DSS 134 0603
DSS 134 0603
DSS 134 0603
Roland Meynet
Dans Dix-septième siècle 2013/4 (n° 261), pages 603 à 622
Éditions Presses Universitaires de France
ISSN 0012-4273
ISBN 9782130618027
DOI 10.3917/dss.134.0603
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 13/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 88.161.83.195)
Le Mémorial à la lumière
de la rhétorique biblique
Il faut d’abord préciser ce que l’on entend par « rhétorique biblique ». L’expression
ne renvoie qu’à une seule des cinq parties des traités de rhétorique classique, la dis-
positio. L’analyse rhétorique biblique ne s’intéresse donc pas à l’inventio, ni à l’ornatus
ou elocutio, c’est-à-dire les figures, ni à la memoria et à l’actio. Convaincue que « la
forme est la porte du sens », elle accorde toute son attention à la composition des
textes. Elle le fait d’autant plus qu’elle part du présupposé que les textes bibliques ne
sont pas composites, comme le prétend la méthode historico-critique, mais composés
et, la plupart du temps, bien composés. Le problème est qu’ils ne sont pas composés
selon les règles de la rhétorique classique, gréco-latine, mais selon les lois, de mieux
en mieux connues, d’une rhétorique différente, la rhétorique biblique et, plus lar-
gement, sémitique. En effet, les textes de l’aire sémitique, en amont de la littérature
biblique (akkadiens ou ougaritiques par exemple) comme en aval (Coran et Hadîth),
obéissent aux mêmes lois de composition que les textes bibliques. L’appellation de
« rhétorique biblique » est simplement due au fait que ce sont des biblistes qui à
partir du XVIIIe siècle ont découvert ces lois2.
a) La binarité
Dans la Bible les choses sont dites deux fois. L’exemple le plus simple est le « paral-
lélisme des membres » que Robert Lowth a exposé en 1753 dans la dix-neuvième
de ses Leçons sur la poésie sacrée des Hébreux. Même s’il a eu des prédécesseurs, c’est
lui que tous les articles de dictionnaires sur la poésie biblique reconnaissent comme
l’initiateur de ce qu’on appelle maintenant la rhétorique biblique. Voici le premier
exemple qu’il en donne3. Les quatre premiers segments du Ps 114 sont autant de
segments bimembres :
Lorsqu’ISRAËL sortit d’Égypte,
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 13/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 88.161.83.195)
Thomas Boys5, qui, dans la tradition de l’empirisme anglo-saxon, ont mis au jour les
compositions parallèles et concentriques des textes bibliques, aussi bien du Nouveau
que de l’Ancien Testament. Ces compositions dépassent le premier niveau d’organi-
sation des textes, celui des simples segments étudiés par Lowth. John Jebb donne par
exemple un ensemble très simple et très évident de deux segments trimembres qui
sont parallèles entre eux (Mt 7,7-8) :
Demandez et il vous sera donné,
Cherchez et vous trouverez,
Frappez et l’on vous ouvrira ;
Car quiconque demande reçoit,
Qui cherche trouve,
Et à qui frappe il sera ouvert.
5. J. Jebb, Sacred Literature comprising a review of the principles of composition laid down by
the late Robert Lowth, Lord Bishop of London in his Praelectiones and Isaiah : and an application of
the principles so reviewed, to the illustration of the New Testament in a series of critical observations on
the style and structure of that sacred volume, Londres, T. Cadell & W. Davies, 1820; disponible sur
www.retoricabiblicaesemitica.org > Textes fondateurs.
- © PUF -
26 janvier 2015 - Revue du 17e siècle n° 261 - Collectif - Revue du 17e siècle - 155 x 240 - page 606 / 770 26 jan
Jebb et Boys ont eu quelques successeurs au XIXe siècle, mais c’est surtout
Nils Lund qui dans la première moitié du XXe a repris le flambeau. Voici un seul
exemple, d’un texte semblable à celui qui vient d’être présenté, mais plus complexe
(Ps 115,4-8) :
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 13/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 88.161.83.195)
La binarité se retrouve à tous les niveaux. Voici par exemple comment est orga-
nisée la deuxième section du livre d’Amos (3,1–6,14) : elle comprend sept séquences,
organisées de manière concentrique.
Dans cet exemple on voit que les séquences B2 et B3 forment un couple où il
s’agit des « richesses » et des « sacrifices » ; et de même les séquences B5 et B6 selon
les mêmes sujets. À leur tour les deux couples forment un couple, B2 et B3 corres-
pondant, de manière spéculaire, à B5 et B6. Il en va de même pour les séquences
extrêmes (B1 et B7) qui forment un autre couple où « le piège » correspond au « poi-
son », tous deux instruments de mort. L’ensemble est focalisé sur la lamentation
funèbre de la séquence B4. Bel exemple de construction concentrique.
- © PUF -
26 janvier 2015 - Revue du 17e siècle n° 261 - Collectif - Revue du 17e siècle - 155 x 240 - page 607 / 770
Ajoutons pour finir d’autres exemples de binarité, fort connus : la Bible donne
deux versions du Décalogue ; deux versions du Notre Père, l’une selon Matthieu,
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 13/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 88.161.83.195)
b) La parataxe
Dans la Bible les choses ne sont pas liées entre elles à la manière gréco-latine, leur
relation logique n’est pas exprimée linguistiquement ; elles sont posées les unes à côté
des autres et c’est au lecteur de saisir le rapport qui les lie. Cela se voit clairement déjà
au niveau le plus simple, celui du segment bimembre. Les deux membres du verset 3
du Ps 51 sont simplement juxtaposés :
Aie pitié de moi, Dieu, selon ta grâce,
selon ta grande miséricorde efface mes transgressions
Avec le verbe initial « avoir pitié », le premier membre est très général, tandis que le
second explicite ce qui est demandé à Dieu. Comment Dieu aura-t-il pitié de moi ? En
effaçant mes transgressions. Il est possible de comprendre et donc de traduire, en subordon-
nant le second membre au premier pour faire ressortir le rapport entre les deux membres :
Aie pitié de moi, Dieu, selon ta grâce,
en effaçant mes transgressions selon ta grande miséricorde.
Et l’on comprend :
D’où la traduction :
les proverbes, il n’en va pas de même aux niveaux supérieurs. Émile Osty écrivait à
propos des divers recueils réunis dans le livre des Proverbes :
D’une manière générale, on peut dire qu’aucun principe directeur n’a présidé
à l’organisation de ces recueils. Les proverbes ont été jetés pêle-mêle, n’importe
comment, sans aucun souci d’ordonner tant d’éléments disparates, et de les grou-
per selon leurs affinités. C’est ce qui rend pénible et fastidieuse la lecture de tant
de pages qui n’offrent qu’une mosaïque de sentences n’ayant entre elles ni lien ni
parenté6.
On voit bien que, selon cet auteur et selon bien d’autres, ceux qui ont écrit
les évangiles ne soutiennent pas la comparaison avec les grands auteurs clas-
siques, grecs et latins ! Cela est vrai uniquement si on les juges avec les cri-
tères de la rhétorique occidentale. Mais quand on les analyse de l’intérieur,
c’est-à-dire en fonction des lois de leur rhétorique propre, la rhétorique biblique,
ou plus largement sémitique, il apparait que ces livres sont composés, et bien
composés.
Le cadre méthodologique
On vient de voir que les textes bibliques sont construits soit de manière
parallèle, soit de manière concentrique. Il faut ajouter un troisième type de construc-
tion : la composition spéculaire. En voici deux exemples.
Le premier est de la taille d’une partie, formée de trois morceaux (Ex 15,14-16a)8 :
-----------------------------------------------------------------------------------------------------
+ LES DOULEURS saisirent les habitants de PHILISTIE ;
– 15 alors S’ÉPOUVANTÈRENT
LES CHEFS d’ Édom.
Les morceaux extrêmes (14a.16a) sont parallèles. Les deux bimembres du mor-
c eau central se correspondent de manière spéculaire. La composition de l’ensemble
est donc spéculaire elle aussi.
8. Voir R. Meynet, « Le cantique de Moïse et le cantique de l’Agneau (Ap 15 et Ex 15) »,
Gregorianum, n° 73, 1992, p. 19-55 ; voir aussi p. 32-33 et p. 52.
- © PUF -
26 janvier 2015 - Revue du 17e siècle n° 261 - Collectif - Revue du 17e siècle - 155 x 240 - page 611 / 770
formé d’un, de deux ou de trois segments. Le troisième est celui de la partie, formée
d’un, de deux ou de trois morceaux.
Avec le « passage » (la « péricope » des exégètes), on laisse les niveaux non auto-
nomes, pour passer aux niveaux autonomes ; en d’autres termes, les niveaux de cita-
tion pour les niveaux de récitation. Dans la proclamation de l’Évangile durant les
célébrations liturgiques, on ne lit jamais moins d’un passage. La définition du pas-
sage ne correspond plus à celles des niveaux inférieurs : un passage en effet est formé
d’une ou de plusieurs parties.
À leur tour les passages s’organisent en « séquences », les séquences en « sections »
et les sections forment le « livre ». On a été amené à ajouter, quand cela est nécessaire,
les niveaux intermédiaires de la « sous-partie », qui a la même définition que la partie,
de la « sous-séquence » et de la « sous-section ».
La technique de la réécriture
Composition
9. Ce sont là les trois grandes parties de mon Traité de rhétorique biblique, op. cit. : « Composition »
(p. 111-344), « Contexte » (p. 345-506), « Interprétation » (p. 507-635). Ces trois parties sont pré-
cédées par l’« Historique » de la découverte des lois de la rhétorique biblique (p. 31-110) et suivies par
un dernier chapitre intitulé « Perspectives » (p. 637-654).
- © PUF -
26 janvier 2015 - Revue du 17e siècle n° 261 - Collectif - Revue du 17e siècle - 155 x 240 - page 612 / 770 26 jan
FEU 7
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------
• DIEU D’ABRAHAM. DIEU D’ISAAC. DIEU DE JACOB 8
– non des philosophes et savans. 9
certitude joye certitude sentiment veue joye 10
• DIEU DE JÉSUS CHRIST. 11
– Deum meum et Deum vestrum. Jeh. 20.17. 12
– Ton Dieu sera mon Dieu. Ruth. 13
Dans leurs premiers membres les segments extrêmes (8-9 et 11-13) mettent en
parallèle deux appellations du même « Dieu », référé aux « pères » du peuple juif puis
à Jésus Christ. Dans le premier segment les pères d’Israël – Abraham, Isaac et Jacob –
- © PUF -
26 janvier 2015 - Revue du 17e siècle n° 261 - Collectif - Revue du 17e siècle - 155 x 240 - page 613 / 770
certitude joye
certitude sentiment
veue joye
10. En effet, chez Pascal, « sentiment » n’appartient pas au domaine des émotions, mais de l’intui-
tion, c’est-à-dire au mode de connaissance du cœur, concurrent de celui de la raison, et non moins cer-
tain que lui : « Les principes se sentent, les propositions se concluent, et le tout avec certitude, quoique
par différentes voies » (S. 142). Je remercie Laurent Susini pour cette précision.
- © PUF -
26 janvier 2015 - Revue du 17e siècle n° 261 - Collectif - Revue du 17e siècle - 155 x 240 - page 614 / 770 26 jan
trouve » puis « se conserve » ; le référent du sujet de ces deux phrases ne peut être autre
que « Dieu » (14) dont le nom n’est pourtant pas repris dans le dernier morceau.
Les morceaux 16-18 et 23-26 sont parallèles. Ce sont d’abord deux segments
bimembres qui traitent de la connaissance de Dieu, par Jésus d’abord (17) puis par
ses disciples (23) ; à la connaissance du « Père » de 17 s’ajoute celle de « celui qu[’il
a] envoyé » (24). La connaissance de Dieu d’abord présentée comme « grandeur de
l’âme humaine » (16) est qualifiée de « vie éternelle » ensuite (23), ce qui semble
marquer un saut qualitatif notable. Dans les seconds segments (18 et 25-26) les mots
répétés, « joye » et « Jésus », sont en rapport de paronomase par leur initiale, qui est
en majuscule pour les trois premières occurrences de « Joye », comme celle des deux
occurrences de « Jésus ». Il eût été possible de récrire 18 sur deux lignes, pour mieux
visualiser le rapport entre les deux segments :
e) L’ensemble du passage
spécialement dans la seconde citation de l’évangile de Jean qui met en parallèle « le seul vrai
Dieu » et « celui que tu as envoyé, Jésus Christ » (23-24) ; déjà dans la première citation
johannique (17) Jésus lui-même dit que c’est lui qui donne la connaissance de Dieu.
+
+ L'an de grace 1654 1
e bre
– Lundy 23 nov. 2
t
:: jour de S Clément Pape et m. et autres au martirologe Romain 3
t
:: veille de S Chrysogone m. et autres &ce. 4
= Depuis environ dix heures et demi du soir 5
= jusques environ minuit et demi 6
FEV 7
----------------------------------------------------------------------------------------------------------
• DIEU D’Abraham. DIEU d’Isaac. DIEU de Jacob 8
non des philosophes et savans. 9
joye
certitude joye certitude sentiment veue 10
• DIEU DE Jesus Christ. 11
DEUM meum et DEUM vestrum. Jeh. 20.17. 12
Ton DIEU sera mon DIEU. Ruth. 13
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 13/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 88.161.83.195)
monde » et « Dieu » (14) : l’« oubli du monde et de tout » est le refus ou l’abandon
du Dieu des philosophes et des savants, tandis que le Dieu auquel Pascal adhère seul
est le « Dieu d’Abraham, Dieu d’Isaac, Dieu de Jacob ». Cette même opposition
peut se lire aussi dans la citation de Jérémie (20) que le lecteur ne saurait manquer
de compléter : « Ils m’ont abandonné, moi la source d’eau vive, pour se creuser des
citernes, des citernes lézardées qui ne tiennent pas l’eau » (Jr 2,13). Elle se lisait déjà
dans la première citation de Jean : « le monde » (comme en 14) ne saurait donner
accès à la connaissance de Dieu, qui est révélée par le seul Jésus Christ (17). Enfin, de
manière pour ainsi dire unilatérale, c’est la même idée qui est reprise aux extrémités
de la troisième partie où il est dit que Dieu « ne se trouve » et « ne se conserve que
par les voies enseignées dans l’Évangile » (15.29).
Le « Feu » par lequel Pascal a été illuminé, qu’il a « vu » (10), est celui de la
« connaissance » de Dieu et de celui qu’il a envoyé (17.23-25). Et c’est ce qui pro-
voque sa joie et ses pleurs (10.18).
Rapports entre les quatre parties – Le mouvement qui, dans la deuxième
partie, porte du « Dieu d’Abraham, Dieu d’Isaac, Dieu de Jacob » (8) au « Dieu de
Jésus Christ » (11), se retrouve dans la partie suivante : de la connaissance du « Père
juste » (17) à celle de « celui que tu as envoyé Jésus Christ » (24-26). Il se retrouve
enfin dans la dernière partie où les « sermones » de Dieu (33) sont mis en relation avec
les commandements de Jésus Christ tels qu’ils sont relayés par le « directeur » (31).
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 13/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 88.161.83.195)
Contexte biblique
11. Sur les 168 mots que compte le corps du Mémorial (datation exclue), 76 sont soit des citations
soit des allusions à l’Écriture, soit 45,25% du texte.
- © PUF -
26 janvier 2015 - Revue du 17e siècle n° 261 - Collectif - Revue du 17e siècle - 155 x 240 - page 618 / 770 26 jan
« Deum meum et Deum vestrum » et « Ton Dieu sera mon Dieu » (12.13) –
Pascal a juxtaposé deux citations dont il donne, dans le parchemin, la référence.
La première est tirée du Nouveau Testament. À Marie Madeleine qui vient de le
reconnaitre après sa résurrection il dit : « va-t’en vers mes frères et dis-leur : «Je monte
vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu» » (Jn 20,17).
La deuxième citation reprend les paroles de Ruth la Moabite qui décide après
la mort de son mari, de suivre sa belle-mère Noémi et de s’attacher ainsi au Dieu
d’Israël : « N’insiste pas auprès de moi pour que je t’abandonne et m’en retourne de
derrière toi, car où tu iras j’irai, où tu logeras je logerai, ton peuple sera mon peuple
et ton Dieu sera mon Dieu » (Rt 1,16). Ruth l’étrangère épouse Booz dont elle a un
fils, Obed, « [c]’est le père de Jessé, père de David » (Rt 4,17). Elle entre ainsi dans la
généalogie de Jésus : « Booz engendra Jobed, de Ruth ; Jobed engendra Jessé ; Jessé
engendra le roi David » (Mt 1,5-6 ; voir Lc 3,31-32).
On retrouve donc dans cette citation double, le rapport, plus explicite encore,
entre Nouveau et Ancien Testament qui avait déjà été noté à propos de la citation
du Buisson.
Dieu de Jésus Christ (11) – Sans être une citation au sens strict, cette expression
rappelle une appellation plus développée que Paul utilise trois fois : « le Dieu et Père de
notre Seigneur Jésus Christ » (Rm 15,6 ; 2Co 1,3 ; Ep 1,3) ; les deux dernières fois sous
forme de bénédiction : « Béni soit le Dieu et Père de notre Seigneur Jésus Christ ».
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 13/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 88.161.83.195)
« Non obliviscar sermones tuos » (33) – Le Mémorial s’achève enfin sur une cita-
tion, en latin, du psaume 119, le grand psaume de la Loi : « En ta Loi je trouve mes
délices, je n’oublie pas ta parole » (v. 16), qui trouve un écho tout au long du psaume :
« je n’oublie pas ta Loi » (v. 61, 109 et 153), « tes volontés » (v. 83), « tes préceptes »
(v. 141 ; au futur, v. 93 : « jamais je n’oublierai tes préceptes ») et qui est repris en
finale : « J’erre comme une brebis perdue ; cherche ton serviteur, car tes comman-
dements je ne les oublie pas » (v. 176).
Cette citation est sans doute à mettre en rapport avec les allusions dont il vient
d’être question dans le paragraphe précédent. En effet, « oublier Dieu » c’est s’en
séparer : « Tout cela nous advint sans t’avoir oublié, sans avoir trahi ton alliance, sans
que nos cœurs soient revenus en arrière, sans que nos pas aient quitté ton sentier »
(Ps 44,18-19 ; voir aussi Ps 13,2). Et quand il est dit que Dieu oublie son peuple, c’est
qu’il le rejette : « Et pourtant, tu nous as rejetés et bafoués » (Ps 44,10), « Pourquoi
caches-tu ta face, oublies-tu notre oppression, notre misère ? » (idem, v. 25).
Interprétation
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 13/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 88.161.83.195)
Nouveau. L’affirmation que Dieu « ne se trouve » et « ne se conserve que par les voies
enseignées dans l’Évangile » (15.29) pourrait donner l’impression que l’Évangile suf-
fit à lui seul et que la Torah et tout l’Ancien Testament sont désormais dépassés par
lui. Ce serait cependant se méprendre que de comprendre « l’Évangile » comme une
désignation des quatre livres du Nouveau Testament qui portent ce titre. L’Évangile
est « la bonne nouvelle de la grâce de Dieu » (Ac 20,24), cette « grâce » apportée
Jésus Christ par laquelle les promesses contenues dans la Loi, les Prophètes et les
Écrits s’accomplissent. La deuxième partie n’oppose pas le « Dieu d’Abraham... » au
« Dieu de Jésus Christ », comme si c’était un autre Dieu, et le fait que Jésus reprenne
les paroles de Ruth (12-13) laisse bien entendre que son Dieu est le même que celui
de son aïeule. Déjà, du reste, la toute première citation, « Dieu d’Abraham, Dieu
d’Isaac, Dieu de Jacob » renvoyait en même temps au livre de l’Exode et à chacun
des trois évangiles synoptiques ainsi qu’au Actes des apôtres. Il en va de même dans
la troisième partie, où les citations et allusions du Nouveau Testament et celles de
l’Ancien s’entrecroisent. Et de même, enfin, dans la dernière partie, à l’occasion
de la citation finale du Ps 119, où Pascal, en reprenant à son compte l’engagement du
psalmiste envers Dieu, « non obliviscar sermones tuos », promet de se soumettre tota-
lement à Jésus Christ et aux paroles de son directeur qui le représente.
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 13/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 88.161.83.195)
Réécritures
Le lecteur n’aura pas manqué de remarquer l’importance de la « réécriture » dans
la démarche de l’analyse rhétorique biblique. Plus qu’un simple procédé pédago-
gique, elle représente un instrument indispensable pour concrétiser visuellement
- © PUF -
26 janvier 2015 - Revue du 17e siècle n° 261 - Collectif - Revue du 17e siècle - 155 x 240 - page 621 / 770
13. La division de ces deux lignes est différente dans la version papier : « seul vray / Dieu et celui »
au lieu de « qu’ils te connaissent / seul vray Dieu », d’où l’on comprend bien que ces divisions étaient
imposées par la place dont disposait le scripteur.
- © PUF -
26 janvier 2015 - Revue du 17e siècle n° 261 - Collectif - Revue du 17e siècle - 155 x 240 - page 622 / 770 26 jan
des meilleures manières de se l’approprier, non seulement par les yeux comme on le
fait trop souvent, mais aussi par la main. Les yeux sont l’organe de la contemplation,
pour Pascal celui de la vision fulgurante de la nuit de feu ; la main de l’artisan, qui
empoigne ses outils, assure aussi un contact non pas intellectuel mais charnel avec
l’objet qu’elle manipule, elle est en définitive l’organe de la caresse amoureuse. Pour
ce qui concerne la Bible, la réécriture n’assure rien moins que le contact direct avec
Dieu lui-même :
Chaque homme en Israël a le devoir d’acquérir un Séfer Tora ; et s’il l’écrit lui-
même, il est digne d’éloges. Nos Sages n’ont-ils pas dit : s’il l’a écrit lui-même, c’est
comme s’il l’avait reçu au Sinaï14 ?
Roland Meynet sj
Université grégorienne de Rome
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 13/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 88.161.83.195)
14. Sefer Ha-Hinnuk. Le Livre des 613 commandements : les bases de l’éducation juive (1ère éd. 1973),
trad. Robert Samuel, Paris, Comptoir du livre de Keren Hasefer, 1986, p. 508. Voir Traité de rhéto-
rique biblique, op. cit., p. 342-344.