DION CASSIUS - Livre XL (Traduction) - 16-20

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pouvoir.

Il voulut donc les renverser avant qu'ils fussent ennemis, et demanda le consulat
pour les combattre, parce qu'il n'aurait aucune force s'il restait dans la vie privée. Mais ses
vues furent devinées par les amis de Pompée et de César, et il ne fut pas élu. On nomma M.
Marcellus, parce qu'il avait une grande connaissance des lois, et Sulpicius Rufus à cause de
son éloquence, mais surtout parce qu'ils n'avaient eu recours ni aux largesses, ni à la
violence, et s'étaient concilié les esprits par leurs soins empressés et par leurs vives
instances auprès de tous. Caton, au contraire, n'avait fait la cour à personne, et il ne sollicita
plus le consulat, disant qu'un bon citoyen ne doit point fuir le gouvernement de l'État quand
on réclame ses services, ni le rechercher au delà d'une juste mesure.

M. Marcellus et Sulpicius Rufus sont élus consuls - Proposition du consul M.


Marcellus contre César

59. Marcellus, qui était du parti de Pompée, chercha à l'instant même tous les moyens
d'abattre César. II fit diverses propositions contre lui, et demanda qu'on lui donnât un
successeur avant le temps fixé par les lois : il fut combattu par Sulpicius et par plusieurs
tribuns du peuple. Ceux-ci voulaient plaire à César : Sulpicius était poussé tout à la fois par
le même mobile et par l'éloignement que montrait la multitude pour déposer avant le temps
un magistrat qui n'avait point commis de faute. Informé de ce qui se passait, Pompée, qui
était parti de Rome comme pour se rendre en Espagne avec son armée, mais qui n'était pas
sorti de l'Italie et avait chargé ses lieutenants des affaires d'Espagne, pour observer de près
ce qui se, passait à Rome, fit semblant de ne pas approuver lui-même que César fût privé du
commandement ; mais, en réalité, il prenait ses mesures pour qu'il déposât les arrhes et
rentrât dans la vie privée lorsqu'il serait parvenu au terme de son commandement, et cette
époque n'était pas éloignée ; puisque ce commandement devait finir l'année suivante. Dans
cette vue, il fit nommer consul Caïus Marcellus, cousin ou même frère de Marcus (car on
dit l'un et l'autre) et ennemi de César; quoiqu'il fût devenu son allié par sa femme, et il porta
au tribunat Caïus Curion, qui depuis longtemps aussi était ennemi de César.

An de Rome 704

César se réconcilie avec Curion, qui fit d'abord semblant de ne pas embrasser sa cause

60. César ne pouvait se résigner à quitter pour la vie privée un pouvoir si grand et qu'il avait
exercé longtemps : il craignait d'ailleurs d'être à la merci de ses ennemis. Il se disposa donc
à garder le commandement malgré eux, leva des soldats, amassa des fonds, prépara des
armes et rendit son autorité agréable à tous. De plus, voulant paraître, même à Rome,
s'appuyer jusqu'à un certain point sur la persuasion et non pas sur la violence seule, il
résolut de se réconcilier avec Curion, qui était de la famille des Caton, homme d'un esprit
pénétrant, d'une rare éloquence, très influent sur la multitude, prodigue d'argent, lorsque, par
ses largesses, il comptait obtenir quelque avantage pour lui-même, ou être utile à un autre.
César le gagna par de séduisantes espérances et en payant toutes ses dettes, devenues très
considérables par ses excessives dépenses ; car César ne regardait pas à l'argent pour réussir
dans le moment, persuadé que le succés lui procurerait le moyen de s'enrichir : souvent
même il promettait de fortes sommes, sans avoir l'intention d'en donner la plus petite partie,
et cherchait à se concilier non seulement les hommes libres, mais encore les esclaves qui
avaient quelque ascendant sur leurs maîtres. C'est ainsi qu'il gagna un grand nombre de
chevaliers et de sénateurs.

61. Curion embrassa sa cause ; mais ce ne fut pas ouvertement tout d'abord. Il attendit un
prétexte plausible pour paraître prendre ce parti par nécessité, et non de son gré : il pensait
d'ailleurs que plus il resterait, comme ami, au milieu des ennemis de César, mieux il
connaîtrait leurs secrets les plus importants. Il dissimula donc fort longtemps, et, pour qu'on
ne le soupçonnât pas d'avoir changé et de ne plus être à la tête de ceux dont. les sentiments
et les discours étaient alors encore opposés à César, il parla contre lui, dès le
commencement de son tribunat, et fit les propositions les plus étranges. Il en présenta aussi
quelques autres contre le sénat et contre ses membres les plus influents et les plus dévoués à
Pompée. Il ne désirait pas qu'elles fussent adoptées, et il ne l'espérait pas : son but était
seulement qu'après leur rejet aucune autre ne put être acceptée contre César (il en était fait
un grand nombre), et il comptait profiter de cette occasion pour passer de son côte.

Curion se déclare pour César: sa proposition sur le licenciement des armées


62. II laissa donc beaucoup de temps s'écouler, tantôt pour un motif , tantôt pour un autre ,
sans qu'aucune fût accueillie : il feignit d'en être indigné, et demanda qu'un mois fût
intercalé pour l'adoption de ses propositions. Cette intercalation était permise, lorsque les
circonstances l'exigeaient ; mais ce n'était, pas alors le cas, et Curion le savait bien en sa
qualité de pontife. Il répétait néanmoins qu'elle était nécessaire et il pressait, du moins en
apparence, les pontifes, ses collègues, de l'adopter. Enfin, n'ayant pu les amener à son avis
(il ne le désirait pas), il ne laissa prendre aucune autre résolution, et, embrassant dès lors
sans détour la cause de César, après l'avoir longtemps combattue en vain, il soutint avec
énergie des propositions qui ne pouvaient jamais être adoptées. Il demanda surtout que tous
ceux qui avaient les armes à la main les déposassent et que les armées fussent licenciées, ou
qu'on ne livrât point César à des adversaires puissants, après l'avoir privé de ses troupes. Il
faisait cette proposition, non qu'il souhaitât que César licenciât son armée, mais parce qu'il
savait bien que Pompée ne se soumettrait pas à une semblable prescription ; et dès lors
César aurait un motif plausible pour ne pas congédier ses soldats.

Pompée se montre sans détour l'adversaire de César. Lutte entre Marcellus et Curion

63. Pompée, ne pouvant rien obtenir par d'autres voies, eut ouvertement recours à la
violence, et se montra sans détour l'adversaire de César, par ses discours comme par ses
actions ; mais il ne réussit pas davantage. César avait de nombreux soutiens, entre autres
Lucius Paulus, alors consul avec Marcellus, et le censeur L. Pison, sou beau-père. Les
censeurs, à cette époque, étaient Appius Claudius et Pison, qui avait été nommé malgré lui.
Il favorisait César à cause de sa parenté; mais Appius lui était opposé, et penchait pour
Pompée. Il fut cependant très utile à César, sans le vouloir, en faisant disparaître de l'album,
malgré son collègue, les noms de beaucoup de chevaliers et de sénateurs qui, pour cette
raison, embrassèrent le parti de César. Pison, qui craignait de s'attirer des embarras et
ménageait un grand nombre de citoyens à cause de leur amitié pour son gendre, n'en effaça
aucun ; mais il n'empêcha point son collègue d'éliminer du sénat tous les affranchis et
plusieurs nobles des plus illustres; entre autres, l'historien Crisp. Salluste. Curion devait en
être expulsé aussi ; mais Pison le sauva de ce déshonneur, en intercédant pour lui avec
Paulus, son parent.

Marcellus se retire auprès de Pompée

64. Grâce a leur intervention, Appius n'effaça point de l'album le nom de Curion ; mais il
exprima en plein sénat l'opinion qu'il avait sur son compte. Curion en fut tellement indigné
qu'il déchira ses vêtements. Marcellus s'assura de sa personne, espérant que le sénat
prendrait une résolution sévère envers lui et, à son occasion, envers César : il proposa donc
de délibérer sur sa conduite. Curion s'y opposa d'abord, puis, ayant reconnu que, parmi les
sénateurs alors présents, les uns étaient dévoués à César et que les autres le craignaient, il
leur permit de délibérer sur sa personne, et se contenta de prononcer ces paroles : « Ma
conscience me dit que je soutiens le parti le plus sage et le plus utile à la patrie. Ainsi, je
vous livre mon corps et mon âme : disposez-en comme vous l'entendrez. » Marcellus avait
formulé son accusation de telle manière que la condamnation de Curion lui paraissait
certaine ; mais, la majorité l'ayant absous, le consul se laissa emporter à un acte des plus
extraordinaires : il s'élança hors du sénat, se rendit auprès de Pompée, qui était dans un
faubourg de Rome, et, de son autorité privée, sans aucun décret du sénat, il lui confia la
garde de la ville et deux légions de citoyens. Les soldats, qui avaient été rassemblés à cette
fin, étaient déjà auprès de Pompée.

Deux légions sont enlevées à César

65. Et en effet Pompée, encore ami de César, lui avait donné antérieurement, une des
légions levées pour lui-même; attendu qu'il n'avait pas de guerre à soutenir et que César
manquait de soldats. Mais, lorsque la discorde eut éclaté entre eux, Pompée, voulant
reprendre cette légion et en enlever une autre à César, allégua que Bibulus avait besoin de
soldats pour combattre contre les Parthes, et, afin qu'il ne se fit point des levées nouvelles, à
cause de l'urgence et parce que les Romains avaient, disait il, des légions en abondance, il
fit décréter que César et lui seraient tenus d'envoyer chacun une légion à Bibulus. Pompée
n'envoya aucune des légions qu'il avait avec lui, et donna l'ordre aux hommes chargés de
cette affaire de redemander celle qu'il avait cédée à César. De cette manière, ils en
fournirent en apparence une chacun ; mais, en réalité, César seul en donna deux. Il ne fut
pas dupe de ce manège ; mais il se résigna pour ne pas être accusé de désobéissance, et
surtout parce qu'il avait ainsi un prétexte pour lever plus de soldats qu'il n'en perdait.

66. Ces deux légions semblaient donc destinées à marcher contre les Parthes ; mais comme
Bibulus n'en réclamait pas l'envoi, parce qu'il n'en avait nullement besoin, Marcellus, qui
avait déjà craint qu'elles ne fussent rendues à César, soutint qu'elles devaient rester en Italie,
et les mit, ainsi que je viens de le dire, à la disposition de Pompée. Comme tout cela se
passait à la fin de l'année et ne devait pas durer longtemps, puisque rien n'avait été
sanctionné par le sénat ni par le peuple, Marcellus emmena avec lui auprès de Pompée
Cornélius Lentulus et Caïus Claudius, désignés consuls pour l'année suivante, et fit
confirmer par eux les mesures qu'il avait prises. A cette époque , les magistrats désignés
avaient encore le droit de proposer des édits et de faire des actes afférents à leur charge,
avant d'en avoir pris possession. Lentulus et Claudius crurent donc pouvoir accéder au désir
de Marcellus, et Pompée, cet homme en tout si rigide, pressé par la nécessité d'avoir des
soldats, les accepta avec empressement, sans s'inquiéter de quelle main il les recevait, ni par
quel moyen ils lui venaient. Ce fait d'une audace inouïe n'eut pourtant pas les conséquences
qu'on aurait pu prévoir. Contents d'avoir manifesté leur haine contre César, les consuls ne
firent aucun acte de violence, et lui fournirent un prétexte plausible pour garder les soldats
qu'il avait auprès de lui.

Curion se rend auprès de César

Curion accusa vivement les consuls et Pompée devant le peuple, à cette occasion ; puis,
parvenu au terme de sa charge, il se rendit incontinent auprès de César.
ÉCLAIRCISSEMENTS.

LIVRE QUARANTIÈME.

Il repassa en Bretagne (p. 135). De toute la Bretagne deux États seulement envoyèrent des otages à César (001) :
ce fut le prétexte qu'il mit en avant pour faire une nouvelle expédition dans ce pays; mais, comme Dion le
remarque (002), s'il ne l'avait pas eu, il en aurait imaginé un autre.
En partant pour l'Italie, ainsi qu'il le faisait chaque hiver (003), il chargea ses lieutenants de réparer les anciens
vaisseaux et d'en construire de nouveaux dont il détermina la forme et la grandeur. A son retour dans la Gaule, il
trouva 600 navires construits d'après ses instructions, et vingt galères prèles à mettre à la mer (004) : il donna à
ses soldats l'ordre de se rendre au port d'Itius, se transporta de son côté chez les Trévires et chez les Éduens, et,
après les avoir fait rentrer dans le devoir, il laissa Labiénus sur le continent avec trois légions et 2,000 chevaux et
leva l'ancre, au coucher du soleil, avec cinq légions et 2,000 cavaliers. Le lendemain, toute la flotte prit terre,
après divers accidents (005).
La tempête dont parle Dion (006) causa de grands dommages aux Romains : quarante vaisseaux furent perdus, et
les autres ne purent être réparés que difficilement. César prit dans les légions tous les ouvriers propres à ce travail
et en fit venir d'autres du, continent : en même temps, il fit tirer à sec toute la flotte, opération qui coûta dix jours
de fatigues; puis il reprit la lutte contre les Bretons qu'il trouva rassemblés en grand nombre, sous le
commandement de Cassivellanus ou Cassivellaunus(007). César la raconte en détail (008). Elle eut pour résultat
la soumission des Trinobantes et de plusieurs autres peuples (009). Cassivellaunus tenta encore de battre les
Romains; mais, après une nouvelle défaite, il fit, par l'entre-mise de Commins, des propositions de paix à César
qui les accepta, à condition que les Bretons lui livreraient des otages et payeraient un tribut annuel (010).
Après le récit de la deuxième expédition de César en Bretagne, Dion revient à la conquête de la Gaule, consacre
sept paragraphes à cette conquête (011); puis il l'abandonne pour la reprendre et la continuer jusqu'à la fin (012).
Dans ces éclaircissements, je n'interromprai point la suite des événements.

Nouvelle guerre des Romains jusqu'à la conquête complète de la Gaule Transalpine.

César, en revenant de la Bretagne, trouva la Gaule tranquille en apparence; mais sous ce calme trompeur se
cachait un vaste complot qui ne tarda pas à éclater.
Dion se contente de dire que le signal de la guerre fut donné par les Éburons, sous la conduite d'Ambiorix (013).
Quelques détails me paraissent nécessaires.
A son retour de la Bretagne, César, pour remédier au manque de vivres, distribua ses légions dans divers quartiers
(014). Ils étaient à peine établis depuis quinze jours, qu'Ambiorix et Cativolcus, chefs des Éburons chez lesquels
une légion et cinq cohortes avaient été envoyés sous le commandement de Q. Titurius Sabinus et de L.
Aurunculéius Cotta, soulevèrent le pays et attaquèrent le camp des Romains. Repoussés avec vigueur, ils
demandèrent à entrer en pourparlers : C. Arpinéius et Q. Junius furent désignés pour les entendre (015).
Dion résume en quelques lignes la harangue adressée par Ambiorix aux chefs de l'armée romaine, et dans
laquelle, après avoir rappelé sa reconnaissance pour les bienfaits de César et signalé les dangers dont les Romains
étaient menacés par une ligue de la Gaule armée pour la liberté commune, il les engageait à retirer leurs troupes
de tous les quartiers et à rejoindre Cicéron ou Labiénus (016). Dion se borne à dire que les Romains suivirent ce
conseil; tandis que le récit de César a tout l'intérêt d'un drame. A leur retour, C. Arpinéius et Q. Junius portent
l'affaire devant le conseil. De vives contestations s'élèvent : plusieurs tribuns et centurions soutiennent qu'il ne
faut rien faire sans mûre réflexion, et qu'on ne doit point quitter les quartiers sans l'ordre de César. Sabinus
défend avec force un avis contraire qu'il présente sous la forme d'un dilemme: « S'il n'y a rien à craindre, dit-il,
nous joindrons sans aucun danger la légion la plus voisine : si toute la Gaule est liguée avec les Germains, la
promptitude est pour nous la seule voie de salut. » La discussion s'échauffe; les assistants conjurent les deux
lieutenants de ne pas tout perdre par la discorde. Cotta est ébranlé, Sabinus enfin l'emporte, et le départ est
annoncé pour la pointe du jour (017).
Le plan d'attaque dressé par les barbares, le lieu précis où ils s'étaient mis en embuscade, le trouble et les
hésitations de Sabinus, la fermeté et la présence d'esprit de Cotta remplissant le devoir de général et celui de
soldat, l'habile et prudente tactique d'Ambiorix, les efforts des cohortes romaines depuis le lever du soleil jusqu'à
la huitième heure du jour, tout est fidèlement reproduit dans la narration de César (018).
Dion dit que Cotta et un grand nombre de soldats restèrent sur la place et qu'Ambiorix invita Sabinus à se rendre
auprès de lui. Ce n'est pas tout à fait exact : au moment où le courage de l'armée romaine fut ébranlé à la vue des
blessures reçues par deux centurions et par Cotta, frappé d'un coup de fronde au visage (019), Sabinus fit
demander à Ambiorix la vie pour lui et pour les siens. Le chef gaulois répondit que, s'il voulait venir conférer
avec lui, il le pouvait sans crainte. Sabinus invita Cotta à l'accompagner; mais celui-ci répondit fièrement qu'il ne
se rendrait pas auprès d'un ennemi armé. Sabinus alors ordonne aux tribuns légionnaires et aux premiers
centurions de le suivre. A peine arrivé auprès d'Ambiorix, il est enveloppé et mis à mort. Aussitôt les barbares
crient victoire et fondent sur l'armée romaine. Cotta et la plupart de ses soldats périssent : les autres soutiennent
le combat jusqu'à la nuit, et, cette nuit même, ils se tuent de désespoir. Quelques-uns, parvenus à s'échapper à
travers les bois et à gagner les quartiers de Labiénus,l'instruisent de cet affreux désastre (020).
Ambiorix profite de cette victoire pour exciter les Gaulois à s'affranchir : il gagne facilement les Nerviens dont
l'exemple entralne les Centrons, les Grudiens, les Lévaques, et d'autres peuples de leur dépendance (021). Il
tombe inopinément avec eux sur le camp de Q. Cicéron, qui ignorait encore la mort de Sabinus. L'attaque fut vive
et la défense héroïque. Les Romains firent des prodiges de courage : Cicéron ne prit aucun repos, même la nuit
(022).
Suivant Dion (023), Ambiorix voulut tromper Q. Cicéron, comme il avait trompé Sabinus. D'après César (024),
ce ne fut pas Ambiorix seul : tous les chefs des Nerviens et les principaux de cette nation, qui avaient eu avec lui
des relations d'amitié, lui proposèrent un entretien et lui tinrent à peu près le même langage qu'Ambiorix à
Sabinus. La réponse de Q. Cicéron mérite d'être citée textuellement : « Il n'est pas dans l'habitude du peuple
romain de recevoir des conditions d'un ennemi armé. Si vous voulez mettre bas les armes, je vous prêterai mon
concours, et vous pourrez envoyer des députés à César. Sa justice permet d'espérer que vous obtiendrez ce que
vous demandez. ».
Dion ne parle pas des ouvrages rapidement exécutés par les Gaulois autour du camp des Romains (025). Il n'entre
dans aucun détail sur la septième journée du siége, qui fut marquée par une lutte de générosité entre T. Pulfion et
L. Varenus (026).
Dion apprécie avec justesse l'habile tactique de César pour faire croire aux Gaulois qu'il craignait de se mesurer
avec eux; mais il a omis un fait qui ne manque pas d'importance; je veux parler de la lettre apportée par un
esclave gaulois à César, et dans laquelle Cicéron lui annonçait que les barbares avaient abandonné le siége du
camp et marchaient contre lui avec 60,000 hommes (027).
Il ne sera pas sans intérêt de rapprocher des § 5-8 de Dion le passage dans lequel Plutarque (028) résume assez
exactement les faits les plus importants.
César (029) raconte en détail les événements qui suivirent la victoire des Romains sur les Gaulois et qui sont
indiqués très succinctement par Dion (030). Le fait capital est le combat entre Labiénus et Indutiomare, dont la
mort tragique permit aux Romains de respirer (031). Mais le calme était plus apparent que réel : il ne fit pas
illusion à César, qui, s'attendant à de prochains mouvements, chargea M. Silanus, C. Antistius Réginus et T.
Sextius, ses lieutenants, de faire des levées et demanda à Cn. Pompée d'ordonner aux recrues de la Gaule
Cisalpine de rejoindre leurs drapeaux et de se rendre auprès de lui (032).
Dion (033) annonce qu'il ne mentionnera que les exploits les plus mémorables de César et de ses lieutenants. La
brièveté qu'il s'impose nuit à la clarté du récit par l'omission de plusieurs faits qu'il ne sera pas inutile de rétablir.
Dion commence par l'expédition de Labiénus contre les Trévires. Avant cette expédition, César eut à comprimer,
par sa prévoyance et par sa vigueur, les Nerviens, les Aduatiques, les Sénonais et les Ménapiens (034). II tourna
ensuite toutes ses pensées du côté des Trévires et d'Ambiorix (035). Informé qu'ils avaient rassemblé des troupes
pour attaquer Labiénus, qui hivernait sur leurs terres avec une seule légion, il lui en envoya deux autres.
Le stratagème employé par Labiénus pour donner à son départ les apparences d'une fuite est rapporté par Frontin
(036), et les paroles auxquelles Dion fait allusion se trouvent en partie dans César (037). Le stratagème eut un
plein succès : les barbares passèrent la rivière et engagèrent le combat sur un terrain désavantageux. Labiénus les
attira de l'autre côté, en s'avançant lentement; puis il fit volte-face contre les barbares qui, tout étonnés de se voir
ainsi attaqués, s'enfoncèrent dans les forêts. Labiénus les y poursuivit avec sa cavalerie, en tua un grand nombre
et fit beaucoup de prisonniers. Quelques jours après, le pays se soumit (038),
Toutes les circonstances du passage du Rhin ne sont pas nettement exposées dans Dion. D'abord César fit
construire un pont un peu au-dessus de l'endroit où son armée l'avait traversé la première fois : il laissa une forte
garde à la tête de ce pont, du côté des Trévires, afin qu'ils ne pussent point se soulever de nouveau, et passa le
fleuve avec le reste de son armée (039). Les Ubiens vinrent aussitôt demander à être épargnés et lui offrirent des
otages. Ils lui annoncèrent en même temps que les Suèves rassemblaient toutes leurs troupes et avaient ordonné
aux peuples placés sous leur dépendance de leur envoyer des renforts. César accueillit leur demande; mais il les
chargea de s'informer exactement de ce qui se passait chez les ennemis. Peu de jours après, ils lui apprirent que
les Suèves s'étaient retirés dans la forêt de Bacenis, à l'entrée de laquelle ils devaient attendre les Romains (040).
D'après ce renseignement, César, qui craignait de manquer de vivres, repassa le Rhin; mais, pour laisser aux
barbares la crainte de son retour et pour les empêcher d'envoyer facilement des secours à ses ennemis, il fit
couper deux cents pieds du pont, du côté des Ubiens, et à l'extrémité opposée, il éleva, du côté de la Gaule, une
tour à quatre étages et y laissa une garde de douze cohortes, sous le commandement de C. Volcatius Tullus (041);
puis il se mit à la poursuite d'Ambiorix, à travers les Ardennes, en se faisant précéder de L. Minucius Basilus et
de la cavalerie. Peu s'en fallut qu'Ambiorix ne tombât en son pouvoir. Il perdit ses équipages, ses armes, ses
chevaux : heureusement pour lui, ses compagnons purent pendant quelque temps soutenir, dans un défilé, le choc
de la cavalerie romaine, et Ambiorix s'échappa dans les bois (042).
Après cet événement, les soldats d'Ambiorix se réfugièrent les uns dans les Ardennes, les autres dans les marais,
et Cativolcus, l'allié d'Ambiorix, s'empoisonna (043). César reçut à composition les Sègnes et les Condrusiens, à
condition qu'ils lui livreraient les Éburons qui se seraient réfugiés chez eux; puis il divisa ses troupes en trois
corps et envoya les bagages de toutes les légions à Aduatuca, dans le pays des Éburons, où Titurius Sabinus et
Aurunculéius avaient eu leurs quartiers d'hiver (044).
César raconte en détail l'attaque du camp des Romains par les Sicambres (045). Là brilla le courage de P. Sextius
Balbus, qui, malade et n'ayant pris aucune nourriture depuis cinq jours, sortit de sa tente, saisit les premières
armes qui tombèrent sous sa main et se plaça à une porte. Aussitôt la résistance s'organise; les soldats romains,
qui revenaient du fourrage, entendant des cris, ne doutent point que leur camp ne soit en danger. La cavalerie
prend les devants, la lutte se prolonge; mais enfin les barbares sont forcés de repasser le Rhin.
L'épouvante causée par cette attaque n'était pas encore dissipée, quand César arriva. Après s'être plaint de ce
qu'on avait fait sortir les cohortes, il se mit de nouveau à la poursuite des barbares, pillant et brûlant toutes les
habitations. Ensuite il ramena son armée à Durocortore, capitale des Rémois, punit suivant les anciens usages
Accon, auteur de la révolte des Carnutes, et, après avoir envoyé en quartiers d'hiver deux légions chez les
Trévires, deux chez les Lingons, et les six autres chez les Sénonais, il se rendit en Italie (046).
Pour ne pas interrompre le fil des événements relatifs à la Gaule, je vais m'occuper de ceux qui se passèrent l'an
de Rome 701, sous le consulat de Cn. Calvinus et de Messala. Dion les renferme dans onze paragraphes (047).
Les voici dans l'ordre où je dois les examiner :
Soulèvement général de la Gaule; siège et prise d'Avaricum (048). -Siége de Gergovie des Arvernes; troubles
chez les Éduens (049). - Expédition de Labiénus contre les Séquanais (050). - Siège et prise d'Alésia (051). - Fin
de la conquête de la Gaule (052).
1° Soulèvement général de la Gaule; siège et prise d'Avaricum.
Pendant que César était en Italie, les Gaulois, un moment contenus, profitèrent de son absence pour tenter de
nouveaux mouvements et formèrent une ligue universelle contre la domination romaine. Le signal fut donné par
les Carnutes, qui, après avoir juré sur leurs étendards de ne jamais les abandonner, marchèrent, sous la conduite
de Cotuatus et de Conetodunus, sur Génabum où ils massacrèrent tous les Italiens que le commerce y avait attirés
(053). Le fils de Celtillus, qui avait été mis à mort pour avoir aspiré à la royauté (054), est investi du
commandement suprême, sous le titre de Vercingétorix. Il charge un de ses lieutenants, Lucterius, d'envahir la
Province; tandis qu'il se dirige lui-même vers les légions du nord (055). A cette nouvelle, César part pour la
Gaule Transalpine, traverse les Cévennes couvertes de neige et s'ouvre un chemin dans le pays des Arvernes. Le
Vercingétorix, cédant aux instances des Arvernes, qui le conjurent de ne pas exposer leurs foyers au pillage, lève
le camp et quitte le pays des Bituriges (056). César marche aussitôt sur Vienne, traverse le pays des Éduens,
gagne celui des Lingons, où hivernaient deux légions, et ordonne aux autres de le rejoindre. Le Vercingétorix,
instruit de sa marche, ramène son armée chez les Bituriges et fait le siége de Gergovie des Boïens. César obtient
des vivres chez les Éduens, fait avertir les Boïens de son approche, les exhorte à rester fidèles et à se défendre
vaillamment. Le lendemain, il arrive à Vellaunodunum qui capitule, se rend en toute hâte à Génabum, s'en
empare, la livre au pillage et arrive chez les Bituriges : chemin faisant, il force Noviodunum de se soumettre
(057).
Les revers essuyés par les Gaulois poussent le Vercingétorix à une résolution inspirée par le désespoir. Il
convoque un conseil et déclare qu'il faut priver les Romains de vivres et d'abri , en incendiant les villes et les
bourgs et en brillant tontes les places. Cet avis est adopté, et à l'instant s'allume un vaste incendie : Avaricum n'est
épargné que sur les plus vives instances des Bituriges, et sa défense est confiée aux plus braves (058).
Les détails du siége et de la prise de cette ville forment un récit des plus émouvants : il ne faut pas l'analyser,
mais l'étudier. Je signale à l'attention du lecteur le § 23, qui contient des renseignements précieux sur les
murailles des villes gauloises (059).
Les Romains, maîtres de la place, n'épargnèrent ni l'âge ni le sexe : sur 40,000 habitants ou soldats, 800 à peine
échappèrent à la mort par la fuite (060).
Plutarque ne donne qu'un exposé sommaire du soulèvement de la Gaule sous la conduite du Vercingétorix (061).
Il ne parle ni du pillage de Génabum, ni de la prise d'Avaricum.

2° Siége de Gergovie des Arvernes; troubles chez les Éduens.


Après le désastre d'Avaricum, le Vercingétorix, loin de se laisser abattre par les revers, rallie divers États autour
de lui et fait de toute la Gaule un seul corps (062). César, de son côté, séjourna pendant quelque temps à
Avaricum, où il avait trouvé des vivres en abondance, et donna a son armée quelques instants de repos (063). Là,
il reçut une députation des Éduens qui le suppliaient d'intervenir entre Convictolitan et Cottus, qui se disputaient
le titre de Vergobret : César fit pencher la balance en faveur du premier. Il est bon de noter ce fait en passant,
parce que nous aurons bientôt à parler de l'ingratitude de Convictolitan envers César.
Aussitôt que le calme fut rétabli chez les Éduens, César leur demanda toute leur cavalerie et dix mille fantassins.
Il envoya Labiénus avec quatre légions contre les Sénonais et les Parisiens, et conduisit lui-même les six autres
contre Gergovie des Arvernes, en longeant l'Allier. Le Vercingétorix coupa tous les ponts et fit route de l'autre
côté de cette rivière : les deux armées marchaient presque en face l'une de l'autre, et les éclaireurs du
Vercingétorix ne permettaient pas à César de construire un pont sur l'Allier, qui n'est guéable qu'en automne.
Pour sortir d'embarras, il eut recours à l'expédient mentionné par Dion (064) : César s'arrêta vis-à-vis de l'un des
ponts détruits par le Vercingétorix, et, l'ayant rétabli promptement sur les anciens pilotis dont la partie inférieure

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