Com 282 0263
Com 282 0263
Com 282 0263
Édition électronique
URL : https://journals.openedition.org/com/12353
DOI : 10.4000/com.12353
ISSN : 1961-8603
Éditeur
Presses universitaires de Bordeaux
Édition imprimée
Date de publication : 1 juillet 2020
Pagination : 263-290
ISSN : 0373-5834
Le « système garimpeiro » et
la Guyane : l’orpaillage clandestin
contemporain en Amazonie française
François-Michel Le Tourneau1
Résumé
© Presses universitaires de Bordeaux | Téléchargé le 21/01/2024 sur www.cairn.info (IP: 80.12.253.106)
263
Les Cahiers d’Outre-Mer
2. S’agissant d’un phénomène clandestin, les évaluations sont nécessairement peu précises. Les
chiffres cités ici sont les bornes haute et basse les plus souvent citées. Voir Le Tourneau, 2020a : 104-105
pour une discussion sur ces données.
3. Ces entretiens ont été réalisés sur place de manière volontaire (très peu de refus ont été enregistrés),
en portugais et en public pour éviter de mettre en danger les informateurs (Le Tourneau, 2020a : 16), avec
prise de notes. La durée des entretiens a varié en fonction des sujets abordés en marge du questionnaire
proposé, de 15 minutes à plus d’une heure.
264
Le « système garimpeiro » et la Guyane : l’orpaillage clandestin …
l’orpaillage clandestin, des chantiers aux bases arrière, en passant par les
caractéristiques générales la population des garimpeiros. Dans une troisième
partie, nous tenterons de faire le point sur la présence spatiale de l’orpaillage et
la manière dont elle interfère avec les dispositifs de gouvernement de l’espace
mis en place par le gouvernement français.
265
Les Cahiers d’Outre-Mer
explorera avec succès la Mana puis la Tampok (1873 et 1883), Rémi et Thiéné
la Sikini et l’Alikéné ; à la fin du xixe siècle, les frères Gougis travaillent le
site de Dorlin…
Malgré ces découvertes répétées et parfois importantes (le placer Pactole,
d’Elie Vitalo, rendra 1,6 tonne d’or en quatre ans4), la Guyane n’enregistre
pas de ruée vers l’or durant les premières décennies du cycle. Située loin
des bassins de peuplement, elle est difficilement accessible et tente peu les
métropolitains. Des tentatives sont réalisées par les patrons des compagnies
minières pour importer de la main-d’œuvre, mais les résultats catastrophiques
sur le plan humain (qui rappellent d’autres échecs dans le peuplement de la
Guyane comme l’expédition de Kourou au xviiie siècle) font que la pratique
est interdite en 1865 pour les travailleurs venant d’Afrique et en 1878 pour
ceux venant d’Inde (à la demande du consul d’Angleterre pour ces derniers,
du fait des conditions inhumaines dans lesquelles ils se trouvaient, voir Mam
Lam Fouck, 1999 : 252).
Pour compenser le manque de bras, certains misent sur des techniques
industrielles comme des machines à vapeur pour le broyage, des jets à pression5,
des lignes de chemin de fer avec traction manuelle ou animale, ou encore des
© Presses universitaires de Bordeaux | Téléchargé le 21/01/2024 sur www.cairn.info (IP: 80.12.253.106)
266
Le « système garimpeiro » et la Guyane : l’orpaillage clandestin …
Durant la dernière décennie du xixe siècle, la fin des ruées vers le Calçoene
ou le Tapanahony entraîne une redistribution des orpailleurs spontanés qui y
étaient apparus, dont beaucoup provenaient des Caraïbes, en particulier de
l’île de Saint Lucie (Strobel, 2019). Ils commencent alors à s’installer et à
travailler dans l’intérieur de la Guyane, comme le montre la découverte du
gisement de Bœuf-mort par un orpailleur dénommé Saul vers 1898.
Les orpailleurs informels auraient été entre 5 000 et 6 000 vers 1900 (Strobel,
2019) et jusqu’à 12 000 juste avant la Première Guerre mondiale (Mam Lam
Fouck, 1999). Ils se heurtent au système formel des concessions et ouvrent
l’époque du « maraudage » en envahissant les territoires des sociétés, pillant
parfois leurs sluices et faisant peser une menace sur les opérations légales par
267
Les Cahiers d’Outre-Mer
7. Tous les trois découverts au xixe siècle mais étendus et retravaillés dans les années 1950.
8. L’exploitation minière informelle – parfois illégale et clandestine – a une longue tradition au
Brésil, voir Le Tourneau (2020), Salomão (1984) ou Cleary (1990).
268
Le « système garimpeiro » et la Guyane : l’orpaillage clandestin …
région du Tapajos au milieu des années 1970, et s’est diffusé en s’appuyant sur
un certain nombre d’innovations techniques inventées sur place pour rendre
plus agiles les systèmes de barges ou le principe du monitoring. De simples
motopompes d’irrigation montés sur des fûts d’essence vidés et soudés leur
permettent d’atteindre les dépôts aurifères dans le fond des grands fleuves, et
la productivité des chantiers alluviaux utilisant leur système à deux moteurs
(dit Kwata ou par de máquinas) bondit (Albuquerque Rocha, 1984 ; Mathis
et al., 1997). Dans une frénésie d’exploration, les garimpeiros découvrent
de nombreuses zones extrêmement riches aux quatre coins de l’Amazonie
brésilienne, chacune étant le témoin d’une ruée vers l’or impliquant plusieurs
dizaines de milliers d’individus (voir Cleary, 1990 ou McMillan, 1995) – la
fameuse Serra Pelada n’en est que l’exemple le plus connu.
Au début des années 1990, le contexte change au Brésil. Les garimpeiros
sont de plus en plus en butte à la répression des autorités qui souhaitent
favoriser des exploitations industrielles plus que l’informalité confinant à
la clandestinité et/ou à l’illégalité typique du garimpo (Wanderley, 2015 ;
Tedesco, 2015). Le cours de l’or baisse par ailleurs sensiblement, rendant
l’activité moins attractive. Si une partie des orpailleurs se maintient néanmoins
© Presses universitaires de Bordeaux | Téléchargé le 21/01/2024 sur www.cairn.info (IP: 80.12.253.106)
9. Voir Farruggia (2019) sur la question de la régulation des activités minières en Guyane.
269
Les Cahiers d’Outre-Mer
une série d’opérations qui délogent la plupart des barges et s’attaquent aux
commanditaires français des chantiers clandestins, notamment dans la région
de Maripasoula (Jacob, 2018). Les garimpeiros brésiliens, pour autant, ne
s’avouent pas vaincus. Ils se maintiennent et se réorganisent en utilisant des
formes plus souples d’exploitation et en se concentrant dans des régions plus
éloignées dans une ambiance de Far-West que décrivent les témoins de cette
époque que j’ai pu interroger.
Pour les contrer, la gendarmerie a lancé les opérations « Anaconda »
à partir de 2002, s’appuyant sur une modification du code minier adoptée
la même année et permettant la destruction immédiate des matériels saisis
(May, 2007). Si elles se multiplièrent (112 opérations en 2006) et eurent un
effet, elles ne permirent pas de déloger les orpailleurs à cause de la limitation
des effectifs de gendarmerie. Pour cela, les forces armées de Guyane (FAG)
leur sont associées à partir de 2008 dans le cadre de l’opération Harpie, qui
permet aux militaires du 3e Régiment étranger d’infanterie, basé à Kourou, et
du 9e Régiment d’infanterie de marine, basé à Cayenne, et aux aéronefs de la
base aérienne de Cayenne, d’engager leurs moyens en soutien de l’autorité
judiciaire10. Cette coopération a permis un saut dans le nombre d’opérations
© Presses universitaires de Bordeaux | Téléchargé le 21/01/2024 sur www.cairn.info (IP: 80.12.253.106)
10. L’opération Harpie a d’abord été proposée sur une base temporaire début 2008, puis rendue
permanente à la fin de cette année.
270
Le « système garimpeiro » et la Guyane : l’orpaillage clandestin …
1 - Les chantiers
Les chantiers clandestins présents en Guyane française utilisent trois
techniques principales pour l’extraction de l’or (Le Tourneau, 2020a). La
première est celle des barges, qui utilisent un moteur installé sur des flotteurs
pour pomper les sédiments du fond des fleuves. Les barges sont en général
maniées par de petites équipes de 4 personnes comprenant des plongeurs qui
passent des heures sous l’eau pour guider la tête d’aspiration. Dans la mesure
où elles sont difficiles à déplacer, les barges sont vulnérables aux opérations
de répression et elles sont bien moins nombreuses aujourd’hui que dans les
années 1990.
Le système dominant est celui du jet à pression. Il utilise deux moteurs,
un pour le jet qui liquéfie les sédiments et un pour la pompe (maraca) qui
précipite la boue dans la table de levée. Ce système est utilisé sur les berges
des criques mais il n’est pas adapté aux cours d’eau plus importants. Il est
© Presses universitaires de Bordeaux | Téléchargé le 21/01/2024 sur www.cairn.info (IP: 80.12.253.106)
271
Les Cahiers d’Outre-Mer
272
Le « système garimpeiro » et la Guyane : l’orpaillage clandestin …
par des commerçants chinois. Il existe aussi une liaison maritime informelle
entre Oiapoque et Albina qui permet aux orpailleurs de voyager du Brésil au
Suriname, et vice-versa, sans contrôle des autorités. Plus haut sur les deux
fleuves frontière, se trouvent des bases avancées. Les deux sont des doublons
comprenant une partie reconnue par les autorités (Vila Brasil sur l’Oyapock,
Antônio do Brinco ou Petit Albina sur le Maroni), et une partie clandestine
(Vila Brasil d’un côté, Ronaldo de l’autre). Ces bases permettent de stocker
des marchandises en attendant le bon moment pour les faire entrer en Guyane
en contrebande. Elles sont aussi les endroits dans lesquels les garimpeiros
attendent pour rejoindre les zones de chantier, ou celles où ils viennent faire
une pause après plusieurs mois en forêt. Plusieurs villages ou entrepôts plus
petits jouent le même rôle le long du Maroni.
Les deux façades fluviales de la Guyane sont donc utilisées pour
s’introduire dans le département français. La façade Maroni tend cependant
à être plus active car le réseau des affluents de ce fleuve irrigue des zones
majeures pour l’orpaillage, alors que la façade Oyapock voit son activité
plus réduite, principalement centrée sur la rivière Sikini qui en est la voie
de pénétration principale. L’importance plus grande du Maroni s’explique
© Presses universitaires de Bordeaux | Téléchargé le 21/01/2024 sur www.cairn.info (IP: 80.12.253.106)
273
Les Cahiers d’Outre-Mer
© Presses universitaires de Bordeaux | Téléchargé le 21/01/2024 sur www.cairn.info (IP: 80.12.253.106)
274
Le « système garimpeiro » et la Guyane : l’orpaillage clandestin …
275
Les Cahiers d’Outre-Mer
12. Il est possible aussi que l’émergence de nouveau rushs au Brésil, en particulier au Roraima, ait
attiré les orpailleurs les plus mobiles, minorant donc leur présence en Guyane française au moment de
l’étude.
13. Le mot fofoca, qui signifie rumeur ou cancan en portugais, est utilisé par les garimpeiros pour
désigner un rush vers une zone nouvellement découverte car c’est la rumeur de la découverte qui entraîne
une migration massive.
276
Le « système garimpeiro » et la Guyane : l’orpaillage clandestin …
277
Les Cahiers d’Outre-Mer
de tenter d’y voir plus clair, deux analyses complémentaires sont présentées
ici. La première s’attache à la déforestation, la seconde à identifier les régions
affectées et à quantifier les espaces de Guyane à portée des orpailleurs.
278
Le « système garimpeiro » et la Guyane : l’orpaillage clandestin …
279
Les Cahiers d’Outre-Mer
14. Notamment par rapport aux surfaces affectées au Suriname et au Guyana (Rahm et al., 2017).
15. Les données présentées ici reprennent celles publiées dans l’Atlas critique de la Guyane (Noucher
et Polidori, 2020), mais retravaillées pour cet article. L’intensité des couleurs représente la densité des
chantiers clandestins dans chaque cellule de 5x5 km.
16. Cette formation géologique est particulièrement favorable à la présence de gisements d’or et se
retrouve, pas par coïncidence, sur la fameuse côte d’or en Afrique, voir BRGM (1995) ; Hammond et al.,
2007 ; Mc Reath et Faraco (2006) ; Thomassin et al. (2017).
280
Le « système garimpeiro » et la Guyane : l’orpaillage clandestin …
17. Les garimpeiros disent ainsi que la plupart de leurs placers sont des « repassages » sur des sites
exploités préalablement. Leurs méthodes plus mécanisées leur permettent non seulement de prendre l’or
qui n’a pas été capté par les techniques manuelles mais aussi d’aller plus profond et de traiter des quantités
bien plus importantes de matériel.
281
Les Cahiers d’Outre-Mer
18. Ce chiffre a été obtenu en additionnant les surfaces des cellules de 5x5 km contenant des chantiers
d’orpaillage illégal. Il s’agit bien évidemment d’une estimation, la surface réelle étant particulièrement
difficile à établir puisque la localisation de tous les chantiers n’est pas connue.
282
Le « système garimpeiro » et la Guyane : l’orpaillage clandestin …
283
Les Cahiers d’Outre-Mer
19. On notera que cette carte minimise légèrement la complexité de la situation car certaines
superpositions de vocation ou de compétence n’y apparaissent pas pour des raisons de clarté.
284
Le « système garimpeiro » et la Guyane : l’orpaillage clandestin …
de Guyane mais aussi réserve des Nouragues, Parc Naturel Régional, Massifs
Dekou et Lucifer, etc.). Il affecte les ressources alimentaires des communautés
amérindiennes et bushinenguées de l’Oyapock et du Maroni par la pollution au
mercure ou par la concurrence sur les ressources cynégétique, y compris dans
les zones où celles-ci disposent de droits d’usage collectifs exclusifs. Il crée
de l’insécurité autour des activités minières ou forestières là où celles-ci sont
autorisées, etc. Il affecte également profondément des zones sans vocation
définie, comme le complexe Sophie/Dorlin/Eau Claire ou l’ouest, autour de
l’Abounami.
Ainsi donc, l’ensemble du schéma de gouvernement du territoire mis
en place par les autorités françaises se trouve contesté par l’acteur externe
que représentent les garimpeiros qui pratiquent non seulement une activité
prohibée, mais sont de plus en situation irrégulière sur le territoire français.
S’il n’est pas toujours le gestionnaire immédiat, l’État est le propriétaire
de la quasi-totalité des surfaces affectées20. C’est donc vers lui que se tournent
les autres acteurs légaux de Guyane pour rétablir l’ordre, ce qui est réalisé par
l’intermédiaire du dispositif Harpie, mis en place en 2008 pour donner plus
d’ampleur aux opérations Anaconda que menait la gendarmerie depuis 2002.
© Presses universitaires de Bordeaux | Téléchargé le 21/01/2024 sur www.cairn.info (IP: 80.12.253.106)
285
Les Cahiers d’Outre-Mer
leur présence est une des explications du fait qu’ils ont été assez facilement
acceptés au Suriname par les communautés du Maroni, en échange du
paiement d’une partie de l’or extrait (10 % en général).
Conclusion
286
Le « système garimpeiro » et la Guyane : l’orpaillage clandestin …
Bibliographie
Agence régionale de Santé de la Guyane (ARS-Guyane), 2010 - Plan
régional santé-environnement, 2009-2013, Cayenne : ARS-Guyane.
Agence Régionale de Santé de la Guyane (ARS-Guyane), 2017 -
Exposition au mercure organique et grossesse : prise en charge de la femme
enceinte et de l’enfant à naître. Méthode Recommandations pour la pratique
© Presses universitaires de Bordeaux | Téléchargé le 21/01/2024 sur www.cairn.info (IP: 80.12.253.106)
287
Les Cahiers d’Outre-Mer
288
Le « système garimpeiro » et la Guyane : l’orpaillage clandestin …
289
Les Cahiers d’Outre-Mer
Thomassin J.-F., Urien P., Verneyre L., Charles N., Guillon D. et al.,
2017 - Exploration et exploitation minière en Guyane, coll. « La mine en
France », tome 8, Paris : BRGM.
Veiga M., 1997 - Artisanal Gold Mining Activities in Suriname, New York :
United Nations Industrial Development Organization.
Wanderley L., 2015 - Geografia do ouro na Amazônia brasileira : Uma
análise a partir da porção meridional. Thèse de doctorat. Université fédérale de
Rio de Janeiro.
© Presses universitaires de Bordeaux | Téléchargé le 21/01/2024 sur www.cairn.info (IP: 80.12.253.106)
290