La Loi Des Douze Tables
La Loi Des Douze Tables
La Loi Des Douze Tables
constitue le premier corpus de lois romaines écrites. Leur rédaction est l'acte fondateur du ius scriptum,
le droit écrit. Le corpus est rédigé par un collège de décemvirs entre 451 et 449 av. J.-C. L'apparition de
ces lois écrites marque une certaine laïcisation du droit romain, par rapport au ius oral pratiqué
auparavant.
Après un long conflit politique de neuf années, selon Tite-Live, trois représentants romains se rendent
à Athènes en 453 av. J.-C. afin de transcrire les lois de Solona 2. Les historiens modernes considèrent
toutefois que ce voyage n'a en fait jamais eu lieu mais reconnaissent que le projet romain a été
fortement influencé par l'isonomie propre à la démocratie athénienne et issu des réformes
clisthéniennes de 508 av. J.-C.1.
« La cité se trouva en effet face à deux hypothèses [...] d'organisation normative et d'ordonnancement
social, deux modèles alternatifs de souveraineté, pourrions-nous dire : l'un fondé sur le paradigme,
spécifiquement romain, du ius ; l'autre sur celui, grec et méditerranéen, de la lex. On peut sans abus
affirmer que le conflit eut des conséquences incalculables : de lui dépendit l'invention de la "forme
droit" dans le parcours de l'Occident. »
À leur retour supposé d'Athènes et des villes grecques d'Italie du suda 3, une commission extraordinaire,
les décemvirs législatifs à pouvoir consulaire (decemvir legibus scribundis consulari imperio), est créée
pour rédiger les lois (leges). Nommés pour un an, ils sont munis de l'imperium consulairea 4,2.
Les tables auraient été rédigées en deux fois, les dix premières en 450 av. J.-C. et les deux dernières
en 449 av. J.-C. Selon Strabon, les décemvirs romains ont été aidés dans la rédaction des douze tables
par Hermodore, un Éphésien, ami d'Héraclite d'Éphèse. Elles sont publiées la seconde année sur
le Forum Romain sur douze tables en bronzen 1. La seconde commission de décemvirs aurait tenté de
maintenir son pouvoir absolu, mais devant la sécession de la plèbe, retirée sur le Mont Sacré, et le
soulèvement de l'armée, elle aurait été contrainte à la démissiona 5. Certaines études
modernes3 remettent en cause ce récit : le second décemvirat ne serait jamais survenu et c'est celui
de 451 av. J.-C. qui aurait inclus tous les points controversés de la loia 6.
Selon les annalistes de l'époque augustéenne, les nouvelles lois dites « des Douze Tables » auraient été
approuvées par les comitia curiata. Les historiens modernes réfutent toutefois ce récit, considérant qu'il
s'agit d'une interprétation rétrospective qui fait remonter jusqu'à la Rome monarchique, voire
jusqu'à Romulus, le modèle républicain de la relation entre la lex et les comices4. L'inspiration grecque
est difficilement contestable, les sources concordant sur ce point : l'historien grec Denys
d'Halicarnasse évoque une double influence des lois grecquesn 2 et des coutumes romaines non écrites
(mos maiorum)a 7. Elle se manifeste principalement dans l'apparition de la peine compensatoire.
Ni le texte complet, ni les six livres de commentaires faits par le juriste Gaius ne nous sont parvenus5. Le
texte original a probablement été détruit lors du sac de Rome de 390 av. J.-C., mais il nous est connu de
façon indirecte, notamment par le jurisconsulte Sextus Aelius Paetus Catus. Le texte a été reconstitué
par le biais de 230 mentions par des auteurs romains, collectées et discutées depuis la Renaissance5. Les
citations faites par des auteurs latins de ce texte ont néanmoins permis une reconstitution dont
l’authenticité n’est aujourd’hui plus contestée6,7.
On parle parfois de « codification et de laïcisation du droit », qui passe de ce qui est permis par
la religion à ce qui relève du « droit civil » (ius civile)8. La plus grande partie des lois est en effet
consacrée au « droit privé » (ius privatum) et à la procédure civile (le lege agere (it)) : il ne s'agit en
aucun cas d'une « charte constitutionnelle » ou d'une organisation des pouvoirs publics. Une partie
importante concerne les crimes et les peines.
En fait, les spécialistes s'accordent à souligner les différences majeures séparant ce texte d'un code de
loi au sens moderne. Toutefois, on observe bien un passage du ius non-écrit, incarné par
les responsa orales des pontifes, à la loi écrite (lex), donc publique et « laïque », au sens que l'écriture de
ces lois vise à amoindrir le rôle religieux des pontifes9. L'idée de mettre par écrit le droit est en effet liée
à l'idéal grec d'isonomie, c'est-à-dire d'égalité devant la loi, issu des réformes clisthéniennes de 508 av.
J.-C., et au fondement de la démocratie athénienne1. Ces réformes conduisent à l'éloignement du
concept de nomos vis-à-vis du thesmos et de la themisn 3. Le nomos prend son sens moderne d'une loi
dictée par la politique, d'un dispositif unifiant la loi, l'écriture et la « laïcité »10. La lex vient ainsi traduire
ce sens moderne du nomos, par opposition au ius ancien et secret10.
Les historiens modernes constatent toutefois que la séparation avec la religion n’est pas totale, car la loi
contient encore des prescriptions rituelles sur les funérailles ou des traces du châtiment par la
consécration aux dieux : « Si un patron commet une tromperie à l’égard d’un client, qu’il soit homo
sacer »a 8. Ils soulignent néanmoins l’effort de modernisation et même de laïcisation par rapport aux lois
de l’époque royale. À la condamnation divine se substitue la réparation, si possible convenue entre les
parties11.
Pour les crimes politiques, la loi impose une nouvelle procédure, menée sous l'instruction
des questeurs (comissia). Une des dispositions de la loi a fait débat par son excès. Le débiteur de
plusieurs créanciers peut, selon certains, être découpé en autant de morceaux que de créanciers (partes
secanto)a 9. Mais la disposition n'aurait que peu, voire jamais, été appliquée en raison de son manque
d'intérêt évident pour les créanciers.
Elle n’apporte enfin aucune satisfaction aux revendications agraires de la plèbe, ni aucun avantage
politique concret, comme l’accès aux magistratures.
Malgré ce premier succès de la plèbe, le projet de la « loi des Douze Tables » échoue finalement. Les
prêtres, qui doivent désormais interpréter le ius en fonction de ces lois écrites, enferment le texte dans
un réseau complexe d'interprétations, faisant prévaloir le responsum sur la lex12. De nouveau, le savoir
des experts s'impose, en s'appuyant sur un modèle jurisprudentiel, au détriment d'un accès immédiat
aux lois publiques, conduisant ainsi vers un système oligarchique12.
Transcription Traduction
si in ius vocat, ito. ni it, Si l'on cite quelqu'un en justice, qu'il y aille. S'il
antestamino. igitur em n'y va pas, que l'on appelle des témoins.
capito.a 11,a 12 Seulement ensuite, qu'on le capture.
si calvitur pedemve struit,
S'il esquive ou fuit, qu'on le capture.
manum endo iacito.a 13
assiduo vindex assiduus esto. Qu'à un propriétaire foncier soit garant un autre
proletario iam civi quis volet propriétaire foncier. Qu'à un prolétaire soit
vindex esto.a 15 garant n'importe quel citoyen qui le veut bien.
nex ... forti sanati ... — nexo Que ceux qui sont engagés
solutoque, forti sanatique (par nexum ou mancipium) et ceux qui sont
idem jus esto.a 16 dégagés aient le même droit.
post meridiem praesenti litem Après midi, qu'on adjuge l'objet du litige à celui
addicito.a 17,a 18,a 19 qui est présent.
at si de libertate hominis
controversia erat, tamen ut L S'il y a controverse sur la liberté d'un
assibus sacramento individu, l'enjeu est limité à 50 as.
contenderetur.a 23
Selon Gaius, concernant l'« action en pétition de juge », la procédure est plus ou moins la suivante :
« "Je dis que, en vertu de ton engagement, tu dois me donner 10 000 sesterces. Je te demande si tu
l'admets ou le nies." Si l'adversaire affirmait ne rien devoir, le demandeur disait alors : "Puisque tu nies,
je te prie, préteur, de désigner un juge ou un arbitre." Ainsi dans ce genre d'action, on pouvait nier sans
s'exposer à une pénalité. La même loi prescrivit d'employer cette procédure en matière de partage de
succession [...] »
Tite-Live, dans son récit de l'épisode de Verginia en 449 av. J.-C., précise que la liberté provisoire existe
en vertu de la loi des Douze Tables, seule loi alors existante :
« Les défenseurs de Virginie [...] demandent au décemvir [Appius Claudius Sabinus] [...] selon la loi
d'accorder la liberté provisoire. »
ni iudicatum facit aut quis endo S'il n'exécute pas le jugement ou si personne
eo in iure vindicit, secum ducito, ne se porte garant pour lui en justice, que le
vincito aut nervo aut compedibus créancier l'emmène avec lui, l'attache avec
XV pondo, ne maiore aut si volet une corde ou avec des chaînes d'un poids
minore vincito.a 25 minimum de 15 livres, davantage s'il le veut.
cito necatus insignis ad Que soit vite tué l'enfant atteint d'une
deformitatem puer esto.a 28 difformité manifeste.
si pater filium ter venum duit, Si le père vend <loue> trois fois son fils, que le
filius a patre liber esto.a 29,a 30 fils soit libéré de son pèren 4.
concepisset in decem mensibus L'enfantement doit avoir lieu dans les dix
gigni hominem.a 32 mois.
« L'enfant qui est encore dans le sein de sa mère est admis à la succession ab intestat [...] L'enfant né
après les dix mois de la mort de son père n'est point admis à sa succession légitime. »
si adgnatus nec escit, gentiles S'il n'y a pas d'agnats, que les membres de la
familiam habento.a 37 gens héritent.
quibus testamento ... tutor datus Si le testament ne désigne pas de tuteur, les
non sit, agnati sunt tutores.a 38 agnats deviennent tuteurs.
si furiosus escit, adgnatum Si quelqu'un est fou furieux et qu'il n'a pas
gentiliumque in eo pecuniaque de gardien, son agnat le plus proche a
eius potestas esto. l'autorité sur lui et son patrimoine.
... ast ei custos nec escit ...a 39 ... mais il n'y aura pas de gardien pour lui ...
ea, quae in nominibus sunt, ... Les dettes passives et actives du défunt ne
ipso iure in portiones hereditarias sont point divisibles, car elles sont de plein
divisa sunt.a 42 droit divisées en portions héréditaires.
Table VI : biens
tignum iunctum aedibus vineave sei Nul ne doit détacher les poutres des
concapit ne solvito.a 48 bâtiments ou des vignes d'autrui.
si aqua pluvia nocet ... iubetur ex Si l'eau pluviale <d'une autre propriété>
arbitrio coerceri.a 51 cause des dommages <à un
propriétaire> ... <le propriétaire> peut en
appeler à un juge.
ut XV pedes altius rami arboris Que les arbres soient élagués jusqu'à 15
circumcidantur.a 53 pieds.
... res capite ... si quis ... peine capitale ... pour celui qui a soit récité
occentavisset sive carmen publiquement, soit composé des vers, qui
condidisset, quod infamiam attireraient sur autrui le déshonneur ou
faceret flagitiumve alteri.a 57 l'infamie.
manu fustive si os fregit libero, Si quelqu'un casse les os d'un autre à la main
CCC, si servo, CL poenam subito ou grâce à une massue, que la peine soit de
si iniuriam faxsit, viginti quinque 300 sesterces, si c'est un esclave, 150, s'il a fait
poenae sunto.a 60 un simple mal, vingt-cinq.
Transcription Traduction
Transcription Traduction
adversus eum, qui hostiam emisset nec Contre celui qui aurait acheté un
pretium redderet ; item adversus eum, animal sans en acquitter le prix ;
qui mercedem non redderet pro eo contre celui qui ne paierait pas la
iumento, quod quis ideo locasset, ut somme afférente à la bête donnée en
inde pecuniam acceptam in dapem, id location, à cette condition que l'argent
est in sacrificium, impenderet.a 62 retiré fût employé à une offrande.
Sommaire
1. Les facteurs et fondements de cette première source de droit écrit qu'est la loi des Douze
Tables
Extraits
[...] Dès cette date, Rome entre dans une période d'apogée où de nombreuses sources de droit
apparaissent. Avant tout, comprenons que les Patriciens ne sont pas la seule population de Rome même
s'ils sont considérés comme la descendance de ses pères fondateurs ; les Plébéiens sont à leur côté,
mais, comme nous avons pu le comprendre, sont écartés de la République et ne sont que partiellement
citoyens. Dans cette dynamique, en quoi la loi des Douze Tables sera-t-elle capitale et tant vénérée par
les Romains ? [...]
[...] Par ailleurs, le droit prétorien qui a été avec la jurisprudence la source du droit la plus importante à
la fin de la République est lui aussi dû à la loi des Douze Tables puisqu'il en a une évolution. En effet,
l'édit du préteur accorde de nouveaux pouvoirs tels que le fait d'ouvrir des actions pour des cas
nouveaux. Une nouvelle procédure, plus simple et plus moderne, s'en inspire également puisqu'elle sera
écrite. Pour toutes ces raisons, la loi des Douze Tables est belle est bien vénérée par les Romains et ce, à
juste titre puisqu'elle a été capitale dans l'histoire du droit. [...]
[...] Un des pontifes devait alors interpréter la volonté divine pour décider si oui ou non il ouvrait une
action afin que le citoyen soit jugé. Ainsi comprenons-nous qu'avant la loi des Douze Tables, le droit
romain était un droit religieux : le FAS. Ces pontifes interprétaient des augures, des signes des dieux, et
elles n'étaient en rien ni rationnelles, ni justes. D'autant plus que ce FAS n'était pas publié et qu'il était
naturellement inconcevable pour eux que les citoyens en aient connaissance. [...]
[...] En effet, elles contiennent deux principaux types de disposition à savoir dans un premier temps les
règles de procédures pour faire valoir son droit en justice suivie de quelques droits consacrés. La
première table est ainsi fondamentale puisqu'elle porte sur les éléments qui permettent aux consuls de
déterminer s'ils doivent ouvrir ou non une action ; le verbe devoir est bien en accord avec les principes
vus en partie les consuls n'ayant aucune alternative possible. On peut citer la première partie de la table
I : Si quelqu'un est cité en justice, qu'il y aille. S'il n'y va pas, que l'on appelle des témoins. Ensuite qu'on
s'en saisisse. [...]
[...] Ainsi est née la jurisprudence, ce que nous appelons aujourd'hui la doctrine. La loi des Douze Tables
a donc en ce sens apporté bien plus que davantage de clarté et de justice : elle a permis aux auteurs de
réfléchir sur le droit, de le faire sans cesse évoluer, de l'améliorer. La loi étant formulée sous la forme de
règles générales, ils vont imaginer des solutions en l'interprétant et chaque nouveau cas pourra être pris
en compte par la justice. [...]
Résumé du document
En relatant le fait que, plus de trois siècles après la publication de la loi des Douze Tables, les écoliers
l'apprenaient encore par cœur, Cicéron nous illustre tout le prestige ainsi que l'importance qu'elle a pu
avoir aux yeux des Romains.
En -509, le Royaume, dont les Romains se souviendront quasi exclusivement de la tyrannie des rois,
prend fin. Et pour cause, le dernier Roi, Tarquin le Superbe, est chassé par le Sénat qui se jure de ne plus
jamais accepter la présence d'un roi, quel qu'il soit. Il crée ainsi la Respublica, la République, où tous les
pouvoirs sont organisés à son profit, c'est-à-dire au profit des Patriciens. Dès cette date, Rome entre
dans une période d'apogée où de nombreuses sources de droit apparaissent.
Avant tout, comprenons que les Patriciens ne sont pas la seule population de Rome même s'ils sont
considérés comme la descendance de ses pères fondateurs ; les Plébéiens sont à leur côté, mais, comme
nous avons pu le comprendre, sont écartés de la République et ne sont que partiellement citoyens.
commentaire
de la loi des XII Tables : a) les principes généraux et le contenu de la loi des XII Tables. Cette loi permet
tout d'abord de fixer la règle de droit qui jusque là était un droit coutumier. Désormais, le droit est écrit
et la loi des 12 tables permet de parvenir au concept de l’abstraction de la règle de droit. Cela signifie
que le droit à un caractère général et qu’il s’applique à un nombre indéterminé de cas et à personne en
particulier. Selon tous les spécialistes, l’étape de
de payer la somme promise ou d’acquitter la peine fixée par la loi, qui faisait
Le perdant devra alors s’acquitter de sa faute vis à vis de son cocontractant lésé.
d’autres procédures.
La condictio est une procédure dite des actions de la loi, mais elle est née bien
après la loi des Douze Tables. Elle fonctionne comme les précédentes sur l’absolue
La iudicis arbitrive postulatio est une création des décemvirs. Elle intervient pour
sanctionner des stipulations, et la litis contestatio y est aussi une phase centrale.
Mais elle intervient beaucoup plus tôt, il n’est pas nécessaire de procéder à un défi,
un pari juré. Après les affirmations contradictoires, les parties sollicitent directement
de la part du magistrat la désignation d’un juge pour trancher le litige. Le juge n’est
La pignoris capio ou prise de gage est une procédure d’exécution. La loi dans
La manus injectio est une contrainte par corps. Elle est utilisée pour contraindre le
alors se saisir du débiteur, qui peut alors soit s’exécuter, soit être aidé par un
aide, le consul prononce l’addictio : cela signifie que le débiteur est remis au
créancier. Il le garde enchainé pendant soixante jours, période durant laquelle il doit
trois fois emmener son débiteur pour susciter sa libération. L’idée est celle d’un
rachat de la dette par un citoyen. Si à la fin de cette période, personne n’a souhaité