LS 134 0130

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Benoît VIROLE Surdité et Sciences Humaines Questions

contemporaines, L’Harmattan, Paris, 2009, 169 p.


Dans Langage et société 2010/4 (n° 134), pages 139a à 132
Éditions Éditions de la Maison des sciences de l'homme
ISSN 0181-4095
ISBN 9782735113194
DOI 10.3917/ls.134.0130
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Nikolas Coupland
Style. Language variation and identity
2007, Cambridge, Cambridge University Press
Compte rendu de Laurence Buson (LIDILEM, Grenoble)

Cet ouvrage de Coupland est entièrement consacré à la notion de style,


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comprise comme l’ensemble des ressources langagières utilisées par les
locuteurs pour produire du sens social dans l’interaction. Les probléma-
tiques de la variation et de l’identité sont abordées au fil des chapitres qui
proposent un tour d’horizon à la fois théorique et empirique des diffé-
rentes perspectives de recherche dans ce champ de variation jusqu’alors
rarement envisagé comme premier et essentiel dans les ouvrages de socio-
linguistique (voir aussi Eckert & Rickford, 2001 ; Schilling-Estes, 2002 ;
Gadet, 2005, 2007).
Coupland, à partir d’une revue de travaux récents et des siens propres,
développe une conception cohérente et étayée du style comme stratégie
communicative de présentation de soi, en interrelation avec l’autre, dans
une dynamique de co-construction du sens dans l’échange.
Son parti pris du « tout stratégique » tendant à postuler que le locu-
teur est libre de ses choix stylistiques est discutable par certains aspects,
pourtant, Coupland ne néglige pas les travaux variationnistes pionniers
ayant considéré le style avant tout comme un facteur externe de varia-
tion. Le travail de Labov est présenté comme précurseur dans l’étude
de la variation stylistique, celle-ci ayant été mise en exergue en tant que
variation intra-individuelle prédictible en fonction de variables sociales
et situationnelles liées à la formalité de la situation.
Néanmoins, Coupland se positionne résolument dans une perspective
plus large et intégrative en affirmant la nécessité de dépasser cette prise
en compte marginale du style trop ancrée selon lui dans une conception
figée des catégories sociales et tenant peu compte de la complexité des
contextes. Selon lui, le style entretient une relation dialogique avec le
contexte qui, loin d’être uniquement un donné prédéterminé, est aussi et
surtout un construit des opérations discursives dans l’interaction. L’auteur

© Langage et société n° 134 – décembre 2010


118 comptes rendus

cherche à appréhender le style en tant qu’objet de recherche central


et à part entière en sociolinguistique et prône pour cela la réunion de
différentes sensibilités scientifiques allant de la sociolinguistique interac-
tionniste, au variationnisme, en passant par la pragmatique, l’analyse du
discours et l’anthropologie linguistique.
Cette posture interdisciplinaire s’accompagne de questionnements
méthodologiques cruciaux posés dès l’introduction, concernant les
tensions entre données sollicitées en entretien et données « naturelles »
recueillies en contexte écologique, entre objectivité et subjectivité, entre
représentativité et spécificité. La question de l’authenticité des discours
est-elle d’ailleurs pertinente : qu’est-ce qu’une parole authentique et
peut-on raisonnablement prétendre l’observer ? Coupland préfère se
positionner à la marge de ce débat, en cherchant plutôt à exploiter tant
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l’authentique que l’« inauthentique », la stylisation (styling) permettant
par exemple de créer du sens social à travers la diversité des présentations
de soi, mais aussi par la présentation parodique de soi-même et des autres,
dans la logique de la théâtralité de Goffman.
La structure de l’ouvrage de Coupland propose une articulation très
pédagogique, propice pour s’initier à la problématique du style autant
que pour entrer plus avant dans la complexité de la notion. Surtout, et
comme le revendique l’auteur, cette progression du général au particulier
et du global au local mime l’affinement du grain d’analyse nécessaire à
toute entreprise de compréhension de ces enjeux épistémologiques.
Le chapitre 2 (qui suit l’introduction) synthétise et questionne les
premières enquêtes ayant abordé le style dans le paradigme variation-
niste, en particulier celles de Labov (1966, 1972a, 1972b) qui traitent la
variation stylistique comme le reflet de l’attention que porte le locuteur
au discours, en fonction du degré de formalité de la situation. Si cette
notion a beaucoup été critiquée depuis, l’idée d’une variation fortement
structurée demeure, et a été confortée à plusieurs reprises dans diverses
études (Trudgill, 1974 ; Reid, 1978 ; ou encore Romaine, 1984). Les
travaux de Eckert (2000) sont également discutés, dans la mesure où ils
permettent de conserver l’idée de structure tout en dépassant les clivages
macro-catégoriels classiques, et en insistant sur la notion cruciale du sens
social qui s’élabore au fil des interactions.
Le chapitre 3 replace alors l’étude du style dans la perspective croisée
de la sociolinguistique et de la psychologie sociale avec un retour sur la
théorie de l’accommodation de Giles & Powesland (1975, 1997), et
élargit la réflexion vers une prise en compte plus prégnante des relations
sociales. Ainsi, Coupland reprend la théorie de l’audience design ainsi que
comptes rendus 119

les dix principes énumérés par Bell (1984, 2001) pour l’analyse du style.
Les limites de son modèle sont néanmoins aussi explicitées, au même titre
que celles relatives au speaker design de Schilling-Estes, en cela qu’ils font
trop peu de place au concept d’identité et de relational self déjà défendu
par Coupland dans une publication antérieure (2001).
Le chapitre 4 approfondit la réflexion sur le processus de stylisation,
revient sur le rôle de la conscience métastylistique dans ce processus et
pose la question de la pertinence de la notion de répertoire stylistique
comme ensemble de ressources disponibles pour créer du sens social
dans l’interaction. La part de liberté de choix du locuteur est discutée,
ainsi que la notion de répertoire virtuel (virtual repertoires) qui prend en
compte les créations stylistiques originales du locuteur, ce qui permet
selon Coupland d’aller plus loin que le répertoire langagier classique-
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ment invoqué, jugé trop statique, car trop centré sur le recyclage de sens
symboliques préexistants.
Dans les chapitres 5 et 6, l’auteur ancre sa réflexion portant sur le
phénomène de stylisation des identités sociales dans une perspective qua-
litative et interactionniste, en examinant comment le locuteur accomplit
des actes d’identité (Le Page et Tabouret-Keller, 1985), en renforçant ou
en s’éloignant des normes sociales. Coupland ré-explore ainsi certaines
de ses recherches, comme celle de l’agence de voyage de Cardiff, en les
analysant avec un regard nouveau. La stylisation est alors définie comme
une modalité métacommunicative fondamentalement métaphorique,
au-delà de l’assujettissement à la situation et au contexte.

Références bibliographiques :
Eckert, P. & Rickford, J. R. (2001). Style and sociolinguistic variation.
Cambridge University Press.
Schilling-estes, N. (2002). Investigating stylistic variation. In
Chambers, J. K., Trudgill, P. & Schilling-Estes, N. (eds), The hand-
book of language variation and change (pp. 375-401). Blackwell.
Gadet, F. (2005). Research on sociolinguistic style. In Ammon,
U., Dittmar, N., Mattheier, K. & Trudgill, P. (eds), Sociolinguistics.
An international handbook of the science of language and society
(pp. 1353-1361). Walter de Gruyter.
Gadet, F. (2007). La variation sociale en français. Ophrys.
Labov, W. (1966). The social stratification of English in New York City.
Center for Applied Linguistics.
Labov, W. (1972a). Language in the inner city : studies in the Black English
Vernacular. Basil Blackwell.
120 comptes rendus

Labov, W. (1972b). Sociolinguistic patterns. University of Pennsylvania


Press.
Trudgill, P. (1974). The social differentiation of English in Norwich.
Cambridge University Press.
Reid, E. (1978). Social and stylistic variation in the speech of children :
some evidence from Edinburgh. In Trudgill, P. (ed.), Sociolinguistic
patterns in British English (pp. 158-171). Edward Arnold.
Romaine, S. (1984). The language of children and adolescents : the acquisi-
tion of communicative competence. Blackwell.
Eckert, P. (2000). Linguistic variation as social practice. Blackwell.
Giles, H. & powesland, P. (1975). Speech style and social evaluation.
Academic Press.
Giles, H. & powesland, P. (1997). Accomodation theory. In Coupland,
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N. & Jaworski, A. (eds), Sociolinguistics : a reader and coursebook
(pp. 232-239). Macmillan Press.
Bell, A. (1984). Language style as audience design. Language in Society,
13, (2), 145-204.
Bell, A. (2001). Back in style : reworking audience design. In Eckert, P. &
Rickford, J. R. (eds), Style and sociolinguistic variation (pp. 139-169).
Cambridge University Press.
Coupland, N. (2001). Language, situation, and the relational self : theo-
rizing dialect-style in sociolinguistics. In Eckert, P. & Rickford, J. R.
(eds), Style and sociolinguistic variation (pp. 185-210). Cambridge
University Press.
Le page, R. B. & tabouret-keller, A. (1985). Acts of Identity : creole-
based approaches to language and ethnicity. Cambridge University Press.

Jürgen Erfurt & Gabriele Budach (eds)


Standardisation et déstandardisation
Estandarizacion y desestandarisacion
Peter Lang, 2008, ISBN 978-3-631-56596-4
Compte rendu de Françoise Gadet (Université de Paris Ouest Nanterre
la Défense)

Le thème de la standardisation (ici couplé dès le titre à la possibilité de


déstandardisation) n’est pas des plus fréquemment travaillés de nos jours
par les (socio)linguistes, sauf en tant que processus historique : il est
d’autant plus intéressant que ce soit des romanistes allemands, aussi bien
pour la direction que pour la grande majorité des articles, qui s’y soient
comptes rendus 121

confrontés, dans un ouvrage dont les 10 articles concernent la variation


et le changement du français (7 articles en français), et de l’espagnol (3
articles en espagnol).
L’introduction s’ouvre en français et s’achève en espagnol, sans qu’il
s’agisse de traduction ; elle ancre clairement le thème dans la période
contemporaine. Sans détailler tous les articles, je me contente ici d’évo-
quer les aspects marquants de l’ouvrage, dont le principal est certainement
de ne pas se centrer sur les variétés européennes sources (l’hexagone et la
péninsule ibérique), mais sur ce qu’il est convenu d’appeler la « périphé-
rie » : pour le français, une large part est accordée au français du Québec
(de fait, 5 des articles sur le français y sont totalement, majoritairement ou
en partie consacrés ; un concerne la Belgique, et un concerne des pratiques
émergentes dans les « chats », sans localisation particulière). Et il n’en va
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pas différemment pour l’espagnol. C’est assez dire que l’intérêt central de
l’ouvrage est concerné par le possible caractère pluricentrique des normes
(reprenant l’expression de Clyne, à partir de son ouvrage de 1992), en
même temps que par le mouvement complémentaire d’évolution vers
une homogénéisation des parlers (nivellement, ou bien koïnéisation), et
de diversification dans l’émergence de normes concurrentielles de valeur
identitaire. Les évolutions linguistiques s’inscrivent dans les mutations
sociales intervenues (urbanisation, colonialisme, migrations récentes…),
et plus spécifiquement en fonction des effets pour partie contradictoires
de l’école (quelle langue enseigner ? à partir de quelles pratiques ?) et des
médias traditionnels ou plus nouveaux (les « machines parlantes », autant
que les mutations technologiques plus récentes de l’écrit). L’ouvrage
croise ces processus sociaux à incidences linguistiques avec l’impact des
idéologies linguistiques et des politiques linguistiques, ainsi qu’avec le
rôle de la réflexion métalinguistique (codification, discours sur la norme).
L’article liminaire de Jürgen Erfurt prend pour point de départ les
deux derniers tomes de l’Histoire de la langue française initiée par Brunot
(soit de 1914 à 2000), pour dégager les thèmes centraux dans les chan-
gements historiquement les plus significatifs pour la langue (marginali-
sation des langues régionales et francisation, redéfinition progressive des
rapports entre écrit et oral, intrication du local et du global…). Philippe
Hambye, lui-même Belge, revient sur la façon dont les Belges gèrent
leurs rapports de norme et d’usage avec leurs envahissants voisins : quelle
langue légitime en Belgique francophone, entre soumission à l’hégémonie
linguistique et autonomisation, à travers le rôle des différentes instances
de légitimisation dans la standardisation. L’article de Barbara Franck Job
présente un parallèle entre le passage à l’écrit de vernaculaires oraux au
122 comptes rendus

Moyen-Âge et le nouveau changement linguistique qu’est la déstandar-


disation (ou « infraction consciente de la norme prescriptive »), à travers
ce que manifestent les pratiques innovatrices d’écriture liées à l’immédiat
communicatif graphique permis par les nouvelles technologies. L’auteur
recherche aussi ce que ces pratiques produisent de réflexion métalinguis-
tique, par le fait de commencer à élaborer un modèle d’écrit immédiat,
non encore stabilisé : « putain, vive les fautes », écrit un chatteur. Dans
les deux cas, il s’agit d’explorer les effets de l’accès à un nouveau medium.
L’article de Gabriele Budach est lui aussi concerné par l’écriture ordinaire
et ses possibles conséquences de déstandardisation et de constitution
d’une norme alternative, avec les pratiques de groupes de rap montréa-
lais, produisant un type d’écriture « non hégémonique, mais toutefois
constructrices d’une norme linguistique et sociale ». L’article de Gerda
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Hassler se penche sur la réflexion lexicographique dans le Trésor des voca-
bulaires francophones : ce projet de base de données panfrancophone, qui
repose sur une collaboration entre le nord et le sud (Afrique noire, Océan
Indien, Maghreb et Caraïbes), a-t-il su se tenir totalement à distance de
toute entreprise normative ? Un article de l’Autrichien Bernhard Pöll
concerne la querelle autour de la norme du français québécois, d’emblée
caractérisée comme un « dialogue de sourds » entre deux camps que tout
oppose, les « aménagistes » et les tenants du « français international » ;
conflit qui a atteint son apogée avec la querelle du joual des années 70.
Enfin, pour fermer l’ensemble sur le français, un second article de Erfurt
concerne l’historique de la constitution du français standard d’ici québé-
cois, à travers l’étude des facteurs qui influencent son émergence depuis
les années 50, en particulier quant à la discussion autour de la qualité
de la langue, dans l’enseignement et dans les médias parlés, sur fond de
plurilinguisme très présent et de statut de langue minoritaire au Canada ;
le tout en liaison avec la lente évolution de la société québécoise, passée
progressivement à une prise en main de son destin.
Quant aux trois articles sur l’espagnol, dont je ne parlerai pas davan-
tage faute de compétences, ils concernent le pluricentrisme dans le monde
hispanique en général (Klaus Zimmermann), le rôle de la langue dans
la constitution de la nation argentine à la suite de l’immigration massive
(Eva Gugenberger), et le rôle pour la standardisation des médias audio-
visuels en Amérique latine (Sabine Hofmann).
Il y a là un ensemble vraiment intéressant, qui me laisse toutefois
une question : si l’Amérique latine couvre bien la plus grande part de
l’hispanophonie, je m’interroge sur la quasi-absence de l’Afrique « fran-
cophone », d’autant plus intrigante qu’un thème central sur l’espagnol
comptes rendus 123

concerne les sociétés post-coloniales. Est-ce parce qu’il n’y a pas encore
de norme du français africain ? Cette question n’est effleurée ni dans
l’introduction, ni dans le premier article de Erfurt, pourtant assez général.
Cet ouvrage, pour partie le produit d’un colloque tenu à Halle en
2006, est ainsi largement sociolinguistique, mais avec un impact lin-
guistique sur des options théoriques fondamentales, comme la réflexion
sur l’immédiat et la distance communicatifs (prolongeant les concepts
de Koch & Œsterreicher - entre autres 2001) ; il s’interroge ainsi sur le
point auquel la notion de standard peut tolérer qu’il y ait de la variation
dans les langues.

Références bibliographiques :
Clyne Michael (ed.), 1992, Pluricentric languages : differing norms in
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different nations, Berlin/New York, W. de Gruyter.
Koch Peter & œsterreicher Wulf, 2001, « Langage parlé et langage
écrit », Lexikon der romanistischen Linguistik, tome 1, 584-627,
Tübingen, Max Niemeyer Verlag.

Carmen Alén Garabato, Teddy Arnavielle, Christian Camps


(dirs)
La Romanistique dans tous ses états
Paris, L’Harmattan, coll. « Langue & Parole », 316 p., 2009
Compte rendu de Thomas Verjans (Université Paris-Sorbonne)

Cet ouvrage est le résultat d’une rencontre visant à interroger l’état de


la Romanistique, aussi bien d’un point de vue interne (théorisation,
représentation de la discipline, historiographie…) que d’un point de vue
externe (rapport à la typologie, à la grammaticalisation, aux politiques
linguistique…) Ces deux axes fédèrent l’ensemble des contributions réu-
nies dans ce volume, ouvert par une brève introduction qui en rappelle
les enjeux. Bien que les communications soient présentées par ordre
alphabétique, plusieurs lignes de force transparaissent.
Plusieurs articles contribuent d’abord à l’historiographie de la dis-
cipline. K. Klingebiel rappelle ainsi l’influence exercée à Berkeley par
Y. Malkiel, fondateur d’un programme de philologie romane et de la
revue Romance Philology. J. Thomas s’intéresse aux apports du roma-
niste J. Ronjat, auteur d’une Grammaire istorique des parlers provençaux
modernes, dans le but de réhabiliter « une figure incontournable de la
romanistique » et de la linguistique occitane en particulier. Cl. Balaguer
124 comptes rendus

dresse un panorama des études romanes en pays catalan et de ses rivalités


avec la romanistique parisienne, alors placée sous l’égide de G. Paris et
de P. Meyer, pour dégager la singularité des études catalanes. Ph. Martel
examine, à partir d’un discours de G. Paris réinvesti, quelques années plus
tard, par E. G. Parodi, les motivations politico-nationalistes liées au statut
de certaines variétés romanes, ici le ladin dolomitique. Ce faisant, ce sont
les principes de classification des langues et des dialectes eux-mêmes qui
se trouvent interrogés.
Quelques-unes des contributions interrogent la romanistique en
s’attachant directement à ses objets et à sa méthodologie. E. Bucchi et W.
Schweickard présentent un programme de réalisation d’un Dictionnaire
Etymologique Roman, inscrit dans la lignée du Romanisches Etymologisches
Wörterbuch dû à W. Meyer-Lübke. Si l’enjeu premier est de prolonger
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le travail en matière d’étymologie panromane, ce programme contribue
également à renforcer les fondements de la recherche diachronique menée
en romanistique. M. Lupetti s’attache à la sociolinguistique romane, en
étudiant les stratégies rhétoriques mises en œuvre par certains auteurs
pour donner sa dignité à la langue portugaise entre les 16e et 17e siècles.
B. Tabuce, à partir d’un corpus tiré de bandes dessinées et de traductions,
défend l’idée qu’il s’agit là de lieux particulièrement intéressants pour
mener une recherche en contexte diglossique. Dr. Varga examine le cas
des relatives pour montrer l’intérêt et les enjeux d’une application plus
stricte de la méthode comparatiste dans le cadre d’une méthodologie
générale conciliant perspective globale et étude de détail.
Ouvrant la romanistique aux autres disciplines, A.-M. Chabrolle-
Cerretini voit dans la linguistique romane « un champ épistémologique
pour penser la diversité linguistique ». Elle s’attache aux manières de
rendre compte de la dynamique historique de cette diversification et du
rôle qu’y tiennent les locuteurs. S’inscrivant dans une approche dialecto-
logique du contact entre langues, mise en rapport avec un point de vue
sociolinguistique touchant aux convergences entre les variétés locales et
la langue de prestige, G. Depau entend montrer, à partir de l’exemple
des pratiques linguistiques des jeunes générations dans le domaine italo-
roman, « l’utilité d’observer les variétés romanes dans une dimension
dynamique tenant compte des manifestations de contact ». A. Ghimenton
et M. Matthey s’intéressent, quant à eux, aux apports « du contexte italo-
roman » à la théorie du « code-switching ». À ce titre, l’examen de langues
relevant d’un même diasystème permet un approfondissement théorique
notable touchant aussi bien l’interprétation des faits que certains des
postulats fondamentaux.
comptes rendus 125

Dans la droite ligne des extensions précédentes, mais en en accentuant


la portée, d’autres contributions s’attachent à examiner les apports de la
romanistique à la typologie linguistique. Cl. Buridant défend ainsi un
principe d’évolution téléonomique des langues, selon lequel celle-ci est
régie par des principes supérieurs. En convoquant la théorie cosérienne, il
se fonde sur le principe de catégorisation pour procéder à la comparaison
des langues romanes, et marquer la singularité du français. P. Swiggers
se propose d’ouvrir des voies destinées à réunir perspective comparative
et perspective typologique. Il montre ainsi les typologisations auxquelles
se prête la « matière romane », distinguant celle des positions écolinguis-
tiques, celle des plans architecturaux et celle qui touche aux structures
linguistiques. Il en montre ainsi les intérêts, et notamment pour la linguis-
tique diachronique. À partir de l’exemple des voyelles fortes du frioulan,
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J.-L. Léonard s’attache également à la question de la typologie, mais pour
la confronter à la dialectologie, de façon à promouvoir une « synergie »
des deux approches laquelle peut avoir des conséquences notamment sur
des problèmes de philologie.
Certaines contributions se consacrent encore au rapport des langues
romanes avec la notion de langue nationale, envisageant ainsi le rôle des
politiques linguistiques. C’est ainsi le cas de C. Alen-Garabato, qui exa-
mine le statut des langues romanes au prisme des politiques européennes
liées à l’Union Européenne d’une part, et au Conseil de l’Europe d’autre
part. Son objet est d’en évaluer l’influence sur les dynamiques sociolin-
guistiques des langues romanes, fortement concurrencées par le dévelop-
pement de l’anglais. P. Boutan, toujours en lien avec la notion de langue
nationale, interroge le difficile apport de la linguistique romane sur les
méthodes d’apprentissage du français, et montre plus particulièrement les
tentatives d’influence exercées par A. Brachet, M. Bréal et Savinian, qui
ne porteront en réalité leurs fruits qu’à un siècle de distance.
C’est enfin la question de l’apprentissage des langues qui peut fédérer
les contributions suivantes. De fait, en présentant le programme Familhas
de lengas mené par l’Institut latinitas et par l’APRENE (centre de for-
mation des enseignants des écoles Clandreta), P. Baccou et G. Belhing
exposent les enjeux liés aux apprentissages linguistiques précoces à partir
d’un enseignement plurilingue. Mais au-delà du strict enseignement des
langues, ils montrent aussi les différents enjeux, scolaires aussi bien que
socio-culturels, attachés à ce programme. E. Casanova interroge les condi-
tions d’une grammaire rénovée pour l’enseignement de la grammaire
historique du catalan et montre que celles-ci supposent d’abord la prise
en considération et, partant, une place plus importante de la linguistique
126 comptes rendus

romane, tant dans ce qu’elle dit de l’évolution du latin que dans ce que
révèlent les comparaisons des différentes langues. Dès lors, en renforçant
les explications de ces évolutions, la linguistique diachronique dans son
entier peut s’en trouver positivement affectée.
En dressant ainsi l’état des lieux d’une discipline qui, pour être féconde
sur la scène internationale de la recherche, n’en est pas moins dangereuse-
ment écartée des cursus universitaires, les auteurs de ce volume montrent
bien l’importance et l’ampleur des perspectives – souvent prometteuses
– ouvertes par la romanistique. En particulier, plusieurs contributions
ont ainsi souligné les apports potentiels de la romanistique à la typologie
linguistique aussi bien qu’aux approches diachroniques ou sociolinguis-
tiques. De ce point de vue, toutefois, l’ouvrage aurait sans doute gagné à
une mise en valeur plus évidente des lignes de forces et des propositions
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qui fédèrent les différentes contributions. Il n’en demeure pas moins un
ouvrage nécessaire et apte à redynamiser les études romanes.

Penelope Gardner-Chloros
Code-switching
2009, Cambridge, Cambridge University Press
ISBN 978-0-521-86264-6 (DB) et 978-0-521-68113-1 (PB)
Compte rendu de Françoise Gadet (Université de Paris Ouest Nanterre
la Défense)

L’étude du code-switching (désormais CS), manifestation des langues en


contact, s’est beaucoup développée depuis une trentaine d’années dans
différents champs des sciences du langage. La parution à peu près simul-
tanée de l’ouvrage de Penelope Gardner-Chloros (désormais PGC) et
d’un ouvrage plus général de Yaron Matras sur les contacts, chez le même
éditeur, en constitue d’ailleurs des signes.
PGC, elle-même au moins trilingue, est spécialiste du CS depuis sa
thèse sur Strasbourg (CS français/alsacien, 1991) et a aussi travaillé sur
le CS entre grec, dialecte chypriote et anglais chez les immigrants chy-
priotes de Londres. L’organisation de son ouvrage énumère les apports de
différentes sous-disciplines. L’introduction présente le phénomène : mises
au point terminologiques (alternance, mélange, emprunt), le comment
et le pourquoi du CS. Le chapitre 2 pose la question de la place du CS
parmi les faits de variation et les effets des contacts (emprunts, pidgini-
sation, créolisation, convergences, language shifts, mélanges de langues,
innovations ; relations entre facteurs structuraux et sociaux). Le chapitre
3 présente les apports sociolinguistiques et ethnographiques (les usagers
comptes rendus 127

ne sont pas égaux devant le CS, en particulier selon les générations). Le


chapitre 4 concerne la pragmatique et l’analyse de conversation (le CS
comme « verbal action », p. 70 sq. ; y a-t-il des différences selon le sexe ?).
Le chapitre 5 couvre les analyses grammaticales et les modèles (tous les
faits linguistiques peuvent-ils donner lieu à du CS ? Un modèle purement
grammatical est-il à même d’expliquer le phénomène ?) Le chapitre 6
dresse un bilan des perspectives psycholinguistiques (étude de ce qui est
universel/spécifique à une langue). Le chapitre 7 se centre sur l’acquisi-
tion du CS par des enfants bilingues et par les adultes apprenants de L2.
L’ouvrage se clôt sur une conclusion-bilan, suivie d’un appendice sur des
modalités de codage des phénomènes de bilinguisme. L’ouvrage présente
une vaste bibliographie et de nombreux exemples précis (66 au total).
L’histoire de l’étude du code-switching est singulière, parmi les faits de
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langue d’usage ordinaire considérés du point de vue des locuteurs et de
leur contextualisation, car ce phénomène a été longuement sous-estimé,
signe probable de ce que les linguistes n’aiment pas penser « outside the
box » (passim) ; ce qu’un objet aussi rétif que le CS les oblige à faire. Ils
préfèrent regarder les langues comme des objets d’évidence, homogènes
et autonomes, bien délimités et sans mélange. Pourtant, le plurilinguisme
étant très répandu à travers le monde, qu’il soit stable dans une commu-
nauté ou un effet de l’immigration, la majorité des humains passent leur
temps à circuler entre plusieurs « codes », et les linguistes ont beaucoup
à apprendre des locuteurs plurilingues : « one should study the bilingual
majority rather than the monolingual minority » (p. 120).
Même les précurseurs des études sur le bilinguisme comme Einar
Haugen ou Uriel Weinreich (p. 9), se sont montrés réticents envers les
mélanges de langues, où ils ont cherché à identifier ce qui relevait de cha-
cune des langues-source, sans résidu (« null hypothesis », p. 99). Il a fallu
attendre les années 60 et le sociolinguiste et ethnographe John Gumperz
pour que démarre vraiment l’étude du CS. Plus tard, plusieurs linguistes
reconnus ont associé leur nom à ce phénomène, chercheurs qui dans leur
diversité ont fait du CS un champ reconnu de plein droit.
Le plan suivi par PGC, à la recherche d’une « théorie unifiée » (p. 32),
laisse la question du pourquoi du CS courir tout l’ouvrage sans la thé-
matiser particulièrement, ce qui offre l’avantage de ne pas isoler forme
et fonction en abordant le phénomène comme un tout global, après
tant d’étude qui n’en ont retenu qu’un seul aspect. Plus les données se
sont accumulées, plus le CS a été reconnu comme un phénomène d’une
grande fréquence, complexe, multi-factoriel, difficilement prévisible. Les
premiers traitements proposés se sont alors avérés trop simples, devant
128 comptes rendus

des contre-exemples venus de tous horizons. Ce qui impose des études de


différents points de vue à la fois (y compris le point de vue des usagers,
leurs stratégies et leur degré de conscience), et oblige à s’interroger sur
l’interaction entre ces différents aspects.
PGC a le mérite de présentations précises, qui offrent au lecteur des
armes pour juger par lui-même des points forts et des limites des diffé-
rents modèles. Son livre constitue ainsi un manuel, d’une remarquable
limpidité d’écriture, mais son apport est bien plus large. PGC étant elle-
même une chercheuse active sur le CS, son ouvrage présente des prises
de position, en particulier sur la sociolinguistique, mais aussi de façon
plus générale sur l’ensemble de la discipline sciences du langage. Les
enjeux principaux de sa réflexion tournent autour de la nature de l’objet
langue (les langues comme ensembles flous vs comme système clos), et
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les rapports entre linguistique interne et externe (relations entre facteurs
linguistiques et sociaux). Le CS ne peut en effet pas se comprendre à un
niveau unique, spécialement pas au niveau purement linguistique (mise
en cause des modèles qui assignent une langue de base). Le carrefour de
problématiques qu’est le CS invite le linguiste à une attitude largement
ouverte sur le langage, les langues, et leur mise en œuvre. Quant à la
sociolinguistique, la réflexion sur le CS congédie toute tentation de
sociolinguistique essentialiste, étant donné la diversité de situations où
il est en jeu et les idiosyncrasies des usagers, qui ne sont pas ramenables
à des catégories pré-établies. On trouve ainsi dans l’ouvrage de PGC des
développements sur des thèmes importants comme la variation, qui en
mettant en cause les rapports entre faits de langue et faits sociaux, impose
de penser en des termes autres que la traditionnelle co-variation entre
langue et associations externes, ainsi qu’une réflexion sur les rapports
entre perspective écologique et typologique (p. 109). L’autre pilier de
la sociolinguistique mis en péril par la réflexion sur le CS est le terme
variété, dans son rapport au continuum des faits linguistiques. Étant
donné que les bilingues à la fois diffèrent des monolingues (le bilinguisme
n’étant pas l’addition de deux monolinguismes) et mettent en œuvre les
mêmes types de fonctionnements et de pratiques (rapport du CS avec la
souplesse stylistique, les dialectes et les registres), le CS apparaît comme
une « bilingual manifestation of universal discourse practices », p. 64).
Les questions épistémologiques posées par PGC concernent donc, dans
un cadre de linguistique appuyée sur des données empiriques, les possibi-
lités de généralisation à partir d’études de cas. Ce qui invite à reconsidérer
la conception de la scientificité de la discipline, en préférant l’idée de ten-
dances à celle de règles, principes et modèles, qui risquent de conduire à
comptes rendus 129

« reinforce belief in the structural integrity of linguistic systems » (p. 169).


L’ouvrage de Penelope Gardner-Chloros, plus ambitieux qu’un manuel,
est donc très réussi, parvenant à montrer à la fois les acquis d’un champ
relativement jeune, et ce qui reste à explorer : il est besoin de plus de com-
paraisons (mêmes langues dans des situations différentes, langues différentes
dans des situations semblables), donc de davantage d’études de terrain.

Références bibliographiques :
Gardner-Chloros Penelope, 1991, Language Selection and Switching
in Strasbourg, Oxford, Oxford University Press.
Matras Yaron, 2009, Language Contact, Cambridge, Cambridge
University Press.
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Benoît Virole
Surdité et Sciences Humaines
Questions contemporaines, L’Harmattan, Paris, 2009, 169 p.
Compte rendu de Saskia Mugnier (Université de Grenoble, LIDILEM)

La prise en compte de la surdité en tant que phénomène social, linguis-


tique, culturel dépassant le cadre strictement « médical », est récente
(en France depuis les années 1980 et depuis les années 1960 aux États-
Unis) ; les recherches théoriques sont donc encore largement en cours
d’exploration.
Benoit Virole, Docteur en Psychologie, en Sciences du langage et
psychanalyste, s’intéresse depuis près de 20 ans à ce domaine1. Dans son
dernier ouvrage « Surdité et Sciences humaines », l’auteur couvre, compte
tenu de sa triple compétence, une large étendue de réflexion sur la surdité
en prônant un décloisonnement disciplinaire et présente une synthèse
des liens entre la surdité et les sciences humaines. « Comment peut-on
penser sans les mots en utilisant des images gestuelles ? » ; « Comment
une singularité biologique peut-elle entraîner une création culturelle, à
savoir la culture sourde ? » sont quelques-unes des questions à la source
des treize textes (chapitres) réunis dans ce recueil. Ces textes sont répartis
en trois parties : « Sciences du langage », « Phénoménologie » et « Sciences
humaines », permettant à l’auteur d’aborder la surdité et son implication
autour du langage et de son acquisition, de l’identité ou de la culture
sourde, sous des angles à la fois distincts et complémentaires.

1. Il a notamment publié Figure du silence, (Édition Universitaire, 1990) ainsi que


Psychologie de la surdité (Éditions De Boeck, 1996, deuxième édition augmentée,
2000).
130 comptes rendus

L’intérêt indéniable de l’ouvrage est de chercher à cerner l’ensemble


des dimensions en jeu dans le développement de l’individu sourd (cogni-
tive, linguistique, sociale, identitaire, culturelle, médicale). Tout au long
de l’ouvrage Benoit Virole montre en quoi la personne sourde est bien
loin d’être un « entendant qui n’entend pas ».
Pour l’auteur, l’élément scientifique le plus important de la surdité
est le fait qu’elle fasse émerger « l’indépendance de la fonction langagière
des modalités organiques qui la supportent. » (p. 19). La surdité bouscule
les questions/réflexions sur le langage, son acquisition mais aussi son
lien avec la pensée. Benoît Virole expose les deux voies d’entrée dans le
langage de l’enfant sourd (chap.1). D’une part la voie « audiophonolo-
gique » qui repose sur une « stratégie de réhabilitation » (p. 16) autour
de la langue environnante, et qui est largement associée à un éventail
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de modalités et de techniques : lecture labiale, Langue française Parlée
Complétée, développement du langage oral, écrit. D’autre part, la voie
« visuo-gestuelle » présentée comme un processus linguistique naturel
venant « en substitution » chez les enfants sourds (p. 19) et reposant sur
la langue des signes (LS) ; celle-ci étant clairement posée comme une
réponse linguistique à la surdité.
Qu’il s’agisse de la description de la LS ou du développement cogni-
tif de l’individu sourd, Benoît Virole construit son raisonnement avec,
à son centre, la théorie de l’iconicité, (chap.3 « Icône et Objectivité »),
dominante en France2. Par son biais, il aborde les liens étroits entre
perception et représentation, dont la nature des signes gestuels permet-
trait de dévoiler les structures profondes, apportant ainsi des éléments
nouveaux concernant le problème du premier signe de perception, pro-
blème central en psychanalyse. Par ailleurs, l’auteur postule l’existence
d’une Grammaire universelle et avance l’idée d’une proximité entre les
LS et cette grammaire : « leur structure (iconique et dynamique) leur
confère une position particulière dans le spectre des langues. » (p. 32)
Si pendant trop longtemps les langues des signes ont été dévalorisées
(Meynard, 1995), nous pouvons cependant nous demander si cette
revalorisation, (survalorisation ?) permet d’appréhender cette langue en
tant qu’objet linguistique. En effet, d’autres regards plus linguistiques
sur les LS ont été développés par d’autres chercheurs en France et à
l’international, et il aurait peut-être été bienvenu de s’y référer pour
élargir le débat.

2. Théorie sur lesquelles sont appuyées les recherches présentées dans le n° 131 de
Langage et Société, Sourds et langues des signes : normes et variation, mars 2010.
comptes rendus 131

Ceci étant, il est à noter que les deux voies d’accès au langage ne
sont pas considérées comme exclusives par l’auteur. S’il relève que des
enfants sourds peuvent être en contact avec les deux langues (p. 23),
les investissant plus ou moins et s’adaptant à la situation de communi-
cation, sa « théorie du bilinguisme » (p. 34) nous projette directement
dans le champ éducatif, faisant se télescoper d’une part, le bilinguisme
posé comme pratique linguistique et d’autre part, le bilinguisme envi-
sagé comme modèle éducatif. Ce télescopage trouve son origine dans
un débat qui agite la France, mais aussi l’Europe et l’Amérique du
Nord, depuis plus de deux siècles où s’opposent deux grands modèles
en concurrence dans l’éducation des enfants sourds – oralisme vs ges-
tualisme (chap.9), correspondant à deux visions de la surdité. Ainsi, en
fonction de la place faite au français et à la LS par les établissements
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pédagogiques, Benoît Virole dresse une typologie des diverses formes de
bilinguisme. Ce contact de langues est appréhendé dans une vision assez
normative des langues – en tant qu’entités homogènes et cloisonnées
les unes des autres. Or l’apport de recherches récentes dans plusieurs
domaines a contribué à construire et à diffuser une conception renou-
velée des langues et de leur apprentissage, en posant au centre de leur
démarche la notion de répertoire verbal (ou « répertoire langagier »), en
défendant une vision intégrant la variation et en visant la description
d’une compétence plurilingue (Coste, 2001 ; Coste et al., 1997 ; Dabène,
1994 ; Billiez, 2005). Elles permettent également de proposer des pers-
pectives intéressantes dans le champ de la didactique et de l’acquisition
des langues (Castellotti, 2001 ; Matthey, 2003). Ces notions offrent un
cadre ouvert pour envisager les ressources langagières bi-plurilingues
des enfants sourds.
La complexité de la question de l’identité sourde est largement
abordée, par l’auteur, spécialement les chapitres 11, 12 et 13, en pre-
nant en compte différentes situations (enfance, adolescence, sourds de
naissances, devenus sourds, sourds implantés). Benoît Virole met en
garde contre les assignations identitaires liées aux représentations audio-
métriques (p. 64) qui tendent à orienter l’enfant sourd vers la modalité
gestuelle ou orale du langage uniquement sur les critères quantitatifs de
pertes auditives. Pour lui la surdité ne « peut être réduite à une forme
privative », les personnes sourdes de naissance vivent une « expérience
de complétude phénoménologique » (p. 68). Étant une « réalité incarnée »,
ces dernières ne peuvent appartenir aux deux sphères : sourde et enten-
dante. Néanmoins, en interrogeant la question identitaire, à l’aide de
trois dimensions classiques la définissant : l’expérience phénoménolo-
132 comptes rendus

gique, le rapport social et l’usage de la langue des signes (p. 159), Benoît
Virole démontre que cette notion, complexe et dynamique, est actuel-
lement en reconstruction. Ces trois dimensions sont depuis plusieurs
années chahutées du fait d’évolutions médico-techniques (notamment
l’implant cochléaire qui vient redéfinir le rapport au monde sonore
environnant et la question du partage d’une expérience commune) et
socio-politiques (au niveau scolaire, la politique d’intégration des élèves
sourds vs les internats, socle institutionnel de l’identité sourde d’autre-
fois). L’auteur admet ici la possibilité chez des individus implantés de la
coexistence de deux identités, sourde et entendante, tout en soulignant
que cette identité est « essentiellement relative » (p. 165).
L’intérêt de l’ouvrage est donc de chercher à cerner l’ensemble des
dimensions en jeu dans le développement de l’individu sourd. En
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donnant ainsi une idée des différentes variables entrant en compte
dans le développement de l’enfant, Benoît Virole démonte des clichés
entretenus d’un côté ou de l’autre du monde gravitant autour de la
surdité : « pro-signes » vs « pro-oralisme ». Benoît Virole met bien en
évidence l’importance de dépasser cet antagonisme et la spécificité de
l’auteur réside dans l’alliance d’approches bien souvent perçues comme
antagonistes : implants cochléaires, LSF et culture sourde.

Références bibliographiques
J. Billiez, 2005, « Répertoires et parlers plurilingues. Déplacements à opé-
rer et pistes à parcourir à l’école » Du plurilinguisme à l’école. Vers une
gestion coordonnée des langues en contextes éducatifs sensibles, Prudent,
Tupin & Wharton (dirs), Bern : Peter Lang, pp. 323-340.
V. Castellotti (dir.), 2001, D’une langue à d’autres : pratiques et représenta-
tions, Rouen : Publications de l’Université de Rouen.
D. Coste, 2001, « De plus d’une langue à d’autres encore. Penser les
compétences plurilingues ? » D’une langue à d’autres : pratiques, repré-
sentation, Castellotti (dir.), Rouen : Publications de l’Université de
Rouen, pp. 191-202.
D. Coste, D. Moore & G. Zarate, 1997, Compétence plurilingue et plu-
riculturelle - Vers un Cadre Européen Commun de référence pour l’en-
seignement et l’apprentissage des langues vivantes : études préparatoires,
Strasbourg : Éditions du Conseil de l’Europe.
L. Dabene, 1994, Repères sociolinguistiques pour l’enseignement des langues,
Paris : Hachette.
M. Matthey, 2005, « Plurilinguisme, compétences partielles et éveil aux
langues. De la sociolinguistique à la didactique des langues » Repenser
comptes rendus 133

l’enseignement des langues : comment identifier et exploiter les compé-


tences, Bronckart, Bulea & Pouliot (dirs), Villeneuve d’Ascq : Presses
Universitaires du Septentrion, pp. 139-159.
A. Meynard, 1995, Quand les mains prennent la parole, Ramonville : Erès
(Clinamen).

Jean Widmer
Discours et cognition sociale. Une approche sociologique
Éditions des archives contemporaines, 2010
Compte rendu de Françoise Gadet, Université Paris Ouest Nanterre la
Défense
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L’ouvrage qui vient de paraître est une récollection de 12 articles du socio-
logue suisse disparu en 2007, effectuée par un groupe d’anciens étudiants
et collègues, et suivie de sa bibliographie complète. Avec une préface de
Louis Quéré, il est organisé en 3 parties de chacune 4 chapitres (1. Actions
et catégorisations. Pour une ethnométhodologie sociologique ; 2. Analyse de
discours, sémiotique et sociologie ; 3. Le travail politique du discours). Les
articles reproduits avaient été écrits sur une période qui couvre de 1983
à 2004, le choix d’un regroupement thématique ayant été préféré au
cheminement de mise au point progressive d’une pensée.
Jean Widmer a toujours pratiqué une sociologie marquant un vif
intérêt pour le langage et sa mise en œuvre dans différents types de dis-
cours, ce qui l’avait tout naturellement conduit à s’intéresser à l’eth-
nométhodologie, dont il a été l’un des principaux promoteurs dans la
sociologie francophone. Ayant une bonne connaissance de différentes
autres méthodes d’analyse de la langue et des discours en rapport avec
le social, essentiellement la sociologie du langage, la sociolinguistique, la
sémiotique et l’analyse de discours, il a été membre de 1996 à 2007 du
comité de rédaction de Langage & Société.
Son nom restera accolé à la réflexion sociologique sur les catégo-
risations (voir en particulier son article de 1983 sur les « classements
d’âge » – pas toujours aussi connu, cité et commenté qu’il le mériterait),
mais aussi à une démarche épistémologique de remise en cause critique.
Jean Widmer était en effet de ceux qui, après avoir adhéré avec enthou-
siasme à l’idée de rénover la sociologie à partir de l’ethnométhodologie
et de l’analyse de conversation, en travaillaient désormais tout autant les
limites et les points aveugles que l’incontestable apport (voir en particulier
les chapitres 1, 3 et 4 de la première partie ; ou encore Conein 2005).
134 comptes rendus

Ses intérêts pour les discours des médias, en particulier, le rendaient sen-
sible à l’absence de prise en compte des dimensions organisationnelle et
historique dans l’ethnométhodologie.
De façon arbitrairement liée à mes propres intérêts, mon com-
mentaire s’arrêtera plus longuement sur la troisième partie, où il est
manifeste que J.W. était un sociologue trop intéressé aux langues pour
ne pas se positionner par rapport à la sociolinguistique. Si celle-ci ne
l’a probablement guère retenu en tant que discipline, il a toujours été
attentif aux questions qu’elle soulève (ou devrait soulever). Et bien des
aspects de sa pensée pourraient aujourd’hui être sollicités de façon cri-
tique dans l’actuelle crise que traversent les sciences du langage en géné-
ral et la sociolinguistique en particulier, l’un des symptômes majeurs
de ces difficultés étant l’absence « d’appareil conceptuel qui permette
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une saisie intégrée des différentes approches » (p. 263, je détourne une
de ses formules).
Cette réflexion, je vais la regrouper autour de 4 thématiques. La pre-
mière est loin d’être inconnue des sociolinguistes, qui pourtant la posent
de façon moins complète : que faut-il que soit la langue pour qu’elle
permette une réflexion sur le social ? (langue comme phénomène à la fois
individuel et collectif chez Saussure ; réflexivité dans le chapitre 3 de la
3e partie). La sociolinguistique se contente de montrer qu’il n’y a pas de
langue homogène, mais elle ne travaille pas suffisamment les raisons de
ce constat. Cette réflexion débouche de fait sur une remise en cause de
la distinction interne/externe, pour laquelle les sociolinguistes ont trop
souvent accepté ce qui leur était tendu par les linguistes.
Une deuxième thématique concerne les rapports entre langues et
communautés : « Comment se constitue une collectivité de membres
distants et inconnus les uns des autres » (J.W., 2004 : 10), hors proxi-
mité physique des interactants, et au-delà du face à face. La langue joue
ici un rôle décisif, ce que J.W. montre avec ce qu’il regarde comme des
architectures typiques du collectif, en partant du cas de la Suisse consi-
dérée comme un véritable « laboratoire de langues ». C’était d’ailleurs
déjà le thème principal de son ouvrage de 2004, ce qu’il appelle la
dimension « proprement collective des langues » (2009 : 248) : « Le
débat sur les langues est une scène privilégiée pour observer les modèles
implicites d’agrégation politique […] parce que les acteurs du débat
disposent généralement de capitaux spécifiques faibles et segmentés,
laissant ainsi libre cours à l’imaginaire social de l’époque » (247). Je
vois là quant à moi une réflexion sur le rapport micro/macro-socio-
linguistique, ou sociolinguistique proprement dite vs sociologie du
comptes rendus 135

langage, prenant acte de la faiblesse du pont entre le sujet parlant et


les institutions ayant à voir avec le langage (lieux d’établissement et de
diffusion de la norme, école…)
Une troisième thématique revient sur des dichotomies trop souvent
prises comme des évidences : oral/écrit, public/privé, où l’on retrouve
tout à fait l’opposition immédiat/distance de Koch & Œsterreicher 2001
(qu’il ne cite pas). Il s’intéresse là au rôle de l’école dans l’inculcation de
la langue à travers les « techniques du corps » et à la césure que consti-
tuent l’avant et l’après de l’alphabétisation généralisée. Les vagues dialec-
tales (montée des dialectes) en Suisse à partir des années 50 sont mises
en parallèle avec une évolution actuelle de l’usage des langues vers une
informalisation (voir p. 200, terme qu’il n’utilise pas). Les dialectes et les
vernaculaires manifestent ce qui ailleurs se concrétise dans l’usage « plus
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oral, moins contraint » de la langue, le rapport avec les revendications
particularistes, et le « nous » ; on pense aussi à la conversationnalisation de
Fairclough (référence non présente chez lui, ni dans les articles reproduits,
ni dans l’ouvrage de 2004).
Une quatrième thématique concerne des dimensions méthodolo-
giques et épistémologiques en sciences sociales et humaines : les corréla-
tions ne constituent en aucun cas une « explication », et « les architec-
tures en tant que facteurs explicatifs » (252) supposent de construire le
problème en surplomb : « comment le fait ‘d’appartenir’ à une commu-
nauté peut-il expliquer des comportements, et quels comportements ? »
(2004 : 8). J. W. rappelle opportunément le propos de Garfinkel suggé-
rant de « transformer la corrélation statistique en énigme ».
Au-delà de la 3e partie, un thème qui court dans tout l’ouvrage
concerne la « mise en place d’un nouveau cadre de référence » (201) sur
la langue/les discours : « un nouvel ordre se dessine-t-il ? » (256). Rendue
manifeste par des changements dans le rapport à la culture littéraire, qui
bouleverse la place attribuée à la langue, cette nouvelle donne avait été
pressentie par J. W. dès 1989 (voir chapitre 1 de la partie 3). La « promo-
tion de la langue anglaise » (251) relève de la même tendance, véhiculant
le risque de marginaliser les vernaculaires en les privant de leur niveau le
plus élaboré, ce que les réflexions sur la diglossie appellent les « activités
hautes ».
Ce livre est tout à fait bienvenu pour réunir des textes dispersés, et
constituera un guide précieux pour la pensée riche et originale de Jean
Widmer, dont une réduction dans des cases préétablies ne rend aucune-
ment justice.
136 comptes rendus

Références bibliographiques
Conein B., 2005, Les sens sociaux, Paris, Economica.
Fairclough, N., 1994, « Conversationalization of public discourse
and the authority of the consumer », in R. Keat, N. Whiteley & N.
Abercombrie (eds), The authority of the consumer, London & New
York, Routledge.
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