Effet Du Changement Climatique Sur Les Mécanismes de Retrait-Gonflement Et La Stabilité Des Digues Et Barrages
Effet Du Changement Climatique Sur Les Mécanismes de Retrait-Gonflement Et La Stabilité Des Digues Et Barrages
Effet Du Changement Climatique Sur Les Mécanismes de Retrait-Gonflement Et La Stabilité Des Digues Et Barrages
Luc Boutonnier
Egis
Yasmina Boussafir
Ingénieure-Chercheure, UGE/Ifsttar
Rémy Tourment
Ingénieur expert, INRAE
Jean-Robert Courivaud
Expert barrages en remblai, EDF-CIH
FRANCE
1. INTRODUCTION
en sols fins ? Quelles sont les conséquences sur les scénarii de défaillance
pouvant potentiellement affecter les ouvrages ? Quelle est l’évolution potentielle
de ces désordres avec le changement climatique ?
Tableau 1
Référentiels de conception et construction des barrages et digues :
analyse des recommandations vis-à-vis des variations d’état
hydrique des sols fins
Guide CFBR 2015 [1] Chapitre 4.7.4 : « il est au moins recommandé de protéger les
argiles de la dessiccation par un remblai qui met l’argile à l’abri
Recommandations
du vent et de l’ensoleillement direct (par exemple, sable et terre
justifications de stabilité
végétale). […] Si l'argile est exposée aux sollicitations climatiques
hors érosion interne et
(notamment cycles de saturation / désaturation), elle évolue et
externe
peut progressivement perdre sa cohésion »
Guide MEDDE 2015 [2] Chapitre 2.1.3.3 : « l’évolution des sollicitations au cours du
temps […] peut conduire […] à l’évolution défavorable des
Référentiel technique
caractéristiques des matériaux de constitution […] des ouvrages
digues maritimes et
au cours du temps (cycle de dessiccation-imbibition […]). »
fluviales
Bulletin CIGB 2016 [3] Conception de la crête du noyau argileux de barrages : « La mise
Recommandations pour en œuvre d’une couche de graviers en crête va en particulier
les petits barrages éviter […] la dessiccation des dernières couches de matériaux
argileux constituant le remblai.. »
Bulletin CIGB 2017 [7] Chapitre 3.2.9 : La fissuration peut être à l’origine de
mécanismes d’érosion interne. Il est donc recommandé de
érosion interne
protéger, avec 300 mm de matériaux non plastiques, la partie
supérieure des noyaux argileux de barrages.
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Les guides ([1], [3], [4]), normes ([8], [9]) et pratiques les plus courantes ([10])
pour le compactage des ouvrages neufs conduisent aux critères suivants :
Tableau 2
Exemples de désordres liés à une mauvaise prise en compte des
variations d’état hydrique liées à des variations de succion du sol
212 barrages du Sud 25% des ouvrages présentent des fissures de retrait. La profondeur
Ouest de la France maximale mesurée est de 1,2m. Le non retrait du mètre excédentaire
[12] favorise l’apparition de fissures.
Digues en tourbe et Une rupture de digue en charge suite à la canicule de 2003 par perte
argile aux Pays-Bas de masse importante (tourbe). Beaucoup de fissures observées,
[14] souvent à plus d’un mètre de profondeur. Observation de
phénomènes d’érosion interne.
Digues dans les Des fissures importantes sont observées sur des matériaux très
Charentes [15] argileux et humides à la mise en œuvre.
Q. 107 – B1
Fig. 3 Les matériaux fins dans la partie hachurée en rouge (2-3m d’épaisseur)
peuvent être impactés par le mécanisme de retrait-gonflement et la fissuration.
Inside the zone in red dotted lines, fine soil material can be strongly affected by
shrinkage-swelling effects. Inside this zone, cracks can easily appear.
Tableau 3
Sollicitations météorologique vis-à-vis du mécanisme de retrait-
gonflement dans les sols d’ouvrage en terre
Fig. 5 Evolutions relatives possibles (en %) du débit moyen annuel entre 1961-
90 et 2046-65 [28]
Possible relative evolutions (in %) of the mean annual flow between 1961-90 and
2046-65 [28]
Pour les débits de crue décennales, les 14 scénarios étudiés par le projet
Explore 2017 ne convergent pas. Le projet s’accorde sur une tendance générale
à la diminution entre -10 à -70% par rapport à la situation actuelle est attendue à
l’horizon 2070 (Fig. 6) à l’exception des bassins des Cévennes et la partie Est du
district Rhin-Meuse où la tendance serait à une augmentation.
Les crues en fin d’été début d’automne, pourraient devoir être contenues par
des ouvrages fortement affectés par le retrait et dans des conditions de stabilité
insuffisantes et certainement différentes de celles qu’elles pourraient avoir en
période hivernale, avec des matériaux dont la teneur en eau serait très élevée et
des fissures en partie refermées.
Pour un sol fin donné, les variations de volume sur un chemin de séchage
ou d’humidification dépendent de la teneur en eau et de l’indice des vides initiaux.
Fig. 7 courbes de retrait d’une argile et d’un limon. L’entrée d’air correspond à la
ligne optimale de compactage (θair ≈ 5% pour les sols compactés, cf Fig. 2)
shrinking curves for a clay and a silt. Air entry happens when the optimum
compaction line is crossed (𝜃𝑎𝑖𝑟 ≈ 5% for compacted soils, see Fig. 2)
Q. 107 – B1
Compte tenu de l’état plus sec des sols attendu avec le changement
climatique (cf chapitre 4), l’amplitude de variation des pressions d’eau en climat
tempéré va augmenter, passant par exemple d’un intervalle [0,-300kPa] (faible
écart hydrique) à [0,-1100kPa] (fort écart hydrique). Il est probable que des zones
tempérées aujourd’hui à faible écart hydrique vont voir l’apparition de fissures
irréversibles dans des ouvrages jusqu’ici épargnés par ces phénomènes. Ces
fissures seront liées aux premiers « chargements » en succion sur les ouvrages
compactés à l’énergie Proctor Normal lors des premiers étés anormalement secs.
Pour les ouvrages fortement compactés (énergie OPM et teneurs en eau plus
faibles), les fissures irréversibles seront moins probables.
C = COPM ++ ++
argile C < COPN - (retrait irréversible puis --- (fort retrait irréversible et
retrait/gonflement réversible) fort retrait/gonflement
réversible)
Tableau 4
Recommandations (+ adapté, = acceptable, - inadapté) pour les
spécifications de compactage en climat tempéré. Avec le
réchauffement climatique, des zones à faible écart hydrique
pourraient passer en fort écart hydrique en France.
Q. 107 – B1
7. CONCLUSION
Les ouvrages en terre en sols fins présentent en climat tempéré une frange
sensible aux variations climatiques annuelles : plusieurs études publiées ont
évalué son épaisseur entre 2 et 4m. Sur la base de trois sites instrumentés, il a été
montré que le climat tempéré se caractérise, à faible profondeur inférieure à un ou
deux mètres, par des succions nulles en période humide et des succions de l’ordre
de 300kPa en période sèche sous climat à faible écart hydrique (Angleterre, Est
de la France) mais pouvant atteindre plus de 1000kPa sous climat à fort écart
hydrique (exemple de l’Italie). Avec le changement climatique, des ouvrages
aujourd’hui peu sollicités du point de vue hydrique en période sèche pourraient
l’être beaucoup plus dans le futur, conduisant à des retraits volumiques en partie
irréversibles dans la frange sensible aux variations climatiques annuelles. Pour les
ouvrages neufs, les spécifications de compactage et la conception d’une manière
plus générale devraient prendre en compte dès à présent ces problématiques, ce
qui n’est pratiquement pas le cas aujourd’hui faute de recommandations claires
sur le sujet. Pour les ouvrages déjà construits, les analyse de vulnérabilité doivent
intégrer ces mécanismes et des dispositions de renforcement de certains ouvrages
seront probablement à prévoir à terme.
BIBLIOGRAPHIE
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et des digues en remblai. Version approuvée en Commission Exécutive du
CFBR le 9 octobre 2015.
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RESUME:
Pour limiter les risques de retrait sur les ouvrages neufs en sols fins, il est
recommandé d’augmenter l’énergie de compactage et réduire les teneurs en eau
de mise en œuvre. Pour les ouvrages les plus sensibles, certaines solutions
existent (masques granulaires par exemple) mais une réflexion plus large est à
engager pour trouver des solutions adaptées à chaque contexte.
SUMMARY:
Dikes and dams often include fine soil elements (clay and/or silt) that are sensitive
to the atmosphere interaction. Depending on the initial moisture content and the
initial dry density, shrinkage cracks may appear during dry periods in temperate
climates. Their depth is limited, knowing that the thickness of the soil interacting
with the atmosphere would be of the order of 2 or 3 meters according to some
instrumented sites. These cracks can contribute to numerous disorders on
hydraulic structures: higher loading, increasing hydraulic conductivity by several
orders of magnitude, reduction of the safety factor or slippage due to rapid increase
in water pore pressure, concentration of flows leading to the development of
internal erosion mechanisms.
With the climate changing, structures currently in a climate with a low water
gap could change to a high water gap, leading to irreversible shrinkage cracks and
hydraulic structures in fine soils made more vulnerable.
To limit the risk of shrinkage on new structures using fine soils, the authors
recommend to increase the energy of compaction and reduce the compaction
water content. For the most sensitive structures, some protection solutions exist
(granular masks for example) but a wider reflection is needed to find solutions
adapted to each context.
Mots-clés: CLIMAT - CONCEPTION - FISSURATION - SOL - MODIFICATION DU CLIMAT -
MISE EN PLACE DU REMBLAI - TENEUR EN EAU