L - Art Du Roman - Milan Kundera
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L - Art Du Roman - Milan Kundera
Milan Kundera
3. Cervantès fait comprendre le Monde comme une somme d’ambiguïtés, de vérités relatives qui se contredisent.
C’est la « sagesse de l’incertitude », i.e. l’incapacité des hommes à supporter les relativités essentielles des
choses humaines, ils veulent juger avant de comprendre.
4. Distinction Diderot/Balzac montre l’évolution du roman en 100ans. Diderot c’est Jacques le Fataliste, un héros
sur le chemin, dans une histoire sans commencement, sans fin avec la perspective d’une Europe à l’avenir sans
fin. Alors que Balzac, ce sont les bâtiments modernes au travers des institutions, la police, la justice, les finances,
le crime, l’armée, l’Etat. Il est totalement dans le train de l’Histoire. On peut aussi distinguer Flaubert, dans la
suite de Balzac, avec une Emma Bovary dans un ennui profond où l’horizon est une clôture. En plein dans
l’illusion de l’unicité irremplaçable de l’individu, une des plus belles illusions qui s’épanouit en Europe.
5. Le chemin du roman est paradoxal, pendant les Temps Modernes, la raison cartésienne corrodait les valeurs du
Moyen-âge. Mais au moment de la victoire de la raison, l’irrationnel pur s’emparera de la scène du Monde
parce qu’il n’y aura plus aucun système de valeurs communément admis.
C’est peut-être en partie à cela qu’on doit la disparition de l’aventure dans beaucoup de romans. Mais alors que
la guerre possédait chez Homère et Tolstoï un sens, ce n’est plus le cas chez Hasek, où Chvéïk et ses
compagnons ne savent même pas pourquoi ils combattent et ne s’y intéresse pas. Le simple but est la « volonté
de volonté », on est alors complètement dans l’irrationnel. Alors qu’en fait, c’est la guerre qui fait et assure
l’unité rêvée de l’humanité.
6. Dans Joyce et Proust, les personnages combattent les monstres de leur âme, dans Kafka, Hasek, Musil, Broch, le
monstre est l’Histoire. Impersonnelle, ingouvernable, incalculable, inintelligible, et inéluctable, elle est à
l’aventure.
Les périodes de l’histoire du roman sont plus longues que celles de l’Histoire et caractérisées par les
préoccupations principales des romans.
7. La fin du roman vu par les surréalistes, les futuristes, n’est pas une impossibilité. En effet, le roman meurt en
tombant en dehors de son histoire, en n’explorant plus de nouvelles voies. Et c’est ce qu’il s’est passé en Russie,
avec le communisme le roman est mort car la vérité totalitaire exclut la relativité, le doute, l’interrogation, ce
qui est incompatible avec l’esprit du roman.
9. L’unification de la planète est accompagnée d’un processus de réduction : la vie de l’homme est donc réduite à
sa fonction sociale, l’histoire d’un peuple à quelques évènements. Roman nécessaire puisque protège contre
oubli de l’Être. Mais roman de plus en plus réduit également = mass média (rapidité des réponses que pourrait
amener le roman). Alors que roman est l’esprit de complexité et de continuité, i.e. en réponse aux œuvres
précédentes mais esprit contemporain fixé sur actualité.
10. Si le roman veut garder ca vocation et continuer d’exister, il doit le faire contre le progrès du Monde. Même
considérer le futur comme seul juge compétent des œuvres est le pire des conformismes car l’avenir est
toujours plus fort que le présent et jugera sans compétences.
Kundera reçoit le prix littéraire « Jérusalem », le plus important que décerne Israël. Selon lui le plus grand prix est
international, cela est dû au cosmopolite des juifs : les grandes personnalités juives, éloignés de leurs terres, élevés au
dessus des passions nationalistes même si tragiquement déçus par l’Europe, y sont restés fidèles.
Il distingue romancier d’écrivain. Le romancier disparait derrière son œuvre, l’écrivain est un homme public (mass
média). L’écrivain est donc en proie à faire passer son roman pour un appendice des ses gestes, ses pensées. Or
romancier n’est le porte parole de personne, même pas de lui-même. Lorsqu’il écrit un récit, il écoute une autre voix
que celle de sa conviction personnelle : la sagesse du roman qui fait que les œuvres sont plus intelligentes que leur
auteur.
Proverbe juif : L’homme pense, Dieu rit : parce que la vérité échappe à l’homme (Don Quichotte). Les premiers
romanciers européens ont vu et saisi cette situation de l’homme et ainsi ont fondé l’art nouveau du roman.
Selon Rabelais, sagesse du roman n’est pas la même que celle de la philosophie : le roman est né de l’humour, pas de la
théorie. Et un des échecs européens est de n’avoir pas compris l’esprit, les connaissances, les découvertes et
l’autonomie de l’histoire du roman, art le plus européen.
Il remet en cause d’associer le XVIIIe systématiquement aux mêmes auteurs, amenant des clichés (totalitarisme russe =
œuvre du rationalisme athée du siècle des Lumières) alors qu’il y a aussi Fielding, Sterne, Goethe, Laclos.
Tristram Shandy de Sterne est le roman préféré de Kundera qui montre que la vie n’est pas une succession de causes et
d’effets, tout comme la poésie est une interruption de l’action.
Selon lui, on ne peut pas juger un siècle exclusivement selon des idées, des concepts théoriques, sans s’intéresser à l’art
et particulièrement le roman. En plus de la locomotive et la certitude d’Hegel d’avoir saisi l’esprit même de l’Histoire
universelle, Flaubert a inventé la bêtise (Emma Bovary) ne pouvant être effacé devant la science, le progrès, la
modernité, la technique mais progresse. En fait, la bêtise moderne ne signifie pas ignorance pas non pensée des idées
reçues.
Broch (1930’s) parle de l’effort héroïque du roman a passé au dessus du kitsch (attitude de celui qui veut plaire à tout le
monde à tout prix), les mass médias font partie du kitsch.
Le roman contient en conclusion l’essence de l’esprit européen : respect pour l’individu, pour sa pensée originale et
pour son droit à une vie privée inviolable car la culture européenne lui semble menacée de l’intérieur et de l’extérieur.