des
médicaments sur ordonnance et des quatre tasses d’expresso que nous
buvons pour dissiper la brume du vin et des Advil du soir. Je parle de vous
et moi, et des choses que nous faisons chaque jour.
Quand j’ai regardé les données, ma première question était : « Qu’est-ce
que nous engourdissons et pourquoi ? » Les Américains aujourd’hui sont
plus criblés de dettes, obèses, médicamentés et dépendants que jamais. Pour
la première fois de l’histoire, les Centres pour le contrôle et la prévention
des maladies (CCPM) ont annoncé que les accidents d’automobiles sont
désormais la deuxième cause des morts accidentelles aux États-Unis. La
cause principale ? Les surdoses de drogues. En fait, plus de gens meurent de
surdoses de médicaments sur ordonnance que d’héroïne, de cocaïne et de
méthamphétamines combinées. Encore plus inquiétant, on estime que
moins de cinq pour cent des personnes qui sont mortes d’une surdose de
médicaments sur ordonnance les ont obtenus de gens que l’on croit
normalement être des revendeurs de rue. Les revendeurs aujourd’hui sont
plus susceptibles d’être des parents, de la parenté, des amis et des médecins.
Il y a manifestement un problème. Nous sommes désespérés de sentir
quelque chose en moins ou en plus — de faire fuir quelque chose ou
d’obtenir plus de quelque chose d’autre.
Après des années à travailler de près avec des chercheurs et des
cliniciens sur la dépendance, j’avais deviné que le vecteur principal de
l’engourdissement serait notre combat avec la valeur et la honte. Nous
engourdissons la douleur causée par notre sentiment d’être inadéquats et
« moins que ». Mais ce n’était qu’une partie de l’énigme. L’anxiété et la
déconnexion sont aussi apparues comme des vecteurs de l’engourdissement,
en plus de la honte. Comme je vais l’expliquer, le besoin le plus pressant de
s’engourdir semble venir d’une combinaison de tous les trois – honte,
anxiété et déconnexion.
L’anxiété décrite par les participants à la recherche semblait se nourrir
d’incertitude, de demandes écrasantes et conflictuelles de notre temps, et
(une des grandes surprises) du malaise social. La déconnexion était plus
difficile à détecter. J’ai pensé utiliser le terme dépression plutôt que
déconnexion, mais en recodant les données, ce n’est pas ce que j’ai entendu.
J’ai plutôt entendu une série d’expériences qui incluaient la dépression,
mais aussi la solitude, l’isolement, le désengagement et le vide.
De nouveau, ce qui était le plus puissant pour moi, sur le plan personnel
et professionnel, était de voir le modèle ferme de la honte se faufiler dans
les expériences d’anxiété et/ou de déconnexion. Les réponses les plus
exactes à la question sur ce qui active l’engourdissement sonnent davantage
comme des réponses à « Quel est votre signe ? » Anxiété et honte montante.
Déconnexion et honte montante. Anxiété et déconnexion et honte montante.
La honte entre chez ceux d’entre nous qui éprouvent de l’anxiété parce
que non seulement nous nous sentons craintifs, hors de contrôle et
incapables de gérer nos vies de plus en plus exigeantes, mais
éventuellement notre anxiété grandit et devient insupportable en raison de
notre croyance que si nous étions juste plus intelligents, plus forts ou
mieux, nous serions capables de tout prendre en main. Ici,
l’engourdissement devient un moyen de modérer l’instabilité et
l’inadéquation.
L’histoire est semblable pour la déconnexion. Nous avons peut-être des
centaines d’amis sur Facebook, plus un tas de collègues, des amis dans la
vraie vie et des voisins, mais nous nous sentons seuls et non vus. Parce que
nous sommes programmés pour la connexion, la déconnexion cause
toujours une souffrance. Nous sentir déconnectés peut être une partie
normale de la vie et des relations, mais lorsque la honte de croire que nous
sommes déconnectés entre en jeu parce que nous ne sommes pas dignes de
connexion, une souffrance s’ensuit que nous voulons engourdir.
À un pas de plus de la déconnexion se trouve l’isolement qui présente un
réel danger. Jean Baker Miller et Irene Stiver, théoriciens de la culture
relationnelle du Stone Center au Wellesley College, ont saisi avec
éloquence la gravité de l’isolement. Ils écrivent : « Nous croyons que le
sentiment le plus terrifiant et destructeur qu’une personne puisse connaître
est l’isolement psychologique. Ce n’est pas la même chose qu’être seul.
C’est le sentiment d’être bloqué de la possibilité d’une connexion humaine
et d’être impuissant à changer la situation. À l’extrême, l’isolement
psychologique peut entraîner un sentiment de désespoir et de désespérance.
Les gens feront presque n’importe quoi pour échapper à cette combinaison
d’isolement condamné et d’impuissance. »
La partie de cette définition qui est essentielle pour comprendre la honte
est la phrase : « Les gens feront presque n’importe quoi pour échapper à
cette combinaison d’isolement condamné et d’impuissance. » La honte
mène souvent au désespoir. Et les réactions à ce besoin désespéré
d’échapper à l’isolement et à la peur peuvent aller de l’engourdissement à la
dépendance, à la dépression, à l’automutilation, aux troubles alimentaires, à
l’intimidation, à la violence et au suicide.
En repensant à mes propres antécédents d’engourdissement, comprendre
comment la honte magnifie l’anxiété et la déconnexion m’a fourni des
réponses à des questions que j’avais depuis des années. Je n’ai pas
commencé à boire pour noyer mes chagrins. J’avais seulement besoin de
quelque chose pour m’occuper les mains. En fait, je suis convaincue que si
les téléphones intelligents et les chihuahuas diamantés que les célébrités
portent tels des accessoires avaient été à la mode à la fin de mon
adolescence, je n’aurais jamais commencé à fumer ou à boire. J’ai bu et j’ai
fumé pour minimiser mes sentiments de vulnérabilité et pour prétendre être
occupée quand toutes les autres filles à ma table avaient été demandées à
danser. J’avais littéralement besoin de quelque chose à faire pour m’aider à
paraître occupée.
Il y a vingt-cinq ans, il semblait que mon seul choix était de siroter une
bière, de concocter un amaretto sour ou de tripoter une cigarette. J’étais
seule à la table désertée et rien pour me tenir compagnie sauf mes vices.
Pour moi, la vulnérabilité menait à l’anxiété, qui menait à la honte, qui
menait à la déconnexion, qui menait à la Bud Light. Pour nombre d’entre
nous, l’anesthésiant chimique d’émotions n’est qu’un effet secondaire
agréable, quoique dangereux, des comportements davantage axés sur
s’intégrer, trouver une connexion et gérer l’anxiété.
J’ai cessé de boire et de fumer il y a seize ans. Dans La grâce de
l’imperfection, j’ai écrit :
Je n’ai pas été élevée avec les outils et la pratique émotionnelle
nécessaires pour « accueillir l’inconfort », alors avec le temps, je suis
devenue, pour ainsi dire, une « alcoolique de la fuite des émotions ».
Mais il n’y a pas de meetings pour ça. Et après quelques brèves
expérimentations, j’ai appris que décrire sa dépendance ainsi dans une
réunion traditionnelle des Douze Étapes ne fait pas toujours bon ménage
avec les puristes.
Pour moi, ce n’était pas que les salles de danse, la bière froide et les
Marlboro Lights de ma jeunesse qui ont échappé à mon contrôle –
c’était le pain aux bananes, les croustilles et le fromage, les courriels, le
travail, les occupations incessantes, l’inquiétude incessante, la
planification à outrance, le perfectionnisme et tout ce qui pouvait
atténuer ces sentiments atroces, alimentés par l’anxiété, de la
vulnérabilité.
Jetons un coup d’œil sur les stratégies d’Oser avec audace pour
l’engourdissement.

► OSER AVEC AUDACE : ÉTABLIR DES LIMITES, TROUVER


UN VRAI RÉCONFORT ET CULTIVER L’ESPRIT

Quand j’ai interviewé les participants à la recherche, que j’ai décrits


comme vivant une vie Sans réserve, au sujet de l’engourdissement, ils ont
surtout parlé de trois choses :
1. Apprendre à ressentir véritablement leurs sentiments.
2. Demeurer pleinement conscients des comportements
d’engourdissement (ils luttaient aussi).
3. Apprendre à se pencher sur le malaise des émotions difficiles.
Ceci avait un sens parfait pour moi, mais je voulais savoir exactement
comment on se penche sur l’anxiété et la déconnexion. Alors j’ai
commencé à interviewer des gens à propos de cette question
spécifiquement. Comme je m’y attendais, elle était plus étoffée. Ces
personnes s’étaient élevées « assez » à de tout nouveaux niveaux. Oui, ils
pratiquaient la pleine conscience et le penchement, mais ils établissent aussi
de sérieuses limites dans leur vie.
Quand j’ai posé des questions plus pointues sur les choix et les
comportements qu’adoptaient les hommes et les femmes Sans réserve pour
réduire l’anxiété, ils m’ont expliqué que réduire l’anxiété signifiait porter
attention à la quantité de ce qu’ils pouvaient faire et de ce qui était trop, et
apprendre à dire « Assez ». Ils étaient très clairs sur ce qui était important
pour eux et quand ils pouvaient laisser aller quelque chose.
Dans le merveilleux TED talk de Sir Ken Robinson en 2010 sur la
révolution de l’apprentissage, il commence en expliquant à l’auditoire qu’il
divise le monde en deux groupes, puis il s’arrête et avec beaucoup
d’humour il ajoute : « Jeremy Bentham, le grand philosophe de
l’utilitarisme, a déjà transpercé cet argument. Il a dit : “Il y a deux types de
gens dans le monde, ceux qui divisent les gens en deux types, et ceux qui ne
le font pas.” »
Robinson a fait une pause et a souri. « Eh bien, je le fais. » J’ai aimé cela
parce que, comme chercheuse, je le fais aussi. Mais avant de parler des
deux groupes que j’ai identifiés, je veux mentionner que cette division n’est
pas aussi nette et rangée que deux groupes discrets, et qu’en même temps
ils le sont presque. Voyons voir.
Quand il s’agit d’anxiété, nous luttons tous. Oui, il existe différents types
d’anxiété et certainement différentes intensités. Une certaine anxiété est
intégrée et mieux traitée par la combinaison d’une médicamentation et
d’une thérapie, et une autre est environnementale – nous sommes épuisés et
outre-stressés. Ce qui m’intéressait était comment les participants pouvaient
être divisés en deux camps. Le Groupe A définissait le problème de
l’anxiété comme étant de trouver des façons de gérer et d’adoucir l’anxiété,
alors que le Groupe B définissait le problème comme étant de changer les
comportements qui entraînent l’anxiété. Les participants des deux groupes
utilisaient souvent la technologie dominante d’aujourd’hui comme exemple
de source productrice d’anxiété durant les interviews, alors regardons donc
comment ces deux groupes pensaient différemment à propos de l’avalanche
quotidienne de courriels, de messages vocaux et de textos.
Groupe A : « Je fais du café après avoir couché mes petits pour pouvoir
m’occuper de tous les courriels entre 22 heures et minuit. S’il y en a
trop, je me réveille à 4 heures et je recommence. Je n’aime pas aller au
travail avec des courriels restés sans réponse dans ma boîte de courrier.
Je suis épuisé, mais ils ont été répondus. »
Groupe B : « J’ai simplement cessé d’envoyer des courriels non
nécessaires et j’ai demandé à mes amis et collègues d’en faire autant.
J’ai aussi commencé à établir qu’il me faudrait peut-être quelques jours
pour répondre. Si c’est important, téléphonez-moi. Pas de texto ni
courriel. Appelez. Mieux encore, passez à mon bureau. »
Groupe A : « J’utilise les feux rouges, les files à l’épicerie et les
montées d’ascenseur pour rester à jour avec mes appels. Je dors même
avec mon téléphone au cas où quelqu’un m’appellerait ou que je me
souvienne de quelque chose au milieu de la nuit. Une fois, j’ai appelé
mon assistante à 4 heures du matin parce que je me souvenais qu’il
fallait ajouter quelque chose à une proposition que nous préparions. J’ai
été surpris qu’elle réponde, mais elle m’a rappelé lui avoir dit de garder
son téléphone sur sa table de nuit. Je vais relaxer et relâcher la pression
quand nous aurons fini. Travailler dur. Jouer dur. C’est ma devise. Et
jouer dur est moins exigeant quand on n’a pas dormi depuis un bout de
temps. »
Groupe B : « Mon patron, mes amis et ma famille savent que je ne
prends pas les appels avant 9 heures du matin ou après 21 heures. Si le
téléphone sonne après ou avant ces heures, c’est soit un faux numéro,
soit une urgence – une véritable urgence, pas une question de travail. »
Les participants qui luttaient le plus contre l’engourdissement, soit le
Groupe A, ont expliqué que réduire l’anxiété signifie trouver des moyens de
l’engourdir, et non de changer la pensée, le comportement ou les émotions
qui créaient l’anxiété. J’ai détesté chaque minute de cette partie de la
recherche. J’ai toujours cherché de meilleures façons de gérer mon
épuisement et mon anxiété. Je voulais de l’aide à « vivre comme ça » et non
des suggestions sur la façon de « cesser de vivre comme ça ». Ma lutte
reflétait la lutte que j’entendais de la part des gens qui parlaient le plus de
l’engourdissement. Le groupe plus restreint, le Groupe B – les participants
qui abordaient l’anxiété à la racine en alignant leur vie avec leurs valeurs et
en établissant des limites – tombait sur le continuum Sans réserve.
Quand nous avons interrogé ce groupe sur le processus d’établir des
frontières et des limites pour amoindrir l’anxiété dans leur vie, ils n’ont pas
hésité à connecter valeur et limites. Nous devons croire que nous sommes
assez afin de dire « Assez ! ». Pour les femmes, il est difficile d’établir de
limites parce que les gremlins de la honte sont rapides à s’en mêler. « Fais
attention en disant non. Tu vas vraiment regretter de décevoir ces gens. Ne
les laisse pas tomber. Fais la bonne fille. Rends tout le monde heureux. »
Pour les hommes, ces gremlins chuchotent : « Sois un homme. Un vrai gars
se chargerait de cela et même plus. Le petit garçon à sa maman est trop
fatigué ? »
Nous savons qu’oser avec audace signifie s’engager avec notre
vulnérabilité, ce qui ne peut survenir quand la honte a le dessus, et la même
chose s’applique quand on s’attaque à la déconnexion nourrie d’anxiété.
Les deux formes de connexion les plus puissantes sont l’amour et
l’appartenance – ce sont deux besoins irréductibles des hommes, des
femmes et des enfants. En menant mes interviews, j’ai réalisé qu’une seule
chose séparait les hommes et les femmes qui ressentaient un profond
sentiment d’amour et d’appartenance des gens qui semblaient lutter à cette
fin. Cette seule chose était la croyance dans leur valeur. Aussi simple et
aussi compliqué que ça. Si nous voulons connaître pleinement l’amour et
l’appartenance, nous devons croire que nous sommes dignes d’amour et
d’appartenance. Mais avant de parler davantage d’engourdissement et de
déconnexion, je veux vous faire part de deux autres définitions. J’ai écrit ma
définition de l’amour aux pages 105-106, et voici les définitions de la
connexion et de l’appartenance qui sont ressorties des données.
Connexion : La connexion est l’énergie qui se crée entre des personnes
quand elles se sentent vues, entendues et valorisées ; quand elles peuvent
donner et recevoir sans jugement.
Appartenance : L’appartenance est le désir humain inné de faire partie
de quelque chose de plus grand que nous. Parce que ce désir est si primitif,
nous tentons souvent de l’acquérir en voulant nous intégrer et en
recherchant l’approbation, qui non seulement sont de creux substituts de
l’appartenance, mais qui en constituent souvent des obstacles. Parce que la
véritable appartenance ne se produit que lorsque nous présentons notre soi
authentique, imparfait au monde, notre sentiment d’appartenance ne peut
jamais être plus grand que notre niveau d’autoacceptation.
Ces définitions sont cruciales pour comprendre comment nous devenons
déconnectés dans notre vie et comment changer. Vivre une vie connectée
tient finalement à établir des limites, à passer moins de temps et d’énergie à
bousculer ou à gagner sur des gens qui ne comptent pas, et à voir la valeur
de travailler à cultiver une connexion avec la famille et les amis intimes.
Avant d’entreprendre cette recherche, ma question était : « Quelle est la
façon la plus rapide de faire disparaître ces sentiments ? » Aujourd’hui, ma
question est : « Quels sont ces sentiments et d’où sont-ils venus ? »
Invariablement, les réponses sont que je ne suis pas suffisamment connectée
à Steve ou aux enfants, et que cela provient de (faites votre choix) ne pas
dormir suffisamment, de ne pas jouer assez ou de tenter d’échapper à la
vulnérabilité. Ce qui a changé pour moi est que je sais désormais que je
peux aborder ces réponses.
► LES SOINS ET LA NOURRITURE DE NOTRE ESPRIT

Une question finale demeure et je l’entends beaucoup. Les gens


demandent souvent : « Où est la ligne entre le plaisir ou le réconfort et
l’engourdissement ? » En réponse, l’auteure et enseignante de croissance
personnelle Jennifer Louden a appelé nos instruments d’engourdissement
« le réconfort de l’ombre ». Quand nous sommes anxieux, déconnectés,
vulnérables, seuls avec un sentiment d’impuissance, l’alcool, la nourriture,
le travail et les heures interminables en ligne nous semblent un réconfort,
mais en fait, ils ne font que projeter leurs longues ombres sur notre vie.
Dans son livre The Life Organizer, Louden écrit : « Les réconforts de
l’ombre peuvent prendre n’importe quelle forme. Ce n’est pas ce que vous
faites, c’est pourquoi vous le faites qui fait une différence. Vous pouvez
couper un morceau de chocolat comme une sainte hostie de douceur – un
vrai réconfort – ou vous pouvez vous engouffrer toute une tablette de
chocolat dans la bouche sans même y goûter dans une tentative effrénée de
vous adoucir – un réconfort de l’ombre. Vous pouvez converser sur des
forums de discussion pendant une demi-heure et être énergisé par la
communauté, puis être prêt à retourner au travail, ou vous pouvez converser
sur des forums de discussion parce que vous évitez de parler à votre
partenaire au sujet de la colère qu’il ou elle a provoquée en vous la veille. »
J’ai découvert que ce qui est ressorti des données était exactement ce que
Louden indique : « Ce n’est pas ce que vous faites, c’est pourquoi vous le
faites qui fait une différence. » C’est une invitation à réfléchir à l’intention
derrière vos choix et, si c’est utile, à discuter de ces questions avec la
famille, des amis intimes ou des professionnels aidants.
Il n’y a pas de listes ou de normes pour vous aider à identifier les
réconforts de l’ombre ou d’autres comportements d’engourdissement
destructeurs. Cela exige un auto-examen et une réflexion. En outre, je
recommanderais d’écouter avec grand soin si les gens que vous aimez
disent qu’ils se soucient de ce que vous vous engagiez dans ces types de
comportements. Mais en fin de compte, ce sont des questions qui
transcendent ce que nous savons et comment nous nous sentons – elles
concernent notre esprit. Mes choix réconfortent-ils et nourrissent-ils mon
esprit, ou sont-ils des répits à la vulnérabilité et aux émotions difficiles qui
diminuent finalement mon esprit ? Mes choix me mènent-ils à être Sans
réserve, ou me laissent-ils avec un sentiment de vide et de recherche ?
Pour moi, m’asseoir devant un repas fabuleux est nourriture et plaisir.
Manger debout, devant le réfrigérateur ou dans le garde-manger, est
toujours un drapeau rouge. M’asseoir pour regarder une de mes émissions
préférées à la télé, c’est du plaisir. Passer d’un canal à l’autre pendant une
heure est engourdissant. Toujours en pensant à nourrir ou à diminuer notre
esprit, il nous faut considérer comment nos comportements
d’engourdissement affectent les gens autour de nous – même les étrangers.
Il y a quelques années, j’ai écrit un éditorial sur les téléphones cellulaires et
la déconnexion pour le Houston Chronicle après avoir été témoin de la
façon dont nos styles de vie surmenés et carburant à l’anxiété affectent
d’autres gens. Élément de réflexion :

La semaine dernière, alors que j’essayais de profiter de ma séance


manucure, j’ai regardé, horrifiée, les deux femmes en face de moi
parler au téléphone tout le temps de leur manucure. Elles hochaient la
tête, haussaient les sourcils et pointaient du doigt pour renseigner la
manucure sur la longueur des ongles ou les choix de vernis.
Je ne pouvais pas le croire.
Je me fais faire les ongles par les deux mêmes femmes depuis dix ans.
Je connais leurs noms (leurs véritables noms vietnamiens), les noms
de leurs enfants et nombre de leurs histoires. Elles connaissent mon
nom, les noms de mes enfants et nombre de mes histoires. Quand j’ai
finalement passé un commentaire au sujet des femmes sur leurs
cellulaires, elles ont fui du regard. Enfin, en murmurant, la manucure
a dit : « Elles ne savent pas. Pour la plupart, elles ne nous considèrent
pas comme des personnes. »
En route pour la maison, je suis arrêtée chez Barnes & Noble pour
prendre un magazine. La femme devant moi dans la file a acheté deux
livres, s’est inscrite à une « carte de lectrice » et a demandé un
emballage-cadeau pour un livre sans lâcher son cellulaire. Elle a
navigué tout le long de l’échange sans regarder ou parler directement
à la jeune femme au comptoir. Elle n’a jamais reconnu la présence de
l’être humain en face d’elle.
Je suis sortie de chez Barnes & Noble et je me suis arrêtée prendre
une boisson gazeuse au service à l’auto d’un restaurant rapide.
Comme j’arrivais à la fenêtre, mon cellulaire a sonné. Je ne savais
trop, mais j’ai cru que ça pouvait être l’école de Charlie qui
téléphonait, alors j’ai répondu. Ce n’était pas l’école, mais quelqu’un
qui voulait confirmer un rendez-vous. J’ai raccroché aussi vite que
j’ai pu.
Durant le bref moment qu’il m’a fallu pour dire : « Oui, je serai au
rendez-vous », la femme à la fenêtre et moi avons réglé notre
transaction. Je me suis excusée à la seconde où j’ai raccroché en
disant : « Je suis désolée. Le téléphone a sonné juste comme j’arrivais
et je croyais que c’était l’école de mon fils. »
J’ai dû la surprendre parce qu’elle avait de grosses larmes dans les
yeux et a dit : « Merci. Merci tellement. Vous n’avez pas idée comme
c’est humiliant parfois. Ils ne nous voient même pas. »
Je ne sais pas comment elle s’est sentie, mais je sais comment on se
sent quand on est un membre invisible de l’industrie du service. Ça
peut être merdique. J’ai travaillé durant mes études de premier cycle
et certaines études supérieures en servant aux tables et comme
barmaid. Je travaillais dans un très beau restaurant près du campus, un
endroit recherché par les riches étudiants universitaires et leurs
parents (des parents en visite pour la fin de semaine qui régalaient
leurs enfants et leurs amis pour dîner). J’étais dans la fin de la
vingtaine et je priais de terminer mon baccalauréat avant trente ans.
Quand les consommateurs étaient courtois et respectueux, ça allait,
mais un moment de « serveuse objet » pouvait me déchirer.
Malheureusement, je vois ces moments survenir tout le temps.
Je vois des adultes qui ne regardent même pas leurs serveurs quand ils
leur parlent. Je vois des parents qui laissent leurs jeunes enfants parler
avec condescendance aux commis de magasin. Je vois des gens rager
et hurler après des réceptionnistes, puis traiter les
patrons/médecins/banquiers avec le plus grand respect.
Et je vois la nature insidieuse de la race, de la classe et du privilège se
jouer de l’une des façons les plus historiquement dommageables
possibles – la relation serveur/servi.
Tout le monde veut savoir pourquoi le service à la clientèle est parti
chez le diable dans un panier à main. Je veux savoir pourquoi le
comportement de la clientèle est parti chez le diable.
Quand nous traitons les gens comme des objets, nous les
déshumanisons. Nous faisons quelque chose de vraiment terrible à
leur âme et à la nôtre. Martin Buber, un philosophe autrichien, a écrit
sur les différences entre une relation Je-ça et une relation Je-toi. Une
relation Je-ça est à la base ce que nous créons quand nous transigeons
avec des gens que nous traitons comme des objets – des gens qui sont
simplement là pour nous servir ou accomplir une tâche. Les relations
Je-toi sont caractérisées par une connexion humaine et de l’empathie.
Buber a écrit : « Quand deux personnes ont un rapport l’une à l’autre
authentique et humain, Dieu est l’électricité qui jaillit entre elles. »
Après avoir passé dix ans à étudier l’appartenance, l’authenticité et la
honte, je peux dire assurément que nous sommes programmés pour la
connexion – émotionnellement, physiquement et spirituellement. Je
ne suggère pas que nous nous engagions dans une relation profonde,
intéressante avec le type qui travaille à la buanderie ou la femme du
service à l’auto, mais je suggère que nous cessions de déshumaniser
les gens et que nous commencions à les regarder dans les yeux quand
nous leur parlons. Si nous n’avons pas le temps ou l’énergie pour
cela, nous devrions rester à la maison.

La spiritualité est ressortie comme un guide fondamental pour être Sans


réserve. Pas une religiosité mais une croyance profondément entretenue que
nous sommes inextricablement connectés les uns aux autres par une force
plus grande que nous – une force fondée sur l’amour et la compassion. Pour
certains d’entre nous c’est Dieu, pour d’autres c’est la nature, l’art ou même
l’expressivité humaine. Je crois que posséder notre valeur est l’acte de
reconnaître que nous sommes sacrés. Peut-être qu’embrasser la
vulnérabilité et surmonter l’engourdissement revient au bout du compte à
soigner et à nourrir notre esprit.

► LES ÉTAGÈRES DE L’ARSENAL LES MOINS FRÉQUENTÉES

Jusqu’ici, nous avons ouvert les portes de l’arsenal pour faire la lumière
sur les armes communes que presque tout le monde utilise pour se protéger
de la vulnérabilité. L’appréhension de la joie, le perfectionnisme et
l’engourdissement ont émergé à titre des trois formes de protection les plus
universelles – ce que nous appelons les trois grandes catégories de défense.
Dans cette dernière partie du chapitre, je veux explorer brièvement les
étagères de l’arsenal les moins fréquentées où sont gardés quelques autres
masques et pièces qui forment d’importantes sous-catégories de protection.
Nous sommes susceptibles, pour la plupart, de nous identifier à l’un ou
plusieurs de ces mécanismes de protection ou, du moins, nous verrons des
fragments de nous-mêmes reflétés sur leurs surfaces polies d’une manière
qui cultive une certaine compréhension.
► LE BOUCLIER : VIKING OU VICTIME

J’ai reconnu cette pièce de l’armure quand un groupe significatif de


participants à la recherche ont indiqué qu’ils avaient très peu d’usage pour
le concept de vulnérabilité. Leurs réponses à l’idée que la vulnérabilité
puisse avoir une valeur allaient de condescendantes et de défensives à
hostiles. Il est ressorti de ces interviews et de ces interactions une vision du
monde qui voyait essentiellement les gens comme étant divisés en deux
groupes (euh, comme moi et Sir Ken Robinson) que j’appelle Vikings ou
Victimes.
Contrairement à certains participants qui avaient des notions
intellectuelles ou théoriques concernant la valeur de la vulnérabilité, ces
personnes partageaient la croyance que tous sans exception appartiennent à
l’un des deux groupes mutuellement exclusifs. Soit vous êtes une Victime
dans la vie – un pigeon ou un perdant dont on profite toujours et qui ne peut
tenir votre rang – soit vous êtes un Viking – quelqu’un qui voit la menace
d’être victimisé comme une constante, alors vous demeurez en contrôle,
vous dominez, vous exercez votre pouvoir sur les choses et vous ne montrez
jamais de vulnérabilité.
En codant les données de ces interviews, je revenais en pensée au
chapitre de ma dissertation sur le philosophe français Jacques Derrida et
l’opposition binaire (le couplage de termes reliés qui sont contraires).
Même si les répondants n’ont pas utilisé les mêmes exemples, un modèle
fort de contraires couplés s’est dégagé du langage qu’ils ont utilisé pour
décrire leur vision du monde : gagnant ou perdant, survivre ou mourir, tuer
ou être tué, fort ou faible, leaders ou suiveurs, succès ou échec, écraser ou
être écrasé. Et au cas où ces exemples n’étaient pas assez clairs, il y a la
devise de vie d’un avocat performant à l’attitude implacable : « Le monde
est divisé en connards et en nigauds. Aussi simple que ça. »
La source de leur vision du monde Viking-ou-Victime n’était pas
entièrement évidente, mais la plupart l’attribuait aux valeurs qu’on leur a
enseignées en grandissant, aux expériences de survivre aux épreuves ou à
leur formation professionnelle. La majorité des participants appartenant au
groupe défendant cette vision étaient des hommes, mais il y avait aussi des
femmes. Il est sensé que cette question soit quelque peu sexospécifique car
nombre d’hommes, même ceux qui n’utilisent pas cette armure, ont parlé de
la dynamique gagnant-perdant-jeu-à-somme-nulle qui leur a été enseignée
et modelée en grandissant. Et n’oubliez pas, la domination de gagner et le
pouvoir sur les femmes faisaient partie de la liste des normes masculines
dont nous avons discuté au chapitre 3.
Outre la socialisation et les expériences de vie, nombre de ces personnes
occupaient un emploi ou travaillaient au sein de cultures qui renforçaient la
mentalité Viking-ou-Victime. Nous avons entendu cela d’hommes et de
femmes dans le domaine des services, d’anciens combattants, d’agents des
services correctionnels et du maintien de la paix, et de gens qui travaillent
dans des cultures de performance élevée, super concurrentielles comme le
droit, la technologie et la finance. Ce que je ne sais pas, c’est si ces gens
recherchaient des carrières qui maximisaient leur système de croyances
existant de Viking-ou-Victime, ou si leurs expériences de travail donnaient
forme à cette conception de la vie gagner-ou-perdre. Je m’aventurerais à
dire qu’un plus grand pourcentage de gens appartient au premier groupe,
mais je n’ai pas les données pour faire davantage que spéculer. C’est une
chose que nous recherchons présentement.
L’un des enjeux qui a rendu ces interviews parmi les plus difficiles était
l’honnêteté qu’exprimaient les gens en parlant de leurs combats dans leur
vie personnelle – comportements à risque élevé, divorces, déconnexion,
solitude, dépendance, colère, épuisement. Mais plutôt que de voir ces
comportements et ces résultats négatifs comme des conséquences de leur
vision du monde Viking-ou-Victime, ils les percevaient comme étant une
évidence de la dure nature gagner-ou-perdre de la vie.
Quand je regarde les statistiques des professions Viking-ou-Victime plus
intolérantes à la vulnérabilité, je vois un modèle dangereux se développer.
Et en aucun endroit est-ce plus évident que chez les militaires. Les
statistiques sur les suicides, la violence, la dépendance et la prise de risques,
toutes reliées au stress post-traumatique, pointent toutes cette vérité
obsédante : pour les soldats servant en Afghanistan et en Iraq, rentrer au
pays est plus fatal que d’être au combat. De l’invasion de l’Afghanistan à
l’été de 2009, la force militaire américaine a perdu 761 soldats au combat
dans ce pays. Comparez ce chiffre aux 817 qui se sont enlevé la vie durant
la même période. Et ce nombre ne prend pas en compte les décès liés à la
violence, aux comportements à risque élevé et à la dépendance.
Craig Bryan, un psychologue de l’Université du Texas et expert en
suicide qui a récemment quitté les forces aériennes, a dit au magazine Time
que les forces militaires se trouvent dans une situation sans issue : « Nous
formons nos guerriers à utiliser la violence et l’agression contrôlées, à
supprimer de fortes réactions émotionnelles devant l’adversité, à tolérer la
douleur physique et émotionnelle, et à vaincre la peur de blessures et de la
mort. Ces qualités sont aussi associées à un risque accru de suicide. » Bryan
a ensuite expliqué que les militaires ne peuvent pas diminuer l’intensité de
ce conditionnement « sans affecter négativement la capacité de combat de
nos soldats ». Et il a donné une expression effrayante au danger inhérent de
voir le monde sous l’optique Viking-ou-Victime pour les membres de la
force militaire quand il a noté : « Les membres en service sont, dit
simplement, davantage capables de se tuer par les seules conséquences de
leur formation professionnelle. » La situation peut être à son extrême chez
les militaires, mais si vous vérifiez les statistiques de santé mentale et
physique des agents de police, vous trouverez l’équivalent.
La même chose est aussi vraie dans les organisations – lorsque nous
dirigeons, enseignons ou prêchons selon l’évangile du Viking ou Victime,
gagner ou perdre, nous écrasons la foi, l’innovation, la créativité et
l’adaptabilité au changement. Enlevez les armes, en fait, et nous constatons
des résultats semblables à ceux des policiers et des soldats dans le monde
des affaires américain. Les avocats – un exemple d’une profession
largement formée à gagner ou perdre, à réussir ou échouer – ont des
résultats qui ne sont guère mieux. L’Association du barreau américain
rapporte que les suicides chez les avocats sont près de quatre fois plus
élevés que le taux de la population générale. Un article de l’American Bar
Association Journal a révélé que les experts de la dépression et de l’abus de
substances chez les avocats attribuaient le taux de suicide plus élevé au
perfectionnisme des avocats et à leur besoin d’être agressifs et
émotionnellement détachés. Et cette mentalité peut se propager à la maison
également. Quand nous enseignons ou que nous sommes un modèle pour
nos enfants que la vulnérabilité est dangereuse et devrait être repoussée,
nous les menons directement au danger et à la déconnexion.
L’armure Viking ou Victime ne fait pas que perpétuer des
comportements comme la domination, le contrôle et le pouvoir sur des gens
qui se voient comme des Vikings, elle peut aussi perpétuer un sentiment de
victimisation permanente pour les personnes qui sont constamment aux
prises avec l’idée qu’elles sont ciblées ou traitées injustement. Dans cette
optique, il n’y a que deux positions possibles à prendre – pouvoir sur ou
impuissance. Dans les interviews, j’ai entendu nombre de participants qui
semblaient se résigner à la Victime parce qu’ils ne voulaient pas devenir la
seule solution de rechange selon eux – Vikings. Réduire nos options de vie
à des rôles si limités et extrêmes laisse très peu d’espoir pour la
transformation et le changement significatif. Je crois que c’est pourquoi
cette perspective inspire un sentiment de désespoir et d’être « coincés ».

► OSER AVEC AUDACE : REDÉFINIR LE SUCCÈS,


RÉINTÉGRER LA VULNÉRABILITÉ ET RECHERCHER DU
SOUTIEN

Pour examiner comment les participants à la recherche sont passés de


Vikings ou de Victimes à s’engager dans la vulnérabilité, il y avait une
distinction nette entre ceux qui fonctionnaient selon ce système de valeurs
parce que c’est ce qu’ils ont appris ou que c’est une valeur qu’ils
détiennent, et ceux qui se fient à cette optique de vie comme étant le résultat
d’un trauma. En fin de compte, la question qui défie le mieux la logique
derrière Viking ou Victime pour les deux groupes est celle-ci : comment
définissez-vous le succès ?
Il se trouve que dans ce paradigme du gagner-ou-perdre, réussir-ou-
échouer, les Vikings ne sont pas victorieux par toute mesure que la plupart
d’entre nous appellerions « succès ». La survie ou la victoire peut être un
succès dans un milieu de compétition, de combat ou de trauma, mais
lorsque le caractère immédiat de cette menace est éliminé, simplement
survivre n’est pas vivre. Comme je l’ai déjà mentionné, l’amour et
l’appartenance sont des besoins irréductibles des hommes, des femmes et
des enfants, et il est impossible de les éprouver sans vulnérabilité. Vivre
sans connexion – sans connaître l’amour et l’appartenance – n’est pas une
victoire. La peur et l’insuffisance alimentent l’approche Viking-ou-Victime
et réintégrer la vulnérabilité signifie en partie d’examiner les déclencheurs
de la honte : qu’est-ce qui nourrit la peur de gagner ou perdre ? Les
hommes et les femmes qui sont passés de ce paradigme à être Sans réserve
ont tous parlé de cultiver la confiance et la connexion dans les relations
comme prérequis pour tenter de s’engager avec le monde de façon moins
combative.
En ce qui concerne la connexion et les militaires, je ne revendique pas
une force de combat plus gentille, plus douce – je comprends les réalités
auxquelles font face les nations et les soldats qui les protègent. Ce que je
revendique est un public plus gentil, plus doux, désireux d’accueillir, de
soutenir et de tendre la main aux hommes et aux femmes que nous payons
pour être invulnérables en notre nom. Sommes-nous prêts à tendre la main
et à nous connecter ?
Un bon exemple de la façon dont la connexion peut guérir et transformer
est le travail accompli par Team Red, White and Blue (TeamRWB.org).
Selon leur énoncé de mission, ils croient que la façon la plus efficace
d’influer sur la vie d’un ancien combattant est de former une relation
significative avec un membre de leur communauté. Leur programme
apparie des anciens combattants blessés à des bénévoles locaux. Ensemble,
ils partagent des repas, assistent aux rendez-vous médicaux du combattant,
vont à des événements sportifs locaux et s’adonnent à d’autres activités
locales. Cette interaction permet aux anciens combattants d’évoluer dans
leur communauté, de rencontrer des gens aidants et de découvrir de
nouvelles passions dans la vie.
Mon intérêt pour ce travail est né non seulement de ma recherche, mais
aussi d’une expérience extraordinaire que j’ai eue à travailler avec un
groupe d’anciens combattants et de membres de familles militaires à un
projet sur la résilience à la honte dans un de mes cours à l’Université de
Houston. Cela a changé ma vie. J’ai réalisé combien nous, du public,
pouvons faire pour les anciens combattants et pourquoi nos politiques et nos
croyances sur la guerre ne devraient pas nous empêcher de leur tendre la
main avec vulnérabilité, compassion et connexion. J’aurai toujours de la
gratitude pour cette expérience et pour ce que j’ai appris en interviewant les
anciens combattants sur leurs expériences. Pour nombre de nous qui
pleurons sur les maux de la guerre, nous ratons une occasion de guérir ce
qui est devant nous. La devise de Team RWB, C’est à notre Tour, est un
appel à l’action pour tous ceux d’entre nous qui veulent faire quelque chose
pour soutenir les anciens combattants. Je travaille présentement avec eux et
j’invite tout le monde à trouver une façon de tendre la main. Osez avec
audace et posez des gestes qui communiquent aux anciens combattants ou
aux familles militaires qu’ils ne sont pas seuls. Des gestes qui
communiquent : « Votre bataille est ma bataille. Votre trauma est mon
trauma. Votre guérison est ma guérison. »

► LE TRAUMA ET OSER AVEC AUDACE

Nous nous efforçons tous de comprendre pourquoi certaines personnes


qui ont survécu à un trauma – que ce soit au combat, de la violence
familiale, l’abus sexuel ou physique, ou aux traumas cachés plus silencieux
mais aussi dévastateurs de l’oppression, de la négligence, de l’isolement ou
vivre dans la peur ou le stress extrêmes – affichent une résilience
extraordinaire et mènent pleinement une vie Sans réserve, alors que d’autres
deviennent définies par leur trauma. Elles peuvent perpétrer elles-mêmes la
violence dont elles ont souffert, elles sont aux prises avec la dépendance, ou
elles sont incapables d’échapper au sentiment qu’elles sont victimes dans
des situations où elles ne le sont pas.
Après avoir étudié la honte pendant six ans, je savais que la réponse était
en partie la résilience à la honte – les gens ayant la plus grande résilience
cultivaient intentionnellement les quatre éléments dont nous avons parlé
aux chapitres précédents. L’autre partie de la réponse me semblait vague
jusqu’à ce que je commence ma nouvelle recherche en interviewant des
gens sur la vie Sans réserve et sur la vulnérabilité. Puis ce fut tout à fait
logique. Si nous sommes forcés de voir le monde par le prisme du
Vikingou-Victime comme mécanisme de survie, alors il peut sembler
impossible, voire mortel d’abandonner cette vision du monde. Comment
demander à quelqu’un d’éliminer une façon de voir et de comprendre le
monde qui l’a gardé en vie physiquement, cognitivement ou
émotionnellement ? Aucun de nous n’est capable de quitter ses stratégies de
survie sans un soutien important et l’adoption de stratégies de substitution.
Déposer le bouclier Viking-ou-Victime demande souvent l’aide d’un
professionnel – quelqu’un qui comprend le trauma. Les groupes sont aussi
très utiles.
Les participants à la recherche qui ont survécu à un trauma et qui vivent
Sans réserve se sont exprimés passionnément sur le besoin de :
reconnaître le problème ;
obtenir de l’aide professionnelle et/ou du soutien ;
travailler sur la honte et le secret qui accompagne le problème ;
et aborder la réintégration de la vulnérabilité comme une pratique
quotidienne plutôt qu’un élément d’une liste de contrôle.
Et bien que l’importance de la spiritualité ait saturé toutes les interviews
avec les Sans réserve, elle est ressortie comme étant spécialement
importante pour les participants qui se considèrent non seulement comme
des survivants d’un trauma, mais aussi comme des personnes « épanouies ».
► LE BOUCLIER : TOUT LAISSER SORTIR

Je vois deux formes de partage à outrance dans notre culture. La


première est ce que j’appelle éclairage par projecteur et l’autre, vol par
effraction.
Comme nous l’avons discuté au chapitre sur les mythes de la
vulnérabilité, le partage à outrance n’est pas de la vulnérabilité. En fait, il se
solde souvent par la déconnexion, la méfiance et le désengagement.

► LE BOUCLIER : ÉCLAIRAGE PAR PROJECTEUR

Pour comprendre l’éclairage par projecteur, nous devons voir que les
intentions derrière ce type de partage sont multidimensionnelles et
comprennent souvent une combinaison d’un désir de soulager la douleur, de
tester la loyauté et la tolérance dans une relation, et/ou de démarrer à chaud
une nouvelle connexion (« On se connaît seulement depuis quelques
semaines, mais je vais partager ceci et nous serons désormais les meilleurs
amis pour toujours. ») Malheureusement pour nous tous qui avons fait ceci
(et je m’inclus dans ce groupe), la réponse est normalement le contraire de
ce que nous recherchons. Les gens reculent et se ferment, ajoutant à notre
honte et à notre déconnexion. On ne peut utiliser la vulnérabilité pour
décharger son propre malaise, ou comme un baromètre de tolérance dans
une relation (« Je vais partager ceci et voir si tu vas rester »), ou pour faire
avancer rapidement une relation – elle ne va pas coopérer.
D’ordinaire, lorsque nous tendons la main et que nous partageons ce qui
nous habite – nos peurs, nos espoirs, nos combats et notre joie – nous
créons de petites étincelles de connexion. Notre vulnérabilité partagée crée
de la lumière dans des endroits normalement sombres. Ma métaphore à ce
sujet parle de lumières scintillantes (j’en garde à la maison toute l’année
comme rappel).
L’idée de lumières scintillantes qui brillent dans des endroits sombres et
difficiles a quelque chose de magique. Les lumières sont petites, et une
seule d’entre elles n’est pas très spéciale, mais une rangée entière de
lumières scintillantes est une pure beauté. C’est la connectivité qui les rend
belles. Quand il s’agit de vulnérabilité, la connectivité signifie partager nos
histoires avec des gens qui ont mérité le droit de les entendre – des gens
avec qui nous avons cultivé des relations qui peuvent supporter le poids de
notre histoire. Y a-t-il de la confiance ? Y a-t-il une empathie mutuelle ? Y
a-t-il un partage réciproque ? Pouvons-nous demander ce dont nous avons
besoin ? Ce sont là les questions de connexion essentielles.
Quand nous partageons la vulnérabilité, surtout les histoires de honte,
avec quelqu’un avec qui il n’y a pas de connectivité, sa réponse
émotionnelle (et parfois physique) est souvent de grimacer, comme si nous
venions de lui lancer un éclairage par projecteur dans les yeux. Au lieu
d’une rangée de lumières délicates, notre vulnérabilité partagée est
aveuglante, dure et insupportable. Si nous recevons cette lumière, nos mains
se lèvent et couvrent notre visage, qui est froncé et se ferme, et nous
détournons le regard. Quand c’est terminé, nous nous sentons vidés, confus
et parfois même manipulés. Pas exactement la réponse empathique
qu’espéraient les personnes racontant l’histoire. Même pour ceux d’entre
nous qui étudions l’empathie et en enseignons les aptitudes, il est rare que
nous soyons capables de rester attentifs et à l’écoute quand le partage
excessif d’une personne a dépassé notre connectivité avec elle.

► OSER AVEC AUDACE : CLARIFIER LES INTENTIONS,


ÉTABLIR DES LIMITES ET CULTIVER LA CONNEXION

La beauté de la lumière est redevable en grande partie à l’existence de


l’obscurité. Les moments les plus grands de notre vie surviennent lorsque
nous enfilons les petits scintillements de lumière créés par le courage, la
compassion et la connexion et que nous les voyons briller dans l’obscurité
de nos combats. Cette obscurité disparaît lorsque nous utilisons la
vulnérabilité pour éclairer par projecteur la personne qui nous écoute, et la
réponse est une déconnexion. Nous utilisons ensuite cette déconnexion
comme d’une vérification que nous ne trouverons jamais le réconfort, que
nous ne sommes pas dignes, que la relation n’est pas bonne ou, dans le cas
d’un partage à outrance, pour démarrer à chaud une connexion, que nous
n’aurons jamais l’intimité que nous désirons tant. Nous pensons : La
vulnérabilité est une blague. Elle ne vaut pas la peine et je n’en vaux pas la
peine. Nous ne voyons pas qu’utiliser la vulnérabilité n’est pas la même
chose qu’être vulnérable ; c’est le contraire – c’est l’armure.
Parfois, nous ne sommes même pas conscients que nous partageons à
outrance en tant qu’une armure. Nous pouvons éliminer notre vulnérabilité
ou nos histoires de honte par pur désespoir d’être entendus. Nous laissons
échapper quelque chose qui nous cause une immense douleur, parce que
nous ne pouvons supporter la pensée de le garder à l’intérieur une seconde
de plus. Nos intentions peuvent ne pas être d’éliminer ou de laisser
échapper afin de nous armer ou de repousser les autres au loin, mais c’est le
résultat exact de nos comportements. Que nous soyons du côté de
l’élimination ou du côté du récepteur de cette expérience, l’autocompassion
est essentielle. Nous devons nous accorder une pause quand nous
partageons trop et trop tôt, et nous devons pratiquer la bienveillance envers
soi quand nous nous sentons incapables de donner de l’espace à quelqu’un
qui nous a frappés avec un éclairage par projecteur. Le jugement exacerbe
la déconnexion.
En entendant cela, les gens me demandent parfois comment je décide
quoi partager et comment le faire quand il s’agit de mon propre travail. Je
partage beaucoup de moi dans mon travail, après tout, et je n’ai
certainement pas cultivé des relations de confiance avec vous tous ou avec
toutes les personnes de l’auditoire quand je donne une conférence. C’est
une question importante et la réponse est que je ne raconte pas d’histoires
ou ne partage pas de vulnérabilités avec le public avant de les avoir bien
examinées avec des gens que j’aime. J’ai mes propres limites autour de ce
que je partage ou ne partage pas et je demeure consciente de mes intentions.
Premièrement, je ne partage que les histoires ou les expériences sur
lesquelles j’ai travaillé et que je sens pouvoir partager en terrain sûr. Je ne
partage pas ce que je définis comme étant des histoires « intimes » et je ne
partage pas des histoires qui sont des blessures récentes. J’ai fait cela une
fois ou deux en début de carrière et ce fut assez terrible. Il n’y a rien comme
de regarder un auditoire de mille personnes qui vous jettent tous le regard
« éclairage par projecteur ».
Deuxièmement, j’observe la règle que j’ai apprise dans ma formation
d’études supérieures en travail social. Partager vos propres récits pour
enseigner ou faire avancer un processus peut être sain et efficace, mais
divulguer de l’information comme moyen de régler vos affaires
personnelles est inapproprié et contraire à l’éthique. Enfin, je ne partage que
lorsque je n’ai aucun besoin non comblé auquel j’essaie de répondre. Je
crois fermement qu’être vulnérable avec un large public est une bonne
chose seulement si la guérison est liée au partage et non aux attentes
éventuelles quant à la réponse que j’obtiens.
Quand j’ai demandé à d’autres personnes qui partagent leurs histoires
dans des blogs, des livres et des conférences de partager à ce sujet, j’ai
constaté que leurs approches et leurs intentions sont très semblables. Je ne
veux pas que la crainte de l’éclairage par projecteur empêche qui que ce soit
de partager ses luttes avec le monde, mais que nous soyons conscients à
propos du quoi, du pourquoi et du comment nous partageons est important
lorsque le contexte est un vaste public. Nous sommes tous reconnaissants
pour les personnes qui écrivent et parlent de façons qui nous aident à nous
rappeler que nous ne sommes pas seuls.
Si vous vous reconnaissez dans ce bouclier, cette liste de contrôle peut
être utile :
– Pourquoi est-ce que je partage ceci ?
– Quel résultat est-ce que j’espère ?
– Quelles émotions est-ce que je ressens ?
– Mes intentions sont-elles conformes à mes valeurs ?
– Y a-t-il un résultat, une réponse ou un manque de réponse qui heurtera
mes sentiments ?
– Ce partage peut-il servir la connexion ?
– Est-ce que je demande véritablement ce dont j’ai besoin aux
personnes qui m’entourent ?

► LE BOUCLIER : VOL PAR EFFRACTION

Si l’éclairage par projecteur concerne le mauvais usage de la


vulnérabilité, la deuxième forme de partage à outrance se rapporte à utiliser
la vulnérabilité comme un outil de manipulation. Un vol par effraction se
produit lorsqu’un cambrioleur défonce une porte ou une vitrine et s’empare
de ce qu’il peut ; c’est bâclé, non planifié et désespéré. Le vol par effraction
utilisé comme une arme de la vulnérabilité consiste à défoncer les limites
sociales des gens avec de l’information intime, puis à s’emparer de toute
attention et énergie sur lesquelles on peut mettre la main. On le voit le plus
souvent dans la culture des célébrités où croît le sensationnalisme.
Malheureusement, les enseignants et les administrateurs scolaires m’ont
dit qu’ils voient le même comportement de vol par effraction chez des
élèves aussi jeunes que les enfants de l’école intermédiaire. Contrairement à
l’éclairage par projecteur, qui provient au moins d’un besoin de
confirmation de notre valeur, la prétendue divulgation de vulnérabilité
semble moins réelle. Je n’ai pas interviewé suffisamment de personnes qui
s’adonnent à ce comportement pour en comprendre pleinement la
motivation, mais ce qui émerge jusqu’ici est la recherche d’attention.
Naturellement, les questions de valeur peuvent être et sont sous-jacentes à
la recherche d’attention, mais dans notre monde de médias sociaux, il est de
plus en plus difficile de déterminer ce qui est une tentative réelle de
connecter et ce qui est une performance. La seule chose que je sais, c’est
que ce n’est pas de la vulnérabilité.
► OSER AVEC AUDACE : QUESTIONNER LES INTENTIONS

Cette auto-exposition semble plutôt unidirectionnelle et pour ceux qui


s’y engagent, un auditoire semble plus désirable qu’une connexion intime.
Si nous nous trouvons à nous engager dans un vol par effraction, je crois
que les questions de vérification de la réalité sont les mêmes que celles de la
section sur l’éclairage par projecteur. Je crois qu’il importe aussi de
demander : « Quel besoin conduit à ce comportement ? » et « Est-ce que
j’essaie de joindre, de blesser ou de connecter avec quelqu’un en particulier,
et est-ce la bonne façon de le faire ? »

► LE BOUCLIER : SERPENTER

Je ne suis pas quelqu’un qui aime habituellement l’humour burlesque ou


les comédies loufoques. Je préfère de loin une bonne comédie romantique
ou l’un de ces films Miramax très lents, axés sur le personnage. Ce qui fait
que l’extrait de film que j’utilise comme métaphore pour ce mécanisme
particulier de protection de la vulnérabilité semble vieux. Mais
honnêtement, chaque fois que je regarde ce film, je ris si fort que j’en ai mal
aux joues. Y penser suffit à me faire rire.
Le film est une comédie de 1979 The In-Laws (Ne tirez pas sur le
dentiste) mettant en vedette Peter Falk et Alan Arkin. La veille des noces de
leurs enfants, le dentiste Sheldon Kornpett (Alan Arkin) rencontre Vince
Ricardo (Peter Falk). Sheldon est le père de la mariée et Vince celui du
marié. Le personnage d’Arkin est un dentiste anxieux, enrégimenté et très
guindé. Le personnage de Falk est un agent de la CIA qui semble devenu un
voyou et que les poursuites automobiles et les fusillades indiffèrent.
Comme vous l’avez probablement deviné, le charmant agent imprudent
entraîne le dentiste sans méfiance dans ses mésaventures rocambolesques.
Le film est vraiment démodé mais Peter Falk est brillant comme agent
ineffable et Alan Arkin est parfait dans le rôle du faire-valoir strict. Dans
ma scène préférée, Falk dit à un Arkin terrifié d’éviter une volée de balles
en courant en zigzag. Ils sont totalement exposés sur une piste d’aéroport en
se faisant tirer dessus par de nombreux tireurs et son meilleur conseil est :
« Serpente, Shel ! Serpente ! » À un certain moment, le dentiste arrive
miraculeusement à s’abriter, mais il se souvient qu’il n’a pas serpenté, alors
il retourne en courant sous la ligne de tir de sorte qu’il puisse retourner se
couvrir en serpentant. Je suis totalement fascinée, alors je mets mon clip de
deux minutes sur mon site Web. Déroulez jusqu’au bas de l’écran et vous
verrez (brenebrown.com/videos).
Je ne sais pas pourquoi ça me fait rire, mais je ris à gorge déployée
chaque fois que je le vois. Peut-être est-ce la vue d’un Peter Falk aux yeux
fous, courant partout, hurlant « Serpente ! ». Ou encore parce que je me
souviens de l’avoir regardé avec mon père et mon frère, et tomber par terre.
À ce jour, si les choses deviennent tendues dans une conversation familiale,
l’un de nous dit nonchalamment : « Serpente », et nous rions tous.
Serpenter est la parfaite métaphore illustrant que nous dépensons une
énergie énorme à tenter d’éviter la vulnérabilité alors qu’il faudrait
beaucoup moins d’efforts pour y faire face sans détour. L’image exprime
aussi comme il est stérile de songer à faire du zigzag face à une chose aussi
expansive et prenante que la vulnérabilité.
« Serpenter » veut dire essayer de contrôler une situation, de s’en sortir,
en prétendant qu’elle n’existe pas, ou peut-être même en prétendant que
vous ne vous en souciez pas. Nous nous en servons pour éviter le conflit, le
malaise, une confrontation possible, un potentiel de honte ou de blessure,
et/ou une critique (infligée par soi ou par quelqu’un d’autre). Serpenter peut
mener à se cacher, à prétendre, à éviter, à procrastiner, à rationaliser, à
blâmer et à mentir.
J’ai tendance à vouloir serpenter quand je me sens vulnérable. Si je dois
faire un appel difficile, je vais essayer d’en écrire les deux côtés, je vais
tenter de me convaincre d’attendre, je composerai un courriel en me disant
qu’il est préférable d’écrire et je vais penser à mille autres choses à faire. Je
vais avancer et reculer émotionnellement jusqu’à l’épuisement.
► OSER AVEC AUDACE : ÊTRE PRÉSENT, PORTER
ATTENTION, ALLER DE L’AVANT

Quand je me prends à essayer de serpenter hors de ma vulnérabilité, il


est toujours utile d’avoir en tête la voix de Peter Falk qui crie : « Serpente,
Shel ! » Ça me fait rire, ce qui me force à respirer. La respiration et
l’humour sont d’excellentes façons de vérifier la réalité de nos
comportements et de commencer à s’engager avec la vulnérabilité.
Serpenter est épuisant, et courir d’avant arrière pour éviter quelque
chose n’est pas une bonne façon de vivre. Comme j’essayais de trouver des
occasions où serpenter serait utile, j’ai pensé au conseil que j’avais reçu
d’un vieil homme qui vivait dans un marais de la Louisiane. Mes parents
nous avaient emmenés, mon frère et moi, pêcher dans les canaux circulant
dans une terre marécageuse, propriété de la compagnie où travaillait mon
père à la Nouvelle-Orléans. L’homme qui nous a laissés entrer dans la
propriété dit : « Si un alligator vient vers vous, courez en zigzag – ils sont
rapides mais ils ne sont pas bons dans les tournants. »
Eh bien, un alligator est sorti de l’eau et a mangé l’extrémité de la canne
à pêche de ma mère, mais nous n’avons jamais été pourchassés. Et il
s’avère que toute l’histoire est un mythe, de toute façon. Selon les experts
du zoo de San Diego, nous pouvons aisément courir plus vite qu’un
alligator, en zigzag ou pas. Le sommet de leur vitesse se tient autour de dix
ou onze milles (seize ou dix-sept kilomètres) à l’heure, et surtout ils ne
peuvent pas courir très loin. Ils dépendent d’attaques surprises et non de
pourchasser leur proie. En ce sens, ils sont beaucoup comme les gremlins
qui habitent les marécages de la honte et nous empêchent d’être
vulnérables. Donc nous n’avons pas besoin de serpenter ; il nous faut
seulement être présents, porter attention et aller de l’avant.

► LE BOUCLIER : CYNISME, CRITIQUE, COOL ET CRUAUTÉ


Si vous décidez d’entrer dans l’arène et d’oser avec audace, vous allez
vous faire bousculer. Peu importe que votre arène soit politique ou l’APE8,
ou que votre audace soit un article pour le bulletin d’information de votre
école, une promotion ou vendre un article de poterie sur Etsy – vous allez
faire l’objet de cynisme et de critiques avant la fin. Il pourrait même y avoir
de la bonne vieille mesquinerie. Pourquoi ? Parce que le cynisme, la
critique, la cruauté et être cool sont même mieux que l’armure – ils peuvent
être façonnés en armes qui non seulement gardent la vulnérabilité à
distance, mais peuvent aussi infliger des blessures aux personnes qui sont
vulnérables et qui nous rendent mal à l’aise.
Si nous sommes le genre de personnes qui « ne font pas dans la
vulnérabilité », rien ne nous fait sentir plus menacés et ne nous incite à
attaquer et à rendre les gens honteux que de voir quelqu’un oser avec
audace. L’audace de l’autre offre un miroir désagréable qui nous reflète nos
propres peurs de nous présenter, de créer et de nous laisser être vus. C’est
pourquoi nous luttons vigoureusement. Lorsque nous voyons de la cruauté,
la vulnérabilité en est probablement le moteur.
Quand je dis critique, je ne veux pas dire une rétroaction productive, un
débat et une mésentente sur la valeur ou l’importance d’une contribution. Je
parle d’humiliations, d’attaques personnelles et de prétentions non fondées
sur nos motivations et nos intentions.
Quand je parle de cynisme, je ne veux pas dire un scepticisme et un
questionnement sains. Je parle de cynisme réflexif qui provoque des
réponses insignifiantes comme « C’est tellement stupide » ou « Quelle idée
de raté ». Cool est une des formes les plus répandues du cynisme. Peu
importe. Totalement lamentable. Si peu cool. Qui s’en soucie ? Chez
certaines personnes, c’est presque comme si l’enthousiasme et
l’engagement étaient un signe de crédulité. L’excitation ou l’investissement
assumés vous rendent lamentable. Un mot que nous avons banni chez nous
de même que perdant et stupide.
Dans l’introduction du chapitre, j’ai parlé de l’adolescence comme étant
la ligne de départ pour la course à l’armurerie. Cynisme et cool sont
monnaie courante du domaine des écoles intermédiaires et secondaires.
Chaque élève de l’école intermédiaire de ma fille porte un chandail à
capuchon chaque jour (même quand il fait 35 degrés Celsius dehors). Non
seulement ces chandails protègent de la vulnérabilité en étant le dernier cri
des accessoires cool, mais je crois bien que les jeunes y voient des capes
d’invisibilité. Ils disparaissent littéralement à l’intérieur. Ils sont une façon
de se cacher. Quand les capuchons sont levés et que les mains sont enfouies
dans les poches, ils incarnent le désengagement. Trop cool pour m’en
soucier.
Comme adultes, nous pouvons aussi nous protéger contre la vulnérabilité
en étant cool. Nous nous inquiétons d’être perçus comme riant trop fort,
étant trop acceptants, se souciant à l’excès, étant trop empressés. Nous ne
portons pas de capuchons aussi souvent, mais nous pouvons utiliser nos
titres, notre éducation, nos antécédents et nos positions comme des
poignées sur les boucliers de la critique, du cynisme, du cool et de la
cruauté : Je peux vous parler ainsi ou vous faire taire en raison de qui je
suis ou de ce que je fais dans la vie. Et ne vous y trompez pas, quand il
s’agit de ce bouclier, les poignées sont aussi faites de non-conformisme et
de rejet des marqueurs de statut traditionnels : Je te renvoie parce que tu es
épuisé et que tu passes ta vie dans un cubicule ou Je suis plus pertinent et
intéressant parce que j’ai rejeté les pièges de l’éducation supérieure, de
l’emploi traditionnel, etc.

► OSER AVEC AUDACE : MARCHER SUR UNE CORDE RAIDE,


PRATIQUER LA RÉSILIENCE À LA HONTE ET VÉRIFIER LA
RÉALITÉ

En un an, j’ai interviewé des artistes, des écrivains, des innovateurs, des
chefs d’entreprise, des membres du clergé et des dirigeants communautaires
à propos de ces questions, et comment ils restaient ouverts à la critique
constructive (quoique difficile à entendre) tout en filtrant les attaques
mesquines. Fondamentalement, je voulais savoir comment ils maintenaient
le courage de continuer à marcher dans l’arène. J’avoue que j’étais motivée
par mon propre combat d’apprendre comment continuer à oser.
Quand nous cessons de nous soucier de ce que les gens pensent, nous
perdons notre capacité de connexion. Quand nous devenons définis par
ce que les gens pensent, nous perdons notre volonté d’être vulnérables.
Si nous rejetons toute critique, nous perdons une rétroaction
importante, mais si nous nous assujettissons aux propos haineux, nos
esprits sont écrasés. C’est une corde raide, la résilience à la honte est la
barre d’équilibre, et le filet de sécurité au-dessous est la ou les
personnes dans notre vie qui peuvent nous aider à vérifier la réalité de
la critique et du cynisme.
Je suis très visuelle, alors j’ai une image d’une personne sur la corde
raide suspendue au-dessus de mon bureau pour me rappeler que travailler à
rester ouverte et à la fois maintenir en place des limites en vaut l’énergie et
le risque. J’ai utilisé un crayon feutre pour écrire ceci sur la barre
d’équilibre : « La valeur est mon droit de naissance. » C’est à la fois un
rappel de pratiquer la résilience à la honte et la pierre angulaire de mes
croyances spirituelles. Et au cas où je me sentirais plus entêtée que
d’habitude, j’ai une petite note sous mon image de corde raide qui dit : « La
cruauté est bon marché, facile et lâche. » C’est également une pierre
angulaire de mes croyances spirituelles.
Les participants à la recherche qui s’étaient servis de la critique et du
cynisme dans le passé afin de se protéger de la vulnérabilité avaient une
sagesse très efficace à partager au sujet de leur transition à être Sans
réserve. Nombre d’entre eux ont dit avoir grandi avec des parents qui
étaient des modèles de ce comportement et qu’ils n’étaient pas conscients à
quel point ils l’avaient imité jusqu’à ce qu’ils aient commencé à examiner
leur propre peur d’être vulnérables, à essayer de nouvelles choses et à
s’engager. Ces participants n’étaient pas des égomaniaques qui prenaient
plaisir à réduire d’autres personnes ; en fait, ils étaient constamment plus
durs envers eux-mêmes qu’envers les autres. Donc leur mesquinerie n’était
pas seulement dirigée vers l’extérieur, même s’ils admettaient s’en servir
souvent pour amoindrir leur propre doute d’eux-mêmes.
La première phrase de la citation « oser avec audace » de Theodore
Roosevelt est révélatrice : « Ce n’est pas le critique qui compte. » Et pour
les hommes et les femmes que j’ai interviewés qui se définissaient comme
étant ce critique, « ne pas compter » était certainement ressenti. Ils étaient
souvent aux prises avec un sentiment d’être ignorés et invisibles dans leur
propre vie. Critiquer était un moyen de se faire entendre. Quand j’ai
demandé comment ils étaient passés d’une critique blessante à une critique
constructive, et du cynisme à une contribution, ils ont décrit un processus
qui reflétait la résilience à la honte : comprendre ce qui a déclenché leur
attaque, ce que cela signifie à l’égard du sens de leur propre valeur, en
parler à des amis de confiance et demander ce dont ils ont besoin. Nombre
d’entre eux ont dû creuser profondément à propos de la question du cool.
Comment être perçu comme étant cool est-il devenu une valeur accrue et
quel fut le coût de prétendre que rien n’importait ?
La crainte d’être vulnérable peut déclencher la cruauté, la critique et le
cynisme chez nous tous. Nous assurer de prendre la responsabilité de ce que
nous disons est une façon de vérifier nos intentions. Osez avec audace et
apposez votre nom sur vos commentaires affichés en ligne. Si vous n’êtes
pas à l’aise de vous nommer, alors ne les dites pas. Et si vous lisez ceci et
que vous contrôlez des sites en ligne qui permettent les commentaires, alors
vous devriez oser avec audace et laisser les utilisateurs se connecter avec
leur nom véritable et tenir la communauté responsable de créer un
environnement respectueux.
Outre marcher sur la corde raide, pratiquer la résilience à la honte et
cultiver une communauté avec un filet de sécurité qui me soutient quand je
me sens attaquée ou blessée, j’ai mis en œuvre deux stratégies
additionnelles. La première est simple : j’accepte et je porte attention
seulement aux commentaires des gens qui sont aussi dans l’arène. Si vous
vous faites occasionnellement botter le derrière en répondant et que vous
comprenez également comment rester ouvert aux commentaires sans vous
faire abreuver d’insultes, je suis plus encline à porter attention à vos
pensées sur mon travail. Si, par ailleurs, vous n’aidez pas, ne contribuez pas
ou que vous luttez contre vos propres gremlins, je ne suis pas du tout
intéressée à vos commentaires.
La deuxième stratégie est aussi simple. Je garde une petite feuille de
papier dans mon porte-monnaie sur laquelle sont écrits les noms des gens
dont les opinions à mon sujet importent. Pour être sur cette liste, vous devez
m’aimer pour mes forces et mes luttes. Vous devez savoir que je tente d’être
Sans réserve, mais que je sacre encore trop et je fais un doigt d’honneur aux
gens sous mon volant et que j’écoute tant Lawrence Welk que Metallica sur
mon iPod. Vous devez savoir et respecter que je ne suis totalement pas cool.
Une brillante citation du film Almost Famous dit : « La seule véritable
monnaie dans ce monde en faillite est ce que vous partagez avec une autre
personne quand vous n’êtes pas cool. »
Pour être dans ma liste, vous devez être ce que j’appelle un « ami de
vergeture » – notre connexion a été étirée et tirée tant de fois qu’elle est
devenue partie de ce que nous sommes, une deuxième peau et quelques
cicatrices en font foi. Nous ne sommes entièrement pas cool l’un envers
l’autre. Je ne crois pas que quiconque ait plus d’un ou deux amis qui se
qualifient pour cette liste. L’important n’est pas d’écarter les amis de
vergeture pour obtenir l’approbation des étrangers qui sont méchants et
vilains ou trop cool. Rien ne sert de rappel de tout ceci comme les paroles
immortelles de mon ami Scott Stratten, auteur de UnMarketing :
« N’essayez pas de convaincre les détesteurs, vous n’êtes pas le chuchoteur
idiot. »

8 - Association parent-enseignant.
Chapitre 5

Attention à l’écart

cultiver le changement et

fermer l’écart du désengagement

Attention à l’écart est une stratégie audacieuse. Nous devons porter


attention à l’espace entre là où nous sommes et là où nous voulons être. Qui
plus est, nous devons pratiquer les valeurs que nous considérons
importantes dans notre culture. Faire attention à l’écart demande à la fois
d’embrasser notre propre vulnérabilité et de cultiver la résilience à la
honte – nous serons invités à nous présenter à titre de leaders, de parents et
d’éducateurs dans de nouvelles manières inconfortables. Nous n’avons pas
à être parfaits, seulement engagés et dédiés à concilier valeurs et actions.

«A ttention à l’écart » a fait son apparition en 1969 dans le métro de


Londres pour avertir les passagers du train d’être prudents en franchissant le
vide entre la porte du train et la plateforme de la station. Depuis, c’est
devenu le nom d’un groupe et d’un film, et l’expression a été reprise sur
tout, des chandails aux paillassons. Chez nous, nous avons une petite carte
postale « Attention à l’écart » encadrée qui nous rappelle de faire attention à
l’espace entre là où nous sommes et là où nous voulons aller. Je vous
explique.

► STRATÉGIE CONTRE CULTURE

Dans le monde des affaires, il y a un débat permanent sur la relation


entre stratégie et culture, et l’importance relative de chacune. Pour définir
simplement les termes, je vois la stratégie comme le « plan de match », ou
la réponse détaillée à la question « Que voulons-nous accomplir et comment
allons-nous y parvenir ? » Nous avons tous – familles, groupes religieux,
équipes de projet, enseignants de la maternelle – des plans de match. Et
nous pensons tous aux buts que nous voulons atteindre et aux étapes à
franchir pour réussir.
La culture, par ailleurs, concerne moins ce que nous voulons réussir et
davantage qui nous sommes. Parmi les nombreuses définitions complexes
de la culture, notamment celles qui alourdissent mes manuels de sociologie
du premier cycle, celle qui résonne le plus pour moi est la plus simple.
Comme les pionniers du développement organisationnel Terrence Deal et
Allan Kennedy l’ont expliqué : « La culture est la façon dont nous faisons
les choses par ici. » J’aime cette définition parce qu’elle sonne vrai pour
discuter de toutes les cultures – de la culture élargie de l’insuffisance
présentée au premier chapitre, à une culture organisationnelle spécifique, et
à la culture qui définit ma famille.
Une forme du débat au sujet de ce qui importe le plus, stratégie ou
culture, fait surface dans chaque conversation que j’ai avec des leaders. Un
camp souscrit à la fameuse citation souvent attribuée au penseur Peter
Drucker : « La culture mange la stratégie pour le petit-déjeuner. » D’autres
croient que dresser l’un contre l’autre crée une fausse dichotomie et que
nous avons besoin des deux. Notablement, je dois encore trouver un
argument solide disant que la stratégie est plus importante que la culture. Je
crois que chacun accepte en théorie que « qui nous sommes » est au moins
aussi important que « ce que nous voulons accomplir ».
Bien que certains déplorent que le débat soit vieux, et trop du type la
poule ou l’œuf pour être utile, je crois que cette discussion est
fondamentalement pertinente pour les organisations. Encore plus important,
je crois qu’examiner ces questions peut transformer les familles, les écoles
et les communautés.
« La façon dont nous faisons les choses par ici », ou la culture, est
complexe. D’après mon expérience, je peux en dire beaucoup sur la culture
et les valeurs d’un groupe, d’une famille ou d’une organisation en posant
ces dix questions :
1. Quels comportements sont récompensés ? Punis ?
2. Où et comment les gens dépensent-ils réellement leurs ressources
(temps, argent, attention) ?
3. Quels rôles et quelles attentes sont suivis, appliqués et ignorés ?
4. Les gens se sentent-ils en sécurité et soutenus quand ils parlent
de ce qu’ils ressentent et qu’ils demandent ce dont ils ont
besoin ?
5. Quelles sont les vaches sacrées ? Qui est le plus susceptible de
les faire basculer ? Qui relève les vaches ?
6. Quelles histoires sont des légendes et quelles valeurs
transmettent-elles ?
7. Que se passe-t-il quand quelqu’un échoue, déçoit ou commet une
erreur ?
8. Comment est perçue la vulnérabilité (incertitude, risque et
exposition émotionnelle) ?
9. À quel point la honte et le blâme sont-ils prévalents et comment
se présentent-ils ?
10. Quelle est la tolérance collective pour l’inconfort ? L’inconfort
d’apprendre, d’essayer de nouvelles choses, et de donner et
recevoir des commentaires est-il normalisé, ou y a-t-il une forte
prime assortie au confort (et sous quel aspect) ?
Dans chacune des sections suivantes, je vais parler de la façon dont ces
questions se manifestent dans nos vies et de ce que je cherche précisément,
mais je veux d’abord parler de l’endroit où nous mènent ces questions.
Étant quelqu’un qui étudie la culture dans son ensemble, je crois que le
pouvoir de ces questions est leur habileté à faire la lumière sur les aspects
les plus sombres de nos vies : déconnexion, désengagement et notre lutte
pour la valeur. Non seulement ces questions nous aident à comprendre la
culture, mais elles amènent à la surface les divergences entre « ce que nous
disons » et « ce que nous faisons », ou entre les valeurs que nous épousons
et les valeurs que nous pratiquons. Mon cher ami Charles Kiley utilise le
terme « valeur souhaitées » pour décrire la liste fugace des valeurs qui
résident dans nos meilleures intentions, sur le mur de notre cubicule, au
cœur de nos sermons de parentalité ou dans l’énoncé de vision de notre
entreprise. Si nous voulons isoler le problème et élaborer des stratégies de
transformation, nous devons faire contraster nos valeurs souhaitées avec ce
que j’appelle nos valeurs pratiquées – comment nous vivons, ressentons,
nous comportons et pensons réellement. Agissons-nous en conformité avec
notre discours ? La réponse peut créer un malaise.

► L’ÉCART DU DÉSENGAGEMENT

Voici ma théorie : le désengagement est l’enjeu sous-jacent à la majorité


des problèmes que je vois dans les familles, les écoles, les communautés et
les organisations, et il revêt bien des formes, notamment celles dont nous
avons discuté au chapitre de « L’arsenal ». Nous nous désengageons pour
nous protéger de la vulnérabilité, de la honte et du sentiment d’être perdus
et sans but. Nous nous désengageons aussi quand nous sentons que les
personnes qui nous dirigent – nos patrons, nos professeurs, notre principal,
notre clergé, nos parents, nos politiciens – ne respectent pas leurs
obligations du contrat social.
La politique est un superbe, quoique douloureux, exemple de
désengagement du contrat social. Les politiciens des deux côtés
promulguent des lois auxquelles ils ne sont pas tenus d’obéir ou qui ne les
affectent pas, ils adoptent des comportements qui entraîneraient pour la
plupart d’entre nous d’être remerciés, divorcés ou arrêtés. Ils épousent des
valeurs qui sont rarement illustrées dans leur comportement. Et le seul fait
de les regarder se faire honte et se blâmer entre eux est dégradant pour
nous. Ils n’assument pas leur part du contrat social et les statistiques sur la
participation électorale indiquent que nous nous désengageons.
La religion est un autre exemple de désengagement du contrat social.
Premièrement, le désengagement résulte souvent de ce que les leaders ne
vivent pas selon les mêmes valeurs qu’ils prêchent. Deuxièmement, dans un
monde incertain, nous voulons souvent désespérément des absolus. C’est la
réaction humaine à la peur. Quand les leaders religieux tirent parti de notre
peur et de notre besoin de plus de certitude en retirant la vulnérabilité de la
spiritualité et en faisant de la foi un « obéissance et conséquences », plutôt
que d’enseigner et de montrer par l’exemple comment lutter avec l’inconnu
et comment embrasser le mystère, le concept entier de la foi est en faillite
selon ses propres termes. La foi sans la vulnérabilité égale politique, ou
pire, extrémisme. La connexion spirituelle et l’engagement ne se bâtissent
pas sur la conformité, ce sont les produits de l’amour, de l’appartenance et
de la vulnérabilité.
Donc, voici la question : Nous ne créons pas intentionnellement des
cultures dans nos familles, nos écoles, nos communautés et nos
organisations qui alimentent le désengagement et la déconnexion, alors
comment cela survient-il ? Où est l’écart ?
L’écart commence ici : Nous ne pouvons pas donner aux gens ce que
nous n’avons pas. Qui nous sommes est énormément plus important
que ce que nous savons ou qui nous voulons être.
L’espace entre nos valeurs pratiquées (ce que nous faisons, pensons et
ressentons réellement) et nos valeurs souhaitées (ce que nous voulons faire,
penser et ressentir) est l’écart des valeurs, ou ce que j’appelle « l’écart du
désengagement ». C’est là que nous perdons nos employés, nos clients, nos
étudiants, nos enseignants, nos congrégations et même nos propres enfants.
Nous pouvons faire de grands pas – nous pouvons même faire un saut en
longueur pour franchir les fissures des valeurs qui s’élargissent à la maison,
au travail et à l’école – mais à un certain point, quand cet écart s’élargit à un
degré critique, nous ne sommes plus là. C’est pourquoi les cultures
déshumanisantes favorisent les niveaux de désengagement les plus élevés –
elles créent des écarts de valeurs que de vrais humains ne peuvent espérer
traverser avec succès.
Jetons un coup d’œil à certains problèmes communs qui surviennent
dans le contexte des familles. J’utilise des exemples familiaux parce que
nous faisons tous partie de familles. Même si nous n’avons pas d’enfants,
nous avons été élevés par des adultes. Dans chaque cas, un écart significatif
s’est creusé entre les valeurs que nous pratiquons et les valeurs souhaitées,
créant ce dangereux fossé de désengagement.
1. VALEURS SOUHAITÉES : honnêteté et intégrité.
VALEURS PRATIQUÉES : rationalisation et laisser aller les choses.
Maman dit toujours à ses enfants que l’honnêteté et l’intégrité
sont importantes, et que le vol et la tricherie à l’école ne seront
pas tolérés. Comme ils s’entassent dans la voiture après une
longue épicerie, Maman se rend compte que la caissière ne lui a
pas fait payer les bouteilles de boisson gazeuse au fond du panier.
Plutôt que de retourner au magasin, elle hausse les épaules et dit :
« Ce n’est pas ma faute. Ils font une fortune de toute façon. »
2. VALEURS SOUHAITÉES : respect et responsabilité.
VALEURS PRATIQUÉES : rapide, facile est primordial.
Papa nous fait toujours comprendre l’importance du respect et de
la responsabilité, mais quand Bobby brise intentionnellement le
nouveau Transformer de Sammy, papa est trop occupé sur son
BlackBerry pour s’asseoir avec les deux frères et leur parler de la
manière dont ils devraient traiter les jouets de l’autre. Au lieu
d’insister que Bobby doive s’excuser et faire amende honorable,
il hausse les épaules, se dit que les garçons seront toujours des
garçons, et demande aux deux d’aller dans leur chambre.
3. VALEURS SOUHAITÉES : gratitude et respect.
Valeurs pratiquées : taquineries, tenir pour acquis, irrespect.
Maman et papa se sentent constamment sous-estimés et ils sont
las de l’attitude irrespectueuse de leurs enfants. Mais maman et
papa se crient après et s’insultent l’un l’autre. Personne dans la
maison ne dit s’il vous plaît ou merci, y compris les parents. De
plus, maman et papa profèrent des humiliations à leurs enfants et
entre eux, et tous taquinent régulièrement les membres de la
famille jusqu’aux larmes. Le problème est que les parents
recherchent des comportements, des émotions et des modes de
pensée que leurs enfants n’ont jamais pratiqués à la maison.
4. VALEURS SOUHAITÉES : établir des limites.
Valeurs pratiquées : rébellion et cool sont importants.
Julie a 17 ans et son frère Austin en a 14. Leurs parents ont une
politique de tolérance zéro pour la cigarette, l’alcool et les
drogues. Malheureusement, cette politique ne fonctionne pas. Les
deux enfants ont été pris à fumer et Julie vient d’hériter d’une
suspension parce que son enseignant a trouvé de la vodka dans sa
bouteille d’eau à l’école. Julie regarde ses parents et crie : « Vous
êtes tellement hypocrites ! Et ces folles soirées que vous donniez
à l’école secondaire ? Et la fois où maman est allée en prison ?
Vous trouviez cela si amusant en nous le racontant ! Vous nous
avez même montré des photos. »

Regardons maintenant le pouvoir des valeurs harmonisées :

1. VALEURS SOUHAITÉES : connexion émotionnelle et sentiments


honorés.
VALEURS PRATIQUÉES : connexion émotionnelle et sentiments
honorés.
Maman et papa ont essayé d’instaurer et de pratiquer une éthique
des « sentiments d’abord » dans leur famille. Un soir, Hunter
rentre à la maison après une pratique de basketball et il est
manifestement contrarié. Sa deuxième année9 a été difficile et le
coach de basket-ball lui fait la vie dure. Il lance son sac sur le
plancher de la cuisine et se dirige à l’étage. Maman et papa
préparent le repas dans la cuisine et regardent Hunter disparaître
en haut vers sa chambre. Papa éteint le feu de la cuisinière et
maman dit au jeune frère de Hunter qu’ils vont parler à Hunter et
de bien vouloir leur laisser du temps seul avec lui. Ils montent
ensemble et s’assoient sur le bord du lit. « Ta mère et moi savons
que ces dernières semaines ont été difficiles, dit papa. Nous ne
savons pas exactement comment tu te sens, mais nous aimerions
le savoir. Ces mêmes années d’étude ont été ardues pour nous
deux, et nous désirons t’accompagner dans cette étape. » C’était
un si bon exemple de faire attention à l’écart et de cultiver
l’engagement. Dans l’interview, le père m’a dit qu’ils s’étaient
tous sentis vulnérables et qu’ils pleuraient tous avant que cela
finisse. Il a ajouté que partager ses difficultés scolaires avec son
fils a réellement ouvert la relation entre eux.

Je veux souligner que ces exemples ne sont pas fictifs, ils proviennent
des données. Et, non, nous ne pouvons pas être des modèles parfaits en tout
temps. Je sais que je ne le peux pas. Mais quand nos valeurs pratiquées sont
régulièrement en conflit avec les attentes que nous érigeons dans notre
culture, le désengagement est inévitable. Si maman est épuisée après avoir
fait l’épicerie et qu’elle s’éloigne sans payer une fois, ce n’est peut-être pas
une grosse affaire. Si sa norme est « je peux m’en tirer et ce n’est pas ma
faute », elle doit corriger ses attentes à l’égard des tricheries de ses enfants.
Si elle s’éloigne sans payer mais qu’elle assoit ensuite ses enfants et leur
dit : « J’aurais dû y retourner et payer pour les boissons gazeuses. Peu
importe à qui la faute. Je retourne à l’épicerie aujourd’hui » – eh bien, c’est
incroyablement puissant. La leçon ici est : « Je veux vivre selon mes
valeurs et c’est correct d’être imparfait et de faire des erreurs dans cette
maison. Nous n’avons qu’à les corriger quand nous le pouvons. »
L’exemple de la vodka illustre un problème commun que j’entends des
parents tout le temps. « J’étais déchaîné, avouent-ils. Je faisais des choses
que je ne veux pas que mes enfants fassent. Devrais-je mentir au sujet de
mes escapades ? » Étant une ex-déchaînée moi-même, je ne crois pas que la
question soit de mentir ou non. Il s’agit de ce que nous partageons et
comment nous le partageons. Premièrement, ce n’est pas tout ce que nous
faisons ou avons fait qui concerne les enfants. Tout comme quand ils sont
adultes, tout ce qu’ils font n’est pas de nos affaires. Alors nous devrions
examiner la motivation de partager une histoire en particulier et laisser la
question au sujet de ce que nous enseignons guider notre décision.
Deuxièmement, avoir une conversation honnête avec nos enfants au sujet
des drogues et de l’alcool, et de nos expériences avec l’un ou les deux peut
être utile. Mais présenter nos expériences d’engourdissement ou de party
comme étant des récits de guerre cocasses et mettre de l’importance sur le
fait d’être rebelles peut éventuellement contredire les valeurs que nous
voulons que nos enfants développent.
Vous souvenez-vous du débat sur la culture et la stratégie ? Je crois que
les deux sont importantes et je crois qu’il nous faut des stratégies
audacieuses pour développer des cultures audacieuses. Comme le
démontrent ces exemples de valeurs souhaitées contre valeurs pratiquées, si
nous voulons nous reconnecter et nous réengager, nous devons porter
attention à l’écart.
Porter attention à l’écart est une stratégie audacieuse. Nous devons être
attentifs à l’espace entre où nous sommes et où nous voulons être. Surtout,
nous devons pratiquer les valeurs que nous considérons importantes dans
notre culture. Porter attention à l’écart exige à la fois d’embrasser notre
propre vulnérabilité et de cultiver la résilience à la honte – nous serons
appelés à nous présenter à titre de leaders, de parents et d’éducateurs dans
des manières nouvelles inconfortables. Nul besoin d’être parfaits, seulement
engagés et dédiés à être en cohérence avec nos valeurs et nos actions. Nous
devons aussi être préparés : les gremlins seront présents en force, car ils
aiment se glisser furtivement juste quand nous sommes sur le point d’entrer
dans l’arène, d’être vulnérables et de prendre des chances.
Dans les deux chapitres suivants, je vais me servir des concepts
présentés ici pour plonger et vous dire de quoi nous avons besoin selon moi
pour cultiver l’engagement et transformer la façon dont nous sommes
parents, éducateurs et dirigeants. Ces trois questions guideront les prochains
chapitres :
1. Comment la culture du « jamais assez » affecte-t-elle nos écoles,
nos organisations et nos familles ?
2. Comment reconnaissons-nous et combattons-nous la honte au
travail, à l’école et à la maison ?
3. À quoi ressemblent porter attention à l’écart et oser avec audace
dans les écoles, les organisations et les familles ?

9 - Sophomore (15-16 ans) U.S.A. Étudiant de deuxième année au high school (15 à 18 ans) ou
université.
Chapitre 6

Engagement dérangeant

oser réhumaniser

l’éducation et le travail

Pour ranimer la créativité, l’innovation et l’apprentissage, les leaders


doivent réhumaniser l’éducation et le travail, ce qui signifie comprendre
comment l’insuffisance influe sur la façon dont nous dirigeons et
travaillons, apprendre à s’engager avec la vulnérabilité et reconnaître et
combattre la honte. Ne vous y trompez pas : les conversations honnêtes sur
la vulnérabilité et la honte sont dérangeantes. Nous n’avons pas ces
conversations dans nos organisations parce qu’elles jettent de la lumière sur
les coins sombres. Une fois en présence du langage, de la conscience et de
la compréhension, il est presque impossible de revenir en arrière, ce qui
comporte de graves conséquences. Nous voulons tous oser avec audace. Si
l’on nous donne un aperçu de cette possibilité, nous nous y attacherons
comme étant notre vision.
Elle ne peut nous être enlevée.
Avant de commencer ce chapitre, je veux préciser ce que j’entends par
« leader ». J’en suis venue à croire qu’un leader est quiconque se tient
responsable de dénicher du potentiel chez les gens et dans les processus. Le
terme leader ne concerne en rien le poste, le statut ou le nombre de
subordonnés directs. J’ai écrit ce chapitre pour nous tous – parents,
enseignants, bénévoles communautaires et chefs de direction –, c’est-à-dire
quiconque est disposé à oser avec audace et à diriger.

► LE DÉFI DE DIRIGER DANS UNE CULTURE DU « JAMAIS


ASSEZ »

En 2010, j’ai eu l’occasion de passer une longue fin de semaine avec


cinquante présidents directeurs généraux (PDG) de Silicon Valley. L’un des
conférenciers à cette occasion était Kevin Surace, alors PDG de Serious
Materials et entrepreneur de l’année 2009 du magazine Inc. Je savais que
Kevin allait parler d’innovation dérangeante, alors dans ma première
conversation avec lui, avant qu’aucun de nous n’ait parlé au groupe et avant
qu’il ne connaisse mon travail, je lui ai posé la question suivante : Quel est
l’obstacle le plus significatif à la créativité et à l’innovation ?
Kevin y a réfléchi une minute et a dit : « Je ne sais pas si cela a un nom,
mais honnêtement, c’est la peur d’introduire une idée et d’être ridiculisé,
raillé et méprisé. Si vous êtes prêt à vous soumettre à cette expérience et si
vous y survivez, alors cela devient la peur de l’échec et d’avoir tort. Les
gens croient qu’ils sont seulement aussi bons que leurs idées et que leurs
idées ne peuvent pas sembler trop “excentriques” et qu’ils ne peuvent pas
“ne pas tout savoir”. Le problème est que les idées innovatrices ont souvent
un ton déjanté et que l’échec et l’apprentissage font partie de la révolution.
L’évolution et le changement progressif sont importants et nous en avons
besoin, mais nous voulons désespérément une vraie révolution qui exige un
type différent de courage et de créativité. »
Avant cette conversation, je n’avais jamais questionné spécifiquement
les leaders que j’avais interviewés au sujet de l’innovation, mais tout ce que
disait Kevin correspondait à mes données sur le travail et l’éducation. J’ai
souri et répondu : « C’est vrai, n’est-ce pas ? La plupart des gens et des
organisations ne peuvent supporter l’incertitude et le risque de l’innovation
véritable. L’apprentissage et la création sont intrinsèquement vulnérables. Il
n’y a jamais assez de certitude. Les gens veulent des garanties. »
Il a simplement dit : « Oui. Encore une fois, je ne suis pas certain qu’il y
ait un nom à ce problème, mais quelque chose en lien avec la peur empêche
les gens d’y aller à fond. Ils mettent l’accent sur ce qu’ils font déjà bien et
ils ne se jettent pas à l’eau. » Il y a eu une courte pause avant qu’il me
regarde et ajoute : « Donc, je comprends que vous êtes chercheuse. Que
faites-vous exactement ? »
J’ai ri. « J’étudie ce quelque chose en lien avec la peur – je fais une
recherche sur la honte et la vulnérabilité. »
De retour dans ma chambre d’hôtel, j’ai pris mon journal de recherche et
inscrit des notes sur ma conversation avec Kevin. En pensant à quelque
chose en lien avec la peur, je me suis souvenue d’autres notes que j’avais
écrites dans ce même journal. Je l’ai feuilleté jusqu’à ce que je trouve les
notes que j’avais prises en parlant à un groupe d’élèves d’une école
intermédiaire au sujet de leurs expériences en classe. Quand je leur ai
demandé de décrire la clé de l’apprentissage, une fille a donné la réponse
suivante tandis que les autres hochaient frénétiquement la tête et disaient :
« Oui ! C’est ça ! » et « Exactement ».
« Il y a des moments où l’on peut poser des questions ou défendre des
idées, mais si vous avez un prof qui n’aime pas ça ou que les jeunes en
classe rient des personnes qui font ça, c’est moche. Je crois que la plupart
d’entre nous apprenons qu’il est préférable de garder la tête baissée et la
bouche fermée, et de bonnes notes. »
En relisant ce passage de mes notes et en pensant à ma conversation
avec Kevin, j’étais bouleversée. Comme enseignante, je me sentais
déchirée – nous ne pouvons pas apprendre quand nous avons la tête baissée
et la bouche fermée. En tant que mère d’une élève de l’école intermédiaire
et d’un enfant à la maternelle, je fulminais. Comme chercheuse, ce fut le
moment où j’ai commencé à réaliser le nombre de fois où les problèmes de
notre système d’éducation et les difficultés que nous assumons en milieu de
travail se reflètent.
J’ai d’abord vu cela comme deux discussions distinctes – l’une pour les
éducateurs et l’une pour les leaders. Mais en revoyant les données, je me
suis rendu compte que les enseignants et les administrateurs scolaires sont
des leaders. Les cadres supérieurs, les gestionnaires et les superviseurs sont
des enseignants. Aucune société ou école ne peut s’épanouir en l’absence
de créativité, d’innovation et d’apprentissage, et la plus grande menace à
ces trois éléments est le désengagement.
Étant donné ce que la recherche m’a appris et ce que j’ai observé ces
dernières années en travaillant avec des leaders d’écoles et d’entreprises de
toutes tailles et de tous types, je crois que nous devons réexaminer
complètement l’idée d’engagement. Je le nomme engagement dérangeant
pour cette raison. Pour ranimer la créativité, l’innovation et
l’apprentissage, les leaders doivent réhumaniser l’éducation et le travail. Ce
qui signifie comprendre comment l’insuffisance affecte notre façon de
diriger et de travailler, apprendre comment s’engager avec la vulnérabilité
et reconnaître et combattre la honte.
Sir Ken Robinson fait appel aux leaders et parle du pouvoir d’exécuter
ce changement pour remplacer l’idée dépassée que les organisations
humaines devraient fonctionner comme des machines grâce à une
métaphore qui saisit les réalités de l’humanité. Dans son livre Out of Our
Minds : Learning to be Creative, Robinson écrit : « Quelque séduisante soit
la métaphore de la machine pour la production industrielle, les
organisations humaines ne sont pas vraiment des mécanismes et les gens
n’en sont pas les composantes. Les gens ont des valeurs et des sentiments,
des perceptions, des opinions, des motivations et des biographies, ce que les
pignons et les roues dentées n’ont pas. Une organisation n’est pas
l’installation physique dans laquelle elle fonctionne, ce sont les réseaux de
gens qui la composent. »
Ne vous y trompez pas : réhumaniser le travail et l’éducation exige un
leadership courageux. Les conversations honnêtes sur la vulnérabilité et la
honte sont dérangeantes. Nous n’avons pas ces conversations dans nos
organisations parce qu’elles jettent de la lumière sur les coins sombres. Une
fois en présence du langage, de la conscience et de la compréhension, il est
presque impossible de revenir en arrière, ce qui comporte de graves
conséquences. Nous voulons tous Oser avec Audace. Si l’on nous donne un
aperçu de cette possibilité, nous nous y attacherons comme étant notre
vision. Elle ne peut nous être enlevée.

► RECONNAÎTRE ET COMBATTRE LA HONTE

La honte engendre la peur. Elle détruit notre tolérance à la vulnérabilité,


tuant par le fait même l’engagement, l’innovation, la créativité, la
productivité et la confiance. Et le pire, si nous ne savons pas ce que nous
cherchons, la honte peut ravager nos organisations avant même
d’apercevoir un signe extérieur d’un problème. La honte fonctionne comme
des termites dans une maison. Elle se cache dans l’obscurité derrière les
murs et gruge constamment notre infrastructure, jusqu’au jour où les
escaliers s’écroulent soudainement. C’est à ce moment que nous réalisons
que ce n’est qu’une question de temps avant que les murs ne s’effondrent.
De la même manière que circuler dans notre maison ne nous révélera pas
un problème de termites, une simple promenade dans un bureau ou une
école ne nous révélera pas nécessairement un problème de honte. Ou du
moins, nous espérons que ce ne soit pas si évident. Si ça l’est – si nous
voyons un gestionnaire réprimander un employé ou bien un enseignant faire
honte à un étudiant – le problème est déjà aigu et fort probablement se
produit depuis longtemps. Dans la plupart des cas, cependant, nous devons
savoir ce que nous cherchons lorsque nous évaluons dans une organisation
des signes que la honte puisse être un problème.
► SIGNES QUE LA HONTE A IMPRÉGNÉ LA CULTURE

Le blâme, le commérage, le favoritisme, les insultes et le harcèlement


sont tous des comportements qui indiquent que la honte a imprégné une
culture. Un signe plus évident est quand la honte devient carrément un outil
de gestion. Y a-t-il des preuves que des personnes en position d’autorité en
intimident d’autres, critiquent leurs subordonnés en présence de collègues,
font des réprimandes publiques ou organisent des systèmes de récompense
qui diminuent, font honte ou humilient intentionnellement les gens ?
Je ne suis jamais allée dans une école ou une organisation qui était
libérée de la honte. Je ne dis pas que ça n’existe pas, mais j’en doute. En
fait, une fois que j’ai expliqué comment fonctionne la honte, normalement
un ou deux enseignants m’approchent et expliquent qu’ils utilisent la honte
quotidiennement. La plupart demandent comment changer cette pratique,
mais quelques-uns disent fièrement : « Ça fonctionne ». Dans le meilleur
des cas, c’est un problème limité ou contenu, plutôt qu’une norme
culturelle. Je suis certaine que la honte existe dans les écoles simplement
parce que 85 pour cent des hommes et des femmes que nous avons
interviewés pour la recherche sur la honte pouvaient évoquer un incident
scolaire de leur enfance tellement honteux qu’il a changé ce qu’ils pensaient
d’eux-mêmes en tant qu’apprenants. Ce qui rend ceci encore plus obsédant
est qu’environ la moitié de ces souvenirs sont ce que j’appelle des cicatrices
de créativité. Les participants à la recherche pouvaient indiquer un incident
spécifique où on leur avait dit ou montré qu’ils n’étaient pas de bons
auteurs, artistes, musiciens, danseurs ou quelque chose de créatif. Je vois
cela se produire encore dans les écoles tout le temps. L’art est noté d’après
des normes étroites et des enfants aussi jeunes qu’à la maternelle se font
dire qu’ils ont des talents créateurs. Ce qui contribue à expliquer pourquoi
les gremlins sont si puissants quand il s’agit de créativité et d’innovation.
Les organisations ont leurs propres problèmes. L’Institut sur
l’intimidation en milieu de travail (WBI) définit ainsi l’intimidation :
« Mauvais traitement répété : sabotage par autrui qui empêche le travail de
se faire, violence verbale, conduite menaçante, intimidation et
humiliation. » Un sondage de 2010 mené par Zogby International pour WBI
a rapporté qu’on estimait à 54 millions le nombre de travailleurs américains
(37 pour cent de la main-d’œuvre américaine) qui se sont faits intimider au
travail. En outre, un autre rapport du WBI a révélé que 52,5 pour cent du
temps, des travailleurs intimidés déclaraient que les employeurs ne faisaient
fondamentalement rien pour arrêter l’intimidation.
Lorsque nous voyons la honte être utilisée comme un outil de gestion
(encore une fois, cela signifie intimidation, critique devant les collègues,
réprimandes publiques ou système de récompense qui diminue
intentionnellement les gens), nous devons agir directement parce que nous
sommes aux prises avec une infestation. Et il faut nous rappeler que cela ne
se produit pas du jour au lendemain. Il est aussi important de garder en tête
que la honte est comme le mot en « m ». Comme la merde, la honte déboule
vers le bas. Si les employés sont contraints constamment de naviguer dans
la honte, vous pouvez parier qu’ils la refilent à leurs clients, à leurs élèves et
à leurs familles.
Donc, si le phénomène survient et qu’il peut être isolé à une unité
spécifique, à une équipe de travail ou à une personne, il faut s’en occuper
immédiatement et sans honte. Nous apprenons la honte dans notre famille
d’origine et nombre de gens grandissent en croyant que c’est un moyen
efficace et efficient de gérer les gens, de diriger une classe et d’être parents.
Pour cette raison, faire honte à une personne qui utilise la honte n’est pas
utile. Mais ne rien faire est également dangereux non seulement pour les
personnes qui sont la cible de la honte, mais aussi pour l’organisation en
entier.
Il y a quelques années, un homme est venu me voir après une
représentation et a demandé : « Interviewez-moi ! S’il vous plaît ! Je suis
conseiller financier et vous ne croiriez pas ce qui se passe dans mon
bureau. » Quand j’ai rencontré Don pour l’interview, il m’a dit que, dans
son organisation, on choisit son bureau à chaque trimestre selon ses
résultats trimestriels. La personne dont les résultats sont les meilleurs
choisit en premier et se réserve la place de stationnement convoitée.
Il a secoué la tête et sa voix a craqué un peu quand il a poursuivi : « Vu
que j’ai eu les meilleurs chiffres au cours des six derniers trimestres, vous
pourriez croire que j’aime ça. Mais non. Je déteste absolument tout ça.
C’est un environnement misérable. » Il m’a confié ensuite qu’après la
réception des résultats du trimestre précédent, son patron est entré dans son
bureau, a fermé la porte et lui a dit qu’il devait changer de bureau.
« Au début, j’ai cru que mes chiffres avaient chuté. Puis il a ajouté qu’il
se foutait que j’aie les meilleurs chiffres ou que j’aime mon bureau, le but
était de terroriser les autres gars. “Leur casser les couilles en public forme
le caractère, a-t-il dit. C’est motivant.” »
Avant la fin de notre interview, il m’a dit être à la recherche d’un emploi.
« Je suis bon dans ce que je fais et j’aime même ça, mais je ne me suis pas
engagé à terroriser les gens. Je n’ai jamais su pourquoi cela semblait si
merdique, mais après vous avoir entendue parler, maintenant je sais. C’est
la honte. C’est pire qu’au secondaire. Je vais trouver un meilleur endroit
pour travailler et soyez bien certaine que j’emmène mes clients avec moi. »
Dans I Thought It Was Just Me, je raconte l’histoire suivante à propos de
Sylvia, une planificatrice d’événements dans la trentaine qui a sauté tout
droit dans notre interview en disant : « J’aurais souhaité que vous m’ayez
interviewée il y a six mois. J’étais une personne différente. J’étais si coincée
dans la honte. » Quand je lui ai demandé ce qu’elle voulait dire, elle a
expliqué qu’elle avait entendu parler de ma recherche par un ami et qu’elle
s’était portée volontaire pour l’interview parce qu’elle croyait que sa vie
avait été changée par la honte. Elle avait récemment découvert qu’elle se
trouvait sur la « liste des perdants » au travail.
Apparemment, après deux ans de ce que son employeur appelait « un
gigantesque travail de gagnante », elle a commis sa première grave erreur
qui a coûté un client important à l’agence. Son patron a réagi en la plaçant
sur la liste des « perdants ». « En une minute, je suis passée du tableau des
gagnants au sommet de la liste des perdants », a-t-elle avoué. Je crois que
j’ai dû grimacer quand Sylvia a mentionné la liste des « perdants » parce
que, sans que j’aie ajouté quoi que ce soit, elle a continué : « Je sais, c’est
terrible. Mon patron a ces deux grands tableaux effaçables à sec à
l’extérieur de son bureau. L’un est la liste des gagnants et l’autre est pour
les perdants. » Elle a eu peine à fonctionner pendant des semaines, a perdu
sa confiance et s’est mise à s’absenter du travail. La honte, l’anxiété et la
peur l’ont envahie. Après trois semaines difficiles, elle a quitté son emploi
et est partie travailler dans une autre agence.
La honte ne peut croître qu’à un certain point dans un système
avant que les gens ne se désengagent pour se protéger. Quand nous
sommes désengagés, nous ne nous présentons pas, nous ne contribuons
pas et nous devenons indifférents. À l’extrémité du spectre, le
désengagement permet aux gens de rationaliser toutes sortes de
comportements contraires à l’éthique, notamment le mensonge, le vol et la
tricherie. Dans le cas de Don et Sylvia, ils n’ont pas fait que se désengager,
ils ont quitté en apportant leurs talents à la concurrence.
En évaluant les signes de honte dans nos organisations, il est aussi
important d’être conscients des menaces externes – des forces à l’extérieur
de nos organisations qui influencent comment leaders et employés se
sentent à propos de leur travail. À titre d’enseignante, de sœur de deux
enseignants à l’école publique et de belle-sœur du directeur adjoint d’une
école publique secondaire, je n’ai pas à chercher loin des exemples de ces
forces.
Il y a plusieurs années, ma sœur Ashley m’a téléphoné en pleurant.
Quand je lui ai demandé ce qui n’allait pas, elle m’a répondu que le
Houston Chronicle avait publié le nom de chaque enseignant du District
scolaire indépendant de Houston ainsi que la prime reçue selon les scores
normalisés obtenus par leurs étudiants. Je n’avais pas vu le journal ce jour-
là et j’étais étonnée. Et confuse aussi.
« Ashley, tu enseignes la maternelle. Tes élèves ne font pas encore ces
examens. Ton nom est-il dans le journal ? »
Ashley a expliqué que son nom y figurait et que l’article précisait qu’elle
avait obtenu la prime la plus faible possible. Mais le journal ne disait pas
que c’était la prime la plus élevée offerte aux enseignants de la maternelle.
Imaginez faire cela – déclarer le salaire ou les primes de chacun et en plus
les déclarer de façon inexacte – à tout autre groupe de professionnels.
« Je suis en pleine crise de honte, a confié Ashley en pleurs. Tout ce que
j’ai toujours voulu faire, c’est enseigner. Je travaille d’arrache-pied. J’ai
demandé de l’argent à tous les membres de la famille pour pouvoir acheter
des fournitures scolaires aux enfants qui n’en ont pas les moyens. Je reste
après la classe et j’aide les parents à aider leurs enfants. Je ne comprends
pas. Il y a des centaines d’enseignants comme moi, et lisez-vous cela dans
le journal ? Non. Et cela ne concerne pas que moi. Certains enseignants très
doués que je connais se portent volontaires pour enseigner aux élèves les
plus difficiles sans même penser au fait que cela pourrait affecter leurs
scores ou leurs primes. Ils le font par amour pour leur métier et leur foi en
ces élèves. »
Malheureusement, l’approche « lettre écarlate » de l’évaluation des
enseignants n’a pas seulement lieu au Texas – elle est devenue une pratique
acceptée ailleurs. La bonne nouvelle est que les gens osent finalement avec
audace et s’expriment. En réponse à la cour d’appel de l’État de New York
ayant statué que les évaluations du rendement individuel des enseignants
pouvaient être rendues publiques, Bill Gates a écrit ceci dans un éditorial du
New York Times : « Élaborer une façon systématique d’aider les enseignants
à s’améliorer est l’idée la plus puissante en éducation aujourd’hui. La
manière infaillible de l’affaiblir est de la tourner en un exercice arbitraire de
honte publique. Concentrons-nous sur la création d’un système des effectifs
qui aide véritablement les enseignants à s’améliorer. »
Quand j’ai affiché l’éditorial de Gates sur ma page Facebook, de
nombreux enseignants ont laissé des commentaires. J’ai été émue par cette
réponse d’un enseignant chevronné : « Pour moi, enseigner est une question
d’amour. Il ne s’agit pas de transférer de l’information, mais plutôt de créer
une atmosphère de mystère, d’imagination et de découverte. Quand je
commence à me perdre à cause d’une douleur irrésolue, ou de craintes, ou
de sentiments accablants de honte, alors je n’enseigne plus… je livre de
l’information et je crois que je deviens alors non pertinent. »
Les enseignants ne sont pas les seuls aux prises avec la honte émanant
(habituellement dans les médias publics) de l’extérieur de l’organisation.
On me demande souvent de traiter de cette question quand je parle avec des
professionnels qui sont régulièrement vilipendés, détestés et mal compris du
public – avocats, dentistes et des gens de l’industrie financière pour n’en
nommer que quelques-uns. Nous pourrions lever les yeux au ciel et penser :
Voyons, nous adorons les haïr ! Mais d’après mes expériences, je peux vous
dire que ce n’est pas amusant de se sentir haï simplement parce qu’on fait
un travail qui signifie quelque chose pour soi, et cela peut se répercuter
sérieusement sur les individus et les cultures.
À titre de leaders, ce que nous pouvons faire de plus efficace lorsque se
produit ce genre d’abus des médias est de s’exprimer, d’insister sur
l’exactitude et la responsabilité, et d’attaquer de front avec les personnes
qui en sont affectées. Nous ne pouvons pas prétendre que cela ne blesse pas
nos employés. Au niveau personnel, nous pouvons résister à épauler et à
perpétuer le stéréotypage public des professions qui, par leur nature,
fonctionnent dans les sphères du stress personnel.

► LE JEU DU BLÂME

Voici la meilleure façon de concevoir la relation entre la honte et le


blâme. Si le blâme conduit, la honte est sur le siège avant. Dans les
organisations, les écoles et les familles, blâmer et chercher des coupables
sont souvent des symptômes de la honte. Les chercheuses sur la honte, June
Tangney et Ronda Dearing, expliquent que dans des relations soumises à la
honte les gens « mesurent soigneusement, soupèsent et assignent le
blâme ». Elles écrivent : « Devant tout résultat négatif, petit ou grand,
quelqu’un ou quelque chose doit être jugé responsable (et rendre des
comptes). Il n’y a aucune notion “d’eau ayant coulé sous les ponts”. » Elles
ajoutent : « Après tout, si quelqu’un doit être blâmé et que ce n’est pas moi,
ça doit être toi ! Du blâme naît la honte. Puis la souffrance, le déni, la colère
et les représailles. »
Le blâme est simplement la décharge de la douleur et du malaise. Nous
blâmons quand nous sommes mal à l’aise et que nous souffrons – quand
nous sommes vulnérables, fâchés, blessés, honteux, en deuil. Le blâme
n’offre rien de productif et il implique souvent de faire honte à quelqu’un
ou d’être seulement méchant. Si le blâme est un modèle dans votre culture,
alors la honte doit être traitée comme un problème.

► CULTURE DE DISSIMULATION

En lien avec la honte, il y a l’enjeu des dissimulations. Tout comme le


blâme est un signe d’organisations basées sur la honte, les cultures de
dissimulation dépendent de la honte pour maintenir les gens calmes. Quand
la culture d’une organisation promulgue qu’il est plus important de protéger
la réputation d’un système et des tenants du pouvoir que de protéger la
dignité humaine d’individus ou de communautés, vous pouvez être assuré
que la honte est systémique, que l’argent mène l’éthique et que la
responsabilité est morte. C’est vrai dans tous les systèmes, que ce soient des
sociétés, des organismes sans but lucratif, des universités et des
gouvernements, jusque dans les églises, les écoles, les familles et les
programmes de sports. Si vous songez à tout incident majeur alimenté par
des dissimulations, vous verrez ce modèle.
Dans une culture organisationnelle où le respect et la dignité des
personnes sont considérés les plus grandes valeurs, la honte et le blâme ne
fonctionnent pas comme styles de gestion. On ne dirige pas par la peur.
L’empathie est un atout apprécié, la responsabilité est une attente plutôt
qu’une exception, et le besoin humain primal d’appartenir ne sert pas de
levier et de contrôle social. Nous ne pouvons contrôler le comportement des
individus, néanmoins, nous pouvons entretenir des cultures
organisationnelles où des comportements ne sont pas tolérés et où les gens
sont tenus responsables de protéger ce qui importe le plus : les êtres
humains.
Nous ne résoudrons pas les questions complexes qui nous assaillent
aujourd’hui sans créativité, innovation et apprentissage engagé. Nous ne
pouvons nous permettre de laisser notre malaise face au sujet de la honte
nous empêcher de la reconnaître et de la combattre dans nos écoles et au
travail. Les quatre meilleures stratégies pour développer des organisations
résilientes à la honte sont :
1. Soutenir les leaders qui sont disposés à oser avec audace, animer
des conversations honnêtes sur la honte et entretenir des cultures
résilientes à la honte.
2. Faciliter un effort consciencieux pour voir où la honte pourrait
fonctionner dans l’organisation et comment elle pourrait même
s’immiscer dans la manière dont nous nous engageons avec nos
collègues et nos élèves.
3. La normalisation est une stratégie essentielle de résilience à la
honte. Leaders et gestionnaires peuvent cultiver l’engagement en
aidant les gens à savoir à quoi s’attendre. Quels sont les
problèmes communs ? Comment les autres les ont-ils traités ?
Quelles ont été vos expériences ?
4. Former tous les employés à propos des différences entre honte et
culpabilité, et leur enseigner comment donner et recevoir une
rétroaction d’une manière qui favorise la croissance et
l’engagement.

► ATTENTION À L’ÉCART AVEC LA RÉTROACTION

Une culture qui ose avec audace est une culture de rétroaction honnête,
constructive et engagée. C’est vrai dans les organisations, les écoles et les
familles. Je sais que les familles ont des difficultés avec cet enjeu ;
toutefois, j’ai été stupéfaite de voir « absence de rétroaction » émerger
comme principale préoccupation dans les interviews qui portaient sur les
expériences de travail. Les organisations d’aujourd’hui sont tellement axées
sur les mesures dans leur évaluation du rendement que donner, recevoir et
solliciter une rétroaction valable, ironiquement, est devenu rare. C’est
même une rareté dans les écoles où l’apprentissage repose sur la
rétroaction, ce qui est infiniment plus efficace que des notes griffonnées en
haut d’une page ou des scores de tests normalisés produits par ordinateur.
Le problème est simple : sans rétroaction, il ne peut y avoir de
changement transformateur. Quand nous ne parlons pas aux personnes que
nous dirigeons de leurs forces et de leurs opportunités de croissance, elles
se mettent à s’interroger sur leurs contributions et sur notre engagement. Le
désengagement fait suite.
Quand j’ai demandé aux gens pourquoi il y avait un tel manque de
rétroaction dans leurs organisations et leurs écoles, leur langage différait,
mais les deux principaux problèmes étaient les mêmes :
1. Nous ne sommes pas à l’aise avec des conversations difficiles.
2. Nous ne savons pas comment donner et recevoir une rétroaction
d’une façon qui fait avancer les gens et les processus.
La bonne nouvelle est que ce sont des problèmes réglables. Si une
organisation fait de la création d’une culture de rétroaction une priorité et
une pratique, plutôt qu’une valeur souhaitable, cela peut se produire. Les
gens veulent désespérément une rétroaction – nous voulons tous croître.
Nous avons simplement besoin de donner une rétroaction d’une façon qui
inspire croissance et engagement.
D’emblée, je crois que la rétroaction grandit dans les cultures où le but
n’est pas « d’être à l’aise avec les conversations difficiles », mais de
normaliser l’inconfort. Si les leaders attendent un apprentissage réel, une
pensée critique et un changement, alors l’inconfort devrait être normalisé :
« Nous croyons que la croissance et l’apprentissage sont inconfortables,
alors cela va se produire ici – vous allez vous sentir ainsi. Sachez que c’est
normal et que c’est une attente ici. Vous n’êtes pas seuls et nous vous
demandons de rester ouverts et de vous y appuyer. » C’est vrai à tous les
niveaux et dans toutes les organisations, les écoles, les communautés
religieuses et même les familles. J’ai observé ce modèle d’inconfort
normalisé dans les organisations Sans réserve de ma recherche et je l’ai
vécu dans ma classe et avec ma famille.
J’ai appris à enseigner en me plongeant dans des volumes sur la
pédagogie engagée et critique par des auteurs comme bell hooks et Paulo
Freire. Au début, j’étais terrifiée à l’idée que si l’éducation allait être
transformatrice, elle serait inconfortable et imprévisible. Maintenant, en
entamant ma quinzième année d’enseignement à l’Université de Houston, je
dis toujours à mes étudiants : « Si vous êtes à l’aise, je ne donne pas un
enseignement et vous n’apprenez pas. Vous serez inconfortables ici, et c’est
bien ainsi. C’est normal et l’inconfort s’inscrit dans le processus. »
Le processus simple et honnête, qui consiste à laisser les gens savoir que
l’inconfort est normal, qu’il va se produire et pourquoi c’est important,
réduit l’anxiété, la peur et la honte. Les périodes d’inconfort deviennent une
attente et une norme. En fait, dans la plupart des semestres, des étudiants
m’approchent après le cours et avouent : « Je n’ai pas encore été
inconfortable. Je suis inquiet. » Ces échanges entraînent souvent des
conversations essentielles et une rétroaction au sujet de leur engagement et
de mon enseignement. Le grand défi pour les leaders est d’attacher nos têtes
et nos cœurs au fait qu’il nous faut cultiver le courage d’être inconfortables
et d’enseigner à notre entourage comment accepter l’inconfort comme
faisant partie de la croissance.
Pour les meilleurs conseils sur la manière de donner une rétroaction qui
fait avancer les gens et les processus, je me tourne vers mes racines de
travail social. D’après mon expérience, le cœur d’une rétroaction valable
prend la « perspective des forces ». Selon l’éducateur en travail social
Dennis Saleebey, voir le rendement depuis la perspective des forces nous
offre l’occasion d’examiner nos difficultés à la lumière de nos capacités,
talents, compétences, possibilités, visions, valeurs et espoirs. Cette
perspective ne rejette pas la nature sérieuse de nos difficultés ; cependant,
elle nous demande de considérer nos qualités positives comme étant des
ressources potentielles. Le Dr Saleebey propose : « Il est tout aussi fautif de
nier le possible que de nier le problème. »
Une méthode efficace pour comprendre nos forces est d’examiner la
relation entre forces et limites. Si nous regardons ce que nous faisons le
mieux ainsi que ce que nous voulons le plus changer, nous constaterons
souvent que les deux sont des degrés variables du même comportement
central. Pour la plupart d’entre nous, nous pouvons inventorier la majorité
de nos « défauts » ou de nos « limites » et trouver des forces qui s’y
dissimulent.
Par exemple, je peux m’accabler parce que je suis trop controlant et
adepte de la microgestion, ou je peux reconnaître que je suis très
responsable, fiable et engagé à du travail de qualité. Les questions de
microgestion ne disparaissent pas, mais en les voyant de la perspective des
forces, j’ai confiance de me regarder et d’évaluer les comportements que
j’aimerais changer.
Je veux souligner que la perspective des forces n’est pas un outil qui
nous permet simplement de donner une note positive à un problème et de le
considérer réglé. Mais en nous donnant d’abord la capacité de faire
l’inventaire de nos forces, elle suggère des manières d’utiliser ces forces
pour aborder les problèmes connexes. Une façon dont j’enseigne cette
perspective aux étudiants est en leur demandant de donner et de recevoir
une rétroaction sur leurs présentations en classe. Quand un étudiant fait sa
présentation, il reçoit une rétroaction de tous ses confrères et consœurs de
classe. Les étudiants de l’auditoire doivent identifier trois forces
observables et une possibilité de croissance. Le truc est qu’ils doivent
utiliser leur évaluation des forces pour suggérer comment la personne
pourrait aborder la possibilité spécifique. Par exemple :

✓ Forces

1. Vous avez attiré mon attention dès le départ avec votre histoire
personnelle émotionnelle.
2. Vous avez utilisé des exemples qui sont pertinents dans ma vie.
3. Vous avez conclu par des stratégies réalisables qui étaient liées à
ce que l’on apprend en classe.

✓ Possibilité

Vos histoires et vos exemples m’ont fait sentir connecté à vous et à ce


que vous disiez, mais j’avais parfois du mal à lire le PowerPoint et à
vous écouter en même temps. Je ne voulais rien manquer de ce que vous
disiez, mais je me souciais de ne pas suivre les diapositives. Vous
pourriez essayer avec moins de mots sur les diapos, ou peut-être même
pas de diapositives. Vous m’avez gagné sans elles.

La recherche a clarifié ceci : la vulnérabilité est au cœur du processus


de rétroaction. Cela se vérifie peu importe que l’on donne, reçoive ou
sollicite une rétroaction. Et la vulnérabilité ne disparaît pas même si nous
sommes formés et expérimentés à offrir et à recevoir une rétroaction.
L’expérience, toutefois, nous donne l’avantage de savoir que nous pouvons
survivre à l’exposition et à l’incertitude, et que le risque en vaut la peine.
Une des plus graves erreurs que commettent les gens dans le processus
de rétroaction est de « se munir d’une armure ». Pour nous protéger de la
vulnérabilité de donner ou de recevoir une rétroaction, nous sommes prêts à
gronder (signal Jock Jams). Il est facile de supposer que le processus de
rétroaction ne semble vulnérable que pour la personne qui le reçoit, mais ce
n’est pas vrai. Un engagement honnête à l’égard des attentes et du
comportement est toujours marqué d’incertitude, de risque et d’exposition
émotionnelle pour tous ceux concernés. Voici un exemple : Susan, directrice
d’une grande école secondaire, doit parler à une enseignante au sujet de
plusieurs plaintes de parents. Les parents se sont dit préoccupés au sujet de
l’enseignante qui jure en classe et fait des appels personnels sur son
cellulaire pendant qu’elle permet aux élèves de quitter la classe, de chahuter
et de faire leurs propres appels. Dans cette situation, « se munir d’une
armure » peut prendre maintes formes.
L’une est que Susan peut remplir le formulaire de probation et qu’il soit
sur le bureau de l’enseignante quand elle arrive. Elle dira simplement :
« Voici la plainte. J’ai mentionné votre nom pour les infractions suivantes.
Signez ici et que ça ne se produise plus. » Elle a réglé la rencontre en trois
minutes. Pas de rétroaction, pas de croissance, pas d’apprentissage, mais
c’est terminé. Les probabilités que l’enseignante change ses comportements
sont minces.
Une autre façon dont nous revêtons une armure est de nous convaincre
que l’autre personne mérite d’être blessée ou rabaissée. Comme la plupart
des gens, Susan est plus à l’aise avec la colère qu’avec la vulnérabilité,
alors elle intensifie sa confiance avec un peu d’attitude moralisatrice. « Je
suis tellement écœurée de tout cela. Si ces enseignants me respectaient, ils
ne feraient jamais des choses semblables. Ça suffit. Elle est un problème
depuis le premier jour. Tu veux perdre ton temps en classe – vas-y. Je vais te
montrer exactement comment ça fonctionne. » La possibilité d’une
rétroaction constructive et d’une formation de relation tournent en un
règlement de compte. Encore une fois, c’est terminé mais sans rétroaction,
sans apprentissage et, plus que probable, sans changement.
J’admets que j’ai beaucoup de « amenez-en » en moi. Je suis combative,
je pense rapidement et j’aime un peu d’intervention dans mes émotions. Je
suis douée pour la colère et seulement ordinaire dans la vulnérabilité, donc
revêtir une armure avant une expérience vulnérable est attrayant pour moi.
Par chance, ce travail m’a enseigné que lorsque je me sens moralisatrice,
cela signifie que j’ai peur. C’est une façon de me gonfler et de me protéger
quand je crains d’avoir tort, de fâcher quelqu’un ou d’être blâmée.

► ASSIS DU MÊME CÔTÉ DE LA TABLE

Dans ma formation en travail social, beaucoup d’attention portait sur la


façon de parler aux gens, même sur la façon et le lieu où nous sommes
assis. Par exemple, je ne parlerais jamais à un client de l’autre côté d’un
bureau. Je le contournerais et m’assirais sur une chaise en face de lui, de
sorte qu’il n’y ait rien de massif entre nous. Je me rappelle la première fois
où je suis allée voir une de mes enseignantes en travail social au sujet d’une
note. Elle s’est levée de derrière son bureau et m’a demandé de m’asseoir à
une petite table ronde qui était dans cette pièce. Elle a pris une chaise et
s’est assise à côté de moi.
En revêtant mon armure pour cette conversation, j’avais imaginé qu’elle
serait assise à son grand bureau de métal et que j’allais glisser de manière
provocante mon papier jusqu’à elle et lui demander une explication pour ma
note. Après qu’elle s’est assise à côté de moi, j’ai posé mon travail sur la
table. « Je suis très contente que tu sois venue m’en parler. Très bon travail.
J’ai adoré ta conclusion, a-t-elle dit en me tapant dans le dos. » J’ai réalisé
bizarrement que nous étions du même côté de la table.
Complètement décontenancée, j’ai laissé échapper : « Merci. J’y ai
travaillé très fort. »
Elle a acquiescé et continué : « Je le vois. Merci. J’ai enlevé quelques
points pour tes références aux normes APA. J’aimerais que tu les révises et
que tu les nettoies. Tu pourrais soumettre le tout à une publication et je ne
veux pas que la mise aux normes des références te freine. »
J’étais encore confuse. Elle croit que c’est publiable ? Elle l’a aimé ?
« As-tu besoin d’aide pour les normes APA ? C’est complexe et il m’a
fallu des années pour les maîtriser », a-t-elle demandé. (Un excellent
exemple de normalisation.)
Je lui ai répondu que j’arrangerais les références et je lui ai demandé si
elle regarderait mes révisions. Elle a accepté avec joie et m’a donné
quelques conseils sur le processus. Je l’ai remerciée de son temps et je suis
partie, reconnaissante de ma note et d’une professeure aussi bienveillante
qu’elle.
Aujourd’hui, « assis du même côté de la table » est ma métaphore pour
la rétroaction. Je l’ai utilisée pour créer ma liste de contrôle de rétroaction
engagée. Je vous la présente ici :
LISTE DE CONTRÔLE DE RÉTROACTION ENGAGÉE

Je sais que je suis prêt à donner une rétroaction quand :


– je suis prêt à m’asseoir près de vous plutôt qu’en face de vous ;
– je veux mettre le problème devant nous plutôt qu’entre nous (ou
le glisser vers vous) ;
– je suis prêt à écouter, à poser des questions et à accepter que je
puisse ne pas comprendre complètement le problème ;
– je veux reconnaître ce que vous faites bien au lieu de relever vos
erreurs ;
– je reconnais vos forces et comment vous pouvez les utiliser pour
aborder vos difficultés ;
– je peux vous tenir responsable sans vous faire honte ou vous
blâmer ;
– je suis disposé à assumer ma part ;
– je peux sincèrement vous remercier de vos efforts plutôt que de
vous critiquer pour vos manquements ;
– je peux parler de comment la résolution de ces problèmes vous
mènera à votre croissance et à des possibilités ; et
– je peux être un modèle de vulnérabilité et d’ouverture que je
m’attends à voir chez vous.

Vous trouverez une copie imprimée de cette liste sur mon site Web
www.brenebrown.com

Comment l’éducation serait-elle différente si les étudiants, les


enseignants et les parents étaient assis du même côté de la table ? Comment
l’engagement changerait-il si les leaders s’assoyaient à côté des gens et
disaient : « Merci pour vos contributions. Voici comment vous changez les
choses. Cet enjeu nuit à votre croissance et je crois que nous pouvons nous
y attaquer ensemble. Quelles idées avez-vous pour aller de l’avant ? Quel
rôle croyez-vous que je joue dans le problème ? Que puis-je faire
différemment pour vous soutenir ? »
Revenons à l’exemple de Susan, la directrice qui se dotait d’une armure
pour remettre à sa place l’enseignante. Si elle lisait la liste de contrôle, elle
réaliserait qu’elle n’est pas en position de donner une rétroaction, d’être un
leader. Mais avec les plaintes des parents qui s’accumulent sur son bureau,
le temps est un facteur pour elle et elle sait qu’il faut régler la situation. Il
peut être très difficile d’avoir la tête et le cœur à la bonne place pour donner
une rétroaction quand nous sommes sous pression.
Alors, comment créons-nous un espace protégé pour la vulnérabilité et la
croissance quand nous ne nous sentons pas ouverts ? La rétroaction sous
armure ne facilite pas un changement durable et significatif – je ne connais
pas une seule personne qui peut être ouverte à recevoir une rétroaction ou à
assumer une responsabilité pour quelque chose qui lui est martelé. Notre
programmation prend le dessus et nous nous protégeons.
La meilleure option de Susan est d’être un modèle de l’ouverture qu’elle
espère voir, et solliciter la rétroaction d’une de ses collègues. Quand j’ai
interviewé les participants qui valorisaient la rétroaction et y travaillaient,
ils mentionnaient la nécessité de solliciter la rétroaction de leurs pairs, de
demander conseil et même de créer des jeux de rôle pour les situations
difficiles. Si nous ne sommes pas disposés à demander une rétroaction et à
la recevoir, nous ne serons jamais habiles à la donner. Si Susan peut
travailler sur ses propres sentiments en vue d’être présente à son employée,
il est beaucoup plus probable qu’elle voie le changement qu’elle demande.
Certains se demandent peut-être : « Le problème de l’employée de Susan
est assez simple et petit. Pourquoi aurait-elle besoin de prendre du temps à
solliciter une rétroaction de l’une de ses collègues pour un problème
semblable ? » C’est une bonne question dont la réponse est importante : la
taille, la gravité ou la complexité d’un problème ne reflète pas toujours la
réactivité émotionnelle qu’il déclenche. Si Susan ne parvient pas à être du
même côté de la table avec cette enseignante, peu importe alors la
simplicité du problème ou la limpidité de l’infraction. Susan pourrait
apprendre de sa collègue qu’elle est réellement provoquée par cette
enseignante en particulier ou qu’elle prend une armure parce que le
comportement non professionnel devient une norme dangereuse chez ce
groupe d’enseignants. Donner et recevoir une rétroaction relève de
l’apprentissage et de la croissance, et de comprendre qui nous sommes et
comment nous réagissons aux personnes qui nous entourent, car c’est le
fondement de ce processus.
Encore une fois, nul doute que la rétroaction peut être une des arènes les
plus difficiles à négocier de notre vie. Il faut se souvenir cependant que la
victoire n’est pas d’obtenir une bonne rétroaction, d’éviter de donner une
rétroaction difficile ou d’éviter le besoin de rétroaction. Il s’agit plutôt de
retirer l’armure, de se présenter et de s’engager.

► LE COURAGE D’ÊTRE VULNÉRABLE

J’ai récemment donné une conférence au Wolff Center for


Entrepreneurship de l’Université de Houston. Le programme, qui jumelle
trente-cinq à quarante étudiants de l’élite du premier cycle avec des mentors
et offre une formation entrepreneuriale complète, est classé meilleur des
programmes d’entrepreneuriat de premier cycle aux États-Unis. On m’a
demandé de parler aux étudiants de la vulnérabilité et du pouvoir d’une
histoire.
Durant le segment des questions et réponses après mon discours, un
étudiant m’a posé une question que je crois être souvent dans la tête des
gens quand je parle de vulnérabilité : « Je vois comment la vulnérabilité est
importante, mais je suis dans la vente et je ne saisis pas à quoi ça ressemble.
Est-ce qu’être vulnérable signifie que si un client me pose une question sur
un produit et que je ne connais pas la réponse, je dis seulement ce que je
pense : “Je suis nouveau et je ne sais vraiment pas ce que je fais ?” »
Les étudiants qui s’étaient tous retournés pour l’écouter ont repris leur
place sur leur chaise et m’ont regardée comme pour dire : « Ouais, ça
semble boiteux. Sommes-nous vraiment censés faire ça ? »
Ma réponse a été non. Et oui. Dans ce scénario, la vulnérabilité reconnaît
et s’approprie que vous ne connaissez pas quelque chose ; il s’agit de
regarder le client dans les yeux et de dire : « Je ne connais pas la réponse à
cette question, mais je vais la trouver. Je veux m’assurer que vous ayez
l’information exacte. » J’ai expliqué que le refus de s’engager avec la
vulnérabilité de ne pas savoir mène souvent à faire des excuses, à esquiver
la question ou – au pire – à baratiner. C’est le coup fatal dans toute relation
et la chose que j’ai apprise à parler avec des gens dont le métier est de
vendre est que les ventes reposent sur les relations.
Donc, bien que je n’aie pas pris cette direction avec le client, je pense
qu’il est valable de partager le sentiment de ne pas savoir ce que vous faites
avec quelqu’un – que ce soit un mentor qui peut offrir du soutien et des
conseils, ou un collègue qui peut vous aider à apprendre et à normaliser
votre expérience. Imaginez le stress et l’anxiété de ne pas savoir ce que
vous faites, de tenter de convaincre un client que vous le savez, n’étant pas
capable de demander de l’aide et n’ayant personne à qui parler de votre
difficulté. C’est ainsi que nous perdons des gens. Il est trop difficile de
demeurer engagé dans ces circonstances. Nous commençons à prendre des
raccourcis, nous cessons de nous soucier et nous quittons. Après ma
conférence, l’un des mentors m’a confié : « J’ai été dans les ventes toute ma
carrière et, laissez-moi vous dire, il n’y a rien de plus important que d’avoir
le courage d’avouer “je ne sais pas’’ et “je me suis trompé’’ – être honnête
et ouvert est la clé du succès dans chaque domaine de notre vie. »
L’an dernier, j’ai eu l’occasion d’interviewer Gay Gaddis, propriétaire et
fondatrice de T3 (The Think Tank) à Austin, Texas. T3 est une entreprise
réputée de marketing intégré innovateur qui recoupe tous les médias. En
1989, Gay a retiré un compte d’épargne retraite (IRA) d’une valeur de 16
000 dollars dans le but de démarrer une agence de publicité. Vingt-trois ans
après avoir ouvert avec une poignée de comptes régionaux, Gay a fait de T3
l’agence de publicité la plus importante du pays et dont l’unique
propriétaire est une femme. Avec des succursales à Austin, New York et
San Francisco, T3 travaille avec des clients dont Microsoft, UPS, JPMorgan
Chase, Pfizer, Allstate, Coca-Cola et Sprite. Son savoir-faire commercial
dynamique et sa culture organisationnelle lui ont valu une reconnaissance
nationale. Elle a été nommée l’une des vingt-cinq femmes constructrices
d’entreprises par Fast Company, l’une des dix entrepreneuses de l’année par
le magazine Inc., et l’une des vingt-cinq mères travaillant en publicité de
l’année par le magazine Working Mother. Son programme d’environnement
de travail favorable à la famille, « T3 and Under », a même été reconnu par
la Maison-Blanche.
J’ai commencé sans préambule mon interview avec Gay en lui disant
qu’une journaliste d’affaires m’avait récemment confié que, contrairement
aux leaders de sociétés qui sont protégés par les couches des systèmes, les
entrepreneurs ne peuvent se permettre d’être vulnérables. Quand j’ai
demandé à Gay ce qu’elle pensait de cette proposition, elle a souri. « Quand
vous arrêtez la vulnérabilité, vous arrêtez l’opportunité. »
Voici son explication : « Par définition, l’entrepreneuriat est vulnérable.
Il se définit par la capacité de maîtriser et de gérer l’incertitude. Les gens
changent constamment, les budgets changent, les conseils d’administration
changent et la concurrence signifie que vous devez demeurer souple et
innovateur. Vous devez créer une vision et vivre en vous y conformant. Il
n’y a pas de vision sans vulnérabilité. »
Sachant que Gay consacre un bon bout de temps à l’enseignement et au
mentorat, je lui ai demandé quels conseils elle prodigue aux nouveaux
entrepreneurs relativement à embrasser l’incertitude. Elle a dit : « Le succès
exige des entrepreneurs de cultiver des réseaux de soutien solides et de bons
mentors. Vous devez apprendre à faire taire le bruit de sorte que vous
sachiez précisément ce que vous ressentez et pensez, et ensuite vous faites
le travail ardu. Nul doute – tout est relié à la vulnérabilité. »
Un autre exemple fantastique du pouvoir de la vulnérabilité – cette fois
dans une société – est l’approche du leadership adoptée par la PDG de
Lululemon, Christine Day. Dans une interview sur vidéo avec CNN Money,
Christine a expliqué qu’elle avait déjà été une cadre brillante, futée dont la
« spécialité était d’avoir raison ». Elle s’est transformée quand elle a réalisé
qu’obtenir que les gens s’engagent et assument la responsabilité n’avait rien
à voir avec « leur dire », mais plutôt à les laisser venir à l’idée dans une
voie de finalité, et que son travail était de créer l’espace au rendement des
autres. Elle a caractérisé ce changement comme étant une transition de
« avoir la meilleure idée ou la meilleure résolution de problème » à « être la
meilleure leader des gens ».
La transition qu’elle a décrite part du contrôle à l’engagement avec la
vulnérabilité – prendre des risques et cultiver la confiance. Et bien que la
vulnérabilité puisse parfois nous faire sentir impuissants, sa transition était
un mouvement de puissance total. Day a augmenté le nombre de boutiques
de 71 à 174, tandis que le chiffre d’affaires est passé de 297 millions de
dollars à presque 1 milliard de dollars, et l’action de Lululemon a augmenté
d’environ 300 pour cent depuis l’introduction en bourse en 2007.
Dans une interview de Day publiée avec la vidéo, l’idée de la
vulnérabilité comme lieu de naissance de la créativité, de l’innovation et de
la confiance a suivi son cours – même quand il s’agit d’échec et de défaite.
Un des conseils de leadership de Day est de « trouver les artisans de
magie ». Comme elle a expliqué : « Assumer les responsabilités, prendre
des risques et avoir un esprit entrepreneurial sont des qualités que nous
recherchons chez nos employés. Nous voulons des gens qui apportent leur
propre magie. Les athlètes sont merveilleux dans notre culture, ils ont
l’habitude de gagner et aussi de perdre. Ils savent comment traiter avec la
défaite – et la corriger. » Day a également souligné l’importance de
permettre aux gens de faire des erreurs. « Notre règle d’or ? Si tu te
trompes, tu nettoies. »
Dans les entreprises, les écoles, les communautés religieuses – tout
système, même les familles – nous pouvons déduire beaucoup sur la façon
dont les gens s’engagent avec la vulnérabilité en observant à quelle
fréquence et avec quelle ouverture les gens disent :
• Je ne sais pas.

• J’ai besoin d’aide.


• J’aimerais l’essayer.

• C’est important pour


moi.
• Je ne suis pas d’accord – pouvons-nous en parler ?
• Ça n’a pas fonctionné, mais j’ai beaucoup appris.
• Oui, je l’ai
fait.
• Voici ce dont j’ai besoin.
• Voici comment je me sens.
• J’aimerais avoir une
rétroaction.
• Puis-je avoir votre opinion là-dessus ?
• Que puis-je faire de mieux la prochaine fois ?
• Pouvez-vous m’enseigner à le
faire ?
• J’ai joué un rôle dans cela.
• J’accepte la responsabilité pour cela.
• Je suis ici pour vous.

• Je veux aider.
• Passons à autre chose.
• Je suis
désolé.

• Cela veut dire beaucoup pour moi.


• Merci.

Pour les leaders, la vulnérabilité peut sembler et se ressentir comme un


inconfort. Dans son livre Tribes : We Need You to Lead Us, Seth Godin
écrit : « Le leadership est rare parce que peu de gens sont disposés à endurer
l’inconfort requis pour diriger. Cette rareté rend le leadership précieux…
C’est inconfortable de se tenir debout devant des étrangers. C’est
inconfortable de proposer une idée qui pourrait échouer. C’est inconfortable
de défier le statu quo. C’est inconfortable de résister à l’envie d’une
entente. Lorsque vous identifiez l’inconfort, vous avez trouvé l’endroit où il
faut un leader. Si vous n’êtes pas inconfortable dans votre travail de leader,
il est presque certain que vous n’atteigniez pas votre potentiel dans cette
fonction. »
En parcourant les données et en lisant mes notes des interviews avec des
leaders, je me suis demandé ce que les étudiants diraient aux enseignants et
ce que les enseignants diraient à leurs directeurs s’ils avaient la possibilité
de demander le leadership dont ils ont besoin. Je me suis demandé aussi ce
que la représentante du service à la clientèle dirait à son patron et ce qu’elle
pourrait demander de son patron. Que voulons-nous que les gens sachent à
notre sujet et de quoi avons-nous besoin de leur part ?
En commençant à répondre à ces questions, j’ai réalisé qu’elles
sonnaient comme un mandat, un manifeste. Voici ce qui a émergé de ces
questions :

LE MANIFESTE DU LEADERSHIP
POUR OSER AVEC AUDACE

Aux PDG et aux enseignants. Aux directeurs d’école et aux cadres.


Aux politiciens, leaders communautaires et décideurs.
Nous voulons nous présenter, nous voulons apprendre et nous voulons
inspirer.
Nous sommes programmés pour la connexion, la curiosité et
l’engagement.
Nous avons faim de finalité et nous avons un désir profond de créer et
de contribuer.
Nous voulons prendre des risques, embrasser nos vulnérabilités et être
courageux.
Quand l’apprentissage et le travail sont déshumanisés – quand vous
ne nous voyez plus et que vous n’encouragez plus notre audace, ou
quand vous ne voyez plus que ce que nous produisons ou notre
rendement – nous nous désengageons et nous nous détournons
précisément des choses dont le monde a besoin qui proviennent de
nous, de notre talent, de nos idées et de notre passion.
Nous demandons que vous vous engagiez avec nous, que vous vous
présentiez avec nous et que vous appreniez de nous.
La rétroaction est une fonction de respect ; quand vous n’avez pas de
conversation honnête avec nous au sujet de nos forces et de nos
possibilités de croissance, nous mettons en doute nos contributions et
votre engagement.
Par-dessus tout, nous demandons de vous présenter, de vous laisser
être vus et d’être courageux. Osez avec audace avec nous.

Vous trouverez une copie imprimée de ce manifeste sur mon site Web
brenebrown.com/resources/daring-greatly-leadership-manifesto/
Chapitre 7

Parentalité Sans réserve

oser être les adultes

que nous voulons

que soient nos enfants

Qui nous sommes et comment nous nous engageons avec le monde sont
des prédicteurs beaucoup plus forts de la façon dont nos enfants vont vivre
que de ce que nous savons à propos de la parentalité. En ce qui concerne
enseigner à nos enfants à oser avec audace dans la culture du « jamais
assez », la question n’est pas tant : « Êtes-vous parent de la bonne façon ? »
mais plutôt : « Êtes-vous l’adulte que vous aimeriez que votre enfant
devienne ? »

LA PARENTALITÉ DANS UNE CULTURE DU JAMAIS ASSEZ


La plupart d’entre nous aimerions un manuel de parentalité avec des
codes de couleur qui répondrait à toutes nos questions impossibles à
répondre, assorti de garanties et qui minimiserait notre vulnérabilité. Nous
voulons savoir que si nous suivons certaines règles ou que nous adhérons à
la méthode préconisée par un expert de la parentalité, nos enfants vont
dormir toute la nuit, être heureux et se faire des amis, atteindre la réussite
professionnelle et être en sécurité. L’incertitude de la parentalité peut
provoquer en nous des sentiments qui vont de la frustration à la terreur.
Notre besoin de certitude demeure une quête aussi incertaine qu’élever
des enfants peut rendre explicites les stratégies « comment être parent »
séduisantes et dangereuses. Je dis « dangereuses » parce que la certitude
engendre souvent des absolus, l’intolérance et le jugement. C’est pourquoi
les parents sont si critiques envers les autres – nous nous accrochons à une
méthode ou à une approche, et très rapidement notre manière devient la
manière. Lorsque nous obsédons sur nos choix de parentalité dans la
mesure où nous le faisons pour la plupart, et que nous voyons ensuite
quelqu’un faire des choix différents, nous percevons souvent cette
différence comme étant une critique directe de notre façon d’être parents.
Ironiquement, la parentalité est un champ miné de honte et de jugement,
précisément parce que pour la plupart, nous pataugeons dans l’incertitude et
le doute de soi quand il s’agit d’élever nos enfants. Après tout, nous nous
adonnons rarement au jugement moralisateur quand nous sommes confiants
de nos décisions. Je ne vais pas perdre pratiquement connaissance et vous
jeter un regard porteur de honte parce que vous employez du lait non
organique si je me sens bien avec ce que je donne à manger à mes enfants.
Mais si le doute s’immisce sous mes choix, cette critique moralisatrice
prendra vie dans des moments de parentalité peu subtils qui surviennent
parce que ma peur sous-jacente de ne pas être le parent parfait alimente
mon besoin de confirmer qu’au minimum, je suis meilleure que vous.
Enfouis profondément quelque part à l’intérieur, nos espoirs et nos
craintes pour nos enfants révèlent la vérité terrifiante qu’il n’existe pas de
parentalité parfaite et qu’il n’y a pas de garanties. Que l’on débatte sur le
rôle parental de l’attachement, ou à quel point les parents sont meilleurs en
Europe, ou encore que l’on dénigre les « mères tigres » et les parents
hélicoptères, les discussions enflammées qui occupent une grande partie de
la conversation nationale sur la parentalité nous distraient commodément de
cette vérité importante et difficile : qui nous sommes et comment nous nous
engageons avec le monde sont des prédicteurs beaucoup plus forts de la
façon dont nos enfants vont vivre que de ce que nous savons de la
parentalité.
Je ne suis pas une experte de la parentalité. En fait, je ne suis pas
certaine de même croire à l’idée « d’experts de la parentalité ». Je suis un
parent, engagé, imparfait et une chercheuse passionnée. Comme je l’ai
mentionné dans l’introduction, je suis une cartographe expérimentée et une
voyageuse trébuchante. Comme nombre d’entre vous, la parentalité est de
loin mon aventure la plus téméraire et la plus audacieuse.
Dès le tout début de ma recherche sur la honte, j’ai toujours recueilli des
données sur la parentalité et porté attention de près à la façon dont les
participants à la recherche parlaient de leurs propres parents et de leur rôle
de parent. La raison est simple : nos histoires de valeur – d’être assez –
commencent dans nos familles d’origine. Le récit ne s’arrête certainement
pas là, mais ce que nous apprenons sur nous-mêmes et sur la façon dont
nous apprenons enfants à nous engager avec le monde trace une voie qui
soit nous obligera à passer une grande partie de notre vie à lutter pour
réclamer notre valeur propre, soit nous donnera espoir, courage et résilience
pour notre voyage.
Il n’y a pas de doute que notre comportement, notre façon de penser et
nos émotions sont tous programmés à l’intérieur de nous et influencés par
notre environnement. Je ne m’aventurerais pas à deviner les pourcentages et
je suis convaincue que nous n’arriverons jamais à une répartition précise du
inné/acquis. Je n’ai toutefois aucun doute que lorsqu’il s’agit de notre
sentiment d’amour, d’appartenance et de valeur, nous sommes radicalement
façonnés par nos familles d’origine – ce que nous entendons, ce qu’on nous
dit et peut-être, le plus important, comment nous observons nos parents
s’engager avec le monde.
Comme parents, nous avons peut-être moins de contrôle que nous le
pensons sur le tempérament et la personnalité, et moins de contrôle que
nous le voulons sur la culture de l’insuffisance. Mais nous avons de
puissantes possibilités d’être parents dans d’autres domaines : comment
nous aidons nos enfants à comprendre, à mobiliser et à apprécier leur
programmation, et comment nous leur enseignons la résilience devant les
messages culturels sans relâche du « jamais assez ». En ce qui concerne
enseigner à nos enfants d’oser avec audace dans la culture du « jamais
assez », la question n’est pas tant : « Êtes-vous un parent adéquat ? » mais
plutôt : « Êtes-vous l’adulte que vous voulez que votre enfant devienne ? »
Comme l’écrit Joseph Chilton Pearce : « Ce que nous sommes enseigne
davantage à l’enfant que ce que nous disons, alors nous devons être ce que
nous voulons que notre enfant devienne. » Bien que la vulnérabilité d’être
parents soit terrifiante parfois, nous ne pouvons pas nous permettre
d’endosser une armure contre elle ou de la repousser – c’est notre terrain le
plus riche et le plus fertile pour enseigner et cultiver la connexion, le sens et
l’amour.
La vulnérabilité niche au centre de l’histoire familiale. Elle définit nos
moments de grande joie, de crainte, de tristesse, de honte, de déception,
d’amour, d’appartenance, de gratitude, de créativité et de merveille à
chaque jour. Que nous tenions nos enfants, ou que nous soyons à côté
d’eux, ou que nous les poursuivions, ou que nous leur parlions à travers leur
porte verrouillée, la vulnérabilité est ce qui façonne ce que nous sommes et
ce que sont nos enfants.
En repoussant la vulnérabilité, nous tournons la parentalité en une
compétition qui n’est que savoir, prouver, exécuter et mesurer plutôt
qu’être. Si nous mettons de côté la question de « Qui est meilleur ? » et que
nous laissons les critères des admissions à l’école, des notes, des sports, des
trophées et des réalisations, je crois que la vaste majorité d’entre nous
conviendra que ce que nous voulons pour nos enfants est ce que nous
voulons pour nous-mêmes – nous voulons élever des enfants qui vivent et
aiment de tout cœur.
Si le but est d’être Sans réserve, alors par-dessus tout nous devrions
tenter d’élever des enfants qui :
s’engagent avec le monde d’un endroit de valeur ;
embrassent leurs vulnérabilités et leurs imperfections ;
ressentent un profond sentiment d’amour et de compassion pour
eux-mêmes et pour les autres ;
valorisent le travail assidu, la persévérance et le respect ;
portent en eux une authenticité et une appartenance, plutôt que de
les chercher à l’extérieur ;
ont le courage d’être imparfaits, vulnérables et créateurs ;
ne craignent pas de se sentir honteux ou indignes d’amour s’ils
sont différents ou en difficulté ;
traversent notre monde en changement rapide avec courage et un
esprit résilient.
Pour les parents, nous sommes invités à :
reconnaître que nous ne pouvons donner à nos enfants ce que nous
n’avons pas et donc que nous devons les laisser partager notre
route pour grandir, changer et apprendre ;
reconnaître notre propre armure et être un modèle pour nos enfants
sur la façon de la retirer, d’être vulnérables, nous présenter et nous
laisser être vus et connus ;
honorer nos enfants en poursuivant notre propre chemin menant à
être Sans réserve ;
être parent d’un endroit « assez » plutôt que d’insuffisance ;
porter attention à l’écart et pratiquer les valeurs que nous voulons
enseigner ;
oser avec audace, possiblement plus que nous n’avons jamais osé
auparavant.
Autrement dit, si nous voulons que nos enfants aiment et acceptent qui
ils sont, notre tâche est d’aimer et d’accepter qui nous sommes. Nous ne
pouvons pas recourir à la peur, à la honte, au blâme et au jugement dans
notre propre vie si nous voulons élever des enfants courageux. La
compassion et la connexion – les choses mêmes qui donnent un but et un
sens à notre vie – ne peuvent être apprises que si on en fait l’expérience. Et
nos familles sont nos premières occasions d’expérimenter ces choses.
Dans ce chapitre, je veux communiquer ce que j’ai appris sur la valeur,
la résilience à la honte et la vulnérabilité, spécifiquement de ma recherche
sur la parentalité. Ce travail a profondément transformé ce que Steve et moi
pensons et ressentons à propos de la parentalité. Il a radicalement changé
nos priorités, notre mariage et nos comportements au jour le jour. Parce que
Steve est pédiatre, nous passons beaucoup de temps à discuter de la
recherche sur la parentalité et des divers modèles de parentalité. Mon but ici
n’est pas de vous enseigner à être parent, mais d’exprimer ce qui pourrait
être une nouvelle lentille par laquelle voir toute l’audace d’élever des
enfants Sans réserve.

► COMPRENDRE ET COMBATTRE LA HONTE

C’est un mythe nuisible de croire qu’une fois qu’on a des enfants, notre
voyage se termine et le leur commence. Pour nombre d’entre nous, les
périodes les plus intéressantes et productives de notre vie viennent après
l’arrivée des enfants. En majorité, les plus grands défis et problèmes
viennent aussi en milieu de vie et plus tard. La parentalité Sans réserve ne
consiste pas à avoir tout déterminé et à le transmettre – il s’agit d’apprendre
et d’explorer ensemble. Et croyez-moi, il y a des moments où mes enfants
ont une longueur d’avance sur moi dans le voyage, soit qu’ils m’attendent
ou qu’ils viennent me chercher pour me tirer vers l’avant.
Comme je l’ai mentionné dans l’introduction, si vous divisez
grossièrement les hommes et les femmes que j’ai interviewés en deux
groupes – ceux qui ont un sentiment profond d’amour et d’appartenance et
ceux qui luttent pour l’avoir – une seule variable sépare les groupes : ceux
qui se sentent aimables, qui aiment et qui vivent l’appartenance croient
simplement qu’ils sont dignes d’amour et d’appartenance. Je dis souvent
qu’être Sans réserve est comme l’étoile polaire : nous n’y arrivons jamais
réellement, mais nous savons certainement que nous sommes dans la bonne
direction. Élever des enfants qui croient en leur valeur propre requiert de
notre part d’être un modèle dans ce voyage et dans cette lutte.
Il faut savoir à propos de la valeur qu’elle n’a pas de préalables. Pour la
plupart, par ailleurs, nous avons une longue liste de préalables concernant la
valeur – des qualificatifs dont nous avons hérité, que nous avons appris et
acquis à notre insu tout au long du chemin. La plupart de ces préalables
appartiennent aux catégories des réalisations, des acquisitions et de
l’acceptation de l’extérieur. C’est le problème si/quand (« J’aurai de la
valeur quand… » ou « J’aurai de la valeur si… »). Ils ne sont peut-être pas
écrits et nous ne sommes peut-être même pas conscients des préalables,
mais nous avons tous une liste qui dit « J’aurai de la valeur… »
quand je perdrai du poids ;
si je suis accepté dans cette école ;
si mon épouse ne me trompe pas ;
si nous ne divorçons pas ;
si j’ai une promotion ;
quand je serai enceinte ;
quand il va me demander de sortir avec lui ;
quand nous achèterons une maison dans ce quartier ;
si personne ne se rend compte que je ne suis pas digne.
La honte aime les préalables. Notre liste de valeur si/quand se double
facilement à titre de liste de choses à faire des gremlins. Ne la laisse pas
oublier que sa mère croit qu’elle devrait perdre ce surplus de poids.
Rappelle-lui que son nouveau patron ne respecte que les gars qui ont un
MBA. Rappelle-lui si elle l’oublie que tous ses amis ont été nommés
partenaires l’an dernier.
Comme parents, nous aidons nos enfants à développer la résilience à la
honte et la valeur en demeurant aux aguets des préalables que nous leur
transmettons sciemment ou à notre insu. Leur envoyons-nous des messages
ouverts ou dissimulés à propos de ce qui les rend plus ou moins dignes
d’amour ? Ou mettons-nous l’accent sur des comportements qui doivent
changer en précisant clairement que leur valeur essentielle n’est pas en jeu ?
Je dis souvent aux parents que certains des messages dissimulés les plus
destructeurs que nous transmettons à nos enfants émanent des normes
masculines et féminines dont nous avons discuté au chapitre 3. Disons-nous
de façon ouverte ou dissimulée à nos filles qu’être minces, gentilles et
modestes sont des préalables de la valeur ? Enseignons-nous à nos filles à
respecter les garçons comme étant des êtres tendres et aimants ? Envoyons-
nous des messages à nos fils disant que nous nous attendons à ce qu’ils
soient émotionnellement stoïques, à mettre en premier le statut et l’argent,
et à être agressifs ? Enseignons-nous à nos fils à respecter les femmes et les
filles comme étant des personnes intelligentes et capables, et non des
objets ?
Le perfectionnisme est une autre source de préalables. Après douze ans à
étudier la valeur, je suis convaincue que le perfectionnisme est, en fait,
contagieux. Si nous nous efforçons d’être, de vivre et d’avoir l’air
absolument parfaits, aussi bien aligner nos enfants et leur faire endosser ces
petites camisoles de force de la perfection. Pour rappeler le chapitre 4, le
perfectionnisme ne consiste pas à leur enseigner à rechercher l’excellence
ou le meilleur d’eux-mêmes. Le perfectionnisme leur enseigne à valoriser
davantage ce que pensent les autres plutôt que ce qu’eux-mêmes pensent ou
comment ils se sentent. Il leur enseigne à performer, à plaire et à prouver.
Malheureusement, j’ai de nombreux exemples tirés de ma propre vie.
Par exemple, quand Ellen a eu son premier retard à l’école, elle s’est
immédiatement effondrée en larmes. Elle était si bouleversée d’avoir
enfreint les règles et d’avoir contrarié l’enseignante ou la directrice qu’elle
s’est écroulée. Nous lui répétions sans cesse que ce n’était pas un drame et
que tout le monde est en retard un jour ou l’autre, jusqu’à ce qu’elle se
sente mieux. Ce soir-là, nous avons célébré de survivre à notre premier
retard avec une petite « fête retard » après le repas. Elle a finalement
accepté que ce n’était pas une faute grave et que les autres ne la jugeaient
probablement pas d’être humaine.
Avancez de quatre jours jusqu’au dimanche matin. Nous sommes en
retard pour aller à l’église et je suis en larmes. « Pourquoi est-ce qu’on n’est
jamais capables de partir à temps ? Nous allons être en retard ! » Ellen m’a
regardée et a demandé sincèrement : « Papa et Charlie seront ici dans une
minute. Est-ce qu’on manque quelque chose d’important ? » Sans hésiter,
j’ai répondu : « Non ! Je déteste seulement d’arriver en retard et de me
faufiler dans l’allée. C’est l’office de 9 heures, pas de 9 h 05 ! » Elle a
semblé confuse une seconde, puis a dit avec le sourire : « Ce n’est pas un
drame. Tout le monde est en retard parfois. Rappelle-toi ? Je ferai une “fête
retard” pour toi lorsque nous rentrerons à la maison. »
Parfois, les préalables et le perfectionnisme sont transmis de façons très
subtiles. L’un des meilleurs conseils que j’ai reçu en matière de parentalité
m’est venu de l’auteure Toni Morrison. C’était en mai 2000 et Ellen allait
avoir un an. Mme Morrison était à Oprah pour parler de son livre The
Bluest Eye. Oprah a annoncé : « Toni dit une très belle chose au sujet des
messages que nous recevons à propos de qui nous sommes lorsqu’un enfant
entre dans une pièce pour la première fois », et elle a demandé à Mme
Morrison d’élaborer.
Mme Morrison a expliqué qu’il est intéressant d’observer ce qui se passe
quand un enfant entre dans une pièce. « Votre visage s’éclaire-t-il ? », a-t-
elle demandé. Puis elle a partagé ceci : « Quand mes enfants étaient petits et
entraient dans une pièce, je les regardais pour voir s’ils avaient attaché leurs
pantalons ou s’ils étaient peignés ou si leurs bas étaient remontés… Vous
pensez que votre affection et votre amour profond s’affichent parce que
vous prenez soin d’eux. Mais il n’en est rien. Quand ils vous voient, ils
voient le visage critique. Qu’est-ce qui ne va pas encore ? » Son conseil
était simple, mais changeait le paradigme pour moi. Elle a ajouté : « Laissez
votre visage montrer ce que contient votre cœur. Quand ils entrent dans une
pièce, mon visage dit que je suis contente de les voir. C’est aussi peu que
cela, voyez-vous ? »
Je pense littéralement chaque jour à ce conseil – c’est devenu une
pratique. Quand Ellen descend l’escalier en bondissant et habillée pour
l’école, je ne veux pas que mon premier commentaire soit : « Dégage tes
cheveux de ton visage » ou « Ces chaussures ne vont pas avec ta robe. » Je
veux que mon visage témoigne de la joie que j’ai à la voir – à être avec elle.
Quand Charlie entre par la porte arrière, qu’il est en sueur et sale après
avoir capturé des lézards, je veux lui sourire avant de dire : « Tu ne touches
à rien avant de t’avoir lavé le mains. » Si souvent nous pensons mériter des
points de parentalité en étant critiques, contrariés et exaspérés. Ces premiers
regards peuvent être des préalables ou des constructeurs de valeur. Je ne
veux pas critiquer quand mes enfants entrent dans la pièce, je veux
m’allumer !
Outre garder un œil vigilant sur les préalables et le perfectionnisme,
nous pouvons aider nos enfants à garder et à cultiver le sens de leur valeur
d’une autre manière qui est liée à ce qu’ils ont appris au sujet de la
différence entre la honte et la culpabilité. La recherche indique que la
parentalité est un prédicteur primaire de la façon dont nos enfants seront
portés vers la honte ou la culpabilité. En d’autres mots, nous avons
beaucoup d’influence sur ce qu’ils pensent d’eux-mêmes et de leurs
problèmes. Sachant que la honte est positivement corrélée avec la
dépendance, la dépression, l’agression, la violence, les troubles alimentaires
et le suicide, et que la culpabilité est inversement corrélée avec ces
résultats, naturellement nous aimerions élever des enfants dont le dialogue
intérieur est axé sur la culpabilité plutôt que sur la honte.
Cela veut dire que nous devons séparer nos enfants de leurs
comportements. Il s’avère qu’il y a une différence significative entre tu es
mauvais et tu as fait quelque chose de mal. Et, non, ce n’est pas que de la
sémantique. La honte corrode la partie de nous qui croit que nous pouvons
faire et être mieux. Lorsque nous faisons honte à nos enfants et que nous les
étiquetons, nous leur enlevons la possibilité de croître et d’essayer de
nouveaux comportements. Si une enfant dit un mensonge, elle peut changer
ce comportement. Si elle est une menteuse – où est le potentiel de
changement ?
Cultiver plus de dialogue intérieur sur la culpabilité et moins sur la honte
exige de repenser comment nous disciplinons nos enfants et leur parlons.
Mais cela veut aussi dire d’expliquer ces concepts à nos enfants. Les
enfants sont très réceptifs à parler de la honte si nous voulons le faire.
Quand ils ont quatre et cinq ans, nous pouvons leur expliquer la différence
entre culpabilité et honte, et à quel point nous les aimons, même quand ils
font de mauvais choix.
Quand Ellen était à la maternelle, son enseignante m’a téléphoné à la
maison un après-midi et m’a dit : « Je comprends tout à fait ce que vous
faites maintenant. »
Quand je lui ai demandé pourquoi, elle a répondu que plus tôt cette
semaine-là, elle avait regardé Ellen qui était dans le « Centre des paillettes »
et lui a dit : « Ellen, tu es un dégât ! » Apparemment, Ellen a eu un regard
très sérieux et a répliqué : « Je fais peut-être un dégât, mais je ne suis pas un
dégât. » (C’est ce jour-là que je suis devenue « ce parent ».)
Charlie comprend aussi la distinction entre honte et culpabilité. Quand
j’ai surpris notre chienne à sortir de la nourriture de la poubelle, je l’ai
grondée : « Mauvaise fille ! » Charlie est apparu au coin de la rue, en
criant : « Daisy est une bonne fille qui a fait un mauvais choix ! Nous
l’aimons ! C’est juste que nous n’aimons pas ses choix ! »
Quand j’ai tenté d’expliquer la différence : « Daisy est une chienne,
Charlie », il a répondu : « Oh je vois. Daisy est une bonne chienne qui a fait
un mauvais choix. »
La honte est si douloureuse pour les enfants parce qu’elle est étroitement
liée à la peur d’être indignes d’amour. Pour les jeunes enfants qui dépendent
encore de leurs parents pour leur survie – la nourriture, un abri et la
sécurité – se sentir indignes d’amour est une menace à la survie. C’est un
trauma. Je suis convaincue que la raison pour laquelle nous retournons à
nous sentir comme des enfants et petits quand nous sommes dans la honte
est que notre cerveau emmagasine nos premières expériences de honte
comme un trauma, et une fois déclenché, nous revenons à cet endroit. Nous
n’avons pas encore la recherche neurobiologique pour confirmer ceci, mais
j’ai codé des centaines d’interviews qui suivent ce même modèle :
« Je ne sais pas ce qui s’est passé. Mon patron m’a traité d’idiot devant
mon équipe et je ne pouvais pas répondre. Tout à coup, je suis de retour en
deuxième année avec Mme Porter et je suis muet. Je n’arrive pas à trouver
une réponse décente. »
Ou encore :
« Mon fils en était à sa deuxième prise et je ne voyais plus clair. J’ai
toujours dit que je ne ferais jamais ce que mon père m’a fait. Mais j’étais là,
à crier après lui devant ses coéquipiers. Je ne sais même pas comment c’est
arrivé. »
Au chapitre 3, nous avons appris que le cerveau traite le rejet social ou la
honte exactement de la même manière dont il traite la douleur physique. Je
soupçonne que nous aurons éventuellement les données pour confirmer mon
hypothèse au sujet des enfants qui conservent la honte comme un trauma,
mais entretemps, je peux affirmer sans hésitation que les expériences de
honte au cours de l’enfance changent qui nous sommes, comment nous
pensons à propos de nous-mêmes et notre sentiment de notre propre
valeur.
Nous pouvons travailler à ne pas utiliser la honte comme outil parental,
mais nos enfants vont quand même rencontrer la honte dans le monde
extérieur. La bonne nouvelle est que lorsque les enfants comprennent la
distinction entre honte et culpabilité, et lorsqu’ils savent que nous sommes
ouverts et intéressés à parler de ces sentiments et de ces expériences, ils
sont beaucoup plus susceptibles de nous parler des expériences de honte
qu’ils peuvent connaître avec les enseignants, les entraîneurs, le clergé, les
gardiennes d’enfants, les grands-parents et d’autres adultes qui ont de
l’influence sur leur vie. C’est essentiellement important parce que cela nous
donne l’occasion de « recadrer » la honte comme nous le faisons pour des
photographies.
J’utilise souvent un album comme métaphore pour parler de l’effet que
la honte a sur les enfants. Comme parents, une fois que nous connaissons la
honte, nous réalisons fort probablement que, oui, nous avons fait honte à
nos enfants. Cela arrive. Même à des chercheurs sur la honte. Étant donné
la gravité des résultats concernant la honte, nous allons aussi commencer à
nous inquiéter de ce que les moments de honte qui surviennent hors de la
maison définissent nos enfants, malgré nos précieux efforts dans la famille.
Et ces expériences surviendront – insultes, dénigrements et taquineries sont
monnaie courante dans notre culture de la cruauté. La bonne nouvelle,
cependant, est que nous avons beaucoup d’influence sur la quantité de
pouvoir qu’ont ces expériences dans la vie de nos enfants.
Pour la plupart, nous nous souvenons d’événements honteux de notre
enfance qui ont semblé nous définir. Mais il est plus que probable que nous
nous en souvenions parce que nous n’avons pas traité ces expériences avec
des parents qui étaient ouverts à parler de la honte et qui s’engageaient à
nous aider à cultiver une résilience à la honte. Je ne blâme pas mes parents
pour cela, pas plus que je ne juge ma grand-mère de m’avoir laissé
m’asseoir à côté d’elle sur le siège avant pendant qu’elle conduisait. Ils
n’avaient pas accès à l’information que nous avons aujourd’hui.
Sachant ce que je sais, je pense à la honte et à la valeur de la façon
suivante : « Il s’agit de l’album, pas de l’image. » Si vous imaginez ouvrir
un album photos et que bien des pages sont remplies de grandes photos
d’événements honteux, vous le fermerez et vous vous éloignerez en
pensant : La honte définit cette histoire. Si, par ailleurs, vous ouvrez cet
album et que vous voyez quelques petites photos d’expériences honteuses,
mais que chacune est entourée d’images de valeur, d’espoir, de lutte, de
résilience, de courage, d’échec, de succès et de vulnérabilité, les
expériences de honte ne sont qu’une partie d’une plus grande histoire. Elles
ne définissent pas l’album.
Une fois de plus, nous ne pouvons pas munir nos enfants d’un anti-
honte. Notre tâche consiste plutôt à enseigner et à être un modèle de
résilience à la honte, et ça commence par des conversations au sujet de ce
qu’est la honte et comment elle se manifeste dans nos vies. Les adultes que
j’ai interviewés qui ont été élevés par des parents utilisant la honte comme
premier outil de parentalité avaient beaucoup plus de difficulté à croire en
leur valeur que les participants qui expérimentaient la honte
occasionnellement et qui étaient capables d’en parler avec leurs parents.
Si vos enfants sont grands et que vous vous demandez s’il est trop tard
pour leur enseigner la résilience à la honte ou pour changer l’album, la
réponse est non. Il n’est pas trop tard. Le pouvoir de posséder nos histoires,
même les difficiles, est que nous pouvons en écrire la fin. Il y a plusieurs
années, j’ai reçu une lettre d’une femme qui a écrit ceci :

Votre travail a changé ma vie de façon très étrange. Ma mère vous a vue
parler dans une église d’Amarillo. Puis, elle m’a écrit une longue lettre
qui disait : « Je n’avais aucune idée qu’il y avait une différence entre la
honte et la culpabilité. Je crois que je t’ai fait honte toute ta vie. Je
voulais parler de culpabilité. Je n’ai jamais pensé que tu n’étais pas
assez bonne. Je n’aimais pas tes choix. Mais je t’ai infligé la honte. Je
ne peux pas le retirer, mais j’ai besoin que tu saches que tu es la
meilleure chose qui me soit arrivée et que je suis fière d’être ta mère. »
Je ne pouvais y croire. Ma mère a 75 ans et j’en ai 55. Cela m’a
tellement guérie. Et a tout changé, dont ma façon d’être parent de mes
propres enfants.
En plus d’aider nos enfants à comprendre la honte et d’utiliser le
dialogue intérieur de la culpabilité plutôt que celui de la honte, nous devons
être très prudents quant aux fuites de honte. Même si nous ne faisons pas
honte à nos enfants, la honte se manifestera dans nos vies de manières qui
peuvent affecter fortement notre famille. Fondamentalement, nous ne
pouvons pas élever des enfants qui sont plus résilients à la honte que nous.
Je peux encourager Ellen à aimer son corps, mais ce qui compte vraiment
sont les observations qu’elle fait sur ma relation avec mon propre corps.
Maudit. Je peux calmer les préoccupations de Charlie quant à la mauvaise
direction qu’il pourrait prendre en courant autour des buts en lui disant qu’il
n’a pas besoin de comprendre tous les tenants et aboutissants du T-ball
avant sa première partie, mais est-ce qu’il nous observe, Steve et moi,
essayer de nouvelles choses, faire des erreurs et échouer sans devenir
autocritiques ? Maudit. Encore.
Enfin, la normalisation est un des outils de résilience à la honte les plus
puissants que nous puissions offrir à nos enfants. Comme je l’ai expliqué au
chapitre précédent, la normalisation signifie aider nos enfants à savoir qu’ils
ne sont pas seuls et que nous avons vécu nombre de ces luttes. Cela
s’applique aux situations sociales, aux changements corporels, aux
expériences de honte, au sentiment d’être exclu et à vouloir être brave mais
de se sentir craintif. Quelque chose de sacré survient entre un parent et un
enfant lorsque le parent dit : « Moi aussi » ou qu’il confie une histoire
personnelle en lien avec le combat de son enfant.

► ATTENTION À L’ÉCART : SOUTENIR NOS ENFANTS


SIGNIFIE NOUS SOUTENIR L’UN L’AUTRE

Je crois qu’il est important à ce moment-ci de prendre une pause et de


reconnaître la nature porteuse de honte des débats sur les « valeurs » de la
parentalité. Quand vous écoutez des conversations ou que vous lisez des
livres et des blogs sur des sujets controversés et/ou divisés de parentalité,
par exemple comment et où les femmes accouchent, la circoncision, la
vaccination, le cododo, l’alimentation, etc., ce que vous entendez, c’est la
honte et ce que vous voyez, c’est la douleur. Une profonde douleur. Vous
voyez des gens – surtout des mères – s’adonner à exactement les mêmes
comportements que j’ai déjà définis comme étant porteurs de honte :
insultes, dénigrement et intimidation.
Voici ce que j’en suis venue à croire au sujet de ces comportements :
vous ne pouvez pas prétendre vous soucier du bien-être de vos enfants
si vous faites honte à d’autres parents pour les choix qu’ils font. Ce sont
des comportements mutuellement exclusifs et ils créent un énorme écart des
valeurs. Oui, la plupart d’entre nous (moi y compris) avons des opinions
fermes sur chacun de ces sujets, mais si nous nous soucions réellement du
bien-être général des enfants, notre tâche est de faire des choix conciliés
avec nos valeurs et de soutenir d’autres parents qui en font autant. Notre
tâche est aussi d’entretenir notre propre valeur. Lorsque nous sommes
satisfaits des choix que nous faisons et que nous nous engageons avec le
monde d’un endroit de valeur plutôt que d’insuffisance, nous ne ressentons
pas le besoin de juger et d’attaquer.
Il est facile d’ajouter un épouvantail à cet argument et de dire : « Alors
nous sommes censés ignorer les parents qui abusent de leurs enfants ? »
Fait : que quelqu’un fasse des choix différents de nous ne constitue pas en
soi de l’abus. S’il y a un abus réel, de grâce, appelez la police. Sinon, nous
ne devrions pas nommer cela abus. Comme travailleuse sociale qui a
travaillé un an aux services de protection de la jeunesse, j’ai peu de
tolérance pour les débats qui régulièrement se servent des mots abus ou
négligence pour apeurer ou diminuer les parents qui font simplement des
choses que nous jugeons incorrectes, différentes ou mauvaises.
En fait, j’ai démissionné de la dichotomie de la parentalité bonne-
mauvaise parce que, lors d’une journée donnée, vous pourriez me classer
dans les bons parents et les mauvais parents selon votre perspective et
comment vont les choses pour moi. Je ne vois pas quelle valeur ce cadre de
jugement ajoute à nos vies ou à la conversation plus large sur la parentalité.
En fait, c’est une tempête de honte imminente. Pour moi, la question des
valeurs de la parentalité concerne l’engagement. Portons-nous attention ?
Réfléchissons-nous bien à nos choix ? Sommes-nous ouverts à apprendre et
à avoir tort ? Sommes-nous curieux et prêts à poser des questions ?
J’ai appris de mon travail qu’il y a un million de façons dans le monde
d’être un parent merveilleux, engagé, et que certains vont trébucher sur ce
que je pense qu’est la parentalité. Par exemple, Steve et moi sommes très
stricts au sujet de ce que nous laissons les enfants regarder à la télé – surtout
quand il s’agit de violence. Nous y pensons, nous en parlons et prenons les
meilleures décisions possibles. Par ailleurs, nous avons des amis qui
laissent leurs enfants regarder des films et des émissions que nous ne
permettons pas à Ellen et Charlie de regarder. Mais vous savez quoi ? Eux
aussi y pensent, en parlent et prennent les meilleures décisions possibles. Ils
ont simplement tiré des conclusions différentes des nôtres, et je respecte
cela.
Nous nous sommes récemment trouvés du côté inverse de cette question
quand de bons amis nous ont exprimé leur surprise parce que nous laissions
Ellen lire The Hunger Games. De nouveau, ces parents étaient aussi
engagés dans cette question et la conversation que nous avions manifestait
un respect mutuel et de l’empathie. Porter attention à l’écart peut être
particulièrement difficile quand honorer la différence est une de nos valeurs
souhaitables. Je crois que la clé est de nous rappeler que lorsque d’autres
parents font des choix différents des nôtres, ce n’est pas nécessairement une
critique. Oser avec audace signifie trouver notre propre voie et respecter ce
que représente cette recherche pour d’autres personnes.

► ATTENTION À L’ÉCART ET L’APPARTENANCE

La valeur s’articule sur l’amour et l’appartenance, et l’une des


meilleures manières de montrer à nos enfants que notre amour pour eux est
inconditionnel est de nous assurer qu’ils savent qu’ils appartiennent à nos
familles. Je sais que ça semble étrange, mais c’est une question très
puissante et parfois déchirante pour les enfants. À la page 141, j’ai défini
l’appartenance comme étant le désir humain inné de faire partie de quelque
chose de plus grand que soi. L’une des plus grandes surprises de cette
recherche a été d’apprendre que convenir et appartenir ne sont pas la même
chose. Convenir suppose d’évaluer une situation et devenir qui vous devez
être afin d’être accepté. Appartenir, d’autre part, ne nécessite pas que nous
changions qui nous sommes, mais demande que nous soyons qui nous
sommes.
Quand j’ai demandé à un large groupe d’élèves de huitième année de se
diviser en petits groupes et de trouver les différences entre convenir et
appartenir, leurs réponses m’ont abasourdie :
Appartenir, c’est être quelque part où vous voulez être et où on
vous veut. Convenir, c’est être quelque part où vous voulez
vraiment être, mais où l’on est indifférent à ce que vous soyez là
ou pas.
Appartenir, c’est être accepté pour vous. Convenir, c’est être
accepté parce que vous êtes comme tout le monde.
J’ai le droit d’être moi si j’appartiens. Je dois être comme toi pour
convenir.
Ils ont saisi les définitions. Peu importe l’endroit du pays où je pose cette
question, ou le type d’école que je visite, les élèves d’écoles intermédiaires
et secondaires comprennent comment cela fonctionne.
Ils parlent aussi ouvertement de la peine de ne pas avoir un sentiment
d’appartenance à la maison. La première fois que j’ai demandé aux élèves
de huitième année de trouver les définitions, une élève a écrit : « Ne pas
appartenir à l’école est vraiment difficile. Mais ce n’est rien comparé au
sentiment de ne pas appartenir à la maison. » Quand j’ai demandé aux
élèves ce que cela voulait dire, ils m’ont servi ces exemples :
Ne pas répondre aux attentes des parents.
Ne pas être aussi cool ou populaire que ce que veulent les parents
pour vous.
Ne pas être aussi brillant que vos parents.
Ne pas être bon dans les mêmes choses où vos parents étaient
bons.
Vos parents sont embarrassés parce que vous n’avez pas
suffisamment d’amis ou que vous n’êtes pas un athlète ou une
meneuse de claque.
Vos parents n’aiment pas qui vous êtes et ce que vous aimez faire.
Quand vos parents ne portent pas attention à votre vie.
Si nous voulons cultiver la valeur chez nos enfants, nous devons nous
assurer qu’ils savent qu’ils appartiennent et que leur appartenance est
inconditionnelle. Ce qui rend la chose si difficile est que, pour la plupart,
nous nous débattons pour ressentir un sentiment d’appartenance – pour
savoir que nous faisons partie de quelque chose, non pas malgré nos
vulnérabilités, mais à cause d’elles. Nous ne pouvons pas donner ce que
nous n’avons pas à nos enfants, ce qui veut dire que nous devons travailler à
cultiver un sentiment d’appartenance de concert avec nos enfants. Voici un
exemple d’une façon de grandir ensemble et de ce que nos enfants sont
capables d’une grande empathie. (Rien n’inspire un profond sentiment
d’appartenance comme de l’empathie partagée !)
Quand Ellen était en quatrième année, elle est revenue de l’école un jour
et a éclaté en sanglots dès que j’ai fermé la porte, puis elle a couru à sa
chambre. Je l’ai suivie immédiatement et je me suis mise à genoux devant
elle et lui ai demandé ce qui n’allait pas. À travers ses reniflements, elle a
dit : « Je suis tellement tannée d’être l’autre ! J’en ai marre ! »
Je ne comprenais pas, alors je lui ai demandé d’expliquer ce qu’elle
entendait par « l’autre ».
« Nous jouons au soccer chaque jour à la récréation. Deux élèves
populaires sont les capitaines et choisissent les équipes. Le premier
capitaine commence : “Je vais prendre Suzie, John, Pete, Robin et Jake.” Le
deuxième capitaine continue : “Je vais prendre Andrew, Steve, Katie et Sue,
et on peut se partager les autres.” Chaque jour, je suis une des autres. Je ne
suis jamais nommée. »
J’avais le cœur serré. Elle était assise sur le côté du lit, la tête entre ses
mains. J’étais si inquiète en la suivant dans sa chambre que je n’avais même
pas allumé la lumière. J’avais peine à supporter la vulnérabilité de la voir
pleurer dans la pénombre, alors je suis allée au commutateur. Ce fut une
intervention divine – le geste de faire de la lumière pour atténuer mon
malaise m’a rappelé une de mes citations favorites sur l’obscurité et la
compassion de Pema Chödrön qui a écrit : « La compassion n’est pas une
relation entre le guérisseur et le blessé. C’est une relation entre égaux. C’est
seulement quand nous connaissons bien notre propre noirceur que nous
pouvons être présents à la noirceur des autres. La compassion devient réelle
quand nous reconnaissons notre humanité partagée. »
J’ai lâché le commutateur et je suis revenue m’asseoir avec Ellen dans la
pénombre littérale et émotionnelle. J’ai enlacé son épaule et j’ai avoué :
« Je sais ce que c’est d’être l’autre. »
Elle s’est essuyé le nez du revers de la main et a dit : « Non, tu ne sais
pas. Tu es vraiment populaire. »
J’ai expliqué que je sais vraiment comment on se sent. Je lui ai dit :
« Quand je me sens comme l’autre, je suis en colère et blessée, et surtout je
me sens petite et seule. Je n’ai pas besoin d’être populaire, mais je veux que
les gens me reconnaissent et me traitent comme si j’importe. Comme si
j’appartiens. »
Elle n’en croyait pas ses oreilles. « Tu sais ! C’est exactement comment
je me sens ! »
Nous nous sommes enlacées sur son lit, et elle m’a raconté ses
expériences de récréation, et je lui ai parlé de certaines de mes expériences
d’école quand l’altérité est à la fois puissante et douloureuse.
Deux semaines plus tard, nous étions toutes deux à la maison quand le
courrier est arrivé. J’ai couru à la porte avec une grande hâte. Je devais
parler lors d’un événement rempli de vedettes et je mourais d’envie de voir
l’affiche publicitaire. Cela semble bizarre maintenant, mais j’étais tellement
excitée de voir ma photo à côté de celles de vedettes de cinéma. Je me suis
assise sur le canapé avec l’affiche, je l’ai déroulée et j’ai commencé à la
scruter comme une folle. Pendant que je le faisais, Ellen est entrée et a dit :
« Cool ! Est-ce ton affiche ? Fais-moi voir. »
En marchant vers moi, elle a bien vu que mon humeur avait changé de
l’anticipation au désappointement. « Qu’est-ce qui ne va pas, maman ? »
J’ai tapoté le canapé et elle s’est assise à côté de moi. J’ai tenu l’affiche
ouverte et elle a contourné les photos du doigt. « Je ne te vois pas. Où es-
tu ? »
J’ai indiqué une ligne sous les photos des célébrités qui citait : « Et
autres ».
Ellen s’est appuyée sur les coussins du canapé, a mis sa tête sur mon
épaule et a dit : « Oh, maman, je crois que tu es les autres. Je suis désolée. »
Je n’ai pas répondu tout de suite. Je me sentais petite à la fois parce qu’il
n’y avait pas de photo et parce que ça me dérangeait qu’il n’y en ait pas.
Ellen s’est penchée, m’a regardée et a ajouté : « Je sais comment on se sent.
Quand je suis l’autre, je me sens blessée, et petite et seule. Nous voulons
tous compter et appartenir. »
Ce fut finalement l’un des meilleurs moments de ma vie. Nous n’avons
peut-être pas toujours un sentiment d’appartenance dans la cour de
récréation ou à de grands congrès luxueux, mais à ce moment-là, nous
savions que nous appartenions là où ça compte le plus – à la maison. La
perfection parentale n’est pas l’objectif. En fait, les plus beaux cadeaux –
les plus grands moments d’enseignement – surviennent dans ces moments
imparfaits lorsque nous laissons les enfants nous aider à porter attention à
l’écart.
Voici l’histoire riche de Susan, que j’ai interviewée il y a quelques
années à propos de cultiver la résilience à la honte et de porter attention à
l’écart. Susan était occupée à parler à un groupe de mères à l’école de ses
enfants qui, eux, étaient tout près et attendaient qu’elle les ramène à la
maison. Les mères discutaient à savoir qui allait être l’hôte d’une réception
pour les nouveaux élèves de maternelle. Elles détestaient toutes l’idée de le
faire, mais la femme qui s’était portée volontaire pour donner la fête avait
une « maison malpropre ». Après avoir parlé de cette femme et de sa
maison pendant quelques minutes, elles ont convenu que la laisser accueillir
la réception donnerait une mauvaise image d’elles et de l’Association
Parent-enseignant.
Au terme de leur discussion, Susan a fait monter ses enfants (une fille à
la maternelle et deux fils : un en première année et l’autre en troisième) et a
démarré la voiture. Son fils de première année a lancé au hasard, de la
banquette arrière : « Je crois que tu es une mère fantastique. » Susan a
souri : « Eh bien, merci. » Après quelques minutes et être entrés dans la
maison, le même enfant est venu la voir avec de grosses larmes dans les
yeux. Il a regardé Susan et a demandé : « Est-ce que tu te sens mal à propos
de toi ? Es-tu correcte ? »
Susan a confié avoir été complètement surprise. Elle s’est agenouillée et
a répondu : « Ça va. Pourquoi ? Qu’est-ce qui ne va pas ? »
Son fils a repris : « Tu dis toujours que quand des gens se rassemblent et
qu’ils racontent du mal de quelqu’un juste parce qu’il est différent, ça veut
dire qu’ils se sentent mal à propos d’eux-mêmes. Tu as dit aussi que quand
nous nous sentons bien à propos de qui nous sommes, nous ne disons pas du
mal des autres. »
Susan a immédiatement reconnu la vague chaude de la honte. Elle savait
que son fils avait entendu la conversation à l’école.
C’est le moment. Le moment d’être un parent Sans réserve. Pouvons-
nous tolérer la vulnérabilité assez longtemps pour y rester une minute ? Ou
devons-nous nous décharger de la honte et du malaise en détournant notre
enfant ou en le blâmant d’avoir “dépassé la limite” ? Pouvons-nous profiter
de cette occasion pour reconnaître qu’il pratique merveilleusement bien
l’empathie ? Pouvons-nous faire des erreurs puis faire amende honorable ?
Si nous voulons que nos enfants possèdent et soient honnêtes à propos de
leurs expériences, pouvons-nous posséder les nôtres ?
Susan a regardé son fils et lui a dit : « Merci beaucoup de t’inquiéter et
de me demander comment je vais. Je vais bien, mais je crois que j’ai fait
une erreur. J’ai besoin d’un peu de temps pour réfléchir à tout ça. Tu as
raison sur un point – je disais des choses blessantes. »
Après s’être ressaisie, Susan s’est assise avec son fils et ils ont parlé. Ils
ont discuté d’à quel point il est facile de se laisser entraîner dans une
situation de groupe où tout le monde parle de quelqu’un. Susan a été
honnête et a admis qu’elle a de la difficulté parfois avec « ce que les gens
pensent ». Son fils s’est appuyé contre elle et a murmuré : « Moi aussi ». Ils
se sont promis de continuer à se parler de leurs expériences.
L’engagement comporte d’investir temps et énergie. Cela signifie
s’asseoir avec nos enfants et comprendre leurs univers, leurs intérêts et
leurs histoires. On peut trouver des parents engagés des deux côtés des
débats controversés sur la parentalité. Ils viennent de différentes valeurs,
traditions et cultures. Mais ils ont en commun la pratique des valeurs. Ils
semblent partager une philosophie de « Je ne suis pas parfait et je n’ai pas
toujours raison, mais je suis ici, ouvert, portant attention, vous aimant, et
pleinement engagé. »
Il ne fait aucun doute que l’engagement exige un sacrifice, mais c’est ce
que nous avons accepté lorsque nous avons décidé de devenir des parents.
En majorité, nous avons tant de demandes multiples de notre temps qu’il est
facile de penser : je ne peux pas sacrifier trois heures pour m’asseoir avec
mon fils et vérifier sa page Facebook ou avec ma fille tandis qu’elle
m’explique en détail le scandale de l’exposition des sciences de quatrième
année. J’ai les mêmes difficultés. Mais Jimmy Grace, un prêtre de notre
église épiscopalienne, a donné un sermon récemment sur la nature du
sacrifice qui a totalement changé ma façon de penser à propos de la
parentalité. Il a expliqué que dans sa forme latine originale, sacrifice
signifie rendre sacré ou rendre saint. Je crois Sans réserve que lorsque nous
sommes pleinement engagés à être parents, peu importe que nous y soyons
imparfaits, vulnérables et gauches, nous créons quelque chose de sacré.

► LE COURAGE D’ÊTRE VULNÉRABLE

Avant d’écrire cette section, j’ai étalé mes données à la grandeur de ma


table de salle à manger et je me suis posé cette question : Qu’est-ce que les
parents expérimentent comme étant la chose la plus vulnérable et la plus
brave dans le cadre de leurs tentatives d’élever des enfants Sans réserve ?
Je croyais qu’il faudrait des jours pour trouver, mais en regardant mes notes
sur le terrain, la réponse était évidente : laisser leurs enfants combattre et
connaître l’adversité.
Quand je voyage partout au pays, il semble y avoir une préoccupation
croissante chez les parents et les enseignants à l’effet que les enfants
n’apprennent pas à gérer l’adversité ou le désappointement parce que nous
les secourons et les protégeons sans cesse. Ce qui est intéressant est que,
plus souvent qu’autrement, j’entends cette préoccupation des mêmes
parents qui chroniquement interviennent, secourent et protègent. Ce n’est
pas que nos enfants ne peuvent tolérer la vulnérabilité de gérer leurs propres
situations, c’est que nous ne pouvons endurer l’incertitude, le risque et
l’exposition émotionnelle, même quand nous savons que c’est la bonne
chose à faire.
J’avais de la difficulté à lâcher prise et à laisser mes enfants trouver leur
propre façon, mais j’ai appris quelque chose dans la recherche qui a
radicalement changé ma perspective, et je ne vois plus le fait de secourir et
d’intervenir comme étant utile, mais dangereux. Ne vous y trompez pas – je
lutte encore et je m’implique quand je ne devrais pas, mais j’y pense
désormais à deux fois avant de laisser mon malaise dicter ma conduite.
Voici pourquoi : L’espoir est une fonction de la lutte. Si nous voulons que
nos enfants développent des niveaux élevés d’espoir, nous devons les
laisser lutter. Et laissez-moi vous dire que, après l’amour et l’appartenance,
je ne crois pas vouloir davantage pour mes enfants qu’un profond sentiment
d’espoir.
L’expérience de l’adversité, de la ténacité et du cran a émergé dans ma
recherche comme une importante qualité Sans réserve. J’étais très
reconnaissante de la voir parce que c’était une des rares qualités Sans
réserve que j’avais à l’époque (rappelez-vous l’introduction – j’avais deux
sur dix). Quand j’ai consulté la littérature pour chercher un concept
réunissant tous ces éléments, j’ai trouvé la recherche de C.R. Snyder sur
l’espoir. J’étais stupéfaite. Premièrement, je croyais que l’espoir était une
émotion douce, floue – un sentiment de possibilité. Deuxièmement, je
cherchais quelque chose que je croyais être brouillon et je l’ai surnommé
« Plan B » – les gens pouvaient recourir au Plan B si le Plan A tombait.
Il s’avère que j’avais tort au sujet de l’espoir et que j’avais raison à
propos de brouillon et du Plan B. Selon Snyder, qui a consacré sa carrière à
étudier ce sujet, l’espoir n’est pas une émotion, c’est une façon de penser ou
un processus cognitif. Les émotions jouent un rôle de soutien, mais l’espoir
est réellement un processus de pensée composé de ce que Snyder appelle
une trilogie de buts, de chemins et d’actions. Très simplement, l’espoir
survient quand :
Nous avons la capacité d’établir des buts réalistes. (Je sais où je
veux aller.)
Nous sommes capables de déterminer comment atteindre ces buts,
notamment la capacité de demeurer souples et de développer des
voies de rechange. (Je sais comment m’y rendre, je suis tenace et
je peux supporter la déception et essayer de nouveau.)
Nous croyons en nous. (Je peux le faire !)
Donc, l’espoir combine établir des buts, avoir la ténacité et la
persévérance de les poursuivre et croire en nos propres capacités. L’espoir
est le Plan B.
Et voici la partie qui m’a inspirée à tenir compte de ma propre
vulnérabilité afin que je puisse prendre du recul et laisser mes enfants
comprendre certaines choses par eux-mêmes. L’espoir s’apprend ! Selon
Snyder, les enfants apprennent le plus souvent l’espoir de leurs parents.
Pour apprendre l’espoir, les enfants ont besoin de relations caractérisées par
des limites, de la cohérence et du soutien. Les enfants ayant des niveaux
élevés d’espoir ont l’expérience de l’adversité. Ils ont eu l’occasion de
combattre et, ce faisant, ils apprennent à croire en eux.
Élever des enfants qui ont de l’espoir et le courage d’être vulnérables
signifie prendre du recul et les laisser faire l’expérience du
désappointement, se mesurer au conflit, apprendre comment s’affirmer et
avoir la possibilité d’échouer. Si nous suivons toujours nos enfants dans
l’arène, que nous faisons taire les critiques et que nous assurons leur
victoire, ils n’apprendront jamais qu’ils ont la capacité d’oser avec
audace par eux-mêmes.
Une de mes meilleures leçons à ce sujet me vient d’une expérience que
j’ai eue avec Ellen. Tout a commencé quand j’étais encore dans ma voiture,
loin d’elle, dixième dans la file d’attente de parents pour ramener nos
enfants faisant partie de l’équipe de natation. Il faisait presque noir, alors je
pouvais seulement distinguer sa silhouette, mais ça suffisait : je voyais que
quelque chose n’allait pas à la façon dont elle se tenait. Elle s’est jetée sur
le siège à côté de moi et avant même que je lui demande comment fut sa
pratique, elle était en larmes.
« Que s’est-il passé ? Qu’est-ce qu’il y a ? Es-tu correcte ? »
Elle regardait par la fenêtre, a respiré profondément en essuyant ses
larmes avec la manche de son chandail et a dit : « Il faut que je nage le 100
mètres brasse à la rencontre de samedi. »
Je savais que c’était une chose terrible dans son monde, alors j’ai tenté
de ne pas paraître soulagée – ce que j’étais parce que, d’une manière
insensée mais normale pour moi, je croyais déjà qu’il s’était produit
quelque chose d’horrible.
« Tu ne comprends pas. Je ne nage pas la brasse. Je suis terrible. Tu ne
comprends pas. Je l’ai supplié de ne pas m’inscrire à cette course. »
Je m’apprêtais à répondre quelque chose d’empathique et
d’encourageant en entrant dans l’allée, mais c’est alors qu’elle m’a regardée
dans les yeux, qu’elle a mis sa main sur la mienne et a dit : « S’il te plaît,
maman, aide-moi. Je vais encore être en train de nager quand les autres
filles vont sortir de l’eau et que les prochaines vont s’installer sur les blocs
de départ. Je suis vraiment lente à ce point. »
Je ne pouvais pas avaler ni penser clairement. Soudainement, j’ai dix ans
et je suis sur les blocs, m’apprêtant à nager pour les Memorial Northwest
Marlins. Mon père donne le départ et il me lance un regard gagne-ou-
meurs. Je suis dans le couloir le plus près du mur, le couloir lent. Ça va être
désastreux. Un peu plus tôt, assise sur un banc à contempler de concourir
pour la bicyclette au siège banane appuyée sur la clôture près des
plongeons, j’ai entendu le coach dire : « Laissons-la nager dans le groupe
au-dessus. Je ne crois pas qu’elle puisse finir la course, mais ce sera
intéressant. »
« Maman ? Maman ? ? Maman ! ! ! M’écoutes-tu ? Vas-tu m’aider ?
Vas-tu parler au coach et voir s’il va me placer dans une autre course ? »
La vulnérabilité semblait intolérable et je voulais crier : « Oui ! Tu n’as
pas à faire toute course que tu ne veux pas nager. JAMAIS ! » Mais je ne
l’ai pas fait. Le calme était une de mes nouvelles pratiques Sans réserve
alors j’ai respiré à fond, compté jusqu’à cinq et dit : « Laisse-moi parler à
ton père. »
Une fois les enfants au lit, Steve et moi avons débattu de la question
pendant une heure et avons finalement convenu qu’elle devait en discuter
avec son coach. S’il voulait qu’elle nage cette course, elle devait le faire.
Aussi juste qu’ait semblé la décision, j’en ai détesté chaque minute et j’ai
tout essayé, d’une querelle avec Steve à blâmer le coach, à me défouler de
ma peur et décharger ma vulnérabilité.
Ellen était contrariée quand on lui a dit ceci, et encore plus quand elle est
revenue de sa pratique et qu’elle nous a raconté que son coach trouvait
important pour elle d’obtenir un temps homologué pour la course. Elle a
replié ses bras sur la table, a baissé la tête et a pleuré. À un moment donné,
elle a relevé la tête en ajoutant : « Je pourrais seulement empêcher
l’événement, bien des gens manquent leurs séries. » En partie, je me suis dit
Parfait ! Mais ensuite, elle a dit : « Je ne gagnerai pas. Je ne suis même pas
assez bonne pour être deuxième ou troisième. Tout le monde va regarder. »
C’était l’occasion de déplacer les leviers — de redéfinir ce qui est
important pour elle. De donner à la culture familiale plus d’influence que la
rencontre de natation, ses amis et la culture sportive ultra-compétitrice qui
est omniprésente dans notre communauté. Je l’ai regardée et j’ai dit : « Tu
peux empêcher cet événement. J’envisagerais, moi aussi, probablement
cette option. Mais, et si ton but pour cette course n’était pas de gagner ni
même de sortir de l’eau en même temps que les autres ? Si ton but était de
te présenter et de te mouiller ? »
Elle m’a regardée comme si j’étais folle. « Seulement me présenter et
entrer dans l’eau ? »
J’ai expliqué que j’ai passé bien des années à ne jamais essayer quoi que
ce soit que je ne faisais pas déjà bien, et comment ces choix m’ont presque
fait oublier ce qu’on ressent à être brave. J’ai poursuivi : « Parfois, la chose
la plus brave et la plus importante que tu puisses faire est simplement de te
présenter. »
Steve et moi nous sommes assurés de ne pas être avec elle quand sa
course a été annoncée. Quand ce fut l’heure pour les filles de monter sur les
blocs de départ, je n’étais pas certaine qu’elle y serait, mais elle y était.
Nous nous tenions au bout de son couloir et retenions notre souffle. Elle
nous a regardés, a hoché la tête et ajusté ses lunettes de natation.
Elle a été la dernière à sortir de l’eau. Les autres nageuses avaient déjà
quitté la plateforme et il y avait des filles sur les blocs, en attente de la
prochaine épreuve. Steve et moi avons crié et l’avons encouragée tout le
long. Quand elle est sortie de la piscine, elle est allée voir son coach, qui l’a
enlacée, puis il lui a montré quelque chose sur son style. Quand elle s’est
finalement rendue à nous, elle souriait et essuyait une petite larme. Elle a
regardé son père et moi, et a dit : « C’était assez mauvais, mais je l’ai fait.
Je me suis présentée et je me suis mouillée. J’ai été brave. »
J’ai écrit le manifeste suivant sur la parentalité parce que j’en ai besoin.
Steve et moi en avons besoin. Appliquer une mesure dans une culture qui
utilise les acquisitions et les réalisations pour estimer la valeur n’est pas
facile. J’utilise le manifeste comme une pierre de touche, une prière et une
méditation quand je lutte avec la vulnérabilité ou que je suis aux prises avec
cette peur du « jamais assez ». Cela me rappelle la conclusion qui a changé
et probablement sauvé ma vie : Qui nous sommes et comment nous nous
engageons avec le monde sont des prédicteurs beaucoup plus puissants de
ce que vont devenir nos enfants que ce que nous connaissons de la
parentalité.
LE MANIFESTE DE LA PARENTALITÉ
SANS RÉSERVE

Par-dessus tout, je veux que vous sachiez que vous êtes aimé et
aimable.
Vous l’apprendrez de mes mots et de mes actions – les leçons sur
l’amour sont dans la manière dont je vous traite et dont je me traite
moi-même.
Je veux que vous vous engagiez avec le monde d’un endroit de valeur.
Vous apprendrez que vous êtes digne d’amour, d’appartenance et de
joie chaque fois que vous me verrez pratiquer l’autocompassion et
embrasser mes propres imperfections.
Nous pratiquerons le courage dans notre famille en nous présentant,
en nous laissant être vus et en honorant la vulnérabilité. Nous
partagerons nos histoires de lutte et de force. Il y aura toujours place
pour les deux dans notre maison.
Nous vous enseignerons la compassion en la pratiquant avec nous-
mêmes d’abord, puis l’un envers l’autre. Nous établirons et
respecterons des limites, nous honorerons le dur labeur, l’espoir et la
persévérance. Le repos et le jeu seront des valeurs familiales ainsi que
des pratiques familiales.
Vous apprendrez la responsabilité et le respect en me regardant faire
des erreurs et m’amender, et en observant comment je demande ce
dont j’ai besoin et comment je parle de ce que je ressens.
Je veux que vous connaissiez la joie, alors ensemble nous
pratiquerons la gratitude.
Je veux que vous ressentiez la joie, alors ensemble nous apprendrons
à être vulnérables.
Lorsque l’incertitude et l’insuffisance se manifestent, vous serez
capables de puiser à l’esprit qui fait partie de notre vie quotidienne.
Ensemble, nous pleurerons et nous ferons face à la peur et au chagrin.
Je voudrai enlever votre douleur, mais je m’assoirai plutôt avec vous
et vous enseignerai comment la ressentir.
Nous rirons, chanterons, danserons et créerons. Nous aurons toujours
la permission d’être nous-mêmes les uns envers les autres. Peu
importe les circonstances, vous appartiendrez toujours chez nous.
Alors que vous commencez votre cheminement Sans réserve, le plus
beau cadeau que je puisse vous offrir est de vivre et d’aimer de tout
cœur et d’oser avec audace.
Je n’enseignerai, ni n’aimerai, ni ne vous montrerai quoi que ce soit
parfaitement, mais je vais vous laisser me voir, et je tiendrai toujours
sacré le cadeau de vous voir. Vraiment, profondément, vous voir.

Vous pouvez télécharger une copie de ce manifeste sur mon site Web
(www.brenebrown.com)
Dernières réflexions

Ce n ’est pas le critique qui compte, ni celui qui montre comment


l’homme fort a trébuché ou comment l’homme d’action aurait pu
mieux faire.

Tout le mérite appartient à celui qui descend vraiment dans l’arène,


dont le visage est couvert de sueur, de poussière et de sang, qui se
bat vaillamment, qui se trompe, qui échoue encore et encore,
car il n’y a pas d’effort sans erreur et échec, mais qui fait son
maximum pour progresser, qui est très enthousiaste, qui se consacre
à une noble cause,
qui au mieux connaîtra à la fin le triomphe d’une grande réalisation
et qui, au pire, s’il échoue, aura osé avec audace…
– Theodore Roosevelt

Au cours des neuf mois qu’il m’a fallu pour mettre en forme et élaguer
une douzaine d’années de recherche dans ce livre, j’ai revu cette citation au
moins une centaine de fois. Et pour être franche, j’y reviens normalement
dans mes accès de rage ou dans un désespoir larmoyant, en pensant : Peut-
être que tout ça, c’est des conneries ou que Ça ne vaut pas la vulnérabilité.
Tout récemment, après avoir gobé quelques commentaires anonymes
vraiment méchants d’un site Web de nouvelles, j’ai retiré la citation du
tableau au-dessus de mon bureau et je me suis adressée directement à la
feuille de papier : « Si le critique ne compte pas, alors pourquoi est-ce que
ça fait si mal ? »
Le papier n’a pas répondu.
Alors que je tenais la citation dans mes mains, je me suis rappelé une
conversation que je venais d’avoir avec un jeune homme dans le tout début
de la vingtaine. Il m’a dit que ses parents lui avaient envoyé des liens à mes
TED talks et qu’il aimait vraiment l’idée du Sans réserve et d’oser avec
audace. Quand il m’a confié que les conférences l’ont inspiré à avouer à la
jeune femme qu’il fréquentait depuis plusieurs mois qu’il l’aimait, j’ai
grimacé et espéré une fin heureuse à l’histoire.
Pas de chance. Elle lui a répondu qu’elle le trouvait « épatant », mais
elle croyait qu’ils devraient fréquenter d’autres personnes. De retour à son
appartement après avoir parlé à sa copine, il a raconté à ses deux
colocataires ce qui était arrivé. Il a dit : « Ils étaient tous deux penchés sur
leur ordinateur portable et, sans lever les yeux, l’un des deux a semblé dire :
“À quoi t’as pensé, mon gars ?” » Un de ses colocs lui a dit que les filles
aiment seulement les gars qui s’enfuient. Il m’a regardée et a ajouté : « Je
me suis senti pas mal stupide au début. J’ai été fâché contre moi pour une
seconde et même un peu furieux contre vous. Mais alors j’y ai pensé et je
me suis souvenu du pourquoi je l’avais fait. J’ai alors répliqué à mes
colocs : “J’ai osé avec audace, man.” »
Puis il a souri. « Ils ont arrêté de taper, m’ont regardé, ont hoché la tête
et conclu : “Oh ! super, man.” »
Oser avec audace n’a rien à voir avec gagner ou perdre. Il s’agit de
courage. Dans un monde où l’insuffisance et la honte dominent et où
ressentir la peur est devenu une deuxième nature, la vulnérabilité est
subversive. Inconfortable. Même un peu dangereuse parfois. Et, sans doute,
nous exposer dans le monde signifie qu’il y a un plus grand risque d’être
blessé. Mais en regardant ma vie, et ce qu’oser avec audace a signifié pour
moi, je peux dire honnêtement que rien n’est aussi inconfortable, dangereux
et blessant que de croire que je suis à l’extérieur de ma vie à regarder au
dedans, et à me demander à quoi ça ressemblerait si j’avais le courage de
me présenter et de me laisser être vue.
Alors, M. Roosevelt… je crois que vous avez frappé dans le mille. Il n’y
a réellement « pas d’effort sans erreur et échec » et aucun triomphe sans
vulnérabilité. Quand je lis cette citation maintenant, même quand je me sens
bousculée, tout ce que je peux dire c’est : Super, man.
Annexe

Confiance dans l’émergence :


la théorie ancrée et
mon processus de recherche

Caminante, no hay camino, se hace camino al andar.

Marcheur, il n’y a pas de chemin, le chemin doit être fait en marchant.

Cet extrait du poète espagnol Antonio Machado exprime l’esprit de mon


processus de recherche et des théories qui en ont émergé. Au début, je suis
partie sur ce que je croyais être un chemin bien fréquenté, afin de trouver
des preuves empiriques de ce que je savais être vrai. Je me suis vite rendu
compte que mener une recherche centrée sur ce qui compte pour les
participants à la recherche – une recherche de théorie ancrée – signifie qu’il
n’y a pas de chemin et, assurément, qu’il n’y a pas moyen de savoir ce que
vous allez trouver.
Les difficultés les plus ardues de devenir un chercheur de théorie ancrée
sont :
1. Reconnaître qu’il est pratiquement impossible de comprendre la
méthodologie de la théorie ancrée avant de l’utiliser.
2. Développer le courage de laisser les participants à la recherche
définir le problème de recherche.
3. Lâcher prise sur vos propres intérêts et idées préconçues afin
d’avoir « confiance dans l’émergence ».
Curieusement (ou peut-être pas), il y a également des difficultés à oser
avec audace et à mener une vie courageuse.
Ci-dessous se trouve un aperçu de la conception, de la méthodologie, de
l’échantillonnage et les processus de codage que j’utilise dans ma
recherche. Avant d’y plonger, je veux remercier Barney Glaser et Anselm
Strauss pour leur travail de pionniers en recherche qualitative et pour avoir
élaboré la méthodologie de la recherche ancrée. Et, au Dr Glaser, qui était
prêt à voyager de la Californie pour servir de méthodologue au sein de mon
comité de thèse à l’Université de Houston. Vous avez littéralement changé
la façon dont je vois le monde.

► L’AVENTURE DE LA RECHERCHE

En tant qu’étudiante doctorante, le pouvoir des statistiques et les lignes


nettes de la recherche quantitative m’attiraient, mais je suis tombée
amoureuse de la richesse et de la profondeur de la recherche qualitative.
Raconter des histoires est dans mon ADN, et je ne pouvais résister à l’idée
de la recherche en tant que réservoir d’histoires. Les histoires sont des
données avec une âme et aucune méthodologie ne leur fait honneur autant
que la théorie ancrée. Le mandat de la théorie ancrée est d’élaborer des
théories basées sur les expériences vécues des gens plutôt que de confirmer
ou d’infirmer des théories existantes.
Le chercheur du comportement Fred Kerlinger définit la théorie comme
« un ensemble de notions ou concepts, de définitions et de propositions
interreliés qui présentent une vision systématique des phénomènes
spécifiant les relations entre variables, dans le but d’expliquer et de prédire
les phénomènes ». Dans la théorie ancrée, nous ne commençons pas par un
problème, ou une hypothèse, ou une étude de la littérature, nous
commençons par un sujet. Nous laissons les participants définir le problème
ou leur principale préoccupation à propos du sujet, nous élaborons une
théorie, puis nous voyons comment et où elle s’insère dans la littérature.
Je ne me suis pas engagée à étudier la honte – l’une des émotions les
plus (sinon la plus) complexes et diversifiées que nous ressentions. Un sujet
qui non seulement m’a pris six ans à comprendre, mais une émotion si
puissante que la seule mention du mot honte déclenche un malaise et un
évitement chez les gens. J’ai innocemment commencé en étant intéressée à
en apprendre davantage sur l’anatomie d’une connexion.
Après quinze ans de scolarité en travail social, j’étais certaine d’une
chose : la connexion est la raison pour laquelle nous sommes ici, c’est ce
qui donne un but et un sens à nos vies. Le pouvoir que détient la connexion
dans nos vies a été confirmé lorsque le principal problème de la connexion
s’est révélé être la peur de la déconnexion, la peur que quelque chose que
nous avons fait ou omis de faire, quelque chose de lié à qui nous sommes
ou d’où nous venons, nous a rendus impossibles à aimer et indignes de
connexion. J’ai appris que nous réglons ce problème en comprenant nos
vulnérabilités, en cultivant l’empathie, le courage et la compassion – ce que
j’appelle la résilience à la honte.
Après avoir élaboré une théorie sur la résilience à la honte et élucidé
l’effet de l’insuffisance dans nos vies, je voulais creuser davantage, en
savoir plus. Le problème est qu’il y a une limite à ce qu’on peut
comprendre de la honte et de l’insuffisance en posant des questions sur la
honte et l’insuffisance. J’avais besoin d’une autre approche pour arriver
sous les expériences. C’est alors que j’ai eu l’idée d’emprunter quelques
principes de la chimie.
En chimie, surtout en thermodynamique, si vous avez un élément ou une
propriété qui est trop volatile pour être mesurée, vous devez souvent utiliser
une mesure indirecte. Vous mesurez la propriété en combinant et en
réduisant des composants reliés et moins volatils jusqu’à ce que ces
relations et manipulations révèlent une mesure de votre propriété originale.
J’avais idée d’en apprendre davantage sur la honte et l’insuffisance en
explorant ce qui existe en leur absence.
Je sais comment les gens éprouvent de la honte et la traversent, mais
qu’est-ce que ressentent, font et pensent les gens quand la honte ne leur
tient pas constamment un couteau sur la gorge, les menaçant d’être indignes
de connexion ? Comment certaines personnes que nous côtoyons dans cette
culture de l’insuffisance arrivent-elles à maintenir la croyance qu’elles sont
assez ? Je savais que ces personnes existaient parce que je les avais
interviewées et que j’avais utilisé des incidents de leurs données pour
documenter mon travail sur l’empathie et la résilience à la honte.
Avant de replonger dans les données, j’ai nommé cette étude « Vivre
Sans réserve ». Je cherchais des femmes et des hommes vivant et aimant de
tout leur cœur malgré les risques et l’incertitude. Je voulais savoir ce qu’ils
avaient en commun. Quelles étaient leurs principales préoccupations, et
quels étaient les modèles et les thèmes qui définissaient leur absence de
réserve ? J’ai rendu compte des résultats de cette étude dans La grâce de
l’imperfection et dans un article d’un journal universitaire.
La vulnérabilité a constamment émergé à titre de catégorie principale
dans mon travail. C’était un élément essentiel tant dans mon étude de la
honte que dans celle des Sans réserve, et il y a même un chapitre qui lui est
consacré dans ma thèse sur la connexion. Je comprends les relations entre la
vulnérabilité et les autres émotions, mais après des années à approfondir
mon travail, je voulais en savoir davantage sur la vulnérabilité et comment
elle fonctionne. La théorie ancrée qui a émergé de cette recherche est le
sujet de ce livre et d’un autre article universitaire.

► CONCEPTION

Comme je l’ai mentionné, la méthodologie de la théorie ancrée, comme


elle a été élaborée par Glaser et Strauss, et précisée par Glaser, a éclairé le
plan de recherche de mes études. Le processus de la théorie ancrée consiste
en cinq éléments de base : la sensibilité théorique, l’échantillonnage
théorique, le codage, les mémos théoriques et le triage. Ces cinq éléments
ont été intégrés par la méthode comparative constante d’analyse des
données. L’objectif de la recherche était de comprendre les « principales
préoccupations » des participants en lien avec l’expérience du sujet
examiné (p. ex. : la honte, Sans réserve, la vulnérabilité). Quand les
principales préoccupations ont émergé des données, j’ai élaboré une théorie
qui explique comment les participants résolvent continuellement leurs
préoccupations dans leur vie quotidienne.

► ÉCHANTILLON

L’échantillonnage théorique, le processus de collecte des données qui


permet de générer une théorie, était la principale méthode d’échantillonnage
que j’ai utilisée dans cette étude. Quand il utilise l’échantillonnage
théorique, le chercheur recueille, code et analyse simultanément les données
et utilise ce processus en cours pour déterminer quelles données recueillir
ensuite et où les trouver. Conformément à l’échantillonnage théorique, j’ai
sélectionné les participants selon l’analyse et le codage des interviews et
des données secondaires.
Un principe important de la théorie ancrée est l’idée que les chercheurs
ne devraient pas présumer de la pertinence des données d’identité,
notamment la race, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, la classe et la
capacité. Bien que la pertinence de ces variables n’ait pas été présumée,
l’échantillonnage dirigé (échantillonnage intentionnel dans les données
d’identité) était utilisé avec l’échantillonnage théorique pour faire en sorte
qu’un groupe diversifié de participants soit interviewé. À certains moments
durant ma recherche, les données d’identité ont émergé comme étant
véritablement pertinentes et, dans ces cas-là, l’échantillonnage dirigé
continuait d’éclairer l’échantillon théorique. Dans les catégories où
l’identité n’émergeait pas comme étant pertinente, l’échantillonnage
théorique était utilisé exclusivement.
J’ai interviewé 750 participants de sexe féminin, dont quelque 43 pour
cent s’identifiaient caucasiennes, 30 pour cent afro-américaines, 18 pour
cent lato-américaines, et 9 pour cent asio-américaines. L’âge des
participantes féminines variait de 18 à 88 ans, avec une moyenne de 41 ans.
J’ai interviewé 530 hommes, dont quelque 40 pour cent s’identifiaient
caucasiens, 25 pour cent afro-américains, 20 pour cent latino-américains, et
15 pour cent asio-américains. L’âge moyen des hommes interviewés était
46 ans (l’écart allait de 18 à 80 ans).
Bien que la méthodologie de la théorie ancrée produise souvent une
saturation théorique (le point où il n’y a plus de nouvelles idées
conceptuelles générées et où le chercheur a fourni des preuves répétées de
ses catégories conceptuelles) avec beaucoup moins que mes 1 280
participants au total, trois théories interreliées ont émergé avec de multiples
catégories principales et de nombreuses propriétés éclairant chaque
catégorie. La nature nuancée et complexe de la résilience à la honte, d’être
Sans réserve et de la vulnérabilité nécessitait la grande taille de
l’échantillon.
Un principe de base de la théorie ancrée est que « tout est données ».
Glaser écrit : « Le commentaire le plus bref de l’interview la plus longue,
des mots écrits dans des magazines, des livres et des journaux, des
documents, des observations, des biais de soi et d’autres, des variables
infondées, ou quoi que ce soit d’autre que le chercheur puisse trouver dans
son important domaine de recherche, ce sont des données pour la théorie
ancrée. »
Outre les interviews des 1 280 participants, j’ai analysé des notes prises
sur le terrain sur la littérature sensibilisante, les conversations avec des
experts du contenu, et des notes de mes rencontres avec les étudiants
diplômés qui ont mené des interviews de participants et contribué à
l’analyse de la littérature. De plus, j’ai enregistré et codé les notes sur le
terrain portant sur l’expérience de prendre environ 400 étudiants de maîtrise
et du doctorat en travail social dans mon cours d’études supérieures sur la
honte, la vulnérabilité et l’empathie, et la formation de quelque 15 000
professionnels de la santé mentale et de la dépendance.
J’ai également codé plus de 3 500 éléments de données secondaires,
notamment des études de cas cliniques et des notes, lettres et pages de
journaux sur des cas. En tout, j’ai codé approximativement 11 000 incidents
(phrases des notes originales sur le terrain) à l’aide de la méthode de
comparaison constante (analyse ligne par ligne). J’ai fait tout ça en codant
manuellement, car le logiciel n’est pas recommandé dans la théorie ancrée
de Glaser.
J’ai recueilli toutes les données à l’exception de 215 interviews de
participants qui ont été menées par des étudiants diplômés en travail social
travaillant sous ma direction. Afin d’assurer la fiabilité inter-évaluateurs,
j’ai formé tous les assistants de recherche et j’ai codé et analysé toutes leurs
notes sur le terrain.
Presque la moitié des interviews était des rencontres individuelles et
l’autre moitié s’est déroulée à deux, à trois et en groupe. La durée de
l’interview variait de 45 minutes à 3 heures, pour une moyenne d’environ
60 minutes. L’interview conversationnelle adaptée a été utilisée parce
qu’elle est réputée être l’approche la plus efficace de la théorie ancrée pour
les interviews.

► CODAGE

J’ai utilisé la méthode de comparaison constante pour analyser les


données ligne par ligne, puis j’ai élaboré des mémos pour saisir les concepts
émergents et leurs relations. L’analyse était principalement axée sur
l’identification des principales préoccupations des participants et
l’émergence d’une variable essentielle. En menant des interviews
additionnelles, j’ai conceptualisé de nouveau les catégories et identifié les
propriétés qui informent chaque catégorie. J’ai eu recours au codage sélectif
quand les principaux concepts émergeaient et que les données étaient
saturées dans les catégories et leurs propriétés.
Les chercheurs de la théorie ancrée sont tenus de conceptualiser à partir
des données. Cette approche est très différente des méthodes qualitatives
traditionnelles qui donnent des résultats d’après une description dense des
données et des citations des participants. Pour conceptualiser la honte, les
Sans réserve et la vulnérabilité, et pour identifier les principales
préoccupations des participants à l’égard de ces sujets, j’ai analysé les
données ligne par ligne en posant les questions suivantes : Que décrivent les
participants ? Qu’est-ce qui leur tient à cœur ? De quoi s’inquiètent-ils ?
Qu’est-ce que les participants essaient de faire ? Qu’est-ce qui explique les
différents comportements, les différentes pensées et actions ? De nouveau,
j’ai employé la méthode de comparaison constante pour réexaminer les
données contre les catégories émergentes et leurs propriétés connexes.

► ANALYSE DE LA LITTÉRATURE

Pour les mêmes raisons que le théoricien ancré permet que le problème
de recherche émerge des données, une revue complète de la littérature
significative est menée après que la théorie est générée des données. Les
revues de la littérature faites en recherche quantitative et en recherche
qualitative traditionnelle servent à étayer les deux côtés des résultats de la
recherche – les revues de la littérature sont menées pour soutenir le besoin
d’une nouvelle recherche, cette recherche est menée, les résultats émergent
indépendamment de la littérature, et la recherche est de nouveau soutenue
par la littérature afin d’en démontrer la contribution à la profession du
chercheur.
En théorie ancrée, les données étayent la théorie et la littérature fait
partie des données. J’ai appris très rapidement que les chercheurs de la
théorie ancrée ne peuvent pas s’aventurer dans la revue de la littérature en
pensant : La théorie a émergé, j’ai terminé, comment est-ce conforme ? Le
théoricien ancré doit plutôt comprendre que la revue de la littérature est, en
fait, une analyse de la littérature et qu’elle n’est pas distincte de la
recherche mais qu’elle continue le processus.
Les références et la recherche liée, citées dans ce livre, soutenaient et
éclairaient les théories émergentes.
► ÉVALUATION DE LA THÉORIE ANCRÉE

Selon Glaser, les théories ancrées sont évaluées en estimant leur


convenance, leur pertinence, leur faisabilité et leur modificabilité. La
théorie atteint la « convenance » quand les catégories de la théorie
conviennent aux données. Les violations de convenance ont lieu quand les
données sont forcées dans des catégories préformées ou qu’elles sont
rejetées en faveur de garder intacte une théorie existante.
Outre la convenance, la théorie doit être pertinente pour l’action du
domaine. Les théories ancrées sont pertinentes lorsqu’elles permettent
l’émergence du problème principal et des processus. La faisabilité est
atteinte si la théorie peut expliquer ce qui s’est produit, prédire ce qui va
arriver et interpréter ce qui se passe dans un domaine d’enquête
substantielle ou officielle. Il y a deux critères pour évaluer si une théorie
« fonctionne » – les catégories doivent convenir et la théorie doit
« travailler au cœur de ce qui se passe ». Travailler au cœur signifie que le
chercheur a conceptualisé les données d’une façon qui saisit précisément les
principales préoccupations des participants et qui aborde continuellement
ces préoccupations. Enfin, le principe de modificabilité dicte que la théorie
ne peut jamais être plus correcte que sa capacité à travailler les données ;
ainsi, comme cette dernière se révèle dans la recherche, le premier doit être
constamment modifié.
Par exemple, je regarde les divers concepts que j’ai présentés dans ce
livre (p. ex. : l’armure, attention à l’écart, l’innovation dérangeante, etc.) et
je demande : « Ces catégories conviennent-elles aux données ? Travaillent-
elles les données ? Sont-elles pertinentes ? » La réponse est oui. Je crois
qu’elles reflètent exactement ce qui a émergé des données. Comme la
théorie de la résilience à la honte, mes collègues quantitatifs mettront à
l’essai mes théories sur les Sans réserve et la vulnérabilité, et nous mettrons
de l’avant le processus d’élaboration des connaissances.
En regardant rétrospectivement cette aventure, je réalise la profonde
vérité de la citation que j’ai offerte au début de ce chapitre. Il n’y a vraiment
pas de chemin. Parce que les participants à la recherche ont eu le courage
d’exprimer leurs histoires, leurs expériences et leur sagesse, j’ai fait un
chemin qui a défini ma carrière et ma vie. Quand j’ai d’abord réalisé et
détesté l’importance d’embrasser la vulnérabilité et de vivre une vie Sans
réserve, je disais aux gens que j’avais été enlevée par mes propres données.
Désormais, je crois que j’ai été secourue par elles.
Pratiquer
la gratitude

Ce n ’est pas la joie qui nous rend reconnaissants, c ’est la gratitude


qui nous rend joyeux.
– Frère David Steindl-Rast

À mes agents littéraires Jo-Lynne Worley et Joanie Shoemaker : merci


de croire en moi et en mon travail.
À mon gérant, Murdoch Mackinnon : « Tu es un excellent copilote.
Voici plus d’avions à atterrir. »
À ma professeure d’écriture et mon éditrice, Polly Koch : je ne pourrais
littéralement pas le faire sans toi. Je suis si reconnaissante.
À Jessica Sindler, mon éditrice chez Gotham : merci de ta sagesse, de ta
perspicacité, et la très amusante soirée pyjama. Je sens que j’ai gagné la
loterie des éditeurs.
À mon éditeur Bill Shinker et à toute l’équipe de Gotham, Monica
Benalcazar, Spring Hoteling, Pete Garceau, Lisa Johnson, Anne Kosmoski,
Casey Maloney, Lauren Marino, Sophia Muthuraj, Erica Ferguson et Craig
Schneider : merci de votre talent, de votre patience et de votre
enthousiasme.
Toute ma gratitude envers la bande du Speaker’s Office : Holli
Catchpole, Jenny Canzoneri, Kristen Fine, Cassie Glasgow, Marsha
Horshok, Michele Rubino et Kim Stark : Hey JCan ! Devrais-être à
Edmonton ?
Tellement reconnaissante du talent et de la qualité artistique du graphiste
Elan Mogan et pour le travail étonnant de l’artiste Nicholas Wilton. Merci à
Vincent Hyman pour son talent de réviseur et à Jayme Johnson du groupe
Worthy Marketing pour sa sagesse en communication et en connexion.
Merci aux amis qui me défient de me présenter, d’être brave et d’oser
avec audace : Jimmy Bartz, Negash Berhanu, Shiferaw Berhanu, Farrah
Braniff, Wendy Burks, Katherine Center, Tracey Clark, Ronda Dearing,
Laura Easton, Kris Edelheit, Beverly et Chip Edens, Mike Erwin, Frieda
Fromen, Peter Fuda, Ali Edwards, Margarita Flores, Jen Grey, Dawn
Hedgepeth, Robert Hilliker, Karen Holmes, Andrea Corona Jenkins,
Myriam Joseph, Charles Kiley, Jenny Lawson, Jen Lee, Jen Lemen, Harriet
Lerner, Elizabeth Lesser, Susie Loredo, Laura Mayes, Mati Rose
McDonough, Patrick Miller, Whitney Ogle, Joe Reynolds, Kelly Rae
Roberts, Virginia Rondero-Hernandez, Gretchen Rubin, Andrea Scher,
Peter Sheahan, Eileen Singleton, Diana Storms, Alessandra de Souza, Ria
Unson, Karen Walrond, Jess Weiner, Maile Wilson, Eric Williams et Laura
Williams.
Aux curateurs de TEDx Houston : Javier Fadul, Kara Matheny et Tim
DeSilva. Merci de m’avoir fait confiance et d’avoir pris une chance.
À la grande famille de TED : en 1998 j’ai dit à Steve que mon rêve était
d’entamer une conversation nationale sur la honte. Merci d’avoir fait de ce
rêve une réalité. Merci à Chris Anderson, Kelly Stoetzel, June Cohen, Tom
Rielly, Nicholas Weinberg, Mike Lundgreen et à toute l’équipe de
propagateurs d’idées et de fabricants de rêves.
À mes assistantes de recherche, Saba Khonsari et Yolanda Villarreal :
merci de votre engagement, de votre patience et de votre travail dévoué.
À nos parents, Deanne Rogers et David Robinson, Molly May et Chuck
Brown, Jacobina et Bill Alley, Corky et Jack Crisci : merci d’avoir toujours
cru en nous, de nous aimer si intensément, d’être absolument fous de nos
enfants et de nous enseigner à oser avec audace.
À mes frères et sœurs, Ashley et Amaya Ruiz, Barrett, Frankie et Gabi
Guillen, Jason Brown, et Jen et David Alley : merci de l’amour, du soutien,
des rires, des larmes, des « tape m’en cinq » et des touchers du poing.
À Steve, Ellen et Charlie : vous rendez tout possible, je ne sais pas
comment j’ai cette chance. Je vous aime.
OSER AVEC AUDACE
de Brené Brown, Ph.D., LMSW

Guide de lecture

PRÉFACE
Ce que signifie oser avec audace
« La vulnérabilité n’est pas de la faiblesse, et l’incertitude, le risque
et l’exposition émotionnelle qui nous confrontent chaque jour ne
sont pas optionnels. Notre seul choix est une question
d’engagement. Notre volonté de posséder notre vulnérabilité et de
nous engager avec elle détermine la profondeur de notre courage et
la clarté de nos objectifs ; le degré auquel nous nous protégeons
d’être vulnérables est une mesure de notre peur et de notre
déconnexion. » (Page 10)

Avant de passer au livre, je crois qu’il est utile de discuter et\ou d’écrire vos
pensées sur la vulnérabilité.
1. Comment définiriez-vous la vulnérabilité ?
2. Quelles sont vos croyances relativement à la vulnérabilité ?
3. Comment la vulnérabilité était-elle vue dans votre famille ?
Quelles étaient les leçons (verbales ou tacites) à ce propos ?
4. Avez-vous vu la vulnérabilité comme étant un modèle en
grandissant ?
5. Quel est votre niveau de confort actuel à l’égard de la
vulnérabilité ?

INTRODUCTION
Mes aventures dans l’arène

Au début de l’introduction, je fais part de la conversation sur la


vulnérabilité que j’ai eue avec ma thérapeute. Comment répondriez-vous
aux questions que Diana m’a posées ?
1. Comment se ressent la vulnérabilité ?
2. Que faites-vous avec la vulnérabilité ?
3. Quand vous sentez-vous le plus vulnérable ?
« Nous, les humains, avons tendance à définir les choses par ce
qu’elles ne sont pas, en particulier pour nos expériences
émotionnelles. » (Pages 14-15)

Comment définiriez-vous la vulnérabilité selon ce qu’elle n’est pas ?

« La vulnérabilité est le noyau, le cœur et le centre des expériences


humaines significatives. » (Page 18)

Êtes-vous d’accord ou en désaccord avec cet énoncé. Pourquoi ?

CHAPITRE 1
L’insuffisance : un regard sur notre culture du « jamais assez »

« Lorsque je regarde le narcissisme à travers la lentille de la


vulnérabilité, je vois la peur d’être ordinaire fondée sur la honte. Je
vois la crainte de ne jamais se sentir assez extraordinaire pour être
remarqué, être aimable, pour appartenir ou pour cultiver le sens
d’avoir un but. » (Page 28)

Quand vous pensez à des comportements qui sont souvent étiquetés comme
narcissiques, pouvez-vous voir comment la honte d’être trop ordinaire ou la
crainte d’avoir une vie trop étroite pourraient propulser ces
comportements ? Pourquoi ou pourquoi pas ?

« Je vois partout le message culturel qui dit qu’une vie ordinaire est
une vie insignifiante. » (Page 28)

Pensez à ce que vous regardez à la télé, aux magazines que vous lisez, à la
musique que vous écoutez à la radio et aux affiches que vous voyez en
voiture ou à pied chaque jour. Quelles sont certaines attentes et certains
messages (plus ou moins subtils) qui alimentent la peur d’être ordinaire ?
« Comment nos luttes et nos comportements sont-ils liés à nous
protéger nous-mêmes ? Comment nos comportements, nos pensées
et nos émotions sont-ils liés à la vulnérabilité et au besoin d’un
profond sentiment de notre valeur ? » (Page 29)

Que répondriez-vous à la question suivante ?

« Jamais assez ________________________. »

avec vos propres cassettes ? (Page 30)

« Ce qui fait que cette évaluation et cette comparaison constantes


sont si autodestructrices est que nous comparons souvent nos vies,
nos mariages, nos familles et nos communautés à des versions de
perfection inatteignables, véhiculées par les médias, ou nous
mesurons notre réalité contre notre propre récit fictif de la réussite
de quelqu’un d’autre. La nostalgie est aussi une forme de
comparaison dangereuse. Pensez à combien de fois nous comparons
nous-mêmes et nos vies à un souvenir que la nostalgie a tellement
changé qu’il n’a jamais réellement existé. » (Pages 31-32)

À quels récits idéalisés (médias, nostalgie, etc.) comparez-vous votre vie le


plus souvent ? Par exemple, vous arrive-t-il de comparer votre maison ou
votre appartement au catalogue Pottery Barn ? Comparez-vous vos
vacances en famille avec les publicités de Hallmark ?

CHAPITRE 2
Briser les mythes de la vulnérabilité

« La vulnérabilité sonne comme la vérité et se ressent comme le


courage. » (Page 42)

Que répondriez-vous aux questions suivantes ?

La vulnérabilité est _________________.

La vulnérabilité se ressent comme _________________.

« Oui, nous sommes totalement exposés lorsque nous sommes


vulnérables. Oui, nous sommes dans la chambre des tortures que
nous appelons l’incertitude. Et, oui, nous prenons un énorme risque
émotionnel lorsque nous nous permettons d’être vulnérables. Mais il
n’existe aucune équation où prendre des risques, braver
l’incertitude et nous ouvrir à l’exposition émotionnelle équivaut à
de la faiblesse. » (Page 42)
Pensez à une époque de votre vie où vous avez fait quelque chose de
réellement courageux ou brave. Quel rôle la vulnérabilité a-telle joué ? Vous
sentiez-vous incertain ? Cela semblait-il risqué ? Vous sentiez-vous
émotionnellement exposé ?
Est-il sensé pour vous que la « vulnérabilité sonne comme la vérité et se
ressent comme le courage ? »
Lorsque nous agissons conformément à la croyance que nous « ne
pratiquons pas la vulnérabilité », nous devrions nous poser ces questions :
1. Que faire quand je me sens émotionnellement exposé ?
2. Comment me comporter quand je me sens très mal à l’aise et
incertain ?
3. À quel point est-ce que je consens à prendre des risques
émotionnels ? (Page 48)

J’écris sur l’idée des amis du bocal de billes à titre de métaphore de la


relation entre confiance et vulnérabilité (pages 51-56). Quels sont vos amis
du bocal de billes ? Comment ceux-ci ont-ils obtenu leurs billes ?
« La vulnérabilité engendre la vulnérabilité ; le courage est
contagieux. » (Page 57)

Quand en avez-vous fait l’expérience dans votre vie ? Quand votre


vulnérabilité a-t-elle ouvert la porte à quelqu’un d’autre ou vice versa ?

« Je croyais que je pouvais choisir de ne pas me sentir vulnérable,


alors quand c’est arrivé – quand le téléphone a sonné avec des
nouvelles inimaginables, ou quand j’ai été effrayée, ou quand j’ai
aimé si férocement que plutôt que d’éprouver de la gratitude et de la
joie, je ne pouvais que me préparer à perdre – je contrôlais les
choses. Je gérais les situations et je microgérais les gens autour de
moi. J’ai performé jusqu’à ce qu’il n’y ait plus d’énergie à sentir. Je
rendais certain l’incertain, peu importe le coût. Je suis restée si
occupée que la vérité de ma souffrance et de ma peur ne pouvait
jamais prendre le dessus. J’avais l’air brave de l’extérieur et je me
sentais effrayée à l’intérieur. » (Pages 58-59)
Passez-vous du temps et de l’énergie à tenter de rendre certain l’incertain ?
Si oui, comment ? Utilisez-vous « occupés comme des dingues » comme
armure ? De quelle façon ?
Y a-t-il des situations ou expériences où vous sentez le besoin d’avoir l’air
brave à l’extérieur alors que vous vous sentez réellement apeuré
intérieurement ? Qu’ont en commun ces situations ?

« Rien n’a transformé ma vie davantage que de réaliser la perte de


temps qu’est d’évaluer ma valeur en mesurant la réaction des gens
dans les estrades. Les gens qui m’aiment et qui seront là peu
importe le résultat sont à portée de main. Cette réalisation a tout
changé. » (Pages 59-60)

Comment votre vie semblerait-elle différente si vous n’évaluiez plus votre


valeur en mesurant la réaction des gens dans les estrades ?
Qui sont les gens qui sont avec vous dans l’arène ?
Qui sont les gens que vous imaginez le plus souvent dans les estrades ?
Je suis souvent ma critique la plus impitoyable. Je me vois critiquer et juger
dans les estrades. Êtes-vous dans les estrades ?

CHAPITRE 3
Comprendre et combattre la honte
(Alias l’entraînement du guerrier Ninja Gremlin)
« Simplement, s’ils l’aiment, vous êtes digne, sinon, vous ne valez
rien. » (Page 66)

Avez-vous déjà attaché votre valeur propre à la manière dont une de vos
créations a été reçue ?
Comment cela a-t-il affecté votre capacité de la partager avec d’autres et de
gérer la réaction des autres ?
« Vous savez que vous êtes bien plus qu’une peinture, qu’une idée
innovatrice, qu’un argument de vente efficace, qu’un bon sermon ou
qu’un poste élevé chez Amazon.com. » (Page 67)

Quel sont vos « gremlins » et que vous disent-ils pour vous empêcher
d’avancer ?

« Chaque femme prospère que j’ai interviewée m’a parlé du combat


parfois quotidien pour dépasser « les règles » de sorte qu’elle
puisse s’affirmer, défendre ses idées et se sentir à l’aise avec son
pouvoir et ses dons. » (Page 90)

Comment vous sentez-vous à dépasser « les règles » ?


Ne pas les avoir dépassées vous a-t-il aidé ou nui personnellement et
professionnellement ? Où avez-vous senti la plus grande résistance à votre
poussée ?
Où est-ce le plus facile ? Pourquoi croyez-vous que ce soit plus difficile ou
plus facile dans ces circonstances ?
Dans ce chapitre, je discute des principaux points faibles chez les hommes
et les femmes en ce qui concerne la honte. À la page 91, j’écris : « Ils s’en
sont pris à mon apparence et à mon rôle de mère – deux coups meurtriers
pris tout droit de la liste des normes féminines. »
À la page 93, j’écris : « Fondamentalement, les hommes vivent sous la
pression d’un message sans relâche : ne sois pas perçu comme un faible. »
D’après vos expériences personnelles, dressez la liste des normes
masculines et féminines que vous estimez vraies. Pourquoi ou pourquoi
pas ?
Comment protégez-vous ces vulnérabilités et à quel prix ?

« Nous leur demandons d’être vulnérables, nous les supplions de


nous laisser entrer, et nous les prions de nous dire quand ils ont
peur, mais la vérité est que la plupart des femmes ne peuvent le
supporter. Lors de ces moments où une réelle vulnérabilité se
produit chez les hommes, la plupart d’entre nous reculons par peur
et cette peur se manifeste par la déception allant jusqu’au dégoût. »
(Page 96)
En tant qu’homme, quelles ont été vos réactions quand vous avez été
vulnérable avec votre famille, vos amis ou votre partenaire ?
En tant que femme, comment avez-vous réagi aux hommes de votre vie
quand ils étaient vulnérables ?
Avez-vous été surpris de la conversation entre hommes et femmes au sujet
du sexe ? Le cas échéant, qu’est-ce qui vous a surpris et pourquoi ?

« La résilience à la honte… consiste à trouver une voie médiane,


une option qui nous permet de demeurer engagés et de trouver le
courage émotionnel qu’il nous faut pour répondre d’une façon
conforme à nos valeurs. » (Page 98)

Quand avez-vous négocié vos valeurs pour échapper rapidement à la


honte ? À quoi aurait pu ressembler de trouver la voie médiane et de
pratiquer le courage émotionnel d’une façon qui vous garde en conformité
avec vos valeurs ?

« Établir ces listes de ce que nous sommes censés être est brave.
Nous aimer et nous soutenir les uns les autres dans le processus de
devenir réels est sans doute le geste le plus formidable d’oser avec
audace. » (Page 109)

Qu’avez-vous dans votre liste des « préalables à la valeur » ? Comment cela


s’y est-il retrouvé ? Que devriez-vous abandonner afin de progresser vers le
Sans réserve ? (Je travaille encore sur cette question dans ma vie. Je ne
crois pas qu’il y ait des réponses faciles, mais je crois qu’il vaut la peine de
le demander. Encore et encore.)

CHAPITRE 4
L’arsenal de la vulnérabilité

« La vulnérabilité est la dernière chose que je veux que tu voies en


moi, mais la première chose que je cherche en toi. » (Page 113)
Comment vous sentez-vous avec des gens qui ne vous accueillent pas ou
qui se blindent contre la vulnérabilité ?
Comment répondriez-vous aux questions suivantes au sujet de l’arsenal de
la vulnérabilité ?
1. Comment est-ce que je me protège ?
2. Quand et comment cela a-t-il commencé ?
3. Que faudrait-il pour se départir de l’armure ?

Pensez aux façons dont vous vous protégez de la vulnérabilité. Que


répondriez-vous aux questions suivantes ?

Mon premier instinct est de _______________ mais ça n’a jamais


fonctionné, alors maintenant je _______________ et cela a changé ma
vie.
J’ai passé des années _______________
jusqu’au jour où j’ai essayé _______________ et cela a consolidé ma
relation.

« L’insuffisance et la peur alimentent l’appréhension de la joie.


Nous craignons que le sentiment de joie ne dure pas, ou qu’il n’y en
ait pas suffisamment, ou que la transition au désappointement (ou ce
qui nous attend par la suite) soit trop difficile. Nous avons appris
que céder à la joie est, au mieux, nous préparer au désappointement
et, au pire, à inviter le désastre. » (Page 123)

Quand êtes-vous le plus susceptible de ressentir « l’appréhension de la


joie » dans votre vie ? Quelles sont vos raisons d’appréhender votre joie ?
Vous sentez-vous en attente de l’autre chaussure qui va tomber ?
« Pour ceux qui accueillent l’expérience, le frémissement de
vulnérabilité qui accompagne la joie est une invitation à pratiquer
la gratitude, à reconnaître à quel point nous sommes véritablement
reconnaissants pour la personne, la beauté, la connexion ou
simplement le moment devant nous. » (Page 122)

Comment pratiquez-vous la gratitude dans votre vie quotidienne ? Y a-t-il


des occasions manquées de pratiquer la gratitude dans votre vie ? Le cas
échéant, que pourriez-vous faire différemment pour faire place à plus de
gratitude et de joie ?

« Si le contraire de l’insuffisance est assez, alors pratiquer la


gratitude est notre façon de reconnaître qu’il y a assez et que nous
sommes assez. » (Page 123)

La prochaine fois que vous éprouverez le frémissement de la vulnérabilité,


utilisez cette phrase pour pratiquer la gratitude :

Je me sens vulnérable à propos de ___________________

et je suis si reconnaissant de ___________________.

Comment est-ce ? Comment passez-vous outre au « frémissement de


vulnérabilité » immédiat en ce moment ?

« Je n’ai jamais entendu une personne attribuer sa joie, son succès


ou le fait d’être Sans réserve à être parfait. En fait, ce que j’ai
entendu à maintes reprises au fil des ans est un message clair… Le
perfectionnisme n’est pas la voie qui nous mène à nos dons et à
notre sentiment de finalité ; c’est le détour dangereux. » (Pages 126-
127)
Où croyez-vous vous situer sur le continuum de la perfection — où vous
démenez-vous le plus dans votre vie ?
Utilisez-vous le perfectionnisme comme un bouclier ? Le cas échant, quelle
est la menace ? Qu’est-ce qui vous effraie le plus dans le fait de déposer le
bouclier ?

« Et engourdir la vulnérabilité est spécialement débilitant parce que


cela n’étouffe pas seulement la souffrance de nos expériences
douloureuses, mais cela atténue aussi nos expériences d’amour, de
joie, d’appartenance, de créativité et d’empathie. On ne peut pas
engourdir sélectivement nos émotions. Engourdissez la noirceur et
vous engourdissez la lumière. » (Page 134)

Quelles sont les émotions que vous essayez d’engourdir et quelles émotions
aimeriez-vous ressentir davantage dans votre vie ?

« Les participants qui luttaient le plus contre l’engourdissement,


soit le Groupe A, ont expliqué que réduire l’anxiété signifie trouver
des moyens de l’engourdir, et non de changer la pensée, le
comportement ou les émotions qui créaient l’anxiété. » (Page 140)

Vous situez-vous dans le groupe A ou le groupe B ? Pourquoi vous rangez-


vous dans ce groupe en particulier ?
« Mes choix réconfortent-ils et nourrissent-ils mon esprit, ou sont-
ils des répits à la vulnérabilité et aux émotions difficiles qui
diminuent finalement mon esprit ? Mes choix me mènent-ils à être
Sans réserve, ou me laissent-ils avec un sentiment de vide et de
recherche ? » (Page 143)

Comment distinguez-vous confort et nourriture de l’engourdissement ? Y a-


t-il des domaines plus difficiles que d’autres ?

« Je crois que posséder notre valeur est l’acte de reconnaître que


nous sommes sacrés. Peut-être qu’embrasser la vulnérabilité et
surmonter l’engourdissement revient au bout du compte à soigner et
à nourrir notre esprit. » (Page 147)

Quelles sont deux manières de nourrir votre esprit ? Comment savez-vous


qu’il vous faut plus de soins ? Comment savez-vous que vous êtes repu ?
« Lorsque nous dirigeons, enseignons ou prêchons selon l’évangile
du Viking ou Victime, gagner ou perdre, nous écrasons la foi,
l’innovation, la créativité et l’adaptabilité au changement. » (Page
150)

Avez-vous fait l’expérience du paradigme Viking ou Victime dans votre


vie ? Comment l’approche « l’un ou l’autre » a-t-elle affecté votre capacité
d’être vulnérable ou d’être en relation ?

« Nous ne voyons pas qu’utiliser la vulnérabilité n’est pas la même


chose qu’être vulnérable ; c’est le contraire – c’est l’armure. »
(Page 156)

Quand avez-vous employé l’éclairage par projecteur comme bouclier contre


la vulnérabilité ? Quelles étaient les circonstances et qu’avez-vous appris
sur vous-même ?
« “Serpenter” veut dire essayer de contrôler une situation, de s’en
sortir, en prétendant qu’elle n’existe pas, ou peut-être même en
prétendant que vous ne vous en souciez pas. » (Page 160)

Quand êtes-vous le plus susceptible de « serpenter » pour éviter la


vulnérabilité ? Est-ce quand vous vous préparez à des conversations
difficiles ? Ou quand vous sentez que vous pourriez décevoir ou fâcher
quelqu’un ? Serpentez-vous quand vous ne connaissez pas la bonne
réponse ?
À quoi ressemble votre modèle de zigzag ?
« Rien ne nous fait sentir plus menacés et ne nous incite à attaquer
et à rendre les gens honteux que de voir quelqu’un oser avec
audace. L’audace de l’autre offre un miroir désagréable qui nous
reflète nos propres peurs de nous présenter, de créer et de nous
laisser être vus. » (Page 162)
Qui vous soutient à oser ?
Qui vous repousse quand vous endossez votre pouvoir et que vous vous
laissez être vu ?

CHAPITRE 5
Attention à l’écart : cultiver le changement
et fermer l’écart du désengagement

Aux pages 170-171, j’énumère dix questions que je pose pour m’aider à
mieux comprendre les valeurs et la culture d’un groupe (organisation,
famille, congrégation, etc.). Pensez à votre famille, à votre travail ou à votre
communauté et répondez à ces questions. Il est particulièrement utile de le
faire avec une personne de votre groupe. Que vous disent vos réponses au
sujet « de la façon dont vous faites les choses » ? Quelles valeurs sont
importantes ? La culture reflète-t-elle vos valeurs et ce qui vous importe ?
Dressez la liste de vos valeurs souhaitées. Qu’est-ce qui vous importe
réellement ? Quelles valeurs guident votre prise de décisions quotidienne ?
En réfléchissant à votre liste de valeurs souhaitées, comment les pratiquez-
vous chaque jour ? Les calendriers sont révélateurs. Quand vous regardez
votre calendrier ou votre horaire, vos engagements reflètent-ils ce qui est
important pour vous ? Le cas échéant, comment ? Sinon, que dit votre
calendrier ?

CHAPITRE 6
Engagement dérangeant : oser réhumaniser l’éducation et le travail
Êtes-vous d’accord ou en désaccord avec ma définition d’un leader (page
181) ? Dans quelles situations vous tenez-vous responsable de trouver le
potentiel des gens et des processus ?

Dans ce chapitre, je parle des façons d’identifier la honte et le


désengagement dans les systèmes (organisations, familles, écoles, etc.).
Quels comportements identifiez-vous comme étant des signaux d’alarme de
la honte au travail ? À la maison ? Dans votre communauté ?

« Le blâme est simplement la décharge de la douleur et du malaise.


Nous blâmons quand nous sommes mal à l’aise et que nous
souffrons – quand nous sommes vulnérables, fâchés, blessés,
honteux, en deuil. » (Page 191)

Le blâme est souvent un refuge pour moi. Quand quelque chose tourne mal,
immédiatement je veux savoir « Qui est à blâmer ? » Blâmez-vous les
gens ? Le cas échéant, comment cela affecte-t-il vos relations ? Que
faudrait-il pour passer du blâme à l’acceptation et/ou à la responsabilité ?

« La vulnérabilité est au cœur du processus de rétroaction. » (Page


196)

Quelle a été votre meilleure expérience de réception d’une rétroaction ?


Quelle part de l’expérience était efficace ou significative ? Quel rôle la
vulnérabilité et/ou l’ouverture a-t-elle joué dans le processus ?
Si vous avez vécu une expérience de rétroaction négative (soit en donnant
ou recevant) qu’est-ce qui n’a pas fonctionné ? Si vous comparez vos
réponses avec les deux premières questions, quelle est la leçon ?
Trouvez-vous utile la Liste de contrôle de rétroaction engagée (page 199) ?
Pourquoi ou pourquoi pas ?

CHAPITRE 7
Parentalité Sans réserve : oser être les adultes que nous voulons que
soient nos enfants

« Qui nous sommes et comment nous nous engageons avec le monde


sont des prédicteurs beaucoup plus forts de la façon dont nos
enfants vont vivre que de ce que nous savons à propos de la
parentalité. » (Page 209)

Êtes-vous d’accord que les comportements, les émotions et les valeurs que
nous modelons sont plus significatifs que les comportements, les émotions
et les valeurs que nous enseignons et encourageons ? Pouvez-vous citer un
exemple de votre propre enfance ?
« La honte aime les préalables. Notre liste de valeur si/ quand se
double facilement à titre de liste de choses à faire des gremlins. »
(Page 216)

Nous avons tous des préalables de la valeur que nous tentons de surmonter
ou d’abandonner. Comme parents, il est important de reconnaître quels
préalables nous transmettons à nos enfants. Si nous ne reconnaissons pas ce
que nous faisons, nous ne pouvons pas le changer.
Quels sont certains des préalables que vous transmettez sciemment ou à
votre insu ? Comment ? Comment se sont-ils trouvés sur votre liste ?
Comment pouvez-vous en parler avec vos enfants ? Comment pouvez-vous
travailler ensemble comme famille à vous engager avec la valeur et
abandonner la liste si/ quand ?
« Vous ne pouvez pas prétendre vous soucier du bien-être de vos
enfants si vous faites honte à d’autres parents pour les choix qu’ils
font. » (Page 224)

Je revendique que la parentalité est un terrain miné par la honte parce que
c’est une entreprise tellement vulnérable et que nous nous jugeons
constamment les uns les autres. Comment croyez-vous que nous puissions
être un meilleur soutien pour les autres parents ? Comment évitez-vous de
juger lorsque vous tenez fortement à une question ou à une approche de
parentalité ?

« L’une des plus grandes surprises de cette recherche a été


d’apprendre que convenir et appartenir ne sont pas la même chose.
Convenir suppose d’évaluer une situation et devenir qui vous devez
être afin d’être accepté. Appartenir, d’autre part, ne nécessite pas
que nous changions qui nous sommes, mais demande que nous
soyons qui nous sommes. » (Page 226)

Les définitions de convenir et d’appartenir sonnent-elles vraies pour vous ?


Pourquoi ou pourquoi pas ?
Que faites-vous pour créer un fort sentiment d’appartenance à la maison ?
Comment modelez-vous la vulnérabilité inhérente à l’appartenance ?
Quelles conversations avez-vous avec vos enfants au sujet de la
vulnérabilité et du courage ?

Merci d’avoir lu Oser avec audace !


Je suis si reconnaissante de
notre communauté Sans réserve.
Ensemble, soyons braves.
À propos
de l’auteure

Brené Brown, Ph.D., LMSW, est professeure de recherche au collège


d’études supérieures en travail social de l’Université de Houston et
professeure associée en management à la Austin McCombs School of
Business de l’Université du Texas.
Elle est aussi l’animatrice des podcasts hebdomadaires sur Spotify
Unlocking Us et Dare to Lead.
Elle a également fondé et est chef de direction de The Daring Way, un
programme d’enseignement et de certification qui aide les professionnels
désireux d’employer le travail de Brené sur la vulnérabilité, le courage, la
honte et la valeur.

brenebrown.com
Twitter : BreneBrown
✰ AUTRES OUVRAGES DE BRENÉ BROWN CHEZ
BÉLIVEAU ÉDITEUR

La grâce de l’imperfection
Le changement signifiant, porteur de sens, c’est un processus. Il peut être
inconfortable et souvent risqué, en particulier quand il s’agit d’accepter nos
imperfections, de cultiver l’authenticité et de regarder l’univers dans les
yeux en disant : « Je suis à la hauteur. »
Vivre Sans réserve, c’est s’engager dans sa propre existence avec dignité.
C’est cultiver le courage, la compassion, la connexion et pouvoir se lever le
matin en pensant : « Peu importe ce qui sera fait aujourd’hui et ce qui ne le
sera pas encore, je suis à la hauteur. » C’est aller au lit le soir en se disant :
« Oui, je suis imparfait et vulnérable, et même parfois effrayé, mais cela ne
change rien au fait que je suis également courageux, digne d’amour et
d’appartenance. »
Braver sa nature sauvage
La véritable appartenance n’exige pas de changer qui nous sommes, mais
d’être qui nous sommes. Elle n’a rien à voir avec se conformer, faire
semblant ou mettre les personnes en confiance autour de nous. Les quatre
pratiques de la véritable appartenance nous demandent d’être
vulnérables, de nous sentir mal à l’aise et d’apprendre à être avec des gens
sans sacrifier qui nous sommes.
Chaque pratique remet en question ce que nous croyons de nous-mêmes,
comment nous nous révélons aux autres, et comment nous retrouvons le
courage et nos vrais liens.
La véritable appartenance et l’estime de soi ne sont pas des biens ; nous ne
négocions pas leur valeur avec le monde. La vérité réside dans notre cœur.
Notre appel au courage vise à protéger notre cœur sauvage contre
l’évaluation constante, surtout la nôtre.
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✰ AUTRES OUVRAGES CHEZ BÉLIVEAU ÉDITEUR

Oser être vrai


dans un monde « faux »
PASCALE DUFRESNE
Est-il arrivé ce moment où un appel en vous a provoqué un désir de vivre
pleinement à partir de qui vous êtes ? De faire des choix alignés sur vos
valeurs et vos besoins ? De vous libérer du jugement des autres et de tout ce
que vous imposent vos relations et votre environnement ? Si oui, vous avez
en main un guide essentiel qui vous accompagnera dans ce voyage au cœur
de vous-même.
Suivez le parcours fascinant de trois personnages qui, tout comme vous, ont
choisi de répondre à l’appel de l’authenticité et retrouvez votre pouvoir
personnel en harmonisant tête, cœur et action.
Et si nous pratiquions tous l’authenticité courageuse, nous pourrions
construire ensemble un monde vrai.
Comment vous libérer de
vos pensées d’abandon et de rejet
DOMINIQUE ALLAIRE
Imaginez-vous les pires scénarios lorsqu’on ne vous répond pas ? Faites-
vous mille gentillesses pour plaire à tout prix ? Oui ? Alors, vous croyez des
pensées d’abandon et de rejet… et vous en ressentez les effets négatifs. Ces
pensées sont vos amies qui veulent vous aider à reprendre votre pouvoir.
Lorsque vous apprenez à les reconnaître, à les accueillir et à les aimer, un
nouveau monde de bien-être et de possibilités vous apparaît.
Grâce à sa propre expérience, l’auteure a élaboré la Pratique de pensée
consciente. Elle vous guide sur le chemin de la liberté et de l’amour de soi.
En suivant sa démarche, vous découvrirez comment démêler le faux du vrai
et voir la différence entre la réalité et la souffrance.
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