Roméo Et Juliette
Roméo Et Juliette
Roméo Et Juliette
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THE BEQUEST OF
1918
13486 102.35
ROMEO
ET
JULIETTE
PAR
WILLIAM SHAKSPEARE
TRADUCTION FRANÇAISE
CONFORME A LA REPRÉSENTATION
UN FRANC
ML 3
PARIS
MICHEL LEVY FRÈRES , ÉDITEURS
RUE AUBER , 3 , PLACE DE L'OPERA
LIBRAIRIE NOUVELLE
BOULEVARD DES ITALIENS, 15, AU COIN DE LA RUE DE GRAMMONT
1876
ROMÉO ET JULIETTE
TRAGÉDIE
MICHEL LEVY FRÈRES , ÉDITEURS
COMPOSITIONS DRAMATIQUES
REPRÉSENTÉES PAR
ROMÉO
ET
JULIETTE
DE
WILLIAM SHAKSPEARE
TRADUCTION FRANÇAISE
CONFORME A LA REPRÉSENTATION
UN FRANC
M.L
PARIS
LIBRAIRIE NOUVELLE
FOULEVARD DES ITALIENS , 15, AU COIN DE LA RUE DE GRAMMONT
1875
Droits de reproduction et de traduction réservés
13486.102.35
PERSONNAGES
LE PRINCE de Vérone.
PARIS , jeune seigneur, cousin du prince.
MONTAIGU , déjà vieux, chefs de deux familles ennemies .
CAPULET, }
ROMEO, fils de Montaigu .
MERCUTIO, cousin du prince, et ami de Roméo .
BENVOLIO, parent de Montaigu , et ami de Roméo .
TYBALT, parent de Capulet.
FRÈRE LAURENCE, religieux.
BALTAZAR, domestique de Roméo .
SAMSON et GREGORIO, domestiques de Capulet.
ABRAHAM, domestique de Montaigu.
UN PAGE de Paris .
UN APOTHICAIRE .
LA SIGNORA MONTAIGU.
LA SIGNORA CAPULET .
JULIETTE, fille de Capulet, amante de Roniéo.
NOURRICE de Juliette .
CITOYENS DE VÉRONE, MUSICIENS, MASQUES, etc.
ACTE PREMIER
SCÈNE PREMIÈRE.
SAMSON.
Par ma foi, Gregorio, nous ne laverons plus les plats
ni les écuelles.
GREGORIO.
Non, car alors nous serions des marmitons.
SAMSON.
Je veux dire que s'il nous plaisait de nous mettre en
colère, nous risquerions la corde.
GREGORIO.
Samson, tant que tu vivras, prends bien soin de te-
nir ton cou loin de la corde.
SAMSON.
Quand la colère me prend , je frappe en aveugle.
GREGORIO.
Mais tu n'as pas la colère si facile, et tes coups ne
sont pas aveugles.
SAMSON.
Un chien de Montaigu me met en rage.
GREGORIO .
Moi aussi, mais pourquoi ?
SAMSON.
Oui, pourquoi ?
GREGORIO.
C'est facile à expliquer. Nous sommes serviteurs des
Capulet. Une querelle s'élève entre nos maîtres, nous ,
1
2 ROMÉO ET JULIETTE
SCÈNE II.
SAMSON.
Voilà mon épée tirée : querelle, je vais t'animer .
GRÉGORIO.
Bon! tu vas tourner le dos et fuir.
SAMSON .
Mettons la loi de notre côté : laissons-les attaquer les
premiers.
GREGORIO.
Pour moi, en passant à côté d'eux , je les regarderai
de travers. Ils le prendront mal , s'ils veulent.
SAMSON.
Dis plutôt, s'ils l'osent. Moi, je mordrai mon pouce
en les fixant ; et s'ils le passent sous silence, ce sera un
affront pour eux.
ABRAHAM .
L'ami, mords-tu ton pouce pour nous narguer ?
SAMSON.
Moi, je mords mon pouce.
ABRAHAM.
Est-ce pour nous insulter, dis?
SAMSON, bas à Grégorio .
Aurons-nous la loi de notre côté , si je réponds oui?
GRÉGORIO .
Non pas.
SAMSON, à Abraham.
Non, ce n'est pas précisément pour vous insulter que
je mords mon pouce ; mais ..... mais je mords mon
pouce, moi.
GREGORIO, à Abraham.
Cherchez-vous querelle ?
ACTE PREMIER 3
ABRAHAM.
Querelle ? Non.
SAMSON.
Si vous cherchez querelle, je suis à vos ordres : je
sers un aussi bon maître que vous.
ABRAHAM.
Pas un meilleur !
SAMSON.
Soit, monsieur.
GREGORIO, bas, à Samson.
Dis meilleur ..... J'aperçois un des parents de mon
maître. (Benvolio arrive.)
SAMSON, à Abraham.
Oui, un meilleur maître.
ABRAHAM.
Tu mens.
SAMSON.
Je mens..... Voilà la colère qui me monte . L'épée à
la main, si vous avez du cœur. (A Gregorio . ) Souviens-toi
de ta botte secrète. (Ils se battent.)
SCÈNE III.
SCÈNE IV.
jours, dès que le soleil , qui réjouit tous les êtres, com-
mençait à ouvrir les rideaux du lit de l'aurore, aussi-
tôt, fuyant ses rayons, mon triste fils rentre furtivement
à la maison; et là s'emprisonne seul dans son appar-
tement, ferme les fenêtres au jour naissant, et repous-
sant de toutes parts la lumière , il se forme autour de
lui une seconde nuit. Cette humeur deviendra noire et
funeste, si un bon conseil n'en tarit la source.
BENVOLIO.
Mon noble oncle, en connaissez-vous la cause ?
MONTAIGU.
Non.
BENVOLIO.
Avez-vous employé quelques moyens pour le faire
parler?
MONTAIGU.
Je l'ai importuné des instances de ma tendresse, je
l'ai fait solliciter par nombre de mes amis. Mais il est
le seul confident de ses sentiments comme le bou-
ton de rose. S'il nous était possible de pénétrer la
cause de sa mélancolie, nous porterions remède à son
mal aussitôt qu'il nous serait connu.
BENVOLIO.
Ah ! je l'aperçois : voudriez-vous vous éloigner ? Je
veux sonder la cause de sa tristesse.
MONTAIGU.
Puisses-tu réussir à tirer de sa bouche l'aveu de la
vérité ! Je vais au palais pour obéir à l'ordre du
prince. (Il se retire.)
SCÈNE V.
BENVOLIO et ROMÉO.
BENVOLIO.
Cher cousin, je te donne le salut du matin.
ROMÉO.
Quoi ! le jour est-il si peu avancé ?
BENVOLIO.
Neuf heures viennent de sonner.
ACTE PREMIER
ROMÉO.
Que les heures tristes paraissent longues ! Était-ce
mon père que j'ai vu s'éloigner si vite de ce lieu ?
BENVOLIO.
C'était lui. ― Quel est donc le chagrin qui allonge
ainsi les heures de Roméo ?
ROMÉO.
Le chagrin de ne pas posséder l'objet dont la pos-
session ferait couler rapidement mes heures.
BENVOLIO.
Il s'agit d'amour.
ROMÉO.
D'un amour sans espoir.
BENVOLIO.
Hélas ! Faut-il que l'amour, qui semble si doux, se
montre à l'épreuve un tyran si cruel!
ROMÉO, distrait.
Où dînerons-nous aujourd'hui? Quel est donc le
tumulte dont a retenti cette place?... Mais, non, ne
-
t'amuse pas à me le raconter : j'ai tout entendu. . Il
y a ici bien des combats à livrer avec la haine : mais
il y en a bien plus encore à soutenir avec l'amour !
(En se frappant le sein. ) O amour, que la haine empoisonne !
O haine où se mêle la tendresse ! - Amour ! étrange
sentiment, qui de rien crée tout! chimère féconde en
tourments ! passion vaine et sérieuse ! chaos informe
d'illusions brillantes et fortunées ! affection indéfinis-
sable, qui soulage et opprime l'âme, l'illumine et l'obs-
curcit; brûle et glace, tue et ranime le cœur ! Voilà
l'amour que je sens : cher Benvolio, n'es-tu pas tenté
de rire de pitié ?
BENVOLIO.
Non, cousin; je le serais plutôt de pleurer.
ROMÉO.
Bon cœur ; pourquoi?
BENVOLIO.
De voir le chagrin dont ton cœur sensible est op-
pressé .
ROMÉO.
Mon âme est assez accablée de mes propres cha-
grins; ce tendre intérêt que tu me montres, en aug-
8 ROMEO ET JULIETTE
SCÈNE VI.
SCÈNE VII.
Une salle de la maison de Capulet préparée pour le bal .
CAPULET.
Salut, cavaliers ! et vous, jeunes dames, dont les
pieds ne sont pas affligés de cors, je vous tiens au-
jourd'hui il n'y a pas à s'en dédire, il faudra
s'évertuer. Laquelle de vous osera refuser de dan-
ser? Celle qui fera la dédaigneuse, je dirai quelle
a des cors aux pieds . J'ai vu le temps où je por-
tais un masque aussi, et où je pouvais conter fleu-
rette à l'oreille des dames. Ce temps est passé ; il
est passé , passé. Allons , musiciens , commencez.
Et Montaigu aussi est enchaîné comme moi par la
même défense : nous sommes tous deux menacés de
la même peine ; et il ne sera pas difficile, je pense, à
deux vieillards de notre âge , d'entretenir la paix en-
semble.
PARIS.
Vous êtes deux hommes d'honneur, tous deux éga-
ACTE PREMIER 13
SCÈNE VIII.
SCÈNE IX.
SCÈNE X.
BENVOLIO.
L'as-tu vu ?
MERCUTIO.
La souris est prise au piége.
BENVOLIO.
Et il ne voulait pas venir ici.
MERCUTIO.
Un clou chasse l'autre. Un amour a chassé un autre
amour.
BENVOLIO.
Le voici qui revient en caressant de sa main la main
ACTE PREMIER 17
SCÈNE XI.
LA NOURRICE.
Madame, votre mère veut vous dire un mot.
ROMÉO, à la nourrice.
Quelle est sa mère?
LA NOURRICE.
Beau cavalier, sa mère est la maîtresse de ce logis, et
c'est une bonne dame, sage et vertueuse . J'ai nourri sa
fille, avec qui vous causiez ; je peux vous garantir que
celui qui l'épousera pourra se vanter d'une bonne for-
tune.
BENVOLIO.
Allons, Roméo, partons, le bal tire à sa fin.
ROMÉO.
Oh ! je crains bien qu'avec lui ne finissent aussi ma
paix et mon repos.
CAPULET.
Arrêtez, cavaliers, ne songez pas encore à nous quit-
ter. Nous avons ici quelques rafraîchissements...- Vous
18 ROMEO ET JULIETTE
ACTE DEUXIÈME
SCÈNE PREMIÈRE.
ROMÉO.
Il se rit de l'amour, celui que ses traits n'ont jamais
blessé. Mais, arrêtons . Quelle est cette lumière que
je vois là-bas briller à cette fenêtre? C'est le jour nais-
sant, c'est le soleil , c'est Juliette ! (Juliette parait à la fent-
tre.) Lève-toi, bel astre, plus brillant que celui qui m'é-
claire . Oui, Diane pâlit de jalousie, en se voyant moins
belle que toi, qui n'es qu'une jeune mortelle attachée
à son culte. Renonce à son culte austère et dépouille
ta robe de vestale ; sa couleur est odieuse et triste, et
ne convient qu'aux insensées. Oui, c'est elle ; je recon-
nais ma souveraine : oui, c'est ma bien-aimée. Oh! sí
elle pouvait savoir que c'est elle qui est l'objet de mon
amour. (11 s'avance vers la fenêtre. ) - Il me semble la voir
parler ; et cependant je n'entends nul son de sa voix.
Qu'importe ses yeux ont un langage... Je veux leur
répondre. -Ah ! je suis trop téméraire : ce n'est pas á
moi qu'elle parle. Que ses yeux sont étincelants ! Oui, si
la voûte du ciel était enrichie de ces deux étoiles , les
oiseaux, trompés par l'éclat de leurs feux , chanteraient
dans la nuit, en croyant saluer l'aurore. — - Je la vois :
elle repose sa joue sur sa belle main. Oh! que ne suis-
je le gant qui revêt cette main ! Je toucherais sa joue
de rose .
JULIETTE, soupirant et se croyant seule.
Hélas, malheureuse!
ROMÉO.
Elle vient de parler ; ô bel ange ! parle encore.
JULIETTE.
O Roméo ! Roméo ! - Pourquoi es-tu Roméo ? — -
20 ROMEO ET JULIETTE
SCÈNE II.
Un monastère.
SCÈNE III.
LE MÊME, ROMÉO.
ROMÉO, entre.
Je vous salue, mon vénérable père .
FRÈRE LAURENCE .
Loué soit le Tout-Puissant ! Quelle voix me salue
avec tant de douceur ? - Mon fils, cette visite si mati-
nale suppose une âme troublée . Quel soin vous a
chassé si tôt de votre lit ? L'inquiétude établit son
ACTE DEUXIÈME 27
SCÈNE IV.
ACTE TROISIÈME
SCÈNE PREMIÈRE.
Une rue de Vérone.
BENVOLIO.
De grâce, cher Mercutio , retirons-nous, les Capulet
sont sortis de leur maison ; si nous venons à nous ren-
contrer, jamais nous n'éviterons une querelle dans
ces ardeurs de l'été, le sang est bouillant et inflam-
mable.
MERCUTIO.
Tu ressembles à ces hommes, qui , en entrant dans
une taverne, prennent leur épée et la posent sur la
table, en disant : « Dieu me fasse la grâce de n'avoir
pas aujourd'hui besoin de toi. » Et bientôt, au second
verre de vin, les voilà aux prises avec le premier venu.
BENVOLIO.
Moi, je suis un de ces tapageurs ? Tu me calomnies?
ACTE TROISIÈME 31
MERCUTIO .
Tu as la tête chaude plus que personne d'Italie ; un
rien te donne de l'humeur, et, dans ta mauvaise hu-
meur, un rien te rend querelleur.
BENVOLIO .
Et à quoi revient ce propos?
MERCUTIO.
Oui, si tu rencontrais un autre homme de ton carac-
tère, il y aurait bientôt deux hommes de moins ; car
vous vous tueriez l'un l'autre . Toi , tu te prendrais de
querelle avec un homme pour un poil de plus ou moins
que toi à la barbe ; ta tête est pleine comme l'œuf, de
rixes et de querelles, et cependant elle devrait être
épuisée, après toutes celles qui en sont écloses . N'as-tu
pas cherché dispute à un homme, sur ce qu'il toussait
dans la rue, parce que cela éveillait ton chien qui dor-
mait au soleil ; à un artisan , parce qu'il portait son
habit neuf avant les fêtes de Pâques ; à un autre encore,
parce qu'un vieux ruban nouait ses souliers neufs? Et
tu veux me faire la leçon sur l'humeur turbulente ?
BENVOLIO.
Si j'étais aussi querelleur que toi, le premier venu
pourrait acheter ma vie entière le prix d'une heure au
plus.
MERCUTIO .
Si cher? Tu extravagues. (Tybalt , Pétruccio et autres Capulet
paraissent.)
SCÈNE II .
TYBALT .
Jeune homme, ce subterfuge ne me donnera pas sa-
tisfaction des outrages que tu m'as faits : ainsi reviens
sur tes pas, et mets-toi en défense.
ROMÉO.
Je proteste que je ne t'ai jamais offensé , et que je
t'aime plus que tu ne peux dire, en attendant que
tu puisses connaître le motif qui me fait te chérir .
Ainsi, brave Capulet, dont le nom m'est aussi cher que
le mien, calme-toi.
MERCUTIO.
O déshonorante, ô vile et froide soumission ! Tybalt,
veux-tu venir faire un tour avec moi ?
TYBALT .
Que veux-tu de moi?
MERCUTIO.
Rien de plus qu'une de tes vies, si tu en as neuf,
pour en parler, et après, selon que tu te conduiras, je
verrai à épuiser les huit autres.
TYRALT, tirant l'épée .
Je suis bon pour te répondre.
ROMÉO.
Honnête Mercutio, remets ton épée.
MERCUTIO .
Allons, voyons, ta botte. (IIs se battent.)
ROMÉO.
Prends ton épée, Benvolio. Désarmons-les. --- Braves
gens, c'est une honte : prévenez ce malheur. — Tybalt,
Mercutio ! Le prince a expressément défendu toute
querelle dans les rues de Vérone. Tybalt, arrête : cher
Mercutio !... (Tybalt blesse Mercutio, et s'en va.)
MERCUTIO.
Je suis blessé ! Malédiction sur ces deux maisons !
me voilà expédié. Est-ce qu'il est parti? N'a-t-il au-
cune botte ?
BENVOLIO.
Quoi, tu es blessé ?
MERCUTIO.
Oui, oui, une égratignure, une égratignure ! ah ! j'en
ai bien assez. Où est mon page ? Qu'on aille me cher-
cher un chirurgien .
34 ROMEO ET JULIETTE
ROMÉO.
Prends courage, ami, ta blessure ne peut être bien
dangereuse .
MERCUTIO.
Non, elle n'est pas aussi profonde qu'un puits, ni
aussi large que le portail d'une église ; mais elle est
passable, elle fera son effet : viens demain matin de-
mander de mes nouvelles, et tu me trouveras un
homme fort sérieux. Je suis poivré , j'en réponds, et je
puis dire adieu à ce monde. Malédiction sur vos deux
maisons ! Pourquoi diable êtes-vous venu vous jeter
entre nous deux ? J'ai reçu le coup par-dessous tonbras,
ROMÉO.
Je faisais pour le mieux .
MERCUTIO.
Aide-moi, Benvolio, à me conduire dans quelque
maison voisine, ou je vais m'évanouir. Malédiction
sur vos deux maisons ! Elles m'ont dépêché pour l'au-
tre monde. Oh ! j'ai la botte et bien à fond : malédic-
tion sur vos deux maisons ! (Mercutio et Benvolio sortent.)
ROMÉO.
C'est pour moi que ce brave homme, le proche pa-
rent du prince, mon intime ami , a gagné cette bles-
sure mortelle : ma réputation est entachée par l'affront
que me fait Tybalt ; Tybalt, qui , il y a une heure, est
devenu mon parent. O chère Juliette, ta beauté a fait
de moi un homme efféminé ; elle a amolli la trempe
vigoureuse de mon courage.
SCÈNE IV.
SCÈNE V.
SAMSON.
Par quelle rue s'est-il enfui celui qui a tué Mercu-
tio? Tybalt, cet assassin, par où s'est-il sauvé ?
BENVOLIO.
Le voilà gisant, ce Tybalt.
LE PRINCE.
Où sont les vils auteurs de cette querelle?
BENVOLIO.
Noble prince, je suis en état de vous raconter tout
la malheureuse suite de cette fatale rixe . Voilà cel
36 ROMÉO ET JULIETTE
SCÈNE VI.
FRÈRE LAURENCE .
Sors de ta retraite , ô Roméo ! Approche, homme ti-
mide ; l'affliction te chérit de passion, et la calamité
t'a épousé .
ROMÉO .
Mon père, quelles nouvelles ? Quel est l'arrêt du
prince? Quelle infortune que j'ignore encore veut s'at-
tacher à moi?
FRÈRE LAURENCE .
Ah ! mon fils que j'aime, cette affreuse compagne
n'est que trop familière avec toi . Je t'apporte la nou-
velle de l'arrêt du prince. :
3
JULIETTE
ROMÉO
ET
338 ROMÉO.
Eh bien, qu'a-t-il prononcé de plus doux que la
mort?
FRÈRE LAURENCE .
Un arrêt moins rigoureux est sorti de sa bouche : ce
n'est pas la mort, ce n'est que l'exil.
ROMÉO.
Ah ! l'exil! Aie pitié de moi ; dis la mort : l'exil
m'épouvante mille fois plus que la mort. Ah ! ne parle
point d'exil.
FRÈRE LAURENCE .
Tu es banni de Vérone. Apaise-toi : l'univers est
grand et vaste.
ROMÉO.
Hors des murs de Vérone, il n'est plus d'univers
pour moi ; le reste de la terre n'est plus qu'un séjour
de peines, de tourments ; c'est l'enfer. Banni de ce
lieu, je le suis du monde ; et être exilé du monde, c'est
ma mort sous un autre nom ; lui donner le nom d'exil
c'est me trancher la tête avec une hache dorée, et sou-
rire au coup qui m'assassine.
FRÈRE LAURENCE .
O coupable et féroce ingratitude ! pour ta faute, no-
tre loi demandait ta mort : mais le prince indulgent,
prenant ta défense, fait taire la loi , et change le mot
funeste de mort en celui d'exil : c'est une rare clé-
mence, et tu ne veux pas le voir.
ROMÉO.
C'est un supplice et non une grâce . Le ciel est en ces
lieux où vit Juliette. Son chien, les animaux les plus
vils de sa maison, habiteront avec elle , ils pourront la
voir, et Roméo ne le peut plus. L'insecte qui se nour-
rit de la corruption est plus heureux et plus privilé-
gié que Roméo . Il pourra s'emparer de la belle main
de ma Juliette, et ravir sur ses lèvres si pures, si ver-
meilles, un parfum digne des dieux ; et moi, il faut que
je fuie loin d'elle ! Roméo ne pourra jouir de ce bon-
heur ! il est banni . - N'as-tu pas quelque poison tout
prêt, quelque poignard affilé , quelque genre de mort
soudaine ? - Comment as-tu le cœur, toi, homme re-
ligieux et saint ; toi, qui guides les âmes ; toi , qui ab-
ACTE TROISIÈME 39
SCÈNE III.
LE MÊME, ROMÉO.
ROMÉO, entre.
Je vous salue, mon vénérable père.
FRÈRE LAURENCE .
Loué soit le Tout-Puissant ! Quelle voix me salue
avec tant de douceur ? - Mon fils, cette visite si mati-
nale suppose une âme troublée . Quel soin vous a
chassé si tôt de votre lit ? L'inquiétude établit son
ACTE DEUXIÈME 27
SCÈNE IV.
ACTE TROISIÈME
SCÈNE PREMIÈRE.
Une rue de Vérone.
BENVOLIO.
De grâce, cher Mercutio , retirons-nous, les Capulet
sont sortis de leur maison ; si nous venons à nous ren-
contrer, jamais nous n'éviterons une querelle dans
ces ardeurs de l'été , le sang est bouillant et inflam-
mable.
MERCUTIO.
Tu ressembles à ces hommes, qui, en entrant dans
une taverne, prennent leur épée et la posent sur la
table, en disant : « Dieu me fasse la grâce de n'avoir
pas aujourd'hui besoin de toi. » Et bientôt, au second
verre de vin, les voilà aux prises avec le premier venu.
BENVOLIO.
Moi, je suis un de ces tapageurs ? Tu me calomnies ?
ACTE TROISIÈME 31
MERCUTIO .
Tu as la tête chaude plus que personne d'Italie ; un
rien te donne de l'humeur, et, dans ta mauvaise hu-
meur, un rien te rend querelleur.
BENVOLIO .
Et à quoi revient ce propos?
MERCUTIO.
Oui, si tu rencontrais un autre homme de ton carac-
tère, il y aurait bientôt deux hommes de moins ; car
vous vous tueriez l'un l'autre. Toi , tu te prendrais de
querelle avec un homme pour un poil de plus ou moins
que toi à la barbe ; ta tête est pleine comme l'œuf, de
rixes et de querelles, et cependant elle devrait être
épuisée, après toutes celles qui en sont écloses . N'as-tu
pas cherché dispute à un homme, sur ce qu'il toussait
dans la rue, parce que cela éveillait ton chien qui dor-
mait au soleil ; à un artisan , parce qu'il portait son
habit neuf avant les fêtes de Pâques ; à un autre encore,
parce qu'un vieux ruban nouait ses souliers neufs? Et
tu veux me faire la leçon sur l'humeur turbulente ?
BENVOLIO.
Si j'étais aussi querelleur que toi, le premier venu
pourrait acheter ma vie entière le prix d'une heure au
plus.
MERCUTIO .
Si cher? Tu extravagues. (Tybalt , Pétruccio et autres Capulet
paraissent.)
SCÈNE II .
TYBALT .
Jeune homme , ce subterfuge ne me donnera pas sa-
tisfac tio n des outrag es que tu m'as faits : ainsi reviens
sur tes pas, et mets -toi en défense .
ROMÉO .
Je proteste que je ne t'ai jamais offensé , et que je
t'aime plus que tu ne peux dire , en attendant que
tu puisses connaître le motif qui me fait te chérir .
Ainsi , brave Capulet , dont le nom m'est aussi cher que
le mien, calme-toi.
MERCUTIO .
O déshonorante , ô vile et froide soumission ! Tybalt ,
i
veux -tu venir faire un tour avec moi ?
TYBALT .
e x
Qu veu -tu de mo ? i
MERCUTIO .
Rien de plus qu'une de tes vies , si tu en as neuf,
pour en parler, et après , selon que tu te conduiras , je
verrai à épuiser les huit autres.
TYRALT , tirant l'épée .
Je suis bon pour te répondre .
ROMÉO .
Honnête Mercutio , remets ton épée.
MERCUTIO .
Allons , voyons , ta botte . (IIs se battent.)
ROMÉO. ves
-
Prends ton épée , Benvolio . Désarmons -les. · Bra
gens , c'est une honte : prévenez ce malheur . - — Tybalt ,
Mercutio ! Le prince a expressément défendu toute
querelle dans les rues de Vérone . Tybalt , arrête : cher
Mercutio !... (Tybalt blesse Mercutio , et s'en va.)
MERCUTIO.
Je suis blessé ! Malédiction sur ces deux maisons !
me voilà expédié . Est-ce qu'il est parti ? N'a-t-il au-
cune botte ?
BENVOLIO .
Quoi , tu es blessé ?
MERCUTIO .
Oui, oui , une égratignure , une égratignure ! ah ! j'en
ai bien assez. Où est mon page ? Qu'on aille me cher-
cher un chirurgien .
34 ROMEO ET JULIETTE
ROMÉO.
Prends courage, ami, ta blessure ne peut être bien
dangereuse .
MERCUTIO .
Non, elle n'est pas aussi profonde qu'un puits, ni
aussi large que le portail d'une église ; mais elle est
passable, elle fera son effet viens demain matin de-
mander de mes nouvelles, et tu me trouveras un
homme fort sérieux. Je suis poivré , j'en réponds , et je
puis dire adieu à ce monde. Malédiction sur vos deux
maisons ! Pourquoi diable êtes-vous venu vous jeter
entre nous deux ? J'ai reçu le coup par-dessous ton bras,
ROMÉO.
Je faisais pour le mieux.
MERCUTIO.
Aide-moi , Benvolio, à me conduire dans quelque
maison voisine, ou je vais m'évanouir. Malédiction
sur vos deux maisons ! Elles m'ont dépêché pour l'au-
tre monde. Oh ! j'ai la botte et bien à fond : malédic-
tion sur vos deux maisons ! (Mercutio et Benvolio sortent .)
ROMÉO.
C'est pour moi que ce brave homme, le proche pa-
rent du prince, mon intime ami , a gagné cette bles-
sure mortelle : ma réputation est entachée par l'affront
que me fait Tybalt ; Tybalt, qui, il y a une heure, est
devenu mon parent. O chère Juliette, ta beauté a fait
de moi un homme efféminé ; elle a amolli la trempe
vigoureuse de mon courage.
SCÈNE IV.
SCÈNE V.
SAMSON.
Par quelle rue s'est-il enfui celui qui a tué Mercu-
tio ? Tybalt, cet assassin, par où s'est-il sauvé ?
BENVOLIO.
Le voilà gisant, ce Tybalt .
LE PRINCE.
Où sont les vils auteurs de cette querelle?
BENVOLIO.
Noble prince, je suis en état de vous raconter toute
la malheureuse suite de cette fatale rixe . Voilà celui
36 ROMÉO ET JULIETTE
SCÈNE VI.
FRÈRE LAURENCE.
Sors de ta retraite, ô Roméo ! Approche, homme ti-
mide ; l'affliction te chérit de passion, et la calamité
t'a épousé .
ROMÉO.
Mon père, quelles nouvelles ? Quel est l'arrêt du
prince? Quelle infortune que j'ignore encore veut s'at-
tacher à moi?
FRÈRE LAURENCE .
Ah! mon fils que j'aime, cette affreuse compagne
n'est que trop familière avec toi. Je t'apporte la nou-
velle de l'arrêt du prince. :
3
JULIETTE
ROMÉO
ET
388 ROMÉO.
Eh bien, qu'a-t-il prononcé de plus doux que la
mort?
FRÈRE LAURENCE.
Un arrêt moins rigoureux est sorti de sa bouche : ce
n'est pas la mort, ce n'est que l'exil.
ROMÉO.
Ah ! l'exil ! Aie pitié de moi ; dis la mort : l'exil
m'épouvante mille fois plus que la mort. Ah ! ne parle
point d'exil.
FRÈRE LAURENCE .
Tu es banni de Vérone. Apaise-toi l'univers est
grand et vaste.
ROMÉO.
Hors des murs de Vérone, il n'est plus d'univers
pour moi ; le reste de la terre n'est plus qu'un séjour
de peines, de tourments ; c'est l'enfer. Banni de ce
lieu, je le suis du monde ; et être exilé du monde , c'est
ma mort sous un autre nom ; lui donner le nom d'exil
c'est me trancher la tête avec une hache dorée, et sou-
rire au coup qui m'assassine.
FRÈRE LAURENCE.
O coupable et féroce ingratitude ! pour ta faute, no-
tre loi demandait ta mort : mais le prince indulgent,
prenant ta défense, fait taire la loi , et change le mot
funeste de mort en celui d'exil : c'est une rare clé-
mence, et tu ne veux pas le voir.
ROMÉO.
C'est un supplice et non une grâce. Le ciel est en ces
lieux où vit Juliette. Son chien, les animaux les plus
vils de sa maison, habiteront avec elle, ils pourront la
voir, et Roméo ne le peut plus. L'insecte qui se nour-
rit de la corruption est plus heureux et plus privilé-
gié que Roméo . Il pourra s'emparer de la belle main
de ma Juliette, et ravir sur ses lèvres si pures, si ver-
meilles, un parfum digne des dieux ; et moi, il faut que
je fuie loin d'elle ! Roméo ne pourra jouir de ce bon-
heur! il est banni . - N'as-tu pas quelque poison tout
prêt, quelque poignard affilé , quelque genre de mort
soudaine ? - Comment as-tu le cœur, toi , homme re-
ligieux et saint ; toi , qui guides les âmes ; toi , qui ab-
ACTE TROISIÈME 39
SCÈNE III.
LA NOURRICE, en dehors.
Laissez-moi entrer, et vous saurez l'objet de mon
message. Je viens de la part de Juliette.
FRÈRE LAURENCE.
Ah ! soyez la bienvenue,
LA NOURRICE , entrant.
O saint homme, oh ! dites-moi , homme de Dieu, où
est l'époux de ma maîtresse ! Où est Roméo ?
FRÈRE LAURENCE.
Le voilà sur le pavé, noyé dans ses larmes .
LA NOURRICE.
Oh! il est dans le même état que ma maîtresse ; dans
le même état ! O funeste sympathie ! Ô ô objet de pitié !
Voilà comme elle est étendue, le visage tout gonflé,
tout inondé de pleurs. (A Roméo .) Levez-vous , levez-vous,
levez-vous et montrez-vous homme. Au nom de Ju-
liette, pour l'amour d'elle, levez-vous , et restez de-
bout pourquoi vous abîmer dans un si profond ...
ROMÉO, relevant la tête.
Ah! nourrice !...
LA NOURRICE .
Ah ! Roméo, Roméo ! -La mort est le terme de tout.
ROMÉO, se relève.
Parles-tu de Juliette ? En quel état est-elle ? Depuis
que j'ai souillé de sang l'aurore de notre bonheur, ne
me regarde-t-elle pas comme un assassin de profession,
et tout prêt à verser le sien ? Où est-elle ? et quel est
son état ? Que dit mon épouse à nos secrètes amours ?
LA NOURRICE .
Ah ! elle ne dit rien, Roméo ,; mais elle pleure, et
ACTE TROISIÈME 41
puis elle pleure : tantôt elle tombe sur son lit, tantôt
elle se relève en sursaut, et elle appelle Tybalt, et puis
elle appelle Roméo et elle retombe aussitôt sur son lit.
ROMÉO, redevient furieux.
J'entends ; le nom de Roméo est pour elle un coup de
foudre qui la tue, comme la main maudite de Roméo a
tué son cousin . --- Dis-moi, religieux, dis-moi à quelle
vile partie de ce corps est attaché mon nom. Dis-le
moi, que je le détruise avec son odieux asile. (11 tire
son épée).
FRÈRE LAURENCE, la saisissant.
Arrête ta main désespérée . Es-tu un homme ? Ta
figure l'annonce ; mais tes pleurs sont d'une femme, et
tes gestes féroces décèlent toute la fureur d'une bête
privée de raison. Tu as tué Tybalt, eh bien ! veux-tu
te tuer toi-même, et du même coup ton épouse qui vit
de ta vie, en commettant sur ta personne l'horrible at-
tentat de la haine ? Tu veux offenser à la fois la nature,
et le ciel et la terre. Honte ! honte ! tu déshono-
res ta forme humaine, ton amour et ta raison. Riche
possesseur de ces trois trésors, qui appartiennent à ton
existence ; comme l'avare, tu ne fais d'aucun le vérita-
ble usage qui leur convient . Ta personne, en perdant
le courage qui caractérise l'homme, n'offre plus qu'un
simulacre de cire. - Allons, homme, reprends cou-
rage ta Juliette est vivante, ta Juliette, pour l'amour
de qui tu étais mort il n'y a qu'un moment ; n'es-tu pas
heureux en ce point? Prends-y garde, prends-y garde,
tes pareils meurent misérables.
LA NOURRICE.
O mon vénérable père ! je resterais ici toute la nuit à
entendre vos sages conseils. Oh ! ce que c'est que la
science ! (A Roméo.) Mon cher maître , je vais annoncer à
ma maîtresse que vous allez venir.
ROMÉO.
Allez, et dites à ma douce amie de se préparer à me
faire bien des reproches.
LA NOURRICE.
Voici, seigneur, un anneau qu'elle m'a chargé de
vous donner. Hâtez-vous, faites la plus grande dili-
gence ; car la nuit est déjà bien avancée .
42 ROMEO ET JULIETTE
ROMÉO.
Oh ! comme ce don de Juliette ranime mon courage.
FRÈRE LAURENCE .
Partez ; nuit heureuse. Fixez votre séjour à Mantoue .
Donnez- moi votre main, il est tard : adieu ; nuit heu-
reuse.
ROMÉO.
Si une joie au-dessus de toutes les joies ne m'appe-
lait pas loin de vous, ce serait un grand chagrin pour
moi de m'en séparer si brusquement. ( Ils sortent. )
SCÈNE VIII .
JULIETTE.
Veux-tu donc déjà me quitter ? Le jour est encore
loin de paraître : c'était le rossignol, et non l'alouette ,
dont la voix a frappé ton oreille inquiète. Toute la
nuit il chante là-bas sur ce grenadier : crois-moi , mon
amant, c'était le rossignol.
ROMÉO.
C'était l'alouette qui annonce l'aurore, et non pas le
rossignol : vois, ma bien-aimée, ces traits de lumière,
jaloux de notre bonheur, qui percent ces nuages vers
l'orient tous les flambeaux de la nuit sont éteints ; et
le riant matin sur la cime des monts nébuleux, un
pied levé, se balance prêt à s'élancer. Il me faut ou
partir et vivre, ou rester et mourir.
JULIETTE .
Non, cette clarté n'est point le jour, j'en suis sûre ;
c'est quelque météore qu'exhale le soleil pour te servir
de flambeau cette nuit , et t'éclairer dans ta route vers
Mantoue. Demeure encore un moment, tu ne partiras
point si tôt.
ROMÉO.
Eh bien, qu'on me surprenne ici, qu'on me conduise
à la mort, je suis content, si tu le veux ainsi. Je dirai
ACTE TROISIÈME 43
SCÈNE IX .
ROMÉO.
Adieu : je ne laisserai échapper aucune occasion de
te faire passer, ô ma bien-aimée ! mon salut et mes
vœux .
JULIETTE.
Ah ! crois-tu que nous nous revoyions jamais ?
ROMÉO.
Je n'en doute point, et un temps viendra, où tous
les maux que nous souffrons aujourd'hui feront le sujet
de nos doux entretiens .
JULIETTE.
O Dieu! j'ai une âme qui pressent le malheur : il me
semble que je te vois, maintenant que tu es descendu ,
comme un mort couché au fond d'un tombeau ; ou ma
vue se trouble, ou tu me parais pâle.
ROMÉO.
Et toi aussi, mon amante, tu parais de même à mes
yeux. - Le chagrin dessèche et boit notre sang : adieu,
adieu.
(Juliette tend les bras à Roméo, qui achève de se précipiter au bas de la
muraille. Juliette se couvre le visage, et rentre . Au bout d'un mo-
metn, Roméo s'éloigne à pas lents, les yeux toujours fixés sur la
fenêtre.)
ACTE QUATRIÈME
SCENE PREMIÈRE .
JULIETTE seule dans un fauteuil, peu à peu elle reprend ses sens.
LA SIGNORA CAPULET.
LA SIGNORA CAPULET.
Eh bien, Juliette, votre santé ?
JULIETTE .
Madame, je ne suis pas bien.
LA SIGNORA CAPULET.
Toujours pleurant la mort de votre cousin ? Eh quoi,
ACTE QUATRIÈME 45
SCENE II.
CAPULET.
Eh bien, ma fille : quoi , toujours dans les pleurs ?
Ma femme, est-ce que vous ne lui avez pas annoncé
notre résolution ?
LA SIGNORA CAPULET.
Oui, seigneur ; mais elle ne veut point d'époux ; elle
vous remercie.
CAPULET, furieux.
Comment, elle ne veut point de mari ? Elle ne nous
remercie pas ? Elle n'est pas fière et joyeuse de ce que
nous lui avons ménagé un si digne cavalier pour
époux !
JULIETTE.
Non, je ne suis pas joyeuse ; mais je suis reconnais-
sante envers vous : non, je ne peux jamais être joyeuse
de la possession d'un objet que je hais ; mais je suis
reconnaissante pour la haine même, qui, dans l'inten-
tion, est amour .
CAPULET.
Oh, vraiment, vraiment ! Quelle fine logique ! Qu'est
ceci ? (Contrefaisant son ton .) Je vous remercie, et je ne vous
ACTE QUATRIÈME 47
SCENE III.
FRÈRE LAURENCE .
Malheureuse fille!
JULIETTE .
Vous, mon père ! C'est la Providence qui vous en
voie.
FRÈRE LAURENCE.
Votre mère....
JULIETTE.
Allez ; fermez bien la porte, et quand vous l'aurez
fait, venez pleurer avec moi , qui suis sans espoir, sans
ressource, sans secours .
FRÈRE LAURENCE .
O Juliette ! je connais déjà vos chagrins. Ils me met-
tent hors de moi . J'apprends que vous devez être ma-
riée à ce comte jeudi prochain , et rien ne peut éloigner
ce jour.
JULIETTE .
Si votre prudence n'a point de secours à m'offrir,
alors approuvez seulement ma résolution, et avec ce
poignard je vais me secourir à l'heure même . Dieu a
uni mon cœur à celui de Roméo ; vous, nos mains ; et
avant que cette main, scellée par vous dans la main
de Roméo, se prête à former un autre nœud, avant que
mon cœur fidèle, trahissant son premier choix, l'aban-
donne pour un autre, ce fer me détruira.
FRÈRE LAURENCE .
Arrêtez, ma fille, j'entrevois un rayon d'espérance;
mais il faut une action aussi désespérée que l'est le
malheur que nous voulons prévenir. Si, plutôt que
d'épouser le comte Paris, vous avez la force de vou-
loir vous tuer vous-même, et vous sauver par la mort
de cette ignominie, il est vraisemblable que vous au-
rez aussi la force de tenter un expédient qui ressem-
ble à la mort. Si vous avez ce courage, je vous don-
nerai un moyen .
ACTE QUATRIÈME 51
JULIETTE.
Oh ! plutôt que d'épouser Paris , je suis prête à tout.
FRÈRE LAURENCE .
Eh bien, retournez à la maison paternelle , montrez
un air joyeux, consentez à épouser Paris. Ce soir, fai-
tes en sorte qu'on vous laisse seule dans votre cham-
bre . Prenez cette fiole, et lorsque vous serez au lit,
avalez ce breuvage jusqu'à la dernière goutte . Sou-
dain coulera dans toutes vos veines une froide et as-
soupissante humeur, qui glacera les esprits de la vie :
le pouls, interrompant son mouvement naturel, ces-
sera de battre. Nulle chaleur; nul souffle n'attestera
que vous vivez . Chaque partie de votre corps , privé
du principe qui l'anime, paraîtra roide, inflexible et
froide comme dans le trépas. Vous resterez quarante-
deux heures sous cette image d'une mort parfaite : ce
temps passé, vous vous réveillerez , comme d'un som-
meil agréable. Le lendemain votre nouvel époux vien-
dra dès le matin pour hâter votre lever et il vous trou-
vera morte dans votre lit. Alors, suivant nos usages ,
parée dans votre cercueil de vos plus beaux atours , et
le visage découvert, vous serez portée pour être ense-
velie dans le tombeau de votre famille : vous serez
placée sous cette même voûte antique, où reposent
tous les descendants des Capulet. Dans l'intervalle , et
avant que vous soyez réveillée , Roméo , instruit de
tout par mes lettres, viendra dans cette ville ; lui et
moi nous épierons le moment de votre réveil, et cette
nuit-là même Roméo vous emmènera d'ici dans Man-
toue. Voilà l'expédient qui vous préservera de l'igno-
minie dont vous êtes menacée.
JULIETTE.
Donnez, oh ! donnez-moi ! Ne me parlez pas de
crainte . (Elle prend la fiole).
FRÈRE LAURence.
Allons, partez que le courage et le bonheur vous
accompagnent dans cette résolution. J'enverrai à Man-
toue un religieux porter rapidement notre message à
votre époux .
JULIETTE.
Amour, donne-moi le courage ; c'est du courage que
52 ROMEO ET JULIETTE
SCÈNE IV.
LA NOURRICE .
Tenez, voyez comme elle revient du monastère avec
un visage riant.
CAPULET .
Eh bien, fille rebelle , où avez -vous été courir ?
JULIETTE.
Où j'ai appris à me repentir de ma coupable déso-
béissance à mon père et à ses ordres . Le père Laurence
m'a enjoint de tomber ici à vos genoux (Elle tombe à
genoux.) et d'implorer votre pardon ; mon père , je vous
en conjure désormais je melaisserai toujours gouver-
ner par vos volontés.
CAPULET.
Comte, vous l'avez entendue . Demain se feront les
noces .
PARIS .
Juliette, ce que vous faites me rend l'homme le plus
heureux de la terre .
JULIETTE.
Seigneur, tout ce que peut donner un chaste amour,
sans passer les bornes de la pudeur, je vous l'accorde.
CAPULET.
Allons, j'en suis réjoui : tout est à merveille : conti-
nuez les choses vont comme elles doivent aller.
Venez dans mes bras. (A un domestique. ) Allez, et dites-lui
de venir ici . En vérité, après Dieu , toute notre ville a
de grandes obligations à ce respectable religieux . C'est
un grand homme. Nourrice , apprêtez toutes ses paru-
res. Demain nous irons à l'église , il faut y penser.
LA SIGNORA CAPULET.
Nous serons bien courts dans nos provisions : la
nuit est déjà prête à tomber.
ACTE QUATRIÈME 53
CAPULET.
N'ayez point d'inquiétude ; je me donnerai du mou-
vement , et tout ira bien , je vous le garantis, ma femme.
Allez rejoindre Juliette, aidez-la dans sa toilette ; je
ne me couche point cette nuit. Laissez-moi seul. Je me
charge du rôle de la ménagère pour cette fois. — Et
vous, comte, prenez garde que le sommeil ne vous tour-
mente pas demain. - Mon cœur est merveilleusement
léger, depuis que cette fille égarée est rentrée dans son
devoir. (il sort avec Pâris.)
JULIETTE .
Bonne nourrice , je vous prie , laissez-moi seule cette
nuit : j'ai besoin de faire au ciel bien des prières , pour
en obtenir un regard propice sur ma situation , qui,
vous le savez, est pleine d'erreurs et de péché .
LA SIGNORA CAPULET, entre.
Eh bien, êtes- vous bien embarrassée ? Avez-vous be-
soin que je vous aide ?
JULIETTE.
Non, madame : nous avons fait un choix des atours
nécessaires et les mieux assortis à la cérémonie. Si c'est
votre bon plaisir, laissez-moi seule maintenant , et que
ma nourrice veille cette nuit avec vous : car, j'en suis
sûre, tous vos gens sont bien occupés, dans une fête
qui se fait si précipitamment.
LA SIGNORA CAPULET.
Bonne nuit allez vous mettre au lit, et vous repo-
ser : vous en avez besoin . (Elle embrasse Juliette. La signora
Capulet et la nourrice sortent.)
JULIETTE, les regardant aller.
Adieu. -Dieu sait quand nous nous reverrons. (Elle
ferme la porte. ) Je sens courir dans mes veines le froid de
la peur ; il glace mes sens et mon cœur ! Il faut que je
les rappelle, pour me rassurer . (D'une voix tremblante .)
Nourrice ! - Ah ! qu'a-t-elle besoin ici ? Il faut que
j'exécute seule mon effrayante scène . (Elle se saisit de la
fiole. ) Viens, fiole. - Si ce breuvage n'opérait aucun
effet, serais-je donc malgré moi contrainte d'épouser le
comte ? Non, non ; ce fer m'en préservera ; toi , repose
ici. (Déposant un poignard à côté d'elle.) = Mais si c'était un
poison que le religieux m'eût adroitement fourni, pour
54 ROMÉO ET JULIETTE
SCÈNE V.
LA NOURRICE, à demi-voix.
Ma maîtresse ! allons , chère maîtresse. Juliette ! -
Elle dort profondément, j'en suis sûre. - Eh bien,
mon ange, quoi ! Si paresseuse ! Allons, mon amour,
levez-vous , vous dis-je. (Plus haut .) Madame ! ma douce
âme : eh bien ! votre époux... Quoi ! pas le mot . (Elle
ouvre les rideaux, et voit Juliette toute habillée. ) Comment ! toute
habillée et déjà prête ! (Elle . lui soulève la tête) et elle
retombe encore ! Il faut nécessairement que je vous
réveille : madame, madame, Juliette ! — - Hélas ! hélas !
(Elle lui découvre le visage.) Du secours ! du secours ! Ma maî-
tresse est morte. O malheureux jour, faut-il que je sois
jamais née ! Quelque eau salutaire ! Oh ! seigneur, oh !
madame. (La signora Capulet accourt à ses cris.)
LA SIGNORA CAPULET.
Quels sont donc ces cris?
CAPULET.
Qu'y a-t-il?
LA NOURRICE, montrant le lit.
Voyez. - O funeste jour !
LA SIGNORA CAPULET.
Oh! Elle est morte! ...
CAPULET, entre empressé.
Juliette !
FRÈRE LAURENCE.
Leur douleur m'étreint le cœur. Qui sait si ce n'est
pas l'aurore d'une paix prochaine ?
CAPULET.
Laurence ! Laurence !
FRÈRE LAURENCE.
Séchez vos larmes. Dans ces pertes, si la tendre et
faible nature commande nos larmes, la raison plus
éclairée sourit aux larmes que verse la nature.
56 ROMEO ET JULIETTE
ACTE CINQUIÈME
SCÈNE PREMIÈRE.
ROMÉO.
En est-il ainsi? -- A présent, je te défie, fatale des-
tinée. - (A Baltazar. ) Tu connais ma demeure. Va.....
apporte-moi de l'encre et du papier, et fais-moi pré-
parer des chevaux : je pars de ces lieux cette nuit.
BALTAZAR.
Excusez-moi, seigneur ; mais je n'ose vous laisser
seul : vos yeux ternes et farouches semblent annoncer
quelque dessein funeste.
ROMÉO.
Va, tu te trompes. Laisse-moi , et fais ce que je t'or-
donne. - N'as-tu point de lettre du religieux pour
moi?
BALTAZAR.
Non, mon cher maître.
ROMÉO.
N'importe. Pars , et songe à m'amener des chevaux :
je te rejoins dans le moment. (Baltazar sort. ) Oui , Juliette,
je vais reposer avec toi cette nuit : cherchons les
moyens. - O idée de destruction ! que tu es prompte
à entrer dans les pensées de l'homme au désespoir.
(11 rêve.) Je me souviens d'un apothicaire, qui demeure
ici aux environs ; je l'ai remarqué dernièrement , il était
couvert de méchants lambeaux. Des yeux caves sous
d'épais sourcils : il triait des simples ; un visage have
et maigre. L'affreuse misère l'avait rongé jusqu'aux os.
La boutique ressemblait au maître. En voyant sa pro-
fonde misère, je me disais à moi-même : Si un homme
avait besoin de poison , quoique la vente en soit punie
de mort à Mantoue, voilà un malheureux qui lui en
vendrait. Oh ! cette pensée était donc un pressentiment
du besoin que j'étais près d'en avoir, et il faut que ce
misérable m'en vende . - - Autant que je m'en souviens ,
c'est ici sa demeure. - Comme c'est aujourd'hui une
fête, la boutique du pauvre hère est fermée. Holà !
holà, apothicaire !
58 ROMÉO ET JULIETTE
SCÈNE II.
LE MÉME, L'APOTHICAIRE .
L'APOTHICAIRE, paraissant.
Qui m'appelle de ce ton?
ROMÉO.
Homme, approche. Je vois que tu es pauvre : tiens,
voilà quarante ducats : donne- moi un drachme de
poison, mais d'un poison violent et prompt, qui se
répande dans toutes les veines avec tant d'activité, que
l'homme lassé de vivre, qui l'aura pris, tombe mort,
et que la vie soit chassée du corps avec la violence de
la poudre, qui s'enflamme et se précipite des flancs du
bronze homicide .
L'APOTHICAIRE.
J'ai de ces poisons mortels ; mais la loi de Mantoue
punit de mort quiconque en débite.
ROMÉO.
Quoi, tu es dénué de tout, en proie à l'indigence, et
tu as peur de mourir? La famine dévore tes joues ; le
besoin et la souffrance sont peints dans tes yeux ha-
gards ; la pauvreté et le mépris qui la suit sont atta-
chés à toi. Le monde ni les lois ne sont tes amis ; le
monde n'a point fait de lois pour t'enrichir : brave
donc ces lois, sors de ta misère et prends cet or.
L'APOTHICAIRE.
C'est ma pauvreté et non pas ma volonté qui l'ac-
cepte. (11 sort.)
ROMÉO.
C'est ta pauvreté que je paye et non ta volonté.
L'APOTHICAIRE, reparaissant.
Mettez cette drogue dans telle liqueur que vous vou-
drez ; buvez-la, et eussiez-vous la force de vingt hom-
mes ensemble, elle vous aura bientôt expédié.
ROMÉO.
Tiens, voilà ton or ; poison plus funeste pour le
cœur des mortels, et qui commet bien plus de meur-
tres dans ce monde abhorré , que ces chétives compo-
sitions que tu n'as pas la liberté de vendre . C'est moi
ACTE CINQUIÈME 59
SCÈNE III.
Un cimetière. -- Le tombeau des Capulet. --- Juliette dans son cercueil.
PARIS.
Page, donne-moi ton flambeau . Éloigne- toi et te
tiens à l'écart.- Non , remporte-le, je ne veux pas être
vu. Va te coucher là-bas sous ces cyprès et applique
ton oreille à la terre ; nul pied ne foulera le cimetière ,
que tu n'entendes ses pas. Si tu entends quelqu'un ap-
procher, avertis-moi par un coup de sifflet. ― Donne-
moi ces fleurs . Fais ce que je t'ordonne : va.
SAMSON, s'en allant.
Je suis effrayé de rester seul ici dans ce cimetière ;
cependant je vais m'y aventurer. ( Il s'éloigne .)
PARIS, jetant des fleurs à la porte du monument.
Tendre rose ! je sème des fleurs sur l'entrée de ton
lit. Belle Juliette, qui partages le séjour des anges , ac-
cepte ce dernier hommage de ma main. Vivante , je
t'honorais ; morte je viens rendre à ta tombe ces tristes
et derniers devoirs. (Samson siffle.) Mon page m'avertit que
quelqu'un approche ; quel pied sacrilége erre dans ces
lieux pendant la nuit ? Vient-on troubler mes tristes
fonctions et le culte d'un fidèle amour? O nuit ! cache-
moi un moment dans tes voiles. (Paris se retire et se cache
derrière le caveau .)
ROMÉO.
Donne-moi cette bêche et ce lourd levier ; toi , prends
cette lettre, et demain dès le jour songe à la remettre
à mon père. Donne-moi ton flambeau ; éloigne-toi
de moi , va-t'en. Si, poussé par un soupçon cu-
60 ROMÉO ET JULIETTE
rieux, tu reviens épier ce que j'ai dessein d'exécuter,
par le ciel, je te déchirerai en pièces, et je joncherai de
tes lambeaux ce cimetière affamé.
BALTAZAR.
Je vais me retirer, seigneur, et je ne vous troublerai
point.
ROMÉO.
C'est en m'obéissant que tu me prouveras ton atta-
chement. Vis et sois heureux. (Baltazar sort .) Toi , détes-
table gouffre, bouche de la mort, qui as englouti ce
que la terre avait de plus précieux , c'est ainsi que je
force tes barrières pourries à s'ouvrir. Tu dois être as-
souvie, mais je veux te gorger encore d'une nouvelle
proie. ( 1 frappe et ouvre le monument .)
PARIS.
C'est lui , c'est ce hautain Montaigu, ce banni, qui a
tué mon cousin, meurtre dont le chagrin, à ce qu'on
croit, a causé la mort de la belle Juliette . Sans doute,
il vient ici dans quelque lâche dessein, pour insulter à
ces cendres inanimées . Je veux le saisir. - Suspends
tes efforts impies, vil Montaigu ; peut-on poursuivre la
vengeance au delà de la mort ? Lâche proscrit, je te
saisis et t'arrête : obéis et suis-moi , car il faut que tu
meures .
ROMÉO.
Oui, il le faut, et c'est pour mourir que je suis ici.
Jeune homme, ne tente point un homme désespéré ;
fuis de ce lieu et laisse-moi. Vois tous ces morts, et
que leurvue t'épouvante. Je t'en conjure, jeune homme,
ne charge point ma tête d'un autre crime, en me for-
çant à la fureur. Oh ! va-t'en . Par le ciel, je t'aime plus
que moi-même, carje viens en ce lieu armé contre mes
jours. Ne m'arrête plus, va-t'en et dis que la pitié d'un
furieux t'a commandé de fuir.
PARIS.
Je brave ta pitié et je te saisis au corps comme un
coupable, qu'un dessein criminel a conduit en ce lieu.
ROMÉO.
Tu veux done me provoquer ? Eh bien ! songe à te
défendre, jeune homme. (Ils se battent ; Paris tombe près da
to mbeau.)
ACTE CINQUIÈME 61
LE PAGE.
O ciel ils se battent : je cours avertir les gardes de
la ville.
PARIS.
Oh ! je suis mort ! S'il te reste quelque pitié , ouvre la
tombe, et me couche à côté de Juliette.
ROMÉO.
D'honneur, je le ferai. (Il retourne le corps avec le pied.)
Laisse-moi parcourir tes traits. (A Paris . ) Donne- moi ta
main, toi, dont le nom était écrit avec le mien dans le
livre du malheur : je veux t'ensevelir dans un tombeau
glorieux. Que dis-je, un tombeau ! non , c'est un para-
dis, jeune infortuné, car Juliette y repose. O amante
adorée, ô mon épouse ! l'affreuse mort qui a sucé l'am-
broisie de ton haleine , n'a point eu le pouvoir de dé-
truire tes charmes : tu n'es pas encore conquise ; le
coloris de la rose est sur tes joues, et un vif incarnat
anime encore tes lèvres . Dis, Juliette , pourquoi es-tu
si belle encore? - Ici, je veux établir mon éternel re-
pos, et secouer enfin le joug des étoiles ennemies, en
me séparant de ce corps lassé du monde et de la vie.
-
(Au poison. ) Viens , ô toi ! guide sinistre et factieux pi-
lote du désespoir, briser sur les écueils ma barque fa-
--
tiguée d'errer. Poison, voici l'heure pour laquelle je
t'avais réservé . ( Il tire de sa poche un vase dans lequel est le poi-
son.) Voici pour boire à toi , ma bien-aimée. (11 boit le poi-
son.
on .) O mes yeux ! jouissez de votre dernier regard ;
mes bras, pressez-la pour la dernière fois contre mon
cœur ; et vous, mes lèvres, imprimez sur sa bouche un
chaste baiser. (Il se penche pour l'embrasser.) Arrêtons : elle
respire , elle s'agite !
JULIETTE, avec une voix lugubre.
Où suis-je? Défendez-moi.
ROMÉO, avec transport.
Elle vit, elle respire, elle parle, et nous pourrons être
heureux encore. O destin propice ! tu me payes dans ce
seul moment tous les maux que j'ai soufferts. - - Lève-
toi, ma Juliette, quitte ce séjour de ténèbres et d'hor-
reur ; tombe dans les bras de ton cher Roméo, viens
respirer la vie sur ses lèvres, et renais à la lumière et à
son amour. ( I lui prend la main. )
4
62 ROMÉO ET JULIETTE
SCÈNE DERNIÈRE.
(Tableau.)
FIN
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RAYE 1996
APR 18801996
CANCELLED