Mémoires D'une Idéaliste Tome 2 (... ) Meysenbug Malwida Bpt6k65589c

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Mémoires d'une idéaliste.

Tome 2 / par Malwida de


Meysenbug ; trad. de
l'allemand ; avec une préf.
Gabriel Monod,...

Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France


Meysenbug, Malwida von (1816-1903). Auteur du texte.
Mémoires d'une idéaliste. Tome 2 / par Malwida de Meysenbug ;
trad. de l'allemand ; avec une préf. Gabriel Monod,.... 1900.

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WëmôÏTèY'ïïtf:'r:

Idéaliste
MAlWiEA DE MEYSENBÛG
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]

l'n'fiw .Vf. GABRIEL MOXOlt j

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PARIS
LIBRAIRIE FISCHBACHER
(SOCIÉtÉ ANONYME)

.t'QOo~33. RUK DE SEINE. 33


MÉMOinES Cc

D'UNE IDÉALISTE
COULOMMIEKS
Imprimorio Pmji BHODAUD.
MÉMOIRES
D'UNE IDEALISTE
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TOMK SKfiONI)
ORNE 06 CINQ PORTRAITS

PARIS
LîBft AïRIE F ISCHB AC HER

33, RUE DE
(SOCIÉTÉ ANONYME)
33

1900
MÉMOIRES

D'UNE IDÉALISTE

CHAPITRE XXV

La famille adoptive.
Kn revenant aux brouillards qui plancnl s*ui*
l'immense capitale comme un sombre oiseau de
proie, je songeais involontairement a Fidélio el au
chœur que chantent les prisonniers au moment de
retourner dans leur cachot, à cet air mélancolique
et douloureux « Adieu, belle lumière du soleil,
nous ne te reverrons plus. » Pour celui qui veut
voguer à pleines voiles vers les jouissances dont
rivent la plupart des hommes, pour celui qu'attirent
les contrastes d'une grande ville, et qui en fait
l'objet de son étude, pour celui, enfin, qui désire
vivre dans un grand centre, Londres peut être un
Eldorado vers lequel il revient avec joie. Mais celui
qui préfère écouter la brise et les vagues, et le
chant des oiseaux sous la feuillée, ou voir les grandes
pensées sur le monde naître de ta nuit «lu Chaos,
eelttMà, on reprenant romme umi IViigiviuigre tin
travail, eousidère son retour il Londres comme la
perle «liv s» liberté et le retour dans la prison.
.le ne trouvai que quelques-unes de m(.s élèves,
la saison n'étant pas eommeneée et la plupart îles
l'amilles étant encore lit eampajçne. Mais je repris
mes levons avee les petites ller/.en et je jouissais de
ees obères enfants, qui «*>lnit>nt comme des Heurs
dans mon oasis, l'n soir, je passais devant leur
maison, et comme je n'y avais pas été le matin,
j'entrai pour voir eomment elles allaient. Je trouvai
Mer/en avec elles dans l« salle à mander el je, vis
qu'il avait l'air triste et troublé. Lorsque je partis,
il m'accompagna, et tout à coup il fondit en larmes,
me disant que sa maison ne marchait pas. qu'il était
tourmenté de l'avenir des enfants, que son intérieur
n'était qu'une ruine et il répéta il plusieurs reprises:
Je n'ai pas mérité cela, je n'ai pas mérité cela! »
–«<
Je fus profondément émue de le voir dans cet
étal. C'est toujours pénible de voir pleurer un
homme, il plus forte raison un homme aussi peu
habitué que llerzen à des rlémonstrations sentimen-
tales; il était d'ailleurs toujours si absorbé par les
intérêts publics qu'on ne le croyait guère sensible aux
petits froissements de la vie privée. En même temps
sa confiance en moi me touchait, etlorsqu'il ajouta
« Donnez-moi un conseil » je lui promis de réfléchirà
la situation. Rentrée chez moi, je cherchai longue-
ment ce que je devais lui conseiller. Souvent les
enfants et la bonne m'avaientdemandé de venirm'ins-
taller chez eux, faisant des plans d'av enir, disant que
«•e serait une si bonne vie. D'outre part, l'idée me
{«"•liait île vi\re avec ces petites et d'entreprendre une
«ruvre d'éducation féconde, a» lieu du triste métier
dos Jetons particulières. Je n'avais pas voulu y atta-
cher ma pensée, je redoutais quelque nouvelle et pro-
l'onde affection. Le calme et la tristesse do mon iso-
lement me semblaient préférables aux souflVaueos
que peut. donner l'amour. J'en avais goAlé tuute
l'amertume, je savais sa puissance dévastatrice,
.l'avais trouvé lo calme et la liberté d'esprit, sinon le
bonheur. J'éprouvais ce bien-élre douloureux que
doit ressentir le marin échappé il lit tempête: son nuit
est brisé, ses voiles sont déchirées, son bien est
perdu, mais il est rentré au port. Devais-je m'exposer
encore une fois au destin cruel que la vie du cœur
réserve parfois? – Moi, qui me connaissais, moi,
qui avais mesuré la profondeur et l'exclusivisme de
mes sympathies, et qui savais qu'un lien de cœur
brisé déchirait mon être et mettait ma vie en
danger? Ici, il ne pouvait être question d'une situa-
tion de gouvernante, j'entrais de plein gré dans la
famille de mon choix, c'était une sœur allant • ïiez
son frère pour élever ses enfants orphelins et leur
tenir lieu de mère. Voilà comment j'entendais tenter
cette expérience et pas autrement. Les beaux yeux
des enfants m'attiraient comme des étoiles, me pro-
mettant un travail béni. L'élément intellectuel qui
entrait dans ma vie par mon commerce avec Herzen,
un échange d'idées, où ne se mêlerait rien de
cette hypocrisie dont la vie anglaise garde tou-
jours quelque trace, tout cela me fascinait. Il me
fallait tenir compte aussi de ma santé, trop faible
pour supporter un second hiver aussi fatigant que
lu premier. Je me mis donc a écrire à Herzen;
je. lui dis (jue sa douleur m'avait beaucoup tou-
chée et que mou désir de l'aider remportait sur
bien des hésitations; je lui offrais de me charger
complètement de l'éducation dos petites; j'ajoutais
qu'il me faudrait naturellement ôlre à demeure chez
lui, mais que je considérais ce parti comme un
devoir d'amitié; par conséquent, du jour où j'entrais
dans sa maison, toute obligation pécuniaire cessait
entre nous. Il mo faudrait donc donner quelques
leçons particulières au dehors, ce qui suffirait à mes
modestes besoins, et ainsi je pourrais me consacrer
tout entière à une œuvre dont le succès serait ma
seule récompense. Je terminais en disant qu'il allait
de soi que nous faisions ce contrat librement tous
deux, nous réservant l'un et l'autre le droit de le
dénoncer dès que cela nous paraîtrait désirable.
Je ne lardai pas a recevoir une réponse. Herzen
m'écrivait que cent fois il avait été sur le point de
me proposer cette combinaison, mais que des scru-
pules analogues aux miens l'avaient retenu jus-
qu'alors, un amour eflréné de l'indépendance, ce
bien suprême, seul débris après le naufrage de la
vie, et la crainte de tout commerce avec les hommes.
« J'ai peur de tout le monde, même de vous »,
disait-il, puis il ajoutait « Enfin, tentons l'épreuve!
vous me rendez le plus grand des services en sau-
vant mes enfants; je n'ai pas le don pédagogique,
je le sais, et ne me fais pas d'illusions sur ce point
mais je suis prêt à vous aider, à faire tout ce que
vous jugerez nécessaire. »
Maintenant qu'il avait triomphé de sa crainte
ombrageuse, il était pressé d'en venir à une solution,
et quelques semaines plus tard j'emménageai chez
lui. Je trouvai bien des réformes a faire dans l'édu-
cation des enfants, l'organisation de la maison, les
relations mondaines même, que Herzen avait laissé
se multiplier; il en soutirait au point d'en être
sérieusementimportuné, et il n'avait cependant pas
l'énergie dv mettre bon ordre, .le notai des lors
chez lui un trait de caractère étonnant chez un
homme irréductible dans la discussion, inébranlable
dans ses opinions, persévérant dans son labeur,
comme tous ceux pour qui le travail est l'affirmation
sacrée de leur force créatrice dans les aflaircs de
la vie quotidienne il reculait devant toute interven-
tion. Il aimait mieux endurer mille désagréments
que de régler les choses avec énergie; souvent il
devenait ainsi l'esclave des circonstances, lui qui
aimait son indépendance par-dessus tout. Sa maison
était le rendez-vous de nuées de réfugiés russes et
polonais; ils s'y livraient à une véritable prise de
possession, ils s'y sentaient les maîtres et y faisaient
la loi. Jamais, ni le jour ni le soir, on n'était à l'abri
de ces intrus; la vie de famille, la lecture ou la
causerie avec les enfants était à leur merci. C'est
Herzen qui en souffrait le plus et souvent
sa mau-
vaise humeur dégénérait en dépit. Je ne pouvais ni
approuver cet état de choses ni le tolérer à cause
des enfants et je le dis ouvertement à Herzen. Nous
eûmes à ce sujet de vives discussions. Je lui dis
courageusement que j'étais venue pour diriger ses
enfants dans la bonne voie, dans la mesure de
mes moyens, mais que je voulais aussi conserver
un père A s««> eufants et leur erêer, de concert
avec lui, une maison paternelle oit put germer la
bonne semence, qui porte ensuite ses fleurs et
ses* fruits. Avec, sa véracité, qui était un autre trait
de son enrmière, awe sa (Vnnehiso »\ reconnaître
ses (miles, il tivoua que rVlail par faiblesse qu'il ne
remédiait pas n ces abus et il nio donna pleins
pouvoirs pour y mettre un terme. Je lui conseillai
de choisir deux soirs par semaine pour recevoir,
mais do se réserver les autres soirées et ses après-
midi en donnant il ce sujet dos ordres formels, afin
qu'on eut uno bonne fois une vie tranquille. Il trou-
vait qu'une soirée suffisait, et bientôt nous eûmes
la paix. Cette réforme m'attira naturellement beau-
coup d'ennemis; les nombreuses relations de Herzen
n'avaient pas vu mon entrée dans la maison avec
plaisir, et craignaientde voir diminuer leur influence.
.le ne devais pas échapper A leur vengeance.
Il vit de soi qu'il y eut quelques exceptions, et
certains amis gardèrent leur libre accès à la mai-
son ils n'abusèrent pas de cette faveur. Parmi
ceux-là, il y en avait plusieurs avec lesquels je me
liai plus lard. Je remarquai surtout un Polonais
qui avait l'air d'un martyr et qui m'inspirait autant
de pitié que de vénération. C'était Stanislas Wor-
cell. Il appartenait à l'une des plus grandes familles
de Pologne; à son berceau, les députations d'une
trentaine de villages étaient venues porter à ses
parents les hommages et les félicitations de leurs
sujets. Pendant soa enfance et son adolescence, ne
mangeant que sur de la vaisselle plate, entouréjle
domestiques, il avait grandi nu milieu «lu luxe. Mais
si sa vie était somptueuse, suit éducation l'ut soignée;
il avait des connaissances tt^s étendues; «-'était un
hummo vraiment cultivé, ICn même temps c'était un
|inti'itite fanalitpic. «ver une teinte do mysticisme
que j'ai mieux comprise en lisant les poêles polonais,
MrçUiewiez et d'autres, I.a Pologne était l'étoile
mystique qui soutint htttw «le WoreHI «lans un exil
cruel oil rien ne lui fut épargné. Miche, considéré,
marié, pèm de plusieurs enl'anls, il avait tout twri-
(ié à l'indépendance de sa patrie, quand In Hévo-
Intion avait éclaté. Après le triomphe de rétningor,
il ne lui restait comme il tant d'autres que l'exil,
mais ce qui le lui rendit particulièrement amer, ce
fut lit trahison «le sa femme <>t de ses cnfanls; au
lieu de le suivre, ils passèrent dans te camp ennemi,
oil on les combla d'honneurs, le traître était l'allié
naturel du tyran. Les traces de celle douleur cui-
sante se lisaient sur son noble visage, sillonné «le
rides profondes. Mais jamais un mot sévère ne passa
ses lèvres; jamais il ne parlait <l«»s siens qui vivaient
dans l'éclat de la faveur impériale il Sainl-I'élers-
bourg, tandis qu'il vivait dans la misère et l«is pri-
vations. Il avait le noble orgueil du juste, qui ne
tait pas montre de ses blessures; jamais il ne s«*
plaignait; quand on le rencontrait, il était toujours
le même, un esprit fin, vif, distingué, parl.-inl toutes
les langues modernes avec une rare perfection,
causant d'une manière brillante, grAce à son esprit
philosophique et à ses vastes connaissances. II
donnait des leçons de mathématiques et des leçons
– dt\ langues; -c'est en -sa -qualité dp, piolcsso»»- -de –
mathématiques,qu'il venait cites le fils de Herzen;
eelui-ei l'appréciait fort; c'est lui qui le premier
témoigna lu plus chaude sympathie à Iler/en lorsque
celui-ci réalisa un plan élaboré depuis longtemps et
fonda » Londres une presse russe destinée & eom-
litiltre le despotisme en Russie. Pour se distraire du
Hingrin «|iie lui «vaienl couse la ntoii de sa leinme
.el dnulres parles douloureuses, Hcnten avuit tenté
jd'olVrit'n Londres un asile ft In pensée russe asservie.
Ue l'élraniçer celle pensée, francUênwnt espriméo,
d«nait retourner dans sa patrie pour venger les
opprimés, répandre la lumière ot annoncer des
temps meilleurs. Herzen avait con<;u ce plan tout
seul; e'est seul, avec ses propres ressources, <pi 'il
voulut le mettre à exécution. C'est un Polonais,
r.'est Woreell, qui fut le premier a comprendre la
portée «le ce projet; il vint au-devant de lui en
mettant à sa disposition les moyens dont disposait
l'émigration polonaise pour répandre des pamphlet»
en Pologne et en Russie. Comment cet homme si
noble, il l'àme si élevée, eût-il pu juger autrement
celte entreprise? Herzen débutait par un aveu plein
de regrets, déplorant les torts de la Russie envers
la Pologne; il tendait une main fraternelle aux
opprimés, pour entreprendre avec eux la lutte contre
l'ennemi commun, le despotisme qui pesait sur la
Russie comme sur la Pologne. J'étais là quand
Woreell reçut de la main de Herzen ia première
feuille russe imprimée à Londres et je partageai la
joie émue de ces deux hommes. Je voyais ainsi lever
une semence de liberté dans un coin de la libre
Albion. Xonglemps ava»U4e€onBaHre ffcrzen;iîlnë~
semblait que la Russie et l'Amérique seraient le
champ d'expérience où les nlccs socialistes vioit-
luttes.
draient a se développer, tandis qu'eu KurojH», ou
elles sont nées, elles n'ont fait que soulever des
luttos, J'étais
J etnis «rrh~c cette conclusion
arrivée A cCUC! en jctnnt
ronClllsittn un jetant
un coup d'util sur la carte. La vieille Kitrope, si
déchiquetée., faite- pour l'individualisme, devait
donner naissance a des nationalités, à des gouver-
nements et à des conceptions sociales très diffé-
rentes. Mais le trait essentiel de l'histoire moderne,
l'union des masses, la coopération des forces, l'asso-
ciation des moyens île culture me semblait trouver
un terrain plus favorable dans les immenses conti-
nents de l'Amérique et de la Hussie. La facilité des
entreprises agricoles et industrielles semble y inviter
les forces humaines il s'unir pour réaliser les théories
humanitaires du siècle. Os théories sont la négation
de la proposition de Malthus, qui dit que tous ne sont
pas conviés au banquet de la vie. Mlles affirment
tout au contraire que celui qui travaille doit jouir.
Depuis que je connaissais Herzen ces idées n'avaient
fait que s'atlermir et se développer, grAce la ce qu'il
me disait de la commune russe cette commune,
avec sa possession de la terre en commun, me
semblait résoudre le terrible problème du prolé-
tariat qui menace l'Europe comme une nuée ora-
geuse. Quiconque possède assez de terre pour se
nourrir, soi et les siens, n'a pas à souffrir. Cela me
semblait à la fois l'indication du mal et son remède.
Avec ma conception de la question, la généreuse
entreprise de Herzen me semblait fort importante.
Uir paysnfoifitt^rg^ïHs^iôn~lon1itàlJïêiïtaïëhëlût*îâir~
résoudre lo question soeïule, n'avait besoin que de
se «l«*livivr «lu despotisme pour éveiller a la vie
toute* les forces «lu pays,
Woreell ne fut pas seul à saluer IVuvre de Horzou
avec enthousiasme. Miehelet écrivait à t'wllo oeci»-
siitn •< <JiU'llt» liaino serai! jusliliôe tlcsonnnis si
los IV»l«niais el U>s Itussos s'uiiisscnl?»
Mais tuu.s ios l'oloiuiis nVluient ut «u»si symjM»-
li«|m«s ni aussi di^tingu^s i|iu» Woitvll, et jViw
ltioiitùt ft l'niro A mes «lôjions lVxpilweuço ik* lu basse
«•n vie et des inlrïgnos <|tii ivgimionl itiuis eolio t>mi-
fcrnlion. l'uc l'iunillo polonaise «jne lloiv.on «:onn»i.s-
stiil et «lonl les enliinls vovni«inl lieaiH'ouj» les siens,
sVlnit iiiUnieiuenl liée avec la bonne <lo e<>u.vci. On
l'invitait souvent nvec les rnfniits, on la traitait
tout a lait en vgnh* et on espérait sans doute exercer
par là un» inlluenee dans la maison. Ait début, on
fut très aimable avec moi, on vouait me voir, on
m'invitait cl on eût peut-être ét«; bien aise de me
gagner. Mais lit la mille nu m'était pas sympathique;
elle n'avait pas la dignité dans ta malheur qui
m'avait frappée chez Worcell, elle portait les revers
avec ostentation. Je ne pouvais m'empecher de son-
rire quand le père ou quelque autre membre de la
famille venait chez Herzen ils prenaient tous des airs
mystérieux, ils jetaient des coups d'œit soupçonneux,
ils causaient à voix basse comme s'ils craignaient
des espions et s'ils cachaient un mystère d'où dépen-
daient les destinées ?u monde; ils avaient tous l'air
«
drapés dans la conspiration ».
J'étais un peu sur la réserve avec eux et je cher-
chais à restreindre leur commerce jivccjcs. enfants-
commis it mes soins, sur lesquels ils me semblaient
n'avoir pus une 1res bonne influence, n va «le sui
que
toute cette clique mp devint hostile it partir de ce
moment. D'abord mes rapports avec In honnc avaient
été excellents. Klle était contente qu'il y enl une
femme dans la maison avec qui elle pùl parler, qui
l'Ai prête iV écouter «es histoires, a lui témoigner de
la sympathie, a prendre part a ce qui la touchai»,
entre autres a une affaire do c«eur qu'elle me confia
do suite. Jamais je ne liai donnai
un sujet de
plainte; sa vie devint plus gaie grAcc a moi, car
j'organisais pour les jours da naissance,
pour NoeJ,
pour le jour «le l'an de petites foies pour les
enfants et elle y prenait naturellement part, elle
s'y amusait plus que qui que ce fût. Nous menions
une vraie vie de famille tous los habitants de la
maison étaient unis par des intérêts, des efforts,
des plaisirs et dos travaux communs. Pendant
ce
premier hiver les enfants curent plusieurs maladies
éruplives, et je fis mon devoir auprès d'eux
avec un
amour vraiment maternel. Ces enfants, surtout les
deux filles, avaient gagné tout mon cœur. Mon goût
inné pour la vie de famille reparut de nouveau dans
toute sa force. Je méditais les théories du temps
qui visaient à détruire la famille, à la montrer
en
-quelque sorte comme la mort de l'individualité. Cela
n'est vrai que quand la famille devient tyrannique. La
famille, pas plus que l'Étal, ne doit s'arroger le droit
d'entraver l'individu dans son libre développement.
La famille, comme l'État, doit
au contraire le pro-
téger et l'aider à se développer conformément à
sa
v'îaie-Batw^trfamfllc~t^rÉtat;"i;hïcTni^tlgnS~"la""
mesure des moyens dont il dispose, doivent con-
tribuer a cHlo belle et libre culture. Mais jamais ni
In famille ni l'KluI ne doivent entra ver ou contraindre
un*» vocation. Qu'une famille pieuse fasse «'lover ses
enfants dans la piété, c'est son droit. Mais con-
traindre un adulto à demeurer fidèle aux opinions
«juil doit ù JV'duonlioa première, le pei-sôcutor s'il
s'en ulfranchil, c'ost (le la tyrannie, Les impres-
sions H tes exemples, voilà les principaux moyens
fjue lu famille et l'Étal devraient employer pour
agir sur les individus comme sur les peuples.
Knlourer la jeunesse de belles impressions, lui
montrer de nobles exemples et laisser la nature
suivre sa voie sans la troubler, voila quelle serait la
sagesse. Plus mes nouveaux devoirs m'amenaient à
rélléchir au grand problème de l'éducation^ plus je
demeurais convaincue que les impressions et les
exemples sont les vrais leviers de l'éducation, et quo
le dressage, tel que l'entendent la plupart des gou-
vernantes, des maîtres d'école et des éducateurs
publics ne vaut rien. A quoi tient la beauté ineffable
de la culture athénienne? A ce que la nature pou-
vait s épanouir librement; nul dressage n'y mettait
d'entraves. Les Athéniens étaient entourés de belles
impressions,la nature leur prodiguait des spectacles
séduisants et sublimes, l'art de plus en plus idéaliste
leur montrait la beauté en quelque sorte saisie sur
le vif et immortalisée, les sages condescendaient à
s'entreteniramicalement avec la jeunesse,« délivrant
leur esprit enfin l'exemple des héros enflammait
d'émulation les jeunes âmes. A Sparte, où régnait
le~th*essagc,~OTiformait*Tdes~hôTiflnës" "hôrmaùx7 vi~
goureux, mais non des favoris des dieux comme les
Athéniens.
Los natures très originales qui m'étaient confiées
me firent réfléchir a des cas spéciaux auxquels
j'essayai d'adapter mes théories générales autant
que cela était possible. Je m'occupais surtout de la
fille aînée; je m'étais chargée de son instruction et.
j'étudiais avec soin son caractère déjà très accusé.
Mais c'est avec une tendresse infinie que je m'attachai
a la plus jeune, trop petite pour apprendre; elle
m'avait voué une affection rare cho?. un si polit éire
et qui touchait à la passion. Ce tut l'occasion des
premières manifestations de jalousie et de dépit,
de la part de la bonne, qui avait une prédilection
marquée pour cette enfant, restée jusque-la entière-
ment entre ses mains. Elle commença à changer de
manières avec moi..J'attribuai d'abord ce change-
menl a celte puérile jalousie. Mais bientôt je vis
qu'il y avait autre chose là-dessous, et j'acquis la
conviction que la famille polonaise dont j'ai parlé
plus haut l'excitait contre moi; elle manifestait sa
mauvaise humeur tantôt en m'enlcvant les enfants,
tantôt en les emmenant de meilleure heure le soir,
les enfants couchant avec elle. D'abord je fis sem-
blant de ne pas m'apercevoir de la chose et je restai
calme. Mais je finis par perdre patience, cette atti-
tude commençant à influencer l'atnée de mes élèves,
qui me témoignait de la défiance, prenait le parti
de la bonne, ne faisait pas ses devoirs ou les faisait
mal; elle aussi, à n'en pouvoir douter, était sous la
mauvaise influence des Polonaises. La bonne avait
"~cu ju5qu'aloT5carteiîlanche~eirtoutrce^quilouchait"
les enfants, Herzen n ayant rien précisé d'une
«»t
manière régulière, elle «voit autant d'occasions
qu'elle lo voulait do les soustraire à mon influence
vl d'organiser leur vie a sa guise. Enfin, voyant que
mon action sur les enfants menaçait de devenir
nulle si cela continuait, j'en parlai & Herzon. Je lui
demandai de régler les choses avant que lo mal
empirât et qu'on on vint à des mésintelligences
irrémédiables. Je rencontrai chez lui ces hésitations
dont j'ar parlé; il ne savait pas intervenir a temps
dans les situations difficiles pour éviter des incon-
vénients plus graves. C'est un trait de caractère
que j'ai rencontré chez beaucoup do Russes. Cela
donne quelque chose d'indécis, d'hésitant a leur
vie, qui semble un pou abandonnée au hasard; ce
trait constitue une des différences essentielles entre
leur caractère et celui des peuples occidentaux; il
explique l'antagonisme entre les Russes et les Alle-
mands et l'antipathie que la nature allemande, sa
ferme et sage prévoyance, leur inspire. Herzen exa-
mina la situation, ne la comprit pas, affirma que cela
s'arrangerait et laissa les choses suivre leur cours.
Malheureusement cela ne s'arrangea pas. Il y eut
des scènes très pénibles; la bonne avait des crises
de nerfs chaque fois que je m'occupais un peu de la
petite et que celle-ci, dont la vive imagination et
l'âme aimante se plaisaient aux jeux que j'imaginais,
me témoignait toute sa fougueusesympathie. Herzen
finit par comprendre que cela ne pouvait continuer
ainsi et qu'il avait à choisir entre elle et moi. Je le
laissais tout à faijjibrejlc romprejiptre jcontrat-R'iï–
alTâlr"péïnë~îrrenvoyer une domestique à laquelle
les enfants étaient habituées, II ne voulait pas
entendre parler de cette solution et il se décida n
lui donner son congé. Je l'aidai à rendre ee départ
l«» moins déplaisant possible; j'ai toujours préféré
mille fois faire un snerilice à en imposer un, J'étais
désolée de faire de la peine ù celte lille, qui commen-
çait ù comprendre ses torts et à s'en repentir, et de
la séparer des enfants, qu'elle aimait A sa manière.
Comme toutes les natures bornées, elle voulait
revenir sur lo passé alors qu'il n'en était plus
temps. Mais je sentais qu'il y allait du bien des
enfants et do mon influeneo sur eux et je demeurai
ferme, quoi qu'il m'en coûtât. Après son départ je
pris les enfants chez moi et j'organisai leur vie selon
mes idées. La paix régna de nouveau autour de
nous. Pourtant l'alnéo de mes élèves conserva
quelque temps encore quelques traces de cette
mauvaise influence polonaise. Il y avait là d'assez
pénibles difficultés, mais j'espérais en triompher
avee le temps.
C'est à cette date qu'entra dans notre intimité
un couple russe qui avait vécu avec la famille
Herzen à Nice. C'étaient des personnalités originales,
représentant toute une génération, la génération
entrée dans l'action après le départ de Herzen, et
qui avait joué un rôle dans plusieurs conspirations.
M. Engelson était un ami de Petracheffsky, homme
remarquable au dire de tous ceux qui l'ont connu,
et qui fut arrêté comme chef d'une de ces conspira-
tions et envoyé en Sibérie. Engelson était maladif,
– d-unfr -exUrême-irritabiUté- nerveuse ^-Utt^de _jçes_
hommes dogmatiques comme Herzen en a souvent
rencontrés et «Wpeinls chez ses contemporains.
Malgré son esprit caustique, sa brillante dialectique,
sa logique imperturbable, le régime despotique
auquel il avait été soumis ayant paralysé toute son
activité, il n'avait abouti qu'a une amère ironie, ù
un scepticisme terrible et universel. Ce scepticisme
était d'autant plus néfaste qu'il allait de pair avec
certaines prétentions que ne justifiait pas le succès.
Miiis dans la génération do Herzen l'inspiration poé-
tique, unie aux qualités que je viens d'énumérer,
sauvait de la médiocritéles hommes tels que Herzen,
Tourguénieft", Belinski, Lermontolï, etc. Celui « à
qui uu Dieu donna d'exprimer ses souffrances »
pouvait transporter sa douleur dans une région plus
pure. Mais les autres étaient condamnés « à une vie
sans joie », et il n'est pas étonnant que les Husscs
en général cherchent l'oubli dans le Lélhé du vin,
ce qui arrive fréquemment dans le peuple, a en
juger par les nouvelles de Tourguéniefl*. J'aimais
beaucoup Kng<>lson et nous causions souvent ensem-
ble c était une véritable gymnastique intellectuelle
de discuter avec lui. Son esprit et son ironie m'amu-
saient, car ses armes tranchantes ne s'escrimaient
que contre ce qui méritait d'être combattu, jamais
il ne s'attaquait aux faibles, aux opprimés. Au fond
de son cœur, maigre le doute amer et la mordante
raillerie, il était resté d'une vraie bonté. Il ne pou-
vait voir souffrir un animal et ne pouvait maîtriser
sa fureur quand il en voyait maltraiter un. Sa femme
me plaisait moins; elle était belle, froide, fière,
jri teHigentej Ala Jiais_positivfiet mystique--– -h»* are- –
assemblage de qualités disparates. Son mari l'aimait
et l'appréciait infiniment. Tous» deux venaient très
souvent, ils aimaient beaucoup l«>s «Mitants et leui'
parlaient «le leur mère, qu'ils avaient connue et qu'ils
tenaient eu haute estime.
En dehors d'eux, il venait aussi souvent «les
membres de Immigration française, non pas des
républicains doctrinaires a la UMo «lesquels s<> trou-
vait Ledru-Rollin, mais des socialistes dont le chef
était alors Louis Blanc. Olui-ci nous amusa bien
souvent la petite Herzcn le eonsidérail comme un
camarade il cause de sa taille exiguë; elle lui
témoignait une faveur marquée; lui en était si Halle
«pi'il demandai) des nouvelles de l'enfant «les qu'il
arrivait et qu'il passait des heures à jouer avec elle
au volant, ou A quelque autre jeu. Il était si fier de
cette conquête d'une fillette de trois ans qu'il se
fAcha lorsqu'un des Français lui dit un jour en
riant « Mon Dieu, Louis Blanc, vous n'allez, pas
vous imaginer que cette enfant vous aime? ce qu'elle
aime en vous c'est votre habit bleu et vos boutons
jaunes ». Il portait en cllel un habit bleu à boulons
jaunes. Cette anecdote le peint tout entier; il était
très vaniteux et se croyait un grand homme bien
qu'il fut fort petit. Mais pour être juste, il faut dire
qu'il était vraiment aimable et qu'il s'était formé lui-
même. Non seulement il avait un grand talent
d'historien, mais c'était un homme convaincu; il
exposait ses thèses avec une éloquence un peu ver-
beuse, même dans des conversations intimes, mais
sans cette faconde, cette abondance de phrases
-wvohitioftnaires^ qondiHtiriguaicnt"la~phrpartrTlc'SC5^
compatriotes. Lui aussi était un doctrinaire et son
système sVlaîl montré inapplicable, mais il avait de
l'esprit et il défendait sa théorie avec beaucoup
d'habileté et d'opiniAtreté, quand Herzen lui en
démontrait nettement les imperfections. Dans ces
discussions souvent fort chaudes il restait toujours
parfaitement courtois, malgré son entêtement, et
quelque violent, quelque tfltu qu'il fut dans îa lutte,
il savait reprendre immédiatement après toute son
aménité; il nous contait parfois d'une manière
charmante les plus amusantes anecdotes. JI aimait
beaucoup a parler de ses rapports avec les ouvriers
français et a raconter des traits de l'affection que
ceux-ci lui portaient. Entre autres choses il nous
raconta qu'un jour, se promenant avec un membre
du gouvernement provisoire do 48, il avait remarqué
un homme en blouse qui les suivait ù distance.
Quelques détours qu'ils fissent, l'homme les suivait
toujours. Une pauvre femme s'approcha et demanda
l'aumône ù Louis Blanc. Celui-ci chercha dans sa
poche et, ne trouvant pas de monnaie, s'en excusa.
L'homme en blouse s'approcha rapidement, lui mit
quelques sous dans la main en disant « H ne sera
pas dit que Louis Blanc aura refusé l'aumône à un
pauvre ». Il apprit alors qu'il était toujours suivi
d'un ouvrier chargé de veiller sur lui, prêt à venir à
son secours s'il en était besoin.
L'un des rares Français qui eussent le courage de
tenir tête à Louis Blanc dans la discussion devint
bientôt l'hôte quotidien de la maison. C'était Joseph
Domengé, un tout jeune homme. Né dans le midi de
"fcrFrancBrffl5~^e~paHvTës géBs7~iravaîFéîë lancenîè~~
bonne heure dans le tourbillon de la vie de Paris; il
y avait fait son chemin tout seul et s'était jeté dans
la Révolution avec toute l'impétuosité d'une Amo
enthousiaste. Il y trouva l'exil et la pauvreté. Ilerzen
l'avait rencontra un soir chez un ami commun; ils
étaientpartis ensemble, et, plongés dans leur conver-
sation, ils avaient erré dans los rues de Londres une
partie de la nuit sans pouvoir se résoudre à ter-
miner leur causerie, Le lendemain, Herzen me le
raconta et me dit « Jamais je n'ai vu parmi tous
les Français que je connais un esprit aussi libéral,
un penseur, un philosophe comme lui. » Peu de
temps après, je fis également sa connaissance et
l'impression qu'il me fit fut telle que je proposai à
Herzen de le prendre pour précepteur de son fils. Il
était d'une beauté noble, il avait une grande intel-
ligence, il voyait les choses de haut sans parti pris.
Il n'avait pas de système préconçu, mais toute sa
manière de voir était philosophique, et c'est avec un
sens critique audacieux qu'il examinait les axiomes
que ses compatriotes octroyaient au monde pour son
bonheur. Il avait fait des études sérieuses et à tous
les points de vue il me semblait indiqué pour diriger
le jeune Alexandre. Herzen partageait ma manière
de voir, et à partir de ce jour Domengé vint plusieurs
heures par jour à la maison. Il avait coutume de
rester pour diner, ce qui apportait plus de variété et
plus d'intérêt à nos causeries.
Un jour Herzen me dit « Préparez-vous à
faire la connaissance d'un homme très extraordi-
naire qui est venu jnejroir tout à l'hjure_et_gue j^ai.
îhvHepôur cë~scTr7 >TTâvaisdéjà entendu le nom
de cet homme; on avait beaucoup parlé de lui
au
sujet d'un duel qu'il avail eu avec un partisan de
Ledru-UolUu et dans lequel il avait tué son adver-
saire. A la suite de ee duel it avait eu à comparaître
«levant le jury, et, an cours do la procédure, on apprit
les singulières déloyautés commises contre lui par
ses adversaires politiques. H s'appelait Barthélémy
c'était un simple ouvrier, originaire de Marseille. Il
avait fait partie des son adolescence de la société
secrète la Marianne; le sort l'avait désigné pour
venger un membre de la société malmené par un
agent de la police. Barthélémy tua l'agent sur
l'ordre qui lui en avait été donné; il fut arrêté et
envoyé au bagne. Peu de temps après éclata la
révolution «le 1848. Délivré du bagne.il combattit
aux journées de juin avec un courage de lion; il
échoppa ji grand'peine a une nouvelle arrestation et
a Cayenne; l'exil en Anglelerre, malgré la pauvreté
et les privations, était le salut en comparaison.
J'étais très curieuse de voir cet homme, qui avait eu
d{«s sa jeunesse une destinée si mouvementée. En
nuMne temps je ne pouvais m'empêcher de frémir en
songeant <|ue sa main avait déjà plus d'une fois donné
lit mort. Quel ne fut pas mon élonncment lorsque
llerzen me présenta le soir un homme calme, d'une
tenue parfaite, que rien ne distinguait de tous les
autres messieurs «le la société, et que celui-ci me
parla d'une voix grave, harmonieuse et très sympa-
thique! Cet être redoutable était réservé, modeste,
presque timide, d'une attitude pleine de noblesse.
Seuls, ses yeux sombres, dans cette physionomie
mélancolique,sous ce front pensif, brillaient parfois
«l'un éclat menaçant, comme ces éclairs de chaleur,
présages de l'orage qui peut «Violer d'un moment
» l'autre. Il ne s'emportait jamais dans In discussion
comme 10 faisaient tes autres Français; il ne déela-
ninit pas comme eux, et n'avait rien dit rhéteur
d'ailleurs il parlait peu. Mais, quand il prenait la
parole, les autres se taisaient les uns après les autres.
Sa voix sonore et mélodieuse dominait tout le reste,
et la clarté, la précision avec laquelle il formulait ses
opinions leur donnait une force singulière. Parfois su
voix tremblait d'émotion; on sentait que non seule-
ment ses idées devaient toujours inspirer ses actes,
mais que la passion pouvait lui dicter des actes
dont il aurait lieu do so repentir. L'impression que
me fit cet hommefut si forte, que Uei7.cn, qui l'avait,
trouve très intéressant lui-même, se moqua de mon
enthousiasme. J'avais vu en Allemagne des ouvriers
très instruits, qui traitaient les questions sociales
<l'une manière tout à tait compétente et rélléchic;
mais jamais je n'avais rencontré un homme aussi
cultivé, aussi supérieurà son milieu que Barthélémy.
Il m'inspira une si haute idée de la classe ouvrière
en France que je me crus fondée désormais à y voir
le salut de l'avenir. Je ne soupçonnais pas alors que
l'Empire durerait vingt ans, et que son influence
démoralisatrice allait atteindre les ouvriers eux-
mêmes et les pousser aux plus funestes violences.
En dehors de ces trois personnalités marquantes,
les membres de l'émigration française qui venaient
aux soirées de Herzen ne m'intéressaient guère; ils
me déplaisaient presque par les lieux communs

mêmes thèmes.
qu'ils débitaient, et par la répétition éternelle des
r.Vsl également dans In maison do Herjcen que je
fis lu connaissance «le quelques-uns, des chefs de
l'émigration italienne. Je n'y rencontrais pas .\Iaz7.tm.
qui ne sortait jamais lo soir, sauf pour aller dans
un milieu anglais que je ne eolinaissais pas encore.
Kn revanche, son ancien collègue dans le trium-
virat romain, sou disciple ot son ami Aurelio Saffi,
venait souvent. Ilemm l'aimait beaucoup, et Saffl
se rapprochait do plus en plus de sa manière do
voir, if ni différait beaucoup de celle de Mazzini.
Olui-ci avait un dogme auquel il voulait convertir
10 monde, il croyait à la virile absolue de ce dogme
et il comptait sur sa réalisation, llery.cn avait le fana-
tisme de lit liberté; il voulait te développement illi
mité <le toutes les virtualités; c'est pourquoi il haïs-
sait et niait toutes les puissances établies, toutes
les tyrannies qui pétrifient. Il aurait renié lit répu-
blique (et il le faisait déjà pour la République
française de 48), si la république avait voulu devenir
un dogme, une entrave pour la pensée. Saffi com-
mençait aussi à comprendrequ'il était impossible de
dicter des lois à sa patrie du sein de l'émigration et
de lui imposer la marche de son développement. Au
lieu de conspirer, il se mil à travailler sur la terre
d'exil, sa fortune ne lui donnant pas l'indépendance.
Quelque temps après, il fut appelé à l'université
«l'Oxford et il s'y rendit. Il avait une culture littéraire
remarquable; c'était une nature poétique, rêveuse et
mélancolique. Il pouvait rester silencieux pendant
des heures. Souvent, quand on lui adressait la parole,
il s'éveillait comme d'un rêve. Un soir nous l'avions
vu assis 4angteraps-eB-faefr tFon-Français qui lût
racontait dos histoires de 48 que tout le monde oon-
uaissail ù satiété, et Salli n'avait |his ouvert lu
bouche; il n'avait pas dit un mot, Knfin le dîner
interrompit ce monologue et Herzen demanda ou
rianl a Saffi s'il connaissait maintenant a fond les
aflaires du xnr' arrondissement? Safli lo regarda
d'un air éloturê et lut dit « Jo n'ai rien entendu
ci> <|iii provoqua naturellement un l'on riiv ^nêrnl.
Malgré ces distractions el cette faculté de s'absorber
«lans ses pensées, c'était un des hommes les plus
agréables do l'émigrotion. Il n'était pas fait pour la
vie politique; son patriotisme était sa poésie, le relè-
vement de l'Italie était pour son Ame do poêle la
réalisation d'un idéal. Arrivé très jeune à la tète de
la République romaine avec son vit'il ami Mazzini,
son entrée dans la vie active avait coïncidé avec ce
rêve enchanteur d'une Home ressuscilée. Le rêve
s'élail évanoui, et quand Saffi se réveilla, il était
seul, exilé, dans le pays des brumes. La douleur
profonde qui remplissait son âme ne se trahissait
pas seulement par ses silences; parfois, dans un
cercle intime, il se mettait tout à coup a réciter des
vers, soit les tercets de son immortel compatriote,
banni lui aussi et atteint de lit douleur des exilés,
soit les poésies du plus grand, du plus noble poêle
italien après \p Dante, de Giacomo Leopardi, poé-
sies qui ont aussi leur source dans la souffrance.
Alors il semblait exprimer ses propres sentiments et
tout son être sortait de cette prostration qui lui était
coutumière. Il aimait Herzen avec une tendresse
toute filiale et l'écoutait avec admiration quand,
péittlairtTBt'i'Oû^û^û^rëèrur-cîenTraînàil"sës~aûdî-
tour* dan* tous les domaines do la pensée, L'esprit
vif et brillmit de Ilorzon et
ses saillies étaient sou!»
«\qi,tl»lt>s de h» fuiro rire |Kufois de linn
«uur.
Foliée- (irsint formait un contraste complot
avec
Sal'H, ol «•'«Mail cependant aussi
un ivpo tout à fait
iliilion. Il nv.n» l'axnit connu
vn llalic ol lo rolrou-
\«U tnniiifonnnt à Londtvi*. CV»t«ii l'imi^o du
dollii'it* du moyon ftjro loi «ju'ou si» lu ligmv, une con-
do
ot-s nhvsiononuos «|iii liniitaiout Mnvhinvol lorsque,
dans.)», fiointurf lonl objot-livcMlo mn temps, il
voulu poindiv lo Ivpo pniiUquo i|u'oii lui a liinl n
roproolu* H où on « voulu voir à lorl
son propro
«It-til. Orsiui (>itiii |»oau, mais d'une tout aulio boaulô
que Sal'H. Il avait le vrai type romain, le ne/,
aquilin. les lèvres minces et «errées, des
ardents ol sombres ol le front haut. Sa slaluroyeux était
trapue, l'imago, de lit forte. Il parlait peu,
comme
Salii. non qu'il rèval ou qu'il lût plonu* dans
monde do poésie, mais paire qu'il dbservait;un il
combinai! tics plans, il ne se laissait jamais aller, il
ne laissait jamais deviner le fond «le sa pensée. Il
avait élé plusieurs fois en prison et il
me raconta
avoir lu lit Xomy-lh- /Mois,' pendant de ses
détentions; il y avait, disait-il, puise unenouvelle
une
«oneeption de il femme; il était arrivé à demander
l'égalité des droits pour elle, la considérant à
tous
les égards l'égale de l'homme. Il venait
souvent le
soir causer une heure, s'occupait beaucoup des
enfants et parlait avec mélancolie de
ses deux
petites lïlles, restées en Italie. Ce côté sentimental
étonnait beaucoup en lui; c'était la première fois
Jjueie -rencontrai ceprofot^setttimentrttete^amfller
FKI.ICK onsiNI
si fréquent elle?, les Italiens, bien qu'on ne les en
m»io généralement pas capables.
t ut* vive agitation régna dans l'émigration ita-
lienne lorsqu'on apprit l'arrivée <lo Garihaldi, qui
revenait d'Amérique sur un bateau génois, qu'il
eoinmandailcomme capitaine, après avoir combattu
pour l'indépendance dos Républiques do l'Amérique
du Sud. Je le connaissais d'après la description
de IIor/.en, qui t'avait fr&juenté <m Italie. llerzen
m'uvait caeonlé plus d'une fois avec émotion,
qu'après la mort de sa femme, une dame qu'il ne
connaissait pas (Mail venue avec deux enfants lui
demander, bien qu'il ne parlngcAt pas sa loi, de
lui permettre do prier auprès du cercueil «le la
morte avec ces enfants, qui venaient également de
perdre leur mère. C'étaient les enfants de Garibnldi
et cette dame était leaivi.nslitulrice. A cette époque
on ne connaissait eriçpri Garibaldi que comme le
chef de l'armée de la République romaine; il eut
battu l'armée de la République française, dont
l'expédition fut une de ces iniquités qui ont marqué
trop souvent l'intervention de la France au delà
des Alpes, et le sort de l'Italie eût pu être tout
différent, si la confiance de Mazzini dans la droiture
républicaine n'avait empêché Garibaldi d'agir éner-
'giquement. Cet idéalisme, Mazzini et l'Italie durent
le payer cher. Mazzini me raconta lui-même plus
lard qu'il n'avait pu croire que les républicains
français entreprendraient quelque chose contre la
République romaine. Cette illusion fut une des
m>mbreusejs__erxeurs-dc_la _généxalioiL_Eé¥olution^ –
naire de 1848. Mais si Garibaldi n'avait pas encore
conquis ses ptus bonux lauriers, son nom était néan-
moins, avec celui de Mozzini, l'une des gloires les
plus hautes de l'Italie libérale. Ses derniers hauts
laits dans l'Amérique du Sud y avaient ajouta
un
éclat romantique; il semblait un !téros du
moyen
Age, parti en nne lointaine expédition au secours
des opprimés. Ilerzen alla do suite le voir et l'invita
à dîner, ha physionomie de Garibnldi est. devenue
si familier» depuis, mOtnè a ceux qui ne l'ont pas
connu personnellement, qu'on n'a pas besoin de la
décrire. Mais si son extérieur prévenait cas sa faveur,
bit'n qu'il ne fut pas beau, lit douceur de ses
yeux
pleins de bonté et son sourire, la simplicité extrême
de toute sa personne, qui n'excluait pas la dignité,
achevaient de lui gagner les cœurs. Sa présence
répandait le charme; il n'y avait en lui rien de
caché, de mystérieux, d'émouvant, ni esprit mor-
dant, ni passion violente, ni éloquence entraînante;
mais il inspirait un sentiment de joie calme, la
conviction qu'on avait devant soi un homme vrai,
qui ne connaît rail jamais de dualisme entre sa
parole et ses actes, aimable même dans ses erreurs.
Sa conversation était vive, agréable et simple comme
toute sa personne; un souffle poétique l'animait
quand il racontait ses aventures dans l'Amérique du
Sud, la guerre de guerillas qu'il avait faite, les nuits
passées à lu belle étoile avec les siens et les combats
corps à corps qu'on se livrail là-bas comme autre-
fois dans les nobles luttes antiques. On croyait
entendre un héros d'Homère et l'on comprenait
eommenfc-sa f cimne Âiîitir, TtlaTis soîrâmôûFproioifd,
voulut le suivre, héroïque et fidèle, jusqu'à la mort.
L'idéo favorite qu'il caressait et qu'il nous exposa U»
caractérise tout a fait il rêvait d'embarquer toute
Immigrationde Ï8 sur plusieurs bateaux pour former
une espèce do république nottante, toujours prête a
atterrir quand il s'agirait de combattre pour la
liberté. Il trouvait que l'idée n'était pas du tout
impraticable; (Jenes, qui lui avait donné un bateau,
en donnerait d'autres; on pouvait fonder ainsi en
pleine mer un refuge pour les hommes libres, alors
qu'on n'en pouvait fonder sur la terre ferme.
Après le dtner, il vint plusieurs Italiensqui avaient
demandé à Herzen l'autorisation d'interroger («ari-
bakli sur la situation et l'avenir de l'Italie. Il leur
exposa son point de vue d'une manière simple et
«laire; il déchira tout d'abord qu'il ne permettait
à personne de douter de ses sentiments républi-
cains et il ajouta qu'il était évident pour lui que
l'acheminementvers l'unité de l'Italie ne pouvait se
faire que par le Piémont et la dynastie de Savoie.
D'après lui, tout bon patriote devait faire taire
pour le moment ses sympathies personnelles pour
atteindre d'abord ce but élevé. II trouvait que les
révolutions étaient devenues tout à fait inutiles et
que la seule action efficace était l'adhésion à la
famille régnante, qui s'était toujours montrée favo-
rable aux tendances patriotiques et libérales, et qui
réunirait facilement les sympathies du reste de
l'Europe monarchique.

™eJ?Pn-
de voir, était loin de
la
re
On l'écoutait avec respect, mais tous n'étaient pas
*yi§JMja^
partager. Ces deux hommes
s'éloignèrent l'un de l'autre à cette date et ils ne se
réconcilièrent que beaucoup plus tard. Garibaldi
nous invita à venir déjeuner sur son bateau avant
son départ. Au jour dit, Herzen fut retenu par une
violente migraine, j'y allai donc seule avec son
(ils. Le bateau était au milieu de la Tamise et nous
nous y rendîmes dans une barque. On me hissa à
bord dit navire sur un fauteuil couvert d'un tapis
somptueux. (Jaribatdi nous reçut dans son costume
pittoresque; il avait une ample blouse grise, il était
eoill'é d'un béret rouge, brodé d'or, et il portait des
armes dans sa large ceinture. Ses matelots basanés,
avec des yeux et un teint «l'une autre zone, étaient
tous sur le pont, portant, eux aussi, un costume
pittoresque. Deux dames anglaises, que je connais-
sais également, étaient arrivées avant moi. Garibaldi
nous conduisit dans sa cabine où on nous servit un
déjeuner composé uniquement des produits de la
mer. La conversation fut cordiale et charmante.
A la fin du déjeuner, Garibaldi se leva et, prenant
un verre plein de vin, du vin de Nice, sa patrie,
qu'il emportait partout avec lui, il s'excusa de son
patriotisme qui l'empêchait de nous offrir du cham-
pagne, nous dit qu'il était, un homme simple, qu'il
n'avait pas le don de la parole, mais qu'il buvait à
la santé des femmes dévouées qui soutiennent les
hommes dans la lutte destinée à frayer la voie à la
vraie liberté républicaine. Puis il nous fit visiter
son bateau, il nous montra ses armes, les menus
ustensiles fort simples qui l'entouraient. Ses mate-
lots avaient l'air de l'adorer et on ne pouvait se
_-sow4rww-aft«iiaTm(rpi^
sa personne, de ce héros modeste, simple, devenu
par sa bonté el sa justice le souverain de celle petite
république flottante, portant au loin le secours de
son bras et de son talent militaire pour donner la
liberté à d'autres pays, quand sa patrie ne le réeln-
mait pas. Personne peut-ôlre, depuis l'antiquité, n'a
su s'entourer d'un prestige égal à celui de Garibaifli.
H n'y avait dans ce prestige ni affectation ni désir
de faire de l'elVel il tenait. la poésie et a la droi-
ture inhérente a sa nature; il dédaignait toute dis-
tinction qui n'était pas due a sa propre valeur et,
comme toutes les âmes vraiment libres, il allait tou-
jours droit où il pouvait s'affranchir de toute con-
trainte, où il se sentait en harmonie avec son entou-
rage. Tel il était sur son bateau, tel il avait été dans
l'Amérique du Sud, tel il fut plus tard à la guerre
et à Caprera. C'est dans cette simplicité d'une âme
lidèlc à elle-même que réside son charme irrésis-
tible il l'exerce surtout sur le peuple et celui-ci en
a fait de son vivant le héros d'une légende. Le
peuple de Naples porte son effigie en amulettes et
célèbre sa fête, non par l'amour de saint Joseph,
mais pour lui-même; il croit fermement que le pre-
mier Garibaldi est mort depuis longtemps, mais qu'il
est ressuscité et qu'il y en aura toujours un.
J'ajoute ici un mot profond que Richard Wagner
•m'écrivait plus tard, au temps où j'eus la bonne
fortune de trouver en lui un ami, après que Cari-
baldi eut réussi à fonder l'unité italienne
« Je viens de relire par hasard la vie de Timoléon
dans Plutarque; l'émotion que j'en ai ressentie a
ététrèsTorte. CëUë~vlë^l:Ti61iëTôurîTïiTriiîoliîe*et~
rare, se termine vraiment d'une manière heureuse,
et c'est un cas exceptionnel dans l'histoire. Cela
fait du bien «le penser que la chose soit possible,
mais en jetant un coup d'œil sur tant d'autres nobles
vies, je no puis me défendre de considérer cette fin
heureuse comme un leurre mis là par le démon de
l'univers. II fallait cette possibilité pour induire en
erreur la foule sur la véritable portée de la vie. Si
cette possibilité ne se présentait jamais, il serait à
craindre que nous n'arrivions trop rapidement aux
conclusions que nous autres occidentaux nous
semblons mettre bien du temps à découvrir. Que de
points par où j'ai pu comparer Garibaldi à Timo-
léonl 11 est encore heureux! Serait-il possible que
l'amertume suprême lui fût épargnée? Je le lui
souhaite de tout mon cœur, mais je tremble souvent
quand je vois qu'il n'est qu'une mouche dans la
grande toile d'araignée de l'Europe. Il y a bien des
alternatives possibles. Peut-être la mouche est-elle
trop grande et trop forte. »
Hélas! elle ne le fut pas et Garibaldi, lui aussi,
dut vider la coupe jusqu'à la lie.

CHAPITRE XXVI

La vie à la campagne.
^J^l-P^ejI^^JiaLtienu^G'est^ve^oie^que
j'acceptai la proposition de Herzen de quitter
Londres et d'aller à Richmond; la proximité de
Londres permet de jouir do tous tes avantages de
la capitale et la villégiature, avec ses promenades
sur la Tamise, son parc superbe et le voisinage de
Kew Garden, offre tous les plaisirs de la campagne.
De tous temps la vie a la campagne m'a semblé la
vraie vie. Mon amour 4e la nature, le calme et la
paix qu'elle seule sait donner, l'innocence qui y
règne, tout cela me faisait attendre avec impatience
ce bonheur si rare et si grand. J'étais heureuse
aussi de fuir le va-et-vient trop mouvementé de
notre maison. Il y avait encore trop d'amis et de
visiteurs, à mon gré, qui, sous prétexte de faire
exception, prétendaient nous faire perdre notre
temps. J'aspirais à la tranquillité, je trouvais dans
la maison de quoi satisfaire tous mes besoins; les
enfants suffisaient à ma tendresse, leur éducation
à mon activité, le commerce de Herzen à mon intel-
ligence. Herzen alla à Richmond pour chercher une
maison, et, quand il l'eut trouvée, nous partimes
pour la campagne. M. Engelson et sa femme nous
rejoignirent. Domengé venait tous les jours; il res-
tait jusqu'au soir, donnant ses leçons, prenant part
à nos promenades, à nos excursions, à nos parties
de bateau, etc. Je vivais avec les enfants selon mon,
cœur et je jouissais de leur développement. Chez
-l'ainée la trace des influences fâcheuses dont j'ai
parlé se perdait peu à peu, et nous nous rappro-
châmes dans une affection cordiale. Quant à la
petite, l'amour tendre qui nous avait unies tout
–d'abord- ne- faisait ^que-grandir, jeLsouveiU le jsoir^
debout auprès du petit lit où elle dormait, je son-
geais avec reconnaissance à la mère que je n'avais
pas connue, et qui m'avait légué ce trésor. Je son-
tais l'amour ardent et dévoué d'uni» mère, ce besoin
de vriller sur cette jeune vie et do l'amener a son
plein épanouissement. La grâce «Je cette enfant me
remplissait des plus belles espérances pour son
avenir; ses défauts, ses petits travers devinrent
l'objet de mes plus grands soucis, je ne songeais
qu'au problème de l'éducation, je cherchais a
adapter mes théories il chaque cas particulier. Plu-
sieurs semaines se passèrent ainsi, douces et pai-
sibles. Puis Kngelson, dont le tempérament mahuliï
et irritable cherchait toujours quelque sujet de
mécontentement et de critique, et qui, n'ayant rien
d'important à faire, se perdait dans les détails de la
vie, commença j\ critiquer l'éducation des enfants.
II trouvait que je n'étais pas assez sévère avec
elles, que je ne les réprimandais pas assez, disait
que les rires joyeux et la pétulance des petites lui
(tonnaient sur les nerfs quand il venait chez nous.
Mais, au Heu de s'adresser directement à moi, il se
plaignit à llcrzen. Il suffisait quelquefois d'un rien
pour faire passer celui-ci de la confiance et de la
sécurité au doute et au scepticisme, et alors il voyait
des fantômes en plein jour. Il commença aussi à se
tourmenter. Un soir que nous étions seuls, lui,
Engelson et moi, les enfants étant couchés, il amena
la conversation sur l'éducation. Avec la noble sin-
cérité que j'appréciais tant en lui, il ne me cacha
point qu'il avait été question entre Engelson et lui
du peu de prix que j'attachais à la discipline dans
l'éducation. Nous discutâmes longuement. J'exposai
ma manière de voir. Chose singulière, Engelson_
était tout à tait du mon avis maintenant; il dit à
Herxcn qu'il no «t'entendait nullement en matière
d'éducation, ce «pie celui-ci lui accorda pleinement,
et, après une discussion do plusieurs heures, j'avais
presque convaincu mes interlocuteurs. Kn arrivant
dans ma chambre à coucher, au second, où tlor-
maient les enfants, je trouvai la potita Olga éveillée,
sa jolie figure souriante appuyée sur se» deux
petites mains, qui m'attendait. Elle était si déli-
cieuse, a voir que j'appelai Engelson qui descen-
dait l'escalier, Io priant de remonter bien vite. H
revint sur ses pas et monta avec llerzen chez moi.
Je leur montrai l'enfant, leur disant tout bas
«
Sceptiques que vous ôtes, peut-on désespérer en
présence de tant de charme, si on n'atteint pas
du premier coup ce que les années seules peuvent.
donner et si le fruit ne vient pas avant la fleur! »
Tous deux furent ravis de ce spectacle charmant
et ils partirent en souriant. Le lendemain matin,
llerzen mo remit une lettre qu'il m'avait écrite
pendant la nuit. men que nous vivions sous le
même toit, nous avions coutume, après quelque dis-
cussion importante, ou quand nous avions quelque
chose sur le cœur l'un contre l'autre, de nous
écrire, parce qu'on est plus calme, plus maître de
soi en face de son papier et qu'on résume mieux ce
qu'on veut dire. Il m'écrivait

« Je veux vous parler de notre discussion d'hier.


Les discussions ne servent à rien, on s'échauffe, on
se fâche, l'amour-propre s'en môle, on en dit plus
_qulojn_ne^4)ense,_li'ab.ordjji_iss^moi L_yous _djre_en
toute sincérité que je suis tout à fait d*ae««ord avec
\ous et Kngclson sur ee que vous me reprochez en
matière d'édueation «I© connais très bien mes
défauts, je trtehe «le me corriger, mais ce- n'est pas
facile. Je suis aussi tilnnilun)nit «l'accord avec vous,
théoriquement et pratiquement, en lontcequi touche

l'riiucnliii» morale et Vimlntetion «les enfants il est
«lune inutil» «J'en parler davantage. Vous nous ave/,
l'ait un bien inappréciable, d'abord en purifiant
('atmosphère autour du nous, puis on introduisant
nn élément de santé et d'indépendance qui a une
action merveilleuse sur les enfants et que je re-
connais et que j'admire dûment.
«
si
II reste le eùté extérieur, le Il dressage vous
voulez certes, c'est secondaire, mais c'est une
Hi'rt'ssiO' esthétique et sociale. Sur ce point je ne
vous trouve pas aussi habile. Savez-vous pourquoi?t
parce que vous n'avez pas plus que moi le sens de
la vie pratique, parce que te monde du détail est
non seulement un ennemi, mais une difficulté pour
tous ceux qui ont surtout vécu dans le monde des
idées, dans les sphères de la méditation et des théo-
ries et qui ne sont pas doués pour l'organisation,
l'administration et l'exercice de l'autorité. Soyez
tranche et dites si, en matière d'éducation, vous
songez le moins du monde au dressage? Il vous
échappe comme à moi. Et cependant, sans disci-
pline, il n'y a ni sécurité, ni obéissance, ni moyen
de soigner la santé et de prévenir le danger. Vous
me reprochez d'intervenir d'une manière dure et
taquine quand les enfants se tiennent mal et je
vous accuse de me troji ^laisser^£e_seku._Vous^iites–
ijiio vous les reprenez ensuite. C'est possil»|<>, mais
il vous arrive parfois de ne pas voir ces ehoscs-la,
|it*ul-«Mr«» parée que vous n'y attache/ pas d'impor-
Innce. Les enfants vous aiment, Olga vous adore.
Pourquoi leur obéissance n'est-elle pas toujours en
rapport avec lotir affection? Je vois vous le «lire
franchement vous ne savez pas donner un ordre,
vous no savez pas exercer une autorité continue,
la seule qui tienne en haleine.
« Engctson m'en a parte et. ses plaintes ont élé le
point «le départ do notre discussion sur rééducation.
Je lui ai proposé d'en causer avec vous. Non seule-
ment il na vous a pas combattue hier, mois il vous
donnait si bien raison, que je n'ai pu me taire. Je
deviens do plus en plus impitoyable envers mes amis
et ce sont les observations d'Kngelson. non les
miennes, que je vous ai communiquées. C'est un
avis qui vient d'en bas, du monde pratique. Vour.
ave/, assumé une tache énorme; l'éducation est un
lévoucnicnt, c'est une résignation chronique. (Test
le sacrifice de toute la vie et encore faut-il avoir
une vocation ad hoc pour le côté matériel. C'est
pourquoi je n'ai rien voulu précipiter, j'ai attendu
fjue la proposition vînt de vous, je savais de quel
fardeau vous vous chargiez. Je le savais d'autant
'mieux que vous vous faisiez peut-être des illusions
sur mon propre compte. En paroles et dans les
romans les hommes qui restent fidèles à leur malheur,
qui ne reculent pas devant la douleur, que l'adver-
sité a brisés, sont très intéressants; en réalité, il
n'en est rien, c'est une maladie comme une autre et
"îousîéFmlffàl^snifôW
« En me tendant une main amie, pour entreprendre
l'éducation des enfants, vous «vie* un doubla but.
Vous me l'avez dit souvent, vous vouliez me guérir
moi-même; je vous comprends et je suis très recon-
nnissuni pour toutes les preuves d'une amitié vraie
et efficace. Mais vous n'y ave/, pas réussi, et alors
vous avez compris que, à part notre sympnthie pour
tout ce qui nous est cher et sacré, a part notre
sympathie personnelle, nous sommes aux antipodes
l'un de l'autre. Je- tneho de conserver mes enfants,
lo seul reste de poésie de ma vie, je travaille, je lis
le Time», j'aime mes amis, les vrais, de tout mon
cœur, et vous en êtes, mais ils ne peuvent rien
changer à ma manière d'être. Encore si vous aussi
vous n'aviez plus rien à demander a la vie, nous
serions comme deux naufragés qui ont tout perdu.
Mais vous avez encore droit au bonheur, et cela
n'est que trop juste, vous avez l'avenir devant vous,
vous avez des désirs A réaliser. Et vous me croyez
assez égoïste pour ne pas soutïrir dans mon urne,
quand je songe combien la vie doit vous être odieuse
sous ce toit maudit' Je souffre d'autant plus que je
n'y puis rien changer, car, je ne puis, sans hypo-
crisie, modifier ma vie.
« Avez-vous pensé à tout cela
quand vous m'avez
offert de vous embarquer sur cette galère? Non!
Que tout cela me pèse! Croyez-le bien.
« Votre ami sincère
« A. Herzen. »

Je ne pus m'empêcher de sourire en lisant cette


ieiû^D^u^rëiirâirïolïnrcôû
tragique quand, depuis la catastrophe do la bonne,
nous avions vécu le plus paisiblement du monde?
La vivacité joyeux dos enfanta avait troublé la
quiétude d'un malade irritable et assombri son
humour. Certes cette impatience et ce désespoir
étaient aux antipodes do ma nature, je savais que
les fruits de l'éducation mûrissent lentement et que
la persévérance, un labour silencieux seuls abou-
tissent & un résultat désiré. Je lui répondis*
« Comme vous avez choisi ce moyen do m'enlre-
tenir, je vous écris aussi; on est plus froid, plus
calme et plus précis la plume à la main.
«
Il faut tout d'abord que je proteste contre une
erreur que vous commettez, parce que je suis
étonnée et mortifiée que vous me compreniez si peu.
Je ne demande plus rien A la vie; mais la vie me
réclame et je ne me déroberai pas à ses exigences.
Deux fois ce sentiment m'a sauvée du suicide, que
j'avais envisagé de sang-froid, sûre de mon droit à
in'ôter la vie. Ce n'est pas dans forage de la passion,
c'est au fond d'une immense douleur que je compris
mon droit à en finir avec une vie qui avait été
pleinement heureuse. Mais à côté de ce droit, je
compris un devoir, celui de consacrer les forces qui
me restaient à une tâche, mon esprit à comprendre,
mon cœur à consoler. C'est le devoir qui l'emporta,
j'essayai de le remplir de mon mieux. Comme je
n'étais pas morte de mon passé je ne voulais pas en
être malade. De même que les anciens ont protesté
^_contre ce qu'il~· a d'éphémère dans Ia beauté hum_aine
en créant des demi-dieuximmortels, de même dans
lit douleur do* souvenirs qui mVtaîent sacrés je
distinguai <•<• qu'il y a do passager et ce qu'il y
a
«l'éternel. In jour je mourrai tranquille, sachant
que mon image transfigurée vivra dans le euuir de
«•eux que j'aime. Une de mes amies m'écrivait der-
nièrement «. One j'aimerais être lit quand lu
mourras! tu as eu la vie la plus humaine, qu'on
puisse voir – il en sera do même de ta mort! »
Ouant aux •< jouissance* «le la vio », je vous jure
que dans la vie tle Londres, si mouvementée, si
riche en « jouissances », je me suis hien souvent
ennuyée cordialement a entendre répéter toujours
les mêmes choses; je m'éclipsais, et là-haut, à côte
du lit «les enfants, je respirais, heureuse «le les voir
dormir «le leur innocent sommeil, heureuse d'éprou-
ver des sentiments humains, purs et éternels. Ces
«lernieres semaines, passées «l'une manière si pai-
sible, me donnaient l'impression heureuse que nous
commencions à mener une vie raisonnable. Je
goûtais les heures calmes où nous nous entrete-
nions de questions intéressa nies avec l'élite de nos
amis, je jouissais du développement des enfants.
comme du seul bonheur que je demande à la des-
tinée; je considère «-es biens comme la seule récom-
pense due à mon fidèle dévouement, je la reçois
avec reconnaissance et avec joie, sans me raidir,
sans me croire malade quand je suis bien portante,
e'esl-à-dirc capable de goûter la félicité la plus
noble, le plaisir de donner et de recevoir.
« Lorsque je me décidai à venir chez vous, je
Z°il^JlQ£ih»Ji^e^ian| JBLQL_etiejnejaroinjs_
à moi-même de la remplir de mon mieux. Je n'ai
nos dit que j'étais il la hauteur de cette la>he; ou
contraire, je ne m'engageais qu'à lenler une épreuve.
( U>rles. ma lâche était double je ne pouvais réussit*
dans l'éducation des enfants qu'A ta condition de
vous réconcilier aussi avec la vie. Mon sucée» ne
fut que trop rapide, puisqu'il m'a valu dos difficultés
qui empoisonnèrent ma vie pendant quelque temps.
Peut-être y avait-il de ma faute, je voulus partir et
vous n'avez pas voulu conseutir à mon départ jo
restai donc. Au début j'ai eu des scrupules, des
heures d'angoisse où je doutais de moi-même et «le
ma force. Maintenant je crois fermement que j'at-
teins mon but; je sens que les enfants, par lit lent»;
évolution de leur nature et par un bon exemple
constant, se formeront au bien. Pour arriver a cette
culture je considère comme essentiel d'éviter toute
scène déplaisante et les reproches en public me
semblent très blessants; ou bien ils provoquent la
révolte, ou bien ils engendrent l'hypocrisie, les
enfants tachant de se montrer meilleurs qu'ils ne
sont, pour éviter les réprimandes devant les autres.
Peut-être ai-je tort, mais je pourrais citer des
cas où je suis mieux arrivée à mes fins par ma
méthode que si j'en avais employé une autre. Je
crois qu'entre un véritable éducateur et son élève
il doit régner une telle entente qu'un regard suffise
à éclairer l'enfant sur une incorrection commise.
Voilà oit j'en suis arrivée avec Nathalie et, étant
données les difficultés qu'on avait mises sur notre
chemin, je trouve que j'a» lieu de m'applaudit* du
ji'S.uJUtaLqu.e^XLat^
à désirer, cela s'arrangera. J'ai moi-même horreur
des mauvaises manières, mois il faut que les bonnes*
manières soient autre chose que du dressage; pour
«Hrt* vraiment •< bonnes », il faut qu'elles soient en
harmonie avec l'être tout entier, la fleur d'une âme
formée au hien, Qu'uno enfant renverse un jour sa
tasse, de café, c'est une maladresse qu'il faut lui
faire sentir, mais qui ne mérite pas qu'on lui fassu
une scène, étant donné surtout que le même accident
arrive parfois ft do grandes personnes. De môme,
si Olga, dans sa vivacité naturelle, dépasse un pou
les bornes, ou bien si elle est entêtée, la chose peut
être désagréable au moment où elle se produit,
surtout pour ceux qui oublient que l'enfant a sa vie
propre et qu'elle a ses luttes a soutenir tout comme
les adultes. S'il faut réagir contre ces défauts, on le
fera bien mieux par lo calme et la réflexion que par
lit violence. La violence ne fait qu'éveiller la révolte
chez, la petite et la pousse à dire des paroles déso-
bligeantes, car elle se sent justifiée, dans une cer-
taine mesure, à affirmer sa personnalité. Engelson,
par exemple, l'excite toujours, et elle est toujours
moins sage quand il est là, tandis qu'elle est déli-
cieuse avec sa femme et avec moi. Quant à leur
santé, Dieu merci, lesenfants prospèrent à merveille,
et, si l'on ne peut prévenir tous les accidents, il
ne leur est heureusement rien arrivé de fâcheux
jusqu'ici. Je crois qu'on peut très bien surveiller
les enfants sans leur faire sentir à tout instant cette
vigilance anxieuse; une surveillance exagérée leur
ôte toute indépendance; elle les rend poltrons ou
~haljittiîtnt~ vr~sc~ftcr~t>ait s» ~cosstî ~à
"~élou rdis,~tni~lcs
autrui. Habituer 1l'enfant
autrui. enfant de bonne heure à ne
compter que sur lui-même me semble indispensable
à l'éducation d'un caractère libre et ferme. Mais
(tour cela il ne faut pas que les enfants se «•«/«•ni
constamment surveillés, ,1e crois que c'est le sent
procédé rationnel, non seulement au point de vue
physique, mais au point de vue moral.
« Cependant vous savez,
cher ami, que si vous
trouvez les résultats trop lents, si vous ne croyez
pas qu'une- influence morale et intellectuelle dont
vous constatez vous-même les effets, saura à
la
longue et imperceptiblement corriger leurs petits
travers tout extérieurs, je suis prête à résilier notre
contrat et à mettre l'œuvre commencée en d'autres
mains. Vous dites que vous devenez de plus en plus
impitoyable envers vos amis. Moi aussi dans un
certain sens. Je demande une confiance illimitée
ou bien une rupture complète. Ne prenons pas de
demi-mesures, elles gâtent tout, et nous ne récol-
terons rien de bon si nous ne semons pas le vrai, le
beau, le bien dans leur intégrité. J'aurais trouvé
mon « bonheur » à rendre à votre maison le calme
et la poésie. Malheureusement ce but ne sera sans
doute jamais complètement atteint, parce que vous
voulez rester malade, parce que vous ne voulez pas
vous débarrasserde tout ce qui vous entrave, comme
vous devriez le faire, et voilà où est l'écueil du
caractère russe. Là, en effet, il y a un élément
qui nous met aux antipodes l'un de l'autre. Mais si
vous avez confiance en moi comme par le passé,
laissez-moi faire et, croyez-moi, j'arriverai au
~1ïutr»
Kn nature dellerzen était unotlo ces belles natures
«liez lesquelles une parole sincère elïace les nuages
du dépit et les mésintelligencesmomentanéeset qui
savent retrouver la plénitude et la franchise de leur
alleetion. Ainsi, aprè» avoir lu ma lettre, convaincu
qu'il s'était créé des chimères, il convint que j'avaiss
raison. Notre confiance réciproque reprit toute sa
sérénité. Craignant de m'avoir froissée il m'offrit de
lui-même un petit voyage au hord de la mer, dont
j'avais parlé précédemment et auquel il s'était
opposé.
Nous partîmes donc, et Domengé vint avec nous.
Nous allAmes a l'île de Wight, que je désirais voir
depuis longtemps. Nous traversâmes l'île en voiture
pour nous rendre ti Ventnor, situé sur la côte méri-
diouale de l'île. Hcrzen, son fils et Domengé étaient
sur l'impériale de la diligence; les enfants et moi
nous étions à l'intérieur. Ravie du chemin, qui est
charmant, je passai ma tête à la portière pour crier
à llcrzen « Kl» bien! est-ce assez beau? n'avais-je
pas raison de proposer ce voyage? » Herzen me
répondit en riant « C'est vrai, je ne voulais pas
vous le dire, mais vous aviez raison, c'est admirable,
et nous avons bien fait de venir. »
Nous fîmes à Ventnor un séjour très agréable.
Nous passions la plupart de nos soirées avec les
Pulsky, qui y séjournaient en été. La mère de Thérèse,
une Viennoise très cultivée et fort intelligente, était
en visite chez eux et elle nous égaya plus d'une fois
EaJl^?IL^c.sfîÇiLel_§oi?J^n2our._Les_ Ji°ssu th .étajenJL.
également et, dans cette intimité, Kossuth se
lit
montra infinimentplus aimable que dans les soirées
officielle* fie Londres. On était 1res préoe««upê alors
i|t> la guerre que la Uussie avait commencée en
Turquie. Ilerzen surtout »«n tMoil très ému. Il prédil
«lavanco la défaite des Kusses; il y comptait, espé-
rant que celte défaite entraînerait la ehule du gou-
vernement autocratique. Nous partagions son espé-
inspirait
rance et par la cette guerre insensée nous
quelque intérêt; sauf cela* elle ne pâmait que nous
attrister par l'idée que des hommes s'entre-luaienl en
des
masse dans un coin de la vieille Europe, et que
milliers de veuves et d'orphelins remplissaient de
leur douleur une page sombre de l'histoire.
Cette guerre, par une de ces ironies de l'histoire
universelle, qui achète souvent un progrès de la
civilisation par le sang de milliers d'hommes, eut en
ellel quelques conséquences heureuses. Grîice il elle,
la société anglaise fut débarrassée de «pielcpics pré-
jugés et les insulaires devinrent un peu plus polis
envers les étrangers qui avaient
gardé quelques-uns
«le leurs usages en venant en Angleterre. Au moment
où nous étions à Ventnor, ces préjugés existaient
encore; on avait par exemple une prévention contre
les grandes barbes que portaient les étrangers,
notamment les émigrés de tous les pays, et qui
semblaient « shoking » et barbares aux yeux anglais,
accoutumés à voir des mentons rasés.
Il nous arriva dans une de nos promenades de
passer devant une maison de campagne où plusieurs
jeunes femmes élégantes, assises sur le balcon, se
_imrenLàa'ka^uix^«îlals^n-^oyanLJaJ«Migu.tî-J>aEhe_
de Herzen et de Domengé. Celui-ci se retourna et
dit assez haut pour être entendu « Quelle canaille! »
Les jeunes femmes ne se retirèrent pas, tout en ces-
sant do rire. 11 était arrivé des aventures analogues
dans les rues de Londres à d'autres émigrés.
Après la guerre de Crimée, au retour des soldats
anglais, on vit partout des visages barbus. Les
grandes barbes furent une « fashion » et dès lors,
passant à Pextrème opposé, on ne voyait plus de
visage masculin qui ne fût eneadré d'une barbe
énorme. Un autre résultat plus important fut la
constatation d'une quantité d'abus dans l'organisa-
tion militaire; l'attention fut attirée notamment sur
1<* trafie éhonté des charges militaires, des places
d'officiers; jusqu'ici les hauts grades étaient un éta-
blissement pour les jeunes fils de famille, sans qu'on
tînt compte de leur capacité ou de leur instruc-
tion, qui seules pourraient donner quelque dignité
à cetle.classe sociale si triste à tant de points de vue.
Enfin le généreux exemple de Miss Nightingale éveilla
une activité nouvelle chez les femmes anglaises,
et son influence fut durable. On est heureux
de signaler les conséquences fécondes d'une guerre,
surtout quand cette guerre a été entreprise sous des
prétextes aussi futiles. Ces résultats nous réconci-
lièrent un peu avec les événements, et s'ils ne font pas
oublier le sang versé ils en atténuent l'horreur
devant l'histoire; la malédiction qui retombe sur
ceux qui ont fomenté la guerre n'en est pas dimi-
nuée.
Après avoir passé gaîment quelque temps à
JVenU)flî!nojus^avliime&à-BichiBon4-|)ourrepremire"
notre vie accoutumée, qui se faisait de plus en plus
calme et paisible. Je commençai à apprendre le
russe, non seulement pour mon plaisir, mais parce
que je comptais en tirer parti pour les enfants, pour
qui la langue maternelle était la seulo tradition, .l'ai
senti souvent combien l'éducation de ces enfants
des exilés est plus difficile que celle des enfants qui
ont une patrie, qui grandissent sur le sol natal, nu
milieu dos traditions de leur famille, entourés de
vieux domestiques, do parents et d'amis. Rien de
cela n'existait pour les enfants des exilés, notam-
ment pour les enfants de Herzen, pour lesquels leur
père seul représentait l'élément national. De plus,
deux des bases fondamentales de l'éducation, la
langue et la religion, leur manquaient complètement.
La langue maternelle, où les idées naissent avec les
mots, où le sentiment et la pensée passent presque
immédiatement dans l'expression, avec cette couleur
originale qui constitue l'élément national dans le
caractère d'un peuple, leur manquait. Ils parlaient
trois, quatre langues avec la facilité avec laquelle
les enfants apprennent en général les langues étran-
gères, très supérieurs sur ce point aux adultes. En
revanche ils ne possédaient pas cette étroite union
du mot et de l'idée dont le poète, par exemple, ne
saurait se passer, et qui est nécessaire à tout écrivain.
Il est presque impossibled'écrire une œuvre poétique
dans une langue étrangère. L'exemple de Chamisso,
qu'on pourrait m'opposer, n'est pas valable, car Cha-
misso était allemand par son éducation autant que
par ses sympathies.
Dê~'iâëmë"qnë"iâriâïngVië^âsAeirneT\e, il leur man-
quait l'éducation religieuse, qui jusqu'ici a été pour
toutes les générations de tous les pays un lien avec
le passé, et une occasion de rapprochement. Toutes
ces ressources facilitent l'éducation,
JI va île soi que je m© trouvais tout à fait d'aueord
avec lloiv.cn pour écarter une éducation religieuse
positive. Comment imposer aux enfants des chaînes
dont nous nous et ions délivrés après de doulou-
reuses luttes intérieures et leur préparer les mômes
crises? Il n'en pouvait être question, et sur ce point
j'étais bien résolue. Certes je n'approuvais pas ce
que j'avais vu se produire dans quelque» familles
d'émigrés, où les enfants raillaient des choses qui
sont encore sacrées pour la plupart des hommes.
Os façons irrévérencieusesne pouvaient former que
des êtres superficiels et arrogants, qui, sans avoir
rien examiné par eux-mêmes, osaient se moquer tle
oc qui avait représenté pendant des siècles l'idéal de
l'humanité. Élever des enfants sans religion posi-
tive dans une société oit règne le dogme chrétien
me semblait un problème difficile à résoudre.
Cependant voici comment je croyais devoir pro-
céder inculquer aux enfants le respect du beau
et du bien, le respect de tout ce que l'Age, l'éduca-
tion, tes avantages de toutes sortes rendent digne de
vénération, avant tout le culte des grands hommes,
sanctifiés par le génie ou la vertu, qui remplacent
les demi-dieux de l'antiquité et les saints de l'Église
catholique; ce culte des héros de l'humanité doit
tenir dans l'éducation une place importante. Réfré-
ner les jugements trop prompts, enseigner à estimer
les convictions d'autrui, même celles qui parais-
sent étranges et incompréhensibles, jusqu'à ce que
renlendement ^oH^as^^jn^r_^urJes_çc>inbAttEe^
Enfin exposer le développement historique et le
mérite des diverses formes religieuses que l'huma-
nité n traversées et qu'elle traverse encore. Mais sur-
tout cultiver dans les enfants la pitié active, qui est
l'élément religieux par excellence, celui qui sauve et
tjiii moralise. Certes, dans une éducation pareille, il
arrive que l'audacieux esprit d'investigation de l'en-
tant vous met parfois dans un cruel embarras. Mais
en disant à l'enfant que Dieu a tiré le monde du
néant, oit ne lui donne pas une solution qui satis-
fasse davantage son esprit qu'en lui avouant qu'on
ignore soi-môme la cause première des choses. Kn
ellel les enfants feront la question que j'ai entendue
sur les lèvres d'une petite fille, it qui on donnait Dieu
pour l'auteur de toutes choses « Mais qui a fait le
don Dieu? »
Si l'on fait pressentir à l'enfant que tout dans la
création est un mystère sublime, on lui inspire
d'avance le frisson sacré que le sentiment des limites
île notre connaissance donne à tout être pensant,
••ette véritable humilité, consciente de sa petitesse
i-t de son impuissance, qui ne se contente pas avec
une vaine complaisance de se croire une fois pour
toutes en possession de la vérité. D'ailleurs il y a
dos gradations dans le développement intellectuel
de l'enfant; son esprit candide, tout objectif, est trop
occupé par l'étude de tout ce qui l'entoure pour
tMre tenté, si on ne l'y convie, de rechercher la cause
première, dont la notion abstraite le dépasse de
beaucoup. Il aura tant à faire pour s'initier peu à
P'-u aux trésors de la nature, son attention sera
^Mlicitée^dlune^manière_.si^uissantej^rjojisjl^
n
domaines concrets qui lui sont accessibles qu'il se
passera beaucoup de temps avant qu'une question
sur le domaine de l'abstraction lui vienne sur les
lèvres. El a supposer qu'une nature exceptionnelle
posai cette question précoce sur l'origine des choses,
il suffira de montrer ce qu'il y a de mystérieux dans
cette grande énigme pour arrêter les investigations
de son esprit jusqu'à ce que les ailes de sa pensée
puissent soutenir leur essor dans ce domaine inconnu.
voilé, où en lin de compte l'intuition des Ames les
plus élevées est notre seul guide.
Je ne me dissimulais pas que les enfants rencon-
treraient, par celte éducation, des difficultés dans
la vie, notamment dans un milieu aussi conven-
tionnel et orthodoxe que la société anglaise. Fort
heureusement, les enfants llcrzen n'étaient presque
pas en contact avec le monde anglais, et !es deux
petites furent très étonnées, un dimanche matin, en
jouant au cerceau dans le parc de Kichmond, de
voir une dame anglaise s approcher d'elles et leur
demander d'un ton sévère comment elles pouvaient
faire quelque chose d'aussi inconvenant.
Il fut décidé que nous passerions l'hiver a la
campagne, et cette décision fut accueillie avec une
joie unanime. La maison étant trop petite, on en
prit une plus spacieuse, située au bord de la Tamise,
avec un jardin qui allait jusqu'au fleuve, plein de
vieux arbres superbes. La maison était assez grande
pour que nous y fussions installés confortablement
et qu'on pût y recevoir beaucoup d'amis.
Parmi les hôtes qui venaient nous voir de temps
ènTëmpsify^âva^i}e~tajn^T«nnr^mnVtFautrefeis^
Anna, qui venait d'épouser Fré«lérie Althaus, était
vernit» avec lui a Londres pour s'y créer une si! nation,
Charlotte, son amie inséparable, l'y avait iii'ciun-
pagnée. ,1e leur fis faire, la connaiss«n«%e «le Ilerzeu,
Il apprécia beaucoup Frédéric, et mes amis devinrent
bientôt les intimes de la maison. «•<> <|tii fut natu-
rellement une source de grandes joies pour moi.
L'hiver, dans cette belle maison, commença de la
manière la plus paisible. La matinée tle Ilerzen était
rigoureusement consacrée au travail. Il n'aimait
pas à être dérangé, et on écartait de sa chambre
toute visite. Domengé faisait travailler son lil-4, moi
je m'occupais des petites. La maison et le jardin,
voilà oit se bornait le monde pour elles et pour moi
je n'aspirais à rien au-delà, car j'étais parfaitement
heureuse. Aux repas et le soir nous nous réunissions
el nos entretiens nous délectaient. L'esprit toujours
jeune, toujours en mouvement, de ller/.en, était
comme une source vive, intarissable. Le soir, quand
les petites étaient couchées, il nous faisait la lecture,
à son fils et à moi. D'abord il voulut faire connaît re
Schiller à son fils; jl lui lisait 11'allanstciu, qu'it
aimait par-dessus tout et qu'il considérait comme
le chef-d'œuvre de Schitter. C'était admirable «le
voir comment Herzen se donnait à son fils dans ces
moments-là, et bien qu'il se déclarai dépourvu de
talent pédagogique, il avait le don de communiquer
l'étincelle de son âme ardente à la jeunesse, «l'y
allumer la flamme de l'enthousiasme, ce qui est la
plus belle des éducations si elle tombe sur un terrain
propice. Dans ces moments-là, faisant taire son scep-
– 4i€isme-^4--Ra^olémi«me_pQUtiqjje^_&rU^ie_et^le
critique soûls parlaient on lui; il me semblait alors
que rion no pouvait développer et former un jeune
esprit comme ces entretiens. Mais, pour cola, il fallait
monor une vio aussi tranquille, aussi indépendante
que telle que nous menions alors.
l'ne grande émotion vint troubler notre sérénité.
Ihuncngt'* arriva un jour dans une excitation extrême
nous raconter que Barthélémy, que nous n'avions
pas vu depuis longtemps, était devenu le héros d'un
drame sanglant, qu'il était en prison, aux mains de
la justice. Il avait vécu depuis un certain temps a
lV'caii da tous ses amis. On disait que son amour
pour une femme avec qui il vivait en était la cause
et que cette passion le rendait inaccessible à tout le
monde. Puis le bruit s'était répandu qu'il allait
quitter Londres. On ne savait pas oit il devait aller.
Une après-midi, il s'était rendu en costume de
voyage, sa valise ù la main, accompagné de cette
femme, chez un Anglais fort riche qu'il fréquentait
depuis quelque temps et qui vivait seul; il n'y avait
qu'une cuisinièredans sa maison. Personne ne savait
au juste ce qui se passa pendant cette visite. On
apprit seulement qu'on avait tout à coup entendu
une détonation dans la maison, que Barthélémy,
après avoir aidé la femme qu'il aimait à s'évader
par une petite rue, s'était sauvé par la grand'rue,
sans doute pour couvrir sa fuite; poursuivi par la
cuisinière qui poussait des cris, il fut arrêté par un
agent de police, et dans la rixe qui s'ensuivit, il
avait tué celui-ci d'un coup de revolver. La foule
était accourue, l'avait désarmé, et il avait été mis
"en ëtâTd*afrësrdtîônrL*Xngtâîs âvâîlëlé Tfoûvemôrl™
baignant dans son sang, par la cuisinière qui était
entrée dans sa chambre au bruit de la détonation,
A un premier interrogatoire, au poste de police oit
l'on avait mené l'assassin, celui-ci avait gardé un
silence opiniâtre; il affirmait seulement n'avoir pas
voulu tuer l'agent de police, et disait que son
revolver s'était déchargé dans la lutte. Cet événe-
ment nous bouleversa tous. Nous étions d'autant
plus émus de savoir cet homme que nous avions
connu et estimé, que nous avions eu pendant un
temps dans notre intimité, dans une situation si
terrible, que nous demeurions convaincus que co
n'était pas un vulgaire criminel, à quelque forfait
que la passion et son sang méridional eussent pu
l'entraîner. C'était une nature foncièrement noble,
qui devait expier par de profondes tortures morales
le crime d'un moment.
L'émigration française tout entière était dans une
agitation extrême. Les partisans de Lcdru-Rollin
s'applaudissaient presque de la chute de cet ardent
socialiste qui les avait toujours malmenés, raillant
leurs doctrines républicaines, jusqu'au jour où le
duel dont j'ai parlé l'eut séparé d'eux d'une manière
complète.
Les autres membres de l'émigration, Domengé à
-leur tête, témoignèrent une douleur profonde; de
plus ils prirent ouvertement la défense du caractère
de Barthélemy contre les attaques perfides de
ses
ennemis. Sans vouloir justifier les faits, ils deman--
daient qu'on ne les jugeât pas sans les examiner.
Il r5?^îL 3il§îa^ Jlho^e-de^mysliideux-4a»s-cette –
Tultoire. La seule personne qui eût
pu donner des
éclaircissements, Barthélémy, continuait a ne pas
répondre aux interrogatoires. II semblait décidé a
laisser la justice suivra son cours et à subir son sort
en expiation d'un double crime qui devait peser
terriblement sur sa conscience. Toutefois il semblait
ressortir nettement de tous les bruits et do toutes
les suppositions que le voyage de Barthélémyn'a va il
pas d'autre but que de délivrer la France de son
tyran. On disait que l'Anglais lui avait promis «le
l'argent pour mettre son projet il exécution, et qu'au
moment où Barthélémy vint chercher la somme
promise, il se serait refusé il In donner; une querelle
s'en serait suivie et Barthélemy, hors de lui, aurait
accompli son attentat. H n'y avait pas moyen de
vérifier l'exactitude «le ce récit, ni de découvrir les
motifs qui avaient amené l'Anglais il refuser l'argent
promis, car, des deux acteurs lie ce drame sanglant,
l'un était mort et l'autre ne voulait rien dire; la
femme, qui avait été témoin de t'assassinât, avait
disparu d'une manière inexplicable. La part qu'elle
avait eue dans cette affaire, les raisons qui la déter-
minèrent à rester auprès de Barthélemy pour une
entreprise si hasardée, semblaient tout d'abord
difficiles à déterminer, mais peu à peu, des rapports
étranges établirent que c'était une espionne envoyée
par le gouvernement français pour perdre le plus
énergique des émigrés. Elle n'y avait que trop réussi.
Il était plus que probable que, s'emparant des papiers
les plus importants de Barthélémy, dont elle seule
connaissait la cachette, elle les avait livrés à la
--Fjwww-et^u^tOl&^y^tai^
sition faite au domicile de Barthélemy, on avait
Irouvé sa chambre en désordre, le parquet enlevé;
on n'avait pas trouvé un seul papier suspect»
et on avait vainement recherché en Angleterre,
cette femme dont le témoignage eût été si pré-
cieux.
Le prisonnier avait compris la terrible méprise de
sa passion qui, soule, l'avait perdu; je crus pouvoir
le conclure d'après une lettre écrit*» de sa prison à
-un- de ses amis et que Ilerzen me lit lire. Barthélémy
y disait entre autres « Je suis si profondément
malheureux que je ne voudrais pas me sauver, même
si je le pouvais. »
Comme son âme fière et ardente devait souffrir de
voir dans toute son horreur son amour trahi! Cette
misérable aventure chargeait sa conscience île deux
meurtres, elle tranchait sa vie en pleine jeunesse, à
l'heure où tant d'idées fermentaient en lui, où il lui
restait tant «le nobles choses à faire. Certes, si la
justice était ce qu'elle doit être, jugeant les actions
des hommes, non d'après une commune mesure,
mais d'après la nature de l'homme, les mobiles de
son action ut l'impression qu'il en reçoit, il eût fallu
acquitter Barthélémypour les tourments qui l'assail-
laient, pour le repentir qui l'accablait. Mais aux
yeux de la justice humaine il n'était qu'un vulgaire
meurtrier et nous tremblions pour son sort. Chose
étrange, l'accusation ne porta pas sur le premier
assassinat, qui cependant était indiscutable, et on
ne parla dans les débats que du second, le meurtre
de l'agent de police, qui ne pouvait être puni, d'après
Ja4oi^ang4aisev-q«e~sttHe-ehef -d'homicide- fmans^-
lawjhter) et non d'assassinat. Ce crime est passible
de la déportation et nous espérions éviter la peine
do mort.
Les semaines se passaient dans une inquiétude et
une incertitude affreuses. Le sort du malheureux me
hantait. Mille projets d'évasion se croisaient dans
ma tôle; il était impossible de parvenir jusqu'à lui.
Il était gardé avec une extrOme rigueur; seul son
associé pouvait le voir derrière une double grille et
il ne recevait pas d'autre visite que celle de l'au-
monier.
L'année cependant touchait a sa fin. Pour les fêtes
du jour da l'an, un cercle choisi était venu passer
quelques jours dans notre vaste maison. J'aimais A
organiser de temps en temps des fôtes, afin de laisser
une impression de poésie, un souvenir lumineux et
charmant dans la vie un peu uniforme bien qu'heu-
reuse des enfants. Dès l'année précédente j'avais
reporté l'arbre de Noël, qui n'était pas pour eux
un symbole chrétien, à la Saint-Sylvestre, avec sa
signification primitive du retour du soleil. J'en pré-
parais un, l'ornant de cadeaux que j'avais fabriqués
pour la plupart et que je destinais à nos hôtes, aux
grands et aux petits. Ce fut vraiment une fête inter-
nationale. Il y avait des Russes, des Polonais, des
Allemands, des Français, des Italiens, des Anglais,
et chaque nationalité avait fourni une élite. A minuit,
Herzen remit à son fils un exemplaire russe de son
livre De Vautre rive, qu'il avait publié d'abord en
français, qu'il venait de traduire lui-même en russe,
et qu'il dédiait à son fils. Celui-ci ne connaissait
__pasjencore la dédicace de l'ouvrage. «t4ïe*zen-la-lui –
au cercle d'amis qu'il avait rassemblés. La voici
IlCiter Alexandre,
<< Je te dédie ce Uvre, parce que c'est ce que j'ai
cril de meilleur; j'aime ce livre comme le souvenir
d'un combat oit j'ai tout sacrifie, sauf l'audace de la
pensée, et je ne crains pas de mettre dans tes mains
d'adolescent cette protestation souvent téméraire
d'un caractère indépendant contre des conceptions
surannées, servîtes et mensongères, contre d'ab-
surdes idoles d'un autre âge, qui ont perdu leur
signification et viennent finir parmi nous, comme
une entrave pour les uns, et un épouvantait pour les
autres.
« Je ne veux pas te laisser dans l'erreur. Connais
la vérité comme je la connais! Reçois-la,exemple de
fautes pénibles, de déceptions amères, par simple
droit d'héritage!
« D'autres problèmes, d'autres luttes te sont ré-
servés, tu ne manqueras ni d'épreuves ni de labeur.
Tu n'as que quinze ans et tu as déjà connu toute
la rigueur de la destinée. Ne cherche pas de solutions
dans ce livre, il n'en contient pas, notre siècle n'en
a pas davantage. Une solution est une fin, et nous
sommes à l'aube de la révolution de l'avenir.
« Nous n'édifions pas, nous détruisons; nous
n'apportons pas une nouvelle révélation, nous écar-
tons seulement le vieux mensonge. L'homme d'au-
jourd'hui, triste ponlifex maximus, ne peut que poser
un pont. Un autre, l'homme inconnu de demain, le
franchira. Quant à toi, ne reste pas sur la vieille
Thrc7iV-vaTrt"Tn1ëûir~sUmb"ïêFque Htf cKëfctiëf~son
salul dans l'hôpital de la réaction.
Lu religion do la réorganisation sociale future,
«
voilà In seule religion que je te lègue. Elle ne
«'«mnàtt «l'autre paradis, «l'outre récompense que In
satisfaction «le la conscience. Va, quand l'heure en
aura sonné, prtVher cette religion chez nous eu
Russie. Un jour on y aimait ma parole et on se
souviendra peuMtre de moi.
« Je te bénis pour ce voyage, au nom de laraison,
d« ht liberté et de la fratornit* >»

Le jeune homme se jeta en pleurant dans les bras


«le son père. Nous étions tous très émus. Chacun
songeait sans doute avec mélancolie à sa lointaine
terre natale et aux temps bien lointains aussi où il
lui serait permis d'y retourner pour y faire ouver-
tement celte profession de foi. Mais nous sentions
en même temps tous que, dans notre intéressant
petit cercle, passait un souffle de cet esprit qui devait
un jour unir l'humanité, et nous nous donnâmes
la main, mettant dans nos vœux de nouvel an un
sentiment cordial; nous formions dans l'exil une
petite communauté d'hommeslibres, conscientsd'ap-
partenir déjà, quelle que fût encore la durée de notre
bannissement, à cette église qui réunira un jour une
humanité plus noble, plus haute et plus libre.
C'était une de ces nuits limpides et étoilées, si
fréquentes en Angleterre, et qui forment un con-
traste avec les jours brumeux. La terre était gelée
et cependant il ne faisait pas froid. Nous allâmes
dans le parc, notre émotion ayant fait place àj\&
^îH^êTtâ"jëTrûë¥sê^amûiâTt et Iota trait au clair
de lune, tandis que les gens sérieux se promenaient
eu causant. Nous restâmes ensemble trois jours,
llçrzen était de la meilleure humeur du momie et
un maître de maison d'une amabilité sans égale.
Finit le monde était enchanté de son séjour, affirmant

L'une des que


n'avoir jamais goûté d'hospitalité plus charmante.
j'accompagnai à la gare me
•lit avec l'accent de l'enthousiasme « llcrzen est
divin. »
de Barthélemy n'était pas terminée et
L'atîaire

imus étions toujours angoissés. Son procès traînait


en longueur, bien qu'il n'essayât pas de se justifier.
Los calomnies que des compatriotes, des adversaires
politiques, répandaient sur son compte, la satisfac-
tion maligne avec laquelle ils se mettaientau premier
rang (les spectateurs aux audiences, Semblaient le
révolter. J'en trouvai la preuve dans la lettre sui-
vante dont j'eus connaissance par la même voie que
la première.

Newgate, 8 janvier 18X5.


Je prie mon ami B. de remettre cette lettre à
«
M11" R. qui la fera parvenir à la personne à qui
ollo est destinée.
« Si je ne vous savais pas au-dessus des considé-
rations mesquines de gens pour qui les préjugés
sociaux sont une vertu, je ne me hasarderais pas à
vous qualifier d'ami. Mais je sais que vous n'êtes
pas de ceux qui accablent un mort et que j'étais
autre chose pour vous qu'un misérable. Rien de ce
..ilMJ^j^p^i§_je_jni<iiQnue.je_connai^assfiZ-Jes_
personnages en question pour savoir ce qu'ils valent.
Si j'étais libre, quoique les apparences soient contre
moi, je comparaîtrais devant mes ennemis pour les
confondre. Mais a quoi bon? Je suis mort, et si cela
peut servir notre cause, qu'ils me traînent dans la
boue, libre à eux. Peut-être ne sont-ils bons qu'à
cela. Je voudrais que ma chute les élevât, mais il
n'en sera rien. La médiocrité sera leur sort jusqu'à
la fin.
« Adieu,
« E. Barthélémy. »
Enfin la sentence fut rendue. C'était
un arrêt de
mort, bien que le premier crime eût été écarté,
comme je l'ai dit, et que le second ne fût passible
que de la déportation. Nous tous, et Barthélémy
avec nous, ne nous attendions pas à cette condam-
nation. Les émigrés français bien pensants avaient
adressé une supplique en faveur de l'accusé à lord
Palmerston, qui était alors ministre, et celui-ci avait
laissé espérer une réponse favorable; la sentence
nous frappa d'autant plus cruellement. A plusieurs
reprises des amis avaient fait remettre à Barthélémy
du linge et de l'argent; après la sentence,
on lui
envoya la strychnine dans l'ourlet d'une chemise,
de
afin que, le cas échéant, il pût échapper
par une fin
volontaire à la mort ignominieuse qui l'attendait,
ainsi qu'aux formalités odieuses qui la précèdent.
Son associé ayant expérimenté cette même dose de
strychnine sur un chien, elle avait provoqué des

ISr^vïnrBàrtR^ëm^
souffrances atroces sans aboutir à la mort. Il
en
fut admis à le voir pour la dernière fois. Il le mettait
dans une alternative cruelle; si la dose de poison
allait être insuffisante, elle pouvait lui Ater la force
de souffrir l'inévitable avec dignité. Sa noble Ame
recula devant la pensée de se condamner à une
faiblesse indigne de lui en prenant le poison, et il
décida de n'y pas recourir.
Je souffrais d'une manière indescriptible pendant
ces quelques jours. Je savais bien qu'il était impos-
sible de le sauver, mais une pitié immense remplis-
sait mon cœur; j'aurais voulu porter au condamné
uue consolation, lui faire savoir qu'il y avait des
gens qui le jugeaient autrement que la justice des
hommes et ses ennemis. En même temps j'aurais
voulu pouvoir exprimer l'indignation que soulevait
en moi la servilité du gouvernement britannique, la
sentence de mort ayant été confirmée sans aucun
doute sur la demande expresse du gouvernement
français. Le jury avait signé un recours en grâce.
Je proposai à Herzen et à Domengé de demander
pour nous trois la permission d'accompagner le
malheureux au lieu du supplice. Je sentais que j'au-
rais la force de le faire. J'en avais le désir ardent,
persuadée que Barthélemy avait expié par sa pro-
fonde souffrance l'acte aveugle qu'il avait commis
et qu'il voulait racheter son crime par la manière
noble et digne dont il marcherait à la mort. Le
laisser seul dans ce moment de sublime repentir,
au milieu d'une foule odieuse de badauds, me don-

jklQk delui^»jniïncer_
nait des remords. Il me semblait que c'était notre

le seuil de l'éternité
par ce témoignage suprême de
compassion, de charité et d'amour. En même temps
il me semblait bon de protester ainsi, au nom d'une
organisation future plus juste delà société humaine,
contre ce jugement selon la lettre de la loi. Herzen
et Uoutongë ne partageaient pas mon vif et impé-
tueux désir, mais ils demandèrent néanmoins une
permission. Ils apprirent que la chose était impos-
sible, qu'on ne nous accorderait pas une permis-
sion contraire a toutes les traditions; notre présence
aurait pu troubler la marche des événements. II ne
nie restait donc rien a faire qu'à partager dans
mon cœur les souffrances du malheureux et à
passer avec tui par ïa pensée ces heures d'agonie.
Le dimanche, qui fut son dernier jour, je le passai
dans un état d'âme que je ne saurais comparer
qu'à une prière artlente, et s'il est des épanchements
de l'Ame qui se sentent à distance, Barthélemy dut
sentir dans ces heures d'éprouves qu'il n'était pas
seul.
Eu Angleterre, toutes les exécutions capitales
doivent avoir lieu le lundi de grand matin.
Je me réveillai longtemps avant l'aube et ma
pensée me transporta dans cette terrible cellule de
la vieille prison de Newgate où Barthélemy, s'éveil-
lant de son dernier sommeil terrestre, devait se sou-
mettre aux préparatifs avilissants qui l'attendaient.
En entendant sonner siv heures, je cachai ma tête
dans mon oreiller et je pleurai amèrement. Quelques
heures plus tard, Herzen me fit prier de monter dans
sa chambre; il vint à moi l'air profondément ému et
me tendit un journal. C'était le Times qui apportait
un compte rendu des dernières heures de Barthélémy
et de son exécution.Je ne pouvais pas lire, je fondis
_,en larmes Herzen n_o_us en_fit_la~ecturef_à-.son.
H à moi. Do même que In tenue du prisonnier avait
»'té calme, noble et modeste pondant tout le cours

dant ces dernières avait


itii procès, de même la dignité de son altitude pen-
rempli -tous- les
témoins de sympathie et d'admiration. Le Tiwvx
même convenait que ce meurtrier ne pouvait pas
avoir été un homme ordinaire. Il avait .reçu les
juges, venus pour lui annoncer que sa dernière
heure avait sonné, d'un air tranquille et. décent. Lors-
qu'on lui demanda s'il s'était recommandé à la
grâce de Dieu, il répondit qu'il ne pouvait «Mre
question ici que de la gntee de la reine, qui lui
avait ouvert les portes de la prison; pour le reste
c'était une chose entre lui et sa conscience; il était
prêt à mourir. Il avait prié un jeune prêtre, chargé
de l'assister, de bien vouloir l'accompagner au lieu
du supplice en ami. Lorsqu'on lui demanda s'il
n'avait pas une dernière requôle à présenter, il
demanda à tenir à la main jusqu'à la fin une lettre
qu'il avait reçue la veille. C'était une lettre datée du
midi de la France, de la ville natale du prisonnier,
qui avait été décachetée par l'administration péni-
tentiaire et qu'on lui avait remise, car elle ne con-
tenait rien de compromettant c'était un billet bref
et touchant, plein de fautes d'orthographe et signé
«l'un nom de femme. Il ne contenait
que l'assu-
rance d'un amour fidèle par delà le crime et la mort.
Le prisonnier avait été profondément ému par cette
lettre. Peut-être était-ce l'écho d'un premier amour,
du'temps où la passion et une énergie mal dirigée
n'avaient pas encore entraîné ce tempérament
d'^ite~vws-a©-6Hine-q»'4l ~expiait~œaintenattL-J)fi_
même que Faust, ce mortel malheureux accablé du
poitls de ses fautes, finit par les expier ici-bas grâce
n un amour pur, à « l'éternel féminin », de mdme
Barthélémy, avant de quitter cette terre d'illusions
et de crimes, ne demandait qu'à tenir entre ses mains
le souvenir d'un amour qui rachète tout.
C'est avec dignité, avec une pleine possession de
lui-même et un grand courage qu'il s'était soumis
aux préparatifs de sa lin. Il avait embrassé le dirlec-
teur de sa prison, le remerciant de tout son cœur
pour tout ce qu'il avait fait pour lui, puis il avait
demandé lui-même à ses juges émus de se mettre
en route pour le lieu du supplice. Serrant la lettre
dans sa main, il marchait d'un pas ferme à côté du
jeune prêtre. En gravissant les marches qui con-
duisent a la potence, il s'était arrêté un instant, en
s'écriant « Bientôt je le connaîtrai donc, le grand
mystère! » Puis, arrivé au haut des marches, il jeta
un long regard sur la foule assemblée, il embrassa
le prètre cl se livra à la main du bourreau.
Nous gardûmes longtemps le silence et nos larmes
en disaient plus long que des paroles. J'eus beau-
coup de peine à me ressaisir. Je cherchais avidement
à me procurer quelques détails sur la disposition
d'esprit et de cœur du défunt. Il était évident qu'on
le craignait encore, même après sa mort, car lorsque
son associé vint après l'exécution prendre posses-
sion des Mémoires qu'il avait écrits dans sa prison
et d'autres papiers qu'il lui avait légués, on ne
trouva que quelques feuillets insignifiants et tous
prétendaient ne pas connaître _autr_e c_ho_se._ Sans_
""a*oïlte"lës~pâpîèTFTes plus importants avaient été
enlevés et remis à ceux qui avaient intérêt a les
avoir. Les journaux se livrèrent pendant quelques
jours à dos suppositions, a des invectives,à des soup-
çons, jusqu'à ce que le flot des événements fit
oublier celte affaire. Je fus d'autant plus agréahle-
ment surprise de trouver dans le Tittws une lettre
du prêtre qui avait assisté Barthélémy jusqu'à la tin.
H protestait avec indignation contre les interpréta-
tions malveillantes,assurant qu'il avait appris A con-
naître le condamné et à l'apprécier, malgré un acte
regrettable auquel l'avait entraîné son tempérament
passionné, et qu'il était prêt, maintenant que la
grande expiation était consommée, à défendre sa
mémoire de toutes les manières.
La lettre était très belle et m'inspira la certitude
«pic le sort avait fait rencontrer au malheureux
Barthélémy une ame d'élite. J'écrivis à ce prêtre, je
lui racontai le vif intérêt que l'intelligence de
Barthélémy et son sérieux m'avaient autrefois ins-
piré je l'avais perdu de vue et maintenant, émue
d'une profonde pitié par sa fin malheureuse, j'avais
l'ardent désir d'apprendre quelques détails sur lï;tat
de son âme dans ses derniers moments. Je lepriaiins-
tammentde me dire surcepoint tout ce qu'il pourrait.
Au bout de quelques jours je reçus la lettre suivante

« Je regrette beaucoup ne pouvoir me rendre à


votre désir en vous donnant sur les derniers jours
du malheureux Barthélémy des détails que j'ai dû
refuser aux journaux comme aux membres de ma
lamiUe^iesjïonaïnuwcaUQnsj^ujl^^
d'ordre si intime qu'elles me paraissent du domaine
du sourd professionnel un des premiers devoirs de
ma charge. Je reconnais avec vous la haute intelli-
gence, h fermeté de caractère el l'Ame généreuse «le
Harthélemy. Mais ses passions violentes l'ont mené
à une mort ignominieuse. Il est indéniable que le
meurtre «le Moore (l'agent de police) n'était pas
prémédité; toutefois on n'a pu démontrer qu'il avait
été indispensable, un cas de légitime défense. 11
était difficile d'acquitter l'accusé, mais une justice
impartiale ne devait pas le condamner a mort. 'J'ai
fait tout ce que j'ai pu pour sauver sa vie; on me
l'avait promise et jusqu'au dimanche, la veille de sa
mort, j'avais encore de l'espoir. Des circonstances
étrangères au meurtre ont fait pencher la balance du
côte de la rigueur. Il est mort avec un grand cou-
rage, mais il a beaucoup souffert avant de mourir.
Il éprouvait le besoin des consolations de la reli-
gion, mais il craignait de les recevoir devant ses
amis qui l'observaient et qui cependant étaient bien
au-dessous de. lui. Son âme était en proie à des
luttes terribles, qui eussent brisé une organisation
moins robuste que la sienne, mais je crois que ma
présence et mes paroles lui ont rendu moins amère
la coupe qu'il a dû vider jusqu'à la lie. Je vous
avouerai que je l'ai pleuré, car il était devenu
presque un ami. Qui sait ce qui serait advenu si
je l'avais connu au temps où vous le connaissiez?
« Votre doctrine est belle >>, me dit-il le dernier jour;
« si j'avais conservé la vie, je l'aurais prêchée sans
y croire moi-même, et aurais peut-être fini par y
croire ». En souvenir, il me fit cadeau d'un petit
-Hvreria sente~chosë qTïîPpT3ssë3âtT
quelques détails que je puis ajouter A
« Voilà les
ceux que vous aurez trouvés dans tes journaux.
Veuillez m'exeuser et agréer l'assurance de men
hommages respectueux.
« L. Roux. »

Ici s'arrêtait pour moi la possibilité d'apprendre


quelque chose sur Barthélémy, et il ne me restnil
qu'a voii\ au-dessus de la tombe ignominieuse du
criminel de Newgato, l'homme que les plus cruelles
souflïanees avaient purifié, et & garder de lui un
souvenir ineffaçable.

CHAPITRE XXVII

Encore une mort.


Peu de temps après, une autre mort nous procura
une émotion joyeuse. Un matin que j'étais occupée
avec les enfants comme d'habitude, nous enten-
dimes un cri dans le cabinet de travail de Herzen,
et une seconde après il entra dans notre chambre,
tenant un journal à la main et il s'écria « L'empe-
reur Nicolas est mort! »
Ce dernier des autocrates européens mourait en
pleine vigueur, au moment où il commençait à com-
prendre que sa puissance était vulnérable, qu'elle ne
_IULavaiLse.mMiJké^
joug
un tyrannique, mais qu'il lui faudrait céder
aux forces réunies des Ktats civilisés. Il semblait
que s» mort délivrait, non seulement la Russie, mois
loule PKnrope, d'une lourde oppression, que Ton
allnil respirer, et que le peuple russe allait néeessai-'
renient déployer ses forcées, et les développer libre-
ment. Ilerzen était hors <lc lui do bonheur. Il espé-
rait fermement que le successeur de Nicolas, forcé
de recourir à une politique plus libérale après un
Rouvortûn despotique, serait amené, par la situation
que lui faisait la guerre do Crimée, il l'abolition du
servage et à l'introduction de réformes constitution-
nelles. Peut-être espérait-il au fond du cœur que
ces conditions nouvelles lui permettraient le retour
dans sa patrie. 11 aimait d'autant plus son pays qu'il
comprenait mieux l'étal de détresse et de langueur
des contrées occidentales. Sa foi à une vie nouvelle
en Russie s'affermissait. Dans son enthousiasme
il résolut de donner une expression à son espérance.
11 voulait faire revivre la revue mensuelle, publiée
autrefois par ceux qui avaient pris part à la révolu-
tion de 1825, et sous le même titre, V Étoile polaire.
A l'âge de treize ans, avec son ami Ogareff, il avait
juré, sur une colline près de Moscou, à la clarté du
soleil couchant, de venger les hommes qui étaient
morts en martyrs. Trente ans après, il lui était
donné do remplir son serment et d'éveiller pour ainsi
dire ces voix du fond de la tombe pour annoncer à
leur peuple la fin de l'esclavage et une ère nouvelle.
Pour la première fois en Russie, la révolution
de 1825 était partie de la classe la plus cultivée du
B9y~J~B'~L9~J~~ ~9"~Y?!E'5R~.9Rteneurs~
celui de Pougatcheff, par exemple, avaient été pro-
vaqués par l'élément populaire. Les conjuras, l'élite
de la société russe, des officiers pour la plupart,
durent expier leur tentative sur la potence ou clans
les mines de Sibérie.
Ils avaient servi d'exemple à la jeunesse libérale
russe. Ce fut une grande satisfaction pour Heraen
d'évoquer leur souvenir, à l'occasion do la mort do
celui qui les avait voués à la mort, et de faire
renaître ViïtaiU polamï pour convier la Russie à
marcher dans la voie qu'ils avaient ouverte. Une
médaille, représentant le profil des cinq chefs de la
révolution qui avaient été pendus, fut reproduite en
vignette sur la revue nouvelle.
L'élaboration de ce projet occupa Ilerzcn toute la
malinéc; l'après-midi il vint quelques connaissances
de Londres pour le féliciter. Nous étions tous d'une
gaîlé folle. Le jardin allait jusqu'à la Tamise, il n'en
était séparé que par le rivage, où jouaient des
enfants du village. Herzen s'approcha de la haie
et jeta de l'argent aux enfants, leur disant de crier
« hourrah! » Les enfants ne se
le firent pas dire
deux fois, et poussèrent des cris de joie; les invités,
gagnés par l'excitation, leur jetèrent toute la menue
monnaie qu'ils avaient sur eux, et la joie des enfants
devint si excessive que nous jugeâmes prudent d'y
mettre fin en nous retirant.
Je fus très contente lorsque Herzen, sûr désormais
d'un nouvel avenir pour la Russie, se déclara prêt à
parler dans un meeting international organisé pour
fêter l'anniversaire de la révolution de février 1848.
44-me semblatt-beau-d^ voir-un patriote trcrssrardBnir
déclarer publiquement que la défaite des armées
russes était selon lui un événement heureux, d'abord
parce que la guerre de Crimée avait été injuste, et
puis parce qu'elle servait la cause de l'absolutisme.
Chose singulière, Herzen, qui dans l'intimité était
l'homme le plus à l'aise du monde, maître de sa
parole clans la discussion, était incapable do parler
en public. Il disait souvent qu'il n'avait jamais pu le
faire et il ne consentit prendre la parole que si
on J'autorisait & lire son discours, ce qui lui fut
naturellement,accordé. Il en était de lui comme de
Mazzini, qui ne parlait pas non plus en public, parce
qu'il éprouvait alors une certaine timidité qui le
paralysait, et qu'il n'éprouvait jamais dans les dis-
cussions privées.
Le soir du meeting nous partîmes pour la ville;
la grande salle où il devait se tenir était pleine de
monde. Ernest Jones, autrefois du parti des char-
tistes, et depuis sa dissolution chef du parti ouvrier
radical, était président. Autour de lui, à la tribune,
siégeaient les membres du Comité, pour la plupart
des Polonais et des Anglais, ainsi que les orateurs
inscrits. Herzen y monta; son fils et moi nous nous
assîmes parmi les auditeurs. Le but du meeting était
de faire un appel au peuple anglais afin qu'il fît une
énergique démonstration en faveur de la cause polo-
naise. La Pologne, qui ne cessait d'espérer, trouvait
l'heure propice pour secouer un joug détesté, la
Russie étant menacée sur son propre territoire par
la coalition des puissances. Les Polonais, toujours
prosternés en suppliants au pied des trônes euro-
..J^§Hî4°SJi_yJteôSÇ_d§ .Fçinsê^gueiJtantlauiaurs-
avec angoisse le moment où des peuples plus heu-
reux leur tendraient une main seeourable, n'avaient
pas encore compris qu'en France les sympathie»
pour la Pologne étaient en partie une phraséologie
révolutionnaire, en partie une mesure politique,
j comme uneIlsmenace permanente et indirecte contre
voulaient voir
la Uussie. ne pas que ces sympa-
thies ne se manifesteraientjamais que sous la forme
du droit d'asile qui leur était accordé et des secours
matériels que le gouvernement «tellait à la dispo-
sition des Polonais réfugiés en France. Ils ne com-
prenaient pas davantage qu'en Angleterre, le peuple,
habitué depuis longtemps à la liberté des manifes-
tations publiques, après avoir énergiquement témoi-
gné dans un meeting de sa sympathie pour une
cause, se retirait content, et laissait les choses suivre
leur cours. Lorsque le président annonça que, dans
un meeting consacré aux intérêts de la Pologne, un
Husse voulaitprendre la parole à l'heure où la Russie,
l'oppresseur de la Pologne, était en guerre avec
l'Angleterre, les cris de joie éclatèrent. Herzen
monta à la tribune et y fut accueilli avec enthou-
siasme. Son discours fut souvent interrompu par
des applaudissements. Quand il eut fini de parler, on
lui fit une longue ovation. Les Polonais lui serraient
les mains et une dame polonaise lui offrit un bou-
quet. Il s'avança pour montrer au public ce sym-
bole de la réconciliation de deux races soeurs, que
sépare le despotisme.Le public témoigna son appro-
bation par des acclamations.Après Herzen la parole
fut donnée à plusieurs Polonais, à quelques Anglais.
Axi-momen^r-de-parlir^-iiOtts^ûmes-entetirés-tFaBaifti-
de connaissances qui nous exprimaient leur sym-
pathie. Suffi retourna avec nous à Twickenham
pour y passer la nuit et le lendemain. Nous ren-
ti'Ames a une heure 1res avancée. Nous restâmes
encore un moment ensemble à souper et à causer de
choses sérieuses. Enfin nous nous séparâmes et
j'entrai dans ma chambre a coucher. Quelle fut ma
terreur en entendant une toux étouffée, angoissée
dans le coin oit dormait la petite Olga J'en compris
de suito la gravité et je descendis en toute hâle
trouver Herzen et Saffi qui causaient encore ensem-
ble ils me suivirent tous deux et me confirmèrent
dans ma crainte c'était une attaque de faux croup.
Saffi courut chercher le médecin de la localité; le
médecin de la famille habitait Londres, il se serait
écoulé plusieurs heures avant son arrivée. Le docteur
vint et prescrivit différents remèdes, entre autres un
bain de pieds très chaud. Je tenais l'enfant sur mes
genoux et je l'y gardai toute la nuit, les quintes de
toux étant plus pénibles quand elle était couchée.
Le bon Saffi, assis à nos pieds, tenait une main de
l'enfant dans la sienne; Herzen était là aussi et nous
achevâmes ainsi la nuit, bien loin des émotions
politiques au milieu desquelles nous l'avions com-
mencée de temps en temps nous échangions un mot
à voix basse, le plus souvent nous ne disions rien,
songeant tout bas au sombre mystère qui plane sur
nous à tous les instants de la vie et qui souvent, au
moment où nous y songeons le moins, brise le fil
dont sont faites nos plus chères affections.
A l'aube, nous vîmes que l'enfant était hors de
d«figert-iMms-^rnîS'sé|ïarâinigs~êirnôîjF HoEnânTlir
main en silence; le lendemainje dis à Domengé, en
lui racontant danger auquel venait d'échapper

l'enfant: «
Je me croyais année contre tous les coups
du sort, je pensais avoir traversé les plus rudes
épreuves, être cuirassée, mais il es! une épreuve quo
je ne saurais supporter,c'est la mort de cette enfant »
En effet tout ce qui rend l'amour maternel sacré
s'était développé en moi et concentré sur celte enfant.
Qu'une mère aime et soigne l'enfant qu'elle a mis au
monde, elle ne fait que ce que font les animaux, qui
eux aussi prodiguent leurs soins à leurs petits. Mais
tout ce qui constitue la fleur de l'amour maternel,
le souci de la vie intellectuelle, du caractère, du
développement de toutesles facultés, le désir ardent
de revivre dans cette vie nouvelle, de transmettre
son idéal pour le voir refleurir rajeuni, cette vigi-
lance autour d'une jeune âme qu'on défend d'une
manière plus jalouse que la sienne propre contre
toutes les influences mauvaises, intellectuelles ou
morales, afin qu'elle s'ouvre chaste et sans tache au
soleil de la connaissance, tout cela je l'éprouvais, je
le sentais pour cette belle et charmante enfant. J'y
trouvais une nouvelle preuve que ce sentiment
maternel, qu'on n'attribue en général qu'à la femme
qui a porté des enfants sous son cœur, est un élé-
ment essentiel de la nature féminine; c'est pour-
quoi les femmes, même si elles ne sont ni épouses
ni mères, sont faites pour les soins et l'éducation de
l'enfance; de là vient l'affection si étroite qui unit
souvent une éducatrice et son élève, affection qui ne
I? JîMe_.en xifenLàJlamaur^dlunc mère_paiir-saJîlle^,
Seulement il ne faudrait pas étouffer cet élément
maternel, ni le dénaturer; les maisons d'éducation
dirigées par des femmes devraient être des maisons
vraiment maternelles; -il faudrait donner les droits
d'une mère à celle qui en prend les plus lourdes
charges et les plus grandes responsabilités.
Nous fûmes malheureusement obligés de quitter
au printemps la belle maison où nous avions passé
de si beaux jours, oit nous avions trouvé la paix
intérieure, et une joyeuse activité. En franchissant
le seuil pour la dernière fois, je dis à Herzen,
comme avertie par quelque triste pressentiment
« Comme le cœur devient timoré à mesure que
l'on avance en âge et qu'on a eu à souffrir des
coups du sort! Tandis que la jeunesse ne voit dans
une période heureuse de la vie que le gage d'un
avenir plus heureux encore, l'âge mûr, après une
époque de bonheur, se sent saisi de doute et d'an-
goisse on se demande si jamais de pareils jours
reviendront, si le destin ne vous guette pas, tout
prêt à vous frapper. »
« Enfin vous voyez du moins que vous avez bien
fait de rester et de ne pas vous laisser rebuter par
les difficultés, me répliqua Herzen; la dame russe
dont je vous avais parlé n«* peut pas venir, elle s'est
mariée et je viens d'apprendre qu'elle a son foyer.
Un couple forme un monde à part et ne peut pas
s'occuper d'une autre famille. Restons ensemble,
continuons à travailler, et cherchons à conjurer
ainsi le mauvais sort. »
Toutefois nous restâmes à Richmond, que nous
-aitnions-heaueGUfh -NmHrapprhnes avec émotioirqTO"
Richard Wagner avait été appelé de Zurich, où il
vivait exilé, pour diriger les concerts de la Société
philharmonique à Londres, J'ai déjà dit que j'avais
ht en Allemagno ses livres, la Musit/it<> do l'arcnh\
F Art cl la /tèrolulioti et l'Opnv et le Jinime, et
que l'impression profonde que j'en avais ressentie
m'avait fait écrire à l'auteur, que je îuv connaissais
pas. Plus tard j'avais lu le texte du 7'annhantscr, «le
Lohengri» et de V Anneau des JS'ibelungen. Bien son-
vent, dans ma jeunesse, au temps oit mon admiration
passionnée pour le théâtre m'avaitfait désirer ardem-
ment de devenir actrice, afin de pouvoir m'identifier
en quelque sorte avec l'idéal, j'avais pensé que le
théâtre pouvait devenir un moyen de culture, à con-
dition que l'art fût conçu comme un sacerdoce, ses
adeptes des prêtres chargés d'exprimer et de com-
muniquer aux spectateurs le saint enthousiasme
dont ils étaient remplis. Plus l'Église avec sa morale
orthodoxe me semblaitaride, moins j'y trouvais cette
source vive, sacrée et poétique de l'enthousiasme
que je cherchais, plus je comprenais l'importance
du théâtre. Je n'hésitais pas à lui donner dans ma
pensée la première place parmi les institutions qui
font la culture et la grandeur morale d'un peuple.
Le génie, qui résume en lui les vues suprêmes de
la nature sur une nation, et la masse sont là en pré-
sence l'un donne, l'autre reçoit, et cet échange de
sentiments et de pensées me semblait la plus haute
expression de la civilisation. Plus tard, entraînée
par le courant politique et ma compassion pour la
misère du peuple, j'avais perdu de vue ce bel idéal.
Jc~o:foyai5~fêTOiëTnént ^"àlïTSlënî^I^rrcfânsTir^rîë,"
mais il me semblait qu'il y avait un long et pénible
travail à entreprendre avant d'arriver à cette fin; il
laiitul tlrtncher la terre inculte avant que celle flo-

que je
une
raison suprême y lult germer. Dans les écrits de
Wagner j'avais théorie complète de ce
n'avais enlrevu el pressenti que vaguement.
L'importance du drame musical m'avait frappée,
et
ces IoxU-h admirables me Firent compremlrc quel
preslige ln musique devait y ajouter et quelle
influence efficace, noble et profonde
d'art ces œuvres
dramatique devaient produire
L«> d«'«sir d'entendre cette musique
sur l'auditoire.
était devenu un
besoin pour moi, mais je
ne voyais pas le moyen de
le réaliser. Je fus donc très émue d'apprendre
l'auleur «le ces livres remarquables, de que
textes
si poétiques, venait il Londres. J'appris cesarrivée
son
par la jeune musicienne avec laquelle j'avais habité
autrefois et je l'enviais de rencontrer Wagner
fois i-hoz des amis. Il ne m'était par-
pas facile d'aller à
ses concerts à Londres, le retour à !a campagne la
nuit étant une chose impraticable. lime fallait m'ar-
ranger de manière à passer la nuit en ville, et je n'eus
de cesse avant d'avoir organisé la chose. L'impres-
sion que j'éprouvai à ce concert fut telle
souviens que je ne
me que d'une seule émotion artistique ana-
logue dans ma vie, celle que j'avais ressentie dans
mon enfance en entendant la Schrœder-Devrient.
Celle artiste incomparable m'avait révélé l'art dra-
malique. Elle éveilla en moi un enthousiasme
bornes dans des pièces qui sans
ne m'avaient jamais
enchantée, comme l'opéra de Roméo et Juliette de
Bellmi; grâce son génie, elle transfigurait le doux
badinage des mélodies italiennes; elle lui prêtait
^Jeu^kéjroïque^jme^oé^^iafini^-elle-eirfaisatt-one-- un
noble œuvre d'art. Ce fut aussi une révélation pour
moi que cette musique d'orchestre qui semblait mu
faire entendre pour la première fois des «mures que
je connaissais depuis longtemps. Je fus surtout
frappée de l'interprétation de l'ouverture du A*v»/«-
rhûtz. Admiratrice passionnée de Weber, j'avais
entendu fort souvent, tous ses opéras, notamment lu
Frcyschitls que jo savais presque par euuir, -Or, il
me sembla entendre l'ouverture, ce tableau poétique,
pour la première fois, et je compris tout à coup
que c'était ainsi qu'elle devait être jouée. Toute la
légende de la foret, avec son charme, ses terreurs,
sa douce innocence et sa poésie m 'apparaissait tout
à coup comme une nouveauté. La personnalité du
chef d'orchestre n'y était pour rien, j'étais trop loin
pour le voir nettement, mais il semblait que de son
bAlon les vagues d'harmonie s'épandaient
sur l'or-
chestre et que les musiciens, inconsciemment,
jouaient mieux qu'ils ne l'avaient jamais fait. Jamais
je n'avais rien entendu d'analogue en Angleterre, oit
cependant les bons concerts ne manquent pas.
On peut s'imaginer avec quelle joie j'acceptai
quelque temps après une invitation d'Anna, qui me
demandait de venir passer une soirée chez elle avec
Wagner. Rien d'autre n'eût pu me déterminer à
quitter de nouveau mes chères enfants pour deux
jours, car loin d'elles j'étais toujours tourmentée,
inquiète, mal à l'aise. Mais je ne pus résister
au
désir de voir Wagner. La manière froide, réservée,
avec laquelle il accueillit notre chaleureuse bien-
venue, me surprit tout d'abord. Je me l'expliquai
-WentM- lorsqu'il nous- etrt~dit^ranchemeHt^qae~cè~
séjour en Angleterre lui était peu agréable et qu'il
n'nvnit pas lieu d'en être satisfait, En elVet il y avait
eu dès l'abord entre lui et ta soetélé anglaise, saturée
du culte de Mendclssohn, un antagonisme que révé-
laient les comptes rendus et les critiques musicales
de la saison, oit entre autres absurdités il avait été dit
par exemple qu'on nu pouvait attendre rien de hon
d'un chef d'orchestre- qui dirigeait par cœur même
los symphonies de Beethoven. On parla
peu de ce
sujet. Let conversation porta presque tout entière sur
les œuvres d'un philosophe dont te nom sortait
tout a coup de l'oubli, oit on l'avait laissé pendant
un quart de siècle, et qui brillait maintenant
d'un vif éclat. Ce philosophe était Arthur Scho-
penhauer.
•îe me souvenais avoir vu dans
ma jeunesse à
Francfort un petit homme, vêtu d'un paletot gris
avec plusieurs collets, se promener tous les jours à
la même heure le long des quais, suivi d'un barbet.
Je me souvenais qu'on me l'avait montré en disant
que c'était Arthur Schopenhauer le fils d'une femme
de lettres, et qu'il était complètement fou. Un de
nos amis, un sénateur, un homme très considéré,
qui prenait ses repas dans le même restaurant que
lui, avait coutume de le tourner en ridicule et de
nous servir des anecdotes sur son compte. Je ne
l'avais plus jamais entendu nommer jusque dans
les derniers temps, où il fut à diverses reprises
question de ses œuvres; elles étaient publiées depuis
longtemps, mais on commençait seulement à les lire;
les uns le considéraient comme le plus grand phi-
– -losepfte-depHis-Kmit; ter mitres îe"pîâçsïïënf~blëfi~
au-dessus do lui, Je ne sois comment Frédéric
Atthaus avait appris que cette dernière opinion était
celle de Wagner; il amena la conversation sur
Sehopcnhauer et pria Wagner d'exposer les idées
fondamentalesde sa philosophie, qu'il ne connaissait
pas non plus. Le mot qui me frappa le plus dans
cette conversation fut. l'expression de la « néga-
tion de la volonté de vivre », que Wagner donnait
comme le terme oit aboutissait la conception de
Schopenhaner. Ilabituée à considérer la volonté
comme une force qui détermine notre moralité,
bien que je n'eusse jamais su, dans ma pensée,
concilier ses limites manifestes et la doctrine chré-
tienne du libre arbitre, cette proposition me semblait
tout à fait incompréhensible; je n'arrivais pas a
voir dans la négation de la volonté de vivre la tAche
suprême do l'humanité. J'avais, en eflel, toujours
pensé que le but de l'existence était de diriger la
volonté vers un perfectionnement moral incessant
et vers l'action. Mais ces mots me semblaient une
énigme que j'étais décidée à résoudre; ils m'atti-
raient, ils me semblaient la clé qui pouvait me mener
vers la lumière définitive que j'avais cherchée toute
ma vie. La soirée se passa sa*ns que nous nous
fussions rapprochés. J'étais d'autant moins satisfaite
de cette entrevue que j'apportais it l'écrivain, au
musicien, un enthousiasme chaleureux. Afin de
n'en pas rester à cette impression,j'écrivis à Wagner,
a quelque temps de là, le priant de venir à Richmond
où Herzen' serait heureux de faire sa connaissance.
II r_efus_a_I~i_nvitation,à monyif r~r_e_l, di_s_anl _guu'il._
était sur le point de partir et s'excusant de ne
pouvoir venir parce qu'il avait encore beaucoup à
fa in» avant son départ.
l'ue déception nous était réservée dans nofro
cercle intime. Kngelson, dont le tempérament irri-
table cherchait toujours «le nouveaux prétextes pour
s'attaquer aux uns ou aux autres, était de la plus
niéehanle humour du moudo, et cette fois c'est à
lier/en lui-même qu'il s'en prit. Au commencement
de la guerre do Crimée il avait fait une invention
dont il attendait merveille. Il avait imaginé de
répandre en Hussie,au moyen de ballons qui devaient
éclatera une certaine distance du sol, des brochures
révolutionnairesdestinées à soulever les populations
des campagnes contre le despotisme. Je ne me
souviens plus comment il voulait introduire ces
ballons en llussie, ni comment il voulait les y faire
lancer. Je sais seulement qu'il était tout feu et
flamme pour son projet, qu'il trouvait le moment
très propice, la guerre étant très impopulaire parmi
les paysans, oit elle enlevait les pères et les fils aux
travaux (les champs. Il comptait aussi sur la super-
stition des paysans, à qui cet appel, tombant pour
ainsi «lire du ciel, allait inspirer un zèle fana-
tique. L'invention lui semblait si importante, le
succès si certain, qu'il mit tout en œuvre pour faire
aboutir l'entreprise. Ilerzen lui semblait trop tiède,
trop sceptique à l'endroit de son idée. II s'adressa
donc par un intermédiaire à l'empereur Napoléon,
qu'il croyait capable de comprendre l'opportunité
d'un pareil moyen, et qu'il jugeait apte à faire le
_nécessaive*4l-f*»t-eneore-déçirt}an5xettëëspéfânccT"
la réponse qu'il reçut de Paris fut négative. Lui-
mémo n'avait pas les moyens de mettre son projet
à exécution et cet éeluv le remplit de dépit. Il
tourna toute sa rancune contre Ilerzen, l'accusant
de n'avoir pas voulu se servir de ce moyen de com-
battre le despotisme, en Russie. Kn vain Ilcr/cn lui
avait-il expliquée diverses reprises qu'il ne. souhaitait
pas qu'il y eut do soulèvement en Russie, que lo
moment n'était pas opportun, une révolte ne pouvant
amener 4|uo des représailles, ueuUHiu motnu un«
intervention des alliés, et que font au moins un
soulèvement risquait d'enrayer tes réformes qu'on
était en droit d'attendre du gouvernement s'il était,
battu. Il était d'avis qu'il n'y avait rien à faire pour
le moment, qu'il fallait voir l'issue de la guerre et
ses conséquences. A ce motif de mauvais vouloir
venait s'ajouter la jalousie littéraire. Ilcrzen venait
d'avoir la visite d'un vieil t»mi de Moscou, le premier
qui cul réussi a venir le voir incognito. 11 lui appor-
tait une quantité d'objets qui lui appartenaient. Tous
ces souvenirs du passé étaient pour celui-ci une
joie extrême, bien que mêlée d'amertume. Ce qui le
rendait surtout très heureux, c'était le succès pro-
digieux de ses écrits, importés en Russie, et que
lui dépeignait son ami. Il lui raconta qu'on était
venu le réveiller au milieu de la niyl pour lui confier
une nouvelle de la plus haute importance, l'ar-
rivée de la première feuille de Ilerzen imprimée à
Londres. On s'était mis immédiatement à la lire,
puis eue avait passé de main en main, on l'avait
copiée, dans la crainte de n'en pas recevoir beaucoup
^exemplaires- ^étai t- avec-Btt-entlmasiasme-tîrofe^
sant qu'on attendait chacune des publications posté-
rieures. Toulon l««s espérances et tous les efforts «lu
parti progressiste se mirent sous la bannière du
nom »le Her/.en, Le premier numéro de la revue
trimeslrielle l'Étoile puhiri\ avec la vignette des
cinq martyrs, reçut un accueil chaleureux. G'tUaienl
surtout les travaux do Uer/.on qui eurent du suc.
ces, tandis qu'un article «l'Engelson, intéressant,
mais d'une l'orme un peu lourde, avait passé ina-
perçu. Cela mil le comble n la colère de celui-ci.
Ilcrzen me dit à plusieurs reprises que les rapports
devenaient presque impossibles avec Engelson à
cause de son humeur agressive. Or, un matin, tandis
que je lisais avec Natalio, Engelson entra; il se mit
à marcher de long en large dans la chambre, il était
très agité, il faisait des sorties amères contre Hcrzen
et se démenait comme un fou. Je le priai d'abord
amicalement, puis de plus en plus sérieusement, de
se calmer, H de songer qu'il parlait devant la fille
de Herzen. Mais il n'y avait pas moyen de le modérer
dans son aveugle colère. Tout à coup il s'arrôta
en face «le nous, tira un revolver de petit calibre de
sa poche, et le braquant sur nous, sans savoir ce
qu'il faisait, il dit « Voyez-vous, ce revolver est
toujours chargé et je le porte toujours sur moi; on
ne sait ce qui arrivera un jour si la colère me
prend. » Natalie eut très peur, je restai calme, le
regardant bien en face, et je lui dis « Commencez
par mettre cette arme en sûreté, afin qu'il n'arrive
rien que vous ayez à regretter toute votre vie, puis
rentrez chez vous et calmez-vous. Je viendrai vous
JiBiifiC -iouLà J'iieure.. »_ JHoa air-4*anq«iHe~ le^ahna-
un peu et il partit. Je rassurai Natalie et je la
priai do ne rien dire tout d'abord A son père, puis
jo réfléchis à co qu'il fallait faire. 11 fallait agir vite,
cela me paraissait évident, car si Herzen avait
entendu parler de l'incident a co moinenl-la, il en
eut été si révolté qu'un conflit devenait inévitable.
Le mieux était d'obtenir d'Engelson une rupture
immédiate afin d'éviter une rencontre, toute récon-
ciliation me paraissant impossible dans son état
do surexcitation. Si la rupture se faisait tranquil-
lement, peut-être plus tard, le calme étant rétabli,
pourrait-onreprendre les relations, bien qu'uncamilié
sujette à de pareils accès ne me semblât guère pré-
cieuse. Ayant fait ces réflexions, j'écrivis à Engclson,
je lui rappelai toutes les conversations que nous
avions eues ensemble, je lui parlai de nos doctrines,
je l'engageai à songer que pour des gens de notre
bord le revolver n'était pas un moyen d'aplanir les
malentendus, je lui déclarai enfin nettement que si
une loyale réconciliation lui paraissait impossible,
il ne restait qu'un moyen, c'était de se séparer avec
dignité, et que par respect du passé chacun devait
suivre sa voie. Je l'assurai pour ma part de mes vifs
regrets et de ma sincère amitié, mais je lui dis que,
le cas échéant, il me faudrait prendre parti et re-
noncer à son commerce, que je devais céla à Herzen
et aux siens. Je le priai de donner l'exemple de la
résignation, seule solution de ces conflits sans
remède et qui nous laisserait peut-être l'espoir d'une
réconciliation.J'expédiai la lettre avant que Herzen,
qui était justement à Londres, se doutât de l'af-
fairep-ei-je-reçiis-da suitc-^nc-Téponscr-EngclsoTr-
m'exprimait toute sa considération personnelle et
m'envoyait son adhésion a ma proposition; il me
promet lait formellement d'éviter à l'avenir toute
occasion de cotdlit. Lorsqm» Herzen revint le soir à
la maison, je lui racontai l'histoire et je lui montrai
les lettres, il en fut aussi ému que moi, mais il me
remereia de mon interveiiliou, qu'il qualifiait d'un
vrai service d'ami. Voilà comment cet homme ori-
ginal et remarquable, mais maladif et malheureux,
disparut pour toujours de noire, vie. Peut-être son
opiniâtre dépit, qui le tint éloigné de nous, eut-il
lini par céder avee le temps; c'est la mort qui l'en
empêcha elle acheva ce «pie l'exil avait commencé.
Kngelson mourait victime des infirmités et de la
misère auxquelles le despotisme insensé de la Russie
a condamné plusieurs générations. Voilà les termes
amers dans lesquels Lermontofl" dépeint la sienne
« Je considère notre génération avec chagrin; son
avenir est vide et obscur, elle vieillira dans l'inac-
tion, elle succombera au poids du doute et d'une
science stérile. La vie nous fatigue comme un
voyage sans but. Nous sommes comme ces fruits
précoces qui poussent avec les fleurs ils ne satisfont
ni le regard ni le goût et tombent avant de mûrir.
Nous allons vers la tombe sans avoir connu le
bonheur ni'la gloire et avant de mourir nous jetons
un regard plein d'amertume et de mépris sur le
passé. Nous passerons inaperçus, une foule
sombre, silencieuse, oubliée. Nous ne laisserons
rien à la postérité, ni une idée féconde, ni une œuvre
de génie. Nos descendants railleront nos cendres,
dans -ilJJ~lqllQ- .ép..if".rnmm.tLJllépl'i'iarne.-01La\éee-le--
sarcasme avec lequel un fils ruiné parle des excès
de son père. » Leopardi, dont la vie courte «t don-
loureuse coïncide avec la période d'asservissement
de l'Italie, au temps oit on ne voyait pas poindre
encore l'aurore de jours meilleurs, exprimait lui aussi
cette douleur sans espoir
« Repose-toi pour toujours, ô mon cœur fatigué.
Elle a péri, l'erreur immense de me croire immorlel.
Kilo a péri! Je sens que l'espoir, que le désir
même des douces illusions n'est plus. Repose-toi à
jamais, tes émotions ne servent à rien et la terre
ne
vaut pas un soupir. La vie est amère et ennuyeuse
et le monde est de la fange, Calme-toi maintenant,
que ce soit ton dernier désespoir. Le sort n'a donné
à notre génération que de mourir. Méprise-toi,
méprise la nature, cette puissance odieuse qui règne,
cachée, pour faire le mal; méprise l'infinie vanité de
tout. »
Hélas! Leopardi et Lermontoff étaient une élite
de leur nation, des êtres favorisés par la nature,
comblés dès le berceau de tous les dons de l'esprit
et de la poésie
De même Engelson était un esprit d'élite! Devant
quel tribunal les despotes auront-ils à répondre des
intelligences qu'ils ont brisées dans leur fleur, des
grands cœurs qu'ils ont déchirés, des âmesauxquelles
-ils ont ravi la liberté, cette lumière de la vie, et qu'ils
ont laissé étouffer, en transformantleur pays en un
vaste cachot?
Après cette séparation pénible, Herzen
d'aller passer quelques semaines jà_]^ntnor_dans_.proposa
fîlëlTe WîghTTÇous en fûmes ravies, les enfants et
moi. Nous primes une maison confortable
au bord
de la mer et peu a peu nous retrouvâmes notre
sérénité sur coite côte ravissante. Les Pulsky y
étaient aussi. Ils venaient souvent le soir et je
jouissais de cette intimité avec Thérèse dont la
noblesse d'Ame, la nature sérieuse et tendre se révé-
lait davantage dans cette vie calme que cela n'était
possible dans l'agitation constante et les émotions
politiq ues de la vie de Londres. C'est là que nous
apprîmes la prise de Malnkofi"; la chute de Sébas-
topol et la fin de la guerre étaient à prévoir. Nous
fûmes doublement heureux de cette nouvelle; non
seulement parce que nous désirions la paix, mais
aussi pour la Russie, car il était probable que l'em-
pereur, après la fin de cette triste guerre qui lui
avait été léguée, s'occuperait des réformes.
A notre retour, il fut décidé que nous allions nous
fixer à Londres, le fils de Herzen devant suivre
des cours et aller travailler dans le laboratoire du
chimiste Hofmann. Natalie aussi avait besoin de
prendre quelques leçons que je ne me trouvais
pas apte à lui donner. C'est avec un vrai chagrin
que je quittai cette solitude, cette vue ravissante
de la Tamise et de ses rives verdoyantes, le parc
de Richmond, les jardins de Kew, où j'avais passé
tous les jours de si bonnes heures avec les enfants,
cette vie intime et heureuse; nous allions au-devant
d'une vie nouvelle, ouverte à toutes les incei titudes,
exposée aux influences extérieures et au danger
de l'imprévu qui pouvait ébranler ou briser notre
iionheucl–
CHAPITRE XXVIII

Le destin. La séparation.
Nous étions retournés à Londres, et nous nous
étions installés dans une maison située à l'extrémité
du faubourg St-Johns Wood; avec ses nombreux
jardins, d'où on allait facilement à Hampstcad et à
Highgate, nous pouvions nous croire encore à la
campagne. L'enseignement des enfants fut admira-
blement organisé; je fus surtout très heureuse do
confier la direction musicale des petites à Jeanne
Kinkel, qui, bien qu'elle fût une musicienne de
premier ordre, se consacrait surtout aux commen-
çants. Elle attachait beaucoup d'importance à une
classe de solfège où elle développait l'oreille et la
justesse de la voix, grâce à des exercices gradués
sur les intervalles. C'était toujours un grand plaisir
pour moi d'assister à ces leçons de solfège, car, sous
la direction prudente de Jeanne, les enfants arri-
vaient à des résultats surprenants; loin de gâter
l'organe, elle savait le fortifier et l'assouplir par les
exercices qu'elle dirigeait. Je compris l'importance
de cette éducation précoce de la voix. C'est assurer
à l'enfant un avantage presque inestimable, car le
charme de la voix est un des plus grands agréments
extérieurs, souvent plus durables et plus efficaces
-qireHbH^irtfc i^oraœioTrte~votf~
Kinkel, cette excellente amie que j'aimais de tout
mon cœur, était une des choses qui me réconci-
liaient avec notre retour à Londres; d'autre pari, je
savais que j'aurais à lutter contre l'intrusion d'une
foule de connaissances; je craignais de voir troubler
l'ordre et la paix de notre vie domestique, où je trou-
vais mon seul bonheur. J'étais si heureuse, ce bon-
heur me semblait si pur, si complet, que j'écrivais à
ma sœur: «Je ne puis te dire qu'une chose, c'est que
je ne souhaite rien au delà de ma vie actuelle. »
Lorsque ma journée était finie, et que j'avais joui
pleinementde mon travail, qui devenait plus intéres-
sant à mesure que les enfants se développaientdavan-
tage, le soir, des lectures en commun avec Herzen
donnaient un nouvel aliment, une nouvelle impulsion
à mon esprit. Son intelligence lumineuse, samémoiro
imperturbable et ses connaissances étendues four-
nissaient des commentaires si précieux que l'intérêt
et le bénéfice de la lecture étaient doublés. C'est
ainsi que nous lûmes, entre autres choses, un compte
rendu du procès des Saint-Simoniens qui m'inspira
un vif intérêt je goûtai notamment le discours du
Père Enfantin. Il donnait son sentiment sur l'éman-
cipation des femmes; le public tournait cette idée
en ridicule, mais la conception m'en semblait noble
et belle. Dans la doctrine mystique des Saint-Simo-
niens la femme recevait la même consécration, la
même tâche que l'homme. La société devenait une
vaste hiérarchie patriarcale où l'âge, la sagesse et
la dignité seuls conféraient les plus hauts grades. La
femme était considérée comme l'égale de l'homme.
.^nfantro-disaitj-avee «ne-inorfestic-Tarê~"paiimrië"s
hommes d'alors, que l'homme n'avait aucun droit à
limiter l'activité féminine, ni comme législateur, ni
comme ordonnateur des conditions >oci;des selon
lui. c'était à la femme à venir plaider *;» propre cause
et a formuler ««os desiderata cl ses revendications
J'étais d'autant plus surprise et rivie de celle con-
ception de la question, qu'en Angleterre le Parle-
ment venait de refuser une pétition signée par une
élite de femmes distinguées demandant l'autorisation
d'étudier la médecinedans les universités. Je sentais
combien il est vrai que les femmes seules peuvent
dire ce qu'elles considèrent comme nécessaire et
qu'il est par conséquent du devoir de toutes celles
qui pensent de voir clair dans leur cause, afin de la
faire valoir et. de la défendre, soit. dans leur milieu,
soit en public, L'idée me vint de dire aussi mon mot
sur cette aflaire. Sous l'impressionde ce que je venais
de lire j'adressai au Père Enfantin une introduction
à un travail que je me proposais d'écrire sur cette
question.
L'hiver se passa assez tranquillement. La guerre
de Crimée était terminée depuis le commencement
de septembre et les espérances de Herzen de voir
une ère nouvelle s'ouvrir pour la Russie furent d'au-
tant plus vives que l'humiliation de la paix de Paris
semblait imposer à l'orgueilleuse autocratie l'obli-
gation de réformes intérieures pour se réhabiliter
dans l'opinion. Son activité littéraire prit un carac-
tère presque exclusivement politique. C'est surtout
l'émancipation des serfs qui faisait le sujet principal
J~.J~ ~M~Ly ~y~p~~9~~?"i~
d'un avenir meilleur pour la Russie. Toutefois il ne
perdait pas de vue la commune russe avec sa distri-
bution de la terre et sa propriété foncière en com-
iiiiin. Jlans ce maintien «lu tu» organisation primitive
il vmatt Je seul rempart contre la misère «lu prolé-
tariat européen; il > trouvait un principe do justice
politique, la It'i'i'o dcvnnl appartenir a celui qui la
cultive. Il recevait alors «le fréquentes nouvelles do
Hussie, oi» ses éoriU, impt'iin^ i\ .Lonclivit, m r^pnn-e
ilaiciit Iticii plus laeileinent <pr»upnnivant. Tout
cola ajoiituil à la jnic «pii rôgnatl dons notre maison.
Jeanne Kinkel pouvait Uiro saw exagoralton, on par-
Imil <le l'impression <pie lui avait l'aile une visite
elie/. nous
paradis ».
Il me semblât! entrer dans un petit

Le cercle d'amis qui se réunissait chez, llerxcn o


•laïcs fixes était composé de personnalités politiques
moins passionnées, moins agitées que celles que nous
avions vues à Londres pendant le premier hiver. Il
s'y trouvait beaucoup de jeunes gens appartenant
aux diverses nationalités, qu'une sympathie pleine
d'admiration groupait autour de Herzen, et leurs
occupations variées mettaient do la diversité dans
nos entretiens, où la politique avait de moins en
moins de part. Parmi eux il y avait Carl Schurz,
venu quelque temps en Europe pour la santé de sa
femme. llcrzen et lui se lièrent d'une amitié pro-
fonde, et si Schurz nous peignait la vie américaine
d'une manière très intéressante, grâce à la vivacité
de ses impressions et à la pénétration de son esprit,
il écoutait en revanche avec un puissant intérêt tout
ce que Herzen lui disait sur la Hussie, ce pays perdu
dans la brume; tous deux prédisaient à la Russie et
_Ai'Amériiju«i-Uft -a-vampJarUkwt-àIa4ete~de-la^eivfli*^
sation. Une des idées de prédilection de Herzen, à
laquelle il revenait toujours, c'est que l'oeénn Paci-
fique jouerait un jour le r»Me que In Méditerranée
«vail joui» dans l'aneien monde il deviendrait le.
eenlredes Klats civilisés.
A notre eerel© intime s'étaient jointes queli|iies
femme*; le caractère exclusivement politique de nos
réunions s'en trouvait atténué; In musique et d'au-
tres plaisirs leur donnaient une agréable diversité, à
lu joie dos enfants. Anna, il est vrai, venait moins sou-
vent, sa grossesse avancée la retenant souvent ehey.
elle. J'allais passer une heure avec «Ile le plus souvent
possible el je. ,jouissais de mes entretiens avee. colle
nature aimable et élevée, A qui l'atlenled'un bonheur
maternel tardif donnait une grandeur recueillie, .le
passai avec elle une heure du dernier jour de jan-
vier. Nous causftmcs avec abandon, et naturelle-
ment notre conversation portait sur le jeune être
qu'elle attendait. Elle parlait avec beaucoup «le
calme de l'éventualité de sa mort, bien qu'elle sou-
hailut plus que jamais de vivre. Je la quittai, le comr
plein de tendresse pour elle, et elle me chargea
encore en riant de toutes sortes de messages humo-
ristiques pour Ilcrzen. Le lendemain matin, avant
le jour, je fus réveillée par un coup frappé a ma
porte. Je me réveillai effrayée; c'était Ilcrzeii qui
entrait, une lumière à la main, pAlc et défait, cl
quand je lui demandai, en sursaut, ce qu'il y avait,
il me répondit d'une voix tremblante « Je viens de
recevoir un message de Charlotte Anna est morte
subitement cette nuit. » Je fus comme pétrifiée de
ce- trowp–sr inattendu. -M^abJHep-et– y «aimeSuL-
Taffaire de quelques instants. La chose n'étai» que
Irop vraie! Celle qui* j'avais quittée In veille, floris-
*anle «ni apparence, el »»n |*I**jti«* possession d'elle-
même, élait couchée là, froide <<l immolait' avec la
Ncur qui n'était pas née et qui nous fut au moins
demeurée la vivante iiiut»»' de sa charmante mère.
.Ma tltMilciir se lui «lovaul rt'llt* «lt> l'iôdôcif, qui jut-
dtiil «l'un r«m» «l**ttx Ui'sorH, lo pnWnl «•! ritvt»»îp,
l.a niurl uvail «*'l«; subile, »»» plrim» ronnaîssanco, rt
h rjqmlc qu'on n'avoil |»u suiivt«r hiji'iuu* vie. Ih«raen
viul (oui snilr ;i|M'<\< moi cl il t*s( iui|uissif>l(> <|«>
il«»
dire la clialcur «le niMir et l'allVcUon qu'il nous
l('inoif>ua. llappoiiail uu(>qiinnlil«'><lo llnns inagni-
li<|uos juiur ornrr lil où reposait la morte, ('elle
l<-
helle eoiitiinie ihilienne lui rappelait la eouehe.
ruiit'luv où peu de lenips auparavant il avait vu
reposer ee qu'il avait eu île plus cher fut momie.
C'est dans eeseireonslanees qu'il révélai! .son nnir;
ceux qui ne le connaissaient qu» comme politicien,
par sa polémique accrlic, ou par sou esprit comme,
homme du monde, no soupçonnaient guère cette
Ame Icndrc. en lui.
Les deux soirs suivants, nous nous réunîmes dans
la maison nioiiuaire, Frédéric et Charlotte, Schurz
et sa femme, Ilerzen, son fils cl moi. Ileizon nous
lui une dos plus belles choses qu'il ait écrites et qu'il
avait traduite en toute hAle du russe le matin môme
pour nous. C'était un souvenir de Home, de 18-Î8,
cette époque d'enthousiasme, où, avec sa femme et
quelques amis, il avait pris part aux fêles populaires,
animées et joyeuses, où on rêvait de liberté. La
manière dont iljîécrivailj^es JtHes LJUajLsjJifillC-SL-
dramatique, si idéale que notre douleur en fut comme
adoucie, .le retins awc uni*émotion reiM^nnai^nnl»»
|i> délicat ItMiioi^nti^v d'amitié qu'il me donna, eu
iii'titVraiil lu bruelnm», avec ces mots inscrits mu* la
première pa#e « J»% mots ««es feuilles, comme mu»
petite couronne de pal«»s imitmrlcllcs ti «««Mé «|<>s
fleurs qui purent, colle que nous {ilom'uiis, cl je vous
J««s «Ii^ilio nu lomlomnin «lu jour oit vous (wnlllcs

Milrc amie. »
A «jtfelfjwtâ jours de là, le petil cercle d'omi* que
j'ai nommés (ont à l'Iu'iirc, Ibrmant un (rislc cor-
I «>»•(•, parlai! poui'l» Iteau cimctitnHulo Ili^li^nle, où

une l'ois tlôjà j'avais cto avec llci'eu au lionl «l'une


tombe. La pince oit Anna imposait élail hcllc. Iticii
no nous I rouillait, ni pnMn-s, ni clrnn^M's. ni iu«lillc-
l'cnls. Scliui'K tlil (picltpicH paroles admii-nhles «pii
lomlH'i'cnl comme «les rosés «le printemps sur lit ccr-
nieil, et il nous semlilait «pie la morte, souriaule et,
transfigurée, planait au-ilessus «le c«'ll<> «lerni«'>re
demeure où nous déposions sa dépouille mortelle.
Nos amis passèrent toute la journée il ln maison, et
si «|iiel«|uc chose avait pu augmenter notre admi-
ration et notre antiltà pour llcrzcn, son attitude à
cotte occasion et en ce jour l'eussent fait.
Au commencement du mois d'avril nous félames
l'anniversaire de Herzen par un petit examen oit les
enfanls eurent à rendre compte de leurs progrès.
Le matin, à son premier déjeuner, il trouva sur
la table, à sa place, une invitation à y assister; l'exa-
men eut lieu après le déjeuner; il donna les résultats
les plus satisfaisants. Toute la journée nous res-
lâtueadans uuc disposition, d'esprit javeux^et le soir__
nous la terminâmes très galmenl avec nos amis
intime*, tilli prenaient une part 1res vive au déve-
loppement tics enfants. Kn nous séparant, je dis A
||«>r/oi) «. tëh Mon, partis des antipodes, nous
avons fi'iiiii'h) ensemble |<t /one du doute el ,tes
|«*tii|MMt»s, et nous voila, je l'espère, arrivés nu
|iorl. »
L'homme csl-il (ôiniH'aii'o «te complet* sur la tlmuta
«lu lionliciir, in^nio quand ce boitlieur os|. l«» fruit
d'un loyiil lalioui', d'un olVoi't d<;sinl««r«sst>'?oit hion
do |>«irlid»'s «Ii*iii«uih guotlonl-ilH lour proie, jaloux do
voir un»* oxistonoo «<»n«|ii«'<iir la
paix, ol vionnonl-ils
arraclHU' vioU'iuiiun»! les Ames à «%es belles illusions
dont elles so Iiercenl? Je ne sais, mais trop souvent
dans la vie, <|iielquo brusque revirement vient trou-
bler noire quié'iiide, comme si le destin voulait nous
mettre à l'épreuve, et voir si nous sommes toujours
entrasses, si nous nous souvenons toujours que la
vie est une lutte et non lin repos. Quelques jours
après la ItHe de llerzen, nous étions a table, en
train de déjeuner, lorsqu'une voiture chargée do
malles s'arrêta devant la maison. Je pouvais la voir
de ma place, je me levai en m'éciïant « C'est Oga-
relï! » (Vêlait le nom de l'ami d'enfance de Ilerzen,
qu'il aimait par-dessus tout et dont il m'avait tant
parlé qu'il me semblait le connaître déjà. Il venait
d'épouser la dame qui avait Au se charger de l'édu-
cation des enfants et que Ilerzen avait longtemps et
vainement attendue. On n'avait pas eu d'Ogarcff* la
moindre nouvelle, personne ne savait qu'il eût
quille la Russie, où il était sous la surveillance de
la police it cause de ses opinions politiques, mais
^.u^JîÇÇ-?seniiMeJltme_diLqufij:ejnepouvait4lF<vq4ie-
lui. Horzen, qui craignait toujours que quelque
rltosiMie vint troubler sa vie, alla a eontr«M>icura
la rencontre de l'étranger, dan* l«*«|»i«*l en effet it
reconnut l'ami d'enfance qu'il n'avail pus vu depuis
tic si langui»* limitas, II nous ramona ainsi que sa
femme et nous présenta les uns aux autres. Il
arrive parfois qu'une voix intérieure nous avertisse
«lan» r-orloinos druouslttiico», avec un« «*c»rlil»i«l«*
ulisohio, do quoique soinlniiu» nuiililiiuilionîle noire
tlrctnrôe; c'est w que }V|ir«uv«i- à co moment-la.
Ces pressentiments étaient pour les anciens la voix
des dieux; elle retenait l'homme au bord du pré-
cipice, ou bien elle l'entraînait à sa perle, s'il se
trompait sur le sens de l'avertissement prophétique.
J'étais prévenue en laveur de ces amis d une maison
qui m'était si chère, et cependant, en les voyant
devant moi, je sentis la main glacée du destin
inexorable qui noue et dénoue les liens de l'alloc-
tion sans demander si des cœurs se brisent.
Il était à prévoir que cette visite bouleversera»!
notre vie si réglée. Avec cet ami, c'était pour ainsi
dire l'enfance de Ilcr/cn qui lui revenait tout
entière, c'était sa patrie, son pays natal, les joies et
lcs souil'ranccs du passé, cl leurs communes espé-
rances. C'est avec cet ami qu'un jour, à l'âge de
treize ans, sur une colline près de Moscou, aux
rayons du soleil couchant, llcrzcn avait juré de
venger Pestel et les autres victimes du quatorze
décembre. Herzen était profondément ému de le
revoir, d'autant plus que son ami était soulïranl et
que sa santé inspirait les plus grandes inquiétudes.
Sa fcmmc^avait-étg^'tunie inUme^4arfei»me*k»-
Ilerwn. Kilo avait pas*»1 avec sa famille la première
période «le leur exil, époque mouvementé, pleine
dYspérniiees, aux «««virons «le IHiH; ««Ile avait vécu
av«««# lt«s lier/eu «'« Italie et en Franco.
KHo aussi
nppoitail «loue (oui un momie «le .souvenirs, les uns
^lorieux et heureux, les autres douloureux, car elle
n'avait pas revu Ilerzen «lepuis la mort de sa
reninie, »pte tous deux avaient année passionnément.
,1e e«»i»|irenais fort hien que Ili«rxt*n fAI repris (ont
t«ulii*r par le passé ot «ju'au U«M»ut noire vie «lomes-
lîque s'en ressentit. ,|e respeelais ses sentiments; il
me semblait naturel qu'avec un wunr si ouvert à
rnlVcclion llerzen l'Ai loul entier à un évênemenl
«pii primait toutes les a ni tes considéra lions. Mais
j'espérais que peu a peu chaque chose reprendrait sa
place et que l'organisation de til vie que je «onsi-
«lérais comme essentielle au hien «les enfants repren-
drait ses droits, ,1c sentis, il est vrai, dès ce moment
«pie j'aurais il lutter encore une fois et plus vigoureu-
sement «pic jamais avec la nature russe, dont j'avais
triomphé chez Her/en d'une manière si complète et
si heureuse en ce qui concernait les enfants. Je la
retrouvais dans toute sa force surtout citez Mm" Oga-
relV, «pii avait toutes les particularités caractéristi-
ques tic sa nation, alliées à un patriotismefanatique.
J'espérais toutefois que llcrzcn, averti par l'expé-
rience, prendrait cette fois l'initiative et qu'il régle-
rait notre vie de manière à sauvegarder l'exercice de
mon influence. Je laissai donc les choses suivre leur
cours, m'efforçant, pour ma part, par mes atten-
tions et mon aménité, de faciliter nos rapports. La
chose me sembla d'autant jn^ojns jpém^ble^que rami
de Horzen m'inspirait nne sympathie réelle et pro-
fonde et une compassion sans bornes. Je savais par
Hor/oii à «|iirlU* noble ualure avais atïaire. Je eoit-
uaissai* sa vie t»l je savais qu'il était une des
viotimes V|iH» Yi'vë mMash' ~t\? Nicolas iivait-rhuMos
|»aiini IV«lil« «le lit Uussie. One d'li»»mines a\ aient
tlé|têri dans la lourde nimusphiuv d'un desjinlisiiM*
funeste, ei«He enhave il (uni dewhinjtemeiit inlelleiî-
luel! Les hommes doutas tl'niie |u«rs»iiiuiUli* puis-
smile ol qui s'élaienl nud^-é tout IVavé une voie
avaienJin'is une atlilude viiitente; ils clM-rrliaieul û
sV-lounlir par des exeeulrieilés pour oublier ipùtuo
vie harmonieuse et utile leur avait vlé refusée. Ojça-
relï lui aussi avait mené une vie orageuse dans ses
voyages a travers l'Europe, ft Inquelle avait smutédé
une vie contemplative el solitaire dans les forelsel
les steppes de lu Uussie. Il avait vu décliner ail rare
organisation, ses dons intellectuels, une fortune
brillante, sans qu'il restai de sa jeunesse une trace
utile. Toutefois on pouvait lui appliquer le mot tle
Schiller
« 11 y a de
la noblesse aussi dans le monde mo-
ral; les âmes vulgaires paient par ce qu'elles font,
les grandes urnes par ce qu'elles sont. »
A en juger par l'opinion unanime de ses amis,
rinlluence de sa personnalité avait été considérable.
lierzen m'avait dit souvent « Qui saura jamais
tout ce que nous devons, moi et d'autres, à la
parole efficace de cet homme! » Il était né pour la
poésie plus que pour la politique et les poésies
russes où se révélait son âme avaient été publiées
par Herzen. Il avait toujours été taciturne, il l'était
plus quo jamais, sa santé étant gravement atteinte;
il reslail parfois pendant des heures absorbé dans
s» pensé»», sans prendre la moindre pari « la conver-
sation, Malgré cela sa boni»» évidenlo et ses souf»
frunees muette* m'atliriuV ni et m'inspiraienUa plus
vivo sympathie
L 'impression que m« lit la «lame russe «tait toute
difléreute. J)ôs aoii-amvtV j'avais senti qu'il entrait
ipiclipi'un dans ma vie qui n'y oxot-verait pus uuo
iiillucnuw bionlaisanlf, ut malgré tous mes elïorls
jnnii* awivw à une entente cordiale, il me restait ult
vague malaise, une appréheusion d'avenir, le senti-
ment «pie nos deux natures no pourraient jamais
s'a«tcurder. Je ne pouvais arriver à tirer au clair
mon opinion sur cette étrange personnalité. Je no
nie sentais jamais & l'aise en sa présence, et sa
nature d'une sauvagerie singulière m'embarrassait
moi-même. Je crus comprendre que ma situation
dans la maison l'avait surprise d'une manière désa-
gréable»; elle pensait sans doute trouver quclquo
gouvernante banale et elle comptait prendre auprès
des enfants la place que leur mère lui avait des-
tinée avant de mourir. Au lieu de cela, elle trouvait
une amie qui lie demandait qu'à remplacer et la
maîtresse de maison cl la mère des enfants. De plus
les habitudes allemandes lui étaient odieuses et
beaucoup de dispositions que j'avais prises dans
l'intérêt des enfants étaient en contradiction avec ses
habitudes russes. Je n'en donnerai qu'un exemple.
J'avais obtenu à grand'peine de Ilcrzen qu'il renon-
çât à rapporter tous les jours, à chacune de ses
promenades, des jouets inutiles aux enfants; je lui
démontrai que cela ne sert qu'il cmousscr In plaisir
des lions utiles H à éveiller le $»«»nl de I» destruc-
tion, qui nVs| que trop souvent naturel aux cillants.
Or, la «lame russe avait lu passion «le combler les
enfants de cadeaux.- EH»»-- tn«^ *HI un jour qiiVII»» nu
puiivail passer «levant t*<s hcaux magasins «I»
Londres sans «lésirer tout acheter pour le rapporter
aux enfanta.- Ce Irait t»sl e^entiellt^iu«>nt rttKw*. Vtw
aulre «lame russe m'avait tlit un jour qu'elle voulait-
combler son fils unique «le tant «le caùeaux qu'il en
fût blasé et qu'il pertlitloul plaisir à posséderquel-
«pie chose. J'essayai en vain «le faint parln^er à
M"10 Ogarclï nui inani«'<re «l«> voir. Elle «*onlinua a
l'aire des cadeaux aux enfants et ne cessa
que
lorsque Hery.en, que j'avais «iiseriMeinenl averti «le
cette iv«>rudescenee «lu mal, y eût opposé son vélo,
he seniblabh^s divergences d'opinion se produi-
saient sur tous l«'s points et sur des questions
plus importantes encore. Ilerzen souhaitait, et «-««la
était naturel, que M" OgarelV s'oocupAl beaucoup
«les enfants, quelle leur parlât «le leur mère, qu'ellu
leur enseignAl le russe et leur fit autant que pos-
sible connaître leur patrie, «ju'ils n'avaient jamais
vue. Si tout cela s'était fait d'une manière simple et
naturelle, venant s'ajouter comme un appoint à la
-vie que nous avions déjà, nous aurions pu tout
concilier. Mais comme je l'ai déjà dit, il y avait
quelque chose, un je ne sais quoi de pénible dans
nos relations; j'essayai de me le niera moi-même,
mais le fait m'accablait tous les jours davantage,
me remplissant d'inquiétude. Puis, après le travail
de la journée, qui était souvent une tâche fati-
gank\ malgré l'amour que j'y apportais, la causerie
et la lecture avec Her/en, qui me récréaient autre-
lois, vinrent a me manquer. La langui» russe et les
tnlérêls russes, bien que la première nt» nu.» NU pas
demeurée étrangère et que j'eusse appris a promire
une part très vivr aux autres, lie m'etaienl e«»|K»n-
ilanl assez t'aniiliers pour «pi'mu» conversation
pas*
aussi exelusive j>ùt me ehariner. A mon chagrin, je
«MHislatiu que lier/eu, IhlM» à sa nalure, hùssail de
itoiivenu aller lus «lioses, espérant loujours qu'elles
s'arrangeraient et craignant de tjcsspr tes uns ou les
antres par son intervention.
Les fautes qu'il avait commises une fois en ne
sachant pas régler les rapports do personnes desti-
nées n vivre ensemble, il les commit de nouveau.
Mais celle fois elles eurent tles conséquences plus
funestes qu'autrefois. Lorsque je vis poindre un
désaccord sérieux, j Vu avertis doucement Ilerzen,
Je croyais pouvoir exiger de lui qu'il prît mon
purli, et qu'il m'aidAt a défendre la paix de lu mai-
son qui me semblait menacée. H ne s'agissait
nul-
lement de diminuer les droits de ses amis, ni de le
priver de ces bienfaisantes réminiscences du passé.
Il s'agissait uniquement de défendre et de maintenir
un xhtln »/«•» qu'il avait lui-même approuvé pour
les
enfants et pour lui-môme; il fallait régler l'inter-
vention «le ses amis de manière à ce que ces rela-
tions nouvelles ne devinssent pas un élément capri-
cieux, dissolvant el perturbateur. (Vêlait là un de
ces chapitres tic l'art tic vivre que si peu «le gens
comprennent, et sur lequel UaHhe, ce grand artiste,
attire notre attention dans les Affinités électives. S'il
«<<4impossible d'éviter toutes les complications et
toutes les diflienltés qui résultent de ivneontres for-
luttes, d'interventions inattendues et «le pénihl«?s
ruptures, il demeure cortain «|ne la |»lii|iarl «lu
temps des mesures rationnelles el opport unes peu--
veul empêcher les mésintelligences en défendant
les droits de chacun, on évite le heurt des carac-
tères et ses suites..Mais eel« cMait contraire au lem-
|)«vntineut de Ilerzen, et «lans 8a eraii»te exagérée
«rintervenir, d'entraver la liberté de l'un ou de
l'aulro, il laissait les choses suivra, leur cours,
jusqu'à ce que le nœud gor«lieu 110 prtf. se dénouer
«jiie par le tranchant d'un glaive qui d'un môme
eoup perdait Ils «pur.
Il sérail inutile «le peindre toutes les phases du
eonllil qui allait toujours gran«lissanl..le savais par
d'autres combien Mm0 OjçarelV désirait o«-<;upiïr la
plaee qui lui avait, été destinée un jour..)«' voyais
1 loi zen souhaiter tous les jours «lavanla^e voir
dominer l'élément russe dans l'éducation des en-
fants et devenir indifférent à toutes les relations
qu'il avait jusque-là cultivées avec une cordiale
sympathie. Je sou lirais cruellement de cet état de
choses, car je sentais nettement qu'il laiitlrail eu
venir à une séparation, .le «;omprcnais que j'allais
abandonner les enfants a cet élément russe, ne
fiïl-ee que pour sauve»anler l'unité de leur édu-
cation il m'était impossible de les suivre sur ce;
terrain et je lie me sentais pas de force à lutter
contre ces inl1uene.es, désormais toutes-puissantes.
De plus je considérais ce dualisme comme «lan-
gereux pour des enfants. Il faut «|ue j'avoue à
l'éloge do lleiv.cn qu'il repoussa avec indignation
ma première allusion à une séparation. Afin d'apla-
nir les dfticultéH, il propos» des explications tantôt
avec Ogareff, tantôt avec sa femme.-Je- «n'y refusai
nettement, car elles ne pouvaient conduire il rien. H
n'y avait pas moyen d'eflaeer des différences de
natures, d'opinions et d'habitudes. En effet il aurait
fallu pour bien faire que Iferzen déularlU qu'il dési-
rail maintenir une éducation et, une organisation
domestiques déjà établies, et qu'il ne voyait pas
de l'immixtion et de la domination d'un élément
nouveau.
Il est possible que si j'avais été alors moins passion
nément attachée à ma vie et aux devoirs dont j'avais
volontairement pris la charge, si j'y avais vn une
affaire professionnelleau lieu d'y voir une affaire de
e»eur a laquelle je me dévouais tout entière, il est
possible, dis-je, qu'alorsj'eusse pris les avec
plus de calme, et que j'en fusse venue à bout. Mais
il ui'arriva en amitié ce qui m'était arrivé en amour
je m'étais donnée tout entière, et je reconnus, il ma
grande douleur, qu'il n'y avait pas réciprocité, que
d'autres liens plus puissants allaient exercer leur
influence pour donner une direction nouvelle a une
maison que je croyais mienne. D'ailleurs j'avais été
trop indépendante jusqu'alors pour me soumettre
facilement à une modification de ma situation.
Si j'exigeais qu'on me laissât comme par le passé
remplir mon devoir sans contrôle, c'est que je me
donnais à ma tache de tout mon cœur et avec la pro-
fonde conviction que je faisais pour le mieux. Cepen-
dant j'aurais^ïûT?FrëTi"c"qTlie5cé-à-dirpetHes-motli--
limitions si j'avais eu affaire il des natures plu*
ouvertes et plus aeressi blés. < 'est une considération
lout impersonnellequi tranrha ht question. ,1 e sentais
<p*'U s*Mortnail un cercle naturel autour de !a famille
exilée et que l'élément national devenait prépon-
dérant, ce qui était lo vœu le plus cher do lleiy.cn.
L'unité dans l'éducationme -paraissant une condition
essentielle, il me semblait que remoUre les enrants
onlre des mains russes, c'était gagner ce premier
point. Toutefois mon eœursaiguait quand jo ponsjus
à une séparation etjefisun dernier et1'ortl'°Ul'm'en-
lendre avec Uerzon. Dans sa bonté coutumière il
m'assura qu'il ferait tout son possible pour arranger
les choses, me demandant seulement d'avoir eon-
liance en lui. Je me repris à espérer, et j'essayai un
nouveau rapprochement;je tentaid'expliquer ce que
je croyais utile et bon pour les enfants. Mais le
malentendu resta le même et je vis que lier/en lui-
même commençait à voir des difficultés oit il n'en
avait pas vu jusqu'alors. Enfin, un matin qu'il était
parti dès l'aube pour ne rentrer que tard le soir, on
m apporta une lettre qu'il avait laissée pour moi.
Cette lettre exprimait pour la première fois sa convic-
tion qu'une séparation devenait nécessaire, ce qu'il
avait refusé d'admettre jusque-là. Mais il proposait
de la célébrer avec une espèce de solennité;je vis aus-
sitôt que cette séparation était inéluctable. Il avait
choisi entre ses amis et moi, et dès lors je n'avais
qu'à partir. Mais faire une fête de ce qui était pour
moi une douleur, partir d'un air calme et tranquille
quand mon cœur saignait, cela me parut impossible.
Je sentais qu'iL me fallait agir de-suiterprendre-tme –
résolution brusque et «uunine dans une espèce «le
paroxysme cxallé, ou que je m* s;i lirais pari ir..lu me
résolus donc il accomplir lt< saeriliee le même jour,
l'absence i|«>. llcr/.cu favorisant mon projel, ,lo fis
rapidement me* {in*pui*iiftfs, jViiiIitiIInï mes alloues,
j'écrivis un mol d'adieu 1res bref a llei'en, un autre
à M"1" Ogaretïen lui reemmiMuulant Ich oûfauts, la
priant «Paeliowi'" la U\v\w> que j'avais commoncûo.
l'iiis je me mis à tahlo avec les «Iiuik enfants pour la
dernière Ibis. J'élais dans une de ces dispositions
d'esprit qui rendent possiblesles plus grands sacvili-
cos. (Vêlai mon (iolgolha et ce repas était ma Cène,
mais il i»*y avait pus «le Irailr» n mes coles. <es
quatre yeux d't^nlants avec leur innocence furent
les seuls témoins du comltal que me coulait mon
aimerai ion.. le leur dis des paroles tl'amour, prenant
leurs mains dans les miennes el les priant de no pas
oublier celle heure dont elles ne pouvaient encore
comprendre la portée. Puis je dis à la bonne de les
habiller et de les mener chez M" OgarelV avec la
lettre qui lui était destinée. Je les serrai sur mon
cœur el je les renvoyai, les laissant partir tout éton-
nées et interdites. Puis, prenant les objets qui
m'étaient indispensables, je quittai la maison. Sur
le seuil, un vieux serviteur de la maison, un Italien
qui m'était tout dévoué, m'arrêta, et me dit d'une
voix suppliante « Xe partez pas,
cela portera
malheur à la maison. » Je lui serrai la main en silence
_el4'aUai^ïhe*4^wUé+%m^.M>4K*ploUev-n^sa«hant-p«s--––
d'autre refuge. Ceux-ci furent atterrés d'apprendre
ce qui s'était pas3é, mais ils furent d'accord avec
moi pour trouver que mon départ s'imposait du
moment que lier/»'» lui-même avait adopté cette
solution. J'étais d'une tristesse indicible, on, pour
mieux dire, ma douleur était désespérée, et il me
semblait qu'uu abîme se creusait autour de moi.
Il ne faut pas croire que l'heure la plusernelle soit
relie du sacrifice! heureux ceux qui peuvent le payer
de leur vie au moment même où ils le consomment
Non, ce n'est pas la croix qui est la plus terrible «les
épreuves. Hn ollVant lus biens suprêmes de l'exis-
tence pour une idée ou un sentiment, la vie perd do
son prix, et la mort nous délivre de la douleur do
vivre sans ce «jui seul Taisait le prix de la vie. Voilà
pourquoi le renoncement de Ilouddha fui plus ^rand
que. celui du Christ.. Houddha endura toute lu tor-
ture de l'existence après en avoir reconnu l'inanité,
les flatteuses illusions, lu décevante vanité. Il sup-
porta cette torture afin d'en triompher par un sublime
renoncement. Le Christ marcha à la mort dans
l'extase de l'heure suprême, le peuple ayant reconnu
en lui le Messie, l'ayant acclamé, et son sacrifice,
qui allait sauver un monde, l'arrachait à une vie qui
lui avait oiTcrl une couronne d'épines; elle le réin-
tégrait dans sa splcndcnr primitive, à la droite de
bien le père. Mon sacrifice était consommé, mais
maintenant il fallait vivre loin de ce foyer que j'avais
su me créer, et qui commençait à peine à se modeler
à mon gré. Tout en moi se révoltait contre la néces-
sité de recommencer la vie, et si_à cet jnstantrlà, la
îïïôïT,"sôiis^qiieIque forme que ce fût, une mort vio-
lente même, était venue moi, je l'aurais accueil-
lie avec joie en nTécriant « Oh! cesser d'être,
retomber dans le néant, mais en finir avec cette tor-
turc! » I»«n» ces heure* on comprend que- la eoneop.
lion chrétienne en soit venue a voirdans lu mort un
squelette hideux, tlt'*|H»iiil|ô «l«« tout ce qui fait le
charme »lc lit vit,. r.'estlo symbole de cette douleur
qui fuit lit vit* on désespérée el «jui préfère se réfu-
gier dans |,< néant pluhM «|iu> ilo coiilinucr une vi««
tloul oIIimi pomjirif» IV-eJal trompeur. 1«p Uroo soûl»
ai «pii lo sons arlislitpio inonliail lu vie eommo un
i^vo, pouvait voit* dans lu moil In IVèw du sonimoil,
le fjnuMnix «Milant qui s'approidio on louant uno
lOlH'IlO 1VIIV«I'SI1(>.
!.«> soir, tandis «pio nous «M ions assis,
inAiiio
plongés dans nos Iristos méditai ions, OgarclVviut
avec lo jounc Alexandre m'apporlcr une letlro de
llcM7.cn ri nfexprimer tous leurs rcgivls do mon
départ précipité. Alexandre parla d'une manière si
cordiale, avec une émotion si candide, que j'en fus
très touchée et je compris que j'avais trouvé en lui
une alïection filiale. Après leur départ, je lus la lettre,
de Ilc17.cn. La voici
Chère amie,
«

« (Test avec des larmes que j'ai lu votre lettre; non,


certes, non, ce n'esl pas ainsi que nous aurions du
nous séparer. Mais si cela vous a facilité une épreuve
douloureuse, qu'il en soit comme vous l'avez voulus.
Mais que cette séparation ne soit pas une rupture.
OgarelVet Alexandre vous portent plus que ma lettre,
ils vous porU'nl înonatluùnilion la plus profoiuhv
mon amitié sans bornes. Oui, d'un côté vous avez
raison; c'était beau de prendre congé ainsi en
silence en face de ces yeux d'enfants pour l'amour
tl<<*|t»t<lsvous avez, franchi un jaur le smùl
twllo «le
mnllieurctise maison. J'accepte vus licnédiclitius
pour nies enfants mais pour moi je vous demande
votre mutité.
«Votre fr«siv ami,
«*l
« A. IIkuzkn. »

Je lus ces lignes avec un mélange «le profonde


omnium el «l'Apre amertume, Pourquoi ei>l|«* amilir
u'avail-elle pus su a^ir «l'une manière plus aelive el.
plus opportune afin «le sauver ce «pii niaiiil«Miaul
«Mail irrriuétlialileiuenl perdu ? l*our<|u«»i les hommes
les meilleurs el. les plus ilislin»in''s nt> sont-ils «|ii«t
«les jouets aux mains «lu hasard, qui vient à la Ira-
vers» «In la roi'.le la plus sure, pour les faire «l«>vi«>r
tout a «roup «le leur «liivclion premi«'>re?

CHAPITRE XXIX

Nouvelle solitude.

• Frédéric et Chariot le insistèrent pour que je pas-


sasse quelquesjours che/. «»ux, jusqu'à ce que j'eusse
trouvé un appartement et pris une décision. J'ac-
jccptalJflut' oH'rc avec recommissanec. <:ar apr«'*s une
vie de famille heureuse, après ma doue»; intimité
avec les enfants, celle solitude subite me semblait
plus dure que la mort; je me rattachais avec angoisse
a tout ti'nnaiicntmo «lo sympathie et d'amitié,
comme
«•«lui qui so noie se cramponne à un brin do paille. ,fo
fus profundéinonl IoikIii'.o, A midi, do me voir servir,
ù imù seule, une assiettée ,|0 I»«»iit||«m. La maison
n'était rion inoins que luxueuse; 1-rédérie «HflH
astreint » un rude labeur pour subviuiir aux frais
ilu inômi^o et r.lmrlolto ilonnail. «U»s loijons
pour
aiiU'i- son mari. II n'y uvuil iIihii: |w» <lo Itouillon tous
|os jours H Chailullo on avait mis uno assietWo on
rforrvo pour sou mari. Jo fus «mno jusqu'aux larmes
<lo me lu voir offrir;
ai muol. lômoignnjîo «lo sympa-
Iliio ayail son ôloquonco; jo Unir dis
qu» jo ne l'on-
liliorais jamais. Au iioitl do quolquosjouis jo trouvai
uno potilo diumhro d'un prix modiquo dans lo voi.
sinafço je m'y iuslnllai et jo délibérai
sur ce
j'allais litire. J'ôtais de nouveau soulo dans quo
lodging un
Il » anglais, qui mo semblait deux fois plus
morne après oo foyer do chaleur et do lumière d'où
lo destin venait de m'arradicr. J'étais tlo
nouveau
réduite à me demander ce que j'allais devenir. Le
courage nie manquait pour reprendre mes leçons,
ce métier ingrat, désormais sans joie pour moi, et
qui m'eut rappelé «l'une manière trop douloureuse
renseignement fécond donné a mes enfants. Je
me
résolus a tenter d'éu-ire. Je ne me dissimulais
les difficultés cl les déceptions qui m'attendaient pas
dans cette voie, mais ce travail du moins m'attirait,
et jo sentais que, si je pouvais réussir à percer par
un de mes écrits, j'aurais trouvé une consolation.
4^v«i* ^ssftyé-déjà^-dan^la maisondir Hcrzenirae –
traduction du russe en anglais, et mon essai avait
réussi. Je voulus donc continuer mes traductions,
espérant par ïà mo frayer une voit», ,1c me- mis
aussitôt a heuvrë, maïs mon taticur était loin de me
guérir, lue douleur indicible torturait mon eteur
jour H nuil, cl il m'était impossible de ealmer, no
fùl-ee qric puni* «no- heure, "h* souvenir des derniers
ineidenls. Je me perdais en conjectures, me ilomnn<
«lanl *i jt» n'aurais puéviloroollocjiIftsIwïnho.H j>as-
Htuit do eo doute ù ta certittKlt* tj«o J« it'anmis pas
pu a^iraulroinont. l/umôn» pensrio «pio colle sépara-
lion avait Hv> accophut lui (ail dans mon «unir contre
ma doulmir, «l. conln» l'ardonl désir «|ii» j'avais <l«
ii'lourncr dans ce iiùIùmi oii j'avais élô si li<miviis<»,
oii de toutes les forces vives «lo mon i^liv j'avais pris
radno comme dans mon terrain naturel. L'émotion
de revoir IIcry.cn, qui vint me faire une visite avec
son lils, l'émotion plus grande encore de recevoir les
«leux petites, qu'on m'envoya, in'ébranla profondé-
ment. Elles étaient surprises, stupéfaites «le revoir
l'amie de leur intimité transplantéetout à coup dans
un milieu si différent, et quand on voulut les
emmener, la petite Olga éclata en sanglots, deman-
dant passionnément à rester avec moi. Une des
épreuves les plus dures pour moi ce ful de voir
Frédéric et Charlotte, attirés par le charme irrésis-
tible des réunions du dimanche, se rendre chez.
Uerzcn comme d'habitude. Ils ne se doutaient pas
de ce que j'éprouvais en les voyant partir pour cette
maison dont j'avais été l'Ame; sans cela, certes, ils
n'y seraient pas allés. Restée seule, je songeai avec
~01îëllôTitêTir^iïïeTtr3rc~ëTj^ni"y~5 ëTr^onrmïrïPéphé^
mère dans l'action de la personnalité; la trace que
nous avons cru marquer de toute la puissance de
notre amour et do noire dévouement setlaee sou-
dait!, omniw In vague qui passe sur le sable du
rivage fait disparaître le i»«»m aimé qu*» nous y
avions inscrit. Ouelle est ta elé «le »*e mystère?
|
i»sl-re r que iumis no nous ni lâchions pas trop « la
nôftlum, connue le «Ht la Bible? En d'autres termes
faut-il que le centre de noliv vie soit non le dcHouo-
nioul a riuitividii, mais le dévouement à Hdée? S'il
on est ainsi, si nous devons |»aw<wrir le cyelo des
doures illusionsulin «le nous purifier par les éprouves
dans le
pour arriver enfin, mûri el assagi, a entrer
saint dos saints, a soulever le voile, « voir la vérité
l'are à l'ace, désormais inaccessibles aux angoisses
lorrestres, hélas! je n'étais pas au bout de tna route;
la douleur mortelle que me causait la perte de mon
paradis forçait le destin à me remettre entre les
mains lo bAton du voyageur, ordonnant il mon pied
rebelle do retourner au désert que j'avais déjà par-
couru.
Il arriva ce qui arrive toujours quand un senti-
ment intense est transformé par «les malentendus en
une situation violente; les « amis » remettent tout en
question dès que les choses paraissent devoir s'ar-
ranger. Si j'avais pu me résoudre à partir, à fuir ce
milieu qui m'attirait- encore si puissamment, à mettre
qui
une distance entre mon passé et moi, le combat
se livrait en mon Ame se fût terminé d'une
manière
violente, mais rapide ce remède héroïque était au-
dessus de forces. Sohur/ qui voulait retourner
en Amérique avec sa famille, insistait pour queje
-fîtecmnpa^nasseètl»ïî«rjë KimTâisëTnôn loyer là-bas
avec les siens. Le sort au front d'airain ne nous
accorde gu«%ro lit réalisali«»n de nos vtvtix «jho i|iiuml
l'objet de uns aspirations a pertlu pour nous tout
son prix; en effet cette invilnlioii, qui auttvlois «mU
«omble tous mes tlvsirs, venait pour lit ««rond»» l'ois
au moment précis ou mon »wnr embrassait le vieux
monde «l'une étreinte telle que j« ntr pouvais m'en
arracher, ni consentir « mettre l'océan cnlro lt' passé
et moi. Bien ne «uu-ftclérise- niieux e« «««Hé, p»llu>-
togiquo «les «louleurs passionnées que l'impossibi-
lité do s'arracher a l'élal «le choses qui les cause,
de donner a l'organisme par un salnlair»» change-
ment de milieu des chance» «le guérison. <elui qui
saurait se résoudre, il «*e parti sans nul «l«»ule y trou-
verait le salut; mais lonl. le monde n'a pas le cou-
rage «le iveourir à une amputation. Je ne l'eus pas
plus «pie je ne l'avais trouvé autrefois, lorsque mon
ami mourant et l'école supéri«Mire de Hambourg nu»
retinrent en Allemagne, alors «pie je souhaitais si
vivement, dans «les intervalles «le «talme, me faire
ma vie dans le Nouveau Monde. Qui pourrait se
résoudre à condamner ces contradictions «le la
nature humaine? Non seulcinvnl l'amertume du
calice se trouvait augmentée de tous les commé-
rages qu'y ajoutait l'intervention maladroite des
« amis »
j'augmentaimoi-môme ma douleur, et sui-
vant ma pente naturelle, je cherchai tout. A coup en
moi-même l'origine et la cause de tout le mal. Je me
disais qu'avec un peu plus de patience, de bonne
volonté, d'endurance et d'abnégalion j'aurais pu
._saw-cgai^£-dans_to»l^~imT
plicile primitive les relations qui avaient fait ma
joie. Je tombais dans l'erreur que commet la Char^
lotte des aussi croit qu'il est
.I//ïm#7«j i!/i'«/#V«'jj: elle
possible «r»|tlattii* toutes lus dil'lieullcs, des que tout
le monde h vu clairement les causes «rua itutlon-
I«mi«Iii..lu scrutai mu conscience, j'analysai mes
impressions et il me sembla que dons l'excès de mon
amitié, de mon amour, cl« mon dévouement, j'avais
inconsciemment été trop exigeante; je me dis que
l'égoïsmc avait troublé ma vue, me inontnml les
auli-jis et leur attitude dans lin faux jour; je me
reproehai d'avoir manqué do générosité parce que
je m'étais sentie atteinte dans mon orgueil. Inondée
de joie a celle découverte subite, sure dès lors de ce
que je croyais la vérité, il me semblait Facile de
retourner auprès dit mes chères enfants el du me
donner a elles avec plus de dévouement el de con-
science que jamais. J'écrivis « la dame russe pour
lui dire d'un élan sincère el joyeux la découverte
que je venais lie faire, lui olïraut de tout eieur une
union nouvelle, car je ne doutais pas que j'allais
écarter par mon aveu lu seul empêchementa notre
vie, à notre travail en commun. En même temps
j'écrivis a Jeanne Kinkel, pour lui rendre compte de
ma démarche; je lui exprimais ma confiance absolue
dans l'avenir; ce maleiileiidu aplani, tout s'arrange-
rait. A mon élonnemenl je reçus une réponse de
Jeanne où elle m'avouait ses regrets de ce que je
venais île tenter: elle me disait qu'elle connaissait
la vie et que ma démarche n'aboutirait à rien.
llerzen répondit lui-même à cette lettre adressée
à M"1" Ogarelï, en m'envoyanl l'expression de sa
TlîalfàViramlrâfioTiiTTrdlsliïr `_

«
Oui, voilà le terrain où nous nous trouvons
d'accord Il, terrain de l'amitié pure et désinté-
ressée. C'est un sacrifice que vous nous» faites; um«
fatalité a causé ce conflit et troublé notre vie do
famille. Personne n'est coupable, nous étions tous
do liouiio foi, mais il s'était glissé ontiv nous un Ion
discordant «pu a tout compromis. Ce que j'aurais
voulu, c'est une séparation solennelle; je vous l'avais
proposée. Voire départ précipité l'a rendue impos-
sible, mais la gloire», oui, 'lit gfauv'tte pacîtfor les
esprits Vous revient. J'ai beaucoup pensé depuis
hier a votre proposition non la vie en commun
ue pourrait «pie rouvrir des blessures a peine for-
mées. Mais unissons-nous pour faire des traductions
russes, ici ou ailleurs; partout vous trouverez en
moi un frère. Adieu, lîli bien, messieurs les calom-
niateurs? C'est l'amitié qui l'emporte.
« A. IIeiizen. »

Oui, l'amitié remportait, mais le sacritice était


consommé et la séparation demeurait avec toute sa
douleur. J'allais voir les Ilcrzen, mois c'était chaque
fois une soullrancc pour moi et ma solitude me
semblait ensuite si pénible que ce fut une déli-
vrance pour moi que de partir avec les KinKel pour
I Listings. Ils m'avaient invitée à aller avec eux
•passer les vacances au boni de la mer. Pour ces
chers amis, après leur dur labeur, ce départ était
tous les ans une fclc impatiemment attendue. Leur
affectueuse sympathieessayait de me persuader que
••elle année la felc serait doublée par ma présence;
"ils ^inptâîëniriîTom; ~dc~lîëVôlïcnTënl7 me Taire™
oublier tout ce que je venais de perdre. J'éprouvai
une douce émotion, en rouie pour n«snuys, iorM|ur
sous un tunnel jo sentis doux bras d'enfant m'eii-
lueer doucement, «l'était la petite Adèle, l'image do
sa mère; elle savait combien je souffrais d'avoir
«inillc les enfants Ilerzen, elle les connaissait;
enhardie par l'obscurité, ollo eut la pensée de nie
donner ce témoignage muet do sa pitié, d'enfant. A
Haslings nous nous installâmes dans une petite
maison au bord de la mer; notre intérieur était
infiniment plus modeste et plus simple que celui
des Ilerzen, mais assez confortable cependant pour
que je m'y senlissc heureuse auprès de mes excellents
amis. Mon bonheur eût élé complet sans la blessure
toute récente qui saignait toujours, .le me mis
résolument à l'ouvrage, je commentai une traduc-
tion du russe, qu'on m'avait promis de publier à
Londres. On commençait a comprendre en Angle-
terre qu'il existait une littérature russe, cl on était
curieux de la connaître. Les vacances chez les
Kinkel n'étaient nullement un temps d'oisiveté;
chacun travaillait selon ses goûts. Une rigoureuse
division de lu journée donnait, là comme à Londres,
un caractère grave et digne à la vie domestique. Le
matin, Kinkel, les enfants et moi nous montions au
vieux château, qui du haut d'un rocher domine la
mer; un charmant. jardin, caché au milieu des
ruines, nous abritait; chacun, choisissant son bos-
quet, se mettait à l'ouvrage. Les enfants faisaient
leurs devoirs sous la surveillance de leur père, et
jcoas_acm\ida JMiâ^
de cette manière Jeanne avait toute la matinée. à

L'après-midi elle donnait des leçons de


à Londres.
musique aux enfants, et cola avec un «n> sons
pédagogique, si bien que lo petit quatuor «viail. déjà
capable de su faire eut <>ndro. CVtail alors ait four de
Kinkt»! à travailler librement. Enfin, la laHie «lu jour
terminée, nous pariions fous pour faire une prome-
na» le aux environs de llnsliitgs; parfois
nous allions
en voilure visiler les endroits intéressants, le ctminp
de bataille oii la dynastie anglo-saxonne trouva sa
fin et le noble Harold la morU-.Lê plus souvent-
Jeanne et moi nous laissions Rinkel partir seul avec
les enfants, déjà robustes, faire quelque longue
promenade a pied. Alors, longeant le sentier tic la
falaise, nous allions, toutes deux, échangeant nos
sentiments et nos pensées.
Dans ces heures-là, je me sentais presque heu-
reuse; je voyais se déployer devant, moi une d«is
natures féminines les plus riches et les plus hautes
que j'aie rencontres, et je jouissais «le lire dans
cette Ame et de me sentir en harmonie avec elle. Je
sentais ce qu'il y a de faux à affirmer l'inanité des
amitiés féminines. Il me semble, au contraire, que
l'amitié entre de nobles cœurs de femmes est un
des sentiments les meilleurs et les plus désintéressés.
Nos soirées aussi étaient charmantes quand Kinkel,
sa femme et moi nous restions ensemble, les enfants
«ne fois couchés. Le plus souvent nous lisions ce
que nous avions écrit dans la journée les uns ou
les autres. Nous goûtâmes surtout la lecture que

de ses
Jeanne nous fit de ses Mémoires, qu'elle n'a mal-
heureusement pas achevés. Les anecdotes sur la vie
fil de ses parenLs, contées –
dune manière humoristique, me firent rire de bien
lion ni'iir, pour In premièrefois depuis longtemps, à
lii grande joie de Jeanne.
Mai* au fond, mon état d'ami» restait lo même.
De douloureux souvenirs me dévoraient. Souvent je
me réveillais le malin, appelant Olga, ce petit être
«pie j'aimais d'une tendresse maternelle, et je trouvais
mon oreiller noyé, dos larmes que j'avais versées en
rêvant d'elle. Parfois mon chagrin était si intense
qu«, démontée do la vie et du travail qui ne me
«tonnait plus de joie, je sentais planer au-dessus do
moi les ailes sombres du désespoir; la mer, étalant
sa face argentée au clair de lune, m'attirait doucc-
ment, mais avec forée, vers ces abimes silencieux
où le tourment et les ardents désirs s'apaisent. Je
cachais ces émotions aux Kinkel ils en eussent été
affligés, eux qui faisaient tout ce qu'ils pouvaient
pour me distraire de mon chagrin. Mais j'en parlais
dans mes lettres a un ami dont la fidélité m'avail.
soutenue dans cette catastrophe, et qui avait été
pour moi une ancre de salut au milieu de mes
peines et de mon abandon. C'était Domengé, le
jeune Français dont j'ai parlé et qui avait été le
témoin quotidien de ma vie dans la maison de
Herzen. Lui seul, de tous les familiers de la maison,
avait pris mon parti; les autres, mes compatriotes
même, préféraient prendre parti pour ceux qui
pouvaient leur offrir les avantages d'une maison
hospitalière; on s'éloignait de moi, qui n'avais rien
à offrir. Quand je partis pour Hastings, Domengé
me promit de m'écrire souvent et il tint parole; je
_Im_en~us (fautant ~tus~e~rej~,jMtgréJ~tes~
ses vertus, il avait la faiblesse de n'être guère exact
a remplir de semblables engagements. Ses lettres
étaient toujours réconfortantes, quoique sévères*; il
essayai! de réagir contre ma tristesse, et dans eotle.
sévérité même je reconnaissais son amitié et le désir
«le m'être ulile. Un jour, en proie a mes regrets,
ù l'irritation causée par- l'intorvention des tiers,
troublée de plus par les reproches que. je me faisais
a moi-même, je lui avais écrit une leltro plus déses-
pérée que do coutume, Il me répondit do suite
« Votre dernière lettre, plus découragée encore
que les précédentes, me fait un devoir de vous dire
une bonne fois tout ce que je pense de votre situation,
ce que je considère en conscience être la vérité.
Dans les grandes comme dans les petites crises de
la vie la vérité seule est, non un remède, certaines
douleurs ne voulant pas être guéries, mais un point
d'appui solide, inébranlable, salutaire. Même les
Ames les plus fermes ne savent la distinguer au pre-
mier moment. Elles sont troublées par les larmes,
la passion, la douleur. Mais au bout d'un certain
temps c'est un devoirabsolu pour tous de la chercher
et de la comprendre, sans prévention contre soi ou
contre les autres; or c'est un devoir inéluctable
pour nous qui avons conscience de faire partie d'une
élite.
«
Eh bien, ce devoir, vous ne l'avez pas rempli
encore, voilà pourquoi vous ne trouvez pas de con-
solation à votre peine. Vous ne vous dites pas la verité
sur vous-même. De quoi vous accusez-vous? Vous
vous êtes dévouée corps et âme pendant trois ans
– axec-le-pUts^ompletdésitttéressemenh-fians votre
zèle, vous vous consumez à vous trouver coupable.
Vous vous irritez rouir»» vous-même en vous calom-
niant. C'est une faute rare, mais c'est une faute
grave. Un dévouement qui va jusqu'au sacrifice «le
la personnalité, «l'un orgueil légitime, reste noble,
mais eesse «l'être naturel, il risque «l'annihiler notre
« moi ». (k'tlo erreur n« peut demeurer impunie, et
dans le cas qui nous occupe, la punition ee sont
vos soufl'ranccs. »
Puis venait l'analyse psychologiquedes différentes
personnes «fui avaient pris part a ce drame intime,
celles a «jui il attribuait la véritable responsa-
bilité de rincident; puis il disait « Je relis ma
lettre avec une profonde tristesse, cependant je vais
vous l'envoyer. C'est vous qui m'avez forcé à faire
une élude que redoutait jusqu'ici ma pensée. Livrez-
vous «le votre c«M.é à celte analyse, sans passion,
sans prévention, il le faut dans l'inlértU de la vérité.
« Cet
effort est terrible; anéantir tout ce qu'on a
aimé, renverser les idoles qu'on se plaisait it orner
de toute sa tendresse est une des nécessités les plus
cruelles de la vie. Pleurez, pleurez cette mort pré-
maturée d'une partie de votre cœur, nourrissez votre e
douleur, ne la laissez pas guérir, mais ne dites pas
« A
quoi bon vivre? que me reste-t-il après la perle
«le mes illusions? »
« Ce qui vous reste, c'est vous-même, l'affirmation
de votre «Hre, vous-même avec tout votre passé,
--voU'frdévAUAimeuUjLoJj^OJ]^^v ous, éprouvée
et fortifiée par l'épreuve, vous qui vous devez ai
vous-même et qui devez aux autres compte des forces
qui vous ont été «lonnées, et à qui il reste un si noble
champ d'activité dans le présent et dans l'avenir.
«. A quoi lion vivre? » Ah! elïaeez t%e mol qu'exeuse
à peine l'angoisse d'une douleur suprême. A quoi
bon vivre? l'our continuer une vie de dévouement,
pour sounrir demain s'il le fnttl comme vous avez
souffert hier, non plus pour quelques individus,mais
pour riumuoùtë, pour les millions de malheureux
fllti nous etiloureni el que nous aurons aides avant
»le mourir, j'en ai la Terme espérance. »
Je lus celle belle lettre, aveu une profonde émotion,
je sentais tout ce qu'elle contenait de vrai et je me
livrai à l'examen qu'il exigeait de moi. Mais j'avais
beau faire, les mots du duc dans la Inllt: tiaturelbt
de (SuHhc me revenaient a la mémoire
« Oue lit vie est fade el banale quand elle ne sert
qu'à vivre, à s'agiter sans qu'un but aimé fasse
entrevoir la récompense de notre activité! »
lier/en me donnait parfois de ses nouvelles, il
me tenait au courant des principaux événements «le
la famille. Entre autres choses il me raconta qu'il
avait voulu faire un voyage d'agrément sur le con-
tinent, mais que le ministre de l'intérieur avait
défendu qu'on visai son passeport à Paris; on le
désignait comme « un individu très dangereux,
voyageant pour des motifs politiques et qui signait
ses écrits du nom d'Iskander ». Herzen me disait
qu'il avait loué une maison aux environs de Londres
et m'annonçait qu'il avait l'intention d'écrire une
introduction aux Mémoiresde la princesse baschkou",
qWjcTrâJûîsâl^ crTaircmânï A ceTFe7 époque; Tîôïïs"
avions lu ensemble cet ouvrage avant l'arrivée des
Ogareff et il nous avait vivement intéressés. Cette
amie de Catherine II, son égale par l'esprit et la
«mllitre, qui la dépassait do I»>«ii«mi|»par m earau-
U'Vi'et ht valeur morale, esl ecrle* «m» des Jeiituit^
les plus remarquables parmi eelles qui ont j*»«M» un
rule dans lu vie publique. Plus tard llor/on m'envoya
celle introduction; elle était 1res intéressante; elle
do Hoffmann H
a paru «luns |V*«liliun «los Môinoiivs
(îftmjm. Lo vimix <ampw jiï «crivait t\ cotto occasion
.l«> puhlioiai l«ul «'«• que vous traduirez de ltorxen;
il s'osl acquis droit de «il»'! dans la litléraluro allo-
uiaiitlo. » Ilorzen miMlisait qu'il so swilail l'ali^ié
et vitîilli, mais qu'il avait rinleution fla beaucoup
travailler, le succès de ses ouvrages lui en faisant
un devoir.
lui ellel le succès de ses publications était pro-
digieux. Une importante librairie s'était chargée
d'introduire ses «envies en Russie et, malgré la sur-
veillance de la polire, il s'y répandit un nombre
incalculable d'exemplaires qui enflammaient la jeu-
clic/, lui, et
nesse. Les voyageurs russes affluaient
de communi-
ou lui envoyait quantité d'articles et
cations pour le journal russe qu'il venait do fonder,
la Cloihe, destinée à provoquerl'abolition du servage.
Il me parlait aussi de ses lectures; je lui avais
demandé le livre de Proudhon De la Justice, qui
venait de paraître il me répondit « Il y a longtemps
que je n'ai rien lu qui m'ait fait souffrir autant ceci
que
romain meurt,
ce livre de Proudhon. Le monde
est une pierre tombale; Proudhon se transforme
~}uinm;»mrtmstîrt«e^mm»^l*fe»HH^tle-L©H*tat>rès
avoir tout compris, il finit par offrir l'homme en
holocauste à la l'amille et alors, alors viendra le
triomphe de la justice! La troisième partie, sauf le
ihapttrc sur l«> pmgrés, est triste Irtsiv,- triste.
Ces! un virillnnl <|iii écrit sou testament; un homme
«'apahlc «l'érrire un volume (soit 200 pag«>s> d'insa-
nités t'iiUiiilicn-roiiuitiios eoult'c lus femme* n'est
pas tiu homme libre.
Je restai «lotir un peu au rouranl «le sa vi»> inlol-
Ii'cIhpIIp, niais «c uVtail |>Ius et4 éulum^o tl'ukVH
(|uoli<li(>ii, ecllo inliniiti' «l'inléiiMs H «lo ponséos.
La vi<> ru»s«î et répanouissniuMil «ta sa lill«'«iahuo
m'avaient vivonienl «;aplîv«;«n ,l«> v«»yais In comiuo
IIci7.cn la Kulutiun «l«>s annules questions soriales,
solution «|ue la vieille Kuiopii ne pouvait, foui'iiir; j«»
partageais ses «>spérances, son activité politi«|ùc
m'inspirait la plus vive sympathie. Or tout eclii in»
manquait a la f«»is; ire lut. pour moi une privation
«ruelUî. Les fçens supcrliciels soûls peuvent ehan^«>r
aiséinenl «le «lir«M*tion cl «le vie. L«»s ftmos sérieuses
oui liesoin «l'un Iml «ronstanl. vers lequel se «-oii-
ccnlrcnl tous leurs efforts. Le gt'iiie voit «le lui-mènu>
sou but, sa nature le lui pcinl est traits «le llainnics,
il n'a pas besoin «le te chercher. C«sux
«pu; la nature
a I railés avec moins de prodigalité sont réduits it
chercher les conditions oii leur être puisse se déve-
lopper, s'épanouir librement. Être arrache à ces
con-
dilions de bonheur est une douleur indicible, un
chagrin cuisant. Les uns y succombent, d'autres, les
plus forts, ceux qui y survivent, en gardent une bles-
sure toute leur vie. Souvent je songeais au prestige
– <HtVxçree»tr*ur levâmes k»plu*tlépmiillée»de-j>ré-~
jugés, ce qu'on appelle les liens légitimes. Une
fiancée, une épouse, une mère ne seront pas aban-
données aussi facilement qu'une amante, quelque
passionnément i|n'on Illi soit attaché, qu'uno amie,
quoique H«IM«* «piVile snîl, qu'il no femme qui tient
lion do mm1. A «|ii<»i rcla peut-il tenir, surtout chez
«•eux qui si> sont all'raiuliis do In bénédiction du
prtfttv et «h* la sanction des lois, et qui vaillent se
conformer librement à la loi monde? L'humaine foi-
bh'sse a-l-ollo besoin do <•«»<mdc <lo morale nioiidnino,
do w-tjiMvfniit.' «'xtôriour? <Ti«sl. sur crllo lundi'ainio
que ropose IoiiId la législation et TK^Iisna su trans-
toi-iiH'i1 «u's conlinls alin do doveuir cllc-momo le li'i«
huiiat su|»r^ino de la conseieure et de i'%h% les rnp-
|»orts des hommes entre eux. r.elle c.onlrainle est la
base des serments, «les rouirais, des relations e.oin-
mereiales et administratives, etc.; plus une société*
est polie, plus sa vie se trouve enfermée dans les
limites de ces obligations de convention. En est-
elle plus morale et plus noble? (.e qui l'ail la valeur
des relations d'homme à homme, ce qui lait le prix
d'une aelion, c'est la foi, le dévouement, la con-
science et l'amour. Si ces qualités viennent à faire
défaut, l'essentiel manque; on va à l'église le
dimanche parce que « cela se fait et non parce
qu'un besoin religieux vous y pousse, on prononce
la formule d'un serment sans y croire, en la mau-
dissant peut-être tout bas. Mais si la législation la
plus sévère n'aboutit qu'à une organisation automa-
tique. réglée comme un mouvement d'horloge qui
marche sans «prune aine t'anime, qu'est-ce qui pro-
tégera la vie contre les conflits et les ruptures arbi-
Trâïrës le jeu îî«Ts~pàssions êl le Hroildîi plus TorT?
Une conception plus haute de la vie ferait du devoir
le seul mobile de l'action. C'est ce qui constituait
ta lidélité, cette vieille vertu «les Uermains, ro Irait
caraet«Wstiquo «les héros de la léfj«*nde, <|iiillont
lu «'oui'onne et IVmpire pour aller «'hereher «>t «^li-
vrer leurs compagnons «l'armes laits prisonniers.
Si l'humanité el»l vraiment. «»apahle d'atMudre nu
niveau moral supérieur, elle reviendra à la simplicité
primitive «les principes élevés» connus «le loule
antiquité, ho «lis«'uurs «le riiomme ser« <• oui >»

et << nun »; on n'aura plus besoin «le la lormule «l'un


serment, l«»s liens formés un «ïsprit et. en v«lrilc
seront plus sacrés «pie ceux sanelionnés par «les
prêtres ou des fonctionnaires; bref la iV'alité rem-
placera l'apparence, et c'est l'idéale simplicité «lu
bien t|ui luttera contre le mal a In place du système
de défense, si compliqué des conventions.
Mais hélas! «juel i^ve «l'avenir se réalisera-l-il
jamais?
Les vacances approchaient «le leur terme et les
Kinkel se préparaient au départ. Quant à moi, je
pris la résolution «le restera Hastings. 11 me semblait
«pic cette belle nature et la proximité «le la mer
finiraient par calmer l'agitation douloureuse «le
mon Ame. Ici d'ailleurs l'idée «le donner quelques
leçons m*effrayait moins qu'à Londres; tes dislances
étaient moins grandes, la fatigue ne devait pas être
excessive, c'était un nouveau domaine où je pensais
trouver facilement à me suffire à moi-même, sans
avoir à affronter de pénibles souvenirs. La vie étant
moins coûteuse qu'à Londres, j'espérais me réserver
"à^scjTïîcToïsifs "p«5iïiFmc "livrer ï mes occupations
favorites, à mes travaux personnels. A ce moment
je compriscombien la fortune facilite tout et allège
iiiitiiM» une £T«ii«lr douleur. J'avais un désir ardent
d«» voir l'Italie; je sentais
que l« réalisation de ce
v«eu «'lier à nui jeunesse ««ni apaisé mon «'«mit*. Si
j'avais pu me plonger dans la contemplation «le la
nature «»| de Tari, «i j'avais jiii, pour remplacer lit
p<>ltle Olga, trouver «ne enfant aux yeux noirs
pleins île rév«\s connue ceux «le Haphaei, dont le
regard semble aller an fond dos choses, nia douleur
en! perdu son aiguillon, elle se fut translorniêu en
une donee inélaneolio. Mais j'étais réduite à la dure
nécessité «le travailler pour vivre, j'avais perdu le
bonheur, et, au lien d'une consolation je trouvais
une lourde laehe a remplir. Voilà lit dillërcncc
essentielle «pie le vit métal mol entre lus conditions
des hommes. L'homme, riche qui a perdu ce qu'il
ai de plus cher peut bAtir un lemple a sa douleur; il
peut sécher les larmes d'aiilrui, et le sourire d'uiw
inlorluue qu'il il pu consoler vient adoucir sa propre
peine. Mais, que resle-l-il au pauvre «lonl.le cu'iir
saigne? l..a iv>ignation, bien cruelle quand la vie
est une corvée.
Je lis pari de mon projet aux Kinkel. Ils m'ap-
prouvaient, tout en regrettant de me laisser seule.
Le jour du départ, je les conduisis à la gare pour
leur faire mes adieux; lorstlue le train s'ébranla,
il me sembla sentir le sol trembler sous mes pieds;
le sentiment «le la solitude m'accabla plus que
jamais. J'allai m'iuslaller dans le petit logement
«pie j'avais pris au bord de la mer et je cherchai tout
-ilîLiiïi'?5 Jy J'^ÏÇLjnes jaçcujjalions jioin L.tro.uver.un__
peu de calme. Mes amis me manquaient beaucoup et
j'écoutais tristement le bruit monotone de la mer
miiis mn lenèire, seule voix qui «w parlât désormais.
l.i« Iciidcnuùn, je vécu* une lettre de Jeanne

<•
Ma chérie, c'est toi qui recevras le premier
signe do vie ijuo je l'adresse do mn table de travail
iv)«uu|iiisc. Hier le eiel bien du bord de I» mer
nous a suivis quelque temps, mais des tes dernières
•olliiies de Retguto, le inonde a repris sa teinte gri-
sair» et nous avons retrouvé Londres plus bruyant
que jamais. La civilisation extrême rappelle l'état
sauvage. Ce soir je n'ai pu encore arriver a déballer
l»»s objets indispensables,
car les visitos so sont
succédé sans interruption depuis ce matin. J'espère
que la solitude de ce premier jour aura exorcé une
influence bienfaisante sur ton cœur. Lu grandeur,
la magnificence do la nalurc qui l'environne a
quelque chose de consolant. Certes la nuise de lit
poésie viendra le visiter bientôt et lu vivras dans
l'intimité Familière de la t'orél cl de la mer jusqu'il
ce que l'humanité revienne te sourire. Je viens de
regarder ton portrait et j'ai vu avec chagrin ton air
de tristesse. Je voudrais te voir rire de bon cœur
et je n'ai cependant rien d'amusant a te conter
pour l'instant, à moins de te faire souvenir des
anecdotes de mon arrière-grand-père. Nous pensons
sans cesse à toi, et j'entends ton nom aussi souvent
qu'au temps où nous étions ensemble. Je ne cesse
d'entendre ta voix. Je crois que d'ici peu, l'un de
nous ira te voir à Hastings. Bonsoir, ma chérie, nous
ljyAnons_ieudrcmcnL_
« De cœur à loi,
« Jeanne. »
t>* lignes affectueuses me firent il» lue», «•««**
furent bientôt suivies d'nulres lettres. toutes em-
preintes d'un souffle «le chaude amilié; c'était un
rayon «le joie dans ma
vie..l'espérais qu'Kmilie
Heeve |M»uiTait venir passer l'hiver avec moi.Je l'avais
de chez les Ileiwn
vue souvent depuis mon départ j'avais
H je m'étais liée avee elle. Dès l'abord
opinion
reconnu en elle vm nature d'^liMv, ot cette
s'était tortillée en moi par un commerce fréquent,
.l'étais allie la voir, j'avais appris à connaître le
milieu ofi elle avait grandi. Sa famille appartenait
a la pelile bourgeoisie de Londres; elle habitait un
logis modeste dans une de ces rues du centre, loin
de toute verdure, d'od les hautes maisons noirftlres
semblent écarter l'air, le jour; on y étouffe, c'est à
peine si parfois un rayon de soleil vient égayer colle
lourde et triste atmosphère. Le cercle des idées n'y
était pas plus large que cet horizon; on lisait le
limon, puis chacun vaquait a ses occupations et le
dimanche on allait à l'église; c'était tout. Les idées
étaient si étroites, on se conformait si bien il la
tradition que le culte de la vapeur même, si fréquent
cependant chez les Anglais, n'avait pas pénétré
là. A mon retour d'une petite excursion une des
comprenait pas
sœurs d'Emilie me dit qu'elle ne
qu'on allai en express, « la chose étant si vertigi-
milieu
neuse et pleine de danger ». C'est dans ce fleur
étouffé qu'Emilie avait grandi comme une
pale dans une cave, mais cette fleur n'avait besoin
^ut^d'att^t-<k-^lwleiH^f^»»-«agner--dc_ia-j:oJi-_
leur et de l'éclat. Les siens la raillaient, ses sœurs
la traitaient avec mépris parce qu'elle ne savait
l>iws'occuper du n»«»iuigo ni eonlcclionner sa iut-
lelle «lu dimanche; les ressources étaient moili-
<|iies, il fallntl en ellel faire les rolies il In maison.
Non seulement elle y était peu habile, mais elle
«'lait très in<liu"ércntc il celle ijnestiou et préférait
employer son argent d«» poohoa l'nchat de livres. Kl
de quels livres! Shakespeare d 'al tord, contre (equel
mil u'avail rien à «lire, un Anglais n'osant pas for*
imiler une critique contre lcgrauil Will. Maisltyron,
col homme immoral! Mais Shelloy, cet impie! puis
des livres elo philosophie de toute espèce à quoi
cela poul-il servira une jeune (Hle? « Heureusement
«pi 'elle est trop sotte pour les comprendre
», so
disaient ces bonnes Ailles, et elles la laissaient
« v«''g«Her » a sa guise.
Mais le rayon «le soleil trouva son chemin et éclai-
rant la fleur dans sa cave, il lui donna de la couleur
et «le l'éclat. Un réfugié polonais loua une chambre
dans sa maison. Il s'oflïit à donner a Emilie des
leçons de français en échange de leçons d'anglais,
l'n nouvel horizon s'ouvrit pour elle par ce com-
merce avec un homme instruit et cultivé. Les opi-
nions d'Emilie s'aflranchirent bien vite des entraves
«le la tradition; son esprit perspicace et logique, qui
ne reculait devant aucune audace, lui fit voir sous
leur vrai jour les défauts de la vie anglaise; elle
devint dès lors l'ennemie irréconciliable de l'hypo-
crisie en matière politique et religieuse. Cet ensei-
gnement mutuel se transforma bientôt en amour.
~!Mtc départ ét d'a_ulre_la_. s~tuatio~_r_>vé~érmettait~_
pas de songer au mariage, il fallut se résoudre à
une séparation; Emilie l'accepta avec la même
fmve d'Ame uvee laquelle elle avait supporté une
vie sans joie el sans aliment intellectuel. Son ami
partit pour I»aris; ils continuèrent à sYerire, A
partir «le relit» époque, elle s'était inléresséo nu sort
«les peuples slaves; elle lisait les «cuvres do Herzen
et fut amenée à lui écrire. (Test, ainsi que nous
fîmes sa connaissance et qu'elle vint à sortir de son
cercle de vie étroit. Mon départ du la maison Ilcrzen
l'avait beaucoup affligée et ello m'avait témoigné
depuis une sympathie tendre et profonde. Nous nous
vîmes souvent et j'admirai en elle cette force de l'es-
pril anglais qui, pour peu qu'il s'élève au-dessus du
niveau ordinaire, marche avec une logirluo invin-
cible aux conséquences les plus hardies, capable
d'embrasser d'un coup d'«i»il les plus vastes horizons.
L'Anglais n'hésite pas entre la théorie el la pra-
tique, entre le fond et la forme; l'idéalisme qui se
perd dans les nues n'est point son fait c'est ainsi
que nous trouvons en Angleterre de grands esprits,
des poêles, des penseurs, des hommes d'État qui
sont de fortes personnalités, a la fois nationales et
humaines; et dans une sphère moins élevée, nous
rencontrons des caractères fermes, calmes, comme t
taillés dans le marbre. Loin d'en avoir la froideur,
leur cœur est chaleureux, plein d'affection. L'amitié j
de ces natures est fidèle jusqu'à la mort. ?
Kmilie Ueeve était un de ces caractères; les cir-
constances où elle vécut et sa mort prématurée l'em-
pèchèrent de donner toute sa mesure; elle fut
enlevée à la fleur de l'âge, au moment où elle
tTrnimraçairà~e^ayeTH^^ô^itn~fiômâiné
digne d'elle.
k
l,e «lésir «le -vivre ensemble nous était venu à
toutes deux lorsque nous nous <<onnnm«>s mieux. Je
lui écrivis «loue «le llaslings de venir nie rejoindre
»i ««Ho le pouvait; malheureusement ma situation ne
ino permettait pas do l'inviter. Dans l'espoir «le cette
visite, j'avais support bravement l««s débuts de
mon labeur solitaire. Mes promenades dans les
environs étaient mon délassement, et un matin, par
un beau temps d'automne, longeant les falaises, je
sentis mes pensées repremlre leur essor; mon ima-
gination, a travers le voila de douleur qui me
l'avait cachée, me souriait pleine lie promesses; il
me semblait que les buissons et les Heurs, les
nuages et les vagues me «lisaient d'une voix conso-
lante « Toi aussi, tu as une âme de poète, et la
poésie seule est vraie! »
Mais bientôt arriva l'arrière-saison, avec ses brouil-
lards, ses orages, ses jours froids et pluvieux; la
mer mugissait, et m'empêchait de dormir. Emilie
lieeve m'écrivait qu'il lui était impossible de venir;
elle avait compté sur un travail littéraire qui devait
couvrir les frais du voyage, mais la chose n'avait
pas abouti. Or elle était trop discrète et trop timide
pour demander à sa famille un sacrifice d'argent;
d'ailleurs elle était d'un caractère un peu hésitant,
elle n'avait pas d'initiative dans la vie pratique,
en
dépit de sa hardiesse spéculative. Après cette
amère déception, ma solitude me pesa double-
ment. Je ne pouvais guère compter sur des relations
sympathiques à Hastingsj Jajàe des jjetites _yjUes_
aïfglâfses a quelque chose de pénible et les rares
personnes dont j'avais fait la connaissance m'en-
nuyaient « mourir. Do pins je tombai malade, et
dans une nuit «le souffrance, oit la mer chantait sur
un rythme sauvage ses chants funèbres, et où mon
«mur I «allait à s<* -rompre-, je -pris- la- résolution do
retourner à Londres, où le torrent do vie passe en
mugissant et fait tout oublier par la puissance
..dominatrice..«te- sa voix;4ù -enfin le commerce de
quelques amis offre de temps à autre une heure
de joie. Des le lendemain, je mis mon protêt à
sx^cirtionï la nature hamame est pleine Je con-
tradictions et la solitude ne nous console que
lorsque la philosophie a déjà pansé nos blessures et
que notre cœur désolé a été apaisé par la voix
des esprits éternels qui nous ravissent â* nous-
mêmes.
J'écrivis à Emilie Reeve pour la prier de louer
pour moi un petit logement dans un quartier que
je lui indiquai. Domengé, à qui je fis part de ma
nouvelle détermination,m'écrivit gaîment « Venez,
cet isolement vous tuerait. Comptez sur moi comme
sur un frère. » Les Kinkel aussi semblaient ravis
de mon retour. Herzen seul se permit une plaisan-
terie à ce sujet. Il me disait que je ne pouvais me
« passer de
société », et cette observation venant
d'un homme qui m'avait vue pendant trois ans me
donner de mon plein gré et tout entière à la vie
de famille, me blessa profondément. Je pris le parti
de rompre enfin d'une manière définitive avec ce
passé, de ne pas même donner ma nouvelle adresse
à Ilerzeh cl de ne pas retourner chez lui.
Je revins donc à Londres, j'entrai dans le petit
^_appa«4<M(ag»tr-qu'ÉmiHc Reeve-Tn^arait choisi mes"
hôtes, d'excellentes gens, m'ollVaient la pension, et
j'organisai de nouveau une vie «le travail. Domengé
Uni parole il venait me voir souvent et nie témoigna
un dévouement fnUeYm»!. Emilie lïeeve aussi venait
me voir; j'allais «le temps en temps chez les Kinkel,
je me sentais entourée de sympathie et je retrouvais
mon calme el ma forée. nueUjuelîiniféës que fus-
sent mes ressources, quelque aléatoires que pussent
ôtreinesinoyeo8d%islence, je louai, cependant un
piano, car j'éprouvais te besoin dé recourir ft 1 art
sacré de la musique, cette suprême consolation.
J'avais été habituée dès ma tendre enfance, dans la
maison paternelle, à entendre les chefs-d'œuvre de
nos grands maîtres; depuis mon exil, j'avais beau-
coup sou If cri d'être privée de celle jouissance;
à Londres, les beaux concerts étant fort coûteux,
j'y allai rarement. Dans la maison de lier/en, la
musique avait été la seule chose qui me manquât.
Maintenantque j'étais seule,je sentis que je ne pour-
rais m'en passer. A vrai dire, je n'avais jamais été
une virtuose et j'avais perdu l'agilité de mes doigts,
mais il me restait ma voix. Le chant m'a toujours
semblé l'écho d'un autre monde, l'expression de sen-
timents profonds que les mots ne sauraient rendre.
D'une timidité désespérante dans la conversation,
je retrouvais toute mon assurance dans le chant;
j'exprimais mes sentiments comme si c'était
un
autre moi-même qui parlât. Voilà pourquoi j'avais
été si tentée de me faire aetriee; il me semblait
divin de pouvoir épancher comme en un torrent
sonore les sentiments les plus éleyéSi_dg_réjjiserjijnn^
idéal, sûre d'être comprise; la tâche de l'acteur me
semblait digne «l'on vie. Jamais cette condition pri-
vilégiée ne m'avait semblé plus belle qu'au temps
de ma jeunesse, où j'ai vu et entendu la Sehrœder-
lïevrienl iiito des plus grandes cantatrices qui
nient jamais vécu, Cette artiste incomparable et
in«ml*liabl(i m'avait lait entrevoir que l'ait drama-
Hque peut «Mre un sacerdoce, telle faisait de la scène
un lempln, et le culte qu'elle y célébrait était celui
d'une illusion consciente qui nous réconcilie avec
les misères de la vie en nous les montrant transfi-
gurées dans le miroir magique de l'art. Par elle
j'avais appris ce que c'est que le chant tragique, et,
en cherchant à cultiver ma voix, j'avais trouvé une
source de joies paisibles.
Dans les heures où la mélancolie prenait le dessus,
je me refugiais dans la musique. Mais ce remède
mémo ne réussissait pas toujours à chasser les som-
bres pensées qui assiégeaient mon âme. Il m'arrivait
parfois un redoublement de tristesse lorsque ma
voix, tantôt plaintive, tantôt véhémente, emplissant
ma chambre solitaire, venait comme du fond des
abimes me conter des douleurs désespérées. Alors
je fuyais mon piano, redoutant ce sphinx mystérieux
tout prêt à me révéler ce que c'est que la vie, à
moi qui n'avais pas la force encore de recevoir cette
févéktiion-. C'est ce qut m-'arriva- un soir où je chan-
tais un lied de Schubert « Malheur à celui qui
part, en fuyant sa patrie! » Une douleur aiguë me
traversa le cœur je me levai à bout de souffrance, et,
comme hallucinée, je saisis un couteau qui se trou-
vait sur la table. Mais l'image de ma mère m'ap-
parut, et le couteau m'échappa. Il fallait me fuir
moi-même, afin que la tentation no revint pas. Je
pris a la ItAIo mon chapeau ol mon manteau, et,
iRotUaiit dans un ouinibus qui passait jjijlai au
Strand-Thealer, oit ee soir-la on donnait fïtheUn.
l/actour qui jouait ce rôle était excellent, à eo que
m'avait dit IteineuipL flnœ'**>iumîssait si peu dans
eette ville gigantesque de Londres, le qn'en-dira-
l-on m'était si indifférent que je n'hésitai pas ù aller
seule ù un théâtre do second ordre. Je comptais
désormais parmi les prolétaires, et je ne dédaignais
pas de me procurer à leur manière une jouissance
artistique. J'allai au parterre, aux places à un shel-
ling, et à coté de moi sa trouvait une jeune ouvrière
qui mangea pendant toute la soiréo les provisions
qu'elle avait apportées. Ce voisinage n'avait certes
rien «l'agréable, mais tout cela s'effaçait devant mon
désir d'oublier le monde et ma douleur dans l'au-
clition d'un chef-d'œuvre. D'ailleurs l'acteur qui
jouait le rôle d'Othello me fascina au bout de peu
d'instants. On voit en Angleterre des acteurs d'une
grande valeur jouer sur des scènes de deuxième et
de troisième ordre, devant un public populaire, et
dans ce milieu modeste rendre les grands rôles
d'une manière remarquable. Jamais je n'avais vu
jouer Othello avec tant de grandeur et de vérité.
Cette magistrale interprétation du rôle me faisait
comprendre Shakespeare comme je ne l'avais jamais
compris ses pièces, puisées aux profondeurs mêmes
de la vie, font oublier la personnalité du poète. J'étais
plongée tout entière dans cette œuvre puissante au
point de m'oublier, d'oublier mon entourage. Je ne
fus rappelée à moi qu'en entendant comme un san-
glôr Slôulïé a coté demoi.Je moTetonrnar et je vis-
ma voisine, elle aussi, oublier le monde entier et
fixer la sei'iio. Ses provisions avaient glissé a terre,
îles hiriin's lirftlantès >o»thtn>nt le long de^es* joues
et pour nue heure au moi»* le chef-d'œuvre draina- =
Imjhp l'avail piiriHée t«t délivi'éo*!» la fango tTiei-bas.
fiîîtrtï^ô chex "iniit» ]v raiwas^aï hv couteau wslv ù
terre et ma dornùM'o pensé'o ce jour-là fut un hymne,
reconnaissant à Shakespeare. Oui, lo gt^nio seul,
seul l'art tragitjuo rend la vie supportable.
Je n'avais plus écrit & Herzen, je no lui avais pas
«ncorc donné mon adresse et depuis des semaines
je n'avais plus entendu parler de lui ni des siens.
L'anniversaire de ma naissance approchait; il avait
été fêlé gaîment autrefois et je m'apprêtais a lo
passer seule. l>ans l'après-midi, je vis tout a coup
arriver le jeune Alexandre qui m'apportait quelques
lignes afleelucuscs de son père et un souvenir de la
part des petites. Ils avaient cherché à se procurer
ma nouvelle adresse et avaient choisi ce jour pour
reprendre les relations interrompues. Mon cœur
n'était que trop enclin à pardonner et à oublier tout
le mal qui m'était venu de ce côté; je promis donc
de répondre à l'invitation d'Alexandre et de venir les
voir à la campagne où ils s'étaient installés. Au
bout de quelques jours je me décidai à y aller, car
mon désir de revoir les enfants était ardent. Mais
mon cœur se serra d'émotion à mesure que j'ap-
~pfôchai une maison où Ton continuaità vivre sans"
moi, sans ma sympathie, sans mon amour dévoué,
et à ce serrement de cœur je reconnus combien peu
j'étais guérie. Herzen me reçut avec la cordialité
d'autrefois, -loft-wifiiwlai'iMHsul lendreMes amis polis.-
La petite Olga, quo je ne pus revoir sans |tlo«n*oi%
restait timide et réservée. Mois, lorsque au boni do
quelque temps jt\ivs(ai seule aven uHv»J>lk\i»t-sauta
Inrusqueinenl wt «oit, m>mbrassanl avoe une ten-
dresse |Hi8siontuV. liés lors jo compris «|it'oii ox«r-
çâH umvpw^sion'sHi' t'dnfoftt r<s*- SPW eelto^Ma^ait.
instinctiviMnenl que Tuniour profond qui nous unis-
sait no pouvait plus so montrer librement comme
par le passé. Ce fut une nouvelle douleur pour moi;
j'avais espéré retrouver les enfants plus heureux
qu'ils ne l'avaient été avec moi il n'en était rien,
notnmmont pour Olgu, et je compris que la sépara-
«"lU'IU'ulJffété un malheur pour «Ile commepour moi.
Je résolus donc pour l'amour d'elle de supporter
toutes les amertumes cl les soutlVances nouvelles qui
m'étaient réservées, d'aller souvent chez Herzcn, alin
que l'enfant sentit la profonde tendresse que je lui
avais vouée veiller près d'elle comme un ange gar-
dien.
Dans le courant de l'hiver, je fis plusieurs con-
naissances des plus agréables. Parmi mes nouvelles
relations je citerai Angélique de Lagcrstrœm; elle
n'était pas mariée et avait à peu près le même âge
que moi. Comme moi elle avait pris part au mouve-
.ment religieux nouveau, et, bien qu'elle ne s'occupât
nùHcirienldc politique, elle avait dû 'quitter là Prusse."
Elle voulait s'établir à Dresde, mais elle fut molestée
par la police et réduite à %'Ox*lar- Elle était allée–
d'abord en Suisse, de là en Angleterre, et comme elle
n'avait pas de fortune, elle devait subvenir à ses
besoins en donnant des leçons. Son sort étoit dur;
il-
«Ile avait du renoncer « nno oxisfoneo agréable
qu'elle avilît sü sa ~I't~i;
su se .fi. il lui avait
pitla'lo,-ilhlrn,'nit
«-réer dans sa "patrie,
l'allu rompre avec son milieu pour mener, à l'entrée
«le la vieillesse, une vie solitaire dans l'exil. Je savais
nouvelle commençait a naître^ en Aile-
«ptieîfe vie
magne en dehors de l'église orthodoxe; les plus
grjUMls prohlèines moruiix (Jis'qyil^ lilmmienl
ecîiappaîeni a toute continuitédogmatique, les ques
lions sociales étaient traitées d'une manière vrai-
ment humaine; on aspirait à une culture véritable,
au lieu de viser à une science abstraite, réservée
iiniipienient à certaines .sphères ou a certains indi-
vidus. On voulait que tous, grands et petits, riches
et pauvres, les hautes comme los basses classes, par-
ticipassent au bienfait d'une culture vivante et efti-
cace, .le savais tout cela, je mesurai donc quel sacri-
iice Angélique de Lagcrstrœm avait consommé
en partant; j'en appréciai davantage son courage
stoïque dans te malheur. Un humour inaltérable et
une instruction variée et sérieuse rendaient sa con-
versation très attachante et je lui fus redevable de
quelques bonnes heures. Elle m'avait parlé à
diverses reprises d'une Anglaise dont la fillette pre-
nait des leçons d'allemand avec elle; tout ce qu'elle
me dit de cette dame avait piqué ma curiosité. Or,
un soir que Saffi faisait une conférence sur les con-
dilioiis de -l'Italie, j'y -rencontrai M"" de Lagerslrœm
qui me présenta une jeune femme d'une rare beauté
JiéJajtMEçj^ qui elle m'avait tant parlt'·
La taille élancée, les beaux yeux sombres et la grâce
de la jeune femme me plurent, et le son de sa voix
acheva de me la rendre sympathique. Une voix
douce et pleine a toujoursexercé sur moi un |Çt'««»l
charme; ici j'y fus <)'tiiiinnf plus sensible que la
langue anglaise, malgré ses sons gutturaux, si déplai-
sants d'habitude, devenait presque musicale grAce a
cet organe d'une extrême douceur. Je l'invitai a
venir uîe voir, et olfo «o l«r«t« \m# ïftmè fairo visité.
Je connaissnis par M1!0 «l« J^g«rstr«n»» Ui»«itnnli**«
«ïâins laquelle so iroùvail M™" ïïolïî jn iw tus pas
«lonm'o «le la confiance qu'elle me témoigna «le
primo nltcml..ï*tfprouvai pour elîe In plus vive sym-
pathie c'était une nature rare, d'une personnalité
marquée; elle avait grandi dans un milieu 'lui lui
était antipathique, et par la seule force de la pensée,
elle s'était affranchie de bien des préjugés. Kl le était
la fille unique de parents fort riches; elle avait été
élevée dans le confort, le luxe même. Née en Italie,
où elle avait passé sa première enfance, elle en avait
gardé un souvenir plein de poésie et de rêves ces
réminiscencesformaient comme le fond de son carac-
tère, elle y conformait toute l'harmonie de sa nature.
Revenue en Angleterre avec ses parents, elle avait
senti grandir la divergence d'idées et de sentiments
entre elle et son entourage. Son père était un bon
vivant, fin, spirituel et frivole, qui avait gaspillé
une partie de sa fortune dans les distractions cou-
tumières à un homme du monde; dépourvu de tout
scrupule, incrédule et sceptique «u fond, il tenait à
observer en apparence « la forme ». Sa femme était
le modèle de J'Anglaise « respectable son or tho-
doxie était irréprochable et elle se soumettait con-
sciencieusementau verdict de soumissionconjugale
prononcé à l'autel; le dimanche elle allait invaria-
Jdcniont «Iimixrois «; l'^lW no touchait a nueun
travail -u« juur-là 4«H« faisait Uwt .«.- comme tout te
monde »,cm« moud» dosons « respectables quint»
p«Vhe jamais contre ta tradition établie; mais elle
»>

était feojdet rnùltv, jU«det: jXwk mxlm ces deux


natures si «limHivn|,«* »jm. gRmdit Eug«>HM>; elle ne
n«M>tnl»lnU ni «\ ï'iin ni a rnulro; estait
une natiira
imMpRwl«nU»t piiiiv^Jov^ôuvurtoî la frivolité du
\wiv, emhtu sous les dehors <le l'homme Uu monde,
ne larda pas a lui parailro méprisable, car le lihor-
Ut):<~c 11«'il cachait avec soin du monde,
aux
il le laissait voir a sa fille. La vertuyeux
compassée et la
froide religion de sa mère glaçaient l'Ame chaleu-
reuse de la jeune lille et l'idéal qui s'éveillait en elle
en était troublé. Lorsque, mue par un sentiment
filial, elle voulait se jeter dans les bras do sa mère,
on lui disait d'tHre « ladylike » et de se tenir
« comme tout le monde » lorsque sa gaieté juvénile
remportait, on la rappelait à la bienséance; lorsque,
poussée par une ardente soif de connaissances, elle
demandait à cultiver sérieusement
un art quel-
conque, on lui répondait invariablement que cela
était inutile à une « lady », yue c'était bon
pour des
gens du métier. Les gouvernantes qu'on lui avait
données, les cours complémentaires auxquels
l'avait menée devaient suffire à une jeune fille on de
son rang et de sa fortune. Enfermée ainsi dans la
cage Je fer de là convention, le pauvre oiseau
résigné laissait pendre ses ailes et ne prenait
son
-essoi^v4U!s4e^tys^eJ^^a-4}ue dana ses rêves. Là,
cette Ame ardente rencontrait des êtres de
son
espèce, et loin, d'une réalité aride, elle vivait d'une
t>xis|onee poétique mate dangereuse, qui l'éloignait
«te pinson phts t^w»tMwtKwtï tëlle-étatt d'une hemttA
rare; à dix-sept ans elle rencontra parmi les pré-
tendants à sa main un artiste dont la situation ne
iivpondaifc gitèrn «ttsï prétentions de ses j wenls.
Mai* il semblait & Eugénie 4110. le «U^sUn lui onvoynit
un sauvtMir, capable «le la Uôlivior d'une vie pro-
-saiiqire'ofe «In rwVliser s*on idéal; eîfo^ pensoil qu'urt
julislo capable de créer des hôros et. des dieux sau-
rait donner a sa femme le eiel sut' la terre. Kilo sut
vaincre les objections de ses parents el ellc devint
sn femme. Mais son rôve fut do courte durée. Klle
comprit bientôt que la carrière artistique, elle
aussi, a sa convention et que de mémo que tes
manières de l'homme du monde cachent souvent sa
perversité, de mùnw. une certaine culture artistique
tout extérieure sait dissimuler aux yeux des pro-
fanes le manque d'idéalisme et de force créatrice.
L'histoire de son cœur fut alors l'histoire de toutes
celles qu'une erreur de jeunesse soumet au joug du
mariage, que la société considère comme un joug
sacré parce que l'Église déclare le mariage indisso-
luble. Mais ce qui la distinguait, c'était Ic puissant
travail d'esprit qui l'arma contre son entouragedont
l'hypocrisie, la brutalité perverse et la morale men-
•songère la révoltaient. Cette révolte était un fait
d'autant plus remarquable que rien ne l'avait
éclairée sur ces questions, ni un livre, ni un ami;
personne ne lui avait dit que les idées qui l'agitaient
étaient depuis longtemps acceptées par-«ne~gr«nde
partie de la société et que la lutte qui se livrait en
elle était une lutte séculaire. Elle avait été mère
duiisî foin, maisla mort lui «vnïl ravi son fils. Il h©
lui resjail qu'uni» netile. flllû^ol elle sa donna pour
tAehe dans la vie de l'élever autrement qu'elle
n'avait «M»'» élevéo elle-m^me. (îrAeo n l'enfant, elle
espérai! vivre en bonne intelligence avec son mari^
quelle ne pouvait plus aimer. Elle avait cru de son
devoir, des quV'Je eut perdu l'illusion de l'amour,
«le mmpw* JoulvCOittHiei^ew^eUlni^ ditlîftrant flrt
cela de la plupart des femmes qui no sentent pas
l'avilissement du mariage sans amour, ou qui, si
elles le sentent, n'ont pas le courage moral d'une
rupture. M. Hell incapable da comprendre les
motifs d'ordre moral tlui guidaient sa femme, lit
força au bout de quelques années à venir avec lui
et son enfant vivre dans la maison paternelle de la
jeune femme; il comptait trouver dans l'élégance
et le confort d'une installation plus agréable une
compensation au bonheur vrai qu'il avait perdu.
Ce fut pour Eugénie l'arrêt de mort; cette maison
oi'i elle avait passé sa triste enfance, où l'on avait
coupé les aites de son esprit lui semblait un tom-
beau où elle allait s'enseveliravec sa fille. Toutes ses
supplications furent vaines; l'autorité de son maître
remportait, il fallut obéir. L'abîme entre ses idées et
son entourage grandissait. Le monde dans lequel
elle vivait, avec sa religion, sa morale, ses relations,
son art tout de convention lui devenait tous les jours
plus odieux. Elle espérait préserver son enfant de
ces influences; elle se chargea de presque tout son
jepsftignemeut,- surtout de son instruction– reM–
gicusc; elle essayait d'éveiller dans cette jeune âme
un culte simple et poétique pour cette pureté
suprême èl --inconnue qui **sl un tnysièro; elle
K'ettbivait de la lenirit l'écart de taules les formules
vides du dogme. C'est sur ce point que devait
érlaler le conliil entre elle et ses parents, conltil qui
••«Hivoil «U'piiiH longtemps el qui ne larda pus A
dégénérer en gueiTe «nverëe; la mère tt'Iûigéme
n'entendait pas céder sur «*e point, elle ne permet-
tait pas «w tiv l'Aeheiix ^gftftiinftnt;tte m fille vint
entamer l'esprit do sa pelile-Ulle. Son mari cl
son gendre prirent naturellement son parti. Celle
femme » irréprochable », celle femme « modèle »ne
pouvait pas avoir tort. Eugénie avait fini par ne
plus aller à l'église le dimanche son esprit clair-
voyant n'y trouvait que matière à critiquer; l'enfant
dut y accompagner sa grand'mere. Kugénie voulait
donner à sa fille des goûts et des habitudes de sim-
plicité conformes à ses propres vues; son sens artis-
tique lui inspirait le mépris de la mode el du luxe.
Los grands-parents, au contraire, prodiguaienl à la
petite toutes ces superfluités si funestes aux enfants,
qui leur inoculent, avec une satiété précoce, des
besoins innombrables. On la contrariait de même
en toutes choses. Eugénie ne cachait pas sa manière
de voir, elle croyait devoir cet hommage à la vérité. Il
en résultait des scènes d'une violence extrême. Jamais
on ne parvenait à s'expliquer tranquillement; l'abso-
lutisme rend la discussion impossible; un seul doute
ébranlerait la forteresse immuable des dogmes fon-
damentaux. De plus le père d'Eugénie était un
homme fl'nno. vinli»nr<» ^fTWrnée, la passion 1»h f"i«"i>
oublier tout décorum et il se laissait alors entratncr
aux menaces les plus effroyables. Il avait dit plus
d'une fois qu'un ùtm aussi onortaal, rebelle à foute
monde Iradjtionwlle, ne pQuyaiLfinjr que dans un-
lisUe d'aliénés. Cos* discordes no restèrent naturelle-
ment pas secrètes et bientôt toutes les relations de
In famille commençaient a regarder Eugénie avec
dfHahVe vl h la tenir a l'écart, ftpuisée par ces
luttes inutiles, irritée et blessée jusqu'au fond de
son âme, elle Huit jmw vivre ùparl^ h l'étage 8»|»é-
rieur, où elle avait une chambre ù coucher pour elle
et sa fille, et la chambre de jeu de celle-ci. Elle y
enterra sa jeunesse, sa beauté, ses brillantes qua-
lités, ses talents, pour se donner tout entière à la
tache qu'elle s'était imposée. Mais elle fut atteinte
cruellement en voyant grandir de jour en jour la
ressemblance de la jeune fille avec son père; frivole,
froule et égoïste, celle-ci se sentait bien plus attirée
par la vie brillante de ses grands-parents que par la
vie intime que lui offrait sa mère qui exigeait dès
la nursery, au milieu des jeux et des distractions,
un certain sérieux, une certaine préoccupation de
bien faire, et qui attachait beaucoup plus d'impor-
tance au fond qu'à la forme. Ce fut un coup terrible
pour la jeune mère. Mais comme de toutes les
épreuves de sa vie, il s'en dégagea pour elle un
enseignement élevé; elle oubliait ses propres maux
en considérant les misères humaines, leurs causes
et leurs effets. On peut dire que cette nature
extraordinaire arriva par induction, à travers- sa
triste expérience, à des conclusions que la philoso-
__j)luejîyaj>çjejajçej^ pa5 à ~n-
nattre. Sur ces entrefaites, grâce au hasard, elle fit
une découverte qui lui donna la clé de ce qu'il y
avait eu de mystérieux et <r«vnigfnatiqutt pour elle
– «Ion» sa vie. effet, elle apprit qu'elle n'était pas~
En
l'enfant .ilo la femme qu'elle avait prise jusque-là
pour sa mer©, mais l'enfant ilh'gilime «rime «laine
italienne dont «îlle avait gardé nn souvenir .vogue et
lumineux. Par le plus grand «les hasards, eelle iVntf-
Inlion lui fut confirmée, et. elle opprit le nom et la
patrie de sa waïo inèrer Ç«mroont l'épousa légitime
avait-elle adopté cette enfant? Comment sa vraie
mère avait-elle consenti à l'abandonner? Tout cela
demeurait un mystère pour elle, car elle voulait a
tout prix laisser ignorer à sa famille qu'elle était
informée du fait. Elle comprenait désormais l'abîme
qu'elle avait toujours senti entre «41e et celle qu'elle
croyait sa mère; elle ne s'étonnait plus de n'avoir
jamais pu, elle qui appartenait à une race ardente,
reposer sur ce cœur glat-é. Elle se sentait sou-
lag««c d'un poids, comme d'un remords; elle pou-
vait enfin éprouver de l'estime et de la reconnais-
sance pour une femme qui lui avait servi de mère, là
où elle se reprochaitde n'avoir pu éprouver d'amour
filial. Mais, d'autre part, son antipathie contre
son père lui paraissait justifiée; elle lui en voulait
cruellement de l'avoir privée de sa mère, qui lui sem-
blait, d'après son vague souvenir, si sympathique,
et d'avoir peut-être condamné celle-ci à une vie
douloureuse et amère. Un désir ardent de la con-
naître s'empara d'elle; elle apprit seulement qu'elle
s'était mariée plus tard, qu'elle était partie pour la
–Russie, mais elle ne sut pas si ello-était encore en
vie.
Le hasard avait conduit Angéliquede Lagcrstrœm
dans ta maison de M" Bell elle donnait des leçons
d'allemnnd à sa fille; cette relation fut une véritable
révélation- pour Eugénie. Cette femme cultivée,
celle Aine noble et libre, lui lit comprendre pour I»
premier»* fois que l'homme a le droit de se déve-
lopper et de penser par lui-môme êl qu'il peut
ouvertement repousser des dogmes auxquels H ne
croil plus. Sa joie égalait son élonncment, et quand
elle vint «revoie» cite m'exprima sbfi bdttbeuf d
rencontrer en moi quelqu'un qui partageait sa
manière de voir.
Elle vint dès lors me voir aussi souvent que pos-
sible et son esprit ardent se développa rapidement;
elle ne craignait plus comme autrefois que sa pen-
sée et son sentiment fussent quelque chose d'anor-
mal; elle savait trouver un écho chez d'autres.
J'étais heureuse de lui ouvrir les portes d'un monde
nouveau qu'elle aspirait à connaître; en même
temps je compris la nécessité de lui créer des rela-
tions capables de l'aider et de la soutenir si la
catastrophe que je prévoyais venait à se produire.
D'abord je la mis en relations avec Herzen; mieux
que personne il pouvait s'informer de sa mère,
puisque celle-ci s'était mariée en Russie. En effet, au
bout de quelque temps il apprit qu'elle vivait encore
et il put découvrir son nom et son adresse. Eugénie
fut très émue de cette communication et longtemps
elle lutta contre le désir d'aller chercher un. refuge
auprès de sa mère, et de lui demander un abri pour
elle et sa fille. Enfin elle renonça à ce projet, crai-
_g«a»t-4©-4«i~ftttre–dn tort daus~sbn milieu en lui i
rappelant une fille qu'elle n'avait peut-être jamais
avouée. Pourquoi troubler lit sécurité de celle qui
avait sans i doute beaucoup souHbrl autrefois d'un
Tênôneement nécessaire et qui, croyant sa (Hle
heureuse, était arrivée à vivre en paix avec le passé?
Je trouvais ces raisons si nobles que je lie pus rien
objecter à isa décision, bien que j'eusse été heureuse
de savoir Eugénie auprès de sa vraie mère. Jo la
mis en relation avec un des plus remarquables avo-
cats do Londres, quo je connaissais par Iler/en,
Nous passâmes plusieurs heures à lui exposer la
situation et nous lui demandâmesconseil. Eugénie
ne voyait qu'une issue, fuir avec sa fille, aller en
Amérique et là vivre de son travail et élever son
enfant selon ses vues. L'avocat, un homme de cœur,
fut très touché de sa situation; il se déclara prêt à
l'aider, mais il ne lui dissimula pas toutes les diffi-
cultés de ce projet; k. loi donnait au père pleins
pouvoirs pour reprendre sa fille, quelque loin qu'on
l'emmenât; selon lui il était difficile de trouver une
cachette que la police n'arriverait pas à découvrir.
Il n'ajoutait pas que les peines les plus sévères, la
déportation même, menaçaient ceux qui venaient en
aide aux fugitifs; dans un élan de pitié généreuse il
lui dit qu'il ne l'abandonnerait pas, qu'elle pouvait
compter sur lui. Eugénie en fut émue jusqu'aux
'larmes.
Mon commerce avec Emilie et Eugénie m'avait
mise en rapport aveeja^vie anglaise plus que je ne
l'avais été du temps de mon séjour dans la maison
de Herzen. J'évitai de renouer mes relations avec la
hautee société que j'avaiS"fréqUeltttéCaux débuts de
mon séjour à Londres. Non seulementje n'en avais
nulle envie, mais ma situation ne me permettait pas
de f«hv les frais de toilette, «le voilure, les frais do
toute espô«%<\ que nrcessit^ la vie «le Londres. Jo me
tournai vers l'étude de la vie du peuple, dtt paupé.
risme; ma eompassion m'y portait et, désirant écrire
pour ûft journal «llnmanclr j«t cjierehai dos siijots
plus intéressants que ceux que la haute société pou-
vait me fournir. Je lis la connaissance d'une dame
'lui faisait partie d'une société charitable fondée par
un pasteur allemand, en vue do secourir les familles
allemandes. Elle m'offrit do m'emmener quelquefois
dans les quartiers pauvres. J'acceptai volontiers sa
proposition, et c'est ainsi qu'un matin nous partîmes
en omnibus pour While Ghapcl; la route me sembla
interminable; c'est le quartier du petit commerce,
des ouvriers, des prolétaires, et du vice avéré.
Il y avait la des centaines de familles allemandes;
c'étaient, pour la pluparl des musiciens ambulants,
des propriétaires d'orgues de Barbarie, etc.; il y avait
aussi des ouvriers tanneurs, des fabricants de
chaussons de lisière. Tous ces métiers sont péni-
bles quelques-uns sont malsains, celui des cor-
royeurs les obligeant à rester debout dans l'eau.
Cet hiver-là on manquait de pain, les froids étaient
rudes. Des centaines d'ouvriers étaient sans travail,
et les étrangers étaient naturellement plus frappés
que les autres. Les femmes étaient d'autant plus
à-plaindre-4|»^eHe»«e-pariaJentpas l'anglais, la plu-
part du temps, et qu'elles se sentaient tout à fait
dépaysées. Le comité des dames, le pasteur, le
maître d'école, avec lequel les enfants nés en Angle-
terre apprenaient leur langue maternelle, tout le
monde nidnil de son mieux. mais que pouvait tout
cela contre la grande misèi'e!
Nous aU8\mes d'aliof*! ilansiine nuvaux maisons
liasses cl misérables, habitées presque tontes par
des Allemands. Nous y tr«mvam«>s une famille de la
\V»U«5mtt»:îlôs paysans, -qui; ne s*eiitëudai«miVqu1îiFla lu
eullure des «:hamps. Ils étaient naturellement dans
la pénurie la plus grande, « mais », nous disait la
femme dans son dialecte, « là-bas nous étions si
malheureux que nous ne pouvions plus l'endurer;
nous avions trop d'impôts à payer, il n'y avait plus
moyen de vivre; j'ai vu l'autre jour une femme do
chambre, une Anglaise, qui a «lemamlé d'où nous
étions; je lui ai dit de la Wellerau, aux environs de
Giesscn « Ah! m'a-t-elle dit, comment avez-vous
pu quitter un si beau pays! » – « Oui, lui ai-je
dit,
c'est un beau pays pour ceux qui ont «le l'argent,
mais pas pour le pauvre peuple qui a faim, et si nous
sommes malheureux ici, nous sommesencore mieux
que chez nous. »
Partout j'entendais des accusations analogues et
mon cœur songeait avec colère et avec indignation
à cette patrie si dure pour ses enfants que ceux-ci
lui préfèrent la misère et l'exil. Ces pauvres gens ne
regrettent môme pas cette motte de terre à la«juelle
'les plus misérablesattachent cependant un souvenir^
attendri, car c'est là qu'ils ont vu le soleil pour la
première fois, To»les4t>s familles que nous viwt&mes-
étaient de braves gens que les dames de l'association
connaissaient de longue date. Ces pauvres gens
étaient parfois la victime d'escrocs. L'une de ces
familles avait été cruellement dupée. Un homme
était vomi avec une femme soua-Iauer une chambre:
ht familhs composée du père, de la mère ol de quatre
enfants, ravie de ce gain modique, s» sem» tant Won
que mal dans la secondé pièce du modeste logomonl.
\.v nuiivt>nii venu se faisait passer pour un Alsacien
il rat'onla «jue sa IVmmo avait «Hé aulrefois sa ser-
Vî«rt«\ «jw'il lavail épousén et que ce mai'iafço Tiivait
hroitilli1 avec sa famille il n'était ensuite etigagt',
mais 1<> iiiélier «les armes ne lui plnisanl \m»y il avait
désèrtfi; ilnê pouvancRiinï pas* rontror eri Franco; il
ajoutait que s'il avait Targent nécessaire il enverrait
sa femme chercher sa mère, qui était fort riche, et
qui s'élail réconciliée avec lui; il promettait a ses
hùles, s'ils lui prêtaient «le argent, de leur avancer
en revancheunosommcqiii leurpennel trait d'acheler
un fonds de boulangerie. ( les malheureux, dans leur
lionlé crédule, séduits par ces espérances d'avenir,
portèrent au Mont-de-piété tout ce dont ils pou-
vaient disposer et finirent par trouver le pécule
nécessaire au voyage. La femme partit; l'homme
resta; il mangea et but encore avec eux tout ce tlui
leur restait, puis, sous prétexte d'aller chercher les
deux femmes à la gare, il s'en alla à son tour, empor-
tant le manteau de son hôte, tlui « one(lues ne le
revit ».
Mais les pauvres dupes étaient là; un reste de
charbon brûlait dans l'âtrc, les enfants affamés
étaient assis autour de la table vide, un des enfants
était malade an lit, la femme n'avait plus-qu'un
jupon, tout le reste était au Mont-de-piété, elle pleu-
rait à chaudes larmes; l'homme n avait plus de sou-
liers, sâ~'figùre était KôulëvêTsée par le cTïa^jrTïTfÏÏ"
n'avait pas tic travail, il ne pouvait compter sur
personne eu pays étranger, H a trois jours de la il
«
fallait payer le terme.
Ucaucoupdc gens nous ont conseillé d'aller dans
u in» autre maison sans payer le propriétaire », disait
la femme on sanglotant, « mais je na veux pas faire
t*ôtàTj^ÎHiq'nUôttx"(prîI»yîêrinoiHT~iiuvpronÀf«'inôtV r
lit. que «le faire cela ici parmi les Allemands. »
Aiusi rainour-propre nation»!, ce dernier reste de
patriotisme, la retenait an l»ord de ral»Ime. Kt voilà
la misère indescriptible que la grand» el opulente
capitale recelait dans son sein Mais les heureux, les
riches en détournaient la face, allaient à leurs litai-
sirs, laissant le pauvre a ses tristesses dans la nuit
et l'horreur du dénuement.
(Uadstone l'avait dit à cette société frivole dans
un discours prononcé au début de la saison, « l'Ouest
et l'Est marchent parallèlement, et le « Westend »
devrait se souvenir, au milieu de l'éclat de Mon luxe,
et de ses réceptions mondaines,qu'il existe un « Kasl-
eiul » dont l'aisance diminue à mesure que la sienne
augmente, k Nous assistâmes à une scène comique
dans cette course si triste d'ailleurs. Nous étions
entrées dans une boulangerie pour demander notre
chemin; nous cherchions une rue où nous avions à
voir une famille. La boulangère, une petite femme
replète, rejeta la tête en arrière, et nous toisantd'un
air ironique oil se méfait quelque épouvante, nous
-dit-: « Comment, vous voulez aller dan» cette rue?-
bonté divine, il n'y a que des femmes de mauvaise
vie dans cette rue-là! Je n'y meltrais pas les
même si ma mère y demeurait »
pieds
-r
Au mémo instant un homme entra dans In bou-
tique et lit femme, se tournant vers lui, s'écria aussitôt
d'un air indigné « Songe/, don»*, ces dames veulent
aller plmrellnmswùU! OVsl «flreiix, vraiment. »
« C'est juiiir y
habiter? » demanda l'homme avec
un sourire équivoque.
« C'est pour, yvoir une famiUojjauvr© », «»plt«jua.
nia compagno.
Pamle «riioniUMir, «*p n'est pas possible d'aller
<Ians nno ru« pa FJîîUe > » s'ôeria Ja Ijaulangèrq do pkis ?
on plus excitée, et elle racontait a tous les nouveaux
arrivants eette épouvantable nouvelle.»Non, disait-
elle, nous qui vivons tout près, nous savons ce que
e.'esl; e'esl dégoûtant; tout le long du jour e,a va
vêtu de haillons repoussants, et le soir e'est, habillé
si bien qu'on ne les reconnaît pas; –
puis viennent
les matelots, el alors. oh fi! » La vertueuse boulan*
gère cachait sa ligure dans sa main, comme pour
chasser les visions qu'elle avait évoquées.
« Mais
il vaudrait mieux plaindre ces malheu-
reuses et lAcher de les ramener au bien au lieu de les
traiter durement! » repris-je.
« – Les ramener au bien? Gond gracions me! les
ramener nu bieu? » – s'éeria-l-ellc enjetant derechef
sa tète en arrière et en me lançant un regard cour-
roucé. « – N'y a-t-il pas par ici plus d'églises qu'ail-
leurs! ne peuvent-elles pas y aller? Non, elles ne
veulent pas s'amender; c'est plus commode de
gagner de l'argent comme cela que par le travail.
?fons autres, nous travaillons de quatre heures du
matin jusque tard le soir et le samedi nous peinons
-sottvent dix sept heures; e,a, (M?st du pain honmUe–
mont gagné ot avec eela nous sommes lion» pour
nos gens; nos ouvriers sont payés a raison «ta set/o
sltelling* pur semaine, ou leur donne un pain par
-ioiu.MrL-.lo samedi soir «lu lliéitYO*: •iu-4»«iiv..oi.jihi
beurre à discrétion. Voilà ee qu'on appelle se nourrir
lioniMMeineiil Mais ccs^cns-là! Hlh's so ^atcnl les
unes les auhes, et. puis, olles vionnonl ehoz nous^
prenili'o «tu pain »\ cnMit, ©t«j«a«d olW n« p«wwnt
pas payer, elles vont chez un attira Iioulangor. Oui,
l
voilft; ce ijuj* c'est tfiio tl\%tw>iç>p l»n »
– « N'uurioz- vous pas de place pour un garçon
i ?

l)oulanger allemand ? » lui demandai-jo en inler-


rompant lo torrent d'éloquence do cette femme, qui
rougissait d'orgueil et gonflait de satisfaction.
« Non, les Anglais sont de meilleurs
boulangers
que les Allemands », me répondit-elle d'un ton sec
cl positif.
Nous quittâmes ce Falslau" en jupons pour nous
rendre dans cette rue si mal famée; le vice y vivait
pcut-<Mro sous sa forme la plus vulgaire, mais nous
n'y rencontrâmes que la poignante misère. Dans un
réduit sombre, au rez-de-chaussée, nous trouvâmes
le père, un Allemand, qui fabriquait des peignes; la
mère, une Anglaise, et sa fille aînée étaient occupées
à coudre et il y avait trois enfants assis sur une ban-
quette. Le père avait été malade pendant des années
et quand il put se remettre au travail la mode des
peignes était passée; d'ailleurs les machines les fabri-
quaient plus vite et à meilleur compte. H ne pouvait
rien entreprendre, car-toute installation coûte de
l'argent et il était à bout de ressources. Il ne lui
_J£sJLaU_jJCâuirfi_jîari^
son métier, ol sa fommo aliail vondro eos peignes
a vil prix dans la rue. Us vivaient de ces maigres
m*ottos, lenantlos* enfants onforioés dans Unir petit»
pièce, oit In santé du corps seulo «'toit roonaoéov
tandis qu'au dohorsla santé do l'Ame eftlété exposéo
M tous les dangers do In rue.
Cotait par une belle aprôs-midi d'Iùvor; lo goloil
bnllnit sur les toits des maisons et dans la Cîtè leT
ciel était blou; lo jour eoinincm-ail à tomber quand
nous oAtnes lonuiné Iqules no^ visiter; nion çcout
fflmttbftrd" ot jo sdiifais le poidsde toutes ïes larmes
(|uo j'avais vu verser ce jour-la. Kn traversant la
Cilô, tout le long de co vhemin oit notre voiture
roulait, a grand bruit, je songeais aux millions
entassés dans los magasins opulents dos quartiers
riches et je frémis de la responsabilité qu'assume
une moitié de la société. Je me souvins d'uno his-
toire que m'avait racontée Domengé; il s'occupait
des affaires d'un do ces jeunes millionnaires de la
Cité qui ne savent que faire de leur vie et de leur
fortune. Domengé allait le trouver tous les soirs à
son bureau pour lui faire ses comptes. Il me disait
qu'il était souvent hors de lui en voyant ce jouven-
ceau entrer d'un air hautain, toiser ses subor-
donnés, leur faire sentir leur dépendance et, avec la
volupté d'un tyran, leur faire cssujrer sa mauvaise
humeur. L'intelligence de Domengé lui imposait;
il le traitait poliment, l'invitait à diner ou à des
parties de plaisir. Un jour Domengé avait essayé de
l'amener à reconnaître que l'état actuel de la société
n'est pas ce qu'il devrait être. Il lui avait parlé avec
J^l^^LlËHi^HiJ^H– jesa.rç>umep*s de son interlo-
t'uleur, jusqu'à ce que le jeune homme lui «lit fina-
lement « Mon Dieu, tout oola est bel et bien, mais
folane me regarde pas; je suis né rirhe, ai le droit
dojonir do ma Poi1unp» ol j'use do mon «Imil, »

« Eh bien, lui répondit Domon^* on so lovaHÏ,
jouissoz «lo rolro droit, mais ne vous élonnoz pas si
un jour les autres usent du leur, »
L'hiver Fût f très rigoureux côttô annee-Ja et ta
misère prit do telles proportions cjno queUjuo mo-
desto que lût ma chambre, son ÇOttforl ino donnait,
des remords. Souvent, au mïïîou de mon ti^vaïï,
j'étais interrompue par un chant lugubre qui faisait
frémir mon cœur; c'était comme un choeur des
Euménidcs venant venger quelque crime des mortels.
Tremblante et émue, j'allais a la fenêtre et je voyais
un cortège navrant s'approcher à pas comptés, (le
n'étaient pas des vieillards ni des infirmes, c'étaient
des hommes robustes qui chantaient. sur une mélo-
pée funèbre le refrain No work! (Pas de travail !)
Ils allaient les uns derrière les autres, le premier
portant une branche verte attachée à un bâton.
Triste ironie! Le vert de l'espérance porté par ces
désespérés! Ils s'arrêtaient à chaque maison et
levaient les yeux vers les fenêtres d'un air d'ardente
attente. Si personne n'ouvrait, si nulle main chari-
table ne jetait une aumône, ils reprenaient lentement
leur chemin. Le peuple anglais est si pénétré du
sentiment de la légalité que ces cyclopes aflamés ne
montraient pas le poing à ces fenêtres closes et
qu'ils passaient en reprenant leur navrant refrain,
Ces cortèges se succédaient tous les ans et cet état
– ÎÎ!!LÊ!*5!i!!iS^^ faisait qu'empirer depuis longtemps,
à mesure que la vie devonaH plus «hère et quo la
prix de la tnain-dVnvre diminuait. Los seuls moyensg
locaux auxquels ««es malheureux avaient recours
étaient T' tes meetings otY les orateurs populaires,
et parmi jouN-ci lirnesl Jones, le choC «les jehartiates,.
exposaient les causes «le la misère et les remèdes
qu'on pouvait y apporter; 2° l'appel en masse aux
bourses de jravail el aux maires dos quartiers. J'allai
un jour assister a un «le ces meetings qui so tenaient
généralement sur la place publique. Celui auquel
j'ossjsfcù M toaail dans la eoinmiuiûdo ^iintrP#B^
vrace, dont la population se compose en majeure
partie d'ouvriers pauvres. L'orateur, lui-même un
ouvrier, était debout sur un lertre; autour de lui se
pressaient des centaines de gens des deux sexes. II
exposa d'une manière lucide et nette, avec la brièveté
anglaise, un tableau (le la vie des ouvriers et montra
la disproportion entre le travail et le salaire. On
sentait à chaque mot que tout ce qu'il disait était
vécu, qu'il savait «le quoi il parlait. « Je rougis »,
dit-il entre autres choses, « et depuis huit ans que
je suis à Londres j'ai toujours rougi de travailler
sans jamais arriver à gagner que tout juste de quoi
vivre. Et cependant je me sens autant de capacités
que ceux qui vivent dans le superflu. »
Puis il développa d'une manière saisissante les
conséquences inéluctables de l'état actuel de la
société, l'excessive richesse engendrant la pauvreté.
Il montra combien peu les riches songent à cette
logique des faits. « Quand ils font une promenade
vn "voiture, ils mettent en branle une vingtaine de
personnes, depuis le valet de chambre jusqu'au
palefrenier^ pl si quelque mendiant sCappïwlw
dVnx, ils s'éerieni « Mon Uieu, no pourrait-on
nous débarrasser de ces gueux! « 11 résulta de cet
étal de choses que le m>mbiHv do» voleurs et «tes
.brigands, augmente cl qu'on *»sl ajissi exposé dans
les rues de Londres que dans les bois. »
II proposait comme remette l'émigration et la
diminutiondes heures do travail. Ces propositions
étaient colles du parti ouvrier que dirtgoaît lo
clergé; les chartistos combattaient au contraire la
rthèso ûq i*émigpaUon^ iL% alarmaientque ,1a çulturo
do la terre suffirait a remédier au paupérisme. Kn
parlant ainsi ils visaient les immenses propriétés
foncières de la noblesse anglaise, ces parcs qui
s'étendent à perte de vue pour le bénéfice d'un seul.
Ils craignaient par l'émigration de voir enlever a la
mère patrie cette robuste population ouvrière, base
do la prospérité d'un pays.
Les chartistes, d'ailleurs, cherchaient a donner
au mouvement ouvrier un caractère politique; on le
savait et on le redoutait. La situation devenait
grave, le Times s'occupait de la question et cher-
chait une solution, notamment dans la réforme des
bourses de travail. Celles-ci ne suffisaient guère à
leur tâche, à en juger par les nombreux exemples
que me citaient mes voisins du meeting. Ainsi,
entre autres, une femme me raconta que son mari,
qui n'avait pas eu de travail pendant des semaines,
s'était vu forcé de recourir à la bourse du travail. Il
était peintre en bâtiments et on lui avait donné à
casser des pierres. t)n lur donnait-le- soir un paiit
et trois pence (0,30), mais ce dur labeur lui abîma
les mains si bien qu© do longtemps il ne put
reprendre son propre métier. Maintenant il lui fallait °
aller chercher «lu travail au loin et sa femme et ses
enfants mouraient, de faim chey, eux en l'attendant.
Des cas semblables étaient fréquents.
de Torateùr toute la foule Té le
-£pjîgg j(y -<iîSëof|-PS-
suivit jusqu'à la bourse du travail de Saint-Pancrace,
et la elle se massa en silence. Quelques-uns des
meneurs montèrent avec l'orateur trouver les chefs
qui regardaient la foule d'un air do défi. Pendant

"voisins.' -•• ; •• -_• -


les pourparlers je continuai à m'cntreteniravec mes
="'

« Hélas! me dit une femme du


:_=
peuple, toute la
maison est pleine d'agents de police, et si nous
faisions la moindre démonstration violente, ils sor-
tiraient et nos hommesseraient arrêtés. Ces messieurs
de la bourse du travail savent bien pourquoi ils
n'aiment pas nous faire comparaître devant les
magistrats il faudrait alors examiner les choses de
près, et ils ont tout intérêt à abuser de nous. »
« Mais si vous savez que cet
appel aux bourses
du travail ne vous avance à rien, lui dis-je, pourquoi
n'allez-vous pas tous ensemble au nombre de cin-
quante à soixante mille pour demander à être
entendus au Parlement? Dites que vous ne voulez
pas user de violence, mais que vous ne partirez
pas qu'on ne vous ait secourus. Vous êtes un peuple
libre, que n'usez-vous de votre liberté? »
« Ah! reprit-elle, les pauvres gens hésitent
avant de faire une chose pareille. »
Pendant ce temps la délibérationprit fin;- un.des-
chefs s'avança, avertissant la multitude qu'à la
moindre manifestation hostile le succès de& démaiv
• liesserait compromis. Il répéta plusieurs fois sur
un ton de menace « Prenez partie, prenez, partie, il
y a des espions parmi vous, ne vous lie?, pas à eux. »
La fonte promit de se tenir tranquille et les ehets
lënTrèrent dans la maison pour reprendre tes négo-
ciations. En fin de compte on leur fit da vaines pro-
messes et los pauvres gens durent s'en contenter et
rentrw^hézwnc
A la suite de ces incidents, le Lord-maire et
quelques magistrats firent une visite nocturne à la
H&rbuh^al-Kaschïd pour inspecter înôpînèmehÉ les
boursesdu travail. On y découvrit dosabuseffrayants
les maisons où les pauvres sans abri et sans travail
devaient trouver l'hospitalité de nuit, étaient de
véritables écuries; hommes et femmes y couchaient
pêle-mêle sur des haillons sordides. De plus ces
misérables asiles étaient si loin les uns des autres
que les pauvres gens qui arrivaient harassés à l'un
de ces dispensaires où on leur distribuait des cartes
d'admission étaient forcés de faire un long trajet
avant d'arriver à l'asile de nuit.
L'étude approfondie que je fis de cet état de
choses ne contribuait pas à me donner du courage
ni à jeter un jour joyeux sur ma vie. Mais dans cette
foule de malheureux, je sentais que je n'avais pas le
droit de me plaindre. Pour la première fois, je dou-
tais de la perfectibilité du monde et je commençais
à comprendre que l'existence même est le mal dont il
faut tâcher de nous délivrer. En voyant des centaines
d'êtres mener une vie plutôt animale qu'humaine
dans cette immense capitale, je me sentais frémir
^"eëplSndant que faire? Depuis longtemps je voyais
qu'une révolution politique seule -ne remédierait
pas
ait mal social; la révolution sociale qui déchaîne ses
fureurs sur un monde mïlisé no me semblait pas
davantage le salut. La Révolution française avait
monlviV oe que vaul la passion aveugle et eilïônée
du nivellement. Quel bienfait attendre d'une tempiUo
qui anéantit tout sur son passage et qui balaie sur
sa route les trésors les plus précieux de rhumanité,
qui forment en somme sa vraie grandeur? A sup-
poser qu'on put supprimer le passé, l'histoire ne
^rait^llo pas un reçpmmeneemenl? ^a foçc0j, Ja
sagesse et te génie ne viendraient-ils pas élever eer-
tains individus au-dessus de la masse pour rétablir
l'inégalité morale, si tant est que l'on trouvât une
formule qui rendît l'égalité matérielle possible?
Ces scrupules et ces doutes pesaient
sur moi.
Souvent je me demandais avec terreur Malthus
aurait-il raison? tous n'auraient-ils pas de place au
banquet de la vie? La nature, dans sa prodigalité,
qui au printemps effleure des milliers de branches
sans laisser mûrir de fruits, produirait-elle des
masses d'individus pour former l'espèce, insouciante
de faire périr des êtres par milliers? L'essentiel est-il
que le génie vive et vienne comme un météorebriller
dans la nuit? La nature est aristocratique; elle ne
prodigue pas ses organismes supérieurs, elle est
parcimonieuse dans la production des héros, tandis
qu'elle engendre des médiocrités sans compter,
indifférente, à ce qu'il semble, à la perte de tous

divine.
ceux qui n'ont jamais à aucun moment de leur
existence connu Tétracelle
Mon c'umh* se ivyôTtjiiT eonlm eèHe idée: eomMen r
d'hommes que leurs ttôris <losliif«it»nl«« plus bel
avenir, périssent avec lu foule parée que les moyens
«le culture leur ont fait défaut! et optes Unit la
douleur, la profonde misère n'était-ello pas la et
tous iren «ouffraienl-ils («s? Le remède ^V ce* maux
n'élail-il pas urgent?
Toutes ces pensées me conduisirent it conclure que
-nous -qui -croyions- avoir détruit toutes les idoles M
tous les faux dieux nous en avions créé un de toutes
pièces le peuple. Le peuple,voilà quel était le refrain
<h»notre^|»Ui*sé^lo^odétodcratkjTtB,coiïiin» si optaiti
un être d'une espèce supérieure, une divinité jusque-
là méconnue, comme si de là devait émaner une
nouvelle théorie du monde, une morale supérieure.
Nous avions vu en 1818 et 1849 ce que c'étaient que
les masses, le peuple à l'état actuel de son déve-
loppement c'est un instrument aux mains de
meneurs habites. Le plébiscite en France avait
montré l'usage que fait le peuple d'une liberté pour
laquelle il n'a pas été élevé. Oui niera les senti-
ments élevés, les nobles vertus, l'abnégation, le
désintéressementet le germe des talents variés qu'on
rencontre au sein de ces masses ignorantes et rudes?
Où donc est le remède? 11 faudrait non pas, comme
le promettent les flatteries des démagogues, élever
les masses ignorantes à la souveraineté, mais ouvrir
les carrières, fixer les droits, réformer les institu-
Lions, afin de donner à tous du travail et permettre
à tous de se signaler. Le rayon bienfaisant de la
vraie culture doit pénétrer la vie aride et désolée de
ceux-là mêmes qui aujourd'hui mènent unévïe de
htMe «le somme. Riais une «'forme est nécessaire a
toutes les «hisse» sociales; il faut que tous, riches
et suivies, forment un soûl peuple, heureux de m
grouper autour de ses hommes de génie, de ses
héros, pour les admirer et jouir de l'octal béni
qu'ils répandeul; car, «près le géniev vieil n'est plus
grand que de savoiV le reconnaître et l'aimer.
Mais quand je songeais ù la grandeur de cette
Mche, l'avais le vertige, Des siècles^ -pouvaienl-ils
sufOre? Kt <juand là réalité se montrait a mes yeux
toute nue dans son horreur, j'étais en proie ait
désespoir. Un soir, peu de temps après mon retour
de Haslings, je rentrais chez moi vers dix heures,
après une visite chez Frédéric et Charlotte. J'allais
seule, bien que le chemin fut long, mais je n'avais
personne pour m'accompagner et je n'avais pas les
moyens de prendre une voiture. La nécessité
m'avait
rendue brave. (Tétait une triste soirée d'hiver. Mon
cœur était lourd, car tout le passe venait de revivre
dans mon âme et je compris amèrement ce que
disaient ces ombres blêmes A'essun maggior dolore
chu ricoè'dorsi d?l tempo ffliee twlla miscria. Une pluie
fine mouillait mes vêtements et rendait les trottoirs
glissants; avant d'arriver à la grande chaussée, mon
pied glissa, je tombai sur la terre humide, ma tête
faillit porter sur une grosse pierre. Heureusement
un omnibus vint à passer et je pus faire une partie
du trajet en voiture. Puis il me fallut reprendre à
pied-ma routera travers une rue interminable, popu-
leuse, avant d'arriver au quartier plus tranquille que
jJiabHais^n^tassauy^
ces spectres qui sont si fréquents la nuit à Lon-
dres. Là, immobile comme nne slatue, une IVmmo
décharnée, on haillons, serrait contre son sein ghieé
un nourrisson MeTuordeux autres enfants, à demi
blottissaient
nus, grelottaient à coté d'elle et se
avec angoisse contre la jupe de leur mère, pour se
réchauffer. La femme ne disait rie», mais de ses
jeux vitreux elle regardait les passants à smuruu
pendail une pancarte portant en grosses lettres que
son mari était riwladff, quils étaient sanHravnil f »»tf
oftvorfi), et sollicitant la charité des passants. C/est
obole dans
en frémissant que je mis ma modeste
cette main osseuse qui s'ouvrait et se fermait machi-
nalement, sans que les lèvres formulassent une prière
ou un remercîmenl. A quelques pas de là il y avait
d'autres femmes, pauvres encore, mais déshonorées,
aux regards hardis, au rire impudent, vêtues d'ori-
peaux répugnants, puis des hommes si orlieux dans
leur expression bestiale que je détournais les yeux.
Enfin des vieillards haletants, traînant une vie misé-
rable, jetant des regards de convoitise sur les bou-
tiques éclairées des pâtissiers; des enfants, garçons
et filles, demi-nus, portant déjà la marque indélébile
du vice. Oppressée par une indicible angoisse,
j'arrivai enfin chez moi. « Voilà l'humanité dont lu
rêves la rédemption! » ni"écriai-je en me
tordant
les mains, – « c'est pour elle que tu as renoncé à
tout ce qui rend la vie belle et aimable, pour elle
que tant de héros ont enduré le martyre et sont
morts sur la croix! Voilà la vie oit l'égoïste passe
une existence heureuse et se croit dans le meilleur
-des-nrontlcs! Voilà domr-rhonune (jréé-jriimggg-
de Dieu, d'un Dieu dont les prêtres imbéciles
'disent qu'il est un IMeu «le bonlé, de justice et
«l'amour! .»
An «mis «lo février, l'émigration perdit un do s«'s
je
nïeinbres X fus foif" aïttïg«ïe do colle" mbrf. Le
noble Polonais Stanislas Worcell succombait à un
mal tlui le minait depuis longtemps. Je no l'avais
pairïttTU depuis mon départ de cKez^Horzen. L'es-
Hme que m'inspirait sa haul» vertu me faisait un
devoir d'aller à son enterremenl et de lui rendre ce
dernier hoïntnagei: En Angleterre, lès fertVméîs no
sont pas exclues de ces cérémonies funèbres. Elles
peuvent suivre l'impulsion de leur cœur et accom-
pagner ceux qu'elles aiment jusqu'à leur dernière a
demeure, suprême témoignage d'un amour qui jus-
qu'à la dernière minute veut faire tout ce qu'il peut
pour les êtres chéris, jusqu'à ce que la terre les
prenne a jamais. C'est par une belle matinée d'hiver
que j'allai à la maison «le deuil, une maison bour-
geoise très simple, située dans un quartier tranquille
et modeste. C'est là, dans une famille de brave gens,
«pie Worcell avait vécu dans «tes derniers temps.
l)«?s amis généreux lui étaient venus en aide, lors-
qu'une grave maladie l'eut, empêché de continuer
il subvenir par des leçons particulières à ses besoins.
J'ai <U;jà raconté les cruelles épreuves domestitlues
«le Worcell; elles l'avaient vieilli avant l'âge; j'ai dit
aussi avec quel héroïsme il les supporta. Son noble
caractère inspirait le plus profond respect à tous
ceux qui l'approchaient.II. était-demeuré l'un des
chefs du parti démocratique polonais et n'avait
jamais perdu la foi en l'avenir de la Pologne. Au
début de la guerre de Crimée.TTcTôjait encore à un
soulèvement; il espérait l'appui des alliés, A «'elle
Unie on tenait de grands meeting* eu Angleterre;
c'est Kossuth qui portail la parole, car Woreell, qui
Ttvaif toutes Tes qualités de l'orateur, ne pouvait
parler en public, étant asthmatique. Mais il accom-
pagnait Kossuth partout et sa seule présence servait
fa cause qu'il défendait. Les Anglais portaient u»
intérêt enthousiaste à ces meeting, mais ils s'en
lenaienl là. Les alliés n'osaient et ne voulaient
pas se servît de la rëv<»fuïion coromër «TiVnrtic1 iïo yeti
contre la Russie et la part des peuples, dans cette
guerre, consistait à fournir leur argent et leur sang.
Mais Worcell espérait toujours, et à son lit de mort
il dit à son ami Joseph Maz/.ini « Si un jour les
peuples se soulèvent, n'oubliez pas la Pologne. » Si
jamais la Pologne élève un monument aux martyrs
morts pour sa liberté, le nom de Worcell sera un
des premiers, car il est mort pour sa pairie d'une
mort plus truelle que celle du champ de bataille.
Arrivée à la maison mortuaire, j'y trouvai des
groupes nombreux d'exilés de tous les pays; des
Anglais de tout âge et des deux sexes, venus là
par curiosité, regardaient avec étonnement cette
foule d'étrangers. J'entrai dans la maison; dans la
pièce du rez-de-chaussée le cercueil était encore
ouvert, afin que chacun pût jeter un dernier regard
sur le noble visage du défunt. Ses traits étaient
d'une beauté plastique; son front pur et lisse, encadré
de chevcux-gris,-porlaiLrempreinleîles, lulles victo-
rieuses. Un artiste anglais, un ami de Worcell, que
je connaissais, s'approcha en même temps que moi
du cercueil. iS ou? parlâmes à voix basse du mystère
de la mort qui transfigure presque toujours les traits
«les grands (mimues et les marque du caractère tlui
faisait ie foml inftiïe «le leur nature, trop souvent
ajtéj'1'' par la vie t les défaillances momies, l»>s
infiucnecs physiques. La chambre eonliguë était
pleine «le momie; toutes les nationalités y étaient
représentées; il y avait tles Polonais, îles Russes,
des Italiens, des Français,, tles Allemands il y avait
aussi des Anglais, et un peintre eût trouvé là un
çhoiv de lielles tôles d'ôtude. La mattrqsso de la
maison et ses filles se disposaient aV suivre le corlego
en voiture et elles m'offrirent avec tant d'insistance
une place auprès d'elles que j'acceptai, bien duc
j'eusse préféré aller à pied. Nous suivions le corbil-
lard, puis venaient les Polonais deux par deux, puis
les drapeaux des différentes nations autour du dra-
peau roujçe de la République; derrière les porte-
drapeaux venait la musique, qui jouait la marche
funèbre de Beethoven; de nombreux émigrés de
tous les pays fermaient la marche. Le beau temps
favorisait les curieux venus pour assister à ce
spectacle.
Ries compagnes ne cessaient de me parler du
défunt en versant des larmes de tendresse et de res-
pect. C'étaient d'excellentes personnes, des petites
bourgeoises chez lesquelles la bonté du cœur tenait
lieu de culture. Elles avaient entouré Worcell de
soins, d'affection, de prévenances, et elles le pleu-
raient maintenant comme s'il avait été leur parent.
Elles ne tarissaient pas d'éloges sur sa bontéf soir
amabilité, sa cordialité.
<<_HéJas!1 disait la mère, dès que nous étions dans
rembarras, ce qui arrive souvent a «es gens de notre
nmdition, j'allais le trouver et je lui disais « Cher
« monsieur Woreell, que dois-je faire? « II in'êcou-
laR* iwveonseillttit, «t imnKtttmes afl'atre^ùco?uT
comme si elles avaient été les siennes. »
– « Et il
avait tout de goût! ajoutait la fille; nous
n'achetions paa une robe, pas un ehopeau sans lo-
consultmvet«ôtt avis était toujours bon. Il»
– « C'est vrai, reprenait la mère, et quand il lui
«mvaffi tt^tee- triste et ique j'étais assise ô côté de
lui, no sachant que dire pour le consoler, il prenait
ma main et me disait tout bas « Je sais que vous
« me voulez du bien »
Ces traits touchants chez un homme autrefois si
fortuné, si honoré, et qui par son esprit et sa cul-
turc était si fort au-dessus de ces pauvres femmes,
m'émurent vivement; ils me rappelaient un incident
qui m'avait révélé a moi-même l'âme élevée et déli-
cate de Worcell.
La première année de mon séjour dans la maison
île Herzen j'avais eu l'idée de faire une surprise ano-
nyme à Worcell pour Noël; il était malade, ne pou-
vait pas donner beaucoup de leçons, et je le savais
dans la gêne. Je choisis des mouchoirs en foulard,
que j'ourlai moi-même, et quelques autres petites
choses qui pouvaient lui être utiles. Les enfants
Herzen, à qui j'avais fait part de mes projets, en
avaient été enchantés, car ils aimaient et vénéraient
le digne homme ils se déclarèrent prêts à contribuer
de leur bourse à ce cadeau. J'aimais beaucoup voir
les enfants cacher ainsi leurs bonnes actions, sans
-compter sur- ub remerctmeot ou un éloge. Donc, la
veille de Nuf'ï, sans que Herzen même en sût quelque
chose, nous envoyâmes un panier a Woreell, de
manière a vo qu'il ne put se douter de qui lui venail
cet envoi. Mois comme il arrive souvont que la mal-
veillance et l'envie pénètrent les secrets des cœurs
généreux pour gnler à dessein des joies innocentes,
lu famille de Polonais dont j'ai déjà parlé avait su, je
ne sais comment vque cet envoi venait de chez nôusT
Cîe» méchantes gens avaient cherché à faire croire ft
Woreell que nous jlui faisipjBS une sorte d'aumône,
si !>ien qu'il en avait été prôfonitémëhl Messi1.
Indignée de ce procédé, j'écrivis a Worcell, je lui
racontai simplement que j'avais voulu lui faire un
plaisir, que les enfants s'étaient joints à moi, et je
le priai de croire toute autre interprétation impos-
sible. Dans l'après-midi nous étions encore tous
réunis dans la salle & manger lorsque Worcellentra.
Hcr/.en, que j'avais mis nu courant de la chose, alla
vers lui, un peu embarrassé; mais Worcell lui dit
« Aujourd'hui ce n'est pas vous que je viens
voir. »
Puis, s'adressant à moi « Aujourd'hui c'est pour
vous que je viens. » Il me serra tendrement la
main, s'assit près de moi et resta quelques heures à
causer d'une manière animée et intéressante. Il ne
fit pas une allusion à ce qui s'était passé, cela n'était
pas nécessaire, nous nous comprenions; tout en
causant il me regarda en souriant et il tira de sa
poche un des mouchoirs que je lui avais faits.
Nous avions fini par retomber dans le silence, et
bous nous plongions-dans nos souvenirs- la route
était très longue. Je songeai que pour la troisième
fois j'allais à ce beau cimetière de Highgate, situé
sur une eoîîmo d'où l'on domine cette vaste -ville <l<*
Londres qui se pertl a l'horizon. La première fois
«•'était aussi un membre du la famille des émigrés
que j'avais conduit à sa dernière demeure, M"10 de
ïïrunïng; sa mort âvaUmîs fiu a Tïno ère de notre vie
et do nombreux amis pleuraient autour do sa tombe.
La seconde fois mon cœur avait soullert davan-
tage^ un cercle d'amis fidèles portait la^dépônillft
mortelle d'une amie charmante, morte subitement
à1'henrçc
à l'heure Q1I
ou (h}\'ait.s~ y^aliser l'Oul'cU.e
devait se J't\alisel~ poir-
pour elle l'espoir
sûprome dfi fe vie dt'iihé femme. Son enterrement
avait été une solennité empreinte de poésie, d'amour
et de mélancolie. Cette troisième fois il me sem-
blait que j'allais célébrer la mort d'un héros.
Dans ma vie intime ces trois morts marquaient trois
étapes. La première fois j'étais au début de ma triste
vie d'exil, j'étais résignée, mais forte, j'étais obligée
de me suffire it moi-même, j'avais désappris le
bonheur, mais j'avais appris à supporterstoïquement
les amers regrets. La seconde fois j'étais arrivée
à l'apogée de ma vie, j'avais trouvé ma voie, l'accom-
plissement de ma tâche ici-bas, dans la famille que
j'avais choisie et où j'avais rencontré de profondes
sympathies. L'amie que je pleurais m'avait vue dans
ce milieu, elle avait joui de mon bonheur. Cette
-troisième fois je venais seule, j'étais sans foyer, je
n'avais plus le courage froid des premiers jours,
mais blessée au cœur, je pleurais ma dernière
illusion.
Enfin nous arrivâmes uà Highgate, Malheureuse-
ment on transporta d'abord le cercueil dans la cha-
pelle pour sacrifier au préjugé anglais. Si la question
de religion avait été sérieusement posée, il aurait
fallu aller a l'église et non au temple, Woreell étant
catholique. Mais depuis longtemps déjà il s'était
affranchi dos pratiques étroites d'un dogme pour
embrasser la jreligion. do l'humanité, oh les prières
inintelligibles des prôtres ont perdu leur prix, où
tout homme de cœur, épris de vérité et de bonté,
est un prêtre. En sortant de la ehapollo, los prin-^
cipaux représentants de l'émigration s'approche ï
renl pour porterie cercueil sur la colline; c'étaient
Mazzini, LeiU'ttfRQHin, Heraen^ été, C'était â <juf
rendrait a Wôrcell cet honneur suprême. Arrivés
près de la tombe on planta les drapeaux. Un Polo-
nais paria le premier, puis Ledru-Rollin, que je
voyais pour la première fois et que je n'ai jamais
entendu depuis, s'avança et dit
« Citoyens! voilà encore un des nôtres qui n'en-
tendra ni le signal du réveil ni les cris de la victoire.
Sa vie n'a été qu'épreuves, que tristesse, que deuil
Rien ne vient interrompre le silence de l'exil que
l'écho plaintif de la douleur. Déjà dans toutes les
parties du monde reposent quelques-uns des nôtres,
et nous qui sommes ici sans patrie, sans foyer, sans
famille, nous n'avons de parenté avec ce sol que par
la tombe.
« Et en face de ce sombre tableau, le vice triomphe,
encensé, enivré d'orgueil. A voir ce contraste on se
mettrait à douter du progrès, de la vérité et de la
justice, sans nos morts qui portent la marque d'une
sérénité immuable, d'une espérance invincible, pro-
phètes qui fortifientet relèvent nos âmes. d-
« Au milieu de notre douleur, puisons donc
une
consolation dans râort» pmsqnelle est devenue
notre force! ne la maudissons pas, car elle lutte pour
jious et nous grandissons sous les coups
qu'elle nous
p«rl«! Essayons de comprendre que si nos rangs
commencent à s'éelaireir <lan* l'exil, il* se serrent
dans la patrie, gradée a la vérité de renseignement et
à la grandeur de l'exemple.
u « En effet, queHcMju' elle soit, cette- mort, qu'elle,
vienne lente, goutte à goutte dans TexiMans la pri-
son, sons le ciel inclémonl de l'Afrique, ou rapide et
violentê,^le hi inaînjdu bûureea»* piirtout «Ile- est
reçue- avec sang-froid, nul murmure ne
l'accueille;
le seul regret de tous est de ne pouvoir continuer la
lutte, et les héros tombent en jetant un regard ins-
piré vers l'avenir qui réserve la victoire.
« Hélas! sans doute nos épreuves sont longues et
cruelles, mais notre tache est grande aussi, et il nous
fallait toutes ces blessures, toutes ces douleurs pour
sortir victorieux de nos épreuves.
«
En effet, il ne s'agit. plus aujourd'hui de recon-
quérir notre patrie ou de changer une forme de gou-
vernement, il s'agit d'une complète révolution sociale.
Il s'agit de briser le joug des siècles, de combattre
lus préjugés et l'obscurantisme par la science et la
lumière. 11 faut abolir l'esclavage, quel qu'il soit,
quelque nom qu'il porte, celui du servage ou du
prolétariat. Le temps est venu d'un travail libre,
c'est l'association qui sera la base de la société future.
Le temps est passé des peuples tributaires égalité
eî solidarité des individus, égalité et solidarité des
peuples. _m quels souvenirstristes
« La solidarité des peuples!
et glorieux ce mot évoque en mot; eacce jour de
deuil pour nous, ce 9 février, fut il y a huit ans un
jour de joie et de résurrection pour l'Italie. Rome,
asservie par les papes, s'érigeait on République.
« O Italie, mère de noire civilisation, grande édu-
ealriee^le FOccidenlrtoi que la France des préto-
riens a étouffée, reçois de ma bouche, des lèvres d'un
vaincu de la bonne cause, au nom de la France répu-
blieaùuv*»» parolesexptatoires rie jour reviendra on
le drapeau se relèvera qui porte cotte inscription
Un pour tous, tous pourunl » JLei3 juin ila été
«
la
d3ejin^,= œ«ïs 0 Fera eônquôle dû monde et le
jour de la victoire sera l'aurore de la République
universelle.
« Oui, la
République universelle, la solidarité de
tous les hommes, voilà l'espérance que portent dans
leur cœur les représentants de tant de peuples réunis
ici. 0 mes frères, c'est plus qu'une notion politique,
c'est une foi, un dogme, une religion qui pour nous
sort des tombeaux. Le prosélytisme du despotisme
est révoltant et éphémère, mais celui des martyrs
est touchant, éloquent, saisissant et durable.
« C'est
quand on a vu tomber autour de soi tant
d'adeptes de sa foi qu'on comprend les paroles du
psalmiste « Leurs ossements féconderont le champ
« de
leur foi et leur mort sera plus utile encore que
« leur
vie. Il en sera ainsi de la mort du grand

révélé. En effet la vie de Stanislas fut


patriote dont nous ensevelissons la dépouille; il a
fallu que nous le perdissions pour qu'il nous fut

simple, si modeste, si dénuée de toute ostentation,


si

si républicaine, que moi, qui le connais depuis vingt


ans, je n'ai conim qu'hier tonte la mesure de son
dévouement, et toute la plénitude de son sacrifice.
«
Tandis que tant d'autres so déshonorent, aujour-
d'hui pour s'enrichir et s'élever, pour qui l'argent
ont un dieu et la cupidité uno vertu, tandis que la
société saisie d'un vertige, fait songer au chapitre de
Machiavel sur ceux que leurs crimes ont faits princes,
il a suffi t\ Woreell de naître pour être un des grands
de la terre. Issu «l'une vieille famille noble, posses-
seur d'une fortune immense,allié à des famillesprin-
eièrcs, il a renoncé aux honneurs, aux richesses, a son
rang, pour tout engloutir dans l'abîme ofi sombrait
sa chère Pologne. Lui qui était un des grands de
l'ancien monde, il est devenu sans bruit et sans
jactance un citoyendu monde nouveau. Il a fait plus.
Lui, si tendre, si bon, si aimant, il a rompu les liens
les plus doux pour l'amour de la sainte cause. Son
épouse, ses enfants, qui ont cherché protection aux
mains du bourreau, et qui sont comblés de faveurs,
il les a reniés comme souillés par cet acte infâme. Il
a brisé les liens de la famille, afin d'entrer dans la
grande famille de l'humanité.Honneur à cette vertu
antique
« Pendant vingt-sept ans, il a supporté cette agonie
de l'âme et du corps sans hésiter, sans jamais fléchir.
Un signe, un mot eût suffi pour tout racheter, il a
tout méprisé.
«Vingt-sept ans d'une lutte glorieuse! Jour par
jour, heure par heure, il s'est mesuré avec la misère,
toujours calme, bon, fidèle à lui-même, il n'a pas
cessé de sourire au malheur comme d'autressou-
rient au bonheur.
« El celle vie de martyre est couronnée par
mort qui n'est pa*» inoins simple ni moins grande.
une

No pouvant plus parler, il demanda une plume el


il éertvit Kn
«
combattant fidèle, j'ai achevé ma
tache ici-bas; que «l'autres me remplacent, je pars
la continuer ailleurs » O mes trèresTêft présence
d'une pareille fin, n'avais-je pas raison de dire que
la mort interne, cette puissance mystérieuse qui élèvo
et ennoblit, combat poufnous?
« Ceei n'est pas la mort vaine et pompeuse du
stoïcien qui a traversé la vie en méprisant les hommes
et (pifn'a so^ qu*è dWiser sur fintmdrf alite de son
âme. Ce n'est pas non plus la mort égoïste du chré-
tien qui fait le bien iei-basafin de trouver une récom-
pense au ciel, et qui cependant jusqu'à son dernier
moment tremble dans l'incertitude de son salut.
Non, c'est la mort d'un apôtre de l'humanité, qui, en
échange des trésors qu'elle lui a légués, trésors de
l'Ame accumulés depuis des siècles, l'enrichit à son
tour du don absolu de lui-même. C'est la mort d'un
vrai défenseur de la liberté, qui croit au progrès, y
travaille sans relâche et s'élève de sphère en sphère
voudrais
pour en jouir dans l'éternité. O combien je
funèbre
que nos ennemis pussent assister à cette
solennité! Ils nous trouveraient unis tous dans un
même sentiment, dans une même pensée. Ici, au
niveau de la mort, oit toutes les passions se taisent
et où l'âme se dépouille d'elle-même, nous sommes
vraimentnous-mêmes,c'est-à-dire ce qu'il y a en nous
de noble, d'élevé, d'idéal. Ici, en considérant une
telle vie, une telle mort, nous sentons, quel que soit
notre désaccord sur les moyens, que nous n'avons
qu'un môme but: le fuite du beau, du vrai, du bien;
qu'une fin le salut de l'humanité,
« 0 mes frère»,
qu'une même aspiration nous
unisse dans un môme effort, comme la mort nous
unit ici autour de cette tombe/ Qu'un intime zèle,
celui du sa crincè, qû*un ïnCinè amour, celui de l'hu-
manité, nous anime. »
De longues acclamations suivirent ce discours,
une pluie do fleurs tomba sur le jeereueiti qu'on des-
cendit lentement dans la fosse. Un dernier regard,
une dernière poignée de main aux deux femmes, et
je. partis, silencieuse et êmàe. François Fttïéky vint
ù moi, m'ofliït son bras et m'emmena chez lui pour
que je terminasse la journée au milieu des siens, sa
maison étant voisine du cimetière. Mais le soir, reve-
nue dans ma chambre solitaire, j'entendaisdans mon
âme retentir les échos sublimes de la grande sym-
phonie de la mort, et je songeaiscombien sur te bord
de cette tombe les paroles que le prêtre avait froide-
ment murmurées dans la chapelle étaient devenues
vivantes « 0 mort! où est ton aiguillon? 0 sépulcre,
où est ta victoire? » Au bout de quelquesjours le
Times fit paraître un article de fond sur cet enterre-
ment, dont le Moniteur avait parlé avec une acri-
monie extrêmedans une page à sensation. En d'autres
temps le Times eût peut-être fait quelques réserves
sur ce point, mais à cette date il avait intérêt à
prendre le parti des réfugiés contre le Moniteur. Il est
vrai que la protection qu'il donnait ressemblait plutôt
à une aumône qu'à l'accueil hospitalier d'un peuple
libre.
« Car, disait-il, qu'est-ce qu'une poignée de réfu-
giés dans une ville comme Londres? Personne ne
caimait lenrexislenrp. S'ils se conduisent bien et ne
font rien contre les lois anglaises, ils, a'ont qn'a-
resleY ici tranquillement. » Puis le J'imes se félicitait
avec orgueil de la supériorité d'un État comme l'An-
gleterre, qui ne fait aucune attention aux meneurs
politiques et par Ift miHne leur enlève toute impor-
tance, tandis (pie le continent s'inquiète d'eux sans
eesçe ot par là nu>me jour donne Miii$le. Le Jftwés;
rtultlîaitsansdôtrtcrqneïo peupla anglais venait d'ac-
cueillir quelques-uns de ces réfugiés avec des cris
de joie et avec des honneurs rarement décernés à
des rois. 11 oubliait aussi qu'un réfugié politique,
d'une autre espèce il est vrai, toléré un jour dans un
coin de Londres,était maintenant assis sur un trône,
et «pic la lière Albion avait brigué son alliance, bien
«{u'elle ne l'appelatt désormais du nom d'allié que d'un
ton aigre-doux. Il oubliait, en un mot, que lesdestins
des hommes sont variables et qu'un jour viendrait
peut-être où il rechercherait lui-mêmel'alliance du
parti auquel appar tenaient ces réfugiés, tolérés dans
un coin de Londres. Mais d'ailleurs, qu'est-ce que le
J'imes? C'est l'organe de 1 opinion publique, disent
beaucoup de gens. C'est inexact, car deux heures
après sa distribution la majorité des lecteurs répètent
ce que le Times a proclamé, même si la veille leur
opinion a été diamétralement opposée. Qu'était-ce
donc? C'était le porte-drapeau du succès, et voilà le
secret de sa foree; la plupart des hommes rie sont-ils
pas les esclaves du succès? Pendant tout le temps
par exemple où l'alliance fr avait étA-neees–
saire à l'Angleterre, le 7'imes s était érigé en défen-
soup tout-puissant de Louis Napoléon el il «'am«|>-
tait pas un article dans lequel on l'attaquait. Mais i>
jïartiv du jour ou le \vnHotmta» il publia des pages
favorables aux réfugiés et cela, non point parce que
lit rédaction partageait les vues ltumanitaires de
leurs auteurs, mais pnrefr que le moment lui semblait
opportun de porter un coup à l'empereur. Certes ces
articles étaient utiles, il était bon qu'ils fussent lus;
mais 'm n'est pas grâce aux principes lilH6ilttUX:diï
Times qu'ils vivent le jour. C'est précisément à ce
moment qu'éclata une lutte entre la Russie et la
Suisse, et le 'fîmes se mil aussitôt avec enthousiasme
du côté du peuple libre, parce qu'il savait d'avance
que toute l'Europe serait de ce côté. Admirablement
renseigné, il sait de quel côté penchera la balance et
il entonnela trompette du succès. A cet appel répond
la masse du public dont l'existence est liée au succès
boursiers, commerçants de la Cité, tous ceux qui,
loin de conduire courageusement leur barque à tra-
vers les flots mouvants de la vie, guidés par quelque
ferme principe moral, ne se laissent guider que par
les intérêts du moment.

CHAPITRE XXX
Relations et sympathie.
Mes relations avec Mmc Bell prirent un caractère
d;affeetueuge intimité.– £He- venait me~-yok^~4wssi-
souvent qu'elle le pouvait et j'admirai de plus en
plus le coté artistique do sa nature. Sa situation
s'aggravait, lulifine entre elle et les siens allait
toujours grandissant* Enfin son père et son mari
lui déclarèrent un-jour- qu'il* allaient mettre Tênfarir
comme « ward in Ghaneery » ou bien dans une pen-
sion pour la soustraire a la pernicieuse influence de
sa mère^ eelle-ei, par sesrappofts^veeM* de£ êlrany
gers, «es ennemis dos lionnes' mœurs de tradition
anglaise », devenait, disaient-ils, de plus en .plu»?.
dwjgereusG. La pensée «*e voir l'enfant en tutelle
porta un coup mortel à la mère. Par là l'enfant
échappait pour toujours à l'innuence maternelle,
selon la loi anglaise, si injuste envers les femmes.
Kilo n'avait aucun recours, la volonté du père
ayant force de loi. Placée ainsi entre deux alter-
natives également fâcheuses, elle choisit la pen-
sion dans l'espoir de voir un jour son mari revenir
sur sa décision. Elle déclara qu'elle était prête à
mettre sa fille en pension, à la condition qu'on la
lui laisserait choisir elle-même. Elle vint ensuite
me trouver, me priant de l'accompagner dans ce
pèlerinage à travers les maisons d'éducation de
Londres. J'y consentis volontiers pour lui faire
plaisir, et aussi parce que cela m'intéressait de voir
de près l'enseignement des filles en Angleterre. Je
pus vérifier ce que les romans anglais et les con-
versations particulières m'avaient déjà appris sur
ce point. Dans la plupart de ces bonrdhtg-schools,
on visait avant tout à enseigner la stricte obser-
vance du culte et de labienséance; on devenait
«
lady-like ». Pour qu'un boarding-school fût « res-
_jie£t&bJ&jL-£t-£X6elk«*V^que I us-
I motion religieuse y fut donnée pat* un « Hévèrend >,
que la prière t'rtl faite tous les malins en l'ommim,
que te dimanche, toutes les pensionnaires, eon-
« luîtes parune maîtresse, 'nttâsstMÎl au rmôïns une fois"
à l'église, et que ce jour-là on ne s'nccupai ni de
musique, ni de peinture, ni rie roulure, ni rie jeu;
Irt seule lechïre^permisjrélait la" Bible. Ku secotide
lijçne venait la question de tenue; les jeunes lilles
devaient apprendre ù mare-her, à se tenir, à s'as-
seoir, eomine il sied a niui « lady »*; iriëiir était
défendu d'Olre « vulgar », «le causer avec des domes-
tiques, encore bien moins avec des gens d'une
condition inférieure, Dieu même ayant établi les
dill'érenles classes sociales! Kilos apprenaient a
tenir le couteau et. la fourchette selon les règles,
il être « modesl » est toutes choses, A ne jamais
rire aux éclats, il ne jamais se laisser aller ai un
mouvement brusque, etc. Mais elles pouvaient porter
des robes extrêmement décolletées; il eût été incon-
venant même de descendre au salon le soir en
robe montante. Le reste de l'enseignement était
conforme à cet esprit superficiel; il s'agissait de
donner le « fini » et il y avait des écoles spéciales où
Ton ne donnait que ce dernier vernis si apprécié.
Quelle erreur que ces « finishing-schools » L'école,
au lieu d'ouvrir les yeux il l'enfant pour lui apprendre
à voir le inonde et à aspirer à la beauté et à la
noblesse, lui met un masque, le même pour tout
le uioude, el derrière lequel toute personnalité s'ef-
face. Nous visitâmes plusieurs établissements de ce
genre et nous nous en détournâmes avec dégoût.
Tuîs nous visMmcs quclques:û^s~3ë¥|3MT:eicënls
«
Inities collèges »,<>ii «le sérieuses réformes avaient
été tentées. Tonl d'abord ces (collèges ne «compre-
naient que des classes (renseignement,supérieur, °l
des maîtres d»1 ^premier ordre y étaient chargés, des
différentes hranches de l'enseignement. Lorsqu'on
vil combien l'instruction élémentaire manquait aux
jeunes Mlles qui venaient suivre ces cours, on se
décida à créer des classes primaires dans ces écoles.
Ces collèges répondaient à un T»esoîn de culture des
ïemmesï e^élaUame eûttqutUé de l'esprjt mi>derne,
qui, brisant les entraves des préjugés surannés,
teudait vers un développement plus large. L'ins-
truction religieuse était reléguée au second plan,
et devenait facultative. La plupart des fondatrices
de ces collèges étaient des femmes intelligentes
et distinguées. Je connaissais la directrice de Bed-
fortl Collège, la vieille Mmo Heed, qui avait con-
sacré à cette œuvre une grande partie de sa for-
lune. C'était une de ces natures énergiques, fines,
cultivées, comme on en rencontre parfois en Angle-
terre. Petite, le visage expressif encadré de che-
veux blancs, presque toujours souffrante, et malgré
cela toujours aimable, toujours active, elle était
de ces personnes sympathiques dont la présence
est toujours un charme, chez qui l'esprit trouve
un stimulant et le cœur un apaisement. J'ai passé
de bonnes heures dans sa belle maison si confor-
table de Regent's Park où elle vivait avec une soeur.
Elle me témoignait beaucoup de bienveillance et
-•j'avais- pour elle xmc~ affectiorr iitiale. Elle vivait
tout entière pour sa tûche et elle consacrait toutes
^scsjorceg^ tojiej^esj^simri^j^àjeelieuQeuvi:ey âfia
de bien faire ce quVIle faisait; nous retrouvonsR
e«»th> conception Joule anglaise dans le lïagmonl
ijnon v« lue; une «faine de ses amies lui ayant
demandé de -souscrira» en -faveur«le- ht libération
de l'Italie, elle répondit ce <|tii suit
« Nid plus que moi ne liait la tyrannie, l'oppies'
sion, l'injuslke, quelle qu'elle §oât, I/Italia a lou.s^
les titres a ma sympathie/ li mon amour. Mais jo
me suis donné une lAclie dans ma patrie et je no
imis nie permettra tlcmjç soustcam?, ^NiïWb «M»U«%ft
bien besoin d'argent, et chaque shelting que je
puis épargner est consacre a cette, reuvre, car ceux
qui nous viennent en aide ne sont pas nombreux!
Ouo les femmes périssent, les hommes ne s'en
soucient guère! Vous «Mes si pleine de votre noble
cause, que vous ne voyez pas ce qui passe autour
de nous; vous ne savez pas les conditions navrantes
de l'éducation des « latlies » et l'espèce «le croisade
diabolique entreprise contre elle. 11 faut être initié
à I» question de nos « collèges » pour
mesurer
l'opposition qu'on leur fait à la tôle de cette
oppo-
sition est le clergé, ces faux amis des femmes qui
ont de tout temps abusé de leur autorité et de leur
influence; dans les familles, cette opposition est
formée par les hommes tlui veulent garder le
mono-
pole intellectuel. Nos jeunes gens n'aiment
pas les
« collèges » de filles, me disait dernièrement une
dame qui venait visiter le nôtre sans
ses filles;
celles-ci avaient refusé de l'accompagner
pour ne
pas rompre ouvertement eh vîsîerë avec Topînîon
de leurs frères. Cette opposition est devenue telle
que nous nous snmn^<; demandé pendant quelque
temps hï nous n'allions pas renoncer d «btre* enir«-
prise, on s'il fallail continuer la lutte ait prix de
tous les soeriliees. («'est celle dernière alleranlive
que nous avons choisie. »
<?est ehex cette aimable -femme-que je conduisis
Mmo Bell, et celle-ci trouva aide et conseil auprès
d'elle. M™" Bell choisit l'un de ces collèges auquel
«ne pension^ était ^annexé»; elle fit part de £oir
choix ft sa famille déclara a son mari qu'elle
ef.
quitterait la maison en même temps que sa fille,
réiifant étant te «seul lien qui la retînt encorev ^Ôh r
ne fit que la railler. H ne pouvait être question, lui
fut-il répondu, d'envoyer l'enfant dans un de ces
collèges, imbus d'idées étrangères; la pension d'ail-
leurs était déjà choisie quant à elle-même, si elle
tenait à se couvrir de honte, elle n'avait qu'à
quitter la maison. Mm<) Bell vint chez moi déses-
pérée la pension qu'on lui avait nommée était une
de ces maisons dont j'ai parlé plus haut; elle y
prévoyait la perte morale de sa fille. De plus elle
sentait la nécessité de partir dès que l'enfant aurait
quitté la maison, qui était devenue un enfer pour t
elle. Nous cherchions avec anxiété une solution.
Enfin nous prîmes le parti d'aller trouver le vieil j:

avocat qui avait fait autrefois le contrat de mariage i


de Mmc Bell. Elle n'en connaissait pas les clauses,
car au moment de son mariage elle était trop une,
trop inexpérimentée pour s'occuper de questions ¡

d'intérêt, et elle avait laissé les arbitres de son sortt


les régler pour elle. Jamais elle n'avait eu d'argent à
sa disposition, elle ne savait pas même le chiffre de
sa dot; tout avait été mis entre les mains de son
mari, qui lui remettait de petites sommes selon son
caprice. Or elle venait d apprendre qu'elle avait h
droit do prendre connaissance du contrat et d'en
exiger une copie. Noua décidantes tlone de nous
--assurer de sa situation matérielle et devoir si elle
pouvait compter du moins sur l'indépendance pécu-
niaire. Le vieil avocat nous reçut d'un air grin-
ebeuxT maisii ne jmt se refuser a nous accorder
ce que nous étions en droit d'exiger. M"19 Bell
apprit qu'elle avait une rente annuelle suffisante
^poiir lui permettre de vivre; ©fie obtînt aussi une
copie légalisée de l'acte notarié. Mais nous ne
pûmes obtenir autre chose; le vieil homme de loi
endurci se refusait avec un calme glacial à répondre
aux questions que nous lui posalines. II conclut on
disant « Vous n'avez aucun droit contre votre
mari; non seulement il peut disposer de votre
enfant à son gré, mais il est le maitre absolu de sa
fortune; même si vous gagnez de l'argent
vous-
même, il peut, s'il le veut, venir vous le prendre.
Stupéfaites et désolées de voir des lois aussi»
monstrueuses gouverner la société, nous restâmes
silencieuses dans la voiture qui nous ramenait
vers
notre lointain quartier. La situation était si déses-
pérée que nous eûmes toutes les deux tout à
coup
un. accès d'humour, cette fleur de tristesse. Nous
improvisâmes le plan d'une association de miséra-
bles, fixant le degré d'infortune qui
y donnerait
accès, et nous poussâmes cette folie jusque dans
les moindres détails, si bien que nous rîmes
en
larmes, bien que nous eussions l'âme ulcérée. aux
Quelques jours se passèrent sans nouvelles, puis
un© ïemm© de chambre ïrfta dévouée à Mmi> Bell
vint m'apporter un mot au crayon oit elle ma
disait Je suis prisonnière chez moi, on veut me
faire passer pour folle; si vous te pouvez, prévenez
M. Ashurst pour quthvienne a mon secours. »
J'étais épouvantée; je demandai c© qui s'était
passé; la femme «le chambre ne savait rien, sinon
:«|up-la- veille au soir il y avait eu uno^scèneviolente
entre M' Bell et son mari, à la suite do laquelle
M. Bell avait enfermé sa femme dans sa chambre;
iqirès aVoirjéîoigné î'éwfank, ©n était allô «oer*'.:
cher un médecin autre que le médecin consul-
tant habituel. Je n'hésitai pas, je courus chez
M. Ashurst, l'avocat qui avait témoigné tant de
bienveillance à Mm0 Bell, et je le priai d'intervenir
énergiquement en sa faveur. Puis j'allai errer autour
de sa maison, levant les yeux vers la fenêtre de sa
chambre a coucher, sous les combles; je pensais à
la pauvre jeune femme, enfermée dans une chambre
brûlante, le printemps étant très chaud, ce qui est
rare en Angleterre je songeais à ce qu'elle devait
éprouver, je me disais que si cette situation venait
à durer, il y avait de quoi la rendre folle. Je n'osais
pas entrer dans la maison; d'abord on ne m'aurait
pas permis de la voir, puis la famille me détestait
cordialement en ma qualité d'étrangère, et parce
qu'elle croyait que j'encourageais Mmo Bell dans
ses erreurs. Le lendemain matin, la femme de
chambre revint; elle avait réussi à s'échapper sous
prétexte p()!ll'_m'l!PP()rt~l'-
q1.!çlqu~ ,prélexte
quelque pour m'apporter ,u_ne lettre que
une ,Iet~re._que,
sa maîtresse avait écrite pendant la nuit, dans
laquelle elle me racontait ce qui s'était passé. On
lui avait annoncé que l'enfant serait mise ;» quelques
jours «le la. dans la pension qu'elle. redoutait tant.
La répugnance que lui inspirait cette éducation»
l'idée de se séparer de son enfant, le seul bien qui
lui restât au monde, lui inspirèrent un violent
désespoir, et elle prit la résolution de faire une
dernière tentative. Le soir, elle alla dans la chambre
de son Siari et le conjura de luilaisserrenfant^ lui
demandant de quitter avec elle et sa fille la maison
de ses parents, de ^commencer ime. vie nouvelle-
06 l'avenir de- fa petite formerait leur but- à tous
deux. EUe le pria, le supplia, se jeta même à ses
pieds, mais il se leva brusquement, sonna avec
violence, envoya chercher un aliéniste, et enferma
la jeune femme, qui était naturellement dans un
état de surexcitation terrible. Eugénie savait ce que
cela signifiait, ce n'était pas la première fois qu'un
cas analogue se produisait en Angleterre, et qu'on
mettait dans un asile un membre de la famille dont
on voulait se débarrasser; des médecins sans cons-
cience donnent un certificat d'aliénation mentale
qui autorise l'internement, et on avait vu des gens
bien portants devenir fous dans ces asiles. A la
même époque, il s'était produit un fait de même
nature dont on avait beaucoup parlé. Sir Edward
Lytton Bulwer, le romancier bien connu, avait fait
mettre sa femme dans un « lunatic asylum »; elle en
sortit bientôt, ses amis ayant fait des démarches et
sa santé mentale ayant été prouvée. Le même sort
menaçait donc Eugénie, et certes-après toutestres
souffrances elle en fût devenue folle. M. Ashurst se
rendit chez elle, mais on lui dit _que Mme Bell était
souffrante et no pouvait voir personne. II consulta- =

un des premiers jurisconsultes de Londres, el lo


lendemain il retourna chez M"" Bell, demandant au
nom de lu loi et comme avocat légal <le la jeune
femme à Ja~ voir. Par bonheur, 4es grands-parents.
et M. Bell étaient sortis; ils étaient allés conduire
l'enfant à sa pension. M. Ashurst fut introduit
auprès d'Eugénte; ils eurent le temps de se con-
cérter et de prendre des mesures. Les autres ren-
trèrent pendant ce temps. M. Bell, furieux, lui
demanda «je quel droit il était avec sa femme.
Ashurst répondit tranquillement « En ma qualité
d'avocat «le madame. » Puis il sortit de la pièce et
alla trouver les parents. Bell le suivit. L'avocat fit
appcl en termes chaleureux à leurs sentiments d'hu-
manilé; il ne dissimula pas qu'Eugénie savait
qu'elle était la fille d'une autre femme; il donna à
entendre que cette découverte avait aggravé des
rapports de famille, fort compromis par la sévérité
avec laquelle on avait jugé ses pensées et ses senti-
ments. Cette communication fut reçue avec stu-
peur, mais on n'essaya pas de nier le fait. Tous les
autres arguments de l'avocat manquèrent leur effet.
II se vit donc forcé de demander au nom de la loi
une consultation de deux médecins, afin d'établir, |
après un entretien avec Eugénie, l'état de ses
facultés mentales. La chose fut accordée, quoique
à regret. L'avocat alla s'occuper d'arranger ce
rendez-vous, après être venu me dire où en étaient
les choses et que pour le moment il n'y avait rien à
redouter. Le lendemain, les parents d'Eugénie
partirent pour l'Écosse, le père d'Eugénie ne pou-
vant manquer I ouverture de la pêehe du saumon;
la crise effrayante qui menaçait son enfant n'était
pas* une raison suffisante pour le retenir. PouWMro
Uail-il bien aise d'échapper aux désagréments qu'il
prévoyait; il laissait à AI. BelLle soin .dejerminer_
l'affaire. Ce départ cruel donna le coup de grâce au
sentiment filial d'Eugénie; elle se détacha pour tou-
jours de celui tjui lui. avait donné la vie, mais qui la
lui avait rendue si amère. Le lendemain arrivèrent
deux des plus grands médecins de Londres, la loi
;esigeant qu'ils ;fussen| deux pour juger un. cas
pareil. Ils causèrent avec Eugénie pendant plu-
sieurs heures, notamment sur des questions reli-
gieuses, car c'est sur ce point que la famille avait
surtout porté plainte. Ils essayèrent de la sur-
prendre et de la troubler par un interrogatoire
serré, embarrassant. Mais Eugénie, qui sentait que
c'était une question de vie et de mort pour elle, fit
appel à toute sa présence d'esprit et répondit d'une
manière si judicieuse, si logique, si habile, que ces
messieurs lui exprimèrent en partant toute leur
admiration. Arrivés auprès de M. Bell, qui les atten-
dait à l'étage au-dessous, ils déclarèrent que sa
femme était non seulement tout à fait saine d'esprit,
mais qu'elle était d'une intelligence remarquable.
Les docteurs voulaient retourner auprès d'Eugénie
pour lui faire part de leur verdict, mais M. Bell dit
qu'il irait le lui communiquer lui-même. Puis,
après le départ des docteurs, il alla trouver sa
femme et lui dit « Tu es libre, je ne puis te
retenir, pars donc et va rouler d'abîme en abîme.»»-
Ce fut son dernier adieu. Elle était si heureuse de
reooû vror Ta liberté que ces paroles réFfleureient a
Heine. =.

Le mémo jour elle quitta cette maison oit elle


avait tant soulVert, n'emportant que ses vêtements
et quelquespetites choses qui hti appartenaient;elle
vint -jH'misoîivmentr occuper- une- chambre -qui so
trouvait libre dans ma maison. Je partageais mon
salon avec elle, nous pronions nos repas ensemble.
Je oyais avec aUnûraliott celte iemmerkabituée à-
tant le confort d'une vie élégante, prendre soit parti
«l'une existence modeste et étroite; le sentiment
*|u'ell«v«Hait «efthJvelâppeïlibrement la consolait tfc
tout, sauf naturellement de la perte de sa fille. Cette
séparation lui pesait d'autant plus qu'on lui refusait
t'autorisation de la voir; elle n'avait de nouvelles
d'elle que par sa femme de chambre, qu'elle char-
geait de lui remettre ses messages. Cette situation
lui devint bientôt insupportable et elle se décida,
sou avocat ayant donné son assentiment, à
demander aux tribunaux l'autorisation de voir sa
fille. 11 n'y avait pas de motifs légaux suffisants
pour le divorce; d'ailleurs la nouvelle loi sur le
divorce n'avait pas encore été votée par le Parle-
ment.. Il ne lui restait donc qu'à demander la sépa-
ration de corps et la permission de voir sa fille. Le
jour de cette pénible comparution, je laissai partir
Eugénie, le cœur gros, car je savais combien il lui
en coùtait de raconter la triste histoire de sa vie à
des étrangers, à des Anglais surtout; pour des
Anglais en effet sa conception religieuse et ses
idées sur la société étaient l'indice d'un trouble
cérébral. Heureusement que l'entrevue devait avoir
lieu daus le cabinet du L*mT Chancelier, un homme
excellent. Les deuxïépoùx fuvenl entendus sèparé-
menl. Kugénie me raconta que pendant son récit le
Lord Chancelier avait les larmes aux yeux et qu'il
s'était montré vraiment paternel. Malgré cela su sen-
tence fut dure. On lui permettait, r il est-vraiy de voir
sa tille, gn\co sans doute à la bonne impression
qu'elle avait faite, mais elle ne pouvait la voir qu'une
4Vtis paF gemainCï el cela à l'heure et pendant le
U*mp*fixé par M. Bell. Quelque pénibles tjuê fussent
ces conditions, elle était houreuse qu'on ne la séparât
pas eomplèfemènlde son «nfanl. Ililuiisestait î*es^
pérance d'agir sur elle mieux que par le passé, ne
fut-ce que par son exemple, en lui montrant qu'une
femme seule, pauvre, pouvait mener une vie hono-
rable, et que la modicité de ses ressources et de son
installation n'était pas un déshonneur. Elle espérait
aussi lui faire désormais librement comprendre sa
manière de penser. Ses affaires avaient été réglées
par l'avocat de telle sorte qu'elle touchait la rente
que son père lui avait assurée à son mariage. Son
mari ne lui donnait rien, mais elle était résolue à se
contenter de ce qu'elle avait, à faire même des éco-
nomies et à montrer aux siens qu'on avait eu tort
de la traiter comme une enfant en tutelle pour tout
ce- qui touchait aux questions d'argent. Elle loua
un petit appartement tout près de chez moi, elle
organisa sévèrement sa vie, elle s'entoura de livres,
pour mettre ses vastes projets de lecture à exécu-
tion, et elle commença ses visites chez sa fille. Ces
visites ne devaient pas excéder deux heures et elles
étaient fixées à des heures incommodes. Elle se
soumit sans murmurer a toutes ces conditions
humiliantes, résolue il remplir jusqu'au bout et
malgré tout ses devoirs de wèr«. Elle arrivait tou-
ju»»»'s ••x«eli>ui<*ntii l'heim? dileeJ restait jusqiùïJa
dernière minute. Hien ne la retenait, ut lu maladie,
ni h' mouvais temps. Os joies si courtes lui furent
empoisonnées de. toutes les manières; d'abord elle
voyait tjue la famille et l» mattresso tk* la peusiou
inlluen<;aient reufanl; eelle-ei ne pouvait voir dans
-r mif _t\ni)in»* »jui ttVttjl tjuitU*hv*l«itticihv fonjugalisl
ipii avait osé s'insurger contre l'é^Itse anglicane
ipi'une personne perdue; puis elle constatait avec
chagrin conil)ieu sa défiance centre les pensions
étail jusliliée et combien renseignement et l'éduca-
tion qu'on y donnait étaient superficiels; onlin elle
se rendait compte que reniant s'éloignait d'elle
pour suivre un courant tout ditïérent. Kilo n'hésita
cependant pas un instant il se donner do tout son
eu-ur a sa tache, il lutter vaillamment contre l'en-
nemi.
Vers le milieu île l'été je la quittai pour aller cher-
cher un peu de repos au bord de lia mer. Une de mes
compatriotes, une aimable femme, Sophie Klinge-
mann, m'offrit d'aller avec elle, et j'acceptai son invi-
tation avec plaisir. Elle était la femme de Charles
Klingemann,le secrétaire de l'ambassadedu Hanovre
qui vivait depuis longtemps à Londres; il y était
connu par son esprit, son caractère aimable et son
intimité avec Mendelssohn. Sa femme était Ja fille
d'un homme que j'avais connu et rvénéré elle-même
avait été autrefois liée avec moi. J'avais retrouvé
cette amie d'enfance, à T^ond>*os et j'ftva's été toHjf>ur!;t
fort bien reçue dans ct»tl«» maison hos|iilu|u%iv,oit s«>
réunissait un ewle d'élite. KliniïeiuniuiélanJwteiiu
il LoimIiim par soit affaires, je partis seule mw
Supuie, sou enfanl et ses domestiques pourKa*l-
boiit'ius ce petit coin, « junnc connu alors, n'avait
il'autiv attrait »n«*uni> pla^«» ti-t'^s cumnuuio et la
beauté de ses ttilttUt's «lirnptcs. Nous y ivst;\mt*s
(|iu<lt(ueH soniainos, <»l notre amitié «IVuJunco ~m
itinoua inal^i'é lit «litTérenco <to nos vies. Mes amis
-parliwnit plus tôt <jw'Hs .«« |K»usaienl «l je rost«i
stuilo. A Londii'H j'nvttis dft li«vaiU««ii «l'uno mnnU>r»
assiilue pour mu sut'lire «>l pour nie faciliter «*e
séjour au bord d« la mer; j'avais cherehé. avant tout
dos travaux lucratifs, c'est-a-dirudes traductions du
russe et des articles pour des journaux, anglais et
allemands. Or, ici je voulais m'otVrir le plaisir
d'écrire .selon mes {jfoùts. Je repris un roman com-
mence que j'avais dn. laisser de coté pour un tra-
vail plus urgent. Tous les joursje parlais, avec mes
livres et mon écritoire, m'asseoir sur le rivage et.
j'écrivais, tandis que la vague se brisait a mes
pieds et que la solitude m'enveloppait de sa paix,
Un jour j'étais assise ainsi au-dessous du parapet,
plongée dans mon travail, lorsqu'une pluie de cail-
loux me fit lever la tête je vis alors un monsieur et
'deux dames sur le quai; ils me regardaient, en riant
du stratagème qui avait attiré mon attention. Je
reconnus immédiatement Mazzini, bien que je ne
l'eusse rencontré qu'une seule fois. Les deux dames
étaient deux sœurs, Emilie Hawkes et Caroline
Stanstield, auprès de qui Mazzini avait lrouvé une
~secojuie4ialjdftvJyu^jd£e^^vénération qui
touchaient au culte. Toutes deux étaient mariées:
je le* avais rencontrées un son1 chose, Moyen, avant
mon séjour dan* sa maison. Plus lai'il je n'avais
revu qtt'Kmtlio; elle venait souvent chez ttorxcii tlt
**th* înt ïiïô VTïtï' i|ïi«'K|Ht»r«»îschez moi, son appar-
tement uVlaiil pas éloigné «lu niicn. (Tétait inic
aimitliic piusniuir, hvs onHivtV; elle peignait a\w
tuletil «t -"e»«sf wllo qnltr fml tlff May^.iui lis uortralt
le plus r4>>s«kiul>lanl. Kilo K'ocriipnit beaucoup «tes
«Hicstious tlalieiincs, ^rAco a son cammi'l%«a avec
«i«r «mi que lonto iswîamille chérissait, Klfe m'wvnil
toujours lieaueiMip plu, j'avais été heureuse de la
voir souvent et de passer quelques lionnes soirées
«•lie/, elle. C'esl chez elle quo j'avais l'oit tu couuais-
sauce de Jessie Whilo, cette jtsune fille intelligente,
énergique et coiira|feuse qui joua plus tant un rôle
sous (îarilialdi dans la guerre de l'indépendance cl
qui. par son mariage ave^ Mario, linil par devenir
llalieune. («'est Kmilic. i|iii me reconnut sur le
rivage d'Kaslhoui'ne et «pti me signala aux autres.
Sa sieur Caroline, une très jolie personne que je
connaissais moins, m'invita il venir les voir et me
demanda de venir dtner le lendemain soir, ce qui
supprimait toutes les cérémonies. Elle me plaisait
moins qu'Kmilie,je regrettais un peu ma quiétude,
mais je ne pus refuser l'invitation qui m'était faite
foret* fut de m'y rendre. Je ne le regrettai pas; nous
étions seuls. Mazzini, les deux sœurs et moi. Je vis
donc de près l'homme dont le nom faisait trembler
les lvmns_ eLque tous ceux qui le connaissaient
idolâtraient. Son extérieur ne justifiait pas la terreur
qu'il inspirait à ses ennemis. Il n'avait rien de ce
type audacieux du condottiere qui distinguait Jrsim,
11 était de taille moyenne, «lotirai, élancé, son atli-
ludo était modeste, presque etVaeée: sa tête noble.
Une, expressive, son front pensif étaient «l'un philo-
sophe, d*4H> wv^o, -Html** s»«s auux- sombi'iîs» .tl'uuo
lieault'HM'rvnHt'uso.liHirmt'itl]i;ii'iiis|{inls4|cs éclairs
où l'on voyait ln-illor la Iliunnu» «lo l'action «|iii l*nV
Ittii «>n Amolli pnrlail «oui'ainnuMit l'anglais, tuais
«voe o«t accent rlmutaut «Iii n»i«li qui donne un»
m'àe» |)iirtirnli<>n> a «'olli» langao jmu liarnioniousi'.
ÉmilHS^mii m© taxait -toujmitot, ft nwilù» m«ont, it
mnilù' sérionsemont, d«* mal^nalismo, ainona la
i>itnvci'*ation sur ou sujet ot pria Ma//iui do mn
d«'*v<»lo|»|><»r su <«oneej>tion d<» l'uuivoij». Il s'y |>r«>ta
do la iiicilItMiro grAoo du monde. Il parla av<<<* la
t'halcur quo donne une conviction profonde et avec,
une éloquence persuasive. Le principe de l'existence
«Mail pour lui un principe abstrait, qu'il appelait
Ittcu, d'où émanent les idées du bien, du beau el
du vrai, idées innées en nous. I.a perfectibilité
humaine élail son dogme, y travailler était le devoir
de chacun, la lâche suprême de la vie. II compa-
rait ia vie a une spirale tournant autour d'une haute
montagne a mesure qu'on monte, ou embrasse un
plus vaste horizon, on mesure le chemin parcouru;
mais ce n'est qu'au sommet qu'on embrasse un
ensemble, et qu'on voit à la fois le point de départ
et le but du voyage. n pensait que la foi sans les
œuvres n'est rien, et à ce point de vue il demeurait
catholique. S'il avait traduit la Bible, il aurait dit
« Au "commencement,* fut 'faction: m
J'étais encore sous l'influence de l'école positi-
vislu, par mu* réaction centre- l'idéalisme vague de
mit jiMUM'SM» H grAet» A mes «Mudcs scientifique* A
rKi'»l«> supérieure d»» Hambourg. Mes sentiments
tMaient on contradiction avw eos théories ol «mmiI
lois jo ni«< siir|»ivimiH'|NissHtil diMlomnino tic» fnilscA
r«*hihl«»- rtf>-|iuth<>H<»."J(ritTsûiifiiiâvoê'SIa%xîni «»ï il
«*l»it lunl (|ii»n«l nous nous s^pai'Amcs; je promis
<!«• rovmiir souvcnl H «l« ronlinuorà voir
mes non-
vôhus anm A Lontli-osi «rfi tlttrulincr habitait tant
(tirs i|<> rlitv. moi.
lrm» gmntlo porsonnulitr no sauinit ontror «Inns
n«i|n* Vn» «mis y laisser quotqiio tri«cp; tt wraîf
Irislo «|w*ïl «>n i'rtt aulivnuMit. Ks(-co A diro qui»
nous devons ionon««ei* A nolro mantôro do voir cl
de sonUr pour subordonner aveuglement notre
opinion a eelle d'nulrui? Non, certes. Mais de
ineïno que la plnnle grandit et mnril aux rayons du
soleil, de ntôntt! nolrft pnrsonitidit^ grnndil et mftrit
au rontaot de quelque grand esprit, dont nous
recevons la lunuero. Max/iui avait une nature très
dhïércnledo Hcrxen.mais je .sentis pour l'un comme
pour l'autre qu'un astre nouveau, sans me faire
sortir de ma voie, allait exercer sur moi son attrac-
tion.
l»eu de temps après «-e premier et agréable rap-
prochement je retournai à Londres; il était temps
de se remettre au travail. Je fis une visite à lier zen;
il était sur le point de partir pour Manchester,
visiter une exposition de peinture rétrospective à
laquelle toute l'Angleterre avait envoyé ce que les
musées et les galeries particulières possédaient
de chefs-d'œuvre. A ma grande joie, Mme Salis
Sehwabo. avçe- laquelle, j'êlais restée vn relations,
m'invita a venir la voir « Manchester pendant
l'exposition; «%llo me demandait «l'aller ensuite quel-
ques semaines avee elle a sa maison «le campanile,
daus le nord «In pays île (Sali»»*, oit j'avais déjà pa*sé
île si agréable* rVneatïcèsi ^p«»n«lanl fcïpivmiMvliiiiMV"
•le mon séjour en Angleterre. Avant mon ilénarl
Heiv.en revint «le Maneliosler el il mVerivail

Je suis très content <le mon voyage «*t <le fr«x|»o-


sitioni la riehesso «le*» toiles, te loeal, la inusi«|uo
si*«iieiise qu'on ?ji«nf ,v ehlenclro, ontre deux visit»»»
aux galeries «ta tableaux, repose et fait «lu l»ït»«.
I.Ypi«HH%isniP artistique est le seul re<*ueillem<*nt
tlui nous <-alme. (Test Mnrillo qui «lomine. Je
vous r«?eomman«!e, outre la « Madono », une femme
qui hoit «lans une «•ruche et un petit, garyon avec
des moulons. Rombrandl, Van Dyck et Millions sont
lr«'s bien repr«isenl«;s, Van Dyck surtout nlminle. Je
nie suis un peu ré<:oncili«'» avec Itubens; wgartle/.
surtout son superbe tableau de la reine Thomyris.
«
N'oubliez, pas «l'étudier Ruysdncl, Van Kuyp et
les autres grands paysagistes «les Pays-Ras. Laisse/,
de c«Ué vos vieux Allcmanils, sauf te portrait du père
d'Albert Diirer.
.« N'allez pas
du tout dans la salle de** modernes,
on bien ne regardez que les portraits de Reynolds,
par exemple ceux de Garrick et «le sa femme.
« N'oubliez pas
d'aller voir une petite amie que
j'ai à l'exposition ce n'est pas une aristocrate due
au pinceau de Raphaël ou de Murillp, c'est une
Sigismonde de Furini.
fie
« Immigration rnssr»

V'Hiiwjui'Zv -
continue, Vn capitaine des
~< inities est venu -w\ présenter «l'un- nir tout a fuir
martial; il itiotlil Klaul a Londres j'ai considéré
comme un «tcxnti' »lc vous présenter mes hom-
mage* Vous pense/ »jh». j 'n| (ii'is aimsiUM le ton
jl1iui.n«;nt;i'»L
<>
Tout li«inoi)t|o vous rnvoio ilt>s niuiiiôs.
< /«S*. ,!«« vous
on |»iic, noiihlie/. pas los porlrails
.»--
Mon voyofîo lui «raiilanl plus a»ival»lo quo Jcaniio
KtiiM trt stm mari vinrent avo« «voî, Nous pas-
sAines gahuonl K»s Ihmuvs »J«» lei routa ot, ft Mail-
ehfsli'r, nous nous sépai'ainrs avo«< la promisse <|«
nous <loniu>i' roiuloz-vous tous U*s jours à IVxp o-
silion. Jo fus »lo nouveau ro«juc clic/. M1"" Salis»
Schwalu» «le In manière la plus aliVcluousc. Kilo
Mail vonvo, mais sa maison hospitalière n'en demeu-
rait pas moins ouverte a «les invités «le lonto natio-
nalité, de toute condition, parmi lesquels il y avait,
toujours quelques personnalités de marque qu'on
était heureux tla rencontrer. L'hospitalité anglaise,
qui offre il ses hôtes tout le confort de la vie de
famille et qui leur laisse une pleine liberté pour
l'emploi de leur temps, me permit de jouir à ma
manière tle l'exposition; j'allais y passer la matinée
avec les Kinkel et ces jouissances artistiques
n'étaient interrompues que par le joyeux déjeuner
que nous prenions ensemble à l'exposition.
Cette exposition était une entreprise réussie à
tous les points de vue; l'agencement en était artis-
tique. Le local avaii- été 'construirai? Jtoc, ir était
«'oiiçu «te manière à éviter les inconvénients des
galeries «le tableaux ordinaires, où Von vait ptMe-
iu»Me les œuvres les plus hétérogènes, on le
médiocre et Je pm» *<> trouvent à cala de ehefs-
d'iuuvre, ut où fos toiles m» miist<n» Io plus souvonl
-*•» uws n«x mrtTOs/U/clmïjtHn^o1rs etMUjtur^mmr
nmîliv uvail sa salle spéciale ;o» pcttivuit ainsi IVIii-
•Hcr tlnns taules les phases «le son gi-nie. La richesse
dn twjwHes permettait ^le jujief îles ;.tr&or* adisU-
ijues qwn l« Fortune pnUïitjuo ««t privée «le l'Angle-
terre a ravis aux pays oit l'art «le la peinture a fleuri.
Les palais et les elvAleaux avaient ênvojô iïcàilô
«'xposition tout co «jn'ils reeèlent «lo ehefs-«ra»uvre.
r.'était Murillo qui était le mieux représenlô;
toilos remplissaient une vaste salle. C'était la ses
mière fois que je voyais les peintres espagnols, et pre-
je
tus frappée de retrouver chez eux le trait national
qui caractérise également leurs poètes. A coté du
réalisme plein de vie qui distingue le mendiant de
Murillo et les princes de Yelasquez.
comme les per-
sonnages de Caldéron et de Lope de Vega, nous
trouvons partout un sentiment ardent,
une ironie
mordante, un souffle de poésie enivrant, mais,
comme l'arbre du mancenillier, cet arôme a quelque
chose de mortel. C'est ainsi que la notion de l'hon-
neur dégénère en folie, la piété s'exalte et se plaît
«lans l'extase, l'ascétisme devient
une passion que
nous voyons briller dans les yeux des moines de
Zurbaran. On comprend que dans
un pays où il y a
cu de tels artistes, de tels poètes, l'Inquisition ait
pu s'établir et que le fer et le feu aient pu devenir
lcs armes de la religion
3«« iMuiUimpas «VaiHePvôïFTfTjSnïë «tSJë^ïë"
Herzen; «''était une délicieuse U%» dt» jeùm» filky
oHo exprimait luul un monde de liemitê morale, de
bouté et «l«» soulVranoes
Le* Kinkt*! passèrent une soirée oh©/ M"1" Salis
Suhwabo et le jeu. •!•• Ji'iijHM» clyii'ijia J«.«J- J«? »ni».««j?.
l'uis ils i-t'UMii-iu'i'fiil à L»nMln>s, \hm> la maison de
mon hùU'ss«« il y uvwil uu Ici Vtt-el-vivul, Unit tl«»
.PiWjilioiis»,.mie]Va_rus4 pxcV'tlw; jon juuiui à .K'iuiuo
IfttiH «m* de mes Mli'«s, et elle IIIt` '~t!J1U1itJil~ pour_
nu* cunsoli'i', ijhVi L«ni«hvs IViigrunugc moiulahi
.*Hrti_l pis encori».
l>o Mnnr'luwû'P nous tollAme» tlan* le pays «le
<iullos et noire vie y prit un cours plus calme. L'mi-
loiniic «Mail beau et nuus permit dos courses aux
environs, tlui sont superbes. Plusieurs personnes
intéressantes avaient été invitées à demeure comme
mui, d'iiulres n'étaient que de passage. Parmi les
premiers il y avait le crititlue Antoine Sprîngcr
avec sa femme et trois eulunts d'une beauté augé-
lique, dans la société desquels je me plaisais a tous
les points de vue. In ami de Springer, un jeune
peintre, Tchèque comme lui, laroslav Czermak,
vint les rejoindre; c'était un homme d'une grande
valeur et d'une rare amabilité. La sympathie qui
nous lia dès l'abord devint la base d'une amitié
solide et durable. Nous eûmes aussi pendant
quelque temps un jeune pianiste suédois, un élève
de Chopin, qui nous ravissait par le talent avec
lequel il nous jouait les compositions de son maître.
Puis nous vîmos une femme qui jouissait d'une
récente célébrité en Angleterre. C'était Mmc Gas-
.ü c3xit~ a ur7,iri~r~k
x
tl'uiuv inaait'jv si saisissante les
~11- 1lat~tttttl-
SQuIVraiwes vt Ion
privai ions des «'lassos ouvrières dans les villes
manufacturières, «|iio «les hommes d'État anglais
intime», omum* lUeliard Cobdon par exemple,
avaient été vivaient émus par eetto lecture
M"10 (laslu'll cinil la leinuio «l'un |>aslom do M«u-
fhoslor; elle élail lr«»s ciillivro, mais elle iiavail
jamais son^ à écrire. Elle poidil son Itls uni<(iu> et
«laus «a tloulour clU« so rôtira loul a Tait du nioiulo
pondant quolquos mois. LoistiuVIIr sortit do s«
ivlmilo, «Ho (tublia ce romau, dans lequul .-m propre
<U>nI«'iirsVpaïu'Iiail avoc la douleur des milHcrs
dVIroH qui soutirent, eouriit^s sous le joujç do la vie,
oil les plus nobles natures se brisent parfois et où
la misèro conduit si souvent au crime. A mon vif
regret je n'ai pu la voir que fort pou «lo temps; lo
souvenir quelle m'a laissé est celui d'une vraiw
femme, dans la plus noble acception du terme.
Ce séjour de deux mois au pays de Galles me for-
tifia au moral et au physique. Je pris des bains do
mer tous les jours jusque fort tard dans la saison;
je passai toutes les journées au grand air. Il
fallut cependant me décider à partir; Mno Salis
Schwabc elle-mâmc quittait le pays. Nous allâmes
ensemble à Londres, elle, la famille Springcr,
Czermak et moi. Lorsque nous entrâmes dans la
gare du Nord, éclairée par d'innombrables becs de
gaz en plein jour, à cause du brouillard, lorsque
nous entendîmes le vacarme de la capitale, je dis
en riant à mes compagnons « C'est comme si on
entrait dans la gueule d'un monstre; Londres est
un alïreux produit do la civilisation, et cependant
il nous séduit par un eltarme, comme le basilic il
nous al lire, nous ne saurions y échapper. »

.C" -• •• CHAPITRES XXXI

- TiTflwJp*

L'une do mes premières visites fut pour Emilie et


Caroline. Je fus très aimablement reçue; je fis la
connaissance du mari de Caroline et ils m'invitèrent
a venir a leurs réceptions du vendredi soir. J'ac-
ceptai avec empressement et j'entrai dans ce cercle
nouveau. Jo revis Mazzini, qui passait toutes ses
soirées dans la maison, et il m'accueillit très cordia-
lement. Bientôt je me sentis à l'aise dans ce milieu
nouveau: il y régnait un ton aimable, aisé, qui
n'avait rien de la raideur britannique. C'est Mazzini
qui dirigeait la conversation, sans le savoir et sans
le vouloir, comme tout homme supérieur domine un
groupe d'amis dévoués qui l'admirent. Il y avait
loin de cette suprématie naturelle à l'attitude pré-
tentieuse de Kossuth, que j'ai eu l'occasion de
décrire. Nul n'aurait pu soupçonner en lui le
fameux agitateur, lorsque la porte s'ouvrait sans
bruit et qu'une mince silhouette se glissait presque
timidement dans la pièce.Mais quand il prenait sa
place accoutumée, devant la cheminée, qu'un cercle
se formait autour de lui, comme une chose qui allait
de soi, et qu'il commençait a parler, ses yeux som-
bre» lançant des éclairs, on se sontait en présence
d'un homme exceptionnel. Nous reprttnes nos dis-
êîïssiôhs, non pins surJ'avais
mais sur d'autres points.
questions religieuses,
souvent entendu
parler de son opposition au socialisme; on m'avait
dit qu'il était 0» adversaire do Louis Brune. Je
rnmenai à parler de ce sujet. Il s'animait volontiers
en attaquant des théories qui avaient fait leur
temps, et qui, pour lut, étaient jugées. C'est pour-
quoi beaucoup do gens le trouvaient intolérant,
entre autres Mme Carlyle; elle disait qu'il l'était
devenu, qu'il ne l'avait pas toujours été. Je le com-
pris mieux bientôt; je voyais que cette violence
n'était que l'impatience d'un homme qui ne veut
pas de redites inutiles, qui a hâte de marcher la la
réalisation de son idéal. Pendant une de ces discus.
sions il me dit « Ce que j'attaque dans le socia-
lisme, ce sont les sectaires, Fourier et autres, toutes
ces théories qui, sous couleur de régénération, prê-
chent la satisfaction de toutes les passions; j'ai
indiqué vingt fois la démarcation que j'établis entre
le principe du socialisme auquel j'adhère, et les
solutions imaginées par les sectaires. Je ne songe
.pas à contester aux autres le droit d'envisager le
problème social à leur guise. Mais ce que je vou-
drais, c'est que nous nous unissions tous pour l'ac-
tion. Quelques-unes de ces vérités sont acquises
pour nous tous; il me semble que nous devrions
tâcher de les mettre en œuvre, tout en nous réser-
vant la liberté de discuter plus tard les points
secondaires. Nous pourrions marcher de concert
jusqu'à un certain |»oinl et la nous séparer. Nous
devrions nous entendre pour lutter ensemble contre
t'cnnoiui commun et réserver noire indépendance
^onr lesquesHons dWganisation et de détail, a
Puis il me parla longuement du socialisme qu'il
avait mis un vigueur pendant son court triumvirat
fr Uome? il imv raconta comment H avait presque
«Iwli ln brigandage en faisant publier qu'il serait
accorde une situation honorable a tous ceux qui
voudraient uiener un» vie taborieuse ©t rangée. Il
m'assura qu'une foule de vagabonds étaient devenus
d'honnêtes gens. Tous ses récits sur cette époque
étaient très intéressants. Je crois que son sens pra-
tique, sa connaissance approfondie de son peuple,
dont il était lui-même une noble personnification,
auraient pu l'aider a créer quelque chose de durable.
Mais la réaction était encore trop violente, et mal-
heureusement son idéalisme lui laissa croire que
l'idée républicaine était une réalité en France,
comme elle l'était pour lui et pour ses Romains.
C'était le point sensible auquel il ne fallait pas tou-
cher. Il me dit un jour « Je ne pouvais croire que
des républicains français pussent se résoudre à ren-
verser la République romaine, et j'ai empêché Gari-
baldi de poursuivre plus énergiquement les Fran-
çais. »
Aux environs du jour de l'an, Mazzini me pria de
lui procurer une édition illustrée des A'ibehingen,
qu'il voulait ott'rir à Caroline comme étrennes. Je
ne trouvai chez mon libraire que l'édition illustrée
par Schnorr, mais on m'en promit une autre, que je
– m connaissais-pas, et qu'on devait m'envoyer la
semaine suivante. Je donnai ee renseignement a
Mazzini, qui me répondit
« Je vais attendre huit jours, je n'en ni pas besoin
l
ayant la Saint-Sylvestre, -I** A'}'0!* que je ntf d<~i
lierai pour l'édition de Schnorr, mais je préfère choi-
sir a lion escient,
« Hélas, oui, nous
reparlerons île la pauvre saint*»
Allemagne -T tant que vous voudrez. Mais f Alle-
mal;na a un tort que \ous ne sauriez, nier. Klle ne
comprend rien è un asçiome révolutionnaire tpès
simple lo victoire ne pwït résulter que de ta eon-
eentration de toutes les torées sur un seul point.
L'initiative est impossible en Allemagne, elle est pos-
sible en Italie. Cela devrait suffire, si la question
recevait une solution européenne, pour que les
patriotes allemands se déclarent pour nous. Nous
cherchons à donner le branle, nous chercherons
jusqu'à ce que nous ayons réussi. Je suis seul, et
pourquoi? Je cherche à réunir des fonds au moyen
de souscriptions de 200 francs. Croyez-vous que
nous pourrions trouver quarante signatures en Alle-
magne? Non! Voilà mon argument contre l'Alle-
magne. Ce fait prouve que l'Allemagne peut conce-
voir une idée, mais que l'action, cette incarnation
de l'idée, lui fait défaut. Voilà pourquoi elle reste
au-dessous de sa tâche et de sa mission. Voilà tout
ce que j'ai à dire contre l'Allemagne. Vous me réfu-
terez à la première occasion, si vous le pouvez.
« Je suis resté ce que j'étais; eux ne se sont pas
restés fidèles.
« Votre ami,
« J. Mazzim. ->
Je faisais partie A cette époque d'un cercle do lec-
ture organisé par Mazzini. Il ne s'agissait naturelle-
ment i|iio de livres français et anglais, la plupart
dos membres do co oerele iutimo no sachant pas
l'allemand. Mazzini le lisâityfl le parlait un peu et,
bien qu'il reprochât souvent aux révolutionnaires
«Hemuiids do luanquei* d'initiative, H aUwail beau,
eôup fa poôsio ot Ta philôsophio altêmandës. Il- c
aimait beaucoup (««ptlio, surtout son FhusI; il me
disait un jour fpic, s'il n'était Italien, il aurait voulu
tMre Alleniand. Lo choix des livres était excellent
outre les meilleures Hevues dos deux langues, il n'y
avait que des livres sérieux, comme Tocqueville,
Vaiilaltolle, ("arlyle, etc. C'est à moi que Ma/ini
devait envoyer les livres d'abord, car je demeurais
le plus près «le chez lui. Je recevais ces envois plu-
sieurs fois par semaine, et souvent un billet les
accompagnait, contenant quelque allusion aux inci-
dents ou aux conversations de la veille.
C'est ainsi que je pus apprécier par des traits, insi.
guidants en apparence, mais très caractéristiques,
la bonté et la délicatesse infinie de son cœur; j'en
fus d'autant plus touchée que Mazzini avait vécu
dans un milieu et dans des conditions qui endur-
cissent le cœur. Lui, qu'on accusait de prêcher le
meurtre, avait une crainte extrême de blesser, de
froisser, ou de contrarier quelqu'un. Le billet sui-
vant en est une preuve entre mille. Je le reçus le
.J^roJcjnmnjTuj^
penchant au communisme, à l'athéisme il me l'en-
sur mon
voyait en même temps qu'un de ses opuscules.
«..AIa.ehcjre.ojwe1,
.d h-
demandé, bien que je
« Voici ce que vous m'avez
ne pense pas que cela puisse désormais vous servir.
«Jnfoiuwation im|!oi't«nle m> prone/, j}iin«is nies
plaisanteries sur Ux communisme, l'athéisme, efe,,
ait sérieux. Je vous connais, je vous apprécie ut
je vous estime êômm«Kvou* le mérHes,A'mts «Hen
sujette a l'erreur, comme moi, eomnio tout lo
monde. Mais vous avez trop de poésie dans l'Ame
pour <Mre athée, communiste on une disciple de
Fenerbaeh. Je plaisante parfois, mais c'est un signe
d'amitié; j'ai le cœur plein d'amertume et il me fau-
drait me taire tout à fait si je no plaisantais pas.
Pardonnez-moi et croyez-moi votre ami.
« Joseimi Max.x.ini. »

J'avais été étonnée de ne pas rencontrer Felice


Orsini parmi les italiens qui fréquentaient le salon
de Caroline avec les Saffi et les Quadrio. J'appris
qu'il était brouillé avec Mazzini et qu'ils ne se
voyaient pas. Je ne l'avais pas revu depuis le pre-
mier hiver passé chez les llciv.cn; j'avais appris
qu'il n'était presque jamais à Londres, qu'il faisait
des conférences dans plusieurs villes de l'Angle-
terre, etc. Je fus atterrée quand j'appris l'attentat
de la rue Lepelletier et l'arrestation d'Orsini. Maz-
zini en fut consterné. Il savait que le monde l'accu-
serait de complicité et que ce serait une nouvelle
occasion de l'attaquer. Mais ce n'est certes pas cette
considération qui l'affligeait le plus. Ce qui le pei-
nait, c'était le sort inéluctable qui menaçait Orsini,
quoiqu'il ne fût pas d'accord avec lui. Mazzini
unvii il rien du «•ut»*pUateur a tout prixî les* rons-
piratioii* i-t>|k>i^iiai(*i»t A su naluru prulbudéuuiit
humaine; il tes acceptait comme un moyen néces-
saire imposé pur les eireonstanees on vue «lu noble
but i|«'il jmmh'^hîvhU. Nous suivîmes la marche dit
[mirés «vi'c itni» sym|MillHO «Ioiim» «r»nxié(^. Sam
cspôrituis Uiiijoiiis niroro «|ii»' Nnpoli'on «Mail t"*|»ar-
lïtiiT In vit* «l'< ïi^îiti r N«us=««Immttns Oeûni» «pi,
lidrloù son «•«rai'lôiv, no ponlil pas nn instant son
rouca»»', sa liorlô, sa eonslanoo.
I/n^ilnlion ôtail lorriblo on AujsIoIoito. l.o lan-
gajï«» arrogant «le la prosso françatso, les in«»naros
inômrs «huit tes «'tIkis passaient la Manrho, l'atli-
tihlo «les chois <lo l'orinôo IVani^aiso imlaiont au
supi'^mo «logrô l'amour-propro national. L'amla-
«tioux projet «lo supprimer le ilroil «l'asile, cette pr^-
r<»gative «lonl l'An^lelorre s'honore, révoltait tes
Anglais, si calmes <i l'habitude. C'est avec un juste
orgueil qu'ils comparaient lit noble sécurité que
leur assurent leurs institutions avec l'agitation
fiévreuse de ceux qui se sentaient atteints dans leur
honneur et criaient d'autant plus fort qu'ils vou-
laient faire oublier leur esclavage. Tous, sauf Lonl
Palmerston, revenu au ministère, et en coquetterie
réglée avec la France, étaient résolus à défendre
jusqu'au bout les libertés nationales; l'ardeur belli-
queuse qui s'empara de cette nation si pacifique en
Tait foi. Les femmes nîemes sVxërçaientau tir et il
fut très sérieusement question de former un bataillon
-de femmes pour la défense des côtes. ï.es émigrés-
étaient naturellement très émus, le débat était pour
eux une question de vie ou de mort.
Le mois de mars 'arriva. «létai* avee Frédéric t't
ttHirtottë-i'hw mrjjenne frer»Mle Frédéric quUenait
de s'établir à Londres comme médecin et qui inau-
gurait son nouvel appartement.
-Sow; étions très gain, lorsque tout a .«aii|i-. nmi«
pnientlInMiH•rîop lïans l» ru« les ikniiwvi's «ohvcIIw =
du soiiv Non» ««nl»»i»|lron« l«' whw «rOrwni. l.>n «hw
édnvî\Wi1»^nïlite -0 (uilllt ttiilv ut uuür~titlli~rtù-tc~
journal qui nous lit tous frissonner lo muliu m*m«N
'«|»h l'aulie, la ItMo «l'Orsini, wm«» liollo H
n«l*» I*»*1.
«Uail lomlM'«s placo «le la Koqnollo.
Je no puis tlopein«lr« l'impression que me pro-
duisit eetle nouvelle. Pour lit seconde fois tl,' ma
vie, je voyais lui liomme que j'avais connu et estimé,
tlui méritait, par ses grandes qualités, lit sympa» lue
des gens de bien, mourir de lit mort d'un criminel.
Si la mort naturelle «le ceux qui nous sont cliers
et nous fait des
nous atteint d'une manière cruelle philosophie
blessures que la religion et la sont
impuissantes à guérir, nous ne pouvons nous en
prendre qu'à la fatalité et à ses décrets irrévocables.
Mais lorsque celle mort dépend de la décision des
hommes, lorsque la fatalité résulte du conflit des
passions etdas circonstances, notre cœur se révolte.
Je n'avais pas le temps d'aller chez les Kinkel le len-
demain, mais j'écrivis à Jeanne pour lui dire ce que
j'éprouvais. Ellerépondit
me
aussi je suis émue du sort d'Orsïni, je pense
« Moi

Târné des hommes g – –


à lui jour et nuit. Puisse-l-il vivre à jamais dans
libres!
L'agitation grandissait en Angleterre. Des sujets
anglais soupçonnés de complicité avaient été arrêtés;
Mis» Jcssy WIiHe «»l M. Hodge, un «mi inttnvo d'Or-
sini, a «|Mt celui-ci confiait une de so» f il|t*>* «l»ui»
"wTiVîvmnw|iW*lirlcJ*fiiiîiïôûr,furent amMés ri (Wnos.
Tous deux, H osl vrai, furent rolaehés fnulo do
preuves, mais «Vlait nu grief «lo plus H l'indigna-
tion des Anglais grandissait. La presse» franco»©
«•otilimiuit jVjiarlpr un langage insnlont et gros do
iikmiom'k.. <:<>s»t alors ijuVu.l lieu i'arroslaUo» do =
'Fwiftijftik ïîprtr*»n<î, ftecMi^ phr ï« Franco do eompli-
ril«> avoc Orsiitt. L'oxcilalion «Huit rt son comblo
lorsipio oommonciNront Ion déliais du pl%oc^s. Tout
lo moudo so pressait ai Old Hailey, tu vieux palais
tie jnstiw do Londres, tlui avnil vu se dérouler plus
d'une navrante alYaire, entendu plus d'un verdict
de mort.
.l*êlais résolue, conte que coûte, a assister aux
audiences. Le matin de l'ouverture je nie rendis a
huit heures du matin A la Cité, dans co sombre
palais d« justice, et je demandai à un des huissiers
de service s'il ne pouvait pas me faire entrer.
D'abord il fil la sourde oreille, me dit que ce n'était
pas la place des femmes, etc. Puis, lorsque je lui
remis ma carte, le priant de la porter à M. Ashurst,
un des avocats les plus connus, lui affirmant
que celui-ci me placerait, il s'adoucit un peu et
me dit que, tout en haut, la dernière banquette de
la galerie était réservée aux dames. Je m'y fis con-
duire, mais ony était Irèa mal; il était impossiblede
voir l'accusé ni d'entendre son défenseur. Je n'eus
pas de cesse qu'il ne me donnât une place au pre-
niîcr rang, d'où je dominaîsTcTbanc des accusés et
le tribunal.
C'était la première fois que je voyais dos juges et je
ne pus m'empéeher do sourire de leurs perruques
<•! U>ur*H»»tttme à Ih vieille inodtvtouhen eonve-
liant que l'elVet en était solennel. Mais bientôt toute
mon attention se concentra sur les débals lorsque
l'a««usé entra, «t que i'itttewogaloife eonuneuça»-
Si quelque vhose ftvuit pu prévenir des jugosiuipûr-
titins en favouvde l'aecus«S citaient tes nombreux
témoins français. Tous saû» «xcoplîott oïuienl si
vulgaires, tour attihulu prouvait iI'hiic manière si
('vitlente qu'ils étaient des instruments sti|toinlirs,
que les accusateurs disculpaient l'accusé1 plus que
tout le resta. Il y avait notamment parmi eux un
nommé Roger, un espion à la solde de la France,
qui se faisait remarquerpar la violence de ses atta-
ques. Cet homme s'était fait une tête à lit Napoléon,
il ressemblait à l'empereur à s'y [méprendre; c'était
la mode d'ailleurs & cette date parmi les fonction-
naires et ce type répugnantétait une cruelle parodie
du second Empire. La vilenie incontestable tlui mur-
quait cet homme au front servit d'argument au
défenseur de Bernard, un des meilleurs avocats de
Londres, lorsqu'il prit la parole, après le réquisi-
toire du commissaire du gouvernement. Mon cœur
battit quand il commença sa plaidoirie. Son exté-
rieur rappelait les portraits de Mirabeau et sa voix
retentit vibrante dans la salle où les jurés et le
public l'écoulaient, attentifs et haletants. Sa plai-
doirie était un chef-d'œuvre de logique serrée,
d'ironie mordante et d'orgueil patriotique; il défen-
datt. les privilège» de la liberté- -anglaise- en- inéme-
temps que la cause de son client. 11 ne parlait de
Itagw «|nVu ï*app«'lanl «lu nom d'espion, pour
témoigner «lu mopiï* oit il tenait tous ceux qu'on
avait entendus ««outre Hernard. Le président le rap-
pela « r«î'«IW»r Alors il s'excusa d'avoir traité un
espion riVspiun parée qu'il ignorait «pi'il était
détendu <l<* qualifier un espion U'cspion, et il rt^piUa
«jîx Ibis «le -suite; to ïêrihe* -inîordil alin «lo lo Won
sou li» lier et «le l'imposer à PaUenlion. Il trouvait un
appui dans rnmour-pt'opi'e. nalioiial, il y fil appel ou
>upplifaut îe'jïiry »1e «feftMulri' le droit d'asiits ttwit
sacré, si hiou «pic lit péroraison do sa plaidoirie, fut
couvcrlo «l'applaudisseinents. Les jures se retirèrent,
et hum qu'une lueur d'espérance se fût jçlissêo dans
nos eœm-s, ce fut un instant d'attente angoissée. Je
ne pouvais détacher mes yeux de l'aeeusé, qui sem-
blait calme et résolu «Inns cette heure décisive.
Hnliii les jurés revinrent et un silence do mort
régna dans lu salle. Mais dès que le président du
jury, n'avançant à lit barre, rendit le verdict « inno-
cent », il éclata dans lit salle et sur la place dans la
foule qui assiégeait « Old Bailcy des cris de joie à
faire trembler les vitres. Des inconnus Me serraient
la main et un vieillard me dit les larmes aux yeux
« «Quelle glorieuse journée pour l'Angleterre! »
Mazzini m'avait priée de venir chez Caroline après
le procès pour leur donner des détails. lis connais-
saient naturellement l'heureuse issue de l'affaire,
car la nouvelle s'était répandue avec la rapidité de
l'éclair à travers Londres-et partout on manifestait
la joie patriotique la plus bruyante. Il me fallut tout
raconter jusque dans tes moindres détails, et bien
que Mazzini n'éprouvât pas de sympathie person-
nollo pour Bernard, il «Mail heureux «le la toornurtt
qu'avaient pris»* les choses. J_t> mari «leltarultne me
..1liL4.-ti.Diuu merci» muis^wUrt délwmm«Vd«* |ir4
Palmerston, le voilit «le venu à toul jamais inipos-
sihle ». Ki» eflet, apr«'*s un nxH'ling formidahfc a
JlyUe-I'arU, et uni'- «lémojistratiou contre lui, il fui
«Mig«» «le tU'Hiissiomirr, Mais |t?s csjii'riiiicc'B do
Slatislielil 11» so iralisi'renl pus, rar l'anm'e sui-
:rraiite;I^lromtmvntYtnt:^iK-inini«^i%IUàx»i{i.in&
piiu «le lui «k'i'ii'e un compte rendu du prcieùs pour
son journal italien fHo c il ftofiolo. J'avais «Icjà <>c.ril.
pour le infinw journal un article sur l'ôlat de l'Alle-
ina^uo, et il en avait été fort satisfait. J'écrivais en
français l'ilaticit no nAUanl pas encore familier et
Ma/ini se chargeait de faire traduire mon travail.
Mon compte rendu terminé, je le lui envoyai; il
mVcrivil

« Chère amie,
« Je vous remercie de tout cœur pour votre
compte rendu, que j'ai traduit moi-même et expédié.
« Comment pouviez-vous supposer que je chan-
gerais quelque chose a votre appréciation de la
défense? Vous me croyez donc bien intolérant?
« Ce que vous avez fait pour moi ne vous libère
nullement de la correspondance allemande. En
lisant les journaux allemands, choisissez quelques
faits pour y rattacher vos réflexions. Vous savez ce
que sont les correspondances des journaux poli-
tiques. Je voudrais de temps en temps des vues
tl>nsr>in)ili» sur lfl ijinmhp. d^g^ r-v<Wim>nl« pnti–
tiques en Allemagne et que ces vues aient un carac-
tère élevé, philosophique. Xo pourriex-vous consa-
crer une heure à uneonpd'unl sur la presse politique
allemande arluelle et ses tendances par rapport a la

«
France, «V TÀrigTelerrë et h la Russie? Partfon pour
toiilesces requêtes, mais vous eles bonne et dévouée
À la cause, j'en use et j'en abuse.
Votre IV^reetâiHK 7
«Joseph. »

Mans iF no W ci^enttni plis «te stimulai' nrôn


avlivilê dan8 ce domaine. II tenait surtout à l'orga-
nisation d'un parti national d'abord, puis européen.
IJ parlait de cette idée que le parti ultramontain et
despotique doit sa puissance il sa forte organisation
et a son union. Il s'était donné pour tâche de fonder
en face de cette force une organisation analogue,
presque militaire et prête à toute éventualité. Mais
en même temps il voulait que tous, en se mettant
au service du progrès, de la liberté et do la raison,
fussent convaincus qu'ils ne faisaient que remplir
leur devoir d'homme. Ce qu'il avait le plus à cœur,
c'était l'organisation du parti ouvrier. De loin il
agissait sans cesse sur les ouvriers de sa patrie; il
essayait de répandre parmi eux une moralité plus
haute et l'idée de la solidarité; il désirait qu'on en
fit autant dans d'autres pays. Il me demandait sou-
vent ce qu'on faisait à cet égard en Allemagne, et
comme la réaction laissait peu d'espérance à cette
date* il m'engageait à tenter une association des
ouvriers allemands si nombreux à Londres; il aurait
voulu les réunir et au lieu de théories sociales con-
~Tôics7mûltîpIes,incomplètes, leur donner quelque?" s
notion» saines* et vraies sur les devoirs des ci lovons
et sur leur coopération. Je connaissais quelquos-un»
uV> eos ouvriers allemands, dj*s hommes hUelligents
et sérieux, et je promis t\ Mazzini ile tenter un essai,
•le leur parlai de. ce projet et tous me. parurent dis-
posas n le mettre n exécution. Je rendis compte, à
Mazzini de ce résultat et je lui dis cn même temps
«pie j'allais pour quelques semaines ait liord de la
nier, parce quo jetais triste, ot que j'allais demander
« la solitude et a la beauté de la nature des conso-
lations pour mes souffrances. Il me répondit
« Vous êtes triste? je le suis aussi. Vous allez au
bord de la mer j'aimerais y aller, mais je ne le puis.
Je travaille comme un mamenvre, je ne puis quitter
ma machine. Je dessèche a la peine, mais je ne puis
faire autrement. Voici quelques lignes pour Kos-
suth il habite Ventnor, mais je ne sais pas son


adresse; vous n'aurez pas de peine à la trouver; je
lui parle de vous comme d'une amie.
« Pourquoi pensez-vous que je ne sois pas con-
tent ? Je suis très content de tout ce quo vous
faites, de tout ce que vous dites. Je considère votre
action sur les ouvriers comme très importante.
Quand vous me direz que vous avez gagné un peu
de terrain et que vous jugerez mon intervention
utile, je m'adresserai directement à eux.
« Au revoir, mon amie! ne doutez jamais de mon
estime et de ma sympathie, qui vous sont acquises.
Soyez forte et brave. La crise finale se prépare
malgré tout.
«Votre frère,
« JosEpn. »
A Venlnor je trouvai les Pnlsfcy, ces chers amis
nvt'f h>squel* j'étais toujours on roi» lion, mais quo
j«» voyais ««renient « Londres, « cause des grandes
distances,.le remis tmr -lettre ehey. les Kossulh et je
<*ommen<;ai bientôt à reprendre des forces, grAee à
l'nir salin..r«urais aimé que Ma/im, si fatigue1, lui

-––
wt~h .1" jauir ~1'~tu- 1"'U- do repos, Je tut écrhis,
l'engageant a venir, à s'accorder quelques vacances.
11 me lit attendre asse?. longtemps sa réponse; enfin
'M'nt'ewh'ït
Chère amie,
«
« .l'aurais dû vous répondre plus toi, mais j'étais
accablt* de besogne et de plus d'assez méchante
humeur. Non, je ne viendrai pas vous rejoindre
dans votre tle. C'est impossible, par conséquent il
est inutile d'en parler. J'ai envie, il est vrai, de
m'enfuir vers quelque rivage. Mais si je le fais, ce
sera plus lard et ce ne sera pas a l'île de Wight.
Elle est trop belle pour moi. 11 est d'ailleurs plus
que probable que je m'en tiendrai à mon .projet et
que je n irai nulle part. D'ailleurs à quoi bon
partir? Pour l'état de mon Ame je fais mieux de
rester chez moi je suis sombre et triste, et le plus
beau paysage comme la plus belle musique ne ferait
qu'augmenter ma tristesse. Lorsque je suis dans
ces dispositions d'esprit, le beau provoque chez moi
une véritsible crise de désespoir suivie d'un accable-
jnent qui n'est pas salutaire.
« Je vous envoie ces
lignes par une charmante
H

messagère qui m'est chère. Je suis heureux qu'elle


aille vous rejoindre. Si elle y perd ses maux de tôle,
si vous jouissez ensemble de la brise, «lu paysage,
cela suffira pour que je garde a l'Ile de Wighl une
sincère reconnaissance.
« Vous avez lu f.imitVeH» /fa". N*est-T?e pas un
peu plus allemand que vous n'auriez pensé ?
« Notreorganisation en Italie marche. Croyez-moi,
c'est la qu'on reprendra l'initiative do noir© cause.
La question d'argent est toujours lit plus grosse
difficulté, mais je no désespère pas d'en triompher.
.?;* :-A« devoir. Travaillez et pensejî quefijHefws â
votre ami
« Joseph. »

La messagère chargée de me remettre cette lettre


n'était autre que Caroline Slanslield l'amie de
Mazzini, dont j'avais fréquenté les réceptions, mais
que je ne connaissais pas bien, qui ne m'avait
jamais semblé aussi aimable que sa sœur Emilie
Hawkcs. A Ventnor, dans la familiarité d'une villé-
giature, nous nous rapprochâmes et je fus toute
surprise du charme que je lui trouvai; sa grâce ne
m'avait pas frappée, sans doute parce que chez elle
toute mon attention se concentrait sur Mazzini. Son
aimable gaîté me ravissait. J'en parlai à Mazzini
dans une lettre où je lui demandais avec inquiétude
• de ses nouvelles et où j'exprimais mon étonnement
de n'avoir pas reçu à temps le premier numéro d'un
journal qu'il publiait.
Il me répondit « Je reçois votre lettre qui me
reproche mon silence. Vous avez raison, mais
ayez
confiance en moi. Je ne suis pas changeant, ni
capricieux dans raeg-affeoliuns, et rien~w-sSQmîr~
me blesser quand je suis sur de la sympathie d
quelqu'un. Mais par moments j'ai do la peine a
écrire «ulre ohose que des lettres d'affaires; c'est
quand je suis triste; je n'aime pas feindre et je ne
veux pas attrister les autres, Ôr jo viens de passer
par une phase de tristesse. Je vais mieux et je

-- s
regrette beaucoup mon silence.
Brans un des premiers numéros du journal je
ferai un manifeste au sujet do l'organisation d'un
parti.
« N^dublîipz pas de m'indiqùef quelques éditeurs
a qui j'en enverrais volontiers un exemplaire, si
vous croyez qu'ils voudront le recevoir. Je voudrais
que le journal fût connu en Allemagne; peut-être
pourrions-nous aussi avoir de ce coté quelques
abonnements. Il nous en faut 000 pour couvrir les
frais. Les destinataires ne risquent rien. Il est
naturel que nous cherchions a faire connaître notre
journal et un simple envoi n'est pas aussi compro-
mettant qu'une Ici Ire.
« J'ai expédié votre lettre sur la situation alle-
mande. Elle est très intéressante. Vous êtes enchantée
de Caroline; je le crois sans peine et j'en suis ravi.
Elle est très intelligente et elle a beaucoup de bon
sens, qualité plus rare que l'intelligence. Son cœur
est bon; elle n'est pas expansive, mais comme la
mer, le fond recèle des perles.
« J'écrirai à Kinkel, comme vous me le conseillez,
pour lui demander sa coopération, mais sans espoir
de l'obtenir. Je pourrais m'adresser & Ruge, mais
que diable m'écrira-t-il? Je redoute ses excentricités
et son caractère vindicatif. Qu'en pensez-vous?
Eenra-t-il «le manière a se rendre utile? Vous pensez
hien que refuser un do ses articles c'est so l'aliéner
pour toujours.
« il nous est venu fia abonné* d'Alexandrie.On
m'écrit de tous côtés; il y aurait quelque chose u
tenter pour l'union du parti, mais vraiment je no
poux pas tout faire tout seul. Je n'ai pas^ quitta ma
table de travail, j'ai écrit toute la journée et je n'ai
pas fait la moitié «le ce que je devrais faire.
«Au reypirt \fotre frère r k; =
« Mazzini. »
Dès les premiers jours de mon arrivée à Vontnor,
je rencontrai un compatriote, un exilé
comme moi,
que je n'avais vu qu'une fois à Londres, tout au
début de mon séjour, et que je n'avais plus jamais
revu, bien que nous eussions des amis communs.
C'était Lolhairc Bûcher, l'un des principaux députés
prussiens de 48. Dans la gigantesque capitale
on
peut vivre pendant des années sans se rencontrer,
mais à Ventnor, où tout le monde
se retrouve à la
plage, c'est impossible. Je fis connaissance et
sa ce
fut un plaisir pour moi de causer
avec cet homme
fin, distingué, instruit; j'avais été, il est vrai,
intimidée d'abord par son tour d'esprit critique; un peu
il
avait horreur de tout ce qui ne repose
faits. Il venait souvent causer pas sur des
avec Caroline et avec
moi. Nous passâmes de bonnes heures ensemble,
soit en promenade, soit au bord de la
le soir quand la lune argentée éclairait mer, surtout
les vagues
et que nous devisions, assis sur le rivage, jusque
fort avant dans la nuit, mêlant les sujets
graves de
Sanscrites enjouées, –
Je parlai de ftwlier o Mnzzini je lui dis que je
le considérais plutôt comme un homme d'État "que"
comme un révolutionnaire et que sa collaboration
au nouveau journal me paraissait par cela même
fort ihtairnbfc.- Je 4ui demandai si je ne devais pas
lui en dire un mot. Mii/.xim me répondit
« Je connais Uueher do nom et jo serais heureux
d'avoir recours a lui, 11 jugera d'âpres lé preittièf
numéro du journal s'il veut écrire quelque chose
pour nous. Je voudrais que le journal parlai de la
nécessité d'une alliance des nationalités, tlui seule
assurera la victoire. L'organisation du parti, voilà,
selon moi, le problème qu'il s'agit de résoudre. Le
jour où nous aurons une organisation, où nous
serons enrégimentés, oit chacun apportera son con-
tingent d'argent, de connaissances, d'influence, de
voyages, de propagande, ce jour-là nous serons vic-
torieux. C'est une honte, pouvant le faire, que nous
ne le fassions pas. Le journal pourra servir en expo-
sant ces idées et en montrant que nous sommes
d'accord. »

CHAPITRE XXXH

Résultats.
°~ Ce temps joyeux'êT^ruTneTirâifTiirRh. Bûcher"
s'en alla le premier, puis ce fut au tour de Caroline;
les Pulsky partirent en dernier et je restai seule.
Quelque ohî»re que m'eut été la présence «les* «titres
je-fusravie^ d'èîre- de^ nouveau -eiv ltMe~i\ We avec
moi-même. J'étais saisit» d'un besoin de mo concen-
trer et d'écrire que je n'avais pas éprouvé tlepuis
longtemps. Un mot tlfr mon plus jeune frère me

sans uu résultat. :
revint à la mémoire; j'étais bien jeune quand il me
dit un jour « Ne laisse jamais un jour s'écouler
Je sentais tjtto j'avais a seller
mon compte avec le passé, qu'il me fallait voir clai-
rement les résultats acquis. Pour la seconde fois
dans ma vie, après le naufrage de tout ce qui donne
a l'existence son prix, je ressuscitais du fond d'un
abîme de douleur, je me retrouvais, je me sentais
réconfortée. Cependant je n'étais plus jeune, j'étais
seule, ma santé était chancelante, j'étais réduite h
me suffire par mon travail, j'avais perdu mes illu-
sions, je n'espérais plus rien, ni bonheur personnel,
ni réalisation des rêves que j'avais caressés pour
l'humanité. Que me restait-il donc? d'où me venait
cette consolation et cette paix? Avais-je trouvé la
solution de l'énigme de la vie? Le voile de la vérité
s'était-il soulevé pour moi? Le positivisme m'avait-il
donné les satisfactions que le spiritualisme m'avait
refusées jadis? A cette dernière question, du fond
de mon âme je répondais par la négative. Je sentais
que je venais de franchir une étape de mon déve-
loppement.
'u,
Je compris que ce qui soutient le savant dans la
recherche de la vérité scientifique, ce n'est pas le
menu fait en ^ui^méme, c'est-te-volupté de ser-vig-
une idée, d'apporter sa pierre au phare qui doit jeter
au loin sa lumière et éclairer le navigateur dans sa
«ourse il trawiw Ioh (éuèlutts de 1« vi«\ CtHitti permet
«V r«rtisle do persévérer dans l'exécution pénible de

sont inspiration, "ë'osV" la joîë ifivïne do créer, de


transformer la matière éphémère en une tmivre
immortelle. Ce tlni console l'Auto charitable dans
l'«»S€n»ci«etlt» sa h?wilw «ompnssioîi,ce n'osî paSinjUi*
Itu'iiM» sôcIhV enliv «Ion millions <lo plours, c'ost la
|ùlù'>sacivoi'IUi-in«Miu4ioui>quisoiila^t«i%lnsoulVrançe
*»st ntt«» iM¥éssitè; En lïtt iïtnt ;fo Tonipm «j«« le
|U'iiuM|M' ossoistiol t|ui animo (uns ceux <|ui inérilent
10 nom <riionimo ont rWinenl «h1 vie par oxeelhmco;
il sY'lùvo an-«lossus tlo rinipi'Heetion terrestre, et
seul qu'il «si élm'iicl dans toutes ses muuifcstnlions,
que ce soient ««Iles d« la science, do Tari ou de la
ohm-ile. Cet « élément » était-il cet atonie impéris-
sable où j'avais cru trouver un jour le principe de la
vie? Une voix me disait « Non! » Mais si nous
repoussons te spiritualisme avec ses deux principes,
l'esprit et la matière, si nous repoussons le positi-
visme avec sa conception simpliste des faits, que
nous resle-t-il? Quelle étoile consolante allait luire
à mon Ame altérée de vérité pour la guider à tra-
vers la nuit de la vie? L'intuition me portait vers
une unité de l'être, vers la conception d'un principe
inconnu, insaisissable pour notre esprit borné, vers
«
l'être absolu » dont le monde sensible n'est qu'une
manifestation. Plus je méditais cette pensée, mieux
elle répondait à ma raison, et tes phénomènes de la
vie m'en paraissaient plus clairs. Cette aspiration
mystique vers l'idéal, commune à toute l'humanité,
"qui fait te fond de toutes tes religions^ depuis les
plus grossières jusqu'aux plus élevées, n'est pas un
produit tlt» lu civilisai ion eVsl un» aspiration
.]»«>«'?: .1? s*'H»«'t .la bmUK lu _|>ili*5» .ne j**a4?«jutèri»iU
pas, eYsl un don. La matière inconsciente «M des
combinaisons «liiinitjucs ducs au hasard sauraient*-
elles produire celle intensité «fo |S«;imv el d'amour
qui inspire niumnniW? f^n mOint* voix m«» disuil
« Non! >» Toiilos los cxidiralioiiH sur l'aoUvil»'1 du
~tU'¥"'a.It", !Õltl'J'timlui ion, ,c~lc. ,no ,n"8UmbJtlil'lIl(iUU'
dos doennionls jnvi:i»Mi.\ |iom* la coimnîssnneo «lu
iiuM'nniHino du monde, mais aussi insuffisants pour
«>xplt«iuor lo dci-nior mol «los «liosos «ju«> In Ihôori»
d'un C.ivatcur tjtti a lire le tnondo du i»«aiil. ,1m
voyais bien <|u'ù cet ondroit l'inlfllignuMî huinaiiiu
arrive à ses limitos et que ces limites sont inlVnu-
<'hissabU>s. KlUsinCmc «ppni'lionl nu monde du fini
comment, «les lors, coucevrail-elle l'infini? (îom-
menf, soumise aux limites du temps, pourrait-elle
se représenter réterniUV? J'entendais d'avance la
réponse des positivistes. « Que nous importe
l'inexplicable? Quelle valeur cela a-l-il pour notre
existence? Seuls les résultats de la science expéri-
mentale nous oIVrent un réel avantage. » Mais l'hu-
manité n'a-t-elle retiré aucun bienfait des merveil-
leux axiomes posés depuis des siècles par les
penseurs? L'expérience ne leur en avait pas fourni
les bases, et pourtant ils ont éclairé la nuit des siè-
cles de leur propre lumière au temps où la science
tâtonnait eneore elle n'a constaté que péniblement
et longtemps après eux ce que ces esprits auda-
cieux avaient trouvé du premier coup, dans l'ardent.
de leur pensée.
Et un grand cœur, touché des misères de l'exis-
t»«ne«\ plein iVnn amour suns limites, a-l-il passé
sans laisser «h» hwediins le monde lorsque, prêchant
une morale nouvelle, juins pnre, ilTnè craignît pas
d'aller à la niorl pour achever son o'iivro do misé-
ricorde?
Et quanti nnspîrotîcm Um 8»vni« U'ouvu un «clip >-

dans des millier» do (wur; et qu'un peuple tout


eut û«v sortit, no frtl-tîo qui» pour quelques heurtis»
i!HTàïiiîHitph£rà~ twhafc «fë JVxisUnitîts l¥v^iM»nveirtt
nVuMI pas un suprême rolenUssomont?
Mais Ions ces liumntes nï-tiuenl pas guidas par
lVxp«''rionco, ils puisaionl a la source dune intuition
qui les conduisait à l'action par la pensé» pure,
par le sentiment tout-puissant, par l'enthousiasme
divin.
Donc s'il nous faut admettre que notre onlende-
ment a des limites, que nulle expériemo ne nous
donnera le dernier mot des choses, ni la connais-
sance de « l'élément » primordial, devons-nous
mépriser ce que nous donne l'intuition, ces sublimes
extases qui n'ont rien à faire avec l'empirisme?
Non, au contraire. Nous devons nous y livrer
bien plus que nous ne le faisons. La science au
service de l'intuition nous aidera à combattre les
préjugés et l'ignorance, à dégager l'idéalisme de sa
gangue et à crier aux peuples comme aux individus,
ce nouvel Évangile « Sauvez-vous vous-même! »
IL. faut nous défaire de l'erreur où nous vivons et
voir enfin que la vie avec tous les biens qu'elle
donne n'est qu'une manifestation passagère de
« 1 être. » Le bouddhisme et le christianisme ont
déjà essayé de combattre cette erreur, mais ils
enseignent A mépriser celle existence h'omp»»nst\ el
l'ascétisme auquel ils aboutbsoul conduit par uiuv
réaction nu matérialisme.
La véritable rédemption consisterait a ne voir
dans la vie qu'un seul but où tendraient tous nos
eûorM cultiver l'idéal tmns l'individu el tiniûi t'htt-
immilô. Col ùh'al se révèle dan» hiistoiro ttu lomps
en temps par des signes mystérieux et «ïIiscur»^
eommo uuo fnnlnHinagoi'ie lointaine. Il parlu au
amw des hommes des la jeunesse, sous lit forme
d'un problème obsédant, d'un tourment confus,
d'un autour ardent, comme un besoin de se donner
a quoique œuvre pure, inconnue, suprême. On le
retrouve au fond de tous les mythes inventés par
l'enfance poétique do notre race pour expliquer les
aspirations éternelles des hommes. Coupables par
notre naissance, entravés dans notre existence par
l'erreur et le péché, il nous faut une rédemption
travaillons-y en rendant sa divinité a ce qu'il y a
d'immortel en nous. Le progrès de l'humanité
donne à l'étude de l'histoire sa signification, la per-
fectibilité de l'espèce donne aux recherches scienti-
fiques leur grandeur. Nous sentons une immense
espérance présager un avenir meilleur. Mais, hélas!
l'œil creux du mendiant, le regard voilé de larmes
du malheureux, l'angoisse du moribond protestent
contre l'espérance; nous sentons passer un frisson
de misère et de douleur. Tel cœur qui était tout
notre refuge est saisi du froid de la mort, les lèvres
– jtpii nous murmuraient, des paroles d'amour ou^uL

nous révélaient la sagesse sont muettes; ceux à qui


nous voulions faire du bien haussent les épaules ou
nous raillent. I/hutnatùté danse encore autour dit
veau d'or aujourd'hui comme jadis; elle accumule»
les trésor» que dévorent les mites et ta rouillé, ot

de
cependant elle se réclame de celui qui disait il
y
« bien longtemps que c'est tout autre chose qui
esU«V.eHHttm\ KM»» pofesseuno religion
ternité tout eu pratiquant le fratricides et 4'inven-
lion do nouveaux engins do destruction est mieux
céiviliuett que îe« ««uvres <l« y&m; Nous conum-n-7
i;ons a comprendre que tout « ce qui passe n'est
qu'un symbole », une manifestation éphémère de
l'unité éternelle el nous en pressentons la divine
Télicité dans les rares et fugitifs instants de la vie oit
l'enthousiasme nous saisit, t'espace d'un éclair. Il
faut donc nous délivrer de cette sourde douleur de
l'existence, en forgeant nous-mêmes les ailes qui
nous transporteront au pays de l'idéal, entrevu dans
notre jeunesse. Après chaque nuit de douleur, après
chaque Golgotha où nos sentiments les meilleurs
ont été crucifiés, nous devons ressusciter, meilleurs
et sanctifiés, pour développer en nous d'une manière
plus haute l'idée divine. Voilà le devoir des individus
et des peuples. Quiconque voit dans la vie une fin
et non un moyen, est condamné aux tourments de
l'existence, à la malédiction des vaines recherches,
des erreurs et du péché, et, suivant
un mythe
fond, il renaîtra jusqu'à ce qu'il ait comprisle pro-
mys-
tère de la rédemption. Celui qui t'a compris est mû
d'une immense pitié pour tous
ceux qui le cher-
chent encore dans le doute et l'erreur; il donnerait
sa vie pour le salutrdc tous, mais il ne le peut, Ia~vrâië~~
parole de salut étant « Sauvez-vous vous-même!
»
LYnigmo. do In vie me semblait «loue résolue; «nos
longues recherches avaient enlin abouti n la c hirtâ.
".refais seule «u t»or«I de la nier «jiiânî! ces ppusées
m'envahirent; je me sentais apaisée, et comme je
l'avais fait autrefois dans les Alpes du Dauphinc, je
m'agenouillai twiiwntt dos flots, symbolede l'infini.
Jo priai comme je n'avais jamais pn&\ je sentis
quo la prière est uno communion de l'individu avet*
l'uiïîvêra; rôfro d^ùb Jeur stt méf A genoux el se
relevo immortel.
La terre, le ciel et lu mer mêlaient leurs siddimcs
harmonies. L'Ame de ton? tes grands hommes me
parlait par tes voix de la nature. Je me sentais d'ac-
cord avec eux el it me semblait les entendre me
dire « Toi aussi tu es au nombre des vainqueurs.
»

CHAPITRE XXXIII

Nouvelles pertes.
Le ravissement de ces instants sacrés où nous
recevons au pied du Sinaï la révélation en paroles
de flammes ne saurait durer. Les brouillards terres-
tres nous enveloppent et nous reprenons pénible-
ment notre route à travers le désert. Mais au fond
de l'âme il nous reste une joie grave, le sentiment
d'une alliance secrète avec l'éternité qui échappe aux
puissances inférieures de la vie. Je retournai à mon
activité accoutumée lorsque ma besogne me rappela
a Londres; j'nllai tranquillement reprendre
favdeau do ehaqm» jour. mais ait rond do lame mon
je
lMvrlnîs un joyau dont In douce préseneeme consolait
quand je rentrais en mot-mArne.'Arrivé à Londres,
je m»* remis a mes traduction», h article»!
mes
Quelques rompu* rendus «jue j'avais faits»
livres russes rdeemmeiit pwus m© valurentsurdedes la
pari d'êdileûrs aurais des traductions, entre autres
<u'lle dUm livre du «ointe de Tolstoï, Enfance
H
Jmtmœ, un d«» phis joUt livres, shùs ïïmftc ilo
Mémoires, qu'on puisse rencontrer.
Cet ouvrage a un charme naïf, fréquent chez les
écrivains russes, soit qu'ils se dépeignenteux-mêmes,
soit qu'ils parlent de leur entourage; cette
naïveté
n'exclut pas la lino analyse des sentiments humains,
et sans dissertations psychologiques qui entravent
la marche da l'action, la réalité vivante
sort des
situations mêmes; le lecteur trouve mêlé a
l'œuvre par la sympathie qu'elle se inspire.
A cette occasion j'entrai relations le monde
en
littéraire anglais et d'assez curieux avec incidents se
rattachent à ce commerce. J'avais écrit à
mensuelle importante qui parait à Edimbourg
une revue
lui offrir des comptes rendus. On pour
me répondit fortt
poliment qu'on prendrait volontiers travaux,
mais qu'on tenait à me prévenir qu'il mes fallait laisser
de côté les questions politiques, religieuses,critiques,
historiques ou sociales; tout le reste serait le bien-
venu. Or, comme je ne savais pas au juste quels
sujets restaient à traiter je m'abstins de collaborer
-AjÇÇJojyroaLiL^J! autre fois j'envoyai le
manuscl'Ít anglais d'un e mes romans un C 1 eut',
Il me le renvoya, en louant beaucoup le sujet et la
forme, mais il ivgretloit «le ne pouvoir l'imprimer,
parée que r«envre ne répondait pas aux opinions
religieuses du temps. Il est à remarquer en elfe|
que tous les romans anglais, mémo les plus reiuar-
quables, se terminaient alors par une profession «le
fin drfTiô«loxé, mémo lorsque, le début du livre ne
faisait nnUethenl pressentir ces opinions ehex Yaw-
W>ui\ Celte particularité s'est d'ailleurs bjen modifiée,
et elle se modifiera encore h mesure que la tïn«tï-
tionnelleétroitosse d'idées fera place à des vues plus
larges. Mais il no faut pas oublier que l'époque dont
je parle était celle où les œuvres do Byron et do
Shelloy étaient prohibées dans les familles.
Cet hiver-la fut laborieux et fécond, Quand j'avais
terminé ma tâche, je donnais ma soirée aux travaux
personnels; j'écrivis ainsi plusieurs nouvelles et
quelques essais sur des questions pédagogiques;
j'écrivais presque toujours en anglais, mais je mis
de côté ces articles, certaine qu'on ne les imprime-
rail pas en Angleterre, a cause de leur tendance. Je
n'avais pas de relations en Allemagne qui eussent
pu m'aider à les y faire parattre.
Je voyais souvent M'ue Bell et nous nous occu-
pions surtout de questions de mariage, de famille,
d'éducation et de tout ce qui s'y rattache. Nous étu-
diions des rapports de statistiqueet nous cherchions
si dans ce domaine comme dans tous les autres le
développement intellectuel- et la vraie culture ne
jouent pas un rôle prépondérant; en effet, à mesure
que l'on descend vers les dernièrescouches sociales,
~u
mesure par conséquent que les satisfactions d'un
ordre supérieurdiminuent, la fécondité augmente, si
bien que ce «ont les élusses, les plus pauvres qui ont
le j»lns d'enfants. Est-il avéré que l'accroissement
de la population constitue la meilleure richesse d'un
pays? Une surabondance de la population des basses
classes if est-elle pas plutôt un obstacle à la civilisa-
tion, une cause de misère? -te' nécessité de Immigra-
tion n 'est-elle pas une preuve des maux qit'on-
tratne ©eUo.fôconditô? Nous arrivions a conclure^
RÏmo Dell et moi, a la fin" clé ces discussions, (jû'il
faudrait la combattre par une culture plus haute et
qu'il faudrait viser a créer des exemplaires moins
nombreux, mais plus parfaits de l'espèce humaine.
Nous nous rappellions cette légende d'une reine
d'Orient d'une beauté et d'une intelligence incompa-
rables qui vint trouver Alexandre le Grand avec le
désir de lui donner un fils qui fût un homme accom-
pli il nous semblait que la création d'un ôlrc
humain est une oeuvre d'art et qu'il faut s'y pré-
parer et unir les plus belles espèces pour améliorer
la race. Les Grecs le savaient bien, car que signifie
leur mythe de l'union des dieux avec des mortelles?
Ils savaient que ce qui importe, c'est la production
des héros. Mes relations avec Mme Bell étaient fré-
quentes, nous allions souvent ensemble dans des
musées et des expositions; son sens artistique ren-
dait ces promenades tout à fait précieuses pour
moi.
Une autre relation vint apporterdu mouvement
intellectuel dans ma vie c'étaient mes rapports avec
Lothaire Bûcher, dont j'avais fait la connaissance à
Ventnor et que je continuai à voir à Londres. Il avait
«m» la bonté d'accéder a ma prière et il vouait une
fois par semaine, le soir, me parler d'économie ju»H-
\lm> _*>M. w° J*? ce
de* )t'elMÇ«»s sujeL qu'il
commentait. Je n'avais jamais approfondi ces ques-
lions et j'avais passé à l'étude des systèmes socia-
listes sans y être suffisamment préparée, J'étais
heureuse de combler celte lacune, et qui aurait pu
mieux m'aîder dans cette tache que cet homme si
érudiH? II est vrai que mon sodalismo obstiné et
mes idées politiques trop idéalistes t'ennuyaient
fort. Un jour, par exemple, il se tacha parce que je
ne voulais pas admettre la 'nécessité des intermé-
diaires entre les producteurs et les consommateurs;
il me semblait que les transactions pouvaient
se
faire directement. Il considérait aussi comme naïve
ma manière de juger la question de Pologne: je
trouvais que l'Allemagne devait restituer les pro-
vinces qui continuaient à se révolter; Bûcher,
au
contraire, affirmait qu'un élément de civilisation
plus avancé avait le droit d'englober l'élément de
civilisation moindre. Toutefois, malgré mon igno-
rance, il était d'une bonté, d'une complaisance,
«l"une patience inépuisables avec moi, et il
con-
tribua par mille prévenances à me rendre la vie
agréable j'en étais d'autant plus touchée
que son
caractère était réservé. Nous habitions fort loin l'un
de l'autre; il nous fallait parfois recourir à la
cor-
respondance, et j'appréciaisinfiniment cette relation.
J'avais été chez les Kinkel tout de suite après mon
retour de Ventnor, mais je n'avais rencontré que
Jeanne. Pour la première fois depuis leur séjour en
Angleterre, ils avaient passé leurs vacances à Lon-
dres afin de terminer quelques travaux littéraire»,
.teauue avait termina son roman Jean /*»• et jf en
étais ravie. Tout ce que j'avais lu d'elle,, ses nou-
velles publiées en collaboration-avee-son-mari, les
manuscrits qu'elle m'avait montrés, me plaisaient
beaucoup; j'avais toujours regretté qu'elle ne con-
sacriU pas plus cl© temps à développer- son talent-
d'éerivain, qui certes égalait son talent musical Elle
site raconta combien ces vacances avaient été belles;
elle hic dit qui* depuis «es ftaKÇftilles-eîle^ie ae sûtt-
venait pas avoir vécu de jours aussi heureux. Au
milieu de ces joyeuses confidences, je fus toute
déroutée «te voir Jeanne me témoigner une défiance
dont je la savais capable avec d'autres et qui trou-
blait parfois cette belle âme, mais que je m'éton-
nais de voir tourner contre moi Il s'agissait
d'une visite que j'avais faite chez elle avant mon
départ pour Venlnor avec une autre personne, non
sans lui avoir demandé d'abord l'autorisation de
la lui présenter. Tout à coup elle me reprocha
d'avoir eu une arrière-pensée telle que si j'avais pu
la concevoir, elle eût motivé une rupture entre
nous. J'étais si surprise de cette attaque imprévue
et imméritée que ma douleur fut plus grande que
mon dépit 'et je fondis en larmes. J'aimais tant
Jeanne, je l'admirais d'une manière si complète,
j'étais si heureuse de son bonheur que j'aurais con-
sidéré comme un sacrilège de faire quelque chose
qui eût troublé ce bonheur; ma seule intention avait
été d'obliger cette personne en lui faisant faire la
connaissance de Kinkel et de sa femme et de lui
"procurer ainsi leur appub
Mes larmes désarmèrent Jeanne. elle on fut
émue; mais elle me supplia de partir avant que son
mari rentrât, parce qu'il ne pouvait pas -la voir
-pleurer.- Elle nr'pmbrassa,nfassurant que ïnaînTe-
liant qu'elle avait dit tout ce qu'elle avait sur le
cœur, tout était oublié. Mais il n'en était pas de
mêmfr pour moi. Je ne songeai pas tV -lui en vouloir,-
je» lui pardonnai, voyantcomment les choses s'étaient
passées. C'était chez elle un trait maladif, une de
ci*» imperfections de !a natwre «onime eir ont les
caractères les plus nobles et qu'on est fout étonné
de voir remonter à la surface quand on croit en avoir
triomphé; ces faiblesses prouvent que nous sortons
presque immuables des sources mystérieuses de la
nature. Tout en lui pardonnant du fond du cœur, je
n'en restai pas moins peinée devoir qu'une intention
pure, un acte de charité avaient pu être méconnus.
11 me fallait du temps
pour que ce grief s'adoucît,
s'alténuât et se fondit en cette harmonieuse mélan-
colie d'une âme qui connaît la vie; nous pleurons
tout bas de voir que les plus belles et les plus nobles
choses, dans ce monde imparfait, ne peuvent rester
sans tache. Je n'allai pas de longtemps chez elle.
Jeanne m'écrivit pour rétablir la concorde. Je ne lui
répondis pas, j'étais encore trop agitée, je voulais
attendre que le calme se fût fait en moi. Ma fête
arriva et avec elle la lettre suivante

«Reçois tous nos voeux pour ta fête. Tu recevras


demain ou après-demain un petit souvenir que je te
destine. Tu n'as pas répondu à ma dernière lettre.
-Je ne "hr demanderai pas si tu as gardé quelque*
amertume contre moi dans ton Ame; je préfère le
dire que les reproGlies que je Val faitsde vive voix
ont enlevé toute trace de rancune. Je laisse au
temps le soin de te montrer le fond de mon cœur.
T» es frojv hiteHî^ente» liras le êipue troptnôbte
pour ne pas coin prendre qu'il soit permis d'avoir un
avis différent du tien. De nombreuses expériences
dont je ne pourrais te parler sans ôtfê perfide envers
des amis d'autrefois eontirment mon sentiment. Je
ne voudrais pas dénoncer ceux-lit même qui onl
cherché il me blesser mortellement. Je ne le ferais
pas, même pour me défendre; que m'importe d'ail-
leurs l'opinion du monde? Mais il est un nom (lui
m'est cher et que je ne laisserai pas calomnier. Lui-
inémc est assez, fier pour mépriser des insinuations
basses, mais mon cœur se brise îi la moindre
atteinte que de méchantes gens portent à la consi-
dération qui lui est due. Au revoir, je t'embrasse de
tout mon «Heur. A toi,
« Jeanne. »

Cette lettre me toucha beaucoup. Je connaissais


son cœur si bon, si humble, si aimant, malgré toute
la passion qui le bouleversait parfois. Bien que
dans notre dernier entretien elle m'eût dit « Je ne
vis plus pour des hommes, je ne vis plus que pour
des idées », je savais A|ue le centre_et le but. de sa vie
c était son mari et ses enfants qu'elle idolâtrait. Je
lui répondis affectueusement en lui promettant ma
visite. Mais plusieurs semaines se passèrênT~sàTîs~
que j'eusse pu mettre mon projet à exécution. Le
14 novembre je reçus la visite d'Angéliquede Lager-
«•Iran»; elle me raeonlà avoir élé v\wt. Jeanne la
\««ille et l'avoir"trouvée~ {gardant fcr «iiaml w piiHi*
une bronchite comme elle en avait presque tous les
hivers. Mais elle était gaie et «le bonne humeur et
en -voyant- wtw son plus jeune (Ha, elle s'était
écriée« ïîomment ne serait-on pas heureux, avec
im (Us comme eelui-la! »
Je îm wpeutïaiVf inrjttiétë «te la savoir sôtttTwïnttv
Ces bronchites la fatiguaient beaucoup et sa sanh'*
était d'ailleurs chancelante; je savais depuis long-
temps qu'elle soutirait d'une maladie de cœur,
l/hiver précédent elle avait en en soirée un spasme
au cœur, elle était tombée de tout son long, et sans
In présence d'un médecin elle eût pe,ut-étre suc-
eomhé à cette atteinte. Je me dis tille j'irais le len-
demain sans faute pour prendre de ses nouvelles;
cela me fut de nouveau impossible; je n'avais
qu'une heure de libre dans l'après-midi, et c'était
trop court pour aller dans le quartier des Kinkcl,
«|ni était au moins à une demi-heure de chez moi.
.le m'arrangeai de manière à me libérer plusieurs
heures le lendemain. Le 10 novembre au matin je
reçus avec le premier courrier de la ville une lettre
de Kinkcl. Je l'ouvris et je lus les mots suivants

« Chère amie,
«Ma femme est morte aujourd'hui à deux heures
etdemie. Vous ne m'en voudrez pas de ne pas vous
en dire davantage.
s" Si vous~Wi51êz~5ïï"nom de notre vieille lîmitiê
m'aider un peu, venez, je suis désemparé comme
un enfant. Bien à vous. « G. Kinkel. >»
lue douleur Uniihle, intolérable, tiw saisi!. Voila

'
done -lu -fin- «hrrrltp attention si grande et st pro-
fonde! cotte brusque disparition avant que je pusse
l'assurer de mon dévouement inébranlable, du
pardon pour la seule heurts d'anûM'tume qu'elle
m\n\l donnée! De tous lt>s oonpn quo 1110 |iurlit lu
vi«», rclui-lii ôiaii »los plus riuûvs; H «Huit si
peu
(tctfvit-! il tM«Fnïp|ittiN*irplein cfenr. y =-
Je laissai mon Imvutl el j'allai tout <lo suite oluv.
Kiiikel. Oiwl revoir! J'appris qu'elle »Hail morte
«l'un© mort violente, elle était tombée do In fetietre
«le sa chambre il eoueher dans la cour. Comme elle
était. soûle au moment de l'accident, un dotite poi-
gnant s'élevait en nous avait-clin mis volontaire-
ment fin à ses jours* Ce doute devait peser sur le
eu'iir de Kinkel, et augmenter son chagrin, quel
que filt d'ailleurs son sentiment, il cet égard. Mais
Jeanne, leur lille, ainée, une créature délicieuse, qui
avec ses quatorze ans avait déjà une âme héroïque
et charmante, disait d'un air calme et assuré
Xon, mère ne nous a pas quilles de son plein
gré. » Je partageai cette certitude, debout auprès
de la dépouille de l'amie que j'avais tant aimée, en
regardant ses traits fermes, comme coulés dans le
bronze, sur lesquels planait, silencieux et solennel,
le mystère de la mort. Le dernier mot qu'elle m'avait
adressé me disait que son bonheur, après tant de
luîtes difficiles, était à son apogée. Les soucis maté-
riels ne pesaient plus sur elle; son travail n'était
plus un fardeau, -mais- une joie; elle avait du loisir
pour écrire; ses enfants, sains de corps et d'esprit.
grandissaient pour la joie de leurs parents; Kinkel
«•luit «l«n* Imite lit vigueur de son (aient, h» *u«*eès
tmiromraititMïles ses* oiitir|>risi«*. Oiii«l inùtiîl«« ent
pu pousser Jeanne, mw xou e««tir ardeul Ct unVc-
Iihmix, à préférer ta mort il cette existence désor-
mais joyeuse. d«Mit a'H*' éfcùt l*> eeutwvle %er dev
hunièr/et dmuonr? .le m<* ralliais avec mnvit'lion à
l'oi»iiii*m «U» son mm«l»lo onfaiil.« lue «lévunni
jiHrtNirt liw^nivi sirivontîrtfiitti «urti^w*aux fiRtivrCs
«liantl«>niM'«s, je lAehai «le les ai«lw «lans les Irisles
soins qui viennent non pas «listrairo, mais agjçravei*
I» tltMilenr dans ees eirconslanees. le» venaùenl
s'ajouter encore des l'ornialiiés très pénibles, l'au-
lopsie cl la romparuli«m «levant nu jury, l/aulopsie
uionlra que le euuir avait le double du volume nor-
mal. II semblait plausible dès lors que la défunte,
prise d'un spasme, se fut précipitée « lit lenèlre pour
respirer, et, perdant l'équilibre, qu'elle fût tombée.
La fenêtre était une de ce» fenêtres anglaises qu'on
ouvre «le bas en haut. Cela demamle un
certain
effort, car tes vitres sont lounles et il faut les
pousser jusqu'à une certaine hauteur pour qu'elles
ne vous retombent pas sur la tête.
L'appui de la
fenêtre n'était qu'à deux pieds «lu sol; un mouve-
ment un pài rapide suffisait pour «pic le poids du
corps l'emportât. De cette fenêtre jusqu'à la petite
cour pavée sur laquelle elle donnait il y avait une
bailleur de 40 jgieds. C'était par un de ces brou iil-
lards de novembre où l'air est irrespirable et rien
n'est plus explicable «|u'un vertige dans ces con-
-riitions. Pouv"ttoti5 la chose n'était pas douteuse"
Mais il fallait faire constater officiellement les condi-
tions de la chute. On ne pouvait procéder à cet
e\nnieit que h' «inqnièmc jour après te décès. Le*
«mis intime» do KinKel se réunirent pour l'oocom-
¡}ugltf'Í' -.Iitns (ot'lli- .li~11IflrdÚ..ti:HÍtÕ""CIISt'; 1è,jÓ\entants
devaient venir également, et Jeanne était résolue n
témoigner pour su mère, kinkti, comme toujours
dans 1rs iïeitres dil'fiiiles, élail caïme.Tvdumgoùx >F
fermé; la pensée de faire encore quelque étiole jtoùr
wi t'oinmt* !»• souhuiuU, tçxultsU. Kn allant à 1»
iiHîiw» «lu qUrtvtw, tf nie tfl! V« MîTjîei»; noùVaHons
eomlinUro encore une fois pour elle! »
Il fui appelé en premier comme témoin devant les
jurés. Après avoir répondu aux questions tic nom,
d'Age, de condition, il dépeignit sa vie domestique,
les luttes qu'ils avaient eues il soutenir tous deux,
leur nmour réciproque qui les aidait à tout sup-
porter. Il termina en racontant leur dernière conver-
sation une heure avant lit mort de sa femme, il qui
il venait de. faire part d'une affaire qui devait se
conclure; il termina en disant qu'il l'avait laissée très
gaie pour descendre faire son cours au bout de dix
minutes on était venu l'appeler et il n'avait plus
trouvé qu'un cadavre.
Son récit était si simple, si digne, il portait si
bien l'empreinte de la vérité que tous tes auditeurs
étaient visiblement émus. Lorsque Kinkel termina
en disant qu'il n'avait plus rien à dire, mais que sa
fillette était là, prête à donner son témoignage, te
président se leva et se tournant vers» les jurés il leur
dit « Messieurs, je pense que ce que nous venons
d'entendre suffit pour nous convaincre et qu'il est
inutile d'e i il re d'autres témoins Tous
se
levèrent et donnèrent d'un commun accord leur
\ortjivl «
Mort accidentelle ». J'admirais du fond
«tu <*(ivm' ce pi'oeMé si humain. H jno > semblail dîpio
d'un** vraie justice, qu'une impression morale jugent
in dernier ressort, el qu'on épargnât toute |ieine
siipertiue h ces affligés. Nous reconduisîmes jvinkel
chefcJul, non» y restâmes une henre^ pivstjue îien-
tvux qu'il eut reniporlé pour «lie cette vietone. l«««s
autres partivenK «te wm«Mm entrée |m»up «Urejwlieu
iiw: lui et s«s 'e'nftinttt' w In depiMiiHe mortelle de
«•««lie tlui allait vivre. it jamais dans nos e«run*. J«
levais» ornée de fleurs fraMies, elle semblait dormir,
etilme, sureine, ses mains d'artiste, dont, le jeu
plein d'aine nous avait charmés si souvent, croisées
sur sa poitrine. Kilo était belle ainsi et l'Ame des
«•iitmils en re«;nl une impression sainte i\ jamais.
Je déposai un dernier baiser sur son Iront, nous
•Icigninies les lumières et nous sortîmes de la
chambre.
Le lendemain nous nous réunîmes pour aller il
l'enterrement le rendez-vous était à la gare. Kinkel,
nu licu de Highgale, avait choisi le nouveau amé-
liore de la nécropole, à 24 lieues de Londres, parce
«pie de longtemps la ville n'y atteindrait pis. Nous
montâmes dans le même wagon, Kinkel, ses enfants
el moi. Les personnes qui venaient ti l'enterrement
prirent le même train que nous. Pendant le trajet,
Kinkel me dit qu'il voulait parler sur la tombe. Je
htMis qu'il me semblait que j'aimerais à dire quel-
ques mots. Il me pria avec instance de le faire, mais
_çjàJh8jS9uiage^c^i^
««•prisede cette extrême timidité à parler en public
«pu* je n'ai jamais pu surmonter; je ne me sens il
I'aîm* que dans une conversation intime. A Londre*
It» temps (Mail froid («I gris, mais la campagne était
oiïsôlèiHèV. ATêritréè «fii HmoTièVeQu fôrmalc" eïir-
lègo. La plnee où Jeanne Kinkol devait reposer était
bien choisie. L«>s i*o|linos l»lt«uAlirs <lu llampsliiir
mw friim chiHet's ondulations ft l'horizon, rnppiT-
lai«*»l Ioh vifïn»»l»h«8 tii'fart^toiirlnHiamriptVIhMivnil
lajil ai««;s, <>t «|iii avaient »H«» lo Iprcoau tlo ses «Iouj»
«le musûîionni1 et «lo |uml«\ tTn «mi, un Anglais,|mHa
«l'altoiMl, puis ci« l'ut au lotir <lt> Kinkol, et soûl un
potHc peut parler ainsi <lo collo <|u'il a aiméo. Il parla
«le son grand (uiuragv, il dit que jamais un ennemi
n'avait vu «le larmes dans ses yeux, qu'elle avait
aimé sa pairie, qu'elle continuait a vivre dans ses
('liants, que sa loi ot son ardeur au bien revivaient
dans ses enfants ut dans les braves cœurs qu'elle
avait animés de sa llainme.
Froiligralh vint déposer une branche de lauriers
sur son cercueil, je le couvris de fleurs, et il des-
cendit lentement dans la tombe. Le soleil darda il
ses doux rayons comme si le pays qui l'avait reçue,
qui lui était devenu une seconde patrie, voulait lui
dire un dernier adieu et réchaufler sa dernière
demeure. L'Angleterre l'avait appréciée à sa juste
valeur. Mais nous qui entourions sa tombe, nous
sentions que l'Allemagne aussi perdait quelque
chose de rare. Cet exemple montre assez que la
femme peut lutter pour la vérité et pour la justice,
qu'elle peut travailler dans le domaineintellectuel, et
sans négliger ses devoirs d'épouse et de mère, cou-
Tfîbuer aTentn'lïéirmrtlérîci'dc'là famille. Quelques"
jours après l'enterrement, je reçus de Freiligrath In
pfiésje suivante, «|n*îl envoya nus amis la mort*»,

u_u.
«I»*

souvenir doublement précieux.

Après ft'ulfinvwnt il'' ./•*«««•' Kinki'f,

..•L-x- z -i, au iioviMiilin- ts:î!C

•« l*ar nn temps d'hiver, en Angleterre, veuns de


tous les pays, nous avons enseveli en silence, dans
fa terre étrangère, e&ïie feînmh jdlemrtmîe. lift #i vre
couvrail la bruyère, mais le lerlre était ensoleillé el
IcseollinesbleualresdeSurrey ondulaieul AThorixoii.
« Autour
des genévriers et des buissons de sureau,
la mésango voletait en gazouillant –
les yeux se
mouillaient de pleurs, plus d'un sanglotait tout, bas,
et I» main de l'ami tremblait, émue, en déposant
sur le cercueil le ruban rouge el tes vertes branches
«le laurier.
« («eux à qui elle avait appris a vivre avec courage,
a «| ni elle avait appris (h; courageuses chansons, ses
orphelins étaient lit, groupe désolé au bord de la
tombe ouverte; el d'une voix ferme, les paroles du
père, jaillissant comme un Ilot de sang d'un co:ur
déohiré, retentirent devant la couvée abandonnée.
« Repose
donc, baignée d"air et de lumière, et ne,
déplorons pas que tes collines natales ne dominent
pas la tombe, que le Drachenfels et l'OKlberg ne
brillent pas pour toi dans la rosée matinale, ni dans
tes ardenrs.du soleil couchant» à t'endroit oùlaSieg
se jette dans le Rhin, entre les champs et tes prai-
ries en fleurs.
« Nous te portons au
tômbcaiFcommirïûTTrere
d'armes; tu dors sur cette terre étrangère, frappée
«l'mi «»>u|i mortel devant l'ennemi; car l'exil est un
champ df bataille; «*»w| là que tu es lorobee, ne
vmanl d«* Itm f«*rtïi«* "ivgiml qu'un bul, celui qui*
"IHHIS poûrsuivôiï* tOHS, _d"
••
('«'ont ici (ju'osl (a placo <riionn<nu% ou miliou
«|(> ws lltMii's simvagcs «l'Alhton; nul sot mieux quo
eHiii-et n'tntmif fliri-oHlôrstiHin «Innsioirccrouefl*
W»|K»stM»h 1« mort f*a faiioli^ê! repose ait lit as «•<>m-
Itatlii nul flmmjt «le morls nV.sl plus «ligne <lo loi
qwïèjiays «le tî^mic- Bretagne;
« Ln hriso qui souille A travers ces herbes et qui
lait omliiler la pelouse s'est jouée dans les boucles
«le Millon, le poêle rebelle; «le su fraîche haleine elle
faisait flotter les êteiulards «le Oomwcll, et voilà le
sol que foulaient ses chevaux.
« Hl c'est d'ici qu'Algernon Sidney leva ses yeux
mourants vers le même soleil, source de toute
lumière, e'«»st i«-i sans doute que Hachel, la femme
«le llusscll, comme toi le soutien da son époux pri-
sonnier, regardait ces mêmes collines.
u
Voilà les quatre noms que je nomme avant tous
les autres et ce pays fut le leur; c'est eux qu'en par
tant nous mettons comme une sentinelle à ta porte;
tes voilà, les symboles de ce que fut ta vie, ton sou-
tien, toit idéal lit liberté, l'amour et la poésie.
«
Adieu et afin qu'une voix courageuse ne manque
pas à ta tombe, que l'alouette matinale te verse ses
chansons! que la brise de mer, si chère à l'âme libre,
murmure et se joue autour du tertre x»ù lu reposes,
«ju'elle sèche les larmes de ceux «pii viendront ici
pour te pleurer.
~™Fïn{ÏÏÏXÏNÎfFRBÏÏÏGiRÂTHr»u
Hien que In vw> reprit se* droits ««I que chacun tlo
uuiis fût foret*» do se remettre ou travail, je consacrai

àpendant .quelque temps tous mes moments de loisir^


la famille en deuil. Je pansais souvent mes soi ires
tivee KinUel, en compagnie de l'un ou l'autre de ses
amis, qui lui avaient témoigné une sincère sympa-
thie, entro autre» «ver UneÈier, qu'il no eonnaissail
pas du (oui auparavant, l'n soir Kinkel nous eoin-
imini(|iia son intention de publier un journal alle-
mand à Londres ot nous demanda d'y eollahoror.
Hacher éprouvait quelques scrupules, dont il me
lit part quand nous fumes seuls, mais il promit plu-
sieurs articles. Quant a moi, je lui promis mon
concours sans réserve. Kinkel voulait que je lui
donnasse des comptes rendus sur la Hussie. Je le
pouvais, grAce à mes relations avec Herzen, qui
était très documenté et tenait ses informations de
lionne source. Il voulait surtout que je l'infor-
masse de tout ce qui touchait à l'émancipation des
serfs.
Celle question avait été débattue de tous cotés
avec tant d'ardeur que le gouvernement russe était
mis en demeure de prendre une décision. Môme si
les dispositions d'esprit de l'empereur eussent été
moins bonnes qu'on ne le disait, il eût été contraint
d'accomplir cette oeuvre. C'était un fruit mûr, prêt
à se détacher de l'arbre. Herzen n'était pas seul à
demander cette émancipation; dans la Cloche, qui
était devenue une puissance, il- éclairait et com-
mentait l'application pratique de cette mesure sous
toutes ses faces; ailleurs paraissaient des brochures
et des articles sur le même sujet; chacun proposait
des moyens de réaliser ta morne Idée., l'eus l'occasion
par 1l«»rxpn de tue enseignera fond sur la question
et de tire plusieurs do ces brochures. La question
qui m'intéressait le plus était tic savoir si rorgani-
snliou di> lit commune russe allait subsister avec lu
libération. L'individualismeallait-il devenir prépon-
f
d^ranl eu Kussic «•oinirie dans t«i wste do Kump«>?
Le besoin de la propriclt' personnelle altait-îl triom-
pher de la traiiitiou et devions-nous, avec e4hy
relronver i*intlîviduHÏïsnie, avec toutes ses èéhse-
quences, bonnes et mauvaises? La Russie aurait-
elle il traverser la mOine évolution que le reste de
l'Kurope, qui depuis des siècles soutient la lutte
entre les prétentions exorbitantes d'un seul et les
droits «le tous, cette lutte qui pourrait trouver une
issue pacifique dans un état social où l'intér«U
individuel se trouverait en accord avec l'intérêt
général? L'avenir, un avenir éloigné pouvait seul
résoudre ces questions. Elles n'avaient rien à voir
avec les exigences du présent, où il ne s'agissait
que d'un acte de justice, de la suppression de l'escla-
vage, l'opprobre de l'Europe. J'étais en correspon-
dance avec Herzen, qui habitait en dehors de la
ville. Sa propagande était active et sa feuille avait
un succès grandissant. On savait de source sûre
que l'empereur Alexandre la lisait et en tenait grand
compte.
D'ailleurs Herzen était loin d'avoir un programme
révolutionnaire. II était trop circonspect pour de-
mander qu'on procédât d'une manière brusque et
violente; »Vcor»prcnaiH^ pays comme
la Russie ne pouvait passer de resclâvâge à une
liberté républicaine. Son programme comprenait
quatre réclamations, qu'il formulai! ainsi
1° Émancipation des paysans avec la propriété de
lâlerrê qu'Useuîlivenl
i" Suppression do la censure préventive:
.T Suppressi«ui «les enquêtes secrètes et des juge-
inentsiiiiuisetos; C
îa Suppression des peines corporelles.
<'o_nHne il Je disait lui-tnéine, ces réformes n'étaient
« ïu n lii Roliespïerrtt ni ft Ih Mariff », e.ï tt'avaïeul
pas lieu d'épouvanter. Kilos étaient appelées a
transformer un état despotique en un état civilisé,
où toutes les forces humaines pourraient désormais
s'épanouir et contribuer au développementnational.
Mais ce qui rendait Herzen redoutable, c'est qu'il
incitait au grand jour les crimes des privilégiés en
Mussie, et qu'il ne craignait pas de les nommer
|><*nr tes livrer à la vindicte publique. Cela inquié-
tait naturellement tous ceux qui avaient pu jus-
qu'ici pécher impunément et pour qui la Cluchc
sonnait l'heure du jugement.
D'ailleurs Herzen,arrivé à l'apogée de son activité
cl de son influence, n'était rien moins qu'un révolu-
tionnaire doctrinaire. Il était trop éclairé pour croire
qu'on peut endiguer le torrent vivant de l'histoire
•lans un système, dans une théorie préconçue. Il lui
«'lait indifférent que la forme du gouvernement fût
monarchique ou républicaine, pourvu que la vie ne
lût pas stagnante, que les hommes fussent libres de
•H' développer. Il haïssait les doctrinaires, quels
<|u"ils fussent, les républicains à l'étroit dans leur
"^ysièmè~^esqué"autant*q5êTës~15ônarchisles abso-
lus. La seul<> chose qui lui importai, c'était la
liberté.
Ainsi, un jour, à l'occasion d'une petite entreprise
«le propagande tenjee par un doctrinaire allemand,
Iteraen m'écrivait
Je doute du succès; le temps de la démagogie
l'évoluliohnaîi'e est passé. Je vôLCmiêux de jour en
joue «pie. l'cro des grandes révolutions politiques
est elpse» et elle s'est terminée comme l'époque
«le Fa Résfauraiïoh, sans résoudre la grande ques-
tion. La question religieuse est-elle résolue? Non.
Mais elle a cessé d'intéresser.
« Nous entrons dans une ère nouvelle, et tout ce
qu'écrivent ces messieurs, ces antédiluviens, appar-
tient au passé! »
Quelque temps après, lorsqu'il fut question d'une
guerre entre l'Autriche et la Russie, en réponse à
une lettre où je t'exhortais à ne pas pousser à h
guerre, la guerre étant toujours un mal et ue pou-
vant servir nos vœux, il me répondit « Et toi
Brutus, aussi! vous aussi vous prenez peur, vous
n'avez pas le courage d'aller jusqu'au bout de votre
pensée! Laissez donc la politique, tous les hommes
du vieux temps, et mettez-vous à un point de vue
plus large. Des circonstances tragiques demandent
une autre mesure. Comment irais-je croire qu'un
marche à la conquête de l'Allemagne? J'écrirai un
article, mais il ne calmera personne. Croyez-vous
que j'y- change un iota? Croyez-vous- -que j'aille-
comme Mazzini faire le saint et le réfractaire et
nuire au parti! Loin de là. Je n'ai jamais conseillé
'la guerre; la guerre approche, mais personne ne
>«mge « I Allemagne, il lanl
que l'Autriche sue-
comlM\ il faut que lit France recouvre sa liberté un
l>ien elle sera-lit proie du plus criant despotisme.
« Wte guerre contre l'Autriche; sera très populaire
eu Russie, et vous croyez tlue je vais compromettre
mon influence en écrivant une chose contraire aux
ïsiits, «finale tranquilliser les Meekleinbourgeois!
« le suis prêt n discuter toutes ces questions
avec
unis. Ma ligne «le conduite est toute tracée, elle
dt'viora pèuNHlre, mais d» côW <$m vîvitïrts, pas du
cAté des morts. »
Lit plupart de ces allusions s'adressaient il de
sottes et malveillantes attaques, parties non seule-
ment des réactionnaires russes, mais aussi, ù mon
regret, d'une partie de l'émigration allemande, une
coterie envieuse et perlide, qui avait entraîné 11
sa suite quelques personnes de mérite, comme.
Charles Blind; j'en fus peinée, car j'avais beaucoup
•l'iunilié pour lui. Herzen était assez indifférent à
ces attaques et il y répondait la plupart du temps
par le dédain qu'elles méritaient. Ainsi il m'écrivait
une fois « Dans le Pionnier de Heinzen il y a un
article qui me traite d'agent russe, d'intrigant, de
coquin, de fils de juive, etc. Vous voyez que les
«
(«olowins » ne m'ont pas oublié. »
-Ce qui l'affligea davantage, c'est que Kinkel
accepta, pour le journal allemand qu'il venait de
fonder, un article où l'on accusait Herzen d'avoir
parié de Vienne comme de la future capitale d'un
royaume slave. J'en fus surprise et très ennuyée.
Cette attaque insensée était une réponse à des
-itrtictes que j'avais écrits presque tous sous 1*ftïspî^~
nttiim de Uerzeti.J'élaisjiJéHo!éede^ voir cette finiillo,
à laquelle je m'intéressais, devenir dès Je début un
champ dos de ces Julles de partis qui révélaient au
mont!»' d'uue manière _sj fAçheuse les mesquines
rivalités des émigrés. Je regrettais vivement d'avoir
«*| «• l'occasion indirecte do cette contrariété. Mais
j*ét»is surtout fîteht't» de ne \"QÎr naître <jue des guiv
relies et des discordes, alors que je m'eftbrçais de
rapprocher les membres des différents partis sur le
terrain des principes supérieurs; j'aurais voulu leur
faire oublier toute considération personnelle. Sur
ce point, je partageais l'opinion de Mnzzini, je trou-
vais avec lui qu'une seule chose était nécessaire,
s'unir pour travailler en commun à la défense des
grands principes fondamentaux sur lesquels nous
étions tous d'accord. Cela pouvait se faire sans
révolutions, sans glaive, ni combat, par la propa-
gande des idées. Mais ces querelles mesquines,
ces inimitiés personnelles, ces jalousies haineuses
entravaient nos projets. Parfois je me disais qu'il
manquait quelque forte individualité pour dompter
toutes ces forces par l'autorité du génie et pour les
unir en vue d'un but commun. Mais il aurait fallu
pour cela un homme comme Cromwell, comme
Luther, comme Frédéric le (;rand. Mazzini srvait
des préoccupations nationales trop accusées, Herzen
aussi, et parmi les Allemands, malgré leur réputa-
tion d'universalité, il n'y en avait pas un qui eût été
'•npnblft d'être un chef. Hn nPntiMl!dLLsgLSC!ll£LS!^L-
forces dans des tentatives isolées que faisaient
avorter les intrigues personnelles. J'étais si révoltée
de cette attaque absurde contre Herzen que je vou-
lais j répondre etprendre «Mléfense. Lui-même tue
demanda avec instance de n'en rien taire; il m'éeri-
vail « Pour l'amour «lu ciel, pas de justification!
Vous me rendrez un grand service en n'écrivant
«en. Vol rê rèponso provoquera .ufiê- cônïrè-crUïijmN
mais j'ai mieux à faire qu'à me battre contre des
aveugles. Toutefois » si vous tenez ù jrejiarler de jjn
chose, montrez-moi ce que vous voulez dire, car
s'il y a une équivoque, je dirai que j'ai demandé
instamment qu'on ne me justifiât pas. Oumil a
Vienne, je l'ai nommée parce qll'il y a seize millions
de Slaves en Autriche. »
Je ne répondis donc pas, mais je dis à Kinkel que
je me refusais ii collaborer désormais il son journal.
delà lui fit beaucoup de peine. Il avait cru faire un
acte d'impartialité en acceptant l'article en question,
sans se rendre compte des dangers auxquels il expo-
sait sa fouille en ouvrant ses colonnes aux passions
haineusesdes coteries. Les difficultés qu'il rencontra
bientôt lui firent d'ailleurs remettre la rédaction en
d'autres mains.
Si la sympathie et la douleur de la mort de Jeanne
me conduisirent plus que jamais dans la maison de
Kinkel, les amis que je vis le plus souvent et de la
manière la plus intime à cette date, furent ceux du
milieu anglais que fréquentait Mazzini. Caroline
Shmsficld était d'unecharmantecordialité avec moi,
et Mazzini me traitait presque comme un membre
de la famille. J'y déjeunais tous les dimanches, avec
le jeune couple, leur enfant unique et Mazzini. C'est
là, dans ces réunions tout intimes, que j'appris à
connaître et à apprécier la belle nature, si sérieuse
et si tendre, de Ma/y.ini. Il est impossible «le «lin» la
part qu'il prennilr a~tous -|«*-p»4 ils évént»m«»nts-dn
jour, lit manière charmante dont il s'occupait «le
l'enfant, el à quoi point son «mi trouvait en lui un
iisonsoitlor ^priM'ipusvOfr In Itanimvde eelui-eLua auù
IValernel ol attentionné. U'esl lii^ oit flionime poli-
lique s\'IV«r«il pour no laisser voir que l'homme, le
plïiïran|HiT.f'\rttHiK^ tIU" ~M MMÙ~ ~ëSË~
«Ions mon souvenir en (rails inolTnoalilos. Havait
tout n l'ail le type italien. I! rninissail «>i» lui les
qualih's «'nninenles «le sa nation. Ses traits rappe-
laient lopins grand de ses compatriotes, le Dante; et
«•oinm«> chez lui, ses conceptions philosophiques H
religieuses avaient une teinte de mysticisme, où tout
«levenait un symbole. Comme politicien, il se rap-
prochait de Cola «le Hien/.i; il avait le même atta-
chement opiniâtre à son idéal politique, qu'il se
croyait destiné a réaliser est dépit de toutes les résis-
tances. Au point de vue pratique, il avait aussi
quelque chose de Machiavel; l'élévation de son but
ne l'empochait pas d'avoir recours souvent ù des
moyens détournés, lorsqiul tes croyait efficaces. A
coté de toutes ces qualités, it avait la plus noble des
facultés de sa nation, celle de comprendre et de
goiUer le beau dans la poésie et dans l'art, celle de
mettre toute son âme dans ses affections. Il menait
une vie d'une simplicité extrême, non par ascétisme,
car il aimait les belleses, mais par painotisme
et par esprit de sacrifice il se privait de tout pour
mienx-^ervit-sa-cause;H habitait une petite chambre-
modeste, mais pas un de ses compatriotes beso-
gneux ne le quittait sans avoir été secouru, et
quand H n'avait |»lu«» que dix »h«»llin$ïs il en "ttmimtil
«vinq. Tln'y a pas de saint, pas «le Mio* «jui plus «jne
Mazzini «H fait de sa vie l'expression de sa foi. Au
milieu «les privations «le l'exil, loin de sa belle patrie,
îliii etmtsa ilenfrire, :wnl»-Jwt*rfnl":àtttftPnT»il:-«tiiif-
ne repomlait |>«s a s« haute
Inlelligenee, H a vi«W
jnst|u'à la lie la «ïoajjms amt'siv de la vie. Mais loin «te
swec^oiiilipr^ if *r enfertenaen-liiMïiéni*> N( «l«i« iv*i
siens la flamme sacrée «le l'amour «le la patrie, el
il » «l«M*en«lu l'idéal politique auquel il Mail ntlaeW.
C'est la qu'est son mt'n'ite immortel. S'il a <;«>mmis
l'erreur «le tous les fanatiques en poursuivant une
forme politique contraire aux nécessites «lu temps»,
il commettait une faute de jugement. Son «'ameU're
n'en <>sl pas amoindri et demeure un des plus nobles»
«le «'eux dont s'honore sa patrie.
l.e trait suivant me prouva entre mille sa honte
louchante et la sympathie qu'il éprouvait pour ses
amis. Je le rencontrai un matin; c'était cho.se rare,
heurcs-ln.
car il ne sortait presque jamais à ces
Nous causâmes longtemps et je fus frappée «le le
voir me regarder d'un air soucieux et scrutateur.
Au bout de quelques jours, je reçus la visite d'un
ami, d'un médecin, que j'avaisdéjà consulté quelque-
fois. Je lui dis que je n'allais pas bien du tout et
que mes yeux s'affaiblissaient beaucoup. En effet,
j'étais si souffrante que souvent le matin je ne
savais comment mener à bien ma tâche du jour.
Mais il fallait travailler; tous les jours j'étais à ma
TâTificTIèTra^ûTTE^^ et je ne- la quittai
pas avant que ma besogne quotidienne fût ter-
minée. Ma vue, qui avait toujours été faible, com-
meunut ù huissôr. Cetélal -<lt* mes yeux maf'fligewl
tmrUitil pendant les longues soirées dliivw, ^|uand
j'étais s«»ule et que je souhaitais de toute mon «me,
mou devoir accompli, de chercher dans de l»ons
livres «m «limon» intellectuel. D'oiUohi's l'ôlat tlo
nw«» yens nv'iutjUHHnit poui* revenir; si Jo tt«? pou-
vais |»tns Iwmiillw, rnmmonl vtyrni*-j««? ™ U\
m(-<l<H-in %m *iw?Iara jqpa*il l'allaif woins tpavatllp^
jieuï-^îw im«»hm* enrayer eoinplMomonl loule locturo
|iomi* un l«»m|»s. sans quoi j'étais*
mena^o do powlro
la vu«». Aw»l>l«V tlo souci, ji» mwitionnai cet avis du
uiôdcrin «Imiih mw lettre a Mazzini. H me répondit

<
Je savais, ma pauvre amie. J'ai élô frappa du

(l«nj>cr qui vous menaçait lorsque je vous ai ren-
contrée l'autre jour. Je l'ai dit le môme jour il
Caroline, mais comme je ne suis pas médecin et que
je n'ai aucun droit à me faire écouter, j'ai attendu
que des gens plus autorises que moi, vous pres-
crivissent ces mesures sévères, llésignez-vous, et
monde
6ongcz que vous êtes encore assez jeune et le
assez troublé pour espérer être utile un
jour. Si
je
vous devez quitter Londres, Jiles-le-moi, afin que
vous revoie avant votre départ. Dans ce cas je vous
écrirai, mais des lettres qui n'auront rien de com-
promettant, que tout le monde pourra lire. Oui,
nous allons avoir une guerre européenne, et ce sera
une bonne chose. Nous en reparlerons. Je vais

il<* l'oioiip <ioni<mit


«
– ~– – *"
aujourd'hui à la campagne, chez M., mais je serai

Adieu, je vous aime et je vous estime.


« Votre ami Joseph. »


Oiiaud je le revis, H me serra tu main avee olVu-
sium't ino demanda sr je ne pourrais" pas aller à
tienes, le médecin in 'ayant recommandé un climat
plus méridional. >% Je vous donnerai des rccomman-
<lation# pour des l'iimillos ou rvmta.sufïojf iv^ite t»lr
chrty^ commo nni> smur ;», mo dit-il. Je n'osiit lui
«lire» la vt^rilo; la «Itffieiitln matériollo seule in'omp«x-
^Imif «Palier dpiw midi, V»t je n<* vonlaîs |»as fe hti
avouer.
Dans sa bout»'* sans limilos il aurail ossay«*' d«>
mo venir en aide d'une manière <|iielcon<|tie, et je
ne pouvais pas accepter un sacrifice, sachant com-
bien ses ressources étaient limitées et qu'il donnait
tout ce t|u*il pouvait a son ««uvre.
Je m'occupais d'organiser l'association ouvrière
a laquelle Mazzini attachait une grande, impor-
tance.
H me reparla de celle question dans une lettre
« Voici quel serait mon idéal laisser les ouvriers
s'arranger entre eux; puis former un comité de
trois membres appartenant aux classes moyennes,
afin dy organiser également une section; établir
entre ce comité et le comité ouvrier des relations
amicales sur un terrain d'égalité; s'occuper de
rattacher à cette organisation tous les éléments
tant en Allemagne et sur le continent d'une part
qu'en Amérique de l'autre. »

Je lui avais annoncé ensuite que j'avais réuni six


hommes de bonne volonté, dignes de confiance et
prêts à faire parmi les ouvriers qu'ils connaissaient
une propagande «elive pour l'association, II me
répondit
« Chère amie,
«
Voilà qui est bien vous avez réuni six hommes

de lionne volonté. Si «Jnwun 4'eux, animé d'un
ferme ttôsiir de Ijîôu faire, travailla sans «esse, et •«*-
demande chaque soir
pftatiioti^:t6iiVre? * « qu'aije lonl«*
vous aurez Jn'ênfol
aujoiiril'hni
iioiuhie djuleplcs, Kssaye/. «le faire comprendre aux
nir gmné

ouvriers allemands que l'organisation du peuple esl


le meilleur moyen pour empêcher les révolutions de
s'embourber dans la politique. Lorsqu'une grande
liffiio populaire réunira l'élite européenne du parti
de l'action, les droits des peuples et des classes
ouvrières ne pourront plus être traités avec mépris;
soyez-en assurée. Quand vous aurez fait votre pro-
gramme, j'enverrai a l'association la définition du
lieu qui doit nous unir et l'en uméra lion des devoirs
qui en seront l'expression.
« ( '.ertes, il n'y a rien au-dessus du dévouement à
quelque grande idée. Voila qui épure et qui ennoblit
nus chagrins personnels. Dieu sait que moi aussi
j'en ai eu ma part.
« Votre ami,
» Joseimi. »

Ces derniers mots se rapportaient a ce que je lui


avais dit de ma séparation d*avec l'aimable enfa ni
que j j'aimais si tendrement; l'éducation de celle-ci
wVtait plus «ht tout ce-que je souhaitais pour elle; ef
sa jeune vie avait déjà été assombrie par plus d'une
Julie peiubhvsuus iinv «hreetion peu bienveillante.
Ce profond chagrin venait s'ajouter aux souci* que
méconnaît ma santé et <m.v wnnttes qtrVIh» m'tnspi^
tait pour l'avenir. J'avais parlé à plusieurs reprises
«le loul cela à eel ami si sympathique, et je crois
que
.-c'est -pour détourner mon esprit «ht «»* préoeeu-^
paliuiis qu'il nie poussait vers une activité désin-
léresséo, vers lo «lévouement aux grandes causes.
Mais il savaU comprendre les sentiments1<w? phni
délicats el y compatir.
Ainsi un soir chez Caroline,j'avais été plus silen-
cieuse que «le cou lu me, el lorsqu'il m'en demanda la
raison, je lui répondis que la douleur de la vie, de
la solitude, me pesait plus que de coutume. Le len-
demain il m'écrivit entre autres choses: « Vous ave/,
clé plus taciturne que jamais; moi aussi je le suis
souvent l'impression dont vous m'avez parlé, je la
connais. H m'arrive souvent que le vide de mon
passé, le vide de toute une vie solitaire me saisit
avec une force qui m'écrase. Puis je jne remets en
route un peu plus desséché qu'auparavant. »
Ces quelques mots suffisaient pour me montrer
ce grand cœur que le monde croyait plein de rêves
ambitieux, aventureux, téméraires, voire même cri-
minels. C'était un martyr de sa foi, si jamais il en
dit. Il portait la couronne d'épines et la croix, il
sacrifia sa vie à une idée. Cette idée était-elle
erronée? qu'importe, si pour lui elle était la vérité?
Cette idée pouvait-elle sauver le monde? Et l'idée'
pour laquelle la croix se dressa sur le Colgotha,
-fa-t-elle -satmr? – – –
Puis, après ce regard jeté au fond d'une autre âme,
chacun, jetant un \oile sur ces mystères du eo»ur
qu'un ù'aintu pas ù |i|<ufuuci\ reprenait son activité,
,!«> lui umiispatlé, «L'un Polonais qui jn'iuspirniLuno.
grandi* confiance et qui se mettait entièrement a sa
disposition. J<> lui demandai en même temps «le ne
P«* m'eji vouloir si l'organisation Uu comitéouvrier,
il laquelle il tenait tant, n'avançait pas plus vite. Il
nie répondit
« {IhéreainH1, :.c c.

«• Je ne me l'Ache jamais, sauf parfois contre mes


Italiens, mais comment pourrais -je me l'Acher contre
«pieU|u'un comme vous; un être plein «le -cœur,
d'une volonté si désintéressée et d'une si grande
douceur?
>•
Travaille/, donc, mais sachez en môme temps où
j'en suis moi-même, afin de vous régler là-dessus.
«
Je suis en rapport avec le comité démocratique
polonais et je suis tenu envers lui à de certains
égards. Votre Polonais est-il en rapport avec lui?
Si non, tout va bien. Toute propagande me sera la
bienvenue, je t'accepte volontiers. S'il est en rap-
port avec le comité, je ne vomirais pas avoir l'air de
leur enlever un des leurs. Tout ce que vous réus-
airez à faire dans cet ordre d'idées aura mon appro-
bation et mon appui. J'entrerai en rapport avec tout
comité du parti de l'action, quel que soit le centre
où il se forme.
« O»a»t à Tallandief, attendons son article. En
général, permettez-moide vous le dire, ayez le moins
de rapports possible ayftç des Françft'3 et. le plus
de rapports possible avec des Allemands. Je con-
unis* presque tous les Français «1o l'émigration et je
sais ce qu'il finit attendre d'eux, Nous formons on
••«» moment une assoeialirtn seewM^ parmi, eux, qui
«ommenee à s'étendre; il faut nous contenter U\v
ajoulor un à un les individus que nous pouvtuiH
«hyaeher d'aulivs nssocialions mal oi'ganisroH ou
trop exploitées par dos espions».
>>
No croyez pas que. je. veuille exclure les Français
;<r«ne «nionirépiiblie-aînei \Iais: j«%: lm j«M>nnais; |»>
vrois qu'on ne peut pua faire fond sur eux en masse',
et qu'il n'y a pas d'avantages positifs à y gagner
pour notre cause. Il faut les enrôler personnelle-
ment un à un dans une de nos nouvelles organi-
sations.
« Au revoir, mon amie,
«
Joseph. »

H se méfiait des Français; il les connaissait très


bien et soit de vive voix, soit par écrit, il me met-
tait en garde contre eux; il redoutait surtout 10
socialiste, tandis qu'il était en rapport avec
Ledru-Hollin et les siens. Je lui avais parlé souvent
d'un jeune Français qui appartenait à ce parti je
l'estimais beaucoup et j'aurais voulu le présenter à
Mazzini, dont la personnalité me semblait un excel-
'eot exemple pour les jeunes gens; je tAchais en
outre de faire régner la paix dans l'émigration et de
rapprocher les éléments les plus disparates sur le
terrain des principes communs. J'avais tant parlé
de Mazzini à ce jeune homme qu'il désirait vive-
ment le connaitre personnellement. Je lui donnai
l'adresse de Mazzini et je lui dis d'y aller lui-même,
lui promettant d'annoncer sa visite. Mazzini ine
répondit

•• Kn
«rChere amie, ~H _d
donnaut mon adresse a Tallandier, vous l'avez
donnée « parti auquel il appartient et
In police. Le
auquelil communique tout fourmille d espions. Je
ne vous fais pas de reproche, je no fats que cons-
tater h% chose, Kn ce qui me çonceraçk,Ipul ço que
j écris, sanf co qnï touche. les opérations, peut aller
a lotîtes les préfectures de police du monde. S'il le
fallait, je le ferais même imprimer.
« Taxez-moi d'exclusif, d'intolérant tant que vous
voudrez, mais croyez-moi,travaillez avec des Hon-
grois, des Polonais, des Serbes, des Monténégrins
et des Circassiens, si vous le pouvez – surtout avec
des Allemands, si vous y réussissez je le répète,
ne vous donnez pas trop de peine avec les Français.
Vous C'U-h trop bonne, trop confiante, pour décou-
vrir le principe démoralisateur qui les caractérise.
Vous nie parlez par exemple de Bernard il y a trois
jours, dans une réunion où l'on proposa aux Fran-
çais de signer une souscription annuelle d'un shel-
ling comme gage de solidarité, Bernard se leva
pour combattre la proposition. II affirmait que le
journal italien le plus avancé n'était pas l'Italia
did popolo, mais la Rugione. Or c'est un journal
matérialiste qui parait à Turin, se fait passer pour
socialiste, *ans étudier à fond une -seule question
économique, et qui proteste contre le mouvement de
propagande. De plus ï/lnlia del popolo a été saisie
plus de trente fois, la Ragïone une seule. Bernard,
qui a trouve une immense sympathie auprès dos
Italiens ait moment de son procès, est le dernier qui
aurait dft parler ainsi.
« Vous nie partez tPun meeting pour Tunion do
toutes les nationalités. Je sais hieu qu'il y vien-
drait ilos gens do toutes les nuances do partis. ilais
croyez-moi ,wfer n'alioutifait ù -rkniy et ilè> plus,
comme je vous l'ai dit, je ne veux avoir attaife «ju'à
des individus, non jYtles assoeialions. }m eonunune
estne d'espions. 5 r :=--
Pour moi, Tessenliel c'est de mettre le mouve-
ment italien en contact avec des nationalités en voie
de formation. La France est dans une situation
particulière. Elle n'a qu'une seule chose à faire; si
cela est impossible, il fautattendrequ'un mouvement
se produise à l'intérieur. Une conspiration n'abou-
tira jamais à une insurrection victorieuse. La propa-
gande révolutionnairene saurait y grandir sans être
découverte. Travaillez donc, chère amie, avec les
nationalités de l'avenir, mais ne tentez rien avec les
communistes français. Je ne vous suivrais pas. Je
ne dirais pas cela s'il s agissait d'entrer en relation
avec des éléments nouveaux, des Français vivant
dans le pays. Tout ce que les autres peuvent faire,
c'est de modérer leur langage, d'adopter un pro-
gramme commun et de montrer au monde qu'ils
sont d'accord avec nous. Toute entente secrète avec
eux est impossible et dangereuse. ? »
Il revimVde- nouveau sur ce môme sujet dans une
lettre au sujet d'un travail qu'un Français m'avait
priée de lui soumettre.
« Je n'aurai pas le temps de lire le travail en ques-1
tion avant la fin de la semaine, mais je le lirai et je
vous donnerai mon avis.
Oiuïnt au travail en commun, ne vous huiez pas
avec les Français, s'entendrSi Ton nie fait des
propositions, je répondrai, sans doute. Je ne veux
et ne puis abandonner Ledru-Rollin je ne le ferai
jamais, à moins qu'il ne «hange de drapeau. Mais
rien ne m'empêche de travailler avec qui que cesoit,
et jamais je ne refuserai de m'allier à d'honnêtes
patriotes qui ^ëufen^t Jdyaleraettl Ventefldfê â^^
moi. Mais souvenez-vous que mon temps est pris.
Vous savez que je ne vais nulle part. Je suis accablé
de besogne, et bien que je sois assis à ma petite
table de travail de huit heures du matin à neuf
heures du soir, je ne puis faire la moitié du travail
qu'il me faudrait faire pour l'Italie'; outre l'émigra-
tion, j'ai à diriger un grand parti dans le pays. Cette
lûche est sacrée, je ne puis y renoncer. Il est bon
qu'on le sache et qu'on ne donne pas une fausse
interprétation à mes habitudes casanières, qui sont
forcées. Je ne puis assister à des meetings, à de fré-
quentes délibérations. C'est surtout par mes écrits
que je puis avoir une action efficace. »
Cependant j'étais arrivée à réunir une vingtaine
d'ouvriers allemands. Ils devaient se rencontrer le
soir une fois par semaine, s'éclairer mutuellement
sur les intérêts et les devoirs de leur condition, en
les méditant et les discutant ensemble, élaborer un
programme .rationnel de voeux pour .l'avenir et. s'en-
tendre sur les moyens de faire de la propagande
parmi les ouvriers au delà et en deçà de la Manche.
~3e priai Mazzini dmaugurer~cette petiUTassociation,
comme il me l'avait promis. et de venir un soir causer
avec ces gens. Il se déclara tout prêt, de 1» meilleure
grâce, du monde, et on fixa un soir oit la réunion
-devait -avoir Heu chez -jnorr A i'Ireiirp dite, les
ouvriers se trouvèrent au rendez-vous, tous dans
une attente un peu émue, car ils savaient qui ils
allaient A«ip,-Mazzini -arriva et 4es salua d'une-
manière amicale et fraternelle. Je ne T'avais jamais
vu dans un milieu pareil, avec des gens du peuple,
et jamais Je ne -lui avals? trouvé autant de m>I»loss«' et
de charme. Loin de prendre un autre ton pour
parler à des gens d'une classe inférieure, comme le
font tant de démagogues, soit en les traitant avec con-
descendance, soit en leur parlant d'un ton familier
et vulgaire, il restait ce qu'il était, simple, naturel
et digne. Il ne s'abaissait pas à leur niveau, il les
élevait à lui, en venant à eux pour les éclairer et
les conseiller. JI parla longtemps de la nécessité
d'éveiller le sentiment de la solidarité chez les dill'é-
rents peuples, de se mettre d'accord tout d'abord
sur les principes fondamentaux et de travailler à
leur réalisation en mettant de côté, pour l'instant,
les théories particulières. 11 leur dit surtout,
comme
à ses Italiens, qu'ils avaient non seulement des droits
à faire valoir, mais des devoirs à remplir.
Quelques ouvriers que je savais d'un bon esprit
lécoutèrent d'un air attentif et respectueux. D'au-
tres, déjà entraînés par le communisme, prirent une
attitude assez arrogante et interrompirent Mazzini
à plusieurs reprises, car tous parlaient le français.
L'un d'entre eux, un homme très intelligent, mais
qui était, comme je l'appris plus tài'd, sous Vin-"
llucnce de Marx et des chefs de In (amimune,
demanda louî à coup «« Kl cjnellcs garanties" nous
<I<>hii<>voiis pour l'avenir? Si la république univer-
««vrïere? >
selle allait se réaliser, <|ii(» ferez-vous pour la classe
- c- ,= V V
Ma/ini répondit eu souriant: « Mais, mon cher
«mi t quelles garanties voulez-vous que je vous
donne? Sî je vis assez jioiir Voir se réaliser nos
idées, ce u'esl pas moi, certes, (lui aurait a orga-
niser la société nouvelle, surtout en Allemagne;i
vnisy aurez autant de part que moi. Ce sera voire
lAche. de défendre les droits de la classe ouvrière et
de déterminer ses devoirs. »
Pour clore la réunion, j'offris à tous un verre «le
vin et, Maz/.ini trinqua avec eux en portant un toast
à la république universelle de l'avenir. Apres son
départ il fut décidé que chaque membre verserait
une cotisai ion de dix centimes par séance et qu'on
for serait ainsi petit à petit un fond pour les besoins
de la société, la propagande écrite, etc. J'allai régu-
lièrement aux séances du comité qui se tenaient
le soir dans une salle d'un café de la cité. Angé-
li(lue de Lagerslrœm et quelques autres dames alle-
mandes y venaient également prendre part aux déli-
bérations et leur donner leur appui. Au début j'étais
pleine de courage. Mais à mesure que le temps mar-
chai! r ma confiance diminua, Je compris que les
diflieullés que j'avais rencontrées, à mon grand clm-
grin, dans les hautes sphères de la société, se retrou-
vaient ici. L'envie, la jalousie, l'égoïsïnë, l'ambition
personnelle mêlaient leurs mobiles intéressés à nos
efforts vers un même but, à nos discussions sur les
-U11**8^.?? essentielles. Tout cela nie semblait d'au-
tant plus répugnant qu'il s'y m (Ma il une espèce «le
fatuité, un besoin (le sortir de sa sphère, de paraître
ce qu'on n'était pas. EnOn les membres de l'asso-
ciation s'avisèrent d'une" èerTnInegalânFériè touTS
fait déplacée envers les daines. C'est avec douleur `
quo Je ;_r mq disais »^ Voilà donc le* massesr pour
lesquelles tu t'es chargée d'une croix et dônî tu as
rêvé le perfectionnement? » Je sentais quelquefois
le mépris de l'humanité gagner mon cœur. Je
tftehais de me souvenir alors que je combattais pour
des principes de justice, pour l'indépendance des
peuples et les droits de l'individu. Mais je compre-
nais de mieux en mieux que le commandementchré-
tien de J'amour du prochain n'est pas réalisable. On
ne peut aimer que des individus. L'humanité dans
son ensemble, telle qu'elle se révèle dans l'histoire et
telle qu'elle se montre dans les masses, est une
apparition effrayante. Le lien entre le penseur désa-
busé de ses pieuses illusions et l'humanité, c'est la
pitié, une pitié infinie pour la souffrance, pour la
misère. Voilà pourquoi, si nous ne pouvons nous
défendre de nous détourner avec horreur et avec
dégoût de la plupart des hommes, la compassion
nous ramène à eux et nous impose de nouveaux
part à la grande œuvre de salut. –
sacriGces, et nous aspirons à. contribuer pour notre

C'est avec indignation que je vis à cette occasion


le mal que peuvent faire les démagogues, ces doc-
trinaires sans conscience qui cachent leur propre
ambition en encensant la foule. Tous ceux que je
rencontrais là étaient entachés d'idées communistes,
d ailleurs mal comprises. Leur demi-culture n'y
voyait qu'un mirage tlt^ Jmllank's «spépaBees,-Plu.s
«ruii hou esprit se fourvoyait ainsi et aboutissait a
des prétentions grotesques. J'y mis beaucoup du
mien;;-mais lorsque je vis que: chacun 4e cm
pygmées n'aspiruil qu*u Cire lo premier dans sort
milieu et voyait d'un air jaloux les avantages de son
vots*ntvlws<fw*ilin» fitllut renoncer «éveillée cneux
te désir de s'instruire, que j'avais vu dans les asso-
ciations ouvrières en Allemagne, lorsqu'enfin ces
hommes en arrivèrent à un ton de familiarité cho-
quante, je me retirai peu à peu. J'avais donné le
branle à l'association, je l'avais organisée; si elle
était viable, elle pouvait prospérer sans moi. J'ap-
pris à mon regret au bout de quelque temps qu'il
n'en était rien.
Nous oiions arrivés à l'année 1859. Une grande
agitation régnait dans les milieux politiques. Le
sphinx de Paris avait prononcé à l'occasion du jour
de l'an une parole énigmatique et la guerre mena-
rai t à l'horizon. Maz/ini était en pleine activité, rien
ne lui tenait plus à cœur que d'unir tous ses parti-
sans pour une action commune. Il m'écrivait un jour
«Je vois clairement que si tous les patriotes, en
présence des projets des deux czars, devant la
menace renouvelée d'un second Tilsitt et d'un par-
tage de l'Europe entre les despotes, ne- sentent pas
l'impérieux besoin d'une activité pratique, c'est qu'ils
sont au-desjojjsjdejeur_fo^et_deleur tâche. »
La guerre d'Kalie fut déclarée. L'émigration ita'
lienne se préparait à partir, Mazzini comme les
autres. Je passai quelques dernières heurta avec
tui, et Icsr principaux patriotes italiens, Auïëlm Snïïl
et Mario, lo mari de Jessie White, soit dans le salon
île Caroline, soit sur la terrasse de- sa maison. Puis
vint le montent des adieux, tl'esl Marfo qui partîtrle
premieravei* sa courageuse épouse, qui allait vouer
à m nouvelle patrie toutes les énergies «lo son âme.
Safft psriiï après lin et W azzini sûi\it le *lerniî*r. je
savais depuis longtemps qu'il tUail insensé et inexact
de l'accuser, comme on le faisait toujours, du se
dérober au danger. Jamais il n'avait manqué à
l'heure où on entreprenait quelque chose pour la
délivrance de l'Italie. Chaqiu; fois il avait fait ce
long voyage, risquant d'être reconnu et arrêté dans
les pays qu'il traversait; il était toujours sur le
thétUre de la lutte, échappant à la trahison qui le
menaçait dans sa patrie, grâce à la vigilance et à lu
fidélité des siens. Il va de soi qu'il ne pouvait
voyager sous son vrai nom, ni proclamer sa pré-
sence. Il était naturel aussi qu'il ne prit pas de com-
mandement militaire, qu'il ne combattit pas comme
Garibaldi. Il était un chef de parti, et non un
soldat. Mais il fallait autant de courage dans sa
situation pour traverser l'Europe, toute la police
étant à ses trousses, et pour assister dans son pays
aux soulèvements qu'il avait fomentés, et qui lui
eussent valu la mort, si on l'avait pris, que pour se
battre.
Maintenant que venait d'éclater la guerre de l'in-
"dépendàFice ilâîîëhrié ÎPnë" voulait pas manquer à
l'appel. Je passai une dernière soirée avec lui la
veille de son départ, chez Caroline. II était grave;
l'heure était solennelle, la grande espérance de sa
vi«\ à liMjiielh'-it avait tout satM'ilù'vpour laquelle U
nviiil tout rihqué, tout supporté, était sur le poinl de
se réaliser. Les événements fuient tout dillerents de
ee qu'il avttil attendu. Mais, en vrai patriote, il
iieeiu'illit la liberté sous cette forme nouvelle, et il
alla l'aire son devoir. Lorsqu'il me donna la main, au
iroinwnl <Ui «lépaïl, fe la i*gavdm Imgnemcnl âxec
tristesse. H me semhlail une des figures les plus
tragiques de l'histoire moderne, el je ne savais pas
encore Joules les tristesses de sa destinée; je sentais
aussi qu'il ne s'agissait ni de le retenir, ni de mon-
trer une sentimentalité pusillanime. Il étuit l'apôtre
d'une toi nouvelle, d'une Italie régénérée, aussi
convaincu, aussi ardent qu'un Arnaldo de lirescia,
qu'un (liordano Hruno, qu'un Savonarole. H venait
Irop lût comme eux, il «lut payer sa vision prophé-
tique, sinon de l'échafaml, du moins d'un long et
douloureux exil. Je le hénis dans mon cœur, et je
lui dis adieu pour ne plus le revoir.

CHAPITRE XXXIV

Départ d'Angleterre.
Cependant l'état de ma santé s'aggravait et ma
-vnc– -baissait bca»co»p.~M'1"' Salis Scliwabc, ~tptr
vivait à Manchester,et avec laquelle j'étais restée en
relations, vint à Londres. Elle désirait depuis long-
temps m*at!irei\ auprès «Polio, Aie voulait «juo je
l'aidasse à donner uiUMlireett«>uplu* rfréintô'n'sstV a
l'éducation de ses ont'ants ot «pie je lui pnMasso mon
concours pour les nombreuses o»uvros philanlhro-
-4*iw08- auxquelloselle eousaerait son temps et ;sa:
fortune. Au début «le mou séjour onAujcIolowv, pou
tlo temps après ma visite chez elle dans le pays «le
r Uallôsj elle èlmk venue h Limûecs mprva pour une
demanderdo me consacrer à sa fille aînée, qui avait
alors quatorze ans. CY'tait au moment où je com-
mettais ma pénible carrière de professeur. La situa-
lion qu'elle m'offrait était plus agréable, plus lucra-
tive et A bien des égards plus attrayante «pie celle
que je pouvais me créer par «les le«^ons particulières.
Opentlant je ne l'acceptai pas; je préférai une in«l«'
pendanco laborieuse et pénible, à une vie facile,
mais dépendante;je savais d'ailleurs que des entraves
«le toutes sortes limiteraient mon action dans ce
milieu mondain, et que la question religieuse et les
conventions sociales m'empêcheraient d'y diriger
une éducation dans un sens vraiment librral. Mais
elle renouvelait sa proposition, m'invitant à venir
passer l'été dans le pays de Galles et a aller avec elle
et sa famille m'installer l'hiver à Paris. Olte offre
me sembla providentielle; je ne pouvais la refuser,
ma santé m'interdisant de continuer mon genre de
vie. Je l'acceptai donc, quoiqu'il m'en cofltAt de
quitter Londres et de me séparer de tous ceux qui
m'y étaient chers. J'ai un tempérament conservateur,
j» m 'attache awx lieux où j'ai pws-Tacfmrpar mes`
affections et par mes habitudes. J'aime à y demeurer.
La fidélité est un trait de mon caractère, et cepen-
dant. paru no étrange contradiction, te destin, m'ar-
raêhanl au milieu que j'aimais, s'est plu souvent à
nie huw('Í'-II;1 u¡'¡ <tes conditions de vie nouvetles mon
(•«pur soutirait de ces séparations, mon esprit, qui
ei\l aimé A se concentrer sur uno œuvre et il en
goûter le suecèts avatt peine &entreprendre quelque
«euvre -non voile*. IA>ù venait ceMe opposition entre
ma nature intime et les voies du sort? Pour parler
met Sami-Màf tm» « Tempire de Fœif de mes sem-
blables » élail-il trop puissant? Aimais-je d'une ma-
nit're trop profonde, trop désintéressée, ceux à qui
je donnais mon cœur? Avais-je trop regretté mon
amour trahi, mon bonheur perdu? Devais-jeappren-
dre si trouver le calme du sage, après avoir cherché
à travers toutes les vicissitudes d'une existence
agitée, ce qui seul est nécessaire? Les voies de la
destinée sont admirables. Heureux celui qui les
comprend et qui sait les utiliser pour sa propre
éducation. Il arrivera au Nirvana – qui n'est pas le
néant, comme on le croit parfois, mais la félicité où
cesse toute inquiétude, l'état de perfection où nous
trouvons ce que nous avons cherché « dans nos aspi-
rations obscures ».
Je n'avais promis d'aller dans le pays de Galles
qu'en été, à l'époque de mes vacances; il fallait donc
attendre encore quelques semaines. Tout à coup
llerzen, qui ne savait rien du projet de Mmc Salis
Sch\vabev me demanda de .venir quelque temps
auprès de ses enfants dans la belle maison de cam-
pagne qu'il habitait dans un faubourg de Londres.
~~L~a damë"rïïssë, qui était à iafeTè de la maison,
obligée d'aller au bord de la mer pour sa santé,
venait de partir pour Me «leWighl avee son
enfant; Horzon .«ongenit à l'y rejoindre un peu plus
tard avec nous tous.
Presque au même moment Kinkel nu; proposait
d'aller avec lui et ses enfants au bord de la mer y
passer les vaçancçs. J'hésitais entre «^es «liftVrenles
propositions,mais ma tendresse presque inexplicable
pour ia pelUa Olga mç détermina £ accepterl'in vi-
talibn de Herken. ït s'ajoutait comme un remords à5
mon affection; il me semblait avoir commis une
faute envers cette enfant en quittant la maison, car
la dame chargée d'elle désormais no comprenait pas
sa charmante nature; elle no l'aimait pas et elle ne
savait pas s'y prendre pour la diriger. Je me disais
souvent que, pour l'amour d'elle, j'aurais dû suppor-
ter bien des choses qui me déplaisaient. Je m'ima-
ginais qu'avec de la patience et de la persévérance,
j'aurais pu aplanir toutes les difficultés, et devenir
une providence pour elle. J'éprouvais une profonde
satisfaction à voir Herzen recourir à moi; il me
semblait en même temps que le destin me fournis-
sait une occasion de racheter ma faute envers Olga;
j'étais heureuse de diriger de nouveau cette gra-
cieuse créature, que j'aimais maternellement, vers
le développement qui me semblait conforme à sa
nature. J'écrivis donc à Mme Salis Schwabe et à
Kinkel pour décliner leur offre, et j'acceptai la pro-
position de Herzen. Je ne renonçai à mon apparte-
ment que d'une manière provisoire, nu sachant ce
que l'avenir me réservait; je regrettais surtout mes
lectures avec Lothaire Bucher; j'avais trouvé dans
mes relations avec lui un bénéfice intellectuelconsi-
dérahle et j'avais reçu do lui des témoignages
d'amitié d'autant plu* touchante et précieux que
NuHfer n*eii rétait pasprodigue; il avait une nature
réservée et méfiante. Tout d'abord j'éprouvai comme
nn remords de quitter ma vie modeste, presque
besogneuse, mais indépendante et que je devais a
mon travail, pour ra'aeeommoder à de*^ conditions
de vie nouvelles, auxquelles je ne pouvais désor-
mais itriprîmer le isëeandé mon iiïdîvïduaHl& De
toute l'organisation que j'avais péniblement créée
autrefois dans cette maison il ne restait pas trace.
Les enfants marchaient dans une voie différente de
celle oit je les avais l'ait entrer. La vie avait pris
un caractère exclusivement russe. Je sentis plus
que jamais combien l'indépendance est nécessaire a
toute forte individualité. La possibilité d'organiser
sa vie selon ses goûts, et d'affirmer par là sa person-
nalité, est une des conditions essentielles du bon-
heur. Le calme que goûte un esprit qui vit selon sa
nature, voila le vrai bonheur. Tout le reste n'est
que le fruit d'or du jardin des Hespérides, que le
destin donne à «les mortels privilégiés. Se passer de
ce superflu est pénible, mai:; se passer du nécessaire
est cruel, et. ce qu'il y a de meilleur en nous se
révolte dans un milieu en contradiction constante
avec nos goûts, nos besoins, nos convictions. Cepen-
dant mon estime et mon amitié pour Herzen, ma
tendresse pour les deux fillettes me retint auprès
d'eux et j'essayai de reprendre la vie d'autrefois. Au
bout de quelques semaines, Herzen nous appela à
nié de \\lg1iTrôtrïïôûs retrouvâmes les~Puisky et
les Kossuth, avec lesquels nous reprîmes les rela-
lions amicales du passé. Mais bientôt nous ne pnmes
nous entendre, la dame russe et moi; la divergence
de nos opinions en matière «rédiumlion <4 Tantago –
nisme de nos deux natures se manifester* ut de nou-
veau nettement, les conflits devinrent inévitables et
je compris que nous ne pouvions ni vivre ensemble,
ni coopérer à la même tenvre. Mon chagrin fnt
profond,mais c'est avec plus de eitlme et de fermeté
que la premiôre fërs qûô j'en paftei S Harzeji, lui
déclarant que je ne pouvais m'occuper des enfants
qu'à la condition de les diriger conformément a mes
convictions. Il en fut désolé comme la première fois,
mais il sentit que j'avais raison. J'écrivis à Mmo Salis
Schwabe que j'étais décidée à aller avec elle à Paris
en automne. Elle me répondit qu'elle en serait très
heureuse et elle eut la bonté d'Ame de no pas m'en
vouloir de mon premier refus. Puis je me décidai à
aller passer quelques semaines à Easlbourne, oit
j'avais noué autrefois des relations d'amitié avec
Mazzini et Caroline Stansfield. Celle-ci s'y trouvait
avec son mari et son enfant; Lothaire Bucher y était
aussi, et je lui écrivis pour le prier de me retenir
un appartement. Ce qui me déchirait le cœur, c'était
de quitter la petite Olga; elle aussi était toute triste
de voir se briser les liens d'affection qui nous avaient
de nouveau unies. Une pitié immense me retenait
auprès d'elle et cependant je sentais que je ne pou-
vais pas rester dans ces conditions. Herzen, désirant
retourner à Londres, me conduisît à Portsmouth.
La voiture qui devait nous mener à Ryde, à l'autre
–extrémité de lîlc-thrWigat, était devant la porte «^
toute la famille nous faisait ses adieux. La petite
Olga s'avança doucement, et d'un air confus, rou-
gissant de n'avoir pas nuire chose- à m'offrir, elle me
tendit linéique» branches de myrte en fleurs qu'elle
venait de cueillir au jardin. EHe lêvàîl Vers môî ses^
beaux yeux innocents tout voilés de tristesse. Elle
savait qu'elle avait trouvé on moi un cœur de mère,
tîI pour fer seconde fois notre séparation fut celle
d'nne mère et d'un enfant. Je pris la branche de
myrte avec une mélancolie infinie,, et lorsque la
vjïiium s'éloigna erï}ué là pëtiliB èreathrè disparut
a mes yeux, il me sembla de nouveau que j'avais
perdu toute la poésie do ma vie.
A Porsmouth, je me séparai de Herzen. Il partait
pour Londres et je prenais le train qui longeait la
cAle jusqu'à Eastbourne. Là je trouvai Bûcher, qui
avait pris un appartement pour moi, et Caroline qui
était installée avec son enfant; son mari venait de
Londres passer le dimanche avec elle. Ce petit
cercle intime cul suffi à me faire passer d'agréables
vacances, mais l'intermezzo de Ventnor assombris-
sait mon âme et la pensée de l'enfant à qui manquait
un amour véritable m'ôtait toute gaîté. A cela
venait s'ajouter mon angoisse pour Mazzini, qui fai-
sait des expéditions dangereuses dans le voisinage
de l'Italie, que la paix de Villafranca n'avait délivrée
qu'à demi. Un jour que j'étais chez Caroline, elle
reçut une lettre de lui, dans laquelle il lui décrivait
une traversée qu'il avait faite sur le lac des Quatre-
Cantons. Sa lettre était d'une -poésie profonde,
pleine de mélancolie. Il racontait que dans le silence
solennel de cette nuit admirable, il avait eu un
Inôînênt de pieux recueilleînënTrûnë~ëspêrâncé pro1
phétique lui montrait l'avenir de cette patrie, si
ardemment aimée et dont il était si proche. I! ajou-
tait que Corotino elle-même, dont il connaissait le
«eeptieisme, émue- -do- ce speetaeUv se ^fnt mise *V
genoux avec lui dans l'adoration de l'esprit du
monde dont il sentait la présence. Je me détournai
-pour cacher mea larmes à Caroline, que la lecture
de ces lignes avait laissée froide, Quant à moi je
pouvais revivre cette heure avec lui par la pensée,
fe sentais eë quorée^graûd eœuivsoBURre et ëreyant
avait éprouvé, dans le silence imposant de ces mu-
railles géantes qui bornent sa belle patrie. Il ne
pouvait en approcher qu'en banni, en fugitif. Mais
depuis longtemps déjà il lui avait fait le sacrifice de
son existence et l'heure dont il parlait était une
de
ces heures où les martyrs d'une idée, franchissant
les limites du temps d'une vue prophétique, goûtent
les joies sublimes du triomphe. Je lui écrivis le len-
demain sous l'impression de cette lettre. Je reçus
bientôt une réponse par l'entremise de Caroline.
La voici

« Ma chère amie,
« Je ne vous écris que deux mots en réponse à
vos lignes! ai-je besoin de vous assurer
qu'elles
m'ont été précieuses? Je ne mérite pas tout ce que
vous me dites, je suis trop loin du but que je me
propose, mais je crois que mon cœur est supérieur
à mon intelligence, tandis que chez la plupart des
gens c'est l'intelligence qui est supérieure au cœur.
Voilà pourquoi les autres n'agissent pas. Si j'avais
avec moi vingt hommes avec votre- cœur et votre-
capacité de dévouement, j'aurais déjà régénéré
l'Europe. Mois ces hommes-là n'existent pas. Conti-
nues! a m aimer pour ce que j'aurais voulu faire.
Votre dernier* déception au sujet d'Olga ma-fait
beaucoup de peine. Mais je crois, je ne sais
pour-
quoi, que vous faites bien d'aller avec Mmo Salis
Seliwabe. Vous y seeez jùniée, Caroline^ qui me
parie souvent de vous, ne me dit rien de vos yeux.
Vous-im>me n'en faites pas mention. Comment vont-
ïF»£ Iïonnez-irien; desc nouvelle^ par Caroline tnr
directement.
« Il y a quinze jours j'ai cru
vous revoir bientôt,
maintenant je ne sais pas quand ce sera. Il faut
que
je reste encore ici. Je vous ai tous enviés à Eastboume.
« Je ne vis ici que par l'esprit, l'indignation et le
sentiment du devoir; le creur n'y est pour rien et. il
est loin d'ici. Oue pensez-vous du mouvement pour
l'unité de l'Allemagne qui commence à se faite
sentir? Qu'en pensent Kossuth, Bucher et les autres?
Quelles sont vos espérances?
a Ici
la crise ne fait que commencer.
« Adieu, chère amie, croyez à mon amitié sincère
et inaltérable.
« JOSEPH. »

Malheureusement, la fin de mon séjour fut gâtée


par un désaccord qui me força à fuir le petit cercle
que j'avais fréquenté jusque-là, et à m'isoler. J'avais
cru à la parfaite sincérité d'un des membres de ce
milieu; le jour où il me sembla que je m'étais déçue,
ma douleur en fut si sensible qu'elle me rendit peut-
etre-brfttste -envera–fes– atrtfe&r-Je- n'ai ja-mais-so–
prendre les choses librement; bien souvent déjà
j'avais pris au tragique des choses sur lesquelles
d'aulres1 eussent pusse; ici il en fut de même et la
situation .mp_deyini intolérahje je ne sus en sortir
que par une rupture. Dans l'ajournée je parïais~avec
mes livres m'installer sur quelque falaise et je me
plongeais dans mes pensées. Mais mes soirées soli-
fairesétaieni tristes. Incapable de Iravailler» à e-twsift 0
«le mes yeux, jo m'occupais à sécher des algues et a
les epUer -dans *ift album ^ueje_destinais à Olga. J'y
travaillais avec un soin digne de quelque tteuvre
importante. II faut savoir combien l'amour aspire à
se manifester sous quelque forme palpable,combien
il est dur de supporter la solitude, lorsqu'on a un
cœur qui ne demande qu'à se dévouer, combien le
vide de l'âme est terrible lorsque la santé empêche
toute activité intellectuelle, pour comprendre quelle
consolation me donnait cette occupation. Je cher-
chais par là à me donner le change, à oublier mes
privations, mes déceptions, en faisant la seule chose
que je pusse faire pour cette enfant à laquelle
m'attachait une sympathie toute-puissante. Cet
album d'algues collées avec art renfermait tout le
drame de sentiments et de pensées dont mon âme
était agitée. Que de témoins muets de ces drames
intimes que nul regard ne déchiffrera, que nul cœur
ne comprendra! S'ils pouvaient parler, s'ils pou-
vaient conter l'histoire de tous ceux dont les luttes
et les souffrances passent inconnues sur la grande
scène du monde, il ne resterait rien -à faireà l'ima^
gination des poètes et le côté tragique de la vie
--iidipserailJaursJnj^eMiojns^^
Enfin le moment arriva ou je dus rejoindre _«_
ÏSrifçliton M" Salis Schwabe pour aller avec elle à
Paris. Je quittai Easlbourne et j'y laissai derrière
moi un sentiment qui avait mis quelque bonheur
dans ma vît». Etait-ce par ma Tante? était-ce par la
faute (l'aulmi? je n'en savais rien moî-méine. Je ne
savais qu'une cboso, c'est qiie ce sentiment était
mort en moi; il reposait sur une illusion, et rien ne
pouvait le faire revivre.
Je louai une toute petite chambre à Hrighton, les
appartements y étant hors de prix. Je passais toute la
journée sur une terrasse qui s'avance jusque dans
la mer, battue des flots, où lu fraîche brise marine
me tonifiait. Je ne connaissais personne, je me sen-
tais divinementlibre. J'emportais parfois mon encrier
et les idées recommençaient à affluer, je triomphais
de mon ennui. Souvent je restais là quand la lune
éclairait le miroir des flots de son éclat argenté,
et je voyais dans le lointain, comme dans un rêve,
des barques à voiles sillonner les vagues étinee-
lantes. La mer me semblait comme le Léthé oit
venait s'engloutir toute ma peine récente, d'où mon
esprit sortait épuré, libre et apaisé, déployant ses
ailes pour me révéler de nouveau le mystère de la
vie, et je sentais qu'il faut se dépouiller de ce qui
passe pour entrer dans le royaume des idées, qui
seul n'est pas éphémère. L'agitation^fueiious tienne
la vie nous abaisse; elle vient de ce « moi haïssable,
de cette forme passagère que prend l'âme du monde
en s'incarnant dans l'individu. Sortir de cette agita-
tion, c'est nous élever à notre vraie dignité, à ce
moi » supérieur qui se confond avec tort ce qui
osl grand, sublime et divin. Le bonheur de m»1
sentir d'accord avec moï-méme~ fut si" grand cpie
le soir, dans ma vilaine petite chambre, en man-
geant mon frugal repas, j'attendais avec impatience
te lendemain malin, pour retourner à «ion travail
et retrouver au bord des flots de la mer un torrent
de pensées nouvelles
fîe "temps s'éëUûfâ 'êomnw
C fe msUf. Jo m'embai^
quai avec M""» Salis Schwabe et sa famille pour la
France. En voyant les côtes blanches d'Albion dispa-
raître peu à peu, il me sembla voir disparaître une
seconde patrie. J'y avais passé sept années dans
l'exil, les privations, le travail, la souffrance, les
deuils, et les luttes ne m'avaient pas manqué.
Mais que d'amour, que d'amitié j'y avais trouvé en
revanche, que de progrès intellectuels je devais à
ce séjour! C'est un regard de reconnaissance que
je jetai sur cette île, qui domine l'Océan; avec
ses plaines fécondes, sa haute culture, sa popula-
tion ferme, forte, indépendante, elle mérite d'ôtre
connue.

CHAPITRE XXXV

Paris et un Allemand.
– TTous "arrivâmes à TaTîsT~Mme Salis Schwabe
avait pris un hôtel aux Champs-Elysées: Richard
Cobden avec sa femme et ses quatre filles devaient le
partager avec nous. Je m «Mais promis de me livrer
sans iirrièro-pflnsée A mes impressions nouvelles et
d'en tirer tout le bénéfice intellectuel possible. Je
ne puis pas «lire que j'aie jamais souhaité vivement
voir Pari*; le Midi -m'attirait bien davantage. Cepen-
dant «Vst hiw* vilïe que ses souvenirs historiques,
sa splendeur, l'art, la civilisation et la mode rendent
iritfàytttrte et èitfiehse. H était notamment inférés^
sanl de voir Paris après Londres, ne fut-ce (lue
pour comparer les deux capitales. J'avais d'ailleurs
besoin tic me reposer et de vivre quelque temps
dans un climat moins humide que celui de l'Angle-
terre. A peine fûmes-nous installés que je m'en allai
seule le long des Champs-Elysées vers les Tuileries
je m'assis sur un banc et je me livrai à mes pensées,
11 était là devant moi, ce vieux château royal et son

aspect ne m'était pas nouveau. Je l'avais vu bien sou-


vent dans mon enfance sur une gravure d'un ouvrage
illustré sur la Révolution française que possédait
mon père. Il y était représenté assailli par une foule
furieuse qui, faisant fi de la légitimité, venait trans-
former le gouvernement le plus despotique en une
démocratie. Tontes ces gravures me revinrent à la
mémoire, la Bastille sur laquelle étaient braqués les
canons, Camille Desmoulins, debout sur une table
dans le jardin du Palais-Royal, haranguant la foule,
la famille royale au retour de Varennes l'une d'elles
surtout m'avait inspiré le plus grand intérêt et la
plus profonde pitié. C'était une gravure représen-
tant LmïîîrXVI faisant ses adieuS à sa famille avant"
d'aller à la mori. Je le revoyais avec sa culotte courte,
sa chemise ouverte, le cou tout prêt pour la hache
du bourreau; il tendait une main ù sa soaur Elisa-
beth; celle-ci, agenouillée, pressait eolU* main sue
ses lèvres; do l'autre coté, sa femme et ses enfants
pleuraient en s'attachant à lui. Sous los beaux
arbres de e©jardin, devant cet édifice qui avait-vu
toutes cas horreurs, il me semblait avoir èiè moi-
même le témoin de tous ces événements. Plus tard
nia pitié1 d^nfaot s'hait transfortnëo en admiration
pour la Révolution française. Ce réveil gigantesque
deThumanitéau sentiment deses droits, cette révolte
contre les chaînes que le despotisme avait rivées à
des millions de sujets, ces rêves d'une liberté uni-
verselle que des âmes exaltées voulaient réaliser,
cette aurore grandiose de la Révolution m'avaient
émue, enthousiasmée. Dans l'ardeur de mon admi-
ration j'excusais les excès sauvages auxquels avait
abouti la tyrannie populaire. Maintenant c'était le
second Empire, fruit de la Révolution, qui trônait
dans ce château et je repassais dans mon esprit les
événements qui s'étaient écoulés depuis 1789, jus-
qu'à nos jours. Il me semblait que notre époque éga-
lait en corruption, en servilité, en faste, l'ancien
régime dont la chute avait coûté tant de sang. Je
frémissais d'horreur devant cette énigme de l'his-
toire, où chaque progrès est acheté au prix d'un arrêt
dans la civilisation. Le christianisme, qui s'élevait
sur les ruines de l'empire romain, amena le Moyen-
Âge, qui fut une période de barbarie relative. La
Réforme triomphait de l'Eglise catholique, mais elle
fit naître la guerre de Trente Ans,et avec elle une
ère de stérilité intellectuelle et de misère matérielle.
La Révolution française fut le réveil des masses au
sentiment de l'indépendance, à la conscience des
droits d» l'individu, moia elle lit éelore successive-
mont le despotisme impérial, le règne trivial de la
bourgeoisie et le second Empire, cette parodie.
Voila les réflexion* qui occupèrent mon espritt
pondant ma première promenade à travers Paria.
Les journées* suivantes me firent faire des comparai-
sonsr tout & l'avantage dô TÂnglçlerre;la^|%rté
politique dont celle-ci jouissait avec tant de calme
et de sécurité lui donnait une immense supériorité
morale sur la France, où jo voyais l'abaissement
servile de tous a la volonté d'un seul. L'étalage fas-
tueux de la souveraineté impériale contrastait avec
les mœurs simples de la royauté anglaise; à Paris
on voyait l'armée partout, à Londres on ne la voyait
nulle part; enfin l'oisiveté, la flânerie, la frivolité
des boulevards me faisaient regretter l'activité puri-
taine, mais rationnelle et honorable des Anglais, et il
me semblait que l'air que je respirais était empoi-
sonné.
Cependant notre vie s'organisait. Richard Cobden,
qui vivait sous le même toit que nous, m'intéressait
beaucoup. Il était Anglais dans toute la force du
terme, d'une capacité peu commune dans le domaine
spécial dont il s'occupait, assez étroit à tous les
autres points de vue. Il était d'une bonté si grande,
d'une douceur si aimable que tous ceux qui le con-
naissaient l'aimaient. Il était venu à^Paris-pour con-
clure avec la France un traité de libre-échange. Je
~~™hrtp3tsHotffiai-4»a4ieou|»_sutJea^ d'éco-
nomie politique et ses conversations contribuèrent
à m'éclairer. Toutes ses espérances d'un avenir plus
moral reposaient sur le libre-échange. Chose
eurieusevil éiail sur ce point eLd'iuie inaiitèreiiieons-
ciente d'un matérialisme qui contrastait avec ses
habitudes de piété. II me dit un jour qu'il espérait
combattre l'alcoolisme en Angleterre par la libre
entrée des vins légers do France. Il voyait le lo com-
mencement d'une moralité plus haute, et il n'avait
çerte? jras tort. H oubliait toutefois combien d'autres
facteurs sont indispensables à la lut te contre l'alcoo-
lisme. Tant que le peuple anglais sera dans la pro-
fonde et abjecte misère actuelle, les vins légers do
France ne lui plairont pas le gin et le brandy sont
le Léthé qui lui font oublier pour quelques heures
sa misérable existence. La diminution des heures de
travail, l'augmentation des salaires,l'instruction obli-
gatoire et gratuite, l'accès aux musées le dimanche,
voilà les réformes urgentes. Après cela le vin léger
viendrait peut-être à remplacer l'alcool et on ren-
contrerait moins d'ivrognes, hommes et femmes,
dans les rues de Londres.
D'ailleurs Cobden rencontra une opposition for-
midable de la part des protectionnistes. Napoléon et
Houher seuls étaient avec lui, ce qui lui promettait
gain de cause. Cobden revenait toujours enchanté
de la personnalité de l'empereur après les nombreux
entretiens privés qu'il avait avec lui. Il ne se lassait
pas de vanter son aimable familiarité et l'intelli-
gence pénétrante avec laquelle" il approfondissait
toutesles questions qu'ils avaient à traiter ensemble.
-XapoMon-était à t'apngéft rift sa rariM.'nv» J_,a guerre
d'Italie était terminée. Il est vrai qu'il n'avait pas
tenu parole et que l'Italie n'avait pas été libérée des
Alpes h l'Adriatique-, il est vrai qu'il s'était payé de
son intervention en prenant deux beaux joyaux ûe la
nouvelle couronne «l'Italie, Cependant la vieille
gloire française brillait de nouveau d'un vif éclat et
un-matin, au son du tambour, on proclama dans ta
ville que la population française se trouvait
aug-
mentéede quelques milliers d'individus, et que Nice `
et la Savoie étaient devenues françaises en «n&juiit..<
Les Français exultaient. Tout le monde semblait
heureux dans l'éclat du soleil impérial et le type
même de Napoléon III se multipliait comme je l'ai
dit. On rencontrait partout des visages qui le rappe-
laient par la coupe de la barbe et des cheveux et par
le costume. Je ne le vis de près qu'une seule fois.
Nous avions reçu des billets pour la salle où passait
la cour le dimanche matin en se rendant à la messe
dans la chapelle des Tuileries. J'y allai parce que je
voulais voir de près ce parvenu, que je haïssais
depuis le -1 décembre; je voulais connaître exacte-
ment la physionomie d'un homme qui, à l'égal des
empereurs romains, avait sacrifié les adversaires de
sa tyrannie en les livrant au bourreau, en les con-
damnant à la détention ou en les envoyant sous des
climats meurtriers. Ce défilé était le spectacle favori
des étrangers et la salle était pleine de monde. Tout à
coup parut un huissier en livrée violette brodée d'or,
en s'écriant « L'empereur! » Napoléon entra, don-
nant le bras à l'impératrice Eugénie et derrière -lui-
venait le flot des courtisans; le cortège s'avançait
"-tenten~it pOt:c~eadre~4t~bapeH~étais~d~
contre une colonne et ils passèrent si près de moi
que la robe de l'impératrice me frôla. Dans la cha-
pelle, o« Mous nous rendîmes, j'olnis placée d»
manière à \otr la Jîgure «lu couple impérial J'avoue
que pendant la messe qu'on disait au-dessous de nïoî,
je ne m'occupais que d'étudier ces deux physio-
nomies. L'impératrice, malgré sa beauté régulière,
ne me captiva pas longtemps. L'empereur retint
pins longtemps mon attention. Son visage, d'une
laideur étrange, avait cependant une grandeur dont
l'impératrice était totalement dépourvue. Ses traits
avaient quelque chose de fermes, de passif, qui don-
nait à sa physionomie la rigidité d'un masque. Il
était agenouillé, le menton appuyé sur son poing
fermé; il était impossible de deviner à quoi il son-
geait, ni même s'il songeait à quelque chose. Certes
son recueillement n'avait rien de cet appel de l'âme
vers l'Être suprême que nous devinons, de quelque
nom qu'on l'appelle. Peut-être se demandait-il s'il
ne devait pas rompre avec le parti clérical qui l'avait
soutenu jusque-là. H est certain que c'est ce parti
qui lui était le plus hostile. On parlait assez ouver-
tement d'une nouvelle tentative d'assassinat, celle
d'Orsini ayant échoué, et on indiquait d'où allait
partir le coup, en ajoutant que la main armée par
les prêtres ne le manquerait pas.
Mes relations avec Richard Cobden me valurent
la connaissance de que.ques illustrations politiques
et littéraires de la société française d'alors. Nous
recevions le- soir une fois -par semaine, et il venait
toujours une élite intellectuelle. De plus il y avait
des dîne_rs uYauels étaient conviés les hommes
les plus distingués; on les voyait de plus près~3anir~
ce cercle restreint et on goûtait mieux leur convcr-
sation. C'est là que je vis Mignot, Laboulaye, Cousin,
Dolll'us, Henan. Celui-ci n'avait pas encore atteint
la célébrité que lui valurent sa ViV de Jpms,^es àj>ô-
/»•«'.«, ete., mais il me semblait déjà supérieur il tous
les autres. Le hasard fit souvenl de lui mon voisin
de table, et j*êus ainsM'oêèwsioiï de causor longue-
ment avec hli: Je dis à plusieurs reprises à M"1" Salis
Schwabe ««Certes, c'est un des esprits les plus
remarquable^ (lit «mjhug ttes lettres en France, et
l'avenir le prouvera. » – Je fus heureuse plus tard
de voir s'accomplir ma prédiction.
llerxen m'avait donné une lettre d'introduction
pour Michelet, dont nous avions lu ensemble des
fragments historiques; nous avions goûté ses aperçus
proronds, ses belles descriptions, la vie, l'imariina-
tion et la chaleur du sentiment qui animent son
œuvre, llerzen était très lié avec les Michclel, et
grâce à lui ils me reçurent très aimablement. C'est
dans ce modeste petit salon, avec sa vue sur le
jardin du Luxembourg, que ce couple distingué
me donna la plus haute idée de la société pari-
sienne. Ce petit homme à la figure expressive, enca-
drée de cheveux blancs, faisait à la fois l'impres-
sion d'un esprit original, brillant, étincelant, fécond
et d'un coeur excellent, vraiment .humain. Son style
fatigue parfois par la brièveté des'phrases, mais sa
conversation avait un grand charme. Michelet ébau-
chait une idée d'un .mot;. il éveillait les idées de son
interlocuteur, et la vivacité de cet échange ne taris-
sait, ne se ralentissait jamais; il me parla tout de
suïte~dë~sës {sympathies pôûFl' Allemagne fit pourfer
littérature allemande. Il travaillait alors à une série
d'oeuvres de moindre importance, qui n avaient rien
do commun avec l'histoire. Sa femme, une personne
très intelligente et très aimable, l'aidaik Gerte» ces
fantaisies et ces considérations psychologiques et
physiologiquesétaient traitées avec un certain dilet-
tântisnae^ mais^lles étaient pleines de poésie et do
profondeur. Le volume qui venait do paraître, dd
Femme, fit scandale dans la société parisienne; on
TâcêiiêilHt aveerune irowie mordante, wa» critiquer
sévère. Ni Michelet ni sa femme ne s'en émurent.
Elle me dit un jour en parlant de leur travail en
commun « C'est moi qui assemble les matériaux
et c'est lui qui construit. »
Dans ce vaste Paris, j'avais trouvé encore un
autre refuge où je me sentais à l'aise, un milieu
conforme à mes goûts. L'intérêt que la grande
société m'avait présenté tout d'abord par sa nou-
veauté, n'avait été ni profond ni durable. Toute la
maisonnée, à l'exception de Mrae Salis Schwabe et
de Cobden, avait des goûts si superficiels,la vanité
et les plaisirs mondains y avaient tant de part que
je me demandais souvent avec dépit « Que viens-je
faire dans ce milieu? » et je versais des larmes de
me voir contrainte à cette dépendance. Alors je me
sauvais dans cet asile que je cachais à mes amis,
afin qu'on ne me suivit pas. Je leur laissai croire
que j'allais à des conciliabules politiques et que je
faisais partie d'une société secrète d'ouvriers j'étais
sûre qu'on ne demanderait pas à m'accompagner.
Mon asile était l'atelier de Jaroslav Czermak, dont
"j'avais fàitiTeouuaissauciîdans le paya-de-GaHes-ei-
que j'avais retrouvé à Paris. Cet atelier se trouvait
dans une dos rues du vieux Paris, dans l'ancien
couvent des Cordeliers, dons la salle même des
jéances ducjub des Cordelière, partagée mamte-
nant en plusieurs ateliers. Dans celui de Czermak
on voyait encore la tribune du haut de laquelle les
chefs du parti avaient jiarlé à une foule passionnée.
Maintenant l'atelier était décoré d'une manière fan-
tastique, de tout ce qui sert à orner les ateliers
tTartiste. Il y avait surtout des costumes et des
armes des provinces du Danube et du Monténégro.
Czermak aimait beaucoup cette région, son pays
natal, où il avait vécu longtemps; il en avait rap-
porté une quantité d'esquisses qu'il reprenait pour
en faire des tableaux de genre pleins de poésie, et
remarquables par l'exécution. Il avait aussi un
piano, et était très bon musicien. La sympathie qu'il
m'avait inspirée dès l'abord devint une véritable
affection. J'acceptai avec joie de venir me réfugier
dans son atelier avec mon écritoire, lorsque je vou-
lais être seule; j'y travaillais tranquillement pendant
qu'il peignait. J'avais renoué mes relations avec le
journal de Kinkel, afin d'y envoyer un compte rendu
de mes impressions sur Paris, mais surtout pour
m'épargner la torture d'une correspondance où il
fallait toujours redire les mêmes choses. Chez moi
je ne trouvais pas une heure de tranquillité pour
fixer toutes les images si nombreuses qui passaient
devant mes yeux. Je m'échappais avec bonheur
deux ou trois fois par semaine de l'élégant hôtel des

Jiqjtt&»Lbxuiaixt-g^^ pour
Champs-Elysées, je quittais ce quartier aristocra-

aller dans le vieux Paris si pittoresque de la Révo-


lution. Ici on était comme dans un autre monde,
que les « embellissements » de NI. Ifâussmann
n'avaient, heureusement pas touché, ces embellis-
sements consistant à remplacer l'originalité et la
beauté pittoresque par l'architecture uniforme des
casernes, L'entrée et l'escalier du vieux- clotlm
étaient curieux et intéressants. Je longeais un cor-
ridor, puis je frappais à la dernière porte; mon ami
= venait Couvrir; je regardais sa toile et après avoir
vu son travail, je m'asseyais dans un coin, je débal-
lais mon écritoire et j'écrivais pendant qu'il pei-
gnait. Souvent il se passait des heures sans que
l'un de nous dit un mot. Dans cette salle mémo-
rable, il passait comme un souffle de ce passé
grandiose et le travail qui nous occupait en était
ennobli. La cordiale amitié qui nous unissait ren-
dait ces heures charmantes. Souvent Czermak se
levait, se mettait au piano et jouait quelque mor-
ceau de Beethoven, ou la marche funèbre de Chopin,
ou bien, ce qui me donnait une émotionplus intense,
quelque fragment du Tannhâuser ou de Lohengnn.
C'était un admirateur fervent de la musique de
Wagner. Je n'en connaissais jusqu'alors que fort
peu de chose, ce qu'un de mes amis, un musicien
.allemand, m'avait joué en Angleterre. Mais ce que
j'avais entendu me semblait avoir un charme incom-
parable, et je ne souhaitais rien tant que d'entendre
les oeuvres complètes de Wagner dont je pressen-
tais la puissance. La plupart du temps nous déjeu-
nions ensemble. Un garçon, en bras de chemise,
avec un grand tablier bleu", comme on en voit
encore au quartier Latin, nous montait, d'un restau-
rant voisin, deux beelstonka et une omelette aux
«onHhtres; IV.miuik allait prendre du vin dans un
««in <b sa» jiloli.H- qui lui servait «Waw, Nous
causions «le sujets graves on gais et nous terminions
ainsi m matinées vraiment belles. C.zennak avait
«n- moi une «oiitianw «l»soh«»; iljne .111 connaître la
r famine u qui il avait voué son cœur. ai. sa vie et dont
le séparaient des obstacles qui semblaient insur-
moulubles,ce qui lu rumnUssuit souvent do mékn-
eolie.
In jour la situation lui parut si désespérée, qu'il
se déelara prêt a quitter Paris et à retourner dans
sa chère liulmatie. Il me parlait de lu beauté de
ces eûtes de l'Adriatique il me racontait que dans
ces vallées ravissantes on pouvait acheter des villas
tout en marbre, datant de l'apogée de la République
de Venise, pour un prix dérisoire. 11 me disait qu'il
en achèterait une; il m'invitait à y venir avec lui et
un de ses amis, un savant tchèque. Nous devions y
vivre tranquillement ensemble et travailler en com-
mun à un grand ouvrage sur ces pays le savant se
chargerait de la partie scientifique, moi de la partie
littéraire et Czcrmak de ia partie artistique. Il me
disait que ses tableaux lui rapportaienttant d'argent
qu'il en était confus; sa fortune suffirait à nous
faire vivre tous trois. Ce plan me convenait tout à
l'ail quitter le tourbillon mondain où rien
ne me
retenait, partir pour le midi qui était toujours resté
l'objet de mes aspirations, y mener une vie intelli-

œuvre sérieuse
e
gente, en compagnie de deux hommes distingués,
– m»-«ay»»tr-et un artiste, travailler eux à une
que pouvais-je souhaiter de
mieux? Je savais que C/ermaU s'occuperait de moi
comme un frero,
– MiwV ce beau pht» m* se rénltstt jmx i Jes nuage*
qui l'avaient évoqué Ht* «lissipèrcnl, et C.crmak se
repril »*iespérer de nouveau un avenir Iumiivux |m»hp
-1"iaIlU'U),
Il*aiHoui's, jo venuisde rudevnir unu uuuvvltu qui-
mo fit ivnoneor |»out' lo moment il (oui projet do
départ, Rie,luu*d Wagner élml «rriv^ iV Paris p«ur
s'y llxer. En même temps, on anuoii^nil trois con-
certs tpii «lovaient «voir Hou aux Italiens, où il
devait diriger un choix de ses compositions. J'allais
donc voir se réaliser mon vif désir d'entendre de la
musique de Wagner, avec orchestre, sous sa direc-
tion. J'entendis les trois concerts et j'étais comme
dans un rAvc; cette musique m'ouvrait un monde
nouveau, plein de grandeur, de passion, et d'éléva-
tion; je voyais se réaliser toutes les aspirations de
mon Ame vers l'idéal. Je connaissais le texte de ces
««uvres dont je n'entendis que des fragments; mon
imagination en reconstituait l'ensemble et jo com-
pris qu'un génie uni«iuc s'était rencontré pour réa-
liser mon idéal.
J'étais transportée, j'avais la certitude d'être en
présence d'un art nouveau. Je n'aspirais qu'à revoir
l'auteur de si belles choses. A vrai dire notre pre-
mière rencontre en Angleterre n'avait pas eu un
caractère chaleureux, et je ne savais pas s'il serait
agréable à Wagner de me revoir, mais je voulais
Icnlcr la chose. Je sentais que je le comprenais, et
je tenais à offrir mes hommagcsrdésintéressésà -son-
génie. C'était, me semblait-il, la manière la plus
naturelle d'aller a lui. tn hasard fit qn*a un concert
«i*i j'allai avec une dame hongroise de mes amie»,
iiuiis iiûih JiftuvAmos asm'sosderrière Wagner et s»
femme, l.n dame hongroise connaissait les Wagner
et leur parla, .le nie tournai vers lui pour le saluer.
M me reconnut et nu> <fit d'un ton amical
« J« nw
son viens quo j'i» îles exciiHes « vous fnir<« do ro«

Imnls mighu». » J
iiuVIiutilehiimenr; mai» c'était la l'unie des hronil-

l.a-ilivssus il me |>ré.senta h m femme et tous deux


m'invitèrent fort nimaltlemenl il venir les voir. Il va
de soi que je ne tardai juin a répondre à leur invita-
lion. Ils étaient installé* dans une petite maison,
non loin des Champs Élysées; ils avaient un jardinet,
leur rue était tranquille, leur npparloment confor-
table et cliannunt; le cabinet do travail de Wagner
et la salle de musique attenante étaient arrangés
avec beaucoup de goût. La commencèrent pour moi
«les heures inoubliables; je voyais Wagner sous son
vrai jour, les brouillards de Londres n'avaient pas
laissé de trace, et sa personnalité puissante se révé-
lait tout entière; il était bien plus sociable qu'en
Angleterre; il recevait une fois par semaine, le soir,
et on se pressait en foule dans ses salons; il y avait
quelques personnalités éminentes dans le nombre
des invités, mais Wagner les dominait tous; on ne
voyait, on n'entendait que lui. Je me souviens qu'un
soir, s 'adressant à un groupe de personnes dont je
faisais partie, il parla de la rareté du bonheur et il
termina par ces mots d'Éléonore d'Este « Qui donc
TJsTTiiëureuxt » chacune dé aes paroles trouvait arr
écho dans mon cœur. Je le comprenais, mais je
m'étonnais qu'il prodiguât do si belles pensées
dm uni tant tic ge>m indignes dr U» eomprendtv, ,ln
.Q):ftl. ~l~S!'1.t_.O~
voyais, i~a JVxpressjon des 1~I~)noml"iI,
physionomies,C'um tlt'n
combien
peu on lo suivait. Peut-être esî-ee R^iTvojVtv «lu gtfnio
do se répandre ainsi sans se préoccuper do ceux ft

l«s lions,
• «lui vont ses «ouvres on ses parole*, comme le solHJ,
tjui répand su lumiôi-o sur Ios mécliunlH <<onune sur

Jo jH^sonlui mon ami Cwn-mak à Wagumvel il


vint souvent m'y chercher lo soir, l'y vis outre nutros
personnalités intéressa ntos ta fille do Lis/.t, Infemmu
d'fêmilo Ollivier, une personne singulièrement al ta-
chante. J'avais vu Kmile Ollivicr lui-mOme dans le
salon de Mmo Hollond. Cello-ci, une Anglaise, tenait
A Paris un des rares salons qui rappelassent les salons
d'autrefois. J'avais été frappée du ton compassé des
réunions mondaines à Paris. Les daines étaient
assises d'un coté du salon, les messieurs se tenaient
debout do l'autre. Il était rare que l'un d'eux se
risquât dans le cercle solennel que formaient les
dames, et, si l'un d'eux en avait le courage, il no
s'adressait jamais qu'aux dames d'un certain âge.
Les jeunes gens ne parlaient jamais aux jeunes
filles, le fait eût de suite donné matière à commen-
taires. Nulle part on ne rencontrait plus ces spiri-
tuelles causeries du salon de Mm0 Récamier à
l'Abbaye ou des salons de la Restauration où bril-
laient Lamartine, Alfred de Musset, Victor Hugo et
d'autres. Cette riche étrangère, qui venait tous les
hivers à Paris, avait réussi à créer un centre là
– oii^lesJBarisiennesjdu second Empire, qui avaient
perdu le secret de la grâce et de l'esprit, avaieriT
eelioué. Klle-mème n avait pas une intelligence
supérieure, mais ««Ile savait faire causer les homme*
intelligents el renouer le fil •!« 1 entretien s'il menaçai!
de se. rompre. tii-AiU' A ulhvil rouait daus sou salou
uni* conversation vivo, animée, .souvent très inté-
ressante. Clionin parlait 6 son tour, tout la inonde
-«*«oM.liiil_: h" l «•aiiscup sons riiUenrproprp_t.; et l'ai1!
dY'nmloi* nnwlail «nnt réunions «huto urbanité char»
manie. M111" Ilolloixl reitevnil le groupo de l'opposi-
tion, surtout«h»» «rîwittistw*. 4 V v^s MM de HéronsaU
Jules Simon, Oiiilon Harrol, «le Pressensé et d'au-
tres, el les soirées étaient presquo toujours fort
curieuses. Un nuire salon 'lui me parut comme
un rellet <hi temps passé était celui »lo M' «lo Staël,
la helle-lille de l'auteur de Corinne. C'était un salon
dn faubourg Saint -(lennain, qui avait conservé
quelque chose tle la tradition du xviu" siècle. On
était assis péle-moie, sans former de cercle solennel,
el on s'amusait librement. Les jeunes filles tra-
vaillaient à l'aiguille, les jeunes gens, debout ou
assis auprès d'elles, bavardaient; ils étaient tous
plus on moins cousins et cousines. Les personnes
sérieuses causaient entre elles. J'y vis les de liroglie
et d'autres personnalités aristocratiques; j'y ren-
contrai aussi M. Guizot, qu'on me présenta et avec
lequelje m'entretins un moment. Je lui dis que mon
père m'avait parlé de lui comme de l'homme d'État
par excellence et qu'il m'avait conseillé d'étudier sa
politique. Il y sembla très sensible. Il me répliqua
qu'en principe la République lui paraissait la forme
de gouvernement la meilleure, mais qu'il la consi-
dérait comme impossible à réaliser. Lorsque je, rap-–
portai plus tard ce propos a Henan, il se mit à >ïr»V
»»t me dit que te vieux matin répétait toujours eeln,
mais qu'il serait bien faon* de voir établir lit Ilépu-
blique.
Ces salons mo donneront une fui Wo idée <h« eo
qu'avaient pu être les fameux salons «liuilivlois.

lit
ComUion les personnalililsles plus intéressantes que
j«' viens do nommer paUssnieiit acAUWIes hommes
d'esprit du xvnr sidelo qui «e réunissuient chez
;-Mf* Nickel1, M dont les enlretiens
génio naiasanï de fà jeuno fîftrraaïne!
Los réunions chez Wagner avaient an tout autre
caractère. Ce qui les rendait captivantes, co n'était
pas la causerie d'un certain nombre d'hommes mar-
quants, c'était la grandeur et l'universalitéd'un seul 1
Il se trouva qu'un des plus fervents partisans de
Wagner, un de ses élèves, un excellent pianiste du
nom de Klindworlh vint à Paris. A chaque soirée on
donnait une audition des œuvres de Wagner. Klind-
worlh tenait lo piano et Wagner chantait les dill'é-
rentes parties. Il semble difficile, au premier abord,
que ces auditions donnassent un ensemble satisfai-
sant, et cependant l'impression était parfaite. Per-
sonne ne savait comme Wagner rendre l'intention
du nouveau chant qu'il voûtait introduire au théâtre,
et cela bien qu'il eût peu de voix. Je compris qu'il
faudrait créer une méthode nouvelle pour les besoins
de cet art nouveau et que la vocalise, pour laquelle
suffisait une bonne école, avait fait son temps.
Dorénavant il fallait un chant dramatique, où les
paroles eussent une importance égale à la musique,
où la déclamation allait par conséquent tenir une
grande place. Ce fut un grand bonheur pour moi
que dYtro initia ainsi i\ l'intelligence véritable de
ces ehefs-d'Hnivre, car l'interprétation imparfaite
des scènes allemandes n'eut pas pu mïelairer. C'est
ainsi «pu» j'entondis /.uhrugriu et Trhiûn e\ IsoUk
ol une gronda partie de la Walfujiie et da VQr du
Min..l'étais parmi les privik^tés et Wagner pous-
sait la }»onl«)usqû*ftmô permettiodo venir réôteiidre
le malin, quand il répétait avec Klindworlh. J'étais
8aii8 Je ehanno do ces compositious puissantes, Je
voyais clairement que te Irîoinphe de: Tari, son avenir
était les drame musical. Parla vigueur du sentiment,
la grandeur de la passion, la vérité dos figures je no
pouvais comparer ces œuvres qu'a celles do Shake-
speare, mais dans Wagner l'allure puissante de l'ac-
tion tragique est comme portée et soutenue par la
musique. Kl par quelle musique! Klle encore fait
penser a Shakespeare. On oublie en l'entendant
qu'elle a été créée par ou cerveau humain. Elle
semble former un tout nécessaire, essentiel, naturel
et organique avec les personnages. En écoutant ces
oeuvres d'art, on oublie toutes les notions d'espace
et de temps. Nous sommes pris nous-mêmes par la
fatalité et notre Ame enchaînée, délivrée de toutes
les souillures terrestres, grandit dans la souf-
france.
En écoutant ces créations admirables, je sentis
ce que j'avais si bien compris un jour en lisant
l'Opéra el le Dmme. Je commençais à saisir dans
toute son étenduele génie de l'homme qu'un démon
tout-puissant forçait à faire de si grandes choses.
Je senlis que-dorénavant rien ne me ferait douter de
lui, que je l'apprécierais malgré wshptiw» sommes,
l»*s violences de sa nature irritable, le* bizarrerie*
qui le faisaient railler |»iu" lu l'unie, Je savais qu'il
pouvait désarmais compter sur moi jusqu'à la mort,
-t11.' son ~"t~llt·f~t~ttÎL ~11î1ft'Iliijffil..r11It1tii~I'(\ilfiÍ
mo ferait aimer la vie. l'n soir je
tllnai vhw. lui. kn
arrivant je trouvai tont le monde dans une joyeuse,
ï'vcitirtîon, cartnraxait appris inopinément et* jour*
laque Napoléon avait exprimé le désir de voir le
Ttumhn'userh l'Opéra, Le liiroeteur de l'Opéra, qui
avait écondnil Wagner quelques semâmes aupara-
vant par un refus catégorique, s'élail mis tout a
coup avec une déférence et un empressement
exlrémcs aux ordres du maestro. Ce revirement était
<IA à la princesse de Melternieh, une admiratrice de
la musique de Wagner, qui avait influencé l'empe-
reur. J'en fus ravie et jo pris sur-le-champla résolu-
lion do venir a Paris l'hiver suivant assister à cette
représentation on ne pouvait songer a jouer ta pièce
plus tôt, le libretto n'étant pas traduit, et la saison
d'hiver tirant à sa fin.
Noire séjour ù Paris d'ailleurs était presque achevé.
La famille Cobden était partie depuis longtemps,
M. Cobden ayant été envoyé en Algérie pour sa
santé. Mmc Salis Schwabe, sa famille et moi, nous
avions quitté l'hôtel des Champs-Elysées pour nous
installer dans un appartement de la rue de Rivoli. Le
printemps était magnifique. Un orage violent éclata
une nuit, et le lendemain matin, comme sous lac-
tion d'une baguette magique les arbres des Champs-
Elysées, les jardins, les bosquets s'étaient couverts
d'une jeune verdure. Wagner me dit que ce phéno-
mené f avait eawiWde joie. Dans YOe <ht #/ii», Thor
frappe le roeher, les nuages s amuncelent et, quand
Us se dissipent le Wnlhall et la terre brillent d'une
verdure printunière. Or, dans la nuit dont j'ai
parie, Wagner Vêlait demandé s4 la «Uoso -6t»i(–
(itausiblo, cl IVnônoiuent avait justiliô »on inven-
tion,
IHus Paris» vl le» «nviwju» tHaiont beaux, plus il
mVii roiilait «le partir. Cet hiver m'avait fait gmn<t
bien; lit douceur «lit climat avait été favorable à ma
satit*», mes relation» nouvelles, auxquelles ne m
rai tachait aucun souvenir pénible, m'avaient lait
plaisir. l<e inouveinonl intellectuel, plus vif en France
qu'eu Angleterre, ta sociabilité charmante des Fran-
çais avaient mis beaucoup d'agrémentdans ma vie.
Quelques travaux littéraires, qui me semblaient
n'être pas mauvais,m'avaient donné une satisfaction
sérieuse. Herzcn, me parlant d'un article envoyé au
journal de Kinkel, m'écrivait « Vous travaillez,
vous vivez d'une bonne vie; c'est autant de pris sur
le diable. » Tout cela, mais surtout la connaissance
que j'avais faite de Wagneret de ses œuvres, étaient
autant de liens qui m'attachaient à Paris et je cher-
chais un moyen d'y revenir. C'est alors qu'à ma
grande surprise je reçus une lettre de Ilcr/cn, qui
me priait de me charger de nouveau de l'éducation
de ses filles, surtout d'Olga, les conditions de sa vie
étant devenues telles que cette solution lui semblait
s'imposer.
Je n'aurais pu souhaiter une plus belle revanche
du destin. La confiance que Herzenm avait accordée"
autrefois» et que méritait l'amitié inébranlable que
je lui avais* vouée, triomphait do -lotit; te sentiment
maternel, mou amour pour Olga reprit lontt» sn
foms mais il «Huit combattu par des scrupules, par
d'autres sympathies, surtout par mou liesoin de
liberté.™ Je n'avais que trop compris ~qn'mmw~eVs1
aliéner sa liborlé. L'Ame peut rester lîbro et indé-
imntlanlo mOmo dans une situation sulialloriio,
parofrqu'oii n'y fait <ju» le saeviHv© tout exteriour
ilo ,sos habi Unies ol do m»s goi'ils, Dan» r<uuour, au
«•ontrairo, mômo dan» l'amour niatoriiol, Tauiu
tlwient un» «selavo ot on n«> ftûl quo trop NthiVéïit
le saorilico de soi-nuMne, ce qu'on n'a pas le droit do
faire. Je no pus me résoudre à prendre une décision
immédiate; j'écrivis it Iler/.en quo si j'acceptais sa
proposition, si je sacrifiais pour J "amour d'Olga
tous les avantages de ma situation chez. M" Salis
Schwabc, je ne pouvais le faire qu'à la condition do
diriger l'éducation de l'enfant en toute indépen-
dance et de passer l'hiver suivant à Paris; là ma
santé pourrait se rétablir d'une manière délinitive,
et Olga y trouverait toutes les occasions de se déve-
lopper.
Avant de recevoir une réponse à cette lettre, je
reçus une lettre de M. Ilodgc, l'ami d'Orsini à qui
celui-ci avait confié par testament une de ses filles;
il n avait pas voulu laisser ses enfants à leur mère,
qu'il ne croyait pas propre à les élever. Sa seconde
lille, qu'il avait également confiée à un Anglais,
était morte peu de temps après son père. M. Hodge,
que je ne connaissais que de nom, m'écrivait pour
me dire qu'il n'était pas marié et qu'il était trop
jeune pour se charger de l'éducation d'une petite
une. H avait consulté Emilie Hawkcn» et Caroline
Stansfeld, qui lui avaient dit qu'il no pouvait rien
faire de mieux que do me la confier, si je voulais,
bien me charger d'elle. Il ajoutait « Je n'ai pas
Tiêsoih de tïfoxeuser~<le m'adresser ainsi A _yqus;
nous avons combattu sur le même champ de bataille
et nous ne sommes pas îles étrangers l'un pour
l'autre, »1» «oïneidenee tUveesMleux propositions
imMltM<>riniua. Il mu semblait voir la une faveur du
destin <|ui tue permet lail d'élever ensemble ces deux
énTanls; j\«p^rats, par tour développement, fmre
honneur a Ilerzen et ô la mémoire d'Orsini. Celte
tache me semblait apporter une heureuse solu-
tion à ma situation; mes forces physiques y suffi-
saient, mon cœur y trouvait son compte et je
prévoyais du temps de reste pour les besoins de
mon esprit. Je répondis donc a Hodge (jue j'accep-
tais avec joie sa proposition, j'écrivis dans le même
sens il llerzcn, et je leur annonçai à tous deux ma
prochaine arrivée à Londres. Le jour de mon départ
approchait. J'avais vu Wagner aussi souvent que
je le pouvais. J'avais en la bonne fortune de pouvoir
lui rendre un service assez, important et il m'avait
parlé à cette occasion de ses affaires avec la fran-
chise avec laquelle on parle à une vieille amie. Cela
nous avait rapprochés d'une manière plus intime et
l'inquiétude que m'inspirait son sort me pesait. In
génie comme le sien ne peut créer qu'à la condition
de demeurer sur les cimes, de ne pas faire de con-
cessions à la foule, Mais pour cela il lui faut l'in-
dépendance pécuniaire, et Wagner ne l'avait pas.
Non seulement il n'avait rien, mais il ne savait pas
défendre ses intérêt* contre Uns éditeur* t*t les théâ-
très allemands, qui faisaient tic grosses recettes
avec ses wuvres, déjà 1res populaires. Dans la vie
pratique, H avait cette inhabileté1 du génie qui est si
touchante l parco qu'elle tienl [a une ^xjrème naïveté
dans la conception de la vie. Je cherchais il l'aider
de mille manières, je déplorais la modicité de mes
propres ressources, Jo regrettais amèrement de ne
pas pouvoir aplanir les voies à son génie, afin do lui
permettre de créer des œuvres immortelles. I-u seule
consécration du vit métal, c'est d'en faire un noblo
emploi; – il fout mettre la matière au servie» dt>
l'esprit.
La veillo de mon départ j'allai une dernière fois
au Père-Lachaise, qui avait été mon but do prome-
nade favori. J'allai sur la tombe de Bœrno, que
j'avais visitée souvent en souvenir des heures char-
mantes que je devais a la lecture des œuvres de cet
esprit lin, caustique et cependant si chaleureux.
J'avais souffert do voir son bas-relief de pierre
entouré d'autres monuments dont la proximité no
lui eût pas été sympathique. Je ne voulus pas quitter
Paris sans entourer sa pierre tombale d'un rempart
de verdure. J'achetai quelques pieds de lierre et
je les plantai avec l'aide du jardinier ai côté de son
tombeau. Puis je m'assis et je restai longtemps au
milieu de cette fraîche verdure que le printemps
avait répandue sur la cité des morts; je repassai dans
mon esprit les résultats de mon séjour à Paris, Je
fus satisfaite de mes réflexions; j'avais beaucoup
jour, beaucoup appris, et le calmes'était fait en moi.
Mais le plus beau bénéfice de mon séjour, je le sen-
lai* nettement, c'était la. connaissance que j'avais
faite do Wagner et de ses oeuvres. C'est avec un
hommage joyeux a la patrie allemande que je quittai
la terre française. Les vertes vagues me portèrent
avec mes uompagnons de voyage vers- l'Ile si fiere
qui se dresse invulnérable au milieu des fîôts.

€HAPITttK ^XXVI
L'enfant, l'artiste, le philosophe.
Mm<> Salis Schwabe avait loué une belle maison
avec un jardin aux environs de Londres, et c'est là
que nous nous rendîmes d'abord. Je lui racontai
l'offre de Herzen, je lui dis comment ma tendresse
pour Olga, que j'avais soignée et gardée des l'Age le
plus tendre, l'emportait sur tout le reste, et je lui lis
part de ma résolution. Elle en fut très affligée, car
elle espérait me garder auprès d'elle. Je l'aimais
personnellement beaucoup, j'appréciais ses nobles
efforts son zèle infatigable pour le bien son
dévouementà de bonnes œuvres. Mais d'abord son
activité comme sa vie avaient quelque chose de trop
bruyant, de trop mondain pour mes goûts. Puis
j'avais vu depuis longtemps qu'entre ses enfants et
moi il ne pouvait y avoir de rapprochement véri-
table. La semence que je voulais semer ne pouvait
-germer- dan* ce terrain. Tous ces enfants- étaient
appelés par leur éducation et par leur tempérament
lijouer un rôle dans la classe aisée. Que pouvais-
je faire ponreux? Leur voie était toute tracée estait
le large chemin, uni et facile, que prendront tous
ceux a qui la fortune a su arranger une vie confor-
table. Je ne pouvais faire quelque ohoso que pour
Veux qui préfèrent auxsentiers baltus les chemins
étroits et solitaires, qui aiment à regarder los étoiles
plus que les lustres d'une salle de bal, et qui prêtent
plus volontiers ^'oreille aux révélations du géni©
qu'aux propos d'une morale mondaine. Mme Salis
Sçhwabe proposa de lui amener Qlga et de voir
si nous ne pouvions continuer fi" vivre "ensemble.
J'allai donc a la campagne chez Ilcrzen; je fus
roi; uo de la manière la plus cordklc, on me laissa
emmener Olga et je retournai en ville. La chère
enfant était si heureuse d'être avec moi, elle jouis-
sait d'une manière si vive des moindres incidents
de cet événementinattendu et heureux, que j'en eus
l'Ame attendrie. Je sentais que le destin nous avait
faites l'une pour l'autre et qu'il m'avait réservé le
rôle d'une mère auprès de cette enfant si séduisante,
que j'avais tant aimée et pour laquelle j'avais déjà
tant souffert. Dès lors mon parti fut pris, et je
résolus de consacrer le reste de mes forces à l'ac-
complissement de cette tâche. Le sort me permit
(le remplir encore cette partie du programme que je
m'étais tracé et qui m'avait coûté tant de luttes,
tant de sacrifices. J'avais montré déjà que la femme
peut aussi bien que l'homme lutter pour défendre
ses convictions et briser s'il le faut les entraves que
lui oppose son milieu. Fidèle à mes principes^j'avais
prouvé que la femme peut se créer une vie indépen-
danle v\ huuoniW»* par son travail, Pour lu seconde
foi» enfin le destin me convint! a continuer mon
univré" interrompue oVà ihô" consacrer dans ma
famille d'adoption il une tAche maternelle. Ici encore
j«» pouvais démontrer que la femme, même si elle ne

se marie pas^ peut encore vivre de la vtêile famille,


remplir sa vraie vocation, gouverner une maison,
élever île» enfant», t'iiju'il n'es! par eonséquont nul
lemenf n^cossatrod'incntquor aux jeunes flllos I'idt5e
du mariage comme le seul but do l'existence. Cette
conception erronée et si répandue mérite d'Otre
combattue. Il faut que les jeunes filles, comme les
jeunes gens, considèrent que leur tache est de déve-
lopper toutes leurs facultés et de travailler à faire
d'elles des êtres aussi complets que possible. Quelles
que soient les conditions de son milieu, une jeune
fille devrait avoir entre les mains un gagne-pain qui
lui permette, le cas échéant, de se suffire A elle-même
ou d'dlre utile aux autres. Tout être humain doit
viser il faire de soi un chef-d'œuvre. Cette concep-
lion élevée de la vie supprimerait toute coquetterie;
au lieu de jouer avec les sentiments, de se donner
le change à elles-mêmes eu de tromper les autres,
les jeunes filles seraient simples et naturelles. Les
mariages n'auraient plus ce caractère frivole qui est
la cause de tant de malheurs. Commençons par
former un caractère qui sache se suffire, puis, si
l'amour vient couronner cette jeune vie, heureux
celui qu'elle aimera! Mais que les jeunes filles qui
ne rencontrent pas cet amour vrai ne se jettent pas
~à tout prix dans Të" mariage, qui n'est alors qu'une
profanation. Qu'elles travaillent, qu'elles s'occu-
peut d'autres curants pour satisfaire leur* instincts
maternels; elles pourront les aimer uni tut I que s'ils
«oient A elles. Ne profanons pus "h* tÎPïi le plus beau
do la vie, ne le laissons pus s'avilir, devenir banal,
ce qui n'arrive que troj> souvent, triste preuve «le lu
vulgarité oti de iimtimH-ence humaine, source île la
plupart «les maux dans la famille, dans la soeich*.
dansl'Étal.
Je passai eniwe quelques semaine* Sveï* Cirp
dans la maison «le M»" Salis Schwahe. J'y rencon-
trai entre autres personnalités intéressantes l'histo-
rien (irote, l'auteur de VJtisloirr </e la (ii-torn, et sa
femme, une personne très originale. C'était un
tourbillon perpétuel de ré«;eplions, de diners, de
visites, etc. J'en étais excédée, j'aspirais au calme,
je ne demandais qu'A me reprendre. La seule chose
qui me fit plaisir, ce furent les secours envoyés,
grAce A mon entremise, aux troupes héroïques de
(iaribaldi sur les champs de bataille de Naples.
J'avais reçu une lettre de Jessie Whilo Mario, qui
suivait l'armée de Garibaldi et soignait les blessés;
elle me demandait de tacher de lui faire envoyer
d'Angleterre des objets d'ambulance. Mme Salis
Schwabe, toujours prête à venir en aide A ceux qui
souffrent, et pouvant faire les choses grandement,
grâce à ses nombreuses relations, prit l'affaire en
mains. Bientôt des caisses de matelas, de tentes, de
pansements partirent par mer pour Naples. L'entre-
prise héroïque de Garibaldi et de ses mille soldats
donnait à toute cette époque un intérêt, une poésie
exliêities.~Cette expédition de Sicïfe semblait ~~mf
récit homérique, une épopée où le dévouement
~Ut'm'.
palrittli«|iie «It»mi»it mit' auréole aux horreurs «m» lu

J'iui vins ô.dtkJ«iyv_fe..Mm.°.Saji!».Sch>volipque j«^


consùlerais comme impossible do ennlinww In vie en
commun <p»e nous avions menée jitt4iltl'iri i /'t't·l1x en
effet a Mdtiva-
*]<Vi«iéeft<<»»nsiM>i<ei*le reslede ma vi«»
liun d'Olga* et lietœen ne pmivnH m*nwUïriser tVt>m-
mener «Inns le pays «le (inlle* el ft ManelieMer, oit
.-M«r Salw ïîeliNvjtilw* ,et»i»|>ioU vel««ivn^i 4jailk^v%
le train «le vi« qu'on tneiiiiit êliex elle ne. me para is-
stiil pas eoneiliable avee lVilnealion tellt» que je
l'entendais. J'ajoutai que je prêterais faire bien une
ehose que «l'en onlrepretulro plusieurs et «le ne l««s
faire qu'a demi. Je «lemandai a Ilerzen la permission
«IVnunener Olga an bord «le la mer, où il «lovait venir
me rejoimlre nvoe le restede lai famille. Je qniltai
M11" Salis Schwabe dans les meilleurs termes. Je
demandai à llerzen de m'adjoindre une jeune fille
«le Hambourg dont le caractère raisonnable <;l ferme
m'avait plu. A mon vif regret, je n'eus pas la lille
d'Orsini. Ilodge avait en vain essayé «le persuader
la veuve de lui confier l'enfant. Il avait été en Italie
pour cela,mais, ne disposant pas «le moyens légaux,
il dut renoncer a son projet. Je partis avec Olga et
Marie pour le bord de la mer; je ne connaissais
pas encore l'endroit où nous allions, mais on
m'en
avait vante la beauté sauvage. J'y passai plusieurs
semaines, occupée il observer le caractère de l'enfant
confiée à mes «oins. Pendant mes heures de loisir je
terminai un roman commencé depuis longtemps,
m~~t~tt.nir tl~·~ns la vie dissi ée ue
nous avions menée à Paris. Ilerzen vint nous
ivjoindre avee son tite et m HH«* aînée. J'avais trouvé
une belle maison sur la talafce, ou pied de laquelle
battaient les flots, et nous y retrouvâmes l« paix
d'autrefois; personne ne nous troublait er je juin
trant|iiilteinonl «Hrijïoi' Olgn solon iwh i«l«''is; N«l«-
|io avait tl«\jft ilt;|ms*î»»' h1|ïo «U» ht |»w>tnitov »^lw«*«lion.
Owlques* visïlosinUUvsmmti^» **nfi%« mrtros collo <to
TouV|çiuM»ieft'V «npûvWMtnt «w nfçr^nWo ilivrrsitm
ilaiis noli'ij viejo nVin'ouyais «r«iH«»ur*» huIU'hmmU
h KvzfAn iTOirir iffel niiî«^, )VUri^ de nouveniï fcïur
h l'ail lionroiiHO. La wwmlé somluv «l sauvage
«le r«ndroit, collo vie Hhpo que nulle obligation
mondainene venait Iroubleiy m<v tlonirtro.nl un senti-
ment «le bion-tMre exlrflme. Ma journée appartenait
A la jeunesse, les soiwVs «Maient comme autrelois
eonsaerôes à la lecture avec ilerzen. Il ne me man-
quail «m'une chose, la musit|ue, et j'en «Hais plus
privée que jo ne l'avais jamais tH6. Depuis mon
srjour il Paris, depuis Wagner, le besoin d'entendre
île la musique s'tUail emparé de moi avec force;
c'est le seulclément qui nous parle «l'un aut re monde
que celui qu'on a coutume d'appeler le monde de
la réalité. Dès l'enfance cette langue avait été pour
moi la langue véritable de l'Ame. Je n'étais jamais
arrivée à une grande virtuosité dans l'exécution, mais
ce que j'avais eu de meilleur en moi s'était toujours
nuMé à la musique. J'entendais toujours en moi-
même une mélodie, un chant, une harmonie. Même
en parlant-de choses indifférenlesTj'écoutais et je
suivais cette voix qui chantait dans mon ftinc. Sou-
vent dans mes jeunes années, tandis que ma sœur,
qui jouait beaucoup mieux que moî,~êxéculaîl lc~
soir, devant lo cercle de tamdte, quelque morceau
de Beethoven ou lit, Mozjii», je nw» promenais dans
la chambre, ne pouvant travailler, à cause de mes
yeux jWôurms, oTlS T'UamUïv se Ifansfbvmatl en ¥w
temple, j'onUMiitniH il<*H nHékitians qui mo consa-
IiiUmiI «h* la hnnnVtl* «l« lit vio, jo sentais me pousser
«lt»s ailes, otiidWvrôo des chItovçs d'un trorp» nrfîrmo,
jomY'Iovnis nn-dessusf d'un inonda imparfait, jvpros»
Meulnis mu* vio |>Iuh imldo, J'oi dVjà dit quello
tmproswHi ino <!ron< tos 4 ait tvm.,4 d" 'VnKI1"rlnnt'J""
jo Ioh enlondin »\ Pnri». I.» vie sans musique me
semhlnit incomplMo, c'était traverser lo désert sans
In manne divine. Éveiller dans TAmo d'Olga Tamour
de la musique devint un des objets principaux tla
mes soins; je ne voulais pas faire d'elle une virtuose,
je voulais développeren elle une musicienne, ce qui
est l'essentiel. 1! faut laisser aux artistes la perfec-
tion technique dans l'usage d'un instrument. J'ai
dit ailleurs déjà que ce serait une bénédiction pour
la société s'il y avait moins de dilettantes et plus de
vrais musiciens; si on entendait moins écorcher les
chefs-d'œuvre de Bach, do Mozart et de Bcethovc»
et qu'il y eût plus de gens capables de goûter et de
comprendre de grandes compositions symphoniques
ou dramatiques.
H va «le soi que la musique d'Olga n'était pas
encore faite pour me procurer de grandes jouis-
sances esthétiques. A cette privation près, mon
séjour fut excellent et il se passa très agréablement.
Hcrzen m'avait promis de me laisser passer l'hiver
à Paris avec Olga; je tenais à ce projet, d'abord à
cause de ma santé, puis parce que la représentation
t. A t'KTITK «»l.il
du Tmnlnvuser m'attirait d'une manière irrésistible.
D'ailleurs je savais par expérience que la vie de
famille, l'hiver, a Londres n'était pas |iossil»l«* pour
Olga-el- pour moi, l lerwtv désirait garder sa Mlle
aînée avoc lui; il cherchait une institutrice pour
elle; je lui proposai de prendre mon amie Kmilie
llecve» «jtt'il eslimftit lieuueonp, et que ]«v croyais
«•rtpabU' a tous les points de vue de servir île guide
à une jeune (ille. J'espérais aussi lui rondro service
iel 1rsortir ûe son milieu *Hroil pour tine sphère.-e.
intelligente, digne d'elle. Ilorzon entra avec plaisir
dans mes vues, et j'écrivis a Kmilio Heeve, qui
accepta ma proposition avec enthousiasme. Lorsque
je transmis a lleiv.on cette réponse aftirmative, il
dit d'un air satisfait « Je suis bien heureux; mes
deux filles sont en de bonnes mains. »
Nous retournAmes à Londres. Je pris congé de
mes amis et je m'embarquai pour la France pour la
seconde fois, avec Olga et la jeune Allemande dont
j'ai parlé. Je regrettai de quitter Ilerzen et Natalie,
mais j'espérais qu'ils seraient heureux, Emilie Rccvc
restant avec eux. Quant à l'enfant que j'emmenais,
elle devenait l'objet de ma vie et tous les regrets
s'évanouissaient devant la satisfaction de l'avoir
auprès de moi; ma tAche, qui m'était chère, dominait
tout le reste.
Je m'installai à Paris, non plus d'une manière
luxueuse comme l'année précédente avec Mme Salis
Schwabe, mais très modestement, au quatrième
étage, au dessus de là vie bruyante de Paris; nos
fonèlres donnaient sur les arbres des Tuileries. Dès
– qtte nona fûmes mstallée^»^81^1161^
Ils n'habitaient plus loin* jolie petite maison; ils
élitiunt ait seeond étage «l'une grande maison dans
une des met* les plus sombres el tes plus populeuses
__d« lu capitale. l)es considérations pécuniaires avaient
motivé «e changement;j'en avais rûmoâUrisléeT je
sentais combien ce devait dira terrible pour Wagner
titi demeurer dans un appartement aussi dénué
'«TôtintitH. Ku arrivant, j'entendis qu'on faisait de ht
musique. On m'introduisit dans le salon \}Amv \V«j?-
n«r me souhaita la bienvenue « voix basse et moi-
frit, un siège; je m'assisen sitettee. Wngm«ik était au `
piano; il faisait travailler l'air du berger du Tann-
Ivrmvr A une jeune cantatrice. J'arrivais d'emblée
à ces, répétitions auxquelles j'aspirais ù assister.
Après la répétition Wagner vint à moi, et après un
cordial accueil il me dit « Oue vous avez bien fait
tle venir! Vous n'entendrez jamais une représenta*
lion meilleure que celle que nous préparons; elle
sera parfaite. »
Ma vie se partagea entre mes occupations domes-
tiques, mes leçons a Olga et mes visites choz les
Wagner. Malheureusementje compris bien vite que
mon ami n'était pas heureux. J'avais vu dès l'hiver
précédent tlue sa femme n'était pas la femme qu'il
lui aurait fallu; elle ne savait pas aplanir les diffi-
cultés au milieu desquelles il se débattait, ni lui
adoucir la vie par la grandeur d'âme ou la grâce
féminine. Il lui aurait fallu, k lui que le génie pos-
sédait, une femme distinguée, intelligente, capable
<le réconcilierl'hommede génie avee la vie, ces deux
ennemis éternels. Mms Wagner n'avait jamais com-
_jjrjs_j^janjagojmmjî^^ obtenir de
Wagner des confessions qu'il no -voulait, qu'il no
pouvait pas faire. Cette ineapaeité absolue do eom-
prendre la situation donnait lieu tous les jours à
des conflits qui rendaient la vie conjugale- d'autant
plus pénible «jnefos Wagner n'avaient pas <h>nfants,
cet élément da bonheur et de paix. Malgré tout,
MWf Wagner était une femme exeellonle, et chez
la plupart de leurs amis c'est elte-qui inspirait lo
plu»4'estiiu«t et de pitié. Quant à moi, j'en jugeais
autrement; j'avais un sentiment de profonde eom-
imssîon jwur Wagner f l'amour, selon moi, aumil dft
servir do trait d'union entre lui et les autres hommes,
et au contraire, c'est l'amour qui empoisonnait sa
vie, déjà si amère. J'étais d'ailleurs très bien avec
M»10 Wagner; elle me témoignait beaucoup d'amitié
et de confiance et venait souvent me conter ses cha-
grins domestiques. Je faisais alors tout ce que je
pouvais pour lui faire mieux comprendre sa lAche,
mais en vain. Pendant vingt-cinq ans elle n'avait
pas vu clair, je n'arrivai pas à lui dessiller les yeux.
J'en parlais souvent avec Ulandinc Ollivier, la fille
de Lisat, que j'avais revue avec plaisir. Cette char-
mante créature m'attirait plus que toutes les femmes
que je rencontrais à Paris. Elle, alliait la grâce d'une
Française à un esprit vif, fin, presque sarcastique;
eUe -était en même temps très féminine, pleine
d'Ame, et sa beauté achevait de la rendre irrésis-
tible. Elle connaissait Wagner depuis son enfance,
celui-ci étant un ami de son père. Nous nous ren-
contrions souvent chez lui et nous tombions dac-
cord pour dire que jamais le mariage n'avait uni
deux êtres plus disparates que Wagner et sa femme.
O qui me tenait lo
plus a cœur après ta représen-
tation du Tmmh.rm'r, c'était l'initiation a la philo*
sophie de Schopenhauer, J'en parlai a Wagner, et il
eut la bonté de me donner la grande rouvre du phi-
Uisophev h^ ttmmle -tttmm* «>©/o»fc! Hromme ivytrf-
s<mltitioHs car il en possédait deux exemplaires.
Lit, dans mon «« aire d'aigle », comme j'avais cou-
tume de l'anpuler, dominant le tumulte de Paris,
quand je n'étais pas occupée avec Olga, je Usais
Sehopenhauer, et j'étais heureuse. J'étais comme
délivré» d'un poids. Je trouvais la clef de toutes mes
luttes, je commentais à voir clair en moi-même. La
définition que Schopenlioucr donne de « la volonté »
supprimait d'un seul coup l'antagonisme irréduc-
tihle du libre arbitre et de la prédestination établie
pa.* le dogme chrétien. Tous les phénomènes de lu
nature me livraient leur mystère. Je voyais partout
l'élément inquiétant, bestial, sauvage et primitif qui
se délivre, s'il comprend la nécessité de la négation
de la volonté de vivre. Ce mot, la « négation de la
volonté de vivre » qui m'avait frappée un jour
lorsque j'entendis Wagner à Londres le prononcer
pour la première fois, je !e comprenais maintenant.
Je comprenaisque celte idée m'avait dirigée dès ma
jeunesse dans mes velléités d'ascétisme. Je vis que
ce combat entre la volonté de vivre et la négation
de cette volonté avait été le combat de toute ma vie.
Pour la seconde fois je me dis « Sauve-toi toi-
même » II faut que le Dieu qui vit en nous se
délivre des entraves de l'individualisme où l'a
emprisonné la volonté impétueuse de vivre. Les
luttes si longues et si tourmentées de l'existence
n'ont pas d'autre portée quece» te résurrection*aprta
le calvaire où meurt notre « moi », pour revivre
d'une vie universelle. Voilà le vrai sens «lu symbole
chrétien. C'est la souffrance qui de tous temps a
Jait naître des sauveurs, Bouddha,Je Christ et toi»8
ceux qui après eux ont essayé dans leur pitié pro-
fonde d'éclairer l'humanité sur la vie, sa nature et
signification, n'ont pas voulu autre chose que mon-
trer à tout jamais où était l'idéal, le salut. Par un
symbole suprême ils ont voulu montrer la voie qui
délivre de la pauvreté, de la maladie, dp la moii, e|
du péché, et qui mène de la misère terrestre à la
liberté des enfants de Dieu, au Nirvana, à la Terre
promise, tous ceux qui ont triomphé de ce qui n'est
que vanité.
Schopenhauer me fit comprendre Kant. Mais il
m'inspira surtout l'amour de ces ancêtres de notre
race, de ce peuple admirable de l'Orient qui, aux
bords du fleuve sacré, entre le lotus et les palmiers,
connaissait la mystérieuse et profonde unité des
choses longtempsavant l'Occident, et qui plus qu'au-
cune autre nation a tenté de réaliser sa conception
philosophique du monde par sa vie. J'aspirais avec
ardeur à apprendre tout ce qui touche ces temps
lointains et sacrés, et tous les soirs je bénissais Olga
avec ces grandes paroles des Védas « Tat wam
asi ».
Cependant les répétitions du Tannhwuser conti-
nuaient et Wagner m'invita à assister à la première
répétition avec orchestre. Il n'y avait qu'un public
peu nombreux; la femme de Wagner et moi étions
les seules dames. J'entendais donc enfin cette
musique et j'en fus profondément émue et édifiée;
H mo semblait sentir passer sur moi le souffle de
a vérité tout marcha à merveille et après Tadmi-
rablo sextuor, où les maîtres chanteurs saluent le
retour du Tatmh»mct\ l'orchestre se leva comme
un seul homme pour ueclamer Wagner. H était une
heure du matin quand la répétition finit. Wagner
était; ravi dw voir que tout semblait promettre un
grand succès et il nous mvita, sa femme et nroi,
a souper à la Maison «l'or. Nous étions seuls, et
t'heure qui suivit cette admirable répétition fut
une heure inoubliable. Wagner nous raconta com-
ment il avait expliqué son rôle à la jeune Marie Sachs,
qu'it avait choisie pour le rôle d'Elisabeth à cause
de sa voix admirable, quoiqu'elle fût une débutante;
il insista notamment sur le passage où Wolfram
lui demandant s'il peut l'accompagner, elle doit
répondre d'un geste muet « Je te remercie de ta
tendre amitié, mais nul ne peut me suivre là où je
vais. Si ma conviction n'avait déjà été faite sur
pouvoir
ce point, cette nuit m'eût démontré à n'en
douter que l'œuvre d'art seule peut nous faire oublier
la douleur de la vie. Arriver au salut par la néga-
tion de la volonté de vivre est toujours doulou-
reux mais dans l'œuvre d'art, dans
l'illusion con-
sciente, cette douleur est transfigurée et nous
seule a
voyons que la vie tragique des héros
quelque valeur.
u
Malheureusement,peu de temps après cette répéti-
tion les espérances que nous avions conçues s'éva-
nouirent. De tous côtés la malveillance" et l'envie"
suscitaient des difficultés à l'auteur. Les hommes
politique* étaient mécontents que la princesse do
Jlellernieh eût «blenu la rej»i'ésoiUatirtn«riUH>u»uyro
si étrangèreau tempérament français. La presse élait
dépitée parce que Wagner n'avait pas invilé les cri-
tiques à des dîners tins comme Us faisaient Meyorbeor
«il d'anÏTes.l^a claque, habituée A éllvaux gages des
compositeur*, et que Wagner avait rigoureusement
esdkw, fumait de rage. k'prdiestr<yinflmivétait di?
visé", et le chef d'orchestre,d>ihe incapacité notoire,
i>tail évidemment hostile ft Tunivre. Les amis cl les
partisans do Wagner déploraient que celui-ci eût
refusé de diriger l'orchestrelui-même. Knfin, et ceci
était le point capital, les jeunes lions de la société
parisienne, ces messieurs du Joekey-Club étaient
iudignés qu'il n'y enl pas de ballel. Qu'importait A
ces jeunes débauchés la représentation d'une œuvre
d'art chaste qui célèbre le triomphe de l'amour pur
sur l'ivresse des sens Ils ne pouvaient que l'abhorrer
d'avance, car cette œuvre était leur propre condam-
nation, c'était un verdict contre leurs goûts vul-
gaires et dépravés. C'est d'eux que partit la cabale
«|ui se tramait pour faire tomber la pièce. Ils se
munirent de sifflets; l'orage devenait menaçant, et
c'est avec angoisse que j'allai à la répétition géné-
rale j'emmenai Olga, car je désirais former en elle
de bonne heure l'amour du beau. La répétition
s'acheva sans encombre. L'auditoire, très nom-
breux, était composé en majeure partie d'amis
dévoués, parmi lesquels la princesse de Metternich
se signalait par ses v ifs applaudissements. Pour
moi ce fut une soirée exquise elle m'apportait une
jouissance longtemps attendue, et bien que j'eusse
senti que l'exécution laissait beaucoup «» désirer «*
«pie Wagner n'en serait p»»s»li»f«il."il v avait delrtV*
b«»fles parties; TMarfr "Sncîis TurniliniroMô dniïs Kli~
sabeth et l'impression «l'ensemble «Unit bien eell<»
«pie je m'attemlais à Iroitver. Le charme opérait sur
ta petite t%ji comme je l'aviris -«sjiftnV;- i»llo était
iminohilo, iwiioillio,- aM»««tiv*> «4 enlhotisiasmw;
.#« 110 s««nl«U, |ia» lu fiiUguo, bien quo ï«_.nml fftt
ïiV'aiM'S»qrirtriJÏ h<»us« wiHiîfto*:tfn IteHHreî" Je wk
«•oiilrai \Vagn«M% 'lui nltmulail sa tomme, Je vis aux
plis «le sou front eomlùVn |>imi il Mail satisfait et
l'espoir
que ««elle interprétation ne lui donnait pas
«l'un sucées. Nous passâmes une journée dans une
attente pleine d'émotion. Puis arriva le jour de lu
premières J'étais dans une loge avec quelques amies
et Cxermnk. L'ouverture et le premier acte mai-
<!ln%rent sans interruption bien que l'ordonnance «le
lit scène du Vemwlierjç restai au-«lessous «le ce que
Wagner avait imaginé, bien que les h'ois (iraees
parurent en danseuses de ballet, je respirais et je
commençai» à croire que nos craintes seraient vaines.
Mais au changement de décor, oit l'auteur par une
poétique inspiration nous transporte de ces baccha-
nales, de ces orgies infernales dans une vallée de la
Thuringe, à l'heure pure et calme de l'aube, où s<*
font entendre les sons du chalumeau et la chanson
du piUre, le bruit strident des sifflets interrompit ta
musique. Les amis et la partie du public qui voulait
entendre l'œuvre et ne la juger qu'à bon escient
répondirent à t'attaque ayant le nombre pour eux. ils
triomphèrent des interrupteurs cl la représentation
continua; les chanteurs reprirent bravement leur
rAk» et firent Uo leur mieux. Mais nu bout «le peu «le
temps le vnennne reprit de plu* belle. »«e* protesta-
tions ne se «renl |ttis attendre, si bien quel» fueee
put èïrejt»uée juwjii'au bout i"Tiî»|»w»H»« "ii»i en
demeurait étnil si inovevUV i\\w U»s plus liienvoitUuits
«l«* IVn-
.tnftne tte iMHivftunU s« iaiiv uno i«l«;«« oswt<*
s<«mWo. Wihc wwutiti«ici»«Mh' rt^ndw! mon tnn-
«mis ôtaU'ut itaiw- le
,n,t\!Ut1 ~at i-titil,
lion, inon imti|putti»n;' n«s
~8~Mt iycat t4i ii fltriaux
poHws î!n inniûli» t'cni-
pffi^loûtiviîes
«|iie nons
iificher «Te» venir «ux nmin» avoc »niel«iues-uns «U«s
iuen«ur<i«lo la cabale. Iles messieurs ne se «uM'Iimeiit.
nullenienl «le leurs luachinalion* et, tenant ostensi-
llltUM>'
blement, leur sifflet de leur main {?«•>'«•; «te
il» s'en servaient tous ensemble sur un signal.
Le lendemain j'allai chez Wagner, .le le
iroMvni
«aime et ferme; d'ailleurs ses adversaires ineme,qui
lui livraient un combat uchurne dans la presse,
durent convenir qu'il était reste digue au milieu de
la tempête déchaînée. Il voulait retirer lit partition
il avait
et empêcher une seconde représentation, car
jugé d'un coup d'œil sûr qu'il n'y avait pas à compter
public pareil. Nous
sur un succès sérieux avec un qu'il y eut
tous, au contraire, nous insistâmes pour
avions la ferme
une seconde représentation; nous exci-
espérance de voir l'œuvre réussir. Dans notre
tation passionnée, nous ne nous rendions pas compte
matérielle.
que c'était une impossibilité
Le soir de seconde i-epréscnlaUun arriva, Les
la
ennemis s'étaient mieux armés pour la lutte, mais
les amis redoublèrent d'ardeur et de vigilance. Le
combat fut plus véhément que la première ion.
,1'étais «tans «no loge «w la femme de Wagner et
w il avait des Français qui
<*»»«*. A eoté de nous
se faisaient remarquer par #itr»
y
cris, leurstïfmps de
sifflets, leur tapage. J'étais hors do moi et jo déchar-
geais ma colore et mon indignation on français,
-Voilà done ce. publie qui se-dit huliitro du goût?
r.'pst un tas de polissons sans savoir-vivre, inca-
pables de laisser chacun éoouler a sa guiso. » ,|« eon-
titmois ft parler fl«ût, ftaïil? »» hwn que? Mm<T Wagner,
effrayée, me dit à Toreille « Mon Diou, vous ôtes trop
ténxVaiiv; vous allez vous attirer des désagréments.
»
Mais je lit, pcusais qu'a ma <'oM'rc et au mépris qu<'
m'inspirait w publie, et enfin m'adrossani direc-
tement a nos voisins, jo leur dis « Messieurs, si
aucune considération ne vous arrête, songez, que la
femme du compositeur est là, à c:olé do votre loge.
»
Interdits, ils se turent un ii.slnnl, puis ils reprirent
leur vacarme. Toutefois ils m» réussirent pas à faite
baisser le rideau et la pièce fut jouée jusqu'au bout.
Wagner était d'avis d'enrayer le scandale, mais
nous demandâmes tous une troisième audition. On
«levait hausser le prix des places, et nous avions le
ferme espoir de n'avoir qu'un public d'élite, résolu à
écouler. Wagner s'était décidé h ne pas venir au
théâtre celle fois, afin de s'épargner cette émotion
inutile; sa femme resta auprès de lui. J'avais pris
«ne loge pour emmener Olga et la jeune Marie; je
comptais que nous jouirions tranquillement de cette
représentation; il n'en fut malheureusement rien.
Les perturbateurs étaient plus nombreux que jamais
et il» commencèrent des la levée du ridcati, ce qu'ils
n'avaient pas fait encore. Les chanteurs furent héroï-
«lues; souvent ils nt teintaient uu quart d'heure «•!
davantage «jue ta tempête de ta salle w fut ealmée.
Debout, inqiprturbahlôs, UHixnient le publie, repre-
nant le chant <K<s «pie le silence se rétablissait, ol il»
purent aller jusqu'au boni «le la représentation cette
fais encore, Mon qu'un vacarme insensé gâtai iout
le plaisir qu'art I. pu faim leur interprétation. Ln
petite Olga était aussi passionnée_qw> moi. Kilo
admirait fewieoiip Wagner et ait jeune- âme était
profondément émue par «?ette musique qui l'initiait.
à l'empire des sons; l'impression <|ii'elle en éprouvait
était si grande que j'y vis une preuve nouvelle do
la beauté vraie de l'œuvre. Olga se mêlait a la lutte
avec une ardeur violente, elle se penchait par-dessus
le balcon de la loge en crinnt de toutes ses force»
« A la porte! à la porte! » et elle désignait les jeunes
gens élégants qui siMaient. Deux messieurs, dans
la loge à côté de la n<Urc, semblaient ravis de l'ar-
deur de la petite, et ils dirent à plusieurs reprises
« Elle est charmante ».
Il était deux heures du matin quand nous nous
retrouvâmes au foyer avec quelques amis pour
aller tous ensemble chez les Wagner, qui devaient
attendre avec impatience un compte rendu de la
soirée. Nous ne nous étions pas trompés. Ils pre-
naient tranquillement du thé et Wagner fumait sa
pipe. Il accueillit en souriant la nouvelle de cette
dernière bataille, la plus chaude de toutes, et se mit
à plaisanter avec Olga en lui disant qu'il avait appris
qu'elle l'avait sifflé. Mais en lui donnant la main, je
"sentis1 la sienne- trcmMcrret je compris que cette.
triste et fâcheuse aventure l'avait profondément
atteint. Toute la honte retombait sur lo puhlie,
mais il «Vn demeurait pas moins vrai que Wagner
y perdait une espérance, et que su vie allait reprendre
)mis rude, plus sombre, plus pénible et plus déses-
pérée. <:«!« me IVndrti! le cteiir, et tous mes elVorls
|iour l'ahler restaient vains. Wagner reprit la |i»i>|i>
lioiM'IniilItiiiuulà jui\ liill(w.luUiôûlicMaisilans
la presso et clans le uiMiule ta querelle dura eneore
peii«lanl des sematiies, et de la «mniôic la plus \jo-
hintii On n'avait fïën vu «rannlo^tio depuis (ihiok.
Kes voix pour klAmor l'attitude du publie étaient
rares, mais quelques-unes so firent entendre et non
des moins autorisas. Entre autres le vieux .Iules
.Initia écrivit un article charmant; il rattachait au
récit de l'éventail, que la princesse do Mellcrntcli
avait brisé dans sa colère, une sévère appréciation
de la conduite des Parisiens. J'écrivis un lidèlw
compte rendu de l'événement et je l'envoyai en
Angleterre, oii il parut dans le itaily A'cirs; à mon
retour à Londres, Klhuhvorth me le montra d'un air
triomphant,sans savoir qu'il était de moi.
Wagner partit peu de temps après pour Carlsruhe,
oii l'appelait le grand-duc de Bade. De là il alla il
Vienne, oii il assista à la première représentation
de son Lohenyrin, que le public allemand connaissait
depuis longtemps, et il en fut très content, à ce qu'il
écrivait il sa femme. En même temps il fut l'objet
d'ovations enthousiastes, destinées à servir de con-
trerpartie à l'accueil qu'on lui avait fait à Paris.
J'étais heureuse de ce bonheur qui lui arrivait
comme une compensation pour tojit^ej^ujLavgiJL
eu a endurer
Pendant ce temps je me plongeai* dans la lecture
do SéhnpeuluMier,et ma satisfaction allait grandis-
sant, lo puis dire que tïulhiv<»r l'ut un tournant dans
ma vie.
J'avais trouve ma voie et le devoir auquel je vou-
lais consacrer désormais mes jours élever «no
nme, l'amener au degré de millnm dont Mie étntl
capable. A mesure que je voyais s'évanouir l'espé-
ranee^dM'au^finelquft «mvr«-iHiln eomniemembre;
du parti politique auquel je m'étais associée, jo
m'attachais de plus en plus à une tache qui satis-
faisait mon eceur.
Puis j'avais rencontré l'artiste dont les œuvres
répondaient à ma soif d'idéal et qui me confirmait
dans ma foi, (lui désormais ne voulait chercher
l'idéal que dans Fart. Je compris que dans le
domaine politique toutes les entreprises demeure-
raient incomplètes, comme tout ce (lui est soumis
aux lois d'ici-bas, et que l'esprit allemand plus que
tout autre doit chercher éternellement à couronner
son œuvre dans un monde idéal. Je reconnus que
sa vraie grandeur et sa destinée étaient là, et c'était
un Allemand qui lui en montrait la voie.
Enfin, j'avais rencontré le philosophe dont les
conceptions venaient soutenir ma pensée, m'éclairer
sur le sens de la vie, dans la mesure où nos moyens
si limités permettent la clarté, le philosophe dont la
haute sagesse allait me servir d'appui dans le che-
min qui me restait à parcourir.
J'étais au terme de mes tourments, et en même
ticmps (j@ |*| partie do ma vie que je pourrais appeler
ma vie publique, puisque je fus mêlée à des événe-
monts et liée avec des personnalités qui louchent à
l'histoire, ha suite de ma vie n'est plus appropriée,du
moins sous cette forme, à la publicité, tte serait man-
quer de discret ion- que -de -parler-de. moi davantage.
Et n'élait-il pas déjà indiscret d'en entretenir jus-
qu'ici les lecteurs? pourrait-on se demander. Je ne
le crois pas, U y a dans la vie do tout homme « qui
cherche, qui lutte » des heures m» les aspirations de
rhumanité tout entière trouvent en lui leur expres-
siou; Ces* heures ont u» inlérôt générât, elles nnon-L
trent, sous une forme particulière, individuelle et
caractéristique, l'image éternelle de l'humanité, qui
est une sous ses manifestations diverses. Dès que
ces recherches, ces aspirations, ces efforts ont trouvé
leur voie, dès que l'énigme de lit vie est résolue, et
que quelque grand esprit nous en a donné la clé,
nous n'avons qu'a suivre celui qui a trouvé la vérité
mieux que nous n'avions pu le faire nous-mêmes.
Notre histoire personnelle cesse d'être intéressante,
sauf pour des amis intimes. Le reste n'est que la
confirmation par l'action, ou par le renoncement
et la souffrance, des doctrines que nous avons
embrassées. Ce fut mon partage. Le sort ne m'a
pas aplani le chemin de la vieillesse. J'espère qu'il
ne me verra pas faiblir et, dans les heures de souf-
frances physiques cruelles, dans les rares instants
de joie pure, de jouissance vraie, je dis avec
mon philosophe, comme j'espère le faire à l'heure
suprême qui lèvera le dernier voile
ferme dans ma foi. »
Je demeure
INDEX

Althac* (Anna>. I, 211. ««M II, Gahibaloi. II, 45 el sniv., »«•


·ta, S9 et suiv Oaskki.1. (M"*), H, VXt.
11, 40, 77, WT.. «Shotr, II, 497.
AwiAVsVréiîéric),
Althavs (Théodore), I, ««-179, 89lfif.* (ii.-izoT, II, 4H0.
suiv., 125 et suiv., 161. 1* Haco (Général), 1,311-1.
189, 401, 207 ot suiv., *», 441, Hawke» (Kmilio), U. 187 et smv.,
441 et sniv., 274 et suiv. 411.
Althauh (Pastour),I. 10, 47.suiv. Heckkr, 1, 171.
Amhuust (Lord), I, 337 et Hkiwen (Aloxandro). I, 3t«0otsmv.,
373 et suiv., 401 ot suiv., 411 et
BaHTHKI.KMV, H, 20 Ot SUiV., *«0 et suiv., 428 et suiv.; II, 4 ot smv.,
suiv., 57 et suiv. 8. 33 ot suiv.. 49 et suiv., 51 ot
Bki-i (M""1), U, 133 et suiv., 1(3 suiv., 60 ot suiv., 80 101, 111,
ot suiv., 333 et suiv. 117 ot sniv., 134 ot smv., 190 et
Hehnahd, II, 204 et suiv., 454. suiv., 437 et suiv., 264 ot suiv.,
Blanc (Louis), II, n et sniv. sniv.. 9.10 et
ltRirNiHn (Mme do), I, S» et
suiv.
Hkssk-Casski. (Guillaume II, eler-
398 et suiv., 407 et suiv.
tour de), I, 4, 6.
Bi-cher (Lothairo), II, 413, «I et Hksse-Casskl (Ouillaume I", élec-
suiv., 237, 203, 465. teur de), I, H-17, 40 et suiv., 4H
et suiv.
Cablylb (Tbomas), 1, 377. Uolumd (M-), H, 985.
Cobbkn (Richard), II, 471 et sniv.. suiv.,
215 t suiv., 2813. Kinkel (fiodofroid). I, 307 etH,
U, 10
C«aHA«7îa»slaY}, i, Ti9 et 317 ot suiv., 341. 350, 401 11»1
suiv.,
suiv., 309. et suiv., 194 et suiv., 229 et
263, 280.
Dascbkoff (Comte), 1, 75 et suiv. KinkÉi. (Jeanne), I, 307 et suiv.,
Domkngé (Joseph). II. 1« et suiv.. 317 et suiv., 3R, 403; H. *» et
114 et suiv., 15:). suiv., 1U et suiv., 123, M3 et
suiv., 225 et suiv.
EsSÉtSOK. if, »S et
suiv., 78 et. suiv.
ïotv., 32 et KlisuemaNS,
Kossoth, I,
i f, 186. II, 44, 210,
385, 405;
t
261. ·
Kreilighatm (Ferdinand), II, 931 et U\oebstb<em (Angélique de), II, 133.
l.tliiu-Uoi.i.iN,I, );»• II, liai et UtitaïKNOACii(Oscai1 «Io\ I, 8H et
Miiv., «»l. «il. sniv.. -II».
I<u>i>i:-l>KTMni.ii(l>riQroI,ôoiu>ti|<]<>).Renan, II, -.R8, >J87,
I, ;»» «>t sniv. !ii>:m:t:»M. (M™* do), I, 81,
I.1HVK (do i'allipi, i, 35», u>* ot
suiv.. Ht», Kaciis (Mario), II, W0, :tos.
M.xnm, II. m Saffi (AwoJro), J, 416; II, 23 et
sniv.. «ty.
Mazxini i.loso|)ln. I, .||i; «n siiiv.Saws Suhwadk (M'>, I, 331.
H, 1K7 ot sniv., 1V6 «• suiv., i!Kt Sams .Sc.hwahk (M1"'), I, 3-36 ot
01 sniv.. W>'< ot Kiliv. suiv.! Il, I»l. 360 et suiv.; 285,
Mkitkknkiii (Priiicosso «loi, JIv>»80» 2/ft ot.suiY.. 9M et suiv..
-:t1.11.
MicBEr.Er, H,3W«it snjr.
298.
SnHô>KNHAVKB(AFthur}.ir,'je,aïI,3IS.
ScHoi<s«(Cart). I.SMotstiiv.i II. «08.
MtlHIiKNKTKHN (("arf), I, 8TÏ et Sniv. Stanskiki.i» (lisoi! Staxsfklo,Caro-
line), II. 187 et sniv., <îll, *B et
S.vçoi.tQsJll. II. "?îr> Rtsuiv»; !J89 suiv.j çt, suHv
^V
~Tent~mi",tt.ti5.
Tai.i.aniukh, II, ^o ot sniv.
Or.ABKFF, II. 03 Ct Slliv. TorHGXrtNIEFF,II, >>WI.
UiiAHKFF (M"'). II, «I Ot SUIW, «15
ot suiv. VlSET, I, 101.
Oi.i.iviku (IMandinc). II, 303.
«bsini (Folioo), 1 1, -JV0O1et sniv.,«»lW.vonfb (Richard),I, 36J; H, 20 ot
sniv., 73 sniv., 383 et sniv.,
I'almerstosî ( I.or<l), I, 343 ot suiv.. 987, 301 etetsniv., 305 et suiv.
IVlskv (Krauvois), I, .|07: II, i-j, \Vkioki.t, I, 291, 358.
\VHITE-MABIO(J0SSi0),II,188,959.«VJ.
I'i'lskv (fhorèsp), I, et sniv.. Wobckm, (Stanislas), II, G et sniv.,
SOS»
103 et suiv. 160 et sniv.
Wistknfem>(Kmilie). I. 518, 2-« et
nsKVK(Kmilio), H, H-lot sniv., .TOI. suiv., 335.
o
TABLE DES MATIÈRES

adoptivc.
CUAPITRE XXV.
XXVI.
XXVII.
XXVIII.
La famille
La vie ù la
Encore une
Le destin. La
xXtX.–NouvettesoUtude.
mort.
campagne.
séparation.
M
86
1

XXXL–Mazzini.
XXX. sympathie.
Relations et
i11:~
113

XXX!L-Résultats.
XXXttt.–Kouvettes per tes
196
214
221
XXXIV. d'Angleterre.
Départ
XXXV.–ParisetunAUemand.
260
271
XXXVI. L'enfant, l'artiste, le philosophe. 2M
IN116g

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