Synthèse Energie La Peau de Chagrin de Balzac

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La Peau de chagrin : un roman de l'énergie

La Peau de chagrin est un roman de l'énergie en ce sens qu'elle commande


et explique le sort de presque tous les personnages. Balzac y expose une
conception vitaliste de l'existence, qui privilégie, quitte à en mourir, la
recherche de sensations fortes. Suicidaire, faible et en principe omnipotent,
Raphaël n'en est que plus paradoxal.

I. Une conception vitaliste de l'existence


L'énergie se présente comme la source de toute existence, dont La Peau
est une représentation métaphorique. La conséquence est qu'il revient à
chacun de choisir sa vie, c'est-à-dire de décider de la manière dont il va
consommer son énergie vitale.
1. L'énergie, source et moteur de l'existence
Le roman repose sur la thèse selon laquelle tout individu dispose à sa naissance d'une certaine quantité
d'énergie à dépenser. Cette énergie est le principe même de la vie, dont elle est le carburant, comme le
suggère l'adjectif « vitaliste ». Le vieil antiquaire développe longuement cette théorie: toute vie, explique-t-
il à Raphaël, se place sous le double signe du «Vouloir » et du « Pouvoir ». Mais, ajoute-t-il, «Vouloir nous
brûle et Pouvoir nous détruit». Là réside, selon lui, «un grand mystère de la vie humaine ».
Ce courant vitaliste était alors en vogue dans certains milieux médicaux et philosophiques. Parmi les
médecins que consulte Raphaël figure d'ailleurs le docteur Caméristus, qualifié de «chef des vitalistes ».
2. La Peau comme métaphore de l'existence
De cette thèse, la Peau est l'illustration concrète. Son pouvoir surnaturel fait qu'elle réunit en un même
mouvement le «vouloir » et Le « pouvoir ». Desirer, c'est en effet vouloir; et réaliser tous ses désirs, c'est
tout «pouvoir ». L'inscription qu'elle comporte en forme de triangle inversé lie explicitement la diminution
de l'espérance de vie au nombre des volontés exprimées et exaucées. L'énergie décroît à l'image des lignes
de l'inscription. Ce qui est vrai de l'existence physique l'est aussi de la vie affective et intellectuelle: «Là,
conclut l'antiquaire, sont vos idées sociales, vos désirs excessifs, vos intempérances, vos joies qui tuent, vos
douleurs qui font trop vivre ».
3. Choisir sa vie
Dès lors se pose la question de savoir comment consommer cette énergie: en avare, à l'économie, ou avec
excès et prodigalité ? De ce choix dépend la vie qu'on mènera: longue, mais fade, si l'on opte pour
l'économie: intense, mais brève, si l'on choisit l'excès. L'antiquaire a pendant longtemps échappé à ce
dilemme en se réfugiant dans le «savoir » qui permet de tout vivre par la pensée sans pour autant
s'épuiser physiquement. Il finira par reconnaître son erreur. Savoir, donc apprendre, n'est pas vivre:
«J'avais pris l'existence au rebours », dira-t-il à Raphaël, rencontré par hasard à l'Opéra.

II. La recherche de sensations fortes


Vivre pleinement passe par une quête de l'intensité, qui ne peut s'effectuer que dans des excès de toutes
natures où création et destruction se trouvent intimement liées.

1.Des excès inhérents à une vie intense


Cette énergie est créatrice dans la mesure où elle permet de s'extraire de la fadeur et de la monotonie de
l'existence. Pour y parvenir, l'excès devient indispensable. Celui-ci peut être de différentes sortes:
- excès de travail et de concentration intellectuelle quand Raphaël rédige dans sa mansarde sa Théorie de
la volonté: «Vous vous êtes livré à de grands travaux d'intelligence ? », lui demande l'un des trois médecins
qu'il
- excès d'intempérance, de nourriture et d'ivresse lors du banquet chez Taillefer
- excès d'argent qui permet de tout acheter (Foedora: "J'aurai toujours de la fortune [...] Et bien, avec de
l'or nous pouvons toujours créer autour de nous les sentiments qui sont nécessaires à notre bien-être.")
- excès sexuels des courtisanes et de Raphaël
- excès dans la guerre qui n'est qu'une «débauche de sang» où l'homme est "un ange exterminateur, une
espèce de bourreau, mais gigantesque" (Raphaël, " La Femme sans cœur")
La liste est quasi infinie. C'est que «tous les excès sont frères »et tous inhérents à une vie intense.

2. Une création destructrice


Dès lors, la création ne s'oppose pas à la destruction. Elle la contient, elle la suscite, parce qu'elle implique
une consommation importante d'énergie. Plusieurs personnages du roman se plient en toute conscience et
lucidité à cette loi universelle. La courtisane Aquilina se moque de vieillir lentement: «nous vivons plus en
un jour qu'une bonne bourgeoise en dix ans». Au bras d'Euphrasie, l'antiquaire est de son avis: «Il y a toute
une vie dans une heure d'amour». «L'intempérance [l'abus d'alcool et des plaisirs sexuels]» est pour
Rastignac «la reine de toutes les morts ». Le jeu est une variante du même phénomène. Miser sur des
cartes comme le fait Raphaël au début du roman, c'est risquer de tout perdre ou de tout gagner. La ruine
possible est indissociable d'une éventuelle richesse.

III. Le cas paradoxal de Raphaël


Au regard de cette conception vitaliste de l'existence, Raphaël apparaît comme un homme peu énergique
par lui-même, de petite ambition et finalement réduit à l'impuissance.

1. Un homme peu énergique par lui-même


Figure centrale de l'œuvre, Raphaël est un héros faible. La première partie du roman le montre sur le point
de se suicider. Un double échec littéraire et sentimental, l'a décidé d'en finir avec la vie. Aucun sursaut né
l'emporte, aucune rage combative ne l'anime. Cette faiblesse de caractère, l'antiquaire la diagnostique
d'emblée quand il évoque des «hommes doués de plus d'énergie» que son client paraît «en avoir ». Si
Raphaël accepte de prendre possession de la Peau, c'est autant paf défi que par désir de hâter sa mort
prochaine: «Vous vouliez mourir? Hé bien, votre suicide n'est que retardé », lui dit d'ailleurs le vieil
homme. «Retardé », il n'est pas en effet écarté ou éliminé.L'énergie dont dispose Raphaël lui est
extérieure: elle ne vient pas des profondeurs de son être. D'où sa faiblesse et sa mentalité suicidaire.

2. Un homme de petite ambition


Si en réalisant ses désirs, la Peau lui donne le «Pouvoir », elle ne lui insuffle guère le «Vouloir » propre aux
arrivistes ou aux conquérants que Rastignac incarne. Ses principaux souhaits concernent son confort et son
bonheur personnels: devenir riche pour vivre à son aise et conquérir Pauline pour être heureux. C’est au
moment même où la possession de la Peau lui permet tout, qu'il renonce à l'«excessive ambition» qui,
dans sa jeunesse, lui faisait croire qu'il était « destiné à de grandes choses ». Son père souhaitait qu'il
devienne un jour «la gloire » de la famille. Ce projet, Raphaël ne le réalisera pas alors même qu'il en a La
possibilité. Signe supplémentaire de son absence d'ambition: il vit à l'écart de la société, dans un
isolement certes doré mais quasi complet. Rastignac n'est qu'un aimable compagnon de débauche et
Pauline traverse sa vie en étoile filante.

3. Un homme condamné à l’impuissance


Ainsi Raphaël n'use guère de la toute-puissance que lui confère la Peau et quand il en fait usage, c'est
souvent à mauvais escient, comme lors de son entretien avec son ancien professeur. La troisième partie du
roman le voit progressivement adopter une vie de reclus: il est un curiste solitaire et marginalisé à Aix-les-
Bains: au Mont-Dore, ne voulant plus être «chargé de lui-même », il tente de se confondre avec la nature
comme un rocher, — car vivre comme un rocher est encore vivre. Raphaël découvre l'implacable loi de
l'existence: tout pouvoir conduit à la mort, comme tout vouloir et tout savoir. Son «dernier éclat de Vie» le
rend incapable de serrer Pauline dans ses bras, de prononcer la moindre parole. L'ultime désir qui le
précipite vers elle prend des allures de suicide — dont la pensée ne cesse de le hanter depuis presque
toujours. Était-il en définitive le meilleur propriétaire possible de la Peau ?

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