Les Inducteurs de Problématisation
Les Inducteurs de Problématisation
Les Inducteurs de Problématisation
ABSTRACTS
FRANÇAISENGLISH
The installation of situation-problems in the primary classes raises the question teacher’s role and
the tools it has to really build the problem with his pupils. We advance here the idea of inductors of
problematization by defining them as elements of the teaching or didactic medium, partially built
by the teacher in his preparation or emerging from the interactions or the events in situation. We
will show, in this article, how these inductors mainly studied from an epistemological point of view
can be approached from a psychological and teaching point of view.
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INDEX TERMS
Mots-clés :
inducteurs de problématisation, situation-problème, processus de problématisation
Keywords:
inductor of problematization, situation-problem, process of problematization
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OUTLINE
La problématisation
Une approche épistémologique de la problématisation
Une approche psychologique de la problématisation
Articulation de ces deux approches
Les inducteurs
Le modèle des inducteurs
Des exemples d’inducteurs dans la situation problème proposée par Brousseau
L’aspect structurel de l’inducteur
L’aspect fonctionnel de l’inducteur
La mise en synergie du conceptuel et du cognitif : la notion de structurants préalables
Concevoir une situation problème qui mobilise les inducteurs
Du côté de la connaissance à construire
Du côté des inducteurs de problématisation
Tache 1 : Faire construire des objets semblables à des modèles
Tache 2 : Travailler sur les patrons
Conclusion
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1Une des difficultés inhérente à l’accompagnement du processus de problématisation est de savoir
comment aider les élèves à problématiser tout en évitant de le faire à leur place. Nous nous
intéressons ici à la notion d’« inducteurs de problématisation », c’est-à-dire des aides bien
spécifiques, susceptibles d’activer les schèmes de l’élève et ceci par rapport aux différentes
opérations du processus de problématisation et de leur contenu. Savoir les repérer, les analyser,
les concevoir, pourrait considérablement aider les enseignants dans la préparation de leur classe et
dans l’analyse de leur pratique.
2Jusqu’à présent les inducteurs ont surtout été appréhendés du point de vue de leur signification
épistémologique. Mais si l’on veut proposer aux enseignants des outils pédagogiques et didactiques
opératoires, il est également nécessaire de les envisager d’un point de vue cognitif. C’est pourquoi,
dans le prolongement de Fabre et Musquer (2009a, 2009b), nous envisagerons la double
opérationnalité des inducteurs de problématisation :
a. aider l’enseignant dans sa préparation à anticiper à la fois les processus cognitifs des élèves et les
erreurs possibles liées au contenu,
La problématisation
4La problématisation peut être abordée d’un point de vue épistémologique (qu’est-ce que
problématiser ?), mais également d’un point de vue psychologique (quels sont les processus
cognitifs mis en œuvre par l’élève ?). Dans ce premier temps nous poserons la question de
l’articulation de ces deux approches pour définir le processus de problématisation.
6Selon cette approche, problématiser, c’est donc développer un questionnement chez l’élève visant
à identifier les données et les conditions du problème et à les mettre en tension pour qu’il puisse
poser, construire et résoudre le problème. Les données sont présentes dans la situation ou peuvent
être rajoutées au fur et à mesure de l’apprentissage par les élèves ou l’enseignant. Elles ont un
statut de contraintes et s’expriment dans des propositions factuelles. Elles sont choisies en fonction
de leur pertinence et de leur adéquation aux conditions. Les conditions concernent les critères, les
principes, les concepts qui commandent le processus de problématisation. Ce sont des nécessités
dont il faut absolument tenir compte dans la construction et dans la résolution du problème. Le
processus de problématisation est un processus multidimensionnel, non linéaire, impliquant
position, construction et résolution des problèmes. Il vise une recherche de l’inconnu à partir de
points d’appui connus qui seront questionnés dans la perspective d’identifier les données et les
conditions du problème et de les mettre en tension. De cette interaction résultent des hypothèses
de solution qui seront ensuite validées ou non (Fabre et Musquer, 2008 a).
Une approche psychologique de la problématisation
7D’un point de vue psychologique, nous pouvons dire que les représentations d’un sujet (produit)
sont issues d’une interaction entre le sujet et son environnement (processus) de par les inférences
qu’il fait entre le perçu et le déjà conçu afin de modifier ce conçu préalable. Ces inférences
déterminent les appariements ou combinaisons que le sujet va effectuer avec les objets de
connaissances, qu’ils soient disponibles ou en cours d’actualisation. Ceci permettra au sujet de
décider d’une orientation cognitive dans son environnement d’apprentissage. C’est ainsi qu’un
élève qui est confronté à un problème donné construit un espace problème de recherche en
élaborant simultanément trois formes de représentation : a) une représentation imagée constituée
des informations retenues par l’élève lors de la lecture de l’énoncé complet ou non et qui lui ont
permis de lui donner du sens. Elle va assurer une fonction de conservation ; b) une représentation
conceptuelle qui va faciliter la mise en relation par l’élève de la tâche qui lui est proposée avec des
tâches antérieurement résolues (fonction de systématisation) ; c) une représentation
opérationnelle qui va décider de la mise en œuvre d’une procédure de résolution guidée par la
nature des deux premières formes de représentation élaborées antérieurement et qui va assurer
également les fonctions de préparation à l’action et de communication (Richard, 1990 ; Bracke,
1998 ; Julo 1995 ; Bastien, 1987).
8Ceci suppose de la part de l’élève la mise en œuvre de trois processus complémentaires (Julo,
1995) qui vont influencer les représentations construites. Un premier processus conduit l’élève à
sélectionner les informations en fonction de l’interprétation qu’il se fait de la tâche à exécuter. Ce
processus met en œuvre un premier principe de conservation/réduction favorisant la
transformation des informations brutes (fournies dans l’énoncé) en données que l’élève juge
pertinentes. Ce sont à la fois les connaissances antérieures qu’il possède et les indices présents
dans la situation qui vont lui permettre d’une part de discriminer les informations importantes et
pertinentes et, d’autre part, de les mettre en relation ou en cohérence. Ces indices vont guider son
interprétation et favoriser la position du problème en transformant les informations en données. Un
deuxième processus entre en jeu - de structuration - caractérisé par un second principe le
caractère directionnel. Il permet la transformation de la situation par l’élève en fonction des traces
mnésiques des expériences antérieures (des objets déjà construits) et des conditions émergentes.
D’après Julo (1995) « Une évolution de la représentation du problème, dans le cas où celle-ci est
déjà fortement structurée, ne peut résulter que d’un processus complexe impliquant à la fois une
remise en cause de la représentation construite et une restructuration de celle-ci. Dans tous les
cas, l’évolution de la représentation, sa structuration progressive ou sa restructuration, sont liées à
de très nombreux facteurs dont certains, parmi les plus importants, relèvent du processus
d’opérationnalisation... mais dont certains relèvent aussi du contenu de la représentation lui-même
et des connaissances mobilisées lors de l’interprétation du problème. » Le contexte sémantique
ainsi que le contenu de la représentation vont influencer et induire ce processus de structuration.
En effet, l’élève cherche à former un tout cohérent en utilisant à la fois les données qui lui sont
fournies, les conditions du problème qu’il doit élaborer, ainsi que les connaissances individuelles
déjà construites antérieurement. La tâche ainsi construite ou reconstruite par la recherche de
l’inconnu à partir du connu devient le nouvel objet de travail pour l’élève. Cet objet va pouvoir
évoluer tout au long de la recherche, notamment par la mise en œuvre du processus
d’opérationnalisation caractérisé par le principe de manipulation. Ce dernier principe permet à la
représentation ainsi construite de prendre une forme manipulable et exploitable et donc d’être
appréhendée par l’élève comme un objet réel qui va permettre le passage à l’action, c’est-à-dire à
la résolution du problème. Celui-ci conduira l’élève à formuler des hypothèses et à les critiquer au
regard des données et des conditions.
10Nous proposons un schéma pour, d’une part, représenter le processus de problématisation tel
que venons de le définir et, d’autre part, pour positionner la place des inducteurs qui sont
symbolisés par des flèches en pointillés que nous allons caractériser dans la deuxième partie de cet
article.
Les inducteurs
11Nous caractériserons ici les inducteurs en tenant compte de cette conception du processus de
problématisation et en mobilisant le modèle (Fabre et Musquer, 2009a) définissant les inducteurs
comme des éléments pédagogiques et didactiques anticipés par l’enseignant ou émergents de la
situation d’apprentissage.
12Aider les élèves à problématiser nécessite de la part de l’enseignant de faire un certain nombre
de choix pédagogiques et didactiques en fonction, d’une part, de l’analyse didactique repérant le
« noyau dur » de la connaissance à construire et, d’autre part, de l’identification des obstacles
épistémologique et des obstacles généraux liés à la problématisation (Astolfi, 1992 ; Astolfi et
Peterfalvi, 1993). Ces choix oscillent entre ne rien fournir aux élèves, en se contentant de poser
une question initiale, et tout leur fournir, c’est-à-dire les données et les conditions du problème.
Entre ces deux limites, les degrés d’ouverture de la situation varient selon que : a) les informations
qui constituent tous les éléments du problème sont déjà sélectionnées, de manière brute ou avec
des inductions de sélection ; b) les données1 sont déjà catégorisées, de manière brute ou avec des
inductions de catégories ; c) les conditions sont fournies, seulement suggérées ou encore induites.
L’induction se situe donc entre la simple suggestion verbale et le fait de fournir triés, catégorisés et
structurés les éléments de la problématisation. Les inducteurs de problématisation (Fabre et
Musquer, 2008a) sont donc des éléments du milieu pédagogique et/ou didactique (consignes,
interactions orales, introduction de documents, schémas, tableaux...) qui se situent à mi-chemin
entre la structure des connaissances à acquérir et celles des représentations déjà présentes chez le
sujet. Ils sont censés favoriser les opérations de problématisation, contrer les obstacles et faire
émerger une ou des conditions du problème. Ne confondons pas l’inducteur avec les processus
mentaux qu’il est censé enclencher chez les élèves : l’inducteur appartient au milieu, c’est un
élément extra-psychique. Distinguons-le également des éléments du problème (par exemple les
données, les conditions...) à l’élaboration desquels l’inducteur est censé contribuer. L’inducteur
consiste plutôt en une certaine manière de questionner, de présenter les données, d’induire les
conditions, ou encore dans le fait de suggérer ou de critiquer des hypothèses de solution.
13Les inducteurs de type a interviennent dans la position du problème. Ils visent à expliciter le
questionnement en fonction des conditions ou des règles. Les inducteurs de type b visent la
sélection et la schématisation des données. Ceux de type c visent la construction du problème,
c’est-à-dire l’articulation des données et des conditions : en partant des données vers les
conditions (forme inductive : ci) ou en partant d’une certaine formulation des conditions, vers les
données (forme déductive : cd). Enfin, la production et le contrôle des hypothèses peuvent être
assurés par des inducteurs de type d et e. Évidemment, il n’y a problématisation que si le
processus peut-être parcouru en tout sens : vers l’aval des solutions (exposant 1 : a1, b1, c1...) ou
vers l’amont de la construction ou reconstruction du problème (exposant 2 : a2, b2, c2).2
14Le support de l’inducteur peut prendre la forme d’une consigne, d’un document, d’une
observation, d’une expérience ou émerger du dispositif mis en place, des interactions... (Fabre et
Musquer 2009a). Le même support (par exemple une consigne) peut renfermer plusieurs
inducteurs et, inversement, un même inducteur peut se manifester dans plusieurs supports.
15Nous pourrions illustrer ces différents types d’inducteurs en reprenant la situation problème
connue sous le nom du « puzzle de Brousseau » (1998). Dans cette situation, les élèves de la fin
du cycle 3 vont tenter de mobiliser des schèmes additifs pour agrandir une figure polygonale tout
en conservant sa forme. Ils pensent communément que la bonne « règle » est celle qui consiste à
ajouter une grandeur constante à chaque côté de chacun des éléments (polygones) du puzzle. La
mobilisation des schèmes additifs par les élèves bloque l’acquisition d’un schème de
proportionnalité. Les élèves vont cependant constater, par une action directement évaluable sur le
milieu, que les différentes pièces ainsi agrandies ne peuvent pas s’assembler pour constituer une
forme correspondant à celle de référence. Les aides proposées par Brousseau se situent à
l’articulation du conceptuel et du cognitif et vont permettre aux élèves d’accéder aux principes de
linéarité et d’homogénéité3. Nous proposons une analyse de cette situation qui va montrer cette
double fonction des inducteurs
16Dans la première phase, celle de la position du problème, la consigne de départ, « Voici des
puzzles, vous allez en fabriquer de semblables, plus grands que le modèle... spécifie la tâche au
regard des conditions (a). La deuxième consigne : « En respectant la règle suivante : le segment
qui mesure 4 cm sur le modèle devra mesurer 7 cm », spécifie cette tâche au regard des données
à prendre en compte, ce qui constitue un début de schématisation (b). L’enseignant fournit
également le puzzle. Ces différents éléments sont pensés en fonction de l’obstacle (assimilation au
schème additif).
17Dans une deuxième phase, celle de construction du problème, l’enseignant propose aux élèves
d’écrire les dimensions des morceaux du puzzle dans un tableau. Ce premier tableau est élaboré au
regard des structurants préalables du savoir à construire (linéarité et homogénéité). L’enseignant
leur procure donc un outil (le tableau vide) pour favoriser l’analyse des données et leur
structuration en fonction des conditions (ci), les mettant ainsi sur le chemin de la comparaison des
données fournies avec celles qu’ils auront élaborées. Puis il propose une nouvelle donnée
(mesure) : « Le puzzle que vous devez construire est tel que le côté qui mesure 6 cm devra
mesurer 10,5 cm ». Celle-ci va susciter des analogies entre deux correspondances et également
inaugurer une série. En effet, ce premier exemple vrai d’un résultat à obtenir vise à faire découvrir
aux élèves une condition qui peut être, soit celle d’additivité, soit celle d’homogénéité, soit les deux
pour la construction du principe de linéarité.
18L’exemple proposé, une fois le problème construit par les élèves, vise à susciter l’émission
d’hypothèses (e1) ainsi que leur l’examen critique (e2). C’est à ce niveau que se situe le moment
de rupture dans la mesure où l’assimilation de la situation à des schèmes additifs va entraîner
l’échec. L’accommodation oblige alors la reconstruction d’un nouveau schème, un schème de
proportionnalité, puisque les modalités de résolution de la situation proposée sont différentes de
celles déjà rencontrées. Les différents types d’inducteurs proposés vont permettre l’inhibition
(Houdé,1995) du schème additif et l’activation du schème de proportionnalité, ceci en se fondant
sur les différentes composantes des schèmes (additivité et homogénéité).
19Dans une troisième phase, l’enseignant propose alors un tableau porteur des deux conditions
(additivité et homogénéité) et donc inducteur du principe de linéarité (forme déductive : cd). C’est
aussi un outil construit destiné à permettre aux élèves d’émettre des hypothèses (d1 et e1) de les
contrôler (d2 et e2). Comme le précédent tableau (ci), ce tableau a été également élaboré en
tenant compte des structurants préalables du savoir à co-construire avec la différence que les
propriétés d’additivité et d’homogénéité sont signifiées par des symboles (opérateurs).
Intégration des
données pour une
formulation des
hypothèses (e1)
Examen des
hypothèses au regard
des données (e2)
20Naturellement, ce qui compte ici pour l’apprentissage est moins le fait de trouver la bonne
solution (et réussir l’agrandissement du puzzle) que de construire la condition du problème, ici le
concept de linéarité, même si c’est en revenant sur des solutions erronées. La caractérisation des
inducteurs de problématisation, que nous proposons ici, articule bien l’aspect épistémologique et
l’aspect psychologique du processus de problématisation. Ceci nous amène à établir une typologie
des inducteurs de problématisation qui met en évidence à la fois l’aspect structurel (visant
l’appréhension par l’élève de la connaissance visée) et l’aspect fonctionnel (visant la mise en œuvre
de processus cognitif).
L’aspect structurel de l’inducteur
21Ce premier aspect va s’intéresser à la fonction conceptuelle des inducteurs de problématisation.
Les inducteurs de type a et b positionnent le problème et vont de ce fait s’appuyer sur le principe
de conservation et de réduction permettant la sélection de l’information nécessaire en données
pertinentes (inducteur b) ou en conditions émergentes (inducteur a) pour faire face à la situation
nouvelle. Le principe de conservation et de réduction caractérise les deux aspects de l’objet de la
représentation. En effet, entre un objet de connaissance et sa représentation doit s’établir une
correspondance, un degré élevé d’analogie (conservation). Cependant ce premier aspect est
aussitôt contrebalancé par le second qui est la réduction, c’est-à-dire la nécessaire schématisation
qui sous-tend la transformation de l’objet perçu en objet conçu. Ces deux types
d’inducteurs a et b vont donc guider le positionnement du problème en s’appuyant sur ce premier
principe (degré d’ouverture ou de fermeture du problème). Plus particulièrement, nous pouvons
dire que les inducteurs de type b vont contribuer à une exploration des informations par l’élève
pour une sélection de celles-ci en données alors que les inducteurs de type a vont tenter de faire
émerger une condition de possibilité de résolution du problème et vont donc constituer une aide à
l’orientation de la recherche.
22Les inducteurs de type c concernent des apports plus conséquents et plus structurés, soit
accompagnant l’énoncé du problème, soit survenant en cours de problématisation. Ils vont prendre
appui sur le principe de caractère directionnel c’est-à-dire qu’ils vont assurer la fonction de
systématisation permettant la mise en relation des données avec un système plus élaboré, plus
abstrait, tel un réseau de concepts. Les inducteurs de type c devraient donc permettre une
structuration progressive des données autour des conditions par la prise en compte des points
nodaux du savoir à construire. Ce type d’inducteur joue le plus souvent sur un changement : a) de
registre sémiotique (on utilise un schéma pour mieux comprendre un récit ou un énoncé de
problème, un tableau à double entrée pour structurer les informations d’un document) ; b) de
cadre (un tableau numérique pour résoudre des problèmes géométriques ou inversement). Une fois
le problème construit, au moins provisoirement, les inducteurs de type d ou e constituent des aides
à l’élaboration d’hypothèses de solution ou servent au contrôle des hypothèses. Ils sont
généralement introduits en cours de problématisation et s’appuient sur le principe de manipulation
dont l’idée essentielle est que toute représentation construite puisse à un moment donné prendre
forme et devenir objet de travail pour l’élève. Ce dernier principe assure deux fonctions : la
préparation à l’action et la communication qui permettront le choix éclairé d’une procédure
(émission et validation d’hypothèses). Nous retenons donc qu’un inducteur présente des
caractéristiques structurelles visant une fonction conceptuelle.
24Le raisonnement analogique peut se décrire en trois phases (Bastien, 1997 ; Bracke, 1998). La
première concerne l’évocation et l’appariement, et consisterait en une mise en correspondance au
niveau des traits de structure. Un premier appariement a lieu entre la situation proposée et
l’évoqué construit (les données) par le sujet à partir de cette situation et un second appariement
entre l’évoqué construit et une tâche antérieurement résolue qui permettrait l’émergence d’une
condition. Cette mise en correspondance s’effectuerait donc de la manière suivante ; (1) une aide à
l’évocation de la situation proposée (tâche prescrite), c’est-à-dire à la construction d’une image -
mentale du problème à partir de sa lecture (perception), (2) une aide à l’appariement entre
l’évoqué construit de la situation initiale et la situation elle-même, (3) une aide à la mise en
correspondance entre les éléments et les relations de l’évoqué construit de la situation avec les
éléments et les relations d’une situation déjà résolue (évocation d’une tâche antérieurement
résolue) qui constitue l’essence même de l’analogie. C’est le rôle des inducteurs b de guider
l’évocation de la situation proposée puis l’appariement de l’évoqué construit (données retenues par
l’élève) avec la situation initialement proposée. C’est le rôle des inducteurs a de favoriser la mise
en correspondance de l’évoqué construit avec des problèmes similaires déjà résolus par l’élève.
25La deuxième phase concerne l’évaluation (régulation) qui correspondrait à une reprise de la mise
en correspondance mais à un niveau plus élevé. Il s’agirait ici d’articuler les appariements de la
première phase avec le savoir à construire (les conditions de possibilités de résolution du
problème). Une aide à l’évaluation consisterait à viser la comparaison entre le problème construit
par le sujet, le problème posé (données) et le savoir à construire (conditions). C’est le rôle des
inducteurs c d’impulser l’articulation des données avec les conditions de possibilité de résolution du
problème.
26La troisième phase du raisonnement analogique concerne l’adaptation et viserait des corrections
et des ajustements apportés au problème construit par le sujet, déjà enrichi des comparaisons
tirées de la mise en correspondance puis réexaminé de façon critique lors de la phase d’évaluation.
Cette phase nécessitera également de la part du sujet des comparaisons avec des tâches déjà
résolues antérieurement et leur vérification. Il s’ensuivra soit une résolution du problème, soit une
reconstruction de celui-ci par une considération plus approfondie de la tâche proposée, ce qui
relancera le processus. C’est le rôle des inducteurs d et e de garantir les corrections et les
ajustements du problème construit à l’aide des données ou des conditions.
28Pour terminer, nous voudrions montrer à travers un exemple la pertinence d’une caractérisation
de l’inducteur du point de vue de l’élaboration de situations-problème par l’enseignant.
30Nous nous proposons d’illustrer le modèle des inducteurs par un exemple de conception d’une
situation d’apprentissage visant la caractérisation des polyèdres et les conditions de passage d’une
représentation 3D à une représentation plane. Cette séance est élaborée pour une classe de
CE2/CM1/CM2 et intègre des éléments de différenciation. Elle vise la construction, non pas des
conditions mathématiques (non coplanaire, connexité, non-croisement) qui se situeraient à un
niveau trop abstrait pour des élèves de cet âge, mais plutôt des nécessités ou des impossibilités
que nous pourrions formuler de la manière suivante :
Chaque polyèdre est caractérisé par le nombre de faces (polygones réguliers égaux), de sommets
(points d’intersection de plusieurs arêtes) et d’arêtes (côtés des polygones qu’ils constituent. (savoir
co-construit lors d’une séance précédente)
Les conditions de passage du solide au patron, accessibles aux élèves, sont : a) le patron a le même
nombre de faces que le solide ; b) il y a correspondance de formes entre la représentation 3D et la
représentation plane (pour le cube, ce sont les carrés).
A propos du positionnement des faces, nous pouvons repérer : a) une nécessité (si on aligne quatre
faces les deux autres faces doivent être chacune d’un côté et ne doivent pas se toucher) ; b) quatre
impossibilités (deux faces ne doivent pas se recouvrir ; si quatre carrés d’un patron forment un carré
ce n’est pas le patron d’un cube ; si l’on prévoit que trois carrés d’un patron vont avoir un côté
commun dans le pliage, ce patron n’est pas le patron d’un cube ; les faces ne peuvent pas être toutes
sur la même ligne).
31Il nous semble nécessaire en amont d’anticiper ce que les élèves peuvent dire des nécessités
et des impossibilités et de réfléchir, à ce niveau, plutôt sur les impossibilités.
33Les élèves sont mis en situation de la manière suivante : « Vous êtes des ingénieurs dans une
usine de boîtes et vous allez devoir concevoir des plans de boîtes pour les techniciens qui ont à les
construire (leur montrer comment faire les boîtes) ». Ceci constitue bien un problème pour ces
élèves car ils ne possèdent pas les savoirs nécessaires à sa résolution. Dans ce type de problème,
les conditions sont à co-construire. On attend des élèves qu’ils accèdent à un certain niveau de
formulation des conditions en prenant conscience des nécessités et surtout des impossibilités.
34Cette séance se compose de deux tâches. Chacune des tâches sera caractérisée par
l’identification et la caractérisation des inducteurs anticipés. Cette double délimitation de la séance
est nécessaire pour l’identification des inducteurs. Du point de vue du projet pédagogique, il s’agit
d’abord de faire construire des objets identiques à des modèles (première tâche), puis de travailler
sur les « patrons » de construction (deuxième tâche).
36Le deuxième support (S2) est une question posée aux élèves individuellement avant de
commencer l’activité de construction : « C’est quoi un objet semblable, identique ? ». Cette
question renforce le premier inducteur a, vu précédemment et va constituer, d’une part, un moyen
de faire émerger les représentations des élèves et, d’autre part, va viser la recherche des
conditions par une mise en correspondance des données retenues avec des problèmes déjà résolus
par l’élève et qui lui semblent similaires.
37Dans le troisième support (S3), l’enseignant écrit au tableau toutes les réponses des élèves
en les classant dans un tableau à quatre colonnes sans expliquer son mode de classement qui est
le suivant : a) ce qui est en lien avec l’idée de mesure, de longueur des côtés ou de forme (même
forme que le solide, mêmes dimensions) ; b) ce qui est en lien avec l’idée du nombre de faces ; c)
ce qui est en lien avec le positionnement des faces sur le patron ; d) les informations parasites.
Nous avons là un inducteur de type ci, élaboré au regard des structurants préalables, dans la
mesure où le classement va permettre la remontée aux conditions par un raisonnement
inductif des élèves à partir des données du problème.
38Le quatrième support (S4) est l’élimination de la 4ème colonne et la transformation des
différents éléments en vocabulaire mathématiques connu des élèves (faces, sommets, arêtes) car
travaillé dans une séance précédente. Nous avons ici des inducteurs de type b qui signalent et
nomment les singularités remarquables du problème b1 ou éliminent les informations parasites b2.
39Le support (S5) est une consigne de tâche donnée aux petits groupes de travail. C’est la même
qu’au début de la séance mais à plusieurs détails près : a) elle tient compte de ce qui vient d’être
fait et pose l’obligation aux petits groupes d’élèves d’essayer d’utiliser les indications portées au
tableau dans les trois premières colonnes ; b) elle impose aux élèves de justifier que leur
production est bien semblable au modèle ; c) elle propose la construction de nouveaux arguments
pour construire un objet identique. A ce niveau de la séance, il s’agit d’inducteurs de
type d et e dans la mesure où ils vont garantir les corrections et les ajustements nécessaires au
problème construit par les élèves et permettre ainsi le contrôle des hypothèses émises, leur
validation ou non et l’émission de nouvelles hypothèses.
40Le dernier support de cette première tâche est la mise en commun des objets construits par
les groupes et leur justification quant au caractère semblable de leur objet en comparaison du
modèle fourni. Ce support est un inducteur d qui favorise la comparaison des différentes solutions
et des conditions repérées pour un enrichissement du tableau.
41Le premier support (S1) est une consigne de tâche : « On sait reproduire des objets (les
conditions de possibilité ou impossibilité sont écrites au tableau), maintenant comment pourrait-on
faire pour expliquer aux techniciens la manière de réaliser les boîtes ? » On laisse les élèves faire
leurs propositions « Il va falloir dessiner sur une feuille (quadrillée ou non) les solides pour que les
techniciens puissent construire les boîtes. Votre patron devra être en un seul morceau (idée de
pliage), tout doit se tenir » . Nous sommes ici en présence d’un inducteur de type a1, l’expression
« tout doit se tenir 5» est une formulation de l’idée de patron, elle induit une condition du
problème et donc un critère d’évaluation de la tâche.
42Le support (S2) est un exemple de patron (pavé) qui peut être donné en même temps ou plus
tard à chaque élève (selon les besoins : idée de différenciation) avec le solide correspondant. Cet
exemple vrai est un inducteur ci qui concrétise les conditions du problème et vise à faire établir des
comparaisons entre la construction de l’élève et une idée de la construction attendue.
43Le support (S3) est une fiche guide comportant des questions ou des suggestions qui visent la
recherche des conditions (Combien ton patron a-t-il de faces ? Mesure les côtés de chaque face)
Dans une autre rubrique, on vise le positionnement des faces : comment les positionner pour
qu’elles forment un patron de cube et quels positionnements éviter ? Nous avons ici un inducteur
de type a car on induit la recherche de critères (nécessités et impossibilités).
44Le support (S4) est une consigne de tâche qui demande : 1) l’échange entre élèves des
patrons réalisés pour vérifier la construction possible d’un solide à partir du patron ; 2) l’affichage
des différents patrons réalisés (ceux qui fonctionnent, ceux qui ne fonctionnent pas (le maître
rajoute selon les besoins, de vrais ou de faux patrons) ; 3) la comparaison des deux colonnes par
rapport à la question : comment les faces doivent-elles être positionnées ou comment ne doivent-
elles pas l’être ? Ce dernier support comporte deux inducteurs de type d qui vont permettre la
validation des hypothèses émises et permettre l’élaboration d’une trace écrite : pour élaborer le
patron d’un cube, je dois, je ne dois pas...
45Cet exemple montre comment le modèle des inducteurs de problématisation, ainsi caractérisé
dans une approche à la fois épistémologique et cognitive, peut aider à l’élaboration d’une situation-
problème par l’enseignant. Il montre bien comment peut s’articuler l’aspect conceptuel et l’aspect
cognitif des inducteurs pour une meilleure gestion, dans la classe, de la transition entre la phase de
recherche et la phase d’institutionnalisation. En d’autres termes, cette caractérisation structurelle
et fonctionnelle des inducteurs vise à la fois la prise en compte des représentations des élèves et
propose la gestion de leur évolution vers le savoir à construire.
Conclusion
46La problématisation nécessite donc de la part de l’enseignant une anticipation de la relation
entre la tâche proposée et l’activité du sujet résolvant le problème. Il convient, en effet, de
distinguer la description objective de la tâche faite par l’expert de la représentation que s’en fait
l’élève (prise en compte des obstacles) qui va traiter le problème. Les inducteurs de
problématisation et plus particulièrement leur double caractérisation structurelle et fonctionnelle
vont nous permettre de prendre en compte à la fois les connaissances à construire, les obstacles
inhérents à cette connaissance et ceux inhérents au processus cognitifs mis en œuvre par l’élève.
47Ce premier travail nous a permis de montrer la pertinence du modèle du point de vue de la
préparation de l’enseignant. En effet, il constitue un cadre de questionnement sur la structure du
savoir à construire, mais également de l’anticipation de l’interaction élèves-savoir. Le déroulement
effectif des deux séances proposées dans le cadre de cet article a montré une articulation
intéressante entre la phase de recherche des élèves et la phase d’institutionnalisation réduisant
considérablement l’apport magistral de l’enseignant en fin de séance. Le savoir s’est co-construit
de manière progressive.
48Le modèle des inducteurs tel que nous venons de le définir constitue un outil qui devrait
permettre l’élaboration par les enseignants de situations problème visant la mise en œuvre du
processus de problématisation. La construction des inducteurs de problématisation par
l’enseignant, mais également leur identification en situation, va permettre à celui-ci, d’une part de
caractériser le savoir à construire et, d’autre part, d’anticiper les différentes manières dont l’élève
va entrer en interaction avec ce savoir. Il reste bien évidemment à poursuivre ce travail et viser la
seconde intention de ce modèle c’est-à-dire approcher les élèves par une analyse des processus
cognitifs mis en œuvre au cours de ce travail.
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BIBLIOGRAPHY
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NOTES
1 Les informations deviennent des données seulement si elles sont incluses dans un raisonnement visant
à établir une condition (Lhoste et Peterfalvi 2007).
5 Le mot patron peut être formulé par un élève. Sinon, l’enseignant donne l’étiquette « patron » en
expliquant aux élèves que c’est cette notion que l’on cherche à caractériser.
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LIST OF ILLUSTR