Mémoires D'une Idéaliste Tome 2 (... ) Meysenbug Malwida Bpt6k65589c
Mémoires D'une Idéaliste Tome 2 (... ) Meysenbug Malwida Bpt6k65589c
Mémoires D'une Idéaliste Tome 2 (... ) Meysenbug Malwida Bpt6k65589c
Idéaliste
MAlWiEA DE MEYSENBÛG
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«RNt5 ne CINQ POatHAlTS
PARIS
LIBRAIRIE FISCHBACHER
(SOCIÉtÉ ANONYME)
D'UNE IDÉALISTE
COULOMMIEKS
Imprimorio Pmji BHODAUD.
MÉMOIRES
D'UNE IDEALISTE
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Avec «if l'r.'f'-v <'i' H.UHtlKl. JW.VMD. imviib/v rfe
TOMK SKfiONI)
ORNE 06 CINQ PORTRAITS
PARIS
LîBft AïRIE F ISCHB AC HER
33, RUE DE
(SOCIÉTÉ ANONYME)
33
1900
MÉMOIRES
D'UNE IDÉALISTE
CHAPITRE XXV
La famille adoptive.
Kn revenant aux brouillards qui plancnl s*ui*
l'immense capitale comme un sombre oiseau de
proie, je songeais involontairement a Fidélio el au
chœur que chantent les prisonniers au moment de
retourner dans leur cachot, à cet air mélancolique
et douloureux « Adieu, belle lumière du soleil,
nous ne te reverrons plus. » Pour celui qui veut
voguer à pleines voiles vers les jouissances dont
rivent la plupart des hommes, pour celui qu'attirent
les contrastes d'une grande ville, et qui en fait
l'objet de son étude, pour celui, enfin, qui désire
vivre dans un grand centre, Londres peut être un
Eldorado vers lequel il revient avec joie. Mais celui
qui préfère écouter la brise et les vagues, et le
chant des oiseaux sous la feuillée, ou voir les grandes
pensées sur le monde naître de ta nuit «lu Chaos,
eelttMà, on reprenant romme umi IViigiviuigre tin
travail, eousidère son retour il Londres comme la
perle «liv s» liberté et le retour dans la prison.
.le ne trouvai que quelques-unes de m(.s élèves,
la saison n'étant pas eommeneée et la plupart îles
l'amilles étant encore lit eampajçne. Mais je repris
mes levons avee les petites ller/.en et je jouissais de
ees obères enfants, qui «*>lnit>nt comme des Heurs
dans mon oasis, l'n soir, je passais devant leur
maison, et comme je n'y avais pas été le matin,
j'entrai pour voir eomment elles allaient. Je trouvai
Mer/en avec elles dans l« salle à mander el je, vis
qu'il avait l'air triste et troublé. Lorsque je partis,
il m'accompagna, et tout à coup il fondit en larmes,
me disant que sa maison ne marchait pas. qu'il était
tourmenté de l'avenir des enfants, que son intérieur
n'était qu'une ruine et il répéta il plusieurs reprises:
Je n'ai pas mérité cela, je n'ai pas mérité cela! »
–«<
Je fus profondément émue de le voir dans cet
étal. C'est toujours pénible de voir pleurer un
homme, il plus forte raison un homme aussi peu
habitué que llerzen à des rlémonstrations sentimen-
tales; il était d'ailleurs toujours si absorbé par les
intérêts publics qu'on ne le croyait guère sensible aux
petits froissements de la vie privée. En même temps
sa confiance en moi me touchait, etlorsqu'il ajouta
« Donnez-moi un conseil » je lui promis de réfléchirà
la situation. Rentrée chez moi, je cherchai longue-
ment ce que je devais lui conseiller. Souvent les
enfants et la bonne m'avaientdemandé de venirm'ins-
taller chez eux, faisant des plans d'av enir, disant que
«•e serait une si bonne vie. D'outre part, l'idée me
{«"•liait île vi\re avec ces petites et d'entreprendre une
«ruvre d'éducation féconde, a» lieu du triste métier
dos Jetons particulières. Je n'avais pas voulu y atta-
cher ma pensée, je redoutais quelque nouvelle et pro-
l'onde affection. Le calme et la tristesse do mon iso-
lement me semblaient préférables aux souflVaueos
que peut. donner l'amour. J'en avais goAlé tuute
l'amertume, je savais sa puissance dévastatrice,
.l'avais trouvé lo calme et la liberté d'esprit, sinon le
bonheur. J'éprouvais ce bien-élre douloureux que
doit ressentir le marin échappé il lit tempête: son nuit
est brisé, ses voiles sont déchirées, son bien est
perdu, mais il est rentré au port. Devais-je m'exposer
encore une fois au destin cruel que la vie du cœur
réserve parfois? – Moi, qui me connaissais, moi,
qui avais mesuré la profondeur et l'exclusivisme de
mes sympathies, et qui savais qu'un lien de cœur
brisé déchirait mon être et mettait ma vie en
danger? Ici, il ne pouvait être question d'une situa-
tion de gouvernante, j'entrais de plein gré dans la
famille de mon choix, c'était une sœur allant • ïiez
son frère pour élever ses enfants orphelins et leur
tenir lieu de mère. Voilà comment j'entendais tenter
cette expérience et pas autrement. Les beaux yeux
des enfants m'attiraient comme des étoiles, me pro-
mettant un travail béni. L'élément intellectuel qui
entrait dans ma vie par mon commerce avec Herzen,
un échange d'idées, où ne se mêlerait rien de
cette hypocrisie dont la vie anglaise garde tou-
jours quelque trace, tout cela me fascinait. Il me
fallait tenir compte aussi de ma santé, trop faible
pour supporter un second hiver aussi fatigant que
lu premier. Je me mis donc a écrire à Herzen;
je. lui dis (jue sa douleur m'avait beaucoup tou-
chée et que mou désir de l'aider remportait sur
bien des hésitations; je lui offrais de me charger
complètement de l'éducation dos petites; j'ajoutais
qu'il me faudrait naturellement ôlre à demeure chez
lui, mais que je considérais ce parti comme un
devoir d'amitié; par conséquent, du jour où j'entrais
dans sa maison, toute obligation pécuniaire cessait
entre nous. Il mo faudrait donc donner quelques
leçons particulières au dehors, ce qui suffirait à mes
modestes besoins, et ainsi je pourrais me consacrer
tout entière à une œuvre dont le succès serait ma
seule récompense. Je terminais en disant qu'il allait
de soi que nous faisions ce contrat librement tous
deux, nous réservant l'un et l'autre le droit de le
dénoncer dès que cela nous paraîtrait désirable.
Je ne lardai pas a recevoir une réponse. Herzen
m'écrivait que cent fois il avait été sur le point de
me proposer cette combinaison, mais que des scru-
pules analogues aux miens l'avaient retenu jus-
qu'alors, un amour eflréné de l'indépendance, ce
bien suprême, seul débris après le naufrage de la
vie, et la crainte de tout commerce avec les hommes.
« J'ai peur de tout le monde, même de vous »,
disait-il, puis il ajoutait « Enfin, tentons l'épreuve!
vous me rendez le plus grand des services en sau-
vant mes enfants; je n'ai pas le don pédagogique,
je le sais, et ne me fais pas d'illusions sur ce point
mais je suis prêt à vous aider, à faire tout ce que
vous jugerez nécessaire. »
Maintenant qu'il avait triomphé de sa crainte
ombrageuse, il était pressé d'en venir à une solution,
et quelques semaines plus tard j'emménageai chez
lui. Je trouvai bien des réformes a faire dans l'édu-
cation des enfants, l'organisation de la maison, les
relations mondaines même, que Herzen avait laissé
se multiplier; il en soutirait au point d'en être
sérieusementimportuné, et il n'avait cependant pas
l'énergie dv mettre bon ordre, .le notai des lors
chez lui un trait de caractère étonnant chez un
homme irréductible dans la discussion, inébranlable
dans ses opinions, persévérant dans son labeur,
comme tous ceux pour qui le travail est l'affirmation
sacrée de leur force créatrice dans les aflaircs de
la vie quotidienne il reculait devant toute interven-
tion. Il aimait mieux endurer mille désagréments
que de régler les choses avec énergie; souvent il
devenait ainsi l'esclave des circonstances, lui qui
aimait son indépendance par-dessus tout. Sa maison
était le rendez-vous de nuées de réfugiés russes et
polonais; ils s'y livraient à une véritable prise de
possession, ils s'y sentaient les maîtres et y faisaient
la loi. Jamais, ni le jour ni le soir, on n'était à l'abri
de ces intrus; la vie de famille, la lecture ou la
causerie avec les enfants était à leur merci. C'est
Herzen qui en souffrait le plus et souvent
sa mau-
vaise humeur dégénérait en dépit. Je ne pouvais ni
approuver cet état de choses ni le tolérer à cause
des enfants et je le dis ouvertement à Herzen. Nous
eûmes à ce sujet de vives discussions. Je lui dis
courageusement que j'étais venue pour diriger ses
enfants dans la bonne voie, dans la mesure de
mes moyens, mais que je voulais aussi conserver
un père A s««> eufants et leur erêer, de concert
avec lui, une maison paternelle oit put germer la
bonne semence, qui porte ensuite ses fleurs et
ses* fruits. Avec, sa véracité, qui était un autre trait
de son enrmière, awe sa (Vnnehiso »\ reconnaître
ses (miles, il tivoua que rVlail par faiblesse qu'il ne
remédiait pas n ces abus et il nio donna pleins
pouvoirs pour y mettre un terme. Je lui conseillai
de choisir deux soirs par semaine pour recevoir,
mais do se réserver les autres soirées et ses après-
midi en donnant il ce sujet dos ordres formels, afin
qu'on eut uno bonne fois une vie tranquille. Il trou-
vait qu'une soirée suffisait, et bientôt nous eûmes
la paix. Cette réforme m'attira naturellement beau-
coup d'ennemis; les nombreuses relations de Herzen
n'avaient pas vu mon entrée dans la maison avec
plaisir, et craignaientde voir diminuer leur influence.
.le ne devais pas échapper A leur vengeance.
Il vit de soi qu'il y eut quelques exceptions, et
certains amis gardèrent leur libre accès à la mai-
son ils n'abusèrent pas de cette faveur. Parmi
ceux-là, il y en avait plusieurs avec lesquels je me
liai plus lard. Je remarquai surtout un Polonais
qui avait l'air d'un martyr et qui m'inspirait autant
de pitié que de vénération. C'était Stanislas Wor-
cell. Il appartenait à l'une des plus grandes familles
de Pologne; à son berceau, les députations d'une
trentaine de villages étaient venues porter à ses
parents les hommages et les félicitations de leurs
sujets. Pendant soa enfance et son adolescence, ne
mangeant que sur de la vaisselle plate, entouréjle
domestiques, il avait grandi nu milieu «lu luxe. Mais
si sa vie était somptueuse, suit éducation l'ut soignée;
il avait des connaissances tt^s étendues; «-'était un
hummo vraiment cultivé, ICn même temps c'était un
|inti'itite fanalitpic. «ver une teinte do mysticisme
que j'ai mieux comprise en lisant les poêles polonais,
MrçUiewiez et d'autres, I.a Pologne était l'étoile
mystique qui soutint htttw «le WoreHI «lans un exil
cruel oil rien ne lui fut épargné. Miche, considéré,
marié, pèm de plusieurs enl'anls, il avait tout twri-
(ié à l'indépendance de sa patrie, quand In Hévo-
Intion avait éclaté. Après le triomphe de rétningor,
il ne lui restait comme il tant d'autres que l'exil,
mais ce qui le lui rendit particulièrement amer, ce
fut lit trahison «le sa femme <>t de ses cnfanls; au
lieu de le suivre, ils passèrent dans te camp ennemi,
oil on les combla d'honneurs, le traître était l'allié
naturel du tyran. Les traces de celle douleur cui-
sante se lisaient sur son noble visage, sillonné «le
rides profondes. Mais jamais un mot sévère ne passa
ses lèvres; jamais il ne parlait <l«»s siens qui vivaient
dans l'éclat de la faveur impériale il Sainl-I'élers-
bourg, tandis qu'il vivait dans la misère et l«is pri-
vations. Il avait le noble orgueil du juste, qui ne
tait pas montre de ses blessures; jamais il ne s«*
plaignait; quand on le rencontrait, il était toujours
le même, un esprit fin, vif, distingué, parl.-inl toutes
les langues modernes avec une rare perfection,
causant d'une manière brillante, grAce à son esprit
philosophique et à ses vastes connaissances. II
donnait des leçons de mathématiques et des leçons
– dt\ langues; -c'est en -sa -qualité dp, piolcsso»»- -de –
mathématiques,qu'il venait cites le fils de Herzen;
eelui-ei l'appréciait fort; c'est lui qui le premier
témoigna lu plus chaude sympathie à Iler/en lorsque
celui-ci réalisa un plan élaboré depuis longtemps et
fonda » Londres une presse russe destinée & eom-
litiltre le despotisme en Russie. Pour se distraire du
Hingrin «|iie lui «vaienl couse la ntoii de sa leinme
.el dnulres parles douloureuses, Hcnten avuit tenté
jd'olVrit'n Londres un asile ft In pensée russe asservie.
Ue l'élraniçer celle pensée, francUênwnt espriméo,
d«nait retourner dans sa patrie pour venger les
opprimés, répandre la lumière ot annoncer des
temps meilleurs. Herzen avait con<;u ce plan tout
seul; e'est seul, avec ses propres ressources, <pi 'il
voulut le mettre à exécution. C'est un Polonais,
r.'est Woreell, qui fut le premier a comprendre la
portée «le ce projet; il vint au-devant de lui en
mettant à sa disposition les moyens dont disposait
l'émigration polonaise pour répandre des pamphlet»
en Pologne et en Russie. Comment cet homme si
noble, il l'àme si élevée, eût-il pu juger autrement
celte entreprise? Herzen débutait par un aveu plein
de regrets, déplorant les torts de la Russie envers
la Pologne; il tendait une main fraternelle aux
opprimés, pour entreprendre avec eux la lutte contre
l'ennemi commun, le despotisme qui pesait sur la
Russie comme sur la Pologne. J'étais là quand
Woreell reçut de la main de Herzen ia première
feuille russe imprimée à Londres et je partageai la
joie émue de ces deux hommes. Je voyais ainsi lever
une semence de liberté dans un coin de la libre
Albion. Xonglemps ava»U4e€onBaHre ffcrzen;iîlnë~
semblait que la Russie et l'Amérique seraient le
champ d'expérience où les nlccs socialistes vioit-
luttes.
draient a se développer, tandis qu'eu KurojH», ou
elles sont nées, elles n'ont fait que soulever des
luttos, J'étais
J etnis «rrh~c cette conclusion
arrivée A cCUC! en jctnnt
ronClllsittn un jetant
un coup d'util sur la carte. La vieille Kitrope, si
déchiquetée., faite- pour l'individualisme, devait
donner naissance a des nationalités, à des gouver-
nements et à des conceptions sociales très diffé-
rentes. Mais le trait essentiel de l'histoire moderne,
l'union des masses, la coopération des forces, l'asso-
ciation des moyens île culture me semblait trouver
un terrain plus favorable dans les immenses conti-
nents de l'Amérique et de la Hussie. La facilité des
entreprises agricoles et industrielles semble y inviter
les forces humaines il s'unir pour réaliser les théories
humanitaires du siècle. Os théories sont la négation
de la proposition de Malthus, qui dit que tous ne sont
pas conviés au banquet de la vie. Mlles affirment
tout au contraire que celui qui travaille doit jouir.
Depuis que je connaissais Herzen ces idées n'avaient
fait que s'atlermir et se développer, grAce la ce qu'il
me disait de la commune russe cette commune,
avec sa possession de la terre en commun, me
semblait résoudre le terrible problème du prolé-
tariat qui menace l'Europe comme une nuée ora-
geuse. Quiconque possède assez de terre pour se
nourrir, soi et les siens, n'a pas à souffrir. Cela me
semblait à la fois l'indication du mal et son remède.
Avec ma conception de la question, la généreuse
entreprise de Herzen me semblait fort importante.
Uir paysnfoifitt^rg^ïHs^iôn~lon1itàlJïêiïtaïëhëlût*îâir~
résoudre lo question soeïule, n'avait besoin que de
se «l«*livivr «lu despotisme pour éveiller a la vie
toute* les forces «lu pays,
Woreell ne fut pas seul à saluer IVuvre de Horzou
avec enthousiasme. Miehelet écrivait à t'wllo oeci»-
siitn •< <JiU'llt» liaino serai! jusliliôe tlcsonnnis si
los IV»l«niais el U>s Itussos s'uiiisscnl?»
Mais tuu.s ios l'oloiuiis nVluient ut «u»si symjM»-
li«|m«s ni aussi di^tingu^s i|iu» Woitvll, et jViw
ltioiitùt ft l'niro A mes «lôjions lVxpilweuço ik* lu basse
«•n vie et des inlrïgnos <|tii ivgimionl itiuis eolio t>mi-
fcrnlion. l'uc l'iunillo polonaise «jne lloiv.on «:onn»i.s-
stiil et «lonl les enliinls vovni«inl lieaiH'ouj» les siens,
sVlnit iiiUnieiuenl liée avec la bonne <lo e<>u.vci. On
l'invitait souvent nvec les rnfniits, on la traitait
tout a lait en vgnh* et on espérait sans doute exercer
par là un» inlluenee dans la maison. Ait début, on
fut très aimable avec moi, on vouait me voir, on
m'invitait cl on eût peut-être ét«; bien aise de me
gagner. Mais lit la mille nu m'était pas sympathique;
elle n'avait pas la dignité dans ta malheur qui
m'avait frappée chez Worcell, elle portait les revers
avec ostentation. Je ne pouvais m'empecher de son-
rire quand le père ou quelque autre membre de la
famille venait chez Herzen ils prenaient tous des airs
mystérieux, ils jetaient des coups d'œit soupçonneux,
ils causaient à voix basse comme s'ils craignaient
des espions et s'ils cachaient un mystère d'où dépen-
daient les destinées ?u monde; ils avaient tous l'air
«
drapés dans la conspiration ».
J'étais un peu sur la réserve avec eux et je cher-
chais à restreindre leur commerce jivccjcs. enfants-
commis it mes soins, sur lesquels ils me semblaient
n'avoir pus une 1res bonne influence, n va «le sui
que
toute cette clique mp devint hostile it partir de ce
moment. D'abord mes rapports avec In honnc avaient
été excellents. Klle était contente qu'il y enl une
femme dans la maison avec qui elle pùl parler, qui
l'Ai prête iV écouter «es histoires, a lui témoigner de
la sympathie, a prendre part a ce qui la touchai»,
entre autres a une affaire do c«eur qu'elle me confia
do suite. Jamais je ne liai donnai
un sujet de
plainte; sa vie devint plus gaie grAcc a moi, car
j'organisais pour les jours da naissance,
pour NoeJ,
pour le jour «le l'an de petites foies pour les
enfants et elle y prenait naturellement part, elle
s'y amusait plus que qui que ce fût. Nous menions
une vraie vie de famille tous los habitants de la
maison étaient unis par des intérêts, des efforts,
des plaisirs et dos travaux communs. Pendant
ce
premier hiver les enfants curent plusieurs maladies
éruplives, et je fis mon devoir auprès d'eux
avec un
amour vraiment maternel. Ces enfants, surtout les
deux filles, avaient gagné tout mon cœur. Mon goût
inné pour la vie de famille reparut de nouveau dans
toute sa force. Je méditais les théories du temps
qui visaient à détruire la famille, à la montrer
en
-quelque sorte comme la mort de l'individualité. Cela
n'est vrai que quand la famille devient tyrannique. La
famille, pas plus que l'Étal, ne doit s'arroger le droit
d'entraver l'individu dans son libre développement.
La famille, comme l'État, doit
au contraire le pro-
téger et l'aider à se développer conformément à
sa
v'îaie-Batw^trfamfllc~t^rÉtat;"i;hïcTni^tlgnS~"la""
mesure des moyens dont il dispose, doivent con-
tribuer a cHlo belle et libre culture. Mais jamais ni
In famille ni l'KluI ne doivent entra ver ou contraindre
un*» vocation. Qu'une famille pieuse fasse «'lover ses
enfants dans la piété, c'est son droit. Mais con-
traindre un adulto à demeurer fidèle aux opinions
«juil doit ù JV'duonlioa première, le pei-sôcutor s'il
s'en ulfranchil, c'ost (le la tyrannie, Les impres-
sions H tes exemples, voilà les principaux moyens
fjue lu famille et l'Étal devraient employer pour
agir sur les individus comme sur les peuples.
Knlourer la jeunesse de belles impressions, lui
montrer de nobles exemples et laisser la nature
suivre sa voie sans la troubler, voila quelle serait la
sagesse. Plus mes nouveaux devoirs m'amenaient à
rélléchir au grand problème de l'éducation^ plus je
demeurais convaincue que les impressions et les
exemples sont les vrais leviers de l'éducation, et quo
le dressage, tel que l'entendent la plupart des gou-
vernantes, des maîtres d'école et des éducateurs
publics ne vaut rien. A quoi tient la beauté ineffable
de la culture athénienne? A ce que la nature pou-
vait s épanouir librement; nul dressage n'y mettait
d'entraves. Les Athéniens étaient entourés de belles
impressions,la nature leur prodiguait des spectacles
séduisants et sublimes, l'art de plus en plus idéaliste
leur montrait la beauté en quelque sorte saisie sur
le vif et immortalisée, les sages condescendaient à
s'entreteniramicalement avec la jeunesse,« délivrant
leur esprit enfin l'exemple des héros enflammait
d'émulation les jeunes âmes. A Sparte, où régnait
le~th*essagc,~OTiformait*Tdes~hôTiflnës" "hôrmaùx7 vi~
goureux, mais non des favoris des dieux comme les
Athéniens.
Los natures très originales qui m'étaient confiées
me firent réfléchir a des cas spéciaux auxquels
j'essayai d'adapter mes théories générales autant
que cela était possible. Je m'occupais surtout de la
fille aînée; je m'étais chargée de son instruction et.
j'étudiais avec soin son caractère déjà très accusé.
Mais c'est avec une tendresse infinie que je m'attachai
a la plus jeune, trop petite pour apprendre; elle
m'avait voué une affection rare cho?. un si polit éire
et qui touchait à la passion. Ce tut l'occasion des
premières manifestations de jalousie et de dépit,
de la part de la bonne, qui avait une prédilection
marquée pour cette enfant, restée jusque-la entière-
ment entre ses mains. Elle commença à changer de
manières avec moi..J'attribuai d'abord ce change-
menl a celte puérile jalousie. Mais bientôt je vis
qu'il y avait autre chose là-dessous, et j'acquis la
conviction que la famille polonaise dont j'ai parlé
plus haut l'excitait contre moi; elle manifestait sa
mauvaise humeur tantôt en m'enlcvant les enfants,
tantôt en les emmenant de meilleure heure le soir,
les enfants couchant avec elle. D'abord je fis sem-
blant de ne pas m'apercevoir de la chose et je restai
calme. Mais je finis par perdre patience, cette atti-
tude commençant à influencer l'atnée de mes élèves,
qui me témoignait de la défiance, prenait le parti
de la bonne, ne faisait pas ses devoirs ou les faisait
mal; elle aussi, à n'en pouvoir douter, était sous la
mauvaise influence des Polonaises. La bonne avait
"~cu ju5qu'aloT5carteiîlanche~eirtoutrce^quilouchait"
les enfants, Herzen n ayant rien précisé d'une
«»t
manière régulière, elle «voit autant d'occasions
qu'elle lo voulait do les soustraire à mon influence
vl d'organiser leur vie a sa guise. Enfin, voyant que
mon action sur les enfants menaçait de devenir
nulle si cela continuait, j'en parlai & Herzon. Je lui
demandai de régler les choses avant que lo mal
empirât et qu'on on vint à des mésintelligences
irrémédiables. Je rencontrai chez lui ces hésitations
dont j'ar parlé; il ne savait pas intervenir a temps
dans les situations difficiles pour éviter des incon-
vénients plus graves. C'est un trait de caractère
que j'ai rencontré chez beaucoup do Russes. Cela
donne quelque chose d'indécis, d'hésitant a leur
vie, qui semble un pou abandonnée au hasard; ce
trait constitue une des différences essentielles entre
leur caractère et celui des peuples occidentaux; il
explique l'antagonisme entre les Russes et les Alle-
mands et l'antipathie que la nature allemande, sa
ferme et sage prévoyance, leur inspire. Herzen exa-
mina la situation, ne la comprit pas, affirma que cela
s'arrangerait et laissa les choses suivre leur cours.
Malheureusement cela ne s'arrangea pas. Il y eut
des scènes très pénibles; la bonne avait des crises
de nerfs chaque fois que je m'occupais un peu de la
petite et que celle-ci, dont la vive imagination et
l'âme aimante se plaisaient aux jeux que j'imaginais,
me témoignait toute sa fougueusesympathie. Herzen
finit par comprendre que cela ne pouvait continuer
ainsi et qu'il avait à choisir entre elle et moi. Je le
laissais tout à faijjibrejlc romprejiptre jcontrat-R'iï–
alTâlr"péïnë~îrrenvoyer une domestique à laquelle
les enfants étaient habituées, II ne voulait pas
entendre parler de cette solution et il se décida n
lui donner son congé. Je l'aidai à rendre ee départ
l«» moins déplaisant possible; j'ai toujours préféré
mille fois faire un snerilice à en imposer un, J'étais
désolée de faire de la peine ù celte lille, qui commen-
çait ù comprendre ses torts et à s'en repentir, et de
la séparer des enfants, qu'elle aimait A sa manière.
Comme toutes les natures bornées, elle voulait
revenir sur lo passé alors qu'il n'en était plus
temps. Mais je sentais qu'il y allait du bien des
enfants et do mon influeneo sur eux et je demeurai
ferme, quoi qu'il m'en coûtât. Après son départ je
pris les enfants chez moi et j'organisai leur vie selon
mes idées. La paix régna de nouveau autour de
nous. Pourtant l'alnéo de mes élèves conserva
quelque temps encore quelques traces de cette
mauvaise influence polonaise. Il y avait là d'assez
pénibles difficultés, mais j'espérais en triompher
avee le temps.
C'est à cette date qu'entra dans notre intimité
un couple russe qui avait vécu avec la famille
Herzen à Nice. C'étaient des personnalités originales,
représentant toute une génération, la génération
entrée dans l'action après le départ de Herzen, et
qui avait joué un rôle dans plusieurs conspirations.
M. Engelson était un ami de Petracheffsky, homme
remarquable au dire de tous ceux qui l'ont connu,
et qui fut arrêté comme chef d'une de ces conspira-
tions et envoyé en Sibérie. Engelson était maladif,
– d-unfr -exUrême-irritabiUté- nerveuse ^-Utt^de _jçes_
hommes dogmatiques comme Herzen en a souvent
rencontrés et «Wpeinls chez ses contemporains.
Malgré son esprit caustique, sa brillante dialectique,
sa logique imperturbable, le régime despotique
auquel il avait été soumis ayant paralysé toute son
activité, il n'avait abouti qu'a une amère ironie, ù
un scepticisme terrible et universel. Ce scepticisme
était d'autant plus néfaste qu'il allait de pair avec
certaines prétentions que ne justifiait pas le succès.
Miiis dans la génération do Herzen l'inspiration poé-
tique, unie aux qualités que je viens d'énumérer,
sauvait de la médiocritéles hommes tels que Herzen,
Tourguénieft", Belinski, Lermontolï, etc. Celui « à
qui uu Dieu donna d'exprimer ses souffrances »
pouvait transporter sa douleur dans une région plus
pure. Mais les autres étaient condamnés « à une vie
sans joie », et il n'est pas étonnant que les Husscs
en général cherchent l'oubli dans le Lélhé du vin,
ce qui arrive fréquemment dans le peuple, a en
juger par les nouvelles de Tourguéniefl*. J'aimais
beaucoup Kng<>lson et nous causions souvent ensem-
ble c était une véritable gymnastique intellectuelle
de discuter avec lui. Son esprit et son ironie m'amu-
saient, car ses armes tranchantes ne s'escrimaient
que contre ce qui méritait d'être combattu, jamais
il ne s'attaquait aux faibles, aux opprimés. Au fond
de son cœur, maigre le doute amer et la mordante
raillerie, il était resté d'une vraie bonté. Il ne pou-
vait voir souffrir un animal et ne pouvait maîtriser
sa fureur quand il en voyait maltraiter un. Sa femme
me plaisait moins; elle était belle, froide, fière,
jri teHigentej Ala Jiais_positivfiet mystique--– -h»* are- –
assemblage de qualités disparates. Son mari l'aimait
et l'appréciait infiniment. Tous» deux venaient très
souvent, ils aimaient beaucoup l«>s «Mitants et leui'
parlaient «le leur mère, qu'ils avaient connue et qu'ils
tenaient eu haute estime.
En dehors d'eux, il venait aussi souvent «les
membres de Immigration française, non pas des
républicains doctrinaires a la UMo «lesquels s<> trou-
vait Ledru-Rollin, mais des socialistes dont le chef
était alors Louis Blanc. Olui-ci nous amusa bien
souvent la petite Herzcn le eonsidérail comme un
camarade il cause de sa taille exiguë; elle lui
témoignait une faveur marquée; lui en était si Halle
«pi'il demandai) des nouvelles de l'enfant «les qu'il
arrivait et qu'il passait des heures à jouer avec elle
au volant, ou A quelque autre jeu. Il était si fier de
cette conquête d'une fillette de trois ans qu'il se
fAcha lorsqu'un des Français lui dit un jour en
riant « Mon Dieu, Louis Blanc, vous n'allez, pas
vous imaginer que cette enfant vous aime? ce qu'elle
aime en vous c'est votre habit bleu et vos boutons
jaunes ». Il portait en cllel un habit bleu à boulons
jaunes. Cette anecdote le peint tout entier; il était
très vaniteux et se croyait un grand homme bien
qu'il fut fort petit. Mais pour être juste, il faut dire
qu'il était vraiment aimable et qu'il s'était formé lui-
même. Non seulement il avait un grand talent
d'historien, mais c'était un homme convaincu; il
exposait ses thèses avec une éloquence un peu ver-
beuse, même dans des conversations intimes, mais
sans cette faconde, cette abondance de phrases
-wvohitioftnaires^ qondiHtiriguaicnt"la~phrpartrTlc'SC5^
compatriotes. Lui aussi était un doctrinaire et son
système sVlaîl montré inapplicable, mais il avait de
l'esprit et il défendait sa théorie avec beaucoup
d'habileté et d'opiniAtreté, quand Herzen lui en
démontrait nettement les imperfections. Dans ces
discussions souvent fort chaudes il restait toujours
parfaitement courtois, malgré son entêtement, et
quelque violent, quelque tfltu qu'il fut dans îa lutte,
il savait reprendre immédiatement après toute son
aménité; il nous contait parfois d'une manière
charmante les plus amusantes anecdotes. JI aimait
beaucoup a parler de ses rapports avec les ouvriers
français et a raconter des traits de l'affection que
ceux-ci lui portaient. Entre autres choses il nous
raconta qu'un jour, se promenant avec un membre
du gouvernement provisoire do 48, il avait remarqué
un homme en blouse qui les suivait ù distance.
Quelques détours qu'ils fissent, l'homme les suivait
toujours. Une pauvre femme s'approcha et demanda
l'aumône ù Louis Blanc. Celui-ci chercha dans sa
poche et, ne trouvant pas de monnaie, s'en excusa.
L'homme en blouse s'approcha rapidement, lui mit
quelques sous dans la main en disant « H ne sera
pas dit que Louis Blanc aura refusé l'aumône à un
pauvre ». Il apprit alors qu'il était toujours suivi
d'un ouvrier chargé de veiller sur lui, prêt à venir à
son secours s'il en était besoin.
L'un des rares Français qui eussent le courage de
tenir tête à Louis Blanc dans la discussion devint
bientôt l'hôte quotidien de la maison. C'était Joseph
Domengé, un tout jeune homme. Né dans le midi de
"fcrFrancBrffl5~^e~paHvTës géBs7~iravaîFéîë lancenîè~~
bonne heure dans le tourbillon de la vie de Paris; il
y avait fait son chemin tout seul et s'était jeté dans
la Révolution avec toute l'impétuosité d'une Amo
enthousiaste. Il y trouva l'exil et la pauvreté. Ilerzen
l'avait rencontra un soir chez un ami commun; ils
étaientpartis ensemble, et, plongés dans leur conver-
sation, ils avaient erré dans los rues de Londres une
partie de la nuit sans pouvoir se résoudre à ter-
miner leur causerie, Le lendemain, Herzen me le
raconta et me dit « Jamais je n'ai vu parmi tous
les Français que je connais un esprit aussi libéral,
un penseur, un philosophe comme lui. » Peu de
temps après, je fis également sa connaissance et
l'impression qu'il me fit fut telle que je proposai à
Herzen de le prendre pour précepteur de son fils. Il
était d'une beauté noble, il avait une grande intel-
ligence, il voyait les choses de haut sans parti pris.
Il n'avait pas de système préconçu, mais toute sa
manière de voir était philosophique, et c'est avec un
sens critique audacieux qu'il examinait les axiomes
que ses compatriotes octroyaient au monde pour son
bonheur. Il avait fait des études sérieuses et à tous
les points de vue il me semblait indiqué pour diriger
le jeune Alexandre. Herzen partageait ma manière
de voir, et à partir de ce jour Domengé vint plusieurs
heures par jour à la maison. Il avait coutume de
rester pour diner, ce qui apportait plus de variété et
plus d'intérêt à nos causeries.
Un jour Herzen me dit « Préparez-vous à
faire la connaissance d'un homme très extraordi-
naire qui est venu jnejroir tout à l'hjure_et_gue j^ai.
îhvHepôur cë~scTr7 >TTâvaisdéjà entendu le nom
de cet homme; on avait beaucoup parlé de lui
au
sujet d'un duel qu'il avail eu avec un partisan de
Ledru-UolUu et dans lequel il avait tué son adver-
saire. A la suite de ee duel it avait eu à comparaître
«levant le jury, et, an cours do la procédure, on apprit
les singulières déloyautés commises contre lui par
ses adversaires politiques. H s'appelait Barthélémy
c'était un simple ouvrier, originaire de Marseille. Il
avait fait partie des son adolescence de la société
secrète la Marianne; le sort l'avait désigné pour
venger un membre de la société malmené par un
agent de la police. Barthélémy tua l'agent sur
l'ordre qui lui en avait été donné; il fut arrêté et
envoyé au bagne. Peu de temps après éclata la
révolution «le 1848. Délivré du bagne.il combattit
aux journées de juin avec un courage de lion; il
échoppa ji grand'peine a une nouvelle arrestation et
a Cayenne; l'exil en Anglelerre, malgré la pauvreté
et les privations, était le salut en comparaison.
J'étais très curieuse de voir cet homme, qui avait eu
d{«s sa jeunesse une destinée si mouvementée. En
nuMne temps je ne pouvais m'empêcher de frémir en
songeant <|ue sa main avait déjà plus d'une fois donné
lit mort. Quel ne fut pas mon élonncment lorsque
llerzen me présenta le soir un homme calme, d'une
tenue parfaite, que rien ne distinguait de tous les
autres messieurs «le la société, et que celui-ci me
parla d'une voix grave, harmonieuse et très sympa-
thique! Cet être redoutable était réservé, modeste,
presque timide, d'une attitude pleine de noblesse.
Seuls, ses yeux sombres, dans cette physionomie
mélancolique,sous ce front pensif, brillaient parfois
«l'un éclat menaçant, comme ces éclairs de chaleur,
présages de l'orage qui peut «Violer d'un moment
» l'autre. Il ne s'emportait jamais dans In discussion
comme 10 faisaient tes autres Français; il ne déela-
ninit pas comme eux, et n'avait rien dit rhéteur
d'ailleurs il parlait peu. Mais, quand il prenait la
parole, les autres se taisaient les uns après les autres.
Sa voix sonore et mélodieuse dominait tout le reste,
et la clarté, la précision avec laquelle il formulait ses
opinions leur donnait une force singulière. Parfois su
voix tremblait d'émotion; on sentait que non seule-
ment ses idées devaient toujours inspirer ses actes,
mais que la passion pouvait lui dicter des actes
dont il aurait lieu do so repentir. L'impression que
me fit cet hommefut si forte, que Uei7.cn, qui l'avait,
trouve très intéressant lui-même, se moqua de mon
enthousiasme. J'avais vu en Allemagne des ouvriers
très instruits, qui traitaient les questions sociales
<l'une manière tout à tait compétente et rélléchic;
mais jamais je n'avais rencontré un homme aussi
cultivé, aussi supérieurà son milieu que Barthélémy.
Il m'inspira une si haute idée de la classe ouvrière
en France que je me crus fondée désormais à y voir
le salut de l'avenir. Je ne soupçonnais pas alors que
l'Empire durerait vingt ans, et que son influence
démoralisatrice allait atteindre les ouvriers eux-
mêmes et les pousser aux plus funestes violences.
En dehors de ces trois personnalités marquantes,
les membres de l'émigration française qui venaient
aux soirées de Herzen ne m'intéressaient guère; ils
me déplaisaient presque par les lieux communs
mêmes thèmes.
qu'ils débitaient, et par la répétition éternelle des
r.Vsl également dans In maison do Herjcen que je
fis lu connaissance «le quelques-uns, des chefs de
l'émigration italienne. Je n'y rencontrais pas .\Iaz7.tm.
qui ne sortait jamais lo soir, sauf pour aller dans
un milieu anglais que je ne eolinaissais pas encore.
Kn revanche, son ancien collègue dans le trium-
virat romain, sou disciple ot son ami Aurelio Saffi,
venait souvent. Ilemm l'aimait beaucoup, et Saffl
se rapprochait do plus en plus de sa manière do
voir, if ni différait beaucoup de celle de Mazzini.
Olui-ci avait un dogme auquel il voulait convertir
10 monde, il croyait à la virile absolue de ce dogme
et il comptait sur sa réalisation, llery.cn avait le fana-
tisme de lit liberté; il voulait te développement illi
mité <le toutes les virtualités; c'est pourquoi il haïs-
sait et niait toutes les puissances établies, toutes
les tyrannies qui pétrifient. Il aurait renié lit répu-
blique (et il le faisait déjà pour la République
française de 48), si la république avait voulu devenir
un dogme, une entrave pour la pensée. Saffi com-
mençait aussi à comprendrequ'il était impossible de
dicter des lois à sa patrie du sein de l'émigration et
de lui imposer la marche de son développement. Au
lieu de conspirer, il se mil à travailler sur la terre
d'exil, sa fortune ne lui donnant pas l'indépendance.
Quelque temps après, il fut appelé à l'université
«l'Oxford et il s'y rendit. Il avait une culture littéraire
remarquable; c'était une nature poétique, rêveuse et
mélancolique. Il pouvait rester silencieux pendant
des heures. Souvent, quand on lui adressait la parole,
il s'éveillait comme d'un rêve. Un soir nous l'avions
vu assis 4angteraps-eB-faefr tFon-Français qui lût
racontait dos histoires de 48 que tout le monde oon-
uaissail ù satiété, et Salli n'avait |his ouvert lu
bouche; il n'avait pas dit un mot, Knfin le dîner
interrompit ce monologue et Herzen demanda ou
rianl a Saffi s'il connaissait maintenant a fond les
aflaires du xnr' arrondissement? Safli lo regarda
d'un air éloturê et lut dit « Jo n'ai rien entendu
ci> <|iii provoqua naturellement un l'on riiv ^nêrnl.
Malgré ces distractions el cette faculté de s'absorber
«lans ses pensées, c'était un des hommes les plus
agréables do l'émigrotion. Il n'était pas fait pour la
vie politique; son patriotisme était sa poésie, le relè-
vement de l'Italie était pour son Ame do poêle la
réalisation d'un idéal. Arrivé très jeune à la tète de
la République romaine avec son vit'il ami Mazzini,
son entrée dans la vie active avait coïncidé avec ce
rêve enchanteur d'une Home ressuscilée. Le rêve
s'élail évanoui, et quand Saffi se réveilla, il était
seul, exilé, dans le pays des brumes. La douleur
profonde qui remplissait son âme ne se trahissait
pas seulement par ses silences; parfois, dans un
cercle intime, il se mettait tout à coup a réciter des
vers, soit les tercets de son immortel compatriote,
banni lui aussi et atteint de lit douleur des exilés,
soit les poésies du plus grand, du plus noble poêle
italien après \p Dante, de Giacomo Leopardi, poé-
sies qui ont aussi leur source dans la souffrance.
Alors il semblait exprimer ses propres sentiments et
tout son être sortait de cette prostration qui lui était
coutumière. Il aimait Herzen avec une tendresse
toute filiale et l'écoutait avec admiration quand,
péittlairtTBt'i'Oû^û^û^rëèrur-cîenTraînàil"sës~aûdî-
tour* dan* tous les domaines do la pensée, L'esprit
vif et brillmit de Ilorzon et
ses saillies étaient sou!»
«\qi,tl»lt>s de h» fuiro rire |Kufois de linn
«uur.
Foliée- (irsint formait un contraste complot
avec
Sal'H, ol «•'«Mail cependant aussi
un ivpo tout à fait
iliilion. Il nv.n» l'axnit connu
vn llalic ol lo rolrou-
\«U tnniiifonnnt à Londtvi*. CV»t«ii l'imi^o du
dollii'it* du moyon ftjro loi «ju'ou si» lu ligmv, une con-
do
ot-s nhvsiononuos «|iii liniitaiout Mnvhinvol lorsque,
dans.)», fiointurf lonl objot-livcMlo mn temps, il
voulu poindiv lo Ivpo pniiUquo i|u'oii lui a liinl n
roproolu* H où on « voulu voir à lorl
son propro
«It-til. Orsiui (>itiii |»oau, mais d'une tout aulio boaulô
que Sal'H. Il avait le vrai type romain, le ne/,
aquilin. les lèvres minces et «errées, des
ardents ol sombres ol le front haut. Sa slaluroyeux était
trapue, l'imago, de lit forte. Il parlait peu,
comme
Salii. non qu'il rèval ou qu'il lût plonu* dans
monde do poésie, mais paire qu'il dbservait;un il
combinai! tics plans, il ne se laissait jamais aller, il
ne laissait jamais deviner le fond «le sa pensée. Il
avait élé plusieurs fois en prison et il
me raconta
avoir lu lit Xomy-lh- /Mois,' pendant de ses
détentions; il y avait, disait-il, puise unenouvelle
une
«oneeption de il femme; il était arrivé à demander
l'égalité des droits pour elle, la considérant à
tous
les égards l'égale de l'homme. Il venait
souvent le
soir causer une heure, s'occupait beaucoup des
enfants et parlait avec mélancolie de
ses deux
petites lïlles, restées en Italie. Ce côté sentimental
étonnait beaucoup en lui; c'était la première fois
Jjueie -rencontrai ceprofot^setttimentrttete^amfller
FKI.ICK onsiNI
si fréquent elle?, les Italiens, bien qu'on ne les en
m»io généralement pas capables.
t ut* vive agitation régna dans l'émigration ita-
lienne lorsqu'on apprit l'arrivée <lo Garihaldi, qui
revenait d'Amérique sur un bateau génois, qu'il
eoinmandailcomme capitaine, après avoir combattu
pour l'indépendance dos Républiques do l'Amérique
du Sud. Je le connaissais d'après la description
de IIor/.en, qui t'avait fr&juenté <m Italie. llerzen
m'uvait caeonlé plus d'une fois avec émotion,
qu'après la mort de sa femme, une dame qu'il ne
connaissait pas (Mail venue avec deux enfants lui
demander, bien qu'il ne parlngcAt pas sa loi, de
lui permettre do prier auprès du cercueil «le la
morte avec ces enfants, qui venaient également de
perdre leur mère. C'étaient les enfants de Garibnldi
et cette dame était leaivi.nslitulrice. A cette époque
on ne connaissait eriçpri Garibaldi que comme le
chef de l'armée de la République romaine; il eut
battu l'armée de la République française, dont
l'expédition fut une de ces iniquités qui ont marqué
trop souvent l'intervention de la France au delà
des Alpes, et le sort de l'Italie eût pu être tout
différent, si la confiance de Mazzini dans la droiture
républicaine n'avait empêché Garibaldi d'agir éner-
'giquement. Cet idéalisme, Mazzini et l'Italie durent
le payer cher. Mazzini me raconta lui-même plus
lard qu'il n'avait pu croire que les républicains
français entreprendraient quelque chose contre la
République romaine. Cette illusion fut une des
m>mbreusejs__erxeurs-dc_la _généxalioiL_Eé¥olution^ –
naire de 1848. Mais si Garibaldi n'avait pas encore
conquis ses ptus bonux lauriers, son nom était néan-
moins, avec celui de Mozzini, l'une des gloires les
plus hautes de l'Italie libérale. Ses derniers hauts
laits dans l'Amérique du Sud y avaient ajouta
un
éclat romantique; il semblait un !téros du
moyen
Age, parti en nne lointaine expédition au secours
des opprimés. Ilerzen alla do suite le voir et l'invita
à dîner, ha physionomie de Garibnldi est. devenue
si familier» depuis, mOtnè a ceux qui ne l'ont pas
connu personnellement, qu'on n'a pas besoin de la
décrire. Mais si son extérieur prévenait cas sa faveur,
bit'n qu'il ne fut pas beau, lit douceur de ses
yeux
pleins de bonté et son sourire, la simplicité extrême
de toute sa personne, qui n'excluait pas la dignité,
achevaient de lui gagner les cœurs. Sa présence
répandait le charme; il n'y avait en lui rien de
caché, de mystérieux, d'émouvant, ni esprit mor-
dant, ni passion violente, ni éloquence entraînante;
mais il inspirait un sentiment de joie calme, la
conviction qu'on avait devant soi un homme vrai,
qui ne connaît rail jamais de dualisme entre sa
parole et ses actes, aimable même dans ses erreurs.
Sa conversation était vive, agréable et simple comme
toute sa personne; un souffle poétique l'animait
quand il racontait ses aventures dans l'Amérique du
Sud, la guerre de guerillas qu'il avait faite, les nuits
passées à lu belle étoile avec les siens et les combats
corps à corps qu'on se livrail là-bas comme autre-
fois dans les nobles luttes antiques. On croyait
entendre un héros d'Homère et l'on comprenait
eommenfc-sa f cimne Âiîitir, TtlaTis soîrâmôûFproioifd,
voulut le suivre, héroïque et fidèle, jusqu'à la mort.
L'idéo favorite qu'il caressait et qu'il nous exposa U»
caractérise tout a fait il rêvait d'embarquer toute
Immigrationde Ï8 sur plusieurs bateaux pour former
une espèce do république nottante, toujours prête a
atterrir quand il s'agirait de combattre pour la
liberté. Il trouvait que l'idée n'était pas du tout
impraticable; (Jenes, qui lui avait donné un bateau,
en donnerait d'autres; on pouvait fonder ainsi en
pleine mer un refuge pour les hommes libres, alors
qu'on n'en pouvait fonder sur la terre ferme.
Après le dtner, il vint plusieurs Italiensqui avaient
demandé à Herzen l'autorisation d'interroger («ari-
bakli sur la situation et l'avenir de l'Italie. Il leur
exposa son point de vue d'une manière simple et
«laire; il déchira tout d'abord qu'il ne permettait
à personne de douter de ses sentiments républi-
cains et il ajouta qu'il était évident pour lui que
l'acheminementvers l'unité de l'Italie ne pouvait se
faire que par le Piémont et la dynastie de Savoie.
D'après lui, tout bon patriote devait faire taire
pour le moment ses sympathies personnelles pour
atteindre d'abord ce but élevé. II trouvait que les
révolutions étaient devenues tout à fait inutiles et
que la seule action efficace était l'adhésion à la
famille régnante, qui s'était toujours montrée favo-
rable aux tendances patriotiques et libérales, et qui
réunirait facilement les sympathies du reste de
l'Europe monarchique.
™eJ?Pn-
de voir, était loin de
la
re
On l'écoutait avec respect, mais tous n'étaient pas
*yi§JMja^
partager. Ces deux hommes
s'éloignèrent l'un de l'autre à cette date et ils ne se
réconcilièrent que beaucoup plus tard. Garibaldi
nous invita à venir déjeuner sur son bateau avant
son départ. Au jour dit, Herzen fut retenu par une
violente migraine, j'y allai donc seule avec son
(ils. Le bateau était au milieu de la Tamise et nous
nous y rendîmes dans une barque. On me hissa à
bord dit navire sur un fauteuil couvert d'un tapis
somptueux. (Jaribatdi nous reçut dans son costume
pittoresque; il avait une ample blouse grise, il était
eoill'é d'un béret rouge, brodé d'or, et il portait des
armes dans sa large ceinture. Ses matelots basanés,
avec des yeux et un teint «l'une autre zone, étaient
tous sur le pont, portant, eux aussi, un costume
pittoresque. Deux dames anglaises, que je connais-
sais également, étaient arrivées avant moi. Garibaldi
nous conduisit dans sa cabine où on nous servit un
déjeuner composé uniquement des produits de la
mer. La conversation fut cordiale et charmante.
A la fin du déjeuner, Garibaldi se leva et, prenant
un verre plein de vin, du vin de Nice, sa patrie,
qu'il emportait partout avec lui, il s'excusa de son
patriotisme qui l'empêchait de nous offrir du cham-
pagne, nous dit qu'il était, un homme simple, qu'il
n'avait pas le don de la parole, mais qu'il buvait à
la santé des femmes dévouées qui soutiennent les
hommes dans la lutte destinée à frayer la voie à la
vraie liberté républicaine. Puis il nous fit visiter
son bateau, il nous montra ses armes, les menus
ustensiles fort simples qui l'entouraient. Ses mate-
lots avaient l'air de l'adorer et on ne pouvait se
_-sow4rww-aft«iiaTm(rpi^
sa personne, de ce héros modeste, simple, devenu
par sa bonté el sa justice le souverain de celle petite
république flottante, portant au loin le secours de
son bras et de son talent militaire pour donner la
liberté à d'autres pays, quand sa patrie ne le réeln-
mait pas. Personne peut-ôlre, depuis l'antiquité, n'a
su s'entourer d'un prestige égal à celui de Garibaifli.
H n'y avait dans ce prestige ni affectation ni désir
de faire de l'elVel il tenait. la poésie et a la droi-
ture inhérente a sa nature; il dédaignait toute dis-
tinction qui n'était pas due a sa propre valeur et,
comme toutes les âmes vraiment libres, il allait tou-
jours droit où il pouvait s'affranchir de toute con-
trainte, où il se sentait en harmonie avec son entou-
rage. Tel il était sur son bateau, tel il avait été dans
l'Amérique du Sud, tel il fut plus tard à la guerre
et à Caprera. C'est dans cette simplicité d'une âme
lidèlc à elle-même que réside son charme irrésis-
tible il l'exerce surtout sur le peuple et celui-ci en
a fait de son vivant le héros d'une légende. Le
peuple de Naples porte son effigie en amulettes et
célèbre sa fête, non par l'amour de saint Joseph,
mais pour lui-même; il croit fermement que le pre-
mier Garibaldi est mort depuis longtemps, mais qu'il
est ressuscité et qu'il y en aura toujours un.
J'ajoute ici un mot profond que Richard Wagner
•m'écrivait plus tard, au temps où j'eus la bonne
fortune de trouver en lui un ami, après que Cari-
baldi eut réussi à fonder l'unité italienne
« Je viens de relire par hasard la vie de Timoléon
dans Plutarque; l'émotion que j'en ai ressentie a
ététrèsTorte. CëUë~vlë^l:Ti61iëTôurîTïiTriiîoliîe*et~
rare, se termine vraiment d'une manière heureuse,
et c'est un cas exceptionnel dans l'histoire. Cela
fait du bien «le penser que la chose soit possible,
mais en jetant un coup d'œil sur tant d'autres nobles
vies, je no puis me défendre de considérer cette fin
heureuse comme un leurre mis là par le démon de
l'univers. II fallait cette possibilité pour induire en
erreur la foule sur la véritable portée de la vie. Si
cette possibilité ne se présentait jamais, il serait à
craindre que nous n'arrivions trop rapidement aux
conclusions que nous autres occidentaux nous
semblons mettre bien du temps à découvrir. Que de
points par où j'ai pu comparer Garibaldi à Timo-
léonl 11 est encore heureux! Serait-il possible que
l'amertume suprême lui fût épargnée? Je le lui
souhaite de tout mon cœur, mais je tremble souvent
quand je vois qu'il n'est qu'une mouche dans la
grande toile d'araignée de l'Europe. Il y a bien des
alternatives possibles. Peut-être la mouche est-elle
trop grande et trop forte. »
Hélas! elle ne le fut pas et Garibaldi, lui aussi,
dut vider la coupe jusqu'à la lie.
CHAPITRE XXVI
La vie à la campagne.
^J^l-P^ejI^^JiaLtienu^G'est^ve^oie^que
j'acceptai la proposition de Herzen de quitter
Londres et d'aller à Richmond; la proximité de
Londres permet de jouir do tous tes avantages de
la capitale et la villégiature, avec ses promenades
sur la Tamise, son parc superbe et le voisinage de
Kew Garden, offre tous les plaisirs de la campagne.
De tous temps la vie a la campagne m'a semblé la
vraie vie. Mon amour 4e la nature, le calme et la
paix qu'elle seule sait donner, l'innocence qui y
règne, tout cela me faisait attendre avec impatience
ce bonheur si rare et si grand. J'étais heureuse
aussi de fuir le va-et-vient trop mouvementé de
notre maison. Il y avait encore trop d'amis et de
visiteurs, à mon gré, qui, sous prétexte de faire
exception, prétendaient nous faire perdre notre
temps. J'aspirais à la tranquillité, je trouvais dans
la maison de quoi satisfaire tous mes besoins; les
enfants suffisaient à ma tendresse, leur éducation
à mon activité, le commerce de Herzen à mon intel-
ligence. Herzen alla à Richmond pour chercher une
maison, et, quand il l'eut trouvée, nous partimes
pour la campagne. M. Engelson et sa femme nous
rejoignirent. Domengé venait tous les jours; il res-
tait jusqu'au soir, donnant ses leçons, prenant part
à nos promenades, à nos excursions, à nos parties
de bateau, etc. Je vivais avec les enfants selon mon,
cœur et je jouissais de leur développement. Chez
-l'ainée la trace des influences fâcheuses dont j'ai
parlé se perdait peu à peu, et nous nous rappro-
châmes dans une affection cordiale. Quant à la
petite, l'amour tendre qui nous avait unies tout
–d'abord- ne- faisait ^que-grandir, jeLsouveiU le jsoir^
debout auprès du petit lit où elle dormait, je son-
geais avec reconnaissance à la mère que je n'avais
pas connue, et qui m'avait légué ce trésor. Je son-
tais l'amour ardent et dévoué d'uni» mère, ce besoin
de vriller sur cette jeune vie et do l'amener a son
plein épanouissement. La grâce «Je cette enfant me
remplissait des plus belles espérances pour son
avenir; ses défauts, ses petits travers devinrent
l'objet de mes plus grands soucis, je ne songeais
qu'au problème de l'éducation, je cherchais a
adapter mes théories il chaque cas particulier. Plu-
sieurs semaines se passèrent ainsi, douces et pai-
sibles. Puis Kngelson, dont le tempérament mahuliï
et irritable cherchait toujours quelque sujet de
mécontentement et de critique, et qui, n'ayant rien
d'important à faire, se perdait dans les détails de la
vie, commença j\ critiquer l'éducation des enfants.
II trouvait que je n'étais pas assez sévère avec
elles, que je ne les réprimandais pas assez, disait
que les rires joyeux et la pétulance des petites lui
(tonnaient sur les nerfs quand il venait chez nous.
Mais, au Heu de s'adresser directement à moi, il se
plaignit à llcrzen. Il suffisait quelquefois d'un rien
pour faire passer celui-ci de la confiance et de la
sécurité au doute et au scepticisme, et alors il voyait
des fantômes en plein jour. Il commença aussi à se
tourmenter. Un soir que nous étions seuls, lui,
Engelson et moi, les enfants étant couchés, il amena
la conversation sur l'éducation. Avec la noble sin-
cérité que j'appréciais tant en lui, il ne me cacha
point qu'il avait été question entre Engelson et lui
du peu de prix que j'attachais à la discipline dans
l'éducation. Nous discutâmes longuement. J'exposai
ma manière de voir. Chose singulière, Engelson_
était tout à tait du mon avis maintenant; il dit à
Herxcn qu'il no «t'entendait nullement en matière
d'éducation, ce «pie celui-ci lui accorda pleinement,
et, après une discussion do plusieurs heures, j'avais
presque convaincu mes interlocuteurs. Kn arrivant
dans ma chambre à coucher, au second, où tlor-
maient les enfants, je trouvai la potita Olga éveillée,
sa jolie figure souriante appuyée sur se» deux
petites mains, qui m'attendait. Elle était si déli-
cieuse, a voir que j'appelai Engelson qui descen-
dait l'escalier, Io priant de remonter bien vite. H
revint sur ses pas et monta avec llerzen chez moi.
Je leur montrai l'enfant, leur disant tout bas
«
Sceptiques que vous ôtes, peut-on désespérer en
présence de tant de charme, si on n'atteint pas
du premier coup ce que les années seules peuvent.
donner et si le fruit ne vient pas avant la fleur! »
Tous deux furent ravis de ce spectacle charmant
et ils partirent en souriant. Le lendemain matin,
llerzen mo remit une lettre qu'il m'avait écrite
pendant la nuit. men que nous vivions sous le
même toit, nous avions coutume, après quelque dis-
cussion importante, ou quand nous avions quelque
chose sur le cœur l'un contre l'autre, de nous
écrire, parce qu'on est plus calme, plus maître de
soi en face de son papier et qu'on résume mieux ce
qu'on veut dire. Il m'écrivait
ISr^vïnrBàrtR^ëm^
souffrances atroces sans aboutir à la mort. Il
en
fut admis à le voir pour la dernière fois. Il le mettait
dans une alternative cruelle; si la dose de poison
allait être insuffisante, elle pouvait lui Ater la force
de souffrir l'inévitable avec dignité. Sa noble Ame
recula devant la pensée de se condamner à une
faiblesse indigne de lui en prenant le poison, et il
décida de n'y pas recourir.
Je souffrais d'une manière indescriptible pendant
ces quelques jours. Je savais bien qu'il était impos-
sible de le sauver, mais une pitié immense remplis-
sait mon cœur; j'aurais voulu porter au condamné
uue consolation, lui faire savoir qu'il y avait des
gens qui le jugeaient autrement que la justice des
hommes et ses ennemis. En même temps j'aurais
voulu pouvoir exprimer l'indignation que soulevait
en moi la servilité du gouvernement britannique, la
sentence de mort ayant été confirmée sans aucun
doute sur la demande expresse du gouvernement
français. Le jury avait signé un recours en grâce.
Je proposai à Herzen et à Domengé de demander
pour nous trois la permission d'accompagner le
malheureux au lieu du supplice. Je sentais que j'au-
rais la force de le faire. J'en avais le désir ardent,
persuadée que Barthélemy avait expié par sa pro-
fonde souffrance l'acte aveugle qu'il avait commis
et qu'il voulait racheter son crime par la manière
noble et digne dont il marcherait à la mort. Le
laisser seul dans ce moment de sublime repentir,
au milieu d'une foule odieuse de badauds, me don-
jklQk delui^»jniïncer_
nait des remords. Il me semblait que c'était notre
le seuil de l'éternité
par ce témoignage suprême de
compassion, de charité et d'amour. En même temps
il me semblait bon de protester ainsi, au nom d'une
organisation future plus juste delà société humaine,
contre ce jugement selon la lettre de la loi. Herzen
et Uoutongë ne partageaient pas mon vif et impé-
tueux désir, mais ils demandèrent néanmoins une
permission. Ils apprirent que la chose était impos-
sible, qu'on ne nous accorderait pas une permis-
sion contraire a toutes les traditions; notre présence
aurait pu troubler la marche des événements. II ne
nie restait donc rien a faire qu'à partager dans
mon cœur les souffrances du malheureux et à
passer avec tui par ïa pensée ces heures d'agonie.
Le dimanche, qui fut son dernier jour, je le passai
dans un état d'âme que je ne saurais comparer
qu'à une prière artlente, et s'il est des épanchements
de l'Ame qui se sentent à distance, Barthélemy dut
sentir dans ces heures d'éprouves qu'il n'était pas
seul.
Eu Angleterre, toutes les exécutions capitales
doivent avoir lieu le lundi de grand matin.
Je me réveillai longtemps avant l'aube et ma
pensée me transporta dans cette terrible cellule de
la vieille prison de Newgate où Barthélemy, s'éveil-
lant de son dernier sommeil terrestre, devait se sou-
mettre aux préparatifs avilissants qui l'attendaient.
En entendant sonner siv heures, je cachai ma tête
dans mon oreiller et je pleurai amèrement. Quelques
heures plus tard, Herzen me fit prier de monter dans
sa chambre; il vint à moi l'air profondément ému et
me tendit un journal. C'était le Times qui apportait
un compte rendu des dernières heures de Barthélémy
et de son exécution.Je ne pouvais pas lire, je fondis
_,en larmes Herzen n_o_us en_fit_la~ecturef_à-.son.
H à moi. Do même que In tenue du prisonnier avait
»'té calme, noble et modeste pondant tout le cours
CHAPITRE XXVII
que je
une
raison suprême y lult germer. Dans les écrits de
Wagner j'avais théorie complète de ce
n'avais enlrevu el pressenti que vaguement.
L'importance du drame musical m'avait frappée,
et
ces IoxU-h admirables me Firent compremlrc quel
preslige ln musique devait y ajouter et quelle
influence efficace, noble et profonde
d'art ces œuvres
dramatique devaient produire
L«> d«'«sir d'entendre cette musique
sur l'auditoire.
était devenu un
besoin pour moi, mais je
ne voyais pas le moyen de
le réaliser. Je fus donc très émue d'apprendre
l'auleur «le ces livres remarquables, de que
textes
si poétiques, venait il Londres. J'appris cesarrivée
son
par la jeune musicienne avec laquelle j'avais habité
autrefois et je l'enviais de rencontrer Wagner
fois i-hoz des amis. Il ne m'était par-
pas facile d'aller à
ses concerts à Londres, le retour à !a campagne la
nuit étant une chose impraticable. lime fallait m'ar-
ranger de manière à passer la nuit en ville, et je n'eus
de cesse avant d'avoir organisé la chose. L'impres-
sion que j'éprouvai à ce concert fut telle
souviens que je ne
me que d'une seule émotion artistique ana-
logue dans ma vie, celle que j'avais ressentie dans
mon enfance en entendant la Schrœder-Devrient.
Celle artiste incomparable m'avait révélé l'art dra-
malique. Elle éveilla en moi un enthousiasme
bornes dans des pièces qui sans
ne m'avaient jamais
enchantée, comme l'opéra de Roméo et Juliette de
Bellmi; grâce son génie, elle transfigurait le doux
badinage des mélodies italiennes; elle lui prêtait
^Jeu^kéjroïque^jme^oé^^iafini^-elle-eirfaisatt-one-- un
noble œuvre d'art. Ce fut aussi une révélation pour
moi que cette musique d'orchestre qui semblait mu
faire entendre pour la première fois des «mures que
je connaissais depuis longtemps. Je fus surtout
frappée de l'interprétation de l'ouverture du A*v»/«-
rhûtz. Admiratrice passionnée de Weber, j'avais
entendu fort souvent, tous ses opéras, notamment lu
Frcyschitls que jo savais presque par euuir, -Or, il
me sembla entendre l'ouverture, ce tableau poétique,
pour la première fois, et je compris tout à coup
que c'était ainsi qu'elle devait être jouée. Toute la
légende de la foret, avec son charme, ses terreurs,
sa douce innocence et sa poésie m 'apparaissait tout
à coup comme une nouveauté. La personnalité du
chef d'orchestre n'y était pour rien, j'étais trop loin
pour le voir nettement, mais il semblait que de son
bAlon les vagues d'harmonie s'épandaient
sur l'or-
chestre et que les musiciens, inconsciemment,
jouaient mieux qu'ils ne l'avaient jamais fait. Jamais
je n'avais rien entendu d'analogue en Angleterre, oit
cependant les bons concerts ne manquent pas.
On peut s'imaginer avec quelle joie j'acceptai
quelque temps après une invitation d'Anna, qui me
demandait de venir passer une soirée chez elle avec
Wagner. Rien d'autre n'eût pu me déterminer à
quitter de nouveau mes chères enfants pour deux
jours, car loin d'elles j'étais toujours tourmentée,
inquiète, mal à l'aise. Mais je ne pus résister
au
désir de voir Wagner. La manière froide, réservée,
avec laquelle il accueillit notre chaleureuse bien-
venue, me surprit tout d'abord. Je me l'expliquai
-WentM- lorsqu'il nous- etrt~dit^ranchemeHt^qae~cè~
séjour en Angleterre lui était peu agréable et qu'il
n'nvnit pas lieu d'en être satisfait, En elVet il y avait
eu dès l'abord entre lui et ta soetélé anglaise, saturée
du culte de Mendclssohn, un antagonisme que révé-
laient les comptes rendus et les critiques musicales
de la saison, oit entre autres absurdités il avait été dit
par exemple qu'on nu pouvait attendre rien de hon
d'un chef d'orchestre- qui dirigeait par cœur même
los symphonies de Beethoven. On parla
peu de ce
sujet. Let conversation porta presque tout entière sur
les œuvres d'un philosophe dont te nom sortait
tout a coup de l'oubli, oit on l'avait laissé pendant
un quart de siècle, et qui brillait maintenant
d'un vif éclat. Ce philosophe était Arthur Scho-
penhauer.
•îe me souvenais avoir vu dans
ma jeunesse à
Francfort un petit homme, vêtu d'un paletot gris
avec plusieurs collets, se promener tous les jours à
la même heure le long des quais, suivi d'un barbet.
Je me souvenais qu'on me l'avait montré en disant
que c'était Arthur Schopenhauer le fils d'une femme
de lettres, et qu'il était complètement fou. Un de
nos amis, un sénateur, un homme très considéré,
qui prenait ses repas dans le même restaurant que
lui, avait coutume de le tourner en ridicule et de
nous servir des anecdotes sur son compte. Je ne
l'avais plus jamais entendu nommer jusque dans
les derniers temps, où il fut à diverses reprises
question de ses œuvres; elles étaient publiées depuis
longtemps, mais on commençait seulement à les lire;
les uns le considéraient comme le plus grand phi-
– -losepfte-depHis-Kmit; ter mitres îe"pîâçsïïënf~blëfi~
au-dessus do lui, Je ne sois comment Frédéric
Atthaus avait appris que cette dernière opinion était
celle de Wagner; il amena la conversation sur
Sehopcnhauer et pria Wagner d'exposer les idées
fondamentalesde sa philosophie, qu'il ne connaissait
pas non plus. Le mot qui me frappa le plus dans
cette conversation fut. l'expression de la « néga-
tion de la volonté de vivre », que Wagner donnait
comme le terme oit aboutissait la conception de
Schopenhaner. Ilabituée à considérer la volonté
comme une force qui détermine notre moralité,
bien que je n'eusse jamais su, dans ma pensée,
concilier ses limites manifestes et la doctrine chré-
tienne du libre arbitre, cette proposition me semblait
tout à fait incompréhensible; je n'arrivais pas a
voir dans la négation de la volonté de vivre la tAche
suprême do l'humanité. J'avais, en eflel, toujours
pensé que le but de l'existence était de diriger la
volonté vers un perfectionnement moral incessant
et vers l'action. Mais ces mots me semblaient une
énigme que j'étais décidée à résoudre; ils m'atti-
raient, ils me semblaient la clé qui pouvait me mener
vers la lumière définitive que j'avais cherchée toute
ma vie. La soirée se passa sa*ns que nous nous
fussions rapprochés. J'étais d'autant moins satisfaite
de cette entrevue que j'apportais it l'écrivain, au
musicien, un enthousiasme chaleureux. Afin de
n'en pas rester à cette impression,j'écrivis à Wagner,
a quelque temps de là, le priant de venir à Richmond
où Herzen' serait heureux de faire sa connaissance.
II r_efus_a_I~i_nvitation,à monyif r~r_e_l, di_s_anl _guu'il._
était sur le point de partir et s'excusant de ne
pouvoir venir parce qu'il avait encore beaucoup à
fa in» avant son départ.
l'ue déception nous était réservée dans nofro
cercle intime. Kngelson, dont le tempérament irri-
table cherchait toujours «le nouveaux prétextes pour
s'attaquer aux uns ou aux autres, était de la plus
niéehanle humour du moudo, et cette fois c'est à
lier/en lui-même qu'il s'en prit. Au commencement
de la guerre do Crimée il avait fait une invention
dont il attendait merveille. Il avait imaginé de
répandre en Hussie,au moyen de ballons qui devaient
éclatera une certaine distance du sol, des brochures
révolutionnairesdestinées à soulever les populations
des campagnes contre le despotisme. Je ne me
souviens plus comment il voulait introduire ces
ballons en llussie, ni comment il voulait les y faire
lancer. Je sais seulement qu'il était tout feu et
flamme pour son projet, qu'il trouvait le moment
très propice, la guerre étant très impopulaire parmi
les paysans, oit elle enlevait les pères et les fils aux
travaux (les champs. Il comptait aussi sur la super-
stition des paysans, à qui cet appel, tombant pour
ainsi «lire du ciel, allait inspirer un zèle fana-
tique. L'invention lui semblait si importante, le
succès si certain, qu'il mit tout en œuvre pour faire
aboutir l'entreprise. Ilerzen lui semblait trop tiède,
trop sceptique à l'endroit de son idée. II s'adressa
donc par un intermédiaire à l'empereur Napoléon,
qu'il croyait capable de comprendre l'opportunité
d'un pareil moyen, et qu'il jugeait apte à faire le
_nécessaive*4l-f*»t-eneore-déçirt}an5xettëëspéfânccT"
la réponse qu'il reçut de Paris fut négative. Lui-
mémo n'avait pas les moyens de mettre son projet
à exécution et cet éeluv le remplit de dépit. Il
tourna toute sa rancune contre Ilerzen, l'accusant
de n'avoir pas voulu se servir de ce moyen de com-
battre le despotisme, en Russie. Kn vain Ilcr/cn lui
avait-il expliquée diverses reprises qu'il ne. souhaitait
pas qu'il y eut do soulèvement en Russie, que lo
moment n'était pas opportun, une révolte ne pouvant
amener 4|uo des représailles, ueuUHiu motnu un«
intervention des alliés, et que font au moins un
soulèvement risquait d'enrayer tes réformes qu'on
était en droit d'attendre du gouvernement s'il était,
battu. Il était d'avis qu'il n'y avait rien à faire pour
le moment, qu'il fallait voir l'issue de la guerre et
ses conséquences. A ce motif de mauvais vouloir
venait s'ajouter la jalousie littéraire. Ilcrzen venait
d'avoir la visite d'un vieil t»mi de Moscou, le premier
qui cul réussi a venir le voir incognito. 11 lui appor-
tait une quantité d'objets qui lui appartenaient. Tous
ces souvenirs du passé étaient pour celui-ci une
joie extrême, bien que mêlée d'amertume. Ce qui le
rendait surtout très heureux, c'était le succès pro-
digieux de ses écrits, importés en Russie, et que
lui dépeignait son ami. Il lui raconta qu'on était
venu le réveiller au milieu de la niyl pour lui confier
une nouvelle de la plus haute importance, l'ar-
rivée de la première feuille de Ilerzen imprimée à
Londres. On s'était mis immédiatement à la lire,
puis eue avait passé de main en main, on l'avait
copiée, dans la crainte de n'en pas recevoir beaucoup
^exemplaires- ^étai t- avec-Btt-entlmasiasme-tîrofe^
sant qu'on attendait chacune des publications posté-
rieures. Toulon l««s espérances et tous les efforts «lu
parti progressiste se mirent sous la bannière du
nom »le Her/.en, Le premier numéro de la revue
trimeslrielle l'Étoile puhiri\ avec la vignette des
cinq martyrs, reçut un accueil chaleureux. G'tUaienl
surtout les travaux do Uer/.on qui eurent du suc.
ces, tandis qu'un article «l'Engelson, intéressant,
mais d'une l'orme un peu lourde, avait passé ina-
perçu. Cela mil le comble n la colère de celui-ci.
Ilcrzen me dit à plusieurs reprises que les rapports
devenaient presque impossibles avec Engelson à
cause de son humeur agressive. Or, un matin, tandis
que je lisais avec Natalio, Engelson entra; il se mit
à marcher de long en large dans la chambre, il était
très agité, il faisait des sorties amères contre Hcrzen
et se démenait comme un fou. Je le priai d'abord
amicalement, puis de plus en plus sérieusement, de
se calmer, H de songer qu'il parlait devant la fille
de Herzen. Mais il n'y avait pas moyen de le modérer
dans son aveugle colère. Tout à coup il s'arrôta
en face «le nous, tira un revolver de petit calibre de
sa poche, et le braquant sur nous, sans savoir ce
qu'il faisait, il dit « Voyez-vous, ce revolver est
toujours chargé et je le porte toujours sur moi; on
ne sait ce qui arrivera un jour si la colère me
prend. » Natalie eut très peur, je restai calme, le
regardant bien en face, et je lui dis « Commencez
par mettre cette arme en sûreté, afin qu'il n'arrive
rien que vous ayez à regretter toute votre vie, puis
rentrez chez vous et calmez-vous. Je viendrai vous
JiBiifiC -iouLà J'iieure.. »_ JHoa air-4*anq«iHe~ le^ahna-
un peu et il partit. Je rassurai Natalie et je la
priai do ne rien dire tout d'abord A son père, puis
jo réfléchis à co qu'il fallait faire. 11 fallait agir vite,
cela me paraissait évident, car si Herzen avait
entendu parler de l'incident a co moinenl-la, il en
eut été si révolté qu'un conflit devenait inévitable.
Le mieux était d'obtenir d'Engelson une rupture
immédiate afin d'éviter une rencontre, toute récon-
ciliation me paraissant impossible dans son état
do surexcitation. Si la rupture se faisait tranquil-
lement, peut-être plus tard, le calme étant rétabli,
pourrait-onreprendre les relations, bien qu'uncamilié
sujette à de pareils accès ne me semblât guère pré-
cieuse. Ayant fait ces réflexions, j'écrivis à Engclson,
je lui rappelai toutes les conversations que nous
avions eues ensemble, je lui parlai de nos doctrines,
je l'engageai à songer que pour des gens de notre
bord le revolver n'était pas un moyen d'aplanir les
malentendus, je lui déclarai enfin nettement que si
une loyale réconciliation lui paraissait impossible,
il ne restait qu'un moyen, c'était de se séparer avec
dignité, et que par respect du passé chacun devait
suivre sa voie. Je l'assurai pour ma part de mes vifs
regrets et de ma sincère amitié, mais je lui dis que,
le cas échéant, il me faudrait prendre parti et re-
noncer à son commerce, que je devais céla à Herzen
et aux siens. Je le priai de donner l'exemple de la
résignation, seule solution de ces conflits sans
remède et qui nous laisserait peut-être l'espoir d'une
réconciliation.J'expédiai la lettre avant que Herzen,
qui était justement à Londres, se doutât de l'af-
fairep-ei-je-reçiis-da suitc-^nc-Téponscr-EngclsoTr-
m'exprimait toute sa considération personnelle et
m'envoyait son adhésion a ma proposition; il me
promet lait formellement d'éviter à l'avenir toute
occasion de cotdlit. Lorsqm» Herzen revint le soir à
la maison, je lui racontai l'histoire et je lui montrai
les lettres, il en fut aussi ému que moi, mais il me
remereia de mon interveiiliou, qu'il qualifiait d'un
vrai service d'ami. Voilà comment cet homme ori-
ginal et remarquable, mais maladif et malheureux,
disparut pour toujours de noire, vie. Peut-être son
opiniâtre dépit, qui le tint éloigné de nous, eut-il
lini par céder avee le temps; c'est la mort qui l'en
empêcha elle acheva ce «pie l'exil avait commencé.
Kngelson mourait victime des infirmités et de la
misère auxquelles le despotisme insensé de la Russie
a condamné plusieurs générations. Voilà les termes
amers dans lesquels Lermontofl" dépeint la sienne
« Je considère notre génération avec chagrin; son
avenir est vide et obscur, elle vieillira dans l'inac-
tion, elle succombera au poids du doute et d'une
science stérile. La vie nous fatigue comme un
voyage sans but. Nous sommes comme ces fruits
précoces qui poussent avec les fleurs ils ne satisfont
ni le regard ni le goût et tombent avant de mûrir.
Nous allons vers la tombe sans avoir connu le
bonheur ni'la gloire et avant de mourir nous jetons
un regard plein d'amertume et de mépris sur le
passé. Nous passerons inaperçus, une foule
sombre, silencieuse, oubliée. Nous ne laisserons
rien à la postérité, ni une idée féconde, ni une œuvre
de génie. Nos descendants railleront nos cendres,
dans -ilJJ~lqllQ- .ép..if".rnmm.tLJllépl'i'iarne.-01La\éee-le--
sarcasme avec lequel un fils ruiné parle des excès
de son père. » Leopardi, dont la vie courte «t don-
loureuse coïncide avec la période d'asservissement
de l'Italie, au temps oit on ne voyait pas poindre
encore l'aurore de jours meilleurs, exprimait lui aussi
cette douleur sans espoir
« Repose-toi pour toujours, ô mon cœur fatigué.
Elle a péri, l'erreur immense de me croire immorlel.
Kilo a péri! Je sens que l'espoir, que le désir
même des douces illusions n'est plus. Repose-toi à
jamais, tes émotions ne servent à rien et la terre
ne
vaut pas un soupir. La vie est amère et ennuyeuse
et le monde est de la fange, Calme-toi maintenant,
que ce soit ton dernier désespoir. Le sort n'a donné
à notre génération que de mourir. Méprise-toi,
méprise la nature, cette puissance odieuse qui règne,
cachée, pour faire le mal; méprise l'infinie vanité de
tout. »
Hélas! Leopardi et Lermontoff étaient une élite
de leur nation, des êtres favorisés par la nature,
comblés dès le berceau de tous les dons de l'esprit
et de la poésie
De même Engelson était un esprit d'élite! Devant
quel tribunal les despotes auront-ils à répondre des
intelligences qu'ils ont brisées dans leur fleur, des
grands cœurs qu'ils ont déchirés, des âmesauxquelles
-ils ont ravi la liberté, cette lumière de la vie, et qu'ils
ont laissé étouffer, en transformantleur pays en un
vaste cachot?
Après cette séparation pénible, Herzen
d'aller passer quelques semaines jà_]^ntnor_dans_.proposa
fîlëlTe WîghTTÇous en fûmes ravies, les enfants et
moi. Nous primes une maison confortable
au bord
de la mer et peu a peu nous retrouvâmes notre
sérénité sur coite côte ravissante. Les Pulsky y
étaient aussi. Ils venaient souvent le soir et je
jouissais de cette intimité avec Thérèse dont la
noblesse d'Ame, la nature sérieuse et tendre se révé-
lait davantage dans cette vie calme que cela n'était
possible dans l'agitation constante et les émotions
politiq ues de la vie de Londres. C'est là que nous
apprîmes la prise de Malnkofi"; la chute de Sébas-
topol et la fin de la guerre étaient à prévoir. Nous
fûmes doublement heureux de cette nouvelle; non
seulement parce que nous désirions la paix, mais
aussi pour la Russie, car il était probable que l'em-
pereur, après la fin de cette triste guerre qui lui
avait été léguée, s'occuperait des réformes.
A notre retour, il fut décidé que nous allions nous
fixer à Londres, le fils de Herzen devant suivre
des cours et aller travailler dans le laboratoire du
chimiste Hofmann. Natalie aussi avait besoin de
prendre quelques leçons que je ne me trouvais
pas apte à lui donner. C'est avec un vrai chagrin
que je quittai cette solitude, cette vue ravissante
de la Tamise et de ses rives verdoyantes, le parc
de Richmond, les jardins de Kew, où j'avais passé
tous les jours de si bonnes heures avec les enfants,
cette vie intime et heureuse; nous allions au-devant
d'une vie nouvelle, ouverte à toutes les incei titudes,
exposée aux influences extérieures et au danger
de l'imprévu qui pouvait ébranler ou briser notre
iionheucl–
CHAPITRE XXVIII
Le destin. La séparation.
Nous étions retournés à Londres, et nous nous
étions installés dans une maison située à l'extrémité
du faubourg St-Johns Wood; avec ses nombreux
jardins, d'où on allait facilement à Hampstcad et à
Highgate, nous pouvions nous croire encore à la
campagne. L'enseignement des enfants fut admira-
blement organisé; je fus surtout très heureuse do
confier la direction musicale des petites à Jeanne
Kinkel, qui, bien qu'elle fût une musicienne de
premier ordre, se consacrait surtout aux commen-
çants. Elle attachait beaucoup d'importance à une
classe de solfège où elle développait l'oreille et la
justesse de la voix, grâce à des exercices gradués
sur les intervalles. C'était toujours un grand plaisir
pour moi d'assister à ces leçons de solfège, car, sous
la direction prudente de Jeanne, les enfants arri-
vaient à des résultats surprenants; loin de gâter
l'organe, elle savait le fortifier et l'assouplir par les
exercices qu'elle dirigeait. Je compris l'importance
de cette éducation précoce de la voix. C'est assurer
à l'enfant un avantage presque inestimable, car le
charme de la voix est un des plus grands agréments
extérieurs, souvent plus durables et plus efficaces
-qireHbH^irtfc i^oraœioTrte~votf~
Kinkel, cette excellente amie que j'aimais de tout
mon cœur, était une des choses qui me réconci-
liaient avec notre retour à Londres; d'autre pari, je
savais que j'aurais à lutter contre l'intrusion d'une
foule de connaissances; je craignais de voir troubler
l'ordre et la paix de notre vie domestique, où je trou-
vais mon seul bonheur. J'étais si heureuse, ce bon-
heur me semblait si pur, si complet, que j'écrivais à
ma sœur: «Je ne puis te dire qu'une chose, c'est que
je ne souhaite rien au delà de ma vie actuelle. »
Lorsque ma journée était finie, et que j'avais joui
pleinementde mon travail, qui devenait plus intéres-
sant à mesure que les enfants se développaientdavan-
tage, le soir, des lectures en commun avec Herzen
donnaient un nouvel aliment, une nouvelle impulsion
à mon esprit. Son intelligence lumineuse, samémoiro
imperturbable et ses connaissances étendues four-
nissaient des commentaires si précieux que l'intérêt
et le bénéfice de la lecture étaient doublés. C'est
ainsi que nous lûmes, entre autres choses, un compte
rendu du procès des Saint-Simoniens qui m'inspira
un vif intérêt je goûtai notamment le discours du
Père Enfantin. Il donnait son sentiment sur l'éman-
cipation des femmes; le public tournait cette idée
en ridicule, mais la conception m'en semblait noble
et belle. Dans la doctrine mystique des Saint-Simo-
niens la femme recevait la même consécration, la
même tâche que l'homme. La société devenait une
vaste hiérarchie patriarcale où l'âge, la sagesse et
la dignité seuls conféraient les plus hauts grades. La
femme était considérée comme l'égale de l'homme.
.^nfantro-disaitj-avee «ne-inorfestic-Tarê~"paiimrië"s
hommes d'alors, que l'homme n'avait aucun droit à
limiter l'activité féminine, ni comme législateur, ni
comme ordonnateur des conditions >oci;des selon
lui. c'était à la femme à venir plaider *;» propre cause
et a formuler ««os desiderata cl ses revendications
J'étais d'autant plus surprise et rivie de celle con-
ception de la question, qu'en Angleterre le Parle-
ment venait de refuser une pétition signée par une
élite de femmes distinguées demandant l'autorisation
d'étudier la médecinedans les universités. Je sentais
combien il est vrai que les femmes seules peuvent
dire ce qu'elles considèrent comme nécessaire et
qu'il est par conséquent du devoir de toutes celles
qui pensent de voir clair dans leur cause, afin de la
faire valoir et. de la défendre, soit. dans leur milieu,
soit en public, L'idée me vint de dire aussi mon mot
sur cette aflaire. Sous l'impressionde ce que je venais
de lire j'adressai au Père Enfantin une introduction
à un travail que je me proposais d'écrire sur cette
question.
L'hiver se passa assez tranquillement. La guerre
de Crimée était terminée depuis le commencement
de septembre et les espérances de Herzen de voir
une ère nouvelle s'ouvrir pour la Russie furent d'au-
tant plus vives que l'humiliation de la paix de Paris
semblait imposer à l'orgueilleuse autocratie l'obli-
gation de réformes intérieures pour se réhabiliter
dans l'opinion. Son activité littéraire prit un carac-
tère presque exclusivement politique. C'est surtout
l'émancipation des serfs qui faisait le sujet principal
J~.J~ ~M~Ly ~y~p~~9~~?"i~
d'un avenir meilleur pour la Russie. Toutefois il ne
perdait pas de vue la commune russe avec sa distri-
bution de la terre et sa propriété foncière en com-
iiiiin. Jlans ce maintien «lu tu» organisation primitive
il vmatt Je seul rempart contre la misère «lu prolé-
tariat européen; il > trouvait un principe do justice
politique, la It'i'i'o dcvnnl appartenir a celui qui la
cultive. Il recevait alors «le fréquentes nouvelles do
Hussie, oi» ses éoriU, impt'iin^ i\ .Lonclivit, m r^pnn-e
ilaiciit Iticii plus laeileinent <pr»upnnivant. Tout
cola ajoiituil à la jnic «pii rôgnatl dons notre maison.
Jeanne Kinkel pouvait Uiro saw exagoralton, on par-
Imil <le l'impression <pie lui avait l'aile une visite
elie/. nous
paradis ».
Il me semblât! entrer dans un petit
Milrc amie. »
A «jtfelfjwtâ jours de là, le petil cercle d'omi* que
j'ai nommés (ont à l'Iu'iirc, Ibrmant un (rislc cor-
I «>»•(•, parlai! poui'l» Iteau cimctitnHulo Ili^li^nle, où
CHAPITRE XXIX
Nouvelle solitude.
«
Oui, voilà le terrain où nous nous trouvons
d'accord Il, terrain de l'amitié pure et désinté-
ressée. C'est un sacrifice que vous nous» faites; um«
fatalité a causé ce conflit et troublé notre vie do
famille. Personne n'est coupable, nous étions tous
do liouiio foi, mais il s'était glissé ontiv nous un Ion
discordant «pu a tout compromis. Ce que j'aurais
voulu, c'est une séparation solennelle; je vous l'avais
proposée. Voire départ précipité l'a rendue impos-
sible, mais la gloire», oui, 'lit gfauv'tte pacîtfor les
esprits Vous revient. J'ai beaucoup pensé depuis
hier a votre proposition non la vie en commun
ue pourrait «pie rouvrir des blessures a peine for-
mées. Mais unissons-nous pour faire des traductions
russes, ici ou ailleurs; partout vous trouverez en
moi un frère. Adieu, lîli bien, messieurs les calom-
niateurs? C'est l'amitié qui l'emporte.
« A. IIeiizen. »
de ses
Jeanne nous fit de ses Mémoires, qu'elle n'a mal-
heureusement pas achevés. Les anecdotes sur la vie
fil de ses parenLs, contées –
dune manière humoristique, me firent rire de bien
lion ni'iir, pour In premièrefois depuis longtemps, à
lii grande joie de Jeanne.
Mai* au fond, mon état d'ami» restait lo même.
De douloureux souvenirs me dévoraient. Souvent je
me réveillais le malin, appelant Olga, ce petit être
«pie j'aimais d'une tendresse maternelle, et je trouvais
mon oreiller noyé, dos larmes que j'avais versées en
rêvant d'elle. Parfois mon chagrin était si intense
qu«, démontée do la vie et du travail qui ne me
«tonnait plus de joie, je sentais planer au-dessus do
moi les ailes sombres du désespoir; la mer, étalant
sa face argentée au clair de lune, m'attirait doucc-
ment, mais avec forée, vers ces abimes silencieux
où le tourment et les ardents désirs s'apaisent. Je
cachais ces émotions aux Kinkel ils en eussent été
affligés, eux qui faisaient tout ce qu'ils pouvaient
pour me distraire de mon chagrin. Mais j'en parlais
dans mes lettres a un ami dont la fidélité m'avail.
soutenue dans cette catastrophe, et qui avait été
pour moi une ancre de salut au milieu de mes
peines et de mon abandon. C'était Domengé, le
jeune Français dont j'ai parlé et qui avait été le
témoin quotidien de ma vie dans la maison de
Herzen. Lui seul, de tous les familiers de la maison,
avait pris mon parti; les autres, mes compatriotes
même, préféraient prendre parti pour ceux qui
pouvaient leur offrir les avantages d'une maison
hospitalière; on s'éloignait de moi, qui n'avais rien
à offrir. Quand je partis pour Hastings, Domengé
me promit de m'écrire souvent et il tint parole; je
_Im_en~us (fautant ~tus~e~rej~,jMtgréJ~tes~
ses vertus, il avait la faiblesse de n'être guère exact
a remplir de semblables engagements. Ses lettres
étaient toujours réconfortantes, quoique sévères*; il
essayai! de réagir contre ma tristesse, et dans eotle.
sévérité même je reconnaissais son amitié et le désir
«le m'être ulile. Un jour, en proie a mes regrets,
ù l'irritation causée par- l'intorvention des tiers,
troublée de plus par les reproches que. je me faisais
a moi-même, je lui avais écrit une leltro plus déses-
pérée que do coutume, Il me répondit do suite
« Votre dernière lettre, plus découragée encore
que les précédentes, me fait un devoir de vous dire
une bonne fois tout ce que je pense de votre situation,
ce que je considère en conscience être la vérité.
Dans les grandes comme dans les petites crises de
la vie la vérité seule est, non un remède, certaines
douleurs ne voulant pas être guéries, mais un point
d'appui solide, inébranlable, salutaire. Même les
Ames les plus fermes ne savent la distinguer au pre-
mier moment. Elles sont troublées par les larmes,
la passion, la douleur. Mais au bout d'un certain
temps c'est un devoirabsolu pour tous de la chercher
et de la comprendre, sans prévention contre soi ou
contre les autres; or c'est un devoir inéluctable
pour nous qui avons conscience de faire partie d'une
élite.
«
Eh bien, ce devoir, vous ne l'avez pas rempli
encore, voilà pourquoi vous ne trouvez pas de con-
solation à votre peine. Vous ne vous dites pas la verité
sur vous-même. De quoi vous accusez-vous? Vous
vous êtes dévouée corps et âme pendant trois ans
– axec-le-pUts^ompletdésitttéressemenh-fians votre
zèle, vous vous consumez à vous trouver coupable.
Vous vous irritez rouir»» vous-même en vous calom-
niant. C'est une faute rare, mais c'est une faute
grave. Un dévouement qui va jusqu'au sacrifice «le
la personnalité, «l'un orgueil légitime, reste noble,
mais eesse «l'être naturel, il risque «l'annihiler notre
« moi ». (k'tlo erreur n« peut demeurer impunie, et
dans le cas qui nous occupe, la punition ee sont
vos soufl'ranccs. »
Puis venait l'analyse psychologiquedes différentes
personnes «fui avaient pris part a ce drame intime,
celles a «jui il attribuait la véritable responsa-
bilité de rincident; puis il disait « Je relis ma
lettre avec une profonde tristesse, cependant je vais
vous l'envoyer. C'est vous qui m'avez forcé à faire
une élude que redoutait jusqu'ici ma pensée. Livrez-
vous «le votre c«M.é à celte analyse, sans passion,
sans prévention, il le faut dans l'inlértU de la vérité.
« Cet
effort est terrible; anéantir tout ce qu'on a
aimé, renverser les idoles qu'on se plaisait it orner
de toute sa tendresse est une des nécessités les plus
cruelles de la vie. Pleurez, pleurez cette mort pré-
maturée d'une partie de votre cœur, nourrissez votre e
douleur, ne la laissez pas guérir, mais ne dites pas
« A
quoi bon vivre? que me reste-t-il après la perle
«le mes illusions? »
« Ce qui vous reste, c'est vous-même, l'affirmation
de votre «Hre, vous-même avec tout votre passé,
--voU'frdévAUAimeuUjLoJj^OJ]^^v ous, éprouvée
et fortifiée par l'épreuve, vous qui vous devez ai
vous-même et qui devez aux autres compte des forces
qui vous ont été «lonnées, et à qui il reste un si noble
champ d'activité dans le présent et dans l'avenir.
«. A quoi lion vivre? » Ah! elïaeez t%e mol qu'exeuse
à peine l'angoisse d'une douleur suprême. A quoi
bon vivre? l'our continuer une vie de dévouement,
pour sounrir demain s'il le fnttl comme vous avez
souffert hier, non plus pour quelques individus,mais
pour riumuoùtë, pour les millions de malheureux
fllti nous etiloureni el que nous aurons aides avant
»le mourir, j'en ai la Terme espérance. »
Je lus celle belle lettre, aveu une profonde émotion,
je sentais tout ce qu'elle contenait de vrai et je me
livrai à l'examen qu'il exigeait de moi. Mais j'avais
beau faire, les mots du duc dans la Inllt: tiaturelbt
de (SuHhc me revenaient a la mémoire
« Oue lit vie est fade el banale quand elle ne sert
qu'à vivre, à s'agiter sans qu'un but aimé fasse
entrevoir la récompense de notre activité! »
lier/en me donnait parfois de ses nouvelles, il
me tenait au courant des principaux événements «le
la famille. Entre autres choses il me raconta qu'il
avait voulu faire un voyage d'agrément sur le con-
tinent, mais que le ministre de l'intérieur avait
défendu qu'on visai son passeport à Paris; on le
désignait comme « un individu très dangereux,
voyageant pour des motifs politiques et qui signait
ses écrits du nom d'Iskander ». Herzen me disait
qu'il avait loué une maison aux environs de Londres
et m'annonçait qu'il avait l'intention d'écrire une
introduction aux Mémoiresde la princesse baschkou",
qWjcTrâJûîsâl^ crTaircmânï A ceTFe7 époque; Tîôïïs"
avions lu ensemble cet ouvrage avant l'arrivée des
Ogareff et il nous avait vivement intéressés. Cette
amie de Catherine II, son égale par l'esprit et la
«mllitre, qui la dépassait do I»>«ii«mi|»par m earau-
U'Vi'et ht valeur morale, esl ecrle* «m» des Jeiituit^
les plus remarquables parmi eelles qui ont j*»«M» un
rule dans lu vie publique. Plus tard llor/on m'envoya
celle introduction; elle était 1res intéressante; elle
do Hoffmann H
a paru «luns |V*«liliun «los Môinoiivs
(îftmjm. Lo vimix <ampw jiï «crivait t\ cotto occasion
.l«> puhlioiai l«ul «'«• que vous traduirez de ltorxen;
il s'osl acquis droit de «il»'! dans la litléraluro allo-
uiaiitlo. » Ilorzen miMlisait qu'il so swilail l'ali^ié
et vitîilli, mais qu'il avait rinleution fla beaucoup
travailler, le succès de ses ouvrages lui en faisant
un devoir.
lui ellel le succès de ses publications était pro-
digieux. Une importante librairie s'était chargée
d'introduire ses «envies en Russie et, malgré la sur-
veillance de la polire, il s'y répandit un nombre
incalculable d'exemplaires qui enflammaient la jeu-
clic/, lui, et
nesse. Les voyageurs russes affluaient
de communi-
ou lui envoyait quantité d'articles et
cations pour le journal russe qu'il venait do fonder,
la Cloihe, destinée à provoquerl'abolition du servage.
Il me parlait aussi de ses lectures; je lui avais
demandé le livre de Proudhon De la Justice, qui
venait de paraître il me répondit « Il y a longtemps
que je n'ai rien lu qui m'ait fait souffrir autant ceci
que
romain meurt,
ce livre de Proudhon. Le monde
est une pierre tombale; Proudhon se transforme
~}uinm;»mrtmstîrt«e^mm»^l*fe»HH^tle-L©H*tat>rès
avoir tout compris, il finit par offrir l'homme en
holocauste à la l'amille et alors, alors viendra le
triomphe de la justice! La troisième partie, sauf le
ihapttrc sur l«> pmgrés, est triste Irtsiv,- triste.
Ces! un virillnnl <|iii écrit sou testament; un homme
«'apahlc «l'érrire un volume (soit 200 pag«>s> d'insa-
nités t'iiUiiilicn-roiiuitiios eoult'c lus femme* n'est
pas tiu homme libre.
Je restai «lotir un peu au rouranl «le sa vi»> inlol-
Ii'cIhpIIp, niais «c uVtail |>Ius et4 éulum^o tl'ukVH
(|uoli<li(>ii, ecllo inliniiti' «l'inléiiMs H «lo ponséos.
La vi<> ru»s«î et répanouissniuMil «ta sa lill«'«iahuo
m'avaient vivonienl «;aplîv«;«n ,l«> v«»yais In comiuo
IIci7.cn la Kulutiun «l«>s annules questions soriales,
solution «|ue la vieille Kuiopii ne pouvait, foui'iiir; j«»
partageais ses «>spérances, son activité politi«|ùc
m'inspirait la plus vive sympathie. Or tout eclii in»
manquait a la f«»is; ire lut. pour moi une privation
«ruelUî. Les fçens supcrliciels soûls peuvent ehan^«>r
aiséinenl «le «lir«M*tion cl «le vie. L«»s ftmos sérieuses
oui liesoin «l'un Iml «ronstanl. vers lequel se «-oii-
ccnlrcnl tous leurs efforts. Le gt'iiie voit «le lui-mènu>
sou but, sa nature le lui pcinl est traits «le llainnics,
il n'a pas besoin «le te chercher. C«sux
«pu; la nature
a I railés avec moins de prodigalité sont réduits it
chercher les conditions oii leur être puisse se déve-
lopper, s'épanouir librement. Être arrache à ces
con-
dilions de bonheur est une douleur indicible, un
chagrin cuisant. Les uns y succombent, d'autres, les
plus forts, ceux qui y survivent, en gardent une bles-
sure toute leur vie. Souvent je songeais au prestige
– <HtVxçree»tr*ur levâmes k»plu*tlépmiillée»de-j>ré-~
jugés, ce qu'on appelle les liens légitimes. Une
fiancée, une épouse, une mère ne seront pas aban-
données aussi facilement qu'une amante, quelque
passionnément i|n'on Illi soit attaché, qu'uno amie,
quoique H«IM«* «piVile snîl, qu'il no femme qui tient
lion do mm1. A «|ii<»i rcla peut-il tenir, surtout chez
«•eux qui si> sont all'raiuliis do In bénédiction du
prtfttv et «h* la sanction des lois, et qui vaillent se
conformer librement à la loi monde? L'humaine foi-
bh'sse a-l-ollo besoin do <•«»<mdc <lo morale nioiidnino,
do w-tjiMvfniit.' «'xtôriour? <Ti«sl. sur crllo lundi'ainio
que ropose IoiiId la législation et TK^Iisna su trans-
toi-iiH'i1 «u's conlinls alin do doveuir cllc-momo le li'i«
huiiat su|»r^ino de la conseieure et de i'%h% les rnp-
|»orts des hommes entre eux. r.elle c.onlrainle est la
base des serments, «les rouirais, des relations e.oin-
mereiales et administratives, etc.; plus une société*
est polie, plus sa vie se trouve enfermée dans les
limites de ces obligations de convention. En est-
elle plus morale et plus noble? (.e qui l'ail la valeur
des relations d'homme à homme, ce qui lait le prix
d'une aelion, c'est la foi, le dévouement, la con-
science et l'amour. Si ces qualités viennent à faire
défaut, l'essentiel manque; on va à l'église le
dimanche parce que « cela se fait et non parce
qu'un besoin religieux vous y pousse, on prononce
la formule d'un serment sans y croire, en la mau-
dissant peut-être tout bas. Mais si la législation la
plus sévère n'aboutit qu'à une organisation automa-
tique. réglée comme un mouvement d'horloge qui
marche sans «prune aine t'anime, qu'est-ce qui pro-
tégera la vie contre les conflits et les ruptures arbi-
Trâïrës le jeu îî«Ts~pàssions êl le Hroildîi plus TorT?
Une conception plus haute de la vie ferait du devoir
le seul mobile de l'action. C'est ce qui constituait
ta lidélité, cette vieille vertu «les Uermains, ro Irait
caraet«Wstiquo «les héros de la léfj«*nde, <|iiillont
lu «'oui'onne et IVmpire pour aller «'hereher «>t «^li-
vrer leurs compagnons «l'armes laits prisonniers.
Si l'humanité el»l vraiment. «»apahle d'atMudre nu
niveau moral supérieur, elle reviendra à la simplicité
primitive «les principes élevés» connus «le loule
antiquité, ho «lis«'uurs «le riiomme ser« <• oui >»
<•
Ma chérie, c'est toi qui recevras le premier
signe do vie ijuo je l'adresse do mn table de travail
iv)«uu|iiisc. Hier le eiel bien du bord de I» mer
nous a suivis quelque temps, mais des tes dernières
•olliiies de Retguto, le inonde a repris sa teinte gri-
sair» et nous avons retrouvé Londres plus bruyant
que jamais. La civilisation extrême rappelle l'état
sauvage. Ce soir je n'ai pu encore arriver a déballer
l»»s objets indispensables,
car les visitos so sont
succédé sans interruption depuis ce matin. J'espère
que la solitude de ce premier jour aura exorcé une
influence bienfaisante sur ton cœur. Lu grandeur,
la magnificence do la nalurc qui l'environne a
quelque chose de consolant. Certes la nuise de lit
poésie viendra le visiter bientôt et lu vivras dans
l'intimité Familière de la t'orél cl de la mer jusqu'il
ce que l'humanité revienne te sourire. Je viens de
regarder ton portrait et j'ai vu avec chagrin ton air
de tristesse. Je voudrais te voir rire de bon cœur
et je n'ai cependant rien d'amusant a te conter
pour l'instant, à moins de te faire souvenir des
anecdotes de mon arrière-grand-père. Nous pensons
sans cesse à toi, et j'entends ton nom aussi souvent
qu'au temps où nous étions ensemble. Je ne cesse
d'entendre ta voix. Je crois que d'ici peu, l'un de
nous ira te voir à Hastings. Bonsoir, ma chérie, nous
ljyAnons_ieudrcmcnL_
« De cœur à loi,
« Jeanne. »
t>* lignes affectueuses me firent il» lue», «•««**
furent bientôt suivies d'nulres lettres. toutes em-
preintes d'un souffle «le chaude amilié; c'était un
rayon «le joie dans ma
vie..l'espérais qu'Kmilie
Heeve |M»uiTait venir passer l'hiver avec moi.Je l'avais
de chez les Ileiwn
vue souvent depuis mon départ j'avais
H je m'étais liée avee elle. Dès l'abord
opinion
reconnu en elle vm nature d'^liMv, ot cette
s'était tortillée en moi par un commerce fréquent,
.l'étais allie la voir, j'avais appris à connaître le
milieu ofi elle avait grandi. Sa famille appartenait
a la pelile bourgeoisie de Londres; elle habitait un
logis modeste dans une de ces rues du centre, loin
de toute verdure, d'od les hautes maisons noirftlres
semblent écarter l'air, le jour; on y étouffe, c'est à
peine si parfois un rayon de soleil vient égayer colle
lourde et triste atmosphère. Le cercle des idées n'y
était pas plus large que cet horizon; on lisait le
limon, puis chacun vaquait a ses occupations et le
dimanche on allait à l'église; c'était tout. Les idées
étaient si étroites, on se conformait si bien il la
tradition que le culte de la vapeur même, si fréquent
cependant chez les Anglais, n'avait pas pénétré
là. A mon retour d'une petite excursion une des
comprenait pas
sœurs d'Emilie me dit qu'elle ne
qu'on allai en express, « la chose étant si vertigi-
milieu
neuse et pleine de danger ». C'est dans ce fleur
étouffé qu'Emilie avait grandi comme une
pale dans une cave, mais cette fleur n'avait besoin
^ut^d'att^t-<k-^lwleiH^f^»»-«agner--dc_ia-j:oJi-_
leur et de l'éclat. Les siens la raillaient, ses sœurs
la traitaient avec mépris parce qu'elle ne savait
l>iws'occuper du n»«»iuigo ni eonlcclionner sa iut-
lelle «lu dimanche; les ressources étaient moili-
<|iies, il fallntl en ellel faire les rolies il In maison.
Non seulement elle y était peu habile, mais elle
«'lait très in<liu"ércntc il celle ijnestiou et préférait
employer son argent d«» poohoa l'nchat de livres. Kl
de quels livres! Shakespeare d 'al tord, contre (equel
mil u'avail rien à «lire, un Anglais n'osant pas for*
imiler une critique contre lcgrauil Will. Maisltyron,
col homme immoral! Mais Shelloy, cet impie! puis
des livres elo philosophie de toute espèce à quoi
cela poul-il servira une jeune (Hle? « Heureusement
«pi 'elle est trop sotte pour les comprendre
», so
disaient ces bonnes Ailles, et elles la laissaient
« v«''g«Her » a sa guise.
Mais le rayon «le soleil trouva son chemin et éclai-
rant la fleur dans sa cave, il lui donna de la couleur
et «le l'éclat. Un réfugié polonais loua une chambre
dans sa maison. Il s'oflïit à donner a Emilie des
leçons de français en échange de leçons d'anglais,
l'n nouvel horizon s'ouvrit pour elle par ce com-
merce avec un homme instruit et cultivé. Les opi-
nions d'Emilie s'aflranchirent bien vite des entraves
«le la tradition; son esprit perspicace et logique, qui
ne reculait devant aucune audace, lui fit voir sous
leur vrai jour les défauts de la vie anglaise; elle
devint dès lors l'ennemie irréconciliable de l'hypo-
crisie en matière politique et religieuse. Cet ensei-
gnement mutuel se transforma bientôt en amour.
~!Mtc départ ét d'a_ulre_la_. s~tuatio~_r_>vé~érmettait~_
pas de songer au mariage, il fallut se résoudre à
une séparation; Emilie l'accepta avec la même
fmve d'Ame uvee laquelle elle avait supporté une
vie sans joie el sans aliment intellectuel. Son ami
partit pour I»aris; ils continuèrent à sYerire, A
partir «le relit» époque, elle s'était inléresséo nu sort
«les peuples slaves; elle lisait les «cuvres do Herzen
et fut amenée à lui écrire. (Test, ainsi que nous
fîmes sa connaissance et qu'elle vint à sortir de son
cercle de vie étroit. Mon départ du la maison Ilcrzen
l'avait beaucoup affligée et ello m'avait témoigné
depuis une sympathie tendre et profonde. Nous nous
vîmes souvent et j'admirai en elle cette force de l'es-
pril anglais qui, pour peu qu'il s'élève au-dessus du
niveau ordinaire, marche avec une logirluo invin-
cible aux conséquences les plus hardies, capable
d'embrasser d'un coup d'«i»il les plus vastes horizons.
L'Anglais n'hésite pas entre la théorie el la pra-
tique, entre le fond et la forme; l'idéalisme qui se
perd dans les nues n'est point son fait c'est ainsi
que nous trouvons en Angleterre de grands esprits,
des poêles, des penseurs, des hommes d'État qui
sont de fortes personnalités, a la fois nationales et
humaines; et dans une sphère moins élevée, nous
rencontrons des caractères fermes, calmes, comme t
taillés dans le marbre. Loin d'en avoir la froideur,
leur cœur est chaleureux, plein d'affection. L'amitié j
de ces natures est fidèle jusqu'à la mort. ?
Kmilie Ueeve était un de ces caractères; les cir-
constances où elle vécut et sa mort prématurée l'em-
pèchèrent de donner toute sa mesure; elle fut
enlevée à la fleur de l'âge, au moment où elle
tTrnimraçairà~e^ayeTH^^ô^itn~fiômâiné
digne d'elle.
k
l,e «lésir «le -vivre ensemble nous était venu à
toutes deux lorsque nous nous <<onnnm«>s mieux. Je
lui écrivis «loue «le llaslings de venir nie rejoindre
»i ««Ho le pouvait; malheureusement ma situation ne
ino permettait pas do l'inviter. Dans l'espoir «le cette
visite, j'avais support bravement l««s débuts de
mon labeur solitaire. Mes promenades dans les
environs étaient mon délassement, et un matin, par
un beau temps d'automne, longeant les falaises, je
sentis mes pensées repremlre leur essor; mon ima-
gination, a travers le voila de douleur qui me
l'avait cachée, me souriait pleine lie promesses; il
me semblait que les buissons et les Heurs, les
nuages et les vagues me «lisaient d'une voix conso-
lante « Toi aussi, tu as une âme de poète, et la
poésie seule est vraie! »
Mais bientôt arriva l'arrière-saison, avec ses brouil-
lards, ses orages, ses jours froids et pluvieux; la
mer mugissait, et m'empêchait de dormir. Emilie
lieeve m'écrivait qu'il lui était impossible de venir;
elle avait compté sur un travail littéraire qui devait
couvrir les frais du voyage, mais la chose n'avait
pas abouti. Or elle était trop discrète et trop timide
pour demander à sa famille un sacrifice d'argent;
d'ailleurs elle était d'un caractère un peu hésitant,
elle n'avait pas d'initiative dans la vie pratique,
en
dépit de sa hardiesse spéculative. Après cette
amère déception, ma solitude me pesa double-
ment. Je ne pouvais guère compter sur des relations
sympathiques à Hastingsj Jajàe des jjetites _yjUes_
aïfglâfses a quelque chose de pénible et les rares
personnes dont j'avais fait la connaissance m'en-
nuyaient « mourir. Do pins je tombai malade, et
dans une nuit «le souffrance, oit la mer chantait sur
un rythme sauvage ses chants funèbres, et où mon
«mur I «allait à s<* -rompre-, je -pris- la- résolution do
retourner à Londres, où le torrent do vie passe en
mugissant et fait tout oublier par la puissance
..dominatrice..«te- sa voix;4ù -enfin le commerce de
quelques amis offre de temps à autre une heure
de joie. Des le lendemain, je mis mon protêt à
sx^cirtionï la nature hamame est pleine Je con-
tradictions et la solitude ne nous console que
lorsque la philosophie a déjà pansé nos blessures et
que notre cœur désolé a été apaisé par la voix
des esprits éternels qui nous ravissent â* nous-
mêmes.
J'écrivis à Emilie Reeve pour la prier de louer
pour moi un petit logement dans un quartier que
je lui indiquai. Domengé, à qui je fis part de ma
nouvelle détermination,m'écrivit gaîment « Venez,
cet isolement vous tuerait. Comptez sur moi comme
sur un frère. » Les Kinkel aussi semblaient ravis
de mon retour. Herzen seul se permit une plaisan-
terie à ce sujet. Il me disait que je ne pouvais me
« passer de
société », et cette observation venant
d'un homme qui m'avait vue pendant trois ans me
donner de mon plein gré et tout entière à la vie
de famille, me blessa profondément. Je pris le parti
de rompre enfin d'une manière définitive avec ce
passé, de ne pas même donner ma nouvelle adresse
à Ilerzeh cl de ne pas retourner chez lui.
Je revins donc à Londres, j'entrai dans le petit
^_appa«4<M(ag»tr-qu'ÉmiHc Reeve-Tn^arait choisi mes"
hôtes, d'excellentes gens, m'ollVaient la pension, et
j'organisai de nouveau une vie «le travail. Domengé
Uni parole il venait me voir souvent et nie témoigna
un dévouement fnUeYm»!. Emilie lïeeve aussi venait
me voir; j'allais «le temps en temps chez les Kinkel,
je me sentais entourée de sympathie et je retrouvais
mon calme el ma forée. nueUjuelîiniféës que fus-
sent mes ressources, quelque aléatoires que pussent
ôtreinesinoyeo8d%islence, je louai, cependant un
piano, car j'éprouvais te besoin dé recourir ft 1 art
sacré de la musique, cette suprême consolation.
J'avais été habituée dès ma tendre enfance, dans la
maison paternelle, à entendre les chefs-d'œuvre de
nos grands maîtres; depuis mon exil, j'avais beau-
coup sou If cri d'être privée de celle jouissance;
à Londres, les beaux concerts étant fort coûteux,
j'y allai rarement. Dans la maison de lier/en, la
musique avait été la seule chose qui me manquât.
Maintenantque j'étais seule,je sentis que je ne pour-
rais m'en passer. A vrai dire, je n'avais jamais été
une virtuose et j'avais perdu l'agilité de mes doigts,
mais il me restait ma voix. Le chant m'a toujours
semblé l'écho d'un autre monde, l'expression de sen-
timents profonds que les mots ne sauraient rendre.
D'une timidité désespérante dans la conversation,
je retrouvais toute mon assurance dans le chant;
j'exprimais mes sentiments comme si c'était
un
autre moi-même qui parlât. Voilà pourquoi j'avais
été si tentée de me faire aetriee; il me semblait
divin de pouvoir épancher comme en un torrent
sonore les sentiments les plus éleyéSi_dg_réjjiserjijnn^
idéal, sûre d'être comprise; la tâche de l'acteur me
semblait digne «l'on vie. Jamais cette condition pri-
vilégiée ne m'avait semblé plus belle qu'au temps
de ma jeunesse, où j'ai vu et entendu la Sehrœder-
lïevrienl iiito des plus grandes cantatrices qui
nient jamais vécu, Cette artiste incomparable et
in«ml*liabl(i m'avait lait entrevoir que l'ait drama-
Hque peut «Mre un sacerdoce, telle faisait de la scène
un lempln, et le culte qu'elle y célébrait était celui
d'une illusion consciente qui nous réconcilie avec
les misères de la vie en nous les montrant transfi-
gurées dans le miroir magique de l'art. Par elle
j'avais appris ce que c'est que le chant tragique, et,
en cherchant à cultiver ma voix, j'avais trouvé une
source de joies paisibles.
Dans les heures où la mélancolie prenait le dessus,
je me refugiais dans la musique. Mais ce remède
mémo ne réussissait pas toujours à chasser les som-
bres pensées qui assiégeaient mon âme. Il m'arrivait
parfois un redoublement de tristesse lorsque ma
voix, tantôt plaintive, tantôt véhémente, emplissant
ma chambre solitaire, venait comme du fond des
abimes me conter des douleurs désespérées. Alors
je fuyais mon piano, redoutant ce sphinx mystérieux
tout prêt à me révéler ce que c'est que la vie, à
moi qui n'avais pas la force encore de recevoir cette
févéktiion-. C'est ce qut m-'arriva- un soir où je chan-
tais un lied de Schubert « Malheur à celui qui
part, en fuyant sa patrie! » Une douleur aiguë me
traversa le cœur je me levai à bout de souffrance, et,
comme hallucinée, je saisis un couteau qui se trou-
vait sur la table. Mais l'image de ma mère m'ap-
parut, et le couteau m'échappa. Il fallait me fuir
moi-même, afin que la tentation no revint pas. Je
pris a la ItAIo mon chapeau ol mon manteau, et,
iRotUaiit dans un ouinibus qui passait jjijlai au
Strand-Thealer, oit ee soir-la on donnait fïtheUn.
l/actour qui jouait ce rôle était excellent, à eo que
m'avait dit IteineuipL flnœ'**>iumîssait si peu dans
eette ville gigantesque de Londres, le qn'en-dira-
l-on m'était si indifférent que je n'hésitai pas ù aller
seule ù un théâtre do second ordre. Je comptais
désormais parmi les prolétaires, et je ne dédaignais
pas de me procurer à leur manière une jouissance
artistique. J'allai au parterre, aux places à un shel-
ling, et à coté de moi sa trouvait une jeune ouvrière
qui mangea pendant toute la soiréo les provisions
qu'elle avait apportées. Ce voisinage n'avait certes
rien «l'agréable, mais tout cela s'effaçait devant mon
désir d'oublier le monde et ma douleur dans l'au-
clition d'un chef-d'œuvre. D'ailleurs l'acteur qui
jouait le rôle d'Othello me fascina au bout de peu
d'instants. On voit en Angleterre des acteurs d'une
grande valeur jouer sur des scènes de deuxième et
de troisième ordre, devant un public populaire, et
dans ce milieu modeste rendre les grands rôles
d'une manière remarquable. Jamais je n'avais vu
jouer Othello avec tant de grandeur et de vérité.
Cette magistrale interprétation du rôle me faisait
comprendre Shakespeare comme je ne l'avais jamais
compris ses pièces, puisées aux profondeurs mêmes
de la vie, font oublier la personnalité du poète. J'étais
plongée tout entière dans cette œuvre puissante au
point de m'oublier, d'oublier mon entourage. Je ne
fus rappelée à moi qu'en entendant comme un san-
glôr Slôulïé a coté demoi.Je moTetonrnar et je vis-
ma voisine, elle aussi, oublier le monde entier et
fixer la sei'iio. Ses provisions avaient glissé a terre,
îles hiriin's lirftlantès >o»thtn>nt le long de^es* joues
et pour nue heure au moi»* le chef-d'œuvre draina- =
Imjhp l'avail piiriHée t«t délivi'éo*!» la fango tTiei-bas.
fiîîtrtï^ô chex "iniit» ]v raiwas^aï hv couteau wslv ù
terre et ma dornùM'o pensé'o ce jour-là fut un hymne,
reconnaissant à Shakespeare. Oui, lo gt^nio seul,
seul l'art tragitjuo rend la vie supportable.
Je n'avais plus écrit & Herzen, je no lui avais pas
«ncorc donné mon adresse et depuis des semaines
je n'avais plus entendu parler de lui ni des siens.
L'anniversaire de ma naissance approchait; il avait
été fêlé gaîment autrefois et je m'apprêtais a lo
passer seule. l>ans l'après-midi, je vis tout a coup
arriver le jeune Alexandre qui m'apportait quelques
lignes afleelucuscs de son père et un souvenir de la
part des petites. Ils avaient cherché à se procurer
ma nouvelle adresse et avaient choisi ce jour pour
reprendre les relations interrompues. Mon cœur
n'était que trop enclin à pardonner et à oublier tout
le mal qui m'était venu de ce côté; je promis donc
de répondre à l'invitation d'Alexandre et de venir les
voir à la campagne où ils s'étaient installés. Au
bout de quelques jours je me décidai à y aller, car
mon désir de revoir les enfants était ardent. Mais
mon cœur se serra d'émotion à mesure que j'ap-
~pfôchai une maison où Ton continuaità vivre sans"
moi, sans ma sympathie, sans mon amour dévoué,
et à ce serrement de cœur je reconnus combien peu
j'étais guérie. Herzen me reçut avec la cordialité
d'autrefois, -loft-wifiiwlai'iMHsul lendreMes amis polis.-
La petite Olga, quo je ne pus revoir sans |tlo«n*oi%
restait timide et réservée. Mois, lorsque au boni do
quelque temps jt\ivs(ai seule aven uHv»J>lk\i»t-sauta
Inrusqueinenl wt «oit, m>mbrassanl avoe une ten-
dresse |Hi8siontuV. liés lors jo compris «|it'oii ox«r-
çâH umvpw^sion'sHi' t'dnfoftt r<s*- SPW eelto^Ma^ait.
instinctiviMnenl que Tuniour profond qui nous unis-
sait no pouvait plus so montrer librement comme
par le passé. Ce fut une nouvelle douleur pour moi;
j'avais espéré retrouver les enfants plus heureux
qu'ils ne l'avaient été avec moi il n'en était rien,
notnmmont pour Olgu, et je compris que la sépara-
«"lU'IU'ulJffété un malheur pour «Ile commepour moi.
Je résolus donc pour l'amour d'elle de supporter
toutes les amertumes cl les soutlVances nouvelles qui
m'étaient réservées, d'aller souvent chez Herzcn, alin
que l'enfant sentit la profonde tendresse que je lui
avais vouée veiller près d'elle comme un ange gar-
dien.
Dans le courant de l'hiver, je fis plusieurs con-
naissances des plus agréables. Parmi mes nouvelles
relations je citerai Angélique de Lagcrstrœm; elle
n'était pas mariée et avait à peu près le même âge
que moi. Comme moi elle avait pris part au mouve-
.ment religieux nouveau, et, bien qu'elle ne s'occupât
nùHcirienldc politique, elle avait dû 'quitter là Prusse."
Elle voulait s'établir à Dresde, mais elle fut molestée
par la police et réduite à %'Ox*lar- Elle était allée–
d'abord en Suisse, de là en Angleterre, et comme elle
n'avait pas de fortune, elle devait subvenir à ses
besoins en donnant des leçons. Son sort étoit dur;
il-
«Ile avait du renoncer « nno oxisfoneo agréable
qu'elle avilît sü sa ~I't~i;
su se .fi. il lui avait
pitla'lo,-ilhlrn,'nit
«-réer dans sa "patrie,
l'allu rompre avec son milieu pour mener, à l'entrée
«le la vieillesse, une vie solitaire dans l'exil. Je savais
nouvelle commençait a naître^ en Aile-
«ptieîfe vie
magne en dehors de l'église orthodoxe; les plus
grjUMls prohlèines moruiix (Jis'qyil^ lilmmienl
ecîiappaîeni a toute continuitédogmatique, les ques
lions sociales étaient traitées d'une manière vrai-
ment humaine; on aspirait à une culture véritable,
au lieu de viser à une science abstraite, réservée
iiniipienient à certaines .sphères ou a certains indi-
vidus. On voulait que tous, grands et petits, riches
et pauvres, les hautes comme los basses classes, par-
ticipassent au bienfait d'une culture vivante et efti-
cace, .le savais tout cela, je mesurai donc quel sacri-
iice Angélique de Lagcrstrœm avait consommé
en partant; j'en appréciai davantage son courage
stoïque dans te malheur. Un humour inaltérable et
une instruction variée et sérieuse rendaient sa con-
versation très attachante et je lui fus redevable de
quelques bonnes heures. Elle m'avait parlé à
diverses reprises d'une Anglaise dont la fillette pre-
nait des leçons d'allemand avec elle; tout ce qu'elle
me dit de cette dame avait piqué ma curiosité. Or,
un soir que Saffi faisait une conférence sur les con-
dilioiis de -l'Italie, j'y -rencontrai M"" de Lagerslrœm
qui me présenta une jeune femme d'une rare beauté
JiéJajtMEçj^ qui elle m'avait tant parlt'·
La taille élancée, les beaux yeux sombres et la grâce
de la jeune femme me plurent, et le son de sa voix
acheva de me la rendre sympathique. Une voix
douce et pleine a toujoursexercé sur moi un |Çt'««»l
charme; ici j'y fus <)'tiiiinnf plus sensible que la
langue anglaise, malgré ses sons gutturaux, si déplai-
sants d'habitude, devenait presque musicale grAce a
cet organe d'une extrême douceur. Je l'invitai a
venir uîe voir, et olfo «o l«r«t« \m# ïftmè fairo visité.
Je connaissnis par M1!0 «l« J^g«rstr«n»» Ui»«itnnli**«
«ïâins laquelle so iroùvail M™" ïïolïî jn iw tus pas
«lonm'o «le la confiance qu'elle me témoigna «le
primo nltcml..ï*tfprouvai pour elîe In plus vive sym-
pathie c'était une nature rare, d'une personnalité
marquée; elle avait grandi dans un milieu 'lui lui
était antipathique, et par la seule force de la pensée,
elle s'était affranchie de bien des préjugés. Kl le était
la fille unique de parents fort riches; elle avait été
élevée dans le confort, le luxe même. Née en Italie,
où elle avait passé sa première enfance, elle en avait
gardé un souvenir plein de poésie et de rêves ces
réminiscencesformaient comme le fond de son carac-
tère, elle y conformait toute l'harmonie de sa nature.
Revenue en Angleterre avec ses parents, elle avait
senti grandir la divergence d'idées et de sentiments
entre elle et son entourage. Son père était un bon
vivant, fin, spirituel et frivole, qui avait gaspillé
une partie de sa fortune dans les distractions cou-
tumières à un homme du monde; dépourvu de tout
scrupule, incrédule et sceptique «u fond, il tenait à
observer en apparence « la forme ». Sa femme était
le modèle de J'Anglaise « respectable son or tho-
doxie était irréprochable et elle se soumettait con-
sciencieusementau verdict de soumissionconjugale
prononcé à l'autel; le dimanche elle allait invaria-
Jdcniont «Iimixrois «; l'^lW no touchait a nueun
travail -u« juur-là 4«H« faisait Uwt .«.- comme tout te
monde »,cm« moud» dosons « respectables quint»
p«Vhe jamais contre ta tradition établie; mais elle
»>
divine.
ceux qui n'ont jamais à aucun moment de leur
existence connu Tétracelle
Mon c'umh* se ivyôTtjiiT eonlm eèHe idée: eomMen r
d'hommes que leurs ttôris <losliif«it»nl«« plus bel
avenir, périssent avec lu foule parée que les moyens
«le culture leur ont fait défaut! et optes Unit la
douleur, la profonde misère n'était-ello pas la et
tous iren «ouffraienl-ils («s? Le remède ^V ce* maux
n'élail-il pas urgent?
Toutes ces pensées me conduisirent it conclure que
-nous -qui -croyions- avoir détruit toutes les idoles M
tous les faux dieux nous en avions créé un de toutes
pièces le peuple. Le peuple,voilà quel était le refrain
<h»notre^|»Ui*sé^lo^odétodcratkjTtB,coiïiin» si optaiti
un être d'une espèce supérieure, une divinité jusque-
là méconnue, comme si de là devait émaner une
nouvelle théorie du monde, une morale supérieure.
Nous avions vu en 1818 et 1849 ce que c'étaient que
les masses, le peuple à l'état actuel de son déve-
loppement c'est un instrument aux mains de
meneurs habites. Le plébiscite en France avait
montré l'usage que fait le peuple d'une liberté pour
laquelle il n'a pas été élevé. Oui niera les senti-
ments élevés, les nobles vertus, l'abnégation, le
désintéressementet le germe des talents variés qu'on
rencontre au sein de ces masses ignorantes et rudes?
Où donc est le remède? 11 faudrait non pas, comme
le promettent les flatteries des démagogues, élever
les masses ignorantes à la souveraineté, mais ouvrir
les carrières, fixer les droits, réformer les institu-
Lions, afin de donner à tous du travail et permettre
à tous de se signaler. Le rayon bienfaisant de la
vraie culture doit pénétrer la vie aride et désolée de
ceux-là mêmes qui aujourd'hui mènent unévïe de
htMe «le somme. Riais une «'forme est nécessaire a
toutes les «hisse» sociales; il faut que tous, riches
et suivies, forment un soûl peuple, heureux de m
grouper autour de ses hommes de génie, de ses
héros, pour les admirer et jouir de l'octal béni
qu'ils répandeul; car, «près le géniev vieil n'est plus
grand que de savoiV le reconnaître et l'aimer.
Mais quand je songeais ù la grandeur de cette
Mche, l'avais le vertige, Des siècles^ -pouvaienl-ils
sufOre? Kt <juand là réalité se montrait a mes yeux
toute nue dans son horreur, j'étais en proie ait
désespoir. Un soir, peu de temps après mon retour
de Haslings, je rentrais chez moi vers dix heures,
après une visite chez Frédéric et Charlotte. J'allais
seule, bien que le chemin fut long, mais je n'avais
personne pour m'accompagner et je n'avais pas les
moyens de prendre une voiture. La nécessité
m'avait
rendue brave. (Tétait une triste soirée d'hiver. Mon
cœur était lourd, car tout le passe venait de revivre
dans mon âme et je compris amèrement ce que
disaient ces ombres blêmes A'essun maggior dolore
chu ricoè'dorsi d?l tempo ffliee twlla miscria. Une pluie
fine mouillait mes vêtements et rendait les trottoirs
glissants; avant d'arriver à la grande chaussée, mon
pied glissa, je tombai sur la terre humide, ma tête
faillit porter sur une grosse pierre. Heureusement
un omnibus vint à passer et je pus faire une partie
du trajet en voiture. Puis il me fallut reprendre à
pied-ma routera travers une rue interminable, popu-
leuse, avant d'arriver au quartier plus tranquille que
jJiabHais^n^tassauy^
ces spectres qui sont si fréquents la nuit à Lon-
dres. Là, immobile comme nne slatue, une IVmmo
décharnée, on haillons, serrait contre son sein ghieé
un nourrisson MeTuordeux autres enfants, à demi
blottissaient
nus, grelottaient à coté d'elle et se
avec angoisse contre la jupe de leur mère, pour se
réchauffer. La femme ne disait rie», mais de ses
jeux vitreux elle regardait les passants à smuruu
pendail une pancarte portant en grosses lettres que
son mari était riwladff, quils étaient sanHravnil f »»tf
oftvorfi), et sollicitant la charité des passants. C/est
obole dans
en frémissant que je mis ma modeste
cette main osseuse qui s'ouvrait et se fermait machi-
nalement, sans que les lèvres formulassent une prière
ou un remercîmenl. A quelques pas de là il y avait
d'autres femmes, pauvres encore, mais déshonorées,
aux regards hardis, au rire impudent, vêtues d'ori-
peaux répugnants, puis des hommes si orlieux dans
leur expression bestiale que je détournais les yeux.
Enfin des vieillards haletants, traînant une vie misé-
rable, jetant des regards de convoitise sur les bou-
tiques éclairées des pâtissiers; des enfants, garçons
et filles, demi-nus, portant déjà la marque indélébile
du vice. Oppressée par une indicible angoisse,
j'arrivai enfin chez moi. « Voilà l'humanité dont lu
rêves la rédemption! » ni"écriai-je en me
tordant
les mains, – « c'est pour elle que tu as renoncé à
tout ce qui rend la vie belle et aimable, pour elle
que tant de héros ont enduré le martyre et sont
morts sur la croix! Voilà la vie oit l'égoïste passe
une existence heureuse et se croit dans le meilleur
-des-nrontlcs! Voilà domr-rhonune (jréé-jriimggg-
de Dieu, d'un Dieu dont les prêtres imbéciles
'disent qu'il est un IMeu «le bonlé, de justice et
«l'amour! .»
An «mis «lo février, l'émigration perdit un do s«'s
je
nïeinbres X fus foif" aïttïg«ïe do colle" mbrf. Le
noble Polonais Stanislas Worcell succombait à un
mal tlui le minait depuis longtemps. Je no l'avais
pairïttTU depuis mon départ de cKez^Horzen. L'es-
Hme que m'inspirait sa haul» vertu me faisait un
devoir d'aller à son enterremenl et de lui rendre ce
dernier hoïntnagei: En Angleterre, lès fertVméîs no
sont pas exclues de ces cérémonies funèbres. Elles
peuvent suivre l'impulsion de leur cœur et accom-
pagner ceux qu'elles aiment jusqu'à leur dernière a
demeure, suprême témoignage d'un amour qui jus-
qu'à la dernière minute veut faire tout ce qu'il peut
pour les êtres chéris, jusqu'à ce que la terre les
prenne a jamais. C'est par une belle matinée d'hiver
que j'allai à la maison «le deuil, une maison bour-
geoise très simple, située dans un quartier tranquille
et modeste. C'est là, dans une famille de brave gens,
«pie Worcell avait vécu dans «tes derniers temps.
l)«?s amis généreux lui étaient venus en aide, lors-
qu'une grave maladie l'eut, empêché de continuer
il subvenir par des leçons particulières à ses besoins.
J'ai <U;jà raconté les cruelles épreuves domestitlues
«le Worcell; elles l'avaient vieilli avant l'âge; j'ai dit
aussi avec quel héroïsme il les supporta. Son noble
caractère inspirait le plus profond respect à tous
ceux qui l'approchaient.II. était-demeuré l'un des
chefs du parti démocratique polonais et n'avait
jamais perdu la foi en l'avenir de la Pologne. Au
début de la guerre de Crimée.TTcTôjait encore à un
soulèvement; il espérait l'appui des alliés, A «'elle
Unie on tenait de grands meeting* eu Angleterre;
c'est Kossuth qui portail la parole, car Woreell, qui
Ttvaif toutes Tes qualités de l'orateur, ne pouvait
parler en public, étant asthmatique. Mais il accom-
pagnait Kossuth partout et sa seule présence servait
fa cause qu'il défendait. Les Anglais portaient u»
intérêt enthousiaste à ces meeting, mais ils s'en
lenaienl là. Les alliés n'osaient et ne voulaient
pas se servît de la rëv<»fuïion coromër «TiVnrtic1 iïo yeti
contre la Russie et la part des peuples, dans cette
guerre, consistait à fournir leur argent et leur sang.
Mais Worcell espérait toujours, et à son lit de mort
il dit à son ami Joseph Maz/.ini « Si un jour les
peuples se soulèvent, n'oubliez pas la Pologne. » Si
jamais la Pologne élève un monument aux martyrs
morts pour sa liberté, le nom de Worcell sera un
des premiers, car il est mort pour sa pairie d'une
mort plus truelle que celle du champ de bataille.
Arrivée à la maison mortuaire, j'y trouvai des
groupes nombreux d'exilés de tous les pays; des
Anglais de tout âge et des deux sexes, venus là
par curiosité, regardaient avec étonnement cette
foule d'étrangers. J'entrai dans la maison; dans la
pièce du rez-de-chaussée le cercueil était encore
ouvert, afin que chacun pût jeter un dernier regard
sur le noble visage du défunt. Ses traits étaient
d'une beauté plastique; son front pur et lisse, encadré
de chevcux-gris,-porlaiLrempreinleîles, lulles victo-
rieuses. Un artiste anglais, un ami de Worcell, que
je connaissais, s'approcha en même temps que moi
du cercueil. iS ou? parlâmes à voix basse du mystère
de la mort qui transfigure presque toujours les traits
«les grands (mimues et les marque du caractère tlui
faisait ie foml inftiïe «le leur nature, trop souvent
ajtéj'1'' par la vie t les défaillances momies, l»>s
infiucnecs physiques. La chambre eonliguë était
pleine «le momie; toutes les nationalités y étaient
représentées; il y avait tles Polonais, îles Russes,
des Italiens, des Français,, tles Allemands il y avait
aussi des Anglais, et un peintre eût trouvé là un
çhoiv de lielles tôles d'ôtude. La mattrqsso de la
maison et ses filles se disposaient aV suivre le corlego
en voiture et elles m'offrirent avec tant d'insistance
une place auprès d'elles que j'acceptai, bien duc
j'eusse préféré aller à pied. Nous suivions le corbil-
lard, puis venaient les Polonais deux par deux, puis
les drapeaux des différentes nations autour du dra-
peau roujçe de la République; derrière les porte-
drapeaux venait la musique, qui jouait la marche
funèbre de Beethoven; de nombreux émigrés de
tous les pays fermaient la marche. Le beau temps
favorisait les curieux venus pour assister à ce
spectacle.
Ries compagnes ne cessaient de me parler du
défunt en versant des larmes de tendresse et de res-
pect. C'étaient d'excellentes personnes, des petites
bourgeoises chez lesquelles la bonté du cœur tenait
lieu de culture. Elles avaient entouré Worcell de
soins, d'affection, de prévenances, et elles le pleu-
raient maintenant comme s'il avait été leur parent.
Elles ne tarissaient pas d'éloges sur sa bontéf soir
amabilité, sa cordialité.
<<_HéJas!1 disait la mère, dès que nous étions dans
rembarras, ce qui arrive souvent a «es gens de notre
nmdition, j'allais le trouver et je lui disais « Cher
« monsieur Woreell, que dois-je faire? « II in'êcou-
laR* iwveonseillttit, «t imnKtttmes afl'atre^ùco?uT
comme si elles avaient été les siennes. »
– « Et il
avait tout de goût! ajoutait la fille; nous
n'achetions paa une robe, pas un ehopeau sans lo-
consultmvet«ôtt avis était toujours bon. Il»
– « C'est vrai, reprenait la mère, et quand il lui
«mvaffi tt^tee- triste et ique j'étais assise ô côté de
lui, no sachant que dire pour le consoler, il prenait
ma main et me disait tout bas « Je sais que vous
« me voulez du bien »
Ces traits touchants chez un homme autrefois si
fortuné, si honoré, et qui par son esprit et sa cul-
turc était si fort au-dessus de ces pauvres femmes,
m'émurent vivement; ils me rappelaient un incident
qui m'avait révélé a moi-même l'âme élevée et déli-
cate de Worcell.
La première année de mon séjour dans la maison
île Herzen j'avais eu l'idée de faire une surprise ano-
nyme à Worcell pour Noël; il était malade, ne pou-
vait pas donner beaucoup de leçons, et je le savais
dans la gêne. Je choisis des mouchoirs en foulard,
que j'ourlai moi-même, et quelques autres petites
choses qui pouvaient lui être utiles. Les enfants
Herzen, à qui j'avais fait part de mes projets, en
avaient été enchantés, car ils aimaient et vénéraient
le digne homme ils se déclarèrent prêts à contribuer
de leur bourse à ce cadeau. J'aimais beaucoup voir
les enfants cacher ainsi leurs bonnes actions, sans
-compter sur- ub remerctmeot ou un éloge. Donc, la
veille de Nuf'ï, sans que Herzen même en sût quelque
chose, nous envoyâmes un panier a Woreell, de
manière a vo qu'il ne put se douter de qui lui venail
cet envoi. Mois comme il arrive souvont que la mal-
veillance et l'envie pénètrent les secrets des cœurs
généreux pour gnler à dessein des joies innocentes,
lu famille de Polonais dont j'ai déjà parlé avait su, je
ne sais comment vque cet envoi venait de chez nôusT
Cîe» méchantes gens avaient cherché à faire croire ft
Woreell que nous jlui faisipjBS une sorte d'aumône,
si !>ien qu'il en avait été prôfonitémëhl Messi1.
Indignée de ce procédé, j'écrivis a Worcell, je lui
racontai simplement que j'avais voulu lui faire un
plaisir, que les enfants s'étaient joints à moi, et je
le priai de croire toute autre interprétation impos-
sible. Dans l'après-midi nous étions encore tous
réunis dans la salle & manger lorsque Worcellentra.
Hcr/.en, que j'avais mis nu courant de la chose, alla
vers lui, un peu embarrassé; mais Worcell lui dit
« Aujourd'hui ce n'est pas vous que je viens
voir. »
Puis, s'adressant à moi « Aujourd'hui c'est pour
vous que je viens. » Il me serra tendrement la
main, s'assit près de moi et resta quelques heures à
causer d'une manière animée et intéressante. Il ne
fit pas une allusion à ce qui s'était passé, cela n'était
pas nécessaire, nous nous comprenions; tout en
causant il me regarda en souriant et il tira de sa
poche un des mouchoirs que je lui avais faits.
Nous avions fini par retomber dans le silence, et
bous nous plongions-dans nos souvenirs- la route
était très longue. Je songeai que pour la troisième
fois j'allais à ce beau cimetière de Highgate, situé
sur une eoîîmo d'où l'on domine cette vaste -ville <l<*
Londres qui se pertl a l'horizon. La première fois
«•'était aussi un membre du la famille des émigrés
que j'avais conduit à sa dernière demeure, M"10 de
ïïrunïng; sa mort âvaUmîs fiu a Tïno ère de notre vie
et do nombreux amis pleuraient autour do sa tombe.
La seconde fois mon cœur avait soullert davan-
tage^ un cercle d'amis fidèles portait la^dépônillft
mortelle d'une amie charmante, morte subitement
à1'henrçc
à l'heure Q1I
ou (h}\'ait.s~ y^aliser l'Oul'cU.e
devait se J't\alisel~ poir-
pour elle l'espoir
sûprome dfi fe vie dt'iihé femme. Son enterrement
avait été une solennité empreinte de poésie, d'amour
et de mélancolie. Cette troisième fois il me sem-
blait que j'allais célébrer la mort d'un héros.
Dans ma vie intime ces trois morts marquaient trois
étapes. La première fois j'étais au début de ma triste
vie d'exil, j'étais résignée, mais forte, j'étais obligée
de me suffire it moi-même, j'avais désappris le
bonheur, mais j'avais appris à supporterstoïquement
les amers regrets. La seconde fois j'étais arrivée
à l'apogée de ma vie, j'avais trouvé ma voie, l'accom-
plissement de ma tâche ici-bas, dans la famille que
j'avais choisie et où j'avais rencontré de profondes
sympathies. L'amie que je pleurais m'avait vue dans
ce milieu, elle avait joui de mon bonheur. Cette
-troisième fois je venais seule, j'étais sans foyer, je
n'avais plus le courage froid des premiers jours,
mais blessée au cœur, je pleurais ma dernière
illusion.
Enfin nous arrivâmes uà Highgate, Malheureuse-
ment on transporta d'abord le cercueil dans la cha-
pelle pour sacrifier au préjugé anglais. Si la question
de religion avait été sérieusement posée, il aurait
fallu aller a l'église et non au temple, Woreell étant
catholique. Mais depuis longtemps déjà il s'était
affranchi dos pratiques étroites d'un dogme pour
embrasser la jreligion. do l'humanité, oh les prières
inintelligibles des prôtres ont perdu leur prix, où
tout homme de cœur, épris de vérité et de bonté,
est un prêtre. En sortant de la ehapollo, los prin-^
cipaux représentants de l'émigration s'approche ï
renl pour porterie cercueil sur la colline; c'étaient
Mazzini, LeiU'ttfRQHin, Heraen^ été, C'était â <juf
rendrait a Wôrcell cet honneur suprême. Arrivés
près de la tombe on planta les drapeaux. Un Polo-
nais paria le premier, puis Ledru-Rollin, que je
voyais pour la première fois et que je n'ai jamais
entendu depuis, s'avança et dit
« Citoyens! voilà encore un des nôtres qui n'en-
tendra ni le signal du réveil ni les cris de la victoire.
Sa vie n'a été qu'épreuves, que tristesse, que deuil
Rien ne vient interrompre le silence de l'exil que
l'écho plaintif de la douleur. Déjà dans toutes les
parties du monde reposent quelques-uns des nôtres,
et nous qui sommes ici sans patrie, sans foyer, sans
famille, nous n'avons de parenté avec ce sol que par
la tombe.
« Et en face de ce sombre tableau, le vice triomphe,
encensé, enivré d'orgueil. A voir ce contraste on se
mettrait à douter du progrès, de la vérité et de la
justice, sans nos morts qui portent la marque d'une
sérénité immuable, d'une espérance invincible, pro-
phètes qui fortifientet relèvent nos âmes. d-
« Au milieu de notre douleur, puisons donc
une
consolation dans râort» pmsqnelle est devenue
notre force! ne la maudissons pas, car elle lutte pour
jious et nous grandissons sous les coups
qu'elle nous
p«rl«! Essayons de comprendre que si nos rangs
commencent à s'éelaireir <lan* l'exil, il* se serrent
dans la patrie, gradée a la vérité de renseignement et
à la grandeur de l'exemple.
u « En effet, queHcMju' elle soit, cette- mort, qu'elle,
vienne lente, goutte à goutte dans TexiMans la pri-
son, sons le ciel inclémonl de l'Afrique, ou rapide et
violentê,^le hi inaînjdu bûureea»* piirtout «Ile- est
reçue- avec sang-froid, nul murmure ne
l'accueille;
le seul regret de tous est de ne pouvoir continuer la
lutte, et les héros tombent en jetant un regard ins-
piré vers l'avenir qui réserve la victoire.
« Hélas! sans doute nos épreuves sont longues et
cruelles, mais notre tache est grande aussi, et il nous
fallait toutes ces blessures, toutes ces douleurs pour
sortir victorieux de nos épreuves.
«
En effet, il ne s'agit. plus aujourd'hui de recon-
quérir notre patrie ou de changer une forme de gou-
vernement, il s'agit d'une complète révolution sociale.
Il s'agit de briser le joug des siècles, de combattre
lus préjugés et l'obscurantisme par la science et la
lumière. 11 faut abolir l'esclavage, quel qu'il soit,
quelque nom qu'il porte, celui du servage ou du
prolétariat. Le temps est venu d'un travail libre,
c'est l'association qui sera la base de la société future.
Le temps est passé des peuples tributaires égalité
eî solidarité des individus, égalité et solidarité des
peuples. _m quels souvenirstristes
« La solidarité des peuples!
et glorieux ce mot évoque en mot; eacce jour de
deuil pour nous, ce 9 février, fut il y a huit ans un
jour de joie et de résurrection pour l'Italie. Rome,
asservie par les papes, s'érigeait on République.
« O Italie, mère de noire civilisation, grande édu-
ealriee^le FOccidenlrtoi que la France des préto-
riens a étouffée, reçois de ma bouche, des lèvres d'un
vaincu de la bonne cause, au nom de la France répu-
blieaùuv*»» parolesexptatoires rie jour reviendra on
le drapeau se relèvera qui porte cotte inscription
Un pour tous, tous pourunl » JLei3 juin ila été
«
la
d3ejin^,= œ«ïs 0 Fera eônquôle dû monde et le
jour de la victoire sera l'aurore de la République
universelle.
« Oui, la
République universelle, la solidarité de
tous les hommes, voilà l'espérance que portent dans
leur cœur les représentants de tant de peuples réunis
ici. 0 mes frères, c'est plus qu'une notion politique,
c'est une foi, un dogme, une religion qui pour nous
sort des tombeaux. Le prosélytisme du despotisme
est révoltant et éphémère, mais celui des martyrs
est touchant, éloquent, saisissant et durable.
« C'est
quand on a vu tomber autour de soi tant
d'adeptes de sa foi qu'on comprend les paroles du
psalmiste « Leurs ossements féconderont le champ
« de
leur foi et leur mort sera plus utile encore que
« leur
vie. Il en sera ainsi de la mort du grand
CHAPITRE XXX
Relations et sympathie.
Mes relations avec Mmc Bell prirent un caractère
d;affeetueuge intimité.– £He- venait me~-yok^~4wssi-
souvent qu'elle le pouvait et j'admirai de plus en
plus le coté artistique do sa nature. Sa situation
s'aggravait, lulifine entre elle et les siens allait
toujours grandissant* Enfin son père et son mari
lui déclarèrent un-jour- qu'il* allaient mettre Tênfarir
comme « ward in Ghaneery » ou bien dans une pen-
sion pour la soustraire a la pernicieuse influence de
sa mère^ eelle-ei, par sesrappofts^veeM* de£ êlrany
gers, «es ennemis dos lionnes' mœurs de tradition
anglaise », devenait, disaient-ils, de plus en .plu»?.
dwjgereusG. La pensée «*e voir l'enfant en tutelle
porta un coup mortel à la mère. Par là l'enfant
échappait pour toujours à l'innuence maternelle,
selon la loi anglaise, si injuste envers les femmes.
Kilo n'avait aucun recours, la volonté du père
ayant force de loi. Placée ainsi entre deux alter-
natives également fâcheuses, elle choisit la pen-
sion dans l'espoir de voir un jour son mari revenir
sur sa décision. Elle déclara qu'elle était prête à
mettre sa fille en pension, à la condition qu'on la
lui laisserait choisir elle-même. Elle vint ensuite
me trouver, me priant de l'accompagner dans ce
pèlerinage à travers les maisons d'éducation de
Londres. J'y consentis volontiers pour lui faire
plaisir, et aussi parce que cela m'intéressait de voir
de près l'enseignement des filles en Angleterre. Je
pus vérifier ce que les romans anglais et les con-
versations particulières m'avaient déjà appris sur
ce point. Dans la plupart de ces bonrdhtg-schools,
on visait avant tout à enseigner la stricte obser-
vance du culte et de labienséance; on devenait
«
lady-like ». Pour qu'un boarding-school fût « res-
_jie£t&bJ&jL-£t-£X6elk«*V^que I us-
I motion religieuse y fut donnée pat* un « Hévèrend >,
que la prière t'rtl faite tous les malins en l'ommim,
que te dimanche, toutes les pensionnaires, eon-
« luîtes parune maîtresse, 'nttâsstMÎl au rmôïns une fois"
à l'église, et que ce jour-là on ne s'nccupai ni de
musique, ni de peinture, ni rie roulure, ni rie jeu;
Irt seule lechïre^permisjrélait la" Bible. Ku secotide
lijçne venait la question de tenue; les jeunes lilles
devaient apprendre ù mare-her, à se tenir, à s'as-
seoir, eomine il sied a niui « lady »*; iriëiir était
défendu d'Olre « vulgar », «le causer avec des domes-
tiques, encore bien moins avec des gens d'une
condition inférieure, Dieu même ayant établi les
dill'érenles classes sociales! Kilos apprenaient a
tenir le couteau et. la fourchette selon les règles,
il être « modesl » est toutes choses, A ne jamais
rire aux éclats, il ne jamais se laisser aller ai un
mouvement brusque, etc. Mais elles pouvaient porter
des robes extrêmement décolletées; il eût été incon-
venant même de descendre au salon le soir en
robe montante. Le reste de l'enseignement était
conforme à cet esprit superficiel; il s'agissait de
donner le « fini » et il y avait des écoles spéciales où
Ton ne donnait que ce dernier vernis si apprécié.
Quelle erreur que ces « finishing-schools » L'école,
au lieu d'ouvrir les yeux il l'enfant pour lui apprendre
à voir le inonde et à aspirer à la beauté et à la
noblesse, lui met un masque, le même pour tout
le uioude, el derrière lequel toute personnalité s'ef-
face. Nous visitâmes plusieurs établissements de ce
genre et nous nous en détournâmes avec dégoût.
Tuîs nous visMmcs quclques:û^s~3ë¥|3MT:eicënls
«
Inities collèges »,<>ii «le sérieuses réformes avaient
été tentées. Tonl d'abord ces (collèges ne «compre-
naient que des classes (renseignement,supérieur, °l
des maîtres d»1 ^premier ordre y étaient chargés, des
différentes hranches de l'enseignement. Lorsqu'on
vil combien l'instruction élémentaire manquait aux
jeunes Mlles qui venaient suivre ces cours, on se
décida à créer des classes primaires dans ces écoles.
Ces collèges répondaient à un T»esoîn de culture des
ïemmesï e^élaUame eûttqutUé de l'esprjt mi>derne,
qui, brisant les entraves des préjugés surannés,
teudait vers un développement plus large. L'ins-
truction religieuse était reléguée au second plan,
et devenait facultative. La plupart des fondatrices
de ces collèges étaient des femmes intelligentes
et distinguées. Je connaissais la directrice de Bed-
fortl Collège, la vieille Mmo Heed, qui avait con-
sacré à cette œuvre une grande partie de sa for-
lune. C'était une de ces natures énergiques, fines,
cultivées, comme on en rencontre parfois en Angle-
terre. Petite, le visage expressif encadré de che-
veux blancs, presque toujours souffrante, et malgré
cela toujours aimable, toujours active, elle était
de ces personnes sympathiques dont la présence
est toujours un charme, chez qui l'esprit trouve
un stimulant et le cœur un apaisement. J'ai passé
de bonnes heures dans sa belle maison si confor-
table de Regent's Park où elle vivait avec une soeur.
Elle me témoignait beaucoup de bienveillance et
-•j'avais- pour elle xmc~ affectiorr iitiale. Elle vivait
tout entière pour sa tûche et elle consacrait toutes
^scsjorceg^ tojiej^esj^simri^j^àjeelieuQeuvi:ey âfia
de bien faire ce quVIle faisait; nous retrouvonsR
e«»th> conception Joule anglaise dans le lïagmonl
ijnon v« lue; une «faine de ses amies lui ayant
demandé de -souscrira» en -faveur«le- ht libération
de l'Italie, elle répondit ce <|tii suit
« Nid plus que moi ne liait la tyrannie, l'oppies'
sion, l'injuslke, quelle qu'elle §oât, I/Italia a lou.s^
les titres a ma sympathie/ li mon amour. Mais jo
me suis donné une lAclie dans ma patrie et je no
imis nie permettra tlcmjç soustcam?, ^NiïWb «M»U«%ft
bien besoin d'argent, et chaque shelting que je
puis épargner est consacre a cette, reuvre, car ceux
qui nous viennent en aide ne sont pas nombreux!
Ouo les femmes périssent, les hommes ne s'en
soucient guère! Vous «Mes si pleine de votre noble
cause, que vous ne voyez pas ce qui passe autour
de nous; vous ne savez pas les conditions navrantes
de l'éducation des « latlies » et l'espèce «le croisade
diabolique entreprise contre elle. 11 faut être initié
à I» question de nos « collèges » pour
mesurer
l'opposition qu'on leur fait à la tôle de cette
oppo-
sition est le clergé, ces faux amis des femmes qui
ont de tout temps abusé de leur autorité et de leur
influence; dans les familles, cette opposition est
formée par les hommes tlui veulent garder le
mono-
pole intellectuel. Nos jeunes gens n'aiment
pas les
« collèges » de filles, me disait dernièrement une
dame qui venait visiter le nôtre sans
ses filles;
celles-ci avaient refusé de l'accompagner
pour ne
pas rompre ouvertement eh vîsîerë avec Topînîon
de leurs frères. Cette opposition est devenue telle
que nous nous snmn^<; demandé pendant quelque
temps hï nous n'allions pas renoncer d «btre* enir«-
prise, on s'il fallail continuer la lutte ait prix de
tous les soeriliees. («'est celle dernière alleranlive
que nous avons choisie. »
<?est ehex cette aimable -femme-que je conduisis
Mmo Bell, et celle-ci trouva aide et conseil auprès
d'elle. M™" Bell choisit l'un de ces collèges auquel
«ne pension^ était ^annexé»; elle fit part de £oir
choix ft sa famille déclara a son mari qu'elle
ef.
quitterait la maison en même temps que sa fille,
réiifant étant te «seul lien qui la retînt encorev ^Ôh r
ne fit que la railler. H ne pouvait être question, lui
fut-il répondu, d'envoyer l'enfant dans un de ces
collèges, imbus d'idées étrangères; la pension d'ail-
leurs était déjà choisie quant à elle-même, si elle
tenait à se couvrir de honte, elle n'avait qu'à
quitter la maison. Mm<) Bell vint chez moi déses-
pérée la pension qu'on lui avait nommée était une
de ces maisons dont j'ai parlé plus haut; elle y
prévoyait la perte morale de sa fille. De plus elle
sentait la nécessité de partir dès que l'enfant aurait
quitté la maison, qui était devenue un enfer pour t
elle. Nous cherchions avec anxiété une solution.
Enfin nous prîmes le parti d'aller trouver le vieil j:
V'Hiiwjui'Zv -
continue, Vn capitaine des
~< inities est venu -w\ présenter «l'un- nir tout a fuir
martial; il itiotlil Klaul a Londres j'ai considéré
comme un «tcxnti' »lc vous présenter mes hom-
mage* Vous pense/ »jh». j 'n| (ii'is aimsiUM le ton
jl1iui.n«;nt;i'»L
<>
Tout li«inoi)t|o vous rnvoio ilt>s niuiiiôs.
< /«S*. ,!«« vous
on |»iic, noiihlie/. pas los porlrails
.»--
Mon voyofîo lui «raiilanl plus a»ival»lo quo Jcaniio
KtiiM trt stm mari vinrent avo« «voî, Nous pas-
sAines gahuonl K»s Ihmuvs »J«» lei routa ot, ft Mail-
ehfsli'r, nous nous sépai'ainrs avo«< la promisse <|«
nous <loniu>i' roiuloz-vous tous U*s jours à IVxp o-
silion. Jo fus »lo nouveau ro«juc clic/. M1"" Salis»
Schwalu» «le In manière la plus aliVcluousc. Kilo
Mail vonvo, mais sa maison hospitalière n'en demeu-
rait pas moins ouverte a «les invités «le lonto natio-
nalité, de toute condition, parmi lesquels il y avait,
toujours quelques personnalités de marque qu'on
était heureux tla rencontrer. L'hospitalité anglaise,
qui offre il ses hôtes tout le confort de la vie de
famille et qui leur laisse une pleine liberté pour
l'emploi de leur temps, me permit de jouir à ma
manière tle l'exposition; j'allais y passer la matinée
avec les Kinkel et ces jouissances artistiques
n'étaient interrompues que par le joyeux déjeuner
que nous prenions ensemble à l'exposition.
Cette exposition était une entreprise réussie à
tous les points de vue; l'agencement en était artis-
tique. Le local avaii- été 'construirai? Jtoc, ir était
«'oiiçu «te manière à éviter les inconvénients des
galeries «le tableaux ordinaires, où Von vait ptMe-
iu»Me les œuvres les plus hétérogènes, on le
médiocre et Je pm» *<> trouvent à cala de ehefs-
d'iuuvre, ut où fos toiles m» miist<n» Io plus souvonl
-*•» uws n«x mrtTOs/U/clmïjtHn^o1rs etMUjtur^mmr
nmîliv uvail sa salle spéciale ;o» pcttivuit ainsi IVIii-
•Hcr tlnns taules les phases «le son gi-nie. La richesse
dn twjwHes permettait ^le jujief îles ;.tr&or* adisU-
ijues qwn l« Fortune pnUïitjuo ««t privée «le l'Angle-
terre a ravis aux pays oit l'art «le la peinture a fleuri.
Les palais et les elvAleaux avaient ênvojô iïcàilô
«'xposition tout co «jn'ils reeèlent «lo ehefs-«ra»uvre.
r.'était Murillo qui était le mieux représenlô;
toilos remplissaient une vaste salle. C'était la ses
mière fois que je voyais les peintres espagnols, et pre-
je
tus frappée de retrouver chez eux le trait national
qui caractérise également leurs poètes. A coté du
réalisme plein de vie qui distingue le mendiant de
Murillo et les princes de Yelasquez.
comme les per-
sonnages de Caldéron et de Lope de Vega, nous
trouvons partout un sentiment ardent,
une ironie
mordante, un souffle de poésie enivrant, mais,
comme l'arbre du mancenillier, cet arôme a quelque
chose de mortel. C'est ainsi que la notion de l'hon-
neur dégénère en folie, la piété s'exalte et se plaît
«lans l'extase, l'ascétisme devient
une passion que
nous voyons briller dans les yeux des moines de
Zurbaran. On comprend que dans
un pays où il y a
cu de tels artistes, de tels poètes, l'Inquisition ait
pu s'établir et que le fer et le feu aient pu devenir
lcs armes de la religion
3«« iMuiUimpas «VaiHePvôïFTfTjSnïë «tSJë^ïë"
Herzen; «''était une délicieuse U%» dt» jeùm» filky
oHo exprimait luul un monde de liemitê morale, de
bouté et «l«» soulVranoes
Le* Kinkt*! passèrent une soirée oh©/ M"1" Salis
Suhwabo et le jeu. •!•• Ji'iijHM» clyii'ijia J«.«J- J«? »ni».««j?.
l'uis ils i-t'UMii-iu'i'fiil à L»nMln>s, \hm> la maison de
mon hùU'ss«« il y uvwil uu Ici Vtt-el-vivul, Unit tl«»
.PiWjilioiis»,.mie]Va_rus4 pxcV'tlw; jon juuiui à .K'iuiuo
IfttiH «m* de mes Mli'«s, et elle IIIt` '~t!J1U1itJil~ pour_
nu* cunsoli'i', ijhVi L«ni«hvs IViigrunugc moiulahi
.*Hrti_l pis encori».
l>o Mnnr'luwû'P nous tollAme» tlan* le pays «le
<iullos et noire vie y prit un cours plus calme. L'mi-
loiniic «Mail beau et nuus permit dos courses aux
environs, tlui sont superbes. Plusieurs personnes
intéressantes avaient été invitées à demeure comme
mui, d'iiulres n'étaient que de passage. Parmi les
premiers il y avait le crititlue Antoine Sprîngcr
avec sa femme et trois eulunts d'une beauté augé-
lique, dans la société desquels je me plaisais a tous
les points de vue. In ami de Springer, un jeune
peintre, Tchèque comme lui, laroslav Czermak,
vint les rejoindre; c'était un homme d'une grande
valeur et d'une rare amabilité. La sympathie qui
nous lia dès l'abord devint la base d'une amitié
solide et durable. Nous eûmes aussi pendant
quelque temps un jeune pianiste suédois, un élève
de Chopin, qui nous ravissait par le talent avec
lequel il nous jouait les compositions de son maître.
Puis nous vîmos une femme qui jouissait d'une
récente célébrité en Angleterre. C'était Mmc Gas-
.ü c3xit~ a ur7,iri~r~k
x
tl'uiuv inaait'jv si saisissante les
~11- 1lat~tttttl-
SQuIVraiwes vt Ion
privai ions des «'lassos ouvrières dans les villes
manufacturières, «|iio «les hommes d'État anglais
intime», omum* lUeliard Cobdon par exemple,
avaient été vivaient émus par eetto lecture
M"10 (laslu'll cinil la leinuio «l'un |>aslom do M«u-
fhoslor; elle élail lr«»s ciillivro, mais elle iiavail
jamais son^ à écrire. Elle poidil son Itls uni<(iu> et
«laus «a tloulour clU« so rôtira loul a Tait du nioiulo
pondant quolquos mois. LoistiuVIIr sortit do s«
ivlmilo, «Ho (tublia ce romau, dans lequul .-m propre
<U>nI«'iirsVpaïu'Iiail avoc la douleur des milHcrs
dVIroH qui soutirent, eouriit^s sous le joujç do la vie,
oil les plus nobles natures se brisent parfois et où
la misèro conduit si souvent au crime. A mon vif
regret je n'ai pu la voir que fort pou «lo temps; lo
souvenir quelle m'a laissé est celui d'une vraiw
femme, dans la plus noble acception du terme.
Ce séjour de deux mois au pays de Galles me for-
tifia au moral et au physique. Je pris des bains do
mer tous les jours jusque fort tard dans la saison;
je passai toutes les journées au grand air. Il
fallut cependant me décider à partir; Mno Salis
Schwabc elle-mâmc quittait le pays. Nous allâmes
ensemble à Londres, elle, la famille Springcr,
Czermak et moi. Lorsque nous entrâmes dans la
gare du Nord, éclairée par d'innombrables becs de
gaz en plein jour, à cause du brouillard, lorsque
nous entendîmes le vacarme de la capitale, je dis
en riant à mes compagnons « C'est comme si on
entrait dans la gueule d'un monstre; Londres est
un alïreux produit do la civilisation, et cependant
il nous séduit par un eltarme, comme le basilic il
nous al lire, nous ne saurions y échapper. »
- TiTflwJp*
« Chère amie,
« Je vous remercie de tout cœur pour votre
compte rendu, que j'ai traduit moi-même et expédié.
« Comment pouviez-vous supposer que je chan-
gerais quelque chose a votre appréciation de la
défense? Vous me croyez donc bien intolérant?
« Ce que vous avez fait pour moi ne vous libère
nullement de la correspondance allemande. En
lisant les journaux allemands, choisissez quelques
faits pour y rattacher vos réflexions. Vous savez ce
que sont les correspondances des journaux poli-
tiques. Je voudrais de temps en temps des vues
tl>nsr>in)ili» sur lfl ijinmhp. d^g^ r-v<Wim>nl« pnti–
tiques en Allemagne et que ces vues aient un carac-
tère élevé, philosophique. Xo pourriex-vous consa-
crer une heure à uneonpd'unl sur la presse politique
allemande arluelle et ses tendances par rapport a la
«
France, «V TÀrigTelerrë et h la Russie? Partfon pour
toiilesces requêtes, mais vous eles bonne et dévouée
À la cause, j'en use et j'en abuse.
Votre IV^reetâiHK 7
«Joseph. »
“
adresse; vous n'aurez pas de peine à la trouver; je
lui parle de vous comme d'une amie.
« Pourquoi pensez-vous que je ne sois pas con-
tent ? Je suis très content de tout ce quo vous
faites, de tout ce que vous dites. Je considère votre
action sur les ouvriers comme très importante.
Quand vous me direz que vous avez gagné un peu
de terrain et que vous jugerez mon intervention
utile, je m'adresserai directement à eux.
« Au revoir, mon amie! ne doutez jamais de mon
estime et de ma sympathie, qui vous sont acquises.
Soyez forte et brave. La crise finale se prépare
malgré tout.
«Votre frère,
« JosEpn. »
A Venlnor je trouvai les Pnlsfcy, ces chers amis
nvt'f h>squel* j'étais toujours on roi» lion, mais quo
j«» voyais ««renient « Londres, « cause des grandes
distances,.le remis tmr -lettre ehey. les Kossulh et je
<*ommen<;ai bientôt à reprendre des forces, grAee à
l'nir salin..r«urais aimé que Ma/im, si fatigue1, lui
-––
wt~h .1" jauir ~1'~tu- 1"'U- do repos, Je tut écrhis,
l'engageant a venir, à s'accorder quelques vacances.
11 me lit attendre asse?. longtemps sa réponse; enfin
'M'nt'ewh'ït
Chère amie,
«
« .l'aurais dû vous répondre plus toi, mais j'étais
accablt* de besogne et de plus d'assez méchante
humeur. Non, je ne viendrai pas vous rejoindre
dans votre tle. C'est impossible, par conséquent il
est inutile d'en parler. J'ai envie, il est vrai, de
m'enfuir vers quelque rivage. Mais si je le fais, ce
sera plus lard et ce ne sera pas a l'île de Wight.
Elle est trop belle pour moi. 11 est d'ailleurs plus
que probable que je m'en tiendrai à mon .projet et
que je n irai nulle part. D'ailleurs à quoi bon
partir? Pour l'état de mon Ame je fais mieux de
rester chez moi je suis sombre et triste, et le plus
beau paysage comme la plus belle musique ne ferait
qu'augmenter ma tristesse. Lorsque je suis dans
ces dispositions d'esprit, le beau provoque chez moi
une véritsible crise de désespoir suivie d'un accable-
jnent qui n'est pas salutaire.
« Je vous envoie ces
lignes par une charmante
H
-- s
regrette beaucoup mon silence.
Brans un des premiers numéros du journal je
ferai un manifeste au sujet do l'organisation d'un
parti.
« N^dublîipz pas de m'indiqùef quelques éditeurs
a qui j'en enverrais volontiers un exemplaire, si
vous croyez qu'ils voudront le recevoir. Je voudrais
que le journal fût connu en Allemagne; peut-être
pourrions-nous aussi avoir de ce coté quelques
abonnements. Il nous en faut 000 pour couvrir les
frais. Les destinataires ne risquent rien. Il est
naturel que nous cherchions a faire connaître notre
journal et un simple envoi n'est pas aussi compro-
mettant qu'une Ici Ire.
« J'ai expédié votre lettre sur la situation alle-
mande. Elle est très intéressante. Vous êtes enchantée
de Caroline; je le crois sans peine et j'en suis ravi.
Elle est très intelligente et elle a beaucoup de bon
sens, qualité plus rare que l'intelligence. Son cœur
est bon; elle n'est pas expansive, mais comme la
mer, le fond recèle des perles.
« J'écrirai à Kinkel, comme vous me le conseillez,
pour lui demander sa coopération, mais sans espoir
de l'obtenir. Je pourrais m'adresser & Ruge, mais
que diable m'écrira-t-il? Je redoute ses excentricités
et son caractère vindicatif. Qu'en pensez-vous?
Eenra-t-il «le manière a se rendre utile? Vous pensez
hien que refuser un do ses articles c'est so l'aliéner
pour toujours.
« il nous est venu fia abonné* d'Alexandrie.On
m'écrit de tous côtés; il y aurait quelque chose u
tenter pour l'union du parti, mais vraiment je no
poux pas tout faire tout seul. Je n'ai pas^ quitta ma
table de travail, j'ai écrit toute la journée et je n'ai
pas fait la moitié «le ce que je devrais faire.
«Au reypirt \fotre frère r k; =
« Mazzini. »
Dès les premiers jours de mon arrivée à Vontnor,
je rencontrai un compatriote, un exilé
comme moi,
que je n'avais vu qu'une fois à Londres, tout au
début de mon séjour, et que je n'avais plus jamais
revu, bien que nous eussions des amis communs.
C'était Lolhairc Bûcher, l'un des principaux députés
prussiens de 48. Dans la gigantesque capitale
on
peut vivre pendant des années sans se rencontrer,
mais à Ventnor, où tout le monde
se retrouve à la
plage, c'est impossible. Je fis connaissance et
sa ce
fut un plaisir pour moi de causer
avec cet homme
fin, distingué, instruit; j'avais été, il est vrai,
intimidée d'abord par son tour d'esprit critique; un peu
il
avait horreur de tout ce qui ne repose
faits. Il venait souvent causer pas sur des
avec Caroline et avec
moi. Nous passâmes de bonnes heures ensemble,
soit en promenade, soit au bord de la
le soir quand la lune argentée éclairait mer, surtout
les vagues
et que nous devisions, assis sur le rivage, jusque
fort avant dans la nuit, mêlant les sujets
graves de
Sanscrites enjouées, –
Je parlai de ftwlier o Mnzzini je lui dis que je
le considérais plutôt comme un homme d'État "que"
comme un révolutionnaire et que sa collaboration
au nouveau journal me paraissait par cela même
fort ihtairnbfc.- Je 4ui demandai si je ne devais pas
lui en dire un mot. Mii/.xim me répondit
« Je connais Uueher do nom et jo serais heureux
d'avoir recours a lui, 11 jugera d'âpres lé preittièf
numéro du journal s'il veut écrire quelque chose
pour nous. Je voudrais que le journal parlai de la
nécessité d'une alliance des nationalités, tlui seule
assurera la victoire. L'organisation du parti, voilà,
selon moi, le problème qu'il s'agit de résoudre. Le
jour où nous aurons une organisation, où nous
serons enrégimentés, oit chacun apportera son con-
tingent d'argent, de connaissances, d'influence, de
voyages, de propagande, ce jour-là nous serons vic-
torieux. C'est une honte, pouvant le faire, que nous
ne le fassions pas. Le journal pourra servir en expo-
sant ces idées et en montrant que nous sommes
d'accord. »
CHAPITRE XXXH
Résultats.
°~ Ce temps joyeux'êT^ruTneTirâifTiirRh. Bûcher"
s'en alla le premier, puis ce fut au tour de Caroline;
les Pulsky partirent en dernier et je restai seule.
Quelque ohî»re que m'eut été la présence «les* «titres
je-fusravie^ d'èîre- de^ nouveau -eiv ltMe~i\ We avec
moi-même. J'étais saisit» d'un besoin de mo concen-
trer et d'écrire que je n'avais pas éprouvé tlepuis
longtemps. Un mot tlfr mon plus jeune frère me
sans uu résultat. :
revint à la mémoire; j'étais bien jeune quand il me
dit un jour « Ne laisse jamais un jour s'écouler
Je sentais tjtto j'avais a seller
mon compte avec le passé, qu'il me fallait voir clai-
rement les résultats acquis. Pour la seconde fois
dans ma vie, après le naufrage de tout ce qui donne
a l'existence son prix, je ressuscitais du fond d'un
abîme de douleur, je me retrouvais, je me sentais
réconfortée. Cependant je n'étais plus jeune, j'étais
seule, ma santé était chancelante, j'étais réduite h
me suffire par mon travail, j'avais perdu mes illu-
sions, je n'espérais plus rien, ni bonheur personnel,
ni réalisation des rêves que j'avais caressés pour
l'humanité. Que me restait-il donc? d'où me venait
cette consolation et cette paix? Avais-je trouvé la
solution de l'énigme de la vie? Le voile de la vérité
s'était-il soulevé pour moi? Le positivisme m'avait-il
donné les satisfactions que le spiritualisme m'avait
refusées jadis? A cette dernière question, du fond
de mon âme je répondais par la négative. Je sentais
que je venais de franchir une étape de mon déve-
loppement.
'u,
Je compris que ce qui soutient le savant dans la
recherche de la vérité scientifique, ce n'est pas le
menu fait en ^ui^méme, c'est-te-volupté de ser-vig-
une idée, d'apporter sa pierre au phare qui doit jeter
au loin sa lumière et éclairer le navigateur dans sa
«ourse il trawiw Ioh (éuèlutts de 1« vi«\ CtHitti permet
«V r«rtisle do persévérer dans l'exécution pénible de
de
cependant elle se réclame de celui qui disait il
y
« bien longtemps que c'est tout autre chose qui
esU«V.eHHttm\ KM»» pofesseuno religion
ternité tout eu pratiquant le fratricides et 4'inven-
lion do nouveaux engins do destruction est mieux
céiviliuett que îe« ««uvres <l« y&m; Nous conum-n-7
i;ons a comprendre que tout « ce qui passe n'est
qu'un symbole », une manifestation éphémère de
l'unité éternelle el nous en pressentons la divine
Télicité dans les rares et fugitifs instants de la vie oit
l'enthousiasme nous saisit, t'espace d'un éclair. Il
faut donc nous délivrer de cette sourde douleur de
l'existence, en forgeant nous-mêmes les ailes qui
nous transporteront au pays de l'idéal, entrevu dans
notre jeunesse. Après chaque nuit de douleur, après
chaque Golgotha où nos sentiments les meilleurs
ont été crucifiés, nous devons ressusciter, meilleurs
et sanctifiés, pour développer en nous d'une manière
plus haute l'idée divine. Voilà le devoir des individus
et des peuples. Quiconque voit dans la vie une fin
et non un moyen, est condamné aux tourments de
l'existence, à la malédiction des vaines recherches,
des erreurs et du péché, et, suivant
un mythe
fond, il renaîtra jusqu'à ce qu'il ait comprisle pro-
mys-
tère de la rédemption. Celui qui t'a compris est mû
d'une immense pitié pour tous
ceux qui le cher-
chent encore dans le doute et l'erreur; il donnerait
sa vie pour le salutrdc tous, mais il ne le peut, Ia~vrâië~~
parole de salut étant « Sauvez-vous vous-même!
»
LYnigmo. do In vie me semblait «loue résolue; «nos
longues recherches avaient enlin abouti n la c hirtâ.
".refais seule «u t»or«I de la nier «jiiânî! ces ppusées
m'envahirent; je me sentais apaisée, et comme je
l'avais fait autrefois dans les Alpes du Dauphinc, je
m'agenouillai twiiwntt dos flots, symbolede l'infini.
Jo priai comme je n'avais jamais pn&\ je sentis
quo la prière est uno communion de l'individu avet*
l'uiïîvêra; rôfro d^ùb Jeur stt méf A genoux el se
relevo immortel.
La terre, le ciel et lu mer mêlaient leurs siddimcs
harmonies. L'Ame de ton? tes grands hommes me
parlait par tes voix de la nature. Je me sentais d'ac-
cord avec eux el it me semblait les entendre me
dire « Toi aussi tu es au nombre des vainqueurs.
»
CHAPITRE XXXIII
Nouvelles pertes.
Le ravissement de ces instants sacrés où nous
recevons au pied du Sinaï la révélation en paroles
de flammes ne saurait durer. Les brouillards terres-
tres nous enveloppent et nous reprenons pénible-
ment notre route à travers le désert. Mais au fond
de l'âme il nous reste une joie grave, le sentiment
d'une alliance secrète avec l'éternité qui échappe aux
puissances inférieures de la vie. Je retournai à mon
activité accoutumée lorsque ma besogne me rappela
a Londres; j'nllai tranquillement reprendre
favdeau do ehaqm» jour. mais ait rond do lame mon
je
lMvrlnîs un joyau dont In douce préseneeme consolait
quand je rentrais en mot-mArne.'Arrivé à Londres,
je m»* remis a mes traduction», h article»!
mes
Quelques rompu* rendus «jue j'avais faits»
livres russes rdeemmeiit pwus m© valurentsurdedes la
pari d'êdileûrs aurais des traductions, entre autres
<u'lle dUm livre du «ointe de Tolstoï, Enfance
H
Jmtmœ, un d«» phis joUt livres, shùs ïïmftc ilo
Mémoires, qu'on puisse rencontrer.
Cet ouvrage a un charme naïf, fréquent chez les
écrivains russes, soit qu'ils se dépeignenteux-mêmes,
soit qu'ils parlent de leur entourage; cette
naïveté
n'exclut pas la lino analyse des sentiments humains,
et sans dissertations psychologiques qui entravent
la marche da l'action, la réalité vivante
sort des
situations mêmes; le lecteur trouve mêlé a
l'œuvre par la sympathie qu'elle se inspire.
A cette occasion j'entrai relations le monde
en
littéraire anglais et d'assez curieux avec incidents se
rattachent à ce commerce. J'avais écrit à
mensuelle importante qui parait à Edimbourg
une revue
lui offrir des comptes rendus. On pour
me répondit fortt
poliment qu'on prendrait volontiers travaux,
mais qu'on tenait à me prévenir qu'il mes fallait laisser
de côté les questions politiques, religieuses,critiques,
historiques ou sociales; tout le reste serait le bien-
venu. Or, comme je ne savais pas au juste quels
sujets restaient à traiter je m'abstins de collaborer
-AjÇÇJojyroaLiL^J! autre fois j'envoyai le
manuscl'Ít anglais d'un e mes romans un C 1 eut',
Il me le renvoya, en louant beaucoup le sujet et la
forme, mais il ivgretloit «le ne pouvoir l'imprimer,
parée que r«envre ne répondait pas aux opinions
religieuses du temps. Il est à remarquer en elfe|
que tous les romans anglais, mémo les plus reiuar-
quables, se terminaient alors par une profession «le
fin drfTiô«loxé, mémo lorsque, le début du livre ne
faisait nnUethenl pressentir ces opinions ehex Yaw-
W>ui\ Celte particularité s'est d'ailleurs bjen modifiée,
et elle se modifiera encore h mesure que la tïn«tï-
tionnelleétroitosse d'idées fera place à des vues plus
larges. Mais il no faut pas oublier que l'époque dont
je parle était celle où les œuvres do Byron et do
Shelloy étaient prohibées dans les familles.
Cet hiver-la fut laborieux et fécond, Quand j'avais
terminé ma tâche, je donnais ma soirée aux travaux
personnels; j'écrivis ainsi plusieurs nouvelles et
quelques essais sur des questions pédagogiques;
j'écrivais presque toujours en anglais, mais je mis
de côté ces articles, certaine qu'on ne les imprime-
rail pas en Angleterre, a cause de leur tendance. Je
n'avais pas de relations en Allemagne qui eussent
pu m'aider à les y faire parattre.
Je voyais souvent M'ue Bell et nous nous occu-
pions surtout de questions de mariage, de famille,
d'éducation et de tout ce qui s'y rattache. Nous étu-
diions des rapports de statistiqueet nous cherchions
si dans ce domaine comme dans tous les autres le
développement intellectuel- et la vraie culture ne
jouent pas un rôle prépondérant; en effet, à mesure
que l'on descend vers les dernièrescouches sociales,
~u
mesure par conséquent que les satisfactions d'un
ordre supérieurdiminuent, la fécondité augmente, si
bien que ce «ont les élusses, les plus pauvres qui ont
le j»lns d'enfants. Est-il avéré que l'accroissement
de la population constitue la meilleure richesse d'un
pays? Une surabondance de la population des basses
classes if est-elle pas plutôt un obstacle à la civilisa-
tion, une cause de misère? -te' nécessité de Immigra-
tion n 'est-elle pas une preuve des maux qit'on-
tratne ©eUo.fôconditô? Nous arrivions a conclure^
RÏmo Dell et moi, a la fin" clé ces discussions, (jû'il
faudrait la combattre par une culture plus haute et
qu'il faudrait viser a créer des exemplaires moins
nombreux, mais plus parfaits de l'espèce humaine.
Nous nous rappellions cette légende d'une reine
d'Orient d'une beauté et d'une intelligence incompa-
rables qui vint trouver Alexandre le Grand avec le
désir de lui donner un fils qui fût un homme accom-
pli il nous semblait que la création d'un ôlrc
humain est une oeuvre d'art et qu'il faut s'y pré-
parer et unir les plus belles espèces pour améliorer
la race. Les Grecs le savaient bien, car que signifie
leur mythe de l'union des dieux avec des mortelles?
Ils savaient que ce qui importe, c'est la production
des héros. Mes relations avec Mme Bell étaient fré-
quentes, nous allions souvent ensemble dans des
musées et des expositions; son sens artistique ren-
dait ces promenades tout à fait précieuses pour
moi.
Une autre relation vint apporterdu mouvement
intellectuel dans ma vie c'étaient mes rapports avec
Lothaire Bûcher, dont j'avais fait la connaissance à
Ventnor et que je continuai à voir à Londres. Il avait
«m» la bonté d'accéder a ma prière et il vouait une
fois par semaine, le soir, me parler d'économie ju»H-
\lm> _*>M. w° J*? ce
de* )t'elMÇ«»s sujeL qu'il
commentait. Je n'avais jamais approfondi ces ques-
lions et j'avais passé à l'étude des systèmes socia-
listes sans y être suffisamment préparée, J'étais
heureuse de combler celte lacune, et qui aurait pu
mieux m'aîder dans cette tache que cet homme si
érudiH? II est vrai que mon sodalismo obstiné et
mes idées politiques trop idéalistes t'ennuyaient
fort. Un jour, par exemple, il se tacha parce que je
ne voulais pas admettre la 'nécessité des intermé-
diaires entre les producteurs et les consommateurs;
il me semblait que les transactions pouvaient
se
faire directement. Il considérait aussi comme naïve
ma manière de juger la question de Pologne: je
trouvais que l'Allemagne devait restituer les pro-
vinces qui continuaient à se révolter; Bûcher,
au
contraire, affirmait qu'un élément de civilisation
plus avancé avait le droit d'englober l'élément de
civilisation moindre. Toutefois, malgré mon igno-
rance, il était d'une bonté, d'une complaisance,
«l"une patience inépuisables avec moi, et il
con-
tribua par mille prévenances à me rendre la vie
agréable j'en étais d'autant plus touchée
que son
caractère était réservé. Nous habitions fort loin l'un
de l'autre; il nous fallait parfois recourir à la
cor-
respondance, et j'appréciaisinfiniment cette relation.
J'avais été chez les Kinkel tout de suite après mon
retour de Ventnor, mais je n'avais rencontré que
Jeanne. Pour la première fois depuis leur séjour en
Angleterre, ils avaient passé leurs vacances à Lon-
dres afin de terminer quelques travaux littéraire»,
.teauue avait termina son roman Jean /*»• et jf en
étais ravie. Tout ce que j'avais lu d'elle,, ses nou-
velles publiées en collaboration-avee-son-mari, les
manuscrits qu'elle m'avait montrés, me plaisaient
beaucoup; j'avais toujours regretté qu'elle ne con-
sacriU pas plus cl© temps à développer- son talent-
d'éerivain, qui certes égalait son talent musical Elle
site raconta combien ces vacances avaient été belles;
elle hic dit qui* depuis «es ftaKÇftilles-eîle^ie ae sûtt-
venait pas avoir vécu de jours aussi heureux. Au
milieu de ces joyeuses confidences, je fus toute
déroutée «te voir Jeanne me témoigner une défiance
dont je la savais capable avec d'autres et qui trou-
blait parfois cette belle âme, mais que je m'éton-
nais de voir tourner contre moi Il s'agissait
d'une visite que j'avais faite chez elle avant mon
départ pour Venlnor avec une autre personne, non
sans lui avoir demandé d'abord l'autorisation de
la lui présenter. Tout à coup elle me reprocha
d'avoir eu une arrière-pensée telle que si j'avais pu
la concevoir, elle eût motivé une rupture entre
nous. J'étais si surprise de cette attaque imprévue
et imméritée que ma douleur fut plus grande que
mon dépit 'et je fondis en larmes. J'aimais tant
Jeanne, je l'admirais d'une manière si complète,
j'étais si heureuse de son bonheur que j'aurais con-
sidéré comme un sacrilège de faire quelque chose
qui eût troublé ce bonheur; ma seule intention avait
été d'obliger cette personne en lui faisant faire la
connaissance de Kinkel et de sa femme et de lui
"procurer ainsi leur appub
Mes larmes désarmèrent Jeanne. elle on fut
émue; mais elle me supplia de partir avant que son
mari rentrât, parce qu'il ne pouvait pas -la voir
-pleurer.- Elle nr'pmbrassa,nfassurant que ïnaînTe-
liant qu'elle avait dit tout ce qu'elle avait sur le
cœur, tout était oublié. Mais il n'en était pas de
mêmfr pour moi. Je ne songeai pas tV -lui en vouloir,-
je» lui pardonnai, voyantcomment les choses s'étaient
passées. C'était chez elle un trait maladif, une de
ci*» imperfections de !a natwre «onime eir ont les
caractères les plus nobles et qu'on est fout étonné
de voir remonter à la surface quand on croit en avoir
triomphé; ces faiblesses prouvent que nous sortons
presque immuables des sources mystérieuses de la
nature. Tout en lui pardonnant du fond du cœur, je
n'en restai pas moins peinée devoir qu'une intention
pure, un acte de charité avaient pu être méconnus.
11 me fallait du temps
pour que ce grief s'adoucît,
s'alténuât et se fondit en cette harmonieuse mélan-
colie d'une âme qui connaît la vie; nous pleurons
tout bas de voir que les plus belles et les plus nobles
choses, dans ce monde imparfait, ne peuvent rester
sans tache. Je n'allai pas de longtemps chez elle.
Jeanne m'écrivit pour rétablir la concorde. Je ne lui
répondis pas, j'étais encore trop agitée, je voulais
attendre que le calme se fût fait en moi. Ma fête
arriva et avec elle la lettre suivante
« Chère amie,
«Ma femme est morte aujourd'hui à deux heures
etdemie. Vous ne m'en voudrez pas de ne pas vous
en dire davantage.
s" Si vous~Wi51êz~5ïï"nom de notre vieille lîmitiê
m'aider un peu, venez, je suis désemparé comme
un enfant. Bien à vous. « G. Kinkel. >»
lue douleur Uniihle, intolérable, tiw saisi!. Voila
'
done -lu -fin- «hrrrltp attention si grande et st pro-
fonde! cotte brusque disparition avant que je pusse
l'assurer de mon dévouement inébranlable, du
pardon pour la seule heurts d'anûM'tume qu'elle
m\n\l donnée! De tous lt>s oonpn quo 1110 |iurlit lu
vi«», rclui-lii ôiaii »los plus riuûvs; H «Huit si
peu
(tctfvit-! il tM«Fnïp|ittiN*irplein cfenr. y =-
Je laissai mon Imvutl el j'allai tout <lo suite oluv.
Kiiikel. Oiwl revoir! J'appris qu'elle »Hail morte
«l'un© mort violente, elle était tombée do In fetietre
«le sa chambre il eoueher dans la cour. Comme elle
était. soûle au moment de l'accident, un dotite poi-
gnant s'élevait en nous avait-clin mis volontaire-
ment fin à ses jours* Ce doute devait peser sur le
eu'iir de Kinkel, et augmenter son chagrin, quel
que filt d'ailleurs son sentiment, il cet égard. Mais
Jeanne, leur lille, ainée, une créature délicieuse, qui
avec ses quatorze ans avait déjà une âme héroïque
et charmante, disait d'un air calme et assuré
Xon, mère ne nous a pas quilles de son plein
gré. » Je partageai cette certitude, debout auprès
de la dépouille de l'amie que j'avais tant aimée, en
regardant ses traits fermes, comme coulés dans le
bronze, sur lesquels planait, silencieux et solennel,
le mystère de la mort. Le dernier mot qu'elle m'avait
adressé me disait que son bonheur, après tant de
luîtes difficiles, était à son apogée. Les soucis maté-
riels ne pesaient plus sur elle; son travail n'était
plus un fardeau, -mais- une joie; elle avait du loisir
pour écrire; ses enfants, sains de corps et d'esprit.
grandissaient pour la joie de leurs parents; Kinkel
«•luit «l«n* Imite lit vigueur de son (aient, h» *u«*eès
tmiromraititMïles ses* oiitir|>risi«*. Oiii«l inùtiîl«« ent
pu pousser Jeanne, mw xou e««tir ardeul Ct unVc-
Iihmix, à préférer ta mort il cette existence désor-
mais joyeuse. d«Mit a'H*' éfcùt l*> eeutwvle %er dev
hunièr/et dmuonr? .le m<* ralliais avec mnvit'lion à
l'oi»iiii*m «U» son mm«l»lo onfaiil.« lue «lévunni
jiHrtNirt liw^nivi sirivontîrtfiitti «urti^w*aux fiRtivrCs
«liantl«>niM'«s, je lAehai «le les ai«lw «lans les Irisles
soins qui viennent non pas «listrairo, mais agjçravei*
I» tltMilenr dans ees eirconslanees. le» venaùenl
s'ajouter encore des l'ornialiiés très pénibles, l'au-
lopsie cl la romparuli«m «levant nu jury, l/aulopsie
uionlra que le euuir avait le double du volume nor-
mal. II semblait plausible dès lors que la défunte,
prise d'un spasme, se fut précipitée « lit lenèlre pour
respirer, et, perdant l'équilibre, qu'elle fût tombée.
La fenêtre était une de ce» fenêtres anglaises qu'on
ouvre «le bas en haut. Cela demamle un
certain
effort, car tes vitres sont lounles et il faut les
pousser jusqu'à une certaine hauteur pour qu'elles
ne vous retombent pas sur la tête.
L'appui de la
fenêtre n'était qu'à deux pieds «lu sol; un mouve-
ment un pài rapide suffisait pour «pic le poids du
corps l'emportât. De cette fenêtre jusqu'à la petite
cour pavée sur laquelle elle donnait il y avait une
bailleur de 40 jgieds. C'était par un de ces brou iil-
lards de novembre où l'air est irrespirable et rien
n'est plus explicable «|u'un vertige dans ces con-
-riitions. Pouv"ttoti5 la chose n'était pas douteuse"
Mais il fallait faire constater officiellement les condi-
tions de la chute. On ne pouvait procéder à cet
e\nnieit que h' «inqnièmc jour après te décès. Le*
«mis intime» do KinKel se réunirent pour l'oocom-
¡}ugltf'Í' -.Iitns (ot'lli- .li~11IflrdÚ..ti:HÍtÕ""CIISt'; 1è,jÓ\entants
devaient venir également, et Jeanne était résolue n
témoigner pour su mère, kinkti, comme toujours
dans 1rs iïeitres dil'fiiiles, élail caïme.Tvdumgoùx >F
fermé; la pensée de faire encore quelque étiole jtoùr
wi t'oinmt* !»• souhuiuU, tçxultsU. Kn allant à 1»
iiHîiw» «lu qUrtvtw, tf nie tfl! V« MîTjîei»; noùVaHons
eomlinUro encore une fois pour elle! »
Il fui appelé en premier comme témoin devant les
jurés. Après avoir répondu aux questions tic nom,
d'Age, de condition, il dépeignit sa vie domestique,
les luttes qu'ils avaient eues il soutenir tous deux,
leur nmour réciproque qui les aidait à tout sup-
porter. Il termina en racontant leur dernière conver-
sation une heure avant lit mort de sa femme, il qui
il venait de. faire part d'une affaire qui devait se
conclure; il termina en disant qu'il l'avait laissée très
gaie pour descendre faire son cours au bout de dix
minutes on était venu l'appeler et il n'avait plus
trouvé qu'un cadavre.
Son récit était si simple, si digne, il portait si
bien l'empreinte de la vérité que tous tes auditeurs
étaient visiblement émus. Lorsque Kinkel termina
en disant qu'il n'avait plus rien à dire, mais que sa
fillette était là, prête à donner son témoignage, te
président se leva et se tournant vers» les jurés il leur
dit « Messieurs, je pense que ce que nous venons
d'entendre suffit pour nous convaincre et qu'il est
inutile d'e i il re d'autres témoins Tous
se
levèrent et donnèrent d'un commun accord leur
\ortjivl «
Mort accidentelle ». J'admirais du fond
«tu <*(ivm' ce pi'oeMé si humain. H jno > semblail dîpio
d'un** vraie justice, qu'une impression morale jugent
in dernier ressort, el qu'on épargnât toute |ieine
siipertiue h ces affligés. Nous reconduisîmes jvinkel
chefcJul, non» y restâmes une henre^ pivstjue îien-
tvux qu'il eut reniporlé pour «lie cette vietone. l«««s
autres partivenK «te wm«Mm entrée |m»up «Urejwlieu
iiw: lui et s«s 'e'nftinttt' w In depiMiiHe mortelle de
«•««lie tlui allait vivre. it jamais dans nos e«run*. J«
levais» ornée de fleurs fraMies, elle semblait dormir,
etilme, sureine, ses mains d'artiste, dont, le jeu
plein d'aine nous avait charmés si souvent, croisées
sur sa poitrine. Kilo était belle ainsi et l'Ame des
«•iitmils en re«;nl une impression sainte i\ jamais.
Je déposai un dernier baiser sur son Iront, nous
•Icigninies les lumières et nous sortîmes de la
chambre.
Le lendemain nous nous réunîmes pour aller il
l'enterrement le rendez-vous était à la gare. Kinkel,
nu licu de Highgale, avait choisi le nouveau amé-
liore de la nécropole, à 24 lieues de Londres, parce
«pie de longtemps la ville n'y atteindrait pis. Nous
montâmes dans le même wagon, Kinkel, ses enfants
el moi. Les personnes qui venaient ti l'enterrement
prirent le même train que nous. Pendant le trajet,
Kinkel me dit qu'il voulait parler sur la tombe. Je
htMis qu'il me semblait que j'aimerais à dire quel-
ques mots. Il me pria avec instance de le faire, mais
_çjàJh8jS9uiage^c^i^
««•prisede cette extrême timidité à parler en public
«pu* je n'ai jamais pu surmonter; je ne me sens il
I'aîm* que dans une conversation intime. A Londre*
It» temps (Mail froid («I gris, mais la campagne était
oiïsôlèiHèV. ATêritréè «fii HmoTièVeQu fôrmalc" eïir-
lègo. La plnee où Jeanne Kinkol devait reposer était
bien choisie. L«>s i*o|linos l»lt«uAlirs <lu llampsliiir
mw friim chiHet's ondulations ft l'horizon, rnppiT-
lai«*»l Ioh vifïn»»l»h«8 tii'fart^toiirlnHiamriptVIhMivnil
lajil ai««;s, <>t «|iii avaient »H«» lo Iprcoau tlo ses «Iouj»
«le musûîionni1 et «lo |uml«\ tTn «mi, un Anglais,|mHa
«l'altoiMl, puis ci« l'ut au lotir <lt> Kinkol, et soûl un
potHc peut parler ainsi <lo collo <|u'il a aiméo. Il parla
«le son grand (uiuragv, il dit que jamais un ennemi
n'avait vu «le larmes dans ses yeux, qu'elle avait
aimé sa pairie, qu'elle continuait a vivre dans ses
('liants, que sa loi ot son ardeur au bien revivaient
dans ses enfants ut dans les braves cœurs qu'elle
avait animés de sa llainme.
Froiligralh vint déposer une branche de lauriers
sur son cercueil, je le couvris de fleurs, et il des-
cendit lentement dans la tombe. Le soleil darda il
ses doux rayons comme si le pays qui l'avait reçue,
qui lui était devenu une seconde patrie, voulait lui
dire un dernier adieu et réchaufler sa dernière
demeure. L'Angleterre l'avait appréciée à sa juste
valeur. Mais nous qui entourions sa tombe, nous
sentions que l'Allemagne aussi perdait quelque
chose de rare. Cet exemple montre assez que la
femme peut lutter pour la vérité et pour la justice,
qu'elle peut travailler dans le domaineintellectuel, et
sans négliger ses devoirs d'épouse et de mère, cou-
Tfîbuer aTentn'lïéirmrtlérîci'dc'là famille. Quelques"
jours après l'enterrement, je reçus de Freiligrath In
pfiésje suivante, «|n*îl envoya nus amis la mort*»,
u_u.
«I»*
<
Je savais, ma pauvre amie. J'ai élô frappa du
l«
(l«nj>cr qui vous menaçait lorsque je vous ai ren-
contrée l'autre jour. Je l'ai dit le môme jour il
Caroline, mais comme je ne suis pas médecin et que
je n'ai aucun droit à me faire écouter, j'ai attendu
que des gens plus autorises que moi, vous pres-
crivissent ces mesures sévères, llésignez-vous, et
monde
6ongcz que vous êtes encore assez jeune et le
assez troublé pour espérer être utile un
jour. Si
je
vous devez quitter Londres, Jiles-le-moi, afin que
vous revoie avant votre départ. Dans ce cas je vous
écrirai, mais des lettres qui n'auront rien de com-
promettant, que tout le monde pourra lire. Oui,
nous allons avoir une guerre européenne, et ce sera
une bonne chose. Nous en reparlerons. Je vais
•• Kn
«rChere amie, ~H _d
donnaut mon adresse a Tallandier, vous l'avez
donnée « parti auquel il appartient et
In police. Le
auquelil communique tout fourmille d espions. Je
ne vous fais pas de reproche, je no fats que cons-
tater h% chose, Kn ce qui me çonceraçk,Ipul ço que
j écris, sanf co qnï touche. les opérations, peut aller
a lotîtes les préfectures de police du monde. S'il le
fallait, je le ferais même imprimer.
« Taxez-moi d'exclusif, d'intolérant tant que vous
voudrez, mais croyez-moi,travaillez avec des Hon-
grois, des Polonais, des Serbes, des Monténégrins
et des Circassiens, si vous le pouvez – surtout avec
des Allemands, si vous y réussissez je le répète,
ne vous donnez pas trop de peine avec les Français.
Vous C'U-h trop bonne, trop confiante, pour décou-
vrir le principe démoralisateur qui les caractérise.
Vous nie parlez par exemple de Bernard il y a trois
jours, dans une réunion où l'on proposa aux Fran-
çais de signer une souscription annuelle d'un shel-
ling comme gage de solidarité, Bernard se leva
pour combattre la proposition. II affirmait que le
journal italien le plus avancé n'était pas l'Italia
did popolo, mais la Rugione. Or c'est un journal
matérialiste qui parait à Turin, se fait passer pour
socialiste, *ans étudier à fond une -seule question
économique, et qui proteste contre le mouvement de
propagande. De plus ï/lnlia del popolo a été saisie
plus de trente fois, la Ragïone une seule. Bernard,
qui a trouve une immense sympathie auprès dos
Italiens ait moment de son procès, est le dernier qui
aurait dft parler ainsi.
« Vous nie partez tPun meeting pour Tunion do
toutes les nationalités. Je sais hieu qu'il y vien-
drait ilos gens do toutes les nuances do partis. ilais
croyez-moi ,wfer n'alioutifait ù -rkniy et ilè> plus,
comme je vous l'ai dit, je ne veux avoir attaife «ju'à
des individus, non jYtles assoeialions. }m eonunune
estne d'espions. 5 r :=--
Pour moi, Tessenliel c'est de mettre le mouve-
ment italien en contact avec des nationalités en voie
de formation. La France est dans une situation
particulière. Elle n'a qu'une seule chose à faire; si
cela est impossible, il fautattendrequ'un mouvement
se produise à l'intérieur. Une conspiration n'abou-
tira jamais à une insurrection victorieuse. La propa-
gande révolutionnairene saurait y grandir sans être
découverte. Travaillez donc, chère amie, avec les
nationalités de l'avenir, mais ne tentez rien avec les
communistes français. Je ne vous suivrais pas. Je
ne dirais pas cela s'il s agissait d'entrer en relation
avec des éléments nouveaux, des Français vivant
dans le pays. Tout ce que les autres peuvent faire,
c'est de modérer leur langage, d'adopter un pro-
gramme commun et de montrer au monde qu'ils
sont d'accord avec nous. Toute entente secrète avec
eux est impossible et dangereuse. ? »
Il revimVde- nouveau sur ce môme sujet dans une
lettre au sujet d'un travail qu'un Français m'avait
priée de lui soumettre.
« Je n'aurai pas le temps de lire le travail en ques-1
tion avant la fin de la semaine, mais je le lirai et je
vous donnerai mon avis.
Oiuïnt au travail en commun, ne vous huiez pas
avec les Français, s'entendrSi Ton nie fait des
propositions, je répondrai, sans doute. Je ne veux
et ne puis abandonner Ledru-Rollin je ne le ferai
jamais, à moins qu'il ne «hange de drapeau. Mais
rien ne m'empêche de travailler avec qui que cesoit,
et jamais je ne refuserai de m'allier à d'honnêtes
patriotes qui ^ëufen^t Jdyaleraettl Ventefldfê â^^
moi. Mais souvenez-vous que mon temps est pris.
Vous savez que je ne vais nulle part. Je suis accablé
de besogne, et bien que je sois assis à ma petite
table de travail de huit heures du matin à neuf
heures du soir, je ne puis faire la moitié du travail
qu'il me faudrait faire pour l'Italie'; outre l'émigra-
tion, j'ai à diriger un grand parti dans le pays. Cette
lûche est sacrée, je ne puis y renoncer. Il est bon
qu'on le sache et qu'on ne donne pas une fausse
interprétation à mes habitudes casanières, qui sont
forcées. Je ne puis assister à des meetings, à de fré-
quentes délibérations. C'est surtout par mes écrits
que je puis avoir une action efficace. »
Cependant j'étais arrivée à réunir une vingtaine
d'ouvriers allemands. Ils devaient se rencontrer le
soir une fois par semaine, s'éclairer mutuellement
sur les intérêts et les devoirs de leur condition, en
les méditant et les discutant ensemble, élaborer un
programme .rationnel de voeux pour .l'avenir et. s'en-
tendre sur les moyens de faire de la propagande
parmi les ouvriers au delà et en deçà de la Manche.
~3e priai Mazzini dmaugurer~cette petiUTassociation,
comme il me l'avait promis. et de venir un soir causer
avec ces gens. Il se déclara tout prêt, de 1» meilleure
grâce, du monde, et on fixa un soir oit la réunion
-devait -avoir Heu chez -jnorr A i'Ireiirp dite, les
ouvriers se trouvèrent au rendez-vous, tous dans
une attente un peu émue, car ils savaient qui ils
allaient A«ip,-Mazzini -arriva et 4es salua d'une-
manière amicale et fraternelle. Je ne T'avais jamais
vu dans un milieu pareil, avec des gens du peuple,
et jamais Je ne -lui avals? trouvé autant de m>I»loss«' et
de charme. Loin de prendre un autre ton pour
parler à des gens d'une classe inférieure, comme le
font tant de démagogues, soit en les traitant avec con-
descendance, soit en leur parlant d'un ton familier
et vulgaire, il restait ce qu'il était, simple, naturel
et digne. Il ne s'abaissait pas à leur niveau, il les
élevait à lui, en venant à eux pour les éclairer et
les conseiller. JI parla longtemps de la nécessité
d'éveiller le sentiment de la solidarité chez les dill'é-
rents peuples, de se mettre d'accord tout d'abord
sur les principes fondamentaux et de travailler à
leur réalisation en mettant de côté, pour l'instant,
les théories particulières. 11 leur dit surtout,
comme
à ses Italiens, qu'ils avaient non seulement des droits
à faire valoir, mais des devoirs à remplir.
Quelques ouvriers que je savais d'un bon esprit
lécoutèrent d'un air attentif et respectueux. D'au-
tres, déjà entraînés par le communisme, prirent une
attitude assez arrogante et interrompirent Mazzini
à plusieurs reprises, car tous parlaient le français.
L'un d'entre eux, un homme très intelligent, mais
qui était, comme je l'appris plus tài'd, sous Vin-"
llucnce de Marx et des chefs de In (amimune,
demanda louî à coup «« Kl cjnellcs garanties" nous
<I<>hii<>voiis pour l'avenir? Si la république univer-
««vrïere? >
selle allait se réaliser, <|ii(» ferez-vous pour la classe
- c- ,= V V
Ma/ini répondit eu souriant: « Mais, mon cher
«mi t quelles garanties voulez-vous que je vous
donne? Sî je vis assez jioiir Voir se réaliser nos
idées, ce u'esl pas moi, certes, (lui aurait a orga-
niser la société nouvelle, surtout en Allemagne;i
vnisy aurez autant de part que moi. Ce sera voire
lAche. de défendre les droits de la classe ouvrière et
de déterminer ses devoirs. »
Pour clore la réunion, j'offris à tous un verre «le
vin et, Maz/.ini trinqua avec eux en portant un toast
à la république universelle de l'avenir. Apres son
départ il fut décidé que chaque membre verserait
une cotisai ion de dix centimes par séance et qu'on
for serait ainsi petit à petit un fond pour les besoins
de la société, la propagande écrite, etc. J'allai régu-
lièrement aux séances du comité qui se tenaient
le soir dans une salle d'un café de la cité. Angé-
li(lue de Lagerslrœm et quelques autres dames alle-
mandes y venaient également prendre part aux déli-
bérations et leur donner leur appui. Au début j'étais
pleine de courage. Mais à mesure que le temps mar-
chai! r ma confiance diminua, Je compris que les
diflieullés que j'avais rencontrées, à mon grand clm-
grin, dans les hautes sphères de la société, se retrou-
vaient ici. L'envie, la jalousie, l'égoïsïnë, l'ambition
personnelle mêlaient leurs mobiles intéressés à nos
efforts vers un même but, à nos discussions sur les
-U11**8^.?? essentielles. Tout cela nie semblait d'au-
tant plus répugnant qu'il s'y m (Ma il une espèce «le
fatuité, un besoin (le sortir de sa sphère, de paraître
ce qu'on n'était pas. EnOn les membres de l'asso-
ciation s'avisèrent d'une" èerTnInegalânFériè touTS
fait déplacée envers les daines. C'est avec douleur `
quo Je ;_r mq disais »^ Voilà donc le* massesr pour
lesquelles tu t'es chargée d'une croix et dônî tu as
rêvé le perfectionnement? » Je sentais quelquefois
le mépris de l'humanité gagner mon cœur. Je
tftehais de me souvenir alors que je combattais pour
des principes de justice, pour l'indépendance des
peuples et les droits de l'individu. Mais je compre-
nais de mieux en mieux que le commandementchré-
tien de J'amour du prochain n'est pas réalisable. On
ne peut aimer que des individus. L'humanité dans
son ensemble, telle qu'elle se révèle dans l'histoire et
telle qu'elle se montre dans les masses, est une
apparition effrayante. Le lien entre le penseur désa-
busé de ses pieuses illusions et l'humanité, c'est la
pitié, une pitié infinie pour la souffrance, pour la
misère. Voilà pourquoi, si nous ne pouvons nous
défendre de nous détourner avec horreur et avec
dégoût de la plupart des hommes, la compassion
nous ramène à eux et nous impose de nouveaux
part à la grande œuvre de salut. –
sacriGces, et nous aspirons à. contribuer pour notre
CHAPITRE XXXIV
Départ d'Angleterre.
Cependant l'état de ma santé s'aggravait et ma
-vnc– -baissait bca»co»p.~M'1"' Salis Scliwabc, ~tptr
vivait à Manchester,et avec laquelle j'étais restée en
relations, vint à Londres. Elle désirait depuis long-
temps m*at!irei\ auprès «Polio, Aie voulait «juo je
l'aidasse à donner uiUMlireett«>uplu* rfréintô'n'sstV a
l'éducation de ses ont'ants ot «pie je lui pnMasso mon
concours pour les nombreuses o»uvros philanlhro-
-4*iw08- auxquelloselle eousaerait son temps et ;sa:
fortune. Au début «le mou séjour onAujcIolowv, pou
tlo temps après ma visite chez elle dans le pays «le
r Uallôsj elle èlmk venue h Limûecs mprva pour une
demanderdo me consacrer à sa fille aînée, qui avait
alors quatorze ans. CY'tait au moment où je com-
mettais ma pénible carrière de professeur. La situa-
lion qu'elle m'offrait était plus agréable, plus lucra-
tive et A bien des égards plus attrayante «pie celle
que je pouvais me créer par «les le«^ons particulières.
Opentlant je ne l'acceptai pas; je préférai une in«l«'
pendanco laborieuse et pénible, à une vie facile,
mais dépendante;je savais d'ailleurs que des entraves
«le toutes sortes limiteraient mon action dans ce
milieu mondain, et que la question religieuse et les
conventions sociales m'empêcheraient d'y diriger
une éducation dans un sens vraiment librral. Mais
elle renouvelait sa proposition, m'invitant à venir
passer l'été dans le pays de Galles et a aller avec elle
et sa famille m'installer l'hiver à Paris. Olte offre
me sembla providentielle; je ne pouvais la refuser,
ma santé m'interdisant de continuer mon genre de
vie. Je l'acceptai donc, quoiqu'il m'en cofltAt de
quitter Londres et de me séparer de tous ceux qui
m'y étaient chers. J'ai un tempérament conservateur,
j» m 'attache awx lieux où j'ai pws-Tacfmrpar mes`
affections et par mes habitudes. J'aime à y demeurer.
La fidélité est un trait de mon caractère, et cepen-
dant. paru no étrange contradiction, te destin, m'ar-
raêhanl au milieu que j'aimais, s'est plu souvent à
nie huw('Í'-II;1 u¡'¡ <tes conditions de vie nouvetles mon
(•«pur soutirait de ces séparations, mon esprit, qui
ei\l aimé A se concentrer sur uno œuvre et il en
goûter le suecèts avatt peine &entreprendre quelque
«euvre -non voile*. IA>ù venait ceMe opposition entre
ma nature intime et les voies du sort? Pour parler
met Sami-Màf tm» « Tempire de Fœif de mes sem-
blables » élail-il trop puissant? Aimais-je d'une ma-
nit're trop profonde, trop désintéressée, ceux à qui
je donnais mon cœur? Avais-je trop regretté mon
amour trahi, mon bonheur perdu? Devais-jeappren-
dre si trouver le calme du sage, après avoir cherché
à travers toutes les vicissitudes d'une existence
agitée, ce qui seul est nécessaire? Les voies de la
destinée sont admirables. Heureux celui qui les
comprend et qui sait les utiliser pour sa propre
éducation. Il arrivera au Nirvana – qui n'est pas le
néant, comme on le croit parfois, mais la félicité où
cesse toute inquiétude, l'état de perfection où nous
trouvons ce que nous avons cherché « dans nos aspi-
rations obscures ».
Je n'avais promis d'aller dans le pays de Galles
qu'en été, à l'époque de mes vacances; il fallait donc
attendre encore quelques semaines. Tout à coup
llerzen, qui ne savait rien du projet de Mmc Salis
Sch\vabev me demanda de .venir quelque temps
auprès de ses enfants dans la belle maison de cam-
pagne qu'il habitait dans un faubourg de Londres.
~~L~a damë"rïïssë, qui était à iafeTè de la maison,
obligée d'aller au bord de la mer pour sa santé,
venait de partir pour Me «leWighl avee son
enfant; Horzon .«ongenit à l'y rejoindre un peu plus
tard avec nous tous.
Presque au même moment Kinkel nu; proposait
d'aller avec lui et ses enfants au bord de la mer y
passer les vaçancçs. J'hésitais entre «^es «liftVrenles
propositions,mais ma tendresse presque inexplicable
pour ia pelUa Olga mç détermina £ accepterl'in vi-
talibn de Herken. ït s'ajoutait comme un remords à5
mon affection; il me semblait avoir commis une
faute envers cette enfant en quittant la maison, car
la dame chargée d'elle désormais no comprenait pas
sa charmante nature; elle no l'aimait pas et elle ne
savait pas s'y prendre pour la diriger. Je me disais
souvent que, pour l'amour d'elle, j'aurais dû suppor-
ter bien des choses qui me déplaisaient. Je m'ima-
ginais qu'avec de la patience et de la persévérance,
j'aurais pu aplanir toutes les difficultés, et devenir
une providence pour elle. J'éprouvais une profonde
satisfaction à voir Herzen recourir à moi; il me
semblait en même temps que le destin me fournis-
sait une occasion de racheter ma faute envers Olga;
j'étais heureuse de diriger de nouveau cette gra-
cieuse créature, que j'aimais maternellement, vers
le développement qui me semblait conforme à sa
nature. J'écrivis donc à Mme Salis Schwabe et à
Kinkel pour décliner leur offre, et j'acceptai la pro-
position de Herzen. Je ne renonçai à mon apparte-
ment que d'une manière provisoire, nu sachant ce
que l'avenir me réservait; je regrettais surtout mes
lectures avec Lothaire Bucher; j'avais trouvé dans
mes relations avec lui un bénéfice intellectuelconsi-
dérahle et j'avais reçu do lui des témoignages
d'amitié d'autant plu* touchante et précieux que
NuHfer n*eii rétait pasprodigue; il avait une nature
réservée et méfiante. Tout d'abord j'éprouvai comme
nn remords de quitter ma vie modeste, presque
besogneuse, mais indépendante et que je devais a
mon travail, pour ra'aeeommoder à de*^ conditions
de vie nouvelles, auxquelles je ne pouvais désor-
mais itriprîmer le isëeandé mon iiïdîvïduaHl& De
toute l'organisation que j'avais péniblement créée
autrefois dans cette maison il ne restait pas trace.
Les enfants marchaient dans une voie différente de
celle oit je les avais l'ait entrer. La vie avait pris
un caractère exclusivement russe. Je sentis plus
que jamais combien l'indépendance est nécessaire a
toute forte individualité. La possibilité d'organiser
sa vie selon ses goûts, et d'affirmer par là sa person-
nalité, est une des conditions essentielles du bon-
heur. Le calme que goûte un esprit qui vit selon sa
nature, voila le vrai bonheur. Tout le reste n'est
que le fruit d'or du jardin des Hespérides, que le
destin donne à «les mortels privilégiés. Se passer de
ce superflu est pénible, mai:; se passer du nécessaire
est cruel, et. ce qu'il y a de meilleur en nous se
révolte dans un milieu en contradiction constante
avec nos goûts, nos besoins, nos convictions. Cepen-
dant mon estime et mon amitié pour Herzen, ma
tendresse pour les deux fillettes me retint auprès
d'eux et j'essayai de reprendre la vie d'autrefois. Au
bout de quelques semaines, Herzen nous appela à
nié de \\lg1iTrôtrïïôûs retrouvâmes les~Puisky et
les Kossuth, avec lesquels nous reprîmes les rela-
lions amicales du passé. Mais bientôt nous ne pnmes
nous entendre, la dame russe et moi; la divergence
de nos opinions en matière «rédiumlion <4 Tantago –
nisme de nos deux natures se manifester* ut de nou-
veau nettement, les conflits devinrent inévitables et
je compris que nous ne pouvions ni vivre ensemble,
ni coopérer à la même tenvre. Mon chagrin fnt
profond,mais c'est avec plus de eitlme et de fermeté
que la premiôre fërs qûô j'en paftei S Harzeji, lui
déclarant que je ne pouvais m'occuper des enfants
qu'à la condition de les diriger conformément a mes
convictions. Il en fut désolé comme la première fois,
mais il sentit que j'avais raison. J'écrivis à Mmo Salis
Schwabe que j'étais décidée à aller avec elle à Paris
en automne. Elle me répondit qu'elle en serait très
heureuse et elle eut la bonté d'Ame de no pas m'en
vouloir de mon premier refus. Puis je me décidai à
aller passer quelques semaines à Easlbourne, oit
j'avais noué autrefois des relations d'amitié avec
Mazzini et Caroline Stansfield. Celle-ci s'y trouvait
avec son mari et son enfant; Lothaire Bucher y était
aussi, et je lui écrivis pour le prier de me retenir
un appartement. Ce qui me déchirait le cœur, c'était
de quitter la petite Olga; elle aussi était toute triste
de voir se briser les liens d'affection qui nous avaient
de nouveau unies. Une pitié immense me retenait
auprès d'elle et cependant je sentais que je ne pou-
vais pas rester dans ces conditions. Herzen, désirant
retourner à Londres, me conduisît à Portsmouth.
La voiture qui devait nous mener à Ryde, à l'autre
–extrémité de lîlc-thrWigat, était devant la porte «^
toute la famille nous faisait ses adieux. La petite
Olga s'avança doucement, et d'un air confus, rou-
gissant de n'avoir pas nuire chose- à m'offrir, elle me
tendit linéique» branches de myrte en fleurs qu'elle
venait de cueillir au jardin. EHe lêvàîl Vers môî ses^
beaux yeux innocents tout voilés de tristesse. Elle
savait qu'elle avait trouvé on moi un cœur de mère,
tîI pour fer seconde fois notre séparation fut celle
d'nne mère et d'un enfant. Je pris la branche de
myrte avec une mélancolie infinie,, et lorsque la
vjïiium s'éloigna erï}ué là pëtiliB èreathrè disparut
a mes yeux, il me sembla de nouveau que j'avais
perdu toute la poésie do ma vie.
A Porsmouth, je me séparai de Herzen. Il partait
pour Londres et je prenais le train qui longeait la
cAle jusqu'à Eastbourne. Là je trouvai Bûcher, qui
avait pris un appartement pour moi, et Caroline qui
était installée avec son enfant; son mari venait de
Londres passer le dimanche avec elle. Ce petit
cercle intime cul suffi à me faire passer d'agréables
vacances, mais l'intermezzo de Ventnor assombris-
sait mon âme et la pensée de l'enfant à qui manquait
un amour véritable m'ôtait toute gaîté. A cela
venait s'ajouter mon angoisse pour Mazzini, qui fai-
sait des expéditions dangereuses dans le voisinage
de l'Italie, que la paix de Villafranca n'avait délivrée
qu'à demi. Un jour que j'étais chez Caroline, elle
reçut une lettre de lui, dans laquelle il lui décrivait
une traversée qu'il avait faite sur le lac des Quatre-
Cantons. Sa lettre était d'une -poésie profonde,
pleine de mélancolie. Il racontait que dans le silence
solennel de cette nuit admirable, il avait eu un
Inôînênt de pieux recueilleînënTrûnë~ëspêrâncé pro1
phétique lui montrait l'avenir de cette patrie, si
ardemment aimée et dont il était si proche. I! ajou-
tait que Corotino elle-même, dont il connaissait le
«eeptieisme, émue- -do- ce speetaeUv se ^fnt mise *V
genoux avec lui dans l'adoration de l'esprit du
monde dont il sentait la présence. Je me détournai
-pour cacher mea larmes à Caroline, que la lecture
de ces lignes avait laissée froide, Quant à moi je
pouvais revivre cette heure avec lui par la pensée,
fe sentais eë quorée^graûd eœuivsoBURre et ëreyant
avait éprouvé, dans le silence imposant de ces mu-
railles géantes qui bornent sa belle patrie. Il ne
pouvait en approcher qu'en banni, en fugitif. Mais
depuis longtemps déjà il lui avait fait le sacrifice de
son existence et l'heure dont il parlait était une
de
ces heures où les martyrs d'une idée, franchissant
les limites du temps d'une vue prophétique, goûtent
les joies sublimes du triomphe. Je lui écrivis le len-
demain sous l'impression de cette lettre. Je reçus
bientôt une réponse par l'entremise de Caroline.
La voici
« Ma chère amie,
« Je ne vous écris que deux mots en réponse à
vos lignes! ai-je besoin de vous assurer
qu'elles
m'ont été précieuses? Je ne mérite pas tout ce que
vous me dites, je suis trop loin du but que je me
propose, mais je crois que mon cœur est supérieur
à mon intelligence, tandis que chez la plupart des
gens c'est l'intelligence qui est supérieure au cœur.
Voilà pourquoi les autres n'agissent pas. Si j'avais
avec moi vingt hommes avec votre- cœur et votre-
capacité de dévouement, j'aurais déjà régénéré
l'Europe. Mois ces hommes-là n'existent pas. Conti-
nues! a m aimer pour ce que j'aurais voulu faire.
Votre dernier* déception au sujet d'Olga ma-fait
beaucoup de peine. Mais je crois, je ne sais
pour-
quoi, que vous faites bien d'aller avec Mmo Salis
Seliwabe. Vous y seeez jùniée, Caroline^ qui me
parie souvent de vous, ne me dit rien de vos yeux.
Vous-im>me n'en faites pas mention. Comment vont-
ïF»£ Iïonnez-irien; desc nouvelle^ par Caroline tnr
directement.
« Il y a quinze jours j'ai cru
vous revoir bientôt,
maintenant je ne sais pas quand ce sera. Il faut
que
je reste encore ici. Je vous ai tous enviés à Eastboume.
« Je ne vis ici que par l'esprit, l'indignation et le
sentiment du devoir; le creur n'y est pour rien et. il
est loin d'ici. Oue pensez-vous du mouvement pour
l'unité de l'Allemagne qui commence à se faite
sentir? Qu'en pensent Kossuth, Bucher et les autres?
Quelles sont vos espérances?
a Ici
la crise ne fait que commencer.
« Adieu, chère amie, croyez à mon amitié sincère
et inaltérable.
« JOSEPH. »
CHAPITRE XXXV
Paris et un Allemand.
– TTous "arrivâmes à TaTîsT~Mme Salis Schwabe
avait pris un hôtel aux Champs-Elysées: Richard
Cobden avec sa femme et ses quatre filles devaient le
partager avec nous. Je m «Mais promis de me livrer
sans iirrièro-pflnsée A mes impressions nouvelles et
d'en tirer tout le bénéfice intellectuel possible. Je
ne puis pas «lire que j'aie jamais souhaité vivement
voir Pari*; le Midi -m'attirait bien davantage. Cepen-
dant «Vst hiw* vilïe que ses souvenirs historiques,
sa splendeur, l'art, la civilisation et la mode rendent
iritfàytttrte et èitfiehse. H était notamment inférés^
sanl de voir Paris après Londres, ne fut-ce (lue
pour comparer les deux capitales. J'avais d'ailleurs
besoin tic me reposer et de vivre quelque temps
dans un climat moins humide que celui de l'Angle-
terre. A peine fûmes-nous installés que je m'en allai
seule le long des Champs-Elysées vers les Tuileries
je m'assis sur un banc et je me livrai à mes pensées,
11 était là devant moi, ce vieux château royal et son
Jiqjtt&»Lbxuiaixt-g^^ pour
Champs-Elysées, je quittais ce quartier aristocra-
œuvre sérieuse
e
gente, en compagnie de deux hommes distingués,
– m»-«ay»»tr-et un artiste, travailler eux à une
que pouvais-je souhaiter de
mieux? Je savais que C/ermaU s'occuperait de moi
comme un frero,
– MiwV ce beau pht» m* se rénltstt jmx i Jes nuage*
qui l'avaient évoqué Ht* «lissipèrcnl, et C.crmak se
repril »*iespérer de nouveau un avenir Iumiivux |m»hp
-1"iaIlU'U),
Il*aiHoui's, jo venuisde rudevnir unu uuuvvltu qui-
mo fit ivnoneor |»out' lo moment il (oui projet do
départ, Rie,luu*d Wagner élml «rriv^ iV Paris p«ur
s'y llxer. En même temps, on anuoii^nil trois con-
certs tpii «lovaient «voir Hou aux Italiens, où il
devait diriger un choix de ses compositions. J'allais
donc voir se réaliser mon vif désir d'entendre de la
musique de Wagner, avec orchestre, sous sa direc-
tion. J'entendis les trois concerts et j'étais comme
dans un rAvc; cette musique m'ouvrait un monde
nouveau, plein de grandeur, de passion, et d'éléva-
tion; je voyais se réaliser toutes les aspirations de
mon Ame vers l'idéal. Je connaissais le texte de ces
««uvres dont je n'entendis que des fragments; mon
imagination en reconstituait l'ensemble et jo com-
pris qu'un génie uni«iuc s'était rencontré pour réa-
liser mon idéal.
J'étais transportée, j'avais la certitude d'être en
présence d'un art nouveau. Je n'aspirais qu'à revoir
l'auteur de si belles choses. A vrai dire notre pre-
mière rencontre en Angleterre n'avait pas eu un
caractère chaleureux, et je ne savais pas s'il serait
agréable à Wagner de me revoir, mais je voulais
Icnlcr la chose. Je sentais que je le comprenais, et
je tenais à offrir mes hommagcsrdésintéressésà -son-
génie. C'était, me semblait-il, la manière la plus
naturelle d'aller a lui. tn hasard fit qn*a un concert
«i*i j'allai avec une dame hongroise de mes amie»,
iiuiis iiûih JiftuvAmos asm'sosderrière Wagner et s»
femme, l.n dame hongroise connaissait les Wagner
et leur parla, .le nie tournai vers lui pour le saluer.
M me reconnut et nu> <fit d'un ton amical
« J« nw
son viens quo j'i» îles exciiHes « vous fnir<« do ro«
Imnls mighu». » J
iiuVIiutilehiimenr; mai» c'était la l'unie des hronil-
l«s lions,
• «lui vont ses «ouvres on ses parole*, comme le solHJ,
tjui répand su lumiôi-o sur Ios mécliunlH <<onune sur
lit
ComUion les personnalililsles plus intéressantes que
j«' viens do nommer paUssnieiit acAUWIes hommes
d'esprit du xvnr sidelo qui «e réunissuient chez
;-Mf* Nickel1, M dont les enlretiens
génio naiasanï de fà jeuno fîftrraaïne!
Los réunions chez Wagner avaient an tout autre
caractère. Ce qui les rendait captivantes, co n'était
pas la causerie d'un certain nombre d'hommes mar-
quants, c'était la grandeur et l'universalitéd'un seul 1
Il se trouva qu'un des plus fervents partisans de
Wagner, un de ses élèves, un excellent pianiste du
nom de Klindworlh vint à Paris. A chaque soirée on
donnait une audition des œuvres de Wagner. Klind-
worlh tenait lo piano et Wagner chantait les dill'é-
rentes parties. Il semble difficile, au premier abord,
que ces auditions donnassent un ensemble satisfai-
sant, et cependant l'impression était parfaite. Per-
sonne ne savait comme Wagner rendre l'intention
du nouveau chant qu'il voûtait introduire au théâtre,
et cela bien qu'il eût peu de voix. Je compris qu'il
faudrait créer une méthode nouvelle pour les besoins
de cet art nouveau et que la vocalise, pour laquelle
suffisait une bonne école, avait fait son temps.
Dorénavant il fallait un chant dramatique, où les
paroles eussent une importance égale à la musique,
où la déclamation allait par conséquent tenir une
grande place. Ce fut un grand bonheur pour moi
que dYtro initia ainsi i\ l'intelligence véritable de
ces ehefs-d'Hnivre, car l'interprétation imparfaite
des scènes allemandes n'eut pas pu mïelairer. C'est
ainsi «pu» j'entondis /.uhrugriu et Trhiûn e\ IsoUk
ol une gronda partie de la Walfujiie et da VQr du
Min..l'étais parmi les privik^tés et Wagner pous-
sait la }»onl«)usqû*ftmô permettiodo venir réôteiidre
le malin, quand il répétait avec Klindworlh. J'étais
8aii8 Je ehanno do ces compositious puissantes, Je
voyais clairement que te Irîoinphe de: Tari, son avenir
était les drame musical. Parla vigueur du sentiment,
la grandeur de la passion, la vérité dos figures je no
pouvais comparer ces œuvres qu'a celles do Shake-
speare, mais dans Wagner l'allure puissante de l'ac-
tion tragique est comme portée et soutenue par la
musique. Kl par quelle musique! Klle encore fait
penser a Shakespeare. On oublie en l'entendant
qu'elle a été créée par ou cerveau humain. Elle
semble former un tout nécessaire, essentiel, naturel
et organique avec les personnages. En écoutant ces
oeuvres d'art, on oublie toutes les notions d'espace
et de temps. Nous sommes pris nous-mêmes par la
fatalité et notre Ame enchaînée, délivrée de toutes
les souillures terrestres, grandit dans la souf-
france.
En écoutant ces créations admirables, je sentis
ce que j'avais si bien compris un jour en lisant
l'Opéra el le Dmme. Je commençais à saisir dans
toute son étenduele génie de l'homme qu'un démon
tout-puissant forçait à faire de si grandes choses.
Je senlis que-dorénavant rien ne me ferait douter de
lui, que je l'apprécierais malgré wshptiw» sommes,
l»*s violences de sa nature irritable, le* bizarrerie*
qui le faisaient railler |»iu" lu l'unie, Je savais qu'il
pouvait désarmais compter sur moi jusqu'à la mort,
-t11.' son ~"t~llt·f~t~ttÎL ~11î1ft'Iliijffil..r11It1tii~I'(\ilfiÍ
mo ferait aimer la vie. l'n soir je
tllnai vhw. lui. kn
arrivant je trouvai tont le monde dans une joyeuse,
ï'vcitirtîon, cartnraxait appris inopinément et* jour*
laque Napoléon avait exprimé le désir de voir le
Ttumhn'userh l'Opéra, Le liiroeteur de l'Opéra, qui
avait écondnil Wagner quelques semâmes aupara-
vant par un refus catégorique, s'élail mis tout a
coup avec une déférence et un empressement
exlrémcs aux ordres du maestro. Ce revirement était
<IA à la princesse de Melternieh, une admiratrice de
la musique de Wagner, qui avait influencé l'empe-
reur. J'en fus ravie et jo pris sur-le-champla résolu-
lion do venir a Paris l'hiver suivant assister à cette
représentation on ne pouvait songer a jouer ta pièce
plus tôt, le libretto n'étant pas traduit, et la saison
d'hiver tirant à sa fin.
Noire séjour ù Paris d'ailleurs était presque achevé.
La famille Cobden était partie depuis longtemps,
M. Cobden ayant été envoyé en Algérie pour sa
santé. Mmc Salis Schwabe, sa famille et moi, nous
avions quitté l'hôtel des Champs-Elysées pour nous
installer dans un appartement de la rue de Rivoli. Le
printemps était magnifique. Un orage violent éclata
une nuit, et le lendemain matin, comme sous lac-
tion d'une baguette magique les arbres des Champs-
Elysées, les jardins, les bosquets s'étaient couverts
d'une jeune verdure. Wagner me dit que ce phéno-
mené f avait eawiWde joie. Dans YOe <ht #/ii», Thor
frappe le roeher, les nuages s amuncelent et, quand
Us se dissipent le Wnlhall et la terre brillent d'une
verdure printunière. Or, dans la nuit dont j'ai
parie, Wagner Vêlait demandé s4 la «Uoso -6t»i(–
(itausiblo, cl IVnônoiuent avait justiliô »on inven-
tion,
IHus Paris» vl le» «nviwju» tHaiont beaux, plus il
mVii roiilait «le partir. Cet hiver m'avait fait gmn<t
bien; lit douceur «lit climat avait été favorable à ma
satit*», mes relation» nouvelles, auxquelles ne m
rai tachait aucun souvenir pénible, m'avaient lait
plaisir. l<e inouveinonl intellectuel, plus vif en France
qu'eu Angleterre, ta sociabilité charmante des Fran-
çais avaient mis beaucoup d'agrémentdans ma vie.
Quelques travaux littéraires, qui me semblaient
n'être pas mauvais,m'avaient donné une satisfaction
sérieuse. Herzcn, me parlant d'un article envoyé au
journal de Kinkel, m'écrivait « Vous travaillez,
vous vivez d'une bonne vie; c'est autant de pris sur
le diable. » Tout cela, mais surtout la connaissance
que j'avais faite de Wagneret de ses œuvres, étaient
autant de liens qui m'attachaient à Paris et je cher-
chais un moyen d'y revenir. C'est alors qu'à ma
grande surprise je reçus une lettre de Ilcr/cn, qui
me priait de me charger de nouveau de l'éducation
de ses filles, surtout d'Olga, les conditions de sa vie
étant devenues telles que cette solution lui semblait
s'imposer.
Je n'aurais pu souhaiter une plus belle revanche
du destin. La confiance que Herzenm avait accordée"
autrefois» et que méritait l'amitié inébranlable que
je lui avais* vouée, triomphait do -lotit; te sentiment
maternel, mou amour pour Olga reprit lontt» sn
foms mais il «Huit combattu par des scrupules, par
d'autres sympathies, surtout par mou liesoin de
liberté.™ Je n'avais que trop compris ~qn'mmw~eVs1
aliéner sa liborlé. L'Ame peut rester lîbro et indé-
imntlanlo mOmo dans une situation sulialloriio,
parofrqu'oii n'y fait <ju» le saeviHv© tout exteriour
ilo ,sos habi Unies ol do m»s goi'ils, Dan» r<uuour, au
«•ontrairo, mômo dan» l'amour niatoriiol, Tauiu
tlwient un» «selavo ot on n«> ftûl quo trop NthiVéïit
le saorilico de soi-nuMne, ce qu'on n'a pas le droit do
faire. Je no pus me résoudre à prendre une décision
immédiate; j'écrivis it Iler/.en quo si j'acceptais sa
proposition, si je sacrifiais pour J "amour d'Olga
tous les avantages de ma situation chez. M" Salis
Schwabc, je ne pouvais le faire qu'à la condition do
diriger l'éducation de l'enfant en toute indépen-
dance et de passer l'hiver suivant à Paris; là ma
santé pourrait se rétablir d'une manière délinitive,
et Olga y trouverait toutes les occasions de se déve-
lopper.
Avant de recevoir une réponse à cette lettre, je
reçus une lettre de M. Ilodgc, l'ami d'Orsini à qui
celui-ci avait confié par testament une de ses filles;
il n avait pas voulu laisser ses enfants à leur mère,
qu'il ne croyait pas propre à les élever. Sa seconde
lille, qu'il avait également confiée à un Anglais,
était morte peu de temps après son père. M. Hodge,
que je ne connaissais que de nom, m'écrivait pour
me dire qu'il n'était pas marié et qu'il était trop
jeune pour se charger de l'éducation d'une petite
une. H avait consulté Emilie Hawkcn» et Caroline
Stansfeld, qui lui avaient dit qu'il no pouvait rien
faire de mieux que do me la confier, si je voulais,
bien me charger d'elle. Il ajoutait « Je n'ai pas
Tiêsoih de tïfoxeuser~<le m'adresser ainsi A _yqus;
nous avons combattu sur le même champ de bataille
et nous ne sommes pas îles étrangers l'un pour
l'autre, »1» «oïneidenee tUveesMleux propositions
imMltM<>riniua. Il mu semblait voir la une faveur du
destin <|ui tue permet lail d'élever ensemble ces deux
énTanls; j\«p^rats, par tour développement, fmre
honneur a Ilerzen et ô la mémoire d'Orsini. Celte
tache me semblait apporter une heureuse solu-
tion à ma situation; mes forces physiques y suffi-
saient, mon cœur y trouvait son compte et je
prévoyais du temps de reste pour les besoins de
mon esprit. Je répondis donc a Hodge (jue j'accep-
tais avec joie sa proposition, j'écrivis dans le même
sens il llerzcn, et je leur annonçai à tous deux ma
prochaine arrivée à Londres. Le jour de mon départ
approchait. J'avais vu Wagner aussi souvent que
je le pouvais. J'avais en la bonne fortune de pouvoir
lui rendre un service assez, important et il m'avait
parlé à cette occasion de ses affaires avec la fran-
chise avec laquelle on parle à une vieille amie. Cela
nous avait rapprochés d'une manière plus intime et
l'inquiétude que m'inspirait son sort me pesait. In
génie comme le sien ne peut créer qu'à la condition
de demeurer sur les cimes, de ne pas faire de con-
cessions à la foule, Mais pour cela il lui faut l'in-
dépendance pécuniaire, et Wagner ne l'avait pas.
Non seulement il n'avait rien, mais il ne savait pas
défendre ses intérêt* contre Uns éditeur* t*t les théâ-
très allemands, qui faisaient tic grosses recettes
avec ses wuvres, déjà 1res populaires. Dans la vie
pratique, H avait cette inhabileté1 du génie qui est si
touchante l parco qu'elle tienl [a une ^xjrème naïveté
dans la conception de la vie. Je cherchais il l'aider
de mille manières, je déplorais la modicité de mes
propres ressources, Jo regrettais amèrement de ne
pas pouvoir aplanir les voies à son génie, afin do lui
permettre de créer des œuvres immortelles. I-u seule
consécration du vit métal, c'est d'en faire un noblo
emploi; – il fout mettre la matière au servie» dt>
l'esprit.
La veillo de mon départ j'allai une dernière fois
au Père-Lachaise, qui avait été mon but do prome-
nade favori. J'allai sur la tombe de Bœrno, que
j'avais visitée souvent en souvenir des heures char-
mantes que je devais a la lecture des œuvres de cet
esprit lin, caustique et cependant si chaleureux.
J'avais souffert do voir son bas-relief de pierre
entouré d'autres monuments dont la proximité no
lui eût pas été sympathique. Je ne voulus pas quitter
Paris sans entourer sa pierre tombale d'un rempart
de verdure. J'achetai quelques pieds de lierre et
je les plantai avec l'aide du jardinier ai côté de son
tombeau. Puis je m'assis et je restai longtemps au
milieu de cette fraîche verdure que le printemps
avait répandue sur la cité des morts; je repassai dans
mon esprit les résultats de mon séjour à Paris, Je
fus satisfaite de mes réflexions; j'avais beaucoup
jour, beaucoup appris, et le calmes'était fait en moi.
Mais le plus beau bénéfice de mon séjour, je le sen-
lai* nettement, c'était la. connaissance que j'avais
faite do Wagner et de ses oeuvres. C'est avec un
hommage joyeux a la patrie allemande que je quittai
la terre française. Les vertes vagues me portèrent
avec mes uompagnons de voyage vers- l'Ile si fiere
qui se dresse invulnérable au milieu des fîôts.
€HAPITttK ^XXVI
L'enfant, l'artiste, le philosophe.
Mm<> Salis Schwabe avait loué une belle maison
avec un jardin aux environs de Londres, et c'est là
que nous nous rendîmes d'abord. Je lui racontai
l'offre de Herzen, je lui dis comment ma tendresse
pour Olga, que j'avais soignée et gardée des l'Age le
plus tendre, l'emportait sur tout le reste, et je lui lis
part de ma résolution. Elle en fut très affligée, car
elle espérait me garder auprès d'elle. Je l'aimais
personnellement beaucoup, j'appréciais ses nobles
efforts son zèle infatigable pour le bien son
dévouementà de bonnes œuvres. Mais d'abord son
activité comme sa vie avaient quelque chose de trop
bruyant, de trop mondain pour mes goûts. Puis
j'avais vu depuis longtemps qu'entre ses enfants et
moi il ne pouvait y avoir de rapprochement véri-
table. La semence que je voulais semer ne pouvait
-germer- dan* ce terrain. Tous ces enfants- étaient
appelés par leur éducation et par leur tempérament
lijouer un rôle dans la classe aisée. Que pouvais-
je faire ponreux? Leur voie était toute tracée estait
le large chemin, uni et facile, que prendront tous
ceux a qui la fortune a su arranger une vie confor-
table. Je ne pouvais faire quelque ohoso que pour
Veux qui préfèrent auxsentiers baltus les chemins
étroits et solitaires, qui aiment à regarder los étoiles
plus que les lustres d'une salle de bal, et qui prêtent
plus volontiers ^'oreille aux révélations du géni©
qu'aux propos d'une morale mondaine. Mme Salis
Sçhwabe proposa de lui amener Qlga et de voir
si nous ne pouvions continuer fi" vivre "ensemble.
J'allai donc a la campagne chez Ilcrzen; je fus
roi; uo de la manière la plus cordklc, on me laissa
emmener Olga et je retournai en ville. La chère
enfant était si heureuse d'être avec moi, elle jouis-
sait d'une manière si vive des moindres incidents
de cet événementinattendu et heureux, que j'en eus
l'Ame attendrie. Je sentais que le destin nous avait
faites l'une pour l'autre et qu'il m'avait réservé le
rôle d'une mère auprès de cette enfant si séduisante,
que j'avais tant aimée et pour laquelle j'avais déjà
tant souffert. Dès lors mon parti fut pris, et je
résolus de consacrer le reste de mes forces à l'ac-
complissement de cette tâche. Le sort me permit
(le remplir encore cette partie du programme que je
m'étais tracé et qui m'avait coûté tant de luttes,
tant de sacrifices. J'avais montré déjà que la femme
peut aussi bien que l'homme lutter pour défendre
ses convictions et briser s'il le faut les entraves que
lui oppose son milieu. Fidèle à mes principes^j'avais
prouvé que la femme peut se créer une vie indépen-
danle v\ huuoniW»* par son travail, Pour lu seconde
foi» enfin le destin me convint! a continuer mon
univré" interrompue oVà ihô" consacrer dans ma
famille d'adoption il une tAche maternelle. Ici encore
j«» pouvais démontrer que la femme, même si elle ne
adoptivc.
CUAPITRE XXV.
XXVI.
XXVII.
XXVIII.
La famille
La vie ù la
Encore une
Le destin. La
xXtX.–NouvettesoUtude.
mort.
campagne.
séparation.
M
86
1
XXXL–Mazzini.
XXX. sympathie.
Relations et
i11:~
113
XXX!L-Résultats.
XXXttt.–Kouvettes per tes
196
214
221
XXXIV. d'Angleterre.
Départ
XXXV.–ParisetunAUemand.
260
271
XXXVI. L'enfant, l'artiste, le philosophe. 2M
IN116g