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PRINCE
Film de
PASCAL KANE
YVES
CAHIERS DU CINEMA - Revue Ce journal contient un encart numéroté de | a IV. Les manuscrits ne sont pas rendus.
mensuelle éditée par la s.a.r.l. Tous droits réservés. Copyright by les Editions de l’Etoile.
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L’Argentde Robert Bresson, Nostalghia d’Andréi
Tarkovski et La Lune dans le caniveau de Jean-
Jacques Beineix
VERITES ET MENSONGES
LE VRAI, LE FAUX,
LE FACTICE
PAR ALAIN BERGALA
S’il est une question qui semble travailler aujourd’hui grand nombre de cinéastes, tou-
tes catégories et tous niveaux de talents confondus, de Bresson a Beineix en passant par
Chéreau, Giiney, Gainsbourg, Oshima, Tarkovski, Akerman et Ruiz, c’est bien celle du
faux, et du faux dans tous ses états : le décor, le théatre, la panoplie, le faux semblant, le
factice, le toc, l’imagerie.
De ce point de vue-la, Cannes 83 aura marqué qu’une époque du cinéma est bel et bien
terminée, celle de la modernité historique, qui n’aura pas duré moins d’un quart de siécle
(1955-1980) pendant lequel le cinéma qui innovait n’a eu d’autre moteur que la question
de son rapport a la vérité. En-dega de toutes leurs différences, les cinéastes modernes ont
eu en commun une conception et une pratique du cinéma ou il était @ /a fois l’instrument
(bistouri et forceps) et le seul critére (preuve et épreuve) de la vérité. Avec tout le cortége
de moralisme et de terreur qui ne peut manquer d’accompagner toute recherche de la
vérité, en l’occurence le fétichisme de l’inscription vraie, du plan-séquence, du son
synchrone et une bonne dose de cruauté a l’égard de tout ce qui se trouve, acteurs com-
pris, dans le champ de la caméra, l’important étant moins de respecter la réalité (la
modernité n’a jamais été un néo-réalisme) que de lui faire rendre gorge, cinématographi-
quement, de sa part de vérité.
Quant Beineix déclarait 4 qui voulait l’entendre, 4 Cannes, qu’il « n’en a rien a foutre
de la vérité » et qu’il veut faire un cinéma de |’Image, enfin synchrone avec « |’éclate-
ment de la morale et des dogmes », c’est bien de cela qu’il s’agit, d’en avoir fini une fois
pour toutes avec le vieux cinéma moderne — dont il ne veut rien savoir — et d’annoncer
le nouveau cinéma dont il réve, le cinéma de |’époque des spots publicitaires et des vidéo-
clips, un art de l’Image comme séduction et magie, une écriture toute de surface, sans la
souffrance et le malheur liés a la vieille écriture, bref un cinéma dont il sait bien qu’il ne
peut se construire — s’il peut se construire — que hors du champ de la vérité.
Si j’ai pris l’exemple de Beineix, c’est que son projet est le plus naivement radical
quant a cette question du faux au cinéma, au point que ce n’est méme plus /e faux qui
intéresse Beineix (car le faux a toujours partie liée avec la vérité, comme |’envers et
l’endroit d’une méme piéce), mais le factice comme un artefact de séduction, susceptible
6 VERITES ET MENSONGES
de procurer un plaisir immédiat, que rien ne vient troubler, ni travail ni attente, un plai-
sir sans contrepartie, fondé sur l’oubli pur et simple du principe de réalité.
Il en va différemment pour les autres cinéastes cités au début qui sont loin, pour la
plupart, d’en avoir fini avec la vieille question de la vérité, mais seulement avec un cer-
tain usage (et une certaine morale) du cinéma qui a consisté pour la génération précé-
dente a traquer ou a forcer cette vérité avec les instruments du cinéma con¢us comme des
instruments de torture et de prélévement. La plupart de ces cinéastes sont en train de
redécouyvrir — chacun pour son compte et dans le plus grand désordre — /es puissances
du faux au cinéma, et qu’elles passent d’abord par |’image.
C’est la conception méme de l’image de cinéma et de son usage qui est en train de bas-
culer. L’image a cessé d’étre pensée comme une preuve par la réalité : a quelques rares
exceptions prés (comme Jean-Pierre Denis dans La Palombiére), elle est désignée
aujourd’hui comme fondamentalement fausse, mensongére. Bresson répéte depuis
30 ans que « la photographie c’est le mensonge méme », que le son est vrai et que Pour Tarkovski comme pour Oshima
le décor le plus naturel cesse d’étre la
limage est fausse, que « la caméra ne nous donne des étres et des choses qu’une appa- reuve d'une inscription du film dans
a réalité pour fonctionner, inverse-
rence superficielle et trompeuse ». Mais tout son travail consiste a déjouer cette fausseté ment, comme un décor de théatre, par
premiére de l’image pour « chercher le vrai ou l’impression du vrai », a vider les acteurs sa puissance d’évocation et sa capa-
cité de structurer un espace d’évolu-
de toute fausseté théatrale. La plupart des cinéastes cités plus haut, convaincus que le tion théatral.
cinéma est un art du faux, ont cessé de résister 4 ce penchant au mensonge de l’image et
semblent avoir fait le choix d’en jouer avec bonne conscience plutdt que de chercher
désespérement a le déjouer. Ceci est nettement sensible dans la facon dont ils se posent
dans leur film la question du décor. Giiney reconstitue une prison turque en France, Tar-
kovski trouve en Italie un décor naturel tout a fait théatral, qui fait plus faux que du stu-
dio, et peut déclarer sans choquer personne que « tourné dans un autre pays » son film
« aurait été, pour l’essentiel, le méme ». Oshima tourne en Nouvelle-Zélande, aprés
avoir pensé aux Philippines, une histoire censée se passer 4 Java. Chéreau utilise plu-
sieurs gares et plusieurs villes pour créer une ville entiérement imaginaire, faite de piéces
LE VRAI, LE FAUX, LE FACTICE
Afrique une imagerie africaine qu’il aurait pu, a peu de choses prés, reconstituer au stu-
dio d’a cété. Dés lors que ces cinéastes ont choisi d’utiliser a l’avantage de leur cinéma
les puissances d’illusion et de faux-semblant de l’image, leurs choix des décors n’ont plus a
obéir a un quelconque critére moral de vérité ou de conformité : le décor le plus naturel
peut étre utilisé avec délices comme une toile en trompe-l’ceil, pour sa seule puissance
d’évocation. Beineix excelle par moments, souvent le temps d’un plan, dans cette opéra-
tion qui consiste a transformer I’ objet le plus chargé de réalité, par exemple une grue de
port (avec tout ce que ca représente de poids et de travail) en pur élément de décor, léger
comme du carton-pate, par la magie de quelques étincelles de feu d’artifice. Mais son
besoin de créer une imagerie de toutes piéces, hors de toute contamination de la réalité,
entraine souvent ses images dans un maniérisme et dans un devenir-dessin qui est a la
fois la tentation normale, légérement paranoiaque, de ce cinéma-Ia et la limite de son
esthétique. Car une conception théatrale du décor n’a de réel intérét cinématographique
que lorsqu’elle fait vaciller, dans un léger vertige de la représentation, la ligne de partage
du vrai et du faux. Quand on atteint la limite ow tout le vrai a été soigneusement chassé
de image, quand il ne reste plus le minimum de réalité pour résister a la spirale de l’illu-
sion et que le trompe-l’ceil peut tout aspirer sans résistance, le cinéma y perd sur le ter-
8 VERITES ET MENSONGES
rain méme ou il entend gagner, celui de la magie, tant il reste vrai malgré tout — ces
choses-la ont la vie plus dure que les préoccupations cinématographiques d’un
moment — que la magie du cinéma, y compris la séduction du faux, tient fondamentale-
ment a son réalisme ontologique.
Toute la confusion vient de la : qu’il y ait un réalisme ontologique de l’image cinéma-
tographique — qui persistera tant que le cinéma restera une projection d’images chimi-
ques et analogiques — n’engage pas plus le cinéma dans la voie de la capture de la vérité
que dans la voie de l’exploration de ses puissances d’ illusion et de magie. Il n’y a pas une
vocation naturelle du cinéma qui trouverait son origine et sa légitimation dans ce réa-
lisme ontologique de l’image (qui n’a rien a voir avec les catégories du vrai et du faux),
mais il n’en reste pas moins que I’un et l’autre cinéma, celui pour qui l’image est avant
tout vérité et celui pour qui l’image est avant tout mensonge, sont condamnés a compter
avec ce réalisme ontologique. Et je serais presque tenté de dire : surtout le cinéma de
l’illusion et du mensonge, dans la mesure oti c’est celui qui a le plus facilement tendance
a l’oublier. Chéreau, Oshima, Tarkovski ou encore Ferreri, absolument exemplaire sur
ce point, ont opté a peu prés en méme temps et chacun a leur facon pour une conception
théatrale du décor, mais ce n’est jamais en oubliant ce fondement réaliste de l’illusion
cinématographique sans lequel les faux semblants cessent d’étre troublants pour devenir
de pauvres trompe-l’ceil inertes et plats, comme cette publicité de l’alcool Stromboli qui
revient réguli¢rement dans La Lune dans le caniveau, ou les fresques murales dans Diva,
qui désignent la limite et la butée du cinéma de Beineix : filmer en tant que tel un décor
peint en trompe-l’ceil, c’est-a-dire filmer quelque chose qui est déja entiérement, avant
filmage, du cété de l’illusion et de l’artefact. :
Bernard Faucon, dont tout le projet de photographe — un des plus « contempo-
rains » qui soient — tourne précisément autour de cette question du vrai et du faux, du
naturel et de l’artifice, a trés bien saisi comment la fascination de ce vertige du vrai et du
faux est liée au réalisme méme de l’image photographique : « la photographie ment, elle
interpréte tout. Pourtant son opération ne cesse d’attester l’existence. Elle ne ment pas
sur le réel. L’image la plus fabriquée, la mise en scéne la plus artificielle est emportée
dans un étourdissant réalisme. Sans cette dimension de fascination, je ne serais pas pho-
tographe, je serais peintre. »
Les puissances du faux, au cinéma, sont évidemment liées a cet étourdissant réalisme
dont parle Bernard Faucon et qui permet aux cinéastes qui ont choisi cette voie-la de se
tenir vertigineusement « au bord de la réalité » pour reprendre une expression de Ché-
reau qui conviendrait aussi bien au cinéma de Ferreri ou de Tarkovski. A l’oublier, et a
trop aimer le faux pour le faux, comme il arrive souvent a Beineix et Gainsbourg, on ris-
que, au nom de la magie cinématographique, de pratiquer un cinéma qui verse bientét
dans le maniérisme et l’imagerie plate, c’est-a-dire au bout du compte un cinéma sans
véritable magie cinématographique.
Elle est peut-étre la, la différence : entre ceux qui aiment le faux pour le faux, et qui en
viennent souvent trés vite a aimer le toc et le factice, et ceux qui ont choisi d’entrer dans
la spirale du faux comme leur fagon a eux, vertigineuse, de tourner avec leur cinéma
autour de la question de la vérité. Quand Welles, qui est sans doute le cinéaste vivant qui
a joué le plus magistralement avec les puissances du faux au cinéma, ne cesse de répéter,
de film en film et de déclaration en déclaration, qu’il ne saurait y avoir de dernier mot de
la vérité, c’est pour dire du méme coup que cette question de la vérité, autour de laquelle
il tourne maintenant depuis plus de quarante ans, est sans doute la seule question qui
lait véritablement hanté dans tous ses films comme je suppose qu’ elle hante aujourd’ hui
Raoul Ruiz. Les grands cinéastes du faux, ceux pour qui le travail de l’illusion est une
nécessité esthétique et non une simple stratégie de séduction, sont sans doute ceux
qui ont éprouvé le besoin impérieux de mettre en ceuvre les puissances du faux que leur
apportait le cinéma pour tourner autour de la question de la vérité, de décor en décor, de
masque en masque, sans espoir de jamais la toucher, mais fascinés et exaltés par sa trop
vive lumiére, bien loin du cynisme triste des manipulateurs d’ illusions désabusés.
Dans la conception moderne, disons pour aller vite bazinienne, du cinéma, les cinéas-
tes ont cru que l’approche de la vérité était une affaire de morale et que les instruments
du cinéma leur permettraient dans certaines conditions de filmage, grace a certains dis-
positifs, d’en capturer de loin en loin quelques éclats un peu miraculeux en filmant les
choses, les lieux et les acteurs au premier degré, au plus prés de leurs apparences. Pour
les cinéastes du faux, le cinéma se fait 4 partir de la conviction initiale que les apparences
ne seront toujours que faux semblants, quoi qu’on y fasse, et qu’il ne reste plus qu’a les
manipuler, a en faire miroiter le leurre, 4 jouer de leur magie en se tenant résolument au
Sur cette photo de Bernard Faucon
(Premiére communion, 1979) on pou- bord d’une réalité de toute facon impossible a atteindre avec les moyens trompeurs de
vait déja voir a l’ceuvre, avec la simpli-
cité et l'évidence de la vraie nécessité, l’image cinématographique.
tout ce qui travaille le cinéma Ces deux attitudes traversent l’histoire du cinéma comme deux de ses courants essen-
d’aujourd’hui : le décor naturel et le
théatre, le vrai et le faux, la panoplie, tiels et l’on est peut-étre en train d’assister aujourd’hui tout simplement a un retour du
le factice et le vif. balancier du c6té du cinéma qui part de la fausseté des apparences, aprés plus de vingt
ans de « modernité » ot l’on a pris au pied de la lettre la formule de Godard selon
laquelle le cinéma c’était la vérité 24 fois par seconde.
Reste que la nouvelle tendance a explorer les puissances du faux au cinéma, qui sem-
ble revenir en force et dont nous serons sans doute amenés a reparler, exige d’autant plus
de vigilance critique que la tentation y est permanente d’un pur formalisme et d’un
maniérisme désabusé, d’un art de non-dupes, et de faux-naifs — dont nous n’avons
jamais ici pris la défense et qui menace pendant toutes les périodes de crise — et que les
outils critiques qui ont pu étre les nétres au cours de la période précédente (critere moral
ou critére de vérité) ne sont visiblement plus adaptés a ce cinéma qui s’annonce. A.B.
VERITESET MENSONGES
LE DECOR ET LE MASQUE
PAR YANN LARDEAU
Quand, un peu partout, on entend dire qu’il manque au cinéma des histoires, c’est
peut-étre moins d’histoires, de romanesque, que le cinéma éprouve le manque que de
théatralité. En tout cas, Cannes 83 aura donné la démonstration d’un retour en force du
théatre, de Furyo a Chaleur et poussiére, de Camminacammina a La Lune dans le cani-
yeau, de L’Homme blessé aux Trois couronnes du matelot, jusqu’a, par |’absurde,
L’Argent de Robert Bresson qui, film de cinéma pur, est l’exception qui confirme la
régle.
Par théatre, il faut entendre une scéne, un goiit pour le décor et pour la reconstitution
(chose commune a Chaleur et poussiére, a L’Année de tous les dangers, ala Lune dans le
caniveau), le recours aux artifices et aux accessoires pour produire un univers artificiel,
simulacre de synthése, un besoin de déguisement et de travestissement, de jeu et de pano-
plie (Furyo).
Le théatre met un homme sur scéne et montre les différents types de relations qui exis-
tent entre cet homme et cette scéne. Le cinéma met un homme dans un cadre et montre
les différents rapports susceptibles de se produire entre cet homme et ce cadre. Mais le
Dans Furyo Nagisa Oshima a filmé décor de la scéne est abstrait, artificiel, fait de signes et de symboles, il n’y a que l’acteur
opposition de deux cultures, l’Occi- de vrai, tandis que le cadre cinématographique est constitué des traces de l’environne-
dent chrétien et le Japon bouddhiste,
comme l’opposition de deux théatres, ment réel, que le décor ait été créé spécialement pour le film ou qu’il s’agisse de décors
avec, comme chez Shakespeare, d'un naturels, d’extérieurs. Au théatre un acteur préte son corps a une représentation. Pour
cété la tragédie des dieux, de l'autre la
comédie des bouffons. Le gros plan ce, il se maquille, il se grime ; méme si son visage est nu, il porte un masque (dont |’équi-
cinématographique filme la voix, |’ori- valent cinématographique est le gros plan). Ce masque traditionnellement a le pouvoir
gine de la parole. I! est I’héritier de la
tradition du masque du théatre. Mais de le neutraliser sexuellement ou de lui conférer toutes les identités sexuelles, la tradition
sous le masque, celui de Ryuichi
Sakamoto sous la panoplie de boy-
voulant que ce soient les hommes qui interprétent les r6les de femmes. L’attraction du
scout de David Bowie, il y a, toujours théatre provient du fait que le décor et le masque sont portés par un corps dont on espére
sur le point d’advenir, la souffrance
réelle du corps mutilé de la guerre, & Vimprobable manifestation. Moliére meurt sur scéne mais le retour du réel dans l’illu-
ce point d’horreur de n’étre plus lui- sion comique fait que le spectacle ne peut plus étre reproduit. Parce que c’est le propre
méme qu’un agglomérat de prothé-
ses. Comment ne pas penser au de l’image cinématographique de durer et de montrer les choses se modifier dans son
moment du rassemblement des bles- champ, elle seule est capable d’inscrire la mort, le moment ot un étre vif passe a l’état de
sés au milieu du camp aux Soldats
impériaux oubliés (1963) chose inerte (cf. André Bazin, Mort tous les aprés-midi). Pour que le corps puisse jouer
la comédie, servir de support d’expression dramatique, il lui faut d’abord étre nié, cen-
suré comme réalité biologique. Celle-ci au contraire constitue l’essence du spectacle ciné-
matographique. Les principes de montage interdit dans le cinéma de fiction partent du
constat qu’il y a une spécificité, un suspense propre au spectacle cinématographique,
dans la dialectique qui oppose la reconstitution théatrale d’une scéne, sa mise en scene,
avec la réalité de son référent, le corps réel de l’acteur. Méme le public le moins averti, le
moins cinéphile sait cela quand il attend de sa vedette préférée, d’un Belmondo par
exemple, qu’il accomplisse lui-méme les cascades de son personnage. Furyo, sur ce
point, est exemplaire a double titre. D’une part parce que Nagisa Oshima est un homme
de théAtre et que toute son ceuvre fait largement appel au théatre (découpage de l’action,
lieu unique, jeu des comédiens, de Nuit et brouillard au Japon a L’Empire des sens en
passant par La Pendaison et La Cérémonie), parce que ce film en quelque sorte explicite
12 VERITES ET MENSONGES
les rapports du théatre et du cinéma, des deux imaginaires, Oshima étant mii par une
méme exigence de la transparence de l’image que les cinéastes de la Nouvelle Vague.
L’affrontement de Yonoi et de Celliers, du dieu blond et du diable jaune, est mis en
scéne de facon trés théatrale, la tragédie des dieux étant doublée d’une comédie des
bouffons (Lawrence/Hara). Chacun des protagonistes s’est composé un personnage
dont son orgueil lui commande de ne pas sortir. Le théatre ici, c’est également une scene
unique, le camp de prisonniers ; l’opposition des uniformes, le chapeau de Celliers, la
culotte bouffante et la badine de Yonoi, le costume de lycéen de Celliers avec le panama
et le kimono de Yonoi lors de son entrainement rituel au sabre.
Mais ce qui, sur le plan symbolique est défi, bravade, provocations et obligations d’un
code de l’honneur se redouble sur le plan du réel d’un refus obstiné du corps de se faire
empaler que ce soit sur un sexe ou sur un sabre. Le décor des seppuku est remarquable :
au pied d’un arbre, la mer derriére avec le bleu du ciel et la vaguelette blanche d’un mou-
ton qui réguliérement revient sur le cété droit de l’image, le grondement des vagues en
fond sonore. C’est sur le méme fond qu’a été construite la prison ot est enfermé a la fin
Hara. II tranche cruellement avec l’action au premier plan, sa violence. Malgré leur théa-
tralité, leur forme extrémement ritualisée, les seppuku sont comme l’envers de I’affron-
tement du dieu blond et du diable jaune, des officiers britanniques et des gardes du
camp. A la panoplie séduisante des uniformes, a la parfaite image du petit soldat, a la
morale de boy-scout qui peut prévaloir — mais aussi a la mine de bambin des gardes
japonais et des prisonniers anglais —, ils opposent soudain les muscles noués d’un ven-
tre qui se crispe contre la lame du poignard, la crise d’épilepsie du jeune prisonnier vic-
time du soldat coréen etc.; aux corps glorieux, montés des soldats, ils opposent la durée
de l’agonie, le suicide en plan-séquence. La bosse du petit frére, vrai enfant demeuré
gnome par la suite, de méme que |’exhumation des blessés, de tous ces hommes invali-
des, maigres comme des déportés, transposition des soldats oubliés de l’empire, est
comme l’envers, la contre-épreuve de toute mise en scene théatrale dans la mesure ou il
s’agit de l’organisation d’une représentation de la réalité non adéquate, non coincidante Dans One from the heart, l'image élec-
avec cette réalité. De méme qu’Oshima ne cesse de mesurer les différences, les interdits et tronique renouvelle la tradition des
décors de théatre.
LE DECOR ET LE MASQUE 13
LA PUBLICITE,
POINT AVEUGLE DU CINEMA FRANCAIS
PAR OLIVIER ASSAYAS
« Le Mulet d’un prélat se piquait de noblesse, boomerang et parasite l’image de cinéma a |’état de signe, a
et ne parlait incessamment l’état d’indice de modernité. Indice d’une modernité qui préci-
Que de sa mére la Jument, sément n’est pas et dont la publicité inscrit l’absence.
Dont il contait mainte prouesse :
Elle avait fait ceci, puis avait été la.
Son fils prétendait pour cela Nature de l’image publicitaire
Qu’on le dit mettre dans |’ Histoire.
Il eft cru s’abaisser servant un Médecin. La nature de l’image publicitaire, avant méme de considérer
Etant devenu vieux, on le mit au moulin. les axes de son rayonnement et ses causes, est un territoire
Son pére |’Ane alors lui revint en mémoire. »
embrumé de la plus dense des confusions. A tatons, avec bonne
La Fontaine, « Le Mulet se vantant de sa généalogie » Fables 5,VII ou mauvaise volonté, on mélange tout : on parle d’image
vidéo, de photographie de mode, de spots, voire de vidéo-clips
La question du cinéma publicitaire s’est maintes fois posée ou d’effets spéciaux. L’objet est certes protéiforme, mais
dans les colonnes et dans les bureaux de cette revue. Il n’y a simultanément il est plus aisé a circonscrire qu’il ne semble.
guére été répondu. La perplexité générale vis-a-vis d’un objet J’aurais tendance a exclure d’emblée d’une définition mini-
vaguement percu comme symptématique, comme contempo- mum et la vidéo et le clip qui sont a la fois au-dela et en-dega du
rain, ergo comme sympt6me contemporain s’est traduite par débat. En-deca parce qu’ils sont épiphénoménaux et batards
un crypto-intérét, voire un crypto-goiit, pour le spot envisagé vis-a-vis méme de l’image publicitaire. Au-dela car ils relévent
en tant que manifestation avant-gardiste. Il ne me parait pas d’un langage particulier, d’un art particulier au domaine large-
indifférent de noter que dans les listes des meilleurs films de ment plus étendu que celui qui nous intéresse ici. Demeurent la
Vannée 1982 établies en janvier dernier par Serge Daney et photographie de mode et le support film.
Louis Skorecki figurent en queue de peloton des films publici- La Photographie. La photographie de mode a ce privilége de
taires. Non pas des films publicitaires déterminés dont les ver- l’antériorité et de la tradition. Car si je prends la liberté de
tus pourraient étre rationnellement prises en considération trancher dans un domaine que je ne maitrise guére, l’histoire de
mais plutét des séries de films indistincts se réduisant du coup la photographie en tant qu’art se développe selon deux grands
au pur concept. On nous cite Tang, Crackers Belin, Céréales axes : celui du reportage et celui de la photo posée, voire la
Banania. Qu’est-ce que c’est ? Qui s’en rappelle ? Pour ma photo composée. L’instantané saisit la vie tandis que la photo
part, méme sous la torture, j’en serais incapable. Ou est leur de studio cherche le cadre et méme plutét le tableau : elle mime
singularité, alors ? Qu’est-ce qui les apparente au cinéma, et au lart tel qu’il préexistait a la technique. Ce fut méme le premier
meilleur cinéma si l’on souscrit au paradoxe de Daney- réflexe. Regardons les premiéres photos post-expérimentales,
Skorecki ? La réponse est simple : ils s’inscrivent sous la forme celles des années quarante et cinquante du siécle passé : elles se
de points d’interrogation dans les cases vides du cinéma con- confrontent a la peinture. Nadar pense sans cesse a Ingres dans
temporain. Quoi de neuf dans le cinéma francais ? Quoi de ses portraits alors que parallélement, photographiant son épo-
moderne ? Rien. Et rien c’est le spot. que, il se préoccupe juste de consigner. Lorsque la tradition du
Dans la vacance du fond, dans la mollesse de la théorie, dans portrait s’est éteinte pour ne plus subsister aujourd’hui qu’a
la vacuité d’une machine de production qui tourne fou, seul l’état d’anachronisme pittoresque (Harcourt, Stara, etc.) la
subsiste l’emballage pour se tailler la part du lion. L’absence de photographie de mode s’est trouvée, sans le vouloir, seule char-
débat esthétique, la présente non-vie artistique du cinéma lais- gée de la responsabilité historique d’un pan déterminant de la
sent libre cours aux produits de substitution. Essentiellement culture visuelle contemporaine que son usage exclusivement
factice, l’image publicitaire |’est 4 double titre lorsqu’elle fait para-mercantile a précipité dans les limbes du non-dit, non-vu,
VERITES ET MENSONGES
- ram eye |
Malévitch. Suprématisme dynamique, 1916. A l'occasion de la premiére présentation de ses toiles suprématistes lors d'une exposition de décembre 1915 a Pétrograd.
“0.10 La derniére exposition de peinture futuriste” Malévitch imprimait un manifeste ot on lisait notamment ceci : “Il n’y a que les artistes stupides et stériles pour
protéger leur art de leur sincérité. En art il y a besoin de vérité, pas de sincérité.”.
non-formulé artistique. Le boom de la presse féminine aprés- ¢’est I’harmonie de la composition, la précision architecturale
guerre, et son succés persistant depuis, lui ont fourni une base du cadre. Intrins¢quement la photographie de mode, contraire-
logistique plus qu’appréciable permettant son développement, ment a la publicité, ne bavarde pas. Elle ne fait jamais idéo-
sa maturation et sa prospérité. Le studio photographique ce gramme, rébus ou jeu d’images. Dépendante d’un domaine qui
n’est pas la chambre noire — excusez le jeu de mots — c’est est aussi para-artistique, elle produit des signes, elle ne les
plutét la toile blanche. La fin du travail de l’image en atelier manipule pas. (1).
réside dans la restitution parfaite d’une vision subjective. (1) L’affiche publicitaire avec laquelle la photo peut se combiner aussi bien sur
C’est-a-dire dans la concrétisation de l’invisible ou alors — si papier que sur film est le domaine spécifique de la publicité la plus tradition-
Von veut — dans l’illustration du factice, c’est un autre débat. nelle. Sa forme la plus classique et la plus sophistiquée. Notamment parce que
L’essentiel est que dans |’esthétique du figé chaque détail joue. cette technique a pu se développer aux USA ot, par contre, le spot, absent des
salles de cinéma mais omniprésent sur le petit écran, est demeuré a un stade trés
Modelable a l’infini, il doit étre modelé a l’infini. Mise en
primitif en regard de ce qu’on connait en Europe et plus particuligrement en
scéne, lumiére, maquillage, coiffure, la mode impose une pré- France et en Grande-Bretagne. L’affiche associe donc graphisme et représenta-
cision quasi-fétichiste de l’accessoire de facon a, notamment, tion en un langage appuyé sur différentes théories de la communication : c’est
exclure le propos. Le message c’est l’apparence, l’ambition a état pur, du texte en images.
LA PUBLICITE, POINT AVEUGLE DU CINEMA FRANGAIS
La Mode et ses images. Dans la photographie de mode, il y a
la photographie, il y a la mode et puis il y a ce qui est issu des
deux. J’ai dit de quelle photographie il s’agissait et j’ai moins
parlé de mode, c’est pourtant ce qui est capital.
On a généralement tendance a prendre le terme de mode
dans une acception restrictive et datée, négligeant la place pré-
pondérante qu’a prise cette notion frivole non seulement dans
lesthétique de notre époque, mais aussi dans sa pensée.
Aujourd’hui mode, style et gofit sont a peu prés indissociables.
Reflet d’un méta-langage collectif, ils constituent une pensée ——
du présent perpétuellement mobile, perpétuellement remise en
question, hors des contraintes de l’art, c’est-a-dire sans comp-
tes a rendre. Régentant sans partage l’actuel systéme de circula-
Y.v.V7 a
tion des objets de consommation, la mode est un vaste 2
domaine entiérement déterminé par le périssable : produisant 70.
sans cesse un réseau de signes de connivence, elle ne pouvait
manquer de s’insérer comme clef de voiite dans la stratégie
communicative de la publicité.
Les cheminements souterrains des tendances se métamor-
phosent perpétuellement et il serait naif d’adopter ce matin ce
qui avait encore cours hier soir : on touche la au domaine ins-
7
table ot les tendances naissent de l’air du temps. II est en tous
cas flagrant que la mode — y compris au sens noble ot |’enten-
dent les couturiers — se forme de plus en plus autour d’idées
_?
5
issues des courants dominants de ce qu’on appelait la culture
7
-
populaire et qu’on a la détestable manie d’appeler aujourd’hui
——7
_=
culture rock. J’entends par la musique, bande dessinée, gra-
phisme et je n’en exclus pas le cinéma.
Les gofits des surréalistes en la matiére et surtout ceux de
leurs séides les plus tardifs et les plus dégénérés ont imposé
cette idée qui est pourtant rien moins qu’évidente selon laquelle
les formes para-culturelles, para-artistiques, voire franchement
marginales étaient autant dignes d’attention — et méme
d’analyse — que les domaines classiques traditionnels. Dés lors
qu’on admet cela et que, partant, on accepte que l’expérience
prévale a la réflexion, le brut a l’articulé, il est clair que tout est
dans tout : le dernier des ignorants confronté a la derniére des
bandes dessinées en retirera encore quelque chose qui pourra
étre qualifié stricto sensu d’ acquisition. Dans ce nouvel agence-
ment, la culture populaire dans laquelle va puiser la mode n’a
plus grand chose a voir avec celle de nos grands-parents ot en
un ensemble clairement définissable, littérature du second
rayon, illustration enfantine et chansonnette se cdtoyaient
sereinement. La diffusion de masse des images, et dans une
moindre mesure l’uniformisation suscitée par l’éducation
secondaire laique, obligatoire et étatisée, a achevé de rompre
les cloisons. Désormais dans le territoire étale qu’est |’expres-
sion du contemporain, les différents domaines se superposent
et la culture populaire, de nature paresseuse, devient avant tout
une facon hédoniste et incompétente de se servir de la pensée de
notre époque.
Faute de savoir lire ou de savoir comprendre ce qu’on lit et
pourquoi, on ne sait plus lire les images qu’en tant que code ;
et cela avec une sophistication inédite. I] suffit de voir la viva-
cité avec laquelle les enfants décryptent les images télévisées.
La génération du petit écran vit dans un absurde univers d’ima-
ges, dans un systéme ou I’image existe en tant que fin. Elle est
complexe, certes, mais porte en elle tous les éléments de sa
résolution : n’importe quel quidam doté de bonne volonté est
habilité 4 l’interpréter a bon escient. D’ot le malentendu sur les
images préexistantes, et notamment celles de I’art.
En effet toutes les avant-gardes de ce siécle et jusqu’aux
impressionnistes se sont fondées sur un rapport entre l’image et
sa pensée, ou son écriture. La pratique artistique moderne a
toujours été sous-tendue par sa réflexion, c’est-a-dire une théo-
rie de la perception ; elle est métaphysique, elle est politique, et
le plus souvent subversive. Au moins jusqu’a |’ Abstraction En bas, une affiche futuriste de Fortunato Depero datant de 1924. Au dessus, la
Lyrique et l’Ecole New-Yorkaise, le tableau, qu’il soit mani- pochette du premier album du groupe New Order par Peter Saville, en 1981.
BERNARD
ZITZERMANN
“Ira-t-on plus loin que Matzsse 22
Bernard Zitzermann entre dans le métier dans j'ai retrouvé les conditions de tournage du derriére eux une référence trés forte du
les années soixante. Assistant d'Etienne Becker reportage. II fallait filmer la piece avec trois soleil.
J’ai flashé la 5247 en orangé. Et le
et de Georges Barsky, ame paralléle- caméras sur un espace éclairé 4 360° pour résultat était un assez plaisant mélange
ment le reportage avec Frédéric Rossif et avoir les acteurs qui évoluaient au milieu d’Algérie et de France ! J’aime beaucoup
William Klein, Il gardera de ce double du public. II fallait aller partoutet trés vite. jouer avec les développements, le tirage, la
4g pprentissage le gous du risque, dela C était passionnant et difficile. surexposition, la sousexposition. Etaujour-
écouverte et de la technique parfaite. Pour “Moliéve”, j'ai amassé une énorme d’hui avec les nouveaux types de projec-
Son premier film comme directeur de la photo : documentation sur les lumiéres au XVII teurs, les caméras plus perfectionnées, les
“Un homme qui dort” de Bernard siecle : l’éclairage des rues, des théatres, des nouvelles pellicules on peut, si on le veut,
Queysanne et Georges Perec. Puis, il met ses maisons, etc. Nous voulions faire un film beaucoup et tres bien jouer.
talents de reportage et son goitt de la lumiere crédible et historiquement irréfutable. “La Balance” de Bob Swaim a été tourné
picturale au service d'Ariane Mnouchkine, Mais, les seules vraies références visuelles avec de la 5293. On a tout fait : du reportage
pour "1789" et “Moliere”. I! continue dans le étaient les toiles de De La Tour, Vermeer, a Pigalle et Belleville, du studio, des
cinéma de fiction sur les films de Claude Rubens, Rembrandt. “Barry Lindon” extérieurs ensoleillés. C’était superbe.
Lelouch (A nous sa Francis Girod (La venait de sortir.Je ne voulais surtout pas Jai pris cette pellicule a 400 ASA et j’avais
Bangquitre), Alexandre Arcady (Le Grand faire la méme chose, éclairer par exemple fréquemment en intérieur 5.6 ou 8. Cest
Pardon), Bob Swaim (La Balance), Robin avec la seule lumiére des bougies, ce qui trés beau la profondeur de champ. De plus,
Dawis (J'ai épousé une ombre)... était mentionné partout comme un exploit la 5293 est bien contrastée. J’aime le
“Barsky et Becker m’ont appris les d’éclairage. Le rendu réaliste de la seule Key, je préfere Rembrandt a Chardin.
bases de la technique du long meétrage tout lumieére de la bougie est sans intérét, est Jaime les tons chauds.Je préfere la photo
en me donnant une certaine attirance pour l'interprétation qui compte, en essayant de Laslo Kovacs’ la vogue actuelle du bleu
les innovations. Avec Etienne Becker, par de tomber en accord avec la vision que se HMI chez certains operateurs francais...
exemple, nous avons bricolé des objectifs fait le public de la lumieére de l’é e. nse que l'on peut faire des choses
photo “grande ouverture” pour les monter Bref, retrouver les peintres du XVII. formidables avec la couleur de nos jours,
sur une caméra. Et ce, bien avant l’appari- Sur le film de Claude Lelouch, “A nous la travailler avec une lumiére aussi belle que
tion des Zeiss et Panavision “Grande deux”, avec Catherine Deneuve et Jacques le Noir et Blanc, inventer beaucoup plus
ouverture”. William Klein et Frédéric Dutrong, j’ai Beeps de tourner sans méme. Entre 1960 et 1970, la couleur était
Rossif m’ont apporté la rapidité d’exécu- lumiére avec des objectifs a grande sans matiére, sans vie, tres a plat, mis a part
tion et le plaisir = violer la technique. Un ouverture. Cela apportait au film un ce qu’a fait Coutard avec Godard : ils ont
jour, en tournage avec Rossif, j’ai oublié le contraste et une densité qui vraiment inyenté quelque chose qui na,
filtre 85 pour filmer des chevaux; aux m’intéressaient par rapport au scénario. hélas, pas fait école. “Le uel était
rushes, c’était tres beau, ces chevaux bleus. En général, ce que je cherche sur un Matisse au aa | ‘attends le metteur en
Cétait “Der Blaue Reiter”, le cavalier bleu. film, c'est un climat qui ne soit pas forcé- scene qui me fera aller plus loin encore !”
De mémeal’époque, le gonflage du 16 mm ment celui que suggere, a priori, le script.
donnait un grain énorme : Rossif savait Pour “La Banquiere”, j'ai éclairé une
en jouer pour créer une esthétique. chambre d’hépital tres ensoleillée et
Mon premier film comme Directeur chaude, ce qui cassait l'image glaciale KODAK-PATHE
de la Photo a été “Un homme qui dort” de attendue dans ce genre de décor. Division CINEMA, TELEVISION, AUDIO-VISUEL.
8-26, rue Villiot - 75594 PARIS CEDEX 12
Bernard Queysanne et Georges Perec. Un Avantde commencer “Le Grand Pardon”, ‘Tél. 347 90 00
film tourné en Noir et Blanc, le week-end, Alexandre Arcady nous a précisé : “On va
avec une caméra empruntée et unique- faire un remake du Parrain, mais chez les
ment l’argent de I’Avance sur Recettes. Pieds Noirs”. On n’avait évidemment pas
Jen suis trés fier, est peut-étre mon les moyens de Coppola ! J’ai pris comme
meilleur film (Prix Jean Vigo 1974). “maitres” Gordon Williset les Macchiaioli :
Sur “1789”, d’Ariane Mnouchkine, les personnages a l’ombre, avec devant ou
VERITES ET MENSONGES
feste, gag ou brilot était tout sauf une image, tout sauf un
objet. Double réle od pourtant la lecture triviale contempo-
raine tend facilement a l’enfermer. Le télespectateur dit « je
peux voir ce tableau de Malévitch, done je peux le compren-
dre. »
Et le publicitaire dit « c’est une image, elle a sa singularité, je
peux m’en sevir pour identifier un produit : je peux en faire un
look. » C’est-a-dire, grosso modo, une image de marque. La
mutation du systéme des images de marque en une totalité
cohérente jusque dans son frénétique renouvellement, et intrin-
séquement liée 4 la mode par une relation de cause a effet, n’est
pas d’abord le fait de la publicité. Elle a été suscitée par la con-
tagion de l’esthétique nouvelle du rock anglais qui depuis quel-
ques années est le véhicule privilégié — avant méme d’étre
musique — des innovations en matiére vestimentaire, graphi-
que, y compris théorique. Un groupe nait désormais de la con-
frontation d’un son, d’une imagerie singuliére et aisément dis-
cernable (qu’on retrouvera sur les affiches, les pochettes de dis-
ques, les vétements, les annonces) et enfin d’un message (sim-
ple). Ces /ooks durent ce qu’ils durent, c’est-a-dire une saison
ou deux, c’est-a-dire guére plus longtemps qu’une campagne,
et s’élaborent généralement a partir de matériaux de récupéra-
tion, écoles picturales dépassées, images usées, empruntées ail-
leurs, collages. C’est un art pauvre, un art de crise, celui du
recyclage des apparences. Et qui somme toute est moins loin
qu’on ne le pense des détournements situationnistes.
Univers soudé par les mémes aspirations, le mémes goits, les
mémes désirs, le monde des publicitaires est sans cesse traversé
par des styles, par des concepts, par des idées qu’il engloutit et
digére plus vite qu’il ne faut de temps pour l’écrire. Au nom de
cette boulimie, sans doute fantasmée comme une féconde pro-
lifération créatrice, la publicité n’a que le mot art a la bouche.
AVécouter ses affiches et ses spots seraient des oeuvres, ses concep-
teurs et ses créatifs des artistes. Et ce discours de béotiens
est d’autant plus singulier 4 entendre qu’il est radicalement
incapable de proposer une définition de l’art dont il se réclame
et qui dépasserait — disons — celle d’un dentiste pendant des
crotites dans sa salle d’attente. Certes le symptéme n’est pas
indifférent du développement d’une conception aussi primitive
sur fond d’une époque post-avant-gardiste hantée, précisé-
ment, par la mort de l’art ; reste que le laborieux systeme de la
publicité n’est jamais destiné qu’a dissimuler la réalité d’une
triste activité. Tout ce dont il s’agit c’est de colmater. Tout ce
dont il est question est d’annexer a une activité factice le pres-
tige, méme s’il est illusoire et flou, du terme lié a son inverse.
Et pour ce faire la publicité n’en est méme plus a la gestion de
cadavres d’idées mais a l’utilisation post-mortem de leurs
emballages.
Les Exégétes du vide. Méme si le phénoméne a débordé sur
certaines catégories de consommateurs, l’organisation de la
mode en tant que simulacre de vie artistique est clairement une
affaire qui concerne les publicitaires au premier chef et évoque
a s’y méprendre les pratiques de ces indigénes célébrant les
cargo-cults. Sachant que les avions transportent des marchan-
dises qu’ils convoitent, ils construisent en pleine brousse des
parodies de terrains d’atterrissage, avec tours de contrdle en
bambous et tout, espérant ainsi attirer les gros porteurs et met-
tre la main sur leurs richesses. Dans la gestion et la propagation
du factice une revue comme Actue/ — pour peu qu’on puisse la
prendre au sérieux — joue tout de méme un rdéle déterminant :
celui du tambour municipal. Voila en effet un organe de presse
entiérement fondé sur une incapacité collective a déchiffrer
l’époque et pariant sur cette idée — tristement vérifiable cha-
que jour — qu’aujourd’hui on peut affirmer tout et son con-
traire ; et sans conséquences. Qu’une revue peut susciter sa
propre actualité, sa propre théorie, ses propres débats a l’écart
Film publicitaire Winston par Claude Chabrol pour Il’agence Charlie Bravo. Série du monde extérieur, hors de toute pratique vérifiable ; et main-
noire, faux Bogart, fausse Bacall : le premier d’une interminable série. tenir l’illusion longtemps, méme si c’est au prix de développer,
LA PUBLICITE, POINT AVEUGLE DU CINEMA FRANCAIS
dans la panique, quelques uns des concepts les plus inopératoi-
res du siécle. Dans cette mise en scéne du vide, Actuel assume
de procurer sa théorie 4 la mode de la méme maniére qu’un
vous aime !
Jean-Paul Goude inaugure un modéle d’artiste conforme aux
aspirations des publicitaires.
Directeur artistique des ubuesques numéros zéro du Monde
Illustré, de certaines livraisons d’Actuel et antérieurement
d’Esquire, Goude est surtout connu pour étre l’inventeur de la
chanteuse Grace Jones et de son /ook qui en son temps frappa
les imaginations. Tout cela et d’autres choses en font un pro-
fessionnel surdoué et méme, si l’on veut, un maniériste intéres-
sant dans la descendance nonchalante d’Andy Warhol. Or,
feuilletons un ouvrage qui lui est consacré en tant qu’artiste :
¢a ne tient pas la route. Ses images, dissociées du produit
qu’elles vantent et du contexte dans lequel elles le font suffo-
quent littéralement. Leur autonomie est nulle et de l’art ne sub-
sistent que les poses : que la revendication vaine d’une plus-
value d’éternité pour les images du commerce. Ou encore la
revendication a l’individualité d’une pratique fondamentale-
ment anonyme. Voila bien le destin exemplaire des habits neufs
de la publicité.
contemporain. Mais ¢a s’arréte la. reproduire en y ajoutant, dans le meilleur des cas, une pointe
Il n’y a guére de profit a prendre du recul vis-a-vis du spot, a d’ironie de son cri. Ces images-la de ce cinéma-la sont de sim-
refroidir ce qui, précisément, ne vaut que par l’embryon de vie ples images de location-vide destinées 4 étre détournées et char-
qu’il porte. Pour rendre justice au spot, un seul type d’écriture gées d’un sens indifférent, celui qu’on voudra, ¢a ne change
me semble habilité, celle l’évaluant sur son propre terrain, celle rien.
par exemple d’un magazine comme Stratégies qui en apprécie
Vimpact. Qui sait faire |’équation entre le but et l’accomplisse- La publicité dans le cinéma
ment de ce but ; qui sait donc juger de la réussite du spot.
Autrement on peut, bien siir, de facon évidemment perverse, Méme si cette idée n’a guére été portée par la théorie, la
apprécier esthétiquement la valeur du dispositif visuel que rien caractéristique la mieux partagée du cinéma francais pour une
n’empéche d’étre édifiant, et méme séduisant, pourquoi pas. fois toutes strates confondues est son complexe fondamental
La rencontre de cette nature théorique du spot avec la cons- vis-a-vis du cinéma américain. D’Henri Verneuil a Gérard
cience esthétique qu’il a de lui méme et qu’il emprunte aux cou- Oury, d’Alain Delon a Pierre Richard, de Claude Zidi a Jean-
rants de la mode, ainsi qu’on |’a vu plus haut, se fait trés natu- Jacques Beineix, de Premiére a Starfix, du machiniste au pro-
rellement par l’entremise des vieilles images de cinéma qui, ducteur, petits et grands, gros et maigres, tout ce qui pratique
puisqu’il s’agit de mouvement, prennent lieu et place des vieil- le Septiéme Art en France — a l’exception de certains secteurs
les images de l’art. Ces images ne sont pas n’importe lesquelles irréductibles de la sphére particuli¢re du cinéma d’auteur —
et pas celles de n’importe quel cinéma : elles font a peu prés nourrit a l’égard de l’industrie hollywoodienne un mélange
toujours référence soit aux genres hollywoodiens en général d’admiration, d’envie, de ressentiment, de crainte : quoi qu’on
— comédie musicale, mélodrame, aventure — soit plus préci- fasse on ne peut manquer de se définir vis-a-vis de son ombre
sément a la Série Noire bogartienne. Ce dernier cas est d’ail- omniprésente. Or ce mythe est avant tout un mythe de techni-
leurs de loin le plus calamiteux tant il devient impossible d’énu- ciens, cela va sans dire, puisque c’est tout de méme la question
mérer les fausses Lauren Bacall et les sous-plans de sous- de l’argent qui est essentielle. Hollywood dispose de budgets
thrillers anémiés qui proliférent dans le spot. Traditionnelle- sans comparaison avec les nétres et cela se traduit par des
ment la cinéphilie a été un goiit pour le vieux provoqué par le périodes de tournage plus étendues, un personnel plus nom-
désir de faire du neuf : aller a l’école des cinéastes du passé breux, des corps de métier plus divers, un plus haut niveau des
pour confronter leurs problémes, et la fagon dont ils les résolu- standards professionnels, un équipement plus sophistiqué et,
rent, avec les interrogations modernes. La publicité ne fait, surtout, un accés illimité aux possibilités du medium, lesquelles
elle, qu’y piocher comme au magasin d’accessoires, vidant les sont violemment restreintes par les conditions financi¢res mes-
images de leur sens, les dénaturant jusqu’a ne plus voir l’his- quines des tournages hexagonaux. Et de fait, la qualité techni-
toire du cinéma que comme une succession de maniérismes. que du cinéma américain, la richesse et la complexité de |’ outil-
Ces esthétiques mortes ne sont, encore une fois, pas un objet lage dont il dispose, sont tellement sans commune mesure avec
d’inspiration dans le spot : elles sont un modéle a servilement ce a quoi on est habitué en Europe que le technicien francais,
Les publicitaires au cinéma. Diane Keaton dans la baignoire de Shoot the Moon par Alan Parker. Harrisson Ford, dans Blade Runner, le Philip Marlowe du futur par Ridl
tare * By = c
LA PUBLICITE, POINT AVEUGLE DU CINEMA FRANCAIS
celui qui ne travaille qu’en France, a toutes les chances d’étre, La libre circulation des hommes et des idées entre la publicité
et de demeurer, un provincial de son artisanat. Or le contresens et le cinéma débute certainement avec la greffe exceptionnelle-
qui est généralement fait est d’extrapoler cette indéniable cons- ment réussie — tout au moins du point de vue commercial —
tatation jusqu’a en faire un point de vue sur le cinéma frangais, de l’école anglaise du spot sur le cinéma américain. Ridley
pris globalement. Ce qui est une anerie dans la mesure ot ce Scott le premier, bient6t suivi par Alan Parker, Hugh Hudson
qui s’applique a la technique ne s’applique pas 4 la réalisation, et Adrian Lyne (le dernier en date, le réalisateur de Flashdance)
bien au contraire : on pourrait méme dire que le plus souvent la se sont acclimatés a Hollywood comme aucune autre école
compréhension de l’esthétique cinématographique croit a étrangére clairement définissable depuis la Guerre. C’est que le
mesure qu’on s’éloigne de Hollywood. film publicitaire, medium des apparences plutét que de l’appa-
Dans l’optique technicienne, il est clair que le film publici- rence, a suscité une génération de cinéastes maniéristes d’un
taire a joué durant un moment, et dans une certaine mesure type particulier en cela qu’ils n’ont aucune maniére qui leur
joue encore, le réle d’une enclave hollywoodienne en plein soit propre mais ambitionnent de toutes les posséder suffisam-
Paris. Aujourd’hui que précisément sous cette influence, le ment. De Duellists 4 Alien et Blade Runner, on a du mal a suivre
cinéma se dirige de plus en plus facilement vers l’esthétique du Ridley Scott comme on ne saisit guére une trajectoire ration-
spot, le clivage se dilue. Mais il n’y a pas si longtemps, au som- nelle d’Alan Parker le conduisant de Bugsy Malone a Midnight
met de la courbe de la Nouvelle Qualité Francaise qui s’était Express, de la a Fame et enfin 4 The Wail en passant par Shoot
fondée sur la banalité du propos, la platitude technique et une the Moon. Techniciens de la mise en scéne, leur talent est de
effrayante absence d’ambition esthétique, le film publicitaire, savoir se glisser dans les commandes qu’on leur passe et de s’en
libre, coloré, contemporain, tranchait dans la grisaille et avait investir : voila exactement ce qu’Hollywood demande a ses
plus que quelques raisons de rendre perplexe la profession ciné- réalisateurs. Et le cinéma américain n’a jamais — pour cela
matographique. En effet la nature batarde du spot lui autori- méme — été débordé par une soi-disant esthétique publicitaire
sait une bien plus grande souplesse. Longtemps avant le car il ne fait que traiter des affaires avec les réalisateurs de
cinéma, il a compris le parti qu’il y avait a tirer des étonnants spots : il leur parle le langage du commerce et il obtient livrai-
progrés technologiques provoqués par le renouveau du cinéma son de produits conformes a ce qu’il a payé. Hollywood, au
a trucages. A l’écart des tristes excés du cinéma subventionné fond, est encore une entité trop alerte, trop vivante, trop liée
post-post-auteuriste, il a profité le premier d’une conviction avec la réalité d’un public et sa demande, pour étre bluffée par
diffuse mais néanmoins, passez-moi l’expression, porteuse, une esthétique du vide. Hollywood a des sujets et peut avoir
dans le renouveau de la recherche en matiére visuelle. D’ot une besoin de maniéristes pour les illustrer justement parce que
illusion entretenue quelque temps par la conjonction de la leurs prétentions n’empiétent jamais sur le fond.
paresse d’une industrie cinématographique franchement rétro- En France on peut dire que c’est exactement l’inverse et
grade, incapable d’assumer son réle d’art contemporain, et V’exemple de Jean-Jacques Beineix, dont on fait grand cas,
d’une publicité stimulée par son rapport avec l’air du temps. vient 4 point nommé. Le gofit frangais en matiére de cinéma
Méme si l’air de ce temps n’est que du vent. gravite depuis déja longtemps autour de la notion d’auteur et
tout le systéme est fait pour encourager les expressions singulié- un film qu’on parcourt comme une nécropole.
res : iln’y a pas de garde-fous. On assimile l’individu et le style Qu’est-ce qui a fait le succés de Diva sinon le contexte, sinon
et bon gré, mal gré ca fait un auteur. La force d’un Beineix, qui V’extraordinaire stérilité du cinéma francais en matiére de for-
avant Diva ne s’était jamais confronté a la publicité, nait de sa mes nouvelles. Medium populaire, boulimique, omniprésent
conviction incompétente d’étre l’inventeur de ses images. au point d’en étre étouffant, le cinéma n’a pas encore su rendre
Dépourvu de théorie, sinon confuse, il ne revendique qu’une compte de notre temps. Et il ne montre pas de signes de devoir
vague notion artistique — plus ou moins celle du spot — qui le faire dans un avenir proche. Dés lors, dans un univers du
hors de toute pensée articulée lui dicterait son oeuvre. Il y a la commerce guidé par le chantage a l’idéologie de la jeunesse,
soit beaucoup de naiveté soit beaucoup de roublardise car quel- dans un systéme d’apparences ot le fond ne compte guére et ot
les sont les images que lui dicte cette inspiration ? Celles de la seul importe qu’on renouvelle a un rythme accéléré les condi-
mode, celle d’une mode déja vieille lorsqu’il l’annexe. Il orga- tionnements, la voie était ouverte pour tous les bonimenteurs,
nise dans Diva d’abord, dans La lune dans le caniveau ensuite, pour tous les bluffeurs au futur du cinéma. II en est venu de
des éléments piochés partout ailleurs, vaguement inédits au partout, de la vidéo, du rock, du clip, il semble bien que les
cinéma, ce qui suffit en effet a faire un ook. Look hideux mais seuls 4 avoir été pris au sérieux sont ceux de la publicité au
look tout de méme. Seulement il n’y a pas de film. Rien qui res- point d’avoir trés réellement influencé au moins la photogra-
semble de prés ou de loin 4 du cinéma dans cette mise en phie d’une bonne partie du cinéma francais récent. Et pas dans
tonitruante du vide ot la pure misére du propos ou des idées est un sens bénéfique.
travestie de machinerie tarabiscotée, de décoration de souk, et Les maniérismes atteignent vite leur niveau d’incompétence
de rhétorique visuelle attrape-gogo. A moins, alors, d’admettre puisqu’ils n’ont a offir qu’une facade sans cesse répétée. Et
que le cinéma serait la cinquiéme roue d’un carosse trainé par sans doute est-ce la mesure de la vitalité d’un art que de ne pas
la mode et la publicité et qu’elle les suivrait dans toutes les y glisser. Tant que le cinéma existera en tant qu’échange, en
voies sans issue des simulacres esthétiques de l’époque. La ot tant que moyen de communication d’idées, tant qu’il ne som-
un Ridley Scott voit la publicité en tant que moyen, c’est-a-dire brera pas dans l’autisme, la forme en tant que fin ne sera
en tant que vernis technique affadissant dont il peut recouvrir jamais que le cul de sac de trajectoires individuelles. Le factice
son activité au sein des genres, un Beineix la voit comme une ne dicte ses régles qu’a des arts cliniquement morts dont on
fin. Diva moins parce que c’est un film incohérent mais La /une veut assurer la survie artificielle et on n’en est pas encore la.
dans le caniveau est concu comme une sorte d’apothéose de
Vemballage au service de l’emballage qui n’emballe rien. C’est O.A.
Editions de P Etoile.
L’>EMPEREUR
CONTRE-ATTAQUE
PAR YANN LARDEAU
JEAN-PIERRE LEAUD
MIME ET MEDIUM
PAR MARC CHEVRIE
A Vinstant de commencer, apres ce regard rétrospectif sur les faisons comme si revendiqué par Doinel, face encore a son
vingt-cing ans de cinéma de Jean-Pierre Léaud (1), une scéne reflet, 4 la fin de L’amour en fuite : conscience d’un person-
me revient en mémoire, la plus forte, la plus singuliére de Bai- nage, a travers celle de l’acteur, de se vivre comme I’objet
sers Volés : Antoine (Léaud) face au miroir, répétant sans fin, d’une fiction. La est le romantisme de Léaud. Ceci se prolonge
dans l’ostinato du désir, son nom et les noms de celles qu’il en un véritable art du mime, une précision aérienne du geste :
aime, jusqu’au délire. Ressassement obsessionnel qui trans- et comment, l’espace d’un silence, savoir si le personnage se
forme sa voix (elle se fait plus sourde, comme venue d’ailleurs) fait acteur ou l’acteur personnage que le mutisme et ce geste
et investit son corps entier, le poing qui se serre, le bras qui halluciné, comme « au second degré », douent d’un statut
scande : exercice quasi-physique d’un acteur livré a lui-méme, autre, presque magique, résonnant d’un Ailleurs dont il serait
laché dans le vide, seul face a son reflet. C’est d’abord l’acteur l’émanation ou le medium (on y reviendra) : gestes d’amour,
qui produit cette réitération incessante avant que, s’hallucinant gestes de tendresse, fleur nuptiale cueillie 4 l’horizon de quel-
lui-méme, il soit possédé par ce personnage dont il répéte le que chimére (La Nuit américaine)... Comment ne pas réver de
nom, face 4 son image, comme pour se prouver a lui-méme son le voir dans un réle muet (dont la premiére partie d’Out one
existence toujours dérobée, scandant les figures de son désir en nous offre la feinte ludique et impassible) ?
une tension toujours croissante comme pour matérialiser leur C’est assez dire l’importance du geste dans son jeu. Pas de
absence dans le miroir. Scéne presque emblématique qui n’est parole sans les gestes qui sont comme le complément, |’implica-
rien sur le papier : pur exercice d’acteur, comme un exercice de tion, voire la condition (conjurant la timidité) de son énoncia-
diction (avec ses variations de tempo). Jouée par lui, elle ne tion : jeu des bras dans la colére, des mains dans la tendresse,
devient pas numéro ou performance : seul avec lui-méme, il se du doigt levé sentencieusement... Par le geste, la parole envahit
la joue. le corps, et le personnage l’acteur, en une dialectique dont le
Précisément : Léaud n’est pas un acteur qui exécute une per- téléphone est le lieu privilégié : Léaud a le génie des coups de
formance au sens théatral (et anglais) du terme. Loin de téléphone, un génie aux multiples facettes : aimable, lyrique,
l’épaisseur ludique et de la conscience bouffonne qui caractéri- énervé, émouvant, comique, maladroit, publicitaire... Le télé-
sent un certain type d’acteurs (géniaux) de Michel Simon a phone est le véhicule d’une urgence, ot tout semble devoir se
Michel Serrault, en passant par Raimu, son jeu tend presque jouer a quitte ou double (chaque coup de fil, ou presque, est
vers l’abstraction, l’abstraction de l’Etre. Il y a chez lui comme donné comme si c’était le dernier), ol s’exprime aussi cette
un génie du Neutre : non une moyenne d’actif et de passif, conscience (ce réve) d’étre objet de fiction.
mais une vibration poétique, une simultanéité qui échappe a Théatre 1:6me de la parole (1a se révéle, dans Out one, que sa
toute antinomie. En un mot plus acteur que comédien, il mutité n’était que mutisme), c’est aussi celui du geste : jamais
n’affirme pas dans la brutalité univoque de l’effet théatral, son la main libre ne reste en place, exprimant l’urgence et la cons-
jeu n’est pas un jeu plein et direct : au contraire, dérobé. Il ne cience dramatique, ponctuant ou redoublant le discours, se
joue pas un personnage préexistant : il le produit dans l’ins- jouant a lui-méme ce qu’il dit a l’étre absent, comme pour
tant. D’ou aussi cette voix singuliére qu’on a pu dire inexpres- mieux combattre l’impuissance de la séparation.
sive précisément parce qu’elle se dérobe aux conventions de Par le geste, aussi : sans doute exorciser une timidité. Le jeu
Vexpressivité, blanche si l’on veut, comme absente parfois, comme timidité surmontée. Mais, alors: un enthousiasme
mais capable de violence (de passion), ne marquant, dirait Bar- presque enfantin, un bonheur du jeu et une vaillance presque
thes, aucun clivage entre l’affect et le signe, l’émotion et son pathétiques. Car cette vaillance est celle de se jeter a l’eau, de
expression. Sans que jamais l’acteur se distancie du person- subir ainsi ce qui est l’épreuve du feu pour un acteur. Elle en
nage, celui-ci semble cependant, a travers le jeu méme de conserve comme un écho, comme une fragilité qui le scinde :
Vacteur, se distancier par rapport a lui-méme dans ce perpétuel toujours sur un fil dans le constant basculement de I’instant, il
est la, mais ailleurs, encore en dega de cette timidité qu’il a
1. Cet article a été écrit a la suite de l’hommage a Jean-Pierre Léaud organisé vaincue. Et, autant que le personnage, c’est l’acteur qui nous
par le Studio 43. touche. Acteur qui toujours ainsi se tient, entre présence et
Jean-Pierre Léaud et Dorothée dans L’amour en fuite de Frangois Truffaut.
a - 7
Jean Gaumy est photographe a l’agence Magnum depuis 1977. Pendant trois ans,
il a photographié la vie ordinaire dans quelques prisons Sranpeases ordinatres :
Saint-Martin de Ré, Caen, Rouen, Melun.
Il a travaillé librement et en toute franchise — sinon sans reobibis — avec des détenus,
photographiés seulement avec leur accord. Ce qui a intéressé avant tout Jean Gaumy,
c'est de faire des photos a hauteur d’homme: de ce patient travail be trois ans,
trente-neuf photos témoignent avec une calme évidence. is
La photographie offre, dit-on, une reproduction exacte de la réalité.
Mais peut-on photographier la prison ? :
Yann Lardeau, rédacteur aux Cahiers du cinéma, est parti de
la seule réalité de ces photos pour imaginer la vie dans ces ee
~ Mais la photographie ne peut-elle pas :
nous condutre hors du réel dans un autre monde,
celui d’une utopie pénitentiaire ?
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NUITS DE CHINE
PAR CHARLES TESSON
Le cinéma chinois est en train de franchir pro- Mépris, a d’abord substitué a la réalité de son
gressivement la barriére des festivals (rares sont monde une image qui s’accordait a ses désirs (le
ceux, désormais, qui n’ont pas leur quota de films Hollywood-Shangai des années 30), ses réves immé-
chinois). L’idée, en Chine, qu’on a intérét et sur- diats (glamour des stars) et futurs (le cinéma pro-
tout qu’on peut montrer les films actuels et que la gressiste), pour devenir ensuite, une fois que la réa-
production ancienne puisse intéresser le reste du lité a dépassé ses désirs, une affaire d’état, de repré-
monde est une idée récente qui, elle-méme, pour sentation, pas toujours désirée, du peuple et de la
germer dans l’esprit des officiels, a demandé du nation, un épisode de gestion de l’idéologie chas-
temps. Des films chinois ont été vus a la Rochelle, a sant (ou se substituant a) toute gestion d’un imagi-
Cannes (sur la semaine du cinéma chinois, voir naire. Comment des images sont devenues une
Cahiers, n° 326), a Paris (la rétrospective a la image ? Comment ont-elles bougé puis ont été
Pagode en juin dernier) et seront vus prochaine- gelées ? Godard rappelait que la Chine a été le seul
ment (a |’Action République en novembre), en pays au monde qui, 4 un moment donné de son his-
attendant I’hommage que prépare Beaubourg pour toire (Révolution Culturelle, Mme Mao), a arrété
1984. purement et simplement toute production cinéma-
Il est plus que temps, pour nous, de faire le point tographique, toute circulation d’images. Caméras
sur le cinéma chinois. en sommeil, cinéastes au chémage forcé ou en pri-
Le texte qui suit a été rédigé aprés la gigantesque son. De cela on ne revient pas indemne et la produc-
et mémorable manifestation de Turin (février 82) tion récente, 4 sa facon, en témoigne.
qui a pu voir le jour grace a la courageuse impulsion C’est un peu cet axe-la (I’évolution de l’histoire
de Marco Miiller. Il ne s’agit pas, 4 proprement de image d’une nation pergue comme théatre
parler, d’un compte-rendu de festival ni d’un relevé d’enjeux successifs) que ce texte, modestement, se
historique, année par année (cela a déja été fait), propose d’explorer.
des meilleurs films de la production chinoise. En
conséquence, la liste des films cités n’a rien d’un 1. UN CINEMA SOUS ET SANS
palmarés exhaustif et certaines absences, qui ne INFLUENCE
manqueront pas d’étre remarquées par les spécialis-
tes, ne sont pas que des omissions volontaires mais Le flux de l’histoire
relévent aussi de raisons purement conjoncturelles
(pour diverses raisons, je n’ai toujours pas pu voir On peut suivre le cinéma chinois a travers un
des films comme Corbeaux et moineaux de Zheng décalque historique : les années 20, Komintern et
Junli ou Printemps précoce de Xie Tieli dont on ne Kuomintang, l’occupation japonaise, le tout foca-
cesse de me dire le plus grand bien). lisé a la fin des années 40 autour de |’Avant-Aprés
Du cinéma chinois, le lecteur des Cahiers connait (ou pendant) la révolution. Dés lors, le cinéma chi-
au moins un cinéaste : le génial Wie Jin, a qui reve- nois a été mis progressivement au pas du régime,
nait a nos jeux cette place d’honneur (1). Le reste acteurs et réalisateurs compris. Lors du mouvement
n’est pas seulement l’affaire d’un chapitre de plus anti-droitier de 57 et pendant la révolution cultu-
de l’histoire de cinéma. En quoi le cinéma chinois relle, des acteurs et des cinéastes violemment criti-
nous retient-il aujourd’hui ? Parmi toutes les qués sont retirés de la circulation. Certains sont
réponses possibles, en voici une : parce qu’il pose envoyés en usine ou aux travaux des champs,
1. «Xie Jin, celui par qui le mélo au monde du cinéma une question qu’il est le seul d’autres disparaissent purement et simplement :
arrive », par Charles Tesson. Entretien pays 4 pouvoir poser. A quoi ressemble un cinéma, enfermés en prison (2), ils y meurent, acculés au sui-
avec Xie Jin, par Marco Miller,
Cahiers n° 344, février 1983 une production nationale, dés qu’elle se met a cide. Résultat prévisible : la baisse de la production
2. Lire le « testament » de Zhao Dan, s’identifier 4 l'image d’une nation ? Le cinéma chi- au cours des années 60, jusqu’a parvenir a un arrét
Cahiers n° 320 nois, pour paraphraser André Bazin cité dans Le total du cinéma de fiction entre 1966 et 1968.
38 CINEMA CHINOIS
Aujourd’hui démomifié (le procés de « la bande des si le scénario est toujours chargé de donner le
Quatre » en 76, la libéralisation de la censure en 78 « la », centre les propos, les images flottent autour
puis le procés de Jiang Qing, la veuve de Mao), le et laissent échapper bien autre chose que leur scléro-
cinéma revient de trés loin : de sa disparition méme. sant « ni-ni » (Hollywood-Mosfilm). C’est ce qui
Il a fallu tout recommencer 4 zéro : former une fait tout le charme d’un film comme La Fille du
nouvelle génération d’acteurs, leur apprendre a Partide Lin Nong (1958) : jungle en studio, végéta-
bouger. Le cinéma chinois produit actuellement tion luxuriante (vert caoutchouc trés kitsch) qui
cent films de fiction par an contre deux-cents docu- parfois fait penser 4 Anatahan et donne l’impres-
mentaires scientifiques et éducatifs. Il reste minori- sion que chaque paysage, pris de facon autonome
taire car il a été et demeure toujours un véhicule (espace n’est jamais raccord), est vue de l’intérieur
idéologique privilégié (le scénario est affaire d’état) d’une boule de verre magique. Ce n’est plus le
a la merci des mots d’ordres et autres campagnes de lyrisme épique des grands espaces (Dovjenko), ce
destitution et de réhabilitation. Les autorités pen- n’est pas encore le poster figé de la révolution cultu-
sent toujours le cinéma comme un objet mineur cul- relle, ca se situe entre : du cété de la peinture et de
turellement : un tremplin pour valeurs (littéraires la miniature ot! chaque image renvoie au paysage sa
bien souvent) jugées plus nobles. L’envoi récent a part d’exotisme et d’irréel. Si Karl May avait situé
Cannes de La Véritable histoire d’Ah Q d’apres le les aventures de Winnetou en Chine, La Fille du
roman de Lu Xun témoigne de cette politique de Parti n’en serait pas indigne. Dans les films des
patrimoine qui remonte a l’académisme un peu sur- années 60, l’espace sera aussi un espace révé (au
fait de Ma vie de Shi Hui (1950), adapté d’un sens d’idéal en tant que véhicule politico-
roman de Lao She. Dans ces conditions, rares sont idéologique homogéne). Dans La Fille du Parti,
les cinéastes (Xie Jin est de ceux-la) qui, tout en res- c’est bien différent : les images offrent un espace
tant dans la ligne de cette politique (commande qui laisse du champ aux paysages et a la couleur et
d’état réelle ou imaginaire), parviennent a faire tra- qui, en tant que telles, donnent a réver.
vailler le matériau cinéma.
Opéras et ballets
L’enfant perdu d’Hollywood-Mosfilm
La révolution culturelle aura horreur de la disper-
Le cinéma chinois invite 4 d’autres découpes. sion. Donc, a la longue, de la fiction. A commencer
Pour constater tout d’abord que la culture spécifi- par ses personnages secondaires, intermédiaires, cli-
quement chinoise, noble (opéra traditionnel) ou tri- vés ou barrés. On s’en tiendra aux types, a ce qu’ils
viale (les arts martiaux, trés t6t exilés a Hong- représentent (valeurs d’un pays et d’un parti) et a
Kong), n’a pratiquement pas le droit de cité tout au leur capacité a faire-valoir. Empreints d’une rigidité
long de ses soixante ans d’histoire. Pour remarquer toute phallique, ils portent tout (des drapeaux, des
ensuite que l’évolution esthétique du cinéma chinois discours, des slogans et des mots d’ordre) mais on
suit d’étranges courbes. A voir les films des grandes se demande bien par quoi ils sont tenus. Tel est le
compagnies des années 30, on sent que les cinéastes cinéma voulu par Jiang Qing. Pas question par con-
étaient contemporains du cinéma mondial. IIs séquent qu’un acteur vienne parler devant un vrai
voyaient des films en méme temps qu’ils en fai- feuillage : un accident de tournage (un papillon
saient, revendiquaient l’influence manifeste entrant dans le champ) pourrait venir distraire
d’ Hollywood (politique de studios et de stars) tout l’attention du spectateur et ruiner les effets du dis-
en occultant celle, plus discréte, du cinéma japo- cours. Dans Le Port (1972) de Xie Tieli et Xie Jin,
nais. Tout comme le cinéma indien ou égyptien des on aura recours a des toiles peintes avec leurs faus-
années 50, le cinéma chinois n’importe pas, il copie. ses perspectives, a la scéne unique avec des acteurs
Il a sa Shirley Temple (Yasui gian de Zhang Shi- prenant la pose en de longs « tableaux vivants ».
chuan, 1937) et qu’importe si elle est supérieure ou En sonnant le glas de toute fiction, en demandant
inférieure a l’original. Plus surprenant encore, le peu au cinéma (enregistrer des spectacles scéni-
Yeban gesheng xuji (Le Chant de minuit 1 et 2 de ques : ballets et opéras), Jiang Qing voyait dans
Le savant fou et le fantome (Le chant
Maxu Weibang, 1937 et 1941), libre adaptation du cette entreprise le fin du fin d’une spécificité ciné- de minuit n°2 de Maxu Weibang,
Fant6me de l’opéra de Gaston Leroux qui s’avere 1941)
un excellent pastiche des films fantastiques Univer-
sal avec savant fou, laboratoire « frankensteinien »
et citations de Whale. Le virage esthétique, un film
V’'amorce a lui tout seul : Sur le fleuve Shonghua
réalisé en 1947 par Jin Shan, (le fameux fant6me du
Chant de minuit), et tourné dans les studios de la
Mandchourie libérée. Les cinéastes n’ont alors
d’yeux que pour la cinématographie soviétique. Le
réalisme socialiste fait son entrée, persiste et signe
quelques contreplongées statufiantes sur bustes
d’ouvriers en gréve (les dockers de La Porte n° 6 de
Lii Ban, 1952). Parallélement, on quitte le studio
pour les extérieurs : les paysans (La Terre de Shui
Hua, 1954), le ciel, le vent, les paysages. Le « Back
to studio » de la fin des années 50, tristement pré-
monitoire de la politique cinématographique de la
révolution culturelle (tout contréler), est aussi le
moment le plus étrange du cinéma chinois : celui
ou, perdant de vue |’évolution du cinéma mondial,
il se met a ressembler a rien, devient un orphelin de
cinéma enti¢érement livré 4 ses propres images et
pour tout dire, devient singulier et inassimilable.
Comment peut grandir un cinéma national lorsqu’il
est coupé de tout ? Comment fabriquer une image
pour que vienne s’identifier tout un peuple ? Méme
NUITS DE CHINE 39
ares
Des cinéastes de la « Nouvelle vague » de Hong-Kong, de Cahiers. Ce qui est étonnant dans Boat people,ce sont ces
Patrick Tam (The Sword) a Alex Cheung, du cinéma intimiste images du Vietnam, que l’on voit pour la premiére fois en
de Allen Fong (Pére et fils, voir Cahiers n° 332) au cinéma France. Habituellement on voit dans les films des choses que
d’effets spéciaux de Tsui Hark (Butterfly murders, Warriors of les journaux, la télévision, nous ont déja montrées plusieurs
the Magic mountain), Ann Hui est sans doute la cinéaste la fois. Or ici, les gens ont d’étranges réactions car c’est a travers
plus attachante et la plus douée. Ann Hui est originaire de la fiction, le cinéma, qu’ils ont pour la premiere fois un apercu
Chine septentrionale et arrive 4 Hong-Kong avant de suivre a de ce qui s’est réellement passé la-bas. Vous avez dit lors de
Vuniversité des études d’anglais et de littérarure comparée. votre conférence de presse, que vous aviez eu des problémes
Elle étudie le cinéma a la London Film School en 1972 puis pour le scénario, qu’il avait été remanié plusieurs fois... Vous
revient 4 Hong-Kong en 1975 pour étre assistante sur Zhonglie avez commencé a y penser apres Story of Woo Viet ?
tu (Cavaliers et guerriers) de King Hu. i
Commencent alors quatre années trés prolifiques pour la A. Hui. Avant, maisje l’ai écrit pendant le tournage de Woo
télévision. Elle débute 4 la TVB oi elle réalise 17 épisodes de Viet qu’on m’avait commandé auparavant. J’étais engagée a
diverses séries de téléfilms (dont une sur des policiers) ainsi que Il’égard de Madame Lin depuis deux ans a peu prés, mais elle
20 documentaires de 30 minutes — parmi eux, des reportages m’avait dit qu’elle attendrait : je devais remplir d’abord mes
sur les rituels en Asie du Sud-Est. En 1977, elle quitte la télévi- engagements a |’égard d’une autre compagnie, et je voulais que
sion et tourne une série de 7 heures pour I’ICAC (Independent cela soit vite fait — il s’agissait de Woo Viet. Comme mes pen-
Commission Against Corruption), institution fondée par le sées tournaient autour de ce sujet, j’ai proposé un théme
gouvernement. Ann Hui revient a la télévision en 1978, offi- qui en fait lui ressemblait beaucoup... j’ai proposé trois themes
cielle cette fois (RTHK), et réalise trois téléfilms d’une heure, et ils ont choisi Woo Viet. Au début, je n’avais plus envie de
dont un intitulé Boys from Vietnam. Ann Hui fait son entrée faire Boat People, pensant que ce serait une répétition, je
sur la scéne du cinéma grace a des maisons de production indé- n’avais nullement le projet d’une trilogie. Mais nous avons
pendantes (les fameuses « leftist companies » ou compa- décidé de nous y mettre...
gnies de gauche, installées 4 Hong-Kong en provenance de J’ai demandé a une scénariste d’écrire le film. Elle a proposé
Chine populaire). Les deux premiers films pour le cinéma qu’on tourne en partie dans I’ile de Hainan, parce qu’elle avait
d’Ann Hui (The Secret en 1979 et The Spooky Bunch en 1981) connu quelqu’un qui lui avait dit que l’endroit ressemblait
ont ceci en commun d’étre des films de genre 4 mi-chemin entre beaucoup au Vietnam. Nous devions ainsi situer 4 peu prés un
le thriller et le film fantastique (histoires de fant6mes, supersti- quart de l’histoire 4 Hainan, avant le départ des personnages.
tions). Boat people confirme la nouvelle trajectoire amorcée Je suis allée dans I’ile, j’ai pris beaucoup de photos et inter-
par The Story of Woo Viet, celle d’un cinéma qui, sans jamais viewé des réfugiés qui étaient venus de Hanoi par la route
trahir ses qualités de film d’action et d’aventure, greffe son jusqu’a la province de Kwangsi. Ils m’ont raconté eux aussi
récit sur un matériau en prise directe avec l’actualité. L’entre- leur histoire. Notre matériau faisait boule de neige et nous ne
tien qui suit a été réalisé 4 Cannes et porte essentiellement sur pouvions nous résoudre a |’élaguer. Nous avons discuté, écrit.
Boat people, film-phare dans la carriére d’Ann Hui. A cela, Nous n’avions pas encore esquissé d’histoire, mais simplement
deux raisons. 1) Esthétique. Le film condense exemplairement transcrit des faits... Tout en faisant Woo Viet, je discutais avec
le double visage de la filmographie d’Ann Hui : l’amour du la scénariste de temps en temps. Nous n’avions toujours pas
thriller (ses premiers films pour le cinéma) et la téléaste formée trouvé la trame de l’histoire ni le point de vue a adopter. Au
A l’école du reportage et du documentaire. 2) Economique. Le début, nous l’envisagions du point de vue de T6 Minh, le type
film a été un énorme succés 4 Hong-Kong (l’argument publici- qui était venu de la zone économique. i
taire pour son lancement était celui d’un film catastrophe : Mais cela ne convenait pas. Un jour, la scénariste s’est mise a
Boat people ou le visage prémonitoire du Hong-Kong de 1997 lire une histoire, celle d’ Akutagawa — il s’agit d’un journaliste
rendu a la Chine populaire) et Ann Hui, comme beaucoup de japonais qui rencontre une petite fille en 1974-75, immeédiate-
cinéastes indépendants de sa génération, est attendue a son ment avant et aprés la Libération. Elle n’a aucune idée de la
tour au virage d’une « Major » (son prochain film sera produit situation politique dans le pays, mais elle est en train de vivre le
par les Shaw Brothers). Cir changement, de son propre point de vue. L’homme sait, mais
48 ENTRETIEN
elle ne sait pas. L’ histoire gravite autour de ces deux personna- di payer 100.000 dollars H-K d’indemnités. Je lui ai proposé
ges. On avait ainsi d’une part l’histoire d’Akutagawa, sur le de tourner le film sans scénario, pour qu’elle ne perde pas
continent, puis celle de T6 Minh. Nous avons réécrit quatre d’argent, mais elle m’a répondu : « Non, je veux un scénario,
fois le scénario. Chaque fois que la scénariste arrivait au départ avant le tournage ». Cela nous a pris presque sept mois, et
en mer, elle était arrétée parce que c’était un nouveau drame nous ne sommes allés 4 Hainan qu’en janvier 1982. Finale-
qui commengait, avec de nouveaux personnages. Puis nous ment, le scénariste m’a proposé un scénario que j’ai trouvé trés
avons trouvé une nouvelle version — c’était la sixiéme déja. bien, sauf en ce qui concerne la fin et les rdles de personnages
Nous sommes allés 4 Hainan, nous devions tourner en juin, officiels, qui, je le pense encore, ne sont pas assez bons : je
tout était prét, la pré-production ayant été mise en route un an voulais qu’ils aient aussi leur mot a dire et ce n’est pas le cas. Je
auparavant. Tout le monde a examiné le scénario — |’équipe voulais que chacun puisse faire valoir son opinion sur la situa-
savait qu’on prenait d’énormes risques et se sentait trés concer- tion.
née. Tourner en Chine populaire c’était, en ce qui me concerne,
perdre toute possibilité de tourner un autre film, parce que je Cahiers. Tous les acteurs parlent le mandarin, aucun ne
perdrais le marché taiwanais. Pour les financiers de Hong- parle le vietnamien ou le japonais...
Kong, perdre le marché taiwanais, c’est perdre 300 000 dollars A. Hui. Nous n’avions pas d’acteur japonais, donc Lam a
a chaque fois, et notre film ne rentrerait jamais dans ses frais. dai apprendre un peu de japonais, qu’il parle trés mal d’ail-
En plus, je serais sur les listes noires des principaux laboratoi- leurs ; mais nous n’avons pu faire autrement, car l’unique bon
res taiwanais. Ils n’accepteraient pas de travailler avec moi, acteur mandarin qui fait des doublages en japonais ne le fait
parce qu’ils ont une société spéciale, A Taiwan, la Freedom pas avec un accent parfait : pour les Japonais, entendre a
Society for Independant Filmmakers : nous sommes obligés V’écran un compatriote parler avec un mauvais accent, c’est
d’en faire partie pour pouvoir vendre nos films 4 Taiwan. C’est désagréable ; mais le film étant destiné au public de Hong-
une sorte d’embargo politique indirect sur les réalisateurs, les Kong, nous avons laissé passer. La moitié des acteurs parlent le
acteurs et les techniciens d’ Hong-Kong. Nous |’acceptons tous, mandarin, et l’autre moitié le cantonnais : je les ai laissés
pour pouvoir travailler dans l’industrie. Je désirais passionné- s’exprimer chacun dans leur langue, pour que cela ne géne pas
ment faire ce film. Lam Chi Cheung était alors en téte du box- leur jeu. Ensuite nous avons fait un doublage entiérement en
office des acteurs et il a pris délibérément le risque de tourner mandarin pour |’exploitation en Chine, et une autre version
en Chine. Nous avions du mal a trouver des acteurs 4 Hong- complétement en cantonnais pour Hong-Kong. Dans ce film,
Kong qui veuillent tourner ce film. j’ai voulu qu’on interpréte tout ce qui est en chinois comme si
c’était du vietnamien et ce qui est en japonais comme du japo-
Cahiers. C’était en 1981 ? nais. Je ne pouvais pas faire parler les personnages en vietna-
mien, sinon ici cela aurait eu l’air d’étre un film étranger qui
A, Hui. Oui 1981. L’équipe avait déja été payée, mais nous
n’aurait rien dit 4 personne.
avions trois mois devant nous : dés lors que vous réservez une
équipe pour une date donnée, vous devez la payer. Avant de
Cahiers. Dans votre film, l’action vient toujours en premier.
partir, nous avons montré le scénario a une partie de l’équipe :
Cela va tres vite ; jamais le photographe ne dit : « Oh, c’est
ils ont été consternés, car ils n’y comprenaient rien. Nous
affreux, j’ai fait une erreur ».
étions tellement pris par notre sujet que beaucoup de choses
nous paraissaient évidentes, tandis qu’eux n’ont pas du tout A. Hui. Oui, ce que je préfére, ce sont les réles de personna-
percu la ligne de force dramatique. L’histoire était si touffue ges qui ne parlent pas de ce qu’ils font, parce qu’en général les
qu’elle en devenait elliptique, on n’arrivait pas a suivre. A gens agissent plus vite qu’ils ne pensent — d’autre part les
force de travailler sur le scénario, j’en étais de plus en plus intellectuels qui pensent n’agissent pas (rires). Je veux dire qu’il
dégofitée, alors nous avons décidé de changer — de retirer ce y a une coupure... les gens ne se remémorent pas a la fin de la
passage sur la mer. Mais la premiére scénariste s’était déja journée ce qu’ils ont fait pour en tirer les conséquences le len-
engagée pour deux autres projets, elle n’avait plus de temps demain. Les gens agissent, simplement. En fait, je n’aime pas,
devant elle. J’ai alors demandé au scénariste de Woo Viet de dans le film, les scénes ou il confie ses déceptions 4 son ami
réécrire la premiére partie de l’histoire et cela lui a pris sept japonais. Il dit simplement : « On m’a trompé, on s’est joué de
mois : chaque jour il s’asseyait devant son bureau, et n’arrivait moi » ; ce n’est pas assez fort, parce que ce n’est pas mis en
pas a écrire, ne se sentant pas a la hauteur du sujet. Il a fallu valeur ; ou peut-étre parce que ce n’est pas assez direct. Ce sont
annuler l’engagement de l’équipe de tournage, Madame Lin a des scénes que je n’aime pas.
The Spooky Bunch De Ann Hui. Story of Woo Viet de Ann Hui.
AVEC ANN HUI
Cahiers. Pourquoi avez-vous choisi un journaliste japo- mon retour, je les ai reconstituées. Il m’a parlé de ses impres-
nais ? sions sur la ville et m’a raconté comment il avait été guidé,
V’ambiance qui régnait, comment il ressentait le fait d’étre
A. Hui. Parce que nous avions sous la main cette histoire de japonais dans cette ville, etc... Il est resté la-bas un mois — ou
Japonais, et j’ai aimé les sentiments qu’elle fait naitre. Et puis au moins vingt jours : il a fait l’aller-retour H6-Chi-Minh Ville
en Asie, le Japon est considéré un peu comme |’Europe. Ils ont - Hanoi et il a pris des photographies tout le temps a travers
un c6té protecteur, a cause de leur supériorité commerciale. tout le Vietnam.
Nous avions aussi des problémes pratiques : nous avons utilisé
un Chinois pour interpréter le rdle, or les gens de Hong-Kong Cahiers. On m’a dit que la premiere version du film durait
savent que cela ne peut pas arriver, que les journalistes de quatre heures...
Hong-Kong ne vont jamais au Vietnam, leur public ne s’inté-
ressant pas du tout a la politique de ce pays. Il est totalement A. Hui. Non, ce n’était pas aussi long : 120 minutes, a peu
évident que je n’ai jamais considéré le Vietnam du point de vue prés, et il a fallu que l’on coupe vingt minutes pour la distribu-
de la politique internationale, mais du point de vue des habi- tion a Hong-Kong, de facon a organiser cing séances par jour.
tants de Hong-Kong. IIs considérent ce pays comme trés loin-
tain, et jadis Saigon était le paradis de la débauche. Les hom- Cahiers. Qu’est-ce que vous avez coupé ?
mes fortunés allaient y passer les week-ends et tout le monde le A. Hui. ... principalement de scénes entre le journaliste et les
savait. personnages officiels... quelques scénes du début. J’ai trés peu
Cahiers. Y a-t-il des cas de journalistes japonais qui aient coupé a la fin, car je trouve que l’histoire ne bouge pas assez
pénétré aussi loin a Vintérieur du Vietnam ? vite au début, et qu’a la fin, ce n’est pas assez long, pas assez
développé parce que le scénariste était de plus en plus pressé.
A. Hui. Oui : j’ai vérifié par la suite. L’histoire a été écrite
en 1974 : je me suis rendue au bureau de la presse, 4 Hong- Cahiers. Qu’est-ce que les Chinois avaient en téte quand ils
Kong, ou j’ai discuté avec les journalistes japonais. Je leur ai ont voulu que ce film soit fait ? Savaient-ils comment il serait
demandé s’ils connaissaient des confréres qui étaient allés au recu ?
Vietnam aprés la libération et quelles avaient été leurs expérien-
ces. Ils m’ont donné le nom de |’un d’entre eux qui était A. Hui. Je ne sais pas, je ne suis pas assez naive pour penser
retourné a Tokyo. Je suis allée le voir et il m’a montré des pho- qu’il ne sert pas quelque visée politique : il ne faut pas écarter
tos qu’il avait prises en... 1978. Il avait obtenu |’autorisation cette idée. Mais au moins, ils n’ont pas essayé d’influencer ma
d’aller au Vietnam. II m’a montré toutes ses photos, sans vou- pensée, et je trouve que c’est assez honnéte. Il y avait un choix
loir m’en fournir des tirages, mais j’en ai gardé le souvenir, et a moral trés délicat a faire : allais-je accepter de servir une visée
50 ENTRETIEN
politique... mais servir en méme temps mes propres buts ? Je et ils ne touchent qu’un tiers des recettes. Il est donc difficile
n’avais pas moi-méme de motifs pour calomnier un gouverne- pour les indépendants de survivre. La plupart d’entre nous ont
ment, et je n’ai pas l’impression de I’avoir fait, autant que je envie de faire de meilleurs films, qui nécessitent un budget plus
puisse m’en rendre compte. important. Je retourne dans un studio. Cette fois-ci, je vais
chez les Shaw. Mais les gens de cette compagnie essaient tou-
Cahiers. Une fois le film fini, quelles ont été leurs réactions ? jours de vous faire signer des contrats plus longs, de facon a ce
que vous deveniez l’un de leurs réalisateurs attitrés : j’essaie de
A. Hui. Les Chinois ont beaucoup apprécié l’aspect techni- résister trés fort, car je ne veux pas faire des produits Shaw
que, car en ce moment, pour ce qui concerne |’industrie du moyens. Mais cela m’est égal de faire le prochain avec eux, sur-
film, ils font de grands efforts... il y a un extraordinaire regain tout si je dois travailler dans leurs studios ; parce qu’on ne peut
d’intérét pour le cinéma. Je pense que dans quelques années pratiquement pas louer de studios en dehors de ceux des gran-
Vindustrie chinoise sera trés florissante, si la situation politique des compagnies.
reste stable, et si l’esprit d’ouverture, si on peut dire, persiste.
Cahiers. Vous avez été l’assistante de King Hu et il travaillait
Je ne fais pas de la propagande pour la Chine ; c’est mon
aussi pour une grande compagnie.
intime conviction. Beaucoup de leurs réalisateurs viennent a
Hong-Kong pour y voir beaucoup de films occidentaux, de A. Hui. Il avait d’abord travaillé chez les Shaw puis il avait
techniques occidentales. Ils estiment que notre film est trés bon fait un film a succés avant de pouvoir monter sa propre compa-
du point de vue technique, parce que la caméra est plus fluide gnie et de travailler chez les Shaw puis avec le producteur Li
que chez eux. Ils ont vraiment envie d’apprendre. En ce qui Honxiung ; il ne pouvait pas s’en passer, car tous ses films sont
concerne l’idéologie, ils ont des sentiments mélangés, parce en costumes, et nécessitent des décors. Mais moi, je n’ai pas
qu’a l’évidence, s’ils s’identifient a certaines de ces aventures, besoin de tout cela, ... et je ne veux pas entrer dans les affaires.
d’autres passages vont trop loin pour eux, notamment quand, Je n’ai pas envie de créer ma propre compagnie pour le
dans leurs propros, certains personnages s’en prennent sans moment.
arrét a une révolution socialiste.
Cahiers. A Cannes, vous avez parlé d’un projet de comédie
Cahiers. Quelles sont les conditions de travail pour un sur Hong-Kong en 1937. Pouvez-vous en parler ?
cinéaste a Hong-Kong ?
A, Hui. Nous voulons faire un film sur les moeurs et les cou-
A. Hui. Ici, a Hong-Kong, les tournages sont de plus en plus tumes 4 Hong-Kong dans les années 1980, sur les relations dans
lents : quand j’ai commencé en 1979, il était habituel de tour- une famille... Nous n’avons esquissé pour |’instant qu’une
ner un film en trente jours — pas un film en costumes, bien ébauche. Nous allons rentrer travailler sur le scénario.
sir — mais maintenant la moyenne est de cinquante jours.
Nous nous rapprochons done des normes internationales — du Cahiers. Boat People n’a été vu qu’a Hong-Kong, jusqu’a
moins en ce qui concerne les questions de temps. présent. Est-ce qu’il a eu assez de succes pour couvrir ses
frais ?
Cahiers. Etre réalisateur indépendant a Hong-Kong,
A. Hui. Oui.
qu’est-ce que cela veut dire ? Qu’est-ce que cela signifie écono-
miquement, alors que tous les réalisateurs travaillent pour de Cahiers. Donc le marché de Hong-Kong peut vraiment suf-
grandes compagnies ? fire a couvrir les frais d’une production locale ?
A. Hui. ... La situation reste la méme. Nous sommes a peu
A. Hui. D’habitude, non ; mais ce film a eu un tel succés
prés dix, tous venant de la télévision, avec l’ambition d’étre de
qu’il a été largement amorti.
bons réalisateurs, le désir de faire... des films bien faits, qui
auraient a la fois un succés commercial et une certaine qualité
Cahiers. Combien le film a-t-il cotité ?
artistique. Nous n’essayons jamais — nous ne révons méme
pas d’essayer de faire des films de qualité qui ne soient pas en A. Hui. 3,5 millions de dollars H.K., je crois, ce qui équi-
méme temps des succés commerciaux. Evidemment, nous vaut en gros au méme chiffre en francs francais. Il a rapporté
échouons parfois... moi-méme, j’ai eu beaucoup de chance, 15 millions de dollars HK.
j’ai réussi a faire un film... paradoxalement, alors que pour
Boat People j’avais essayé de ne pas faire de compromis, le Cahiers. Woo Viet n’a pas eu autant de succés ?
film a obtenu un gros succés. Et maintenant, je suis dans la
A. Hui. Cela a été convenable. Il a rapporté de l’argent.
situation enviable ot je peux avoir des exigences, ce qui est une
Woo Viet a coiité 1,4 million, 4 peu prés un tiers de ce qu’a
trés bonne chose. Les compagnies indépendantes font le lien,
cofité Boat People, mais les recettes ont été de 3,8 millions : un
elles peuvent notamment produire des films, mais le réseau de
cinquiéme seulement de ce que Boat People rapporte. Mais les
distribution, 4 Hong-Kong, est tout a fait malsain... vous con-
recettes en général ont beaucoup augmenté ces deux derniéres
naissez la situation ?... Il n’y a que trois... quatre circuits prin-
années, parce que les prix des places de cinéma ont monté.
cipaux de distribution pour les films faits sur place : d’abord
celui des Shaw brothers, avec trente salles qui leur appartien-
Cahiers. Est-il vrai qu’a Hong-Kong l’exploitation est trés
nent : ils ne distribuent que leurs propres productions. Ensuite
rapide et qu’un film couvre ses frais en deux ou trois semaines,
il y a celui de la Golden Harvest de Raymond Chow qui
un mois, que les films ne passent jamais deux ou trois mois
est constitué essentiellement de quatre salles. Dix a quinze
dans une salle ?
autres salles, petites, flottent tre deux circuits : Golden Harvest
et l’autre circuit qui s’appelle « Golden Princess Company », A. Hui. Oui, habituellement, un bon film passe pendant
qui est constitué aussi d’une douzaine de salles, dont six deux semaines, quelquefois trois semaines. Quatre, c’est trés
salles principales. Les petites salles se tournent vers le film a bon. Woo Viet a duré deux semaines ; Boat People six semai-
plus grand succés. Parfois elles passent un film une semaine, nes, mais on le considére déja comme un phénoméne.
et un autre la semaine suivante.La Golden Harvest passe en
priorité ses propres films. On accorde aux films produits par Cahiers. Quels sont les réalisateurs que vous aimez et qui
les compagnies indépendantes des passages en périodes creuses, vous ont influencée ?
AVEC ANN HUI 51
A. Hui. J’aime Kurosawa, Oshima. Dans les années
contacts
soixante, nous avons été trés captivés par Godard et toute la
nouvelle vague frangaise. Leurs films ne passaient que dans les
ciné-clubs, et ils sont devenus des objets de culte, parce qu’ils
étaient l’expression directe d’une pensée, et ressemblaient a la
vie de tous les jours, ce qui nous attirait beaucoup. C’est en
regardant ces films que l’idée nous est venue d’en faire nous-
mémes. Ensuite, nous avons aimé les films américains ; puis Kaka
Kae Keke k kK
nous les avons mis a |’écart : comme si certains films étaient
des livres et les autres des magazines. Mais je pense étre diffé-
Publicité cahiers du cinéma — SEPTEMBRE 83
rente des autres réalisateurs, dans un sens, parce que j’ai vu
beaucoup de films de Hong-Kong. Quand je m’ennuyais, LIAFFICHE DE CINEMA. J.L. Capitaine. B. Charton.
j’allais voir des films, sans choisir, presque tous les jours... des
films de Taiwan, des films d’ici, et je les aimais. Je n’admettais
Historique de l'affiche 4 travers le cinéma francais. Aspects
pas que dans le milieu intellectuel, snob, ils n’aillent jamais techn. 280 repro. 140 coul. Notice iconogr. de J.P.
voir les films que l’on fait ici ; mais maintenant il y a une Berthomé. Index affiches et affichistes. 180 p. 221F
renaissance de ces films cantonnais. Les gens commencent a les
prendre en considération, a les respecter...
LE CINEMA INDIEN. J.L. Passek. Chrono, du cinéma
Cahiers. Les films de Zhu Shilin... indien. Analyse critique de 114 films. Dictionnaire des réal.
A. Hui. Oui, oui. Il y a eu une rétrospective complete de ses Biblio. Index films. Photos n. et b. 228 p. Br 179 F
films. Mais je ne vais pas aux rétrospectives, je n’aime pas cela.
Mais je devrais.
LA SAISON CINEMATOGRAPHIQUE 1945-1947.
Cahiers. Pensez-vous qu’il y a aussi de véritables auteurs de
F. Chevassu. J. Zimmer. Ts Is films sortis en France entre
films de kung-fu, comme Liu Chia Liang, ou d’autres ?
45 et 47. 872 fiches. Générique et résumé. Biofilmo. des
A. Hui. Qui, je le pense. J’ai vu beaucoup de films de réal. disparus 4 cette époque. Index des réal.. op., mus.,
kung-fu au début des années soixante-dix : Chang Cheh,
j'aime spécialement.
titres originaux. Ill. n. et b. 256 p. Br. 115 F
Cahiers. Récemment, a Paris nous avons vu des films de Liu CAMERAMAGES. Pierre Perrault. Cinéma documentaire
Chia Lang et Chang Cheh.
québecquois. Recueil textes de l'auteur par themes. Photos
A. Hui. J’aime Liu Chia Lang, mais c’est Chang Cheh que n. et b. 127 p. Br. 87F
je préfére. J’ai écrit un essai sur lui. J’aime aussi King Hu, bien
sir. Par exemple, quand Dragon Gate Inn est sorti, il a vrai-
ment fait sensation parmi nous. C’est un film passionnant ainsi COLLECTION FILMO (cinéastes). Biogr. Analyse de
qu’un autre : Come drink with me. Je n’ai pas tellement aimé
en revanche A Touch of Zen. J’ai trouvé que c’était trop lourd
leuvre. Filmo. détaillée, biblio. Index op., mus., sc., int.,
de pensées, d’humeurs et de philosophie. titres originaux. Ill. n. et b. 125 p. Br. *
—R. CORMAN. S. Bourgoin
Cahiers. Maintenant, Hong-Kong et la Chine se mettent a — J.P. MELVILLE. J. Zimmer/C. de Béchade
coproduire des films. Qu’en pensez-vous ? —4J. VON STERNBERG. P. Mérigeau
A. Hui. C’est une ouverture importante pour le futur, car —B. WILDER. 6. Colpart
histoire de Hong-Kong va s’engloutir petit a petit dans |’his- Chaque volume 63F
toire de la Chine. On ne peut lutter contre la géographie et
Vhistoire. T6t ou tard, notre intérét sera guidé par les relations A nouveau disponibles :
entre Hong-Kong et la Chine. La facon dont nous traiterons ce
probléme sera évidemment trés différente de la position et des LE FILM NOIR AMERICAIN F. Guérif. Histoire illustrée
vues officielles — de méme que notre facon de voir le Vietnam du film noir américain. Index filmogr. des réal. Biblio. Index
différe beaucoup du point de vue international. Si nous som- films. Photos n. et b. 223 p. Br. 174F
mes sincéres, notre point de vue souffrira d’un manque de
perspectives et d’objectivité. Mais je ne sais pas quoi faire.
Nous arriverons peut-étre a étre capables d’en savoir plus, et
LE CINEMA POLICIER FRANCAIS. F. Guérif. Histoire
d’en faire des films. illustrée du film policier francais. Index filmogr. des réal.
Biblio, 223 p. Br. 154F
Cahiers. Pensez-vous que vous pourrez réaliser une co-
production officielle ?
PRIX FRANCO
A. Hui. De mon cété, il n’y a aucun probléme, si ce n’est
que je suis inquiéte... parce que je veux pouvoir exprimer ce KaeKe KKK KKK
que j’ai a dire, sinon, je n’ai pas de raison de faire un film. Si
ma propre facon de voir les choses s’accorde avec la politique
officielle, je pourrai faire des films. Dans le cas contraire, je Librairie du Cinéma
préfére ne pas en faire. 24,RUE DU COLISEE 75008 PARIS
(Propos recueillis 4 Cannes, le 15 mai 1983 par Olivier Assayas TEL. (1) 359.17.71
et Charles Tesson, traduits de l’anglais par Francine Arakelian)
« BOAT PEOPLE » DE ANN HUI
Boat people ou Retour 4 Da-Nang de Ann Hui représentait « What’s the story ? ». La régle de cinéma d’Ann Hui est sim-
cette année 4 Cannes le « film surprise ». Quel est le statut ple et terriblement efficace : un récit a ses lois, sa logique, et
d’un « film surprise » ? Il suffit de regarder un peu en arriére : tous les personnages, sans exception, leurs raisons. A partir de
Yol de Giiney et L’Homme de fer de Wajda. Deux films en ter- la, le récit, poussé a bout, hors des limites qu’il s’est lui-méme
rain politique miné (la Turquie des militaires, la Pologne de fixées, n’a de comptes a rendre qu’a lui-méme (parler 4 propos
Gdansk) qui, une fois sur la Croisette, sont a effet médiatique de Boat people de chantage au vécu ou de chantage au sujet est
garanti. Le film de Ann Hui avait tout, sur le papier, pour tout simplement risible) et dés lors, le comportement des per-
jouer a son tour cette carte. Ne racontait-il pas l’histoire des sonnages, plus que jamais, est dicté par l’urgence du récit — sa
« boat people », un des aspects de la réalité politique actuelle « fureur » serait plus juste. Retour a Da-Nang ne travaille a
du Vietnam ? Rien n’y a fait. Pourquoi ? On peut avancer un aucun moment sur la bonne ou mauvaise conscience du specta-
étouffement diplomatique de derniére minute (le film a été teur car la force de son exécution, la violence de son récit, irré-
coproduit et tourné en Chine et les relations de ce pays avec le cupérable (le film n’est pas anticommuniste), le film la gagne a
Vietnam ne sont guére au beau fixe). C’était aussi mal la force de ses poignets et non de son sujet.
connaitre Ann Hui. Contrairement au Wajda ou au Giiney, la Pour établir sa fiction, Ann Hui a inventé ce personnage de
cause du film de Ann Hui n’était pas gagnée a l’avance si tenté reporter. Il s’agit d’ Akutagawa, photographe japonais (« l’ami
qu’il ait une cause 4 défendre autrement que cinématographi- étranger ») qui est 4 Da-Nang en 1975 4 la libération, remonte
que. On l’aura compris, Retour @ Da-Nang est un film fort, dans la zone nord (la Nouvelle Zone Economique) pour photo-
singulier (le contraire d’une planche a médias), plein d’un désir graphier les bienfaits du nouveau régime puis retourne a Da-
de cinéma sans concession. Nang et découvre progressivement des cadavres de fusillés, des
Le Vietnam est en guerre depuis longtemps et le cinéma aime gens qui cherchent de l’argent pour quitter le pays. Ce genre de
la guerre. Pas le francais, amnésique en l’occurence, mais le personnage, celui par qui la vérité, la prise de conscience arri-
cinéma américain, toujours sur le qui-vive et trés fort, dés qu’il vent (presque un archétype) a déja coulé plus d’une fiction
s’agit de faire fictionner ses plaies. Cette fois-ci, c’est |’ Asie, pseudo-documentaire. Le Vietnam filmé par Ann Hui ne
une cinéaste de Hong-Kong, qui exorcise la réalité d’un pays et devient jamais, via son personnage central, le théatre d’une
rend enfin a l’histoire sa vraie fiction. C’est énorme. Quand un déchirante crise de conscience du voir et de sa restitution
cinéaste doit passer, le temps d’un film, d’une Histoire (un médiatique. Le choix de l’acteur entre pour beaucoup 1a-
pays) a une histoire (un récit), il joue nécessairement sur la dedans. Lam, de son vrai nom Lam Chi Cheung, est un chan-
corde raide. S’engager, en tant que cinéaste, a faire fictionner teur, une pop-star de Hong-Kong, avant d’étre un acteur. Son
une réalité historique proche, toujours pas réglée, c’est avant visage est léger, presque serein. II n’est pas encombré par cette
tout s’engager sur de vrais risques de cinéma. Le passage d’une graisse de |’Ame et résiste a toute tentative de lestage scénari-
réalité documentaire (le scénario est constitué de témoignages : que. Quant a sa prise de conscience (Akutagawa photographie
Ann Hui s’en explique dans |’entretien ci-contre) a sa possible et accomplit son travail jusqu’au bout), le film ne l’élude pas.
fiction revient toujours a un probléme de vitesse (Wajda en sait Il la filme a la lettre et la prend méme trés au sérieux. Retour a
quelque chose) a |’intérieur duquel le film devient 4 terme une Da-Nang : sous de premiéres images, idéalisées, se cache une
longue course a négocier entre le ralentissement (le précipité de autre réalité, d’autres images a venir. Ce cliché (l’envers du
Histoire) et l’accélération (la précipitation du récit). A ce miroir révélé par la photographie) veut généralement que le
régime, Ann Hui gagne sur tous les tableaux. Elle pense tou- tempo d’un personnage comme Akutagawa soit réglé comme
jours son film en fonction du récit (« Just facts »). Dans l’exi- du papier 4 musique : il y a un temps pour agir (photographier)
gence de chaque plan a |’intérieur de son film, il y a d’abord et un temps pour réfléchir (sur ses photos, son travail). C’est
cette interrogation naive, cette croyance fullérienne minimale : l’incontournable prise de conscience. Dés lors, la fiction ralen-
Boat People de Ann Hui.
tit, s’alourdit et le visage de l’acteur accuse une pesanteur, une L’autre grande qualité de Retour a Da-Nang, c’est la démo-
gravité qui fait elle-méme écho au sérieux des réflexions qu’il cratie de sa mise en scéne. Notion peu a l’ordre du jour dans ce
énonce. Ann Hui filme Akutagawa quand il découvre et photo- type de fiction menée au forcing. Notion sur laquelle le film ne
graphie les cadavres des fusillés puis coupe devant une réaction transige pas. En clair, le photographe n’a pas le monopole de la
qui ne vient pas et que les spectateurs attendent. Elle ne l’évince fiction. Il n’est pas ce centre tutélaire par qui la vision du
pas pour autant. En tant que cinéaste, ce qui l’intéresse avant monde (toute la vision du monde, rien qu’elle... air connu) doit
tout, ce sont des mécanismes de récit, c’ est-a-dire le moment ot passer, il n’est pas cette banque fictionnelle qui capitalise tou-
cette réaction va revenir dans la fiction (revenir pour la travail- tes les données du scénario. La démocratie de la mise en scéne,
ler) et comment, par son retour, elle va créer des appels de fic- c’est cette régle minimale, peu souvent respectée, qui veut
tion. C’est la trés belle scéne ot le photographe, convié a diner, qu’aucun personnage ne soit a priori chargé (ce qui est vrai des
en découpant sa viande, se met 4 vomir @ /a vue d’une goutte de officiels comme Lé et Vu) parce qu’un acteur, quel que soit son
sang. personnage, au méme titre que tous les autres acteurs, a le droit
En conjugant les deux temps a la fois (agir, penser) au sein de préserver intacte sa chance dés qu’il arrive sur l’écran. C’est
d’un méme mouvement fictionnel, le film ne se condamne pas ce qui se passe lorsqu’a la fin un officiel dit 4 Nguyén, le vieux
a une vitesse forcée. La vitesse de Retour a Da-Nang, la fulgu- révolutionnaire a la cicatrice, qu’il n’est pas nécesaire de pren-
rance de son récit, est paradoxalement une vitesse lente. Ann dre sa chemise pour aller en zone nord. C’est ce qui fait égale-
Hui, vis-a-vis de son photographe, ne s’intéresse qu’a ses actes ment que ce personnage de Nguyén — tout comme Cam Nuong
et son comportement, pas a sa psychologie. Akutagawa ne (Season Ma, formidable), l’amie du photographe — finit par
nous prévient jamais pour nous dire ou il va, on nous le montre exister sur l’écran sans la caution d’Akutagawa (la scéne ou il
ou il est, déja la. Du coup, il a une case d’avance sur le specta- parle avec lui le long d’une allée de palmiers est magnifique). A
teur, pris de vitesse, tandis que lui va a son rythme de person- chaque instant du film, on sent Ann Hui, par amour pour tous
nage qui est plutét lent, pondéré. La vitesse de déplacement du ses personnages, pour son récit, préte 4 quitter le centre de la
personnage ne rencontre jamais la vitesse d’exécution du film. fiction pour étre toute a eux, séparément, l’espace de quelques
Ce qui ne signifie pas pour autant que le film joue le « agir » a minutes, jusqu’au bout. C’est l’épisode formidable du camp de
la place du « penser » (de ce fait, disparu dans les coupes som- déminage avec T6 Minh et Ah Thanh. Un visage en gros plan
bres d’un découpage elliptique). Ann Hui est tout sauf une couché a terre, le bruit d’une explosion, quelques mottes de
cinéaste irresponsable. Son film ne fait jamais l’économie de la terre retombant sur le dos... images terribles. La fuite la nuit,
prise de conscience de son personnage (au sens de I’absenter), il la fusée qui éclaire le bateau prenant le large, l’autre bateau qui
est au contraire son économie au travail, sa vraie fiction. Chose surgit sans bruit, la mitraillette implacable que balaie un travel-
autrement plus importante et plus passionnante a suivre. Chose ling... Images fortes, inoubliables. A la mesure de tout le film.
que peu de cinéastes, aujourd’hui, savent filmer. CT.
CRITIQUES
A COEUR OUVERT
VIVEMENT DIMANCHE ! France 1983. Réalisation : Fran- la caméra, s’il n’est pas l’assassin, ne peut étre qu’une victime,
cois Truffaut. Scénario ; Francois Truffaut, Suzanne Schiff- la caméra personnifiant le regard de l’assassin. Un voisin en
man et Jean Aurel, d’aprés « The long saturday night » de promenant son chien voit la femme de Trintignant rentrer pré-
Charles Willians. Image: Nestor Almendros. Son : Pierre cipitamment 4 son domicile, et une dispute aussit6t éclater
Gamet. Montage : Martine Barraque. Production : Les Films entre elle et son mari, sans cependant voir le terme de celle-ci.
du Carrosse, Films A2, Soprofilms. Interprétation : Fanny Mais c’est 1a un indice suffisant pour accuser par la suite le
Ardant, Jean-Louis Trintignant, Philippe Laudenbach, Caro- mari de meurtre et le plonger dans une situation inextricable,
line Sihol, Philippe Morier-Genoud, Xavier Saint Macary, de méme que, chez Hitchcock, un point de détail anodin qui
Jean-Pierre Kalfon. Durée: 1 h 51 mn. Distribution : AAA cloche, qui fait tache dans le tableau, finit par envahir toute la
Soprofilms. surface de l’écran et modifier complétement le cours d’une
existence banale.
Il y a chez Francois Truffaut une grande permanence des Un directeur d’agence immobiliére se voit accusé du meurtre
sujets et une fidélité constante a certains auteurs. La premiére de sa femme et de son amant. La police a ses trousses, il se
séquence ol nous assistons au meurtre de Massoulier semble cache dans son agence, cependant que sa secrétaire joue les
poursuivre ou terminer, quarante ans aprés, la chasse de La détectives. Elle est brune et les hommes préférent les blondes. II
Régle du jeu, méme si, entretemps, le gibier a changé. Mais ce y aentre Fanny Ardant et Jean-Louis Trintignant, un jeu du
qui n’était qu’attente, menace, vague et inquiétant sentiment chat et de la souris paralléle a l’enquéte, qui, avec leurs aventu-
dans La Régle du jeu, avant que n’éclate la passion, devient ici res policiéres, trouvera une heureuse fin. La province (Mar-
la seule réalité, l’enjeu principal d’une action dont la chasse seille, Nice...), des notables, plus une femme infidéle, une rela-
tient lieu de décor : tout chasseur qui rentre dans le champ de tion amoureuse qui se construit entre un directeur et son
employée, Vivement Dimanche ! est \’un de ces films de Truf-
faut qui, tout en mobilisant des thémes et des images trés per-
sonnels, relévent de sa veine chabrolienne, de ce qu’il peut y
avoir de commun entre son cinéma et celui de Chabrol.
Dans Le dernier métro, Heinz Bennent dirigeait une piéce
qu’il ne pouvait pas voir, caché dans les coulisses. Cependant
que Jean-Louis Richard, le chroniqueur de Je suis partout,
avait l’oeil 4 tout, il lui fallait s’en remettre 4 sa femme et a ce
qu’il entendait le soir des représentations. Il en est de méme
ici.Mais Fanny Ardant, il faut le reconnaitre, n’a pas l’art
d’une Catherine Deneuve. Elle joue trop son personnage et lui
retire vite sa crédibilité, le tirant trop du cété de la comédie,
comme si entre elle et son personnage, le partage s’était mal
fait, trop déséquilibré tantét dans un sens, tantét dans |’autre.
Vivement dimanche souffre sans doute de ce que nous ne par-
venons pas a croire en cette histoire d’amour de Jean-Louis
Trintignant et de Fanny Ardant, comme si les personnages res-
semblaient trop a ce que nous pouvons attendre d’eux. Jean-
Louis Richard incarne encore le mauvais ceil, c’est encore
comme tel qu’il apparait la premiére fois, derriére le judas
d’une boite de nuit de Nice, a la mauvaise réputation, ow tra-
VIVEMENT DIMANCHE 57
®
= |
vaillait la femme de Trintignant avant qu’il ne la rencontre. secret of un mannequin, une poupée, est religieusement
Cette premiére image d’un bandit du milieu, terrifiant est com- encensé et célébré a la place de la femme aimée et disparue,
plétée par une présentation plus douce et plus humoristique tuée parce qu’elle ne pouvait plus se maintenir a la place de ce
lorsque le personnage entre de plain-pied dans l’action et a fétiche terrifiant.
occasion de parler : mélange d’homosexualité, de timidité, de Cette image morbide qui est sans doute tout le mystére, la
corpulence et de féminité, proche du truand incarné par Daniel véritable énigme du film, n’apparait que fugitivement. Mais le
Boulanger dans Tirez sur le pianiste. Quant 4 Fanny Ardant, couple du mannequin et de l’avocat, que nous ne pouvons que
elle méne l’enquéte avec son costume de théatre, sous l’imper- supposer, est le symétrique du couple Fanny Ardant-Jean-
méable de Trintignant. Louis Trintignant. Fanny Ardant, elle-méme est grimée, dégui-
Philippe Laudenbach interpréte l’avocat, personnage plus sée avec son costume de théatre. Elle tape — comme toutes les
complexe, sorte de Charles Denner vieilli, ma par le ressenti- secrétaires dans cette histoire — sur une vieille machine a écrire
ment davantage que par le pouvoir et le désir de puissance, qui ressemble comme sa sceur a celle que volait le petit Doinel
amant jaloux animé par une vengeance plus morbide encore dans Les 400 coups. Nous la voyons a un autre moment se
que celle de La Mariée était en noir. La découverte de sa culpa- maquiller en prostituée. Mais cette fois la vie est du cdté du
bilité nous est donnée en flash-back de méme que la découverte déguisement, de la femme potiche, de la scéne, du théatre.
du cadavre de la femme de Trintignant. Ce sont les deux seuls C’est le spectateur, Jean-Louis Trintignant, qui est donné
flashes-back du film par lesquels Truffaut accroit le suspense comme un étre mort, inerte, passif, impotent et velléitaire
en interrompant l’action pour y revenir par la suite et l’éluci- comme un malade, qu’il faudrait protéger de ses propres ten-
der. Le procédé est artificiel, mais il semble correspondre aussi dances suicidaires.
a une nécessité pour Francois Truffaut de faire en sorte que Les plans du générique de la fin nous montrent une classe
toutes les images qui se rapportent a la femme de Trintignant, d’enfants danser, tout comme il arrivait 4 Renoir de finir par
une fois celle-ci morte, ne soient pas seulement des images un théatre de marionnettes. Au beau milieu de cette classe, un
d’elle avant sa mort, dans le passé, mais encore des images au enfant noir. Dans The Naked Kiss, une prostituée débarquait
passé, de méme qu’un récit peut se faire au présent ou au passé un jour dans une petite ville des Etats-Unis, pour se cacher,
simple. En effet, le deuxiéme flash-back est censé nous intro- trouvait une chambre chez |’habitant et veillait sur « Charlie »,
duire dans la boutique d’esthétique tenue par la femme de un mannequin avec le casque et la veste du compagnon disparu
Trintignant, et en fait nous conduit dans un véritable autel de la propriétaire de la maison, prenait un travail dans I’hos-
58 CRITIQUES
pice d’enfants handicapés de la ville et épousait le potentat kiens filent doux, a la derniére image, vers cette vie de famille
local, un pervers qu’elle tuait finalement. Dans les plans victorienne que haissait tellement Hitchcock dans les mémes
d’enfants de I’hospice ou dans les plans de la foule a la fin du films.
film, il y avait toujours, au milieu d’une assistance blanche, un Avec Vivement Dimanche !, Francois Truffaut a voulu réali-
noir ou un asiatique, comme pour démontrer que la normalité ser une comédie policiére comme celles du jeune Hitchcock
était quelque chose d’impossible. Sous les apparences du cou- (Young and Innocent) sur fond de mystére a la Clouzot. A
ple normal qui se constitue sous nos yeux dans Vivement l’évidence, cela a aussi été l’occasion de revenir sur une période
Dimanche !, celui de Jean-Louis Trintignant et de Fanny passée du cinéma, non sans nostalgie, celle du film de série.
Ardant, il y al’autre couple, celui de l’avocat et de la femme de Au-dela du charme rétro, de la mélancolie qui teinte certains
Trintignant, obscur et sordide, louche et morbide, pervers et accessoires du décor, il y a une trés belle image en noir et blanc
inquiétant comme le couple de The Naked Kiss, s’il avait pu se de Nestor Almendros qui a su retrouver quelque chose de
faire, et qui est en quelque sorte l’envers du couple bon enfant l’éclairage de la fin des années cinquante et du début des six-
Trintignant-Ardant. Son envers comme le cété pile d’une teen.
méme piéce de monnaie, tout comme les jeunes héros hitchcoc- Yann Lardeau
repris de la droite, et dans des renvois dos-a-dos confusionnis- pour un communiste d’étre communiste : et il me semble que
tes, pour qu’on ne se félicite pas de rencontrer un film frangais c’est quelque chose que le cinéma frangais (y compris le cinéma
de gauche traitant de ces questions d’une fagon adulte, respon- fait par des communistes) ne sait pas montrer. Alors que pour
sable, en affichant son parti pris : et le meilleur cinéma améri- les autres personnages de Liberty Belle, on se garde de les iden-
cain, justement, nous a appris qu’on pouvait faire des films a tifier 4 leurs discours et méme a leurs actes — tout en ne se
thése qui soient en méme temps vrais, nuancés, humains et con- défilant pas pour les juger. On dirait que le « communiste »
tradictoires comme |’est celui-ci. De ce point de vue, Liberty représente en France cet étre bizarre qu’on identifie totalement
Belle est conséquent avec les positions exprimées il y a quelques A son engagement, ce qui est une fagon de se débarasser du pro-
années dans les colonnes de ce journal, par ses propres auteurs, bléme d’avoir a le comprendre. Mais ceci est une réflexion en
contre le confusionnisme de la « mode rétro », qu’illustrérent passant, et je précise que les communistes jouent un réle secon-
des films tels que Lacombe Lucien ou Portier de nuit ; Dieu daire dans le scénario de Liberty Belle, quoique ce soit un réle
sait si la période choisie, le cadre, pouvaient offrir des ingré- de repoussoir, comme une sorte de « boite noire » du récit
dients semblables, et préter a un traitement analogue. On dirait (mais quel récit n’a pas sa ou ses « boites noires » ?).
méme que Pascal Kané a répondu a un défi implicite, et qu’il a Le film ne serait donc réussi que sur ce plan qu’il serait déja
repris contre les « Lacombe Lucien », l’idée d’un « Berg remarquable, et rare. Si je dis que Liberty Belle est un film
Julien » ot il affronterait les mémes piéges. Notamment, le ris- « moral », je l’entends au meilleur sens du mot, en référence a
que de rendre « fascinante » |’extréme-droite quand on a des modéles comme Lang ou Hitchcock. Ce dernier, notam-
d’abord a montrer le principe de la fascination quelle inspire. ment, me semble assez présent, non pas comme référence ciné-
Mais, d’abord, Liberty Belle illustre bien, a travers l’histoire de philique fétichisée, mais comme modéle de récit ; aussi bien
Julien Berg, de ses maladresses et de ses trahisons, quelles peu- dans la fermeté de la narration, conduite avec rigueur selon la
vent étre les conséquences de l’irresponsabilité, et 4 quelles sui- régle du point de vue privilégié du héros (ce qui donne toute
tes funestes peut mener la fascination stupide qu’on éprouve leur force a des visions typiquement hichcockiennes, comme la
envers des gens qui s’érigent en élite, et auxquels on préte le rue de |’H6tel du Sourire), que dans le jeu avec le temps, et
savoir-jouir. Le regard porté ici sur |’extréme-droite est fort, dans le principe méme du récit qui est un itinéraire initiatique
juste, sans hystérie, sans délire (autre plaie de la « fiction de devant mener un étre immature, pris dans les réts du désir et du
gauche » francaise, cf. Boisset), et bien analysée la séduction danger, a la résolution « génitale » de son Oedipe. Je dis :
qu’elle peut dégager. Chacun, dans ce film, est d’ailleurs nette- devant mener, car il est clair que Pascal Kané n’a pas voulu
ment situé dans le mode de rapport qu’il établit avec les opi- mener son personnage jusque-la.
nions qu’il professe : sauf peut-étre les militants communistes Seulement, et sans prétendre exiger des héros le chic ou le
lycéens, montrés de maniére plus raide et distraite. Derriére la glamour hollywoodien, Liberty Belle ne fonctionne pas si bien
« langue de bois » des mots d’ordre, qu’il est facile de reco- que cela comme histoire d’amour. Peut-étre, comme |’ont sug-
pier, on aurait peut-étre pu tenter de faire sentir ce que c’est géré certains, parce que l’interprétation de Jér6me Zucca en
Pourquoi délaisser la Bell & Howell Eyemo,
et la Kodak-Special 1936.
A quoi bon se battre chez Alga, Bogard
et Chevereau pour obtenir une Aaton LTR
en 16 standard.
Cezanne
1873
En revanche,
si vous révez du
magnifique format
oblong ‘‘super 16’’,
si vous voulez arréter
de gaspiller le film
et user vos nerfs
sur les claps,
alors,
dans ce cas seulement,
battez-vous
chez Alga, Bogard,
Chevereau, et déposez
au musée Langlois*
toutes,
toutes les caméras
d’avant le super-16,
d’avant le marquage
du temps Aaton.
STELLA de Laurent Heynemann (France 1983) mais elle ne suffit pas 4 conférer au héros un passé,
avec Nicole Garcia, Thierry Lhermitte, Jean- qu’il aurait trahi, pas plus qu’un «je t’aime» ne suf-
Claude Brialy, Charles Denner, Victor Lanoux. fit 4 nous faire sentir sa passion, pourtant censée
étre au principe de la dite trahison. Ce héros parti
Il y avait, dans le fait divers dont est tiré Sella, de rien n’arrive nulle part : gommant |’évolution
matiére a un film trés fort, qui aurait montré le par- antérieure au film, Laurent Heynemann ne nous
cours d’un homme vers |’abjection, parcours dont donne pas pour autant a voir |’évolution interne au
la passion serait le moteur. Un film qui aurait fait film. Contrairement 4 ce que voudrait nous faire
saisir «de l’intérieur» la collaboration d’un homme croire un scénario fourmillant de coups de théatre
qui n’a a priori rien d’un collaorateur, comme Wim et de scénes a ne pas faire — l’improbable dialogue
Wenders, dans L’Ami américain montrait un meur- entre le résistant et les collaborateurs —, il n’arrive
tre commis, vécu par un non-meurtrier, en faisait tien au héros, pour la bonne raison qu’il n’existe
sentir tout le poids, tout le sens. Bref, un film qui pas. Thierry Lhermitte est, dans cette optique,
donnerait a voir et 4 comprendre non pas La Colla- l’acteur idéal pour incarner cette idée de collabora-
boration, mais un collaborateur, indépendament de teur qui ne prend jamais corps : il est totalement
tout jugement. Laurent Heynemann a choisi de absent.
faire un autre film, s’attachant plus aux conséquen- Apparemment impuissant a raconter une his-
ces de l’acte, aux jugements et au chatiment, qu’a toire, Laurent Heynemann se contente de filmer de
Vacte lui-méme. On peut regretter ce choix, proba- débat contradictoire autour de cette idée de collabo-
blement moins cinématographique, on ne saurait rateur, dans le style Dossiers de l’Ecran, sans le
bien sir le lui reprocher. S’il s’agit effectivement film, mais mis en situation, avec le point de vue des
d’un choix. Il semble qu’il s’agisse plutét d’une collaborateurs, celui des résistants, celui de Stella.
incapacité qui l’améne 4 toujours préférer le dis- Mais pourquoi alors, ce slogan : «on peut tout faire
cours sur les actes aux actes eux-mémes. II n’y a pas par amour», qui ne correspond a peu prés a rien
d’amour entre Stella (Nicole Garcia) et Yvon dans le film ? Pourquoi cette déclaration de Lau-
(Thierry Lhermitte), il n’y a que des déclarations ; il rent Heynemann au Monde, ot il dit notament : «//
n’y a pas de collaboration, pas d’actes ignomineux s’agit de comprendre — d’essayer de faire com-
en tous cas, seulement du «récit sur», du discours. prendre aux spectateurs— comment les choses se
Tout le film est dans ses dialogues, ou presque. passaient alors». Il n’est jusqu’au résumé du film
Laurent Heynemann a choisi de ne pas montrer paru dans les programmes, rédigé probablement a
comment son héros devient collaborateur — il dit partir du dossier de presse qui ne donne |’impres-
simplement, au tout début du film, «tout ce que j’ai sion qu’on cherche plus a vendre le film dont je par-
fait, je l’ai fait par amour» — mais qu’était-il avant lais plus haut plut6t que celui que Heynemann a
de devenir collaborateur ? Il a trahi, mais quoi ? La tourné. On n’a sans doute pas tort.
trahison est tout entiére contenue dans cette réplique. Y.D.
CREEPSHOW de George A. Romero (U.S.A., font les délices des teenagers américains avec des
1983) avec Hal Halbrook, Adrienne Barbeau, Fritz titres tels que « Tales from the Crypt » (Contes de
Weaver, E.G. Marshall. la crypte), et écrites ici par Stephen King, romancier
best-seller, désormais présent sur tous les fronts du
Si George Romero confirme ici qu’il ne sera « C.F. » en tant que scénariste — et méme acteur
jamais un cinéaste d’envergure, par contre cette dans Creepshow, ou il joue dans un sketch, un fer-
fois, la cohésion entre ses aspirations et ses possibi- mier débile, inexorablement recouvert d’un gazon
lités parait complete. Il fait dans Creepshow « 1 » exubérant.
des qualités de ses faiblesses. Il traite , cette fois, Non seulement Romero a respecté le schématisme
avec un humour avoué, une série de cinq histoires de la BD, mais il a méme eu I’originalité d’en con-
macabres, recréées fidélement dans |’esprit des ban- server, a plusieurs reprises, la présentation conven-
des dessinées 4 deux sous des « E.C. Comics », qui tionnelle et les outrances plastiques. Fait original,
SUR D'AUTRES FILMS 63
les cases et les graphismes particuliers de la BD sont du dessin, nous raménent logiquement aux « comic
souvent réintégrés a l’action (ils encadrent, divisent books ».
l’image) et soulignent la modestie sympathique de Plutét que de comparer tous les sketches, ce qui
l’entreprise. Romero a su contenir sa monomanie, il serait un peu fastidieux ici, détachons arbitraire-
n’y a que deux sketches ou il met en scéne ses amis, ment du lot le dernier, plus abouti, sur l’invasion
les morts-vivants. des cafards dans |’appartement archi-aseptisé d’un
Ce qu’il faut considérer d’abord, c’est la réussite de riche businessman new-yorkais (E.G. Marshall),
Vensemble, qui constitue un tout équilibré, entre le maniaque et misanthrope, qui illustre parfaitement,
comique et l’horrible, avec son parti pris de mau- et avec une grande causticité, la paranoia urbaine
vais gout, ou les éclairages (parfois uniformément poussée a ses extrémités.
rouges ou bleus), les cadrages, et le rappel constant V.O.
LA JAVA DES OMBRES de Romain Goupil L’importance prise, dans le scénario, par la filature
(France 1983), avec Tcheky Karyo, Franci Camus, et tout ce qu’elle suppose de changements de lieux,
Anne Alvaro, Jean-Pierre Aumont. de rendez-vous, etc, donne le sentiment que Goupil
ne cesse de différer son propos (un pas en avant vers
La Java des ombres se situe dans un double le politique, deux pas en arriére vers le thriller, ou
apres. L’aprés 10 mai 81 d’abord. Son propos : Vinverse). Le film a ainsi l’allure d’une longue
poser quelques questions sur les agissements des exposition un peu laborieuse, comme s’il se con-
polices paralléles qui, depuis le changement de damnait lui-méme a ne pas bouger. Assez curieuse-
régime, ont changé de but (déstabiliser au lieu de ment, cet empéchement continuel du film, cet effet
soutenir) mais pas de moyens (l’assassinat). En de sur-place, finit par produire un charme un peu
organisant son film autour du personnage de retors : le film gagne sur la durée, Goupil sait mieux
Xavier (Tcheky Karyo), ex-militant gauchiste créer un climat (noir, oppressant, désespéré) autour
devenu une sorte de desperado, Goupil situe son de son personnage piégé, que raconter une histoire
film dans un « aprés » plus large, celui qui a suivi la (le récit est délibérément opaque, mais Goupil ne
grande époque du militantisme et des utopies. parvient pas vraiment a se donner l’opacité comme
La Java des ombres tente donc de dépoussiérer la allié). Un charme du méme ordre opére sur le jeu
« fiction de gauche » (devenue plutét ici fiction des acteurs (de bons comédiens venus du théatre :
gauchiste) en la revivifiant par cette nouvelle mou- Anne Alvaro, Tcheky Karyo), qui semblent
ture du thriller 4 laquelle s’essayent certains jeunes d’abord avoir du mal a dire un dialogue parfois
cinéastes francais. Cela donne un film assez bancal, curieusement littéraire, et qui peu a peu acquiérent
pas vraiment convaincant, derriére lequel on sent une présence étrange, et contribuent a décaler un
un cinéaste qui désirerait faire un thriller, mais peu le film.
auquel son surmoi politique aurait enjoint de ne pas C’est dans ces effets de décalage, dans ces marges
oublier la fonction militante du cinéma. Ainsi du film, que Goupil réussit a faire passer quelque
s’explique la construction du scénario, en forme de chose. Pour le reste, on le voit, le film pose plus de
filature (un chef de services secrets officiels fait sor- questions qu’il n’en résoud (entre autres, sur le rdle
tir Xavier de la prison ou il était détenu depuis sept du politique comme réserve fictionnelle, ou sur les
ans, et le fait suivre pour qu’il le conduise au som- passages obligés du thriller).
met d’une organisation d’extréme-droite). AP.
LE JUSTICIER DE MINUIT (TEN TO MID- déja 4 son actif une quarantaine de longs-métrages
NIGHT) de J. Lee Thompson (U.S.A. 1983), avec (son unique titre de gloire restant Guns of Nava-
Charles Bronson, Lisa Eilbacher, Andrew Stevens, rone — Les Canons de...)
Gene Davis, Geoffrey Lewis, Wilford Brimley. Ten to Midnight est peu recommandable, non seu-
lement a cause de son sujet antipathique et usé
Comme d’habitude plus racoleur que |’original jusqu’a la corde, mais aussi pour sa mise en images
(Ten to Midnight), \e titre francais, Le Justicier de et sa dramatisation (« mise en drame »), d’une pla-
minuit, est cette fois un parfait reflet de la médio- titude et d’un conventionnel rares. Le sujet : un jus-
crité de cette entreprise, commanditée par le tan- ticier musclé et pas régulier, transfuge de la police
dem Golan-Globus (Cannon Films), installé depuis qu’il trouve trop routiniére, décu par une justice
peu a Hollywood, qui envahit la production améri- trop laxiste, traque et finit par exécuter, avec un
caine avec ses films standardisés, trop souvent pro- sang-froid sadique, un assassin détraqué sexuel (et
ches de séries B sans envergure, méme quand ils « streaker »), dont on a auparavant montré en long
font appel a des vedettes de « série A ». (Malgré et en large, les meurtres de jeunes femmes peu ou
quelques exceptions, comme le prochain Cassave- pas vétues, avec une complaisance bien « ciblée »,
tes, Love Streams). qui n’égale que l’abondance d’hémoglobine répan-
Aprés ces hymnes a l’autodéfense, au « fascisme due. Finalement, comme dirait Sigmund, ce
ordinaire », que sont les deux Death Wish (Le Jus- cinéma-la c’est de la pornographie transposée.
ticier dans la ville 1 & 11), Bronson le Lithuanien, Quant a la réalisation, un mince exemple suffit a
toujours expressif comme un tronc d’arbre, revient stigmatiser son indigence : dés la 11¢ minute, nous
a la charge dans un emploi fort similaire, sous la devinons que la propre fille du flic (Charles Bron-
direction d’un réalisateur a tout faire du film son), sera la victime principale, sauvée bien sir in
d’action de commande, Jack Lee Thompson, qui a extremis. Tout est al’avenant. V.O.
CHRONOPOLIS, animation de Piotr Kamler faut pas comprendre art brut ou artisanat grossier.
(France 1983). Le résultat est, au contraire, d’une minutie et d’une
précision extrémes. Par sa rigueur et son évocation
Certains entrent en animation comme d’autres en d’un monde para-technologique, il nous emméne
religion. Piotr Kamler est de ceux-la. Un acharne- au-dela de la science-fiction, a laquelle Chronopolis
ment quasi-solitaire de cing ans lui fut nécessaire pourrait s’apparenter au premier abord, a cause
pour mener a bien sa derniére ceuvre, Chronopolis, d’une similitude formelle, une apparence cérémo-
un long métrage d’animation inclassable, ot le nieuse et légendaire des formes humaines et du
modelage tient une grande place parmi les techni- cadre. Certes, Chronopolis est un film de fiction,
ques employées. Cependant, par modelage, il ne mais une fiction indicible. Quelque chose comme
64 NOTES
un voyage dans un inconscient mécanique et mythi- tentative d’interprétation rationnelle de phénomé-
que. nes plus complexes et insaisissables.
Plus que tout autre type de cinéaste, ou méme Plastiquement, le résultat est concluant. Des éclaiz
d’artiste, l’animateur, grace a la prise de vue image rages variés et inégaux ménagent des zones
par image, la mise en forme de matériaux divers, et d’ombre, amplifient l’apparence imposante et
une emprise totale sur le contenu de |’image, occulte des décors sculptés et enrichissent la texture
maitrise tous les aspects de sa création dynamique. (semblable a la pierre) et la couleur des divers élé-
Dans Chronopolis, Kamler a su insuffler la vie a des ments. L’impression produite par la synthése entre
machines invraisemblables, étranges, dont émane une pseudo-antiquité, des mécaniques cryptiques
un comportement autonome, et qui manipulent des aux mouvements presque organiques et une musi-
substances inconnues. D’énigmatiques personna- que électronique quasi-industrielle, répétitive et
ges, au faciés et aux costumes évoquant des prétres inquiétante de Luc Ferrari, est un complet dépayse-
incas, manceuvrent de mystérieux appareils dans de ment pour le spectateur cartésien en quéte de réfé-
froids temples « néo »-précolombiens, aux murs rences. On pense cependant au travail de certains
ornés de bas-reliefs, surveillent plus ou moins ce qui sculpteurs, peintres contemporains, comme Giger,
se passe ailleurs, sur les écrans ronds, et participent bien plus morbide, qui collabora a la conception
a la formation de sphéres réguliéres, sur lesquelles artistique du film Alien. Mais Kamler dépasse ce
ils exercent ensuite un contréle, en portant une genre de regard froid, clinique sur l’organique assi-
sorte de micro devant leur bouche. Pendant ce milé au mécanique — et vice-versa — par un désir
temps, un alpiniste escaladant une facade en com- évident de mettre en scéne avec virtuosité un mythe
pagnie d’une cordée de ses semblables, fait une lon- hors du temps (1) et hors des normes. V.O.
gue chute et atterrit sur un échafaudage de tuyaute-
(1) Comme le dit avec justesse le dossier de presse, en d’autres ter-
ries ou il rencontre une de ces sphéres, avec laquelle mes, le cinéma d’animation permet de proposer une version toute
il entreprend de multiples évolutions et se met a personnelle du temps. II est dans ce cas aussi malléable que les
danser... Ce qui précéde n’étant bien sfir qu’une matiéres qu’on anime.
OU EST PASSEE MON IDOLE ?(MY FAVO- Baker qui rappelle autant Timothy Bottoms dans
RITE YEAR) de Richard Benjamin (U.S.A. 1982) The Last Picture Show (1971), que Richard Drey-
avec Peter O’Toole, Mark Linn-Baker, Jessica Har- fuss dans The Apprenticeship of Duddy Kravitz
per, Joseph Bologna, Bill Macy, Lainie Kazan. (L’apprentissage de Duddy Kravitz 1974).
Un autre élément renoue avec la comédie hollywoo-
Pour sa premiére réalisation, l’acteur Richard dienne d’antan, c’est toute cette savoureuse galerie
Benjamin donne audacieusement dans un genre que de réles de second plan consistants et hilarants qui
l’on croyait malheureusement devenu caduc comme émaillent réguliérement le film. Citons notamment,
le western : la comédie légére. A une époque ot la mére de Benjy, opulente « mama » juive, gaf-
sévissent les Monty Python, cela tenait de la feuse haute en couleurs ; Herb, un scénariste qui ne
gageure. Le cadre choisi est en prise directe avec s’exprime que par personne interposée ; Rojeck, le
une réalité historique fort concréte: la période chef de gang (Cameron Mitchell), avec sa démarche
charniére de la fin des grands studios, des grandes outrée et ses grognements bestiaux ; l’habilleuse a
stars, et l’avénement du petit écran. Cette mutation l’accent new-yorkais trés prononcé et ses répliques a
inévitable, sert de toile de fond aux péripéties, plei- l’emporte-piéces, etc.
nes de rebondissement comiques, de deux person- Benjamin a su raviver sans fracas ce type de comé-
nages trés dissemblables. D’un cété, une star vieil- die, de plus en plus rare, méme aux U.S.A., qui
lissante, désabusée et solitaire, trés proche d’un peut étre a la fois grave et burlesque, superficielle et
John Barrymore ou d’un Errol Flynn vers la fin de mordante. Seul, Blake Edwards pratique encore
leur vie, et de l’autre, un jeune aspirant arriviste parfois cet exercice.
interprété avec brio par le débutant Mark Linn- v.O.
LES PREDATEURS (THE HUNGER) de Tony au sang de jeunes victimes fraichement égorgées.
Scott (U.S.A. 1983), avec Catherine Deneuve, Mais tout se détraque lorsque l’un d’eux (David
David Bowie, Susan Sarandon, Cliff De Young, Bowie) se prend soudain a vieillir 4 toute allure. II
Beth Ehlers, Dan Hedaya, Suzanne Bertish, Ann n’y comprend rien et meurt... (Aprés sa disparition
Magnuson. Phistoire continue, mais n’a plus aucun intérét).
La forme. Facheusement, la forme envahit tout;
Beineix avait raison : il n’est pas le seul de son Tony Scott ignore la sobriété et étale au grand jour
espéce. Toute une école semble surgir du cinéma sa science de l’image, desservant par contrecoup
publicitaire. Tony Scott (frére de Ridley) en est un son sujet. Sophistication est le terme qui vient a
nouveau représentant avec The Hunger. Ces cinéas- esprit 4 ce propos, si on le comprend dans son
tes ont tous plus ou moins appris a penser en termes acception premiére, qui sous-entend l’artificialité,
d’effets visuels de quelques secondes, d’illustration affectation, la complication inutile. Le montage
commerciale. En passant au long métrage, il leur juxtapose a toute allure des images par trop hétéro-
reste a envisager le contenu. Et c’est 1a leur pro- génes. Cela tourne a l’escamotage pur et simple
bléme : The Hunger est un excellent vidéo-clip, un pour la scéne lesbienne surfaite entre Deneuve et
trés bon film selon des critéres publicitaires, mais Susan Sarandon. D’autres la trouveront peut-étre
par ailleurs, concu comme un fout cinématographi- élégante...
ques, il est interminable et vide de sens. Sans doute pour environner d’un climat d’irréalité
Parlons du fond et de la forme. Le fond. Mais y en ses héros immortels, terrés dans un hétel particulier
a-t’il un ? Tout le film se trame autour d’un theme d’un autre age, en plein dans le New York actuel
inhérent a la condition humaine, le vieillissement, (Sutton Place), le réalisateur croit bon de multiplier
traité ici comme une maladie tragique, non pas des images voilées (par des voiles, rideaux, verres
comme une question philosophique. On part d’une dépolis ou des contre-jour photographiques) du
histoire de vampires, qui heureusement n’emprunte type publicité de parfum. Mais T. Scott se montre
rien au cérémonial un brin trop ressassé depuis parfois aussi trés clinique (la décrépitude galopante
Bram Stoker. Deux immortels (David Bowie et de Bowie, les études sur les singes a l’h6pital),
Catherine Deneuve) trés up-to-date survivent grace comme s’il avait a traiter d’un symptome et de sa
SUR D’AUTRES FILMS 65
thérapeutique, pour vanter un produit pharmaceu- symbole, car dans The Hunger, le sang versé n’a
tique. Toujours dans la méme optique, on attend la pas de valeur morale. I] n’est qu’une lotion de luxe
pub pour savonnette dans la scéne d’ablution puri- dans laquelle un mannequin prestigieux trempe les
ficatrice after-crime concrétisée par la douche des doigts (Deneuve a beaucoup fait pour Chanel...).
« plus qu’humains ». Scéne inutile en tant que v.O.
SUPERMAN III de Richard Lester (USA 1983) d’étre le premier épisode de gestion : comment
avec Christopher Reeve, Richard Pryor, Robert gére-t-il ? Avec des idées de variations.
Vaughn, Annette O’Toole, Pamela Stephenson. Il y en a trois, surtout. La premiére met la série au
goit du jour, c’est le choix de l’informatique en
Voila le troisiéme épisode d’une série dont la tant que toile de fond. La seconde est 4 tiroirs
vertu. majeure, comme pour aujourd’hui toute puisqu’elle attire un nouveau public, permet au
série, est de demeurer fidéle a elle-méme tout en se cinéaste de raconter une histoire paralléle a celle
renouvelant selon des critéres — c’est évident — qu’on lui a commandée et procure 4 Superman
figés. La question, c’est : qu’est-ce-qui bouge ? l’antagoniste — a box-office égal — indispensable
Dans le sens oti |’on se demande ce qui a bougé dans a donner vie au film, c’est le casting de Richard
le ciel depuis hier, et comment sera-t-il demain ? Pryor en Gus Gorman. La troisiéme, plus inatten-
Aussi, quoi de neuf ? Quels perfectionnements ? due, plus maline, a sa fagon, est le syndrome schi-
Comme on compare la Renault 5 de cette année et zophréne qui atteint l’-homme de fer confronté a
le modéle de la saison passée. Est-elle plus perfor- une kryptonite synthétique. Le récit s’attaque a
mante et si oui pourquoi ? Ce n’est pas pour rien l’intégrité méme du corps de son héros comme pour
que je vais chercher mes comparaisons chez les démontrer que non seulement ses aventures sont
chroniqueurs automobiles et les météorologistes : variables et renouvelables 4 volonté mais aussi qu’il
Superman IIT reléve a la fois de l’industrie et de est lui-méme remodelable a merci : le personnage
lair du temps. étant lui-méme germe de mutations, la série l’est
On peut résumer abruptement la situation en disant exponentiellement. Je donne l’illusion d’aller cher-
que le premier film fut celui des origines secrétes, cher ca loin mais ce n’est rien d’autre que le prin-
étape obligée de l’existence des super héros donnant cipe méme qui a assuré la persistance année aprés
généralement lieu a des fascicules qui, chez les année du personnage de bandes dessinées. La
maniaques, se négocient pour des sommes ahuris- méthode a fait ses preuves, il n’y a aucune raison
santes, et que le second fut celui de la passation des qu’elle ne s’applique pas au cinéma.
pouvoirs entre Richard Donner en amont et Seulement le cinéma ce n’est pas exactement la
Richard Lester en aval. Avec cet opus 3, les ques- bande dessinée en cela que le film, bon gré mal gré,
tions sérieuses se posent : celle de l’avenir de la est réalisé par un cinéaste. Un cinéaste méme
série, du potentiel de Superman en tant que person- lorsqu’il se fait tout petit et tout modeste c’est
nage de cinéma et, enfin, les aptitudes de chacun, encore quelqu’un qui a un ego plus fort et plus arti-
effet de découverte passé. Un et Deux ayant été culé que l’esclave taillable, corvéable et remplacable
plus ou moins tournés a la queue-leu-leu et dans la selon l’humeur, qui occupe l’emploi intérimaire et
plus grande confusion, c’est 4 Trois qu’il revient anonyme de dessinateur de Superman. En |’occu-
e5 | RES ATTENDU
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Dernier volume paru
dans la collection Cinéma/pluriel,
sous la direction de Jean-Loup Passek.
format 20 x 24 cm, 228 pages,
environ 230 illustrations noir et blanc.
159 F.
Au sommaire :
Chronologie du cinéma indien
Analyse critique de 114 films
Dictionnaire des réalisateurs
Choix bibliographique
Index des films
PSYCHOSE II (PSYCHO II) de Richard Franklin repoussoir qui nous remet a l’esprit le film de 1960
(U.S.A. 1983), avec Anthony Perkins, Vera Miles, et nous fait mesurer la distance entre celui-ci et la
Meg Tilly, Robert Loggia, Dennis Franz, Hugh Gil- vague de succédanés qu’il suscita. Le film de Frank-
lin, Claudia Bryar, Robert Alan Browne. lin a presque le tort de nous faire découvrir l’envers
du décor petit 4 petit. Nous ne vivons plus un glau-
Cette suite du célébrissime film de Alfred Hitch- que et sombre cauchemar stylisé, intensifié par le
cock est somme toute une abatardisation du maté- noir et blanc et la partition musicale pour cordes de
riau original. Dans un sens, ce film ressemble Bernard Herrmann. Ici, comme l’annonce le généri-
(comme Dressed to Kill de De Palma) a ces « varia- que, précédé de l’authentique « scéne de la dou-
tions sur un théme de... » que pratiquérent souvent che » avec Janet Leigh, tout est « dédramatisa-
les compositeurs de musique classique en hommage tion ». D’abord la couleur, puis les effets techni-
a leurs illustres prédécesseurs. C’est ce genre d’exer- ques (cf. la Louma), puis ce rappel constant au
cice que se proposait d’effectuer au départ |’ Austra- monde réel, au quotidien. Norman est aide-
lien Richard Franklin, fervent admirateur de cuisinier dans un « diner » (snack). Il héberge une
l’ceuvre du Maitre. Petit bémol a la clef : Franklin jeune serveuse délaissée dans LA maison. (Franklin
n’est pas vraiment un Beethoven de son art. en profite pour reprendre, mais sans crime, plan
Donc, on suppose que 22 ans aprés, Norman Bates par plan, en éléve appliqué, la « scéne de la dou-
(toujours incarné par Anthony Perkins), enfin che »). Maison dont rien ne nous est caché, méme
guéri, retourne sur les lieux de ses exploits. Les pas la cuisine. Puis bien sir, il y a des morts... Dés
lieux, tout est la. Franklin a su utiliser cet élément lors l’histoire se complique, Lila Loomis (Vera
primordial du film de Hitchcock, l’allégorique mai- Miles), qui veut venger sa sceur (Cf.Psycho J), har-
son « mére » (et en prime, le motel), conservée pré- céle Norman. Puis la « mére » réapparait, ou plu-
cieusement par Universal. Malheureusement, et tot « les méres ». Le scénariste Tom Holland a
Psycho IT \e démontre, ces suites (« sequels ») dont abusé : l’identité du ou des coupables n’est pas tou-
on est si friand Outre-Atlantique, s’avérent des jours trés claire et les invraisemblances ne semblent
gageures impossibles. Plus qu’un film a part destinées qu’A nous montrer Norman Bates rede-
entiére, cette deuxiéme mouture est finalement un venu fou. La boucle est bouclée. V.O.
TONNERRE DE FEU de John Badham (U.S.A., dangereux instrumenteurs, il y a ceux qui veillent au
1983) avec Roy Scheider, Warren Oates, Candy grain. Roy Scheider (trés bon) incarne avec décon-
Clark, Daniel Stern et Malcolm Mc Dowell. traction ce réle de garde-fou du libéralisme. Sur un
mode pervers. La destinée du personnage vérifie ce
La vedette de Tonnerre de feu est un hélicoptére vieil adage : la violence aide la ot la violence régne.
et le film est sa mise au ban d’essai sur le terrain C’est-a-dire que notre héros, tout démocrate qu’il
éprouvant d’une fiction. Comme si le Marcel Das- soit, devra transgresser les ordres, se mettre hors-la-
sault constructeur savait parler au Marcel Dassault loi pour arriver a des fins humanitaires. Il y a du
producteur afin qu’il échafaude une fiction digne Rambo dans l’air (Roy Scheider poursuit 4 Los
de ses Mirages. Tonnerre de Feu reléve d’une logi- Angeles sa guerre et y régle définitivement son con-
que publicitaire, celle de la commercialisation d’un tentieux) mais un Rambo dans les normes, pas
prototype qui attend le feu vert fictionnel. L’héli- perdu pour |’Amérique. Bref un héros de la bonne
coptére en question est un pur gadget dernier cri conscience vietnamienne, plut6ét «clean» (un
(propulsé par une turbine, digne du V8 de Mad saint-Michel pilote d’hélicos), terrassant le dragon
Max). Mais nous sommes en Amérique, pas en Aus- malfaisant.
tralie. Pas de héros solitaire, de traversée du désert, A un niveau plus ludique, le film se regarde comme
mais la ville, l’affrontement a deux. L’hélicoptére un jeu vidéo grandeur nature. Du Tron (tout aussi
n’est pas seulement un objet de plaisir (un jouet manichéen) en décors naturels, du Firefox bis (ver-
pour le spectateur) mais un instrument de réflexion. sion ennemi de |’intérieur) avec ce méme dressage
le scénario (signé Dan O’ Bannon, qui s’est plaint de du regard (tout un art de la cible, du dégommage a
Yorientation que John Badham lui a fait subir) vue). La photo de John Alonzo est superbe, de jour
donne a penser : l’hélicoptére, destiné a la police comme de nuit. La longue bataille finale, sur la
pour la lutte anti-terroriste, viole l’intimité de cha- terre (voitures) comme au ciel (hélicos contre avions
que citoyen. Les deux héros en présence, deux vété- porte-missiles), au registre conventionnel, est effi-
rans du Vietnam toujours en conflit, incarnent deux cacement menée. C’est techniquement bien fait (a
conceptions possibles de son utilisation : tendance l'exception des avions, aux images granuleuses) et
fasciste (Malcom Mc Dowell), celle qui consiste a plutét photogénique (la chasse en hélicos sous les
provoquer des émeutes dans les quartiers immigrés arches des ponts) au point que le spectateur finit par
afin de justifier l’usage intensif et généralisé de I’héli- se sentir pousser des ailes. Un ange passe et marque Ces notes ont été rédigées par
coptére, et tendance démocrate (Roy Scheider). des points. Le plaisir est la, bien réel, aussi fugace Olivier Assayas, Yann Daré,
Le discours du film vise 4 rassurer : face aux perfec- soit-il. Vincent Ostria, Alain Philippon
tionnements d’une technologie fascisante, face a ses (G5 0 et Charles Tesson.
SORTIE LES OCTOBRE
HELIA FILMS et SALSAUD INTERNATIONAL présentent
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LECONTE