Infectiologie en Réanimation

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Sous la direction de

Pierre Charbonneau et Michel Wolff

Infectiologie
en réanimation

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SRLF
Références
en réanimation
Infectiologie en réanimation
Springer
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Pierre Charbonneau
Michel Wolff

Infectiologie
en réanimation

Springer
Pierre Charbonneau
Service de réanimation médicale
CHU de Caen
Avenue Côte-de-Nacre
14033 Caen

Michel Wolff
Service de réanimation médicale et des maladies infectieuses
Hôpital Bichat-Claude Bernard
AP-HP, Université Paris-Diderot Paris-7
46, rue Henri-Huchard
75877 Paris cedex 18

ISBN 978-2-8178-0388-3 Springer Paris Berlin Heidelberg New York


ISSN : 2115-8509

© Springer-Verlag France, Paris, 2013

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La maison d’édition décline toute responsabilité quant à l’exactitude des indications de


dosage et des modes d’emplois. Dans chaque cas il incombe à l’usager de vérifier les
informations données par comparaison à la littérature existante.

Maquette de couverture : Jean-François Montmarché


Mise en page : Nord Compo Villeneuve d’Ascq
Sommaire

Préface ....................................................................................... vii


P. Sansonnetti

I - BACTÉRIOLOGIE, IMMUNOLOGIE ET PHARMACOLOGIE APPLIQUÉES À L’INFECTIOLOGIE


EN RÉANIMATION
1. Les défenses de l’organisme et immunité innée .......................... 3
J.-M. Cavaillon
2. Prédisposition génétique et sepsis............................................. 23
G. Geri, A. Bouglé, C. Rousseau, J.-P. Mira
3. Évolution des résistances bactériennes en réanimation ................ 37
V. Cattoir, R. Leclercq
4. Prévention de l’émergence ou de l’acquisition
des résistances en réanimation.................................................. 55
J.-C. Lucet, G. Birgand
5. Méthodes diagnostiques rapides des sepsis sévères en réanimation 71
S. Bonacorsi, P. Bidet, E. Bingen
6. Objectifs PK/PD et adaptation posologique des antibiotiques
chez le patient de réanimation : vers une approche pratique ........ 83
O. Petitjean, R. Gauzit
7. De la bonne utilisation des antifongiques
systémiques en réanimation ..................................................... 105
J.-F. Timsit, L. Potton, M. Lugosi, C. Minet, R. Hamidfar-Roy,
C. Ara-Somohano, A. Bonadona, C. Schwebel
8. Les thérapeutiques infectieuses non antibiotiques ...................... 121
E. Kipnis, R. Dessein, K. Faure, B. Guery
9. Place des biomarqueurs pour le diagnostic
et le suivi des infections en réanimation .................................... 135
C. Daubin, A. Seguin, X.Valette

II - PATHOLOGIES INFECTIEUSES SÉVÈRES LES PLUS FRÉQUENTES EN RÉANIMATION


10. Méningites purulentes et méningoencéphalites
graves (à l’exclusion des patients immunodéprimés) ................... 145
M. Wolff, R. Sonneville
11. Pneumonies communautaires graves......................................... 169
O. Leroy, P.Y. Delannoy, N. Boussekey, A. Meybeck, A. Chiche, H. Georges
vi Infectiologie en réanimation

12. Grippe sévère ......................................................................... 185


N. Bréchot, C.-E. Luyt, J.-L. Trouillet, J. Chastre, A. Combes
13. Endocardites en réanimation ................................................... 203
P. Charbonneau
14. Péritonites communautaires .................................................... 221
T. Clavier, Ph. Gouin, B. Veber
15. Les infections sévères de la peau et des parties molles.................. 237
D. Mathieu
16. Choc septique ........................................................................ 255
F. Daviaud, F. Pène
17. Infections fongiques sévères en réanimation .............................. 273
N. Lerolle, P. Parize et O. Lortholary
18. Pathologies Infectieuses d’importation en réanimation ............... 305
P. Tattevin, F. Bruneel

III - PATHOLOGIES NOSOCOMIALES ET/OU LIÉES AUX SOINS


19. Complications infectieuses intracrâniennes postopératoires ........ 331
A.-M. Korinek
20. Infections postopératoires : médiastinites .................................. 353
J.-L. Trouillet
21. Infections intraabdominales postopératoires ............................. 371
P. Montravers, P. Mascitti, I. Balcan
22. Infections ostéoarticulaires (IOA) en réanimation ...................... 393
E. Senneville, S. Nguyen, H. Dézéque, E. Beltrand, H. Migaud
23. Pneumonies acquises sous ventilation mécanique ....................... 407
J.-L. Trouillet, C.-E. Luyt, A. Combes, J. Chastre
24. Infections de cathéters intravasculaires en réanimation ............... 423
C. Brun-Buisson, J.-J. Parienti
25. Infections digestives à Clostridium difficile :
diagnostic et traitement........................................................... 441
F. Barbut, J.-L. Meynard, É. Maury, L. Surgers, C. Eckert

IV - INFECTIONS CHEZ LES PATIENTS IMMUNODÉPRIMÉS EN RÉANIMATION


26. Stratégie diagnostique devant une insuffisance respiratoire aiguë
chez un patient d’oncohématologie admis en réanimation .......... 463
D. Schnell, É. Azoulay
27. Infections chez les patients neutropéniques ............................... 491
B. Gachot, F. Blot, É. Chachaty
28. Prise en charge des infections
chez les adultes transplantés d’organe(s) ................................... 503
F. Schneider, M. Guillot, M.-C. Chomette, N. Douiri,
J.-É. Herbrecht, M. Diouf, S. Kremer*, T. Lavigne, P. Lutun
Préface

L’infection est l’ennemi premier du réanimateur. Outre les infections


graves admises en réanimation, les patients qui y sont hospitalisés sont
ultrasensibles au risque infectieux nosocomial : manœuvres invasives,
immunosuppression, déficits organiques complexes, âge parfois avancé.
Tout concourt à faire de ces patients une cible privilégiée pour des micro-
organismes dont la pathogénicité n’est pas nécessairement évidente chez
un individu sain. On parlait de microbes opportunistes, on emploie de
plus en plus le terme de pathobiontes. Une zone grise entre pathogènes
bona fide, dotés de tout l’arsenal génétique et moléculaire pour engager
l’hôte et manipuler ses défenses immunitaires et le symbiote commensal.
Ces pathobiontes, entérocoques, entérobactéries, pseudomonadacées,
moraxellacées, familles présentes en faibles effectifs au sein des flores
comme le microbiote intestinal ou respiratoire, éventuellement originaires
de l’environnement, jouent sans doute un rôle positif dans l’homéostasie de
l’interface hôte-microbe. Ils imposent une pression mesurée sur l’immunité
innée assurant un niveau « d’inflammation physiologique » qui représente
l’état de veille anti-infectieuse du système immunitaire. Des défaillances
locales ou systémiques de l’immunité vont permettre à ces pathobiontes de
prévaloir en accédant au statut de pathogène. Tout est affaire de co-évolution
contrariée par des événements de rupture. Circonstance aggravante, la
multirésistance aux anti-infectieux culmine dans l’environnement de
réanimation. Elle est son « épicentre », dit Christian Brun-Buisson. Pour
de multiples raisons, ces pathobiontes sont volontiers résistants, voire
multirésistants. Inefficace sur certains de ces micro-organismes et délétère
pour le microbiote dominant qui assure leur contrôle, un cercle vicieux
parfois inextricable s’engage où l’antibiotique devient à la fois l’agresseur
et la victime. Même si son contrôle s’est considérablement amélioré ces
dernières années par un effort collectif exemplaire, la multirésistance
demeure une préoccupation majeure, en particulier pour les bactéries à
Gram négatif, ainsi que pour les champignons et les levures. Un exemple,
l’infection par Acinetobacter baumannii qui illustre et résume à elle seule la
complexité de la confrontation du réanimateur au risque infectieux.
« Celui qui ne connaît ni son ennemi ni lui-même sera en danger à chaque
combat », écrit Sun Zi dans L’art de la guerre.
Infectiologie en réanimation est une superbe illustration de cet adage de
la philosophie de la stratégie guerrière adaptée à la lutte anti-infectieuse.
« Connais ton ennemi » : cet ouvrage traite en effet en détail des aspects
fondamentaux des micro-organismes, de leur diagnostic, de l’état et des
mécanismes de leur résistance. « Connais-toi toi-même » : cet ouvrage
viii Infectiologie en réanimation

envisage aussi l’hôte infecté, ses défenses, sa prédisposition génétique


aux insuffisances et aux dérapages de ces défenses, causes de sepsis. Sur
ces bases fondamentales, les principales situations cliniques où se joue
cette confrontation sont envisagées, décrites, analysées, sous l’angle
parfois spécifique qu’imprime le contexte de la réanimation. L’ensemble
produit un véritable ouvrage de référence d’infectiologie moderne,
intégrant clinique, physiopathologie moléculaire, diagnostic, prévention,
thérapeutique, d’intérêt pour le fondamentaliste comme pour le clinicien
qu’il est essentiel de coaliser dans ce combat contre le risque infectieux.

Philippe Sansonetti
Professeur au Collège de France
Professeur à l’Institut Pasteur
I

Bactériologie,
immunologie
et pharmacologie
appliquées
à l’infectiologie
en réanimation
Les défenses de l’organisme et immunité innée
1
J.-M. CAVAILLON

Introduction

En 2011, le prix Nobel de physiologie ou de médecine était décerné


à Ralph Steinman pour sa découverte des cellules dendritiques, élé-
ments clés de l’immunité adaptative, et à Jules Hoffman et Bruce Beut-
ler pour leurs travaux sur les récepteurs cellulaires de l’immunité innée.
Cette reconnaissance des deux volets de l’immunité est réminiscente du
prix Nobel accordé en 1908 à Élie Metchnikoff et à Paul Ehrlich, en
récompense respectivement de leurs travaux sur l’immunité cellulaire et
l’immunité humorale. En effet, l’immunité est classée en deux grands
domaines : l’immunité innée et l’immunité adaptative, toutes deux im-
pliquant des acteurs cellulaires et des facteurs humoraux. L’immunité
adaptative, antérieurement qualifiée d’immunité spécifique, est néces-
saire pour le contrôle des infections de longue durée et pour la mise
en place d’une mémoire immunologique sur laquelle s’appuie la vacci-
nation. Longtemps, l’immunité innée fut qualifiée d’« immunité non
spécifique », une formulation négative qui reflétait alors le faible intérêt
pour ce volet de l’immunologie. Mais ces dernières années, ce domaine
a fait l’objet d’un renouveau, en particulier, suite à la découverte des
Toll-like receptors (TLR) et des Nod-like receptors (NLR). Ces récepteurs
(Pattern recognition receptors, PRR) reconnaissent spécifiquement des
déterminants microbiens nommés pathogen-associated molecular pat-
terns (PAMP). Par conséquent, le concept d’immunité non spécifique
n’est plus approprié pour définir l’immunité innée. Charles Janeway, en
cherchant à redéfinir le système immunitaire, s’interrogea sur le bien-
fondé de la discrimination que ferait le système immunitaire entre soi et
J.-M. Cavaillon
Unité cytokines et inflammation
Institut Pasteur
28 rue Dr Roux
75015 Paris
E-mail : [email protected]
Sous la direction de Pierre Charbonneau et Michel Wolff, Infectiologie en réanimation.
ISBN : 978-2-8178-0388-3, © Springer-Verlag Paris 2013
3
4 Infectiologie en réanimation

non-soi. Il mit en exergue que s’il en était ainsi, on devait alors s’interro-
1 ger sur la nécessité d’utiliser des adjuvants pour initier une réponse im-
munitaire décente. Il qualifia alors les adjuvants de « sales petits secrets
des immunologistes » [1]. De son côté, Polly Matzinger offrit quelques
réflexions supplémentaires pour réviser la définition de l’immunologie.
Elle suggéra que l’objectif du système immunitaire n’était pas de faire
la distinction entre le soi et le non-soi, mais plutôt de reconnaître et de
réagir à des signaux de danger délivrés par l’organisme. Ces signaux de
danger découleraient de l’action des agents pathogènes sur l’organisme.
Elle proposa son modèle des « 4 D » du danger : distress, damage, des-
truction and death [2]. Néanmoins, sa perception des signaux de danger
interne, aujourd’hui connu sous l’acronyme de DAMP, pour damage
associated molecular patterns et la reconnaissance des PAMP ne sont pas
forcément contradictoires, puisque DAMP et PAMP partagent souvent
les mêmes récepteurs (fig. 1).

Fig. 1 – Les produits microbiens libérés lors d’une infection et les molécules de danger
endogènes libérées lors de lésions tissulaires et par les cellules nécrotiques initient la
réponse immunitaire innée au site de l’agression, suite à leur reconnaissance par des récep-
teurs spécifiques.

L’immunité innée peut être décrite comme un processus de synergie entre


les réponses humorale et cellulaire, aidée et contrôlée par les cytokines.
Immunité innée et réponse inflammatoire sont deux processus extrême-
ment intriqués visant à éliminer l’agent pathogène de la manière la plus
efficace possible. Lorsqu’un microbe pénètre pour la première fois dans un
organisme, il est confronté à la réponse humorale, dont les anticorps natu-
rels et le système du complément sont les principaux éléments. L’interac-
Les défenses de l’organisme et immunité innée 5

tion des bactéries avec le C3, le C1q, ou la lectine liant le mannose (MBL)
active respectivement les voies alterne, classique ou des lectines du com-
plément. Ces trois façons d’initier la cascade du complément conduisent
à la lyse de l’agent pathogène. En outre, les microbes sont aussi confrontés
aux réponses d’une grande variété de cellules. Les cellules natural killer
(NK) sont spécialisées dans la lutte contre les virus pathogènes et peuvent
lyser les cellules infectées grâce à leur sécrétion de perforine et granzyme.
Les macrophages et les neutrophiles identifient les agents pathogènes
grâce à leurs PRR, les phagocytent et initient la cascade inflammatoire. La
réponse inflammatoire conduit à la production et à la libération de com-
posés antimicrobiens comme les défensines et le surfactant pulmonaire,
et à la production de radicaux libres, de cytokines et de chémokines. Les
cytokines jouent un rôle non seulement au sein du foyer infectieux, mais
aussi de façon endocrine. Ainsi, les cytokines stimulent l’hématopoïèse
au niveau de la moelle osseuse, induisent la fièvre via leur action sur le
système nerveux central, et initient la production des protéines de phase
aiguë de l’inflammation par le foie (fig. 2).

Fig. 2 – Les différentes étapes de la réponse contre les pathogènes microbiens. Au cours du
processus infectieux, les agents pathogènes sont détectés par les composants humoraux
(système du complément, anticorps naturels). En outre, les leucocytes reconnaissent des
motifs moléculaires spécifiques des micro organismes (PAMP), initiant ainsi la réponse immu-
nitaire innée. La phagocytose est impliquée, les peptides antimicrobiens sont produits et
les cytokines sont sécrétées. Ces dernières contribuent à une réponse locale et systémique,
agissant sur les phagocytes, les endothéliums, la moelle osseuse, le système nerveux central
et le foie (Adapté de Kapetanovic R. et Cavaillon J-M., Expert. Opin. Biol. Ther. 2007, 7, 907).
6 Infectiologie en réanimation

1 Les composants de la réponse humorale

Dès 1890, Richard von Behring et Shibasaburo Kitasato concluent


que le sérum d’animaux immunisés avec la toxine diphtérique contient
une antitoxine qui peut en neutraliser l’action [3]. Cette protection
peut être transmise passivement à des animaux non immunisés. Paul
Ehrlich a ensuite compris l’intérêt de ces molécules sériques pour dé-
truire les microbes, et va proposer les fondements de sa théorie des
chaînes latérales [4]. C’est encore Ehrlich qui propose le terme de
complément pour nommer l’activité bactériolytique du sérum décrite
par Richard Pfeiffer en 1894, et l’activité hémolytique décrite par Jules
Bordet en 1898.

Les anticorps naturels


Contrairement à d’autres anticorps, les anticorps naturels peuvent être
considérés comme faisant partie de l’immunité innée, car ils peuvent détecter
des antigènes que l’organisme n’a jamais rencontrés auparavant [5]. Sécrétés
par une sous-population de lymphocytes B, les anticorps naturels sont pour
la plupart des immunoglobulines (Ig) d’isotype M, bien que certaines IgA et
IgG aient été trouvées. Chez l’homme 80 % de ces anticorps dérivent d’un
gène VH3 et plus de 90 % ont une chaîne légère lambda. Par conséquent,
leur répertoire est relativement restreint. Compte tenu de cette faible diversité
et de leur relativement faible affinité de liaison aux antigènes, les anticorps
naturels pourraient paraître de pauvres effecteurs du système immunitaire,
mais ces aspects sont compensés par leur polyréactivité à une variété d’anti-
gènes comme les protéines, les sucres ou les acides nucléiques, et par la nature
pentamérique des IgM [6]. Ils jouent un rôle protecteur contre de nombreux
pathogènes [7]. Dans un modèle expérimental de péritonite (ligature du ce-
cum et piqûre, CLP), la survie de souris déficientes en IgM est altérée [8].
Dans ce modèle, 70 % des souris déficientes en IgM mouraient 32 heures
après la CLP, alors que 20 % seulement des souris normales étaient mortes.
En outre, l’injection d’IgM polyclonales de souris normales dans des souris
déficientes en IgM, 4 heures avant la CLP, permettait une résistance accrue
lors de la péritonite.

Le système du complément
Le système du complément est un élément primordial de l’immunité
innée apparu tôt au cours de l’évolution des espèces, et qui remonte à
plus de 500 millions d’années. Il est composé de plus de 30 composants
solubles ou présents à la surface des cellules. La molécule C3 est le com-
posant central de la cascade du complément, et peut être activée de trois
façons différentes. Dans la « voie classique », les antigènes microbiens
Les défenses de l’organisme et immunité innée 7

sont reconnus par les IgM auxquelles se lie la molécule C1q, condui-
sant à l’activation d’une C3 convertase : C4bC2a. La « voie des lectines »
conduit aussi à la formation de la C3 convertase. La molécule qui initie
alors la cascade d’activation est la mannose binding lectin (MBL), qui inte-
ragit avec des oligosaccharides à la surface microbienne. Quant à la « voie
alterne », elle conduit à la formation d’une autre C3 convertase (C3bBb),
suite à l’activation des facteurs B et D du complément. L’activation du
C3 conduit ensuite à la formation du complexe d’attaque membranaire
C5b6789n qui aboutit à la lyse des agents pathogènes. Toutefois, l’acti-
vité du système du complément ne repose pas seulement sur les consé-
quences de l’activation du C3. Les anaphylatoxines, de petits fragments
libérés lors de l’activation du complément, à savoir les molécules C3a,
C4a et C5a, contribuent à la réponse inflammatoire locale. Le C5a induit
une vasodilatation, et est chimiotactique vis-à-vis des neutrophiles et des
monocytes. En outre, le C5a augmente la stimulation du métabolisme
oxydatif et la phagocytose, et agit en synergie avec l’endotoxine pour in-
duire des cytokines [9].
Le système du complément joue un rôle important dans l’immunité
innée contre une grande variété de microbes. Ainsi, les souris déficientes
en C1q sont plus sensibles aux infections bactériennes. Il en est de même
pour les souris déficientes en composants C3 et C4 du complément ou
en MBL. De la même façon, des souris déficientes en C3 sont plus sen-
sibles aux infections polymicrobiennes dans le modèle CLP [10]. Mais
le système du complément est aussi impliqué dans l’immunité contre les
virus et les champignons. Pour ces derniers, la MBL est un constituant
majeur de l’immunité innée, comme cela a été démontré par exemple lors
des réponses contre Candida albicans. Il y a aussi quelques travaux qui
illustrent l’implication du complément lors des infections virales. Ainsi
par exemple, les déficiences génétiques pour le C1q, le C4, le facteur B ou
le facteur D entraînent une augmentation de la mortalité chez les souris
lors d’une infection par le virus du Nil occidental. Chez l’homme comme
chez la souris, de faibles niveaux de MBL sont associés à une susceptibi-
lité accrue à l’herpès simplex virus type 2. Pour résumer, le système du
complément assure une grande partie de la réponse immunitaire innée
contre un large spectre d’agents pathogènes. Il est l’une des premières
lignes de défense pour retarder l’invasion, favoriser la lyse des pathogènes
et alerter le système immunitaire de l’infection grâce à l’action des ana-
phylatoxines.

Les acteurs cellulaires

Les cellules phagocytaires


Lorsque les pathogènes sont détectés, leur phagocytose par les mo-
nocytes/macrophages et les neutrophiles est l’une des premières réponses
8 Infectiologie en réanimation

de l’hôte pour faire face à l’infection. La phagocytose est fortement in-


1 fluencée par des événements concomitants, en particulier sous l’effet de
certaines cytokines comme l’interféron-gamma (IFN-L), le tumor necrosis
factor (TNF) ou le granulocyte-macrophage colony stimulating factor (GM-
CSF). Parmi les cellules phagocytaires, les neutrophiles sont les premières
cellules rapidement recrutées sur le site d’infection, où ils jouent un rôle
important grâce à leurs nombreuses stratégies microbicides. Les mono-
cytes, présents dans le sang, sont recrutés ultérieurement au sein des tissus
enflammés où ils acquièrent un phénotype de macrophages, et agissent de
concert avec les macrophages résidents, déjà présents dans tous les tissus
et les cavités.

Phagocytose et opsonisation
L’ukrainien Élie Metchnikoff fut le premier à concevoir le rôle anti-
infectieux des cellules phagocytaires de l’immunité innée, suite à ses tra-
vaux menés à Messine en 1882. Après son observation de la phagocytose
d’épines de rose par des larves d’étoile de mer et de levure par les daphnées,
il élabora puis démontra l’implication du phénomène de la phagocytose
dans l’immunité innée [11]. Sans doute avant lui en 1876, William Ol-
ser avait remarqué la présence de particules de charbon dans les macro-
phages alvéolaires de mineurs. La même année, Robert Koch avait bien
observé des bacilles de l’anthrax dans des globules blancs, mais sans en
comprendre la relation avec la lutte contre l’infection. Après avoir été cap-
turée à la surface de la cellule phagocytaire (macrophage, neutrophile), la
bactérie va être engloutie au sein d’une vacuole de phagocytose, nommée
phagosome. Celui-ci va alors fusionner avec des lysosomes qui vont dé-
verser leur contenu enzymatique et abaisser le pH de ce qui est désormais
un phagolysosome au sein duquel la bactérie sera détruite. En Angleterre,
Sir Almroth Edward Wright définira le phénomène de l’opsonisation dès
1903, liant ainsi les acteurs de l’immunité cellulaire et ceux de l’immunité
humorale [12]. En effet, l’opsonisation correspond à la fixation d’anti-
corps ou d’éléments du complément à la surface des bactéries qui permet-
tent une phagocytose plus rapide et plus ample. D’autres facteurs sériques
peuvent également se comporter comme des opsonines : c’est le cas de
la pentraxine-3, du MD2 soluble, de la sérum amyloïde A, de l’heparin
binding protein (HBP) ou de la MBL. Rappelons enfin le rôle essentiel de
la phagocytose dans l’élimination des cellules apoptotiques et des cellules
mortes. Le terme d’« efferocytose » a été proposé pour caractériser ce phé-
nomène [13], observé sans doute la première fois en 1889 par Marc Ar-
mand Ruffer, un élève de Metchnikoff et par Giulio Bizzozero dès 1871.

Production de radicaux libres et de dérivés de l’oxygène


Les cellules phagocytaires peuvent également éliminer les bacté-
ries, les champignons ou les parasites en produisant des radicaux libres
toxiques comme l’anion superoxyde (O2-) après activation de la nicoti-
namide adénine dinucléotide phosphate (NADPH) oxydase, et le mo-
Les défenses de l’organisme et immunité innée 9

noxyde d’azote (NO) après activation de la NO synthase inductible. La


NADPH oxydase est un complexe moléculaire constitué de cinq sous-
unités. Les déficits génétiques de l’une ou l’autre des sous-unités (le plus
fréquent (65 %) affecte la sous-unité gp91phox) entraînent une granulo-
matose septique chronique, une pathologie associée à un grand nombre
d’infections. D’autres molécules bactéricides dérivées de l’oxygène sont
aussi produites : l’anion superoxyde et le monoxyde d’azote peuvent en-
semble dégénérer du peroxynitrite (ONOO-). En présence d’hydrogène
et sous l’action de la superoxyde dismutase, l’anion superoxyde générera
de l’eau oxygénée (H2O2). Celle-ci, en présence de chlore et sous l’effet
de la myéloperoxydase, donnera naissance à de l’acide hypochlorique
(HOCl).

Formation de « filets »
Les neutrophiles sont les premières cellules à être recrutées sur le
foyer infectieux. Leur rôle clé dans l’immunité anti-infectieuse est il-
lustré par la grande sensibilité aux infections des patients souffrant de
neutropénies héréditaires ou acquises. Les neutrophiles peuvent libé-
rer des neutrophil extracellular traps (NET), à savoir des filets formés
de leur ADN nucléaire, contenant des histones et des enzymes telles
que l’élastase, la cathepsine G et la myéloperoxydase [14] (fig. 3). Ce
phénomène peut être amplifié par l’activation des neutrophiles par les
plaquettes [15]. Bien sûr, ce mécanisme implique la mort de la cellule,
on parle de mort par « étose ». Capturées dans ces filets, les bactéries
peuvent alors être tuées. Pour contrecarrer ce processus, certaines bac-

Fig. 3 – Le phénomène de mort par « étose » et la formation de filets (NET) impliquée dans la
capture et l’élimination des bactéries.
10 Infectiologie en réanimation

téries produisent des DNAses, leur permettant ainsi d’échapper à ces


1 pièges. Depuis cette découverte en 2004, il a été montré que les mas-
tocytes pouvaient également produire de tels filets composés d’ADN,
d’histone, de tryptase et de peptides antimicrobiens. De même, les éo-
sinophiles peuvent émettre de tels filets ; mais dans ce cas, ceux-ci sont
faits d’ADN mitochondrial.

Peptides antimicrobiens
Suite à leur reconnaissance par les nombreux récepteurs de l’immu-
nité innée, les microbes activent diverses voies de signalisation condui-
sant à la production et à la sécrétion de peptides antimicrobiens comme
les protéines de reconnaissance du peptidoglycane, les cathélicidines et
les défensines. En ce qui concerne les peptidoglycan recognition proteins
(PGRP), si certaines molécules sont des récepteurs cellulaires à la surface
des cellules du corps gras chez les insectes, chez les mammifères il s’agit de
protéines sécrétées. Les mammifères ont quatre PGRP (PGLYRP1, 2, 3
et 4). Elles sont exprimées dans les neutrophiles (PGLYRP1), le foie (PG-
LYRP2), les muqueuses, et sont présentes dans les sécrétions comme la
salive ou la sueur (PGLYRP3 et PGLYRP4). Toutes reconnaissent le pep-
tidoglycane bactérien. Trois d’entre elles (PGLYRP1, 3, et 4) sont direc-
tement bactéricides pour les bactéries à Gram-positif et à Gram-négatif,
alors que PGLYRP2 est une N-acétylmuramoyl-l-alanine amidase [16].
Les cathélicidines sont trouvées dans les granules des neutrophiles et
dans certaines cellules épithéliales. Une cathélicidine, nommé LL-37 ou
CAP18 (peptide antimicrobien cationique) est exprimée chez l’homme et
joue un rôle lors des infections cutanées par le streptocoque de groupe A.
LL-37/CAP18 est également connue pour neutraliser l’endotoxine en
bloquant sa fixation aux cellules CD14-positives, bloquant ainsi la libéra-
tion de cytokines.
Les défensines humaines existent en tant qu’F et G-défensines, en
fonction de leurs séquences. Il y a 6 F-défensines humaines (HAD) et
4 G-défensines humaines (HBD). HAD 1 à 4 sont produites par les
macrophages, les neutrophiles et les cellules NK. Ces molécules sont stoc-
kées dans des granules et sécrétées au site inflammatoire lors de la stimu-
lation cellulaire. HAD-5 et -6 sont produites par les cellules de Paneth.
En plus de leurs actions antimicrobiennes, les F-défensines possèdent
quelques autres propriétés. Elles induisent la production d’IL-8 par les
cellules épithéliales et les kératinocytes, la dégranulation des mastocytes,
et elles améliorent la phagocytose par les cellules mononucléées. HBD-1
est exprimée de façon constitutive et est présente dans le plasma. HBD-2
et -3 sont produites par les cellules épithéliales lors de la stimulation par
l’interleukine-1 (IL-1) et le transforming growth factor F (TGFF), respecti-
vement. Les propriétés antimicrobiennes des défensines ont été largement
décrites. Schroder et al. [17] ont montré qu’HBD-2 est efficace dans la
lutte contre les bactéries à Gram-négatif et Candida albicans, et Harder et
al. [18] ont montré qu’HBD-3 joue un rôle contre Staphylococcus aureus.
Les défenses de l’organisme et immunité innée 11

En outre, certaines F-défensines peuvent agir comme agents chimiotac-


tiques pour les cellules mononucléées, et les G-défensines sont chimiotac-
tiques pour les cellules dendritiques immatures, les lymphocytes T et les
monocytes. Il est intéressant de noter qu’en retour, certaines chémokines
présentent des propriétés microbicides.

Participation des autres cellules du système immunitaire


Outre les cellules phagocytaires, de nombreuses autres cellules du sys-
tème immunitaire contribuent à l’immunité antibactérienne. C’est le cas
des mastocytes, abondants dans les tissus où ils occupent une position
stratégique. Ils constituent une importante source de médiateurs préfor-
més requis pour initier rapidement la réponse inflammatoire lors d’une
agression microbienne [19]. Ils sont par exemple une source essentielle de
TNF dans des modèles de péritonite [20] tout comme dans les modèles
de paludisme. Par ailleurs, les mastocytes ont également la capacité de
phagocyter les bactéries [21] et leur dégranulation peut être induite par
les PAMP. Les mastocytes communiquent avec les autres cellules dans le
cadre d’une immunosurveillance anti-infectieuse et contribuent au recru-
tement des neutrophiles dans le cadre de l’immunité innée, tout comme
au recrutement des précurseurs des cellules dendritiques pour initier la
réponse immunitaire adaptative.
Les cellules tueuses, aussi connues comme grands lymphocytes granu-
leux, ont tout d’abord été décrites pour leur capacité à tuer des cellules
tumorales [22]. Le terme de natural killer cells (cellules NK) a été pro-
posé en 1975 [23]. Il fut ensuite démontré que ces cellules pouvaient
également tuer des cellules infectées par des virus [24]. Ce n’est que
plus récemment que les cellules NK ont été montrées jouer aussi un rôle
important dans l’immunité antibactérienne [25]. Les cellules NK lysent
les cellules infectées par le virus en libérant perforine et granzyme. En
réponse aux PAMP et en présence de certaines cytokines comme l’IL-
2, l’IL-12, l’IL-15 ou l’IL-18, les cellules NK produisent d’importantes
quantités d’IFN-L. Selon les niveaux de production de cette cytokine, les
cellules NK peuvent jouer un rôle bénéfique mais aussi délétère lors des
processus infectieux [25].
Les lymphocytes Th17 jouent aussi un rôle dans les mécanismes anti-
microbiens, en particulier au niveau des muqueuses et des épithéliums.
L’IL-17 produite par les Th17 favorise l’intégrité de la barrière muco-
sale, induit la sécrétion de défensines et accroît la production en cascade
d’autres cytokines et chémokines, ces dernières contribuant au recrute-
ment des neutrophiles. D’autres cellules comme les lymphocytes TLI
et les cellules NKT invariantes (iNKT) peuvent également être sources
d’IL-17. Le propre des cellules iNKT est d’être directement activées par
certains glycosphingolipides bactériens comme ceux dérivés des Sphingo-
monas ou des Borrelia, présentés par leur récepteur CD1d à la surface des
cellules présentatrices d’antigène. Le rôle de l’IL-17 reste controversé lors
12 Infectiologie en réanimation

des modèles de sepsis. Il se pourrait que cette cytokine soit bénéfique lors
1 de sepsis non sévères, et délétère lors des sepsis sévères [26, 27].
Notons enfin que les lymphocytes B, via leurs récepteurs TLR, peuvent
être directement activés par les produits microbiens et être également une
source de cytokines, et suite à leur activation polyclonale libérer des anti-
corps, présentant une large gamme de spécificité.

Contribution des cellules non hématopoïétiques


Notre organisme est constamment exposé à des micro-organismes,
mais en général les premières barrières physiques sont suffisantes pour
bloquer l’invasion par des agents pathogènes. La peau et les muqueuses
sont nos premières lignes de défense, tout comme les couches épithé-
liales des voies respiratoires et digestives, elles-mêmes protégées par le
surfactant ou le mucus. Si des agents pathogènes réussissent à franchir ces
barrières physiques, alors le système immunitaire va se mettre en action.
Les cellules épithéliales sont donc souvent les premières agressées par les
agents pathogènes. Elles sont aussi équipées de capteurs (souvent intra-
cellulaires) qui leur permettent de réagir, en particulier en initiant une
production de cytokines et tout particulièrement de chémokines requises
pour recruter les cellules immunitaires sur le site d’agression. Selon le site
d’agression d’autres cellules peuvent aussi être activées comme les cellules
mésothéliales, voire même les cellules endothéliales.

La détection des agents pathogènes par des récepteurs cellulaires

Toutes ces cellules de l’immunité innée possèdent des récepteurs


communs pour les PAMP. Comme une grande partie des PAMP se
trouve également associée aux bactéries non pathogènes et commen-
sales, il serait en fait plus approprié de parler de micro organism asso-
ciated molecular patterns (MAMP). Les PAMP bactériens peuvent être
des constituants de surface comme les lipoprotéines, le peptidoglycane,
les endotoxines (lipopolysaccharide, LPS) des bactéries à Gram-négatif,
ou l’acide lipotéïchoïque (LTA) des bactéries à Gram-positif. En outre,
la lyse des bactéries induit la libération de PAMP intracellulaires tels
que les protéines de choc thermique (HSP) ou des fragments d’ADN
contenant des séquences CpG non méthylées. Les PAMP viraux com-
prennent les éléments protéiniques des enveloppes, et l’ARN ou l’ADN
viral. Les PAMP fongiques sont surtout des constituants de surface à
base de mannane. Enfin, les PAMP parasitaires sont soit des consti-
tuants de surface soit de l’ADN.
Les défenses de l’organisme et immunité innée 13

Récepteurs Toll-like (TLR)


Les récepteurs des PAMP sont codés par la lignée germinale et ont été
conservés au cours de l’évolution. En effet, les homologues des PRR se
trouvent dans les plantes et les insectes. Une importante famille de PRR
a été découverte en 1996 à partir de travaux menés chez la drosophile.
Bruno Lemaitre et al. [28] ont observé que les mouches mutées dans un
gène du développement de l’embryon, le gène Toll, étaient très sensibles
aux infections fongiques. Par la suite, des homologues ont été trouvés
chez l’homme [29] et le nom de Toll-like receptors (TLR) a été donné.
À l’heure actuelle, une dizaine de TLR a été identifiée chez l’homme,
et douze chez les souris, mais il en existe 222 chez l’oursin ! Les TLR
possèdent un domaine extracellulaire riche en unités répétitives de leu-
cine (LRR), et un domaine intracellulaire très semblable aux domaines
intracellulaires des récepteurs de l’IL-1 et de l’IL-18, appelée domaine
Toll-IL-1 receptor (TIR) (fig. 4). Les TLR permettent la détection d’une
grande variété de molécules microbiennes tant bactériennes que virales,
parasitaires et fongiques, mais aussi des molécules de danger (DAMP)
générées par les cellules ou les tissus lésés ou agressés.

Fig. 4 – Homologie de la molécule Toll de drosophile avec le domaine extracellulaire riche en


unités répétitives de leucine (LRR) de la molécule CD14 humaine (connue pour fixer l’endo-
toxine des bactéries à Gram négatif), et le domaine intracellulaire du récepteur humain de l’in-
terleukine-1 (IL-1R) (domaine Toll/IL-1R, TIR).

Le TLR4 a d’abord été identifié comme faisant partie du récepteur des


endotoxines. Toutefois, l’activation de TLR4 requiert des corécepteurs,
le CD14, qui lie le LPS et le transmet à MD-2, une protéine clé associée
au TLR4. Poltorak et al. [30] ont démontré que la résistance des souris
C3H/HeJ aux endotoxines était due à une mutation naturelle de TLR4.
14 Infectiologie en réanimation

Le TLR4 peut aussi être impliqué dans la reconnaissance et la fixation de


1 PAMP viraux, parasitaires et fongiques. De la même façon et comme de
nombreux PRR, TLR4 peut être activé par des DAMP (fig. 5).

Fig. 5 – Nature des damage associated molecular patterns (DAMP) libérés par les cellules nécrotiques
et les tissus lésés et nature des récepteurs (pattern recognition receptors, PRR) impliqués dans leur
reconnaissance (adapté de Cavaillon J-M. Bull Assoc. Anciens Elèves Inst. Pasteur 2007, 49, 58).

En ce qui concerne le récepteur TLR2, il reconnaît les lipoprotéines bac-


tériennes et le LTA. La capacité de TLR2 pour détecter le peptidoglycane
(PGN), un des principaux constituants de la paroi cellulaire des bactéries,
reste controversée en raison de la possible contamination des préparations
de PGN par le LTA ou les lipoprotéines. TLR2 s’hétérodimérise soit avec
TLR1 soit avec TLR6. TLR1/TLR2 détecte des lipopeptides triacyclés,
et TLR2/TLR6 a une plus grande affinité pour les lipopeptides diacy-
clés. Les LPS de certaines bactéries sont détectées par TLR2 et non TLR4
(Legionella pneumophila, Leptospira interrogans, Porphyromonas gingivalis).
En outre, TLR2 peut aussi reconnaître des PAMP dérivés de virus, de
champignons et de parasites.
Le TLR5 est spécifique d’un produit bactérien, la flagelline. Le TLR7
murin et le TLR8 humain peuvent détecter l’ARN simple brin d’origine
viral. Le TLR9 détecte des séquences CpG non méthylées dérivées de
l’ADN bactérien, mais aussi l’ADN de Plasmodium et de Leishmania.
Généralement, les TLR 1, 2, 4, 5 et 6 sont définis comme des récepteurs
membranaires, contrairement à la localisation endosomale des récepteurs
TLR 3, 7, 8 et 9 (fig. 6). Mais un certain nombre de cellules comme les
cellules épithéliales, les cellules endothéliales et les cellules NK peuvent
également exprimer TLR2 ou TLR4 de façon intracellulaire. Deux voies
Les défenses de l’organisme et immunité innée 15

de signalisation existent : l’une est partagée par l’ensemble des TLR, sauf
TLR3, et initiée par la molécule adaptatrice MyD88 qui aboutit à l’ac-
tivation du facteur nucléaire NF-PB et à la production des cytokines de
l’inflammation. L’autre est spécifique de TLR3 et est partagée avec TLR4,
requiert la molécule adaptatrice TRIF et aboutit à la voie d’activation,
dépendante du facteur nucléaire IRF3, requise pour la production d’in-
terféron de type I [31].

Fig. 6 – Les Toll-like receptors (TLR) et leurs ligands bactériens ou viraux.


Les TLR sont présents sous forme d’homodimères ou d’hétérodimères soit en surface soit au
sein de vacuoles d’endosome, et activent des voies intracellulaires de signalisation dépendantes
des molécules adaptatrices MyD88 ou TRIF (pour uniquement deux d’entre eux : TLR3 et TLR4),
aboutissant in fine à la production de médiateurs de l’inflammation (tout particulièrement les
cytokines pro-inflammatoires) ou d’interféron de type I.

Récepteurs intracellulaires Nod-like (NLR)


Les TLR sont des molécules transmembranaires capables de dé-
tecter les pathogènes à l’extérieur de la cellule ou dans les endosomes.
Pour détecter les pathogènes intracellulaires, les cellules possèdent des
récepteurs localisés dans le cytosol (fig. 7). De nombreuses molécules
homologues ont été décrites chez les mammifères et peuvent être clas-
sées en deux groupes, les molécules contenant un domaine LRR et les
protéines contenant un domaine hélicase. Les premières possèdent un
domaine de liaison aux nucléotides et d’oligomérisation (NOD) et un
domaine de signalisation comme le domaine d’activation et de recru-
tement des caspases (CARD) ou un domaine PYRINE. Les protéines
16 Infectiologie en réanimation

les plus connues de cette famille dite NOD-like receptors sont NOD1 et
1 NOD2, dont la signalisation s’effectue via un ou deux domaines CARD,
respectivement. NOD1 détecte l’acide N-acétylglucosamine-N-acétyl-
muramique (GlcNAc-MurNAc) lié à trois acides aminés [32], présent
dans le PGN des bactéries à Gram-négatif et qui contient un acide aminé
spécifique, le méso-diaminopimélate. NOD2 détecte le muramyl dipep-
tide (MDP) [33], un motif trouvé dans le PGN des bactéries à Gram-
négatif et à Gram-positif. Ces deux récepteurs jouent un rôle majeur dans
la détection de nombreux agents pathogènes bactériens, en particulier
au niveau des cellules épithéliales et des cellules endothéliales. Malgré la
description précise des ligands des molécules de NOD1 et NOD2, ces
derniers sont aussi impliqués dans l’immunité antivirale (virus respira-
toire syncytial) [34], antiparasitaire (Trypanosoma cruzi) [35] et dans des
modèles d’ischémie-reperfusion [36], laissant supposer leur implication
dans la reconnaissance de PAMP et de DAMP autres que ceux dérivés
du PGN.

Fig. 7 – Membres de la famille des NOD-like receptors, leurs ligands et quelques-unes des molé-
cules adaptatrices impliquées dans la signalisation de ces « sensors ». Le précurseur de la cas-
pase-1 et ASC, associés à l’une ou l’autre des molécules NLRP1, NLRP3, NLRP7, AIM, NLRC4…
constituent différents inflammasomes (Adapté de Kapetanovic R. et Cavaillon J-M., Expert. Opin.
Biol. Ther. 2007, 7, 907).

Parmi les membres de la famille des NLR, notons NLRC4 et NAIP5 qui
reconnaissent la flagelline bactérienne, et NLRP3 qui interagit avec les
ADN et ARN bactériens et viraux, mais aussi différents DAMP (cristaux
d’acide urique, peptide ß amyloïde) et différentes substances inflamma-
toires (amiante, silice, UV, nanoparticules, et sels d’aluminium). À noter
que NLRP3 et d’autres NLR peuvent constituer avec la molécule adap-
tatrice ASC et le précurseur de la caspase-1 ce qu’il est convenu d’appeler
des inflammasomes [37]. Ces derniers aboutissent à la maturation du pré-
curseur de l’IL-1ß et de l’IL-18.
Les défenses de l’organisme et immunité innée 17

Une partie de cette famille joue un rôle essentiel contre les infections virales.
Il s’agit en particulier des molécules RIG-I et MDA-5 qui reconnaissent
respectivement les ARN 5’-triphosphate et double brins viraux. Dans les
deux cas, la molécule adaptatrice, MAVS, liée aux mitochondries, sert d’in-
termédiaire dans la signalisation qui aboutit à la production d’interféron-L.

Autres récepteurs de l’immunité innée


D’autres récepteurs, mais dépourvus de séquences riches en unités
répétitives de leucine (LRR), sont également impliqués dans la recon-
naissance des pathogènes. C’est le cas des scavenger receptors, des glyco-
protéines de surface cellulaire dont il existe de nombreuses familles. Les
scavenger receptors de classe A dont SR-A1 et MARCO sont constitués
de l’association de trois chaînes identiques transmembranaires. De tels
récepteurs sont impliqués tant dans la reconnaissance de bactéries, de
virus, de champignons que de parasites. Les récepteurs de classe B sont
constitués d’une chaîne peptidique unique avec deux domaines trans-
membranaires ; CD36 en est la principale molécule. CD36 se trouve
principalement sur les monocytes et les macrophages, et est un capteur
pour les diacylglycérides. CD36 est un capteur pour certaines bactéries,
en particulier Staphylococcus aureus, certains champignons comme Cryp-
tococcus neoformans et Candida albicans et certains parasites, en particu-
lier Plasmodium falciparum.
Une autre famille de récepteurs est dite des lectines de type C, telles que le
mannose receptor (CD206), DC-Sign (CD209), la Langerin (CD207) ou
Dectin-1. Ce dernier est particulièrement impliqué dans la détection des
G-glucanes fongiques. De même, Dectin-2 reconnaît les champignons et
induit des réponses immunitaires via l’activation de la chaîne L du récep-
teur Fc.
Enfin, CD1d se retrouve principalement à la surface des cellules dendri-
tiques. Il se lie aux diacylglycérol et glycosphingolipides bactériens et joue
un rôle dans leur présentation aux cellules NKT.
Ainsi les cellules du système immunitaire disposent d’un arsenal de plu-
sieurs types de récepteurs pour reconnaître un même pathogène. De cette
façon, la cellule reçoit plusieurs signaux complémentaires provenant de
différents récepteurs, pouvant alors agir en synergie, en particulier pour
aboutir à une production de cytokine accrue.

La contribution des cytokines

L’infection, associée à une réponse inflammation localisée et contrô-


lée, est aussi associée à une réponse systémique. Cet état inflammatoire
est accompagné des quatre manifestations décrites par Cornelius Celsus
au ier siècle après JC : rubor et tumor, cum calore et dolore. Les cytokines et
18 Infectiologie en réanimation

les chémokines sont tout particulièrement responsables de ces événe-


1 ments. En effet, lors de l’infection, ces médiateurs produits sur le site de
l’infection vont agir tant localement que de façon endocrine. Localement,
les cytokines pro-inflammatoires augmentent l’activité microbicide des
cellules phagocytaires et la production d’oxide nitrique et de radicaux
libres dérivés de l’oxygène. Une production de cytokines en cascade est
observée (fig. 8). Ainsi, le TNF et l’IL-1 induisent la production de ché-
mokines comme l’IL-8 (CXCL8), ou le MCP-1 (CCL2) par les cellules
épithéliales, ce qui entraîne le recrutement des neutrophiles et des mono-
cytes. En outre, l’activation des cellules endothéliales par le TNF et l’IL-1
favorise l’expression des molécules d’adhérence à leur surface, augmentant
ainsi l’adhérence des leucocytes circulants, étape requise avant que les leu-
cocytes adhérents puissent répondre aux signaux chimioattractants, abou-
tissant à un recrutement massif et rapide des leucocytes sur le site inflam-
matoire. Les cytokines non seulement interagissent au sein des tissus
infectés, mais ont également des effets à distance. La moelle osseuse ré-
pond aux cytokines par une augmentation importante de l’hématopoïèse.
Le foie répond aux cytokines par une production accrue de protéines de
phase aiguë. En particulier, l’IL-6 augmente la synthèse de la protéine
C-réactive (CRP) mais aussi de l’ensemble des protéines de phase aiguë de
l’inflammation. Les cytokines interagissent également avec le système ner-
veux central, et certaines d’entre elles sont pyrogènes. L’IL-6 est la dernière

Fig. 8 – Les cytokines sont les chefs d’orchestre de la réponse immunitaire innée contre les infec-
tions en favorisant quatre éléments clés de la réponse anti-infectieuse (activation des cellules
phagocytaires, activation de l’hématopoïèse, recrutement des cellules sur le site de l’infection,
induction de la fièvre) (Adapté de Cavaillon J.-M. IN Encyclopedia of Molecular Cell Biology and
Molecular Medicine, Viley-VCH, (Meyers RA Ed.) 2005, 8, 431.)
Les défenses de l’organisme et immunité innée 19

de la cascade des cytokines à induire au niveau central la production de


prostaglandines E2 qui agiront sur le centre de régulation thermique au
sein de l’hypothalamus antérieur. Il est à noter que certaines chémokines
sont également pyrogènes mais de façon indépendante des prostaglan-
dines E2. Si de nombreux travaux expérimentaux ont démontré les effets
bénéfiques de la fièvre lors des processus infectieux, il semble que cela soit
aussi le cas chez l’homme. Cependant, en absence d’infection, la fièvre
peut se révéler délétère, tout comme chez des patients en état de choc [38,
39]. Ainsi la fièvre pourrait être aussi bien bénéfique que délétère selon les
circonstances. C’est exactement ce que disait William H. Welch (1850-
1934) en 1888 : « Les substances qui induisent la fièvre allument le feu qui
les consume. Il n’est pas incompatible avec cette conception de la fièvre de
supposer que ce feu puisse aussi se révéler préjudiciable pour les patients,
et requérir alors l’intervention du médecin » [40].

Conclusion

L’inflammation et l’immunité innée sont deux processus qui se che-


vauchent et qui depuis la découverte des récepteurs des pathogènes et
des signaux endogènes de danger, ont reçu une attention nouvelle. En
effet, notre vision de la réponse immunitaire a évolué, et la recherche sur
l’immunité innée est dans une période de renaissance. Pendant de nom-
breuses années, l’immunologie était divisée en deux grands thèmes : l’im-
munité « spécifique » et l’immunité « non spécifique », avec forcément
moins d’attention pour l’immunité, qui était définie par une négation.
Depuis que l’expression « immunité non spécifique » a été remplacée par
le concept d’« immunité innée » ou d’immunité naturelle, celle-ci est
maintenant sous les projecteurs. Avec la découverte des Toll-like receptors,
et plus récemment des protéines NOD-like receptors, il est évident que
l’immunité innée n’est pas en définitive un processus non spécifique de
défense de l’hôte. Le message de danger délivré par les PAMP ou par des
molécules endogènes (DAMP, ou alarmines) explique comment l’hôte
sent toute intrusion étrangère ou toute agression interne et peut initier la
réponse la plus adaptée pour maintenir son intégrité et favoriser sa lutte
contre les agents pathogènes. « Synergie » apparaît comme un mot clé
pour définir la façon dont tous les PAMP, DAMP, et autres médiateurs
produits régissent ensemble la réponse immunitaire innée face aux si-
gnaux de dangers, que ceux-ci soient exogènes ou endogène. Legrand [41]
a probablement été le premier à proposer que les endotoxines des bacté-
ries à Gram négatif servaient de signal d’alarme du processus infectieux.
Le lien entre immunité innée et immunité adaptatrice est illustré par la
compréhension des mécanismes d’action des adjuvants (ces fameux « sales
petits secrets des immunologistes » de Charles Janeway), requis pour avoir
une réponse anticorps décente. À leur découverte en 1926 par Gaston
Ramon, celui-ci avait dès lors reconnu l’importance d’une réponse inflam-
20 Infectiologie en réanimation

matoire sur le site de l’injection de l’antigène. Il est aussi utile de rappeler


1 que le muramyldipeptide (MDP), le ligand NOD2, a été découvert dès
la fin des années 1970 par Louis Chedid et Edgar Lederer comme nouvel
adjuvant potentiellement intéressant [42]. Toutefois, les progrès concer-
nant les adjuvants avaient été relativement limités au cours des dernières
décennies. La découverte de l’inflammasome et de NLRP3 comme récep-
teur des sels d’aluminium a permis de mieux comprendre les mécanismes
d’action du principal adjuvant utilisé en vaccinologie humaine, faisant le
lien entre immunité innée et immunité adaptative.
La face obscure de l’immunité innée apparaît lorsque sa réponse est exces-
sive et conduit à une « tempête de cytokines », comme lors des formes
graves de paludisme et dans les chocs septiques. Louis Pasteur, qui dix ans
après les premiers travaux de Victor Feltz et Léon Coze, confirma la pré-
sence de bactéries dans le sang des patients atteints de septicémie puer-
pérale, a suggéré que la Nature (Natura medicatrix) peut fournir une
réponse protectrice. Pourtant, des efforts sont encore nécessaires pour
mieux appréhender la réponse de l’hôte à ces terribles pathologies infec-
tieuses, afin de définir la meilleure façon d’aider la Nature à retrouver son
homéostasie.
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Prédisposition génétique et sepsis
2
G. GERI, A. BOUGLÉ, C. ROUSSEAU, J.-P. MIRA

Introduction

Les maladies infectieuses représentent la première cause de mortalité


dans le monde. Malgré les importants progrès réalisés dans la prise en
charge des infections les plus graves, comme le sepsis sévère et le choc sep-
tique, le pronostic reste sombre, avec une mortalité avoisinant 40-50 %
chez les patients hospitalisés en réanimation pour état de choc septique.
Cette constatation a permis de penser qu’outre les facteurs d’immuno-
suppression acquis (déficit immunitaire postinfectieux, infection par le
virus de l’immunodéficience humaine, splénectomie, aplasie), des fac-
teurs génétiques existent et peuvent prédisposer l’individu à certaines
pathologies infectieuses ou à des présentations inhabituellement graves
d’infections « banales ». De plus, l’existence de récurrences familiales a
été un argument supplémentaire pour suspecter la présence de variants
génétiques pouvant expliquer les différences phénotypiques cliniques
et biologiques observées quotidiennement. La suspicion d’un « facteur
génétique » pouvant influencer le risque de développer une maladie
infectieuse n’est pas un sujet « moderne ». En effet, dès 1933, Webster
rapportait dans le Journal of Experimental Medicine la sélection de lignées
de souris susceptibles ou résistantes à l’infection par Bacillus enteritidis,
soulignant le rôle du fond génétique murin dans la réponse à l’agres-
sion microbienne [1, 2]. Il a cependant fallu attendre plusieurs dizaines
d’années avant de pouvoir identifier des variants génétiques responsables
de ces phénotypes infectieux « extrêmes » chez l’Homme.
Depuis la description princeps de la molécule d’acide désoxyribonucléique
(ADN) par Watson et Crick en 1953, des progrès considérables ont été

G. Geri*, A. Bouglé*, C. Rousseau**, J.-P. Mira*,**


* Service de réanimation médicale, Groupe hospitalier Cochin-Broca-Hôtel-Dieu
Assistance Publique – Hôpitaux Paris, Université Paris Descartes, Paris
** Institut Cochin, Inserm U1016, UMR 8104, IFR 116, 75014 Paris
Email : [email protected]
Sous la direction de Pierre Charbonneau et Michel Wolff, Infectiologie en réanimation.
ISBN : 978-2-8178-0388-3, © Springer-Verlag Paris 2013
23
24 Infectiologie en réanimation

réalisés en génétique, transformant cette spécialité médicale en pivot des


2 principales avancées récentes. Le développement de la technique de poly-
mérisation en chaîne (PCR : polymerase chain reaction) en 1986 a révo-
lutionné la recherche génomique, aboutissant au séquençage du génome
humain en 2001, résultat d’une collaboration internationale unique [3].
Parallèlement à cette description, la « carte » des variants génétiques entre
les individus a été présentée et est mise à jour quasi quotidiennement
grâce aux projets « SNP » MAP pour single nucleotide polymorphisms,
HAPMAP (carte des haplotypes humains), et plus récemment « pro-
gramme 1000 génomes » (www.1000genomes.org). Ainsi ces dernières
années, de nombreuses études d’associations génétiques soit simples
(genetic association studies) soit pan-génomiques (genome wide association
studies : GWA) ont été réalisées chez plusieurs milliers de patients condui-
sant à l’identification de polymorphismes, permettant ainsi de confirmer
l’hypothèse d’un environnement génétique prédisposant aux principales
pathologies [4].
Dans ce chapitre, nous aborderons tout d’abord les arguments sur les-
quels repose l’hypothèse d’une responsabilité génétique dans la physio-
pathologie du sepsis, puis nous verrons que tous les acteurs de la réponse
immunitaire à un agent infectieux peuvent faire l’objet d’une variabilité
génétique. Une revue exhaustive de tous les polymorphismes décrits
dépasse le cadre de ce chapitre, qui a pour vocation d’illustrer la responsa-
bilité de la variabilité interindividuelle dans la réponse au sepsis.

Génétique et sepsis

Études animales
Depuis la description de lignées de souris résistantes à une infection
en 1933, de nombreuses études chez l’animal ont contribué à renforcer
la conviction de la contribution de facteurs génétiques dans le sepsis.
Ainsi, les souris de la lignée BALB/c sont résistantes à l’instillation intra-
nasale de pneumocoque, contrairement aux lignées CBA/Ca et SJL [5].
Dans ce travail de Gingles et al., une seule souris BALB/c mourrait
parmi 20 testées, alors que toutes les souris des deux autres lignées
mourraient d’infection invasive à pneumocoque dans un délai maximal
de 48 heures. D’autres lignées de souris présentaient des caractéristiques
intermédiaires. De façon cohérente, l’étude de la charge bactérienne
pulmonaire mettait également en évidence une baisse significative à la
48e heure chez les souris BALB/c, alors que celle-ci restait identique
chez les souris issues des lignées susceptibles. Enfin, le pneumocoque
était également détecté plus tôt dans les hémocultures des souris CBA/
Ca et SJL que chez les souris BALB/c, témoignant du caractère invasif de
l’infection pneumococcique chez ces souris susceptibles. Une des expli-
cations possibles de cette susceptibilité est le défaut de recrutement des
Prédisposition génétique et sepsis 25

polynucléaires neutrophiles des souris CBA/Ca et SJL qui a été constaté à


l’examen anatomopathologique des prélèvements pulmonaires [5].
Parallèlement à ces études réalisées sur des lignées murines de fond géné-
tique différent, le rôle dans le sepsis de nombreuses protéines a été étudié
à l’aide d’animaux déficients génétiquement, ou souris knock-out. Ainsi,
le rôle du récepteur MARCO est apparu comme essentiel, comme l’ont
montré Arredouani et al. en mettant en évidence une surmortalité lors
d’infections à pneumocoque chez les souris déficientes en ce récepteur.
Celles-ci présentaient une augmentation de la charge bactérienne pul-
monaire, mais également une quantité de polynucléaires neutrophiles
plus importante dans le liquide bronchoalvéolaire que chez les souris non
déficientes. Ces résultats suggèrent un déficit de clairance bactérienne par
défaut de phagocytose, provoquant alors une augmentation de la réponse
inflammatoire locale à l’origine du dommage alvéolaire diffus [6]. Des
résultats identiques ont été montrés chez des souris déficientes pour le
récepteur DC-SIGN, qui est exprimé à la surface des cellules dendri-
tiques [7]. Ces données sont potentiellement très importantes en clinique
sur deux points :
– il est probable que des variants qui invalideraient ou diminueraient
la quantité de chacun de ces récepteurs pourraient avoir des consé-
quences en termes de susceptibilité et de sévérité des infections à
pneumocoques (gènes candidats) ;
– le phénotype clinique « susceptibilité et sévérité des infections pul-
monaires à pneumocoque » peut résulter de différents variants géné-
tiques.

Études chez l’homme


La preuve du rôle de la génétique sur le risque infectieux chez
l’Homme repose sur plusieurs évidences. Ainsi, la constatation d’évé-
nements infectieux similaires ou répétés au sein d’une même famille ou
chez de vrais jumeaux, est une constatation clinique simple qui sug-
gère l’existence d’une participation génétique familiale sous-jacente.
Il a été ainsi reporté une incidence très élevée de purpura fulminans
dans une même famille où il est clairement démontré que le risque
de développer une tuberculose, une lèpre ou un paludisme grave est
plus élevé chez le second jumeau quand le premier est atteint, en cas
de jumeaux homozygotes que dizygotes. Grâce à ces observations, dès
le début du xxe siècle, la survenue d’épisodes infectieux chez certains
patients a permis de mettre en évidence des anomalies génétiques de
type mendéliennes comme l’agammaglobulinémie liée à l’X décrite par
Burton. Des déficits plus complexes ont depuis été documentés, mono,
oligo- puis polygéniques, grâce notamment aux études d’association
pangénomiques [8].
Une démonstration très forte du rôle de la génétique dans le risque
infectieux a été publiée il y a plus de 25 ans. Sorensen et al. ont en effet
26 Infectiologie en réanimation

clairement montré le lien de causalité entre la génétique d’un individu


2 et la survenue d’événements infectieux mortels en étudiant 924 enfants
adoptés et leurs familles biologiques et adoptives. Le risque relatif de
mourir de sepsis chez les enfants était de 5,81 (intervalle de confiance
[IC] 95 % = 2,47-13,7) si l’un de ses parents biologiques était décédé
avant l’âge de 50 ans d’un événement infectieux versus 0,73 (IC 95 %
= 0,10-5,36) s’il s’agissait d’un des parents adoptifs qui avait succombé
dans les suites d’une infection. Ce risque accru était conservé lorsque le
décès d’un des parents biologiques survenait avant l’âge de 70 ans : 5,00
(IC 95 % = 1,73-14,4) [9]. Cette étude a été un événement important
pour le développement de l’immunogénétique.
La génétique des états infectieux peut être monogénique (mendélienne)
ou polygénique (génétique des traits complexes). Lorsqu’un facteur géné-
tique est suspecté, l’âge de survenue de l’épisode infectieux grave est un
facteur clé permettant de déterminer le type de génétique impliqué. De
façon schématique, la constatation d’infections graves, répétitives surve-
nant chez le même enfant de bas âge (deux infections à pneumocoque
la première année de vie par exemple) peut signaler une anomalie géné-
tique qui sera le plus souvent monogénique et beaucoup plus rarement
un caractère génétique complexe ayant une pénétrance variable. A contra-
rio, les épisodes infectieux graves de l’adulte peuvent résulter d’anomalies
génétiques le plus souvent polygéniques, surtout si aucun autre facteur
de risque infectieux n’est retrouvé (neutropénie, cirrhose, cancer, VIH,
myélome…) [10]

Polymorphismes génétiques et sepsis :


études d’association génétique

De nombreux polymorphismes génétiques associés à des épisodes in-


fectieux sévères ont été décrits dans la littérature ces dernières années. Les
différentes étapes de la réponse immunitaire anti-infectieuse ont ainsi été
explorées, permettant de mettre en évidence des déficits de l’immunité
innée qui concernent la reconnaissance ou la phagocytose du pathogène,
mais également des variants génétiques qui modifient l’action cellulaire de
l’immunité adaptative, la production et l’action des multiples cytokines
pro- et anti-inflammatoires ou la coagulation qui joue un rôle majeur
dans la physiopathologie du sepsis. Il faut noter que certains de ces poly-
morphismes sont très spécifiques d’un type d’infection car ils affectent
une voie particulière de la défense spécifique contre ces pathogènes, alors
que d’autres sont communs à de nombreuses affections. Plus rarement
des variants délétères dans une infection peuvent se révéler favorables
dans un autre type d’infection.
Prédisposition génétique et sepsis 27

Variants génétiques de l’immunité innée

Polymorphismes affectant la détection


des micro-organismes
La détection du pathogène est la première étape indispensable à la ré-
ponse immunitaire anti-infectieuse. Celle-ci est assurée par les pattern reco-
gnition receptors (PRR) qui reconnaissent les pathogen associated molecular
patterns (PAMP) exprimés à la surface des pathogènes. On distingue quatre
classes de PRR : les récepteurs de type Toll (Toll-like receptors : TLR), les
récepteurs des lectines type C (CLR), les récepteurs de type NOD (Nod
like receptors : NLR) et les récepteurs hélicoïdaux à la protéine RIG-1. À ce
jour, des variants génétiques de trois de ces quatre classes ont été associés à
un risque augmenté d’infections : les TLR, CLR et NLR [11].

Exemples de génétique des récepteurs cellulaires


Dix récepteurs TLR ont été décrits chez l’Homme, dont sept sont
spécifiques d’un ligand. Le récepteur TLR4 forme un complexe avec les
protéines CD14 et MD-2 afin de permettre la reconnaissance du LPS,
composant pathogène de la paroi des bacilles à Gram négatif (BGN).
TLR4 est donc essentiel dans la défense contre ces micro-organismes.
Plusieurs polymorphismes ont été décrits dans la région promotrice et
dans les régions codantes de TLR4. Parmi ceux-ci, l’allèle TLR4 299Gly
qui in vitro ne semble pas permettre la stimulation des cellules par le
LPS, a été associé à une susceptibilité accrue aux infections à BGN [15].
De même, TLR4 a été impliqué dans la reconnaissance de l’Aspergillus.
De façon remarquable, l’haplotype variant S4 de TLR4, qui contient le
SNP TLR4 299Gly, a été associé à un risque accru d’aspergillose invasive
chez les patients allogreffés de moelle : les patients recevant un greffon
de moelle osseuse d’un donneur non apparenté porteur de cet haplotype
sont en effet plus à risque de développer une aspergillose invasive à 6 et
36 mois de l’allogreffe [16]. Ce résultat pourrait permettre de prévoir une
prophylaxie ou une surveillance adaptée chez les patients greffés avec une
moelle « TLR4 S4 ».
Le récepteur TLR3 est intracellulaire et lie de nombreux ligands dont
l’ARN viral, activant la réponse immunitaire antivirale. Un poly-
morphisme de TLR3, Leu412Phe, a été associé avec une prédispo-
sition accrue aux myocardites à entérovirus [12], mais avec un rôle
protecteur dans les encéphalites à tiques [13] ou dans l’infection à
VIH-1 [14].
Le récepteur TLR5 reconnaît spécifiquement le flagelle de certaines bac-
téries. Un de ses polymorphismes conduit à une sous-expression de ce
récepteur à la surface des cellules de l’immunité, et prédispose à la légio-
nellose tout en protégeant l’hôte contre l’infection par Salmonella typhi,
agent de la fièvre typhoïde.
Les récepteurs de la fraction constante (Fc) des immunoglobulines, FcR,
forment un groupe hétérogène de glycoprotéines très importantes dans
28 Infectiologie en réanimation

la défense antibactérienne à la surface de cellules hématopoïétiques [18].


2 L’activation des FcR régule de nombreuses fonctions leucocytaires comme
la phagocytose, la formation d’espèces radicalaires de l’oxygène, la dégranu-
lation des polynucléaires neutrophiles (PNN), la production de cytokines
et la régulation de l’immunité humorale. Parmi les FcR, les récepteurs
des immunoglobulines G (IgG), FcLR, se lient à la fraction constante des
IgG, formant ainsi un lien fondamental entre immunité humorale et cel-
lulaire. FcLRIIa possède ainsi une affinité de basse liaison avec les IgG2
et est particulièrement impliqué dans la défense contre les germes encap-
sulés. Le polymorphisme R/H131 de FcLRIIa a été associé avec une sus-
ceptibilité et une sévérité accrues des infections à Neisseria meningitidis et
Streptococcus pneumoniae. Van der Pol et al. ne retrouvaient pas d’asso-
ciation entre le génotype variant FcLRIIa-R/R131 et la susceptibilité aux
infections à méningocoque, mais l’allèle FcLRIIa-R131 était retrouvé plus
fréquemment en cas de méningite, et l’allèle FcLRIIa-H131 plus fréquem-
ment en cas de sepsis [19]. À nouveau, dans une étude prospective réalisée
chez 130 patients et 260 sujets contrôles, Domingo et al. ne retrouvaient
pas de susceptibilité accrue aux infections à méningocoque en présence
de FcLRIIa-R/R131, mais une sévérité de la pathologie plus importante
parmi ces sujets [20]. Dans les infections invasives à pneumocoques (IIP),
certaines études montrent une association entre la présence de FcLRIIa-R/
R131 et la susceptibilité ou la sévérité des IIP [21-24], tandis que des tra-
vaux récents rapportent que le génotype FcLRIIa-R/R131 est protecteur
vis-à-vis de ces infections [25]. Bouglé et al. ont rapporté chez 247 patients
que la présence du génotype variant FcLRIIa-R/R131 était associé à une
mortalité hospitalière plus faible que celle des patients porteurs des géno-
types communs. En analyse multivariée, le génotype FcLRIIa-R/R131 était
un facteur prédictif indépendant de survie hospitalière [26].
Les récepteurs impliqués dans la phagocytose sont donc des éléments cen-
traux pour le bon déroulement de l’immunité innée. Il est évident que les
déficits qualitatifs ou quantitatifs en phagocytes, notamment les polynu-
cléaires neutrophiles dans les neutropénies cycliques ou les neutropénies
congénitales sévères, respectivement liées aux mutations des gènes ELA2
et GF11, sont des situations favorisant la survenue d’infections sévères
à entérobactéries et staphylocoques. Cependant les patients atteints de
ces mutations ne présentent pas de susceptibilité particulière aux infec-
tions pneumococciques. Ceci souligne la spécificité de la réponse anti-
infectieuse et la difficulté de ce type de recherche, qui doit se focaliser sur
un type de micro-organisme. De même, il a été montré que les défauts
de molécules d’adhésion, indispensables à la phagocytose, favorisent les
infections sévères.

Génétique des récepteurs solubles


Le système du complément est également un acteur indispensable de
l’immunité innée. De nombreuses anomalies dans la voie d’activation du
complément ont été décrites, concernant pratiquement tous les compo-
sants de la cascade d’activation. Ainsi, il est connu depuis plus de 50 ans
Prédisposition génétique et sepsis 29

que les patients présentant un déficit en complément sont extrêmement


susceptibles de développer des infections à germes encapsulés, dont le
pneumocoque et le méningocoque. Environ 40 % des patients présen-
tant un déficit en C3 ont un risque relatif augmenté de faire une infec-
tion invasive à pneumocoque. Paradoxalement, les déficits en molécules
du complexe d’attaque membranaire (C5-C9) ne prédisposent pas aux
pneumococcémies.
La voie des lectines est la voie majeure d’activation du complément. À
ce titre, la mannose binding lectin (MBL) est une protéine essentielle
de l’immunité innée en activant le complément via sa fixation à la
protéine MASP (MBL-associated serine proteases). La MBL opsonise les
bactéries en se fixant au mannose et à la N-acétyl glucosamine de leur
surface. Les déficits et les polymorphismes de la MBL ont été associés
à la survenue d’infections invasives à pneumocoque, et à un risque
élevé de pneumonies bactériémiantes à ce germe. La mise en évidence
de ces anomalies pourrait également avoir des implications en pratique
clinique, telles que la mise en route d’un traitement de suppléance
en MBL ou la mise en place d’un dépistage systématique permettant
d’élargir ou de cibler les indications de vaccination antipneumo-
coccique et antiméningococcique.

Polymorphismes affectant la signalisation cellulaire


Après la reconnaissance du pathogène via ses PAMP par les récep-
teurs des cellules de l’immunité innée, le signal est transmis via des
cascades de signalisation cellulaire complexes et multiples qui peuvent
être altérées par l’existence d’un polymorphisme génétique. Ainsi, une
voie importante de signalisation en aval des TLR est la voie impliquant
la protéine MyD88 (myeloid differentiation factor 88) et la sérine thréo-
nine kinase IRAK4. Cette voie a été particulièrement étudiée chez des
enfants ayant présenté des infections graves et/ou répétées à pneumo-
coque. Les infections associées aux mutations d’IRAK4 sont le plus
souvent des infections invasives (méningites et bactériémies) à Strepto-
coccus pneumoniae et Staphylococcus aureus, et plus rarement Pseudomo-
nas aeruginosa et Salmonella. De façon intéressante, les enfants survi-
vant à ces épisodes infectieux répétitifs lors de l’enfance ne présentent
quasiment plus d’infections à l’âge adulte, suggérant le développement
compensateur de l’immunité adaptative par les lymphocytes B et T.
Dans le choc septique, un polymorphisme d’une autre protéine kinase
de cette voie de signalisation, IRAK1, a été associé avec une durée de
ventilation mécanique prolongée, et une mortalité accrue chez les pa-
tients les plus graves. L’effet péjoratif du polymorphisme était particu-
lièrement important chez les sujets les plus jeunes, suggérant que les
comorbidités liées à l’age peuvent masquer l’effet des variations géné-
tiques [17].
30 Infectiologie en réanimation

Génétique de l’immunité adaptative


2
Les principaux acteurs de l’immunité adaptative sont les lympho-
cytes B et T. Les anomalies touchant les lymphocytes B provoquent un
défaut de l’immunité humorale, c’est-à-dire lié à la production d’anti-
corps. Tous les déficits peuvent exister, de l’agammaglobulinémie au
déficit d’une sous-classe particulière d’immunoglobulines. L’agamma-
globulinémie liée à l’X est liée à la mutation BTK et est caractérisée par
l’absence totale de lymphocytes B et de gammaglobulines, favorisant ain-
si la répétition d’infections sévères. Les germes les plus souvent en cause
sont de nouveau les germes encapsulés. Les infections pneumococciques
chez ces patients sont le plus souvent des infections invasives, comme
des bactériémies, des méningites ou des arthrites. La supplémentation en
immunoglobulines intraveineuses permet de diminuer nettement l’in-
cidence de ces infections. Une autre forme d’agammaglobulinémie est
l’agammaglobulinémie autosomique récessive causée par des mutations
sur les gènes codant pour les chaînes lourdes μ des immunoglobulines, la
chaîne légère Q5/14.1, BLNK ou la chaîne IgF/CD79a. La présentation
clinique et biologique est la même que l’agammaglobulinémie liée à l’X.
Le syndrome hyper-IgM est caractérisé par une hypogammaglobuliné-
mie liée à la présence de mutations de CD40, CD40L, AID et UNG.
Ce syndrome est caractérisé par la survenue dès l’enfance d’infections
à Pneumocystis jirovecii, Toxoplasma gondii et Cryptosporidium parvum.
Il n’a pas été décrit de susceptibilité particulière aux infections dues au
pneumocoque. À l’inverse, les déficits de sous-classes d’IgG liées à des
variants génétiques, comme le déficit en IgG2, sont consécutifs à une
mutation dans la région du gène CL2 et les infections invasives à pneu-
mocoque.
Les anomalies génétiques touchant exclusivement les lymphocytes T sont
rares. Des mutations de la protéine Zap-70, protéine essentielle de la
transduction du signal après reconnaissance de l’antigène par le récepteur
du lymphocyte T (TCR), ont été rapportées. Les déficits complets se tra-
duisent par une absence de lymphocytes T, CD8+ et CD4+ provoquant
la survenue d’épisodes infectieux sévères à répétition. Les déficits partiels
sont plus souvent paucisymptomatiques sur le plan infectieux. Les autres
déficiences lymphocytaires T comme le syndrome de Wiskott-Aldrich, le
syndrome de Di-George et le déficit en adénosine désaminase s’accompa-
gnent également le plus souvent d’épisodes infectieux sévères.

Génétique des cytokines et sepsis


Les cytokines sont des médiateurs solubles indispensables à toute ré-
ponse immunitaire anti-infectieuse. S’il est clair que l’inflammation est
indispensable à l’élimination des pathogènes, tout excès soit dans la part
inflammatoire soit dans la part anti-inflammatoire de cette réaction est
délétère, conduisant au syndrome de défaillance multiviscérale et au décès
Prédisposition génétique et sepsis 31

ou à une immunosuppression facilitant les infections secondaires. Les po-


lymorphismes génétiques des différentes cytokines impliquées dans la ré-
ponse immune sont nombreux, et ont été associés depuis de nombreuses
années au risque infectieux et à sa sévérité.
Le TNF-F est une cytokine pro-inflammatoire centrale, impliquée dans
tous les mécanismes de défense contre l’agent pathogène mais également
dans les processus auto-inflammatoires et auto-immuns. Parmi les nom-
breux variants de son gène situé dans le chromosome 6, le polymorphisme
du TNF-F en position -308 de son promoteur (guanine remplacée par
une alanine) a été associé à la survenue de choc septique : la présence d’un
seul allèle muté, appelé TNF2 est également associée à une augmentation
significative du risque de purpura fulminans. Ce polymorphisme a égale-
ment été associé à une augmentation significative de la mortalité du choc
septique OR = 3,7 (IC 95 % = 1,37-10,24) [27]. Le TNF-G, également
appelé lymphotoxine-A, est exprimé et libéré par les lymphocytes. Son
gène situé également sur le chromosome 6 a un polymorphisme TNF-G-
252G appelé TNFB2 qui a également été associé à une augmentation de
la mortalité dans le choc septique. Stuber et al., en comparant les patients
décédés et les patients non décédés d’un sepsis sévère ou d’un choc sep-
tique en postopératoire, ont montré que 65 % des patients décédés pré-
sentaient ce polymorphisme versus 12 % chez les patients non décédés
(p < 0,005) [28]. Les autres cytokines inflammatoires telles que l’interleu-
kine 6, l’interleukine 1 et les protéines de choc thermique (heat schock pro-
tein : HSP) sont également concernées par l’existence de polymorphismes
fonctionnels et délétères en cas de sepsis.

Génétique de la coagulation et sepsis


Le choc septique est caractérisé par un état procoagulant et antifi-
brinolytique qui participe à la physiopathologie du syndrome de dé-
faillance multiviscérale. L’antithrombine III, la protéine C activée ou le
système fibrinolytique sont particulièrement impliqués [29]. La protéine
PAI-1 (plasminogen activator inhibitor 1) inhibe la protéine fibrinolytique
plasminogen activator. Son gène a un variant qui est une insertion délé-
tion, PAI-14G/5G, lequel est fonctionnel, conduisant à une augmenta-
tion des taux circulants de PAI-1 et donc à une inhibition accrue de la
fibrinolyse. Ce polymorphisme a été associé avec une susceptibilité accrue
aux pneumonies communautaires [30], et à une sévérité accrue de ces
pneumonies chez les patients hospitalisés en réanimation [31]. De même,
les patients hospitalisés pour sepsis sévère à point de départ pulmonaire et
porteurs de l’allèle 4G sont plus à risque de développer un choc septique
et un syndrome de défaillance multiviscérale [32]. Chez l’enfant, le poly-
morphisme 4G de PAI-1 a été associé avec l’incidence et la sévérité des
infections à méningocoques [33, 34].
La liste des variants génétiques délétères ou protecteurs dans le sepsis ne
cesse de s’accroître. Les gènes sont souvent ceux de protéines impliquées
32 Infectiologie en réanimation

dans la physiopathologie du sepsis. Ainsi cette recherche est limitée


2 par son côté a priori. Les nouveaux outils de recherche en génétique et
leur coût raisonnable, permettent actuellement de faire une recherche
large voire complète sur le génome afin de trouver de nouveaux gènes
candidats.

« Genome wide associations studies »

Les études pangénomiques (genome wide associations studies, GWA)


et bientôt le séquençage total du génome sont basés sur l’hypothèse com-
mon disease – common variant (CD-CV) qui postule que des allèles fré-
quents dans la population peuvent être associés à plusieurs pathologies en
fonction de l’environnement [35]. Ainsi, le Wellcome Trust Case Control
Consortium a publié en 2007 une étude pangénomique dans la popula-
tion britannique qui a permis d’identifier 24 signaux indépendants as-
sociés avec sept pathologies fréquentes (hypertension artérielle, maladie
de Crohn, trouble bipolaire, coronaropathie, polyarthrite rhumatoïde,
diabètes de type 1 et de type 2) [36]. Dans cette étude, les mêmes loci
étaient associés avec plusieurs pathologies différentes. Depuis l’étude de
Fellay et al. portant sur le VIH et publiée dans Science en 2007 [37], plu-
sieurs études pangénomiques se sont attachées à identifier des polymor-
phismes génétiques expliquant une partie de la variation de la réponse
individuelle aux maladies infectieuses. Dans cette première étude, les au-
teurs retrouvaient l’implication de plusieurs gènes du complexe majeur
d’histocompatibilité (CMH) dans le contrôle de la progression du VIH
dans la phase asymptomatique de la maladie. Plusieurs études pangéno-
miques ont depuis permis d’identifier des gènes d’intérêt dans l’infection
par le VIH, le VHB [38], ou le VHC [39]. Les travaux réalisés dans
l’infection par le VHC sont particulièrement intéressants, puisqu’ils sont
un exemple d’application clinique de ces études génétiques. Les études
pangénomiques ont en effet permis d’identifier une association entre la
réponse virologique soutenue (sustained virologic response : SVR) au trai-
tement par interféron F et la présence de plusieurs polymorphismes gé-
nétiques de l’IL-28 [40].
Les infections par pyogènes ont fait l’objet de peu d’études de ce type à ce
jour. Une étude GWA a néanmoins permis d’identifier de nouveaux loci
impliqués dans la physiopathologie des infections à méningocoques [41],
confirmant sur plus de 1500 patients et l’analyse d’un million de SNP,
le rôle majeur du système du complément dans le passage du portage
asymptomatique de Neisseria meningitidis à l’infection invasive à ménin-
gocoque. Une telle étude n’a pas été réalisée dans les infections invasives
à pneumocoques, mais il existe plusieurs travaux suggérant un rôle cru-
cial du facteur H du complément dans la physiopathologie de ces infec-
tions [42, 43]. Ces résultats concordants suggèrent une physiopathologie
au moins en partie commune pour les germes encapsulés, et montrent le
Prédisposition génétique et sepsis 33

caractère complémentaire de ces différentes méthodes. Le choc septique


est une pathologie fréquente et devrait facilement se prêter à ces études
larges et sans a priori.

Conclusion

Les importants progrès de la recherche en génétique, notamment


par les études d’associations pangénomiques, ont permis ces dernières
années de mettre en évidence des polymorphismes permettant d’expli-
quer les différences de phénotypes observées en réponse à l’agression
d’un même pathogène chez deux individus différents. Cependant, les
variants identifiés n’expliquent qu’une faible proportion des récurrences
familiales observées, suggérant la difficulté d’identifier les anomalies po-
lygéniques observables à l’âge adulte. Des études ciblées devront ainsi
être menées sur de grands échantillons de patients permettant ainsi d’ex-
pliquer des déficits plus complexes accessibles demain à d’éventuelles
thérapeutiques ou ajustements thérapeutiques spécifiques et adaptés à
chaque patient.

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Évolution des résistances bactériennes
en réanimation
3
V. CATTOIR, R. LECLERCQ

Introduction

La surveillance de l’évolution des résistances bactériennes aux antibio-


tiques a un double objectif. Elle est d’abord indispensable pour disposer
de données guidant les protocoles de traitement probabiliste des infec-
tions. Ensuite, elle s’intègre dans la politique globale de prévention des
infections nosocomiales. C’est un composant incontournable des indica-
teurs d’activité et de qualité des services de réanimation et des référentiels
d’accréditation des établissements.
Cette surveillance s’effectue à plusieurs niveaux dont les objectifs se com-
plètent : local, régional, national et international. Le niveau local a pour
but de donner des indications pour les traitements probabilistes des infec-
tions. Les autres niveaux permettent aux établissements, aux régions et
aux pays de se comparer entre eux. Pour les comparaisons, il convient
d’être attentif à l’homogénéité des méthodologies de surveillance.
Au niveau national, la surveillance s’est organisée depuis le début des
années 1990, sous l’égide des Comités de Coordination de la Lutte contre
les Infections Nosocomiales (C-CLIN). Cette surveillance s’est structurée
depuis 2004 au sein du Réseau d’alerte, d’investigation et de surveillance
des infections nosocomiales (Raisin) avec un effort de standardisation
progressive des méthodologies [1]. Dans ce cadre (REA-Raisin), les ser-
vices volontaires de réanimation recueillent pendant 6 mois des données
concernant tout patient hospitalisé plus de 2 jours, dont la résistance aux
antibiotiques.

V. Cattoir , R. Leclercq
CHU de Caen – Service de microbiologie
CNR de la résistance aux antibiotiques (laboratoire associé « Entérocoques et résistances particulières
des bactéries à Gram positif »)
Avenue Côte de Nacre – 14033 Caen Cedex 9
E-mail : [email protected]
Sous la direction de Pierre Charbonneau et Michel Wolff, Infectiologie en réanimation.
ISBN : 978-2-8178-0388-3, © Springer-Verlag Paris 2013
37
38 Infectiologie en réanimation

Au niveau européen, des données globales (non limitées à la réanimation)


3 sont obtenues grâce au réseau EARS-Net [2].
La surveillance en réanimation, comme dans les autres types de services
de soins, cible les bactéries multirésistantes aux antibiotiques (BMR),
qui ne sont plus sensibles qu’à un petit nombre d’antibiotiques du fait
de l’accumulation des résistances. Certaines BMR sont les cibles du
programme national redéfini régulièrement. Actuellement, les Staphy-
lococcus aureus résistants à la méticilline (SARM), les entérobactéries
résistantes au céfotaxime ou à l’imipénème, les Pseudomonas aeruginosa
résistants à la ticarcilline, les entérocoques résistants à l’ampicilline
ou à la vancomycine, les Acinetobacter résistants à la ceftazidime, sont
ciblés. On dispose donc surtout de données pour ces bactéries. En réa-
nimation, il est utile de décliner cette surveillance de la résistance selon
les infections, souvent liées à un dispositif invasif, pour lesquelles une
démarche de prévention est essentielle : pneumonie, colonisation de
cathéter veineux central et infection associée, bactériémie et infection
urinaire.
L’expression des résultats se fait sous diverses formes : nombre absolu de
souches résistantes, proportion de résistance au sein de l’espèce bacté-
rienne sur une période donnée, prévalence (nombre de bactéries résis-
tantes rapporté au nombre de patients présents × 100, un jour donné),
incidence cumulée (nombre de nouvelles bactéries résistantes rapporté
au nombre de patients présents × 100, sur une période donnée) et den-
sité d’incidence (nombre de nouvelles bactéries résistantes rapporté au
nombre de journées d’hospitalisation × 1000, sur une période donnée).
Le plus souvent, c’est la proportion de résistance dans l’espèce qui est
utilisée.

Bactéries à Gram positif

Staphylococcus aureus
Les taux de résistance à la méticilline chez S. aureus ont atteint de
hauts niveaux depuis plusieurs décennies, excepté dans les hôpitaux des
pays européens nordiques. Les infections à SARM sont le plus souvent
liées aux soins, et la surveillance de leur taux fournit un indicateur de
qualité des soins. En France, un exemple d’évolution est montré, tous
services et prélèvements confondus, pour le CHU Henri Mondor de Cré-
teil [3] (fig. 1). La proportion de SARM, qui atteignait 40 % dans les an-
nées 1970, a fortement décru jusqu’en 1977 pour des raisons inconnues,
pour ensuite augmenter fortement jusque dans les années 1990. Ce n’est
qu’à partir du milieu de cette décennie que ce taux a de nouveau décru
progressivement. Ces variations se sont accompagnées de changement
de clones de staphylocoques. Ceux des années 1970 étaient sensibles à
la gentamicine ; l’émergence au cours des années 1980 a vu la diffusion
Évolution des résistances bactériennes en réanimation 39

de clones résistants à la gentamicine. À partir de 1984, l’introduction


des quinolones en thérapeutique s’est accompagnée d’une forte diffusion
de SARM presque tous résistants aux quinolones, à la gentamicine et à
la rifampicine. Depuis le milieu des années 1990, les SARM sont moins
multirésistants. Ils sont fréquemment (> 90 %) sensibles à la rifampi-
cine, à la gentamicine, à l’acide fusidique et à la fosfomycine ; néanmoins,
ils sont fréquemment résistants aux fluoroquinolones, à la kanamycine/
amikacine et à la tobramycine (environ 90 %). Une telle évolution a été
observée dans d’autres hôpitaux français [4].

Fig. 1 – Évolution de la résistance à la méticilline (oxacilline) chez S. aureus au CHU Henri Mon-
dor depuis 1969 [3]. Les flèches dirigées vers le bas indiquent les principaux phénotypes de
résistance des souches ; les flèches dirigées vers le haut datent l’introduction de divers antibio-
tiques en thérapeutique ou mesures d’hygiène.

Depuis les années 1990, des chiffres sont disponibles spécifiquement pour
les services de réanimation. La figure 2 montre l’évolution de la propor-
tion de SARM dans le groupe Assistance Publique-Hôpitaux de Paris. La
décroissance s’observe dans les diverses spécialités médicales, mais elle est
surtout remarquable en réanimation. Ses raisons ne sont pas complète-
ment comprises. Le changement de clones serait en partie en cause, mais
on considère généralement que l’application stricte des mesures de pré-
vention, notamment des précautions contact après les années 1990, puis
l’introduction des frictions hydroalcooliques dans les années 2000 ont été
des éléments déterminants [5, 6]. L’influence de la consommation d’anti-
biotiques est indéniable ; elle participe à l’émergence des clones successifs
plus ou moins multirésistants. L’utilisation massive des fluoroquinolones
à la fin des années 1980 a été incriminée dans la dissémination des SARM
multirésistants. Une expérience d’arrêt quasi complet de l’utilisation des
quinolones pendant une année au CHU de Caen en 2001 a été corrélée
avec une réduction significative du taux de SARM [7].
40 Infectiologie en réanimation

Fig. 2 – Évolution de la résistance à la méticilline (oxacilline) chez S. aureus dans les services de
soins intensifs (losanges bleus), chirurgie (carrés roses) et médecine (triangles jaunes) des hôpi-
taux de l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris [5].

L’étude REA-Raisin, qui a collecté les données de 181 services de réani-


mation sur 6 mois, a montré en 2010 une stabilisation de la résistance à
la méticilline chez S. aureus à 35,0 % (contre 48,7 % en 2004) [8]. Entre
2002 et 2009, la réduction en densité d’incidence a été de 42 % (de 2,52
à 1,46/1000 journées d’hospitalisation) contre 39 % en court séjour.
Cette baisse de l’incidence des SARM est surtout observée dans certaines
régions qui étaient à haute prévalence de SARM (Île-de-France, Nord-
Pas-de-Calais, Pays de la Loire) et dans les établissements de grande taille
(CHU notamment).
Les données des pays étrangers montrent de grandes différences entre eux
(tableau I). Quelques pays commencent à voir les taux de SARM décroître
comme en France. Il est souvent intéressant de disposer de données en
densité d’incidence qui peuvent apporter un éclairage différent. Ainsi, en
Allemagne la proportion de SARM a peu varié voire augmenté (tableau I).
En revanche, les données de 103 services de réanimation ont montré une
baisse de la densité d’incidence des infections à SARM de 0,37/1000 jour-
nées d’hospitalisation à 0,15 entre 2001 et 2010 [9]. Cette diminution est
parallèle à la diminution générale du taux d’infections nosocomiales dans
ce pays, alors que la proportion de SARM a peu changé.
Évolution des résistances bactériennes en réanimation 41
Tableau I – Pourcentage de BMR dans divers pays européens en 2001 et 2010 [2].
Les chiffres des pays dont le taux de SARM diminue en 2010 sont en gras.
% de résistance (I + R) à
Pays l’oxacilline la vancomycine la pénicilline chez
chez S. aureus chez E. faecium S. pneumoniae
2001 2010 2010 2010
Allemagne 15,6 20,8 8,5 3,7
Autriche 7,6 7,4 4 4
Belgique 22,5 20,5 2,5 0,4
Bulgarie 27,2 19,0 0 18,2
Danemark 0,8 1,3 1,8 3,6
Espagne 24,4 25,3 1,9 29,8
Estonie 5,1 0,7 0 1,6
Finlande 0,8 2,3 0,4 14,2
France 33,4 21,6 1,3 27,6
Grèce 40,4 39,2 22,5 –
Hongrie 4,7 30,2 1,9 15
Irlande 42,7 23,9 39 18
Islande 0,0 1,5 6,3 5,4
Italie 41,0 36,5 5,4 9,1
Luxembourg 20,0 16,5 31,8 12
Norvège 0,5 0,6 1,5 3,6
Pays-Bas 0,5 1,2 0,5 2
Pologne 15,9 13,1 8,8 24
Portugal 31,9 53,4 23,4 14,7
République Tchèque 6,0 13,5 4,8 4,9
Suède 0,9 0,5 0 2,8
Royaume-Uni 47,3 21,6 10,4 3,1

La proportion de SARM dans les services de soins intensifs est encore


plus élevée dans les pays en voie de développement, atteignant 84 % dans
une étude de 2008 comparant divers pays des cinq continents (10). Les
services de soins intensifs des États-Unis connaissent aussi de forts taux de
résistance, 54 % dans la même étude.
À côté des SARM hospitaliers qui appartiennent à cinq grandes lignées
de clones pandémiques, le clone Lyon étant le plus prévalent en France,
sont apparus des SARM communautaires. Les clones de SARM commu-
nautaires sont tout à fait distincts des SARM hospitaliers [11]. Ils sont
42 Infectiologie en réanimation

sensibles à de nombreux antibiotiques dont les quinolones, et produisent


3 généralement une toxine, la leucocidine de Panton-Valentine (PVL). Ils
ont un tropisme cutané et sont responsables d’infections sévères de la peau
et des tissus mous. Ils diffusent chez les enfants et dans les collectivités,
notamment de sportifs. Plusieurs clones continentaux ont été décrits. Le
clone USA 300 qui est très épidémique diffuse aux États-Unis où il est res-
ponsable d’un grand nombre d’infections. Le clone européen ST 80 n’est
responsable que d’un nombre restreint d’infections [12]. Plusieurs études
françaises, menées entre 2003 et 2008, ont montré que la proportion de
SARM communautaires producteurs de PVL(+) reste stable et peu éle-
vée, entre 1,2 et 1,5 % [13, 14]. Cependant, les services de réanimation
peuvent être concernés par les cas sporadiques de pneumonie nécrosante à
S. aureus, où la proportion de SARM PVL atteint 30 %. Actuellement, un
nouveau clone de SARM appelé « Géraldine » est trouvé dans la commu-
nauté et à l’hôpital [15]. Les souches de ce clone ne contiennent pas le gène
codant pour la PVL mais celui encodant la toxine du choc toxique staphy-
lococcique (TSST-1). L’incidence reste faible (6,3 % des SARM) mais plus
importante que celle des SARM PVL(+). Ce clone est responsable, comme
les clones PVL, d’infections cutanées, mais ne semble pas provoquer plus
de choc toxique staphylococcique.
L’introduction puis la diffusion des clones de SARM communautaires en
milieu hospitalier ont été rapportées dans divers pays étrangers (Grèce,
États-Unis, Japon), mais ne semblent pas être survenues en France
jusque-là [16]. L’impact de ces SARM communautaires sur l’évolution
des résistances en réanimation reste donc limité en France pour l’instant.
Les souches de SARM résistantes à la vancomycine (anciennement appe-
lées GISA ou hétéro-VISA) ont été rapportées il y a plus de 20 ans, mais
elles restent rares. Dans le rapport REA-Raisin, leur fréquence oscille,
entre 2004 et 2010, entre 0 et 0,5 % [8].

Entérocoques
La résistance à l’ampicilline est rare chez Enterococcus faecalis, alors
qu’elle est fréquente chez Enterococcus faecium. Dans l’étude REA-Raisin,
la résistance à l’ampicilline chez E. faecium a progressé de 43,6 % en
2007 à 73 ,8 % en 2010 [8].
La résistance à la vancomycine, décrite depuis la fin des années 1980,
est suivie avec attention. En effet, certains pays comme les États-Unis
connaissent une diffusion importante de ces souches multirésistantes.
Ainsi dans une étude publiée en 2001, le taux moyen de résistance à la
vancomycine chez les entérocoques dans 126 unités de soins intensifs des
États-Unis était de 10 % avec une dispersion de 0 à 59 % [17]. Les pour-
centages de résistance observés chez les souches de E. faecium isolées d’hé-
mocultures sont montrés dans le tableau I. En France, l’étude REA-Raisin
montre un taux stable inférieur à 2 % chez E. faecalis et entre 2,6 et 6,3 %
chez E. faecium entre 2007 et 2010 [8].
Évolution des résistances bactériennes en réanimation 43

Pneumocoques
Les pneumocoques ont développé des résistances aux G-lactamines de-
puis la fin des années 1970. Les pourcentages de souches intermédiaires
et résistantes à la pénicilline G dans divers pays européens sont montrés
dans le tableau I. En France, même si les taux de non-sensibilité à la
pénicilline G ont pu atteindre il y a une dizaine d’années environ 40 %,
il s’agit surtout de sensibilité diminuée [18]. Ainsi, pour les souches in-
vasives isolées chez l’enfant et chez l’adulte, en 2009, le pourcentage de
souches résistantes à l’amoxicilline est faible (< 1 %) et le pourcentage de
souches sensibles est au moins de 91 % et de 97 %, respectivement pour
le cefotaxime et la ceftriaxone [18]. Une seule souche isolée d’une hé-
moculture chez un patient adulte exprimait une résistance au céfotaxime
(CMI > 2 mg/L) [18].

Bactéries à Gram négatif

Entérobactéries
Les espèces de la famille des Enterobacteriaceae sont responsables de
nombreuses infections communautaires et nosocomiales. En 2007, une
étude internationale rapportait des taux de prévalence des infections dans
les services de réanimation d’Europe de l’Ouest de 17,1 % pour Esche-
richia coli, de 9,7 % pour Klebsiella spp. et de 6,9 % pour Enterobacter
spp. [19]. En France en 2010, les infections à E. coli, Klebsiella pneumo-
niae, Klebsiella oxytoca, Enterobacter cloacae, Enterobacter aerogenes et Pro-
teus mirabilis représentaient respectivement 12 %, 5,1 %, 1,5 %, 4,9 %,
2,1 %, et 2,2 % des cas d’infections en réanimation associées à un dis-
positif invasif [8]. Plus spécifiquement, E. coli était responsable de 9,1 %
des pneumopathies, de 9,4 % des bactériémies et de 30 % des infections
urinaires [8].
Les profils de résistance naturelle aux G-lactamines sont différents d’une
espèce à une autre : E. coli et P. mirabilis ne produisent pas de G-lactamase
et sont donc sensibles ; Klebsiella spp. produit une pénicillinase chromo-
somique avec une résistance aux aminopénicillines dont l’activité est res-
taurée par les inhibiteurs ; Enterobacter spp. produit une céphalosporinase
chromosomique avec une résistance aux aminopénicillines ± inhibiteurs
et aux céphalosporines de première et deuxième générations. Le principal
problème de résistance aux G-lactamines est l’apparition de la résistance
aux céphalosporines de troisième génération (C3G), qui peut être due
à une hyperproduction de céphalosporinase chromosomique (en géné-
ral sélectionnée in vivo), l’acquisition d’une céphalosporinase (ex. CMY,
DHA) ou d’une bêtalactamase à spectre étendu (BLSE) plasmidiques. En
France, les céphalosporinases plasmidiques sont rares, représentant moins
de 0,6 % des souches d’E. coli, de Klebsiella spp. et de P. mirabilis en
44 Infectiologie en réanimation

2009 [20]. Au contraire, les BLSE ont très largement diffusé au niveau
3 international. Ces enzymes appartiennent à trois groupes principaux
(TEM, SHV et CTX-M) dont il existe plusieurs centaines de variants
décrits à ce jour. Avant 2000, les principales BLSE étaient des dérivés des
pénicillinases de type TEM ou SHV et étaient principalement retrou-
vées chez les espèces des genres Klebsiella et Enterobacter. Depuis 2000, la
situation épidémiologique a complètement changé avec la diffusion des
BLSE de type CTX-M (notamment CTX-M-15), notamment chez l’es-
pèce E. coli [21]. Cette « pandémie » correspond à une diffusion mixte de
souches et de plasmides, avec la dissémination de certains clones hyper-
épidémiques, comme le clone B2 E. coli O25 :H24 ST131 qui produit une
CTX-M-15 [22]. En 2010, 27,1 % des souches d’entérobactéries isolées
d’infections dans les services de réanimation français étaient résistantes
aux C3G, tandis que 18,4 % étaient productrices de BLSE, ces taux de
prévalence augmentant régulièrement depuis 2006 (fig. 3) [8]. En 2010,
7 % des souches invasives d’E. coli isolées en France étaient résistantes aux
C3G, avec une augmentation constante depuis 2005 (fig. 4) [2]. Pour
K. pneumoniae, 18 % des souches invasives isolées en France étaient résis-
tantes aux C3G en 2010 (fig. 4) tandis que certains pays, comme la Grèce,
présentaient des taux de prévalence supérieurs à 50 % [2]. Dans une étude
internationale (422 services de réanimation dans 36 pays) menée entre
2004 et 2009, la proportion de souches d’E. coli et K. pneumoniae résis-
tantes aux C3G dans les infections liées à un dispositif invasif était res-
pectivement de 66,7 % et 76,3 % pour les bactériémies sur cathéter, de
67,5 % et 68,9 % pour les pneumonies sous ventilation mécanique et
de 49,7 % et 72,2 % pour les infections urinaires sur sonde [23]. Par
comparaison, aux États-Unis en 2006-2007, la proportion de ces souches
d’E. coli et K. pneumoniae résistantes aux C3G était respectivement de
8,1 % et 27,1 % pour les bactériémies sur cathéter, de 11 % et 23,7 %
pour les pneumonies sous ventilation mécanique et de 5,5 % et 21,2 %
pour les infections urinaires sur sonde [24].

Fig. 3 – Évolution de la résistance bactérienne chez les bacilles à Gram négatif responsables
d’infections nosocomiales dans les services de réanimation français de 2004 à 2010 [8].
Évolution des résistances bactériennes en réanimation 45

Fig. 4 – Évolution de la résistance bactérienne chez les souches invasives d’E. coli (A), de K. pneu-
moniae (B) et de P. aeruginosa (C) en France (tous services confondus) de 2003 à 2010 [2].

Du fait de la diffusion des BLSE et de l’utilisation croissante des car-


bapénèmes, il y a également une émergence de la résistance aux car-
bapénèmes chez les entérobactéries [25]. Initialement, cette résistance
était principalement sélectionnée sous traitement, étant due à un défaut
de perméabilité associé à une hyperproduction de céphalosporinase
ou une production de BLSE. À l’heure actuelle, il y a une dissémina-
tion mondiale d’enzymes transférables appelées carbapénèmases. Ces
G-lactamases peuvent être classées en trois catégories : les enzymes de
classe A (ex. KPC), les métallo-G-lactamases de classe B (ex. VIM, IMP,
NDM) et les oxacillinases de classe D (ex. OXA-48) [26]. Les enzymes
de type KPC ont initialement été décrites chez K. pneumoniae sur la
46 Infectiologie en réanimation

côte Est des États-Unis et en Israël, mais sont actuellement endémiques


3 dans certains pays d’Europe comme la Grèce, tandis que des épidémies
ont aussi été rapportées dans de nombreux pays européens [27]. En
France, une épidémie due à une souche de K. pneumoniae KPC-2 a
eu lieu dans deux hôpitaux de la banlieue parisienne, le patient source
ayant été transféré depuis la Grèce [28]. À noter qu’un clone unique
de K. pneumoniae producteur de KPC (ST258) diffuse actuellement
dans le monde entier [22]. Les enzymes VIM et IMP sont assez rares
chez les entérobactéries mais peuvent être endémiques dans certains
pays, comme la Grèce [29]. En France, une épidémie à K. pneumoniae
VIM-1, dont le cas index était un patient transféré depuis un hôpital
grec, a notamment eu lieu dans un centre de transplantation hépatique
de banlieue parisienne en 2003-2004 [30]. Après sa découverte initiale
en Suède chez un patient indien transféré depuis New Delhi en 2008,
l’enzyme NDM-1 avait principalement été détectée au Royaume-Uni,
en Inde, au Pakistan et au Bangladesh. Depuis, les entérobactéries pro-
ductrices de NDM-1 (principalement K. pneumoniae et E. coli) ont
été isolées sur tous les continents (sauf en Amérique du sud et cen-
trale), avec dans la majorité des cas un lien direct avec le sous-continent
indien [31]. Des résultats récents suggèrent que les états des Balkans
et le Moyen-Orient seraient des réservoirs secondaires [31]. Enfin, la
première souche productrice d’OXA-48 était une souche de K. pneu-
moniae isolée en Turquie en 2003, puis de nombreuses souches d’enté-
robactéries OXA-48(+) responsables d’épidémies hospitalières ont été
rapportées par la suite dans ce pays [32]. À l’heure actuelle, cette carba-
pénèmase a été identifiée dans plusieurs pays notamment au niveau du
bassin méditerranéen, alors que plusieurs épidémies ont été décrites en
Europe, y compris en France [32].
À l’heure actuelle, les carbapénèmases sont principalement retrouvées
chez K. pneumoniae, et dans une moindre mesure chez E. coli, avec une
plus forte prévalence en Europe du Sud et en Asie. Par exemple, les taux
de prévalence de résistance aux carbapénèmes chez les souches invasives
de K. pneumoniae en 2010 étaient de 49,1 % en Grèce, de 16,4 % à
Chypre, de 15,2 % en Italie et de 5,5 % en Hongrie, alors que les autres
pays européens présentaient des taux inférieurs à 2 % [2]. En France,
même si la proportion des souches invasives d’E. coli et K. pneumoniae
était proche de 0 % en 2010 [2], il y a une augmentation significative du
nombre d’épisodes d’infection/colonisation à entérobactéries résistantes
aux carbapénèmes depuis fin 2010 [33]. Sur la période de surveillance de
2004 à 2011, 53 épisodes (pour un total de 169 cas) ont été déclarés, et
les carbapénèmases identifiées étaient OXA-48 (n = 23), KPC (n = 16),
NDM-1 (n = 7) et VIM (n = 7) [33]. Dans près de 80 % des épisodes,
un lien direct avec un transfert ou un voyage depuis un pays étranger
était retrouvé : OXA-48 (Maroc, Algérie, Tunisie, Égypte, Turquie), KPC
(Grèce, Italie Algérie, États-Unis), NDM-1 (Inde, Irak) et VIM (Grèce,
Italie, Algérie) [33]. Dans une étude internationale (422 services de réa-
nimation dans 36 pays) menée entre 2004 et 2009, la proportion de
Évolution des résistances bactériennes en réanimation 47

souches d’E. coli et K. pneumoniae résistantes aux carbapénèmes dans


les infections liées à un dispositif invasif était respectivement de 4,4 %
et 7,9 % pour les bactériémies sur cathéter, de 4,2 % et 7 % pour les
pneumonies sous ventilation mécanique et de 5,5 % et 7,2 % pour les
infections urinaires sur sonde [23]. Aux États-Unis en 2006-2007, la pro-
portion de ces souches d’E. coli et K. pneumoniae était respectivement de
0,9 % et 10,8 %, de 1,8 % et 3,6 % et de 4 % et 10,1 % pour ces trois
types d’infections [24].
Concernant les autres familles d’antibiotiques, 7 % et 18 % des souches
invasives d’E. coli et K. pneumoniae isolées en France étaient résistantes
aux aminosides en 2010, tandis que 18 % et 22 % étaient résistantes
aux fluoroquinolones (fig. 4) [2]. Sur 1415 souches d’E. coli isolées
dans les services de réanimation européens entre 2004 et 2009, 97,5 %
et 71,5 % étaient respectivement sensibles à l’amikacine et à la lévo-
floxacine (tableau II) [34]. Pour K. pneumoniae et E. cloacae, ces taux
étaient respectivement de 95 % et 75,9 % et de 96,8 % et 83,8 % [34].
À noter qu’il existe à l’heure actuelle une émergence d’enzymes plas-
midiques (notamment en Asie), appelées méthylases de l’ARNr 16S
(ex. ArmA, RmtA-D), qui confèrent la résistance de haut niveau (CMI
≥ 256 mg/L) à tous les aminosides [35]. Un problème majeur réside
dans le fait que ces gènes de résistances sont souvent portés par les
mêmes éléments génétiques mobiles que les gènes codant pour les BLSE
ou les carbapénèmases. Une forte prévalence (75 %) de ces enzymes
a notamment été mise en évidence chez les souches productrices de
NDM-1 [36].
Selon le dernier rapport EARS-Net, 2,9 % et 14,8 % des souches inva-
sives d’E. coli et K. pneumoniae isolées en France en 2010 étaient mul-
tirésistantes, c’est-à-dire résistantes aux C3G, aux aminosides et aux
fluoroquinolones [2]. Sur une collection de 81 souches d’entérobactéries
résistantes aux carbapénèmes isolées au Royaume-Uni, 92,6 %, 60,5 %
et 46,9 % restaient respectivement sensibles à la colistine, à la fosfomy-
cine et à la tigécycline [37].
3
48

Tableau II – Activité in vitro (CMI90 en mg/L) et taux de sensibilité ( % S) de 12 antibiotiques vis-à-vis de souches de bacilles à Gram négatif isolées dans les services de
réanimation en Europe entre 2004 et 2009 [34].

Antibiotique E. coli K. pneumoniae K. oxytoca E. cloacae A. baumannii P. aeruginosa


(n = 1415) (n = 1566) (n = 513) (n = 1596) (n = 1472) (n = 1770)
CMI90 %S CMI90 %S CMI90 %S CMI90 %S CMI90 %S CMI90 %S
Amikacine 8 97,5 16 95,0 4 99,2 8 96,8 ≥ 128 52,0 32 87,9
Infectiologie en réanimation

Amoxicilline- 32 63,4 ≥ 64 59,7 32 74,5 ≥ 64 1,4 ≥ 64 – ≥ 64 –


Acide clavulanique
Ampicilline ≥ 64 33,1 ≥ 64 0,6 ≥ 64 1,6 ≥ 64 1,0 ≥ 64 – ≥ 64 –
Céfépime 16 88,4 ≥ 64 76,9 4 95,7 16 89,7 ≥ 64 40,5 32 65,8
Ceftazidime – – – – – – – – ≥ 64 35,7 ≥ 64 64,4
Ceftriaxone ≥ 128 80,2 ≥ 128 63,1 16 78,4 ≥ 128 46,2 ≥ 128 18,1 ≥ 128 9,5
Imipénème 0,5 99,1 0,5 95,1 0,5 100 1 93,5 ≥ 32 77,9 16 72,3
Lévofloxacine ≥ 16 71,5 ≥ 16 75,9 2 90,8 8 83,8 ≥ 16 39,6 ≥ 16 57,4
Méropénème ≤ 0,06 99,5 0,25 94,7 ≤ 0,06 99,2 0,25 96,0 ≥ 32 53,3 ≥ 32 67,6
Minocycline 16 75,9 ≥ 32 64,9 8 86,0 16 66,4 8 86,1 ≥ 32 –
Pipéracilline- 32 86,8 ≥ 256 72,8 ≥ 256 79,3 ≥ 256 62,0 ≥ 256 35,3 ≥ 256 76,6
Tazobactam
Tigécycline 0,5 99,9 2 95,3 1 98,4 2 94,4 2 – ≥ 32 –
Évolution des résistances bactériennes en réanimation 49

Pseudomonas aeruginosa
À côté de son rôle pathogène chez le patient atteint de mucovisci-
dose, le bacille pyocyanique est une cause majeure d’infections nosoco-
miales, notamment chez le patient de réanimation et le grand brûlé. Dans
une étude internationale de prévalence menée en 2007, les infections à
Pseudomonas spp. représentaient 17,1 % des cas dans les 667 services de
réanimation d’Europe de l’Ouest [19]. En France, P. aeruginosa était res-
ponsable de 16 % des infections en réanimation associées à un dispositif
invasif en 2010 : 20,5 % des pneumopathies, 9,4 % des bactériémies et
13,9 % des infections urinaires [8].
Bactérie de l’environnement, P. aeruginosa est naturellement résistant à
de nombreux antiseptiques et antibiotiques (amoxicilline ± acide clavula-
nique, céphalosporines de première et deuxième générations, céfotaxime,
ceftriaxone, ertapénème, tétracyclines, chloramphénicol, triméthoprime
et quinolones). Ceci est dû à la production d’une céphalosporinase chro-
mosomique, à une faible perméabilité membranaire et à la présence de
nombreux systèmes d’efflux actif (ex. MexAB-OprM) [38]. Inductible par
certaines G-lactamines (ex. acide clavulanique, imipénème), la céphalos-
porinase peut aussi être déréprimée par mutation(s), conférant ainsi une
résistance aux céphalosporines actives telles que la ceftazidime ou le céfé-
pime [39]. Même si les BLSE peuvent être fréquentes dans certaines régions
du monde (ex. PER-1 en Turquie, VEB-1 en Asie du Sud-Est) [40], ces
enzymes restent très rares en France, avec une prévalence estimée à 0,3 %
en 2007 [41]. En 2010, 34,5 % et 18,2 % des souches de P. aeruginosa
isolées d’infections dans les services de réanimation français étaient res-
pectivement résistantes à la ticarcilline et à la ceftazidime (fig. 3) [8]. À
titre de comparaison, les prévalences de la résistance à la pipéracilline et
la ceftazidime étaient respectivement de 20 et de 13 % parmi les souches
invasives de P. aeruginosa isolées en France en 2010 (fig. 4) [2].
La résistance aux carbapénèmes chez P. aeruginosa est principalement liée à
la perte de la porine D2 (aussi appelée OprD) souvent associée à la surex-
pression de systèmes de pompes d’efflux [42]. De plus, cette résistance
peut également être due à l’acquisition de carbapénèmases plasmidiques,
notamment des métallo-G-lactamases (ex. VIM-1 en Italie, VIM-2 en
Grèce) [43], mais ces enzymes sont rares en France, avec une prévalence
de 0,2 % en 2007 [41]. En 2010, 18 % des souches invasives de P. aeru-
ginosa étaient résistantes aux carbapénèmes en France, ce taux variant
entre 12 % et 17 % sur la période 2005-2009 (fig. 4) [8]. Dans une étude
internationale (422 services de réanimation dans 36 pays) menée entre
2004 et 2009, la proportion de souches résistantes à l’imipénème et/ou
au méropénème dans les infections liées à un dispositif invasif était res-
pectivement de 47,2 %, de 42,7 % et de 36,5 % pour les bactériémies
sur cathéter, les pneumonies sous ventilation mécanique et les infections
urinaires sur sonde [23]. Aux États-Unis en 2006-2007, la proportion des
souches résistantes aux carbapénèmes était respectivement de 23 %, de
25,1 % et de 26,4 % pour ces trois types d’infections [24].
50 Infectiologie en réanimation

Concernant les autres familles d’antibiotiques, 19 % et 23 % des souches


3 invasives de P. aeruginosa isolées en France étaient respectivement résis-
tantes aux aminosides et fluoroquinolones en 2010, ces taux étant assez
stables depuis 2005 (fig. 4) [8]. Sur 1472 souches isolées dans les ser-
vices de réanimation européens entre 2004 et 2009, 87,9 % et 57,4 %
étaient respectivement sensibles à l’amikacine et à la lévofloxacine
(tableau II) [34]. À noter que les méthylases de l’ARNr 16S plasmidiques
ont également été retrouvées chez P. aeruginosa [35].
Selon le dernier rapport EARS-Net, 14,7 % des souches invasives de
P. aeruginosa isolées en France étaient multirésistantes, c’est-à-dire au
moins résistantes à trois marqueurs sur les cinq testés (pipéracilline, cef-
tazidime, carbapénèmes, aminosides et fluoroquinolones) [8]. Pour le
traitement des infections dues à ces souches, la seule option reste le plus
souvent les polymyxines (CMI90 ≤ 1 mg/L) qui restent actives sur la plu-
part des souches (99,7 %) [44]. La résistance à la colistine, due à des
modifications du LPS, peut être sélectionnée sous traitement.

Acinetobacter baumannii
Longtemps considérée comme une espèce peu pathogène, A. bau-
mannii est devenu en quelques décennies une cause majeure d’infections
nosocomiales, notamment dans les services de réanimation. Dans une
étude internationale de 2007, la prévalence des infections à Acinetobac-
ter spp. dans 667 services de réanimation était de 5,6 % en Europe de
l’Ouest [19]. Colonisant et infectant les patients les plus fragiles, cette
bactérie opportuniste est principalement responsable de pneumonies ac-
quises sous ventilation mécanique, de bactériémies sur cathéter et d’in-
fections urinaires sur sonde, tandis que les méningites postneurochirur-
gicales ne sont pas exceptionnelles [45]. En 2010, A. baumannii était
responsable de 2,1 % des infections liées à un dispositif invasif dans les
services de réanimation français : 2,8 % des pneumopathies, 1,3 % des
bactériémies et 0,3 % des infections urinaires [2].
Du fait da sa survie prolongée dans l’environnement (due à sa résistance
aux antiseptiques et à la dessiccation) et de sa résistance naturelle à de nom-
breux antibiotiques (G-lactamases, imperméabilité, efflux actif), A. bau-
mannii est à l’origine de nombreuses épidémies hospitalières. Sa résistance
intrinsèque aux G-lactamines (amoxicilline ± acide clavulanique, cépha-
losporines de première et deuxième générations, aztréonam) est en partie
liée à la production d’une céphalosporinase, qui peut être surexprimée en
conférant la résistance aux céphalosporines actives comme la ceftazidime
ou le céfépime [46]. En 2010, 75,6 % des souches d’A. baumannii isolées
d’infections dans les services de réanimation en France étaient résistantes
à la ceftazidime, ce taux variant entre 60,4 % et 80,2 % entre 2004 et
2009 (fig. 3) [2]. En Europe, les taux de résistance à la ceftazidime et au
céfépime étaient respectivement de 64,3 % et 59,5 % parmi les souches
isolées en réanimation entre 2004 et 2009 (tableau II) [34]. De plus,
Évolution des résistances bactériennes en réanimation 51

A. baumannii est capable, par acquisition d’éléments génétiques mobiles


(plasmides, transposons, intégrons), d’accumuler de multiples déter-
minants de résistance, comme par exemple des enzymes de type BLSE
(notamment PER-1 en Turquie, VEB-1 en France et Belgique) [46]. Par
exemple, une souche productrice de l’enzyme VEB-1 a été responsable
d’une épidémie de grande ampleur dans 53 hôpitaux français d’avril 2003
à juin 2004, principalement dans le nord-est du pays, avec près de 300 cas
d’infection ou de colonisation [47].
À l’heure actuelle, la principale inquiétude est l’émergence mondiale de
souches résistantes aux carbapénèmes. À côté des quelques souches pro-
ductrices de métallo-G-lactamases (notamment IMP, VIM) qui ont été
décrites chez A. baumannii [43], ce sont surtout les oxacillinases à activité
carbapénèmase (notamment OXA-23, OXA-24 et OXA-58) qui diffusent
chez cette espèce via des plasmides [46]. À noter qu’A. baumannii exprime
à bas niveau une oxacillinase chromosomique (dénommée OXA-51/69)
qui présente une faible activité carbapénèmase, mais dont l’hyperproduc-
tion peut aussi conférer une résistance aux carbapénèmes. Dans une étude
internationale (422 services de réanimation dans 36 pays) menée entre
2004 et 2009, la proportion de souches résistantes à l’imipénème et/ou
au méropénème dans les infections liées à un dispositif invasif était res-
pectivement de 55,3 %, de 66,3 % et de 52,2 % pour les bactériémies
sur cathéter, les pneumonies sous ventilation mécanique et les infections
urinaires sur sonde [23]. Aux États-Unis entre 2006 et 2007, la propor-
tion de ces souches résistantes aux carbapénèmes était respectivement de
29,2 %, de 36,8 % et de 26,6 % pour ces trois types d’infections [24].
En Europe, le taux de résistance à l’imipénème était de 48,9 % parmi des
souches isolées en 2008-2009, avec un gradient de prévalence augmen-
tant du nord au sud. Les taux les plus élevés étaient observés en Turquie
(50-80 %), en Grèce (85 %), en Italie (60 %), en Espagne (45 %) et au
Royaume-Uni (55 %), tandis que des taux plus faibles étaient rappor-
tés en France (10-20 %), en Allemagne (8 %) et en Suède (4 %) [48].
Comme les souches d’entérobactéries productrices de carbapénèmases, la
dissémination de souches d’A. baumannii multirésistantes est principale-
ment liée aux transferts de patients colonisés ou infectés depuis les pays à
forte endémicité [49)].
Concernant les autres familles d’antibiotiques, une étude interna-
tionale rapporte l’activité in vitro de plusieurs molécules vis-à-vis de
souches d’A. baumannii isolées entre 2004 et 2009 en réanimation
(tableau II) [34]. Sur les 1472 souches isolées en Europe, 52 % res-
taient sensibles à l’amikacine, 39,6 % à la lévofloxacine et 86,1 % à la
minocycline (tableau II) [34]. Même si des souches résistantes peuvent
être sélectionnées sous traitement, les polymyxines (CMI90 ≤ 1 mg/L)
et la tigécycline (CMI90 = 2 mg/L) restent actives in vitro sur la plupart
des souches d’Acinetobacter spp. [44]. La résistance à la colistine est due
à des modifications du LPS, tandis que la sensibilité diminuée à la tigé-
cycline est associée à la surexpression du système d’efflux AdeABC [50].
Enfin, une étude portant sur 215 souches multirésistantes d’A. bau-
52 Infectiologie en réanimation

mannii isolées en Europe et aux États-Unis entre 1990 et 2003 rap-


3 porte des taux de résistance à 6 % pour la tigécycline et à 2,8 % pour
la colistine [51].

Références
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for early warning, investigation and surveillance of healthcare-associated infection in
France. Euro Surveill 14: 46
2. European Centre for Disease Prevention and Control. Antimicrobial resistance sur-
veillance in Europe 2010 (2011) Annual Report of the European Antimicrobial Resis-
tance Surveillance Network (EARS-Net). Stockholm: ECDC. Disponible à partir de
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Prévention de l’émergence ou de l’acquisition
des résistances en réanimation
4
J.-C. LUCET, G. BIRGAND

Introduction

Les bactéries multirésistantes sont définies comme des bactéries ne


conservant une sensibilité qu’à quelques antibiotiques d’utilisation cou-
rante, en raison de résistances acquises à la majorité de ceux disponibles.
Aussi longtemps que de nouvelles familles d’antibiotiques sont apparues,
le concept de multirésistance était dynamique, les résistances nouvelle-
ment acquises étant compensées par de nouveaux antibiotiques. Avec le
tarissement de nouvelles molécules [1] la situation est figée, et l’émer-
gence de bactéries pan- ou toto-résistantes est une réalité, avec, en cas
d’infection, des traitements antibiotiques difficiles, de moindre efficacité,
plus toxiques, voire des impasses thérapeutiques, avec un retour à l’« ère
préantibiotique » [2].
Les principales bactéries multirésistantes (BMR) responsables d’infections
en 2012 sont au nombre de six : Staphylococcus aureus résistant à la méti-
cilline (SARM), entérobactéries productrices de bêtalactamase à spectre
étendu (EBLSE) ou hyperproductrice de céphalosporinase (HPCase),
Pseudomonas aeruginosa, Acinetobacter baumannii et entérocoques résis-
tants aux glycopeptides (ERG). On peut y ajouter Stenotrophomonas mal-
tophilia, bactérie retrouvée de plus en plus fréquemment chez des patients
exposés aux antibiotiques et séjournant longtemps en réanimation.
Les résistances bactériennes aux antibiotiques sont en augmentation
rapide dans le monde. Cette augmentation globale masque une évolution

J.-C. Lucet , G. Birgand


Unité d’hygiène et de lutte contre l’infection nosocomiale (UHLIN)
GH Bichat-Claude Bernard
HUPNVS, Assistance Publique-Hôpitaux de Paris
46, rue Henri Huchard
75877 Paris Cedex 18
Université Paris Diderot, Sorbonne Paris Cité, France
E-mail : [email protected]
Sous la direction de Pierre Charbonneau et Michel Wolff, Infectiologie en réanimation.
ISBN : 978-2-8178-0388-3, © Springer-Verlag Paris 2013
55
56 Infectiologie en réanimation

contrastée, avec des variations importantes selon les pays, les espèces bac-
4 tériennes et le niveau de résistance. Ces données sont détaillées dans le
chapitre précédent, mais les évolutions divergentes sont pour certaines
non expliquées, par exemple la décroissance des taux de SARM au regard
de l’augmentation des taux des EBLSE, alors que d’autres illustrent des
phénomènes épidémiologiques particuliers.
Deux phénomènes sont particuliers à la réanimation : d’abord le fait que
tous les phénomènes y sont exacerbés, qu’il s’agisse de l’épidémiologie
de la résistance, de son impact individuel sur le pronostic du patient
et de son impact collectif dans les phénomènes d’amplification et de
dissémination de la résistance. Sans entrer dans le détail, les services de
réanimation conjuguent le confinement physique des patients, une pres-
sion de colonisation provenant des cas importés porteurs de BMR [3],
une pression de sélection par les antibiotiques élevée, une densité de
soins qui conduit à de multiples opportunités de transmission de bac-
téries résistantes entre patients, soit par les mains du personnel soit par
du matériel partagé, enfin un risque plus élevé d’infections plus graves
que dans les autres secteurs de soins. Ces caractéristiques font que la
majorité des études épidémiologiques et d’intervention ont été menées
en réanimation, ce qui d’ailleurs en gêne la généralisation dans les autres
secteurs de soins.
Au regard de ces risques, ce sont des réanimateurs qui, avec un groupe
de bactériologistes, ont, les premiers en France, conçu et mis en œuvre
des stratégies de prévention de la résistance bactérienne. Les premières
actions ont débuté au tout début des années 1990, permettant alors un
contrôle des phénomènes épidémiques, d’abord à Klebsiella pneumoniae
BLSE [4], puis plus lentement, à SARM [5]. Cependant, ces stratégies
ont été centrées sur l’interruption de la transmission croisée des BMR
entre les patients, alors que les stratégies de bon et moindre usage des
antibiotiques sont encore balbutiantes. Cette mise au point abordera
successivement l’épidémiologie de la résistance bactérienne en réanima-
tion, les raisons du choix des cibles bactériennes, les particularités micro-
biologiques de certaines BMR, le rôle de la pression de sélection par les
antibiotiques, les mesures de maîtrise ; enfin un certain nombre de ques-
tions seront listées.

Épidémiologie en réanimation

Comme pour l’épidémiologie de toute maladie infectieuse, l’épidé-


miologie des BMR associe un ou des réservoirs, un ou des modes de
transmission, et un hôte, le patient de réanimation. Les réservoirs sont à
la fois environnementaux et humains ; les réservoirs environnementaux
comprennent l’eau où les bactéries aérobies strictes et notamment les
Pseudomonas sont souvent présentes, l’environnement inerte qui, s’il est
empoussiéré peut constituer un réservoir d’Aspergillus, enfin les dispositifs
Prévention de l’émergence ou de l’acquisition des résistances en réanimation 57

médicaux dont la grande majorité sont maintenant à usage unique ou


stérilisés, à l’exception notable des endoscopes souples. Les réservoirs
humains comprennent non seulement les patients eux-mêmes, mais aussi
le personnel soignant. Les patients constituent de loin le plus important
réservoir de bactéries végétatives, parmi lesquelles les BMR [6].
Les voies de transmission peuvent être aériennes, à partir de l’environne-
ment, par exemple Aspergillus spp. ou à partir de patients « contagieux »,
par exemple tuberculose ou autres maladies virales, varicelle ou rou-
geole. Un second mode est la transmission par gouttelettes, notamment
des pathogènes présents au niveau des voies aériennes supérieures, par
exemple grippe ou méningocoque. Pour les bactéries végétatives et en par-
ticulier pour les BMR, le mode de transmission par contact est le plus fré-
quent. Il s’agit du contact appelé improprement « direct », en fait par les
mains du personnel soignant, ou d’un contact indirect à partir d’un réser-
voir constitué par l’environnement proche d’un patient contaminé par
des BMR [7], où là aussi la transmission survient essentiellement par les
mains du personnel soignant. Une transmission par des dispositifs médi-
caux partagés entre patients peut survenir, à la condition que le pathogène
ait une survie prolongée dans l’environnement, comme cela a été montré
à de multiples reprises pour A. baumannii [8].
Le troisième partenaire est l’hôte qui sera ou non contaminé et déve-
loppera une colonisation et éventuellement une infection. En ce qui
concerne les BMR, il existe probablement une multitude de transmis-
sions de ces BMR au cours des soins, dont une petite partie conduit à une
implantation. Les mécanismes qui font qu’une BMR s’implante ou ne
s’implante pas chez un patient sont pour l’essentiel inconnus. Il est pro-
bable qu’interviennent la quantité de BMR transférée et la « réceptivité »
de l’hôte, un concept bien difficile à préciser. Par exemple, les porteurs
nasals de SASM sont moins à risque d’être colonisés par un SARM que les
patients non porteurs ou les patients antérieurement porteurs de SASM
et décontaminés [9]. Il est aussi montré que l’implantation d’une bacté-
rie commensale digestive résistante est facilitée par des modifications de
l’écosystème digestif induites par les antibiotiques [10]. Un troisième élé-
ment est la capacité à diffuser de certaines BMR, « l’épidémiogénicité »,
dont les déterminants restent pour l’essentiel inconnus.
Après contamination d’un patient par une BMR, les mécanismes qui
conduisent à l’implantation puis à la multiplication des BMR dans les
sites réservoirs sont aussi des phénomènes complexes dans lesquels les
antibiotiques jouent un rôle essentiel, en supprimant les bactéries sen-
sibles et en favorisant l’implantation et la multiplication des bactéries
résistantes. D’autres phénomènes jouent un rôle : présence de disposi-
tifs invasifs, pouvoir pathogène et taille initiale de l’inoculum du ou des
micro-organismes en cause, diminution des défenses du patient.
Deux phénomènes sont particuliers à l’épidémiologie des BMR à l’hôpi-
tal. Il s’agit d’abord du caractère importé ou acquis de ces BMR, qui ne
pourra être affirmé qu’avec la recherche du portage de cette BMR à
l’admission en réanimation, en connaissant les limites de ce dépistage,
58 Infectiologie en réanimation

notamment les faux négatifs quand les concentrations bactériennes sont


4 en dessous du seuil de détection de l’écouvillonnage. Ces cas impor-
tés, et ceux acquis à leur contact par la suite, constituent un réservoir
pour la transmission faisant intervenir la notion de pression de coloni-
sation [3, 11].
L’autre élément est l’émergence de la résistance, où il faut très schémati-
quement distinguer l’acquisition de matériel génétique qui induit géné-
ralement une résistance stable, au contraire de la résistance apparaissant
par sélection de mutants résistants. Dans la première catégorie, on place
le SARM avec une résistance acquise et chromosomique, codée par le
gène mecA, et les EBLSE avec une résistance le plus souvent plasmidique.
Le prototype de la sélection de mutants résistants et l’hyperproduction
de céphalosporinase chez les entérobactéries du groupe 3 exposées aux
céphalosporines de troisième génération (CIIIG) [12]. Ces mécanismes
de résistance par mutation s’accompagnent généralement d’une réduction
du fitness qui donne à ces souches un désavantage compétitif par rapport
aux souches non mutées, le phénomène est donc plus ou moins rapide-
ment réversible. Pour P. aeruginosa, la résistance peut être liée à l’acqui-
sition d’enzymes type BLSE ou carbapénèmase, mais plus souvent à
d’autres mécanismes par sélection de mutants résistants, hyperproduction
de céphalosporinase pour la résistance à la ceftazidime ou perte de porines
pour la résistance à l’imipénème.

Choix des cibles

À la lumière de l’épidémiologie de la multirésistance, les deux actions


de prévention de la résistance sont d’une part l’interruption de la trans-
mission croisée des BMR entre les patients, d’autre part la limitation
de l’émergence de la résistance par le bon et moindre usage des antibio-
tiques. Les principales caractéristiques épidémiologiques des BMR en
réanimation sont présentées dans le tableau I. Le choix des BMR faisant
l’objet de mesures de contrôle pour l’une et/ou l’autre des actions dépend
de cinq principaux critères :
– le caractère saprophyte ou commensal de la bactérie support de la ré-
sistance, dont découlent la persistance du portage et la dissémination
secondaire des bactéries des flores commensales ;
– le type de résistance, par acquisition de matériel génétique ou par
sélection de mutants résistants ;
– l’épidémiologie de la résistance, les BMR émergentes faisant l’objet de
mesures de contrôle différentes de BMR installées ;
– le niveau de résistance, les bactéries hautement résistantes (BHR) fai-
sant l’objet de mesures de contrôle plus strictes ;
– la virulence des souches, et la gravité des infections qu’elles provoquent.
Deux principales BMR font l’objet de mesures d’interruption de leur
transmission croisée entre patients, SARM et BLSE. Le choix de ces
Tableau I – Principales caractéristiques épidémiologiques des BMR en réanimation en 2012.

SARM Eb BLSE Acinetobacter Pseudomonas Eb HPCase ERG


baumannii aeruginosa
Caractéristique fonctionnelle Commensale Commensale Saprophyte Saprophyte Commensale Commensale
Marqueur de résistance Méticilline C3G Ticarcilline, Ticarcilline, C3G Vancomycine
ceftazidime ceftazidime
Fréquence en réanimation ++ +++ + ++ ++ Restent très rares
(diminution) (augmentation) (diminution) (stable) en France
Réservoir patient ++ ++ ++ ++ + ++
Réservoir dans + +/- ++ Variable (+ à ++) +/- ++
l’environnement
Rôle de l’environnement +? Rare ++ – à ++ – ++
Diffusion :
– transmission croisée ++ ++ ++ + – ++
– sélection sous antibiotiques – + – ++ +++ –

Risque de panrésistance + ++ +++ (imipénème, +++ + ++


(molécule, occurrence (vancomycine (imipénème par possible, (ceftazidime (imipénème, (linézolide,
en France) et/ou linézolide, carbapénèmase, cas importés + imipénème, non identifiée par possible,
exceptionnel, exceptionnelle, de l’étranger) possible) carbapénémase) pas en France)
et pas en France) mais cas importés
de l’étranger)
Prévention de l’émergence ou de l’acquisition des résistances en réanimation
59
4
60
Infectiologie en réanimation

SARM Eb BLSE Acinetobacter Pseudomonas Eb HPCase ERG


baumannii aeruginosa
Pathogénicité ++ ++ + + à +++ ++ +
(+++ si LPV)
Caractéristiques Importations Souches Bouffées Épidémiologie Pas d’épidémie Ratio portage
épidémiologiques fréquentes, communautaires épidémiques très variable, r chez l’adulte / infection élevé
situation (E. coli BLSE à développement ôle possible de Dissémination
épidémique CTX-M) rapide l’environnement rapide
installée et hospitalières en réanimation
SARM : Staphylococcus aureus résistant à la méticilline ; Eb : entérobactérie ; BLSE : bétalactamase à spectre étendu ; HPCase : hyperproductrice de céphalosporinases ; ERG :
entérocoque résistant aux glycopeptides ; C3G : céphalosporine de troisième génération ; LPV : leucocidine de Panton et Valentine.
Prévention de l’émergence ou de l’acquisition des résistances en réanimation 61

deux BMR réside d’abord dans leur caractère commensal, qui conduit à leur
implantation prolongée dans les flores une fois la résistance acquise. La durée
médiane de portage de ces bactéries est sensiblement la même, de l’ordre de
6 à 8 mois chez des patients régulièrement réhospitalisés [13]. La deuxième
raison de ce choix est la stabilité du mécanisme de résistance par acquisition
de matériel génétique. À ces deux BMR, responsables de situations épidé-
miques prolongées et bien installées en France, on ajoute les entérocoques
résistants aux glycopeptides (ERG), puisqu’il s’agit d’une bactérie commen-
sale avec un mécanisme de résistance par acquisition de matériel génétique.
Cependant, l’épidémiologie en est différente avec une bactérie encore émer-
gente, et des objectifs de contrôle qui sont d’empêcher leur implantation
dans les hôpitaux français [14]. Les entérobactéries productrices de carbapé-
nèmase (EPC) font elles aussi partie de ce groupe et répondent aux mêmes
objectifs d’éradication que l’ERG, avec des stratégies d’intervention lourdes.
La situation des bactéries saprophytes multirésistantes est différente ; il
s’agit essentiellement de A. baumannii et P. aeruginosa. Pour P. aerugi-
nosa, et sans entrer dans les détails épidémiologiques, l’analyse moléculaire
des souches de portage et d’infection en réanimation montre une grande
variété de situations : dans certains services, les souches sont diverses,
dues à la multiplication de P. aeruginosa présents dès l’admission dans
le tube digestif sous l’effet de la pression de sélection antibiotique [15].
Dans d’autres services, des souches de P. aeruginosa souvent plus résis-
tantes sont transmises de patient à patient [16-17]. A. baumannii est une
bactérie principalement saprophyte, parfois commensale sous les climats
chauds et humides. Elle possède la capacité de se maintenir dans des
réservoirs secs, constituant ainsi un réservoir stable pour la transmission.
Le caractère saprophyte de ces bactéries amène à plusieurs conséquences.
D’abord, les infections concernent essentiellement les secteurs de réa-
nimation, conjuguant le confinement des patients, l’utilisation de pro-
cédures invasives et une pression de sélection antibiotique importante.
La deuxième conséquence est que l’environnement participe à l’épidé-
miologie de ces souches, compte tenu de leur survie possible dans un
environnement sec (A. baumannii) ou humide (P. aeruginosa). Cepen-
dant les enjeux sont surtout individuels en raison de la gravité des infec-
tions à ces bactéries et de leur évolution vers la panrésistance, maintenant
régulièrement observée en France et beaucoup plus fréquente dans les
pays sud-méditerranéens ou en développement. Les enjeux collectifs de
dissémination de ces BMR sont limités aux secteurs où ces bactéries se
transmettent dans l’hôpital, essentiellement en réanimation ou d’autres
secteurs où la densité de soins et d’antibiotiques reste importante.

Rôle des antibiotiques

La pression de sélection antibiotique s’ajoute à la dissémination hori-


zontale, manuportée de patient à patient. L’impact des antibiothérapies
62 Infectiologie en réanimation

sur l’épidémiologie du SARM reste mal connu [18]. Il est probable-


4 ment moins important que pour les BMR de la flore digestive, compte
tenu du réservoir modeste du SARM, nasal et cutané. En revanche,
l’impact des antibiotiques sur les concentrations digestives des bactéries
résistantes a été bien montré pour les ERG. L’utilisation d’antibiotiques
avec activité antianaérobie augmente leur concentration dans la flore
colique jusqu’à 5 log, alors qu’à l’arrêt de ces antibiotiques, la concen-
tration décroît lentement en 1 à 4 mois. Ce phénomène n’a pas pour
l’instant été démontré pour les EBLSE, mais il est probablement super-
posable. Ces porteurs « lourds » contaminent plus fréquemment leur
environnement que les patients porteurs en concentration plus faible,
ont un risque plus élevé de développer une infection, et probablement
sont plus « transmetteurs » que les patients moins lourdement porteurs.
Ces deux derniers phénomènes n’ont pas non plus été démontrés pour
le moment.
Pour des phénomènes de résistance par sélection de mutants résistants,
la résistance à un antibiotique est généralement associée à l’exposition
individuelle au préalable au même antibiotique, par exemple P. aerugi-
nosa et carbapénème [19]. S’il s’agit au contraire d’acquisition de maté-
riel génétique, les résistances sont généralement associées entre elles sur
des supports génétiques communs, si bien que de nombreux antibio-
tiques ont la capacité de sélectionner ces BMR dans les flores commen-
sales. Les études utilisant des approches méthodologiques différentes
ont montré par exemple que la prévalence des EBLSE était associée à
l’utilisation des C3G [20], et que la réduction de leur utilisation pou-
vait être associée à une réduction des taux d’EBLSE [21, 22]. Cepen-
dant la substitution des C3G par d’autres molécules (carbapénèmes ou
pénicillines à large spectre) s’accompagne d’une augmentation de la
résistance à ces antibiotiques [23]. L’utilisation de bêtalactamine avec
inhibiteurs de bêtalactamase pourrait être associée à une moindre émer-
gence d’EBLSE dans les modèles animaux, sans que ce phénomène ait
été démontré en clinique [24].
Quoi qu’il en soit, l’association des résistances sur un même sup-
port génétique dans une bactérie devrait conduire à une réduction
globale des volumes antibiotiques plutôt qu’à la substitution d’une
famille antibiotique par une autre. C’est ainsi que les interventions
de « cycling » consistant à utiliser successivement des antibiotiques de
familles différentes, ou des interventions de type « mixing » consistant
à varier les choix antibiotiques durant la même période n’ont pas fait
la preuve de leur efficacité sur la réduction des résistances bactériennes.
Dans les nombreuses publications disponibles, il est montré que le
choix d’antibiotiques à spectre étroit générait moins de résistances que
de plus large [25]. Le tableau II présente les associations mises en évi-
dence entre utilisation d’antibiotiques et émergence (ou sélection) de
résistance.
Prévention de l’émergence ou de l’acquisition des résistances en réanimation 63
Tableau II – Quels antibiotiques sont associés à l’apparition de résistance en réanimation ?
(Complété, d’après [50]).

Bêtalactamine
Fluoro- Carba
+ Inhibiteurs C3G
quinolones pénèmes
de BL
SARM Oui Oui

E. coli BLSE Oui Oui

K. pneumoniae BLSE Oui Oui Oui

Entérobactéries Oui
HPCASE
A. baumannii R Oui Oui Oui
aux carbapénèmes
P. aeruginosa multi-R Oui Oui Oui Oui
K. pneumoniae R Oui Oui Oui
aux carbapénèmes
Entérocoque R Oui
aux glycopeptides
SARM : Staphylococcus aureus résistant à la méticilline, BLSE : bêtalactamase à spectre étendu ;
C3G : céphalosporine de troisième génération, HPCase : hyperproductrice de céphalosporinase.

Mesures d’interruption de la transmission croisée

Précautions standard
Les mesures pour limiter la transmission croisée entre patients sont
d’intensité croissante [26]. Elles peuvent se limiter aux seules précautions
standard, fondées essentiellement sur le respect de l’hygiène des mains
grâce aux solutions hydroalcooliques (SHA) avant contact avec chaque
patient ou son environnement immédiat [27]. Nous disposons d’indi-
cateurs d’observance de l’hygiène des mains au niveau national. Mais les
audits de pratiques comportent des biais, et sont maintenant complé-
tés par l’indicateur national réglementaire de consommation des SHA
(ICSHA). Leur consommation a augmenté notamment dans les CHU et
dans les grands hôpitaux. Mais les volumes consommés restent en deçà
des volumes souhaitables pour refléter une utilisation adéquate. L’aspect
qualitatif et la technique de friction des mains (durée, couverture des
mains et des poignets) sont aussi importants, l’audit national 2011 était
centré sur ce point.
64 Infectiologie en réanimation

Précautions contacts
4
Les précautions contacts s’ajoutent aux précautions standard pour
améliorer les comportements, en limitant la transmission à partir de
patients porteurs de certains pathogènes et notamment les SARM et
EBLSE [28]. Elles peuvent être appliquées aux seuls patients trouvés por-
teurs de BMR dans les prélèvements cliniques, ou être couplées à une
politique de dépistage pour identifier l’ensemble du réservoir des patients
porteurs. Le débat sur l’extension de la politique de dépistage est tou-
jours actif pour le SARM, un relatif consensus semblant maintenant être
obtenu en sa faveur, à la lumière des expériences notamment dans les ser-
vices de réanimation français [29]. En revanche, l’utilité d’une politique
de dépistage pour les EBLSE est moins claire ; on peut probablement
calquer cette politique sur celle du SARM, tout au moins en réanima-
tion, avec l’objectif d’identifier à l’admission et en cours de séjour les
EBLSE avec une capacité de transmission plus importante (K. pneumo-
niae ou Enterobacter spp. porteurs d’enzymes de type SHV ou TEM) que
d’autres (E. coli CTX-M) [30, 31].
La nature des précautions contacts a été récemment revue, la modifica-
tion essentielle pour les BMR étant de ne plus recommander le port de
gants, qui constituent plus un obstacle à l’hygiène des mains qu’une bar-
rière pour empêcher leur contamination [28]. Le placement en chambre
individuelle est efficace et reste recommandé [32]. Les autres mesures et
notamment l’identification rapide et la signalisation du portage restent
essentielles, puisqu’on sait que l’observance de l’hygiène des mains est aug-
mentée au contact d’un patient identifié comme porteur de BMR [33].

Bactéries hautement résistantes


Le troisième niveau de précautions est la mise en place de mesures
maximales de type search and isolate dont l’objectif est d’assurer l’absence
de circulation des BHR, EPC et ERG [34, 35]. Ces stratégies comportent
une politique de dépistage extensive autour des cas index, un regroupe-
ment des cas dans des secteurs dédiés avec une prise en charge par du per-
sonnel spécifiquement affecté, une recherche de portage chez les patients
contacts avec une levée prudente de la suspicion de portage, enfin des
critères stricts pour affirmer la négativité du portage [36]. Cette politique
a fait la preuve de son efficacité pour la maîtrise des ERG en France, non
seulement pour des phénomènes épidémiques limités, mais aussi pour
des épidémies de grande ampleur comme au CHU de Clermont-Ferrand
ou en Lorraine [37]. Tout récemment, Israël a présenté des résultats
spectaculaires pour la maîtrise d’une situation qui paraissait très com-
promise, avec une dissémination des EPC dans la majorité des hôpitaux
israéliens [38]. La principale mesure mise en œuvre était un cohorting
des cas identifiés sur les seuls prélèvements cliniques dans tous les hôpi-
taux du pays.
Prévention de l’émergence ou de l’acquisition des résistances en réanimation 65

Quels choix effectuer ?


Pour les cas sporadiques et les épidémies récentes, l’exemple des Pays-
Bas vis-à-vis du SARM a montré qu’une stratégie agressive permettait
d’empêcher l’implantation de ces souches. Cette stratégie repose sur une
politique nationale forte qui comporte un système d’alerte précoce, des
recommandations nationales, un système de signalement aux autorités
sanitaires, des équipes régionales de support technique (en France les
ARLIN et CCLIN), et un soutien administratif local pour faciliter la
mise en place de ces mesures.
En France, cette stratégie a été mise en place fin 2006 pour les ERG avec
succès. Ces ERG peuvent être identifiés durant le séjour hospitalier, qui
peut correspondre alors à une acquisition et une épidémie. Dans ce cas
la stratégie est lourde, comportant les mesures citées ci-dessus [39]. Les
cas peuvent aussi être importés à partir de patients rapatriés de l’étranger,
qu’il s’agisse d’ERG ou d’EPC, ou encore d’autres BGN aérobies strictes
hautement résistantes. La stratégie sera plus simple dès lors que le patient
est placé en précautions contacts strictes dès son admission à l’hôpital
selon les recommandations récentes [40].
Dans des situations d’épidémie installée, une stratégie plus classique est
recommandée, associant des précautions contacts et un dépistage plus ou
moins extensif [28]. La définition d’une politique nationale cohérente est
essentielle. Les modèles mathématiques et le succès obtenu sur le SARM
suggèrent qu’une politique de ce type n’est efficace que si l’ensemble des
établissements de santé mettent en œuvre des actions coordonnées [5,
41]. Dans ce cas, des mesures de contrôle associées, de type bundle sont
efficaces, et associent une formation, une politique de dépistage, l’appli-
cation stricte des précautions standard et des précautions contacts, parfois
une décontamination des patients ou encore un cohorting, ou le contrôle
de la contamination environnementale en fonction de la BMR. Ainsi, des
situations qui paraissaient non contrôlées dans des services de réanimation
de pays en développement l’ont été par cette association de mesures [42].
Il importe aussi de définir des priorités d’actions. Clairement, elles doivent
cibler les entérobactéries commensales plutôt que saprophytes, même si
P. aeruginosa et plus encore A. baumannii représentent un risque parti-
culier en réanimation. D’autre part, les mesures de contrôle doivent être
adaptées à la situation épidémiologique, avec la nécessité absolue d’empê-
cher la circulation en France des BHR.

Précautions standard ou précautions contacts ?


Quelle doit être la part des précautions contacts et des précautions
standard pour les bactéries moins résistantes comme les SARM et les
BLSE ? Comme il a été dit plus haut, ce point fait débat, y compris pour
SARM malgré la vaste littérature disponible. Il existe de bons arguments
en faveur de l’application des précautions contacts pour les porteurs de
66 Infectiologie en réanimation

SARM, et il n’y a pas de raison de penser que leur efficacité serait diffé-
4 rente pour les porteurs de BLSE. La politique de dépistage en revanche
peut être différente pour SARM et pour BLSE, dans la mesure où il est
possible d’identifier un profil de patients porteurs de SARM (patient âgé,
présence de lésions cutanées chroniques, hospitalisation récente) alors que
les facteurs de risque de portage de BLSE ne permettent pas d’identifier
une population à dépister, sauf peut-être les patients admis en court séjour
venant de secteurs de soins chroniques ou médicosociaux, type EHPAD.
Un autre élément important pour le succès d’une intervention réside
moins dans le choix des mesures techniques que dans la façon dont elles
sont introduites et appliquées. Un exemple est fourni par deux travaux
publiés simultanément sur le contrôle du SARM en réanimation. Les
mesures, dépistage et précautions contacts étaient proches dans ces deux
études, mais l’une a permis de réduire fortement les taux de SARM [43]
et pas la seconde [44]. La principale différence résidait dans la stratégie
de mise en place des mesures : seulement techniques et avec une forma-
tion minimale dans l’une ; accompagnée d’une implantation utilisant les
sciences sociales, des leaders dans chaque hôpital, des audits de pratiques
avec rétro-information, et une stratégie comportementale appelée positive
deviance dans le cadre d’un programme multimodal (bundle) dans l’autre.
Faut-il considérer E. coli BLSE, souvent importé de la communauté, au
même niveau que les autres EBLSE, K. pneumoniae et Enterobacter spp.,
qui semblent circuler plus facilement, au moins dans les services de réani-
mation ? Trois raisons principales militent pour inclure E. coli BLSE avec
les autres EBLSE : d’une part, la nécessité d’avoir une politique cohérente
et facile à expliquer aux équipes de soins, et donc de ne pas différencier les
entérobactéries les unes par rapport aux autres ; ensuite, le fait que E. coli
BLSE peut se transmettre entre patients, même si c’est moins fréquent
que chez les autres EBLSE ; enfin, l’épidémie d’EBLSE est autant une
épidémie de supports de résistance qu’une épidémie de souches, comme
l’a montré l’intrication entre différentes entérobactéries et différentes
BLSE [45, 46].

Conclusions

Les menaces de la multirésistance sont multiples : importation de


souches multirésistantes de ville, augmentation progressive des résis-
tances hospitalières et panrésistance, épidémies à partir de cas importés
de pays en situation épidémique, description rapide de la résistance aux
antibiotiques récemment mis sur le marché (linézolide, tigécycline) [47].
Mais il y a quelques motifs d’optimisme en France. Un premier est le
contrôle progressif du SARM, un des premiers pays où les taux ont dimi-
nué, maintenant suivi par d’autres. Le succès actuel a de nombreuses
explications : le programme a été identifié comme prioritaire, soutenu
au niveau national par des leaders d’opinion, et mis en place dans la
Prévention de l’émergence ou de l’acquisition des résistances en réanimation 67

majorité des hôpitaux français. L’identification des taux de SARM et de


la consommation de SHA comme indicateurs nationaux devrait aider à la
poursuite de ces actions. Un deuxième motif d’optimisme est le contrôle
de plusieurs épidémies récentes : C. difficile et A. baumannii dans le nord
de la France [48], ERG dans plusieurs grosses structures hospitalières.
Ces épidémies ont montré l’importance du système de signalement et
celle d’engager une stratégie régionale, et s’appliquent aux autres BHR
émergentes (EPC).
En revanche, l’évolution des taux d’EBLSE en ville et à l’hôpital est inquié-
tante, augmente la crainte des cliniciens devant un état septique, et donc
l’utilisation des carbapénèmes. Informer des enjeux collectifs des EBLSE
sans inciter les cliniciens à traiter trop facilement par carbapénèmes au
moindre doute (enjeu individuel) est un challenge pour les infectiologues,
épidémiologistes et hygiénistes.
L’enjeu est aussi, et maintenant, de développer des actions pour le
contrôle des antibiotiques, de même ampleur que celles sur l’interrup-
tion de la transmission croisée : les recommandations nationales sont
disponibles [49], mais les structures locales encore peu développées. Le
challenge du SARM et des EBLSE paraissait insurmontable au début des
années 1990, et pourtant des résultats notables ont été obtenus. Le défi
est du même ordre pour la mise en place d’actions effectives de réduction
drastique de la consommation des antibiotiques.

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Méthodes diagnostiques rapides
des sepsis sévères en réanimation
5
S. BONACORSI, P. BIDET, E. BINGEN

Introduction

Il y a encore quelques années, le rôle du laboratoire de microbiolo-


gie dans les premières heures de la prise en charge des sepsis graves en
réanimation pouvait être considéré comme marginal pour optimiser le
traitement antibiotique. En raison des délais de croissance des micro-
organismes, leur identification complète et leur sensibilité aux antibio-
tiques n’étaient déterminées au mieux qu’au bout de 48 à 72 heures après
la réalisation de l’hémoculture. De plus, le rendement et le délai de po-
sitivité des hémocultures sont susceptibles d’être modifiés en cas d’anti-
biothérapie préalable, ou lorsque le micro-organisme est de croissance
fastidieuse. Or il a clairement été établi que le pronostic vital des sepsis
graves est étroitement lié à la rapidité de prescription d’une antibiothéra-
pie adaptée, chaque heure de retard abaissant de près de 10 % le taux de
survie des patients en choc septique [1]. Récemment se sont développées
des méthodes diagnostiques permettant de réduire de façon significative
les délais du diagnostic étiologique d’un sepsis et d’obtention de la sensi-
bilité aux antibiotiques du micro-organisme en cause.

Les méthodes basées sur la détection


d’acides nucléiques directement à partir du sang
Cette approche comprend deux étapes clés que sont l’extraction des
acides nucléiques à partir du sang puis la détection des cibles recherchées
à l’aide de la polymerase chain reaction (PCR). Les kits d’extraction actuel-
S. Bonacorsi , P. Bidet, E. Bingen
Service de microbiologie – Laboratoire associé au CNR E. coli
Hôpital Robert Debré – 48, boulevard Sérurier – 75935 Paris Cedex 19
E-mail : [email protected]
Sous la direction de Pierre Charbonneau et Michel Wolff, Infectiologie en réanimation.
ISBN : 978-2-8178-0388-3, © Springer-Verlag Paris 2013
71
72 Infectiologie en réanimation

lement disponibles sont très performants et le développement de robots


5 extracteurs permet d’obtenir les extraits en 20 minutes avec un temps
technicien minimal. Selon le contexte, la recherche de pathogènes se fera
sans a priori, ou au contraire pourra être ciblée sur un pathogène donné.

Recherche sans a priori


Deux types de stratégies pour l’identification du pathogène en cause
sont possibles par PCR ; soit la réalisation de PCR amplifiant de mul-
tiples cibles spécifiques d’espèces ou de genres bactériens, soit une PCR
ciblant un ou des gènes universels et nécessitant un deuxième temps pour
l’identification du pathogène détecté par séquençage ou par hybridation
sur puce à ADN. La première stratégie a l’avantage de ne nécessiter qu’un
seul temps et donc, est la plus rapide. Elle a pour inconvénient de ne
détecter qu’un nombre limité de pathogènes prédéterminés. La seconde
stratégie, plus longue, permet la détection d’un très large panel de micro-
organismes. On trouve actuellement deux trousses commercialisées qui
permettent de mettre en œuvre ces stratégies. SepsiTest®, de la société
Molzym, est basé sur l’amplification du gène codant l’ARNr 16S bacté-
rien et celui codant l’ARNr 18S fungique. En cas d’amplification positive,
le séquençage du produit permet d’identifier plus de 300 pathogènes. Le
résultat est obtenu en moyenne au bout de 8 à 12 heures. Malgré le très
large éventail du diagnostic étiologique que propose cette approche, son
temps de réponse n’est pas suffisamment adapté au diagnostic d’urgence
dans le cadre du sepsis grave. Il s’agit d’avantage d’une approche de re-
cours. SeptiFast Test® de Roche Diagnostics repose sur une PCR temps
réel multiplexée et permet la détection spécifique, en moins de 6 heures,
de 25 pathogènes qui couvrent plus de 90 % des germes impliqués dans
les sepsis en réanimation (S. aureus, différentes espèces de staphylocoques
coagulase négative, S. pneumoniae, Streptococcus sp., E. faecalis, E. faecium,
E. coli, Enterobacter sp., Klebsiella sp., P. mirabilis, S. marcescens, P. aerugi-
nosa, S. maltophilia, A. baumannii, C. albicans, C. parapsilosis, C. tropicalis,
C. glabrata, C. krusei, et A. fumigatus). Ce test plus adapté au contexte du
sepsis a fait l’objet de plusieurs études biocliniques et sa sensibilité analy-
tique est de 3 à 100 UFC/mL selon le germe. Cette sensibilité peut appa-
raître comme relativement faible eu égard aux taux moyens de bactéries
observés au cours des septicémies, qui est de ~1 UFC/mL. Malgré cela, les
études cliniques, dont certaines ont été menées en réanimation, ont mon-
tré que ce diagnostic moléculaire avait une performance très satisfaisante,
comparé aux hémocultures, et qu’il permettait un diagnostic sensiblement
plus rapide (tableau I). Toutes les études observent que le test SeptiFast®
permet une augmentation significative de la documentation d’un sepsis
par rapport aux hémocultures standard, ce test étant le seul positif dans
30 à 60 % des sepsis étudiés. Toutefois, dans 6 à 30 % des cas le test était
négatif alors que l’hémoculture était positive. Il est cependant important
de noter que près d’une fois sur trois il s’agissait d’un pathogène qui n’était
Tableau I – Principales études ayant évalué le test SeptiFast par rapport aux hémocultures chez des patients présentant un sepsis.

Services cliniques Nombre d’échantillons SeptiFast positif SeptiFast positif SeptiFast négatif Référence
ou types de patients positifs quelle que soit et hémoculture et hémoculture et hémoculture positive
la méthode positive négative [a]

Tous 20 5 (25 %) 12 (60 %) 3 (15 %) [18]

Soins intensifs 115 57 (50 %) 35 (30 %) 23 (20 %) [19]

Médecine Interne 83 32 (38 %) 26 (31 %) 25 (30 %) [9] [20]

Neutropéniques 78 12 (15 %) 34 (43 %) 32 (41 %) [21]

Pédiatrie/Néonatologie 263 143 (53 %) 97 (37 %) 27 (10 %) [8] [22]


dont soins intensifs 103 57 (57 %) 40 (40 %) 6 (6 %)
Soins intensifs et autres 55 22 (40 %) 23 (40 %) 10 (18 %) [5] [23]

Soins intensifs et autres 198 50 (25 %) 124 (62 %) 24 (12) % [6] [24]

[a] : indique le nombre d’échantillons pour lesquels l’espèce est non présente dans le panel SeptiFast et donc ne pouvait être détectée par ce test.
Méthodes diagnostiques rapides des sepsis sévères en réanimation
73
74 Infectiologie en réanimation

pas compris dans le panel SeptiFast. Tous les travaux concluent que Septi-
5 Fast apparaît clairement comme une méthode diagnostique complémen-
taire des hémocultures. Plusieurs études, enfin, relèvent un taux plus faible
de contamination avec SeptiFast qu’avec les hémocultures. Si sur le plan
analytique le bénéfice apparaît indiscutable, des travaux restent à mener
pour une évaluation médicoéconomique de SeptiFast, afin de déterminer
s’il existe un gain réel, notamment en termes de durée d’hospitalisation et
de morbi-mortalité.
Cette approche du diagnostic moléculaire du sepsis apparaît donc pro-
metteuse. Toutefois certaines limites doivent encore être levées. Le coût
est élevé, il est en moyenne de 150 euros par test, par exemple, pour le
SeptiFast Test. L’absence d’informations sur la sensibilité du pathogène
en cause ne permet pas d’optimiser pleinement la prise en charge théra-
peutique. Enfin l’interprétation de la détection d’ADN d’un pathogène
n’équivaut pas forcément à sa responsabilité dans le sepsis en cours, en
particulier l’ADN d’un pathogène impliqué dans un premier sepsis traité
peut continuer de circuler plusieurs jours alors que l’antibiothérapie est
adaptée. Enfin et surtout, il s’agit d’une méthode qui n’est que partielle-
ment automatisée et qui ne peut être réalisée 24 heures sur 24. La rapidité
de réponse du test SeptiFast (6 heures en théorie) apparaît donc toute rela-
tive, en fonction du moment de survenue du sepsis. Des premiers essais
d’automatisation apparaissent prometteurs [2]. Il est probable qu’une fois
le problème de l’automatisation résolu, cette approche modifiera considé-
rablement la prise en charge des sepsis graves.

Recherche ciblée
Dans certains contextes cliniques, la recherche du clinicien pourra
être orientée spécifiquement vers un pathogène donné. Le cas le plus
démonstratif est représenté par la survenue d’un sepsis en présence de
lésions purpuriques devant faire évoquer une méningococcémie (fig. 1).
Le diagnostic microbiologique est d’autant plus difficile que, dans ce
contexte, le patient a le plus souvent reçu une antibiothérapie préalable-
ment à tout prélèvement, dans la crainte de la survenue d’un purpura ful-
minans. Le diagnostic moléculaire représente alors un atout majeur, non
pas tant sur le plan du diagnostic lui-même mais surtout sur la conduite
à tenir en termes de prophylaxie vis-à-vis du méningocoque. Depuis plu-
sieurs années ont été développées des PCR permettant de mettre en évi-
dence de l’ADN de méningocoque et de déterminer le sérogroupe cap-
sulaire auquel appartient la souche en cause. L’ADN du méningocoque
persiste dans le sang plusieurs heures après le début d’une antibiothérapie,
et il est possible de réaliser un diagnostic moléculaire à partir du sang
jusqu’à 24 heures après la première prise d’antibiotiques [3]. Dans ce
contexte particulier, le clinicien doit connaître l’intérêt majeur que repré-
sente la biopsie d’une lésion cutanée, dans laquelle le méningocoque peut
être observé à l’examen direct jusqu’à 43 heures après le début de l’anti-
Méthodes diagnostiques rapides des sepsis sévères en réanimation 75

biothérapie (fig. 2), avec une performance de la PCR supérieure à celle


réalisée dans le sang [4]. Il existe maintenant des trousses commercialisées
permettant aux laboratoires hospitaliers de réaliser la recherche d’ADN de
méningocoque et, en cas de positivité, de déterminer le sérogroupe capsu-
laire. Rappelons qu’en l’absence de diagnostic sur place, le Centre Natio-
nal de Référence du méningocoque peut réaliser ces analyses en urgence.

Fig. 1 – Méningococcémie : Image exceptionnelle de méningocoque sur le frottis sanguin après


coloration au MGG.

Fig. 2 – Examen direct d’une biopsie de lésion purpurique, 12h après l’administration de cef-
triaxone. La présence de cocci à Gram négatif permet d’affirmer le diagnostic d’infection à
méningocoque.

Caractérisations rapide d’un microrganisme


à partir d’une hémoculture positive.
L’hémoculture chez un patient présentant un sepsis grave demeure
donc un examen toujours incontournable. Une fois l’hémoculture posi-
tive, les méthodes phénotypiques permettent d’obtenir l’identification et
76 Infectiologie en réanimation

l’antibiogramme en 24 heures le plus souvent. De nouvelles approches


5 ont permis de diminuer de façon considérable le délai de la caractérisa-
tion d’un micro-organisme présent dans une hémoculture.

Identification bactérienne et fungique


par spectrométrie de masse : Le MALDI-TOF.
La spectrométrie de masse MALDI-TOF permet l’identification des
bactéries et des levures par analyse de leurs protéines totales. Les perfor-
mances de cette technique sont comparables, voire meilleures, à celles
des méthodes conventionnelles. Elle présente l’avantage d’être extrê-
mement rapide, avec une identification obtenue en quelques minutes.
Cette nouvelle technologie est en train de bouleverser l’organisation
des services de microbiologie et de modifier sensiblement les délais de
rendu des résultats.
Le principe du MALDI-TOF pour l’identification de micro-organismes
repose sur la génération d’un spectre de protéines (majoritairement les
protéines ribosomales) qui sont séparées selon leur rapport masse/charge
après ionisation et accélération sous un champ électrique. Le spectre ainsi
obtenu est comparé à une banque des spectres caractéristiques des diffé-
rentes espèces bactériennes ou fungiques. L’analogie des spectres permet
ainsi d’identifier le micro-organisme au niveau de l’espèce avec une excel-
lente fiabilité.
L’application actuellement la plus répandue du MALDI-TOF est l’iden-
tification d’espèce bactérienne à partir de colonies bactériennes. Cette
identification ne prend que quelques minutes, et permet donc de gagner
24 heures sur les méthodes conventionnelles. Cette approche est mainte-
nant parfaitement standardisée, et tend dans les services de microbiologie
à remplacer toutes les autres méthodes d’identification.
Les performances du MALDI-TOF sont telles que d’autres applications
ont été envisagées, et notamment l’identification bactérienne directe-
ment à partir du flacon d’hémoculture positive. Dans cette application,
il est nécessaire de réaliser un prétraitement d’un échantillon de l’hé-
moculture avant son passage au MALDI-TOF ; l’identification peut
être obtenue selon les protocoles en 20 à 60 minutes après positivité de
l’hémoculture. La concordance avec les méthodes traditionnelles peut
atteindre 90 % pour les bactéries et les levures [5]. La principale limite
sur le plan bactérien de cette technique est l’absence de discrimination
du pneumocoque au sein des streptocoques du groupe mitis. Sur le plan
pratique, l’écueil majeur de cette approche est l’hémoculture polymicro-
bienne que le MALDI-TOF peut ne pas détecter, et l’examen au Gram
des hémocultures positives demeure incontournable. Par ailleurs, les
flacons d’hémocultures contenant du charbon (qui neutralise les antibio-
tiques) ne peuvent être analysés par spectrographie de masse. En dehors
de ces quelques limites, Le MALDI-TOF appliqué aux hémocultures
représente une avancée majeure dans la prise en charge thérapeutique,
Méthodes diagnostiques rapides des sepsis sévères en réanimation 77

en permettant une éventuelle adaptation de l’antibiothérapie ou du trai-


tement antifongique dans l’heure qui suit la positivité de l’hémoculture.
Cet outil est si efficace qu’il a également été envisagé de l’utiliser direc-
tement à partir de produit pathologique. L’analyse du liquide céphalo-
rachidien (LCR) par MALDI-TOF a ainsi été réalisé, et plusieurs cas de
méningites rapportés dans la littérature mentionnent le diagnostic du
pathogène en cause directement à partir du LCR [6]. De même, l’identifi-
cation de l’espèce bactérienne responsable d’une infection urinaire moins
d’une heure après le recueil des urines a déjà été proposée [7].
Les développements futurs du MALDI-TOF pourraient permettre dans
un proche avenir une approche de typage bactérien. L’identification de
certains clones pathogènes au sein même d’une espèce est maintenant
envisageable, et le MALDI-TOFF pourrait constituer un outil précieux
lors d’investigation de cas groupés [8].

Identifications des micro-organismes


à l’aide des techniques PCR
Les techniques PCR, universelle ou multiplexée, développées pour
identifier les micro-organismes directement à partir du sang, peuvent
parfaitement être appliquées à partir des flacons d’hémocultures posi-
tives. Toutefois avec le développement de la technique MALDI-TOFF
qui permet une identification très rapide pour un faible coût, les tech-
niques PCR apparaissent d’un apport limité dans l’identification du pa-
thogène en cause. En revanche, la technique PCR peut être d’un apport
considérable dans la détection de mécanismes de résistances spécifiques.

Identifications d’espèces désignées couplées


à la recherche de gènes de résistances par PCR
Au début des années 2000, aux États-Unis, des enveloppes piégées
avec des spores de Bacillus anthracis paralysent le système postal amé-
ricain. Un appel d’offre est lancé pour la mise au point d’un système
de détection des spores, permettant d’analyser en continu les poussières
issues des trieuses automatiques du courrier. Le système doit être en-
tièrement automatique, compact et fiable. La société Ceiphed relèvera
le défi en mettant au point le système GeneXpert. Il s’agit du premier
matériel de diagnostic moléculaire entièrement automatisé. Ce système
intègre à la fois l’extraction d’acides nucléiques, la PCR en temps réel et
l’analyse du résultat, avec une intervention humaine réduite à son strict
minimum. Il repose sur la conception d’une cartouche qui comprend
l’ensemble des réactifs nécessaires et dans laquelle on introduit l’échan-
tillon à tester. Puis la cartouche est placée dans l’appareil qui enclenche,
au sein de celle-ci, les étapes successives d’extraction, de PCR et enfin de
rendu de résultat en moins de 2 heures (fig. 3). En raison de son automa-
78 Infectiologie en réanimation

tisation et de sa compacité, ce système apparaît comme l’un des premiers


5 automates de biologie moléculaire « délocalisables ». L’un des premiers
développements de ce système a été la détection de S. aureus et du gène
mecA codant la PLP2a responsable de la résistance à la méticilline, à partir
d’un écouvillonnage nasal. L’analyse est réalisée en moins de 45 minutes
et permet de détecter les patients entrants porteurs de S. aureus résistant
à la méticilline (SARM) qui nécessitent un isolement. Puis le système a
rapidement été adapté aux hémocultures positives à cocci à Gram positif
en amas permettant d’identifier S. aureus et sa résistance à la méticilline
en moins de 1 heure, avec une sensibilité et une spécificité proches de
100 %. Des études médicoéconomiques ont montré que cette approche
pouvait potentiellement réduire la mortalité liée aux septicémies à S. au-
reus sans surcoût malgré le prix élevé des cartouches (20 à 50 euros) [9].
Le coût d’hospitalisation pourrait être significativement abaissé de 30 %
dans les unités de soins intensifs [10]. Par ailleurs, le système apparaît
aussi performant à partir de prélèvements à l’écouvillon réalisés directe-
ment sur des portes d’entrée potentielles comme notamment des lésions
cutanées, permettant de raccourcir notablement le délai diagnostique
[11]. Notons que le développement d’autres tests diagnostiques (enté-
rocoques résistants à la vancomycine, Clostridium difficile toxinogène,
entérovirus dans le LCR, grippe, Mycobacterium tuberculosis associé à la
détection de la résistance à la rifampicine…) a fait connaître un succès
à ce système, qui est maintenant largement répandu dans les différents
services de microbiologie des CHU ou CHR.

1 2

Fig. 3 – Principe du diagnostic moléculaire du système GenExpert. 1- L’échantillon est introduit


dans une cartouche contenant tous les réactifs nécessaires. 2- La cartouche est placée dans
l’automate. 3- Le résultat peut être obtenu en 40 min et est directement interprétable par le
manipulateur.
Méthodes diagnostiques rapides des sepsis sévères en réanimation 79

Il est important ici de rappeler que le diagnostic moléculaire de la résis-


tance aux antibiotiques, au-delà des limites liées aux performances ana-
lytiques, peut être pris en défaut en raison de l’évolution rapide des
mécanismes de résistances chez les bactéries. La découverte récente d’un
nouveau gène de résistance à la méticilline (mecA variant LGA251) chez
S. aureus en est une parfaite illustration [12]. Ce gène proche de mecA
présente toutefois une homologie insuffisante avec celui-ci pour être
détecté par les PCR qui ont été développées dans les kits commerciaux.
En revanche, la détection phénotypique de la résistance à la méticilline
ne pose aucun problème, soulignant l’importance de la pérennisation de
l’antibiogramme face aux méthodes moléculaires.

Identifications d’espèces désignées


et/ou recherche de gènes de résistances
par la détection d’antigènes spécifiques
Les diagnostics reposant sur l’amplification génique représentent sou-
vent un investissement initial non négligeable, et les petites structures n’ont
pas toujours la possibilité de s’équiper de ce type de matériel. D’autres
tests non basés sur l’amplification génique ont été développés, permettant
un diagnostic en quelques minutes sans équipement sophistiqué.
Ces tests reposent essentiellement sur des méthodes immunochroma-
tographiques ne nécessitant pas ou peu d’étapes préanalytiques. La lec-
ture du test sous forme de réaction colorée est aisée et obtenue entre 5 à
15 minutes après la réalisation du prélèvement.
Dans le cadre des infections sévères, le développement récent de tests
immunochromatographiques permettant d’identifier S. aureus et la
présence ou non de la PLP2a, y compris le variant mecA LGA251
pour certains tests [13], constitue un progrès. Ces tests immuno-
chromatographiques permettant de détecter la résistance à la méticilline à
partir de colonies, seront probablement utilisables dans un proche avenir
directement sur les prélèvements profonds, notamment par exemple les
liquides pleuraux et les flacons d’hémocultures [14]. L’intérêt des tests
immunochromatographiques pour la détection du pneumocoque ou du
streptocoque du groupe A directement à partir du produit pathologique
(liquide pleural, lésion cutanée) a déjà été montré [15-17].

Conclusion

Les performances des nouvelles méthodes diagnostiques en microbio-


logie vont permettre une réduction significative du délai du diagnostic
étiologique des sepsis graves en réanimation. L’avènement de la biologie
moléculaire et l’évolution de la robotisation augurent, dans un proche
80 Infectiologie en réanimation

avenir, d’une possible complète automatisation du diagnostic de sepsis,


5 permettant une réponse en moins de 2 heures. Toutefois l’évolution des
micro-organismes et en particulier de leurs mécanismes de résistances doit
inciter à la prudence, et laisse à penser que l’approche « Pasteurienne » ne
doit pas s’éteindre.

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Objectifs pharmacocinétiques,
pharmacodynamiques (PK/PD) et adaptation
6
posologique des antibiotiques chez le patient
de réanimation : vers une approche pratique.

O. PETITJEAN, R. GAUZIT

Introduction

Tous les antibiotiques ne tuent pas de la même manière les bactéries


et il est classique de distinguer, en fonction de leur mode de bactéricidie,
deux grandes familles de produits :
– ceux dont l’effet bactéricide est fortement majoré par l’augmentation
des concentrations réalisées : ils sont dits « concentration-dépendants » ;
– et ceux dont l’effet maximal est atteint pour des concentrations à
peine supérieures aux concentrations minimales inhibitrices (CMI)
(en général, 2 à 4 fois la CMI). L’effet de ces derniers ne dépendant
plus alors que du temps de contact réalisé, il est d’usage de les dési-
gner sous le terme générique d’antibiotiques « temps-dépendants » ou
« concentration-indépendants ».
Pour des raisons de clarté, nous passerons en revue les principales molé-
cules utilisées en réanimation en tentant de les classer selon leur mode
d’action, antibiotiques concentration-dépendants (aminosides, fluoroqui-
nolones), antibiotiques temps-dépendants (céphalosporines, vancomy-
cine) et antibiotiques à effets mixtes (carbapénèmes). Nous préciserons
par famille de produits quels sont les objectifs PK/PD que l’on doit se
fixer pour espérer atteindre l’effet antibiotique maximal.

O. Petitjean* , R. Gauzit**
*Département de pharmacologie, CREPIT 93, Université Paris XIII, Hôpital Avicenne, 125 route de Stalingrad,
93000 Bobigny, [email protected]
**Unité de réanimation - l’Hôtel Dieu de Paris, Université Paris V, Réanimation Saint-Charles, Place du Parvis
de Notre-Dame, 75004 Paris
Sous la direction de Pierre Charbonneau et Michel Wolff, Infectiologie en réanimation.
ISBN : 978-2-8178-0388-3, © Springer-Verlag Paris 2013
83
84 Infectiologie en réanimation

6 Les antibiotiques concentration-dépendants

Les aminosides (AG)


Les aminosides (AG) sont les chefs de file du groupe des antibiotiques
« concentration-dépendants ». De cette propriété validée en clinique hu-
maine en 1987 par Moore et al. [1] vont découler les grands principes
d’utilisation de ces molécules : dose, mode et rythme d’adminis-tration.
Ces auteurs ont en effet montré sur une série de 236 patients traités pour
infection sévère à BGN par une association AG-b-lactamine qu’un ré-
sultat optimal passait par la réalisation d’un rapport Cmax plasmatique
/ CMI, ou QI (quotient inhibiteur), d’au moins 8 à 10, ce qui signifie
que le régime posologique retenu doit permettre d’obtenir des pics plas-
matiques d’une valeur au moins égale à 8 à 10 fois la CMI (par conven-
tion, on entend par pic plasmatique la concentration mesurée au temps
60 minutes après le début de la perfusion de l’aminoside, perfusion dont
la durée est classiquement fixée à 30 minutes).
Les résultats de cette première étude de pharmacodynamie clinique,
considérée comme pionnière, ont été confirmés par Kashuba et al. [2]
sur une série de 78 pneumonies nosocomiales, ces auteurs montrant
que l’effet maximal (probabilité ≥ 90 % d’une résolution température-
hyperleucocytose à J7) ne peut être atteint qu’à la condition d’obtenir un
premier rapport (à J2-J3) pic/CMI ≥ 10 et un second (à J5-J6) ≥ 12. Le
problème d’un second QI à 12 ne se pose guère, les traitements par AG
ne dépassant que rarement 5 jours. Rappelons à ce propos, et c’est le seul
travail disponible sur ce sujet, que Beaucaire et coll. ont montré que dans
les pneumonies nosocomiales de réanimation, 5 jours de traitement par
aminoside faisaient aussi bien que 7 jours [3].
Enfin, Zelenitsky et coll. [4] ont fait la démonstration que ces objectifs
PK/PD étaient totalement transférables aux bactériémies à Pseudomonas
aeruginosa.
La nécessité d’obtenir des QI de ce niveau a définitivement imposé la dose
unique journalière (DUJ) que rendait possible un effet postantibiotique
(EPA) toujours important in vivo, DUJ qui a par ailleurs pour avantage de
favoriser le passage de l’antibiotique dans certains tissus, comme le paren-
chyme pulmonaire [5], de réduire le risque de résistance adaptative (effet
1re dose) et d’améliorer la tolérance rénale de ces traitements.
De ces rapports pic/CMI cibles (Cmax cible = 8-10 × CMI), et des
concentrations critiques fournies par l’EUCAST, découlent les objectifs
chiffrés à atteindre (tableau I).
Objectifs pharmacocinétiques, pharmacodynamiques (PK/PD) et adaptation posologique… 85
Tableau I – Cmax cibles permettant des rapports pic/CMI ≥ 8-10 et ce, dans l’exemple du
traitement probabiliste des infections à Pseudomonas aeruginosa (P. a.).

AG [C]crit (mg/L) Cmax cible (mg/L)


Genta/Tobra/Nétil 4 [P.a.] 32-40
Amika/Isépa 8 [P.a.] 64-80

Ces exigences de concentrations sériques élevées vont nécessiter la


mise en œuvre de posologies de l’ordre de 25 à 35 mg/kg/j, selon le ni-
veau de gravité du patient. Il est bon de rappeler ainsi que 15-20 mg/kg
d’amikacine en dose unique journalière (DUJ) fournit chez le patient de
réanimation des Cmax de l’ordre de seulement 30 à 35 mg/L [6, 7], de
sorte qu’avec ce type de posologie, plus de 90 % des malades n’atteignent
jamais un Cmax satisfaisant [8]. On rappellera que par le passé Beau-
caire et coll. [6] avaient montré qu’un Cmax < 40 mg/L constituait un
élément péjoratif pour l’issue du traitement. Même une dose de 7 mg/kg
(DUJ) de gentamicine ou de tobramycine (recommandations du Hart-
ford dose adjustment nomogram de Nicolau [9], ne permet d’atteindre un
rapport pic/CMI ≥ 10 en cas d’infection à Pseudomonas aeruginosa que
chez 20 % (gentamicine) à 40 % (tobramycine) des sujets traités (étude
de type Monte Carlo croisant données cinétiques chez le patient de réani-
mation et distribution des CMI de P. aeruginosa. observées à Pittsburgh
entre 2001 et 2004). Cette étude [10] permet d’observer la probabilité
d’obtenir un Cmax ≥ 10, selon la valeur que prend la CMI (tableau II).
Tableau II – Probabilité d’atteindre un rapport pic/CMI ≥ 10 en cas d’infection à P. a. Étude de
type Monte Carlo (distribution des CMI de 100 souches de P. a. croisée avec les données de
cinétique de population recueillies chez 102 patients de réanimation). D’après [10].

Dose d’aminoside (mg/kg, DUJ)

CMI 5 7 10 15 20 25 30
(mg/L)
1 27,3 49,7 73,2 90,1 96,2 98,5 99,4
2 2,6 9,9 27,2 55,1 73,4 84,0 90,0
4 0,0 0,3 2,6 12,6 27,5 41,9 55,0
8 0,0 0,0 0,0 0,5 2,6 6,7 12,6

En ce qui concerne les objectifs PK/PD souhaitables en matière de


concentration résiduelle, traceur d’une toxicité potentielle, on retiendra
3 choses :
– tout d’abord, la DUJ réduit le risque toxique pour les traitements
courts. Pour gagner leurs sites toxiques rénaux, les AG sont en effet
pris en charge par un transporteur tubulaire, la mégaline (les rats gé-
nétiquement dépourvus de mégaline ne développent pas d’atteinte
rénale), qui est saturable à partir d’environ 15 mg/L et quasi saturée
pour 50-60 mg/L de sorte que la DUJ en réalisant des concentrations
86 Infectiologie en réanimation

largement comprises dans la zone de saturation provoque une sorte


6 d’ « épargne » rénale qui se traduit par un recul du délai d’apparition
des différentes manifestations toxiques. Si à chaque dose moins d’anti-
biotique vient en effet se fixer sur les sites toxiques concernés, la demi-
vie au sein de ces tissus étant de l’ordre de 100 à 200 heures, les AG
s’accumulent malgré tout de dose en dose pour atteindre finalement le
seuil toxique, environ 3 jours plus tard que lors d’un traitement à dose
fractionnée. En ne dépassant pas 5 jours de traitement, la DUJ met
ainsi à l’abri des principaux problèmes de tolérance rénale [11-13]
puisque le délai moyen d’apparition d’une atteinte rénale passe ainsi
de 7-9 jours pour un intervalle d’administration (t) de 8-12 heures à
10-12 jours pour la DUJ ;
– l’association à un glycopeptide rend la DUJ encore plus indispensable
si l’on veut mini-miser les risques de néphrotoxicité [14-16] ;
– pour une demi-vie de 2 à 3 heures, 97 % de l’antibiotique se trou-
vent éliminés au bout de 12 à 15 heures de sorte que, usuellement, la
concentration à 24 heures n’est pas mesurable, ce qui a amené certains
auteurs à recommander de mesurer la concentration à 10 heures ou à
12 heures, mais cette proposition n’a jamais été évaluée.
Cependant, si l’objectif reste de renseigner sur la toxicité potentielle
du traitement, il nous paraît légitime de conserver les seuils qui étaient
jusque-là recommandés, c’est-à-dire :
– Cmin = C24h < 1-2 mg/L pour gentamicine/tobramycine/nétilmicine ;
– Cmin = C24h < 5 mg/L pour amikacine/isépamicine.
(Cmin exprime la concentration minimale et C24h la concentration sérique
résiduelle 4 heures après l’administration de l’antibiotique.)
Ter Braak et coll. [12] montrent d’ailleurs pour la nétilmicine (n = 132
infections bactériennes sévères, APACHE II = 15) que les patients déve-
loppant une insuffisance rénale présentent une C24h moyenne de 2,8 mg/L
tandis que cette concentration n’est que de 1,1 mg/L chez les autres
patients. Par prudence, les recommandations de l’AFSSAPS de mars 2011
[17] fixent à 0,5 et 2,5 mg/L les seuils à ne pas dépasser pour les diverses
molécules.

Propositions chez les malades en insuffisance rénale


La dose initiale, en cas d’insuffisance rénale, doit être égale à celle d’un
sujet ordinaire, le calcul se faisant simplement à la lumière de la valeur
du score de gravité même si Kirkpatrick et coll. [38] ont pu évoquer une
réduction du volume de distribution de 20-25 % en cas de Clcr ≤ 20 mL/
min. En effet, les données parfaitement documentées du dossier d’AMM
« amikacine » chez l’insuffisant rénal ne montrent pas de telles modifi-
cations. La seule question posée est celle du moment de la ré-adminis-
tration. La vraie question est plutôt de savoir s’il peut être utile à partir
d’une certaine Clcr de dialyser les patients de manière à revenir à une
DUJ, mode d’administration qui probablement permet à ces molécules,
mieux que les administrations toutes les 36 ou 48 heures, de s’exprimer
Objectifs pharmacocinétiques, pharmacodynamiques (PK/PD) et adaptation posologique… 87

pleinement, sans parler du rôle de l’effet postantibiotique que l’on ignore


lorsque l’intervalle t (délai entre deux administrations) devient trop long.
L’évaluation de la clairance de la créatinine chez le patient de réanimation
peut être mesurée ou évaluée par des formules :
– celle de Cockroft et Gault publiée en 1976 [39] :
Clcr (mL/min) = [(140 – âge) × Pds total (kg) × 0,85 (si G)] /
[72 × Scr (mg/dl)]
On évitera le risque de surestimation pour les faibles valeurs de créatinine
sérique (Scr) en fixant une valeur plancher à 1 mg/dl, voire à 0,7 mg/dl
(Cockroft et Gault modifié) ;
– la MDRD4 (Modification of Diet in Renal Disease = MDRD à 4 items)
ou sMDRD (pour simplified MDRD, le MDRD6 initial incluant
aussi urée sanguine et albuminémie) [40] ;
– la CKD-EPI (Chronic Kidney Epidemiology Collaboration Program)
[41].
Si la formule de Cockroft fait appel au poids du sujet, les deux autres
utilisent la surface corporelle.
En pratique, en réanimation, le recours à une clairance mesurée est la
meilleure méthode. Toutefois, le recueil d’urine pourra être raccourci à
une durée de 8 heures, premier intervalle qui permet en effet d’obtenir
des valeurs qui ne diffèrent pas de plus de 20 % des clairances mesurées
sur 24 heures [29, 48-50].

Les fluoroquinolones (FQ)


C’est le travail clinique de Forrest et coll. [51] qui est venu confirmer
l’intérêt de l’AUIC (AUCT>CMI /CMI)( aire sous la courbe au-dessus de la
CMI rapportée à la CMI) comme élément prédictif de guérison par une
fluoroquinolone (FQ), qu’il s’agisse du succès clinique, de l’éradication
bactérienne jugée sur la négativation des expectorations bronchiques (ou
en effet d’obtenir des valeurs qui ne diffèrent pas de plus de 20 % des
clairances des collections purulentes) ou du délai nécessaire à l’obtention
de cette éradication. Dans cette étude portant sur 74 patients de réani-
mation et présentant une infection grave à BGN (majoritairement des
pneumonies), la ciprofloxacine était donnée en monothérapie par voie
IV. L’examen de ces données indique qu’à partir d’une AUIC de 125,
le pourcentage de succès clinique est proche de l’effet maximal (82 % vs
42 %, si < 125) pour un délai d’éradication satisfaisant. Au-delà de cette
valeur, le gain ne s’exprime qu’en termes de délai d’éradication. Parallè-
lement, le risque de sélection de mutant résistant est significativement
diminué pour une AUIC > 100 (9 % vs 82 %) [52]. Comme pour le QI
et les AG, il y a quasi-superposition entre la valeur qui prévient les émer-
gences et celle qui assure le succès clinique ou bactériologique.
88 Infectiologie en réanimation

À partir de ces données, Forrest et coll. [51] proposent un algorithme de


6 calcul posologique :
Dose (mg/j) = AUIC × CMI × CIPl
q Dose (mg/j) = AUIC × CMI × Pds × (0,167 + 0,00145 Clcr), où :
– CLPI = clairance plasmatique de la ciprofloxacine dans la population
considérée (mL/min) ;
– Clcr = clairance de la créatinine (mL/min).
Un tel calcul qui exploite la relation ClPI = D / AUC, indique bien que
dans ce calcul d’AUIC, c’est l’AUC expérimentale totale des 24 heures
(AUC24) qui a été prise en compte et non l’AUCT>CMI, calcul qui conduit
à une surévaluation de l’AUIC. De fait, la confrontation de la valeur
théorique de 125, prise en compte dans l’algorithme posologique de For-
rest, aux AUIC vraies mesurées indique que pour que plus de 95 % de la
population présente une AUIC vraie d’au moins 125, il est nécessaire de
cibler 250 avec cet algorithme (l’équivalent d’un QI de 12 chez un sujet à
fonction rénale normale), faute de quoi 45 % des patients resteront sous-
dosés. C’est à cette même conclusion que parviennent Zelenitsky et coll.
[53] en montrant que le pourcentage de succès clinique passe de 28,6 %
à 91,4 % lorsqu’on atteint ou dépasse un rapport AUC24/CMI de 250.
On ajoutera que selon ce que nous enseignent les modèles précliniques,
il pourrait être utile de maintenir un rapport pic/CMI ≥ 10 de manière à
réduire le risque d’apparition de mutants résistants [54]. Chez les insuffi-
sants rénaux, une AUC/CMI de 250 sera atteinte pour des QI < 10, sauf
avec la ciprofloxacine.
En pratique, cette abaque de Forrest montre que si on s’impose une
posologie IV maximale de 400 mg × 3/j, la CMI critique atteignable ne
pourra pas dépasser 0,125 à 0,25 mg/L, au-delà de cette valeur, l’associa-
tion devient obligatoire, conclusion à laquelle parviennent également les
études réalisées dans des unités de soins intensifs [55-58].
La cinétique des FQ chez le patient de réanimation ne diffère pas nota-
blement de celle observée chez le sujet de médecine interne, elle est seule-
ment plus variable [57].
Ajoutons qu’en cas d’infection à bactéries à Gram +, le rapport AUC24libre
/ CMI à atteindre est plus faible, de l’ordre de 30 à 50 [61, 62] mais, il
paraît cependant recommandé, du moins dans le cas du pneumocoque,
d’aller jusqu’à 100, une fois encore, pour se mettre le plus possible à l’abri
des risques de sélection de mutants résistants [63].
Chez le sujet obèse, la littérature semble indiquer que la posologie des FQ
doit être calculée sur le poids total et non, comme cela a pu être écrit, sur
le poids idéal. En effet, si le Vd a tendance à fortement baisser avec l’aug-
mentation de la valeur du BMI, preuve d’une mauvaise pénétration dans
les adipocytes [64], parallèlement, les rapports AUCinterst. / AUC plasma sont
divisés par un facteur 1,5 à 2 [65].
Enfin, dans le cas de l’ofloxacine ou de la lévofloxacine, toutes deux éli-
minées par voie rénale, il serait important d’évaluer la possibilité d’une
hyperfiltration glomérulaire associée et d’évaluer l’utilité éventuelle d’une
dose journalière supplémentaire [66].
Objectifs pharmacocinétiques, pharmacodynamiques (PK/PD) et adaptation posologique… 89

Les antibiotiques temps-dépendants

Vancomycine
C’est de manière extrêmement empirique et en raison de sa mau-
vaise tolérance que l’usage de la vancomycine dans les années 1970-1980
était de ne pas dépasser une concentration résiduelle sérique de 10mg/L.
Cependant, l’évaluation des connaissances a permis d’aboutir aux deux
constats suivants : d’une part que ces concentrations cibles augmentaient
les risques d’échec clinique lors d’infections à S. aureus, notamment en
cas d’infection à S. aureus résistant à la méticilline (SARM) avec des CMI
supérieures à 1 mg/L [67] et que, d’autre part, ces concentrations favo-
risaient les risques de sélection de mutants résistants [68, 69]. Dans les
faits, il faudra attendre 2006 pour que l’ATS ( American Thoracic Society)
préconise l’obtention d’ une concentration résiduelle comprise entre 15
et 20 mg/L, recommandation qui sera reprise 3 ans plus tard par plusieurs
sociétés savantes [68, 70, 71]. Sur ces concentrations minimales recom-
mandées, à savoir 15-20 mg/L, il convient de faire deux remarques :
– d’une part, elles correspondent, exprimées en fraction libre, à 4 à 5 fois
la concentration critique de la vancomycine (Ccrit = 2 mg/L) puisque
cet antibiotique est lié à 55-65 % chez le volontaire sain et autour de
50 % chez le patient de réanimation septique.
– d’autre part, que Cmin à 15-20 mg/L, est également la concentra-
tion résiduelle que l’on est sensé observer lorsqu’on réalise un rapport
AUC24/CMI voisin de 350-400. Or, Moise-Broder et coll. [72] ont
montré dans une étude clinique de type PK/PD portant sur 108 in-
fections respiratoires basses à S. aureus (avec un score APACHE II
médian de 18) que le pourcentage de succès clinique est 7 fois supé-
rieur lorsque le rapport AUC24/CMI est ≥ 350, comparativement à
un rapport < 350 (p<0.0036). Or, les calculs montrent que donner
1,5 g à un sujet à fonction rénale normale conduit une AUC24/CMI
plus proche de 250 que de 350-400 et ce, pour une CMI de 1 mg/L.
La seule manière de parvenir à cet objectif est de passer à la perfusion
continue puisque la réalisation d’une concentration à l’équilibre (Css)
de 20 mg/L conduit à une AUC24 de 480 (24h × 20). Si on augmente
la Css à 30 mg/L, on respecte encore les objectifs d’AUC24/CMI préci-
tés, même pour des CMI de 1,5 ou de 2 mg/L.
MD. Kitzis et coll. [73] se fixent pour objectif une Cmin de 15-25 mg/L
en cas de SARM sensible à la vancomycine et de 30-40 mg/L en pré-
sence d’une souche de sensibilité diminuée ( GISA/VISA). Cette valeur
de 40 mg/L peut paraître importante mais ces souches à CMI élevées ont,
semble-t-il, davantage de chance de s’accompagner d’un fort inoculum
[74, 75]. Or la vancomycine est sensible à l’effet inoculum et encore
davantage in vivo qu’in vitro [76]. Craig et Andes [77] sur un modèle
d’infection de la cuisse de la souris à hétéro-VISA montrent que l’objectif
90 Infectiologie en réanimation

d’AUC24/CMI doit être ici porté à 500, exprimé en concentration libre,


6 c’est à dire 850 à 1000 en concentration totale, chiffre que l’on n’atteint
qu’à la condition de maintenir une Css de 40 mg/L. L’objectif de 600 est
également retrouvé dans la littérature.
Ainsi se trouve posée la justification théorique de la perfusion continue de
vancomycine qui fait encore débat aujourd’hui. Les travaux de Wysocki
et coll. [82] montrent que la perfusion continue ne fait pas mieux que
l’administration fractionnée de la vancomycine. Des résultats observés,
on retiendra que le pourcentage de décès dans le groupe « vancomycine
fractionnée » est de 54,7 % tandis qu’il n’est plus que de 25 % lorsque
l’antibiotique est perfusé en continu (p = 0,03). Ces résultats laissent donc
entendre que la mortalité attribuable à la pneumonie traitée par la vanco-
mycine en perfusion fractionnée est de 29,4 % de sorte que la perfusion
continue paraît effacer le sur-risque lié à l’infection.
Pour l’ensemble des raisons indiquées ci-dessus, nous prendrons donc
l’option de recommander la perfusion continue qui est de notre point de
vue, la seule approche permettant, de respecter les objectifs PK/PD que
nous venons de rappeler.
Ces recommandations ont conduit certains auteurs à proposer des nomo-
grammes de calcul de dose en fonction du poids et de la clairance de
la créatinine du patient, sous certaines conditions physiologiques qui ne
s’écartent pas trop de la normale [67, 84 ,85].

Les β-lactamines
Depuis la fin des années 1980, les G-lactamines sont considérées au re-
gard de leur profil de bactéricidie comme des antibiotiques temps-dépen-
dants (ou concentration-indépendants) dont l’efficacité est étroitement
corrélée au pourcentage de temps pendant lequel leurs concentrations
plasmatiques se maintiennent au-dessus de la CMI (% T>CMI). Ces tra-
vaux historiques sont menés sur des animaux à cinétique non humanisée
(t½ proches de 10-20 min qui obligent à recourir à des doses sans com-
mune mesure avec les doses humaines.
Tableau III – Pourcentage de T>CMI nécessaires pour aller de la bactériostase à la bactéricidie
maximale ; informations tirées de modèles infectieux murins à cinétique non humanisée.

PourcentageT>CMI « Bactériostase » Apparition « Effet maximal »


de la bactéricidie
CIIIG 30-40 40-50 60-70
Pénicillines 30 50

Pénèmes 20 40

Cette proposition (tableau III) n’a jamais été validée en clinique autre-
ment que par la compilation de 5 études menées dans l’otite moyenne
aiguë de l’enfant. Ce travail a comme objectif, au sens PK/PD, de maxi-
Objectifs pharmacocinétiques, pharmacodynamiques (PK/PD) et adaptation posologique… 91

miser les chances de succès clinique lors de l’emploi des G-lactamines, en


réalisant une concentration sérique au-dessus de la CMI au moins pen-
dant 40 % du temps existant entre deux administrations de l’antibiotique
(40 % T>CMI ) [98]. Cette situation n’a bien entendu, de par les indications
abordées, rien à voir avec les problématiques à résoudre en réanimation.
Cependant, Lodise et coll. [99] dans son étude souvent citée de traitement
des infections sévères à Pseudomonas aeruginosa en réanimation (56 % de
patients ventilés, score APACHE II = 16) par l’association pipéracilline-
tazobactam donnée en perfusion soit de 4 heures, soit de 30 minutes se
fixe précisément pour objectif d’atteindre 50 % T>CMI.
En soi, on doit reconnaître que cet objectif de 40-70 % T>CMI (selon la
G-lactamine considérée) est d’emblée suspect puisque, in vitro l’effet
maximal vis-à-vis de Pseudomonas aeruginosa est observé avec ces molé-
cules pour des concentrations ≥ 4-5 × CMI [100], voire ≥ 6-7 × CMI dans
le cas d’un Pseudomonas aeruginosa muqueux [101]. In vivo, de la même
manière, sur un modèle exigeant comme celui de l’endocardite expéri-
mentale au même germe chez le lapin « humanisé » traité par une perfu-
sion continue de ceftazidime (équivalent à 4, 6 et 8 g/j chez l’homme),
associée ou non à de l’amikacine, l’effet maximal est obtenu pour des
concentrations à l’équilibre (Css) de 4-5 × CMI [102]. Partant de ces élé-
ments, deux attitudes sont alors rencontrées. La première, marquée de
l’empreinte culturelle des travaux de l’équipe de W.Craig, est de fixer les
objectifs de pourcentage de temps au-dessus de la CMI suivants : 70 %
T>4xCMI , 50 % T>4xCMI et 40 % T>4xCMI pour respectivement les cépholospo-
rines de 3e génération (CIIIG) et de 4e génération (CIVG), les pénicillines
et les pénèmes [31]. La seconde considère que c’est la totalité du nycthé-
mère qui doit être couverte et l’objectif devient alors d’arriver à 100 %
T>4-6xCMI [103].
Taccone et coll. [31] montrent sur une population de 80 patients dont
72 % sont en choc septique (score APACHE II = 22 [18-28]) que les
posologies habituellement recommandées pour traiter les infections
sévères (2 g × 3/j de ceftazidime ou de céfépime ; 4/0,5 g × 3-4 /j de pipéra-
cilline-tazocilline ou 1 g × 3 de méropénème) ne permettent pas à la phase
précoce de remplir l’objectif initialement fixé, alors que 27 % des patients
étaient des insuffisants rénaux aigus, facteur contribuant à l’allongement
du temps de résidence sanguin de l’antibiotique.
De fait, ce sont chez les patients dont la Clcr est inférieure à 50 mL/min
que les objectifs fixés ont le plus de chance d’être atteints et ceci est par-
ticulièrement vrai avec la pipéracilline (71 % vs 15 %, selon que Clcr est <
ou > 50 mL/min) dont l’élimination est en effet partiellement saturable
[104].
Ceci résulte de la conjonction d’un Vd le plus souvent élevé qui contribue
à l’abaissement des concentrations, et de la présence de sujets hyperdyna-
miques qui se trouvent en situation d’hyperfiltration glomérulaire [31,
33]. De la même manière, Georges et coll. [105] dans une série de 72
polytraumatisés sous ventilation mécanique (score IGSII = 48) traités par
92 Infectiologie en réanimation

2 g × 3/j de ceftazidime ne maintient une concentration ≥ 5 × CMI que


6 pendant 90 minutes à 2 heures.
Enfin, chez les patients hémodynamiquement instables, la variabilité
intra-patient est également forte : 30 % sur le Vd du méropénème dans la
série de Roberts et coll. [109].
La solution ne peut donc passer que par le recours à la perfusion continue
qui donne accès, à dose égale, à des concentrations à l’équilibre très supé-
rieures aux résiduelles observées après administration fractionnée. De fait,
dans le bras perfusion continue de la série de Hites et coll. [114] (n = 8 ;
score APACHE II = 20 [16-22] ; Clcr = 92 mL/min [50-100]), la concen-
tration à l’équilibre à J2 est à 21 mg/L (16-31. Boselli et coll. [115], dans
sa série de pneumonies nosocomiales (IGSII entre 40 et 60), décrit des
Css du même ordre : 25 mg/L pour une posologie de 12 g/j et de 39 mg/L
pour 16 g/j en cas de Clcr > 50 mL/min. Les concentrations restent tou-
tefois insuffisantes du moins chez les patients non insuffisants rénaux,
car, en cas de Clcr < 50 mL/min, les concentrations observées sont 3 à 4
fois plus élevées (102 mg/L après 12 g et 135 après 16 g) ce qui permet de
répondre à l’objectif PK/PD. Le constat est le même pour la ceftazidime,
la perfusion continue permettant d’envisager d’approcher l’objectif fixé à
la condition de bien choisir sa dose puisqu’Aubert et coll. [116] évoquent
des Css entre 35 et 53 mg/L après perfusion continue de doses de 6 à 8 g/j,
ce qui laisse entendre qu’à cette posologie environ 50 % des patients res-
tent tout de même sous-dosés.
En conclusion, il faudra probablement envisager dans l’avenir de monter
les posologies à 8-12 g/j chez les patients qui associent hyperfiltration glo-
mérulaire et forte augmentation du Vd.
Enfin, ajoutons que la perfusion continue a quelques vertus supplémen-
taires, notamment de permettre d’atteindre, certes, avec un délai variable,
un équilibre entre concentrations circulantes et concentrations intersti-
tielles. Boselli et coll. [117] montrent ainsi qu’après 48 heures de per-
fusion de céfépime à raison de 4 g/j avec une dose de charge initiale de
2 g les concentrations sont en parfait équilibre entre plasma et liquide
alvéolaire (13.5 +/- 3.3 vs 14.1 +/- 2,8 mg/L ; n = 20 pneumonies nosoco-
miales ventilées ; score IGSII = 43 +/- 20). Par contre, avec la pipéracilline
l’équilibre est plus lent à se réaliser puisque cette même équipe observe des
rapports de concentration interstitium/plasma de l’ordre de 0,4-0,5 après
48 heures de traitement (n = 40 ; IGSII = 40-60) [115] avec des concen-
trations interstitielles < 16 mg/L dans le liquide alvéolaire chez 40-60 %
des patients lorsque Clcr > 50 mL/min mais toujours > 16 mg/L lorsque la
fonction rénale est atteinte, que la dose soit de 12 ou de 16 g/j.
Pour les praticiens qui craindraient que ces fortes doses ne génèrent des
complications neurologiques [107], rappelons que celles-ci ne dépendent
pas directement de la dose employée mais des concentrations réalisées,
c’est-à-dire du couple dose/profil patient. Chez les patients de réanima-
tion, le problème auquel nous nous trouvons confrontés est plutôt celui
de concentrations insuffisantes que l’inverse. Quoi qu’il en soit, les mani-
Objectifs pharmacocinétiques, pharmacodynamiques (PK/PD) et adaptation posologique… 93

festations épileptiformes observées avec les G-lactamines mettent en jeu


les récepteurs GABA centraux que l’on peut bloquer efficacement par la
prescription préventive de doses standard de clonazépam ou de diazépam.

Les pénèmes, des antibiotiques à effet mixte


Le développement récent du doripénème a été strictement bâti autour
du concept de temps-dépendance avec pour cible PK/PD affichée un %
T>CMI d’au moins 35 % (cible pharmacocinétique établie dans le respect
des données animales publiées par Craig). Les résultats mitigés obtenus
avec cette molécule ont conduit plusieurs équipes à réévaluer la littérature
sur la relation PK/PD pour les pénèmes.
L’analyse des études cliniques versées au dossier d’AMM du doripénème
montrent que :
– dans les pneumonies nosocomiales du patient ventilé (n = 247 ; score
APACHE II >15 dans 52 % des cas) [121], l’administration de 500 mg
× 3/j en perfusion de 4 heures ne fait pas mieux que l’imipénème en
perfusion courte (500 mg × 4/j, perfusion de 30 minutes) (68 % de
guérison clinique vs 65 %), deux doses qui par ailleurs sont considé-
rées comme équivalentes [122]. Or, le doripénème est plus actif in
vitro que l’imipénème et la perfusion de 4 heures exactement adaptée
aux situations à risque. Ce résultat est confirmé par une récente étude
américaine interrompue pour excès de mortalité après inclusion de
274 patients. En effet, le pourcentage de guérison clinique (en inten-
tion de traiter) après 1 g × 3/j de doripénème perfusé en 4 heures chez
des patients plus sévères que ceux de l’étude de Chastre et coll. [121]
est de 45,6 % quand il est de 56,8 % dans le bras imipénème 1 g × 3/j
administré en 1 heure (IC95 [-26.3, +3.8]) ;
– dans les infections intra-abdominales compliquées, dans deux études
différentes, la perfusion sur 1 heure de 500 mg × 3/j de doripénème
ne parvient pas à se démarquer du méropénème administré pourtant
en bolus de 3-5 minutes à la dose considérée comme équivalente de
1 g × 3/j. Les auteurs observent : 84,5 % de succès clinique vs 83 %.
En fait, ces études montrent que les pénèmes se distinguent du reste des
G-lactamines par un certain nombre de propriétés qui les rapprochent des
antibiotiques concentration-dépendants [124] :
– ils sont rapidement bactéricides in vitro (perte de 3 log10 en 2 à 6
heures) ;
– ils possèdent un effet postantibiotique marqué sur P. aeruginosa : 2
heures in vitro et 8-10 heures in vivo [125, 126], ce qui est une carac-
téristique forte des AB concentration-dépendants [127] ;
– ils expriment, selon certains travaux, une concentration dépendance
au-delà de 10-30 fois la CMI [128, 129] ;
– enfin, dans les modèles animaux, la corrélation entre la chute de l’ino-
culum bactérien et la valeur de T>CMI n’est pas bonne : le coefficient r2
94 Infectiologie en réanimation

qui est normalement de 0,90-0,96 avec les pénicillines ou les cépha-


6 losporines n’est plus ici que de 0,70-0,75 [130, 131], preuve claire
que le lien n’est pas si net entre l’efficacité des pénèmes et le critère
principal de temps-dépendance.
Trois modèles de bactéricidie dynamique nous permettent d’aller plus
loin dans la réflexion :
– le modèle de Louie et coll. [122] qui compare sur 2 souches isogé-
niques de P. aeruginosa (CMI = 1 et 2 mg/L) 500 mg d’imipénème
perfusé en 30 minutes à 500 mg de doripénème perfusé soit en 1
heure, soit en 4 heures, et qui in fine conclut à la stricte équivalence
entre les 3 bras ;
– le modèle d’Eguchi et coll. [132] ;
– enfin, le modèle de Forrest et coll. [133], qui appliqué au sulopénème,
montre que pour un même effet le % T>CMI nécessaire est d’autant
plus faible que l’intervalle d’administration augmente et inversement,
un profil qui s’apparente à celui d’un antibiotique concentration-dé-
pendant avec présence d’un effet postantibiotique.
En conclusion, à Cmax équivalent, l’effet maximal peut être atteint
quel que soit le mode d’administration choisi. Toutefois, le pic plasma-
tique paraissant gouverner le système, aidé en cela par la présence d’un
fort effet postantibiotique, il nous paraît plus productif de le prescrire à la
manière d’ un antibiotique concentration-dépendant de type aminoside,
c’est-à-dire de rechercher à réaliser un C1h voisin de 10 fois la CMI, soit
40 mg/L pour une Ccrit de 4 mg/L, valeur retenue par l’EUCAST.
On notera d’ailleurs que chez le volontaire sain ou chez le patient
sans facteurs de risque cinétiques particuliers, la réalisation d’un QI
(Cmax/CMI) de 10-15, ce que l’on obtient avec 1 g de méropénème, par
exemple, correspond en fait à la réalisation d’un % T>CMI de l’ordre de 35-
45 % ce qui ne devient plus vrai lorsqu’on considère les patients avec un
sepsis grave ou en choc septique. Dans ce cas à supposer que la Clcr soit si-
gnificativement abaissée, le seuil de 35-40 % de % T>CMI sera atteint avant
que le QI de 10 ne soit obtenu, l’allongement de la demi-vie prolongeant
en effet le % T>CMI. De même, en cas de perfusion continue, les 10 × CMI
(et peut-être en même temps l’effet maximal) ne seront jamais atteints
puisqu’on visera alors 4-5 × CMI. Les choix ne sont donc pas identiques.
Tableau IV – Conditions PK/PD nécessaires pour obtenir un effet antibiotique maximal : il existe
une réelle similitude de comportement pharmacocinétique entre carbapénèmes, AG et FQ.

Pénicillines Carbapéné- Aminosides FQ


/ CIIIG mes
% T>CMI 100 % 35-40 % 35-45 % 40 % (cipro)
(4-6 × CMI)
Cmax/CMI – 8-12 (?) 8-12 10-12
AUC24/CMI – ? 175-250 250
Objectifs pharmacocinétiques, pharmacodynamiques (PK/PD) et adaptation posologique… 95

Enfin, pour la pratique, le tableau V ci-dessous, permettra au lecteur de


comparer les cinétiques d’éliminations des principales classes d’antibio-
tiques.
Tableau V – Valeurs moyennes des constantes d’élimination (ke) ainsi que des concentrations
plasmatiques au temps 1 heure (C1h) observées pour les principaux antibiotiques utilisés en
réanimation.

Antibiotique ke (h-1) C1h en mg/L


(ou famille d’antibiotiques) (D administ.)
– Aminosides (perf. 0,5 h) ke = 0,0025 Clcr + 0,02 cf. recommandations
– Fluoroquinolones (IV)

• Oflo/lévoflo ke = 0,00062 Clcr + 0,0129 2,2 (0,2 g) / 5,5 (0,5 g)


• Cirpofloxacine pas de corrélation avec Clcr 2,3 (0,2 g)
– Bêtalactamines (IV)

• Aztréonam ke = 0,0028 Clcr + 0,092 50 (1 g)


• Céfépime ke = 0,0030 Clcr + 0,054 85 (2 g)
• Céfotaxime ke = 0,0040 Clcr + 0,094 45 (2 g)
• Ceftazidime ke = 0,0040 Clcr + 0,004 80 (2 g)
• Ceftriaxone ke = 0,033 (si Clcr < 60) 120 (1 g) / 200 (2 g)
ke = 0,000875 Clcr – 0,0156 (si Clcr ≥ 60)
• Pénèmes

– Imipénème ND 12 (0,5 g)
– Méropénème ke = 0,006Clcr + 0,08 28 (1 g)
– Doripénème ke = 0,0044 Clcr + 0,197 23 (0,5 g)
• Pipéracilline (perf. 0,5 h) ke = 0,0049 Clcr + 0,21 110 (4 g)
– Vancomycine (perf. 1,0 h) ke = 0,00073 Clcr + 0,0122 34 (1 g)
– Colimycine
Dose de charge (UI) à j1 = Cmoy cible × 0,06 × Pds idéal (kg)
[sans dépasser 10 MUI et en retenant le Pds total s’il est inférieur au Pds idéal]
Dose d’entretien (UI/j) à partir de j2 = Cmoy cible × 0,045 (Clcr + 20), avec un intervalle
d’administration de 12 heures
La concentration moyenne (Cmoy) cible recommandée qui est le rapport AUCY divisée par Y
(Y = intervalle d’administration choisi, ici 12 heures), est de 2,5 mg/L (Garonzic et al. [134])
96 Infectiologie en réanimation

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Avertissement

Ce chapitre comportait dans sa version initiale des applications ou


exemples numériques proposés par les auteurs. Pour des raisons de place
et d’équilibre entre les chapitres de l’ouvrage, ces annexes ont été suppri-
mées. Elles sont disponibles, sur demande, à l’un des auteurs, O. Petitjean
dont l’adresse mail est « [email protected] ». P.Charbonneau
et M.Wolff.
De la bonne utilisation des antifongiques
systémiques en réanimation
7
J.-F. TIMSIT, L. POTTON, M. LUGOSI, C. MINET, R. HAMIDFAR-ROY, C. ARA-SOMOHANO,
A. BONADONA, C. SCHWEBEL

Introduction

Une enquête de prévalence menée un jour donné en France a mon-


tré que les antifongiques sont utilisés chez 7,5 % des patients présents
en réanimation [1]. Il convient donc pour les réanimateurs d’appro-
fondir les connaissances sur les propriétés pharmacocinétiques et phar-
macodynamiques de ces molécules. Cette revue ne reprendra pas l’ef-
ficacité respective de chacun des produits en fonction des indications.
Après un bref rappel des spectres d’activité des molécules disponibles
(tableau I), nous décrirons les particularités pharmacologiques, phar-
macocinétiques et pharmacodynamiques utiles pour le réanimateur
et les principaux problèmes auxquels ils peuvent être confrontés. Les
antifongiques appartiennent à quatre grandes familles : les azolés, les
polyènes, la 5-fluorocytosine et les candines.

Les azolés

Les molécules à connaître pour le réanimateur sont le fluconazole et le


voriconazole, et à un moindre degré le posaconazole.

J.-F. Timsit , L. Potton, M. Lugosi, C. Minet, R. Hamidfar-Roy, C. Ara-Somohano, A. Bonadona,


C. Schwebel
Université Grenoble 1
Réanimation médicale
CHU Albert Michalon
38043 Grenoble cedex 9
Email : [email protected]
Sous la direction de Pierre Charbonneau et Michel Wolff, Infectiologie en réanimation.
ISBN : 978-2-8178-0388-3, © Springer-Verlag Paris 2013
105
7
106

Tableau I – Activité des principaux antifongiques systémiques sur les principales infections fongiques.
Infectiologie en réanimation

Polyènes Fluconazole Itraconazole Voriconazole Posaconazole Candines 5-Fluorocytosine

C. albicans + + + + + + +

C. krusei + – +/- + + + +

C. glabrata + +/- +/- + + + +

Cryptococcus spp. + + + + + – +

Aspergillus spp. + – + + + + –

Zygomycètes + – – – + – –

Fusarium spp. + – – +/- +/- – –


De la bonne utilisation des antifongiques systémiques en réanimation 107

Le fluconazole
Le fluconazole est le traitement antifongique systémique le plus uti-
lisé en réanimation. Il inhibe la lanostérol déméthylase, enzyme dépen-
dante du cytochrome P450 indispensable à la transformation du lanos-
térol en ergostérol. L’ergostérol est essentiel à l’intégrité et à la fonction
de la membrane fongique. Le fluconazole exerce une activité fongista-
tique contre les levures sensibles et n’est pas actif sur les champignons
filamenteux.
En réanimation, la proportion de souches de Candida sp. restant sensibles
au fluconazole est de l’ordre de 80 % [2, 3]. Elle est très faible, inférieure
à 6 % pour Candida albicans et beaucoup plus importante pour Candida
glabrata (50 % des souches environ) [2]. Candida krusei est naturelle-
ment résistant au fluconazole. La proportion de souches sensibles au flu-
conazole est diminuée en cas d’exposition antérieure au produit et chez
les patients d’hématologie.

Pharmacologie, pharmacocinétique du fluconazole


Les propriétés pharmacologiques, pharmacocinétiques et pharmaco-
dynamiques du fluconazole sont rappelées dans les tableaux II et III. La
molécule garde une biodisponibilité orale de près de 71 % chez les pa-
tients de réanimation. La posologie chez l’adulte est de 400 mg après une
dose de charge de 800 mg le premier jour.
Chez le patient de réanimation avec une fonction rénale normale, le volume
de distribution du fluconazole est constamment augmenté (87-95 L) et la
clairance d’élimination discrètement augmentée. Une dose de 400 mg/j à
l’état d’équilibre permet d’atteindre une aire sous la courbe (ASC) de plus
de 400 mg·h/L. L’objectif d’une ASC/CMI > 25, suggéré comme néces-
saire, est donc obtenu pour des CMI allant jusqu’à 16 mg/L [4].
Une large part du fluconazole est habituellement réabsorbée au niveau du
rein. Cette réabsorption est inhibée en cas d’insuffisance rénale anurique,
si bien que le rapport des concentrations urine/sérum augmente considé-
rablement en cas d’insuffisance rénale (1 :1,16 contre 1 :10). En cas d’in-
suffisance rénale, on constate un allongement important de la demi-vie
d’élimination du fluconazole si la clairance de la créatinine est entre 10 et
60 mL/min. Il est donc recommandé de conserver la dose de charge tout
en espaçant les administrations de 48 heures ou en diminuant les doses
d’entretien de moitié [5].
En cas d’hémodialyse séquentielle, la clairance d’hémodialyse est six fois
supérieure à la clairance corporelle totale obtenue chez un sujet à fonc-
tion rénale normale. Il est donc recommandé d’administrer la dose uni-
taire de 6 mg/kg après chaque séance d’hémodialyse [5].
L’élimination du fluconazole par hémodiafiltration veino-veineuse
continue (CVVHDF) est 35 à 40 % plus importante que celle obte-
nue avec l’hémofiltration veino-veineuse continue (CVVHF) et 60-
70 % plus importante que celle observée chez le volontaire sain [4].
7
108

Tableau II – Pharmacocinétique comparée des antifongiques à action systémique. Adapté de [14, 15, 18, 48].

Molécules Dose usuelle Pk Diffusion (%) Métaboli- Élimina- T 1/2 (h)


sation tion
Cmax Fixation pro- SNC Vitrée Urines
(mg/L) téique (%)
Infectiologie en réanimation

Polyènes
Amphotéricine B
déoxycholate 0,6-1 mg/kg/j 0,5-2 95 0-4 0-38 3-20 0 Fèces, 50 50
Amphotéricine B liposomale 3-5 mg/kg/j 8,3 > 95 <5 0-38 5 0 100-
Amphotéricine B complexe ? 153
lipidique 5 mg/kg/j 1,7 95 <5 0-38 <5 0
173
Azolés
Fluconazole 6-12 mg/kg/j 6-20 11 > 60 28-75 90 Foie Rénale 31
Itraconazole 200 × 2/j 0,5-2,3 99,8 < 10 10 1-10 Foie++ Foie 24
Voriconazole 6 mg/kg × 2 3-4,6 58 60 38 <2 Foie++ Rénale 6
puis 4 mg/kg × 2
Posaconazole 600-800 mg/j 1,5-2,2 99 ? 26 <2 Foie Fèces 25
en plusieurs doses
5-Fluorocytosine 100-150 mg/kg/j 30-40 4 60-100 49 90 0 Rénale 3-6
en 4 administrations
ou prises
Molécules Dose usuelle Pk Diffusion (%) Métaboli- Élimina- T 1/2 (h)
sation tion
Cmax Fixation pro- SNC Vitrée Urines
(mg/L) téique (%)
Échinocandines
Caspofungine 70 mg/j 8-10 97 <5 0 <2 Foie Rénale 30
Micafungine puis 50 mg/j*
100 mg/j 10-16 99 <5 <1 <2 Foie Fèces 15
Anidulafungine 200 mg j1 6-7 84 <5 0 <2 Aucun Fèces 26
puis 100 mg/j
* 70 mg/j tous les jours si poids > 80 kg.
De la bonne utilisation des antifongiques systémiques en réanimation
109
110 Infectiologie en réanimation

La clairance d’élimination est d’autant plus importante que des hauts


7 volumes sont utilisés et que la surface des membranes de dialyse est
importante.
Tableau III – Élements de pharmacodynamie des antifongiques. Adapté de [14, 16, 18, 48].

Molécules Profil pharmacoci- Effet postanti- Relation PK/PD


netique in vitro fongique efficacité clinique
Amphotéricine B Concentration- Concentration- Probable Cmax/
dépendant dépendant CMI > 4-10
Fongicide prolongé ou ASC/CMI
contre Candida, > 100
Cryptococcus, Asper-
gillus fumigatus
Azolés Concentration- Concentration- Cliniquement
Fluconazole indépendant et temps- documentée
Itraconazole Fongistatique dépendant ASC/CMI > 25
Voriconazole contre Candida contre Candida (Candida)
Posaconazole et Cryptococcus albicans Possible
Activité fongicide et Cryptococcus pour Aspergillus :
temps-dépendant dans le sérum. Cmin > 50 ng/ mL
et concentra- Pas d’effet pos- (itraconazole,
tion dépendante tantifongique voriconazole)
contre Aspergillus en l’absence ASC/CMI > 400
de sérum (8-25 pour la frac-
tion libre) Cmin
> 700 voire
1500 ng/mL
pour posaconazole
5-Fluorocytosine Activité fongistatique Concentration- Probable temps/
temps-dépendante, et temps- CMI > 40 %
indépendante de dépendant
la concentration
contre Candida
et Cryptococcus
Échinocandines Activité fongicide Prolongé, Probable
Caspofungine concentration- concentration- Cmax/CMI > 5-10
Micafungine dépendante dépendant (Candida)
Anidulafungine contre Candida contre Candida. ASC/CMI > 250
Activité fongistatique (tissus et plasma)
concentration- Cmax/CME > 10
dépendante (Aspergillus)
contre Aspergillus
Cmax : concentration au pic ; Cmin : concentration résiduelle ; CMI : concentration minimale
inhibitrice ; ASC : aire sous la courbe ; CME : concentration minimale efficace.

Dans une étude récente de modélisation pharmacocinétique effectuée à


partir des données de patients anuriques en CVVHDF, les auteurs ont
montré que des doses de fluconazole de 400 mg deux fois par jour étaient
De la bonne utilisation des antifongiques systémiques en réanimation 111

nécessaires pour obtenir des concentrations suffisantes correspondant à


une ASC de la fraction libre/CMI > 25 jusqu’à des CMI de 16 mg/L [6].
L’élimination du fluconazole est très diminuée après 48 heures d’utilisa-
tion, ce qui justifie la recommandation des auteurs de changer systémati-
quement le circuit de CVVHDF après ce délai.
Une dose de charge de 12 mg/kg/j suivie d’une dose journalière de 6 mg/
kg/j paraît suffire chez les patients en CVVHF, mais une dose quoti-
dienne de 12 mg/kg/j est nécessaire si une CVVHDF avec des débits
supérieurs à 35 mL/kg est utilisée.

Pharmacodynamie du fluconazole
Parmi les antifongiques, le fluconazole a fait l’objet du plus grand
nombre d’études pharmacodynamiques (tableau III). Un meilleur taux
de succès est obtenu chez l’animal avec un rapport ASC 0-24 h/CMI
> 25. Chez l’homme, un rapport dose/CMI > 50 [7] ou 100 et une ASC/
CMI > 11,5 [8] sont des paramètres associés au succès microbiologique et
à une moindre mortalité chez les patients non neutropéniques présentant
une candidémie.
Il faut enfin garder en mémoire que l’activité du fluconazole est
réduite ou absente sur les biofilms fongiques in vitro [9, 10]. Une
grande prudence doit donc rester de mise pour l’utilisation du fluco-
nazole dans les infections sur matériel étranger, si celui ne peut pas
être retiré.

Effets secondaires
Le succès du fluconazole en réanimation s’explique en partie par le peu
d’effets secondaires. Ceux-ci sont plus fréquemment rapportés pour des
doses supérieures à 400 mg/j. La toxicité hépatique est rare [11]. L’éléva-
tion des enzymes hépatiques survient dans moins de 10 % des cas, et jus-
tifie l’interruption du traitement dans moins de 1 % des cas. Bien que la
toxicité soit dépendante de la dose, la bonne stabilité des concentrations
obtenues et l’index thérapeutique large ne justifient pas la surveillance des
concentrations circulantes [4].

Voriconazole

Pharmacologie, pharmacocinétique
Le voriconazole (VRZ) est un dérivé triazolé à large spectre d’activité
sur les levures, y compris C. krusei, et sur Aspergillus sp. Le voriconazole
est le traitement de référence des aspergilloses.
Les propriétés pharmacologiques et pharmacocinétiques du VRZ sont
rappelées dans les tableaux II et III. La posologie est précédée le premier
jour d’une dose de charge de 6 mg/kg × 2 du fait de sa pharmacocinétique
112 Infectiologie en réanimation

non linéaire saturable. Le VRZ possède une excellente biodisponibilité


7 orale (96 %) et est métabolisé par le foie.
Par voie intraveineuse, il nécessite une association avec la sulphobutyle
éther bêta-cyclodextrine de sodium (SBECD). Lors d’une’insuffisance
rénale (clairance de la créatinine < 50 mL/min), la SBECD s’accumule.
On ne connaît pas la toxicité propre de la SCECB mais en cas d’insuffi-
sance rénale, la forme orale doit être privilégiée.
La marge thérapeutique n’est pas très large. Des taux résiduels < 1 mg/L
sont associés à des échecs thérapeutiques, alors que des taux > 5,5 mg/L
sont associés à la neurotoxicité du produit [12].
La pharmacocinétique du VRZ est très influencée par ses interactions
avec le cytochrome P450 (CYP2C19 surtout et CYP2C9, CYP3A4).
En particulier, les polymorphismes génétiques du gène codant pour le
CYP2C19 modifient considérablement la métabolisation du VRZ [13].
Ces polymorphismes expliquent qu’une partie non négligeable des popu-
lations d’Asie et du Pacifique (14 à 19 % des cas) métabolise lentement
le produit. Ce type de polymorphisme est plus rare dans les populations
caucasiennes d’Europe et en Afrique (2 %) [13]. À l’opposé, la clairance
du produit est plus rapide et linéaire chez les enfants, ce qui nécessite
d’augmenter les posologies [14].
La participation du cytochrome P450 dans le métabolisme du VRZ
explique des interactions médicamenteuses qui sont détaillées dans une
revue publiée en 2009 [15].
Le VRZ est contre-indiqué en association avec des inducteurs enzyma-
tiques du CYP450 comme la rifampicine, l’éfavirenz, la rifabutine, la car-
bamazépine, le ritonavir (400 mg ou plus par dose) et les barbituriques à
longue action, puisque ceux-ci amènent une diminution des concentra-
tions du VRZ. Il est aussi contre-indiqué d’utiliser les alkaloïdes de l’ergot,
le sirolimus et la quinidine, puisque par inhibition du CYP3A4, le VRZ
provoquerait une accumulation importante de ces molécules. Il existe aussi
un risque d’accumulation de plusieurs autres molécules, dont la warfarine,
la ciclosporine, le tacrolimus, les statines, les benzodiazépines, les sulfo-
nylurés, les alkaloïdes de la vinca et la méthadone). Leur utilisation, en
revanche n’est pas contre-indiquée, mais il est quand même recommandé
de surveiller les signes de toxicité. L’interaction entre la phénytoïne et le
VRZ est bidirectionnelle (augmentation de la phénytoïne et diminution
du VRZ). Une attention particulière doit aussi être portée avec les inhibi-
teurs de la protéase et les inhibiteurs de la transcriptase inverse.
Les interactions mentionnées dans la monographie du VRZ ne provien-
nent pas toujours d’études en clinique humaine. L’utilisation du VRZ,
si elle est strictement indispensable, devra être encadrée par des dosages
répétés et une vigilance clinique particulière.
Chez le malade de réanimation, la variabilité des taux circulants peut ame-
ner des échecs en cas de sous-dosage, ou au contraire des effets indésirables
en cas de surdosage. Pour ces raisons, le suivi des concentrations résiduelles
est sans doute utile [16]. Dans une étude de cohorte, des dosages de VRZ
ont été réalisés [17] chez 30 patients de réanimation recevant la posologie
De la bonne utilisation des antifongiques systémiques en réanimation 113

recommandée, 18 avec une fonction rénale normale ou subnormale, et


12 avec une fonction rénale modérément altérée. Chez les patients avec
fonction rénale normale, des taux plasmatiques ≤1 mg/L, donc insuffi-
sants, ont été retrouvés dans 37 % des cas, et > 5,5 mg/L, donc à risque de
neurotoxicité dans 19 % des cas. De plus, des concentrations résiduelles
inférieures à 1 mg/L étaient observées au moins une fois chez plus de la
moitié des malades.
La diminution de la clairance du VRZ en cas d’insuffisance rénale ou
en cas d’épuration extrarénale est limitée. En revanche, la diminution
franche de la clairance du produit chez les patients cirrhotiques ou avec
une insuffisance hépatique aiguë peut justifier une diminution de la dose
d’entretien afin d’éviter une accumulation du produit [18].
L’efficacité du VRZ nécessite d’obtenir une ASC/CMI > 25. Tout comme
les autres azolés, le VRZ possède une activité réduite dans un biofilm
candidosique in vitro [19].

Effets secondaires
Le VRZ est bien toléré aux concentrations thérapeutiques. L’effet
indésirable principal pouvant gêner son utilisation en réanimation
est la neurotoxicité centrale responsable d’encéphalopathie, d’autant
plus fréquente que les concentrations résiduelles sont supérieures à
5,5 mg/L [12]. À des concentrations élevées (interactions médicamen-
teuses), il faut noter que tout comme les autres azolés, le VRZ peut en-
traîner un allongement de l’intervalle QT avec des troubles du rythme
ventriculaire.

Posaconazole
Le posaconazole, utilisé surtout en prophylaxie en hématologie, est
peu utilisé en réanimation, notamment du fait que seule la forme orale
est disponible. Il peut être utile pour le traitement des mucormycoses.
Sa biodisponibilité orale est variable d’un malade à l’autre. L’absorption
orale est d’autant plus faible que les patients ont des altérations de la mu-
queuse digestive, une diarrhée, qu’ils reçoivent un traitement modifiant
le pH gastrique ou des médicaments inducteurs du cytochrome P450.
Des taux < 719 ng/mL sont associés à des échecs de la prophylaxie en
hématologie [20]. Des taux résiduels de 1000 à 1500 ng/mL sont
conseillés dans les infections à champignons filamenteux [16].
Pour le posaconazole, la posologie journalière de 600 à 800 mg chez
l’adulte est le plus souvent administrée en quatre doses journalières. En
réanimation, son utilisation doit être associée à un suivi systématique des
concentrations sanguines [21]. Un dosage du taux résiduel doit être réalisé
chez tous les patients après 4 à 7 jours de traitement [14, 16].
114 Infectiologie en réanimation

7 Les polyènes

Les polyènes agissent en se fixant sur l’ergostérol de la membrane des


cellules fongiques. Ils modifient la perméabilité et les propriétés métabo-
liques membranaires. Les polyènes ont un spectre d’activité particulière-
ment large qui en fait des molécules intéressantes devant une infection
fongique invasive dont on ne connaît pas la nature, en particulier chez les
patients profondément immunodéprimés ou d’oncohématologie.

Pharmacocinétique des polyènes


Les principales caractéristiques pharmacologiques et pharmacociné-
tiques des polyènes sont indiquées dans les tableaux II et III. La posologie
d’amphotéricine B déoxycholate (AmB-deo) est de 0,7-1 mg/kg/j selon
le type d’infection, et celle de l’amphotéricine B liposomale (AmB-L),
formulation lipidique la plus utilisée en France, de 3-5 mg/kg/j.
Les dysfonctions rénales ou hépatiques n’influencent pas significativement
la pharmacocinétique des polyènes [18]. De même, l’épuration extraré-
nale a peu d’effet sur leurs propriétés pharmacocinétiques [22].
L’AmB-deo, molécule la plus ancienne, est particulièrement peu coû-
teuse, mais son utilisation est limitée par sa toxicité, qu’il faut connaître
pour mieux la limiter. À titre d’exemple, dans un essai ayant comparé au
cours des candidoses invasives, la caspofungine à l’AmB-deo, celle-ci était
associée à un effet secondaire motivant l’arrêt du traitement dans 23 %
des cas [23]. Les effets secondaires principaux étaient : fièvre et frissons
(23 %), hypokaliémie nécessitant un apport de potassium (2 %), double-
ment de la créatinine (25 %).
Les polyènes altèrent la perméabilité membranaire de la cellule fongique.
Ils possèdent une forte affinité pour l’ergostérol de la membrane des
champignons, mais conservent une certaine affinité pour le cholestérol
de la cellule humaine. La toxicité rénale de l’amphotéricine B s’explique
par une altération précoce de l’hémodynamique rénale (diminution de la
clairance de l’inuline, du débit plasmatique rénal, des pressions intracapil-
laires glomérulaires, et augmentation des résistances vasculaires rénales),
et par une hyperperméabilité tubulaire [24, 25]. La toxicité est essentiel-
lement tubulaire, avec une acidose distale, un défaut de concentration des
urines, une fuite de potassium et de magnésium.
L’incidence de la toxicité rénale de l’AmB-deo est bien documentée
en oncohématologie. Un doublement de la créatinine est observé en
moyenne dans 10-30 % des cas après des traitements de 10 jours [23,
26-28]. Après un traitement de 20 jours, elle est retrouvée dans près de la
moitié des cas [26].
La toxicité est plus fréquente chez l’homme, en cas de forte corpulence,
après allo- ou autogreffe de moelle osseuse, en présence d’une altération
préalable de la fonction rénale, et si plusieurs médicaments néphrotoxiques
De la bonne utilisation des antifongiques systémiques en réanimation 115

sont associés. La néphrotoxicité augmente avec la dose journalière et la


durée du traitement [26, 29, 30]. Une perfusion continue pourrait dimi-
nuer le risque d’altération de la fonction rénale, mais n’a pas d’impact sur
les risques d’hypokaliémie et d’hypomagnésémie [31]. Ce mode d’utilisa-
tion n’est pas en adéquation, du moins en théorie, avec la pharmacodyna-
mie des polyènes, dont la fongicidie est concentration-dépendante.
La toxicité rénale de la famille a conduit à la conception de formulations
lipidiques non filtrées par le glomérule rénal : amphotéricine B liposomale
(AmB-L), amphotéricine B lipid complex (ABLC) et amphotéricine B dis-
persion colloïdale (ABCD). Parmi les formulations lipidiques, l’AmB-L
a fait l’objet d’une plus grande attention. Les propriétés pharmacociné-
tiques principales de ces produits sont indiquées dans le tableau II.
La toxicité des différentes formulations lipidiques est comparable
et moins importante que celle obtenue avec l’AmB-deo. Elle reste
cependant supérieure à celle obtenue avec les échinocandines chez
l’adulte [32]. À titre d’exemple, dans un essai au cours de candidé-
mies [33] ayant comparé le VRZ à l’AmB-L à la dose de 3 mg/kg/j,
celle-ci fut associée à un doublement de la créatinine dans 3,7 % des
cas, une hypokaliémie (12 %), des frissons (6,4 %), des réactions au site
de perfusion (29,9 %). Elle entraîna l’arrêt du traitement dans 9 % des
cas [32]. L’AmB-L à des posologies de 10 mg/kg/j entraîne plus d’effets
secondaires (néphrotoxicité et hypokaliémie) que l’AmB-L à 3 mg/kg/j,
et n’améliore pas la guérison microbiologique des infections à champi-
gnons filamenteux [34].

Pharmacocinétique des polyènes


Les polyènes sont des agents fongicides concentration-dépendants (ta-
bleau III). L’activité de l’AmB-L sur les principaux agents fongiques est
inchangée ou augmentée d’une dilution par rapport à l’AmB-deo [35].
L’efficacité clinique des différents polyènes à doses équivalentes est compa-
rable [27, 35]. Contrairement à l’AmB-deo, l’activité in vitro de l’AmB-L
sur les infections sur biofilm est bonne [36].

La 5-fluorocytosine

La 5-fluorocytosine (5-FC) est transformée par deux enzymes spé-


cifiques en 5-fluorouracil à l’intérieur même de la cellule fongique. La
5-FC est un antifongique fongistatique temps-dépendant.
Cependant, des bactéries commensales du tube digestif peuvent aussi
transformer la 5-FC en 5-fluorouracil et entraîner des effets toxiques
comme des troubles digestifs (nausées, vomissement, diarrhée) et une
toxicité médullaire.
116 Infectiologie en réanimation

La 5-FC est active contre les levures. Cependant, elle doit toujours être
7 associée à un autre antifongique pour prévenir les mutations de sa cible
intracellulaire. Elle reste le traitement de référence de la cryptococcose
neuroméningée, en association avec l’amphotéricine B.
Les propriétés pharmacocinétiques de la 5-FC sont indiquées dans le
tableau II.
La 5-FC possède une excellente diffusion dans les tissus, en particulier
dans le système nerveux central, l’œil et l’endocarde, ce qui peut justi-
fier son utilisation en association dans des endocardites, méningites ou
endophtalmie à levures.
Les effets secondaires limitant l’utilisation du 5-FC sont son hépatotoxi-
cité et sa toxicité médullaire, toutes deux liées à des taux circulants au pic
supérieur à 100 mg/L. Sur 1071 dosages pratiqués chez 233 patients, la
concentration de 5-FC était indétectable dans 5 % des cas et toxique dans
39 % des cas. Seulement une concentration sur cinq était dans la four-
chette thérapeutique [36]. Le suivi des taux circulants de 5-FC est donc
un élément indispensable de la prescription du 5-FC, permettant d’en
optimiser l’efficacité et contribuant à limiter sa toxicité [16]. En effet, la
5-FC est fréquemment utilisée avec des drogues néphrotoxiques, or une
insuffisance rénale peut perturber son élimination et favoriser des surdo-
sages. La mesure de concentration est généralement réalisée 1 à 3 heures
après l’administration. Il faut obtenir un taux de 50 à 80 mg/L.

Les échinocandines

Les échinocandines inhibent la synthèse du bêta-1-3-d-glucane qui


compose la paroi fongique [37 et 38]. Du fait de leur efficacité, dé-
montrée dans plusieurs essais, et de leur excellent index thérapeutique,
elles sont considérées comme le traitement de référence des candidoses
invasives [39]. Trois molécules sont sur le marché, la caspofungine, la
micafungine et l’anidulafungine, cette dernière n’étant pas commercia-
lisée en France.

Pharmacocinétique
Les candines, uniquement disponibles par voie intraveineuse, diffu-
sent bien dans les tissus à l’exception du système nerveux central et de
l’œil, si bien que ces molécules ne doivent pas être utilisées pour traiter
une méningite à Candida spp. ni une endophtalmie. Les éléments de
pharmacocinétique des trois candines disponibles sont indiqués dans le
tableau II.
Les ASC obtenues augmentent de 30 à 49 % en cas d’insuffisance rénale
pour la caspofungine, alors qu’elles sont inchangées pour la micafungine
et l’anidulafungine.
De la bonne utilisation des antifongiques systémiques en réanimation 117

En cas d’insuffisance hépatique modérée, l’ASC de la caspofungine aug-


mente de 76 %, ce qui justifie une diminution de la posologie, alors que
la modification de pharmacocinétique de la micafungine et surtout de
l’anidulafungine est beaucoup plus modeste ou nulle.
La pharmacocinétique des échinocandines en réanimation est mal
connue [18, 40]. La caspofungine (70 mg le premier jour puis 50 mg/j)
a été dosée dans une population de 40 patients adultes de réanima-
tion chirurgicale [41]. Les concentrations résiduelles obtenues (0,52-
4,08 mg/L) variaient de manière plus importante que chez le sujet sain
(1,12-1,78 mg/L). Des taux plus élevés étaient obtenus pour des patients
de moins de 75 kg et chez des patients avec une albuminémie supérieure
à 23,6 g/L. Les concentrations étaient plus basses chez les patients trai-
tés par hémodialyse, hémofiltration ou « MARS » (molecular adsorbents
recirculating system), ou recevant de la méthylprednisolone. Afin de limi-
ter les sous-dosages, il faut rappeler que la posologie préconisée est de
70 mg/j pendant tout le traitement pour les sujets de plus de 80 kg. Pour
la micafungine, les données concernant le patient de réanimation sont très
peu nombreuses. Avec des posologies de 150 à 300 mg/j, les pics obtenus
variaient de 2 à 14 mg/L chez 13 patients de réanimation au Japon [42].
Les candines ne sont pas dialysables. Les ASC obtenues ne sont pas influen-
cées par les séances d’hémodialyse, de CVVHF et CVVHDF [18, 42].

Pharmacodynamie
Les échinocandines sont des antifongiques fongicides sur Candida
spp., et fongistatiques sur Aspergillus spp. Leur activité est concentration-
dépendante. On considère qu’un rapport pic/CMI > 5 voire > 10 ou une
ASC/CMI > 250 sont nécessaires pour obtenir une efficacité maximale.
Les CMI90 sont inférieures à 0,5 mg/L pour l’ensemble des molécules et
pour toutes les espèces de Candida sauf Candida parapsilosis [43]. La poso-
logie obtenue est donc théoriquement optimale pour toutes ces espèces en
réanimation. Pour C. parapsilosis en revanche, la CMI90 est à 1-2 mg/L et
des concentrations cibles au pic de 5-20 mg/L de candines ne seront pas
obtenues chez tous les malades.
La relation entre concentration et efficacité est cependant discutée par
l’observation d’une croissance paradoxale fongique in vitro en présence de
concentrations élevées d’échinocandines. Cet effet est connu sous le nom
d’« effet Eagle » [38]. Le mécanisme de cette recroissance paradoxale des
levures sous l’effet de concentrations importantes d’échinocandines est
inconnu. L’effet Eagle n’a pu être reproduit dans les modèles murins que
de façon très inconstante avec la caspofungine. Son importance clinique
est inconnue.
Du fait de leur bon index thérapeutique, une augmentation des poso-
logies des échinocandines est possible. Une étude a comparé 150 mg de
caspofungine par jour à la dose classique [44]. Le taux d’effets adverses
significatifs était de 1,9 % dans le bras classique et de 3 % dans le bras
118 Infectiologie en réanimation

haute dose. L’utilisation de posologies plus fortes dans certaines condi-


7 tions pathologiques est donc possible, et pourrait se justifier dans cer-
taines conditions pharmacocinétiques défavorables. L’intérêt du suivi des
concentrations d’échinocandines n’a fait l’objet d’aucune étude clinique.
Les échinocandines possèdent une bonne efficacité in vitro sur les modèles
d’infection à biofilm [19]. Bien que certains auteurs aient proposé d’uti-
liser cette propriété pour traiter les candidémies sans enlever le cathé-
ter [45], cette stratégie paraît hasardeuse chez les patients présentant une
défaillance d’organes ou en réanimation.

Conclusion

Les services de réanimation sont devenus, au même titre que l’héma-


tologie, les services consommant le plus d’antifongiques. L’augmentation
de consommation expose cependant au risque de modification des éco-
systèmes fongiques vers des espèces plus résistantes [3, 46, 47]. Comme
pour les antibactériens, il convient d’utiliser les molécules dont nous dis-
posons à bon escient aux bonnes doses et pour une durée optimale. Il
convient aussi de limiter l’utilisation de traitements inutiles contribuant
à la pression de sélection antifongique.

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Les thérapeutiques infectieuses
non antibiotiques
8
E. KIPNIS, R. DESSEIN, K. FAURE, B. GUERY

Introduction

Officiellement découverte par Sir Alexander Fleming le 3 sep-


tembre 1928, la pénicilline est utilisée de façon très large à partir de
1941. Cette première molécule antibiotique a ouvert la porte au dé-
veloppement d’une multitude de familles qui a abouti à ce que l’on
pourrait décrire comme un âge d’or de l’antibiothérapie. La résistance
bactérienne était certes déjà une préoccupation, mais le nombre et la
variété des composés introduits permettaient de garder une confiance
absolue dans cette classe médicamenteuse. Les années 2000 ont sonné
le glas de cette insouciance où le bon usage pouvait paraître une futi-
lité, la multirésistance voire la panrésistance sont apparues aussi vite
que le pipeline de nouvelles molécules s’est épuisé. Face à cette menace
qui est maintenant bien installée dans nos institutions hospitalières, la
réponse ne peut être monomorphe. Nous avons ainsi appris à respecter
les molécules disponibles, à économiser les nouvelles, à faire du bon
usage une priorité nationale et internationale. En parallèle, la place
laissée par l’absence de nouvelles molécules a été rapidement comblée
par l’apparition de thérapeutiques alternatives, des traitements anti-
infectieux non antibiotiques. Les approches sont multiples, mais la
plupart d’entre elles sont issues d’une recherche fondamentale qui
s’est employée à préciser les déterminants majeurs de la relation hôte-
pathogène. Cette revue va se centrer sur les quatre approches pour
lesquelles nous disposons actuellement de données bibliographiques
suffisamment solides pour avoir abouti à une utilisation en clinique
E. Kipnis*, R. Dessein**, K. Faure***, B. Guery***
*
Service de réanimation chirurgicale, Hôpital Huriez, CHRU Lille
**
Laboratoire de bactériologie hygiène, Centre de biologie-pathologie, CHRU Lille
***
Service des maladies infectieuses, Hôpital Huriez, CHRU Lille
Auteur correspondant : Pr Benoit Guery, SGRIVI, Hôpital Calmette, Pavillon Christiaens, 1 bd Pr Leclercq
59037 Lille Cedex
E mail : [email protected].
Sous la direction de Pierre Charbonneau et Michel Wolff, Infectiologie en réanimation.
ISBN : 978-2-8178-0388-3, © Springer-Verlag Paris 2013
121
122 Infectiologie en réanimation

humaine : les anticorps, les inhibiteurs du quorum sensing, les bacté-


8 riophages et les probiotiques.

Les anticorps

Héritière de la sérothérapie anti-infectieuse abandonnée lors de la dé-


couverte des antibiotiques, l’immunisation passive anti-infectieuse repose
sur l’administration thérapeutique ou prophylactique d’anticorps ciblant
des antigènes, des facteurs de virulence ou des toxines du pathogène. Il
s’agit d’anticorps immédiatement disponibles et actifs de manière transi-
toire, à l’inverse de l’immunisation active par vaccination.
Les anticorps utilisés sont soit polyclonaux produits par l’ensemble des
lymphocytes B et obtenus à partir de sérums, reconnaissant plusieurs sites
antigéniques (épitopes), tels que les immunoglobulines humaines poly-
clonales poolées (IVIG) ou monoclonaux produits par un clone unique
de lymphocytes B (monoclonal antibody : mAb), ne reconnaissant spéci-
fiquement qu’un seul épitope. Ces clones sont obtenus par hybridation
entre des lymphocytes B d’animaux immunisés contre l’antigène cible et
des cellules myélomateuses animales. Afin de minimiser l’immunogénicité
propre de ces anticorps monoclonaux, la part animale a été réduite par
différentes techniques : les anticorps chimériques humain-animal ne
comportent que la partie variable d’origine animale (suffixe -ximab), les
anticorps dits « humanisés » ne comportent que le segment de la partie
variable nécessaire à la reconnaissance de l’antigène cible (suffixe -zumab).
Enfin, il est possible d’obtenir une synthèse uniquement du fragment
(fragment antigen-binding : Fab) de reconnaissance de l’antigène (small
chain fragment variant : ScFv), ces anticorps « humains » sont produits
par des souris transgéniques pour des gènes humains d’immunoglobu-
lines ou par expression génique dans des micro-organismes [1].
Les anticorps ont des effets antibactériens directs (antitoxines, antipatho-
gène, une certaine bactéricidie) [2], et indirects (opsonisation, activation
de l’immunité innée, le complément surtout) [3]. L’hyperspécificité des
anticorps monoclonaux, qui ne ciblent qu’un pathogène, a pour consé-
quence que ceux-ci sont dépourvus des effets indésirables liés aux anti-
biotiques (sélection de résistances, modifications de la flore, diarrhée
postantibiotique, atopies). Ceci en fait néanmoins leur plus grande limite,
car ils ne peuvent être utilisés que si le pathogène contre lequel ils agissent
est identifié comme agent causal d’une infection. De plus, la spécificité
est telle qu’il existe un risque théorique de « résistance » par mutation de
l’épitope ciblé. D’autre part, il existe un manque de prédictibilité des effets
liés à leur nature biologique, et une interaction/modulation de la réponse
de l’hôte variable [3, 4]. Ces propriétés biologiques peuvent être exploi-
tées par des anticorps bispécifiques reconnaissant à la fois un récepteur de
l’immunité innée, notamment le récepteur CR1 du complément, et un
antigène microbien, par exemple de P. aeruginosa [5], B. anthracis [6], ou
Les thérapeutiques infectieuses non antibiotiques 123

S. aureus [7]. Ces produits de biotechnologie ont un coût très élevé par
rapport aux antibiotiques. Le tableau I reprend un ensemble d’immuno-
thérapies anti-infectieuses par anticorps monoclonaux selon les catégories
d’antigènes et les pathogènes ciblés.
Les toxines bactériennes représentent une cible de choix pour une action
neutralisante des anticorps. Plusieurs anticorps en développement ciblent
ainsi les toxines de Bacillus anthracis, responsables du charbon bactéri-
dien (anthrax), pour un traitement postexposition [8]. Ces anticorps sont
dirigés contre l’antigène protecteur (PA) du système à trois toxines, le
raxibacumab (ABthrax®), l’Anthim® et le Valotrim® [9], ou contre le PA et
le facteur œdématogène (EF) simultanément [10]. De même, plusieurs
anticorps monoclonaux ont été développés et testés [11, 12] contre la
toxine Shiga-like des Escherichia coli sécrétrices de Shiga-like toxin (STEC)
dans le syndrome hémolytique urémique (SHU) [13]. Dans les infections
à Clostridium difficile dont la clinique est liée à l’expression des toxines A
et B, l’utilisation adjuvante d’anticorps monoclonaux anti-A et B (CDA1
et CDB1) versus placebo a permis d’obtenir une diminution des récidives
(8 % dans le groupe anticorps contre 32 % pour le groupe placebo, p
= 0,06) [14].
D’autres immunothérapies monoclonales ciblent des facteurs de viru-
lence répandus au sein d’une espèce tels que Staphylococcus spp. comme
l’acide lipotéichoïque [15, 16], le clumping factor A (ClfA), le récepteur
du fibrinogène [17, 18], ou l’alpha-hémolysine (H1a) [19]. Le facteur de
virulence ciblé peut aussi être un motif conservé comme la heat shock pro-
tein 90 (Hsp90) des Candida spp. et Cryptococcus spp. [20-22]. Cet anti-
Hsp90, l’enfungumab (Mycograb®) a montré une efficacité en phase III
en association avec l’amphotéricine B dans le traitement des candidoses
invasives, avec une diminution de la mortalité attribuable de 18 à 4 % en
en utilisant l’association [23].
Les motifs moléculaires liés au pathogène (MMP) majeurs, tels que l’acide
lipotéichoïque des bactéries à Gram positif ou le lipopolysaccharide (LPS)
des bactéries à Gram négatif, par leur capacité à suractiver des voies de
signalisation majeures aboutissant à des réponses délétères de l’hôte, sont
également des cibles de choix. L’acide lipotéichoïque est ainsi la cible
d’un anticorps monoclonal spécifique, le Pagibaximab®, efficace contre
les staphylocoques coagulase négatifs et S. aureus [15]. Il a montré son
innocuité et son efficacité au cours d’une étude phase II chez les nouveau-
nés à risque [16]. Le lipopolysaccharide de P. aeruginosa est lui ciblé par
un anticorps monoclonal conjugué, KBPA-101. Dans la prévention des
pneumonies acquises sous ventilation, il a montré une bonne tolérance
chez les patients en réanimation [24].
Certains systèmes de virulence représentent une cible intéressante. Le
quorum-sensing (QS) [25] est capable de coordonner la sécrétion de mul-
tiples facteurs de virulence en fonction de la densité bactérienne ; le sys-
tème de sécrétion type 3 (SST3) est lui capable « d’injecter » des toxines
dans les cellules eucaryotes. Ainsi, par exemple, des anticorps monoclo-
naux inhibant les molécules auto-inductrices (AI) du système QS (Agr) du
124 Infectiologie en réanimation

staphylocoque ont été mis au point (voir aussi paragraphe inhibition du


8 QS) [26]. Sur le même principe, le développement d’anticorps anti-SST3
de Pseudomonas aeruginosa a été exemplaire. Lors du contact avec la cel-
lule eucaryote, le SST3 de P. aeruginosa, « injecte » des exotoxines (Exo U,
S, T, et Y) via une structure simili-flagellaire en « aiguille » qui se termine
par un complexe protéique, le translocon, perméabilisant ainsi la mem-
brane eucaryote. Le rôle majeur de PcrV, une protéine de ce translocon,
dans la mortalité liée à P. aeruginosa a été démontré dans des modèles
expérimentaux [27, 28] et en clinique [29]. La vaccination contre PcrV
améliorait la survie des animaux infectés [27, 28]. De même, le rôle pro-
tecteur d’anticorps polyclonaux anti-PcrV a été démontré dans un modèle
de sepsis à point de départ pulmonaire chez le lapin ; l’utilisation du frag-
ment Fab permettait par ailleurs d’obtenir une protection identique [30].
Un anticorps monoclonal est alors développé, son fragment Fab induisait
une protection comparable dans un modèle murin létal [31, 32]. Un frag-
ment Fab humanisé [33] permettait une protection complète contre un
inoculum létal à P. aeruginosa chez la souris. Cet anticorps humanisé a été
évalué dans des études de phase III dans la prévention des pneumonies à
P. aeruginosa chez le patient de réanimation colonisé et chez les patients
atteints de mucoviscidose. L’étude d’innocuité et de pharmacocinétique
chez les patients de réanimation ventilés et colonisés par P. aeruginosa a
montré une tendance marquée à la diminution d’incidence des pneumo-
nies acquises sous ventilation dans une étude de phase II [34].
En dehors du coût élevé que l’on peut espérer voir baisser avec la bana-
lisation des biotechnologies, le principal obstacle à l’utilisation de l’im-
munisation passive anti-infectieuse est l’absence de diagnostic précoce
spécifique du germe responsable. En attendant le développement de
techniques rapides d’identification des pathogènes (PCR, rt-PCR, spec-
trométrie de masse…), il est déjà possible d’entrevoir une utilisation pro-
phylactique d’anticorps chez des patients colonisés, par identification des
candidats à haut risque de développer des complications (pneumonies
acquises sous ventilation). D’autre part, chez des patients traités initiale-
ment de manière probabiliste avec des antibiotiques, l’utilisation en tant
qu’adjuvant potentialisateur après identification spécifique du pathogène
est probablement l’utilisation la plus réaliste de ces anticorps. Ceci a déjà
été illustré in vitro par l’association entre un anticorps anti-pompe à efflux
ABC et des antibiotiques dirigés contre S. maltophilia [35]. In vivo l’asso-
ciation d’anticorps anti-PcrV et d’antibiotiques contre P. aeruginosa (36),
et l’efficacité clinique de l’utilisation adjuvante d’anticorps monoclonaux
anti-A et B de C. difficile (CDA1 et CDB1) ont démontré la réalité de ce
concept [14].
En conclusion, ces thérapeutiques se développeront là où les antibiotiques
font déjà défaut (virus ou toxines), en cas de pathogènes multirésistants
ou en tant qu’adjuvants en association avec les antibiotiques.
Les thérapeutiques infectieuses non antibiotiques 125

L’inhibition du « quorum-sensing »

Le QS est un mode de communication intercellulaire entre bactéries


permettant une expression coordonnée de gènes, notamment de gènes de
virulence en fonction de la densité bactérienne.
Cette communication entre bactéries s’effectue par la synthèse et la sécré-
tion de molécules de signalisation intercellulaire appelées auto-inducteurs
(AI) qui constituent les signaux de communication. Ces signaux sont
détectés par des interactions moléculaires spécifiques, soit directes avec
des récepteurs intracellulaires bactériens pour les auto-inducteurs qui dif-
fusent librement au travers de la paroi bactérienne, soit après transduc-
tion par un récepteur membranaire pour les auto-inducteurs ne diffusant
pas. Dans tous les cas, le signal entraîne l’activation des gènes utiles au
mode de vie en communauté et surtout des facteurs de virulence de la
bactérie. En plus de ces gènes, le signal induit aussi l’activation des gènes
qui codent pour l’auto-inducteur lui-même ainsi que ses récepteurs et/ou
transducteurs permettant l’autoamplification du phénomène par rétro-
contrôle positif.
La nature moléculaire des auto-inducteurs, de leurs récepteurs, et les
gènes cibles régulés varient en fonction des bactéries : auto-inducing pep-
tides (AIP) de S. aureus parmi les oligopeptides des Gram positifs, AI-2 de
Vibrio harveyi appartenant aux dérivés du dihydroxypentanédione (DPD)
quel que soit le Gram, N-acyl homosérine lactones (AHL) des Gram
négatifs dont P. aeruginosa, et le Pseudomonas quinolone signal (PQS)
spécifique de Pseudomonas [37]. En fonction du système QS de la bacté-
rie, dont trois exemples sont fournis dans le tableau II, les séquences de
communication diffèrent, tout comme le gène de l’auto-inducteur, avec
un ou plusieurs systèmes intriqués, l’(les) auto-inducteur(s) synthétisé(s),
la transduction du signal par récepteur(s) extracellulaire(s) et cascade(s)
ou diffusion libre transmembranaire, les promoteurs cibles et les expres-
sions géniques induites.
Des trois exemples fournis tableau II, le RNAIII du système Agr de
S. aureus est une cible prometteuse dans des modèles animaux et sur
des biofilms, avec un inhibiteur spécifique, le RNAIII inhibiting peptide
(RIP) [38].
La relevance des systèmes las et rhl de P. aeruginosa dans la pathogéni-
cité de souches cliniques a été démontrée [39], ces deux systèmes consti-
tuent une cible pour de nombreuses molécules inhibitrices naturelles et
de synthèse en cours de développement préclinique : composés sulfurés
cycliques, furanones, extraits d’ail ou de plantes. La découverte d’AI-3
comme auto-inducteur clé du système QseC/QseE d’E. coli a permis
d’identifier un inhibiteur spécifique, le N-phényl-4 {[(phénylamino)
thioxométhyl]amino}-benzènesulfonamide (LED209).
L’inhibition du QS est en plein essor avec un criblage de composés divers
(40) ; de multiples possibilités sont ainsi proposées, dont les composés
synthétisés par les micro-organismes marins, ceux synthétisés par les
126 Infectiologie en réanimation

plantes [41] et certaines enzymes produites par les cellules eucaryotes


8 capables de dégrader les auto-inducteurs [26].
L’azithromycine, à des concentrations subinhibitrices, et donc indépen-
damment de son activité antibactérienne, est la seule molécule testée en
clinique : une étude de phase II évaluant l’azithromycine dans la modu-
lation du QS pour la prévention des pneumonies acquises sous ventila-
tion à P. aeruginosa (NCT00610623), a montré que l’inhibition du QS
de P. aeruginosa chez l’homme favorisait probablement l’émergence de
souches plus virulentes [42]. Une étude pilote évaluant l’extrait d’ail dans
la mucoviscidose a montré une tendance à l’amélioration [43].

Les bactériophages

Espèce vivante ubiquitaire la plus nombreuse dans la biosphère, les


bactériophages détruiraient la moitié de la population bactérienne toutes
les 48 heures sur Terre. Leur activité antibactérienne a été décrite dès
la fin du xixe siècle, mais leur structure n’a été visualisée qu’en 1940
grâce à la microscopie électronique. Parasites intracellulaires obligatoires
des bactéries, ils sont composés d’un acide nucléique entouré d’une cap-
sule protéique ou lipoprotéique, et sont le plus souvent flagellés. Des
récepteurs de surface leur confèrent une affinité qui peut soit concerner
plusieurs espèces bactériennes, soit être spécifique d’une seule souche.
Après adhésion, l’acide nucléique du bactériophage pénètre dans la cel-
lule bactérienne, où il est soit transcrit et donne naissance à de nouveaux
virions (cycle productif), soit intégré au génome bactérien et persiste à
l’état quiescent (cycle lysogénique, bactériophage tempéré). Selon les
bactériophages, les cycles productifs peuvent conduire soit à une lyse bac-
térienne via l’action d’enzymes (bactériophage virulent), soit à un bour-
geonnement des virions à la membrane, transformant ainsi la bactérie
en usine à production continue. Les bactériophages tempérés participent
au transfert horizontal de gènes entre population bactérienne pouvant
modifier le pouvoir pathogène (conversion lysogénique). Il existe de
nombreux exemples de conversion lysogénique tels que les toxines Stx
d’Escherichia coli entérohémorragique, la toxine cholérique de Vibrio cho-
lerae, la toxine érythrogène de Streptococcus pyogenes, la staphylokinase et
l’entérotoxine A de Staphylococcus aureus, ou les neurotoxines C et D de
Clostridium botulinum. Grâce à ces propriétés, les bactériophages ont été
rapidement utilisés dans le domaine de la biologie moléculaire comme
vecteurs et amplificateurs de gènes (outil de clonage, séquençage de gé-
nome, banque d’ADN, méthode du phage display).
L’utilisation thérapeutique des bactériophages, ou phagothérapie, a été
décrite au début du xxe siècle en injection intralésionnelle directe chez des
patients présentant des furoncles à staphylocoque doré, ou encore dans
le traitement de cas de dysenterie, de choléra et de peste bubonique en
injection sous-cutanée ou par ingestion. Depuis, de nombreuses études in
Les thérapeutiques infectieuses non antibiotiques 127

vitro et in vivo animales et humaines sont rapportées dans la littérature, en


administration parentérale, orale, en topique local (cutanée, auriculaire,
dentaire), en aérosol ou dans la prévention des biofilms sur des dispositifs
médicaux. Trois revues de la littérature très complètes ont été publiées
récemment [44-46].
La plus grande expérience de phagothérapie se situe en Europe de l’Est
avec plus d’un millier de patients, principalement Russie, Géorgie (Eliava
Institute) et Pologne (Hirszfeld Institute of Immunal and Experimen-
tal Therapy). Néanmoins, ces résultats d’études cliniques restent peu
accessibles dans la littérature médicale internationale (non traduites ou
appartenant à la recherche militaire). Des résultats positifs sont rapportés
notamment dans la prophylaxie des diarrhées bactériennes de l’enfant,
dont la fièvre typhoïde, et le traitement de diverses infections à S. aureus,
y compris des chocs septiques, mais ces études sont non contrôlées et
associaient parfois un traitement antibiotique [47-51].
Du fait du regain d’intérêt pour les thérapeutiques anti-infectieuses non
antibiotiques, l’évolution récente est marquée par une meilleure connais-
sance de la biologie des bactériophages (manuel de préparation, solution
stock, analyse génomique…), et des domaines d’applications potentielles
ciblées tels que les infections à bactéries multirésistantes, les échecs ou les
contre-indications aux antibiotiques, le domaine agroalimentaire (auto-
risation par la FDA en 2006 comme conservateur alimentaire mais pas
par l’European Food Safety Authority [52]), avec essais cliniques à l’ap-
pui. Dans le traitement des ulcères cutanés on retient : (a) un pansement
imprégné d’une formulation associant antibiotiques et bactériophages
actifs sur P. aeruginosa, S. aureus, E. coli et Streptococcus spp. développé
par le « Eliava Institute » (PhageBioderm®), breveté et commercialisé par
Intralytix, objet d’une étude de phase I dans le traitement d’ulcères vei-
neux chroniques infectés chez 39 patients traités pendant 12 semaines
versus placebo et suivis pendant 24 semaines au total. Cette étude a permis
de conclure à l’absence d’effets secondaires, mais l’efficacité du pansement
doit être évaluée dans une étude de phase II (53) ; (b) une autre combi-
naison de huit phages a fait l’objet d’une étude prospective, randomisée
en double aveugle contre placebo, financée par le National Institute of
Health (NIH) en 2008. Cette étude incluait 64 patients présentant des
ulcères cutanés, elle est actuellement clôturée mais pas encore publiée
(NCT00663091). Dans le traitement des otites chroniques, une étude
de phase I/II, randomisée, en double aveugle, contre placebo, incluait
24 patients. Tous présentaient une otite chronique avec une souche de
P. aeruginosa sensible à au moins l’un des six bactériophages présents dans
la préparation (Biophage-PA®, Biocontrol Inc. UK) en application locale
unique. Après un suivi de 42 jours, aucun effet secondaire n’a été rap-
porté. Les résultats permettent de conclure à une amélioration des symp-
tômes et une diminution significative de l’inoculum bactérien [54]. Dans
le traitement des brûlures colonisées ou infectées par P. aeruginosa, une
étude belge en collaboration avec Moscou, a inclus 441 patients sur un
an traités à Bruxelles. Cette étude préliminaire a été suivie d’un petit essai
128 Infectiologie en réanimation

de phase I incluant 9 patients. Dans le traitement des diarrhées infantiles,


8 un essai randomisé en double aveugle contre placebo est actuellement
financée par Nestlé au Bangladesh. Dans la mucoviscidose, un finance-
ment vient d’être accordé par la « Cystic Fibrosis Foundation » suite à la
publication d’un cas traité avec succès pendant 7 ans avec Pyophage et
Phage sb-1.
L’absence de résistance croisée avec les antibiotiques, l’absence d’activité
biologique sur nos cellules, l’induction d’une dysbiose moins importante
qu’avec les antibiotiques, sont des atouts incontestables de la phago-
thérapie. Cependant des obstacles majeurs demeurent, avec un manque
cruel d’études randomisées en double aveugle permettant d’apporter un
niveau de preuve optimal quant aux effets secondaires (toxicité et reten-
tissement immunologique possible en cas d’expositions itératives, translo-
cation systémique) et à leur efficacité, de données concernant l’émergence
de souches bactériennes résistantes (diminuée théoriquement par l’utilisa-
tion d’un cocktail de phages), voire l’émergence de souches bactériennes
au pouvoir pathogène modifié par conversion lysogénique (ne pas utiliser
de phages tempérés). Une étude publiée en 2011 a établi dans la mucovis-
cidose une relation entre les bactériophages et le développement des résis-
tances bactériennes. Cette approche ouvre de nombreuses perspectives sur
la modulation de la résistance [55].

Les probiotiques

L’Organisation mondiale de la santé définit les probiotiques comme


des micro-organismes vivants qui, lorsqu’ils sont administrés en quan-
tité adéquate, ont des effets bénéfiques sur la santé de l’hôte [56]. En
effet, les probiotiques sont connus pour renforcer l’immunité de l’hôte
de différente manière : activation des macrophages locaux, augmen-
tation de la présentation des antigènes aux lymphocytes B, produc-
tion accrue d’immunoglobulines A sécrétoires, modulation des profils
de cytokines, diminution de réponse immune aux antigènes alimen-
taires [57, 58]. Cette modulation peut être directe ou indirecte par
modification de la composition de la flore microbienne naturelle de
l’hôte. De même, les probiotiques favorisent également la réparation
de la muqueuse lésée [59] et améliorent la fonction de barrière de la
muqueuse par stimulation de la synthèse de protéine impliquée dans
la formation des jonctions serrées [60]. D’autres effets induits chez
l’hôte sont indépendants d’une action sur le système immunitaire. Les
bactéries probiotiques luttent contre l’implantation de bactéries patho-
gènes par : digestion des aliments disponibles dans la lumière intesti-
nale [61] ; production de substances antibiotiques naturelles comme
la bactériocine [62] ; changement du pH local, générant un milieu dé-
favorable à la prolifération des bactéries pathogènes [63] ; stimulation
de la couche protectrice de mucine, empêchant l’adhésion de bactéries
Les thérapeutiques infectieuses non antibiotiques 129

pathogènes [64, 65]. De plus, les probiotiques protègent l’hôte en dé-


naturant les toxines sécrétées par certains pathogènes [66]. Enfin, ils
favorisent la restauration de la flore intestinale après sa destruction au
décours de diarrhées infectieuses ou de traitement antibiotique [67].
En thérapeutique humaine, les probiotiques ont vu leur bénéfice déjà
établi dans un certain nombre de troubles gastro-intestinaux [68]
comme les diarrhées aiguës de l’enfant, l’entérocolite ulcéronécrosante
du nouveau-né, dans les cas de malabsorption de lactulose, les mala-
dies inflammatoires chroniques de l’intestin, le syndrome de l’intestin
irritable, la prévention de la colite à Clostridium difficile, et enfin, l’éra-
dication d’Helicobacter pylori.
En secteur de réanimation, l’emploi des probiotiques s’est largement
concentré sur la prévention des pneumonies acquises sous ventilation
mécanique (PAVM). L’effet escompté est une minimisation de la pro-
lifération dans les voies aérodigestives de bactéries virulentes, et une
augmentation d’efficacité des défenses immunitaires de la muqueuse
respiratoire [69]. Une méta-analyse récente [70] regroupant cinq essais
cliniques randomisés révèle que l’administration de probiotiques réduit
les PAVM dans les services de réanimation et diminue le portage tra-
chéal de Pseudomonas aeruginosa sans noter de surmortalité. Aucune
réduction de la durée de ventilation mécanique n’a été mise en évi-
dence. De même, Morrow et al. [71] viennent de décrire que l’admi-
nistration oropharyngée ou gastrique chez 146 patients du probiotique
Lactobacillus rhamnosus GG deux fois par jour est associée à une dimi-
nution de PAVM microbiologiquement documentée et à une diminu-
tion significative du nombre de jours d’antibiotiques et de diarrhées à
Clostridium difficile sans événements indésirables observés. Les probio-
tiques peuvent également impacter sur le portage de bactérie poten-
tiellement problématique en milieu hospitalier. Ainsi, l’administration
du probiotique Lactobacillus plantarum 299/299v chez des patients
hospitalisés en secteur de soins intensifs s’est vue associée à un taux
significativement diminué d’isolement de Pseudomonas aeruginosa chez
les patients [72].
Même si ces résultats méritent d’être creusés, un certain nombre d’études
ne mettent pas en évidence d’effets bénéfique, voire même chez les patients
sévères leur prescription peut aggraver le pronostic [73]. Peu de données
existent sur l’effet de l’administration des probiotiques sur l’immunité
en fonction de l’état de gravité des patients de réanimation. De même,
les espèces microbiennes douées d’activité probiotique sont variées, allant
d’espèces communes comme Lactobacillus et Bifidobacterium jusqu’à des
levures comme Saccharomyces cerevisiae ou quelques espèces d’Escherichia
coli et de Bacillus. Il est plausible que les effets observés puissent totale-
ment différer d’une souche à l’autre. Enfin, les probiotiques sont actuelle-
ment considérés comme un complément alimentaire et ne sont donc pas
soumis aux mêmes règlements que les produits pharmaceutiques. Ainsi,
les produits probiotiques commercialisés varient dans leur densité, dans
leurs caractéristiques d’adhérence, de résistance aux acides biliaires, et
130 Infectiologie en réanimation

dans leur stabilité et leur viabilité lors du stockage ; faits qui permettent
8 d’expliquer tout au moins des résultats partiels ou contradictoires en pra-
tique clinique [74, 75].

Conclusion

Les thérapeutiques non antibiotiques sont multiples ; cette approche


est actuellement en plein essor. Dans le contexte international du déve-
loppement de la multirésistance, chacun des composés proposés pourra
trouver une place dans l’arsenal thérapeutique. Celle-ci reste cependant
encore à déterminer pour la plupart d’entre eux.

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Place des biomarqueurs pour le diagnostic
et le suivi des infections en réanimation
9
C. DAUBIN, A. SEGUIN, X.VALETTE

Introduction

Le sepsis reste la principale cause de décès en réanimation en dépit


des progrès réalisés dans la compréhension de sa physiopathologie, des
moyens de sa reconnaissance, du développement de nouveaux antibio-
tiques et des techniques de suppléance des défaillances d’organe [1]. Ce
constat s’explique en partie par les grandes hétérogénéité et variabilité
des manifestations cliniques du sepsis qui rendent son diagnostic diffi-
cile, d’autant que le manque de spécificité de ses expressions cliniques
ne permet pas de le différencier des autres états inflammatoires aigus
non infectieux. Comme il est rapporté dans cet ouvrage, le sepsis est un
syndrome complexe résultant de la réponse immune innée d’un sujet à
l’agression d’un agent microbien. Cette réponse peut être conditionnée
par d’éventuelles prédispositions génétiques de l’hôte et des facteurs de
virulence des pathogènes. Sur le plan physiopathologique, le sepsis im-
plique toujours des interactions complexes entre des processus inflamma-
toires et anti-inflammatoires, humoraux et cellulaires, mettant en jeu de
très nombreux médiateurs biochimiques [2]. Certains d’entre eux pour-
raient être spécifiques de l’état infectieux, et ainsi aider à discriminer les
états inflammatoires septiques et non septiques, les infections systémiques
et focales, voire le type d’agent pathogène ; viral, bactérien, fungique ou
parasitaire [3]. Ils pourraient aussi être corrélés à la sévérité du sepsis et à
son pronostic, utiles pour guider des stratégies thérapeutiques, ou encore
prédire la survenue des défaillances d’organe compliquant le sepsis. Ce-
pendant, la place, l’importance et le crédit à accorder à ces biomarqueurs
dans la prise en charge quotidienne des patients septiques restent à définir.

C. Daubin , A. Seguin, X.Valette


Service de Réanimation médicale
CHU Côte de Nacre
14033 Caen cedex
E-mail : [email protected]
Sous la direction de Pierre Charbonneau et Michel Wolff, Infectiologie en réanimation.
ISBN : 978-2-8178-0388-3, © Springer-Verlag Paris 2013
135
136 Infectiologie en réanimation

Des revues générales récentes font état de plusieurs dizaines de biomar-


9 queurs ayant déjà fait l’objet d’études expérimentales ou cliniques dans
le sepsis [3, 4]. Il n’est pas question dans ce qui suit de les passer tous en
revue, mais davantage de questionner la pertinence de ces biomarqueurs
dans la prise en charge des patients suspects d’infection.

Limites de la performance des biomarqueurs dans le sepsis

Il convient d’insister sur les caractéristiques idéales généralement


attendues d’un biomarqueur pour la pratique clinique, afin de mieux
prendre conscience des limites de ceux proposés dans le sepsis.
Un biomarqueur est une donnée biologique objectivement mesurable et
quantifiable renseignant spécifiquement sur un processus biologique nor-
mal ou pathologique, ou sur une réponse à une intervention thérapeu-
tique spécifique. Il est utile en pratique clinique si son dosage est simple,
rapide, reproductible, fiable, peu coûteux et qu’il apporte au clinicien une
information complémentaire utile, en plus des données cliniques et para-
cliniques déjà disponibles, pour la prise en charge d’un patient. Il doit
permettre :
– d’identifier les personnes à risque de développer une maladie ou les
malades à risque d’évolution défavorable, afin de permettre la mise en
œuvre de mesures prophylactiques spécifiques ;
– d’établir ou confirmer plus rapidement un diagnostic, permettant de
débuter plus précocement un traitement spécifique ;
– d’identifier au sein d’une population malade les sous-groupes de pa-
tients pouvant tirer un bénéfice d’un traitement adjuvant ;
– et de mesurer la réponse à une intervention thérapeutique, permettant
alors son ajustement, sa poursuite ou son arrêt.
La performance d’un biomarqueur, et donc sa relevance clinique, est
évaluée par sa capacité à discriminer un état d’un autre, par exemple,
le sujet malade du sujet non malade. Cette capacité est estimée par dif-
férents indices, dont la sensibilité (probabilité que le test soit positif en
présence de la maladie), la spécificité (probabilité que le test soit négatif
en l’absence de maladie), la valeur prédictive positive (capacité à prédire
la présence de la maladie en cas de test positif ) et la valeur prédictive
négative (capacité à prédire l’absence de maladie en cas de test négatif ).
À l’inverse de la sensibilité et de la spécificité, les valeurs prédictives posi-
tives et négatives sont dépendantes de la prévalence de l’événement. On
attribue aussi une valeur discriminatoire à la mesure biologique servant
de test. Il s’agit du rapport de vraisemblance (nommé likelihood ratio).
Le rapport de vraisemblance positif (positive likelihood ratio) est le rap-
port entre la probabilité que le test soit positif chez les sujets malades
(sensibilité) et la probabilité de présenter un test positif chez les sujets
non malades (1-spécificité). Une valeur de 1 témoigne que le test sera
mis en défaut une fois sur deux. Le pouvoir discriminant d’un test posi-
Place des biomarqueurs pour le diagnostic et le suivi des infections en réanimation 137

tif est d’autant plus grand que le rapport de vraisemblance s’éloigne de


cette valeur. Il est compris entre 1 et l’infini. Inversement, le rapport de
vraisemblance négatif (negative likelihood ratio) est le rapport entre la
probabilité que le test soit négatif chez les sujets malades (1-sensibilité)
et la probabilité de présenter un test négatif chez les sujets non malades
(spécificité). Il est compris entre 0 et 1. De plus, la fiabilité d’un bio-
marqueur, c’est-à-dire sa capacité à ne pas se tromper dans sa prédiction,
est évaluée par le calcul de l’aire sous la courbe ROC (receiver-operating
characteristics curve), tracée en donnant les taux de tests positifs chez les
malades (sensibilité) en ordonnée en fonction des taux de tests posi-
tifs chez les non-malades (1-spécificité) en abscisse. Un biomarqueur
est estimé avoir un excellent pouvoir discriminant quand cette aire
(AUCroc) est supérieure à 0,90.
Cependant, démontrer l’intérêt clinique d’un biomarqueur est chose
complexe [5]. Il convient de montrer au préalable que le biomarqueur
est significativement différent chez les sujets malades et non malades ;
qu’il a un fort pouvoir discriminant en soi et comparativement à d’autres
tests clinicobiologiques déjà connus ; que sa performance diagnostique
(ou pronostique) est meilleure que l’approche conventionnelle admise ;
que sa présence contribue à une réelle amélioration de la prise en charge
des patients.
Dans le contexte du sepsis, la recherche d’un biomarqueur se heurte à
une difficulté majeure, celle de disposer de critères diagnostiques forts,
fiables et reproductibles contre lesquels tester le biomarqueur. Le sepsis
est en effet plus un concept qu’un processus physiopathologique mesu-
rable ou quantifiable. Il se définit par un ensemble de symptômes en
réponse à une infection mais non spécifiques d’infection. Si une iden-
tification microbienne accroît la probabilité diagnostique d’un état
infectieux, elle ne saurait l’affirmer tant il est parfois difficile de faire
la part entre colonisation et infection. De même l’absence d’identifica-
tion microbienne ne saurait exclure une infection, puisque dans près de
la moitié des infections graves aucun germe n’est identifié. En consé-
quence, il existe une réelle difficulté à pouvoir définir un groupe contrôle
exempt d’infection mais ayant les mêmes caractéristiques cliniques et
biologiques de réponse inflammatoire. Cette limite persiste lorsque l’on
cherche à évaluer l’impact d’une stratégie thérapeutique guidée par un
biomarqueur. Ainsi, l’intérêt apparent observé d’un biomarqueur pour-
rait être sous- ou surestimé en fonction de groupes contrôles différents.
Dès lors, on mesure aisément les limites des études portant sur les bio-
marqueurs dans le sepsis.
On ne doit donc pas attendre d’un biomarqueur qu’il permette en soi de
faire un diagnostic de certitude d’infection ou à l’inverse d’exclure for-
mellement un sepsis, ni même de pronostiquer avec certitude l’évolution
défavorable ou non d’un sepsis. Son apport ne peut être que relatif. Il
n’aura d’intérêt pour le clinicien que s’il peut aider à renforcer ou affaiblir
une probabilité diagnostique ou pronostique d’une infection, elle même
suspectée au terme d’une démarche clinique rigoureuse.
138 Infectiologie en réanimation

9 Intérêt diagnostique des biomarqueurs dans le sepsis

Plusieurs dizaines de biomarqueurs ont été testés dans le sepsis, sou-


vent plus pour leur intérêt pronostique que diagnostique, et le plus sou-
vent lors de travaux exploratoires, portant sur de faibles effectifs, et dans
la majorité d’entre eux sans tester la sensibilité ni la spécificité du biomar-
queur évalué. En clinique, les biomarqueurs les plus étudiés et les plus
utilisés car accessibles en routine, sont la C-reactive protein (CRP) et la
procalcitonine (PCT).
Des deux, la PCT apparaît comme supérieure à la CRP pour discrimi-
ner une infection, en particulier bactérienne, en termes de sensibilité
(88 % [IC 95% = 80-93] vs 75 % [IC 95 % = 62-84]), et de spécificité
(81 % [IC 95 % = 67-90] vs 67 % [IC 95 % = 56-77]) [6]. Cependant
l’un comme l’autre s’élèvent dans un très grand nombre de situations
inflammatoires sans sepsis. Ainsi la PCT s’élève chez le polytraumatisé, le
brûlé, au cours de chirurgie lourde, du syndrome d’ischémie reperfusion,
des défaillances circulatoires, quelle qu’en soit la cause, mais aussi au cours
de cancers de la thyroïde ou de traitements agissant sur la cascade des
cytokines pro-inflammatoires [7].
Plus récemment, le dosage dans le lavage bronchoalvéolaire de sTREM1
(soluble triggering receptor expressed on myeloid cells) dont l’expression à la
surface des phagocytes est spécifiquement up régulée en présence d’agents
microbiens, a été rapporté comme un biomarqueur performant (sensibi-
lité 98 % [IC 95 % = 95-100], spécificité 90 % [IC 95 % = 84-100] et
rapport de vraisemblance positif de 10,4) pour le diagnostic des pneumo-
pathies communautaires ou nosocomiales acquises ou non sous ventila-
tion mécanique [8]. Dans un autre travail, les mêmes auteurs rapportent
que le dosage sérique de sTREM1 permet de discriminer spécifiquement
un sepsis d’un SIRS chez des patients adultes non immunodéprimés et
suspects d’infection peu sévère (sensibilité 96 % [IC 95 % = 92-100],
spécificité 89 % [IC 95 % = 82-95], rapport de vraisemblance positif de
8,6 [IC 95 % = 3,8-21,5]) [9]. Cependant dans une méta-analyse récente,
la performance du dosage de sTREM1 pour le diagnostic d’un sepsis
apparaît bien inférieure à celle rapportée dans les deux travaux précédem-
ment cités, même si son intérêt dans cette indication est souligné [10].
Le dosage de biomarqueurs n’a donc d’intérêt que guidé par la clinique.
Il n’est évidemment d’aucune utilité diagnostique chez un homme de
30 ans sans antécédents ayant une dyspnée fébrile, des expectorations
purulentes, un souffle tubaire et un foyer radiologique de la base droite,
tant la probabilité d’une pneumonie bactérienne est élevée. Des taux
sériques bas de CRP ou de PCT ne sauraient remettre en question ce dia-
gnostic. En revanche, lors d’une exacerbation fébrile d’une bronchopneu-
mopathie chronique obstructive sans franc foyer infectieux radiologique
pour laquelle une étiologie infectieuse virale ou bactérienne se discute,
leur franche élévation accroît la probabilité d’une infection bactérienne
des voies respiratoires basses [11].
Place des biomarqueurs pour le diagnostic et le suivi des infections en réanimation 139

Le recours à un biomarqueur en cas de suspicion clinique de sepsis tient


donc davantage à sa capacité à renforcer ou affaiblir la probabilité dia-
gnostique d’une infection, qu’à affirmer ou infirmer avec certitude un
sepsis. Son intérêt pour le clinicien est donc d’éviter d’affirmer ou d’in-
firmer à tort le diagnostic d’infection. C’est dans cet esprit que certains
auteurs proposent une approche combinatoire ou multicritère fondée sur
le dosage de plusieurs biomarqueurs et le jugement clinique. Ainsi, en
comparaison avec le dosage d’une seule molécule, une combinaison de
trois (polynucléaires neutrophiles, CRP, PCT) ou six (polynucléaires neu-
trophiles, CRP, PCT, macrophage migration inhibitory factor, sTREM1,
soluble urokinase-type plasminogen activator receptor) biomarqueurs aug-
menterait significativement la capacité à discriminer une infection bacté-
rienne d’une réponse inflammatoire d’origine infectieuse non bactérienne
ou d’une réponse inflammatoire d’une autre origine [11].
Le clinicien ne dispose donc pas actuellement de biomarqueurs suffisam-
ment performants qui permettent de discriminer de manière fiable une
infection d’un état inflammatoire sans sepsis. Cependant, certains bio-
marqueurs disponibles en routine apparaissent comme des outils inté-
ressants lorsqu’ils sont associés au jugement clinique, et utilisés afin de
renforcer ou non la conviction du clinicien de la présence ou non d’une
infection. Ils peuvent dès lors aider au choix de la stratégie thérapeutique
optimale.
C’est sans aucun doute dans une stratégie d’épargne de l’antibiothéra-
pie, que le bénéfice des biomarqueurs semble le plus intéressant. Un tel
bénéfice a été démontré dans plusieurs travaux évaluant l’impact sur la
morbi-mortalité d’une stratégie de prescription d’antibiotiques guidée par
la mesure séquentielle du taux de PCT dans les infections respiratoires
basses de l’adulte [12-15]. Tous ont montré une diminution significative
de la consommation d’antibiotiques de plus de 50 % sans aucun effet
délétère. Cependant, ces études étaient réalisées sur des populations peu
graves, comme en témoigne le faible taux d’hospitalisation en unité de
soins intensifs de 5 à 15 %, limitant l’extrapolation de leurs résultats à la
population des patients hospitalisés en réanimation. Plus récemment, des
travaux portant sur des patients de réanimation en sepsis sévère ou en choc
septique confirmeraient ces résultats, conférant aux dosages séquentiels de
la PCT, associés à l’évolution clinique, un intérêt certain pour guider la
durée de l’antibiothérapie dans un souci d’épargne de celle-ci sans com-
promettre le devenir des patients [16-21]. Nobre et al. (17) rapportent
que la conduite d’une antibiothérapie basée sur un algorithme incluant
des dosages séquentiels de PCT chez des patients en sepsis sévère ou choc
septique, permet une réduction significative de la durée d’antibiothéra-
pie sans augmentation de la morbi-mortalité. De même, Stolz et al. [18]
rapportent une réduction significative du taux d’exposition aux antibio-
tiques pour les patients atteints de pneumopathie acquise sous ventilation
et traités selon un algorithme incluant le dosage de PCT, sans incidence
sur la durée de séjour à l’hôpital et la mortalité. À l’inverse, une stratégie
de prescription d’antibiotique à large spectre guidée par le dosage quoti-
140 Infectiologie en réanimation

dien et systématique de PCT, en l’absence même de tout foyer infectieux


9 cliniquement suspecté, accroît l’exposition aux antibiotiques et la mor-
bidité des patients de réanimation [22]. Ce travail renforce l’idée selon
laquelle le recours à un biomarqueur dans une stratégie diagnostique ou
de prescription d’antibiotiques ne devrait avoir d’intérêt que guidé préa-
lablement par la clinique.

Intérêt pronostique des biomarqueurs dans le sepsis

Si les biomarqueurs peuvent être utiles pour renforcer la probabilité


diagnostique d’une infection, ils pourraient être davantage utiles pour le
clinicien, le patient et la communauté si leurs dosages s’intégraient dans
une stratégie globale de prise en charge des patients septiques à l’échelle
d’un service ou d’une institution, en aidant par exemple à repérer les pa-
tients les plus à risque de complications et de décès.
C’est dans les pneumopathies communautaires aiguës que l’intérêt pro-
nostique des biomarqueurs a été le plus étudié. Ainsi, plusieurs travaux
concordants montrent que le dosage des biomarqueurs CRP, PCT et
plus récemment de la proadrénomédulline, associé aux scores cliniques
de gravité des pneumonies communautaires les plus couramment utili-
sés, le Pneumonia Severity Index (PSI) ou le CURB-65 (Confusion, Urea,
Respiratory, Systolic Blood Pressure, Age), permet une meilleure stratification
du risque de complication et de décès [23, 24]. Par exemple, Albrich et
al. [24] rapportent que le dosage de la proadrénomédulline associé au score
CURB-65 améliorerait la capacité à prédire la survenue de complications et
de décès au cours des infections respiratoires basses pneumoniques ou non,
par rapport à ce que ferait chacun d’entre eux séparément. Le dosage de la
proadrénomédulline combiné au score CURB-65 permettrait de reclasser
à un risque plus élevé de complications des patients que le CURB-65 avait
estimés à faible risque, et inversement de reclasser à un risque plus faible des
patients que le CURB-65 avait estimés à plus haut risque.
Une approche multicritère incluant des biomarqueurs devrait donc per-
mettre d’améliorer tant la probabilité diagnostique d’infection que l’éva-
luation pronostique des patients septiques, et permettre ainsi une prise
en charge mieux adaptée. Une illustration nous en a été donnée récem-
ment par Muller et al. rapportant, lors du 40e congrès de la Société de
réanimation de langue française [25], les résultats d’un travail prospectif
randomisé interventionnel. Le dosage de la proadrénomédulline associé
au dosage de la PCT, au score de gravité CURB-65 des pneumonies et à
ceux des soins infirmiers, permettait une meilleure stratification du risque
évolutif (faible à très élevé) des patients souffrant d’infection des voies
respiratoires basses, comparativement à une stratification fondée sur les
mêmes critères sans dosage de la proadrénomédulline. Il en résulte une
prise en charge mieux adaptée (retour à domicile, hospitalisation à domi-
cile, hospitalisation de courte durée, hospitalisation conventionnelle, réa-
Place des biomarqueurs pour le diagnostic et le suivi des infections en réanimation 141

nimation) associée à une diminution de la durée de séjour hospitalier sans


impact néfaste sur la morbi-mortalité, assortie d’une réduction du coût
global d’une telle stratégie. Dans ce travail, la stratégie de soins intégrant
le dosage de la proadrénomédulline permettait une réduction d’une jour-
née d’hospitalisation en moyenne par patient.

Conclusion

Dans le sepsis, on ne doit pas attendre des biomarqueurs qu’ils per-


mettent de discriminer avec certitude une infection d’un état inflamma-
toire non septique, en raison de la complexité des processus physiopa-
thologiques impliqués dans le sepsis et de l’impossibilité de définir un
groupe contrôle exempt d’infection mais ayant les mêmes caractéristiques
cliniques et biologiques de réponse inflammatoire. En revanche, on peut
espérer de la recherche sur les biomarqueurs qu’elle puisse identifier des
molécules qui, associées au jugement clinique, permettent d’accroître si-
gnificativement la probabilité diagnostique d’une infection et de mieux
en évaluer le pronostic. Ces molécules, rigoureusement sélectionnées,
pourraient alors s’intégrer pleinement dans des stratégies de prise en
charge prédéfinies des patients suspects d’infection, tant pour décider du
lieu de leur prise en charge que pour décider d’initier, poursuivre ou ar-
rêter une antibiothérapie.

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II

Pathologies
infectieuses sévères
les plus fréquentes
en réanimation
Méningites purulentes et méningoencéphalites
graves (à l’exclusion des patients immunodéprimés)
10
M. WOLFF, R. SONNEVILLE

Introduction

Les méningites bactériennes purulentes et les méningoencéphalites à


liquide céphalorachidien (LCR) clair peuvent engager le pronostic vital
et fonctionnel et sont donc des urgences médicales. De nombreux pro-
grès ont été réalisés ces dernières années notamment sur l’épidémiologie,
la physiopathologie, la prévention et le traitement de beaucoup de ces
infections. Les aspects diagnostiques et thérapeutiques ont fait l’objet
de recommandations nationales et internationales auxquelles le lecteur
pourra utilement se référer. L’objectif de ce chapitre est avant tout de
faire le point sur les données récentes et d’aider le clinicien pour la prise
en charge de ces infections.

Méningites bactériennes à pyogènes

Données épidémiologiques récentes


Les vaccinations contre Hemophilus influenzae et Streptococcus pneu-
moniae et plus récemment Neisseria meningitidis, ont profondément mo-
difié l’épidémiologie des méningites bactériennes de l’enfant, avec une
baisse considérable des infections dues à ces bactéries. Pour S. pneumo-
niae, l’impact est évident sur les sérotypes vaccinaux contenus dans le
vaccin 7-valent alors que l’incidence des méningites à sérotypes non vac-

M. Wolff, R. Sonneville
Service de réanimation médicale et des maladies infectieuses
Hôpital Bichat-Claude-Bernard, Assistance Publique-Hôpitaux de Paris
Université Paris Diderot, Paris 7
46, rue Henri-Huchard, 75877 Paris cedex 18
E-mail : [email protected]
Sous la direction de Pierre Charbonneau et Michel Wolff, Infectiologie en réanimation.
ISBN : 978-2-8178-0388-3, © Springer-Verlag Paris 2013
145
146 Infectiologie en réanimation

cinaux a augmenté, mais en 2010 la progression en France a été stoppée


10 par le vaccin 13-valent. Chez l’adulte, la situation est plus contrastée. Aux
États-Unis, une diminution de l’incidence des méningites bactériennes
a été également observée, allant de 19 à 33 % selon les tranches d’âge.
Après 65 ans, l’incidence des méningites à S. pneumoniae à sérotypes
contenus dans le vaccin 7-valent a diminué de 85 % alors que celle liée
aux autres sérotypes a augmenté de 18 % [1]. En revanche en France,
l’incidence des méningites à S. pneumoniae de l’adulte a augmenté entre
la période prévaccinale (1998-2002) et 10 ans après l’introduction du
vaccin 7-valent, soit des incidences annuelles pour 100 000 habitants
de 5,1/6,94 pour la tranche d’âge de 16-64 ans et 27,5/29,93 à par-
tir de 65 ans. En 2011, l’incidence des méningites à N. meningitidis B
et C de l’adulte de plus de 25 ans était en France inférieure à 1 pour
100 000 habitants. Le sérogroupe B est très largement prédominant, sui-
vi par le C dont l’incidence devrait progressivement baisser en raison de
l’introduction du vaccin chez les 1-24 ans, et par Y et W135. Enfin, en
termes de prévalence, S. pneumoniae est en cause dans 70 % des ménin-
gites à partir de 40 ans mais seulement dans 35 % entre 15 et 39 ans,
alors que N. meningitidis est majoritaire (55 %) dans cette tranche d’âge
contre 10 % à partir de 40 ans. Chez l’adulte, Listeria monocytogenes est
responsable de 8 % des méningites entre 40 et 64 ans et d’environ 12 %
au-delà (données sources : Isabelle Parent InVS et http ://ecdc.europa.
eu). Les autres bactéries, H. influenzae, streptocoques, Staphylococcus au-
reus, entérobactéries sont très rarement responsables de méningites com-
munautaires chez l’adulte [2].
Les facteurs de risque de méningites, notamment à S. pneumoniae sont
bien connus [2] et ne seront pas rappelés ici. Plus originaux et récents sont
la mise en évidence de polymorphismes génétiques semblant favoriser les
complications vasculaires et le décès au cours des méningites tant à pneu-
mocoques (fraction C5 du complément) [3] qu’à méningocoques (gènes
codant pour PAI et SERPINE I) [4].
Les taux de mortalité des méningites à S. pneumoniae à N. meningitidis et
à L. monocytogenes de l’adulte sont respectivement de 17, 10,4 et 20,5 %.
Pour le pneumocoque, la létalité est moindre pour les sérotypes non inclus
dans le vaccin 7-valent (26 % vs 16 %) [1]. La mortalité à 3 mois des
patients atteints de méningite à pneumocoques et réquérant la réanima-
tion est de 33 % [5]. Des séquelles cognitives sont observées dans un tiers
des cas [6] et auditives chez 22 % des patients adultes après méningite à
S. pneumoniae [7]. Les séquelles auditives sont plus fréquentes quand la
porte d’entrée est une otite et avec le séroytpe 23. L’âge, une défaillance
circulatoire associée, les convulsions, un nombre de leucocytes dans le
LCR < 1000 G/L et surtout l’importance des troubles de la conscience
sont les facteurs de pronostic présents à l’admission habituellement asso-
ciés au décès et à la présence de séquelles. Les pneumocoques de sensibilité
réduite à la pénicilline G semblent également associés à un moins bon
pronostic [5].
Méningites purulentes et méningoencéphalites graves … 147

Troubles neurologiques sévères :


de la physiopathologie à la clinique
Les méninges sont ensemencées par voie hématogène, au travers des
plexus choroïdes. S. pneumoniae et N. meningitidis possèdent des facteurs
de virulence leur permettant de coloniser l’oropharynx, de survivre dans
le sang, puis d’adhérer aux cellules endothéliales des capillaires choroï-
diens [8]. L’irruption des polynucléaires dans l’espace sous-arachnoïdien
permet la formation d’un exsudat purulent, en particulier au niveau des
convexités et des citernes de la base. Les produits libérés par les micro-
organismes et la réaction inflammatoire de l’hôte induisent des lésions
cérébrales et sont responsables d’un œdème cérébral vasogénique (par
augmentation de la perméabilité hématocérébrale), cytotoxique et inters-
titiel (secondaire à l’obstruction du LCR) qui explique les troubles de la
conscience. Au cours de la méningite à pneumocoque, la pression mé-
diane dans le LCR est de 40 cm d’eau. Il en résulte une hypertension in-
tracrânienne conduisant parfois à un engagement temporal. Les troubles
de la vigilance sont parfois liés à des convulsions ou à un état postcri-
tique. La constatation d’un déficit d’un membre ou d’un hémicorps,
d’une aphasie, est le plus souvent la conséquence d’un accident vasculaire
ischémique par vascularite infectieuse, tout particulièrement au cours des
méningites à S. pneumoniae [9]. Les lésions ischémiques en foyer sont
la conséquence de l’inflammation des parois vasculaires au contact de
l’exsudat sous-arachnoïdien. Des données récentes suggèrent la présence
fréquente de phénomènes de coagulation intravasculaire disséminée in
situ dans les petits vaisseaux cérébraux [10]. Les thrombophlébites céré-
brales sont beaucoup plus rares et sont le plus souvent expliquées par un
foyer infectieux de contiguïté (infection ORL par exemple). Les signes
focaux peuvent être expliqués par un déficit postcritique dans le cadre
d’une épilepsie partielle. Certains signes focaux suggèrent un engagement
temporal : mydriase unilatérale aréactive homolatérale, réactions de décé-
rébration. Enfin les signes de localisation peuvent aussi être expliqués par
une collection intracrânienne (empyème sous-dural ou abcès cérébral)
secondaire, complications rares chez l’adulte. Dans une étude portant
sur 156 adultes atteints de méningite à pneumocoques et requérant la
réanimation, 89 % avaient des troubles de conscience (score de Glasgow
moyen : 9+3), la fièvre et le syndrome méningé étaient présents dans
75 % des cas, 19 % avaient un déficit neurologique et 18 % des convul-
sions [5]. Les formes les plus graves de méningite à pneumocoques et
à méningocoques s’accompagnent volontiers d’un choc septique et des
défaillances viscérales qui en sont la conséquence.

Diagnostic
Le LCR est trouble, avec la composition classique suivante : cellu-
larité importante (plus de 1000 polynucléaires/mm3), hypoglycorachie
148 Infectiologie en réanimation

inférieure à 2 mmol/L et hyperprotéinorachie supérieure à 1 g/L. En fait,


10 il existe de nombreuses variations interindividuelles dans le degré d’in-
flammation et donc dans les modifications cytologiques (liquide pauci-
cellullaire ou au contraire contenant plus de 10 000 polynucléaires/mm3)
et biochimiques du LCR [2]. Chez les patients n’ayant pas reçu d’anti-
biothérapie avant les prélèvements, la coloration de Gram et les cultures
de LCR sont positives dans 60 à 90 % des méningites à pneumocoques
ou à méningocoques, et les hémocultures dans deux tiers des cas. N. me-
ningitidis peut être isolé à partir de lésions cutanées purpuriques (grat-
tage ou biopsie). La responsabilité de L. monocytogenes au cours d’une
méningite peut être particulièrement évoquée chez les malades de plus
de 50 ans ou en cas de déficit de l’immunité cellulaire. Il n’existe pas de
signe clinique véritablement suggestif de l’étiologie listérienne en dehors
de l’atteinte des paires crâniennes, en fait très inconstante [11]. Le LCR
peut être macroscopiquement purulent, trouble ou clair, selon la quan-
tité de polynucléaires. La formule typique, dite « panachée » car compor-
tant un pourcentage comparable de polynucléaires et de lymphocytes,
n’est retrouvée que dans moins d’un quart des cas. La protéinorachie est
en moyenne de 1,70 g/L et il existe une hypoglycorachie chez 30 % des
malades.
Les recommandations légitimes de débuter l’antibiothérapie le plus rapi-
dement possible ont comme inconvénient possible de réduire la chance
d’isoler la bactérie en cause. Les techniques reposant sur la biologie molé-
culaire prennent le pas sur la détection des antigènes bactériens. Plusieurs
études récentes font ainsi état de bons résultats obtenus avec des PCR
multiplex permettant d’augmenter de manière significative le pourcen-
tage de documentation bactérienne en cas de culture négative, notam-
ment chez les malades ayant déjà reçu des antibiotiques [12]. La PCR
Listeria semble également performante [13].

Prise encharge thérapeutique

Quand faut-il réaliser une imagerie cérébrale avant la ponction lombaire ?


L’imagerie (en pratique la tomodensitométrie) vise à éliminer une
contre-indication absolue à la ponction lombaire (lésion focale avec effet
de masse et risque d’engagement cérébral). Elle n’est justifiée que dans les
situations cliniques suivantes : signes de localisation neurologique, im-
munodépression sévère connue, troubles de vigilance à l’admission (score
de Glasgow inférieur ou égal à 11), signes cliniques évocateurs d’hyper-
tension intracrânienne ou d’engagement cérébral (mydriase unilatérale,
hoquet, troubles respiratoires, mouvements d’enroulement, instabilité
hémodynamique), convulsions. S’il est décidé de réaliser une imagerie,
l’antibiothérapie sera débutée avant la ponction lombaire mais après le
prélèvement d’une première hémoculture [14].
Méningites purulentes et méningoencéphalites graves … 149

Antibiothérapie

Principes généraux de l’antibiothérapie


Évoquer la méningite bactérienne requiert de se donner rapidement
les moyens du diagnostic tout en débutant le plus précocément possible,
idéalement dans l’heure suivant l’admission, le traitement antibiotique.
Plusieurs études ont trouvé une relation entre la précocité d’adminis-
tration de l’antibiothérapie après l’arrivée à l’hôpital et le pronostic des
méningites bactériennes [5]. La présomption étiologique et donc l’anti-
biothérapie initiale reposent principalement sur les résultats de l’examen
direct du LCR (diplocoques à Gram positif ou à Gram négatif). Cepen-
dant, le diagnostic de méningite à S. pneumoniae peut être évoqué sur les
arguments suivants : porte d’entrée ORL (otite ou sinusite), pneumonie
systématisée, antécédents de traumatisme crânien ou de splénectomie et
alcoolisme. L’âge jeune, une altération modérée de la conscience et l’exis-
tence d’un purpura sont au contraire des arguments en faveur du mé-
ningocoque. Les recommandations concernant l’antibiothérapie initiale
prennent en compte l’évolution des résistances à l’échelle nationale. En
France, la très faible incidence des souches de pneumocoques résistantes
aux céphalosporines de troisième génération (céfotaxime et ceftriaxone)
(moins de 5 %) a conduit les experts de la 17e conférence de consensus
de la Société de pathologie infectieuse de langue française à proposer ces
molécules en monothérapie [14]. Dans les pays à plus forte incidence de
souches non sensibles, l’adjonction de vancomycine reste indiquée [15].
L’adjonction de rifampicine a été proposée pour diminuer la réponse in-
flammatoire sur la base de données expérimentales, sans que la pertinence
clinique de cette association soit démontrée [16]. Les modalités de l’anti-
biothérapie initiale sont résumées dans le tableau I.

Situations particulières
– L’allergie aux bêtalactamines (qui est le plus souvent aux pénicil-
lines) impose de débuter l’antibiothérapie en réanimation. En cas de
contre-indication absolue aux céphalosporines, le traitement d’une mé-
ningite à N. meningitidis peut comporter une fluoroquinolone (lévofloxa-
cine : 500 mg × 2) associée à la rifampicine, et celui d’une méningite
à S. pneumoniae, l’association vancomycine + rifampicine ou linézolide
(600 mg × 2).
– Les posologies d’antibiotiques en cas de méningite associée à une in-
suffisance rénale sont mal standardisées. Il peut être recommandé de
ne pas modifier les doses le premier jour, puis de les réduire d’environ
50 % sauf en cas d’hémodialfiltration veino-veineuse continue, situ-
tation dans laquelle les doses pleines devraient être administrées. Les
mesures des concentrations d’antibiotiques dans le sérum et éventuel-
lement le LCR sont utiles.
150 Infectiologie en réanimation
Tableau I – Antibiothérapie des méningites communautaires de l’adulte.
10 Micro- Antibiothérapie Antibiothérapie Commentaires
organismes initiale (contexte après
présumés et examen direct documentation
ou documentés du LCR)
Streptococcus Céfotaxime1 CMI – L’association
pneumoniae ou ceftriaxone2 – Péni G ≤ 0,1 mg/L : C3G + rifampicine6
amoxicilline3 peut être utilisée
– Péni G > 0,1 mg/L au cours
et C3G4 < 0,5 mg/L : du traitement initial
poursuite C3G seule – Pour les souches
– C3G > 0,5 mg/L : avec CMI de C3G
C3G + vancomycine5 > 1 mg/L :
imipénème
ou méropénème
+ vancomycine
Neisseria Céfotaxime1 ou CMI de Péni G
meningitidis ceftriaxone2 < 0,1 mg/L :
amoxicilline3
CMI de Péni G
> 0,1 mg/L : C3G
Listeria Amoxicilline3 Amoxicilline3 Le cotrimoxazole7
monocytogenes + gentamicine est recommandé
(3 jours) en cas d’allergie
sévère
à l’amoxicilline
Entérobactéries Céfotaxime1 Céfotaxime1 Les fluoroquino-
ou ceftriaxone2 ou ceftriaxone2 lones (ofloxacine
ou ciprofloxacine)
sont une alternative
aux C3G
Streptocoques Amoxicilline3 Amoxicilline3

Examen direct Amoxicilline Selon documentation Amoxicilline :


négatif + céfotaxime surtout si âge
ou ceftriaxone > 50 ans
1
Céfotaxime : 200-300 mg/kg/j en 4 à 6 administrations (200 mg/kg/j sont suffisants
pour le méningocoque).
2
Ceftriaxone : 70-100 mg/kg/j en 2 administrations.
3
Amoxicilline : 200 mg/kg/j en 6 administrations.
4
Céphalosporines de troisième génération (céfotaxime ou ceftriaxone).
5
Vancomycine : bolus de 15 mg/kg en 1 h puis 40-60 mg/kg/ en perfusion continue.
6
Rifampicine : 600 mg toutes les 12 heures.
7
Cotrimoxazole : 6-8 mg/kg/j et sulfaméthoxazole : 30-40 mg/kg/j en 4 administrations.
Méningites purulentes et méningoencéphalites graves … 151

Autres traitements

La corticothérapie
En 2002, de Gans et al. ont montré dans une étude multicentrique
randomisée contre placebo chez l’adulte que la dexaméthasone (10 mg
IVL toutes les 6 heures, débutée juste avant ou au moment de la première
injection d’antibiotiques, pour une durée totale de traitement de 4 jours)
réduisait le risque d’évolution défavorable (handicap résiduel sévère et
mortalité) [17]. Cet effet était particulièrement net dans les méningites
à pneumocoque, où la mortalité était réduite de 34 à 14 %. Cependant
une méta-analyse publiée par les mêmes auteurs en 2010 ne retrouve pas
d’avantages sur la mortalité [18], alors qu’une analyse Cochrane publiée
un an auparavant montrait un effet bénéfique de la dexaméthasone sur
les séquelles auditives et le handicap neurologique. Des manifestations
neurologiques graves ont été observées chez quelques malades plusieurs
jours après l’arrêt de la dexaméthasone (phénomène de rebond) [19].
Malgré ces données contrastées, l’utilisation des corticoïdes au cours des
méningites bactériennes de l’adulte est actuellement recommandée [14]
selon les modalités indiquées dans l’article princeps [17], au moins pour
les méningites à S. pneumoniae. Ce traitement n’est pas recommandé
chez les patients immunodéprimés et ceux qui ont reçu préalablement un
antibiotique par voie parentérale, encore que le délai au-delà duquel la
dexaméthasone n’est plus efficace soit inconnu.

Traitement symptomatique
Le traitement d’une crise convulsive et la prévention des récidives font
appel aux antiépileptiques conventionnels. Le bénéfice des anticonvulsi-
vants en prévention primaire n’est pas démontré. Une hypertension in-
tracrânienne symptomatique est fréquente et associée à un risque d’évo-
lution défavorable. Le maintien d’une pression de perfusion cérébrale
adéquate est un objectif essentiel. Outre l’obtention d’un état hémodyna-
mique satisfaisant, des mesures de réduction de la pression intracrânienne
doivent être considérées chez les malades sévères. Les moyens classique-
ment préconisés sont : surélévation de la tête à 30°, sédation, ventilation
mécanique (normocapnie 35-40 mmHg). Le mannitol en bolus unique
peut être proposé en situation immédiatement menaçante (engagement
cérébral). Malgré des données encourageantes [20], aucun argument dans
la littérature ne permet de recommander la mesure continue de la pres-
sion intracrânienne (PIC) au cours d’une méningite. Les autres mesures
comportent des apports hydrosodés conventionnels et une surveillance
régulière de la natrémie et de la diurèse pour dépister et traiter une anti-
diurèse inappropriée, le contrôle de la température dans les formes avec
hypertension intracrânienne sévère et lorsque la fièvre est mal tolérée,
la correction d’une hyperglycémie par insulinothérapie intraveineuse. Le
soluté salé hypertonique (3 %) améliore la pression de perfusion intracé-
rébrale dans un modèle expérimental de méningite à Escherichia coli [21].
152 Infectiologie en réanimation

L’utilisation du glycérol n’est pas recommandée [22]. L’hypothermie in-


10 duite modérée s’est révélée protectrice contre les lésions cérébrales dans
un modèle expérimental [23], mais un essai multicentrique français a
récemment été arrêté pour surmortalité dans le groupe « hypothermie »
(ClinicalTrials.gov, NCT00774631).

Suivi du traitement et durée de l’antibiothérapie


Une imagerie cérébrale est justifiée pour la recherche d’une porte
d’entrée, d’une brèche dure-mérienne ou en cas de complications (in-
farctus cérébral, hydrocéphalie, empyème et rarement thrombophlé-
bite) [24]. La réalisation d’une ponction lombaire à 36-48 heures est
recommandée pour les souches de sensibilité anormale aux bêtalacta-
mines, sans que le bénéfice de cette pratique n’ait été réellement évalué.
À cette date, l’examen direct peut être encore positif, mais le LCR est
stérile et la glycorachie tend à se normaliser. Les mesures de concen-
tration d’antibiotiques dans le LCR (et dans le sang) ne sont utiles que
pour la compréhension d’un échec thérapeutique. Il est admis que les
concentrations de bêtalactamines dans le LCR doivent être d’au moins
10 fois la concentration minima bactéricide vis-à-vis du germe. Quel
que soit le traitement initial choisi, il doit être réévalué à la 48e heure,
après identification de la bactérie et rendu de l’antibiogramme. Pour
les méningites à S. pneumoniae et N. meningitidis, il est en fait très
souvent possible de « simplifier » l’antibiothérapie, c’est-à-dire de re-
venir à l’amoxicilline (200 mg/kg/j IVL en 4 injections) si la CMI est
< 0,1mg/L (tableau I). En cas d’évolution défavorable, un avis spécia-
lisé est recommandé. La durée de traitement est en général de 7 jours
pour le méningocoque, 10 à 14 jours pour le pneumocoque et au moins
21 jours pour Listeria. Une étude contrôlée récente, menée en Afrique
subsaharienne chez des enfants atteints de méningite bactérienne, a
montré que par rapport à une durée de 10 jours, une antibiothérapie
de 5 jours par ceftriaxone permet d’obtenir le même taux de guérison,
sans échecs microbiologiques. Les taux de survie et de séquelles dans
les méningites à pneumocoque n’étaient pas différents [25]. Il n’existe
pas de données permettant d’extrapoler ces résultats aux méningites à
pneumocoque de l’adulte.

Méningoencéphalites à LCR clair

Définition
La méningoencéphalite (ME) se définit comme un processus inflam-
matoire du cerveau associé à des manifestations cliniques aiguës ou su-
baiguës comportant les trois critères suivants : fièvre > 38 °C ou épisode
Méningites purulentes et méningoencéphalites graves … 153

fébrile dans le mois précédent, LCR anormal : > 4 leucocytes/mm3 ou


protéines > 0,4 g/L et au moins une manifestation clinique suggérant une
atteinte du système nerveux central : troubles de conscience, convulsions,
déficit neurologique central. On le voit bien, cette définition est peu
spécifique car pouvant correspondre à de nombreuses pathologies infec-
tieuses, auto-immunes, inflammatoires, métaboliques ou néoplasiques.
D’autre part, une encéphalite infectieuse sans modifications du LCR est
théoriquement possible quoique rare.

Épidémiologie. Étiologies
Trois grandes études récemment publiées ont permis de mieux
cerner l’épidémiologie des méningoencéphalites. Le « California En-
cephalitis Project » porte sur 1570 patients chez lesquels fut porté le
diagnostic de ME entre 1998 et 2005 [26]. Près de 60 % de ces malades
étaient hospitalisés en réanimation. Le résultat le plus marquant est le
fait qu’une étiologie certaine/probable (16 %) ou possible (13 %) a inté-
ressé moins de 30 % des malades. On y trouve une assez grande diversité
d’étiologies (tableau I). Parmi les virus, Herpes simplex 1 (HSV1) est la
première cause alors que Mycoplasma pneumoniae prédomine parmi les
bactéries, mais selon les définitions des auteurs, il s’agit seulement d’une
cause « possible ». Dans cette étude, les pourcentages de mortalité les
plus élevés sont observés avec HSV1 (18 %), West Nile virus (11 %) et
la tuberculose, incluse dans les encéphalites (21 %). Une étude française
menée en 2007 et publiée en 2009 [26] a porté sur 253 patients, en ma-
jorité des adultes, hospitalisés sur le territoire français métropolitain et
dont 118 (47 %) l’étaient dans un service de réanimation. Le pourcen-
tage de causes identifiées est de 52 %, dépassant donc celui obtenu en
Californie. Là encore, HSV1 vient au premier plan, représentant 22 %
de l’ensemble des patients, suivi de façon assez inattendue par le virus
varicelle zona (VZV) et la tuberculose (8 % chacun). Contrairement
aux données de l’étude californienne et à une étude bicentrique menée
précédemment en France chez des malades de réanimation [28], le pro-
nostic à court terme de l’encéphalite herpétique est meilleur, du moins
concernant la mortalité qui est « seulement » de 5 %, alors que les ME
à VZV et à Mycobacterium tuberculosis ont dans cette étude des taux de
mortalité hospitalière respectivement de 15 et 30 %. Le suivi à 3 ans des
survivants de la cohorte française montre que 61 % des malades récu-
pèrent sans séquelle, mais seulement 42 % parmi les patients atteints de
ME herpétique [29]. La répartition des agents infectieux est peu diffé-
rente dans une étude menée en Angleterre portant sur 203 patients [30].
Le tableau II résume les principales étiologies retrouvées dans ces trois
études.
Dans la mesure où dans ces études les recherches étiologiques ont été
exhaustives, il est peu probable qu’elles aient manqué un nombre
important de causes infectieuses. Il est vraisemblable qu’un pourcentage
154 Infectiologie en réanimation
Tableau II – Étiologies des méningoencéphalites : adultes et enfants.
10 Micro-organismes « California Étude Étude
Encephalitis multicentrique multicentrique
Project » française anglaise
(1570 patients) (253 patients) (203 patients)
[26] [27] [30]
HSV1/HSV2 53/5 55 38
VZV 44 20 10
EBV 18 3 1
CMV – 3 –
HHV6 2 3 1
Entérovirus 71 2 3
Influenza A et B 22 1 2
Para-influenza 1 – –
West Nile virus 19 1 –
Adénovirus 14 – –
Toscana 2 – –
Encéphalite à tiques – 3 –
Métapneumovirus 2 – –
Virus respiratoire 2 – –
syncytial
Rotavirus 2 – –
Rougeole 6 – 1
Listeria – 13 1
M. tuberculosis 19 20 10
M. pneumoniae 98 2 –
Chlamydia sp. 10 – –
Bartonella sp. 13 – –
Rickettsia sp. – 1 –
Brucella sp. 2 – –
Tropheryma whippelii 1 – –
Auto-immune – – 42
Pas de cause retrouvée 1115 122 75
Méningites purulentes et méningoencéphalites graves … 155

important de méningoencéphalites non infectieuses sont dues, notam-


ment chez des sujets jeunes à un mécanisme auto-immun. Ainsi, dans le
« California Encephalitis Project », les encéphalites avec anticorps anti-
récepteurs de la N-méthyl-d-aspartate (NDMAR) venaient en première
position avant les causes virales chez les sujets de moins de 30 ans [31].
Cette étiologie doit donc être prise en compte dans la stratégie de prise
en charge.

Démarche pour le diagnostic


Elle comporte les éléments suivants : la connaissance des diagnostics
les plus fréquents, grâce aux études épidémiologiques dont il est fait men-
tion plus haut ; les conditions épidémiologiques : voyages (lieu et durée),
contacts avec des animaux (léchage, morsures), piqûres d’insecte… ; le
mode de début et la durée d’évolution des signes d’encéphalite ; la nature
de l’atteinte neurologique évaluée par l’analyse des signes cliniques qui
peuvent orienter vers telle ou telle étiologie (tableau III) ; les données
de l’imagerie, tomodensitométrie (TDM) et surtout imagerie par réso-
nance magnétique (IRM) ; les anomalies du LCR ; l’existence et la nature
d’éventuels signes extraneurologiques, respiratoires, cutanés, hépatiques
qui peuvent eux aussi orienter vers certaines causes ; l’utilisation d’ou-
tils microbiologiques, avec au premier rang les PCR, sans oublier que
les sérologies avec dosages des anticorps spécifiques dans le sérum et le
LCR peuvent toujours rendre des services importants, notamment dans
les pathologies postinfectieuses ; enfin, le recours à la biopsie cérébrale
est rare et nécessite, outre l’absence de contre-indications, l’existence de
lésions accessibles. La prise en charge des ME a récemment fait l’objet de
recommandations de pratique clinique par l’Infectious Diseases Society of
America (IDSA) [32].
L’imagerie, au mieux l’IRM, est au centre du dispositif
L’IRM est en effet actuellement considérée comme l’examen neurora-
diologique le plus sensible pour le diagnostic des ME infectieuses,
pourvu que soient réalisées les séquences indispensables à une évalua-
tion précise des lésions : T1 avec et sans injection de gadolinium, T2,
T2*, FLAIR, séquence en diffusion. Plusieurs publications montrent
que des lésions non encore visibles en TDM le sont en IRM, et que des
lésions non encore visibles en séquences « standard » d’IRM le sont
avec le FLAIR ou la diffusion, notamment pour HSV1, entérovirus 71
et West Nile virus. Des lésions temporales (fig. 1) évoquent avant tout
HSV1 (plus de 90 % des ME à HSV1 avec PCR positive ont de telles
anomalies à l’IRM) mais se rencontrent aussi avec les micro-organismes
suivants : VZV, entérovirus, Epstein Barr Virus (EBV), HHV6, West
Nile virus [32]. L’atteinte des noyaux gris centraux et du thalamus sous
forme de lésions hypo-intenses en T1, hyperintenses en T2 et en
FLAIR, peut suggérer la responsabilité d’un flavivirus. Le diagnostic
d’encéphalite aiguë démyélinisante (« ADEM » des Anglo-Saxons) ne
156 Infectiologie en réanimation

peut être fortement suggéré que par l’IRM. Il n’en reste pas moins que
10 l’IRM peut être normale notamment à la phase initiale d’une ME, et
que sa réalisation n’est pas toujours simple chez des malades de réani-
mation, parfois instables.
Tableau III – Orientations en fonction des signes cliniques (d’après [2, 41]).

Signes cliniques Principales étiologies virales


ou bactériennes
Hépatite Coxiella burnetii
Adénopathies EBV, CMV, rougeole, rubéole,
West Nile virus, Bartonella sp.,
M. tuberculosis
Parotidite Oreillons
Rash cutané VZV, HHV6,
West Nile virus, rubéole,
entérovirus, M. pneumoniae,
Rickettsia, B. burgdorferi,
Ehrlichia chaffeensis,
arboviroses
Signes respiratoires Influenza A, adénovirus,
M. pneumoniae,
C. burnetii, M. tuberculosis
Rétinite West Nile virus
Ataxie cérébelleuse VZV (enfants), EBV,
oreillons,
Tropheryma whipplei
Anomalies des paires crâniennes HSV1, EBV, Listeria monocytogenes,
M. tuberculosis, B. burgdorferi,
T. whipplei
Myoclonies du voile, T. whipplei
de la face ou des membres
Paralysie pseudo-poliomyélitique Encéphalite japonaise,
West Nile virus,
encéphalite à tiques
Rhombencéphalite HSV1, West Nile virus,
enterovirus 71,
L. monocytogenes
Patients de moins de 30 ans Encéphalite auto-immune
avec troubles de conscience,
mouvements anormaux,
convulsions
Méningites purulentes et méningoencéphalites graves … 157

Fig. 1 – Patient de 45 ans atteint de méningoencéphalite herpétique. IRM : coupe coronale,


séquence Flair : hypersignaux dans le lobe temporal gauche touchant l’hippocampe.

La méningoencéphalite herpétique
Il convient de toujours prendre en compte cette étiologie car HSV1
est la première cause de ME aiguë sporadique grave de l’adulte, et contrai-
rement à beaucoup d’autres agents infectieux responsables de ME, HSV1
peut être traité efficacement. Il a été montré une relation entre la pré-
cocité du traitement antiviral par aciclovir et le pronostic. Les facteurs
associés à un traitement tardif sont un tableau atypique et le retard à la
réalisation de l’imagerie [33].
La ME typique, et d’ailleurs habituelle, est une maladie aiguë survenant
chez des individus sans terrain particulier. Le LCR est inflammatoire avec
des lymphocytes, une protéinorachie voisine de 1 g/L et une glycorachie
normale. La TDM est généralement le premier examen d’imagerie effectué
dans le cadre de l’urgence. Elle objective des hypodensités temporales uni-
ou bilatérales avec des prises de contraste irrégulières en leur sein. Il peut
exister des hyperdensités spontanées, témoins de lésions hémorragiques.
Le diagnostic peut être plus difficile devant une forme non typique : sur-
venue dans un contexte de comorbidité (ainsi ont été décrites des ME
à HSV1 après radiothérapie, chimiothérapie, après neurochirurgie, chez
des transplantés d’organe ou des patients sous inhibiteurs du TNF-&) ;
signes frustes ou absence de fièvre (15 % des patients) ; LCR paucicellu-
laire, avec moins de 10 éléments/mm3 (15 % des patients) ; TDM nor-
male surtout si le patient est vu tôt ; atteinte prédominante voire isolée
du tronc cérébral.
158 Infectiologie en réanimation

La PCR dans le LCR est le standard du diagnostic avec, par rapport à


10 la biopsie cérébrale, une sensibilité et une spécificité de 98 et 94 %, une
valeur prédictive positive de 95 % et une valeur prédictive négative de
95 % [34]. Un certain nombre d’observations rapportent des PCR initia-
lement négatives, le plus souvent lorsque le LCR est obtenu précocement
par rapport aux premiers signes neurologiques ou lorsqu’il est peu inflam-
matoire. Ces observations concernent principalement des enfants [35].
En pratique, en cas de PCR négative et si l’IRM ne montre pas de lésions
temporales, il convient d’arrêter l’aciclovir. S’il existe des lésions tempo-
rales, il est recommandé de poursuivre l’aciclovir, de refaire une PCR
après 3 jours et de discuter l’arrêt du traitement si celle-ci est toujours
négative. La posologie de 10 mg/kg toutes les 8 heures soit 30 mg/kg/j
est celle utilisée dans les deux essais pivots sur la ME herpétique et de
manière habituelle en pratique clinique. Les niveaux de sensibilité des
souches et les concentrations atteintes dans le LCR ne suggèrent pas un
bénéfice potentiel d’une augmentation des doses. L’utilisation d’une
posologie supérieure, par exemple 15 mg/kg/8 h doit faire craindre
l’apparition d’une précipitation urinaire de cristaux et d’une insuffisance
rénale. La durée de traitement était de 10 jours dans les deux essais pivots.
Les arguments pour allonger la durée de traitement sont : la persistance
de PCR positive au-delà de 10 jours chez certains malades, l’existence
de rechutes lors de traitements d’une durée de 10 jours, essentiellement
décrites chez des nouveau-nés. Certains auteurs recommandent de refaire
une PCR à j10, entre j10 et j14, et de poursuivre le traitement pendant
21 jours si celle-ci est toujours positive. La bonne tolérance de l’aciclovir
permet de proposer un traitement de 21 jours à tous les patients. L’un
des meilleurs signes de la persistance de la réplication virale est l’absence
(si l’on a pu éliminer la responsabilité d’une infection nosocomiale) de
retour à l’apyrexie. Dans ce cas, et surtout si la PCR est toujours positive,
il peut être envisagé d’associer l’aciclovir à une autre molécule de famille
différente, en pratique le foscarnet. Cette stratégie n’est cependant validée
par aucune étude clinique. L’intérêt et l’innocuité des corticoïdes n’ont
pas été sérieusement évalués.

L’encéphalite à VZ : une cause méconnue


et une physiopathologie particulière
Dans l’étude multicentrique française, VZV vient en seconde posi-
tion parmi les micro-organismes identifiés. Il s’agit de patients âgés (mé-
diane 75 ans) et fréquemment porteurs de comorbidités. Le LCR est
franchement inflammatoire avec une médiane de 150 éléments/mm3, et
il existe une hypoglycorachie dans 40 % des cas [27]. Dans une série de
30 patients, en majorité des adultes, 19 étaient immunocompétents. De
manière inattendue, 37 % des patients n’avaient pas de rash. Lorsqu’il est
présent, le délai moyen entre le rash et les premiers signes neurologiques
est de 4 mois, ce qui présuppose un mécanisme autre que l’agression
Méningites purulentes et méningoencéphalites graves … 159

virale directe. De fait, les examens vasculaires (artériographie conven-


tionnelle, angio-IRM) montrent que les ME à VZV sont en fait le plus
souvent des vasculopathies avec atteinte des gros ou des petits vaisseaux.
Les infarctus intéressent préférentiellement la substance blanche ou la
jonction substance blanche-substance grise. Il est intéressant de constater
que la PCR est souvent négative (21/30 patients), le meilleur examen
étant la recherche d’IgG anti-VZV dans le sérum et le LCR. L’aciclovir
est utilisé à la dose 10-15 mg/kg pendant 14 jours. Les corticoïdes pour-
raient être utiles en cas d’évolution défavorable [36].

Les autres causes infectieuses


De nombreux virus, bactéries, voire parasites peuvent être responsables
de ME :
– virus : EBV, myxovirus (quelques cas rapportés au cours de l’épidémie
H1N1), HSV2 (le plus souvent responsable de méningites sans signes
de gravité), HHV6 (le traitement est le ganciclovir), les adénovirus
et bien sûr les entérovirus rarement en cause dans des ME menant à
la réanimation. Des observations d’encéphalite rougeoleuse, à distin-
guer de la pan-encéphalite subaiguë sclérosante, ont été récemment
rapportées.
Dans la majorité des cas, il n’existe pas de traitement spécifique. À cet
égard, une étude a montré que la PCR entérovirus rendue en 3 heures
permet d’arrêter l’aciclocvir très rapidement [37] ;
– bactéries : parmi celles potentiellement, mais rarement, responsables
de ME figurent : M. pneumoniae, Chlamydia sp., Borrelia burgdorferi,
Coxiella burnetii, Bartonella hensellae, Ehrlichia chaffeensii. Le diagnos-
tic est généralement obtenu par PCR et le traitement peut comporter
une cycline ou une fluoroquinolone. Il convient de ne pas oublier la
tuberculose, qui sera particulièrement évoquée chez les populations
à risque.

Les virus émergents et les méningoencéphalites « exotiques »


Les infections virales sont dites émergentes lorsqu’elles touchent des
hôtes nouveaux, ou surviennent dans des zones géographiques nouvelles,
ou sont causées par des agents jusque-là non reconnus comme patho-
gènes. La popularisation des voyages lointains et peut-être les modifica-
tions climatiques rendent nécessaires la connaissance et la prise en charge
des ME dues à des micro-organismes dits « exotiques ». La lecture des
traités spécialisés et des recommandations de l’IDSA [32] permet de si-
tuer, pour les grandes zones géographiques, les principaux agents infec-
tieux qu’il convient de rechercher. Dans le tableau IV 4 sont indiqués les
principaux agents émergents. Un certain nombre d’entre eux couvrent de
très larges zones géographiques. Par exemple l’encéphalite japonaise,
contre laquelle il existe un vaccin, intéresse l’Inde, la Chine et toute l’Asie
160 Infectiologie en réanimation

du Sud-Est. Les arboviroses ne sont pas seulement présentes dans des


10 pays lointains du nôtre. Par exemple, les infections à Toscana (rarement
responsables de formes graves de ME) se rencontrent en Italie, en Es-
pagne, au Portugal… et en France. Des ME, dont certaines graves, ont
été rapportées avec le Chikungunya, notamment à La Réunion [38]. Il
est important de signaler au laboratoire qui fera les recherches étiolo-
giques par PCR ou dosages des anticorps, la zone de provenance du
malade [39].
Tableau IV – Principaux virus émergents (d’après [39]).

Virus Zones géographiques


West Nile Monde
Toscana Italie, Espagne, Portugal, France
Encéphalite japonaise Asie
Entérovirus 71 Asie, Australie
Rage Asie, Afrique, États-Unis
Chikungunya Réunion, Inde, Indonésie
Nipah et Hendra Australie, Asie
Lyssavirus Australie, Europe

L’encéphalite aiguë démyélinisante


(ADEM des Anglo-Saxons)
Il s’agit d’une ME comportant des symptômes neurologiques ai-
gus multifocaux par atteinte démyélinisante du système nerveux central
(SNC) en IRM. Elle survient après une infection banale d’allure virale
ou beaucoup plus rarement après une vaccination. Le délai entre le
facteur déclenchant et les premiers signes neurologiques est d’environ
8 jours. Le tableau est souvent très proche de celui d’une ME aiguë avec
de la fièvre, des troubles de la conscience, des convulsions, des signes de
localisation. Le LCR contient une centaine d’éléments, le plus souvent
des lymphocytes mais avec parfois une majorité de polynucléaires, une
protéinorachie voisine de 1 g/L et une glycorachie normale. L’IRM
est la clé du diagnostic et elle permet de juger de l’étendue des lésions
(fig. 2). La moelle est souvent intéressée par le processus. La substance
grise peut aussi être atteinte. Il est important de faire le diagnostic,
car le traitement repose sur les corticoïdes à forte dose et pour cer-
tains auteurs les immunoglobulines non spécifiques, voire les échanges
plasmatiques [40].
Méningites purulentes et méningoencéphalites graves … 161

Fig. 2 – Patient de 39 ans : IRM en séquence Flair : hypersignaux diffus touchant la substance
blanche évocateurs d’encéphalite aiguë démyélinisante (« ADEM »).

Les méningoencéphalites auto-immunes


Les connaissances sur ces pathologies sont en plein développement,
comme en témoignent les nombreuses publications et mises au point
récentes les concernant [41-43]. Elles doivent être connues des réanima-
teurs car certaines d’entres elles, notamment les encéphalites limbiques,
sont volontiers sévères avec des troubles de conscience, des convulsions,
des dyskinésies et mouvements anormaux, des perturbations neurové-
gétatives, une hypoventilation alvéolaire. De nombreuses entités sont
décrites et d’autres le seront probablement encore : voltage-gated potas-
sium channel complexes (VGKC), NMDA receptors (NMDAR), AMPA
receptors (AMPAR), GABA type B receptors (GABABR), et glycine recep-
162 Infectiologie en réanimation

tors (GlyR). Les encéphalites limbiques à NMDAR concernent plus les


10 réanimateurs (mais elles ne sont pas les seules) en raison de la fréquence
des manifestations neurologique graves. Elles touchent plus souvent les
femmes car volontiers associées à des tératomes de l’ovaire, mais d’autres
tumeurs (poumons, pancréas, sein) sont possibles et doivent toujours
être recherchées car leur ablation permet de contrôler l’encéphalite. Des
encéphalites à NMDAR sans tumeur associée sont rapportées. Des hy-
persignaux sont souvent présents à l’IRM, notamment dans les lobes
temporaux. Le LCR est anormal, avec présence de lymphocytes, une
possible hyperprotéinorachie et parfois des bandes oligoclonales [41].
Les thérapeutiques proposées sont les corticoïdes, les échanges plasma-
tiques, le cyclophosphamide, les immunoglobulines intraveineuses et le
rituximab [43].

Stratégie diagnostique
Lors de l’enquête nationale, la Société de pathologie infectieuse de
langue française (SPILF) a proposé une stratégie de demande de PCR
/ dosages d’anticorps en trois étapes [27]. La première étape comporte les
agents les plus fréquents, HSV1, HSV2 et VZV pour les virus, M. pneu-
moniae pour les bactéries. La prévalence importante de M. pneumoniae
observée en Californie ne l’est cependant pas en France. D’autre part,
certaines trousses de PCR comportent aussi les entérovirus. En cas de né-
gativité, une seconde étape consisterait à rechercher les agents suivants :
– pour les virus : entérovirus, CMV (exceptionnel), EBV, adénovirus,
HHV6. Il faut remarquer qu’il s’agit de causes très rares de ME graves
chez les sujets immunocompétents ;
– pour les bactéries : Chlamydia sp., Borrelia burgdorferi, Coxiella burne-
tii, Bartonella hensellae. Là encore, il s’agit d’infections bien rares, du
moins dans leur expression encéphalitique.
Enfin, dans une troisième étape seraient recherchés, selon le contexte, les
micro-organismes suivants :
– virus : M. influenzae, para-influenzae, West Nile virus, Toscana, virus
de l’encéphalite à tiques, rage, arbovirus divers, Nipah, Hendra… ;
– bactéries : rickettsies, Tropheryma whipplei, Ehrlichia shaffeensii.
Outre les PCR et les recherches d’anticorps dans le sérum et le LCR,
il pourra être utile, selon le contexte, d’effectuer d’autres recherches :
cultures virales à partir de prélèvements respiratoires, pharyngés ou de
selles, PCR sur ces mêmes prélèvements ou sur des biopsies cutanées
ou à partir du sang total.

Tuberculose neuroméningée
La tuberculose neuroméningée est une cause fréquente de ME dans
les pays occidentaux. Outre la présence d’un terrain favorisant, le dia-
gnostic de tuberculose neuroméningée doit être suspecté sur les don-
Méningites purulentes et méningoencéphalites graves … 163

nées suivantes : notion de contage récent ; installation des symptômes


sur plus de 5 jours ; signes cliniques extraneurologiques, en particulier
pulmonaires (altération de l’état général, signes respiratoires persistants
depuis plus de 15 jours) ; paralysie de nerfs crâniens ; signes d’atteinte
médullaire (paraplégie, rétention d’urines) ; hyponatrémie par sécrétion
inappropriée d’hormone antidiurétique ; anomalies à l’imagerie (voir
infra), au mieux détectées par l’IRM cérébral. Les autres signes neuro-
logiques habituels sont un syndrome méningé, des signes focaux à type
d’hémiplégie (15 %) ou atteinte des paires crâniennes (30-50 %), asso-
ciés à des troubles de la conscience (30-60 %), cause habituelle du trans-
fert de ces malades en réanimation. Les convulsions sont présentes dans
moins de 5 % des cas chez l’adulte. Le LCR est clair et comporte les
anomalies caractéristiques suivantes : de quelques dizaines à quelques
centaines de lymphocytes/mm3, une hypoglycorachie (95 % des cas) et
une protéinorachie souvent supérieure à 1 g/L [18]. Dans la plupart des
séries, le pourcentage de positivité de l’examen direct du LCR (recherche
de bacilles acido-alcoolo-résistants, BAAR) est faible. La sensibilité de
l’examen direct peut être améliorée par l’examen répété de plusieurs mil-
lilitres (5 à 8 mL) de LCR. La recherche de BAAR doit également se
faire à partir de sites extraneurologiques, notamment pulmonaires, sur
prélèvements biologiques ou tissulaires. La réalisation d’une imagerie cé-
rébrale avec injection est indispensable. À l’admission, elle peut aider à
réunir des arguments en faveur de l’origine tuberculeuse d’une méningite
lymphocytaire : prises de contraste (80 %) prédominant dans les citernes
de la base, la scissure sylvienne ou la convexité, dilatation ventriculaire
(75 % des cas), signes d’infarctus par vascularite (10 %), tuberculomes
(30 %). Cependant, l’absence de ces anomalies ne permet pas d’exclure
le diagnostic. Le traitement antituberculeux, souvent débuté sur une
présomption diagnostique, comporte une quadruple association (isonia-
zide, rifampicine, éthambutol, pyrazinamide) aux posologies habituelles
pendant 2 mois, puis une bithérapie pour une durée totale de 9 mois.
Une étude menée chez 545 adultes en Asie et publiée en 2004 suggère
que l’adjonction de corticoïdes (dexaméthasone) au traitement antitu-
berculeux permet une réduction importante de la mortalité [44]. Cette
étude ne retrouvait néanmoins pas de bénéfice en termes de diminution
des séquelles neurologiques chez les survivants. De plus, il n’a pas été
retrouvé de bénéfice de la corticothérapie lors du suivi à 5 ans [45]. Le
traitement par dexaméthasone semble aussi associé à une diminution de
certains effets secondaires au traitement antituberculeux, notamment les
hépatites. Malgré les réserves indiquées plus haut, les corticoïdes sont
actuellement recommandés dans les méningites tuberculeuses, selon un
protocole dépendant du score de Glasgow à l’admission et de l’existence
ou non de signes focaux (en pratique, traitement initial par dexamétha-
sone : 0,4 mg/kg IVL si score de Glasgow < 15 à l’admission, puis décroi-
ssance progressive).
164 Infectiologie en réanimation

Place des scores cliniques et des biomarqueurs


10
pour différencier méningites bactériennes et virales
Lorsque l’examen direct est négatif, la distinction entre méningite
bactérienne ou virale est parfois délicate et au bénéfice du doute, surtout
s’il existe des signes de gravité, les patients recevront une antibiothérapie
probabiliste. Un modèle clinique de prédiction de l’origine bactérienne
de la méningite a été proposé [46], mais sa pertinence n’est pas démon-
trée. Les mesures de la concentration de lactate dans le LCR et de pro-
calcitonine dans le sérum sont alors utiles pour décider de la stratégie
initiale. Une étude prospective a récemment évalué les performances de
ces deux marqueurs chez 254 patients dont l’examen direct était négatif.
Pour une valeur de 3,8 mmol/ de LCR, les valeurs prédictives négatives
et positives en faveur d’une méningite bactérienne étaient respectivement
de 99 et 82 % pour le lactate avec une aire sous la courbe de 0,96 (inter-
valle de confiance 95 % = 0,95-1). Pour la procalcitonine dans le sérum,
avec un seuil de 0,28 ng/mL, les valeurs prédictives négatives et positives
étaient de 100 et 97 % avec une aire sous la courbe de 0,99 (intervalle de
confiance 95 % = 0,99-1) [47].
Il convient enfin de rappeler que toute méningite puriforme aseptique
doit faire rechercher une infection paraméningée, un empyème, une
thrombophlébite cérébrale ou un abcès cérébral a fortiori s’il existe des
signes neurologiques focaux, mais alors l’imagerie aura été effectuée avant
la ponction lombaire.

En conclusion

Une part importante des infections méningées, bactériennes ou virales,


nécessitent du fait de la présence de signes de gravité, une admission en réa-
nimation. Le traitement des méningites bactériennes est dansl’ensemble
bien codifié, alors que la diversité des causes de méningoencéphalites à
LCR clair rend leur prise en charge souvent plus complexe.

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Pneumonies communautaires graves
11
O. LEROY, P.Y. DELANNOY, N. BOUSSEKEY, A. MEYBECK, A. CHICHE, H. GEORGES

Introduction

Jusqu’à ces dernières années, il était traditionnel de considérer qu’il


existait en milieu de réanimation deux types de pneumonies graves :
les pneumonies communautaires acquises en ville et les pneumonies
nosocomiales qui survenaient au-delà des 48 premières heures d’hos-
pitalisation. Actuellement, il est clair que cette classification dichoto-
mique n’est pas suffisante pour caractériser l’ensemble des pneumonies
rencontrées en réanimation. D’une part, il convient de distinguer les
pneumonies nosocomiales acquises sous ventilation des autres pneu-
monies nosocomiales ; d’autre part, de nombreux patients bénéficient
en dehors d’une hospitalisation traditionnelle de soins ambulatoires
tels que chirurgie, dialyse ou chimiothérapie. De même, dans la plu-
part des structures d’hébergement ou de rééducation, les patients peu-
vent bénéficier de soins médicaux intensifs ou invasifs. Les pneumonies
survenant chez ces patients sont actuellement définies comme liées aux
soins [1]. Il convient donc actuellement de considérer comme com-
munautaires les seules pneumonies acquises en ville par des patients
indemnes de tout soin ambulatoire récent ou de toute hospitalisation
récente. Cette définition stricte étant récente, il est évident que bon
nombre des études qui seront citées dans cette revue avaient inclus des
patients souffrant de pneumonies liées aux soins.

O. Leroy , P.Y. Delannoy, N. Boussekey, A. Meybeck, A. Chiche, H. Georges


Service de réanimation médicale et maladies infectieuses
Hôpital G. Chatiliez
135, rue du Président Coty
59208 Tourcoing cedex
E-mail : [email protected]
Sous la direction de Pierre Charbonneau et Michel Wolff, Infectiologie en réanimation.
ISBN : 978-2-8178-0388-3, © Springer-Verlag Paris 2013
169
170 Infectiologie en réanimation

11 Incidence

La pneumonie communautaire n’étant pas une maladie à déclaration


obligatoire, l’incidence des formes graves est difficile à évaluer. Environ
1 adulte/1000 présente annuellement une pneumonie infectieuse. Une
admission en réanimation est nécessaire pour 2 % des malades. Aux
États-Unis, 10 % des patients hospitalisés pour une pneumonie commu-
nautaire requièrent des soins en milieu de réanimation [2, 3].

Diagnostic

La définition de la pneumonie repose sur l’association de signes cli-


niques et radiologiques. L’Infectious Disease Society of America et l’Ameri-
can Thoracic Society (IDSA/ATS) définissent la pneumonie par la présence
d’un infiltrat radiologique associé à au moins trois des manifestations
cliniques suivantes : toux, expectorations, hémoptysie, dyspnée, fièvre,
douleur pleurale ou présence de signes physiques évocateurs de pneumo-
pathie [4]. La présence de râles bronchiques ou d’un foyer de crépitants
reste un élément sémiologique essentiel. Cependant l’auscultation se ré-
vèle moins sensible, moins spécifique que la radiographie de thorax. Chez
le sujet âgé, le diagnostic de pneumopathie peut s’avérer difficile du fait
d’une symptomatologie souvent incomplète et parfois moins bruyante.
L’oxymétrie de pouls devrait faire partie intégrante de l’examen physique,
permettant ainsi d’évoquer ce diagnostic face à une symptomatologie
frustre ou de ne pas méconnaître une hypoxémie.
La radiographie de thorax permet de faire le diagnostic positif, d’élimi-
ner un diagnostic différentiel et d’évaluer l’étendue des lésions. Rarement,
l’image radiologique peut être absente à la prise en charge initiale du
patient, contrastant avec les données cliniques. Le traitement doit alors être
instauré et l’imagerie répétée 24 à 48 heures plus tard. Dans cette situation,
le praticien peut recourir au scanner thoracique, examen plus sensible.
La documentation bactériologique n’est pas nécessaire pour affirmer
le diagnostic. Toutefois, l’IDSA/ATS souligne l’intérêt de compléter la
démarche diagnostique par une documentation bactériologique lorsque
celle-ci modifie la prise en charge initiale.

Critères d’admission en réanimation

L’évaluation de la gravité des pneumonies communautaires est indis-


pensable et reste difficile. Elle guide la prise en charge du patient : trai-
tement ambulatoire ou hospitalisation, site d’hospitalisation du patient,
Pneumonies communautaires graves 171

traitement à instaurer. Cette évaluation a des répercussions médicales di-


rectes, mais elle doit également répondre à des contraintes économiques et
logistiques. Le praticien possède plusieurs outils tels que l’examen clinique
ou l’utilisation de différents scores de gravité. L’appréciation clinique seule
apparaît insuffisante, tout comme l’utilisation isolée des scores. L’associa-
tion des deux permet une meilleure appréciation de cette gravité [5].
En 1998, Ewig et coll. s’appuient sur cinq critères pour déterminer le carac-
tère grave d’une pneumopathie communutaire [6]. Deux critères sont définis
comme majeurs : le recours à la ventilation mécanique et la présence d’un
choc septique compliquant la pneumopathie. Les critères mineurs définis sont
une atteinte de deux lobes ou plus sur la radiographie de thorax, un rapport
PaO2/FiO2 < 250 mmHg, une pression artérielle systolique < 90 mmHg. Ces
critères sont adoptés par l’American Thoracic Society en 2001. Une admis-
sion en réanimation est nécessaire lorsqu’un patient présente un des critères
majeurs ou deux des critères mineurs lors de son hospitalisation.
En 2007, l’IDSA/ATS émet de nouveaux critères d’admission en réanima-
tion [4]. Les critères majeurs demeurent inchangés. En revanche, six nou-
veaux critères mineurs sont décrits : une fréquence respiratoire ≥ 30/min,
une confusion ou une désorientation, un taux sanguin d’urée ≥ 20 mg/dL,
une leucopénie < 4000 éléments/mm3, une thrombopénie < 100 000/
mm3, une hypothermie < 36 °C. Une admission directe en réanimation
est requise pour les patients présentant un critère majeur ou trois mineurs.
Ces critères mineurs ont fait l’objet d’études de validité. Ainsi en 2011,
Chalmers, pour chacun des neuf critères, évalue leur caractère prédictif
de sévérité [7]. L’étude prospective observationnelle réalisée porte sur
1062 patients immunocompétents avec pneumopathie communau-
taire, ne présentant pas de contre-indication à une admission en réa-
nimation. Les critères de jugement principaux définissant cette sévérité
sont la nécessité de ventilation mécanique et d’admission en réanima-
tion. Les critères mineurs de l’ATS sont comparés à différents scores :
PSI, CURB 65, SCAP score, SMART-COP. Cette étude valide tous
ces critères mineurs de sévérité et les décrit comme autant de variables
permettant d’identifier un patient à haut risque de complications ou de
mortalité et nécessitant donc une admission en réanimation de façon
précoce. Ces résultats concordent avec ceux précédemment retrouvés
dans la littérature [8].
Le SMART-COP apparaît comme une alternative à l’utilisation des cri-
tères mineurs de l’ATS pour la détection des patients qui ne nécessitent
pas d’emblée un support ventilatoire ou hémodynamique, mais qui néces-
siteront une admission plus tardive en réanimation [9, 10]. Les variables
considérées pour l’établissement de ce score sont la pression artérielle sys-
tolique, l’atteinte pulmonaire multilobaire, l’albuminémie, la fréquence
respiratoire adaptée à l’âge, la présence d’une tachycardie ou d’une confu-
sion. Les variables biologiques retenues pour l’établissement de ce score
sont la PaO2 (ou le rapport PaO2/FiO2), donnée ajustée à l’âge du patient,
et le pH. Charles et coll. soulignent la bonne sensibilité de cet outil à tra-
vers une étude prospective australienne portant sur 882 pneumopathies
172 Infectiologie en réanimation

communautaires avec un taux de détection des patients nécessitant une


11 intubation ou l’administration d’amine de 92 % [10].

Étiologie des pneumonies communautaires graves

Méthodes du diagnostic étiologique


Les différentes techniques microbiologiques à même d’identifier
le ou les agent(s) causal(s) d’une pneumonie communautaire ont
fait l’objet d’une revue récente [11]. Les points importants à retenir
sont les suivants : en l’absence de traitements antiviraux efficaces, les
techniques microbiologiques se sont longtemps concentrées sur la re-
cherche d’agents bactériens ; il n’y a pas de « gold standard » pour le
diagnostic microbiologique d’une pneumonie aiguë communautaire.
Par conséquent, la comparaison des valeurs de sensibilité et de spécifi-
cité des différentes techniques microbiologiques peut se révéler hasar-
deuse ; l’impact pronostique de la mise en évidence de l’agent causal
semble faible ; de même l’impact des explorations microbiologiques
sur la prise en charge des patients apparaît limité, dans la mesure où
la connaissance du diagnostic microbiologique ne conduit le clinicien
à modifier l’antibiothérapie empirique initiale que dans moins d’un
tiers des cas.
Les recommandations consensuelles françaises préconisent actuellement
pour les patients hospitalisés en réanimation la réalisation d’hémocultures
et d’une analyse cytobactériologique des sécrétions trachéobronchiques
prélevées lors de l’intubation, et la recherche d’antigènes urinaires pneu-
mocoque et Legionella [12].

Résultats
Le diagnostic étiologique d’une pneumonie communautaire
grave n’est établi que dans un peu plus de 50 % des cas (tableau I).
Les agents pathogènes isolés sont majoritairement de nature bacté-
rienne [13-15].
L’agent bactérien causal principal est Streptococcus pneumoniae qui repré-
sente environ 40 % des germes identifiés. Viennent ensuite, dans des pro-
portions variables selon les études, Haemophilus influenzae, Staphylococcus
aureus, Legionella pneumophila et les entérobactéries (tableau I). Au vu
de données récentes [15], il est possible d’estimer qu’il n’existe pas de
spécificité étiologique propre à la pneumonie communautaire grave. La
comparaison des agents étiologiques identifiés, selon que le patient est
traité en ambulatoire, hospitalisé ou admis en réanimation, ne montre
que quelques différences significatives : les bactéries dites atypiques
(Mycoplasma pneumoniae et Coxiella burnetti) et les virus sont moins sou-
Pneumonies communautaires graves 173

vent retrouvés chez les patients admis en réanimation que chez les autres
patients. À l’inverse, en cas d’amission en réanimation, les agents étiolo-
giques multiples sont plus fréquents.
Tableau I – Données bactériologiques au cours des pneumonies communautaires graves.

Références 13 14 15
Nombre de patients 308 199 488
Diagnostic étiologique négatif 45,5 % 43,7 % 47 %
Nombre de pathogènes retrouvés 201 123 260
S. pneumoniae 39,6 % 44,7 % 42 %
S. aureus 5,0 % 8,9 % 2%
Autres Cocci à Gram positif 17,4 % – –
H. influenzae 20,4 % 10,6 % 3%
Enterobacteriaceae 8,0 % 6,5 % 1%
P. aeruginosa – 4,9 % 5%
L. pneumophila 3,5 % 8,9 % 8%
Chlamydia spp. 2,5 % – 3%
M. tuberculosis – 2,4 % –
Autres pathogènes 3,5 % 13 % *
Virus – – 4%
* Autres pathogènes ou pathogènes multiples : 32 %.

L’apparition au sein de ces souches causales de germes ayant acquis des


mécanismes de résistance aux antibiotiques est un phénomène qui s’est
développé au cours des dernières années. Sa réalité en pratique quoti-
dienne demeure cependant assez limitée. L’émergence de souches de pneu-
mocoque résistant à la pénicilline est bien connue. Le Centre national de
référence des pneumocoques fait état dans son rapport d’activité annuel
de 2009 des éléments suivants [16] : chez les sujets adultes, les pourcen-
tages de souches de pneumocoque présentant une sensibilité dimunuée
(I + R) pour la pénicilline, l’amoxicilline et le céfotaxime sont respective-
ment de 31,9, 18,1 et 10,0 %. Toutefois, les souches résistantes à l’amoxi-
cilline et à la céfotaxime sont rares (0,6 et 0,2 %, respectivement). Le
taux de résistance (I + R) aux macrolides est de 30,0 %. Enfin, la résis-
tance aux fluoroquinolones telles que la lévofloxacine et la moxifloxacine
demeure inférieure à 1 %. Des cas de pneumonie communautaire grave
liée à des souches de S. aureus résistantes à la méticilline et sécrétrices
de la leucocidine de Panton-Valentine ont été rapportés. La leucocidine
de Panton-Valentine est une cytotoxine produite par S. aureus, qu’il soit
méticilline sensible ou non. Ces staphylocoques représentent environ 3 %
des souches de S. aureus dans la communauté. Néanmoins, l’incidence
174 Infectiologie en réanimation

exacte des pneumonies staphylococciques liées à de telles souches est


11 inconnue [17] et, en France, il n’a été rapporté que 50 cas entre 1986 et
2005 [18]. Enfin, si on prend soin d’exclure des pneumonies communau-
taires celles liées aux soins, l’incidence des pneumonies communautaires
liées à des entérobactéries sécrétrices de bêtalactamases à spectre étendu ou
à Pseudomonas aeruginosa est très faible [19].
Les pneumonies virales graves sont dominées par les pneumonies grip-
pales. Que ce soit pour les formes saisonnières ou les formes pandémiques
(grippe A H1N1), l’incidence exacte des formes graves de grippe est
mal connue. La gravité du tableau peut être consécutive à la pneumonie
virale en elle-même, à une surinfection pulmonaire bactérienne ou aux
défaillances viscérales associées. Il est couramment admis que le staphy-
locoque est l’agent dominant des surinfections bactériennes des grippes
saisonnières [20]. Lors de la grippe A H1N1 [21], une co-infection bac-
térienne a été retrouvée chez près de 20 % des patients, avec une nette
prédominance du pneumocoque.
Enfin, parmi les pneumonies liées aux agents fongiques, il faut signaler
la place prépondérante jouée par Pneumocystis jirovecii. Cet agent causal
devra toujours être évoqué chez les sujets immunodéprimés, quelle que
soit la cause de l’immunodépression [22].

Antibiothérapie curative

Plusieurs impératifs sont à prendre en compte pour l’instauration du


traitement antibiotique :
– l’antibiothérapie doit être rapidement instaurée. Meehan a tout d’abord
établi que l’administration d’une antibiothérapie dans les 8 heures suivant
l’admission à l’hôpital diminuait la mortalité des patients âgés présentant
une pneumonie communautaire [23]. Ce délai était ramené à 4 heures par
Houck, pour une population étudiée identique, avec dans ce travail une
diminution de la mortalité et une diminution de la durée de séjour [24].
Plus récemment, le bénéfice d’une antibiothérapie rapidement délivrée
chez les patients en sepsis sévère ou choc septique était démontré. Ainsi,
Kumar retrouvait une diminution de la mortalité chez des patients en
choc septique lorsqu’une antibiothérapie adéquate était administrée dans
l’heure suivant le début de l’hypotension artérielle [25]. Dans cette étude,
les auteurs montraient une augmentation croissante de la mortalité de
7,6 % pour chaque heure de retard thérapeutique. Puskarich obtenait
des résultats identiques avec une diminution de la mortalité parmi les
patients admis aux urgences pour choc septique, lorsque l’antibiothérapie
était délivrée dès l’apparition des signes de choc [26]. Les sociétés savantes
recommandent désormais un traitement antibiotique précoce lors de la
prise en charge des pneumonies communautaires sévères. En 2005, L’Eu-
ropean Respiratory Society préconisait de débuter le traitement antibio-
tique dans les deux heures suivant l’hospitalisation et dans l’heure suivant
Pneumonies communautaires graves 175

l’admission pour les patients nécessitant la réanimation [27]. La Société


de pathologie infectieuse de langue française recommandait de débuter
l’antibiothérapie avant les 4 heures suivant l’admission des patients en
unité de soins intensifs ou en réanimation [12]. Ainsi, s’il semble difficile
d’établir une barrière horaire pour instaurer une antibiothérapie, il appa-
raît hautement souhaitable de la débuter dès que le diagnostic clinique
de pneumonie communautaire sévère est établi, une fois les prélèvements
bactériologiques effectués. L’antibiothérapie est donc empiriquement ins-
taurée sans attendre un diagnostic bactériologique, de présomption ou de
certitude, aussi rapides que soient les nouvelles méthodes utilisées ;
– l’antibiothérapie doit être appropriée. Cela nécessite de connaître les
pathogènes responsables de pneumonies communautaires sévères et
d’évaluer le terrain sous-jacent associé. Dans tous les cas, l’antibiothérapie
doit être active sur le pneumocoque et Legionella pneumophila. Pour cela,
l’ensemble des recommandations récemment publiées proposent ainsi
d’associer une bêtalactamine antipneumococcique à un macrolide ou une
fluoroquinolone [4, 12]. Cette association a également pour intérêt d’être
active sur les staphylocoques et bacilles à Gram négatif « communau-
taires » pouvant également être à l’origine de pneumonies sévères. La voie
parentérale doit être employée de manière impérative pour leur admi-
nistration. La bêtalactamine utilisée est une céphalosporine de troisième
génération (céfotaxime ou ceftriaxone). En effet si, à ce jour, il existe une
diminution de la sensibilité du pneumocoque à la pénicilline, il n’y a pas
de résistance clinique du pneumocoque aux posologies utilisées pour le
céfotaxime (1 à 2 g × 3/j) ou la ceftriaxone (1 à 2 g/j). L’utilisation d’un
macrolide (clarithromycine 500 mg × 2/j ou spiramycine 1,5 MU × 3/j)
ou d’une fluoroquinolone (lévofloxacine 500 mg × 2/j), en association à
la bêtalactamine, est laissée au libre choix du prescripteur. En effet, les
différentes guidelines citées recommandent leur utilisation sans réelle
distinction [4, 12]. Aucune étude randomisée n’a montré la supériorité
de l’une ou l’autre de ces deux molécules en termes de mortalité. Toute-
fois, il faut savoir que des avantages et des inconvénients plaident pour
ou contre l’utilisation de chacune d’entre elles. Les nouvelles fluoroqui-
nolones (lévofloxacine) ont une activité antipneumococcique, mais ont
probablement pour inconvénient de sélectionner des bactéries multirésis-
tantes lorsqu’elles sont utilisées largement. Les macrolides possèdent eux
une activité anti-inflammatoire qui pourrait réguler avantageusement le
sepsis, mais ont une efficacité moindre sur Legionella pneumophila que ce
soit in vitro ou sur les modèles animaux.
Au final, si la recommandation d’un antibiotique plutôt qu’un autre est
toujours difficile à apporter, plusieurs études ont montré l’efficacité en
termes de mortalité d’une biantibiothérapie, et plus particulièrement chez
les patients présentant une pneumonie sévère à pneumocoque. Waterer a
montré qu’une monothérapie, même adéquate, administrée à des patients
atteints de pneumonie à pneumocoque avec bactériémie était un facteur
indépendant de mortalité [28]. Ceci était d’autant plus marqué que la
pneumonie était sévère. Baddour a publié un travail prospectif et obser-
176 Infectiologie en réanimation

vationnel étudiant les patients atteints de bactériémies à pneumocoque,


11 et a montré également que la mortalité était plus élevée lorsqu’un seul
antibiotique était prescrit [29]. Martinez rapporte des résultats identiques
avec une population étudiée comparable [30]. Ces trois études compa-
raient principalement l’administration d’une bêtalactamine seule à un
traitement associant une bêtalactamine et un macrolide. Les hypothèses
avancées pour expliquer le bénéfice de la bithérapie étaient, outre l’effet
anti-inflammatoire des macrolides, leur activité sur les bactéries intracel-
lulaires en cas de co-infection, plutôt qu’une activité antipneumococcique
propre du macrolide utilisé. Toutefois l’intérêt d’une vraie bithérapie
antipneumococcique (deux molécules actives sur le pneumocoque) mérite
d’être soulevé. Notre équipe a montré que l’association d’une bêtalacta-
mine à une fluoroquinolone antipneumococcique (lévofloxacine) avait
une supériorité clinique sur l’association d’une bêtalactamine identique à
une fluoroquinolone de deuxième génération (ofloxacine) dans la prise en
charge des pneumonies à pneumocoque nécessitant une hospitalisation
en réanimation [31]. La lévofloxacine ayant une action bactéricide sur
le pneumocoque, il est ainsi permis de penser qu’une « vraie » bithérapie
pourrait avoir un effet bénéfique chez ces patients. Cette hypothèse se
trouve renforcée par les travaux récents de Drago montrant que la syner-
gie d’une association lévofloxacine bêtalactamine était supérieure, in vitro,
à l’association macrolide bêtalactamine, sur des souches de pneumocoque,
indépendamment de leur sensibilité à la pénicilline [32].
Certaines situations cliniques font recommander l’utilisation dans le
schéma thérapeutique initial d’une bêtalactamine anti-Pseudomonas
(ticarcilline/tazobactam, céfépime, imipénème, molécules ayant toutes
par ailleurs une activité antipneumococcique) à la place d’une bêtalacta-
mine antipneumococcique [4, 12]. Cette recommandation concerne les
patients BPCO sévères, porteurs de dilatation des bronches, hospitalisés
fréquemment (plus de quatre fois par an) ou récemment (dans les trois
mois précédents). Pour ces patients, dans l’attente des résultats micro-
biologiques définitifs, la lévofloxacine ou un macrolide doivent donc être
associés initialement à la molécule active sur P. aeruginosa.
La sévérité rapidement progressive de certaines formes cliniques, associée
à des signes radiologiques évocateurs (abcès pulmonaires, épanchements
pleuraux), chez de jeunes adultes sans antécédents particuliers, doit faire
évoquer une pneumonie staphylococcique liée à une souche sécrétant la
leucocidine de Panton-Valentine. Ces pneumonies, souvent associées à
une détresse respiratoire, une leucopénie et des hémoptysies, s’accompa-
gnent d’une mortalité lourde avoisinant les 70 %. Le décès est souvent
rapide, survenant en moins de 5 jours. Même si ces pneumonies demeu-
rent encore très peu fréquentes, il convient, devant un tel tableau clinique
gravissime, d’associer le linézolide à l’association antibiotique probabiliste
habituelle. En effet, le linézolide a une action antitoxinique propre, acti-
vité indispensable pour obtenir la guérison de ces patients.
Quelle que soit la bithérapie probabiliste choisie, la réévaluation clinique
associée à la désescalade thérapeutique, si elle est possible, est impéra-
Pneumonies communautaires graves 177

tive après 48-72 heures de traitement. À cet effet, il convient d’analyser


les données bactériologiques rendues à cette période. Le macrolide ou la
fluoroquinolone utilisés peuvent être arrêtés si l’antigénurie légionelle
demeure négative, en l’absence d’arguments cliniques, biologiques et épi-
démiologiques évocateurs de légionellose. Dans cette situation, la bêtalac-
tamine doit être au moins poursuivie durant 10 jours. Il est par ailleurs
souhaitable de relayer la céphalosporine de troisième génération ou la
bêtalactamine anti-Pseudomonas par une pénicilline à spectre plus étroit si
cela est possible au vu de la documentation microbiologique. Une durée
d’antibiothérapie totale de 14 jours peut être proposée dans les situations
où l’amélioration clinique aura été longue à obtenir malgré une antibio-
thérapie adaptée. En présence d’une légionellose confirmée, il convient
non seulement de stopper le traitement par la bêtalactamine mais aussi
de réaliser pendant 5 jours une bithérapie associant un macrolide par voie
intraveineuse (spiramycine 3 MU × 3/j ou érythromycine 1 g × 3 à 4/j) et
la lévofloxacine, même si le bénéfice de la bithérapie n’a pas été démontré.
La durée totale du traitement d’une légionellose sera de 3 semaines.

Pronostic des pneumonies communautaires graves

Malgré les progrès des techniques de réanimation, la mortalité des


patients présentant une pneumonie communautaire grave ne s’est pas
modifiée au cours des deux dernières décennies. Elle demeure comprise
entre 25 et 35 % [33-36].
De nombreux facteurs de risque indépendants de mortalité ont été iden-
tifiés. Leur nature démontre que le pronostic de ces pneumonies dépend
à la fois de l’état de santé sous-jacent du patient (âge, comorbidités, statut
immunitaire et fonctionnel), de la sévérité initiale de l’infection (SAPS II
ou APACHE II élevés, PaO2/FiO2 bas, état de choc, recours à la ven-
tilation mécanique, bactériémie, insuffisance rénale aiguë, thrombopé-
nie, atteinte pulmonaire bilatérale ou multilobaire), du pathogène causal
(P. aeruginosa) et de l’évolution au cours du séjour en réanimation (anti-
biothérapie inefficace ou non conforme aux recommandations, survenue
de complications ou de défaillances viscérales liées ou non liées à la pneu-
monie, élévation de la procalcitonine entre j1 et j3) [33, 35-42].
Ces données, tout en mettant en exergue le rôle pronostique du terrain et
de la présentation initiale, soulignent l’importance majeure de l’intervention
médicale. Les patients ne présentant pas de signes de gravité initiale lors de
leur admission hospitalière mais susceptibles de s’aggraver secondairement
devront être dépistés et étroitement surveillés afin d’éviter une admission tar-
dive en milieu de réanimation, toujours délétère [42]. L’antibiothérapie devra
être administrée le plus précocement possible [33]. Elle devra être conforme
aux recommandations [36]. Enfin, une prise en charge globale du patient
avec prévention et traitement appropriés des décompensations ou complica-
tions inhérentes à un séjour en réanimation s’imposera toujours [43].
178 Infectiologie en réanimation

11 Scores prédictifs de l’évolution

Plusieurs scores spécifiquement élaborés pour les patients présentant


une pneumonie communautaire permettent de prédire le pronostic dès
l’admission hospitalière. Il s’agit du Pneumonia Severity Index (PSI) et des
scores de la British Thoracic Society.
Le PSI, publié en 1997 par Fine [2], comporte cinq classes de risque
croissant de mortalité. La classe I correspond aux patients de moins
de 50 ans, sans antécédent notable (néoplasie, insuffisance cardiaque
congestive, pathologies rénale, hépatique ou neurologique chroniques)
et sans altération majeure des paramètres vitaux (conscience, fréquences
cardiaque et respiratoire, température, tension artérielle). Les patients
n’ayant pas ces caractéristiques sont classés par l’intermédiaire de dix-
neuf paramètres cliniques et paracliniques simples, recueillis à l’admis-
sion. Ces paramètres et les points attribués à chacun d’entre eux sont
résumés dans le tableau II. La simple addition des points permet d’ob-
tenir un score. Selon sa valeur, le patient est admis dans l’une des quatre
classes suivantes : classe II = score ≤ 70 points, classe III = score entre 71
et 90 points, classe IV = score entre 91 et 130 points et classe V = score
> 130 points. Dans son étude princeps, Fine a montré que la mortalité
était croissante selon la classe de risque [2]. Ainsi, dans la cohorte de
validation incluant 38 039 patients, la mortalité était respectivement de
0,1 % dans la classe I, 0,6 % dans la classe II, 2,8 % dans la classe III,
8,2 % dans la classe IV et 29,2 % dans la classe V.
Tableau II – Éléments permettant le calcul du Pneumonia Severity Index (d’après [2]).

Paramètres Points
Facteurs démographiques
Âge
– Hommes Âge en années
– Femmes Âge en années - 10
Vie en institution + 10
Comorbidités
Maladie néoplasique + 30
Maladie hépatique + 20
Insuffisance cardiaque congestive + 10
Maladie cérébrovasculaire + 10
Maladie rénale + 10
Données de l’examen physique
Atteinte des fonctions supérieures + 20
Fréquence respiratoire > 30/min + 20
TA systolique < 90 mmHg + 20
T°< 36 °C ou > 40 °C + 15
Fréquence cardiaque ≥ 125/min + 10
Pneumonies communautaires graves 179

Paramètres Points
Données radiologiques et biologiques
pH artériel < 7,35 + 30
Urée ≥ 0,3 g/L + 20
Na < 130 mEq/L + 20
Hématocrite < 30 % + 10
PaO2 < 60 mmHg + 10
Épanchement pleural + 10

La British Thoracic Society a élaboré deux scores très voisins. Il s’agit des scores
CURB 65 et CRB 65, acronymes de Confusion, Urea, Respiratory rate et Blood
pressure, le chiffre 65 correspondant à l’âge de 65 ans [44, 45]. À chaque
paramètre est attribuée une valeur de 0 ou 1 selon l’absence ou la présence
d’une confusion mentale, d’une urée sanguine > 7 mmol/L, d’une polypnée
≥ 30 cycles/min, d’une hypotension artérielle systolique < 90 mmHg ou dias-
tolique ≤ 60 mmHg et d’un âge ≥ 65 ans. Ces deux scores obtenus par addi-
tion des valeurs varient ainsi respectivement entre 0 et 5 et 0 et 4.
Une étude multicentrique d’Aujeski portant sur 3181 patients a montré
que le PSI, le CURB 65 et le CRB 65 permettaient de prédire le pronos-
tic avec des sensibilités et des spécificités équivalentes [46]. Les taux de
mortalité selon les valeurs des scores sont rapportés dans le tableau III.
Ces trois scores ont été largement validés par de nombreuses études, ce
qui souligne leur fiabilité et leur intérêt. Toutefois, leur utilisation pour
les patients ayant une forme sévère de pneumonie apparaît potentielle-
ment limitée. En effet, il s’agit de scores généraux s’adressant à l’ensemble
des patients souffrant de pneumonie communautaire. De plus, ils ont
été essentiellement élaborés pour guider le clinicien dans l’orientation des
patients depuis leur domicile ou depuis le service des urgences.
Tableau III – Comparaison des taux de mortalité des pneumonies communautaires
selon les scores PSI, CURB 65 et CRB 65 (d’après [46]).

PSI CURB 65 CRB 65


Scores Mortalité Scores Mortalité Scores Mortalité
I 0,3 % (2/686) 0 0,6 % (6/1051) 0 1,7 % (28/1635)
II 0,4 % (3/774) 1 3,0 % (27/901) 1 4,7 % (49/1035)
III 3,8 % (26/692) 2 6,1 % (47/775) 2 12 % (53/431)
IV 8,1 % (67/829) 3 13 % (51/383) 3 16 % (12/73)
V 24 % (47/200) 4 17 % (11/64) 4 43 % (3/7)
5 43 % (3/7)

Les scores spécifiquement construits pour les patients de réanimation sont


moins nombreux et peut-être moins robustes. Ils n’ont pas, en effet, fait
l’objet d’une validation à grande échelle. Nous citerons un score élaboré
180 Infectiologie en réanimation

et validé par notre équipe dans le cadre de deux études multicentriques


11 réalisées dans le Nord-Pas-de-Calais [43, 47]. À partir de six paramètres
recueillis à l’entrée, un score initial de risque est calculé. Il permet le clas-
sement du patient dans l’une ou l’autre des trois catégories de risque de
décès (faible, normal, élevé). Un score d’ajustement est ensuite établi selon
la survenue d’éventuelles complications évolutives. Il permet d’ajuster le
pronostic final du patient quelle que soit la catégorie de risque initiale.
Bien que complexe, l’algorithme basé sur deux scores successifs montre
que même si le pronostic peut être prédit dès l’entrée du patient, la mor-
talité finale est étroitement dépendante de l’évolution en cours d’hospita-
lisation. Il souligne ainsi que la prévention des complications évolutives
est au moins aussi importante que la prise en charge initiale. Le second
score spécifique que nous citerons est celui élaboré par Rello dans le cadre
du réseau espagnol CAPUCI regroupant les données de 33 services de réa-
nimation [48]. À partir du concept PIRO, acronyme de Prédispositions,
Insulte, Réponse et dysfonction d’Organe, les auteurs ont identifié huit
variables auxquelles a été attribuée une valeur de 0 ou 1 selon leur absence
ou leur présence. Ces variables sont les suivantes : comorbidités telles que
bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO) ou immunodé-
pression, âge > 70 ans, atteinte radiologique multilobaire, choc, PaO2/
FiO2 < 300 mmHg, insuffisance rénale aiguë, bactériémie et SDRA. Par
addition, un score est obtenu. Les auteurs ont retrouvé des valeurs de
mortalité de 0 %, 3,4 %, 5,5 %, 13 %, 43 %, 70,7 %, 83,9 % et 100 %
pour des scores allant de 0 à 7 (p < 0,001).

Place des biomarqueurs dans la prise en charge des pneumonies


communautaires graves

La place des biomarqueurs dans l’aide au diagnostic et pour l’évalua-


tion du pronostic des pneumonies communautaires est grandissante. Le
manque de spécificité des marqueurs « historiques » tels que le taux de
globules blancs et la protéine C réactive (CRP) a motivé la recherche de
nouveaux marqueurs.
La sécrétion de CRP débute 6 heures après stimulation et double toutes
les 8 heures pour atteindre un maximum à la 48e heure. Le principal
écueil réside dans la stimulation de la sécrétion de CRP par l’infection,
mais aussi par l’inflammation. Son dosage peut donc être relativement
élevé sans toutefois qu’il y ait de syndrome infectieux en cours. Les taux
sont plus élevés en cas de pneumonie à légionnelle et à pneumocoque,
en cas de bactériémie associée et en fonction du degré de sévérité de la
pneumonie [49]. Le suivi de son dosage permet d’évaluer l’efficacité du
traitement.
Le meilleur marqueur actuellement disponible en pratique quotidienne
est la procalcitonine (PCT), aussi bien en termes de diagnostic que de
Pneumonies communautaires graves 181

pronostic. Il s’agit d’une protéine synthétisée en majorité par les cellules C


de la thyroïde, mais aussi par d’autres cellules comme les hépatocytes et
les monocytes. Elle est le précurseur de la calcitonine. Elle bénéficie par
rapport à la CRP d’une plus grande spécificité pour le diagnostic des
infections bactériennes [50] ; sa sécrétion plus rapide permet un diagnos-
tic plus précoce et sa demi-vie plus courte (24 heures) l’évaluation pré-
coce de la réponse au traitement. L’étude BACH a encore très récemment
démontré son utilité dans le diagnostic de pneumonie chez des patients
présentant une détresse respiratoire aiguë [51]. De plus, le taux de PCT
ainsi que l’évolution de ce taux sont en relation avec la gravité de la patho-
logie [40]. Ces propriétés font que la prescription d’une antibiothérapie
n’est pas recommandée si le dosage est < 0,1 pg/mL sous réserve d’une
surveillance clinicobiologique. En revanche, un dosage élevé (> 0,5 pg/
mL) est lui fort suspect d’infection bactérienne, mais doit être interprété
en fonction du contexte clinique. En effet, il peut être simplement le reflet
de la gravité de la pathologie sans qu’il y ait d’infection bactérienne asso-
ciée (par exemple : choc autre que septique, situation post-traumatique
ou postopératoire…). Ainsi, il a été démontré que la PCT était plus un
marqueur du diagnostic dans les pneumonies peu graves (PSI I et II) et un
marqueur du pronostic pour les classes III à V [52]. Ce dosage ne doit pas
se substituer à celui de la CRP, qui peut être élevée dans les pneumonies
localisées sans défaillance d’organe associée quand la PCT peut être basse.
Il a également été démontré que la rentabilité diagnostique et pronostique
était nettement améliorée, en associant le dosage de la PCT aux scores
de gravité PSI et CURB 65 [53]. Enfin, les études cliniques randomisées
ont démontré que le dosage de la PCT permettait une diminution de la
prescription d’antibiotique de 83 à 44 % dans les infections respiratoires
basses [54]. De plus, le développement de la PCT-guided therapy permet
une diminution de la durée de traitement antibiotique de 13 à 6 jours
basée sur l’évolution de ce dosage [55]. Il faut toutefois noter que très peu
de patients dans ces études étaient hospitalisés en réanimation, ces résul-
tats ne sont donc pas extrapolables aux cas de pneumonies les plus graves.
Le soluble triggering receptor expressed on myeloid cells-1 (sTREM-1) appar-
tient à la superfamille des immunoglobulines et est exprimé à la surface
des neutrophiles, monocytes et macrophages lors d’un processus infec-
tieux et non inflammatoire. Le dosage existe dans le plasma et dans les
sécrétions bronchiques (par lavage bronchoalvéolaire ou par recueil du
liquide de condensation dans la ligne expiratoire chez le patient intubé).
Son taux est augmenté en cas de pneumonie communautaire et est éga-
lement un facteur de risque indépendant de mortalité. Toutefois, son
dosage seul n’est pas recommandé à ce jour pour poser le diagnostic de
pneumonie, mais il peut être utilisé en complément des autres examens.
D’autres marqueurs ont fait l’objet de récentes recherches (copeptine, mid
regional proatrial natriuretic peptide (MR-proANP), cortisol, proendothé-
line-1, mid regional proadrénomodulline (MR-proADM)…), mais à visée
exclusivement pronostique. Ils ne sont pas encore disponibles en pratique
quotidienne. Le dosage de la MR-proADM semble le plus prometteur.
182 Infectiologie en réanimation

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Grippe sévère
12
N. BRÉCHOT, C.-E. LUYT, J.-L. TROUILLET, J. CHASTRE, A. COMBES

Généralités

Les virus de la grippe (Myxovirus influenzae) sont des virus à ARN, ap-
partenant au genre des Influenzavirus. Ils sont classés en trois groupes :
A, B et C, suivant l’antigénicité de leurs nucléoprotéines. Les virus des
groupes A et B, possédant une structure proche, sont recouverts de deux
glycoprotéines de surface, l’hémagglutinine (H) et la neuraminidase (N).
L’hémagglutinine, très immunogène, est impliquée dans la fixation du vi-
rus sur l’arbre bronchique, tandis que la neuraminidase est responsable de
la dissémination du virus, en libérant les particules virales néoformées. Les
virus de type A possèdent différentes présentations antigéniques, et sont
classés selon leurs protéines de surface H et N [1]. Au cours du dernier
siècle, les épidémies de grippe chez l’homme ont été causées par des virus
de types A (H1N1 et H3N2 principalement) et B, en proportions variables
suivant les années [2, 3]. Le virus pandémique A H1N1 apparu en 1918
a été responsable de la pandémie la plus sévère, avec plusieurs dizaines de
millions de décès induits dans les 3 années suivantes [2]. Le virus C n’est lui
responsable que de cas sporadiques d’expression le plus souvent modérée.
Ces virus grippaux ont une forte propension au réassortiment géné-
tique, responsable de phénomènes de glissement antigénique (mutations
de gènes entraînant des mutations mineures du virus) ou des cassures
antigéniques (réassortiment de gènes entraînant des modifications plus
importantes). Les glissements antigéniques rendent compte des variations
saisonnières du virus de la grippe, tandis que les cassures antigéniques
N. Bréchot, C.-E. Luyt, J.-L. Trouillet, J. Chastre, A. Combes
Service de réanimation médicale
iCAN, Institute of Cardiometabolism and Nutrition
Institut de Cardiologie, Groupe Hospitalier Pitié-Salpêtrière
Université Pierre et Marie Curie – Paris 6
47 boulevard de l’Hôpital
75651 Paris cedex 13
E-mail : [email protected]
Sous la direction de Pierre Charbonneau et Michel Wolff, Infectiologie en réanimation.
ISBN : 978-2-8178-0388-3, © Springer-Verlag Paris 2013
185
186 Infectiologie en réanimation

rendent compte de l’apparition occasionnelle de virus pandémiques.


12 Les dernières années ont ainsi été marquées, au-delà des épidémies sai-
sonnières récurrentes, par l’apparition de deux variants antigéniques
notables : le virus A H1N1pdm09, variant du virus A H1N1 saisonnier,
responsable d’une pandémie mondiale durant l’hiver 2009-2010, et le
virus A H5N1.

Épidémiologie et présentation clinique de la grippe sévère

Les formes sévères de grippe saisonnière


La grippe saisonnière touche entre 700 000 et 4 500 000 personnes
par an en France. La période d’incubation est courte, de 1,5 à 3 jours,
pouvant aller jusqu’à 7 jours. Le taux d’hospitalisation est de 0,3 %
sur les dix dernières années, et le nombre d’admissions en réanimation
pour des grippes confirmées virologiquement entre 90 et 360 par an en
France [3]. La mortalité attribuable à la grippe reste cependant difficile
à chiffrer, les virus n’étant pas systématiquement recherchés. Les formes
sévères de grippe sont essentiellement dues aux décompensations d’insuf-
fisance respiratoire chronique ou d’asthme et aux surinfections pulmo-
naires bactériennes, alors que les atteintes spécifiques (pneumonies virales
et atteinte extrapulmonaire avec parfois syndrome de défaillance multi-
viscérale) sont plus rares [4, 5]. Les études épidémiologiques rapportent
une mortalité spécifique liée aux virus saisonniers d’environ 2500 cas/an
en France, et 6250 cas/an aux États-Unis [4-6]. Les populations à risque
sont essentiellement les âges extrêmes de la vie, < 1 an et > 65 ans, ces der-
niers représentant 90 % des décès, et les patients possédant des comorbi-
dités lourdes (insuffisance respiratoire chronique, insuffisance cardiaque
et pathologies cérébrovasculaires [4, 5]). Les patients immunodéprimés,
en particulier transplantés de moelle osseuse ou d’organe solide, sont
également particulièrement à risque de développer des formes sévères.
Environ deux tiers des transplantés de moelle osseuse développent une
pneumonie virale sévère en cas d’infection, avec une mortalité de l’ordre
de 50 % [7]. Sur le plan virologique, les formes graves et/ou compliquées
sont plus fréquemment l’apanage du sérotype H3N2, avec une mortalité
trois à six fois supérieure pour les saisons dominées par ce sérotype que
pour celles dominées par les sérotypes B ou H1N1 saisonnier (4).

Décompensation de pathologies pulmonaires chroniques


Les atteintes virales des voies aériennes supérieures sont un facteur
important de décompensation de BPCO et d’asthme [8]. Parmi ces
virus, les virus Influenza A seraient impliqués dans environ 25 % des
épisodes, derrière les picornavirus (environ un tiers des épisodes), et
devant le virus respiratoire syncytial (environ un cinquième des épi-
Grippe sévère 187

sodes) [8]. Dans l’asthme, la proportion de décompensations attri-


buables aux virus Influenza est en revanche plus faible, moins d’un cas
sur 10, chez l’enfant comme chez l’adulte, loin derrière les picornavirus
et les rhinovirus.

Surinfections pulmonaires
Les surinfections pulmonaires sont fréquentes au cours de la grippe
et responsables de la majorité des évolutions défavorables [5, 9, 10]. En-
viron 8 % des patients hospitalisés pour une grippe ont également une
surinfection bactérienne bronchopulmonaire, avec un taux d’admission
en réanimation de 15 % et de décès de 8 %. Les germes les plus fré-
quemment mis en cause sont le pneumocoque, Haemophilus influenzae,
le staphylocoque doré méthicilline sensible, Moraxella catarrhalis [10]
et parfois Chlamydia pneumoniae et Legionella pneumophila [12, 13].
Certaines souches de staphylocoques dorés porteurs du gène de la leu-
cocidine Panton-Valentine sont responsables de pneumonie nécrosante
associée à une mortalité pouvant excéder 30 % [11]. Enfin, plusieurs cas
d’aspergillose bronchopulmonaire invasive ont été décrits dans les suites
d’une pneumonie grippale chez des patients sans antécédents et immu-
nocompétents [14].

Pneumonies virales sévères


On estime que 10 à 40 % des pneumonies communautaires sont d’ori-
gine virale, les virus Influenza et rhinovirus étant les plus fréquemment mis
en évidence [15]. Bien que les formes pulmonaires graves soient le plus
souvent liées à une surinfection bactérienne dans le cas des virus saison-
niers, certaines pneumonies grippales peuvent évoluer vers un syndrome
de détresse respiratoire aigu nécessitant l’initiation d’une ventilation méca-
nique [15]. Plusieurs cas d’évolutions postinfectieuses défavorables à type
de bronchiolite oblitérante, particulièrement chez les patients transplantés
pulmonaires, ou de fibrose pulmonaire idiopathique ont également été dé-
crits dans les suites de pneumonies grippales [16, 17].

Atteintes extrapulmonaires
Les atteintes extrapulmonaires sont fréquentes au cours de la grippe,
mais souvent infracliniques. Si près de la moitié des patients présentent
des modifications électrocardiographiques, l’évolution vers une réelle myo-
cardite et/ou péricardite reste un événement rare [18]. L’existence d’une
myosite est fréquente, le plus souvent quelques jours après l’atteinte respi-
ratoire et d’évolution spontanément favorable [18]. Très rarement l’atteinte
musculaire peut évoluer vers une rhabdomyolyse massive [19]. Les atteintes
neurologiques liées au virus sont plus fréquentes chez l’enfant, mais peu-
vent se voir également chez l’adulte [20]. Après la méningite aseptique,
courante et d’évolution favorable, les plus fréquentes sont les encéphalites
et les encéphalopathies. Les symptômes débutent en général quelques jours
188 Infectiologie en réanimation

à une semaine après les signes généraux. L’atteinte est aspécifique et peut se
12 manifester par une altération de la conscience, des convulsions, voire des
signes neurologiques focaux comme une parésie, une aphasie, une atteinte
des paires crâniennes ou des mouvements choréoathétosiques. Le pronostic
global est mauvais, avec une mortalité d’environ 30 % et un risque im-
portant de séquelles [20]. L’encéphalite aiguë nécrosante associée aux virus
Influenza est une forme fulminante très souvent fatale : les lésions associent
très rapidement une atteinte multifocale souvent bithalamique, périven-
triculaire et cérébelleuse, à un important œdème cérébral. Le syndrome
de Reye, quasiment exclusivement décrit chez l’enfant, associe quant à lui
une encéphalopathie non inflammatoire à une atteinte hépatique d’origine
mitochondriale, éventuellement favorisée par la prise d’aspirine. Des cas
de myélite et de manifestations auto-immunes postinfectieuses de type
Guillain-Barré ont été décrits, mais restent exceptionnels [20]. Enfin, dans
les formes les plus graves de la maladie, on peut observer un syndrome
de défaillance multiviscérale associant un SDRA, une encéphalite, une
rhabdomyolyse et une insuffisance rénale aiguë anurique, une myocardite
avec défaillance hémodynamique, et une CIVD. Le pronostic est alors très
sombre, avec une mortalité de l’ordre de 70 % [21].

Les formes sévères d’infection virale A H5N1


Ce virus aviaire est extrêmement pathogène pour l’homme, mais à
ce jour la transmission à l’homme est restée occasionnelle et selon un
mode essentiellement interespèces, seuls quelques cas de transmission
interhumaine ayant été décrits [22]. Le nombre de cas rapportés par la
World Health Organization est d’environ 500 depuis 2003. Les personnes
contaminées sont surtout des adultes sains, travaillant en contact avec des
oiseaux dans des zones touchées par la panzootie aviaire (Asie, Moyen-
Orient, Afrique, Europe du Nord) [15, 22]. Le tableau est celui d’une
grippe maligne, évoluant rapidement vers un SDRA fulminant et une
défaillance multiviscérale [15]. Les examens anatomopathologiques de
patients décédés d’infection par le virus H5N1 confirment une atteinte
respiratoire très sévère, en rapport avec des lésions de dommage alvéolaire
diffus, d’infiltrats lymphoplasmocytaires, de bronchiolite et d’hémorra-
gie intra-alvéolaire [22]. La mortalité est très importante, de l’ordre de
60 % [15]. Le risque majeur lié à ce virus est son acquisition éventuelle de
la capacité de transmission interhumaine, faisant craindre une pandémie
aux conséquences redoutables [23, 24].

Les formes sévères d’infection virale A H1N1 pandémique 09


(pH1N1)
L’année 2009 a été marquée par la survenue d’une pandémie mon-
diale, liée à la dissémination d’un virus A H1N1 descendant de la souche
Grippe sévère 189

H1N1 de 1918 [2]. Détectée initialement en Californie, l’épidémie s’est


développée au Mexique, aux États-Unis et au Canada avant de s’étendre à
l’ensemble de la planète, réalisant la première pandémie mondiale depuis
1968 [15, 25]. Si la mortalité globale est restée faible, estimée à environ
0,5 % [25], l’originalité de cette pandémie a résidé dans la survenue de
cas particulièrement graves, essentiellement respiratoires, chez des pa-
tients jeunes et sans comorbidité.
L’incidence de la maladie a été importante en France, avec entre 7 et
14 millions de personnes infectées, soit 10 à 20 % de la population
métropolitaine. Parmi elles, 1334 ont développé une forme grave néces-
sitant une hospitalisation en réanimation (chiffre vingt fois supérieur
aux années précédentes), et 264 sont décédées [26-, 27]. Aux États-
Unis, on estime que 59 millions de personnes ont été infectées, et
265 000 hospitalisations et 12 000 décès ont été observés [25]. Les
facteurs de risque de formes graves ont été l’âge < 1 an, l’obésité, les
pathologies respiratoires chroniques (asthme/BPCO), le terrain immu-
nodéprimé, la grossesse et les maladies cardiovasculaires, présents chez
70 à 80 % des patients hospitalisés en réanimation [27-32]. Le taba-
gisme, le diabète, l’insuffisance rénale chronique, les hémoglobino-
pathies et la cirrhose ont également été des facteurs de risque, à un
moindre degré [25]. Fait important, près d’un tiers des patients pré-
sentant une forme grave n’avaient pas de facteur de risque particulier,
et étaient très jeunes [25, 27-32]. L’âge moyen des patients admis en
réanimation était compris entre 29 et 40 ans suivant les études [27],
et environ 90 % des décès sont survenus chez des patients de moins
de 65 ans [25, 33]. La relative protection des personnes les plus âgées
a été probablement liée à une immunisation croisée protectrice avec
d’anciens virus grippaux circulant avant 1950 [25, 34].
Les patients hospitalisés en réanimation pour insuffisance respiratoire
aiguë ont nécessité l’intubation dans environ 70 % des cas, en moyenne
24 heures après l’admission, et 60 % ont développé un SDRA d’évo-
lution fulminante [28, 29]. Les autres motifs d’admission ont été la
décompensation de pathologies respiratoires chroniques (15 %) et la
décompensation d’autres comorbidités (15 à 20 %). Le délai médian
entre le début des symptômes et l’hospitalisation a varié entre 4 à 6 jours
suivant les études [28-32]. On estime qu’environ 25 % des patients
présentaient une co-infection bactérienne, avec une prévalence particu-
lière de Streptococcus pneumoniae et Staphylococcus aureus, en particulier
méthicilline résistant communautaire et porteur de la leucocidine de
Panton-Valentine [28, 29]. L’évolution vers une défaillance multivis-
cérale a été fréquente, avec un recours aux inotropes pour 50 % des
malades et la nécessité d’une épuration extrarénale dans 5 à 20 % des
cas. La durée de ventilation mécanique médiane a été de 8 à 15 jours, et
la durée médiane d’hospitalisation en réanimation de 12 jours. Au final,
la mortalité chez les patients admis en réanimation s’est située entre 15
et 40 % suivant les études, atteignant 60 % chez les patients présentant
un SDRA sévère [28-32].
190 Infectiologie en réanimation

Les suites de la pandémie 2009


12
La première saison grippale postpandémique (2010-2011) a été marquée
par une épidémie d’intensité modérée, bien inférieure à celle de la pandémie
de 2009. Le virus pandémique A H1N1 et le virus B saisonnier ont circulé
à part quasi égale. Les deux virus ont conservé une expression clinique in-
changée, marquée par des formes graves pulmonaires chez des patients jeunes
ayant peu de comorbidité pour le virus pH1N1, et la décompensation de
tares sous-jacentes chez des patients âgés pour le virus B [35].
L’épidémie de l’hiver 2011-2012 a été limitée (1,5 million de personnes
touchées en France), pour des raisons essentiellement climatiques, et a
été marquée par une forte augmentation de la proportion de virus B et la
quasi-disparition du virus pandémique A H1N1.

Méthodes diagnostiques de la grippe

L’utilisation des moyens diagnostiques de la grippe s’est considéra-


blement modifiée depuis 2009, pour faire face à la pandémie pH1N1.
La méthode de référence est la détection de l’ARN viral par RT-PCR à
partir de prélèvements respiratoires, avec une sensibilité et une spécificité
proches de 100 % par rapport à la culture cellulaire [25, 36]. L’échan-
tillon peut être un prélèvement nasal, ou mieux un prélèvement du pou-
mon profond ayant une meilleure sensibilité. En effet, les prélèvements
nasaux peuvent être négatifs chez 10 à 20 % des patients possédant une
réplication virale dans le poumon profond [8]. La RT-PCR des virus de la
grippe est maintenant intégrée dans des stratégies de PCR multiplex sur
prélèvements respiratoires, permettant la détection d’une quinzaine de
virus respiratoires avec une sensibilité et une spécificité excellentes [37].
Les tests rapides de détection antigénique et d’immunofluorescence n’ont
en revanche qu’une sensibilité très faible pour l’ensemble des virus de la
grippe, variant entre 25 et 50 %. Leur spécificité est en revanche bonne [38,
39]. Leur rôle, qui reste à définir, pourrait éventuellement consister en un
test de première ligne, à visée d’épargne de PCR. La culture cellulaire, qui
prend quelques jours, n’a pas d’intérêt diagnostique. Elle permet cependant
l’isolement des souches virales pour détecter de nouveaux mutants, per-
mettre la mise au point des vaccins, et détecter d’éventuelles résistances aux
antiviraux. Enfin la sérologie n’apporte qu’un diagnostic rétrospectif, sans
intérêt dans la pathologie aiguë [25].

Prise en charge de la grippe sévère

La vaccination antigrippale demeure la meilleure thérapeutique préven-


tive des formes sévères de grippe, tout particulièrement pour les popula-
Grippe sévère 191

tions à risque. Devant un cas déclaré, la prise en charge comprend des me-
sures d’isolement, l’initiation précoce d’un traitement antiviral et la prise en
charge symptomatique des différentes défaillances d’organes. Certains cas
particulièrement sévères nécessitent le recours à des techniques exception-
nelles de sauvetage, comme la ventilation mécanique en oscillation à haute
fréquence, ou la mise en place d’une assistance repiratoire extracorporelle
de type ECMO (extracorporeal membrane oxygenation).

La vaccination
En France, la vaccination consiste essentiellement en l’administration
intramusculaire d’un vaccin inactivé, les vaccins vivants atténués étant re-
commandés chez l’enfant. L’efficacité de la vaccination varie en fonction de
l’âge, de l’immunocompétence et du degré de concordance entre les virus
vaccinaux et les souches circulantes. L’efficacité vaccinale est variable suivant
les études, mais serait de l’ordre 59 % chez l’adulte de 18 à 64 ans selon une
méta-analyse récente, et de 42 % chez l’adulte de plus de 65 ans [40]. Le
vaccin est particulièrement utile pour prévenir les formes graves, avec une
efficacité de 72 % chez les séniors et de 80 % chez les patients de moins de
65 ans porteurs d’une maladie chronique [35]. Sur la base de ces données,
la vaccination est recommandée en France chez les personnes de plus de
65 ans, les personnes porteuses d’une comorbidité lourde, les femmes en-
ceintes au-delà du second trimestre, les personnes obèses, les professionnels
de santé et de l’industrie du voyage, et les sujets résidant en établissement
de moyen et long séjour et en hébergement médicosocial [41].
Il existe également une vaccination immunogène contre la souche A
H5N1, recommandée actuellement chez les personnes travaillant en
contact proche avec des oiseaux en zone de panzootie aviaire.

L’isolement
Les virus de la grippe sont particulièrement contagieux. Ainsi, les
études épidémiologiques lors de la pandémie de 2009 font état d’une
acquisition nosocomiale de l’infection chez environ 7 % des patients
graves [29]. De ce fait, tout patient suspect de grippe doit faire l’objet
d’un isolement respiratoire associé à un isolement de contact et à une
protection oculaire en cas de contact rapproché. Il a été démontré que
les masques chirurgicaux standard offrent une protection équivalente aux
masques à protection renforcée de type FFP2 [42].

Le traitement antiviral
Le traitement antiviral est efficace à titre de prophylaxie secondaire,
diminue le risque d’évolution vers une forme grave en cas d’infection
et diminue la mortalité chez les patients atteints de formes sévères [43,
192 Infectiologie en réanimation

44]. Les deux classes d’antiviraux disponibles actuellement sont les blo-
12 queurs du canal ionique M2, les amantadases, représentés par l’aman-
tadine (Mantadix®) et la rimantadine (Flumadine®), et les inhibiteurs de
neuraminidase, représentés par l’oseltamivir (Tamiflu®) et le zanamivir
(Relenza®).
Les bloqueurs du canal M2 ne sont plus recommandés actuellement
dans la prise en charge de la grippe, tant en traitement prophylactique
que curatif [25]. Ils ont en effet un spectre antiviral étroit, possèdent de
nombreux effets indésirables gastro-intestinaux et neurologiques et sont
inefficaces sur de nombreuses souches saisonnières [45]. Plusieurs inhibi-
teurs de neuraminidase sont actuellement en cours d’évaluation, comme
le peramivir et le laninamivir. L’intérêt potentiel d’une bithérapie, voire
d’une trithérapie associant un bloqueur de canal M2, un inhibiteur de
neuraminidase et la ribavirine, est également en cours d’évaluation [43].

Oseltamivir
L’oseltamivir est la molécule la plus utilisée actuellement. Seule la voie
orale est disponible actuellement, et la biodisponibilité est très bonne. La
distribution du produit se fait essentiellement dans l’arbre respiratoire,
très peu dans le système nerveux central. L’élimination se fait sous forme
inchangée dans les urines, avec une demi-vie de 6 à 10 heures [46]. Les
doses recommandées sont de 75 mg/j pendant 5 jours en prophylaxie
secondaire, de 75 mg × 2/j pendant 5 jours en cas de traitement curatif,
et de 150 mg × 2/j pendant 10 jours en cas de forme sévère [25]. Le
traitement est absorbé de façon satisfaisante par voie nasogastrique chez
les patients de réanimation [47]. Il existe une accumulation du méta-
bolite actif en cas d’insuffisance rénale, nécessitant une adaptation des
posologies chez les patients insuffisants rénaux [43, 48-50]. Les doses re-
commandées chez les patients insuffisants rénaux sont représentées dans
le tableau I. La tolérance du traitement est globalement bonne, les effets
indésirables les plus fréquemment rapportés étant des nausées/vomisse-
ments et des céphalées, spontanément résolutifs en quelques jours sous
traitement. À noter quelques cas de troubles neuropsychiques (convul-
sion, delirium, hallucinations voire troubles du comportement) décrits
chez l’enfant et l’adolescent, pour lesquels il a été difficile de faire la
part des choses entre un effet indésirable lié au traitement et une forme
encéphalitique de la maladie. Le spectre antiviral de la molécule est large,
incluant la majorité des virus A et B saisonniers, le virus H5N1 et le vi-
rus H1N1 pandémique [46, 51]. En particulier, l’acquisition de souches
résistantes sous oseltamivir a été un phénomène sporadique au cours de
la pandémie grippale en 2009. L’émergence de ces souches résistantes
est survenue dans la plupart des cas dans un contexte de prophylaxie ou
d’immunodépression [25]. En revanche, de nombreuses souches du virus
H1N1 saisonnier ont développé une résistance à l’oseltamivir, essentiel-
lement par mutation H275Y. L’utilisation de l’oseltamivir permet une
clairance efficace du virus [46].
Grippe sévère 193
Tableau I – Posologies recommandées d’oseltamivir dans le traitement curatif de l’infection
virale à virus Influenza (d’après [43, 48-50]).

Clairance de la Doses curatives Doses curatives


créatinine (mL/ forme non compliquée forme sévère
min)
> 30 75 mg × 2/j 150 mg × 2/j
10 à 30 75 mg/j ou 30 mg × 2/j* 75 mg × 2/j*
< 10 Pas de données, dose Pas de données, dose unique
unique de 75 mg de 150 mg, puis réinjection en
fonction du dosage sérique
Hémodialyse inter- 30 mg après chaque 30 mg après chaque dialyse*
mittente dialyse*
Hémofiltration Dose de charge de 150 mg puis
veinoveineuse 75 mg × 2/j, dosage obligatoire à
continue 48 heures
Dialyse péritonéale 30 mg/semaine
* Dosages sériques recommandés pour l’adaptation du traitement.

Prophylaxie secondaire
L’utilisation prophylactique d’oseltamivir à la dose de 75 mg/j a été
associée à une réduction de 89 % du risque de développer une maladie
symptomatique dans le cadre d’un essai randomisé conduit chez 377 pa-
tients exposés au virus [52]. Au cours de la grippe H1N1 pandémique,
la prophylaxie par oseltamivir a également été efficace, l’incidence d’une
grippe symptomatique passant de 6 à 0,6 % au sein d’une population de
1175 personnes exposées [53].

Traitement curatif
Au cours de la grippe saisonnière, le traitement par oseltamivir à une
posologie de 75 mg × 2/j pendant 5 jours a permis une diminution de
l’incidence des formes graves et de la consommation d’antibiotiques,
particulièrement dans les populations à risque de développer une forme
compliquée [54].
Dans les formes sévères de grippe saisonnière admises en réanimation, le
traitement a permis une réduction de plus de 70 % de la mortalité [55]. De
même, pour les formes graves de grippe A H1N1 pandémiques 2009 [32,
46] ou d’infection par le virus aviaire H5N1 [22, 56], l’utilisation d’osel-
tamivir a permis une diminution significative de la mortalité. Cependant,
l’efficacité du traitement n’est maximale qu’en cas d’administration très
précoce après le début des symptômes [55].
194 Infectiologie en réanimation

Zanamivir
12 Le zanamivir, un autre inhibiteur de neuraminidase, est beaucoup
moins utilisé que l’oseltamivir du fait d’une absence de biodisponibilité
par voie orale. La forme inhalée utilisée chez l’enfant en prévention se-
condaire est peu compatible avec la ventilation mécanique, car pouvant
entraîner des obstructions de filtres [57]. Cette molécule conserve en re-
vanche une efficacité sur les souches de virus A résistantes à l’oseltamivir,
notamment les souches mutées H275Y [45]. Ainsi, la forme intravei-
neuse de zanamivir a été utilisée avec succès au cours d’infections sévères
à virus H1N1 et H5N1 résistants à l’oseltamivir [58].

Recommandations pour le traitement antiviral


En dehors d’une situation de pandémie, un traitement par oseltamivir
est recommandé [25, 41, 59] :
– le plus précocement possible, à fortes doses (150 mg × 2/j) et de façon
prolongée (10 jours) en cas de forme sévère de grippe ;
– le plus précocement possible à la dose de 75 mg × 2/j pendant 5 jours en
cas de grippe survenant sur un terrain à risque de forme compliquée (âge
< 5 ans et > 65 ans, immunodépression, insuffisance cardiaque ou athé-
rosclérose, maladie pulmonaire chronique, cirrhose, insuffisance rénale,
immunodépression, grossesse quel que soit le trimestre, obésité morbide,
hémoglobinopathie ;
– en prophylaxie secondaire à une exposition, à la dose de 75 mg/j, chez
les patients à risque de développer une forme compliquée.

Corticothérapie
L’utilisation des corticoïdes au cours du SDRA est actuellement
controversée [60]. Spécifiquement, l’utilisation de corticoïdes chez les
patients atteints de formes sévères de grippe A H1N1 a été associée à une
mortalité accrue, à une durée de ventilation mécanique prolongée et à
un excès de pneumonies acquises sous ventilation mécanique [61, 62].
Au cours de l’infection par le virus H5N1, la mortalité est également
supérieure chez les patients ayant reçu des corticoïdes [22]. De ce fait,
l’utilisation de corticoïdes est actuellement déconseillée dans la prise en
charge des grippes sévères.

Prise en charge de l’insuffisance respiratoire aiguë liée à la


pneumonie grippale
Durant la pandémie grippale de l’hiver 2009-2010 liée au virus A
H1N1, certains malades ont développé des formes malignes de pneumo-
nie, tout particulièrement des sujets jeunes et sans antécédent [29, 31,
32], nécessitant l’hospitalisation dans des structures de réanimation et le
Grippe sévère 195

recours à la ventilation mécanique dans 60 à 80 % des cas [29, 63]. Les


formes les plus graves ont parfois nécessité le recours à des techniques de
sauvetage en cas d’hypoxémie réfractaire ou d’effondrement de la com-
pliance pulmonaire compromettant la poursuite de la ventilation méca-
nique conventionnelle.

La ventilation non invasive


La ventilation non invasive (VNI) a été utilisée chez 20 à 30 % des pa-
tients au cours des pneumonies grippales à pH1N1, mais a été un échec
pour environ 85 % d’entre eux [29]. Ceci est probablement lié à l’évo-
lution très rapide de l’atteinte pulmonaire au cours de la grippe maligne,
et invite à considérer l’utilisation de la VNI avec beaucoup de prudence
dans cette pathologie. Par ailleurs, la VNI aérosolise une quantité impor-
tante de gouttelettes provenant de l’arbre respiratoire du patient, et a été
un des facteurs de risque de la transmission nosocomiale de virus respira-
toires au cours d’autres épidémies [64].

Les thérapeutiques conventionnelles de sauvetage


Des thérapeutiques de sauvetage ont été mises en œuvre chez 20 à
40 % des patients intubés pour SDRA : monoxyde d’azote dans 10 à
30 % des cas, manœuvres de recrutement dans 10 à 40 % des cas et dé-
cubitus ventral pour 5 à 45 % des malades [28, 29, 31, 32, 61, 65-68].
La ventilation en oscillation à haute fréquence (HFO) a été utilisée essen-
tiellement chez l’enfant, mais également chez quelques adultes ayant une
atteinte particulièrement sévère [29, 32, 69].

Le recours à l’assistance respiratoire extracorporelle de type ECMO


Dans la dernière décennie, des progrès décisifs ont été réalisés dans
la conception et la fabrication des circuits d’ECMO, les rendant plus
biocompatibles, performants et endurants. Ainsi, un essai thérapeutique
randomisé (CESAR) réalisé au Royaume-Uni a montré une amélioration
significative du pronostic après l’implantation précoce d’une ECMO vei-
noveineuse chez les patients porteurs d’un SDRA sévère [70]. Dans ce
contexte, une ECMO de sauvetage a été mise en œuvre chez 4 à 12 %
des malades les plus sévères et devenus difficilement ventilables en raison
d’une pneumonie grippale A H1N1 (fig. 1) [63, 66-68, 71-72].
196 Infectiologie en réanimation

12

Fig. 1 – Radiographie thoracique d’une patiente de 18 ans ayant développé un SDRA sévère
compliquant une grippe A H1N1p2009 et ayant bénéficié de la mise en place d’une ECMO vei-
noveineuse (noter la présence des canules fémorale et jugulaire). L’évolution de la maladie a été
favorable et la malade a pu regagner son domicile après 2 mois d’hospitalisation.

Ainsi, la survie des 68 malades qui ont reçu une ECMO dans les centres
australiens et néozélandais [63] a été de 75 % malgré l’extrême sévérité de
l’atteinte pulmonaire initiale (PaO2/FiO2 à 56 mmHg, malgré des niveaux
de PEP médians à 18 cmH2O et un score de Murray médian de 3,8). Le
réseau ECMOnet assurant le transfert et la prise en charge des malades
les plus graves vers les 14 centres habilités à mettre en œuvre une ECMO
en Italie a rapporté une survie hospitalière de 68 % [67]. Dans cette série,
les malades recevant une ECMO dans les 7 jours suivant l’initiation de
la ventilation mécanique bénéficiaient du meilleur pronostic (survie hos-
pitalière à 77 %) et la durée de ventilation mécanique avant l’ECMO
était associée de manière indépendante au pronostic. Plus récemment,
Noah et al. ont rapporté les résultats de la série britannique portant sur
80 malades transférés vers un des cinq centres permettant l’implantation
d’une ECMO et dont 69 ont finalement reçu le dispositif [68]. La morta-
lité hospitalière a été de 27,5 %, et significativement plus basse que dans
un groupe apparié de malades de gravité identique mais n’ayant pas été
transférés. Par ailleurs, la mortalité des 123 malades ayant bénéficié d’une
ECMO dans les centres français du réseau REVA a été de 36 % [66, 71] et
comparable à un groupe de malades appariés sur un score de propension.
Cependant, seulement 50 % des malades ECMO ont pu être appariés et
Grippe sévère 197

les malades n’ayant pu être appariés ont eu un pronostic plus favorable en


dépit d’une atteinte respiratoire initiale plus sévère [71]. Enfin, le devenir
à 1 an de 12 survivants ayant bénéficié d’une ECMO dans cette cohorte a
été comparé à celui de 25 malades ayant développé un ARDS n’ayant pas
nécessité l’implantation de la machine [73]. Les malades des deux groupes
ne présentaient que des altérations résiduelles minimes de la fonction pul-
monaire. En revanche, la plupart d’entre eux avaient des signes persistants
d’anxiété et de dépression, et quelques-uns rapportaient des symptômes
évocateurs de syndrome de stress post-traumatique [73].

Conclusion
La grippe dans sa forme tant saisonnière que pandémique est une
pathologie pouvant conduire à une hospitalisation en réanimation en rai-
son de la constitution rapide d’une insuffisance respiratoire aiguë ou de
la décompensation de comorbidités sous-jacentes. La vaccination et la
prophylaxie secondaire par oseltamivir des sujets à risque sont les théra-
peutiques les plus efficaces pour la prévention de la maladie, et tout par-
ticulièrement de ses formes les plus graves [41, 59]. Le diagnostic d’une
forme suspecte repose sur la RT-PCR pratiquée sur des prélèvements
respiratoires profonds, les tests rapides antigéniques manquant de sen-
sibilité. La prise en charge des formes les plus sévères de la maladie asso-
cie l’isolement du patient, l’administration précoce d’oseltamivir à fortes
doses et le contrôle des défaillances d’organe, en premier lieu la ventila-
tion mécanique en cas de détresse respiratoire. En revanche, l’administra-
tion de corticoïdes n’est pas recommandée en raison d’une augmentation
de la mortalité. Enfin, l’implantation précoce d’une ECMO veinovei-
neuse a été associée à une amélioration très significative du pronostic chez
les malades les plus graves lors de la pandémie de l’hiver 2009-2010 liée
au virus A H1N1.

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Endocardites en réanimation
13
P. CHARBONNEAU

Introduction

Les endocardites traitées en réanimation sont les formes sévères de


cette maladie. En effet, ce sont des complications parfois mortelles qui y
conduisent les patients. Plus rares sont les situations au cours desquelles
l’endocardite est découverte et diagnostiquée en réanimation.
Ces complications sont représentées principalement par :
– la survenue brutale d’une insuffisance ventriculaire gauche ou car-
diaque globale par dysfonction valvulaire ou prothétique, devant faire
poser l’indication en urgence d’une chirurgie cardiaque ;
– un état de choc septique, en particulier quand Staphylococcus aureus
est en cause, avec les défaillances viscérales qui peuvent lui être
associées ;
– les complications neurologiques (anévrismes septiques, emboles sep-
tiques, accidents hémorragiques ou ischémiques) imposant des straté-
gies thérapeutiques adaptées à chaque cas, en particulier quand l’indi-
cation de remplacement valvulaire est posée ;
– le non-contrôle de l’infection, en particulier dans les cas d’abcès des
zones d’insertions des valves, des abcès septaux ;
– la constitution de métastases septiques pouvant conduire à des abcès
dans tous les organes, en particulier la rate (avec risque de rupture).
– Ce chapitre se propose donc d’envisager successivement :
– les données épidémiologiques, étiologiques microbiennes des endo-
cardites en réanimation ;
– les critères diagnostiques à recueillir lorsque l’endocardite n’est pas
connue avant l’admission du patient en réanimation ;

P. Charbonneau
Service de réanimation médicale
CHU Côte de Nacre
14033 Caen cedex
E-mail : [email protected].
Sous la direction de Pierre Charbonneau et Michel Wolff, Infectiologie en réanimation.
ISBN : 978-2-8178-0388-3, © Springer-Verlag Paris 2013
203
204 Infectiologie en réanimation

– les situations cliniques habituellement rencontrées correspondant aux


13 complications décrites ci-dessus ;
– les recommandations actuelles en termes de stratégie anti-infectieuse
et chirurgicale.

Épidémiologie

Dans les années 2000-2002, l’incidence globale de l’endocardite


variait de 1,5 à 4,2 cas/100 000 personnes vers l’âge de 30 ans et de
15 cas/100 000 personnes environ à l’âge de 60 ans et plus, en raison de
la raréfaction des valvulopathies rhumatismales au cours du jeune âge,
du vieillissement de la population accompagné de l’accroissement des
facteurs de risque au cours de la vie (troisième et quatrième âges) [1].
Ces données étaient concordantes avec celles publiées plus récemment
en 2009 [2]. Il y avait approximativement 15 000 nouveaux cas chaque
année aux États-Unis en 2005, ce qui représente 1 cas d’endocardite pour
1000 admissions [3].
Une étude récente [4] a évalué les tendances épidémiologiques et étio-
logiques microbiennes des endocardites en France, et les conséquences
potentielles des recommandations en termes de prophylaxie introduites
en 2002. Sur 993 cas d’endocardites validés après avis d’experts, cas
recueillis au cours de trois enquêtes annuelles (323 cas en 1991, 331 cas
en 1999, et 339 cas en 2008), l’incidence des endocardites reste stable,
à savoir respectivement 3,5 cas en 1991, 3,3 cas en 1999 et 3,2 cas en
2008 pour 100 000 personnes, ce qui est très comparable aux données
rapportées ci-dessus. On note cependant une incidence nettement crois-
sante des endocardites dues à Staphylococcus aureus dans un sous-groupe
de la population étudiée dénuée de valvulopathie préexistante. Ainsi, si
les nouvelles recommandations n’ont pas eu d’influence sur la survenue
des endocardites à streptocoques d’origine orale, les mesures préventives
devraient aujourd’hui être axées sur la prévention des endocardites à
staphylocoques en particulier chez les patients dénués de valvulopathie
préexistante mais victimes de bactériémies, situations plus fréquemment
rencontrées en réanimation.
Si l’incidence des endocardites en France et dans certains pays européens
ou aux États-Unis est restée globalement relativement stable au cours des
vingt dernières années (malgré les méthodes de diagnostic nouvelles et les
critères diagnostiques réactualisés), le profil des endocardites a évolué au
cours des dix dernières années :
– il s’agit désormais plus souvent d’endocardites aiguës et non de la clas-
sique endocardite lente d’Osler, assortie d’une mortalité intrahospita-
lière assez élevée [5], élément épidémiologique déjà noté précédem-
ment (33 % au lieu de 20 % dans les études) [6, 7] ;
– dans une étude récente internationale portant sur 2781 patients [5],
Staphylococcus aureus est le germe le plus fréquemment responsable de
l’endocardite (31,2 %). Le fait d’être porteur d’une valve prothétique,
Endocardites en réanimation 205

un âge élevé, la survenue d’un œdème pulmonaire, la nature staphylo-


coccique de l’infection (Staphylococcus aureus ou coagulase négative),
la localisation mitrale des végétations et les complications para- ou
périvalvulaires sont associés à un risque plus élevé de mortalité intra-
hospitalière. Dans une autre étude [8], Staphylococcus aureus est aussi
l’espèce dominante ;
– les endocardites du cœur droit restent très rares à l’exception de celles
survenant chez les héroïnomanes ;
– les endocardites « nosocomiales », ou mieux dénommées liées aux
soins ou à la présence d’un matériel étranger, sont de plus en plus
fréquentes. Dans des séries récentes [10], 14 à 31 % des endocar-
dites sont acquises à l’hôpital, et dans une autre étude portant sur
497 patients, 26,7 % des cas d’endocardites sont rapportés comme
liés aux soins [8].
p < 0,001

40,0 %
38,0 %

35,0 %

30,0 %
25,9 %
25,0 %
21,7 %
20,0 %
20,0 %
15,4 % 15,1 %
15,0 %
11,2 %
9,5 %
10,0 % 8,2 % 8,5 %

5,0 %

0,0 %
1 2 3 4 5

274 25 227 73 205 94 139 161 50 249

Fig. 1 – Mortalité intrahospitalière dans cinq propensity groups d’après Cabell C. [9].

L’incidence des endocardites en réanimation est non négligeable. De 1993 à


2000, 3 % des patients admis dans deux unités de réanimation françaises
étaient porteurs d’endocardites [11]. Dans cette série, 64 % (146/228)
des cas survenaient sur des valves natives et 21 % des cas étaient des endo-
cardites « nosocomiales ». Le germe dominant était S. aureus : les compli-
cations étaient sévères : 40 % des cas s’accompagnaient de complications
neurologiques, 29 % de défaillance cardiaque, 26 % de choc septique, et
la mortalité intrahospitalière était de 45 %.
206 Infectiologie en réanimation

Dans une autre série [12], 0,8 % de tous les patients admis en réani-
13 mation dans quatre unités autrichiennes sont porteurs d’endocardites,
45 % des diagnostics d’endocardite ont été portés au sein de l’unité de
réanimation.

Étiologies microbiennes

Contrairement à l’écologie bactérienne habituellement rencontrée


dans les endocardites communautaires non compliquées où Streptococcus
viridans reste dominant, les germes responsables des endocardites graves
hospitalisées en réanimation sont plus fréquemment Staphylococcus aureus
méticilline sensible (SAMS) et résistant (SARM), plus rarement Strep-
tococcus quel qu’en soit le type (oral ou du groupe D) [11]. Si les endo-
cardites dues à Enterococcus, aux germes à Gram négatif, ou celles liées à
Candida ou à Aspergillus sont rares, elles sont cependant très graves en
raison de la résistance potentielle au traitement antibiotique ou antifon-
gique et au terrain sur lequel elles surviennent.
En fait, à la lumière d’une étude récente de 2009 [5], il convient de dis-
tinguer nettement la microbiologie observée selon le type d’atteinte val-
vulaire :
– Staphylococcus aureus représente 68 % des germes isolés dans une po-
pulation de toxicomanes victimes d’endocardites. Il s’agit principale-
ment d’endocardites du cœur droit. Seuls 21,5 % de ces patients ont
subi une intervention chirurgicale et la mortalité est faible dans cette
cohorte (5,6 %) ;
– Streptococcus viridans, bovis, et les autres streptocoques représentent
35 % des germes isolés chez les patients de cette étude, porteurs de
valves natives et dénués de toxicomanie, tandis que 28 % des germes
sont Staphylococcus aureus et 8 % Staphylococcus coagulase négative ;
– enfin, les endocardites sur prothèses valvulaires ou chez des patients
porteurs de pacemaker ou de défibrillateur implantable sont très lar-
gement dues à Staphylococcus aureus ou coagulase négative.
Le tableau I, issu de la publication de Mourvillier B. et coll. [11],
résume la microbiologie des endocardites traitées dans plusieurs ser-
vices français de réanimation. Dans une autre analyse rétrospective
récente portant sur 9 années, de 2000 à 2008, 67 patients sur 6757 ont
été admis en réanimation pour endocardite sévère. Les germes respon-
sables étaient Staphylococcus aureus pour 39 % des cas et Streptococcus
pour 37 %. Dans cette série, 8 % des hémocultures étaient négatives
(données personnelles en cours de publication). La survie à 6 mois était
corrélée, en analyse univariée, au germe, l’espérance de vie était sta-
tistiquement significativement supérieure pour les patients atteints
d’endocardite à Streptococcus. D’autres séries confirment la place prédo-
minance de Staphylococcus comme agent bactérien causal des endocar-
dites aiguës graves [13, 14].
Endocardites en réanimation 207
Tableau I – Microbiologie observée chez 228 patients porteurs d’une endocardite
(d’après Mourvillier B. [11]).

Critères diagnostiques

Le plus souvent, le diagnostic d’endocardite est connu et le patient


est adressé en réanimation en raison de complications mettant en jeu le
pronostic vital.
Toutefois, le diagnostic d’endocardite est aussi porté au cours du séjour
en réanimation, d’autant que les endocardites nosocomiales sont plus fré-
quentes (endocardites liées aux interventions médicales, à la présence de
dispositifs intravasculaires, immunodépression, âge avancé…).
Les circonstances cliniques devant faire évoquer ce diagnostic sont mul-
tiples : outre la survenue d’un tableau clinique compatible avec une
complication sévère d’une endocardite (ex : détresse respiratoire aiguë,
choc cardiogénique, insuffisance rénale aiguë, complications neurolo-
giques…), d’autres signes cliniques doivent faire rechercher cette affec-
tion : fièvre non contrôlée inexpliquée, taches purpuriques des extrémités
ou emboles septiques, contexte favorable tel que la présence de dispositifs
intravasculaires, immunodépression acquise ou induite, et en particulier
en réanimation, notion de septicémie due à une infection sur cathéter et
persistance d’hémocultures positives au moins 72 heures après le retrait
du cathéter [17].
Le recours à l’échocardiographie, si possible transœsophagienne [16], et
la pratique des hémocultures doivent être systématiques afin d’obtenir un
diagnostic de certitude en accord avec les critères de l’Université Duke
publiés en 1994 [15] puis modifiés en 2000 [16] (cf. infra). En réanima-
tion, l’emploi de l’échographie transœsophagienne sera courant en raison
208 Infectiologie en réanimation

des facilités liées à la sédation et à la mauvaise qualité échographique liée


13 souvent à la ventilation artificielle. Les algorithmes diagnostiques propo-
sés en dehors de ce contexte ne s’appliquent pas ou peu aux situations de
réanimation [17].
Les critères diagnostiques dits de Duke modifiés sont résumés dans le
tableau II [16]. Le tableau III [16] complète le précédent et autorise une
stricte définition de l’endocardite.
Tableau II – Critères diagnostiques de Duke modifiés (d’après Li JS [16]).

Critères majeurs
Hémocultures positives
Microorganismes typiquement rencontrés dans les endocardites sur 2 prélèvements
séparés/
Streptococcus viridans ou bovis, Staphylococcus aureus, ou germes du groupe HACEK ou
enterococcus communautaire ou microorganismes habituellement responsables d’endocardites
retrouvés de façon persistante dans les hémocultures à savoir :
Au moins 2 hémocultures positives prélevées à plus de 12 heures d’intervalle ou
3 hémocultures positives ou au moins la majorité de 4ou plus hémocultures positives (la
première et la dernière étant prélevées à au moins une heure d’intervalle).
ou une seule hémoculture positive à Coxiella burnetti ou taux d’anticorps sup à 1/800
Preuve d’une atteinte de l’endocarde
Atteinte de l’endocarde à l’échocardiogramme (échographie transoesophagienne (ETO)
chez les patients porteurs de valves prothétiques ou en cas de doute à l’échographie
transthoracique (ETT)).
Mise en évidence de complications : Abcès péri valvulaires, masse ou végétation mobile,
appendue à une valve ou aux structures adjacentes, signe de fuite ou de régurgitation,
déhiscence partielle nouvelle d’une valve prothétique.
Régurgitation ou fuite valvulaire récente ou s’étant aggravée par rapport
aux données précédentes.
Critères mineurs
Anomalie cardiaque préexistante et prédisposant à une endocardite
Injection de drogue intraveineuse
Manifestations vasculaires (purpura), embolie artérielle, infarctus pulmonaire septique,
anévrysme mycosique, hémorragie intracrânienne, hémorragies conjonctivales, taches
de Janeway
Manifestations immunologiques : glomérulonéphrite, nodules d’Osler, taches de Roth,
facteur rhumatoïde.
Hémoculture positive (sans atteindre le niveau d’exigence des critères majeurs ou
preuve sérologique d’une infection active liée à un germe habituellement responsable
d’endocardite ( une seule hémoculture positive à Staphylococcus coagulase négative n’est
pas un critère mineur).
Endocardites en réanimation 209
Tableau III – Critères diagnostiques d’une endocardite (d’après [16]).

Endocardite infectieuse : diagnostic formel


Critères microbiologiques ou anatomopathologiques
(1) Mise en évidence d’un microorganisme par culture ou par examen histologique sur
une végétation, sur une végétation qui a embolisé, ou sur un abcès intracardiaque et
(2) Lésion pathologique intracardiaque : végétation, abcès, ou données histologiques
confirmant l’existence d’une endocardite récente.
Critères cliniques
(1) 2 critères majeurs ou
(2) 1 critère majeur et 3 critères mineurs ou
(3) 5 critères mineurs
Endocardite infectieuse possible :
(1) 1 critère majeur et 1 critère mineur ; ou
(2) 3 critères mineurs
Diagnostic d’endocardite rejeté si :
(1) Autre diagnostic éliminant celui d’endocardite ou
(2) Guérison du « syndrome » clinique d’endocardite après une antibiothérapie
de moins de 4 jours ou
(3) Aucune preuve d’endocardite à l’autopsie, ou lors de la chirurgie après moins
de 4 jours d’antibiothérapie ou
(4) Absence de critères objectifs en faveur même d’une possible endocardite

Complications liées aux endocardites sévères

Les patients admis en réanimation pour endocardite sont souvent


dans un état clinique sévère : dans l’étude publiée par Sonneville R. et
al. [34], le score SOFA moyen est de 8 (5-11), le SAPS II moyen de 44
(33-62) ; 79 % d’entre eux sont sous ventilation mécanique, 40 % béné-
ficient d’une épuration extrarénale, la durée de séjour en réanimation est
de : 13 jours (6-30).

Défaillance ventriculaire gauche ou globale


Parmi les nombreuses complications des endocardites, la survenue
d’une défaillance ventriculaire gauche ou cardiaque globale, conduisant
souvent le patient en réanimation s’il n’y était pas, a le plus gros impact sur
le pronostic [18, 19]. La défaillance ventriculaire gauche survient plus fré-
quemment dans les endocardites de la valve aortique que dans les atteintes
mitrales. La tolérance de la destruction valvulaire est moindre en cas de
perforation aiguë de la valve aortique qu’en cas de perforation de la valve
mitrale, à l’exception des ruptures de cordages entraînant une détresse res-
piratoire rapide avec œdème aigu du poumon. L’atteinte de la valve tricus-
pide dans les endocardites du cœur droit est en général assez bien tolérée.
La défaillance ventriculaire peut aussi survenir plus insidieusement. Ce
tableau clinique n’est pas spécifiquement l’apanage des situations rencon-
210 Infectiologie en réanimation

trées en réanimation. Cependant cette évolution est aussi grevée d’un pro-
13 nostic plus sombre et doit conduire à une décision chirurgicale précoce
(cf. infra).
La place de l’échocardiographie est essentielle dans cette situation, afin
d’évaluer les paramètres de fonction ventriculaire gauche (fonction pompe
et fonction muscle indépendantes des conditions de charge du ventricule
gauche) et de visualiser les atteintes anatomiques du cœur gauche. L’éva-
luation de la fonction ventriculaire gauche et droite (fonction muscle et
fonction pompe), la quantification des fuites valvulaires, la visualisation
des végétations, la détection de fistules périannulaires aortiques, la mise
en évidence d’abcès septal myocardique ou périprothétique en cas d’en-
docardites sur prothèses, la mise en évidence d’un épanchement péricar-
dique (pus ou sang), sont autant d’éléments indispensables pour poser,
en collaboration avec l’équipe chirurgicale, l’indication et le type d’in-
tervention [20]. En effet, les études récentes montrent que tout retard
pris dans le traitement chirurgical de la défaillance ventriculaire gauche
grève le pronostic des patients. Retarder une intervention sous le prétexte
« d’une meilleure imprégnation antibiotique des tissus » est une erreur :
l’incidence d’une nouvelle endocardite sur valve récemment implantée
chez des patients ayant une endocardite grave avec défaillance cardiaque
est estimée à 2-3 %, incidence très inférieure à la mortalité liée à une
défaillance hémodynamique non contrôlée [13].
Au moins six publications récentes confirment le rationnel de cette atti-
tude basée à défaut d’études randomisées sur la méthodologie des propen-
sity scores (9, 21-25).Les tableaux IV et V extraits de ces publications en
sont l’illustration.
Tableau IV – Analyses de type propensity scores étudiant les effets de la chirurgie dans
les endocardites (d’après [25]).

Mortalité
Période Type Nbre de % de Conclusion
suivi Sans/Avec
d’inclusion d’endocardite patients chirurgie Des auteurs
Chirurgie
Vikram 1990-2000 EVN 513 44,8 % 6 mois 28 %/15 % Bénéfice
Mourvillier 1993-2000 EVN 146 49,3 % i.hosp. 47,3 %/29,7 % Benef NS
Cabell 1985-1999 EVN 1516 40,2 % i.hosp. 16,4 %/13,6 % Bénéfice.
Wang 1985-1999 EVP 355 41,7 % i.hosp. 32,4 %/22,1 % Benef NS
Tleyjeh 1980-1998 EVN et EVP 546 23,6 % 6 mois 19,4 %/29,0 % Benef NS
Sy 1996-2006 EVN et EVP 223 27,8 % 5,2 ans 51 %/32 % Benef NS
Banney 1999 EVN et EVP 449 53,4 % 5 ans 50 %/30 % Bénéfice
Lalani 2000-2005 EVN 1552 46,4 % i.hosp. 17,4 %/11,8 % Bénéfice
Alsoy 1996-2002 ENV et EVP 333 23,0 % 5 ans 18,0 %/11,5 % Bénéfice
EVN : endocardite sur valve native
EVP : Endocardite sur valve prothétique
Nbre : nombre
Conclusion des auteurs : Bénéfice pour les patients de la chirurgie ou Bénéfice non significatif (NS)
Nb : Dans certaines séries tout le collectif des patients n’a pas fait l’objet d’un calcul de « propensity
score ». La mortalité avec ou sans chirurgie ne concerne que les patients ayant été inclus dans ce type
de calcul.
Endocardites en réanimation 211
Tableau V – Circonstances cliniques nécessitant une intervention chirurgicale rapide selon
Thuny F [25].

Agrément Niveau
Délai
(classe) de preuve
Défaillance cardiaque
Endocardite mitrale ou aortique ou sur prothèse Immédiat I B
avec fuite ou régurgitation aigue ou obstruction sans délai
valvulaire ou fistule responsables d’OAP ou de
choc cardiogénique
Idem mais sans OAP ni choc cardiogénique, Urgent I B
avec des signes
échographiques de mauvaise tolérance
hémodynamique
Endocardite mitrale ou aortique ou déhiscence Spécifique IIa B
prothétique sévère avec fuite majeure sans
défaillance cardiaque
Défaillance ventriculaire droite par fuite tricuspide Urgent ou IIa C
avec une réponse faible aux diurétiques Spécifique
Non contrôle de l’infection
Infection locale non contrôlée (abcès, faux Urgent I B
anévrysme, fistule, Végétation de taille
grandissante)
Fièvre persistante et hémocultures positives plus Urgent I B
de 7 à 10 jours sous traitement et sans causes
extracardiaques
Endocardite fongique ou à germes multirésistants Urgent ou I B
Spécifique
Endocardite sur prothèse à staphylococcus ou Urgent ou IIa C
à Gram- (souvent endocardite précoce) Spécifique
Prévention de migrations emboliques
Endocardite mitrale ou aortique avec végétations Urgent I B
de plus de 10 mm avec épisodes antérieurs d’un
ou plusieurs événements emboliques malgré une
antibiothérapie appropriée
Idem avec présence de complications (défaillance Urgent I C
ventriculaire, infection persistante, abcès)
Endocardite mitrale ou aortique ou sur prothèse Urgent IIb C
avec végétations de plus de 15 mm
Végétations tricuspide de plus de 20 mm Urgent ou IIa C
après plusieurs embolies pulmonaires Spécifique
Définitions :
Délai : Immédiat : intervention à effectuer dans les 24 heures
Urgent : intervention à effectuer sous 2 ou 3 jours
Spécifique : intervention à discuter dans les 7 à 14 jours comprenant un traitement antibiotique
Classe et niveau de preuves cf. références internationales
212 Infectiologie en réanimation

Choc septique et ses conséquences


13
La survenue d’un choc septique au cours ou révélateur d’une endocar-
dite n’est pas une circonstance clinique exceptionnelle [26]. Dans cette
étude, le pronostic des patients victimes d’un choc septique est statisti-
quement plus sombre que celui de ceux victimes d’un choc cardiogénique
pur, en particulier si celui-ci est dû à une atteinte de la valve mitrale et
que l’indication chirurgicale est posée en urgence (mortalité 3,8 fois plus
élevée dans le groupe de patients victimes d’un choc septique compara-
tivement à ceux souffrant seulement d’un choc cardiogénique). Les pa-
tients ayant un choc septique ont 4,3 fois plus de risques d’avoir des com-
plications neurologiques, rénales (insuffisance rénale aiguë). Ce groupe
de patients associant endocardite du cœur gauche et choc septique ont
aussi statistiquement plus de complications hémodynamiques postopé-
ratoires (syndrome de bas débit) et d’infarctus du myocarde. Dans une
autre étude, la présence d’une insuffisance rénale associée à l’endocardite
est en soi un facteur de mauvais pronostic [37].
Ainsi, il paraît indiqué, au vu de la littérature et des données ci-dessus, de
poser vite une indication chirurgicale en cas de défaillance ventriculaire
gauche, de choc cardiogénique et même de choc septique si le maintien
des conditions hémodynamiques ne nécessite pas des doses déraisonnables
d’amines pressives. À l’inverse, la présence de défaillances multiviscérales
sévères et combinées interdira, le plus souvent, de conduire le patient au
bloc opératoire, le risque de mortalité étant trop élevé.

Embolisations
Les emboles septiques (fragments de végétations et/ou de valves) sur-
viennent selon les séries dans 22 à 50 % des cas. Tous les territoires peu-
vent être concernés, mais 65 % des événements emboliques concernent
le système nerveux central, et en particulier le territoire des artères céré-
brales moyennes [27]. Les emboles se voient plus fréquemment lors des
endocardites du cœur gauche, et lorsque les germes en cause sont Staphy-
lococcus aureus, Candida, les germes du groupe HACEK.
La prédiction d’un accident embolique est extrêmement difficile à réaliser.
La taille de la végétation (≥ 1 cm), sa position mitrale, la période ini-
tiale de traitement antibiotique efficace (avant la deuxième ou troisième
semaine de traitement) sont des facteurs de risque d’accident embolique
reconnus dans toutes les études. Beaucoup de ces accidents emboliques
sont inauguraux et sont souvent responsables de l’admission du patient
en réanimation (cf. infra « Complications neurologiques »). La prise en
compte de ces données ainsi que la surveillance échographique doivent
aider à porter éventuellement l’indication d’une intervention chirurgicale
précoce, afin d’éviter les complications majeures de ces migrations en par-
ticulier cérébrales. Toutefois, les indications chirurgicales destinées à pré-
venir ces accidents doivent être posées au cas par cas [13, 28].
Endocardites en réanimation 213

Complications neurologiques

Les complications neurologiques survenant au cours des endocardites


infectieuses sont fréquemment rencontrées en réanimation. La surve-
nue d’un tel événement est associée avec un plus mauvais pronostic et
s’accompagne aussi souvent de défaillances d’autres organes, conduisant
à un tableau de défaillance multiviscérale. Les complications neurolo-
giques surviennent dans 10 à 40 % des endocardites mais sont observées
avec une plus grande fréquence encore chez les patients victimes d’une
endocardite et hospitalisés en réanimation (60-65 % selon les séries).
Ces complications sont avant tout l’apanage des endocardites du cœur
gauche. Elles peuvent survenir beaucoup plus rarement dans les endocar-
dites tricuspides à l’occasion d’une embolie paradoxale (patent foramen
ovale). Les migrations emboliques (végétations) sont une cause fréquente
d’admission en réanimation des endocardites du fait entre autres des
troubles de conscience.
Les complications neurologiques comportent un vaste registre d’expres-
sions cliniques correspondant à des mécanismes différents : accidents
emboliques ischémiques cérébrovasculaires (à partir d’une végétation),
hémorragies intracérébrales, rupture d’anévrisme mycosique, accident
ischémique transitoire, méningites suppurées ou réactions méningées
puriformes aseptiques au contact d’un abcès cérébral, encéphalopathies
septiques.
Si l’accident ischémique déficitaire ou hémorragique a une expression
clinique parlante, 30 % des accidents neurologiques sont asymptoma-
tiques [36]. Plusieurs études mettent en évidence la fréquence élevée
des complications cérébrovasculaires au cours des endocardites lorsque
les moyens les plus sensibles de diagnostic sont utilisés : l’imagerie par
résonance magnétique nucléaire (IRM) avec une stratégie d’examen
bien codifiée [29], et/ou l’utilisation combinée à des fins diagnostiques
de l’IRM et de biomarqueurs [36]. Dans cette étude, 35 % des patients
avaient une expression clinique symptomatique de la complication céré-
brovasculaire de l’endocardite, alors que celle-ci était survenue dans 65 %
des cas de cette cohorte, la différence étant documentée par l’usage de
l’IRM et de biomarqueurs dans le liquide céphalorachidien. Le recours
à une circulation extracorporelle (CEC) lors du remplacement valvulaire
ou d’une intervention sur le cœur gauche, expose le patient victime d’une
complication neurologique à une aggravation parfois mortelle de celle-ci
pour plusieurs raisons : l’héparinisation efficace pendant l’intervention
peut engendrer une hémorragie intracrânienne dans une zone où préexis-
tait une rupture de la barrière hématoencéphalique ; une hypotension est
susceptible d’aggraver une ischémie cérébrale ; un œdème cérébral post-
CEC peut aisément survenir là où la barrière hématoencéphalique est
rompue.
De ce fait, une stratégie doit être envisagée dès que l’indication chirur-
gicale est posée. La question du moment optimal pour une intervention
214 Infectiologie en réanimation

avec CEC chez un patient porteur de complication neurologique est


13 posée à chaque fois.
Deux revues récentes permettent d’éclairer son choix [34, 35]. La stratégie
sera au mieux guidée par l’imagerie cérébrale (scanner et IRM) [36]. Si le
scanner cérébral est de réalisation plus courante et aisée, l’IRM apporte
une meilleure sensibilité dans le diagnostic, à condition que l’examen
soit complet et fasse l’objet d’une procédure standardisée [34]. L’analyse
de la littérature montre qu’en cas d’accident ischémique, une interven-
tion chirurgicale imposant une CEC pour les raisons énoncées ci-dessus
(défaillance ventriculaire gauche, choc cardiogénique, végétations à haut
risque embolique) ou ci-dessous (non-contrôle de l’infection, abcès myo-
cardique), ne doit pas être différée. Si l’existence d’une complication et
surtout d’une défaillance neurologique grève le pronostic global [37],
selon le type d’atteinte, une intervention chirurgicale cardiaque ne génère
pas de surmortalité.
Cette étude [37] montre que, parmi les 52 patients ayant subi une inter-
vention chirurgicale cardiaque, aucune des complications neurologiques
préexistantes à l’intervention (accident ischémique, hémorragie cérébrale,
méningite ou réaction méningée puriforme aseptique ou abcès cérébral) n’a
été responsable d’une surmortalité. Toutefois, l’héparinisation nécessaire
pendant et après l’intervention, et le maintien d’une perfusion cérébrale
pendant l’intervention doivent être ajustés de façon adéquate afin de mini-
miser les risques d’aggravation neurologique.
L’algorithme proposé par l’European Society of Cardiology [38] permet
un choix raisonnable dans l’indication chirurgicale en cas de complica-
tions neurologiques associées. Une hémorragie intracrânienne massive,
un coma profond, un accident ischémique sévère avec déficits neuro-
logiques multiples représentent des contre-indications à la chirurgie
cardiaque imposant une CEC, malgré une indication formelle présente
telle qu’une défaillance ventriculaire gauche, un choc cardiogénique, un
non-contrôle de l’infection, un abcès périvalvulaire ou un fort risque
embolique.
Le maniement des anticoagulants nécessite une connaissance précise
de la situation clinique en cas d’endocardite associée à une complica-
tion neurologique. L’interruption des antiagrégants plaquettaires n’est
indiquée qu’en cas de saignement majeur. En cas d’accident isché-
mique, l’anticoagulation donnée préalablement par voie orale sera
remplacée par l’administration d’héparine de bas poids moléculaire,
avec une surveillance très étroite de l’efficacité anticoagulante. En cas
d’hémorragie intracrânienne, l’interruption de tout anticoagulant est
recommandée, mais chez les patients porteurs de valve prothétique,
l’administration d’héparine non fractionnée sera reprise dès que pos-
sible [38].
La prise en charge thérapeutique des anévrismes mycosiques n’est pas
standardisée en l’absence d’études contrôlées. Un nombre élevé de cas
cliniques où la prise en charge thérapeutique associe de façon variable
selon les équipes et selon l’expérience locale, le traitement antibiotique
Endocardites en réanimation 215

seul ou associé à une microchirurgie ou à l’emploi de la neuroradiologie


interventionnelle [39].
Dans toutes ces situations cliniques très variables, il ressort la nécessité d’éva-
luer l’état de la barrière hématoencéphalique et du parenchyme cérébral, de
rechercher au moyen de l’imagerie cérébrale et éventuellement des biomar-
queurs toute complication souvent silencieuse avant toute intervention chirur-
gicale cardiaque qui ne devra jamais être indument différée.

Abcès spléniques et autres localisations emboliques septiques


L’abcès splénique est une complication souvent décrite, bien que rare
dans les endocardites. Cette infection se développe de deux façons : soit
inoculation par voie sanguine d’un infarctus splénique au départ stérile,
soit inoculation directe par un fragment d’une végétation infectée.
Si l’infarctus splénique est une complication fréquente des endocardites
en particulier du cœur gauche, la survenue d’un abcès splénique est envi-
ron 8 fois plus rare (5 % des cas) [30]. De façon exceptionnelle, les abcès
spléniques peuvent se rompre, conduisant à un tableau de choc hémor-
ragique [31].
En réanimation, la recherche d’un abcès splénique se fera surtout en cas
de non-contrôle de l’infection (fièvre persistante, hémocultures positives
malgré 5 à 7 jours d’antibiothérapie efficace). La réalisation d’un scan-
ner abdominal permettra d’affirmer le diagnostic, même si la distinction
entre un infarctus non infecté et un abcès n’est pas toujours simple. Cette
investigation radiologique permettra aussi de rechercher des métastases
septiques autres (ex : hépatiques…). La présence d’un abcès splénique
doit conduire à une splénectomie totale ou partielle en raison de la faible
réponse au traitement antibiotique seul. Il convient de programmer cette
intervention avant la mise en place d’une valve prothétique, afin de mini-
miser tout risque de bactériémie au cours ou au décours de la chirurgie
valvulaire.
D’autres techniques chirurgicales alternatives ont pu être proposées : drai-
nage percutané de l’abcès [32], splénectomie sous laparoscopie.
Différents dans leur physiopathologie, les anévrismes mycosiques extra-
crâniens, le plus souvent asymptomatiques, sont susceptibles de donner
des complications en particulier hépatiques (hématobilie et ictère peuvent
suggérer l’existence d’une rupture de l’artère hépatique), rénales (hématu-
rie) ou digestives (diarrhée sanguine massive de survenue brutale).

Extension locale et non-contrôle de l’infection


Le non-contrôle de l’infection (hémocultures positives après 5-7 jours
de traitement antibiotique adapté au germe causal de l’endocardite, ou
fièvre persistante sans autre cause décelable) est devenu rare sauf lorsque
l’infection de l’endocarde s’est disséminée aux structures cardiaques adja-
centes (abcès de l’anneau aortique, abcès myocardique, faux anévrisme,
216 Infectiologie en réanimation

fistule…), situations où l’antibiothérapie même bactéricide dans le sérum


13 est en échec en raison de sa faible ou très faible pénétration tissulaire. Il en
va de même dans certaines localisations métastatiques infectieuses (ex :
abcès splénique) (cf. supra). La résistance au traitement anti-infectieux
s’observe aussi dans les endocardites précoces sur valve prothétique (in-
fections souvent liées à Staphylococcus aureus ou coagulase négative méti-
cilline résistant), dans les endocardites fongiques, ou dans les exception-
nelles endocardites liées à des germes multirésistants (Staphylococcus ou
Enterococcus).
Toutes ces situations s’accompagnent le plus souvent de la persistance de
la fièvre, d’un syndrome inflammatoire biologique et dans un bon nombre
de cas, de la positivité des hémocultures 5 à 7 jours après l’initiation du
traitement.
Il convient alors le plus souvent de poser l’indication d’une intervention
chirurgicale urgente.
La défaillance ventriculaire gauche quel qu’en soit le mécanisme, le choc car-
diogénique, le non-contrôle de l’infection, la prévention des embolies doivent
conduire à poser l’indication d’une intervention chirurgicale précoce, et souvent
de façon urgente [25].
Le tableau V [25] résume ces situations avec le degré de preuve apporté
par la littérature.

Traitement des endocardites

Le traitement médical repose sur l’administration d’une antibiothéra-


pie efficace, bactéricide (du moins in vivo et dans le serum), respectant les
recommandations de la littérature internationale.
Ces recommandations sont détaillées sur le site de l’American Heart Asso-
ciation [13], celui de l’European Society of Cardiology [38], dans le rap-
port de la British Society for Antimicrobial Chemotherapy [17] ou dans les
recommandations de la Société de pathologie infectieuse de langue fran-
çaise (SPILF).
Toutes les propositions thérapeutiques sont concordantes (à quelques
détails près liés aux variations de commercialisation des molécules recom-
mandées selon les pays). Elles sont basées sur les modèles expérimentaux
et sur les études cliniques. Elles obéissent aussi également aux principes
établis des relations pharmacocinétiques/pharmacodynamiques décrites
ailleurs en détail dans cet ouvrage.
Le lecteur pourra donc se reporter à ces recommandations (ou guidelines
en langue anglaise) largement diffusées.
On se doit toutefois d’insister sur plusieurs points :
– le rôle du laboratoire de microbiologie est essentiel dans le choix et
la conduite du traitement. Ainsi, en cas d’identification difficile de
l’agent microbien ou en cas d’absence de pousse de la bactérie, l’utili-
sation des techniques de PCR (sang et valves) permet de caractériser
Endocardites en réanimation 217

l’agent microbien [25]. De même, un dialogue doit s’établir avec le


laboratoire de microbiologie afin de déterminer la CMI du germe, la
CMB dans certains cas (ex : Staphylococcus méti-R) ;
– la place respective des classes antibiotiques, la durée d’utilisation
de certains antibiotiques sont clairement exprimées dans les réfé-
rences [13, 17, 38] ;
– la rifampicine est proposée, toujours en association, avec l’oxacilline
et la gentamicine dans les endocardites sur valves prothétiques dues à
Staphylococcus aureus méti-S et dans les endocardites dues à Staphylo-
coccus méti-R avec la vancomycine et la gentamicine [38]. Toutefois,
la place de la rifampicine a pu être contestée dans de rares situations
où a été observé un antagonisme in vivo entre la rifampicine et la
vancomycine ;
– la place des nouvelles molécules anti-Gram positif est pour le moins
très limitée. Ni le linézolide, ni la daptomycine n’ont réellement de
place dans les recommandations officielles. Toutefois, la daptomy-
cine a obtenu son autorisation de mise sur les marchés européen et
américain avec l’indication « endocardites du cœur droit et bactérié-
mies… ». En fait, cette molécule pourrait trouver un relatif intérêt
dans les endocardites sur matériel implantable en raison de son action
potentielle sur le biofilm [40] ;
– une situation très difficile reste l’antibiothérapie empirique à instaurer
le plus rapidement possible lors de l’admission d’un patient en réani-
mation pour endocardite ou chez lequel existe une haute présomption
clinique, échographique ou d’imagerie avant la certitude microbiolo-
gique apportée par le laboratoire.
Au vu de l’épidémiologie actuelle, il paraît très difficile de ne pas envisager
une antibiothérapie couvrant efficacement les streptocoques et les staphy-
locoques au moins méticilline sensibles. Le choix sera aidé par certains
éléments anamnestiques :
– Le patient a-t-il reçu préalablement des antibiotiques et lesquels ?
– L’endocardite touche-t-elle une valve native ou une prothèse valvu-
laire ? Dans ce cas quel est le délai entre l’intervention et le début de
l’infection ?
– En cas d’endocardite liée aux soins, quelle est l’écologie locale, l’état
des résistances aux antibiotiques ?
Les propositions thérapeutiques européennes reposent sur l’association
amoxicilline-acide clavulanique + gentamicine en cas d’endocardite sur
valve native, l’association vancomycine + gentamicine + rifampicine en
cas d’endocardite sur prothèse posée depuis moins de 12 mois [38]. Ces
propositions logiques ne sont toutefois pas basées sur des études contrô-
lées et peuvent être nuancées en fonction des particularités cliniques et
anamnestiques.
À ce traitement, s’adjoindront les mesures thérapeutiques inhérentes à
toute situation septique grave en réanimation et comportent les mesures
thérapeutiques propres à la prise en charge d’une ou de plusieurs
défaillances viscérales.
218 Infectiologie en réanimation

Les indications chirurgicales cardiaques ont été vues précédemment et


13 sont résumées dans les tableaux IV et V. La chirurgie cardiaque (rempla-
cement valvulaire, résection d’abcès myocardiques ou périvalvulaires, rem-
placement d’une prothèse infectée…) s’impose de façon urgente en cas de
défaillance ventriculaire gauche, de choc cardiogénique, de non-contrôle de
l’infection, de risque majeur d’embolisation à partir d’une végétation. Ces
recommandations reposent sur une méthodologie statistique vue plus haut
(les propensity scores) en raison de l’absence d’études prospectives contrôlées.
Il convient de noter aussi que dans certaines études les indications statisti-
quement justifiées pour une chirurgie précoce concernent principalement
la défaillance ventriculaire gauche avec œdème pulmonaire [19].
Une étude coréenne toute récente publiée en juin 2012 confirme le rôle
positif d’une intervention chirurgicale précoce en cas de végétations de
taille supérieure à 10 mm et de dysfonction valvulaire [41] (voir égale-
ment l’éditorial [42]).
Le traitement des endocardites survenant sur matériel implantable (ex :
pacemaker) impose le plus souvent le retrait de celui-ci et la mise en place
momentanée d’un stimulateur extracardiaque avec des électrodes épicar-
diques.
Par ailleurs, les indications chirurgicales comportent aussi le traitement
de certaines localisations septiques associées : splénectomie en cas d’ab-
cès splénique ou thérapeutique alternative selon l’expérience des équipes
(drainage ou splénectomie partielle) réalisée avant la mise en place d’une
prothèse valvulaire mécanique. Dans tous les cas, une concertation entre
l’équipe de réanimation, celle de chirurgie cardiaque, celle de cardiolo-
gie, celles de neurologie ou d’imagerie neurologique, de microbiologie,
d’infectiologie et d’anesthésie est indispensable afin d’adopter la stratégie
optimale médicochirurgicale. Au vu de la littérature, tout retard à l’inter-
vention chirurgicale cardiaque dans les situations de défaillance ventricu-
laire gauche, de non-contrôle de l’infection ou de risque majeur d’embole
(cf. supra) fait courir au patient un risque supplémentaire de mortalité.
Remerciements : L’auteur de ce chapitre tient à remercier tout particu-
lièrement le Pr. M. Wolff pour sa relecture, ses remarques et ses critiques
constructives.

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Péritonites communautaires
14
T. CLAVIER, Ph. GOUIN, B. VEBER

Introduction

Les péritonites sont des infections aiguës de la cavité péritonéale le


plus souvent d’origine bactérienne et/ou fongique. Le propos de ce cha-
pitre est de traiter des péritonites non postopératoires en détaillant leurs
spécificités étiologiques, diagnostiques et thérapeutiques. La principale
classification nosologique utilisée actuellement pour décrire les périto-
nites est la classification de Hambourg (tableau I) [1].
Tableau I – Classification de Hambourg.

Classification de Hambourg
Péritonites primitives
Péritonite spontanée de l’enfant
Péritonite spontanée de l’adulte
Péritonite au cours des dialyses péritonéales
Péritonite granulomateuse
Péritonite tuberculeuse
Péritonites secondaires
Perforation intrapéritonéale (suppuration aiguë) :
– perforation gastro-intestinale
– nécrose de la paroi intestinale
– pelvipéritonite
Péritonite secondaire à une translocation bactérienne

T. Clavier, Ph. Gouin, B. Veber


Pôle réanimation anesthésie Samu
1 rue de Germont
CHU de Rouen
76031 Rouen cedex
E-mail : [email protected]
Sous la direction de Pierre Charbonneau et Michel Wolff, Infectiologie en réanimation.
ISBN : 978-2-8178-0388-3, © Springer-Verlag Paris 2013
221
222 Infectiologie en réanimation

Classification de Hambourg
14
Péritonite postopératoire
– lâchage d’anastomose
– lâchage de suture
– lâchage de moignon
– iatrogénie : perforation perendoscopique, radiologie interventionnelle
Péritonite post-traumatique :
– traumatisme fermé
– traumatisme par plaie pénétrante
Péritonites tertiaires
Péritonite sans germes
Péritonite fongique
Péritonite avec germes à faible pouvoir pathogène

Cette classification est complexe et peu utilisée telle quelle en pratique


courante. Sa pertinence sur la séparation entre péritonites fongiques et
péritonites bactériennes est discutable, ces deux entités étant souvent liées
et leurs étiologies communes. De ce fait, nous utiliserons dans notre cha-
pitre une classification simplifiée incluant avant tout la notion de perfora-
tion ou non d’organes creux.

Données physiopathologiques et anatomiques

Anatomie et histologie du péritoine


Le péritoine est une membrane séreuse intra-abdominale qui englobe
les viscères digestifs (feuillet viscéral) et les arrime aux structures adja-
centes (feuillet pariétal). Elle est composée de cellules mésothéliales pé-
ritonéales possédant des capacités de sécrétions (médiateurs de l’inflam-
mation, lubrification de la cavité) et d’absorption hydroélectrolytique.
Les mouvements respiratoires créent un courant ascendant du liquide
péritonéal, permettant un drainage continu de cette cavité virtuelle, sté-
rile et contenant un volume inférieur à 100 mL chez le sujet sain. La
réabsorption du liquide au niveau diaphragmatique dans le système lym-
phatique est assurée via des structures perméables nommées « stomata ».
Certaines zones de réflexion du péritoine délimitent des zones déclives
comme les gouttières latérocoliques, les espaces sous-phréniques ou le
cul-de-sac de Douglas. Les viscères digestifs sont vascularisés par une
circulation issue des artères cœliaque, mésentériques supérieure et infé-
rieure dont les branches pénètrent dans le péritoine via des invaginations
nommées « mésos » (mésentère, mésocôlons, mésoduodénum…). Le
mésocôlon transverse divise la cavité péritonéale en deux régions : l’étage
sus-mésocolique (foie, rate, œsophage abdominal, estomac, duodénum)
et l’étage sous-mésocolique (intestin grêle, côlon, rectum). Le pancréas
Péritonites communautaires 223

est à cheval sur les deux étages, le mésocôlon transverse naissant à sa face
antérieure.

Physiopathologie des péritonites, microbiologie,


défense du péritoine
Les péritonites trouvent leur origine dans la pénétration d’agents
infectieux bactériens ou fongiques dans la cavité péritonéale suivant
différents mécanismes (perforation, translocation, diffusion) qui seront
détaillés ultérieurement. Les bactéries le plus souvent impliquées sont
les entérobactéries (Escherichia coli en premier lieu) et les germes anaé-
robies (de la famille des Bacteroides en particulier) dont la concentration
augmente au fur et à mesure de la progression dans le tube digestif pour
atteindre un rapport aérobies/anaérobies de 1/1000 dans le côlon [2]. Les
cocci à Gram positif (entérocoques, streptocoques) peuvent également
être impliqués, en particulier dans les perforations digestives hautes (œso-
phage, estomac, duodénum), les autres germes (Candida, Pseudomonas
aeruginosa, Staphylococcus aureus) sont plus rares hors d’un contexte noso-
comial. La quantité de bactéries augmente progressivement tout au long
du tube digestif. Débutant à 102-104 UFC par gramme de contenu intes-
tinal au niveau gastrique, elle atteint 1012 au niveau colique.
Les bacilles à Gram négatif (BGN), du fait de leur virulence et de leurs
endotoxines, sont responsables de la symptomatologie aiguë des premiers
jours et du retentissement systémique de la péritonite : sepsis, bactérié-
mie, état de choc, défaillance d’organe. Les germes anaérobies ont une
croissance plus lente et une pathogénicité moindre, mais agissent en
synergie avec les entérobactéries. Ils peuvent être à l’origine de la forma-
tion d’abcès secondaires, essentiellement en regard des zones de déclivité
de la cavité [2].
Les cellules mésothéliales péritonéales (CMP) mises au contact d’agents
infectieux sont à l’origine d’une réponse inflammatoire et immuno-
logique, locale et systémique [4-7]. Chez le sujet sain, le liquide péritonéal
contient environ 300 cellules/mm3, des macrophages et lymphocytes T
essentiellement. Les CMP ont la même origine embryologique que les
cellules endothéliales et possèdent des caractéristiques proches : margi-
nation de polynucléaires neutrophiles (PNN), présentation d’antigènes
aux lymphocytes, production de médiateurs inflammatoires. À la phase
aiguë de l’inflammation, le péritoine majore sa perméabilité, permettant
le passage des médiateurs inflammatoires locaux et des bactéries vers la
circulation sanguine, expliquant le retentissement systémique précoce.
L’activation des CMP (sécrétion d’interleukine 8 (IL-8) et IL-6, de
monocyte chemotactic protein 1, expression de cell adhesion molecule 1…)
entraîne un afflux de PNN et de macrophages dans la cavité péritonéale
(> 3000/mm3) avec sécrétion de cytokines intrapéritonéales (IL-1, tumor
necrosis factor F [TNF-F]) aboutissant à une clairance bactérienne par
phagocytose. D’autres réactions immunitaires se produisent en parallèle
224 Infectiologie en réanimation

comme l’activation du complément, la dégranulation des polynucléaires


14 basophiles, la sécrétion de NO et l’activation lymphocytaire. La réaction
inflammatoire est donc double, intra-abdominale et systémique. Le lavage
péritonéal « à grandes eaux » actuellement préconisé dans la prise en charge
chirurgicale des péritonites est remis en cause par certains car accusé de
diminuer la réponse immunologique locale [8, 9]. Les recommandations
actuelles restent cependant favorables au lavage péritonéal, la guérison
étant étroitement liée à la baisse de l’inoculum bactérien. Certaines études
expérimentales montrent qu’une réponse inflammatoire excessive majore
la mortalité malgré une augmentation de la clairance bactérienne [10,
11]. Ces études pointent l’importance des cellules immunitaires périto-
néales dans l’initiation de la réponse à l’infection, mais insistent égale-
ment sur le contrôle et la régulation de cette réponse (rôle de cytokines
anti-inflammatoires comme l’IL-10). Ainsi, une réponse inflammatoire
inadaptée peut conduire à une défaillance multiviscérale irréversible.
À la phase secondaire de la péritonite, la formation d’abcès liée à la pro-
duction de fibrine est le résultat de l’action procoagulante et antifibrino-
lytique de l’inflammation péritonéale (augmentation de la sécrétion du
plasminogen activator inhibitor (PAI) 1 médiée par le TNF-F). Dans l’his-
toire naturelle de la maladie, cette action permet de circonscrire le foyer
infectieux mais est responsable d’abcès, de sepsis larvés et de péritonites
chroniques récidivantes.

Péritonites chirurgicales secondaires non nosocomiales

Étiologies

Péritonites post-traumatiques
Les péritonites post-traumatiques communautaires se divisent en
deux grandes entités nosologiques selon le mécanisme pénétrant ou non
du traumatisme :
– les péritonites liées à un traumatisme pénétrant de la paroi abdo-
minale sont le plus souvent secondaires à une agression (arme blanche,
arme à feu…) ou à un polytraumatisme. Les bactéries identifiées se-
ront liées au contexte traumatique : germes cutanés (en particulier
staphylocoque), entérobactéries, entérocoques et anaérobies en cas
de perforation digestive, voire streptocoques ou Candida si la perfo-
ration digestive est haute (œsophage, estomac, duodénum). À cette
catégorie peuvent être rattachées des causes plus rares de perforations
de l’intérieur vers l’extérieur du tube digestif (corps étrangers recto-
sigmoïdiens, ingestion d’objets perforants) ;
– les péritonites peuvent également compliquer des traumatismes ab-
dominaux fermés et sont liées aux lésions initiales génératrices d’is-
Péritonites communautaires 225

chémie mésentérique (hématome du mésentère, désinsertion mésen-


térique, contusion intestinale directe). Ces lésions peuvent provoquer
une perforation digestive ischémique ou traumatique à distance du
traumatisme initial, avec inoculation péritonéale de germes digestifs.
Ces péritonites surviennent plus tardivement et de façon plus larvée
que les péritonites par perforation directe, chez des patients souvent
hospitalisés depuis plusieurs jours. Certains contextes doivent faire
évoquer cette entité, en particulier une décélération importante ou
l’existence d’un effet de blast. L’imagerie à l’admission risque de sous-
estimer l’importance des lésions mésentériques ou intestinales [12]. La
prise en charge initiale sera souvent concentrée sur d’autres atteintes
plus urgentes ou plus « bruyantes », risquant de faire passer le trauma-
tisme mésentérique au second plan. La persistance d’une lactatémie
élevée, voire son aggravation malgré la réanimation, doit pousser à
réaliser rapidement une tomodensitométrie (TDM) abdominale ou à
envisager une laparotomie exploratrice d’emblée.

Perforation d’organe creux


Il s’agit de la cause la plus fréquente de péritonite en contexte com-
munautaire. Les principales étiologies de perforations non traumatiques
d’organe creux sont :
– à l’étage sus-mésocolique :
• la perforation d’ulcère gastroduodénal (UGD), se présentant ty-
piquement comme une douleur abdominale épigastrique aiguë en
coup de poignard survenant dans un contexte évocateur (héma-
témèse, prise d’AINS, UGD connu). L’agression péritonéale est
essentiellement chimique à la phase initiale, avec une part septique
surajoutée après quelques heures d’évolution,
• la péritonite biliaire qui complique une cholécystite gangréneuse
ou une angiocholite. Elle implique une perforation des voies bi-
liaires avec péritonite chimique et septique, en particulier en cas de
stase et de colonisation préalable de la bile. Le tableau typique se
caractérise initialement par des douleurs fébriles de l’hypochondre
droit associées à un ictère en cas d’obstruction des voies biliaires ;
– à l’étage sous-mésocolique :
• la péritonite appendiculaire compliquant une appendicite aiguë
survient essentiellement chez le sujet jeune et débute par une
symptomatologie localisée le plus souvent en fosse iliaque droite,
mais de nombreuses formes anatomocliniques ont été rapportées,
• la péritonite secondaire à une perforation colique est l’étiologie
prédominante chez le sujet âgé. Elle peut être secondaire à une
perforation diastasique (tumorale ou fonctionnelle) ou à une sig-
moïdite,
• la péritonite secondaire à une ischémie mésentérique (thrombo-
tique ou embolique) avec nécrose puis perforation grêlique et/ou
colique.
226 Infectiologie en réanimation

Péritonites pelviennes gynécologiques


14 Certaines péritonites pelviennes de la femme sont liées à la diffu-
sion septique d’infections génitales hautes (salpingites, endométrites
avec perforation utérine). Elles touchent essentiellement les femmes
jeunes. L’existence de douleurs pelviennes basses, de facteurs de risque
de maladies sexuellement transmissibles et de leucorrhées est évocatrice.
Les germes retrouvés sont le plus souvent des pathogènes de la sphère
gynécologique (streptocoques, Chlamydiae, gonocoques) avec un pou-
voir pathogène moindre que celui de la flore digestive, mais la présence
d’entérobactéries et/ou d’anaérobies n’est pas rare.

Diagnostic clinique et paraclinique


Le diagnostic de péritonite est un diagnostic clinique. Typiquement,
la palpation abdominale retrouve une défense en cas d’examen précoce ou
une contracture associée à une fièvre et à un syndrome occlusif. D’autres
signes cliniques liés à la cause initiale sont parfois présents (localisation
initiale de la douleur, ictère, leucorrhées…). À la symptomatologie abdo-
minale peut s’associer une symptomatologie générale en cas d’évolution
vers un sepsis sévère ou un choc septique (anurie, marbrures, tachycardie,
hypotension artérielle, détresse respiratoire, encéphalopathie). Les signes
cliniques du sujet âgé sont moins francs avec un tableau de « péritonite
asthénique » qui peut faire errer le diagnostic.
Le bilan biologique retrouve le plus souvent un syndrome inflammatoire
avec hyperleucocytose, augmentation de la protéine C réactive (CRP) et
de la procalcitonine (PCT). Il doit évaluer le retentissement viscéral de
l’infection (insuffisance rénale, hyperlactatémie, coagulopathie, défaillance
hépatique, hypoxie). La réalisation de plusieurs séries d’hémocultures est
habituelle. Actuellement, l’examen radiologique de référence dans les
péritonites est la TDM, qui n’est pas nécessaire au diagnostic mais peut
guider la chirurgie en précisant l’étiologie (pneumopéritoine secondaire
à une perforation digestive, visualisation d’une tumeur colique, isché-
mie mésentérique…). L’échographie a sa place notamment en pédiatrie
ou dans les pathologies des voies biliaires. L’imagerie ne doit cependant
jamais retarder la chirurgie et sa normalité n’élimine pas le diagnostic.

Traitement chirurgical
La prise en charge des péritonites repose sur la collaboration étroite
entre les équipes chirurgicale, d’anesthésie et de réanimation. L’indica-
tion chirurgicale est posée dès le diagnostic [13]. La réanimation pré-
opératoire ne doit pas retarder l’intervention et doit servir à optimiser le
patient sur les plans hémodynamique, ventilatoire et hydroélectrolytique.
La chirurgie des péritonites repose sur quatre axes principaux :
– 1 : exploration, confirmation du diagnostic et de l’étiologie ;
Péritonites communautaires 227

– 2 : prélèvements bactériologiques ;
– 3 : contrôle de la source infectieuse et baisse de l’inoculum bactérien ;
– 4 : prévention de la récidive.
L’abord peut se faire par cœlioscopie (en particulier dans les péritonites
appendiculaires ou secondaires à une perforation duodénale ou chez le
grand obèse) ou par laparotomie médiane, cette deuxième option étant la
voie privilégiée en cas d’instabilité hémodynamique.
En cas de péritonite sur perforation, la résection avec mise en stomies
du tube digestif est la règle, le risque de lâchage de sutures étant élevé
en milieu septique. Dans certaines conditions (sujet en bon état général,
absence d’état de choc, atteinte grêlique, prise en charge dans les 12 pre-
mières heures) et selon l’expérience du chirurgien, une anastomose en un
temps est envisageable. En dehors de ces situations, une stomie de protec-
tion en amont doit alors être discutée. Toute zone ischémique devra être
réséquée afin d’éviter sa perforation secondaire. En cas de sigmoïdite, plu-
sieurs attitudes peuvent être envisagées : suture simple de la perforation,
résection-anastomose en un temps avec stomie de protection ou mise en
Hartman. Certains proposent même un traitement non opératoire en cas
de poussée de diverticulite sigmoïdienne avec pneumopéritoine chez des
patients sans défaillance hémodynamique [14]. Si l’origine de la périto-
nite est appendiculaire, l’appendicectomie sera nécessaire, le choix de la
voie d’abord chirurgicale (laparostomie ou laparoscopie) étant fonction
du terrain, de l’extension infectieuse et des habitudes chirurgicales.
Concernant les péritonites biliaires, il convient de réaliser une cholécys-
tectomie et une dérivation biliaire externe en cas d’obstruction. La réa-
lisation d’une anastomose biliodigestive dans le même temps opératoire
sera évitée.
Les perforations duodénales peuvent être traitées par suture simple sous
cœlioscopie. La perforation d’un ulcère gastrique impose d’y associer la
résection de l’ulcère. En cas de perforation sur cancer gastrique, une gas-
trectomie partielle ou totale sera réalisée d’emblée. Pour les perforations
ulcéreuses gastriques ou duodénales, un traitement médical non invasif
type « méthode de Taylor » peut être discuté si le patient remplit certains
critères : bon état général, perforation survenue à jeun et prise en charge
dans les 6 heures, absence de fièvre, de signes de choc ou d’hémorragie.
Il repose sur l’aspiration gastrique, la rééquilibration hydroélectrolytique,
la nutrition parentérale, une antibiothérapie et un traitement par inhibi-
teurs de la pompe à protons à fortes doses.
Le lavage péritonéal, réalisé après le contrôle de la source infectieuse et
les prélèvements à visée microbiologique, doit être abondant ; l’adjonc-
tion d’antiseptiques ou d’antibiotiques locaux n’a pas fait preuve de son
efficacité.
Le drainage du foyer opératoire n’est pas systématique, il dépend du
contexte et des habitudes chirurgicales [15]. Il repose sur plusieurs pro-
cédés : drainage passif, aspiratif (drains tubulés, VAC…), lames, drai-
nage par capillarité (Mikulicz). Certains procédés de drainage comme
l’irrigation-lavage ou le drainage systématique des zones déclives de la
228 Infectiologie en réanimation

cavité n’ont pas fait la preuve de leur efficacité. En cas de péritonite opérée
14 au-delà de 12 heures d’évolution, ou de péritonite stercorale, un drainage
simple en regard du foyer causal peut être envisagé. En l’absence de synd-
rome du compartiment abdominal ou de défect pariétal important, il n’y
a pas d’indication à la laparostomie. Il n’y a pas d’indication non plus à
une reprise systématique programmée [16, 17].
Il est important de retenir que la chirurgie est le principal traitement de
la péritonite et ne doit donc pas être retardée. Il ne faut en aucun cas
débuter une antibiothérapie « test » pour stabiliser le patient ou se don-
ner un délai de réflexion sur l’indication opératoire sous réanimation,
au risque d’abâtardir le tableau clinique et d’attendre une complication
sévère avant d’opérer. Une bonne transmission d’informations, si possible
directe, entre le chirurgien et l’équipe médicale de réanimation est capi-
tale (schéma du montage chirurgical consigné dans le dossier médical).
En effet, les constatations peropératoires (type de résection, vitalité intes-
tinale, qualité du drainage, contrôle efficace ou non de la source infec-
tieuse) conditionnent la prise en charge ultérieure et notamment la durée
d’antibiothérapie, la survenue potentielle de complications, la possibilité
d’alimentation entérale précoce et le pronostic fonctionnel du patient.

Antibiothérapie
L’antibiothérapie probabiliste des péritonites communautaires est
ciblée sur les germes les plus fréquemment retrouvés : entérobactéries
et anaérobies. Si le tableau général est d’une gravité particulière (sepsis
sévère, choc septique), l’antibiothérapie devra être élargie afin de cou-
vrir des germes plus rarement impliqués mais dont le retard de prise en
charge compromettrait la survie du patient. La première injection d’an-
tibiotiques sera réalisée dès la suspicion diagnostique sans attendre les
prélèvements chirurgicaux [13]. Elle ne négativera pas l’examen bacté-
riologique réalisé en peropératoire du fait de l’importance de l’inoculum
bactérien, mais diminuera le risque de bactériémies peropératoires. Les
résultats de la culture et l’antibiogramme permettront son adaptation
secondaire, en gardant à l’esprit que les péritonites sont le plus souvent
polymicrobiennes. Bien que le type de germes présents et le rapport aé-
robies/anaérobies soient variables le long du tube digestif, il n’y a pas
d’arguments pour adapter l’antibiothérapie en fonction de la localisa-
tion de la source infectieuse [13]. Une activité antianaérobie de l’anti-
biothérapie doit être maintenue pendant 5 jours, délai qui correspond à
la fin des cultures anaérobies, puis adaptée aux résultats bactériologiques.
L’examen direct du liquide péritonéal retrouvera le plus souvent une flore
variée comprenant des BGN et des cocci à Gram positif. Il est donc peu
pertinent pour le choix de l’antibiothérapie initiale. En revanche, la pré-
sence de levures à l’examen direct est en faveur de la mise en route d’un
traitement antifongique car elle est prédictive de la réalité d’une périto-
nite fongique [18].
Péritonites communautaires 229

Le choix de l’antibiothérapie initiale est déterminant car il a un impact


direct sur le pronostic vital des patients [19, 20]. Dans les péritonites sans
signe de gravité, une antibiothérapie ciblée sur les anaérobies et les entéro-
bactéries communautaires sera proposée. Le consensus de la Sfar propose
de nombreux schémas [13]. Les associations initiales qu’il est possible de
retenir en 2012 sont les suivantes :
– céfotaxime ou ceftriaxone + imidazolé ;
– amoxicilline-acide clavulanique + gentamicine ;
– ticarcilline-acide clavulanique + gentamicine ;
– ofloxacine ou lévofloxacine + imidazolé + aminoside (en cas d’allergie
vraie aux bêtalactamines).
L’ajout systématique de gentamicine à l’amoxicilline-acide clavulanique
(amox-ac clav) est indispensable. Il permet de récupérer une sensibilité sur
les entérobactéries intermédiaires ou résistantes à l’association amox-ac
clav (en particulier Escherichia coli) retrouvées de plus en plus fréquem-
ment en contexte communautaire [21]. L’amikacine est à réserver pour
le traitement des péritonites nosocomiales postopératoires du fait de son
activité préservée sur les souches de BGN hospitaliers. La céfoxitine est
couramment utilisée en France dans l’antibioprophylaxie des chirurgies
abdominales et n’est donc pas à privilégier pour l’antibiothérapie probabi-
liste (son rôle possible dans les infections à entérobactéries bêtalactamases
à spectre étendu (BLSE) documentées fait cependant l’objet d’une des-
cription récente [22]). Les recommandations américaines de 2010 citent
également la tigécycline et la moxifloxacine (qui possèdent une activité
anaérobie propre) en monothérapie dans les infections intra-abdominales
sans signes de gravité [23]. Ces molécules récentes ne sont pas recom-
mandées en monothérapie en France actuellement pour le traitement des
péritonites communautaires, même si elles ont l’AMM.
En cas d’instabilité hémodynamique, de terrain altéré, d’antibiothérapie
ou d’hospitalisation récente, l’élargissement du spectre couvrira essen-
tiellement Pseudomonas aeruginosa et les entérobactéries multirésistantes.
L’intérêt d’un éventuel traitement probabiliste des entérocoques et/ou du
Candida sera développé plus tard dans ce chapitre. Les choix suivants sont
possibles dans cette indication :
– pipéracilline-tazobactam ;
– ertapénem ;
– ciprofloxacine + imidazolé + aminoside (en cas d’allergie vraie aux
bêtalactamines).
L’instabilité hémodynamique peut conduire à ajouter un traitement
par aminoside pour une durée de 48 à 72 heures, bien que certaines
études ne montrent pas de supériorité entre bêtalactamines large spectre
+ aminosides et bêtalactamines large spectre seules, l’association de deux
antibiotiques de même spectre étant possiblement inutile [24]. Les
recommandations américaines récentes ne recommandent pas l’utilisa-
tion d’aminoside dans les infections intra-abdominales communautaires
quelle que soit leur gravité [23]. En cas d’utilisation des fluoroquinolones,
l’adjonction systématique d’un aminoside a pour but d’éviter l’émergence
230 Infectiologie en réanimation

rapide de germes résistants. Afin de limiter la pression de sélection bac-


14 térienne, il est préférable de réserver l’imipénem et l’association céfépime
ou ceftazidime + imidazolé aux péritonites nosocomiales, bien que les
recommandations américaines proposent ces molécules dans le contexte
communautaire [23]. Les autres carbapénèmes n’ont pas d’indications en
probabiliste dans les péritonites communautaires.
Ces schémas devront être adaptés à l’évolution de l’épidémiologie de la
résistance bactérienne en ville, et notamment à la diffusion des BLSE (de
type CTX-M) [25] et des carbapénémases [26]. Dans le contexte de ces
nouvelles résistances dont l’épidémiologie est mouvante, la réalisation
de prélèvements peropératoires à visée microbiologique est absolument
indispensable. L’antibiogramme direct réalisé sur le liquide péritonéal
permet d’avoir rapidement une première idée de l’efficacité de l’antibio-
thérapie initiale [27, 28]. Il ne remplace pas l’antibiogramme conven-
tionnel, qui seul permet d’affirmer l’efficacité des antibiotiques face à un
inoculum calibré, mais il permet d’évoquer plus rapidement la présence
ou non d’une bactérie multirésistante dans les prélèvements.
Aucune recommandation formelle ne définit une durée stricte d’antibio-
thérapie ; elle devra être adaptée à l’étiologie de la péritonite, à la qualité
de prise en charge chirurgicale et à l’évolution du patient. La plupart des
recommandations conseillent les durées d’antibiothérapie suivantes [13,
23] :
– plaie pénétrante avec brèche digestive opérée avant la 12e : 24 heures ;
– péritonite localisée avec chirurgie radicale, ulcère gastrique ou duo-
dénal perforé : 48 heures ;
– péritonite généralisée opérée avant la 12e heure : 5 jours ;
– péritonite généralisée stercorale ou opérée tardivement : 7 à 10 jours.
Une tendance à des schémas courts de 5 à 7 jours doit être favorisée.

Suivi thérapeutique
L’évolution clinique reste le principal critère de guérison (baisse ou
arrêt des amines, sevrage ventilatoire, amélioration de la fonction ré-
nale, apyrexie) [13]. Le suivi du syndrome inflammatoire biologique
(leucocytose, CRP, PCT) n’est pas indispensable mais permet la détec-
tion précoce d’une complication ou d’un échec thérapeutique. Le suivi
dynamique de la PCT semble bien corrélé à l’évolution d’un syndrome
septique [29], mais son utilisation dans le cadre des péritonites n’a pas été
suffisamment étudiée pour permettre d’affirmer son intérêt.
La persistance ou l’aggravation d’une défaillance d’organe, une fièvre pro-
longée ou la réapparition d’une symptomatologie abdominale (contrac-
ture, défense, vomissements, syndrome occlusif) après plusieurs jours
de traitement doivent faire évoquer une complication [13, 30]. En cas
de doute sur un sepsis abdominal persistant, la réalisation d’une TDM
injectée après j5 permet de détecter un foyer infectieux intra-abdominal.
Elle guidera la stratégie thérapeutique qui repose sur une réintervention,
Péritonites communautaires 231

nécessaire en cas de péritonite diffuse ou de lâchage de suture, ou sur un


drainage percutané en cas d’abcès postopératoire localisé. L’échographie
doit être réservée à l’exploration des voies biliaires ou à la recherche d’abcès
sous-phrénique. La normalité de l’imagerie n’élimine pas une péritonite
secondaire, en particulier en l’absence d’autres points d’appel infectieux.
Si la suspicion clinique est forte et en cas de signes de gravité, il faudra
envisager une reprise chirurgicale rapide par laparotomie médiane suivant
les mêmes axes que la première intervention (si possible avant le 7e jour
car au-delà de la 1re semaine, la dissection chirurgicale peut devenir beau-
coup plus difficile).

Place de l’entérocoque et du Candida dans les péritonites


communautaires
Si les rôles pathogènes de l’entérocoque et du Candida dans les périto-
nites nosocomiales sont reconnus, leurs implications dans les péritonites
communautaires restent discutées.

Entérocoque
Certaines études montrent que la présence d’entérocoque dans les
prélèvements microbiologiques semble associée à une mortalité et à un
risque de complications postopératoires plus élevés [31-33]. Cependant,
aucune différence n’est observée entre deux groupes de patients bénéfi-
ciant d’un traitement par bêtalactamines large spectre, que cette anti-
biothérapie soit active (pipéracilline-tazobactam) ou non (ertapénem)
sur l’entérocoque [34, 35]. L’entérocoque agit de façon synergique avec
les entérobactéries et les anaérobies mais a un rôle pathogène modéré
isolément. À l’heure actuelle, il n’est pas recommandé de cibler spéci-
fiquement l’entérocoque en probabiliste, même si certains protocoles
antibiotiques utilisés couvrent l’Enterococcus faecalis, souche la plus fré-
quemment isolée en contexte communautaire. Néanmoins, le péritoine
étant une cavité normalement stérile, il paraît cohérent de prendre en
compte dans l’antibiothérapie probabiliste ce germe dans les péritonites
graves, pour éviter la survenue d’abcès secondaires. La mise en évidence
bactériologique (hémoculture, prélèvement opératoire) d’un entérocoque
doit sûrement être prise en compte dans l’adaptation du traitement chez
les patients présentant des défaillances viscérales sévères.

« Candida »
Le Candida est un saprophyte du tube digestif essentiellement présent
au niveau de l’œsophage, de l’estomac et du duodénum. Sa pathogé-
nicité est liée à un déséquilibre microbiologique, sa prolifération étant
secondaire à une disparition de la flore bactérienne commensale (dénu-
trition, antibiothérapie prolongée) et/ou à une immunosuppression. Son
rôle est bien reconnu en contexte nosocomial mais est plus difficile à
232 Infectiologie en réanimation

appréhender dans les péritonites communautaires, l’inoculum bactérien


14 massif d’entérobactéries virulentes étant souvent un frein à la proliféra-
tion fongique. Les levures sont isolées dans environ 3 à 5 % des périto-
nites communautaires, et leur présence ne modifie pas le pronostic si elles
sont associées à d’autres germes [13, 33, 36].
Dans les péritonites communautaires, un traitement antifongique pourra
être proposé dans les indications suivantes :
– l’identification de levures seules (péritonite fongique « pure ») ;
– la présence de levures à l’examen direct ou à la culture chez un patient
présentant un tableau septique sévère ;
– l’existence d’une candidémie ;
– un terrain immunodéprimé.
Le fluconazole peut être utilisé en première intention. En cas d’état sep-
tique sévère ou de traitement antérieur par les azolés, une échinocan-
dine sera proposée à la phase initiale [23, 37]. Le traitement sera adapté
secondairement à l’identification de l’espèce. Une augmentation de la
fréquence de Candida fluconazole-résistant allant jusqu’à 28 % a été
retrouvée dans une cohorte récente mêlant péritonites fongiques noso-
comiales et communautaires [38]. La gravité des péritonites fongiques
est essentiellement liée aux comorbidités, souvent sévères. Le type de
Candida mis en cause, la précocité de l’introduction ou de l’adaptation
initiale du traitement antifongique ne semblent pas être des facteurs
pronostiques [38].

Autres péritonites non postopératoires

Il existe d’autres types de péritonites moins fréquemment rencontrés


en réanimation, survenant dans des contextes particuliers avec un traite-
ment qui sera le plus souvent non chirurgical. On distingue :
– les péritonites du cirrhotique sur infection spontanée du liquide
d’ascite (ISA), favorisées par l’immunodépression et la translocation
bactérienne liées à la cirrhose. Il existe un lien fort entre hémorragie
digestive et ISA, l’une favorisant l’autre et inversement. Toute aggra-
vation brutale d’une cirrhose doit faire suspecter une ISA, même en
l’absence de syndrome infectieux clinique ou biologique franc. Le dia-
gnostic repose sur un taux de PNN > 250/mm3 dans le liquide d’as-
cite (LA) ; la culture bactériologique du LA est fréquemment néga-
tive sans que cela élimine le diagnostic. Les ISA sont le plus souvent
monobactériennes à entérobactérie, cocci à Gram positif (en particu-
lier après un geste invasif) ou, rarement, à anaérobies. Leur traitement
repose sur une antibiothérapie par céfotaxime, amoxicilline-acide
clavulanique ou ciprofloxacine [39] pour une durée de 7 jours. La
perfusion d’albumine pour prévenir le syndrome hépatorénal doit être
proposée. Une nouvelle ponction de LA doit être réalisée à 48 heures
et doit montrer un taux de PNN < 250/mm3 ou une baisse d’au moins
Péritonites communautaires 233

50 % du taux de PNN et un liquide stérilisé en cas de culture initiale


positive. La prévention primaire ou secondaire des ISA repose sur une
antibioprophylaxie par norfloxacine ;
– la péritonite sur infection de cathéter de dialyse péritonéale est le plus
souvent secondaire à une contamination intraluminale du cathéter.
Le diagnostic repose sur une irritation péritonéale clinique avec pré-
sence dans le dialysat d’une bactérie et/ou d’un taux de PNN > 100/
mm3. L’examen bactériologique retrouve des cocci à Gram positif
dans deux tiers des cas (Staphylococcus epidermidis et aureus > strep-
tocoques, entérocoques) ou des BGN (dont Pseudomonas aeruginosa).
Les Candida et anaérobies sont plus rares. Le traitement relève d’une
antibiothérapie intrapéritonéale ou par infusion dans le dialysat, qui
peut être associée à une antibiothérapie intraveineuse voire à un chan-
gement de cathéter de dialyse ;
– la péritonite par surinfection de coulées de nécrose pancréatique sur-
vient dans les pancréatites nécroticohémorragiques dont les coulées
s’infectent après translocation bactérienne. Elle doit être évoquée dans
chaque situation de dégradation de l’état d’un patient admis pour
pancréatite sévère. La suspicion du diagnostic doit conduire à réaliser
une TDM à la recherche de collections infectées. Le traitement repose
sur le drainage (radiologique ou chirurgical) des collections et sur une
antibiothérapie à large spectre, ces infections survenant dans la quasi-
totalité des cas chez des patients hospitalisés depuis plusieurs jours ou
semaines ;
– la péritonite spontanée secondaire à une diffusion bactérienne hé-
matogène. Dans cette catégorie se retrouvent les péritonites sponta-
nées à pneumocoque et les péritonites tuberculeuses, mais d’autres
germes peuvent être à l’origine de ces formes rares. Leur traitement
repose essentiellement sur une antibiothérapie ciblée sur le germe
en cause.

Conclusion

Les péritonites communautaires représentent une cause d’infections


fréquentes et sont régulièrement responsables d’états septiques graves.
Leur traitement repose avant tout sur une prise en charge chirurgicale
adaptée. L’antibiothérapie doit être précoce. Sa durée a tendance à être
plus courte de l’ordre d’une semaine dans les formes sévères. Son carac-
tère adapté à la phase initiale conditionne le pronostic vital des formes
graves. Les prélèvements peropératoires sont indispensables pour per-
mettre l’adaptation de l’antibiothérapie. L’épidémiologie de la résistance
des entérobactéries (BLSE CTX-M et carbapénèmases) en ville impose
une vigilance accrue, mais son importance est encore trop marginale pour
provoquer une modification des schémas antibiotiques actuellement pro-
posés en première intention.
234 Infectiologie en réanimation

Références
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Les infections sévères de la peau
et des parties molles
15
D. MATHIEU

Les infections de la peau et des parties molles recouvrent de multiples


entités en fonction des structures anatomiques intéressées et des agents
infectieux en cause. La plupart d’entre elles sont localisées et bénignes.
Seules les infections extensives, comprenant d’emblée ou dans leur évo-
lution une nécrose tissulaire et un retentissement général majeur intéres-
sent le réanimateur. Même si leur fréquence reste modérée, leur gravité
demeure importante car elles continuent à être mal connues dans leurs
signes de début et mal traitées dans leur prise en charge initiale.

Aspects nosologiques

Au fil du temps, de très nombreuses entités ont été décrites en fonc-


tion de la présentation clinique, des tissus atteints, du caractère nécrosant
ou non, de la localisation (membre, périnée, cou…), du mode évolutif
(aigu ou subaigu) ou des germes en cause (Clostridium, streptocoques,
germes anaérobies…). Cette multiplicité de descriptions a entraîné une
certaine confusion compliquant les études cliniques, l’analyse de la litté-
rature et l’élaboration de recommandations pour la prise en charge.
En 2000, une conférence de consensus française s’est prononcée en faveur
d’une classification anatomoclinique, distinguant ainsi [1] :
– les dermohypodermites aiguës bactériennes (DHB) désignent les in-
fections bactériennes aiguës touchant le derme et l’hypoderme parmi
lesquelles on distingue, en fonction de l’existence ou non d’une né-
crose tissulaire, les DHB nécrosantes (DHBN) des DHB non nécro-
D. Mathieu
Service d’urgence respiratoire, de réanimation médicale et de médecine hyperbare
Hôpital Calmette
CHRU
59037 Lille cedex
E-mail : [email protected]
Sous la direction de Pierre Charbonneau et Michel Wolff, Infectiologie en réanimation.
ISBN : 978-2-8178-0388-3, © Springer-Verlag Paris 2013
237
238 Infectiologie en réanimation

santes (DHBNN). L’atteinte nécrosante de l’aponévrose superficielle


15 au contact du plan musculaire et des fascias profonds intermusculaires
fait donner le nom de fasciites nécrosantes (FN) à ces infections. Ce-
pendant, la fréquence de l’atteinte simultanée des fascias et de l’hy-
poderme ainsi que la difficulté de déterminer le tissu primitivement
atteint font regrouper les deux entités (DHBN et FN) en une seule
(DHBN-FN).
Cette terminologie a été préférée à celle de « cellulite » traditionnellement
employée en France, du fait de l’ambiguïté que ce terme pouvait évoquer ;
– lorsque le tissu primitivement touché est le muscle, on emploie, selon
la présence ou non de nécrose musculaire, les termes de « myonécrose
bactérienne », de « myosite bactérienne », même si au cours de l’évo-
lution, les parties molles susjacentes sont souvent touchées.
Dans toutes ces infections, ce qui frappe, c’est le caractère non limité de
la zone infectée, son extension qui touche plusieurs régions anatomiques
sans respecter les barrières habituelles à la diffusion, l’absence de pus franc
remplacé le plus souvent par une sérosité peu abondante et louche. Lors
de l’incision, les tissus apparaissent pâles, nécrotiques et saignent peu. Ils
se laissent facilement cliver par la main. Lors de l’examen microscopique,
il existe une infiltration massive des tissus par des polynucléaires, avec jux-
taposition de foyers nécrotiques et de microabcès en formation. Les agents
bactériens responsables y sont le plus souvent directement retrouvés. Le
caractère nécrosant de cette infection est expliqué par les multiples throm-
boses intéressant la quasi-totalité des petits vaisseaux de la région infectée.
Ces thromboses expliquent l’existence d’un œdème important et l’inten-
sité de l’hypoxie locale, la persistance du débit sanguin dans les vaisseaux
de gros calibre étant incapable d’assurer la fourniture d’oxygène aux tissus
infectés. Ces caractères sont suffisamment communs pour expliquer la
réunion de ces infections dans un même cadre, les infections nécrosantes
des tissus mous, même si certains caractères particuliers dus aux tissus
primitivement touchés, à la localisation anatomique ou au mode évolutif
peuvent d’emblée orienter vers telle ou telle entité [2].
Enfin, ces dernières années, un facteur de confusion supplémentaire est
apparu. À la faveur d’essais cliniques évaluant l’efficacité d’antibiotiques
dont le spectre d’action concernait les cocci (linézolide, daptomycine,
tigécycline…), est apparu un cadre nosologique regroupant toutes les
infections de la peau et des tissus mous où des affections bénignes comme
la furonculose ou un peu plus étendues comme une cellulite périulcéreuse
ou un abcès se retrouvent associées aux dermohypodermites précedem-
ment décrites [3]. Outre les différences de présentation clinique (présence
de pus franc, absence de retentissement général), d’évolution (extension
plus lente), c’est la fréquence d’isolement de Staphylococcus aureus dans ces
infections limitées qui pose problème. Rassembler toutes les infections de
la peau et des parties molles conduit ainsi à recommander des traitements
anbiotiques couvrant le Staphylococcus aureus, en particulier méticilline
résistant, alors que ce germe est beaucoup moins souvent responsable ou
associé dans les DHN et myonécroses.
Les infections sévères de la peau et des parties molles 239

Aspects cliniques

La myonécrose à germes anaérobies ou gangrène gazeuse


Terreur des champs de bataille, la gangrène gazeuse compliquait les
plaies de guerre dans environ 5 % des cas lors de la Première Guerre
mondiale, dans 1 % lors de la Seconde et dans 0,016 % lors de la guerre
du Vietnam. Son incidence actuelle est faible, mais une certaine résur-
gence a été enregistrée ces vingt dernières années, liée à un accroissement
de la traumatologie routière, à des erreurs dans la prophylaxie et surtout
à une pratique chirurgicale tendant à réparer la totalité des lésions en un
seul temps. L’incidence actuelle est estimée à 0,1 à 0,4 cas par an pour
100 000 habitants [4].

Bactériologie
Six espèces de Clostridium sur plus de 150 identifiées ont été mises en
cause dans la gangrène gazeuse, mais Clostridium perfringens est l’agent
principal de la myonécrose [5]. Il est retrouvé dans 80 à 90 % des cas.
Dix pour cent environ des myonécroses ne sont pas d’origine clostridiale.
Des germes du groupe Bacteroïdes fragilis ou des streptocoques anaérobies
sont alors les plus fréquemment impliqués.

Circonstances d’apparition
La porte d’entrée est le plus souvent externe, traumatique, à partir
de germes telluriques. On retrouve là toute l’écologie bien connue des
Clostridium : plaies contuses, souillées de terre, mal désinfectées ; corps
étrangers résiduels. Souvent l’inoculation est massive (grand délabre-
ment de la traumatologie routière) et associée à des lésions favorisant la
prolifération microbienne anaérobie (lésions vasculaires, fractures ou-
vertes…).
L’étiologie peut également être médicale par contamination d’ulcères
cutanés ou d’escarres. Les lésions du pied diabétique représentent actuel-
lement près de 40 % des lésions retrouvées à l’origine d’une gangrène
gazeuse. Plus rarement, il peut s’agir de gestes infectants tels que les injec-
tions intramusculaires ou intra-articulaires, surtout en cas d’injection de
corticoïdes ou d’anti-inflammatoires non stéroïdiens. La porte d’entrée
peut également être chirurgicale, opératoire, en particulier après ampu-
tation dans le cas de la chirurgie vasculaire ou chez le diabétique. Plus
rarement, certains cas peuvent survenir après des gestes chirurgicaux
« aseptiques » notamment aprés chirurgie de hanche. La contamination se
fait plus rarement de manière interne à partir des flores endogènes. Dans
ce cas, la recherche d’un cancer colique ou rectal s’impose.
240 Infectiologie en réanimation

Présentation clinique
15 Le délai séparant la contamination des signes d’infection est le plus
souvent court de 12 à 24 heures. Parfois évoquée devant un aspect de
plaie atone, l’infection se manifeste d’abord localement par une douleur
vive et d’intensité croissante, une peau froide et décolorée, un œdème
« tendu », un exsudat peu abondant. C’est à ce stade que le diagnostic
doit être évoqué et la plaie explorée.
Une radiographie des parties molles peut montrer l’existence de bulles
ou de traînées gazeuses dans les masses musculaires apportant ainsi un
élément de confirmation, mais la présence de gaz intratissulaire n’est ni
précoce ni constante (20 % dans notre expérience) et ne doit pas être
attendue pour évoquer le diagnostic [6]. La présence de gaz n’est pas non
plus spécifique, d’autres germes étant producteurs de gaz (Escherichia coli,
Proteus, Aerobacter…) et de plus, l’injection d’air dans les parties molles
lors du traumatisme est également possible et trompeuse. Dans ce der-
nier cas, le délai extrémement court (quelques minutes à quelques heures)
entre le traumatisme et la constatation d’une crépitation neigeuse, la pré-
sence d’images gazeuses sur les premiers clichés radiographiques pris après
le traumatisme, l’absence de signes infectieux locaux et généraux redres-
sent le diagnostic.
Le diagnostic de gangrène gazeuse est donc avant tout un diagnostic cli-
nique. Attendre la confirmation bactériologique expose à laisser l’évolution
se faire vers l’extension et l’apparition de signes généraux : hypotension,
troubles de conscience, oligurie, ictère et coagulopathie, qui ont tous été
identifiés depuis longtemps comme des signes de mauvais pronostic.

Dermohypodermite aiguë bactérienne nécrosante – fasciite


nécrosante
Introduit par la conférence de consensus en 2000 [1], ce terme dé-
signe une infection du derme et de l’hypoderme diffusant le long des
fascias, lésant secondairement la peau et épargnant jusqu’à un stade tardif
les masses musculaires.
De nombreuses terminologies ont été utilisées : cellulite nécrosante,
cellulite clostridiale, cellulite crépitante non clostridiale, cellulite nécro-
sante synergistique et, pour la localisation pénoscrotale, maladie de
Fournier.

Bactériologie
Si dans la description initiale de Meleney, tous les patients présen-
taient des cultures positives au streptocoque bêtahémolytique, depuis et
parallèlement aux progrès des méthodes de prélèvement et de cultures
bactériologiques, de nombreux auteurs ont rapporté l’isolement de flores
mixtes où le streptocoque n’est plus retrouvé [7, 8].
Les infections sévères de la peau et des parties molles 241

Une classification en trois types de DHBN-FN est actuellement propo-


sée [9]. Le type I correspond à des infections polymicrobiennes associant
des bactéries anaérobies, des cocci à Gram positif et des bacteries aérobies
à Gram négatif. Moins fréquent, le type II correspond à des infections
monomicrobiennes causées par Streptococcus pyogenes seul ou parfois asso-
cié à Staphylococcus aureus. Leur particularité est d’être parfois associées à
un toxic shock syndrome. Le type III est une infection surtout rencontrée
en Asie chez des patients se contaminant dans des eaux chaudes et est dû
à Vibrio vulnificus.

Circonstances d’apparition
Considérée comme rares, la fréquence des DHBN-FN liées à Strepto-
coccus pyogenes est estimée à 4 pour 100 000 habitants, et elles entraînent
une mortalité d’environ 25 % [2]. Le point de départ des DHBN-FN est
une effraction du revêtement cutané ou muqueux, parfois évidente : trau-
matisme, plaie opératoire, surinfection d’une lésion primitive : ulcère, es-
carre talonnière, mal perforant plantaire du diabétique…, parfois discrète
voire méconnue ou négligée par le patient : éraflure cutanée, piqûre par
une épine ou un insecte, lésion d’acné traumatisée…
Des cas indiscutables ont été observés après extraction dentaire banale,
intervention chirurgicale réglée, de même qu’après injection sous-cutanée
ou intramusculaire (surtout de corticoïdes ou d’anti-inflammatoires non
stéroïdiens). Les injections septiques des toxicomanes à l’héroïne sont éga-
lement une porte d’entrée fréquente dont les caractéristiques bactériolo-
giques sont particulières (fréquence des germes d’origine salivaire comme
les Prevotella).

Description clinique
Après le traumatisme initial, la phase d’incubation est en général
courte (6 à 72 heures), parfois marquée par de discrets signes locaux :
plaie atone, paresthésies localisées, sensation de tension locale…
Puis apparaît un érythème rapidement accompagné d’œdème et de dou-
leurs. Dès lors, l’évolution est explosive avec apparition en quelques heures
de signes locaux et généraux.
Localement, apparaît une zone érythémateuse, infiltrée, chaude, doulou-
reuse, débordée par un œdème rendant ses bords non délimitables par la
palpation. Il n’existe en général ni traînée de lymphangite, ni adénopathie
satellite. Cette lésion s’étend rapidement, de façon souvent évidente aux
examens cliniques répétés. Une crépitation neigeuse traduisant la présence
de gaz intratissulaire est possible, bien que de constatation moins fré-
quente qu’en cas de myonécrose clostridiale. Des clichés radiographiques
des tissus mous peuvent montrer la présence de gaz en traînées, dissociant
le tissu sous-cutané et dessinant les masses musculaires [2]. Ces signes
locaux sont surtout frappants par le caractère rapidement extensif, voire
même explosif. Ainsi par exemple, il ne s’écoule parfois que 36 heures
entre la constatation d’une zone érythémateuse localisée au pourtour
242 Infectiologie en réanimation

immédiat d’une plaie et un tableau de DHBN-FN diffusée à tout un


15 membre avec extension au niveau des lombes et de l’abdomen [6].
Sur le plan général, les DHBN-FN s’accompagnent fréquemment d’un
syndrome infectieux marqué avec hyperthermie, altération de l’état
général et hyperleucocytose. L’existence de troubles de la conscience est
un indice de gravité [8]. Il faut cependant savoir que, parfois, le syn-
drome infectieux peut être moins marqué voire même absent alors que la
DHBN-FN progresse de façon rapide, traduisant une véritable sidération
de l’organisme.

Aspect particulier suivant la localisation

Les atteintes périnéales


En 1883, Fournier décrivait chez cinq hommes une gangrène des or-
ganes génitaux externes. En fait, et malgré l’exactitude de la description
originelle de Fournier, l’existence de gangrènes pénoscrotales s’étendant
ensuite à tout le périnée, de même que de gangrènes prenant leur origine
au niveau anal et s’étendant secondairement aux organes génitaux ex-
ternes, la survenue de gangrènes périnéales très similaires au plan physio-
pathologique chez la femme, font actuellement considérer les syndromes
de Fournier comme une localisation particulière, périnéale, des DHBN-
FN [10, 11].
Cliniquement, il existe un érythème extensif et douloureux du périnée
avec constitution rapide de zones de nécrose cutanée. L’extension, plus
fréquente en cas d’origine secondaire, se fait vers l’abdomen, les lombes,
les fesses et les cuisses. Le retentissement général est également plus fré-
quent en cas d’origine secondaire.
Si, dans environ 30 % des cas chez l’homme, l’enquête étiologique ne
retrouve rien si ce n’est une lésion de folliculite scrotale souvent trauma-
tisée, la recherche d’une cause est un point capital de la prise en charge
car il n’est pas concevable de traiter la DHBN-FN et de laisser persister
sa porte d’entrée. Une tomodensitométrie abdominopelvienne, associée
éventuellement à un lavement opaque aux hydrosolubles, doit constituer
le premier examen de cette enquête à réaliser en urgence.
L’origine postopératoire de ces DHBN-FN périnéales est bien connue,
surtout après chirurgie hémorroïdaire ou cure de fistule anale. Mais l’ap-
parition d’une DHBN-FN en apparence spontanée est encore trop sou-
vent la circonstance de découverte d’une lésion néoplasique rectale ou
colique.

Les atteintes cervicofaciales


La localisation cervicofaciale des DHBN-FN est la moins fréquente,
mais elle constitue une localisation grave des infections dentaires ou
rhinopharyngées [12, 13]. De par la richesse des flores buccale et pharyn-
gée en bactéries anaérobies, il n’est pas surprenant qu’une telle infection
survienne après des affections d’apparence banale, comme un abcès de
Les infections sévères de la peau et des parties molles 243

la dent de sagesse ou de l’amygdale. Sa gravité tient à l’absence de bar-


rière pouvant s’opposer à l’extension du processus infectieux qui peut
atteindre en quelques heures le médiastin [14].
Cliniquement, après une phase marquée par les signes de l’affection
causale (douleur dentaire ou pharyngée, gonflement sous-maxillaire…),
apparaît un œdème érythémateux rapidement extensif, envahissant toute
la région sous-maxillaire, la région pharyngée, débordant la ligne médiane
pour donner un tableau reconnu classiquement sous le nom d’angine de
Ludwig. L’extension se fait ensuite vers la face, la région cervicale infé-
rieure, les creux sus-claviculaires et la paroi thoracique.
Surtout, la gravité est liée à l’existence d’une extension médiastinale qui
impose la réalisation en urgence d’une tomodensidométrie cervicothora-
cique [15]. L’évolution se fait ensuite vers l’atteinte pleurale, pulmonaire
et péricardique.

Dermohypodermite non nécrosante


À l’opposé des DHBN-FN, les DHBNN sont des infections du tissu
sous-cutané d’évolution progressive, se compliquant rarement de mani-
festations générales [3, 16].
Connues sous le nom de gangrène bactérienne progressive, gangrène
synergistique progressive…, ces infections touchent primitivement le
tissu sous-cutané, se limitent souvent au derme et à l’hypoderme superfi-
ciel et épargnent les fascias profonds.

Circonstances d’apparition
Les DHBNN se développent le plus souvent autour d’une plaie après
une chirurgie thoracique ou abdominale, autour d’un orifice de drainage
d’une pleurésie purulente ou d’un abcès péritonéal. Elles peuvent égale-
ment apparaître autour d’un orifice de colostomie ou d’iléostomie, ou
succéder à une plaie banale, ou apparaître spontanément sans lésion pri-
mitive apparente.

Bactériologie
Les prélèvements bactériologiques au niveau de la zone centrale mettent
en évidence de très nombreuses bactéries sans signification propre quant à
l’infection et résultant de la colonisation de la plaie. Les prélèvements faits
dans la zone périphérique révèlent eux la présence de streptocoques hé-
molytiques de groupe A ou parfois, non hémolytiques associés à d’autres
germes : Staphylococcus aureus, Protéus, Enterobacter, Pseudomonas…
Le streptocoque semble jouer un rôle essentiel. Retrouvé dans les zones les
plus externes, il paraît avoir pour mission de préparer les tissus à l’action
des autres germes. C’est en cela que, depuis longtemps, cette infection a été
dénommée synergistique. L’isolement du streptocoque peut être cependant
difficile, et dès lors sa responsabilité méconnue au profit des germes associés.
244 Infectiologie en réanimation

Aspects cliniques
15 Cliniquement, la lésion se manifeste par des douleurs spontanées et à
la pression. Localement, la lésion consiste en une zone indurée centrale,
de couleur rouge sombre, entourée par une zone érythémateuse.
L’évolution se fait vers l’extension et au stade d’état, on retrouve une lésion
composée de trois zones : une zone périphérique érythémateuse, une zone
intermédiaire rouge sombre et douloureuse, une zone centrale gangré-
neuse et nécrotique qui va évoluer vers une ulcération large où apparais-
sent parfois des bourgeons de granulation et des ilôts d’épidermisation.
Très caractéristique est le fait que les fascias profonds entourant les masses
musculaires ne sont pas touchés. L’hyperesthésie de la zone intermédiaire
est également évocatrice.
L’extension est lente mais continue sur quelques jours à quelques semaines.
Des lésions satellites peuvent survenir, liées à une diffusion sous-cutanée.
Les manifestations infectieuses générales sont discrètes et les complica-
tions exceptionnelles.

Diagnostic

Il repose essentiellement sur l’aspect clinique des lésions, qui sont suf-
fisamment évocatrices pour permettre de mettre en route le traitement
sans attendre la confirmation bactériologique.

Diagnostic clinique
Confondre une DHBN avec une myonécrose, qu’elle soit à Clostri-
dium (gangrène gazeuse) ou non clostridiale, n’aurait que peu de consé-
quences, les conduites à tenir étant très voisines. En fait, le diagnostic est
aisé en raison d’un processus infectieux intéressant essentiellement les
masses musculaires qui sont œdémaciées, de coloration brunâtre et sai-
gnant peu lors de l’incision. La peau et le tissu sous-cutané apparaissent
normaux ou atteints seulement de façon secondaire. À un stade évolué,
les différences anatomiques entre les deux infections sont masquées, et
seul l’interrogatoire et le contexte permettent d’évoquer l’une plus que
l’autre à l’origine du tableau clinique.
Les cellulites à germes aérobies (staphylocoque, Hemophilus influenzae…)
sont très différentes dans leur présentation : cellulite localisée, d’appari-
tion et d’extension beaucoup plus lente, sans tendance aisée au décolle-
ment des plans sous-cutanés. Le contexte (âge, lésion sous-jacente…), la
présence d’un pus plus franc, le caractère modéré des signes généraux, les
différencient facilement même avant le résultat des examens bactériolo-
giques. Compte tenu des différences dans l’urgence de la prise en charge,
un score biologique (LRINEC) a été proposé pour aider à distinguer entre
DHBN-FN et infections comme DHBNN ou cellulite [17]. Dans notre
Les infections sévères de la peau et des parties molles 245

expérience, il s’est avéré peu spécifique et ne doit pas retarder la prise en


charge, en particulier chirurgicale.
L’érysipèle est le diagnostic erroné le plus souvent porté, mais l’absence
de bourrelet palpable, d’adénopathie satellite, d’atteinte de l’état général
et d’évolution rapidement extensive avec apparition de phlyctènes et de
zones nécroticohémorragiques, devrait le faire réfuter.
Enfin, et rarement, au stade de début, le diagnostic peut se poser d’avec
une phlébothrombose débutante. L’absence de contexte infectieux, la
douleur plus localisée au trajet veineux, la présence d’un cordon veineux,
permettent de redresser rapidement le diagnostic. En cas de doute persis-
tant, l’échodoppler veineux ou la phlébographie permettra de redresser le
diagnostic.

Diagnostic radiologique
Si la constatation de gaz dans les parties molles est un bon signe
d’orientation, il est peu sensible. La tomodensitométrie est surtout utile
pour rechercher une porte d’entrée de l’infection, mais permet mal de dé-
terminer l’extension de l’infection. L’imagerie par résonance magnétique
semble être actuellement le meilleur examen pour apprécier l’atteinte des
structures tissulaires et différencier ainsi les DHBN-FN des autres infec-
tions non nécosantes [18].

Diagnostic bactériologique

Diagnostic bactériologique initial


Le diagnostic est donc essentiellement porté sur la clinique. Le dia-
gnostic bactériologique n’est malheureusement fait que dans 30 à 60 %
des cas, dépendant surtout de la qualité des prélèvements [19]. Si l’isole-
ment à partir d’hémoculture ne pose pas de problème particulier, seules
15 à 20 % de ces infections ont des hémocultures positives. Dans les
autres cas, seuls les prélèvements locaux peuvent mettre en évidence la ou
les bactéries responsables. Les prélèvements, selon la technique usuelle de
l’écouvillon, sont à rejeter. Les prélèvements devront être faits par ponc-
tion directe ou recueil de la sérosité s’écoulant d’une incision dans une
seringue, avec obturation de cette seringue et purge soigneuse pour éviter
toute bulle d’air résiduelle. Une désinfection locale est obligatoire pour
éviter toute contamination par la flore commensale. Si la quantité de pus
ou de sérosité est trop faible, l’injection suivie de réaspiration de quelques
millilitres de sérum physiologique dans les zones de décollement peut
donner de bons résultats.
En urgence, seul est utile l’examen direct avec coloration de Gram [20].
Dans les cas les plus fréquents, il donne une orientation diagnostique en
montrant soit des bacilles à Gram positif de type Clostridium, soit des
246 Infectiologie en réanimation

germes en forme de bâtonnets ou encore à morphologie de streptocoque.


15 Le plus souvent, ces germes ne sont pas seuls mais dominants dans une
flore polymorphe où s’associent d’autres germes anaérobies et aérobies.
Cet examen direct est à compléter par des cultures en anaérobiose et en
aérobiose dont l’intérêt diagnostique immédiat est toutefois limité. La
valeur de cet examen direct est élevée (très évocateur dans 60 %, suspect
dans 30 %) et ce d’autant plus que le prélèvement est fait et transmis au
laboratoire dans de bonnes conditions, c’est-à-dire en évitant tout contact
avec l’oxygène et en prévenant la déssication du prélèvement.

Surveillance bactériologique ultérieure


Si une grande valeur diagnostique peut être donnée à ces prélèvements
initiaux, faits avant toute incision et antibiothérapie, tout autre est la
valeur à donner aux examens bactériologiques locaux ultérieurs. En effet,
l’ouverture des tissus par l’incision chirurgicale ou la chute de la nécrose
cutanée expose à la colonisation de la plaie par la flore de voisinage. Celle-
ci varie selon la localisation : flore cutanée le plus souvent, mais aussi
flore colique en cas de localisation périnéale, flore buccale ou des voies
aériennes supérieures en cas de localisation sous-maxillaire et cervicale…
Surtout, au fil du temps, cette flore de contamination varie en fonction
de la pression de sélection exercée par les antiseptiques et plus encore les
antibiotiques prescrits et parfois, malheureusement, s’enrichit de germes
nosocomiaux le plus souvent manuportés.
Aussi, contrairement aux prélèvements locaux initiaux qui ont une valeur
diagnostique quant à l’agent (ou aux agents) bactérien(s) responsable(s)
de l’infection, les prélèvements locaux ultérieurs ne sont qu’une moda-
lité d’évaluation de la contamination bactérienne du patient, s’intégrant
dans le cadre plus vaste de la surveillance bactériologique d’un patient de
réanimation.

Traitement

Dès la suspicion du diagnostic, compte tenu de la gravité potentielle


de ces infections, il est justifié d’admettre ces patients en milieu de réa-
nimation et de mettre en route en urgence un traitement faisant appel à
une association antibiothérapie, chirurgie [21] complétée pour nous par
une oxygénothérapie hyperbare.

Le traitement antibiotique
L’antibiothérapie, administrée par voie parentérale, doit être débutée
dès le diagnostic suspecté et avant le résultat des prélèvements bactério-
logiques [21].
Les infections sévères de la peau et des parties molles 247

La pénicilline G a longtemps été l’antibiotique de choix dans le traitement


et la prévention de ces infections. Elle réduit la morbidité et la morta-
lité des gangrènes gazeuses expérimentales. Elle a transformé le pronostic
des gangrènes gazeuses sur plaies de guerre. Actuellement, la pénicil-
line G, seule et à fortes doses, reste toujours active sur les streptocoques
du groupe A et sur un grand nombre de germes anaérobies (Clostridium,
Fusobacterium et Peptostreptococcus). Chez l’adulte, la posologie journalière
est de l’ordre de 30 millions d’unités en l’absence de contre-indication.
Cette forte posologie est rendue nécessaire par la difficulté de pénétration
de l’antibiotique au sein de tissus dont la vascularisation est compromise
par le traumatisme et l’œdème.
Cependant, l’émergence d’un nombre de plus en plus grand de souches
résistantes à la pénicilline G (Bacteroïdes sp., Prevotella melaninoge-
nica…) modifie actuellement cette attitude classique et peut faire recou-
rir soit à des bêtalactamines plus stables telles les ureïdopénicillines
(pipéracilline), soit à l’association à des dérivés imidazolés (métronida-
zole, ornidazole). Les céphalosporines à l’exception des céphamycines
sont beaucoup moins régulièrement efficaces que les pénicillines. En cas
d’allergie aux pénicillines, on peut recourir aux macrolides (érythromy-
cine) ou à la clindamycine. Cette dernière est très souvent recomman-
dée par les auteurs américains pour son action antitoxinique, mais sa
tolérance médiocre et la résistance croissante des germes ont beaucoup
restreint son usage en Europe. Le linézolide, la tigécycline de même que
l’imipénème lui sont souvent préférés en cas de contre-indication aux
pénicillines.
Si une monothérapie par fortes doses de pénicilline G paraît être justi-
fiée devant une infection à Clostridium, en réalité la situation clinique
est différente pour deux raisons : la première est qu’il n’existe aucune
différence clinique (si ce n’est la fréquence en fonction de la localisa-
tion et de l’étiologie) entre une infection clostridiale et une infection
non clostridiale due à des streptocoques anaérobies ou à des bacilles à
Gram négatif, en particulier Bacteroïdes sp. dont la résistance à la péni-
cilline G augmente actuellement. L’urgence qu’il y a à maîtriser l’infec-
tion ne permet pas d’attendre la confirmation du laboratoire et oblige
à prescrire une antibiothérapie a priori efficace sur tous ces germes. La
seconde raison est le caractère multibactérien habituel de ces infections.
L’association à des germes aérobies, bacilles à Gram négatif le plus sou-
vent, est fréquente soit d’emblée, soit par surinfection. La présence de
bacilles à Gram négatif (entérobactérie, Pseudomonas…) n’est pas à
considérer seulement parce qu’elle expose à la surinfection, mais sur-
tout à cause de phénomènes de synergisme microbien, en particulier
parce que la sécrétion de bêtalactamases par ces germes peut empêcher
les pénicillines d’avoir leur efficacité habituelle sur les anaérobies [19].
La prescription d’une association avec un inhibiteur des bêtalactamases
s’en trouverait justifiée.
La triple association pipéracilline – imidazolé – aminoside a ainsi sou-
vent été recommandée. Les associations ticarcilline – acide clavulanique
248 Infectiologie en réanimation

– aminoside, pipéracilline – tazobactam – aminoside ou l’imipénème seul


15 constituent également des choix possibles.
La durée de cette antibiothérapie initiale n’est pas fixée de manière défi-
nitive. Elle doit être poursuivie au minimum jusqu’à disparition des
signes infectieux généraux et locaux. La plupart des auteurs préconisent
une durée moyenne de 10 à 15 jours. Hors l’apparition d’une complica-
tion infectieuse touchant une autre localisation (pneumopathie, septicé-
mie…), la modification de cette antibiothérapie initiale sur le résultat des
prélèvements locaux ultérieurs n’est pas licite, sauf si un nouveau germe
est considéré comme responsable d’une superinfection.

La chirurgie

Principes généraux
Dès avant l’ère des antibiotiques, les chirurgiens militaires avaient
montré qu’une chirurgie radicale, mutilante, consistant en une ampu-
tation haute à la racine du membre, voire une désarticulation pouvait,
si elle était pratiquée tôt devant une infection encore limitée, sauver la
vie du blessé. Cette attitude, de façon surprenante parfois encore recom-
mandée, n’est pas dépourvue d’une mortalité immédiate importante, et
surtout laisse d’importantes séquelles fonctionnelles.
Actuellement, la conception de l’acte chirurgical a complètement changé.
Celui-ci doit avant tout éliminer les tissus nécrosés et diminuer les phé-
nomènes compressifs liés à l’œdème qui interrompent la circulation san-
guine, entraînant une hypoxie favorisant la pullulation microbienne et
un arrêt de la pénétration des antibiotiques [9]. Ceci explique l’impor-
tance de la précocité de l’intervention chirurgicale, qui est un facteur bien
établi du pronostic [22].
Cette chirurgie repose sur le principe du débridement large et précoce
avec des incisions ouvrant le tissu sous-cutané jusqu’aux aponévroses
musculaires, et l’ouverture des espaces de décollement jusqu’à ce que
la main ressente une résistance, traduction d’un tissu non encore clivé.
Lors du premier geste, et en dehors de toute situation dramatique où
l’amputation est le seul geste de sauvetage possible, il ne s’agit pas
d’une chirurgie mutilante d’emblée, l’exérèse ne concerne que les tis-
sus manifestement nécrosés. Les tissus inflammatoires seront incisés
jusqu’en zone saine. Une irrigation abondante complète ce geste et un
drainage, assuré habituellement par de multiples lames, est laissé en
place. Enfin, bien sûr, la porte d’entrée doit bénéficier de son traite-
ment propre.
Cet acte chirurgical initial doit être suivi de pansements pluriquoti-
diens (dans notre pratique, toutes les 8 heures pendant les 5 premiers
jours), véritables mini-interventions chirurgicales au cours desquelles
on effectuera une exérèse à la demande des tissus nécrosés, une irri-
gation large des zones de décollement, voire un complément de drai-
Les infections sévères de la peau et des parties molles 249

nage. Lorsque les plaies deviennent propres (habituellement lors de la


deuxième semaine), la fréquence des pansements est diminuée jusqu’à
devenir quotidienne, tandis qu’à la détersion succédera une attitude de
cicatrisation dirigée.

Aspects particuliers liés aux différentes localisations


La localisation abdominale rend le geste chirurgical plus délicat. La
réouverture de l’incision, l’évacuation des cavités purulentes résiduelles,
un drainage sous-cutané large sont suffisants au stade précoce. À un stade
plus tardif, l’obligation de non-fermeture pariétale, la nécessité de sacri-
fices pariétaux étendus vont alourdir considérablement la prise en charge
de ces patients. La lésion causale doit bénéficier de son traitement propre.
Dans la localisation périnéale, le traitement chirurgical est dominé par
la nécessité de réaliser ou non une colostomie. En effet, il est illusoire
d’espérer une stérilisation des lésions si les espaces de décollement sont
constamment réensemencés par une flore colique provenant des selles.
Aussi, doit-on avoir recours à la colostomie dès que ces zones atteignent la
marge anale. Cette colostomie doit être faite en zone saine pour éviter que
la cicatrice de laparotomie ou l’orifice de colostomie ne devienne une voie
de drainage de l’infection [6].
Dans les localisations cervicofaciales, l’intervention chirurgicale doit com-
prendre, outre un geste sur la porte d’entrée, un drainage large, à la fois
interne et externe, intéressant tous les espaces celluleux de la face et du
cou atteints par le processus infectieux. Compte tenu de l’étendue des
ouvertes cutanées, le drainage cervical doit se faire par des larges incisions
le long des muscles sternocleïdomastoïdiens plutôt que par une cervico-
tomie transversale, étant donné les risques de nécrose du volet cutané. Le
drainage médiastinal peut se faire à partir de l’incision cervicale lorsque
l’extension est limitée. La thoracotomie droite s’impose dès que l’exten-
sion dépasse le niveau de la crosse aortique [23].

Traitements adjuvants

L’oxygénothérapie hyperbare
Introduite en 1960 dans le traitement des gangrènes gazeuses par
Brummelkamps et Boerema, l’oxygénothérapie hyperbare (OHB) voit
encore sa place discutée bien que ses bases physiopathologiques soient
solidement établies et que de nombreux auteurs aient rapporté son effi-
cacité en clinique.
Sur le plan physiopathologique, l’OHB exerce une action à la fois directe
sur les germes anaérobies et indirecte sur les moyens de défense de l’or-
ganisme en restaurant le pouvoir bactéricide des polynucléaires. En effet,
l’hypoxie régnant au sein du foyer infectieux explique l’incapacité des
polynucléaires à détruire les germes qu’ils ont phagocytés. L’OHB, en res-
250 Infectiologie en réanimation

taurant une oxygénation correcte, permet au polynucléaire de retrouver


15 ainsi son pouvoir bactéricide.
Un certain nombre d’études expérimentales chez l’animal ont été déve-
loppées à partir de ces notions physiopathologiques [24]. L’efficacité de
l’OHB employée seule était démontrée dès 1972 dans une étude rando-
misée concernant un modèle d’infection clostridiale chez la souris. Des
études ultérieures devaient confirmer ces résultats et mettre en évidence le
rôle du délai entre inoculation et OHB : l’efficacité de l’OHB étant d’au-
tant plus grande que le délai était plus court. Enfin, plus récemment, le
rôle additif de l’OHB vis-à-vis des autres modalités thérapeutiques (anti-
biotique, chirurgie) a été confirmé.
Sur le plan clinique, s’il n’existe pas d’étude randomisée en double aveugle
concernant l’efficacité de l’OHB en tant que traitement adjuvant, en
revanche de nombreuses séries de type ouvert ont été publiées mettant
en évidence une réduction de la mortalité en faveur de groupes traités par
l’OHB [25-27]. D’autres, au contraire, ne retrouvaient pas de bénéfice en
termes de mortalité [28].
Plusieurs faits expliquent l’hétérogénéité des résultats : absence de rando-
misation, absence de standardisation des traitements antibiotiques, des
procédures chirurgicales et des pansements, surtout difficultés à identifier
avec un pouvoir discriminant suffisant les facteurs de gravité : défaillances
viscérales, localisation primitive, extension, porte d’entrée accessible
ou non à un geste curatif. La grande variabilité de la mortalité dans les
groupes sans OHB (de 10 % à 66 %) montre bien qu’il n’y a pas d’ho-
mogénéité dans la sévérité des processus infectieux considérés. Le fait que
les études positives sont celles où la mortalité du groupe contrôle est la
plus élevée renforce le sentiment tiré de l’expérience clinique. L’apport
de l’OHB est d’autant plus évident que la condition du patient est plus
sévère et le pronostic plus grave.
Cependant, l’OHB ne peut s’envisager qu’intégrée à un protocole théra-
peutique comprenant une prise en charge chirurgicale et médicale adé-
quate et ne doit pas retarder sa mise en œuvre.

Immunoglobulines intraveineuses
Compte tenu du rôle joué par les exotoxines dans l’apparition et l’in-
tensité des manifestations systémiques, l’injection intraveineuse d’immu-
noglobulines polyvalentes a été proposée dans le traitement des DHBN-
FN surtout d’origine streptococcique [29]. Quelques courtes séries ont
rapporté des resultats positifs, mais ceux-ci n’ont pas été confirmés par
une étude randomisée ultérieure [30].

Les mesures générales de réanimation


Les mesures de réanimation médicale n’ont rien de spécifique. Un
choc septique, une insuffisance rénale aiguë, une insuffisance respiratoire
doivent bénéficier du traitement habituel de ces défaillances. Du fait du
Les infections sévères de la peau et des parties molles 251

caractère thrombotique des lésions, la mise sous héparine doit être systé-
matique et se faire à faibles doses, à la seringue autopulsée. L’apport nu-
tritionnel est important et doit couvrir les dépenses énergétiques souvent
considérables de ces patients. Enfin, en cas d’infections d’origine trauma-
tique, une prévention antitétanique doit être systématique, si l’immuni-
sation vaccinale du sujet est ancienne ou douteuse.

Conclusion

En dépit des progrés thérapeutiques, le pronostic des infections des tis-


sus mous reste sévère. La mortalité globale varie entre 20 et 50 % selon les
séries et est fonction de la localisation initiale. Quand l’infection est limitée
à un membre, elle est de l’ordre de 5 à 10 % pour les DHBN-FN, un peu
plus lourde (10 à 20 %) pour une myonécrose, alors qu’elle peut dépasser
60 % dans le cas d’une cellulite nécrosante abdominothoracique. Malheu-
reusement, même dans les cas d’extension limitée, la survie n’est parfois
obtenue qu’au prix de mutilations importantes, et l’OHB semble particu-
lièrement intéressante dans la réduction des séquelles fonctionnelles.
Outre la localisation initiale, certains facteurs ont un caractère péjora-
tif : l’âge avancé, un terrain déficient (éthylisme, diabète, néoplasie), des
troubles de la coagulation (abaissement du temps de Quick, thrombopé-
nie), une hypothermie, un ictère, une insuffisance rénale, une insuffisance
respiratoire aiguë, un état de choc, des troubles de la conscience, et enfin
le retard thérapeutique qui, à l’évidence, est le facteur le plus important.
Ces résultats, encore insuffisants, contrastent avec l’efficacité des agents
anti-infectieux dont nous disposons, de même qu’avec une attitude théra-
peutique déjà codifiée depuis plus de 10 ans. Des progrès ne seront obte-
nus que si la vigilance des médecins s’exerce sur deux points : application
d’une prophylaxie rigoureuse, traitement immédiat et intensif de toute
infection anaérobie déclarée.

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Choc septique
16
F. DAVIAUD, F. PÈNE

Introduction

Le terme sepsis couvre un spectre large de présentations cliniques


hétérogènes et de pronostic variable mais dotées de mécanismes phy-
siopathologiques communs. Les critères de Bone, établis en 1992 [1] et
réactualisés en 2003 [2], ont permis d’établir une classification clinique
simple et opérationnelle composée de trois entités nosologiques de sévé-
rité croissante en fonction des défaillances d’organes : sepsis, sepsis sévère
et choc septique (tableau I). L’incidence globale du sepsis est en augmen-
tation en raison de la prévalence croissante de populations vulnérables,
et représente la première cause de décès en réanimation. Néanmoins, le
pronostic du sepsis sévère et du choc septique s’est notablement amélioré
au cours de la dernière décade. La diffusion large de recommandations
internationales prônant un traitement précoce de l’infection responsable
et une prise en charge agressive des défaillances d’organes a certainement
contribué à cette tendance. À cette prise en charge classique s’ajoutent des
mesures thérapeutiques adjuvantes controversées, comme la corticothé-
rapie ou le contrôle glycémique. Malgré une intense activité de recherche
fondamentale qui s’est fortement accélérée dans les années 1990 par la
découverte des récepteurs Toll, les importantes avancées réalisées dans la
compréhension des mécanismes immunopathologiques du sepsis n’ont
pour le moment pas abouti à des interventions thérapeutiques efficaces.
Dans ce chapitre nous aborderons les progrès réalisés dans la compré-
hension de la physiopathologie du choc septique ainsi que les modalités
thérapeutiques actuelles.

F. Daviaud, F. Pène
Service de réanimation médicale, hôpital Cochin, AP-HP, Paris
Université Paris Descartes, Sorbonne Paris Cité
27 rue du Faubourg Saint-Jacques, 75014 Paris
E-mail : [email protected]
Sous la direction de Pierre Charbonneau et Michel Wolff, Infectiologie en réanimation.
ISBN : 978-2-8178-0388-3, © Springer-Verlag Paris 2013
255
256 Infectiologie en réanimation
Tableau I – Définitions du sepsis (American College of Chest Physicians/Society
16 of Critical Care Medicine) [1].

SIRS Au moins deux des anomalies suivantes :


– température > 38 °C ou < 36 °C
– fréquence cardiaque > 90/min
– fréquence respiratoire > 20/min ou PaCO2 < 32 mmHg
– leucocytes sanguins > 12 000/mm3 ou < 4000/mm3 ou > 10 %
de cellules immatures
Sepsis SIRS associé à une infection cliniquement ou microbiologiquement
documentée
Sepsis sévère Sepsis et dysfonction d’au moins un organe :
– hypotension (PAS < 90 mmHg ou réduction d’au moins
40 mmHg de la PAS habituelle en l’absence d’autre cause)
– acidose lactique
– oligurie
– encéphalopathie aiguë
– hypoxie inexpliquée
– coagulopathie
Choc sep- Sepsis sévère et hypotension persistante malgré un remplissage
tique adéquat et/ou nécessité de drogues vasoactives
SIRS : systemic inflammatory response syndrome ; PAS : pression artérielle systolique.

Évolution de la conception physiopathologique du sepsis

Le paradigme classique du sepsis :


la réponse inflammatoire
La conception classique de la physiopathologie du sepsis repose en
grande partie sur un postulat selon lequel la réaction inflammatoire
déclenchée par le pathogène est considérée comme la principale res-
ponsable des défaillances d’organes et de la mortalité. Lors de l’in-
vasion microbienne, l’interaction hôte-pathogène induit une réaction
inflammatoire locale au niveau de l’organe infecté, dont le but est
d’éradiquer le pathogène et de prévenir la dissémination systémique
de l’infection. La découverte des récepteurs Toll dans les années 1990,
récompensée par le prix Nobel de physiologie et médecine en 2011,
a été à l’origine d’avancées majeures dans la compréhension des mé-
canismes immunopathologiques à l’origine du sepsis. La reconnais-
sance des pathogènes par les récepteurs de type Toll (TLR, Toll-like
receptors) constitue l’un des aspects essentiels de la réponse innée [3].
En outre, des molécules libérées par les cellules en réponse à un stress
(HMGB1, fragments d’acide hyaluronique, heat-shock proteins) peu-
vent agir sur le système immunitaire comme des signaux de danger
endogènes. Ces signaux ont la capacité de stimuler certains TLR de
Choc septique 257

façon synergique avec des dérivés microbiens pour contrôler, amplifier


et prolonger la réponse inflammatoire [4]. La stimulation des TLR par
leurs ligands induit l’activation de voies de signalisation dépendantes
et indépendantes de l’adaptateur moléculaire MyD88 qui aboutissent
à l’engagement du facteur de transcription NF-PB qui contrôle la syn-
thèse de très nombreux médiateurs de l’inflammation. Différents types
de médiateurs inflammatoires peuvent être individualisés en fonction
de leurs propriétés biochimiques : les amines vasoactives (histamine,
sérotonine), les peptides vasoactifs (substance P, produits de dégra-
dation de la fibrine), les cytokines pro-inflammatoires (TNF-F, IL-1,
IL-6, mais également IL-12, IL-15, IL-18), les chimiokines (IL-8),
les médiateurs lipidiques (PAF, eicosanoïdes), les anaphylatoxines du
complément (C3a et C5a) et la NO-synthase inductible (iNOS) qui
augmente la production du NO, régulateur essentiel du tonus vascu-
laire. Ces différents médiateurs contribuent de manière complémen-
taire à l’initiation et à l’entretien de la réaction inflammatoire locale :
augmentation du débit sanguin local, chémotactisme, adhésion et
diapédèse des polynucléaires neutrophiles, microthromboses vascu-
laires, activation de mécanismes microbicides humoraux (anticorps
naturels, complément) et cellulaires (phagocytose et bactéricidie).
Normalement le système immunitaire et le système neuroendocrine
(axe hypothalamus-hypophyse-surrénale, systèmes nerveux sympa-
thique et parasympathique) sont capables de contrôler et de contenir
le processus inflammatoire local par la production coordonnée de mé-
diateurs anti-inflammatoires. L’amplification et la dérégulation de la
réaction inflammatoire de l’hôte aggravent les lésions tissulaires au sein
du foyer infectieux initial, et aboutissent à une réponse inflammatoire
systémique et à une coagulation intravasculaire disséminée respon-
sables de la défaillance d’organes non infectés.
Cependant, ce modèle classique ne rend qu’imparfaitement compte de
l’histoire naturelle du patient septique en réanimation, et est insuffisant
pour expliquer la mortalité élevée associée au choc septique. Les pers-
pectives thérapeutiques de modulation de la réaction inflammatoire,
prometteuses chez l’animal, se sont finalement avérées décevantes en
pathologie humaine, soulignant la différence entre modèles animaux
et réalité clinique. En effet, grâce aux traitements anti-infectieux et aux
supports des défaillances d’organes, la majorité des patients septiques
survivent à la phase initiale, mais vont présenter secondairement des
complications infectieuses nosocomiales grevées d’une morbi-mortalité
élevée. Au-delà des facteurs de risque classiques d’infection nosocomiale
liés aux procédures de soins, de nombreuses observations cliniques et
expérimentales témoignent d’une immunodépression complexe induite
par le sepsis et associée à une susceptibilité accrue aux infections noso-
comiales.
258 Infectiologie en réanimation

Immunodépression induite par le sepsis


16
Plusieurs observations suggèrent que des patients septiques considé-
rés comme immunocompétents présentent fréquemment des manifes-
tations cliniques témoignant d’une immunodépression acquise, telles
qu’une anergie cutanée à des antigènes communs témoignant d’un dé-
faut d’hypersensibilité retardée [5] ou la réactivation de virus latents du
groupe herpès (CMV et HSV) [6, 7], mais surtout une susceptibilité
accrue aux infections nosocomiales bactériennes et aux infections fon-
giques invasives [8, 9]. La variété des complications infectieuses observées
dans ce contexte suggère un déficit immunitaire complexe. En effet, le
sepsis induit des anomalies quantitatives et fonctionnelles des cellules de
l’immunité innée et de l’immunité adaptative, incluant une désactiva-
tion des monocytes avec une diminution d’expression membranaire de
l’appareil de présentation de l’antigène et une augmentation d’expression
de molécules inhibitrices, une production soutenue de médiateurs anti-
inflammatoires, un défaut de migration des polynucléaires neutrophiles,
une apoptose des cellules dendritiques associée à un défaut de production
d’IL-12, une apoptose des lymphocytes T et B et une expansion des lym-
phocytes T régulateurs [10, 11]. Certaines de ces anomalies ont ainsi été
formellement associées au développement d’infections nosocomiales chez
le patient septique [12, 13].

Épidémiologie et pronostic du choc septique :


le poids des comorbidités

Le sepsis est une pathologie fréquente dont l’incidence globale est en


augmentation. Une large étude épidémiologique portant sur une base de
données américaine de 750 millions d’hospitalisations sur une période
de 22 ans rapporte une incidence globale de 240,4 cas pour 100 000 en
2000 contre 82,7 cas pour 100 000 en 1979, correspondant à une aug-
mentation annuelle de 8,7 % [14]. Parallèlement, l’incidence des formes
les plus graves avec défaillances d’organes, sepsis sévère et choc septique,
est également en augmentation [14-17]. Cette tendance est en grande
partie liée au vieillissement de la population, à la fréquence croissante
des comorbidités sous-jacentes (immunodépression, cancer, diabète, cir-
rhose, insuffisance cardiaque, BPCO) et à la prise en charge de plus en
plus agressive (chimiothérapie, immunosuppression, transplantation) de
ces pathologies [14, 18-21]. L’influence du terrain est reflétée par la fré-
quence de l’origine nosocomiale de l’infection, qui concerne près de la
moitié des patients septiques pris en charge en réanimation [22, 23], et
par voie de conséquence par des modifications microbiologiques avec des
proportions croissantes de cocci à Gram positif et de champignons [14].
Dans le même ordre d’idées, plusieurs travaux ont souligné la proportion
Choc septique 259

croissante de bactéries multirésistantes au cours des états septiques sévères


sur des terrains débilités [24]. Ces constatations ont conduit à dévelop-
per une nouvelle stratification de risque appelée PIRO (Predisposition
– Insult – Response – Organ failures), incluant à la fois les caractéristiques
du terrain sous-jacent (âge, comorbidités, prédispositions génétiques, sé-
jour hospitalier préalable), le type d’agression infectieuse (origine noso-
comiale, foyer respiratoire et type de pathogène), la nature et la sévérité
des défaillances d’organes [25].
Le pronostic global du sepsis sévère et du choc septique demeure sévère,
avec des taux de mortalité qui atteignent respectivement 40 et 60 %
dans des populations non sélectionnées [26]. L’augmentation de l’inci-
dence de la pathologie est mécaniquement responsable d’une augmenta-
tion du nombre global de décès attribuables, et le sepsis représente ainsi
la première cause de décès en réanimation. Les facteurs pronostiques
concernent à la fois l’origine de l’infection, le nombre et l’intensité des
défaillances d’organes mais également le terrain sous-jacent [27]. Ainsi,
plusieurs travaux ont souligné le rôle pronostique péjoratif de l’âge et de
la présence de comorbidités comme la cirrhose, l’insuffisance cardiaque
ou un cancer [21, 26, 28]. Cependant, les avancées dans la prise en charge
de cette pathologie se sont accompagnées d’une amélioration notable
du pronostic. Aux États-Unis, la mortalité du sepsis sévère a diminué de
45 à 37,7 % entre 1993 et 2003 [17], et de 39 à 27 % entre 2000 et
2007 [27]. Parallèlement, la mortalité du choc septique a diminué de 63 à
58 % entre 1993 et 2001 dans une large étude observationnelle française
de 8251 patients [15]. De manière intéressante, l’amélioration de la sur-
vie semble particulièrement marquée dans des sous-groupes à mortalité
élevée comme les patients âgés ou immunodéprimés [21, 29-31]. Au-delà
du pronostic à court terme, le sepsis sévère est associé à une morbidité et
une mortalité accrues à long terme, dont il est difficile de préciser si elles
sont directement liées au sepsis lui-même ou au terrain sur lequel celui-ci
se développe [32-34].

Présentations cliniques

Outre les manifestations spécifiques liées à la présence d’un foyer


infectieux, les signes cliniques communs de choc septique incluent une
hypotension artérielle (PAS < 90 mmHg), une tachycardie et une tachy-
pnée, des signes d’hypoperfusion périphérique (augmentation du temps
de recoloration cutanée, marbrures, froideur des téguments notamment
des genoux et des extrémités), des signes d’hypoperfusion viscérale (oli-
gurie, encéphalopathie). Les défaillances d’organes peuvent également se
manifester par des signes respiratoires (atteinte pulmonaire secondaire
avec évolution possible vers un syndrome de détresse respiratoire de
l’adulte) ou hémorragiques (insuffisance hépatocellulaire, thrombopénie
et coagulation intravasculaire disséminée).
260 Infectiologie en réanimation

Le diagnostic de choc septique pose en pratique peu de problèmes au clini-


16 cien, mais la situation est moins évidente lorsque les signes infectieux sont
frustes, voire sous-estimés. À l’inverse, certaines manifestations cliniques
constituent des signes d’alarme majeurs. Ainsi, un purpura nécrotique,
parfois limité à quelques lésions discrètes des membres inférieurs, doit
faire craindre l’évolution vers un purpura fulminans et entraîner une prise
en charge thérapeutique immédiate. Une cellulite rapidement extensive,
voire une fasciite, peuvent évoluer très rapidement vers un choc septique,
malgré un aspect clinique qui peut être faussement rassurant initialement.

Stratégie thérapeutique

Compte tenu de la physiopathologie des lésions tissulaires, et par


analogie avec certaines pathologies aiguës (comme l’accident vasculaire
cérébral ou l’infarctus du myocarde), il est raisonnable de penser que la
rapidité de mise en œuvre d’un traitement étiologique et symptomatique
adapté et efficace est de nature à améliorer significativement la qualité
de la prise en charge et le pronostic de ces patients. La rapidité de mise
en œuvre d’une antibiothérapie efficace et la restauration de la perfusion
tissulaire au cours des six premières heures constituent ainsi des éléments
pronostiques majeurs. La prise en charge thérapeutique du sepsis peut
être actuellement déclinée en trois points qui concernent respectivement
le traitement étiologique de l’infection, la prise en charge précoce des
défaillances d’organes et notamment de l’insuffisance circulatoire aiguë et
enfin l’utilisation de traitements adjuvants. Les principes du traitement
du sepsis sévère ont été déclinés par les recommandations internationales
de la Surviving Sepsis Campaign initialement proposées en 2004 puis re-
mises à jour en 2008, et actuellement en 2012 [35, 36]. Les sociétés
savantes françaises impliquées ont également produit un document de
référence précisant les modalités de prise en charge diagnostique et théra-
peutique des états septiques graves [37]. L’application à une large échelle
de protocoles de soins dérivés de ces recommandations thérapeutiques a
été associée à une amélioration de la survie [38] (fig. 1).

Antibiothérapie et contrôle de la source infectieuse


L’antibiothérapie représente la pierre angulaire du traitement étio-
logique du choc septique. Malgré l’absence d’études prospectives ran-
domisées, plusieurs arguments issus d’études rétrospectives viennent
solidement conforter le rôle crucial de la rapidité et de l’adéquation
de l’antibiothérapie dans le pronostic du sepsis sévère et du choc sep-
tique [38, 39]. Dans une large étude rétrospective de cohorte, Kumar
et al. ont notamment rapporté l’influence majeure d’un retard à l’anti-
biothérapie sur la survie du choc septique. Dans ce travail, chaque heure
Choc septique 261

Fig. 1 – Prise en charge thérapeutique du choc septique

supplémentaire de retard à l’antibiothérapie par rapport à l’hypotension


initiale était associée à une augmentation de la mortalité de 7,6 % [40].
Outre la rapidité d’instauration, l’adéquation de l’antibiothérapie repré-
sente également un élément crucial, à l’heure où les germes multirésis-
tants représentent une proportion croissante des micro-organismes en
cause dans les infections sévères d’origine hospitalière voire communau-
taire. Une étude a ainsi rapporté une surmortalité de près de 90 % chez
des patients en choc septique initialement traités par une antibiothérapie
inadaptée, contre seulement 48 % pour les patients avec antibiothérapie
adaptée d’emblée [41].
La nécessité de minimiser le risque d’échec individuel conduit souvent à
utiliser des associations d’antibiotiques, de manière à élargir le spectre en
attendant une documentation microbiologique. Au-delà de l’élargissement
du spectre, l’intérêt d’une combinaison antibiotique sur le pronostic des
infections graves demeure controversé. Quelques travaux suggèrent l’inté-
rêt d’un traitement adjuvant par macrolides dans des pneumonies graves
à pneumocoques par ailleurs traitées par bêtalactamines. Cependant, les
principales questions concernent la place des aminosides. Ces antibio-
tiques ont l’intérêt d’être rapidement bactéricides et agissent de manière
synergique avec les bêtalactamines et les glycopeptides, mais sont grevés
d’une néphrotoxicité et d’une ototoxicité qui incitent à limiter leur uti-
lisation. Pour autant, les études peinent à démontrer un avantage à leur
utilisation systématique dans ce cas. Dans une analyse rétrospective de
4662 cas de choc septique à pathogène identifié, la mortalité des patients
traités par combinaison antibiotique était diminuée par rapport aux
patients traités en monothérapie (29 % vs 36,3 % ; p = 0,0002), avec
262 Infectiologie en réanimation

un effet bénéfique restreint à l’association de bêtalactamines et d’ami-


16 nosides [42]. Ce bénéfice pourrait être particulièrement marqué chez les
patients les plus graves, dont les patients neutropéniques chez lesquels la
rapidité de bactéricidie est essentielle [31, 43].
Outre le traitement antibiotique, certains foyers infectieux nécessitent
une prise en charge particulière, comme l’ablation de matériel infecté,
l’évacuation de fluides ou collections infectés, le débridement de tissus
infectés ou une correction chirurgicale de lésions anatomiques respon-
sables d’infections. Un choc infectieux lié à une infection sur dispositif
intravasculaire ou bien sans cause alternative évidente impose le retrait
immédiat du dispositif. De même que pour l’antibiothérapie, la rapidité
d’intervention sur un foyer infectieux constitue certainement un facteur
pronostique majeur du choc septique.

Restauration de la perfusion tissulaire


Le traitement étiologique de l’infection est indissociable de la prise
en charge concomitante des défaillances d’organes. L’importance d’un
traitement précoce et agressif de la défaillance circulatoire sur la perfusion
tissulaire et sur le pronostic a été soulignée par plusieurs études interven-
tionnelles, qui ont permis d’en préciser les modalités en termes d’objectifs
thérapeutiques, de choix du soluté de remplissage ou des vasopresseurs.
Les objectifs thérapeutiques reposent communément sur l’obtention
d’une pression artérielle moyenne (PAM) entre 65 et 75 mmHg, la dis-
parition des signes d’hypoperfusion périphérique et une diurèse horaire
correcte (> 0,5 mL/kg/h). En outre, quelques travaux ont précisé la place
de critères d’évaluation adjuvants qui témoignent plus spécifiquement de
la perfusion tissulaire, comme la saturation veineuse en oxygène (évaluée
par la SvO2 centrale ou par la ScvO2 dans le secteur cave supérieur) ou
la diminution du taux de lactate. Au cours des six premières heures, une
prise en charge hémodynamique agressive associant remplissage vascu-
laire, drogues vasopressives et inotropes et transfusion de globules rouges,
soumise à des objectifs thérapeutiques de PAM > 65 mmHg, de diurèse
> 0 5 mL/kg/h, d’hématocrite > 30 % et de ScvO2 > 70 % a ainsi permis
une amélioration de la survie par rapport aux patients sans évaluation
de la ScvO2 [44]. L’évaluation de la cinétique du taux de lactate artériel
comme témoin de l’oxygénation tissulaire représente une alternative à
l’évaluation de la SvO2 ou ScvO2 [45].
La restauration de la volémie représente un élément fondamental de la
réanimation initiale du choc septique, et peut faire appel à divers solutés
de remplissage incluant les cristalloïdes et les colloïdes synthétiques ou
naturels. De manière générale, les études ayant comparé l’administration
de cristalloïdes et de colloïdes synthétiques dans cette indication n’ont pas
mis en évidence de différences d’efficacité, mais ont retrouvé un risque
significativement plus important de développer une insuffisance rénale
chez les patients traités par colloïdes, en particulier les amidons de haut
Choc septique 263

poids moléculaire (≥ 200 kDa) et à haut degré de substitution (> 0,4). Les
cristalloïdes demeurent donc le principal soluté de remplissage à utiliser au
cours du choc septique [46]. Outre ses capacités d’expansion volémique,
l’albumine possède des propriétés adjuvantes susceptibles de jouer un rôle
bénéfique au cours du sepsis. Dans une méta-analyse récente, l’utilisation
d’albumine comme soluté de remplissage chez des patients porteurs de
sepsis sévère ou de choc septique a été associée à une amélioration de la
survie [47].
La vasoplégie est responsable d’une hypotension persistante malgré la
restauration de la volémie et va nécessiter l’adjonction de drogues vaso-
pressives, définissant ainsi l’entité de choc septique. Une étude multicen-
trique comparant l’administration de noradrénaline à la dopamine au
cours des états de choc dont la majorité de chocs septiques, a retrouvé
une tendance à une supériorité de la noradrénaline sur la survie et un
excès d’effets indésirables (principalement des troubles du rythme) chez
les patients traités par dopamine [48]. La vasopressine comparée à la
noradrénaline n’a pas montré d’avantage de survie, mais pourrait être
utilisée comme traitement vasopresseur adjuvant en cas de choc réfrac-
taire [49]. Certains patients nécessitent en outre un support inotrope en
association avec le traitement vasopresseur, en raison d’une insuffisance
cardiaque chronique ou d’une incompétence myocardique transitoire liée
au sepsis. La persistance d’une ScvO2 < 70 % malgré la restauration de la
volémie et une PAM > 65 mmHg peuvent également indiquer un trai-
tement inotrope afin d’optimiser le débit cardiaque [44]. L’association
dobutamine-noradrénaline ou l’adrénaline seule représentent deux alter-
natives d’efficacité équivalente dans ce contexte [50].

Support ventilatoire
La plupart des patients traités pour choc septique vont nécessiter un
support ventilatoire en raison d’une insuffisance respiratoire aiguë liée
à un foyer infectieux pulmonaire ou à un œdème lésionnel, ou bien à
des troubles neurologiques. La présence d’un choc septique et plus
généralement d’une défaillance extrarespiratoire constitue clairement une
contre-indication à la ventilation non invasive, et ce support sera assuré
au mieux de manière invasive après une intubation endotrachéale [51].
La stratégie de ventilation dans le SDRA a été précisée par une large
étude américaine qui a démontré le bénéfice sur la survie d’une venti-
lation dite « protectrice » à faible volume courant (6 mL/kg) versus une
ventilation à volume courant élevé (12 mL/kg) afin de limiter la pression
de plateau à une valeur inférieure à 30 cmH2O [52]. Des tendances si-
milaires étaient observées dans des sous-groupes de patients porteurs de
sepsis ou de pneumonies [53].
264 Infectiologie en réanimation

Épuration extrarénale
16
Au cours du choc septique, les indications d’épuration extrarénale
sont le plus souvent liées à une insuffisance rénale aiguë, mais peuvent
s’étendre aux désordres métaboliques aigus comme les acidoses pro-
fondes au cours des premières heures. D’une manière générale, les mo-
dalités intermittentes et continues d’épuration extrarénale en réanima-
tion apparaissent équivalentes sur la survie et sur la récupération de la
fonction rénale, y compris chez les patients septiques [54]. Le choix de
l’une ou l’autre de ces méthodes est donc souvent lié à l’expérience des
équipes et aux effets indésirables propres inhérents à chaque technique.
Ainsi les méthodes continues sont associées à une meilleure tolérance
hémodynamique et facilitent la gestion de la balance volémique, mais
imposent en revanche une anticoagulation continue et sont susceptibles
d’induire une consommation plaquettaire sur le filtre [55]. Les tech-
niques d’anticoagulation régionale par citrate permettent de s’affranchir
des effets secondaires hémorragiques liés aux techniques continues, mais
demeurent contre-indiquées en cas d’insuffisance hépatocellulaire qui ex-
pose à une accumulation du citrate.

Corticothérapie
Historiquement, la corticothérapie utilisée à fortes doses à visée anti-
inflammatoire a plutôt été associée à une augmentation de la mortalité
dans le choc septique [56]. La mise en évidence d’une insuffisance surré-
nalienne fonctionnelle fréquente au cours du choc septique (plus de 50 %
des patients) a provoqué au début des années 2000 un regain d’intérêt
pour ces médicaments, utilisés cette fois-ci à des doses bien inférieures
dites substitutives (200 à 300 mg/j d’hémisuccinate d’hydrocortisone),
dans le but notamment de restaurer la sensibilité vasculaire aux catécho-
lamines. Dans l’étude prospective randomisée multicentrique française
Ger-Inf-05, D. Annane et al. ont rapporté une diminution de la durée du
choc et une amélioration de la survie chez les patients traités par une asso-
ciation d’hémisuccinate d’hydrocortisone (50 mg/6 h pendant 7 jours) et
de fludrocortisone (50 μg/j pendant 7 jours) (mortalité à 28 jours 55 %
vs 61 % dans le bras contrôle ; p = 0,09). De manière intéressante, le
bénéfice n’était observé que dans le sous-groupe des patients non répon-
deurs à un test à l’ACTH (mortalité à 28 jours 53 % vs 63 % ; p = 0,04),
validant ainsi le concept d’opothérapie substitutive dans ce contexte [57].
Ces résultats n’ont pas été reproduits par l’étude européenne COR-
TICUS qui évaluait le bénéfice d’un traitement par hydrocortisone
(50 mg/6 h pendant 5 jours) réalisée chez des patients porteurs de choc
septique. Cette étude n’a pas retrouvé de bénéfice de survie à l’uti-
lisation de corticostéroïdes (mortalité à 28 jours 39,5 % vs 36,1 %
dans le bras contrôle) [58]. Néanmoins, ces deux études retrouvent de
manière homogène une diminution de la durée du choc dans le bras
Choc septique 265

interventionnel. Plusieurs différences entre ces deux études pourraient


expliquer cette apparente discordance sur les critères de survie. Ainsi
les patients de l’étude Ger-Inf-05 étaient caractérisés par une sévérité
accrue, une proportion plus importante de recrutement médical et de
fait un taux de mortalité global beaucoup plus élevé. De plus, l’étude
française était caractérisée par une fenêtre d’inclusion plus courte à par-
tir du début du choc (8 heures vs 72 heures dans l’étude CORTICUS).
La question de l’adjonction de la fludrocortisone pour compenser le
relatif manque d’activité minéralocorticoïde de l’hydrocortisone a été
posée par l’étude COIITSS dans un de ses deux plans factoriels [59].
Cette étude n’a pas montré de différences significatives, que ce soit en
termes de mortalité, de durée du choc ou de ventilation mécanique,
entre les patients traités par hydrocortisone seule ou hydrocortisone
+ fludrocortisone. Actuellement, une corticothérapie substitutive par
doses modérées d’hydrocortisone (200 mg/j) demeure recommandée
dans le cadre du choc septique en cas de défaillance hémodynamique
persistante sous drogues vasopressives, avec cependant un niveau de
recommandation faible [35, 60].

Contrôle glycémique
L’hyperglycémie représente une manifestation quasi constante au
cours des états infectieux graves, liée à la production importante d’hor-
mones de stress et à une insulinorésistance périphérique. L’hyperglycémie
par elle-même a été associée à une incidence accrue de complications in-
fectieuses. Plusieurs études observationnelles suggèrent ainsi que la durée
d’exposition à l’hyperglycémie est associée à un pronostic péjoratif dans
diverses pathologies aiguës et notamment en réanimation [61].
Une première étude randomisée monocentrique belge réalisée à Louvain
chez 1548 patients de réanimation chirurgicale dont la plupart avaient
subi une chirurgie cardiaque avait montré qu’un contrôle glycémique
strict par insulinothérapie intensive visant à maintenir un taux de glucose
de 0,8 à 1,1 g/L sous couvert d’un apport nutritionnel conséquent était
associé à une amélioration de la survie par rapport à un groupe contrôle
avec un objectif glycémique entre 1,8 et 2 g/L [62]. L’étude suivante
réalisée dans le même centre avec les mêmes objectifs glycémiques chez
des patients porteurs de pathologies médicales avec une durée de séjour
en réanimation attendue de plus de 3 jours n’a pas montré de bénéfice
d’un contrôle glycémique strict sur la survie [63]. Néanmoins, les patients
du bras interventionnel avaient une durée de ventilation plus courte avec
une diminution de la durée de séjour en réanimation, mais une incidence
très élevée (18,7 %) d’épisodes hypoglycémiques. En outre, les patients
avec une durée effective de séjour en réanimation de plus de 3 jours
bénéficiaient d’une insulinothérapie intensive avec une diminution de
la mortalité et de l’incidence des bactériémies nosocomiales. Enfin, le
bénéfice sur la survie apparaissait relativement tardivement, au-delà des
266 Infectiologie en réanimation

15 premiers jours, avec un possible effet préventif sur le développement


16 de neuromyopathies acquises en réanimation. Par la suite, plusieurs
études randomisées de grande ampleur réalisées chez des patients de réa-
nimation, dont deux spécifiquement ciblées sur des patients septiques,
n’ont pu confirmer ces résultats, que ce soit en termes de survie ou de
critères d’évaluation secondaires comme la durée de ventilation ou la
durée de séjour [64-68]. En revanche, des épisodes hypoglycémiques ont
été fréquemment rapportés dans le bras interventionnel de certaines de
ces études. Les méta-analyses compilant ces études méthodologiquement
similaires ont plutôt conclu à un effet délétère du contrôle glycémique
strict [69, 70].
Plusieurs différences permettent d’expliquer au moins partiellement
les résultats apparemment discordants entre les deux études de Lou-
vain et les suivantes. Les études plus récentes ont adopté des objectifs
glycémiques plus bas dans le bras contrôle, avec de fait une différen-
tielle moins prononcée par rapport au bras contrôle. Ainsi, les études
glycémie basse (0,8-1,1 g/L) versus glycémie élevée (1,8-2 g/L) favo-
risent le groupe à cible glycémique basse, alors que les études glycé-
mie basse versus glycémie modérée (1,4-1,8 g/L) favorisent le groupe à
cible glycémique modérée [69, 70]. D’autre part, l’apport nutritionnel
a été identifié comme un facteur majeur modulant l’efficacité de l’insu-
linothérapie intensive. Ainsi un apport majoritaire de calories par voie
intraveineuse a été associé à une amélioration de la survie. À l’inverse,
un faible apport parentéral était associé à une augmentation de la mor-
talité. Cet effet était indépendant de l’apport nutritionnel total quo-
tidien et de la dose d’insuline effectivement reçue [70]. En résumé, le
contrôle glycémique chez les patients septiques devra s’attacher à éviter
à la fois les hyperglycémies prononcées ainsi que les épisodes hypogly-
cémiques, mais aussi les variations importantes de la glycémie. Compte
tenu à la fois des complications associées à l’hyperglycémie et des effets
délétères potentiels associés à un contrôle glycémique strict, les recom-
mandations actuelles de la Surviving Sepsis Campaign prônent des objec-
tifs glycémiques plus modérés et proposent de maintenir la glycémie
< 1,5 g/L chez les patients septiques, voire < 1,8 g/L dans l’actualisation
2012 [35].

Implications thérapeutiques
des avancées physiopathologiques

L’échec des traitements anticoagulants


L’activation de la coagulation représente un élément physio-
pathologique constant du sepsis et se traduit par une coagulation intra-
vasculaire disséminée. Des toxines bactériennes ainsi que des médiateurs
Choc septique 267

pro-inflammatoires ont la capacité d’induire l’expression du facteur tis-


sulaire par les cellules endothéliales et les monocytes. Le facteur tissulaire
déclenche la cascade de la coagulation, aboutissant à la génération de
thrombine et de fibrine et à la formation de thromboses microvasculaires
qui contribuent aux défaillances d’organes. Cet effet procoagulant est
exacerbé par la déplétion en anticoagulants endogènes. De grandes
études multicentriques ont évalué l’inhibiteur de la voie du facteur tissu-
laire (TFPI) et l’antithrombine III comme thérapeutiques adjuvantes du
sepsis sévère et du choc septique mais se sont avérées négatives [71, 72].
En revanche, l’étude PROWESS avait mis en évidence une diminution
de la mortalité à 28 jours (24,7 % vs 30,8 % ; p = 0,005) des patients
septiques traités par protéine C activée [73]. Néanmoins, cet effet béné-
fique était restreint aux patients les plus graves, et ce traitement était
associé à un risque accru de saignement grave. La protéine C activée a été
approuvée en octobre 2001 par la FDA pour les patients présentant un
choc septique ou sepsis sévère avec plus d’une défaillance d’organe et un
risque de décès élevé (APACHE II > 24). Par la suite, l’étude ADDRESS
qui évaluait le produit chez des patients septiques de sévérité moindre
avait été interrompue prématurément en l’absence de bénéfice [74]. En
octobre 2011, les résultats négatifs de l’étude de phase IV PROWESS-
SHOCK qui visait à confirmer l’efficacité de la protéine C activée dans
le choc septique, ont finalement conduit la firme Eli Lilly à retirer le
produit du marché [75].

Immunomodulation dans le sepsis :


échecs et perspectives
De multiples études interventionnelles ont tenté d’inhiber la ré-
ponse inflammatoire du sepsis, aussi bien par des anti-inflammatoires
stéroïdiens et non stéroïdiens, des anticorps inhibiteurs de cytokines
ou des substances inhibitrices de l’activité de cytokines. Malheureuse-
ment toutes se sont soldées par des échecs voire par des effets délétères.
Les immunoglobulines polyvalentes possèdent des propriétés immuno-
modulatrices potentiellement intéressantes au cours du sepsis par l’inhi-
bition de toxines bactériennes ou de cytokines ou par l’induction de
signaux cellulaires inhibiteurs. Des méta-analyses compilant des études
hétérogènes de faible effectif suggèrent effectivement un effet bénéfique
sur la mortalité au cours du sepsis sévère et du choc septique, qui de-
mande à être confirmé pas des études de grande ampleur et méthodolo-
giquement rigoureuses [47, 76]. Plus récemment, l’éritoran, un composé
dirigé contre le complexe TLR4-MD2, a fait l’objet d’une large étude
internationale qui n’a pu mettre en évidence une amélioration de la sur-
vie à 28 jours.
L’échec des thérapeutiques à visée anti-inflammatoire et la démonstra-
tion du rôle de l’immunodépression postinfectieuse dans la susceptibi-
lité aux infections nosocomiales, plaident plutôt pour l’évaluation de
268 Infectiologie en réanimation

thérapeutiques immunostimulantes au décours de la phase inflammatoire


16 initiale. Un traitement adjuvant par G-CSF n’a pas fait la preuve de son
efficacité dans le traitement du sepsis sévère chez les patients neutropé-
niques et non neutropéniques. Le GM-CSF et l’IFNL sont capables de
prévenir la désactivation des monocytes, avec des effets potentiellement
bénéfiques dans la prévention et le traitement des infections nosoco-
miales [77, 78]. Ces résultats encourageants issus de petites séries nécessi-
tent néanmoins d’être confirmés dans des études de plus grande envergure
avec des critères d’évaluation cliniques pertinents.

Conclusions

Au cours de la dernière décade, de nombreux travaux ont rapporté


une amélioration globale de la survie du choc septique, particulière-
ment marquée dans des sous-groupes de patients à haut risque du fait
de leur âge ou de la pathologie sous-jacente. Les principes du traitement
demeurent basés sur la reconnaissance et le traitement précoces de l’in-
fection responsable et des défaillances d’organes, et ont été formalisés
par des recommandations internationales régulièrement actualisées. La
diffusion de ces recommandations et l’application de protocoles théra-
peutiques dérivés ont permis une amélioration notable du pronostic.
Néanmoins, si la grande majorité des patients septiques actuellement
pris en charge en réanimation survivent à l’agression initiale, ils présen-
tent ensuite une susceptibilité accrue aux infections nosocomiales qui
grèvent significativement le pronostic. La prévention de ces infections
demeure un enjeu majeur, et la réversion de l’immunodépression in-
duite par le sepsis pourrait constituer une cible thérapeutique sédui-
sante dans un futur proche.

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Infections fongiques sévères en réanimation
17
N. LEROLLE, P. PARIZE ET O. LORTHOLARY

Introduction

En réanimation les infections fongiques sont fréquentes et repré-


sentent la troisième cause de sepsis documentés derrière les infections à
staphylocoques et à streptocoques ou Pseudomonas aeruginosa selon les
études, soit environ 18 % des sepsis documentés [1, 2]. Ces infections
sont dominées par les infections à Candida, parmi lesquelles trois types de
pathologie sont observés : les candidémies, les candidoses profondes et les
péritonites à Candida chez les patients de réanimation chirurgicale. Les
infections à Candida sont fréquemment associées aux soins notamment
en ce qui concernent les infections de cathéters et les candidémies [3]. De
nombreux facteurs de risque de candidose invasive ont été identifiés et
sont souvent multiples chez les patients de réanimation, ce qui en fait un
sous-groupe de patients à haut risque.
Les autres infections fongiques rencontrées en réanimation sont moins
fréquentes, cependant l’aspergillose invasive est observée de façon
émergente en réanimation, associée à la présence d’une pathologie pul-
monaire sous-jacente, à une corticothérapie y compris brève introduite
lors du séjour en réanimation et/ou à l’immunodépression induite par
le sepsis.
Les patients immunodéprimés, et en particulier les patients d’oncohé-
matologie ou transplantés d’organe solide sont également à haut risque
d’infections fongiques invasives en particulier à Candida, Aspergillus,
Cryptococcus, Pneumocystis jirovecii, mais aussi à certains filamenteux
N. Lerolle*, P. Parize* et O. Lortholary*, **
*
Service des Maladies Infectieuses et Tropicales
Hôpital Universitaire Necker-Enfants malades, Université Paris Descartes
Centre d’Infectiologie Necker-Pasteur, IHU Imagine
149, rue de Sèvres, 75743 Paris Cedex 15
**
Centre National de Référence Mycoses Invasives et Antifongiques. Unité de Mycologie Moléculaire, CNRS
URA3012. Institut Pasteur, 25, rue du Dr Roux, 75724 Paris Cedex 15
E-mail : [email protected]
Sous la direction de Pierre Charbonneau et Michel Wolff, Infectiologie en réanimation.
ISBN : 978-2-8178-0388-3, © Springer-Verlag Paris 2013
273
274 Infectiologie en réanimation

émergents comme les infections à mucorales et les fusarioses. Les asper-


17 gilloses invasives qui nécessitent le recours à la ventilation mécanique
sont de très mauvais pronostic (deux tiers de décès en réanimation) [4].
Dans le cadre de l’infection par le VIH, la pneumocystose pulmonaire et
la cryptococcose disséminée sont les pathologies fongiques le plus sou-
vent prises en charge en réanimation.
Enfin, les infections fongiques peuvent aggraver le pronostic des nouveau-
nés prématurés de petit poids admis en réanimation, peuvent compliquer
les traumatismes de grande ampleur ou poser un problème diagnostique
devant un tableau respiratoire ou neurologique sévère suite à un séjour en
zone d’endémie de champignons dimorphiques.

Candidoses sévères

Quelles formes cliniques


Candida est responsable d’une grande variété de manifestations
cliniques, allant de la candidose superficielle à la candidose profonde
localisée (péritonite, œsophagite, cystite) et la candidose invasive. La
candidose est dite invasive si la levure est retrouvée dans un site nor-
malement stérile, et disséminée si au moins deux sites non contigus
sont atteints (endophtalmie, endocardite, atteinte ostéoarthrite, spon-
dylodiscite, méningite, atteinte cutanée, pneumopathie, localisations
rénales ou hépatospléniques…) [5]. Vu le risque de dissémination, un
bilan systématique doit être réalisé en cas de candidémie : fond d’œil
et échographie cardiaque, cartographie mycologique (bouche, urines,
selles, prélèvements respiratoires…) au minimum, imageries guidées
par la clinique.

Quelles espèces
De façon moins prononcée qu’en hématologie, la répartition des
espèces de Candida identifiées dans les candidoses invasives prises en
charge en réanimation s’est modifiée ces dernières années au profit des
Candida non albicans, Candida albicans restant toutefois en tête, aux
alentours de 55-65 % des espèces identifiées selon les études. Dans
deux travaux prospectifs multicentriques français menés en réanima-
tion, AmarCand (en 2002) [6] et CandiRéa (en 2006) [7], C. albicans
représente 57/54 % des espèces, suivi de C. glabrata dans 17 % des cas,
puis de C. parapsilosis, C. krusei et C. tropicalis. Dans l’étude Amar-
Cand, 17 % des espèces sont rendues de sensibilité dose-dépendante
(SDD) ou résistante (R) au fluconazole, soit 4 % des C. albicans, 10 %
des C. parapsilosis, 14 % des C. tropicalis et 50 % des C. glabrata [6].
Dans la sous-étude des péritonites à levure incluses dans AmarCand,
Infections fongiques sévères en réanimation 275

des espèces de Candida non albicans sont retrouvées dans 30 % des cas
communautaires, 45 % des cas nosocomiaux, avec 28 % de Candida
SDD ou R (sur 55 % testés) [8].
Le fait d’être infecté par un Candida non albicans (et en particulier C. gla-
brata et C. krusei) [9, 10] et par un Candida résistant au fluconazole [11]
est associé à un risque accru de décès, alors que les candidémies à C. parap-
silosis sont les moins sévères [10]. Il est difficile de prédire, devant une
candidémie, si celle-ci sera liée à un Candida albicans ou non albicans.
Cependant, plusieurs facteurs de risque ont été identifiés comme favo-
risant à la fois un Candida non albicans et un Candida résistant au flu-
conazole chez le sujet non neutropénique de réanimation : la chirurgie
gastro-intestinale et l’exposition au fluconazole dans les 30 jours [12].
L’exposition au fluconazole mais aussi à la caspofungine le mois précédent,
influence l’épidémiologie des candidémies, d’après une étude française
prospective multicentrique (fig. 1) : l’exposition préalable au fluconazole
augmente la proportion de C. glabrata et C. krusei, tandis que l’expo-
sition à la caspofungine augmente celle de C. parapsilosis, C. glabrata et
C. krusei [13]. Enfin, l’âge a une influence notable sur le profil épidé-
miologique des Candida : C. glabrata est plus souvent retrouvé chez les
personnes âgées, en particulier de 80 ans et plus (31 % des candidémies),
alors que C. albicans est largement prédominant chez l’enfant (plus de
90 % des candidémies avant 1 an) [14].

Fig. 1 – Répartition des espèces de Candida selon l’exposition récente au fluconazole et à la


caspofungine (d’après Lortholary [13]).
276 Infectiologie en réanimation

Quels facteurs de risque


17
De nombreux auteurs se sont attachés à identifier les facteurs de
risque de candidose invasive chez les patients de réanimation, ceux-ci
sont résumés dans plusieurs revues [3, 5, 15]. Le principal facteur est la
colonisation digestive et la colonisation multisite à Candida. En effet,
environ 50 % des patients sont colonisés à Candida après 7 jours de
réanimation [16], parmi lesquels 5 à 30 % développeront une candi-
dose invasive [5]. Les autres facteurs de risque sont : l’antibiothérapie
préalable, surtout si de large spectre et de durée prolongée, et en par-
ticulier les céphalosporines et les molécules actives contre les germes
anaérobies ; la neutropénie, les corticoïdes, les immunosuppresseurs, le
cancer et la chimiothérapie, la transplantation ; toute rupture de la bar-
rière digestive ; les cathéters veineux centraux, les cathéters urinaires et
la nutrition parentérale ; la chirurgie récente (surtout digestive, en par-
ticulier susmésocolique, ou urinaire en présence de candidurie), la pan-
créatite aiguë ; la ventilation mécanique ; les transfusions multiples ;
l’insuffisance rénale et l’hémodialyse ; la durée de séjour en réanimation
(> 7 jours) et les scores de sévérité ; le diabète ; les âges extrêmes ; les
traumatismes et brûlures. Plus les patients cumulent les facteurs, plus
ils sont à risque de candidose invasive.
Plusieurs index et scores ont été proposés pour cibler les patients les plus à
risque, afin d’optimiser les décisions de traitements précoces (tableau IV).
L’index de colonisation, proposé par Pittet en 1994, correspond au rap-
port du nombre de sites colonisés sur le nombre de sites prélevés. Le
risque de candidose profonde est élevé si le score est ≥ 0,5, avec une sen-
sibilité de 100 %, une spécificité de 69 %, une VPP de 66 % et une VPN
de 100 % [17]. Le « Candida score » développé plus récemment chez
1699 patients combine plusieurs variables : la chirurgie, la colonisation
multisite, la nutrition parentérale totale. Un score > 2,5 est associé à un
risque significatif de candidose invasive, avec une sensibilité de 81 % et
une spécificité de 74 % [18]. Dans une étude internationale multicen-
trique récente, une version simplifiée du « Candida score » a fait preuve
de son utilité chez des patients séjournant en réanimation depuis plus
de 7 jours, ne recevant pas de traitement antifongique : chez les patients
ayant un score < 3, l’incidence de candidose invasive est très faible, esti-
mée à 2,3 %, avec un risque relatif de développer une candidose invasive
de 6 (3, 3-10,9) si le score est ≥ 3 [19]. Ainsi, le traitement antifongique
pourrait être épargné chez les patients ayant un score faible, même en
présence d’une colonisation à Candida.
Infections fongiques sévères en réanimation 277
Tableau I – Principales espèces fongiques pathogènes pour l’homme.

Levures Candida
Cryptococcus
Trichosporon
Geotrichum
Rhodotorula
Moisissures Filaments septés
– pigmentés : dématiés = phaeohyphomycetes (Alternaria, Clados-
porium, Exophiala…)
– non pigmentés : moisissures hyalines = hyalohyphomycetes
(Aspergillus, Fusarium, Scedosporium…)
Filaments non septés : mucorales (Rhizopus, Lichtheimia, Mucor…)
Champigons Histoplasma capsulatum var. capsulatum/duboisii
dimorphiques Blastomyces dermaditidis
Coccidioïdes immitis/posadasii
Paracoccidioïdes brasiliensis
Penicillium marneffei

Tableau II – Traitements antifongiques : spectres d’action (simplifié).

Fluco Itraco Vorico Posaco Candines AmphoB 5FC


C. albicans
C. tropicalis
C. parapsilosis
C. glabrata
C. krusei
Cryptococcus
Aspergillus
fumigatus
Coccidioïdes
Blastomyces
Histoplasma
Fusarium
Scedosporium
apiospermum
Scedosporium
prolificans
Mucorales

Espèce en général sensible

Espèce en général peu sensible (SDD sensibilité dose-dépendante)

Espèce en général résistante ou résistante naturellement


278 Infectiologie en réanimation
Tableau III – Critères diagnostiques d’IFI (EORTC/MSG).
17 IFI prouvée IFI probable IFI possible
Mise en évidence du champignon Critère d’hôte Critère d’hôte
par examen direct ou culture à partir + critère clinique + critère clinique
du sang et de prélèvements tissulaires + critère mycologique
normalement stériles (critères à part
pour les mycoses endémiques)

Critères IFI prouvées

Critères mycologiques Filaments Levures


Histologie (site stérile) Documentation microsco- Idem, à l’exclusion des
pique de structures fongiques surfaces muqueuses
associées à des lésions tissulaires
Culture (site stérile) Culture à partir d’un site Idem
normalement stérile et asso-
cié à des anomalies cliniques
et/ou des images radiolo-
giques (à l’exclusion de LBA/
prélèvement sinusien/urines)
Culture (sang) Culture positive (hors Idem
Aspergillus) dans un contexte
clinique compatible
Test sérologique ND Antigénémie cryptocoque/
LCR+

Critères IFI probables/possibles

Critères d’hôte – Neutropénie récente (PNN < 500/mm3 > 10 jours)


– Allogreffe de moelle
– Corticothérapie (> 0,3 mg/kg/j > 3 sem.) hors ABPA
– Traitement immunosuppresseur : ciclosporine, anti-TNF,
alemtuzumab, analogues de purines dans les 90 jours
– Déficit immunitaire sévère : granulomatose septique
chronique, déficit immunitaire combiné sévère
Critères cliniques – Infections VAI avec au TDM : nodule ± halo, signe du
croissant et/ou cavité
– Atteinte trachéobronchique : ulcération, nodule, pseu-
domembrane, plaque ou escarre vus en fibroscopie
– Atteinte sinusienne : douleur aiguë localisée, ulcère nasal
avec escarre noirâtre, extension osseuse
– Atteinte SNC : lésion focale ou prise de contraste méningée
– Candidose disséminée : abcès hépatique/splénique ou
atteinte rétinienne
Critères mycologiques – Direct : examen direct/culture expectoration/aspiration
bronchique/LBA/prélèvement sinusien)
– Indirect : Ag GM sang/LBA/LCR ; G-d-glucane sérique)
Infections fongiques sévères en réanimation 279
Tableau IV – Critères de traitement empirique d’une candidose invasive suspectée.

Index de colonisation [17] Nb de sites colonisés/nb de sites testés ≥ 0,5


(dépistage 2/sem)
Candida score [19] Score ≥ 3 (variable absente = 0, présente = 1,
× facteur de pondération)
– Chirurgie à l’admission en réanimation (× 1)
– Index de colonisation ≥ 0,5 (× 1)
– Nutrition parentérale totale (× 1)
– Sepsis sévère (× 2)

Quels moyens diagnostiques


Toute la difficulté est de diagnostiquer précocement une candidose inva-
sive, alors que les hémocultures sont rarement positives, le sont de façon sou-
vent retardée, avec un délai de rendu de l’identification définitive et de l’an-
tifongigramme de l’ordre de 48-72 heures. Les hémocultures et la culture de
sites normalement stériles restent la méthode diagnostique de référence des
candidoses invasives. En effet, il est important de documenter l’infection et
l’espèce en cause donc de multiplier les prélèvements (invasifs), pour favoriser
l’isolement de la levure par les techniques mycologiques. Le délai d’identifica-
tion des espèces en cas de culture positive a pu récemment être réduit grâce à
de nouvelles techniques comme la spectrométrie de masse (Maldi-Tof). L’im-
pact sur l’adéquation de la prescription d’antifongiques et le bénéfice direct
pour les patients doit encore être précisé. Des PCR multiplex bactériennes et
fongiques sont utilisées dans certains centres, mais sont moins sensibles pour
les levures et contraignantes techniquement.
Pouvoir diagnostiquer une candidose invasive avant la première hémocul-
ture positive est un autre défi. Plusieurs marqueurs biologiques indirects
ont été développés ces dernières années dans ce sens : la PCR Candida qui
détecte la plupart des espèces de Candida rencontrées en pratique, l’anti-
gène Candida ou antigène mannane, couplé aux anticorps anti-mannane,
et le dosage sérique du G-d-glucane (tableau V). La détection dans le sérum
d’ADN de Candida a une sensibilité d’environ 75 % [20], et jusqu’à 87 %
si réalisé deux fois par semaine en dépistage systématique chez des patients
non neutropéniques de réanimation [21]. Cet outil nécessite encore une
harmonisation des techniques et une évaluation du gain réel obtenu en
termes de morbi-mortalité. La détection d’antigène mannane, y compris
couplé aux anticorps anti-mannane, n’est pas très sensible chez les sujets de
réanimation et est surtout intéressante dans le diagnostic de candidose hépa-
tosplénique chez le neutropénique. Enfin, le dosage sérique du G-d-glucane,
qui s’élève dans plusieurs types d’infections fongiques invasives [22, 23], est
assez prometteur en réanimation pour le diagnostic précoce de candidose
invasive, avec une sensibilité de l’ordre de 85 % en dépistage bihebdoma-
daire mais une spécificité médiocre, d’environ 70 % du fait de nombreux
faux positifs, 25 % des patients ayant un résultat positif au troisième jour
de réanimation d’après une étude récente [24]. Le seuil optimal de positi-
280 Infectiologie en réanimation

vité et le nombre de tests consécutifs positifs nécessaires pour justifier d’un


17 traitement précoce en réanimation restent à préciser. Plusieurs facteurs
semblent influencer les résultats : des facteurs iatrogènes, des facteurs liés à
l’espèce de Candida et au type d’infection (organe infecté, charge fongique)
et des facteurs d’hôte (fonction rénale et hépatique, immunosuppression,
neutropénie…). Malgré toutes ces réserves, le G-d-glucane serait un outil
plus performant que l’index de colonisation et le « Candida score » pour
le diagnostic précoce des candidémies chez les patients septiques de réani-
mation [25], et aura possiblement un rôle dans l’algorithme décisionnel de
traitement antifongique en réanimation.
Tableau V – Outils diagnostiques [20-25, 41, 53, 61].

Test diagnostique Site Espèces Sensibilité/spé- Remarques


cificité
PCR Candida Sérum Candida Sté 75 % (87 % Méthode à
en dépistage 2/ standardiser
sem)
Spé 95 %
PCR Aspergillus Sang, sérum Aspergillus – Sg : sté 88 %, Méthode à
LBA, spé 75 % pour 1 standardiser
Biopsie tissu test + ; sté 75 %
spé 87 % pour 2
tests+
– LBA : sté
79 %, spé 94 %
Mannane (M) Sérum Candida M : sté 58 %, spé Intéressant
et antimannane (surtout 93 % surtout
(AM) C. albicans) AM : sté 59 %, pour la
spé 83 % candidose
M + AM : sté hépatosplé-
83 %, spé 86 % nique
Très bonne VPN
G-d-Glucane Sérum (seuil Tous sauf Sté 70 %/AI, 80- Seuil
(4 tests commer- Fungitell mucorales 85 %/CI, quasi optimal et
ciaux, Fungitell 80 pg/mL) et crypto- 100 %/PCP nb de test +
utilisé en France) coque Spé 70 % nécessaires à
FP : bactériémie, définir
Ig IV, transfu-
sion, albumine,
hémodialyse/
filtration, G-
lactamines, colo-
nisation multiple
à Candida, gazes
chirurgicales
Infections fongiques sévères en réanimation 281

Test diagnostique Site Espèces Sensibilité/spé- Remarques


cificité
Antigène asper- Sang (seuil Aspergillus, Sté 60-65 % Surtout ren-
gillaire 0,5), Penicillium, hémato, 41 % table chez
LBA (seuil Geotrichum, TOS le neutropé-
0,5 ou 1) Histoplas- Spé 95 % hé- nique
Autres mose mato, 85 % TOS
(LCR, FP : G-
plèvre, biop- lactamines,
sie tissu…) plasmalyte, NP2,
gluconate de Ca,
Ig IV
Antigène crypto- Sérum, Crypto- Sté Agémie
coccique LBA, coque 95 %/VIH,
LCR 77 %/non VIH
pour crypto
disséminée, 62 %
pour crypto
pulmonaire
Spé 93-100 %

Prise en charge et pronostic


La précocité du traitement antifongique et l’adéquation du traite-
ment empirique sont des facteurs pronostiques prouvés lors des candidé-
mies [26, 27]. Les recommandations de traitement sont résumées dans
le tableau VI [28]. La non-infériorité des échinocandines a été prouvée
versus l’amphotéricine B [29] et le fluconazole [30], et dans une étude
récente, l’anidulafungine est supérieure au fluconazole dans les candi-
doses invasives à C. albicans [31]. Les échinocandines sont globalement
équivalentes entre elles en termes d’efficacité, mais ont globalement une
moins bonne diffusion dans certains tissus que les azolés. Un relais par
azolé est donc nécessaire, si la souche identifiée est sensible, pour res-
treindre le spectre mais aussi pour optimiser la diffusion en cas d’atteinte
urinaire, cérébrale et ostéoarticulaire en particulier. Le voriconazole n’est
pas recommandé en première intention du fait des difficultés d’adminis-
tration potentielles de la forme intraveineuse chez le sujet de réanimation
en insuffisance rénale aiguë.
282 Infectiologie en réanimation
Tableau VI – Recommandations de traitement des IF sévères.
17 Candidose Candidémie, non Fluconazole (800 mg/j j1 puis 400 mg/j)
neutropénique ou échinocandine (caspofungine IV
70 mg/j j1 puis 50 mg/j ou micafungine)
ou (L-)AmB
Préférer échinocandine si sévère,
exposition fluconazole, haut risque de
C. glabrata ou C. krusei
Préférer fluconazole si C. parapsilosis
Durée de tt 14 jours après 1re HC
négative et résolution des symptômes en
l’absence d’endophtalmie/endocardite
(sinon 6 sem minimum)
Retrait CVC fortement recommandé
Candidémie, neutro- Échinocandine en 1re intention
pénique Fluconazole ou L-AmB si C. parapsilosis
Durée de tt idem + résolution neutro-
pénie
Retrait CVC à considérer
Tt empirique, non Fluconazole ou échinocandine
neutropénique Préférer échinocandine si sévère,
exposition fluconazole, haut risque de
C. glabrata ou C. krusei
Tt empirique, neu- L-AmB IV 3-5mg/kg/j ou échinocandine
tropénique
Candidose héaptos- L-AmB IV 3-5 mg/kg/j 2 sem
plénique chronique Puis fluconazole 400 mg/j 3-6 mois
sévère
Cryptococcose Méningo-encéphalite, AmB 0,7-1 mg/kg/j IV (ou L-AmB
cryptococcose dissé- 3-4 mg/kg/j IV) + flucytosine 100 mg/
minée sans atteinte kg/j IV en 4× ≥ 2 sem (4-6 sem si non
du SNC, PNP sévère VIH non TOS)
Puis fluconazole 400 mg/j PO ≥ 8 sem
Puis fluconazole 200 mg/j jusqu’à
réponse immuno-virologique au TARV si
VIH, 6-12 mois si TOS
PNP et autres at- Fluconazole 400 mg/j PO 6-12 mois
teintes non sévères
Aspergillose 1ère ligne Voriconazole IV 6 mg/kg/12 h j1 puis
invasive 4 mg/kg/12 h
(PO 400 mg/12 h j1 puis 200 mg/12 h)
Alternative L-AmB IV 3-5 mg/kg/j
2e ligne Caspofungine ou posaconazole

Mucormycose L-AmB ≥ 5- mg/kg/j IV puis posacona-


zole
Infections fongiques sévères en réanimation 283

Fusariose Dérivé lipidique d’AmB ou voriconazole

Scedosporiose Voriconazole

Pneumocystose 1ère ligne Trimethoprime 15-20 mg/g/j + sulfamé-


thoxazole 75-100 mg/kg/j IV en 3-4 ;
21 j si VIH+, 14 j si non VIH
Alternative, forme Pentamidine 4 mg/kg/j IV
modérément sévère à Ou
sévère Clindamycine 600 mg × 4/j IV + prima-
quine 30 mg/j PO
Corticothérapie si Prednisone PO 40 mg × 2/j J1-5,
pO2<70mmHg (va- 40 mg/j J6-10, 20 mg/j j11-21
lidée chez le patient Ou
VIH+) Prednisolone IV 1 mg/kg/6 h j1-7, 1 mg/
kg/12 h j8-9, 0,5 mg/kg/12 h j10-11,
1 mg/kg/24 h j12-16
Histoplasmose PI modérément L-AmB 3-5 mg/kg/j IV 1-2 sem
sévère à sévère Puis itraconazole 12 sem
Forme disséminée L-AmB 3-5 mg/kg/j IV 1-2 sem
modérément sévère à Puis itraconazole 12 mois ± au long cours
sévère si immunodépression
Atteinte du SNC L-AmB 5 mg/kg/j IV 4-6 sem
Puis itraconazole 12 mois ± au long cours
si immunodépression
Coccidioïdo- PNP sévère (L-)AmB quelques semaines
mycose Puis azolé ≥ 1 an
Méningite Azolé forte dose (fluco 800-1000 mg/j,
itraco 400-600 mg/j) ± AmB intrathécale
puis fluconazole à vie
Forme disséminée Azolé forte dose (jusqu’à fluco
1200 mg/j, itraco 800 mg/j) ou (L-)AmB
Blastomycose PNP modérément L-AmB 3-5 mg/kg/j (ou AmB) 1-2 sem
sévère à sévère Puis itraconazole 6-12 mois ± au long
cours si immunodépression
Forme disséminée Idem sauf itraconazole 12 mois
modérément sévère à
sévère
Pénicilliose Tous patients (L-)AmB IV 14 jours
Puis itraconazole 400 mg/j 10 semaines
Puis itraconazole 200 mg/j au long cours
jusqu’à restauration immune
284 Infectiologie en réanimation

L’indication systématique et le délai de retrait des cathéters veineux cen-


17 traux en cas de candidémie reste débattus [11, 32, 33]. Il est encore lar-
gement recommandé de retirer rapidement les cathéters en cas de sepsis
sévère chez les patients de réanimation. Si le cathéter est laissé en place,
notamment chez le malade d’hématologie thrombopénique, il est conseillé
d’utiliser une échinocandine ou un dérivé lipidique d’amphotéricine B du
fait de son activité sur le biofilm fongique [34]. Le contrôle de la stérili-
sation des hémocultures est primordiale [33], et les cathéters doivent être
retirés dans un second temps en cas de fongémie persistante.
Les péritonites à levure sont traitées par fluconazole forte dose ou échi-
nocandine. Les critères de traitement sont : le contexte nosocomial, la
gravité du tableau clinique, l’atteinte gastroduodénale, l’antibiothérapie
préalable, la présence de levures à l’examen direct et/ou à la culture du
liquide péritonéal [35].
Plusieurs facteurs de mauvais pronostic ont été identifiés dans les can-
didoses invasives en réanimation : traitement antifongique retardé et
inadéquat, C. glabrata et C. krusei (cf. supra), diabète, immunosup-
pression, ventilation mécanique et température > 38,2 °C [6], absence
de traitement antifongique, cathéters laissés en place, longue durée
de positivité des hémocultures [5]. Les péritonites à levure sont plus
sévères si le score APACHE est élevé, en cas d’insuffisance respiratoire
aiguë, d’origine gastroduodénale et de positivité de l’examen direct du
liquide péritonéal [36].

Traitement prophylactique, préemptif et empirique


D’après l’étude franco-belge FONGIDAY, 7,5 % des patients de
réanimation reçoivent un traitement antifongique un jour donné,
parmi lesquels deux tiers n’ont pas d’infection fongique invasive [IFI]
documentée [37]. Des efforts restent donc à faire pour mieux préciser
les patients à plus haut risque nécessitant réellement un traitement
antifongique. Plusieurs approches thérapeutiques se discutent : le trai-
tement prophylactique, préemptif et empirique, que l’infection soit
encore peu probable, possible ou probable, les frontières entre cha-
cune de ces approches n’étant pas très claires. De multiples études ont
essayé de déterminer l’intérêt d’un traitement prophylactique chez les
patients de réanimation, certaines sont positives, d’autres négatives. Il
semblerait qu’une prophylaxie par fluconazole soit surtout bénéfique
chez les patients à très haut risque (chirurgie abdominale complexe,
reprise de laparotomie…) [38]. Aucun consensus n’est défini concer-
nant l’approche empirique, celle-ci semble justifiée chez les patients
multicolonisés, présentant des facteurs de risque de candidose invasive
et pris en charge pour une situation septique instable sans explication
évidente. Entre les deux stratégies, le traitement préemptif pourrait
être guidé par des scores prédictifs combinant l’index de colonisation,
les facteurs de risque et les marqueurs biologiques indirects décrits plus
Infections fongiques sévères en réanimation 285

hauts. Cependant l’algorithme décisionnel optimal, fiable et simple à


utiliser au lit du malade, est encore à mettre au point [3, 5, 15].

Aspergillose pulmonaire hors immunodépression

Aspergillus est retrouvé dans 1,4 % des sepsis documentés en réa-


nimation dans une étude et concerne surtout les patients ventilés mé-
caniquement [2]. Le diagnostic d’aspergillose pulmonaire est difficile
en réanimation, car les marqueurs biologiques (au moins sériques) qui
ont été validés chez les sujet neutropéniques sont moins performants,
les signes radiologiques aspécifiques et la distinction entre colonisation
et infection délicate. L’aspergillose pulmonaire est probablement sous-
estimée en réanimation, ce que suggèrent les études autopsiques qui
montrent que l’aspergillose est une cause fréquente de décès non dia-
gnostiquée en pré-mortem. Or la colonisation et l’infection à Aspergil-
lus sont des facteurs de risque indépendants de décès, les pourcentages
de décès dans ces deux cas s’élevant respectivement aux alentours de
20-50 et 70-80 %. La colonisation aspergillaire peut être préalable à
l’entrée en réanimation ou acquise secondairement, et survient par in-
halation de spores. En dehors des facteurs de risque « classiques » d’as-
pergillose, de « nouveaux » facteurs de risque ont été récemment iden-
tifiés comme la BPCO, la cirrhose et l’administration de corticoïdes en
réanimation (jusqu’à 80-90 % des patients) y compris en cure courte
et peut-être même à faible dose, voire d’hémisuccinate d’hydrocorti-
sone. La tolérance immune induite par le sepsis lui-même pourrait
participer au développement de l’aspergillose pulmonaire chez les pa-
tients de réanimation. Chez le patient peu ou pas immunodéprimé,
la charge fongique est plus faible et la gravité est liée à la réaction
inflammatoire de l’hôte plus qu’aux dégâts induits par le pathogène en
lui-même [39, 40].
Contrairement au sujet neutropénique, la recherche d’antigène galac-
tomannane dans le sérum est souvent négative, et les nouveaux mar-
queurs diagnostiques comme la PCR aspergillaire dans le sang et le
dosage plasmatique du G-d-glucane n’ont pas été suffisamment étudiés
dans le cadre de la réanimation. La culture n’a pas une très bonne ren-
tabilité, et elle donne des résultats retardés de 48-72 heures, alors que
la rapidité de traitement est primordiale dans ce contexte. Le dosage
de l’antigène galactomannane dans le LBA pourrait être prometteur,
comme le suggère une étude prospective belge qui détermine à 88 % et
87 % la sensibilité de ce test (avec un seuil à 0,5) chez 110 patients de
réanimation, dont seulement 22 % neutropéniques. Aucun signe du
halo n’était retrouvé, y compris chez les sujets neutropéniques [41]. Par
ailleurs, un nouvel algorithme diagnostique a été récemment proposé,
qui permet de classer les patients ayant au moins une culture d’aspi-
ration trachéale positive à Aspergillus en trois catégories, de pronos-
286 Infectiologie en réanimation

tics différents : AI prouvée, AI présumée et colonisation aspergillaire.


17 Testées sur 115 cas confirmés histologiquement, la sensibilité et la spé-
cificité de cet algorithme seraient de 92 et 61 % respectivement, avec
des VPP et VPN à 61 et 92 %. Le dosage de l’antigène galactoman-
nane dans le LBA ne fait pas partie de l’algorithme pour le moment.
Les recommandations de traitement sont celles de l’aspergillose invasive,
résumées dans le tableau VI.

IFI sévères chez l’immunodéprimé

Quelle IFI pour quelle immunodépression ?


Les patients immunodéprimés sont à risque d’IFI, qui peuvent être
sévères et les conduire en réanimation. Le niveau de risque, en termes
d’incidence et de mortalité, diffère selon les groupes à risque : une stra-
tification en trois niveaux est proposée dans une revue récente [42] (ta-
bleau VII).
Tableau VII – Niveaux de risque d’IFI chez le sujet immunodéprimé (d’après Pagano [42]).

Risque faible Risque intermédiaire Risque élevé


Autogreffe de cellules souches LAL LAM (surtout en phase
Lymphome de Hodgkin LLC d’induction)
Syndromes myéloprolifératifs Lymphome non Hod- Allogreffe de moelle
Myélome gkinien
Myélodysplasie
Transplantation de rein BPCO Transplantation de cœur,
Cancer solide VIH poumon et foie
Pathologie immunologique
chronique
Lupus

Les patients d’hématologie, classiquement traités pour une leucémie aiguë


par chimiothérapie intensive ou allogreffés de moelle, en période d’aplasie
postallogreffe ou sous immunosuppresseurs pour une réaction du greffon
contre l’hôte, sont à risque d’IFI. Le risque dépend de la profondeur et
de la durée de la neutropénie, du type d’allogreffe et de son condition-
nement, des traitements immunosuppresseurs administrés, des facteurs
de risque surajoutés (diabète, insuffisance rénale…) et de l’âge. Un nou-
veau groupe à risque en hématologie a récemment émergé : celui des syn-
dromes lymphoprolifératifs, non neutropéniques, traités par analogue des
purines, bendamustine et/ou alemtuzumab. La répartition des IFI chez
l’allogreffé de moelle est la suivante d’après le réseau TRANSNET : asper-
gillose 43 % (vers j15 ou après j90), candidose invasive 28 % (surtout
avant j90), mucormycose 8 %, autres filamenteux ou filamenteux non
Infections fongiques sévères en réanimation 287

spécifiés 13 %, fusariose 3 %, pneumocystose 2 %, autres levures 2 %,


cryptococcose 0,6 %, mycose endémique 0,6 % [43].
Le second groupe à risque principal concerne la transplantation d’organe
solide. Dans ce cadre, le risque fongique dépend de l’hôte, de l’organe
transplanté, des procédures de transplantation, d’un éventuel rejet ou
d’une rechute de la pathologie initiale sur greffon et du délai après trans-
plantation. Certains agents fongiques peuvent être transmis par le greffon,
et donner des tableaux précoces de candidose, aspergillose, cryptococcose,
ou des mycoses endémiques qui peuvent survenir tardivement. Dans
l’étude TRANSNET, les IFI rencontrées chez le TOS sont les suivantes :
candidose invasive 53 % (surtout le premier mois, ou après 6 mois), asper-
gillose invasive 19 %, cryptococcose 8 %, autres filamenteux ou filamen-
teux non spécifiés 8,5 %, mycose endémique 5 %, mucormycose 2,3 %,
autres levures ou levures non spécifiées 3 % et pneumocystose 1,1 %. Les
candidoses invasives sont particulièrement fréquentes chez les transplan-
tés de foie, pancréas et grêle, les aspergilloses invasives chez les transplan-
tés de cœur et poumon, et la cryptococcose chez le transplanté rénal [44].
Chez le patient vivant avec le VIH, les infections fongiques les plus sou-
vent rencontrées sont la pneumocystose pulmonaire, deuxième infection
classant SIDA en France et la cryptococcose, première cause de ménin-
gite en Afrique, quatrième cause de mortalité d’origine infectieuse dans
le monde. L’incidence de l’aspergillose invasive apparaît peu ou pas aug-
mentée dans ce cadre. Chez les sujets ayant séjourné en zone d’endémie,
certaines mycoses exotiques (détaillées plus loin) s’observent avec une plus
grande fréquence et une plus grande gravité (atteintes volontiers dissémi-
nées), en particulier l’histoplasmose et la pénicilliose.
Enfin, les cancers solides, les maladies systémiques traitées par corticoïdes,
anti-TNF et/ou immunosuppresseurs, le diabète, la cirrhose, les patholo-
gies pulmonaires chroniques favorisent la survenue d’infections fongiques
parfois invasives, quoique rares. Certains déficits congénitaux, qui peu-
vent se voir chez le jeune adulte, favorisent la survenue d’IFI, en particu-
lier le déficit immunitaire combiné (Pneumocystis, Candida), le déficit en
CARD-9 (Candida), le syndrome hyper-IgE (Candida), et la granuloma-
tose septique chronique (aspergillose invasive à A. fumigatus et A. nidu-
lans). Une enquête immunogénétique est indiquée en cas d’IFI sévère sans
facteur favorisant évident.

Candidoses invasives
Les tableaux cliniques et outils diagnostiques des candidémies chez le
sujet immunodéprimé diffèrent peu de ce qui est décrit et recommandé
chez les patients « standard » de réanimation. Les patients immunodé-
primés partagent les mêmes facteurs de risque de candidose invasive et
cumulent souvent ces facteurs.
Chez les patients d’oncohématologie, la survenue d’une candidose inva-
sive résulte de la conjonction d’une neutropénie, d’une altération des
288 Infectiologie en réanimation

muqueuses (du fait de mucite, réaction du greffon contre l’hôte, irradia-


17 tion corporelle totale), de la présence de dispositifs invasifs, de colonisation
préalable, de traitements immunosuppresseurs et de comorbidités [45].
L’incidence des candidémies en oncohématologie est stable [46], mais la
proportion de Candida non albicans a augmenté ces dernières années et
est devenue plus élevée que celle de Candida albicans du fait de l’utilisa-
tion de plus en plus importante d’antifongiques dans cette population,
associée à une proportion en hausse d’espèces résistantes aux azolés (en
particulier au fluconazole) et l’émergence de résistance aux échinocan-
dines. Le traitement antifongique de première intention devant une can-
didémie en hématologie repose soit sur l’amphotéricine B liposomale,
soit sur une échinocandine, vu le risque élevé de résistance au flucona-
zole [28] (tableau VI). Le retrait des cathéters peut être différé en l’ab-
sence de signes de sévérité, la porte d’entrée étant très souvent digestive
et une étude récente n’ayant pas démontré de bénéfice du retrait précoce
des cathéters infectés [33]. Concernant les indications des traitements
empiriques et préemptifs, le débat reste largement ouvert en hématologie.
Beaucoup d’études observationnelles ont été réalisées, ne permettant pas
de conclure à la supériorité d’une approche sur une autre, les critères de
traitement préemptif étant d’ailleurs très variables d’une étude à l’autre.
Une des rares études randomisées est celle de Cordonnier, qui a retrouvé
une survie identique avec les deux stratégies (empirique versus préemptif
guidée sur des critères cliniques et l’antigénémie aspergillaire au seuil de
1,5) mais un pourcentage d’IFI plus élevé dans le bras préemptif (9 % vs
2,7 %) [47]. Des résultats assez similaires sont observés dans une étude
observationnelle italienne, avec une mortalité en outre plus élevée dans le
bras préemptif [48]. D’autres études sont en cours, afin de mieux préciser
les critères de traitement préemptif et de cibler la population idéalement
candidate à une telle approche. Les molécules recommandées en traite-
ment empirique sont résumées dans le tableau VI [28].
Une particularité des candidoses chez le neutropénique est le risque rare
de développer une candidose chronique disséminée à la sortie d’aplasie.
Les points d’appel sont une fièvre et un syndrome inflammatoire persis-
tants et l’apparition de perturbations du bilan hépatique, associés à des
nodules infracentimétriques multiples du foie et/ou de la rate, plus rare-
ment du poumon et/ou des reins à l’imagerie (scanner, IRM). Les hémo-
cultures n’étant positives que dans 20 % des cas, les marqueurs indirects
comme le dosage sérique du G-d-glucane et la recherche d’antigène man-
nane et d’antimannane sont particulièrement indiqués dans ce contexte
(tableau V). Le diagnostic de certitude se fait par biopsie écho/scanno-
guidée, ou par biopsie chirurgicale [49]. Le traitement antifongique est
prolongé [28], et une corticothérapie associée indiquée en cas de signes
cliniques persistants après 15 jours de traitement antifongique, comme
dans le syndrome de restauration immune.
Chez le patient transplanté d’organe, les candidoses invasives sont au pre-
mier rang des IFI [44]. Les facteurs de risque en sont habituels, d’autres
sont spécifiques à cette population : insuffisance rénale aiguë et candi-
Infections fongiques sévères en réanimation 289

durie (particulièrement chez le transplanté rénal), insuffisance hépatique


(chez le transplanté de foie : hépatite fulminante et cirrhose grave avant
transplantation, non-fonctionnement primaire du greffon après trans-
plantation), modalités et durée de chirurgie, reprise chirurgicale précoce,
protocole d’immunosuppression et maladie à CMV. Les candidoses sont
plus fréquentes chez les transplantés de foie, de pancréas et de grêle [44].
En cas de contamination de liquide de conservation du greffon à Candida,
le risque est de développer une artérite fongique qui peut être dramatique,
d’où l’utilité d’un traitement par fluconazole dans ce contexte [50].

Cryptococcose
La cryptococcose est une infection opportuniste qui se voit chez le
sujet vivant avec le VIH très immunodéprimé (CD4 < 100/mm3, 50 %
des cas de cryptococcose en France), chez le transplanté d’organe solide et
en particulier le transplanté rénal (à 18 mois de la greffe en médiane), et
de façon plus anecdotique dans certains déficits immunitaires primitifs,
dans la lymphopénie CD4 idiopathique, chez la femme enceinte, le dia-
bétique et le cirrhotique. Elle est due à une levure encapsulée de sérotype
A ou D (Cryptococcus neoformans var grubii ou neoformans) dans les pays
tempérés, ou B/C (Cryptococcus gatii) dans les zones (sub)tropicales. L’in-
fection est plus sévère chez les patients vivant avec le VIH, chez les sujets
de sexe masculin et pour les sérotypes A [51]. La mortalité est encore
élevée, de l’ordre de 20 % dans les pays industrialisés, 50 % dans les pays
en voie de développement et 100 % en l’absence de traitement approprié.
L’atteinte la plus fréquente (environ 80 % des cas) est une ménin-
goencéphalite lymphocytaire souvent subaiguë, suivie de la localisation
pulmonaire, associée à un tableau d’insuffisance respiratoire aiguë chez 14
à 30 % des patients. L’atteinte radiologique pulmonaire est polymorphe :
infiltrat (réticulo) micronodulaire, nodule/masse unique/multiple, zone
de condensation ± bronchogramme aérien, plus rarement pleurésie, adé-
nopathie hilaire [52]. La cryptococcose peut aussi donner une atteinte
cutanée, le plus souvent mimant de façon aspécifique un Molluscum
contagiosum. Un bilan d’extension doit être réalisé, avec au minimum
des hémocultures, un examen mycologique des urines, une ponction lom-
baire avec mesure de pression du LCR, un LBA en cas d’atteinte pulmo-
naire, et une IRM cérébrale en cas d’atteinte neurologique. L’antigène
cryptococcique, qui peut être dosé dans le sérum, le LBA et le LCR est
très sensible et spécifique, surtout chez le patient VIH (tableau V) [53].
Les recommandations de traitement sont résumées dans le tableau VI [54].
Les facteurs de mauvais pronostic identifiés sont les suivants : hyperpres-
sion du LCR, hypoglycorachie, examen direct du LCR positif, locali-
sations extraméningées. Des ponctions lombaires itératives, voire une
dérivation lombopéritonéale sont nécessaires en cas d’hyperpression du
LCR. Un bilan complet avec ponction lombaire doit être réalisé à la fin
du traitement d’attaque avant de passer au traitement d’entretien. Les
290 Infectiologie en réanimation

facteurs de risque d’échec mycologique à 14 jours de traitement sont les


17 suivants : atteinte disséminée, titre d’antigène cryptococcique > 1/152 et
absence de flucytosine [51]. Les antirétroviraux doivent être introduits
une fois la stérilisation des prélèvements obtenus, soit en général après
3-4 semaines de traitement. Le syndrome de restauration immune sur-
vient chez 8 à 31 % des patients, souvent à distance de l’infection aiguë
(médiane de 8 mois), surtout chez les sujets les plus immunodéprimés,
avec une infection sévère et en cas d’introduction précoce des antiré-
troviraux [55]. Les manifestations sont multiples, les plus sévères étant
les suivantes : méningites aseptiques avec hypertension intracranienne,
lésions inflammatoires intracérébrales ou médullaires et pneumopathies
nécrosantes.

Aspergillose
L’aspergillose invasive est l’infection fongique filamenteuse la plus fré-
quente chez le patient immunodéprimé, en première position des IFI chez
l’allogreffé de moelle osseuse [43] et en deuxième position chez le trans-
planté d’organe solide (plus fréquente chez les transplantés de cœur et de
poumon, avec en particulier le risque d’ aspergillose trachéobronchique
ulcéronécrosante au niveau de l’anastomose) [44]. D’autres situations
sont à risque d’aspergillose invasive : l’aplasie médullaire idiopathique,
l’infection chronique par le VIH (CD4 < 100/mm3), la granulomatose
septique chronique et les pathologies pulmonaires chroniques, qui, as-
sociées à d’autres facteurs (diabète, dénutrition, corticothérapie orale ou
inhalée), peuvent favoriser la survenue d’une aspergillose pulmonaire
chronique nécrosante [56].
Une étude prospective française menée de 2005 à 2007 dans trois régions
rapporte le profil épidémiologique et clinique de 393 cas d’aspergillose
invasive prouvés ou probables [57]. Aspergillus fumigatus est l’espèce la
plus prévalente (80 % des cas documentés), mais peuvent aussi se voir
Aspergillus niger, flavus, nidulans et terreus et d’autres espèces. Le pou-
mon est le site infecté dans 93 % des cas, associé dans 10 % des cas à
une autre localisation, essentiellement sinusienne et cérébrale, parfois en
l’absence d’atteinte pulmonaire. Les cas sont répartis de la façon suivante :
78 % d’hémopathies (35 % de LA, 21 % d’allogreffes de moelle, 22 % de
syndromes lymphoprolifératifs), 8 % de transplantations d’organe solide,
4 % de cancers solides, 5 % de maladies de système et 2 % de pathologies
respiratoires chroniques.
Les signes cliniques d’aspergillose pulmonaire et sinusienne sont variés et
aspécifiques : fièvre souvent élevée, toux, dyspnée, douleurs thoraciques
pleurales, hémoptysie pour la localisation pulmonaire ; œdème facial
asymétrique, épistaxis, ptosis, atteinte des paires crâniennes et ischémie
du palais pour la sinusite aspergillaire [56], mais l’aspergillose peut ne
donner qu’une fièvre prolongée isolée. Le scanner thoracique est incon-
tournable mais les signes radiologiques sont également aspécifiques [58]
Infections fongiques sévères en réanimation 291

et peuvent se voir dans une pneumopathie bactérienne (en particulier à


Pseudomonas aeruginosa et Nocardia), mycobactérienne, dans une infec-
tion à levure (candidose, cryptococcose) ou dans d’autres infections fila-
menteuses, d’où la nécessité d’une documentation microbiologique dans
la mesure du possible. En cas de suspicion de sinusite aspergillaire, le scan-
ner montre souvent des érosions osseuses aspécifiques, évocatrices d’IFI.
Une imagerie cérébrale (idéalement par IRM) est indiquée dans le bilan
d’extension. Selon le contexte clinique, deux profils d’aspergillose pulmo-
naire invasive se dessinent [59] : chez le sujet neutropénique, l’atteinte
est le plus souvent angio-invasive, se manifestant initialement (jusqu’à j5)
par un nodule entouré de verre dépoli (signe du halo, reflétant l’infarc-
tus hémorragique), puis par une condensation aspécifique (de j6 à j10),
puis à la sortie de neutropénie (de j11 à j20) par une cavitation (signe du
croissant). Chez le sujet non neutropénique, l’atteinte est de type airway-
invasive, traduite par des micronodules avec arbres en bourgeon, témoins
d’une bronchopneumopathie plus ou moins associée à une bronchiolite.
Un suivi radiologique itératif est nécessaire mais le premier contrôle sca-
nographique ne doit pas être réalisé trop tôt, les images ayant tendance à
s’aggraver entre j0 et j7 [60].
L’examen direct et la culture du LBA sont indispensables mais peu sen-
sibles (respectivement de l’ordre de 20-40 et 30-50 %), d’où l’intérêt de
marqueurs indirects diagnostiques (tableau V) 53. La détection de l’an-
tigène galactomannane dans le sérum, ou antigénémie aspergillaire, est
actuellement indiquée en dépistage bihebdomadaire dans les populations
hématologiques à haut risque, et en cas de suspicion diagnostique. La
sensibilité est de l’ordre de 60-80 %, elle est plus élevée chez le patient
neutropénique, plus basse en cas de traitement antifongique préalable.
Réalisée sur LBA, l’antigène aspergillaire permet de récupérer quelques
patients chez qui l’antigénémie aspergillaire et la culture du LBA sont
négatives [61]. Le dosage sérique du G-d-glucane est positif dans 60-70 %
des cas au seuil de 80 pg/mL. La PCR aspergillaire dans le sang et LBA
peut aider au diagnostic d’AI mais n’est pas encore standardisée et néces-
site encore d’être évaluée. Le gold-standard reste la biopsie pulmonaire
scanoguidée, seul moyen d’arriver au diagnostic d’AI prouvée et d’écarter
les diagnostics différentiels.
Les recommandations de traitement sont résumées dans le tableau VI,
la supériorité du voriconazole ayant été bien démontrée [57, 62, 63]. La
durée de traitement est au minimum de 6 à 12 semaines, souvent plus,
tant que dure l’immunodépression et jusqu’à résolution des lésions. En
cas d’hémoptysie ou dans certaines localisations à haut risque d’hémop-
tysie, la chirurgie est indiquée en association au traitement antifongique,
l’embolisation étant une alternative si la lésion est unique. La mortalité
à 12 semaines est de l’ordre de 45-50 % dans différentes études [57, 63,
64]. Les principaux facteurs péjoratifs identifiés sont les suivants : âge
élevé, culture et antigénémie aspergillaire positive, aspergillose prouvée,
atteinte pulmonaire diffuse, atteinte disséminée, atteinte cérébrale et
pleurale, neutropénie, hémopathie en échappement, insuffisance rénale
292 Infectiologie en réanimation

et hépatique, dénutrition, corticothérapie [57, 63, 64]. La prévention de


17 l’aspergillose, qui n’est pas détaillée ici, fait intervenir des mesures envi-
ronnementales et une prophylaxie antifongique chez les patients à haut
risque.

Autres IFI filamenteuses


D’autres champignons filamenteux plus rares peuvent donner des ta-
bleaux sévères chez les sujets immunodéprimés, en particulier les cham-
pignons de l’espèce mucorale, Fusarium et Scedosporium. Les mucormy-
coses (anciennement nommées zygomycoses) sont au deuxième rang
des IFI filamenteuses en hématologie et sont d’incidence croissante. En
raison d’un angiotropisme, ces champignons donnent des tableaux très
graves, nécrotiques, d’extension rapide au niveau locorégional voire géné-
ral [65]. Dans l’étude française publiée récemment, 50 % des mucormy-
coses concernent des patients d’hématologie, 23 % des diabétiques, 18 %
des patients pris en charge pour un traumatisme et 3 % des transplantés
d’organe solide, avec un taux de mortalité de 56 % à j90. Les locali-
sations observées sont, par ordre de fréquence, pulmonaires, rhinocéré-
brales, cutanées, gastro-intestinales et cérébrales. Les formes pulmonaires
isolées (44 %) et disséminées (18 % des cas) sont plus fréquentes en hé-
matologie, alors que les patients diabétiques font plus d’atteintes rhino-
cérébrales [66]. Dans certaines situations, des mucormycoses d’origine
nosocomiale peuvent survenir [67]. Les images scanographiques de mu-
cormycose pulmonaire sont en général impossibles à distinguer de celles
d’une aspergillose invasive, sauf le signe du halo inversé qui serait plus
prévalent dans la mucormycose (verre dépoli au centre du nodule) [68].
L’antigène aspergillaire et le G-d-glucane sont logiquement négatifs. Le
traitement de première ligne fait appel à l’amphotéricine B liposomale à
dose élevée, associée à une chirurgie rapide et extensive le plus souvent
indiquée (tableau VI). Le déférasirox ne doit plus être administré en as-
sociation, au moins chez les patients d’hématologie. Les facteurs de crois-
sance hématopoïétiques et la transfusion de leucocytes sont des options
thérapeutiques intéressantes chez le neutropénique [69].
Plus rares encore, la fusariose et la scédosporiose rendent compte chacune
de 1 à 2 % des IFI rencontrées en hématologie et en TOS. La fusariose
est disséminée dans 70 % des cas chez le sujet immunodéprimé, associant
des localisations cutanées multiples avec nécrose centrale dans 70 % des
cas, des myalgies et une fongémie dans 41 % des cas, avec ou sans autres
localisations qui peuvent être pulmonaires, sinusiennes, ou oculaires. La
mortalité à 90 jours est d’environ 60 à 80 %. Le traitement dépend de
l’espèce identifiée et de sa sensibilité, le voriconazole montrant des résul-
tats encourageants [70, 71].
La scédosporiose est une infection polymorphe, souvent disséminée,
grave, qui donne principalement des atteintes pulmonaires mais aussi
sinusiennes, cérébrales, cutanées, ostéoarticulaires, oculaires et des fongé-
Infections fongiques sévères en réanimation 293

mies, endocardites et infections de prothèses vasculaires. Deux espèces


sont pathogènes chez l’homme : Scedosporium apiospermum et Scedospo-
rium prolificans, plus résistante aux antifongiques, qui donne des tableaux
plus souvent disséminés et sévères [72]. Le traitement de choix est le vori-
conazole [73].

Pneumocystose
La pneumocystose [74, 75] est une infection essentiellement pulmo-
naire à Pneumocystis jirovecii chez l’homme, un champignon atypique
incultivable in vitro, transmissible par voie respiratoire par les sujets in-
fectés ou colonisés transitoirement. La gravité de cette pathologie est
plus liée à la réaction inflammatoire locale délétère qu’au champignon
lui-même. Les groupes à risque sont nombreux : infection VIH avec
CD4 < 200/mm3 (deuxième infection opportuniste et 25 % des cas
de pneumocystose en France), certains déficits immunitaires primitifs,
transplantation d’organe solide (surtout au premier semestre, en cas de
rejet et d’infection à CMV), hémopathie maligne traitée par corticoïdes,
immunosuppresseurs, chimiothérapies et anticorps monoclonaux (en
particulier analogues des purines, bendamustine, alemtuzumab), allo-
greffe de moelle, cancers solides surtout si corticothérapie ou témozo-
lomide, maladies de système traitées par corticoïdes et/ou immunosup-
presseurs. Une prophylaxie par triméthoprime + sulfaméthoxazole est
indiquée dans la plupart de ces situations. Dans deux études françaises
rétrospectives, la pneumocystose pulmonaire rendait compte respective-
ment de 11, 5 et 35 % des admissions en réanimation pour insuffisance
respiratoire aiguë chez le transplanté rénal [76], et chez le patient vivant
avec le VIH [77].
Le tableau clinique est celui d’une pneumopathie diffuse hypoxémiante,
aiguë ou subaiguë, fébrile ou non fébrile, sans anomalie à l’auscultation
pulmonaire. La radiographie de thorax étant normale dans environ 40 %
des cas, le scanner thoracique est très informatif et montre le plus souvent
un syndrome interstitiel diffus à type de verre dépoli, avec condensation
et épaississement des lignes septales, et plus rarement des kystes, nodules,
adénopathies ou un pneumothorax.
Le diagnostic est fait sur crachat induit et/ou LBA, mais le traitement
doit être débuté dès la suspicion clinique vu la gravité potentielle de l’in-
fection, les prélèvements restant positifs au moins 48 heures. Différentes
techniques sont utilisées : l’examen direct, l’immunofluorescence et la
PCR. La PCR est plus sensible mais a surtout une excellente VPN de
l’ordre de 99 %. Le dosage sanguin du G-d-glucane est positif dans 96 %
des cas, souvent à taux élevé (cf. tableau V).
En comparaison aux patients infectés par le VIH, les pneumocystoses
survenant chez les non-VIH sont souvent d’évolution plus rapide et plus
sévère avec une mortalité plus élevée (de l’ordre de 20-50 % chez les
294 Infectiologie en réanimation

non-VIH, 8-14 % chez les VIH) et de diagnostic positif plus difficile


17 (quantité de kystes plus faible, crachat induit moins sensible).
Les recommandations de traitement sont résumées dans le tableau VI [78].
En cas d’échec, de contre-indication ou d’intolérance au traitement par
triméthoprime + sulfaméthoxazole, la pentamidine intraveineuse est
conseillée dans les formes sévères, mais une étude récente montre que
l’association clindamycine + primaquine pourrait être supérieure dans ces
situations [79]. L’amélioration clinique est attendue en 4 à 7 jours, et au-
delà se discutent un changement thérapeutique et la recherche de copa-
thogènes. Alors que l’intérêt de la corticothérapie a été bien démontré chez
les patients infectés par le VIH en cas d’hypoxémie (pO2 < 70 mmHg)
dans les 72 heures [80], elle est encore débattue dans les autres popu-
lations [81]. Le syndrome de restauration immune est moins fréquent
qu’avec d’autres agents opportunistes.

Contextes particuliers

IF post-traumatique
Certains agents fongiques étant présents dans le sol, des infections
fongiques sévères peuvent survenir par inoculation cutanée directe au
cours de traumatismes de grande ampleur avec écrasement de membre,
de brûlure et de noyade, ou suite à un traumatisme dans un contexte de
catastrophe naturelle. L’infection peut être secondaire à des pansements
ou des bandages infectés. Il s’agit le plus souvent de mucormycoses, qui
peuvent être dramatiques du fait d’une extension locorégionale nécro-
tique très rapide, et nécessitent une prise en charge médicochirurgicale
agressive [65-67]. D’autres agents fongiques peuvent se rencontrer,
comme Scedosporium [82]. Des formes rhinocérébrales peuvent se voir en
cas de noyade ou de traumatisme facial.
Les candidoses invasives sont relativement fréquentes chez les grands brû-
lés, qui partagent les mêmes facteurs de risque que la population « clas-
sique » de réanimation, avec certains facteurs de risque spécifiques comme
la profondeur et la surface de brûlure et le nombre de passage en salle
d’opération [83].

Mycoses endémiques sévères


Des formes sévères de mycose endémique à champignon dimorphique
peuvent être observées chez les sujets immunocompétents et immunodé-
primés, qu’ils soient voyageurs, résidents à l’étranger ou migrants. Les
agents pathogènes les plus fréquents et/ou susceptibles d’entraîner des
infections sévères sont détaillés ici : Histoplasma capsulatum var. capsu-
latum, Cocciodioïdes immitis/posadasii, Blastomyces dermaditidis et Peni-
Infections fongiques sévères en réanimation 295

cillium marneffei. Les recommandations récentes de prise en charge sont


détaillées dans le tableau VI [84-86].
L’histoplasmose dite américaine, à Histoplasma capsulatum var. capsulatum
concerne des sujets ayant séjourné aux États-Unis (en particulier dans le
Mississipi et dans l’Ohio), en Amérique Centrale, Amérique du Sud, dans
la partie sud-ouest de l’Afrique, en Inde, en Asie du Sud-Est et au nord
de l’Australie, volontiers contaminés par inhalation de spores à l’occa-
sion de travaux d’excavation ou de construction ou de visite de grotte
où séjournent ou ont séjourné des chauves-souris. Deux types de formes
sévères peuvent se rencontrer : une primo-infection sévère, en cas de fort
inoculum ou d’immunodépression et chez les nourrissons et personnes
âgées, dont l’incubation est en général de 14 jours, la primo-infection
étant le plus souvent asymptomatique par ailleurs. Elle se manifeste par
une pneumopathie aiguë avec infiltrats réticulonodulaires souvent diffus
voire une miliaire, et un tableau clinique d’insuffisance respiratoire aiguë,
et de SDRA dans les formes les plus sévères. L’autre tableau sévère cor-
respond aux formes disséminées (primo-infection ou réactivation), plus
fréquentes chez les sujets immunodéprimés (âges extrêmes, infection par
le VIH avec CD4 < 150 mm3, hémopathie, transplantation d’organe
solide, corticothérapie, traitement anti-TNF…). Les signes cliniques sont
variés : fièvre, signes généraux, état de choc, adénopathies, hépatospléno-
mégalie, atteinte cutanée, infiltrats pulmonaires diffus ± SDRA, signes
digestifs, plus rarement signes neurologiques et insuffisance surrénalienne
subaiguë. Les anomalies biologiques les plus fréquentes sont une pancy-
topénie, une cytolyse et/ou cholestase hépatique et un syndrome d’activa-
tion macrophagique [87]. La co-infection avec Pneumocystis est fréquente
chez le sujet VIH. Outre les hémocultures et prélèvements respiratoires,
la ponction et/ou biopsie des sites anormaux permettent d’accéder au dia-
gnostic, le laboratoire devant être prévenu de la suspicion diagnostique
(risque de contamination du personnel). L’antigénémie galactomannane
est souvent positive dans les formes disséminées chez les patients infectés
par le VIH. À l’inverse, la sérologie est surtout rentable dans les formes
chroniques et chez l’immunocompétent [87].
La coccidioïdomycose se rencontre essentiellement aux États-Unis, dans
certaines zones endémiques de climat semi-désertique comme l’Arizona et
la Californie, l’infection survenant par inhalation de poussière et de sable.
Symptomatique dans environ 40 % des cas, la primo-infection ressemble
à une pneumopathie d’allure grippale ou bactérienne d’incubation courte
(1 à 3 semaines), qui peut être sévère chez l’immunodéprimé ou en cas de
fort inoculum, et chez certaines populations à risque comme les femmes
enceintes et les sujets de race noire [88]. Le tableau radiologique est alors
celui d’une pneumopathie réticulonodulaire diffuse ou d’une miliaire.
Chez les mêmes sujets à risque, une forme disséminée peut s’observer
dans les mois qui suivent la primo-infection, les atteintes les plus souvent
décrites étant une méningite basilaire lymphocytaire chronique granulo-
mateuse volontiers associée à une vascularite cérébrale qui en fait toute la
gravité, des localisations cutanées ou ostéoarticulaires.
296 Infectiologie en réanimation

La blastomycose se voit essentiellement dans les zones boisées humides des


17 grands lacs canadiens et de la région centre/sud des États-Unis. Après une
période d’incubation de 30 à 45 jours, la primo-infection est là aussi une
pneumopathie aiguë aspécifique, parfois diffuse (miliaire) et sévère, certains
cas de SDRA étant décrits. Des formes disséminées, donnant lieu à des
manifestations cutanées, osseuses et génito-urinaires surviennent dans 25 à
40 % des cas, et des réactivations tardives peuvent également survenir [89].
La pénicilliose est une mycose endémique, principalement du sud-est
asiatique, surtout rencontrée chez les sujets immunodéprimés et en parti-
culier chez les patients vivant avec le VIH, chez lesquels elle représentait
la troisième cause de pathologie définissant le SIDA dans cette région.
Le mode de contamination n’est pas bien connu. Les manifestations
sont variées, souvent riches : fièvre, altération de l’état général, infiltrats
pulmonaires, hépatosplénomégalie, adénopathies, diarrhée, papules ou
nodules cutanés, anémie/pancytopénie [90]. À part certaines formes loca-
lisées, l’évolution spontanée est fatale. Outre l’examen direct et la culture,
l’antigénémie galactomannane peut aider au diagnostic.

Néonatologie
L’infection fongique la plus fréquemment rencontrée en réanimation
néonatale est la candidose invasive du prématuré. Les facteurs de risque
sont les mêmes que chez l’adulte, avec en outre la colonisation maternelle
à Candida, le niveau de prématurité (plus fréquent en dessous de 1000 g),
le score d’APGAR (American pediatric gross assessment record) et l’exis-
tence de malformations congénitales [3]. Les atteintes cliniques sont va-
riées : atteinte digestive et en particulier perforation digestive isolée, pul-
monaire, rétinienne, rénale, neurologique (méningite, abcès cérébral). La
réalisation d’une ponction lombaire et d’un fond d’œil est systématique,
une imagerie du système abdominal sera réalisée en cas de fongémie ou
candidurie persistante. Chez le nouveau-né et chez l’enfant, les espèces les
plus souvent rencontrées sont C. albicans et C. parapsilosis, et les Candida
sont plus souvent sensibles au fluconazole que chez l’adulte [91, 92].
Toute suspicion de candidose invasive, résultat d’hémoculture positive à
levures ou candidurie chez l’enfant hypotrophe de moins de 1000 g doit
conduire à l’introduction d‘un traitement antifongique. Le traitement
repose sur l’amphotéricine B, le fluconazole ou la micafungine, et sur le
retrait des cathéters infectés quand cela est possible [28]. Le pronostic est
très sévère, la mortalité étant plus élevée que dans les infections bacté-
riennes, de l’ordre de 30 %, voire 50 % en dessous de 750 g de poids de
naissance. Les risques de séquelles sont élevés : dysplasie bronchopulmo-
naire, leucomalacie, rétinopathie sévère, retard neurologique et déficience
sensorielle. L’intérêt d’un traitement prophylactique est encore actuelle-
ment débattu, mais il semble qu’une prophylaxie par fluconazole chez les
prématurés de très petit poids (< 1000 g), dans des services où l’incidence
des candidoses invasives est élevée, serait justifiée [92, 93].
Infections fongiques sévères en réanimation 297

Conclusion

Les candidoses invasives et péritonites à levure demeurent de très loin


les infections fongiques les plus souvent rencontrées en réanimation et
sont encore associées à une mortalité élevée. Leur diagnostic est difficile,
et les approches thérapeutiques préemptives et empiriques sont encore
mal définies, malgré les progrès récents ayant abouti à de nouveaux outils
biologiques. Alors que les patients de réanimation sont plus âgés, ont plus
de comorbidités, sont plus souvent immunodéprimés, et ont subi des
interventions chirurgicales complexes, le spectre des infections fongiques
en réanimation se diversifie avec des candidoses invasives à Candida non
albicans et des infections à Aspergillus mais aussi à d’autres champignons
filamenteux émergents de plus en plus fréquentes. Vu l’augmentation des
résistances au fluconazole mais aussi aux échinocandines, une prescrip-
tion raisonnée des traitements antifongiques s’impose, guidée au cas par
cas par le profil des patients et leur exposition récente aux traitements.

ABRÉVIATIONS
ABPA Aspergillose broncho-pulmonaire allergique
Ag GM Antigène galactommanane
AI Aspergillose Invasive
AmB Amphotéricine B
APACHE Acute Physiology and Chronic Health Evaluation
APGAR American Pediatric Gross Assessment Record
BPCO Broncho-Pneumopathie Chronique Obstructive
CI Candidose invasive
CMV CytoMégaloVirus
CVC Cathéter Veineux Central
ECIL European Conference on Infections in Leukemia
EORTC European Organization for Researchand Treatment of
Cancer
ESCMID European Society of Clinical Microbiology and Infec-
tious Diseases
HC HémoCulture
IDSA Infectious Disease Society of America
IFI Infection Fongique Invasive
Ig Immunoglobuline
IRM Imagerie par Résonance Magnétique
IV IntraVeineux
LAL Leucémie Aiguë Lymphoïde
LAM Leucémie Aiguë Myéloïde
L-AmB Amphotéricine B Liposomale
LBA Lavage Broncho-Alvéolaire
LCR Liquide Céphalo-Rachidien
LLC Leucémie Lymphoïde Chronique
MSG Mycoses Study Group
298 Infectiologie en réanimation

ND Non disponible
17 NP Nutrition parentérale
PCP Pneumocystse pulmonaire
PCR Polymerase Chain Reaction
PI PrimoInfection
PNP PNeumoPathie
PO Per Os
pO2 Pression partielle en O2
SDD Sensibilité dose-dépendante
SDRA Syndrome de Détresse Respiratoire Aiguë
SIDA Syndrome d’ImmunoDéficience Acquise
spé Spécificité
sté Sensibilité
SNC Système Nerveux Central
TARV Traitement AntiRétroViral
TNF Tumor Necrosis Factor
TOS Transplantation d’Organe Solide
Tt Traitement
VAI Voies aériennes inférieures
VIH Virus de l’Immunodéficience Humaine
VPN Valeur Prédictive Négative
VPP Valeur Prédictive Positive

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Pathologies infectieuses d’importation
en réanimation
18
P. TATTEVIN, F. BRUNEEL

La liste des pathologies infectieuses que l’on peut être amené à


prendre en charge en réanimation au décours d’un séjour tropical est
longue. Dans ce chapitre, au vu des études portant sur les pathologies
infectieuses importées en France [1] et de l’épidémiologie des princi-
pales maladies infectieuses rencontrées dans les pays de prédilection de
nos voyageurs, nous aborderons : i) le paludisme grave, principale cause
d’hospitalisation en réanimation pour cause infectieuse « tropicale » en
France ; ii) les arboviroses, avec la dengue au premier plan compte
tenu de son émergence ininterrompue depuis les années 1980 ; iii)
trois maladies bactériennes tropicales pouvant conduire à l’admission
en réanimation : la typhoïde, la borréliose récurrente et le typhus des
broussailles. Les pathologies infectieuses cosmopolites sévères, telles
que les pneumopathies bactériennes ou les chocs septiques, peuvent
conduire à une admission en réanimation au décours d’un séjour en
zone tropicale, celui-ci n’étant alors qu’un facteur confondant. Ces
pathologies cosmopolites sont traitées dans des chapitres spécifiques
de cet ouvrage.

P. Tattevin*,** , F. Bruneel***
*
Service des maladies infectieuses et réanimation médicale
Rue Le Guilloux
CHU Pontchaillou
35033 Rennes cedex - E-mail : [email protected]
**
Inserm U835, Université Rennes-1
35033 Rennes cedex
E-mail : [email protected]
***
Service de réanimation médico-chirurgicale
Centre Hospitalier de Versailles
Hôpital André Mignot
177 rue de Versailles
78150 Le Chesnay
Sous la direction de Pierre Charbonneau et Michel Wolff, Infectiologie en réanimation.
ISBN : 978-2-8178-0388-3, © Springer-Verlag Paris 2013
305
306 Infectiologie en réanimation

18 Paludisme grave d’importation

Épidémiologie : des progrès !


Presque tous les accès palustres graves sont dus à Plasmodium falcipa-
rum [2]. Néanmoins, des cas graves sont décrits avec P. vivax surtout en
Asie [3], et en Malaisie avec P. knowlesi, cinquième espèce plasmodiale
humaine récemment décrite [4]. Le paludisme à P. falciparum est un pro-
blème majeur de santé publique dans le monde, avec 2 milliards de sujets
exposés et 300 millions de cas chaque année. La mortalité annuelle du
paludisme s’élevait dans les années 2000 à 1,5 million, et concernait dans
90 % des cas des enfants africains de moins de 5 ans [2]. Depuis, no-
tamment sous l’impact du projet mondial Roll Back Malaria, un support
financier sans précédent a contribué à diminuer la mortalité, qui a été
estimée par l’OMS à 665 000 décès en 2010 [5].
En France métropolitaine et en Europe, la population à laquelle nous
sommes confrontés est constituée en majorité d’adultes vivant en dehors des
zones impaludées et qui n’ont donc pas ou peu d’immunité antipalustre. Ils
contractent le paludisme lors d’un voyage le plus souvent bref en zone d’en-
démie (fig. 1), et expriment la maladie peu après leur retour : on parle alors
de paludisme d’importation [6]. Quand le paludisme est contracté en France
métropolitaine chez des sujets n’ayant pas voyagé, on parle de paludisme
autochtone, situation très rare pouvant s’expliquer par la piqûre d’un ano-

Fig. 1 – Répartition des zones à risque de paludisme dans le monde (OMS 2010).
Pathologies infectieuses d’importation en réanimation 307

phèle « voyageur » autour des aéroports internationaux, où par la transfusion


de produits sanguins provenant d’un donneur parasitémique.
En France métropolitaine, pays d’Europe le plus touché par le paludisme,
on estime à environ 4000 cas le nombre de paludismes pris en charge
chaque année, dont 5 à 8 % de formes graves et une vingtaine de décès.
P. falciparum est impliqué dans 82 % des accès palustres dénombrés en
France, qui sont contractés en Afrique Sub-Saharienne dans plus de 90 %
des cas. L’accès palustre à P. falciparum est donc la véritable urgence théra-
peutique, a fortiori s’il existe le moindre signe de gravité [7].

Définitions du paludisme grave :


de l’OMS aux recommandations françaises
Les critères de gravité du paludisme, définis en 1990 par l’OMS, ont
été révisés en 2000 [2], puis en 2010 (http ://www.who.int/malaria/pu-
blications/atoz/9789241547925/en/index.html). Le paludisme grave est
ainsi défini par une parasitémie positive (formes asexuées) à P. falciparum
associée à au moins un critère clinique ou biologique de gravité. Cette dé-
finition a été revisitée par un groupe d’experts français en 2007 [7], pour
aboutir à une classification du paludisme grave d’importation plus adaptée
à la prise en charge des patients dans un contexte européen (tableau I).
Tableau I – Paludisme grave d’importation de l’adulte : définition en France métropolitaine [7].
Pronostic Critères de gravité Fréquence
+++ Toute défaillance neurologique incluant : +++
Obnubilation, confusion, somnolence, prostration
Coma avec score de Glasgow < 11
+++ Toute défaillance respiratoire incluant : +
Si VM1 ou VNI2 : PaO2/FiO2 < 300 mmHg
Si non ventilé PaO2 < 60 mmHg et/ou SpO2 < 90 % en air
ambiant et/ou FR3 > 32/min
Signes radiologiques : images interstitielles et/ou alvéolaires
+++ Toute défaillance cardiocirculatoire incluant : ++
Pression artérielle systolique < 80 mmHg en présence
de signes périphériques d’insuffisance circulatoire
Patient recevant des drogues vasoactives quel que soit
le chiffre de pression artérielle
Signes périphériques d’insuffisance circulatoire
sans hypotension
++ Convulsions répétées : au moins 2 par 24 heures +
++ Hémorragie : définition purement clinique +
+ Ictère : clinique ou bilirubine totale > 50 μmol/L +++
+ Hémoglobinurie macroscopique +
308 Infectiologie en réanimation

Pronostic Critères de gravité Fréquence


18
+ Anémie profonde : hémoglobine < 7 g/dL, +
hématocrite < 20 %
+ Hypoglycémie : glycémie < 2,2 mmol/L +
+++ Acidose : bicarbonates plasmatiques < 15 mmol/L ++
ou acidémie avec pH < 7,35 (surveillance rapprochée
dès que bicarbonates < 18 mmol/L)
+++ Toute hyperlactatémie : dès que la limite supérieure ++
de la normale est dépassée. A fortiori si lactate plasmatique
> 5 mmol/L
+ Hyperparasitémie : dès que parasitémie > 4 %, notam- +++
ment chez le non-immun (selon les contextes les seuils
de gravité varient de 4 à 20 %)
++ Insuffisance rénale : créatininémie > 265 μmol/L ou urée +++
sanguine > 17 mmol/L, et diurèse < 400 mL/24 heures
malgré réhydratation
1
VM : ventilation mécanique.
2
VNI : ventilation non invasive.
3
FR : fréquence respiratoire.

Les critères OMS les plus pertinents au cours du paludisme d’importation


sont l’atteinte neurologique, l’état de choc, la détresse respiratoire et l’aci-
dose métabolique. Les critères insuffisance rénale, hyperparasitémie (au
seuil de 2, 4 ou 5 %), ictère et saignement anormal sont fréquents mais de
moindre valeur pronostique. Enfin, les critères hypoglycémie, anémie, et
hémoglobinurie macroscopique sont peu fréquents et peu pertinents au
plan pronostique [8]. La valeur de ces différents critères a été renforcée et
précisée par une série récente de 400 cas de paludisme grave de l’adulte
pris en charge en France dans 45 réanimations. En analyse multivariée,
les facteurs prédictifs de la mortalité à l’admission en réanimation étaient
l’âge, le coma et la parasitémie [9]. Concernant la parasitémie, le seuil le
plus pertinent pour prédire la mortalité était celui de 15 %.

Comment orienter un adulte suspect de paludisme grave ?


Tout paludisme à P. falciparum de l’adulte qui présente au moins un
des critères du tableau I doit être évalué avec le réanimateur pour envi-
sager l’orientation et débuter rapidement le traitement. Les patients pré-
sentant : coma (score de Glasgow < 11), convulsions répétées, défaillance
respiratoire, défaillance cardiocirculatoire, acidose métabolique, hyper-
lactatémie, hémorragie grave, insuffisance rénale imposant l’hémodia-
lyse, et/ou parasitémie > 15 % sont admis en réanimation. Les patients
moins sévères mais à risque d’aggravation rapide (confusion/obnubila-
tion, convulsion isolée, hémorragie mineure, ictère franc, hyperparasi-
Pathologies infectieuses d’importation en réanimation 309

témie entre 10 et 15 %, insuffisance rénale modérée, anémie isolée bien


tolérée) doivent être admis en unité de surveillance continue, ainsi que
les patients sans signe de gravité mais fragiles : âge extrême, comorbidités,
infection bactérienne associée, traitement par quinine IV [7].

Traitement du paludisme grave

Traitement curatif : l’artésunate va probablement supplanter la quinine


Le traitement curatif du paludisme grave impose une molécule parasiticide
et la voie intraveineuse (IV) durant les premiers jours. En France, jusqu’en
2011, le traitement de référence du paludisme grave reposait sur la quinine
IV. Le schéma thérapeutique par Quinimax® IV comprend une dose de charge
initiale de 16 mg/kg en 4 heures, suivie d’une interruption de 4 heures, puis
d’un relais en IV continue à la dose de 8 mg/kg en 8 heures 3 fois par jour soit
environ 24 mg/kg/j. La durée du traitement est de 7 jours chez le sujet non im-
mun. En cas d’insuffisance rénale sévère, il ne faut pas baisser les doses pendant
les 2 premiers jours, puis les doses quotidiennes doivent être diminuées de un
tiers à un demi, en ajustant selon la quininémie. La quininémie efficace est de
l’ordre de 12 mg/L. Après 3 à 4 jours de traitement IV, si la voie orale est fonc-
tionnelle, le relais par Quinimax® per os est envisageable à la même posologie
pour une durée totale de 7 jours. Après un traitement complet par quinine, il
est inutile de poursuivre la prophylaxie. La surveillance de ce traitement com-
prend un ECG quotidien et un contrôle minutieux de la glycémie (horaire
pendant la dose de charge, puis toutes les 3 heures). Les modalités d’utilisation
de la quinine sont exposées dans les recommandations françaises [9].
Depuis mai 2011, l’artésunate IV est disponible en France sous forme d’une
autorisation temporaire d’utilisation (ATU) délivrée par l’Agence nationale de
sécurité des médicaments et des produits de santé (ANSM). Cette molécule
est la plus performante parmi les dérivés de l’artémisinine, et deux grandes
études menées en zone d’endémie ont montré sa supériorité sur la quinine,
associée à une meilleure tolérance et une plus grande facilité d’utilisation [10,
11]. En 2011, l’OMS a clairement placé l’artésunate IV en première ligne
devant la quinine tant chez l’adulte que chez l’enfant (http://whqlibdoc.who.
int/publications/2010/9789241547925_eng.pdf). Au cours du paludisme
grave d’importation, les données publiées à ce jour en Europe et aux États-
Unis rapportent 121 patients dont 4 décès (3,3 %) [12, 13], et soulignent
la survenue d’anémies hémolytiques retardées dans 13 cas (16 %). Le nom
commercial de l’artésunate IV dont nous disposons est le Malacef® (flacon
de 60 mg). Cette prescription concerne le paludisme grave de l’adulte et de
l’enfant, et est strictement encadrée et surveillée par un protocole d’utilisation
thérapeutique et de recueil d’information (PUT), disponible sur les sites de
l’ANSM (http://ansm.sante.fr/) ou du CNR Paludisme (www.cnrpalu-france.
org). L’idéal est de débuter d’emblée le traitement de l’accès palustre grave par
l’artésunate IV à la posologie de 2,4 mg/kg à h0, h12, h24, h48 et h72. Si
l’artésunate n’est pas disponible immédiatement, il faut débuter le traitement
310 Infectiologie en réanimation

classique par la quinine, avec un relais par l’artésunate s’il est disponible dans
18 les premières 48 heures. Après les 3 premiers jours de traitement, si seule la
voie IV est disponible le traitement sera poursuivi par l’artésunate à 2,4 mg/
kg/j pour un total de 7 jours. Si la voie digestive est envisageable, le relais doit
être pris par un traitement complet avec l’artéméther-luméfantrine (Riamet®)
ou l’atovaquone-proguanil (Malarone®) [7]. La surveillance de ce traitement
est primordiale : suivi neurologique, numération formule sanguine durant le
premier mois et frottis/goutte épaisse à j3, j7 et j28.

Modalités du traitement symptomatique en réanimation


La prise en charge symptomatique est primordiale au cours des formes
sévères avec défaillance multiviscérale. Au plan neurologique, le coma est
fréquent et grave [9]. Devant un coma brutal sous quinine, il faut éliminer
une hypoglycémie et intuber précocement les patients par voie orotrachéale.
Toutes les mesures de neuroprotection habituelles doivent être appliquées.
Un traitement anticonvulsivant ou antiœdémateux systématique n’est pas
recommandé. L’imagerie cérébrale par TDM ou IRM est souvent anormale
(infarctus, œdème, hémorragies) et doit être réalisée en cas de neuropa-
ludisme avec coma. La neurosurveillance peut être optimisée par l’EEG
continu et/ou le doppler transcrânien. En revanche, la mesure invasive de la
pression intracrânienne présente un risque hémorragique inacceptable [7].
Au plan cardiocirculatoire, l’hypovolémie est fréquente à l’admission et
requiert une réhydratation prudente par sérum physiologique. Si l’état de
choc persiste, le remplissage doit être plus mesuré que durant le choc sep-
tique habituel, du fait du risque important d’aggravation pulmonaire. Une
étude récente chez l’enfant africain suggère que les bolus de remplissage
seraient délétères [14]. L’albumine 4 % semble intéressante chez l’enfant,
mais on manque de données pour la recommander chez l’adulte [15]. Si
le choc persiste, il faut introduire les vasopresseurs car le profil hémodyna-
mique le plus fréquent est celui du choc septique. En cas d’état de choc et/
ou d’acidose métabolique marquée, il faut suspecter et traiter empirique-
ment une infection bactérienne associée [16], en débutant dans l’heure une
bêtalactamine à large spectre IV. Les co-infections bactériennes concernent
environ un quart des patients, qu’il s’agisse d’infections communautaires
(un tiers des cas) ou nosocomiales (deux tiers des cas) [9]. Les patients pris
en charge initialement en zone d’endémie et rapatriés secondairement en
France ont un risque élevé de colonisation à bactéries multirésistantes.
Au cours du paludisme grave, le poumon est fragilisé et de nombreux fac-
teurs participent à l’hypoxémie : œdème lésionnel induit par le parasite,
excès de remplissage, pneumopathie bactérienne ou d’inhalation, œdème
lésionnel associé à une bactériémie [2, 7]. Un syndrome de détresse res-
piratoire aiguë (SDRA) est présent dans près de 10 % des cas. La prise en
charge de ce SDRA n’a rien de spécifique et repose sur les recommanda-
tions usuelles, en veillant particulièrement à contrôler le remplissage et les
apports hydrosodés (versant « sec »).
Au plan métabolique, la perfusion de base doit être du glucosé à 10 % si
le patient est traité par quinine, avec une natrémie maintenue autour de
Pathologies infectieuses d’importation en réanimation 311

145 mmol/L. En cas d’insuffisance rénale aiguë, il faut éviter un remplis-


sage excessif, de fortes doses de furosémide ou de faibles doses de dopa-
mine. Le recours à l’épuration extrarénale repose sur les critères usuels.

Autres traitements
L’indication des antibiotiques (doxycycline, 100 mg × 2/j pendant
7 jours ou clindamycine, 10 mg/kg × 3/j pendant 3 à 7 jours) en asso-
ciation avec l’artésunate ou la quinine IV fait débat, et les pratiques diffè-
rent en Europe. Ces antibiotiques ont une action lente, parasitostatique.
L’exsanguino-transfusion, la pentoxifylline, les anti-TNF, la déféroxamine,
les Ig IV, la ciclosporine A et la N-acétylcystéine n’ont pas prouvé leur
efficacité et ne sont pas recommandés [2, 7]. De nouveaux traitements ad-
juvants (lévamisole, immunomodulateurs, arginine, oxyde nitrique inhalé,
érythropoïétine) sont en cours d’évaluation [17], et une nouvelle classe thé-
rapeutique, les spiro-indolones, semble prometteuse dans le modèle murin.

Les arboviroses
Les arboviroses forment un groupe hétérogène d’infections liées à des
virus transmis par des arthropodes hématophages, essentiellement des
moustiques (Aedes, Culex, phlébotomes) et des tiques. Le terme « arbovi-
rus » dérive de l’acronyme anglais ARthropod-BOrne VIRUSes. Le principal
réservoir des arboviroses est animal (fièvre jaune) et/ou humain (dengue).
La transmission du virus se fait essentiellement entre hôtes vertébrés, à l’oc-
casion d’un repas sanguin de l’arthropode. La plupart des arbovirus sont
des virus à ARN simple brin, enveloppés, sans traitement antiviral d’effi-
cacité documentée. Le diagnostic des arboviroses repose sur deux types de
tests : i) la mise en évidence directe du virus, par polymerase chain reaction
(PCR) ; ii) les tests sérologiques. Pour optimiser la rentabilité des tests réali-
sés, il est fortement recommandé de contacter préalablement le laboratoire
qui réalisera ces tests, voire le centre national de référence (CNR) des ar-
boviroses (http ://www.pasteur.fr/sante/centres-nationaux-de-reference-et-
centres-collaborateurs-de-l-omscadrecnr/arbo-index.html).
Plus de 550 arbovirus ont été identifiés à ce jour [18], mais les arboviroses
qui pourraient être rencontrées dans un service de réanimation en France
métropolitaine sont principalement : la dengue, la fièvre jaune, la fièvre
hémorragique Crimée-Congo et la fièvre de la vallée du Rift (tableau II).
La dengue justifie d’un développement particulièrement important,
compte tenu de son expansion continue en zone tropicale et subtropicale
au cours des trois dernières décennies, et des premières documentations
de dengue autochtone, de transmission vectorielle (Aedes albopictus), en
France métropolitaine, pendant l’été 2010 [19].
312 Infectiologie en réanimation
Tableau II – Les arboviroses qu’on pourrait rencontrer en réanimation en France
18 métropolitaine en 2012.
Dengue Fièvre jaune Fièvre Fièvre
hémorragique de la vallée
Crimée-Congo du Rift
Famille Flaviviridae Flaviviridae Bunyaviridae Bunyaviridae
Vecteur Moustique Moustique Tique Moustique
Aedes sp. Aedes sp. Hyalomma sp. Aedes sp.
Réser- Humain Primates non Bovins, Bovins, ovins,
voir Aedes sp. ? humains équidés, ovins, camélidés,
caprins, porc, caprins
rongeurs
Épidé- – 100 millions – 200 000 cas/ – Émergence – Émergence
miologie de cas/an an (Afrique, Afrique, Asie Afrique
(régions Amérique et Europe du (dont Égypte,
tropicales et du Sud) Sud (Turquie, Madagascar,
subtropicales) – Très rares Grèce, Mayotte
– 2 cas cas importés Bulgarie) et Comores)
autochtones en Europe – 1 cas importé Arabie
à Nice en 2010 (voyageur à Rennes saoudite,
non vacciné) en 2004 Yémen
Incuba- 4 à 7 jours 3 à 6 jours 3 à 7 jours 4 à 7 jours
tion
Formes – Dengue hé- – Fièvre hé- – Fièvre – fièvre
graves morragique morragique hémorragique hémorragique
– Syndrome de – Défaillance – défaillance
fuite capillaire multiviscérale multiviscérale
Traite- Symptomatique Symptomatique Symptomatique Symptomatique
ment Corticoïdes ? Ribavirine

La dengue
Les virus de la dengue appartiennent à la famille des Flaviviridae
et comprennent quatre sérotypes distincts : DEN-1, DEN-2, DEN-3
et DEN-4. L’infection par un sérotype confère une immunité durable
contre ce sérotype uniquement. Le principal vecteur est le moustique
Aedes aegypti qui cumule les caractéristiques favorisant la dissémination
du virus : il se contamine facilement, se nourrit préférentiellement de
sang humain, présente une activité essentiellement diurne, est capable de
piquer plusieurs proies humaines consécutives pour compléter son repas
sanguin et sa piqûre passe le plus souvent inaperçue. En 2012, Aedes ae-
gypti sévit dans toutes les zones tropicales et subtropicales du globe. Bien
que moins efficace, le vecteur Aedes albopictus a été incriminé dans plu-
sieurs épidémies de dengue, notamment au Mexique et en Thaïlande. De-
Pathologies infectieuses d’importation en réanimation 313

puis les années 1970, peut-être par l’intermédiaire du recyclage de pneus


usagés, Aedes albopictus a émergé en Europe. En France métropolitaine,
c’est surtout dans le sud-est de la France que ce moustique s’est implanté,
signalé dans les Alpes-Maritimes en 2005 et en Corse depuis 2006 [20],
mais aussi dans le Var, les Bouches-du-Rhône, les Pyrénées-Orientales
et en Saône-et-Loire. Les conditions nécessaires à la transmission de la
dengue sont réunies dans le sud-est de la France durant les mois les plus
chauds. Cette période (juin-septembre) coïncide malheureusement avec
le pic de fréquence des cas de dengue importés (40 % des cas documentés
en France métropolitaine entre 2001 et 2006 [21]).

Épidémiologie
Chaque année, entre 50 et 100 millions de personnes développent une
dengue, dont 500 000 sont hospitalisées, 250 000 présentent une dengue
hémorragique et 25 000 décèdent (10 % des dengues hémorragiques) [22,
23]. Depuis les années 1980, on assiste à une émergence spectaculaire de
cette arbovirose, avec une expansion de l’Asie du Sud-Est vers les îles du
sud Pacifique, les Caraïbes et l’Amérique latine. La dengue est l’arbovirose
la plus fréquente chez le voyageur et la deuxième cause d’hospitalisation
pour fièvre au retour d’un séjour en zone tropicale, après le paludisme (pre-
mière cause de fièvre au retour d’Asie du Sud-Est). Son incidence a été
multipliée par 30 au cours des 50 dernières années, qui ont vu la plupart
des régions tropicales et subtropicales du globe devenir des zones « endé-
miques » (fig. 2).

Fig. 2 – Répartition des zones à risque de dengue dans le monde (OMS 2008).
314 Infectiologie en réanimation

La dengue évolue sur un mode endémoépidémique dans les départements


18 français d’Amérique (Antilles-Guyane), en Polynésie, en Nouvelle-Calédonie
et circule de manière épisodique à La Réunion et à Mayotte. En France
métropolitaine, le réseau des laboratoires de surveillance a dénombré entre
350 et 400 cas de dengue importée chaque année entre 2006 et 2009 [19,
21]. En 2010, les deux premiers cas de dengue autochtone documentés en
France métropolitaine ont été rapportés à Nice, dont la source a probable-
ment été un patient revenant de Martinique, la présence d’Aedes albopictus
ayant permis à partir de ce cas index la transmission du virus à deux voisins
n’ayant pas quitté la métropole [24]. En résumé, si on considère : i) l’expan-
sion continue de la dengue en zone tropicale et sub-tropicale ; ii) l’augmenta-
tion des voyages internationaux, estimés à 935 millions en 2010 (+ 7 % par
rapport à 2009) par l’Organisation mondiale du tourisme ; iii) les premiers
cas autochtones de dengue dans le sud-est de la France, on peut s’attendre à
une augmentation des cas de dengues en Europe, y compris chez des patients
ayant déjà présenté une dengue, supposés à risque de formes graves.

Formes cliniques
Le plus souvent, la dengue est considérée comme « bénigne » par les
médecins, même si les témoignages des patients sont beaucoup plus sévères
(‘you don’t die from it, but you wish you could’ [25]). L’incubation est variable
(3 à 14 jours), le plus souvent entre 4 et 7 jours. Une fièvre débutant plus de
2 semaines après le départ de la zone d’endémie ne peut pas être une den-
gue. Les principales caractéristiques sont l’installation brutale de la fièvre,
l’intensité des céphalées (classiquement rétro-orbitaires) et des douleurs de
l’appareil locomoteur (arthralgies, myalgies), qui lui ont valu l’appellation
breakbone fever, ainsi qu’un rash maculeux ou maculopapuleux confluent,
présent chez la moitié des patients mais parfois discret, avec des îlots de
peau saine. Des signes hémorragiques mineurs ne sont pas rares. Une série
de 219 cas de dengue importée en Europe retrouvait un âge médian de
32 ans et un sex ratio de 1/1 [26]. La dengue est essentiellement acquise en
Asie du Sud-Est (35 %), dans le sous-continent indien (29 %) ou en Amé-
rique (28 %), les trois principaux pays d’acquisition étant l’Inde (23 %), la
Thaïlande (17 %) et le Sri-Lanka (8 %). En France métropolitaine, la plu-
part des dengues sont importées des Antilles (Martinique, Guadeloupe) et
de la Guyane française, les pays d’Asie venant en seconde position [19, 21].
Les principales manifestations de la dengue importée sont rapportées dans le
tableau II. À noter que la leucopénie initiale est suivie de l’apparition d’une
lymphocytose, avec lymphocytes hyperbasophiles dans 15 % des cas, la den-
gue figurant au diagnostic différentiel d’un syndrome mononucléosique au
décours d’un séjour tropical. Les autres anomalies évocatrices sont la cytolyse
hépatique, l’élévation du taux de lactate déshydrogénase (LDH) et une hypo-
natrémie. Dans cette première série européenne, 51 patients (23 %) ont été
hospitalisés au cours de cet épisode de dengue, avec une durée médiane d’hos-
pitalisation de 4 jours. Un seul patient, âgé de 60 ans, a été admis en réanima-
tion à l’occasion d’un épisode de fibrillation auriculaire mal tolérée. Vingt-trois
patients (11 %) ont présenté des signes de gravité définis dans ce travail par une
Pathologies infectieuses d’importation en réanimation 315

thrombopénie profonde (< 50 000/mm3, n = 18), une hémorragie interne (n


= 4), un syndrome de fuite capillaire (n = 2) et un état de choc (n = 1). En ana-
lyse multivariée, l’existence de signes de gravité est corrélée au caractère « secon-
daire » de la dengue (odds ratio 5,6 ; IC 95 % = 1,7-19,2) et à l’existence d’une
cytolyse hépatique > 3 N en ASAT (OR = 3,7 ; IC 95 % = 1,1-12,6) [26].
Tableau III – Présentation clinique et biologique de 219 cas de dengue importée en Europe.

Présentation Fréquence du signe


Manifestations cliniques
Fièvre 93 %
Céphalées 69 %
Éruption 53 %
Myalgies 50 %
Douleurs rétro-orbitaires 44 %
Signes hémorragiques 26 %
– Test du tourniquet 44 %
– Pétéchies 13 %
– Hémorragies spontanées 8%
Diarrhée 25 %
Manifestations biologiques
3
Leucopénie (< 4500/mm ) 74 %
Thrombopénie (< 150 000/mm3) 71 %
Thrombopénie profonde (< 50 000/mm3) 10 %
Cytolyse hépatique 36 %
Cytolyse hépatique majeure (> 5 N) 13 %
Augmentation des LDH 67 %

Les formes graves de dengue


Selon la nouvelle classification de l’OMS (2009), les formes graves de
dengue sont définies par l’existence d’au moins un des critères suivants :
i) syndrome de fuite capillaire responsable de choc et/ou de détresse res-
piratoire ; ii) hémorragie sévère selon le clinicien en charge du patient ;
iii) atteinte viscérale, notamment hépatique (AST/ALT > 1000 UI/L),
neurologique (troubles de la vigilance) ou cardiaque. Le syndrome de
fuite capillaire apparaît après 4 à 7 jours de dengue « classique », au mo-
ment de la défervescence thermique. Les signes d’alarme sont les douleurs
abdominales, les vomissements, les troubles de vigilance et l’hypother-
mie, tandis que la thrombopénie s’aggrave brutalement. Parallèlement,
316 Infectiologie en réanimation

on assiste à une hémoconcentration rapide (augmentation > 20 % de


18 l’hématocrite). La durée de l’état de choc est brève au cours de la dengue,
les patients pouvant soit récupérer rapidement, soit s’aggraver avec état
de choc réfractaire et fatal en 24 heures. Ce ne sont pas les signes hémor-
ragiques qui différencient les formes graves des formes bénignes : une
thrombopénie et des signes hémorragiques mineurs sont souvent rencon-
trés et n’ont pas de valeur pronostique. À l’inverse, l’existence d’un choc
hypovolémique avec épanchement des séreuses, signature du syndrome
de fuite capillaire, est un puissant facteur de mauvais pronostic, avec une
mortalité moyenne à 9,3 %, culminant à 47 % dans certaines séries [27].
L’hypothèse physiopathologique la plus répandue pour rendre compte des
formes sévères de dengue est celle des anticorps facilitateurs. Cette hypo-
thèse repose historiquement sur l’observation que la plupart des sujets
atteints d’une dengue hémorragique en zone d’endémie ont déjà présenté
une dengue liée à un autre sérotype par le passé. L’explication proposée,
renforcée par des données in vitro, est la suivante : les anticorps développés
à la suite d’un premier épisode de dengue ne protègent durablement que
vis-à-vis du sérotype en cause. En cas d’exposition ultérieure à un autre
sérotype, non seulement ces anticorps ne sont pas neutralisants, mais ils
facilitent l’entrée des virus à l’intérieur des monocytes/macrophages (fixa-
tion médiée par ces anticorps aux récepteurs Fc-L à la surface de ces cellules).
Deux observations confortent cette hypothèse : i) des épidémies de dengue
hémorragique ont été signalées à l’occasion de l’émergence d’un nouveau
sérotype dans une zone géographique jusque-là affectée par un sérotype dif-
férent (Thaïlande, Cuba) ; ii) le sur-risque de dengue hémorragique chez les
nourrissons pourrait s’expliquer par la persistance des anticorps maternels
au cours de la première année de vie. L’hypothèse des anticorps facilitateurs
a freiné la mise au point d’un vaccin, car elle fait craindre qu’un vaccin
conférant une protection imparfaite vis-à-vis d’un des quatre sérotypes aug-
menterait le risque de dengue hémorragique en cas d’infection par ce séro-
type partiellement couvert. Cependant, un antécédent de dengue n’est ni
nécessaire, ni suffisant, pour développer une dengue hémorragique. Parmi
les autres pistes physiopathologiques, il a été proposé : i) une virulence
plus marquée de certains sérotypes (notamment DEN-3) ; ii) le rôle d’une
réponse immunitaire cellulaire T aberrante, responsable d’une libération
massive de cytokines et d’une apoptose excessive ; iii) des facteurs liés à
l’hôte, comme une plus grande résistance des sujets d’origine africaine [28].

Prise en charge en réanimation


Le diagnostic repose sur la PCR dans le sang, à la phase aiguë (j1-j5 de
la fièvre). Au-delà, le diagnostic sérologique est plus performant avec ap-
parition des IgM à partir de j5 et des IgG à partir de j10. Aucun antiviral
actif sur la dengue n’est disponible en 2012. Parmi les traitements antal-
giques, l’aspirine est proscrite compte tenu du risque d’évolution vers une
forme hémorragique au cours de la dengue, et du risque d’évolution vers
un syndrome de Reye. En dehors de cette réserve, il faut suivre les paliers
d’antalgiques de l’OMS, en restant attentif au risque d’hépatite toxique
Pathologies infectieuses d’importation en réanimation 317

en cas de surdosage au paracétamol. Les antalgiques de niveau III sont


parfois nécessaires, transitoirement.
Même en l’absence de signes cliniques de gravité, toute dengue présentant
une thrombopénie < 100 000/mm3 doit être hospitalisée, en réanimation
en cas de thrombopénie < 50 000/mm3. Le traitement des complications
permet de faire reculer la mortalité des dengues hémorragiques de 40 %
(mortalité spontanée), à environ 1 %. La prise en charge des états de choc
repose sur une analyse précise du (des) mécanisme(s) en cause : i) remplis-
sage par cristalloïdes ou colloïdes, à la posologie initiale de 10 à 20 mL/
kg/h ; ii) transfusion en cas de pertes sanguines ; iii) catécholamines
selon le profil hémodynamique, en prenant en compte une éventuelle
myocardite associée. En ce qui concerne le remplissage, l’OMS privilégie
l’utilisation de cristalloïdes. Une première étude randomisée avait sug-
géré que les colloïdes auraient une meilleure efficacité sur la rapidité de
restauration du débit cardiaque et la normalisation de l’hématocrite dans
les chocs réfractaires de l’enfant [29]. Ces données n’ont pas été confir-
mées lors d’une seconde étude randomisée ayant comparé Ringer lactate®,
hydroxyéthylamidon 6 % et dextran 70 chez des enfants présentant une
dengue sévère avec état de choc, sans aucune différence sur les paramètres
évalués en dehors du délai de correction de l’hématocrite, un peu allongé
dans le groupe traité par Ringer lactate® [30]. Quel que soit le soluté
de remplissage utilisé, il est recommandé de ne pas poursuivre ce rem-
plissage une fois l’objectif atteint (restauration de la tension artérielle et
normalisation de l’hématocrite), compte tenu de l’importance de la fuite
capillaire dans ces syndromes de choc, à l’origine d’accumulation massive
de solutés dans les espaces interstitiels.
Les transfusions de concentrés érythrocytaires et de plaquettes suivent
les recommandations habituelles, avec comme particularité une durée de
vie très courte des plaquettes transfusées au cours des dengues sévères. La
prise en charge de la coagulation intravasculaire disséminée ne présente
pas de particularités et repose sur des perfusions de plasma frais congelé.
Le drainage des épanchements, notamment pleuraux, n’est réalisé qu’en
cas de nécessité absolue compte tenu du risque hémorragique. Enfin, il
faut rappeler la possibilité de transmission du virus à l’occasion d’un acci-
dent d’exposition au sang (AES) [31]. Les mesures de prévention autour
d’un cas sont les suivantes : i) prévention des AES ; ii) si le patient vit
dans une région et à une saison où Aedes albopictus est présent, il doit être
isolé sous moustiquaire dans la journée (moustique à activité diurne).

La fièvre jaune
Le virus de la fièvre jaune, également appelé virus amarile, est un virus
ARN simple brin appartenant à la famille des Flaviviridae comme la den-
gue. Le réservoir est essentiellement composé de primates non humains,
au sein duquel le virus circule par l’intermédiaire de moustiques à activité
diurne (Haemogogus spp. en Amérique, Aedes spp. en Afrique) [32]. Si les
singes infectés sont asymptomatiques en Afrique, ceux d’Amérique du Sud
318 Infectiologie en réanimation

développent une pathologie sévère, souvent fatale, la mortalité des singes


18 pouvant être un signe annonciateur d’une recrudescence de la fièvre jaune
en Amérique [33]. Les humains peuvent s’infecter à l’occasion d’incursions
en forêt (jungle yellow fever). La savane africaine joue un rôle de catalyseur
des épidémies grâce à la densité de la population de vecteurs et à la proba-
bilité forte de rencontre d’un vecteur avec un humain. Aedes aegypti est le
vecteur le plus efficace pour la transmission interhumaine compte tenu de
sa proximité avec l’homme en zones habitées (urban yellow fever).

Épidémiologie
Environ 200 000 patients contractent une fièvre jaune chaque année,
la majorité (90 %) en Afrique Sub-Saharienne, avec une augmentation
des cas depuis 1980, à la fois en Afrique et en Amérique du sud (fig. 3).
Si le Pacifique, les îles de l’Océan Indien et l’Asie restent indemnes de fièvre
jaune en 2012, la présence d’Aedes aegypti et l’intensité des échanges trans-
continentaux pourraient permettre l’implantation de la fièvre jaune en Asie,
ce qui aurait des conséquences majeures compte tenu de la démographie de
ce continent. Les cas de fièvre jaune importée en Europe restent très rares,
grâce à l’efficacité de la vaccination antiamarile, basée sur l’injection d’un
virus vivant atténué (souche 17D) qui confère une protection proche de
100 % [34]. Entre 1970 et 2002, neuf cas ont été rapportés aux États-Unis
et en Europe chez des voyageurs non vaccinés au retour du Brésil (trois cas),
Sénégal (deux cas), Vénézuéla, Côte d’Ivoire, Gambie et Afrique de l’Ouest
(un cas chacun). Un cas a été rapporté en Espagne chez un voyageur pour-
tant vacciné, au décours d’un séjour en Afrique de l’Ouest [33].

Map is from the following publication: Jentes ES. Poumerol G, Gershman MD, et al. The revised global yellow fever risk map and
recommendations for vaccination, 2010: consensus of the Informal WHO Working Group on Geographic Risk for Yellow Fever.
Lancet Infect Dis. 2011;11:622-32.
Pathologies infectieuses d’importation en réanimation 319

Map is from the following publication: Jentes ES. Poumerol G, Gershman MD, et al. The revised global yellow fever risk map and
recommendations for vaccination, 2010: consensus of the Informal WHO Working Group on Geographic Risk for Yellow Fever.
Lancet Infect Dis. 2011;11:622-32.

Fig. 3 – Répartition des zones à risque de fièvre jaune dans le monde (OMS 2008).

Diagnostic
L’incubation est de 3 à 6 jours après la piqûre du moustique infectant.
La fièvre jaune présente un large éventail de formes cliniques, de la forme
asymptomatique à la fièvre hémorragique avec défaillance multiviscérale.
Trois phases sont classiquement décrites :
– la première phase dite « phase rouge » est caractérisée par une fièvre
élevée d’apparition brutale, des myalgies, des céphalées, des frissons,
des nausées, une conjonctivite, un faciès rouge ou vultueux, et un
aspect général « toxique » avec dissociation pouls-température. La vi-
rémie est élevée à ce stade et les anomalies biologiques comportent
une leucopénie précoce et une cytolyse hépatique à partir du troisième
jour, prédominant sur les ASAT ;
– la seconde phase, inconstante, comporte une régression des signes
avec apyrexie pendant 24 heures ;
– la troisième phase, dite « phase jaune » survient chez 15 % des
patients, avec réapparition de la fièvre, des vomissements et ap-
parition d’un ictère franc avec signes hémorragiques. La virémie
se négative à ce stade, tandis que les anticorps apparaissent. Un
tableau de défaillance multiviscérale s’installe rapidement, avec in-
320 Infectiologie en réanimation

suffisance rénale anurique, insuffisance hépatocellulaire et coma.


18 La mortalité des patients qui développent un ictère est de 20 % en
Afrique, plus élevée aux âges extrêmes. Dans une série de 103 pa-
tients, la durée moyenne de la maladie chez les survivants était
de 18 jours, avec un risque élevé de surinfections bactériennes au
décours [35].

Traitement
Il est essentiellement symptomatique, mais la ribavirine à fortes doses
mérite d’être discutée : sans effet dans les modèles simiens et murins, elle
apporte un bénéfice chez le hamster. L’administration d’Ig intraveineuse
n’a d’intérêt qu’en cas d’administration très précoce après l’inoculation,
et est recommandée uniquement en cas d’AES. Les corticostéroïdes n’ont
pas été correctement évalués, mais ils semblent présenter un intérêt dans
les complications viscérales sévères du vaccin antiamarile. Compte tenu
d’une physiopathologie proche (les complications viscérales du vaccin
correspondent à la dissémination du virus amarile atténué), il n’est pas
aberrant de proposer une corticothérapie systémique en cas de fièvre
jaune, d’autant que les défaillances surviennent au point culminant de
la réponse immunologique (disparition de la virémie, apparition des an-
ticorps).

La fièvre hémorragique Crimée-Congo


La fièvre hémorragique Crimée-Congo (FHCC) a été décrite pour
la première fois en Crimée en 1944 à l’occasion d’une épidémie au sein
de l’armée soviétique. Le virus responsable, membre de la famille des
Bunyaviridae, a été isolé chez un patient fébrile au Congo en 1956. Le
réservoir du virus CCHF est très vaste, comportant des vertébrés très
divers, domestiques ou sauvages (bovins, rongeurs, équidés, caprins,
ovins, porcs), parfaitement asymptomatiques. La transmission se fait
essentiellement par l’intermédiaire d’une tique du genre Hyalomma,
qui peut jouer également un rôle de réservoir [36].

Épidémiologie
La zone de répartition de la FHCC suit la répartition des tiques vec-
trices, très vaste, et comprend l’Asie, l’Afrique et l’Europe du Sud (fig. 4).
Il n’existe aucune trace de sa présence en Amérique. Les populations
les plus touchées sont les sujets en contact avec le bétail : ainsi, 90 %
des cas rapportés en Turquie concernent des fermiers. L’autre catégo-
rie professionnelle exposée dans les pays en développement concerne
les professions de santé dans les hôpitaux où les précautions standard
ne sont pas prises vis-à-vis du risque d’exposition aux produits biolo-
giques. Ceci s’explique par la concordance d’une virémie élevée et de
manifestations hémorragiques sévères à la phase d’état, mais le risque
Pathologies infectieuses d’importation en réanimation 321

Fig. 4 – Répartition des zones à risque de fièvre hémorragique Crimée-Congo dans le monde
(OMS 2008).

de transmission nosocomiale semble très faible dans les conditions ac-


tuelles en France [37]. La consommation de viande n’est pas un facteur
de risque compte tenu de la fragilité du virus. Dans l’hémisphère nord,
il existe une nette recrudescence saisonnière à l’occasion de la saison
chaude, correspondant au pic d’activité des tiques (mai-septembre en
Turquie). L’extension progressive des pays où une transmission autoch-
tone de FHCC a été documentée comprend de nombreux pays que
les touristes français affectionnent (Sénégal, Grèce, Turquie, Bulgarie,
Croatie). La FHCC reste à ce jour le seul exemple de fièvre hémorra-
gique virale importée en France métropolitaine (Rennes, 2004) [38].

Diagnostic
Les formes asymptomatiques prédominent : seuls 20 % des patients
développeront des symptômes. L’incubation est alors brève, comme c’est
la règle pour les arboviroses (3 à 7 jours). La phase préhémorragique dure
en moyenne 3 jours (extrêmes, 1-7 jours) et comporte une fièvre élevée
d’apparition brutale et des myalgies. Une conjonctivite, des symptômes
digestifs (diarrhée, nausées, vomissements) et une hépatosplénomégalie
peuvent être notés. À ce stade, leucopénie, thrombopénie, élévation des
transaminases, des LDH, des CPK et anomalies des tests de coagulation
sont habituelles. Seule l’intensité de la cytolyse hépatique est un mar-
queur précoce du risque d’évolution vers la phase hémorragique (ASAT
> 700 et/ou ALAT > 900 UI/L) [36].
La phase hémorragique, inconstante, apparaît brutalement entre le troi-
sième et le cinquième jour et comprend des pétéchies, des hémorragies en
322 Infectiologie en réanimation

nappe aux points de ponction, une épistaxis, des hémorragies digestives,


18 des métrorragies, une hématurie, voire une hémorragie intracérébrale.
Cette phase hémorragique est brève (2 à 3 jours), tandis que la phase
de convalescence peut durer 1 à 2 semaines. La mortalité varie entre 3
et 30 % selon le niveau de soins disponibles. Elle a été de 5,1 % en Tur-
quie sur les années 2002-2009. Contrairement à la fièvre jaune, il semble
que les formes les plus graves de FHCC soient observées en l’absence de
réponse anticorps.

Traitement
La ribavirine a une certaine efficacité in vitro, mais aucune donnée
convaincante n’a été obtenue chez l’homme, malgré plusieurs études
observationnelles de qualité, une étude quasi-expérimentale et un essai
randomisé : aucun bénéfice clinique ou biologique n’a pu être mis en
évidence. Le principe du primum non nocere justifie l’asbtention compte
tenu de la toxicité de la ribavirine à fortes doses [39]. Le traitement
symptomatique ne comporte pas de particularités par rapport à la den-
gue et à la fièvre jaune. Les précautions d’isolement-contact appliquées
en Turquie semblent suffisantes, en l’absence de toute séroconversion
chez les soignants exposés au décours d’une épidémie. Cependant,
compte tenu de la gravité de cette maladie et des doutes qui persistent
sur une possible transmission respiratoire dans des conditions extrêmes,
un isolement respiratoire est également recommandé, avec la nécessité
d’informer les laboratoires qui recevront les prélèvements provenant du
patient.

La fièvre de la vallée du Rift


Le virus responsable de la fièvre de la vallée du Rift (FVR) appartient
également à la famille des Bunyaviridae. Son réservoir comporte de nom-
breux vertébrés, essentiellement bovins, moutons, chameaux et chèvre.
Plusieurs moustiques peuvent jouer le rôle de vecteurs (Aedes, Culex,
Anopheles, Mansonia). Les Aedes jouent un rôle majeur dans le déclenche-
ment des épidémies grâce à leurs capacités de transmission transovarienne
du virus, qui permet à celui-ci de persister pendant plusieurs années en
cas de sécheresse et de réapparaître à l’occasion d’une saison particuliè-
rement humide avec éclosion d’œufs conservés à l’état de dessiccation,
restés infectants.
Pathologies infectieuses d’importation en réanimation 323

Fig. 5 – Répartition des zones à risque de fièvre de la vallée du Rift dans le monde (OMS 2008).

Épidémiologie
La FVR, décrite pour la première fois en 1930 au Kenya, évolue sous
forme d’épidémies au décours de précipitations pluvieuses anormales.
Il s’agit d’un des modèles d’épidémies provoquées par les changements
climatiques, pour lesquelles les conditions météorologiques permettent
d’anticiper de quelques semaines la survenue de ces épidémies. Long-
temps cantonnée aux pays d’Afrique subsaharienne, la FVR s’est éten-
due à partir du dernier quart du xxe siècle avec une épidémie en Égypte
en 1977-78 (18 000 cas, 598 décès), en Arabie Saoudite en 2000-2001
(683 cas documentés, 95 décès), et les premiers cas signalés dans l’Océan
Indien à partir de 2007 (Mayotte, Comores, Madagascar) [40]. Les
facteurs de risque de développer une FVR en période d’épidémie sont
proches des facteurs de risque d’acquisition de FHCC : les patients sont
essentiellement des hommes, d’âge moyen, travaillant au contact du bé-
tail. Cependant, deux différences majeures sont à signaler : i) la FVR en-
traîne des zoonoses sévères avec avortements spontanés et pertes majeures
parmi le bétail en période d’épidémie ; ii) la manipulation de carcasses et
la consommation du bétail atteint sont des facteurs de risque de contrac-
ter la FVR.

Diagnostic
Une fois sur deux, l’infection reste asymptomatique. Pour les cas
symptomatiques, l’incubation s’étend de 2 à 6 jours et plus de 95 % des
patients développent un tableau proche d’une dengue non compliquée
324 Infectiologie en réanimation

avec une évolution favorable en 4 à 7 jours. Seulement 3 à 4 % des FVR


18 sont sévères et peuvent conduire en réanimation, soit à l’occasion d’une
méningoencéphalite, soit pour un tableau de fièvre hémorragique virale.
L’atteinte oculaire, bien que rare, mérite d’être signalée en raison de sa
valeur diagnostique et du risque de séquelles définitives. Les descriptions
sont variables d’une épidémie à l’autre : l’épidémie d’Arabie Saoudite a
permis une description détaillée de 886 patients atteints de FVR [41].
La présentation initiale était notable par l’importance des signes digestifs
(diarrhée, vomissements, douleurs), l’élévation des transaminases (98 %),
des LDH (60 %), la leucopénie (40 %), la thrombopénie (39 %), l’insuf-
fisance rénale (28 %) et la rhabdomyolyse (27 %). L’épidémie décrite au
Kenya insistait sur la fréquence des arthralgies touchant les grosses articu-
lations à la phase initiale (genoux, coudes, hanches). L’épidémie enregis-
trée au Soudan en 2008 a mis l’accent sur la fréquence de l’atteinte rénale,
retrouvée chez 60 % des patients hospitalisés, avec nécessité de recourir à
une dialyse neuf fois sur 10, en l’absence de séquelles rénales à distance.
Aucun antiviral n’a fait la preuve de son efficacité et le traitement se limite
donc à la prise en charge des complications.

Pathologies bactériennes tropicales


susceptibles d’être rencontrées en réanimation

Fièvres typhoïdes
Les fièvres typhoïdes sont endémiques dans de nombreux pas tropicaux.
Chaque année, entre 150 et 200 cas sont déclarés en France, le plus souvent au
décours d’un séjour en Afrique (deux tiers des cas) ou dans le sous-continent
Indien (un tiers). Les typhoïdes sont dues à certains sérotypes de Salmonella
enterica (typhi et paratyphi A, B et C), dont le réservoir est exclusivement hu-
main, transmises de manière directe (mains sales) ou plus souvent indirecte
(ingestions de boissons, fruits de mer, légumes crus contaminés) [42].
Après une incubation de 10 jours en moyenne, le début est habituelle-
ment progressif, marqué par une fièvre d’augmentation croissante, des
céphalées, une insomnie et des troubles digestifs (constipation plutôt que
diarrhée). Cette première phase dure environ 1 semaine (premier septé-
naire), avant de laisser place au deuxième septénaire avec fièvre en pla-
teau, souvent > 40 °C, associée à des signes neuropsychiques (somnolence,
obnubilation), une diarrhée « jus de melon », une éruption diffuse dis-
crète (taches rosées lenticulaires au niveau du tronc), et des ulcérations des
piliers antérieurs du voile du palais (angine de Duguet). C’est à ce stade
qu’on peut observer des complications susceptibles de conduire le patient
en réanimation : hémorragies ou perforations digestives, myocardite,
encéphalite. En pratique, ces complications ne sont pas observées dans
Pathologies infectieuses d’importation en réanimation 325

les pays développés, compte tenu de l’accès aux soins en cas de fièvre au
décours d’un séjour tropical, avec prescription d’une antibiothérapie effi-
cace. Celle-ci doit reposer, en première intention, sur une céphalosporine
injectable (ceftriaxone, 60 à 75 mg/kg/j en IV, sans dépasser 4 g/j), dans
l’attente des tests de sensibilité, compte tenu de l’émergence des souches
résistantes aux fluoroquinolones, principalement en Asie. Les fluoroqui-
nolones per os restent le traitement recommandé en cas de souche sen-
sible, lorsque la voie orale est praticable [43]. Aucun décès n’a été rapporté
parmi les 800 cas de typhoïde déclarés en France entre 2004 et 2009.

Borrélioses récurrentes à tiques


Les fièvres récurrentes à tiques sont des anthropozoonoses dues à des
bactéries du genre Borrelia de la famille des spirochètes. Ces maladies
sont géographiquement limitées à la répartition de la tique vectrice, que
l’on retrouve en zone rurale dans plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest,
au Sahel et dans le Sahara (Sénégal, Mali, Mauritanie). Au Sénégal, les
fièvres récurrentes à tiques, dues à Borrelia crocidurae, représenteraient
la deuxième cause d’état fébrile en zone rurale, après le paludisme.
La contamination se fait lors d’une piqûre de tique, généralement indo-
lore et nocturne (pendant le sommeil). Le premier épisode fébrile est bru-
tal, avec une température > 40 °C, d’une durée moyenne de 3 à 4 jours.
Après une accalmie transitoire au cours de laquelle les patients semblent
guéris, les accès fébriles alternent avec des phases d’apyrexie de durées
variables (2 à 10 jours). D’autres signes sont inconstamment présents :
algies diffuses, frissons, troubles digestifs, toux et hépatosplénomégalie.
Les manifestations neurologiques ne sont pas rares, en particulier les
méningites lymphocytaires avec atteintes de nerf(s) crânien(s). Les mani-
festations biologiques les plus fréquentes sont la polynucléose neutrophile,
la thrombopénie, l’élévation des transaminases, et une hyperbilirubinémie
non conjuguée. Compte tenu de la répétition d’accès fébriles avec syn-
drome algique et thrombopénie, au retour d’un séjour tropical, les borré-
lioses récurrentes à tiques passent souvent pour des accès palustres, et le
diagnostic est alors fait lors de l’examen attentif d’un frottis sanguin qui
retrouve non pas les hématozoaires du paludisme, mais des spirochètes
extracellulaires. Le diagnostic sera confirmé le plus souvent par PCR, et le
traitement repose sur l’amoxicilline ou la doxycycline [44].

Typhus des broussailles (scrub typhus)


Le typhus des broussailles est une rickettsiose non rare (un million
de cas par an), due à Orientia tsutsugamuchi, endémique dans la zone
Asie-Pacifique. Le vecteur est un acarien qui prolifère en zone rurale, près
des rivières et des zones de végétations broussailleuses. L’incubation varie
de 5 à 20 jours. Le début, brutal, associe une fièvre élevée, un syndrome
polyalgique (céphalées, arthralgies, myalgies) et une polyadénopathie gé-
326 Infectiologie en réanimation

néralisée. Des signes hémorragiques ne sont pas rares, en rapport avec


18 une thrombopénie souvent profonde. La présentation clinicobiologique
initiale peut faire évoquer un paludisme grave, une dengue hémorra-
gique, une leptospirose ou un choc septique. Le diagnostic est suspecté
lors de la découverte d’une escarre d’inoculation croûteuse, noirâtre, au
décours d’un séjour rural dans la zone Asie-Pacifique. Le traitement par
doxycycline permet une résolution rapide de la fièvre et des anomalies
biologiques, dominées par la thrombopénie. Le diagnostic est souvent
apporté a posteriori par la mise en évidence d’Orientia tsutsugamuchi par
PCR dans le sang, ou sur la biopsie cutanée.

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III

Pathologies
nosocomiales
et/ou liées
aux soins
Complications infectieuses
intracrâniennes postopératoires
19
A.-M. KORINEK

Introduction

La majorité des interventions réalisées en neurochirurgie appartien-


nent à la chirurgie propre. Dans cette catégorie, le risque infectieux est
faible, variant de 1 à 5 % (fig. 1). L’infection est favorisée par la rupture
des barrières naturelles : brèche de dure-mère chirurgicale ou trauma-
tique favorisant la fuite de liquide céphalorachidien (LCR), insertion
de matériel étranger (valves de dérivation internes ou externes du LCR,
implantation d’électrodes), contamination peropératoire (effraction des
parois des sinus). Une étude multicentrique a recherché les facteurs de
risque d’infection après une craniotomie. Seuls deux facteurs de risque
étaient significativement associés à l’infection en analyse multivariée : la
fuite de LCR et la réintervention précoce. Lorsque ces deux facteurs, qui
ne sont connus qu’en période postopératoire, étaient sortis de l’analyse,
quatre facteurs prédictifs étaient mis en évidence, chacun doublant le
risque infectieux : une intervention neurochirurgicale antérieure, une
classe de contamination 3 ou 4 (chirurgie contaminée ou sale), une durée
de chirurgie supérieure à 4 heures et la chirurgie en urgence [1]. Dans
une autre étude, prospective, des facteurs de risque d’infection incluant
4578 craniotomies, sept facteurs ont été retrouvés : le sexe masculin, le
diagnostic chirurgical, le chirurgien, l’absence d’antibioprophylaxie, la
réintervention précoce, la durée de chirurgie et la fuite de LCR qui à elle
seule augmente le risque d’un facteur 12 [2].
En dehors de ces facteurs de risque liés à la chirurgie, il convient de se
souvenir que le cerveau et le LCR ont pour caractéristique d’être des
A.-M. Korinek
Service de neuroréanimation
Bâtiment Babinski
Hôpital Pitié-Salpètrière
47-83, boulevard de l’Hôpital
75651 Paris Cedex 13
E-mail : [email protected]
Sous la direction de Pierre Charbonneau et Michel Wolff, Infectiologie en réanimation.
ISBN : 978-2-8178-0388-3, © Springer-Verlag Paris 2013
331
332 Infectiologie en réanimation

milieux immuno-incompétents avec peu de polynucléaires in situ et une


19 activité opsonisante quasi nulle du fait de l’absence physiologique d’anti-
corps, ce qui rend la phagocytose inopérante. Cela explique la potentielle
gravité des infections cérébroméningées. Par ailleurs, le cerveau et le LCR
sont protégés efficacement des infections systémiques respectivement par
la barrière hématoencéphalique et la barrière hématoméningée, mais
ces barrières sont aussi un obstacle à la pénétration des médicaments en
particulier des antibiotiques, rendant plus difficile le traitement de ces
infections.
Nous envisagerons successivement dans cet article les méningites postcra-
niotomie, les ventriculites et infections de valves de dérivation du LCR,
les ostéites du volet et les abcès et empyèmes postopératoires.

Fig. 1 – Évolution du taux des infections postopératoires, toutes interventions confondues,


dans le service de neurochirurgie de l’hôpital Pitié-Salpêtrière Paris, France.

Méningites nosocomiales postopératoires

Épidémiologie et facteurs de risque


Les méningites nosocomiales sont rares, représentant 0,4 % de
l’ensemble des infections nosocomiales. Elles se rencontrent surtout
en neurochirurgie où le taux des méningites postopératoires est de 1 à
2 % [3-6]. Leur incidence varie selon le type de chirurgie. Elle est de
0,5 à 2 % après craniotomie, 5 à 20 % après insertion de dérivation
interne ou externe du LCR et moins de 0,1 à 0,5 % après chirurgie
rachidienne.
Les facteurs de risque de méningite ont été étudiés prospectivement dans
une série de 6243 craniotomies consécutives [3]. Quatre facteurs de risque
indépendants ont été retrouvés : la fuite de LCR (OR = 28,4), la présence
d’une infection de paroi concomitante (OR = 3,7), le sexe masculin (OR
= 1,9) et une durée de chirurgie supérieure à 4 heures (OR = 1,7). La fuite
Complications infectieuses intracrâniennes postopératoires 333

de LCR était le facteur le plus important : 35 méningites chez 120 patients


ayant une fuite (29,2 %) versus 60 méningites chez 6123 patients n’ayant
pas de fuite (0,98 % ; p < 0,0001).

Diagnostic
Les méningites postopératoires surviennent habituellement 8 à
15 jours après la chirurgie [3, 5]. Le diagnostic est difficile car les signes
cliniques ne sont pas spécifiques en période postopératoire. La fièvre
sans autre cause et les troubles de conscience sont les signes les plus fré-
quemment observés, et doivent faire pratiquer un scanner cérébral à la
recherche d’une complication chirurgicale ou d’une contre- indication à
la ponction lombaire.
Les résultats de la ponction lombaire sont eux aussi difficiles à interpré-
ter : l’augmentation des éléments dans le LCR est habituelle au cours de la
première semaine postopératoire du fait des phénomènes inflammatoires
induits par la chirurgie et de l’éventuelle présence de sang dans le liquide
(chirurgie vasculaire), si bien que ce critère possède une faible sensibilité
et une faible spécificité. Il en est de même de la protéinorachie. L’hypo-
glycorachie serait plus spécifique de l’infection avec un rapport glycorachie/
glycémie inférieur à 0,3 et/ou une glycorachie inférieure à 2 mM/L [7].
Toutefois, la glycorachie peut être également basse au cours des ménin-
gites carcinomateuses ou même lors d’hémorragies sous-arachnoïdiennes.
Le dosage des lactates dans le LCR permettrait de distinguer les méningites
bactériennes des méningites aseptiques, avec une valeur seuil supérieure à
4 mM/L ; la sensibilité de cet examen serait de 88 %, la spécificité de 98 %,
la valeur prédictive positive de 96 % et la valeur prédictive négative de 94 %
[8]. D’autres examens ont été évalués : les dosages de la C-réactive protéine
et de la procalcitonine dans le sang ou le LCR ne sont pas discriminants. La
polymérase chain réaction (PCR), qui détecte la présence d’ADN bactérien
dans le LCR, a aussi été étudiée : il semble exister de nombreux faux posi-
tifs, en revanche aucune culture de LCR n’était positive chez les patients
ayant une PCR négative, suggérant qu’une PCR négative est prédictive de
l’absence d’infection [4].
Le diagnostic de méningite postopératoire repose sur la mise en évidence
d’un germe à l’examen direct du LCR et/ou en culture, associé à une cli-
nique évocatrice et des anomalies cytologiques et biochimiques du LCR.
Malheureusement, l’examen direct n’est positif que dans un tiers des cas
et la culture dans 60 à 70 % des cas, parce que l’inoculum bactérien est
faible et les patients ont souvent reçu des antibiotiques pour une infection
intercurrente. Lorsque la clinique est évocatrice, associée à des anoma-
lies du LCR, il peut être licite, chez un patient correctement surveillé
en milieu spécialisé, de répéter les ponctions lombaires à 12-24 heures
d’intervalle pour juger de l’évolution des paramètres du LCR et augmen-
ter la probabilité d’isoler un germe avant d’instaurer un traitement anti-
biotique probabiliste.
334 Infectiologie en réanimation

Bactériologie
19
Les staphylocoques, coagulase positifs ou négatifs, représentent plus
de la moitié des germes responsables des méningites postcraniotomie [1,
3, 5]. Viennent ensuite les entérobactéries qui représentent environ 30 %
des pathogènes isolés et les autres bacilles à Gram négatif (Acinetobacter
spp., Pseudomonas spp.) qui représentent habituellement moins de 10 %
mais peuvent atteindre 20 % dans certaines séries selon l’écologie des
unités [5].

Traitement curatif
La dure-mère et la barrière hématoméningée sont d’extraordinaires
moyens de défense contre l’infection du LCR. Leur rupture, par la
chirurgie ou un traumatisme, permet la colonisation bactérienne du
LCR qui peut ensuite conduire à l’infection : le risque est propor-
tionnel à la durée. Les règles générales du traitement reposent donc
sur la fermeture des brèches dure-mériennes, l’ablation d’éventuels
corps étrangers et le traitement antibiotique. Du fait de l’immuno-
incompétence du LCR, ce traitement doit comporter des antibiotiques
bactéricides, à bonne diffusion tissulaire, possédant une activité intrin-
sèque élevée. Ces derniers sont prescrits à fortes posologies par voie
parentérale du fait de la diffusion médiocre de la majorité des molé-
cules disponibles. Ils doivent être débutés après documentation bac-
tériologique pour une durée de 10 à 15 jours. Une ponction lombaire
de contrôle est recommandée 72 heures après le début du traitement ;
à cette date, le patient doit être apyrétique et le LCR doit être stérile,
même si les éléments sont encore élevés et la glycorachie encore basse.
En cas de persistance de cultures positives, il faut rechercher une com-
plication : abcès ou empyème, brèche persistante ou présence d’un
corps étranger.
La diffusion dans le LCR des différentes familles d’antibiotiques est
résumée dans le tableau I. La vancomycine, grosse molécule peu liposo-
luble diffuse mal dans le LCR. Il a été montré que si elle est prescrite à
fortes posologies (50 à 80 mg/kg/j) en perfusion continue après une
dose de charge, elle peut atteindre des taux liquidiens de 30 % des taux
sanguins [9]. Cependant la diffusion est variable d’un sujet à l’autre,
lente, et diminue lorsqu’il n’y a plus d’inflammation méningée. Les
dosages sanguins doivent être fréquents pour éviter les taux toxiques ;
dans le LCR, les dosages doivent être faits lors du contrôle de la ponc-
tion lombaire, 2 à 4 jours après le début du traitement pour s’assurer de
concentrations liquidiennes au moins égales à 5 mg/mL. La poly-
myxine B et la colimycine diffusent très mal dans le LCR. Des taux
efficaces ont toutefois été retrouvés avec des posologies de colimycine
de 5 mg/kg [10], et des patients infectés avec des germes multirésistants
ont pu être traités avec de la polymyxine avec 80 % de guérison [11].
Complications infectieuses intracrâniennes postopératoires 335
Tableau I – Diffusion des antibiotiques dans le liquide céphalorachidien
(taux de diffusion LCR/sang).

Bonne (≈ 50 %) Moyenne (≈ 30 %)* Mauvaise (<10 %)


– Phénicolés – Pénicillines G et A – Pénicillines M
– Quinolones – Céphalosporines 3 G – Céphalosporines 1 et 2 G
– Rifampicine – Carboxypénicillines – Aminoglycosides
– Fosfomycine – Uréidopénicillines – Téicoplanine
– Imidazolés – Carbapénems – Daptomycine
– Sulfamides – Vancomycine – Fucidine
– Triméthoprime – Cyclines
– Linézolide – Macrolides
– Lincosamides
– Polymyxines

*Améliorée en cas d’inflammation méningée.

Pour ces germes multirésistants, l’injection intrathécale d’antibiotiques


diffusant peu ou pas dans le LCR peut être proposée. Cette injection
doit tenir compte du sens de circulation du LCR : la voie lombaire ne
permet pas d’atteindre des doses efficaces au niveau des citernes et des
ventricules ; l’injection intrathécale doit donc être effectuée au niveau
des ventricules par l’intermédiaire d’une dérivation ventriculaire externe
ou d’un réservoir sous-cutané. Les antibiotiques que l’on peut adminis-
trer par voie intrathécale sont : la gentamicine et la tobramycine (10 à
20 mg/j), l’amikacine (30 à 50 mg/j) la polymyxine B et la colistine (5
à 10 mg/j) [4]. Le traitement des infections documentées est résumé
dans le tableau II.
Tableau II – Indications thérapeutiques dans les infections documentées
du liquide céphalorachidien.

Germes Antibiotiques
Staphylocoques méti-S Quinolones associées à rifampicine
ou cotrimoxazole
Staphylocoques méti-R Vancomycine monothérapie
ou associée à rifampicine, linézolide,
cotrimoxazole selon antibiogramme
Propionibacterium acnes Amoxicilline associée à rifampicine
ou quinolones
Entérobactéries sauvages Céfotaxime ou céfépime seuls
ou associés aux quinolones
Entérobactéries multirésistantes, Ceftazidime ou méropénem
Pseudomonas aeruginosa, associés à des injections intrathécales
Acinetobacter spp. d’aminosides ou de colimycine
336 Infectiologie en réanimation

Le traitement empirique des méningites postopératoires dépend de


19 l’écologie du service, des antécédents du patient (portage de germes
multirésistants, implantation de valve interne ou externe antérieure à la
craniotomie). La sensibilité au céfotaxime, à la vancomycine, à la fosfo-
mycine et à leur association, a été étudiée pour les germes des méningites
postopératoires, en fonction de la présence ou non d’une valve. Il appa-
raît que la fosfomycine n’apporte rien dans le traitement de ces germes.
Lorsqu’il n’y a pas eu d’insertion de valve, le taux de staphylocoques
méti-R est très faible et l’utilisation de céfotaxime seul permet la guérison
de 88 % des patients. En revanche, en cas d’insertion de matériel, les
staphylocoques méti-R doivent être pris en compte et seule l’association
céfotaxime-vancomycine permet d’obtenir 89 % de guérison [12]. Ainsi
dans notre unité, le protocole de traitement empirique des méningites
postopératoires est le suivant : céfotaxime 150 à 200 mg/kg/j pour les
méningites postcraniotomie sans antécédent de valve de dérivation du
LCR ou de portage de staphylocoque méti-R ; vancomycine en perfusion
continue, 60 mg/kg/j, associée au céfotaxime pour les méningites post-
craniotomie chez les patients ayant eu une valve interne ou externe avant
la craniotomie. Les recommandations récentes anglo-saxonnes proposent
une association de vancomycine avec de la ceftazidime, du céfépime ou
du méropénem, selon l’écologie des bacilles à Gram négatif de l’unité [4].
Bien entendu, dès l’identification du germe responsable l’antibiothérapie
est adaptée.

Traitement préventif
Il repose sur des mesures d’hygiène et une technique chirurgicale ri-
goureuse : shampoing préopératoire aux antiseptiques, tonte des cheveux
en préopératoire immédiat (pas de rasage), port d’une double paire de
gants pour les chirurgiens, hémostase soigneuse pour éviter les héma-
tomes cutanés postopératoires, prévention des fuites de LCR. L’effica-
cité de l’antibioprophylaxie chirurgicale est discutée pour prévenir les
méningites postopératoires. En effet, ces dernières sont rarement dues
à une contamination directe au moment du geste chirurgical. Elles ré-
sultent plus souvent d’une colonisation postopératoire du LCR par le
biais d’une fuite de liquide, ce qui rend compte des germes retrouvés
(staphylocoques et bacilles à Gram négatif). Une méta-analyse récente
regroupant six essais randomisés, avec analyse des sous-groupes de pa-
tients ayant fait une méningite, concluait à une efficacité modeste de
l’antibioprophylaxie [13]. Dans une autre étude non randomisée, l’an-
tibioprophylaxie peropératoire ne permettait pas de réduire l’incidence
des méningites postcraniotomie. En outre, cette antibioprophylaxie de
courte durée était associée à une augmentation des infections méningées
dues à des germes résistants à l’antibiotique utilisé pour la prophylaxie et
donc plus difficiles à traiter [3].
Complications infectieuses intracrâniennes postopératoires 337

Ventriculites sur dérivations ventriculaires externes du LCR

La dérivation du LCR au moyen d’une dérivation ventriculaire


externe (DVE) est une technique largement utilisée en urgence dans de
nombreuses indications : prise de la pression intracrânienne en neuro-
traumatologie, dérivation du LCR en cas d’hydrocéphalie aiguë (après
une hémorragie méningée, due à une tumeur, idiopathique…), enfin
traitement d’une ventriculite sur valve interne ou non. L’infection reste
le principal risque de cette méthode.

Épidémiologie et facteurs de risque


L’incidence des infections sur DVE varie selon les études entre 2 et
22 % [14], avec une moyenne se situant autour de 10 %. Malheureu-
sement, la plupart des études relatant les complications infectieuses des
DVE sont rétrospectives, et leurs chiffres doivent être considérés avec
précaution d’autant que la définition d’une infection sur DVE varie selon
la littérature. Pour la majorité des auteurs, elle comporte, chez un patient
fébrile, une culture positive du LCR, associée à des signes biochimiques
(hypoglycorachie, hyperprotéinorachie) et cytologiques (hypercellularité
avec plus de 15 éléments/mm3), sans autre cause évidente d’infection du
LCR (hémocultures positives au même germe, fuite de LCR à distance de
la DVE, plaie craniocérébrale) [15]. Une colonisation du LCR est définie
par la présence de germes à l’examen direct ou en culture, sans anomalie
biochimique ou cytologique du LCR, chez un patient apyrétique [14].
Comme pour tout dispositif invasif mettant en contact un milieu stérile de
l’organisme avec l’extérieur, le problème du moment de la contamination
bactérienne se pose : au moment de l’insertion ou lors des manipulations
ultérieures du système. Il semble que pour les DVE, la physiopathologie
de l’infection soit identique à celle des cathéters intravasculaires, avec un
risque au moment de la pose, reflété par l’augmentation très importante
des infections chez les patients qui « bénéficient » de plusieurs DVE, et
un risque de colonisation secondaire, fonction de la durée de la procé-
dure, reflété par l’augmentation considérable des infections au cours du
temps [15]. Toutefois, plusieurs études n’ont pas retrouvé cette augmen-
tation de l’incidence des infections avec la durée, et ce facteur de risque
reste controversé [14, 16]. La pathologie sous-jacente influe sur le risque
infectieux : la présence d’une hémorragie intraventriculaire ou sous-
arachnoïdienne, une craniotomie concomitante, une embarrure, une
fracture de la base avec fuite de LCR et une pression intracrânienne supé-
rieure à 20 mmHg augmentent le risque, comparé aux autres indications
de DVE [14, 15]. Le lieu de pose de la DVE (en salle d’opération ou en
réanimation), sous réserve d’une asepsie et d’une installation chirurgicale,
ne modifie pas le risque infectieux. Comme pour tout dispositif invasif,
il convient de choisir des systèmes de recueil clos et de respecter au maxi-
338 Infectiologie en réanimation

mum ce système. Les manipulations du circuit (prélèvements itératifs de


19 LCR, purge du système, injections intraventriculaires) doivent être limi-
tées au minimum ; les prélèvements de surveillance du LCR ne devraient
pas être systématiques, mais pratiqués en fonction du contexte clinique :
fièvre inexpliquée, altération de la conscience. Enfin, une vigilance toute
particulière doit être portée lors de la pose et surtout lors de l’ablation
du cathéter ventriculaire, pour éviter les fuites de LCR autour de l’ori-
fice d’entrée du cathéter ; en effet, la fuite de LCR favorise de façon très
significative les infections, y compris plusieurs jours après l’ablation de la
DVE [17].

Bactériologie
Les germes les plus souvent retrouvés au cours des ventriculites sur
DVE sont les staphylocoques à coagulase négative ; viennent ensuite les
staphylocoques dorés, les autres cocci, les corynébactéries et les bacilles à
Gram négatif. Les germes cutanés représentent souvent plus de 70 % des
bactéries responsables des ventriculites [14, 16].

Traitement curatif [18, 19]


Il convient de distinguer le traitement des colonisations de celui des
ventriculites définies selon les critères ci-dessus (fig. 2). En cas de coloni-
sation du circuit externe avec un prélèvement distal positif et un prélève-
ment proximal négatif, il faut changer aseptiquement le circuit externe ;
si le prélèvement proximal est aussi positif mais sans signes d’infection du
LCR (nombre d’éléments inférieur à 10, normoglycorachie), il faut chan-
ger si possible aussi le cathéter ventriculaire. Enfin, s’il existe des anoma-
lies du LCR associées à un examen direct positif en proximal, il s’agit
d’une ventriculite. Tout le matériel doit être changé et un traitement an-
tibiotique instauré. Ce traitement doit tenir compte de l’examen direct et
prendre en compte essentiellement les staphylocoques, y compris méti-R.
Il repose avant tout sur la vancomycine par voie veineuse en continu à
fortes doses. La voie locale intraventriculaire se discute si les taux théra-
peutiques intraliquidiens ne sont pas atteints malgré de fortes posologies
intraveineuses. Le linézolide peut être une alternative intéressante du fait
de sa bonne diffusion dans le LCR. Si l’examen direct retrouve un bacille
à Gram négatif, le traitement repose sur une céphalosporine ayant une
activité contre les Pseudomonas (ceftazidime) ou un carbapénem (méro-
pénem). Le traitement est bien sûr adapté ensuite en fonction des don-
nées de l’antibiogramme. La durée de traitement n’est pas codifiée. Elle
est en général d’une semaine après la stérilisation du LCR, à condition
d’avoir changé le matériel.
Complications infectieuses intracrâniennes postopératoires 339

Fièvre ± Altération de la conscience

Prélèvement au robinet distal

Normal Anormal
Chercher autre foyer infectieux Germe +

Prélèvement au robinet
proximal

Germe + Germe +
Normal LCR normal LCR anormal

CONTAMINATION : COLONISATION : VENTRICULITE :


Changement du circuit externe Changement du cathéter Changement du cathéter
Pas d’antibiotiques Antibiotiques

Fig. 2 – Arbre décisionnel devant un prélèvement positif de LCR prélevé sur une dérivation
ventriculaire externe.

Traitement préventif
Les mesures préventives se déduisent de la connaissance des facteurs
de risque.

Les indications
Elles ne sont pas discutables en urgence, en cas d’hydrocéphalie aiguë ;
on peut toutefois discuter la pose d’emblée d’une dérivation interne
ou d’une ventriculocisternostomie endoscopique dans certaines étiolo-
gies d’hydrocéphalie (hydrocéphalies non communicantes). En neuro-
traumatologie, la principale indication est la surveillance de la pression
intracrânienne. Celle-ci peut être réalisée à l’aide de capteurs extraduraux,
qui présentent un risque infectieux quasi nul [17] mais ne permettent pas
la dérivation du LCR en cas d’hypertension intracrânienne.

La technique de pose
Elle doit répondre à des critères d’asepsie chirurgicale et se fait au
mieux au bloc opératoire ; toutefois la mise en place en unité de réani-
mation ne semble pas augmenter le risque infectieux [14, 15]. Malgré
l’urgence, la préparation cutanée doit être parfaite : shampoing aux an-
tiseptiques préopératoire, nouveau shampoing au bloc opératoire, rasage
limité au point d’insertion, effectué juste avant l’incision, voire tonte de
la totalité des cheveux. Une attention toute particulière lors de la fixation
du cathéter est nécessaire pour éviter tout risque de fuite de LCR autour
340 Infectiologie en réanimation

de l’orifice, en particulier lors de mouvements du patient. En cas de fuite


19 autour du cathéter ou lors du retrait de celui-ci, des points de suture et
une compression doivent être effectués très rapidement.
La tunnellisation du cathéter a été proposée pour diminuer le risque infec-
tieux. Cette tunnellisation peut se faire de façon proximale, sur le front
du patient [20] ou en distal, sur la paroi thoracique ou abdominale [21] ;
cette technique permet de maintenir les DVE pendant plus de 3 semaines
avec un risque infectieux très faible.

Système de recueil et manipulations du système


Il faut privilégier les systèmes clos avec double robinet (distal et proxi-
mal). Les manipulations des lignes doivent être évitées et se faire avec des
précautions d’hygiène et d’asepsie rigoureuses : pas de purge systématique
du circuit, pas d’injections si possible [15, 19, 22]. Les prélèvements de
LCR ne devraient pas être systématiques, mais guidés par la clinique ; ils
se pratiquent sur le robinet distal. La mise en culture systématique du
cathéter lors de l’ablation ne paraît pas prédictive d’une éventuelle infec-
tion ultérieure et est donc inutile [22]. Il a été montré qu’un protocole
de pose et de soins strict, avec tonte complète, tunnellisation du cathéter,
soins infirmiers comprenant un pansement stérile tous les 3 jours et un
shampoing stérile tous les 6 jours, absence de manipulation du robinet
proximal et de prélèvement de LCR systématique, permettait de réduire
de moitié le nombre de ventriculites sur DVE [16].

Durée de maintien du cathéter


En 1984, une étude épidémiologique prospective des complications
infectieuses des DVE a montré que la durée de maintien du cathéter
était le principal facteur de risque d’infection, avec un taux d’infections
de 9 % au-delà du 5e jour, 21 % au 8e jour, 37 % au 10e jour et 42 %
au-delà du 11e jour [15]. Les auteurs conseillaient donc le remplacement
systématique des cathéters tous les 5 jours, lorsque la durée du drainage
était prévue longue. Cette attitude a été largement critiquée : d’une part
parce qu’il semble exister un risque infectieux accru lors des réinsertions
de matériel, d’autre part parce que plusieurs équipes ont montré que le
risque infectieux n’augmentait pas avec la durée de maintien du cathé-
ter [14, 16, 18, 23]. Il convient de limiter la durée du cathétérisme en
internalisant les valves rapidement lorsque cela est possible et qu’il existe
une indication à drainer en permanence le LCR, et en ne monitorant la
pression intracrânienne chez les neurotraumatisés qu’à la phase aiguë.
Lorsque le maintien de la DVE s’avère indispensable au-delà de 5 jours
(hémorragies ventriculaires), le changement systématique n’est pas licite
[14, 23]. En revanche, si apparaît une colonisation du circuit (cultures de
LCR positives sans signes cytologiques ou biochimiques d’infection), il
faut changer tout le circuit en repositionnant le cathéter du côté opposé
si cela est réalisable.
Complications infectieuses intracrâniennes postopératoires 341

L’antibioprophylaxie
Dans la majorité des études, l’antibioprophylaxie par voie générale est
dirigée contre les staphylocoques méticilline-sensibles. Certains utilisent
des injections intrathécales d’antibiotiques pendant toute la durée du
drainage. Une seule étude randomisée en double aveugle a regardé l’inté-
rêt d’une antibioprophylaxie lors de la pose d’une DVE, et a conclu à son
inefficacité [24]. Toutes ces études sont discutables car elles sont pour la
plupart rétrospectives, et l’antibioprophylaxie n’étant pas le but principal
du travail, les patients ne sont pas randomisés. Elles conduisent à des
résultats contradictoires ne permettant pas de conclure [14]. Si le choix
du type de molécule semble unanime (activité antistaphylococcique), la
durée est aussi très controversée : flash au moment de la pose, ou trai-
tement pendant toute la durée de la procédure, voire même 2 à 3 jours
après l’ablation du cathéter.
Récemment, des cathéters imprégnés d’antibiotiques (rifampicine-
minocycline), capables de prévenir la colonisation du matériel, ont été
commercialisés. Ils ont été évalués dans une étude prospective randomisée
chez 288 patients. La colonisation des cathéters était réduite de moitié et
les cultures positives de LCR étaient sept fois moins fréquentes dans le
groupe traité. Cependant aucune donnée clinique des patients, ni cyto-
logique et biochimique du LCR n’était disponible, et la diminution des
cultures positives du LCR ne reflète possiblement qu’une diminution
des contaminations [25]. Une étude multicentrique randomisée avec des
données cliniques et cytologiques du LCR est en cours pour évaluer ces
cathéters.

Infections de valves internes de dérivation du LCR

On distingue deux types d’hydrocéphalies : les hydrocéphalies non


communicantes (obstruction par une tumeur, une malformation de
charnière, une sténose de l’aqueduc) et les hydrocéphalies communi-
cantes dues à un trouble de résorption du LCR (postinfectieux ou après
une hémorragie méningée). La dérivation du LCR au moyen d’un cathé-
ter interne reliant les ventricules cérébraux aux cavités cardiaques droites
(dérivation ventriculoatriale ou DVA) ou au péritoine (dérivation ven-
triculopéritonéale ou DVP), est une procédure largement utilisée pour
le traitement de l’hydrocéphalie, quelle qu’en soit la cause. Le régime
de pression de drainage est régulé par l’interposition sur le circuit d’une
valve. Il s’agit donc de l’implantation à demeure d’un matériel étranger,
au contact direct du LCR. L’infection demeure une complication ma-
jeure de ce type d’intervention.
342 Infectiologie en réanimation

Épidémiologie et facteurs de risque


19
L’incidence des infections de valves internes varie largement entre 5
et 40 % selon les séries et se situe habituellement entre 5 et 10 %. Dans
une étude rétrospective portant sur 840 poses de valves entre 1952 et
1976, un taux global de 12,7 % d’infections par procédure a été retrouvé,
avec une diminution du taux au fil des années, associée à une diminution
de la mortalité qui passait de 35 % dans les années 1950 à 6 % dans les
années 1970 [26]. Dans les séries plus récentes, rétrospectives ou pros-
pectives, des taux semblables ont été retrouvés [27, 28]. Toutefois, les
études sont difficiles à comparer car les définitions de l’infection de valve
sont variables et les études la plupart du temps rétrospectives. Overturf
a défini les critères d’infection de valve : dysfonction de la valve chez un
patient fébrile (fièvre supérieure ou égale à 38 °C), ou symptômes d’irri-
tation péritonéale, ou écoulement purulent le long du trajet du cathéter
et des cultures positives du cathéter ventriculaire, de la valve ou du ca-
théter distal, associés à la prescription d’antibiotiques par le médecin. Les
ventriculites associées à l’infection de valve étaient définies par un LCR
ventriculaire avec plus de cinq éléments et une culture positive au même
germe que celui retrouvé sur le matériel [29]. Ces ventriculites associées
à l’infection de matériel sont retrouvées dans plus de la moitié des cas
[28, 30].
Les facteurs de risque d’infection des valves peuvent être classés en fac-
teurs liés à la chirurgie et liés à l’hôte.

Liés à la technique chirurgicale


Le type de valve, atriale ou péritonéale n’influe pas sur le risque infec-
tieux [28]. En revanche, l’expérience du chirurgien et une technique de
pose très rigoureuse semblent des facteurs déterminants [31]. Dans une
étude portant sur 720 patients implantés d’une première valve, les fac-
teurs de risque d’infection en analyse univariée étaient : une chirurgie
débutant après 10 heures, la durée de chirurgie, avoir eu une DVE anté-
rieure et le nombre de DVE antérieures, avoir eu une craniotomie anté-
rieure, une révision de valve antérieure et une fuite de LCR antérieure.
En analyse multivariée, les seuls facteurs de risque retrouvés étaient :
l’existence d’une fuite de LCR précédant l’intervention, une ou plusieurs
révisions de la valve pour des dysfonctions mécaniques, la durée de la
chirurgie pour l’implantation et le fait de ne pas être programmé en pre-
mière position au bloc opératoire [28].

Liés à l’hôte
L’âge est un facteur de risque important : en pédiatrie, le taux d’in-
fection est de 15,7 % pour les nourrissons de moins de 6 mois et de
5,6 % chez les enfants âgés de plus de 6 mois [32]. L’état cutané pré-
opératoire est aussi déterminant, et il a été montré que les enfants qui
s’infectaient étaient ceux qui avaient une forte densité de bactéries sur
Complications infectieuses intracrâniennes postopératoires 343

la peau au moment de l’intervention. Enfin, l’existence d’une infection


concomitante est un facteur de risque classique chaque fois que du maté-
riel étranger doit être implanté. Tout foyer infectieux doit être recherché
et traité en préopératoire : examen dentaire, bactériologie des urines. En
période postopératoire, une déhiscence de la cicatrice ou une escarre en
regard de la valve sont des facteurs d’infection certains et tout doit être
mis en œuvre pour les prévenir.

Physiopathologie

Les voies de l’infection [33]

Colonisation du shunt au moment de la chirurgie


En faveur de ce mécanisme, on peut retenir :
– la date de survenue de l’infection : entre le premier et le troisième
mois après la chirurgie ;
– les germes responsables, qui sont en majorité des germes de la flore
cutanée, en particulier Staphylococcus epidermidis, Propionibacte-
rium acnes, corynébactéries. Dans une étude citée par Reingold [34],
S. epidermidis a été retrouvé au niveau du site opératoire, avant la
fermeture cutanée, chez 58 % des patients opérés d’une pose ou d’une
révision de valve. Dans 55 % des cas, le même germe était présent
dans le nez, les oreilles ou le scalp avant l’intervention. Chez 7 pa-
tients sur 9, dont la valve s’est infectée, le germe responsable du sepsis
était présent dans le foyer opératoire au moment de l’intervention. À
l’inverse, une autre étude pédiatrique ne retrouvait que très rarement
le germe de l’infection dans le champ opératoire au moment de l’in-
sertion, suggérant que la phase vulnérable pour la colonisation bacté-
rienne pouvait ne pas être limitée au geste opératoire [35] ;
– la diminution du taux des infections lorsque l’on pratique la chirurgie
sous isolateur ;
– la déficience relative des polynucléaires au contact des corps étran-
gers : les composants des valves, en particulier les parties métalliques,
provoquent la libération de myéloperoxydases.

La diffusion hématogène
Elle est rare, responsable d’infection des valves ventriculocardiaques
chez des patients bactériémiques. Elle doit être prévenue par une an-
tibioprophylaxie lors de tout geste potentiellement bactériémiant chez
un patient porteur de DVA (soins dentaires, endoscopies digestives ou
urologiques).
344 Infectiologie en réanimation

La colonisation rétrograde
19 Elle s’observe surtout avec les valves ventriculo- ou lombopéritonéales,
lorsqu’il existe une infection du péritoine ou une érosion du tube digestif
par le cathéter. Elle se voit aussi lors des érosions cutanées sur le trajet de
la valve ou du cathéter. Ces complications infectieuses surviennent habi-
tuellement très tardivement après l’implantation.

Rôle pathogène des staphylocoques producteurs de slime


Il a été démontré dans deux études « bactériocliniques ». La première
rapporte 19 épisodes d’infections de valves ventriculopéritonéales à sta-
phylocoque coagulase négative, chez 17 patients ; tous étaient traités par
des antibiotiques adaptés, par voie générale et locale, avec ou non abla-
tion de matériel. Huit infections étaient dues à des germes non produc-
teurs de slime, et 11 à des germes slime positif. Les infections à germes
producteurs de slime étaient significativement plus sévères que celles dues
aux germes slime négatif : délai d’apyrexie après mise sous traitement an-
tibiotique trois fois plus long (3,1 ± 2,3 jours vs 9,6 ± 6 jours), fréquence
plus élevée des obstructions de valves (9 vs 1), douleurs abdominales (5 vs
0, dont 3 laparotomies pour abcès), et surtout échec bactériologique avec
persistance du germe sous traitement (8 vs 0) [36].
L’autre étude s’est intéressée à 85 souches de staphylocoques à coagulase
négative isolées chez des malades porteurs de valves : 51 souches ont été
considérées comme responsables d’infection et 34 comme contaminantes.
L’adhérence, et donc la production de slime, a été recherchée : 88 % des
souches infectantes étaient adhérentes versus 61 % des souches contami-
nantes ; 83 % des infections dues à des souches de staphylocoques non
adhérents ont guéri sans révision de valve versus 41 % des infections à
germes slime positif ; il y a eu une seule rechute chez les patients infec-
tés avec une souche non adhérente versus 23 chez les patients ayant un
germe adhérent. Enfin, 100 % des souches non adhérentes sont éradi-
quées du LCR après 48 heures de traitement antibiotique, versus 78 % des
souches adhérentes ; ces dernières, lorsqu’elles n’ont pas été éradiquées en
48 heures, ont nécessité au moins 7 jours de traitement antibiotique avant
de disparaître du LCR [37].

Bactériologie
Les germes cutanés sont principalement retrouvés au cours des infec-
tions de valve, avec 70 à 80 % de cocci à Gram positif ; parmi ceux-ci, les
staphylocoques à coagulase négative sont prédominants et représentent
jusqu’à 60 % de l’ensemble des germes isolés [28, 30, 32, 38], suivis par
les staphylocoques dorés (20 % environ), puis les streptocoques et enfin
les bacilles à Gram négatif, plus fréquents sur les valves ventriculopérito-
néales [38].
Complications infectieuses intracrâniennes postopératoires 345

Diagnostic
La date de survenue de l’infection est tardive, en moyenne dans un
délai de 2 mois, et plus de 75 % au cours des 6 premiers mois [28, 30].
Les signes d’appel les plus fréquents sont : une fièvre dans plus de 75 %
des cas qui peut être isolée dans 18 % des cas, des signes cutanés sur le
trajet de la valve ou du cathéter dans environ 25 % des cas, et un dys-
fonctionnement de la valve avec réapparition de signes d’hydrocépha-
lie dans deux tiers des cas [30, 39]. Les signes d’irritation péritonéale
(valves ventriculo- ou lombopéritonéales), les septicémies et les endocar-
dites droites (valves ventriculoatriales) sont beaucoup plus rares. Quant
aux syndromes méningés, ils ne sont retrouvés que dans 2 % des cas. La
glomérulonéphrite sur shunt est une complication non exceptionnelle
des infections de valves ventriculoatriales à staphylocoques à coagulase
négative. Elle se traduit par un syndrome néphrotique avec ou sans hé-
maturie et une insuffisance rénale. Elle est due au dépôt de complexes
immuns dans le parenchyme rénal. Elle guérit ad integrum avec l’ablation
du matériel et le traitement antibiotique.
Le diagnostic d’infection sur valve est affirmé par l’isolement d’un
germe sur le matériel, ce qui nécessite l’ablation de la valve. L’examen
cytobactériologique du LCR lombaire est rarement contributif [39]. La
culture du LCR ventriculaire seul est positive dans 62 % des cas ; elle
est toujours positive en cas de syndrome méningé. La culture de la valve
et/ ou du cathéter est positive dans 92 % des cas ; elle est toujours positive
en cas de dysfonction de valve. Une autre façon d’aboutir au diagnos-
tic sans retirer la valve d’emblée, est de cultiver le LCR obtenu soit par
ponction directe de la valve soit par ponction d’un réservoir adjacent à la
valve : la positivité est de 92 % [40].

Traitement curatif
Pour le traitement des infections de valves, trois attitudes sont pro-
posées dans la littérature pédiatrique : ablation du matériel avec mise en
place d’une dérivation ventriculaire externe et antibiothérapie efficace ;
ablation du matériel et remplacement immédiat par une nouvelle valve,
avec un traitement antibiotique adapté ; enfin, antibiothérapie seule, ma-
tériel en place. Bisno a effectué une revue de la littérature et retrouve un
taux de guérison de 96 % avec la première attitude, 65 % avec la seconde
et 36 % avec le traitement médical seul [41]. Une autre étude prospective
randomisée sur trois groupes de 10 enfants a évalué ces différentes possi-
bilités thérapeutiques. Le groupe 1 consistait en l’ablation du matériel, la
pose d’une dérivation externe ou d’un réservoir, une antibiothérapie par
voie générale ± locale, puis la pose d’une nouvelle valve à distance ; il y a
eu 100 % de guérison avec une durée moyenne d’hospitalisation de 25
± 17 jours. Le groupe 2 avait l’ablation du matériel et la mise en place
dans le même temps opératoire d’une nouvelle valve interne, associée à
346 Infectiologie en réanimation

une antibiothérapie par voie générale ; il y a eu 90 % de guérison avec


19 une durée moyenne d’hospitalisation de 33 ± 8 jours. Enfin, le groupe 3
avait un traitement médical seul, par voie générale et locale, le matériel
étant laissé en place ; il y a eu dans ce groupe 30 % de guérison avec
une durée moyenne d’hospitalisation de 47 ± 37 jours [42]. En fait,
pour que le traitement médical seul puisse être efficace, il est impératif
d’avoir des taux d’antibiotiques bactéricides au moins au 1/8e et une
valve fonctionnelle, ce qui est rarement le cas au cours des infections.
Récemment, une étude a évalué en multicentrique le taux de récidive
des infections de matériel chez l’enfant. Une réinfection est survenue
dans 26 % des cas, deux fois sur trois avec le même germe, et ceci indé-
pendamment de la durée du traitement antibiotique et de l’ablation ou
non du matériel [43].
Chez l’adulte, deux attitudes peuvent être proposées, selon qu’il existe une
ventriculite associée à l’infection de valve ou non :
– s’il s’agit d’une infection de valve isolée, avec LCR ventriculaire nor-
mal (éléments, glycorachie, protéinorachie) : le matériel est retiré,
avec mise en place d’une dérivation externe si le patient nécessite un
drainage du LCR en continu, ou ponctions lombaires évacuatrices
tous les 2 ou 3 jours dans les hydrocéphalies communicantes ; un
traitement antibiotique efficace et bactéricide est instauré ; il est alors
licite de reposer un nouveau matériel, si possible du côté opposé, au
bout de quelques jours en poursuivant le traitement antibiotique sur
un total d’une dizaine de jours ; en cas d’hydrocéphalie non commu-
nicante, une ventriculocisternostomie peut être une alternative inté-
ressante qui évite de reposer du matériel ;
– si une ventriculite est associée à l’infection de valve, le matériel doit
être retiré, avec mise en place d’une dérivation externe ; le traitement
antibiotique est instauré pour une durée de 2 semaines. Le LCR est
contrôlé 48 heures après l’arrêt du traitement antibiotique, et si tout
est normal une nouvelle valve est mise en place. Ces délais peuvent
être raccourcis si le germe est un staphylocoque à coagulase négative
ou un P. acnes [4].

Traitement préventif
Les mesures d’hygiène
Ce sont les mesures préventives les plus importantes. Les interventions
doivent être programmées en début de journée, le personnel au bloc doit
être limité au minimum ; avec le respect de ces règles et l’instauration
d’une antibioprophylaxie, le taux des infections de valve a pu être abaissé
de 12,9 à 3,8 % [44]. Il faut aussi assurer une préparation méticuleuse de
la peau du patient en période pré- puis postopératoire, que l’intervention
soit de courte durée et pratiquée par un chirurgien expérimenté ; à ce
prix, le taux d’infection peut être inférieur à 1 % [31]. Le port de double
paire de gants et le changement de la paire externe pour manipuler les
Complications infectieuses intracrâniennes postopératoires 347

cathéters et la valve semblent aussi une mesure simple pour diminuer le


risque de contamination peropératoire [45-47].

L’antibioprophylaxie
Différentes études, randomisées ou non, ont démontré sur de petits
effectifs un bénéfice de l’antibioprophylaxie, mais les taux d’infection
dans le groupe placebo étaient souvent anormalement élevés [24, 48, 49].
Les antibiotiques utilisés étaient le cotrimoxazole [24], l’oxacilline [48]
ou une association rifampicine-cotrimoxazole [49]. Une autre étude a
utilisé la vancomycine en prophylaxie, car la majorité de leurs infections
était due à des staphylocoques blancs méti-R ; le taux d’infection n’était
pas différent dans le groupe recevant la prophylaxie et dans celui n’en re-
cevant pas ; cependant, le nombre de patients inclus était faible et l’étude
non randomisée, ne permettant pas de conclure [66].
Deux méta-analyses ont tenté de démontrer le bénéfice d’une antibiopro-
phylaxie dans la chirurgie d’implantation des valves [51, 52] : elles retrou-
vent toutes les deux une diminution des infections dans le groupe qui
reçoit des antibiotiques. Une revue plus récente de la littérature conclut
la même chose, et suggère des études comparant l’efficacité de différents
antibiotiques [53]. En effet, le choix des molécules n’est pas tranché. Les
antibiotiques doivent être actifs sur les staphylocoques, y compris les méti-
R, et diffuser correctement et rapidement dans le LCR pour être présents
à dose efficace au moment du geste. Une des manières de résoudre ce
problème peut être ce qu’a proposé la conférence d’experts britanniques :
l’instillation intraventriculaire de 50 mg de vancomycine, au moment de
la pose de la valve [54]. Il convient d’y associer une antibioprophylaxie
active sur les germes cutanés, comme une céphalosporine de première
génération. En utilisant une combinaison d’un antistaphylococcique par
voie générale et l’injection intrathécale de gentamicine et de vancomy-
cine, il a été possible de diminuer les infections de valves à un taux de
0,4 % [55].

Les cathéters imprégnés d’antibiotiques


Récemment, des cathéters imprégnés de rifampicine-minocycline
ou rifampicine-clindamycine ont été commercialisés pour diminuer
les risques de colonisation et d’infection. Une étude australienne avec
contrôle historique a montré une diminution du taux des infections de
valve de 6,5 à 1,2 % grâce à l’utilisation de ces cathéters [56]. De même,
une étude chez des enfants à haut risque d’infection a montré une di-
minution de 11,2 à 3,2 % des infections de valve grâce aux cathéters
imprégnés d’antibiotiques [57]. Malheureusement, d’autres études pédia-
triques et chez l’adulte n’ont pas confirmé ces résultats, et il n’y a pas ac-
tuellement suffisamment de recul pour recommander la généralisation de
ces dispositifs, beaucoup plus coûteux que le matériel standard [58, 59].
348 Infectiologie en réanimation

19 Autres complications infectieuses postopératoires

Ostéites du volet
Il s’agit de l’infection du volet osseux au décours d’une craniotomie.
Son incidence est de 1,7 % [2]. Le délai de survenue est tardif, entre le
premier et le troisième mois après la chirurgie. Les signes cliniques habi-
tuels sont la survenue d’une petite fistule cutanée au niveau de l’ancienne
cicatrice, qui ne guérit pas avec le traitement antibiotique ; la fièvre est
absente ou inférieure à 38 °C ; il existe un syndrome inflammatoire peu
important. On retrouve souvent la notion d’infection superficielle de la
cicatrice en postopératoire immédiat.
Les signes radiologiques sont tardifs : aspect irrégulier du volet, présence
de petites bulles d’air en regard du volet ou même à l’intérieur de l’os.
Les germes responsables sont des germes cutanés dans plus de 75 % des
cas : Staphylococcus aureus, staphylocoques à coagulase négative, P. acnes [2].
Le traitement curatif de ces ostéites comporte obligatoirement l’ablation
du volet osseux avec nettoyage des berges de l’os adjacent. En effet, le trai-
tement antibiotique est inefficace car le volet n’est pas vascularisé. Après
l’ablation du volet, un traitement antibiotique complémentaire est pres-
crit pour stériliser les berges de l’os sain qui a été au contact de l’os infecté.
La durée de ce traitement est empirique, habituellement de 30 jours. Une
cranioplastie est ensuite envisagée, 6 mois à un an après l’ablation du
volet, à condition que la cicatrice soit parfaite et qu’il n’existe aucun foyer
infectieux local (sinusite, brèche sinusienne).
Le traitement préventif repose sur la pratique de volets pédiculés ce qui
améliore la vascularisation du volet, une fermeture soigneuse en évitant
les hématomes de cicatrice qui peuvent favoriser l’infection cutanée, et
surtout l’antibioprophylaxie peropératoire qui permet de diminuer la fré-
quence des ostéites de plus de 50 % [2].

Abcès et empyèmes postopératoires


C’est une complication non exceptionnelle observée chez 2,7 % des
patients [2]. Elle survient habituellement au cours du premier mois après
la chirurgie. Le plus souvent le diagnostic est fait sur la réapparition des
signes cliniques initiaux (déficit neurologique, crises convulsives). La
fièvre est peu élevée voire absente, associée à un syndrome inflamma-
toire modéré. Le scanner avec injection retrouve une prise de contraste
intense, annulaire, régulière au niveau du site opératoire, avec un œdème
cérébral. En cas d’empyème postopératoire, on retrouve une prise de
contraste dure-mérienne, une collection sous-durale et un œdème céré-
bral adjacent. L’imagerie par résonance magnétique avec spectroscopie
du proton peut aider au diagnostic différentiel entre abcès et récidive tu-
Complications infectieuses intracrâniennes postopératoires 349

morale, radionécrose ou contusion hémorragique en voie de résorption,


qui peuvent toutes donner une image de prise de contraste annulaire.
Le diagnostic bactériologique se fait par ponction de la collection, au
mieux en condition stéréotaxique. Le liquide prélevé doit être ensemencé
au bloc dans des flacons à hémoculture aéro- et anaérobie et les cultures se
font ensuite sur milieux enrichi solide et en bouillon, incubées en aéro- et
anaérobiose [60]. Les germes responsables sont là encore des germes cuta-
nés, avec une prédominance de P. acnes et de staphylocoques [2].
Le traitement est médicochirurgical : ponction aspiration de l’abcès en
stéréotaxie, ou évacuation par craniotomie de l’empyème et traitement
antibiotique. Les antibiotiques doivent posséder une bonne diffusion
intracérébrale et sont prescrits par voie parentérale, à fortes posologies,
avec un relais per os dès que possible. Les antibiotiques possédant une
bonne diffusion cérébrale sont : les phénicolés, les quinolones, la rifampi-
cine, la clindamycine, le métronidazole, le cotrimoxazole et le linézolide.
L’amoxicilline et les céphalosporines de troisième génération, à condi-
tion d’être administrées à fortes posologies (200 mg/kg/jour), sont aussi
largement prescrites. La durée du traitement varie entre 2 et 6 mois, en
fonction des résultats cliniques et radiologiques ; la guérison est le plus
souvent obtenue avec 2 à 3 mois de traitement [60].
Le traitement préventif repose là encore sur l’antibioprophylaxie qui
permet de diminuer le taux des abcès postopératoires de 5,6 à 2 %
(p < 0,0001) [2].

Références
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Infections postopératoires : médiastinites
20
J.-L. TROUILLET

La médiastinite est une complication rare mais sévère de la chirurgie


cardiaque effectuée par sternotomie. Cette infection associée aux soins
se développe au niveau du médiastin antérieur et du sternum. En raison
d’un choc septique ou mixte, ces patients peuvent nécessiter une prise
en charge en réanimation. La proportion croissante d’opérés plus âgés
ou avec des comorbidités multiples, fait que cette infection est encore
associée à une mortalité élevée et à une prolongation de la durée d’hos-
pitalisation.

Définition, incidence, pathophysiologie

Les médiastinites sont la forme la plus grave des infections du site opé-
ratoire (ISO) qui incluent les infections superficielles, les ostéites sternales
et les infections du médiastin antérieur [1, 2]. Seules ces deux dernières
correspondent stricto sensu à une médiastinite, encore désignée infection
sternale profonde. Les malades hospitalisés en réanimation pour une mé-
diastinite sont des patients qui ont bénéficié d’une reprise chirurgicale
pour mise à plat de la plaie sternale [3]. Lors de cette mise à plat, le
chirurgien a constaté un aspect patent d’infection avec la présence de pus
et de tissus nécrotiques. Les cultures des prélèvements médiastinaux sont
habituellement positives.
L’incidence est généralement estimée entre 0,5 et 2 %, mais des écarts
importants sont rapportés dans la littérature, compris entre 0,25 et

J.-L. Trouillet
Réanimation médicale
Institut de cardiologie
Hôpital de la Pitié-Salpêtrière
47-83 Boulevard de l’Hôpital
75651 Paris cedex 13
E-mail : [email protected]
Sous la direction de Pierre Charbonneau et Michel Wolff, Infectiologie en réanimation.
ISBN : 978-2-8178-0388-3, © Springer-Verlag Paris 2013
353
354 Infectiologie en réanimation

8,7 % [4-18]. Ces variations d’incidence s’expliquent par l’absence de


20 définition commune des cas, la diversité des populations prises en charge
en fonction des centres ou spécifiquement étudiées dans la publication
(par exemple les malades ayant bénéficié de pontages ou les transplantés
cardiaques), ou encore par des phénomènes épidémiques transitoires [19].
Le lieu et le mode de contamination d’un malade ne sont qu’exception-
nellement déterminés. S’il est classique de considérer que la contamina-
tion a lieu le plus souvent pendant l’intervention, cette contamination
peut également avoir lieu en postopératoire. Au bloc opératoire, les réser-
voirs sont la flore du patient, la flore du personnel médical et paramédi-
cal et l’environnement. Les voies de transmission peuvent être aériennes,
manuportées, et de contiguïté à partir de la flore endogène du patient ou
par l’intermédiaire d’un matériel contaminé. Le rôle de la flore endogène
du patient semble prépondérant, confirmé par des études qui ont mon-
tré en chirurgie cardiaque une relation entre le portage nasal de Staphy-
lococcus aureus méticilline sensible et l’infection du site opératoire [20].
En ce qui concerne les médiastinites à Staphylococcus aureus résistants à la
méticilline, la relation paraît moins claire : en effet, une étude récente n’a
pas retrouvé de SARM sur le prélèvement nasal et les souches de SARM
étaient toutes issues d’un même clone, conduisant les auteurs à souligner
l’importance du maintien strict des mesures usuelles de contrôle de l’in-
fection hospitalière [21]. En ce qui concerne les autres bactéries, la flore
endogène peut venir d’autres sites tels que peau, oropharynx, poumon,
appareil urinaire ou digestif. En unité de soins intensifs postinterven-
tion, la voie de transmission peut être hématogène à partir d’un autre
foyer infectieux, par exemple un cathéter infecté [22] ou même directe au
niveau de la cicatrice lors des soins locaux, comme l’ont rapporté certaines
publications [23].

Les facteurs de risque de médiastinite

Les facteurs de risque de médiastinite ont été déterminés à partir


d’études « cas contrôle » ou d’analyses statistiques multivariables portant
sur des cohortes rétrospectives et plus récemment des cohortes prospec-
tives [4, 7-9, 11, 12, 14-16, 24-31]. Un ou plusieurs de ces facteurs favori-
sants est ou sont presque constamment retrouvés lors de la survenue d’une
telle infection. Beaucoup sont liés au terrain prédisposant du patient [4,
24, 25, 32], les autres à l’intervention telles la durée ou la technique [24,
33] et aux soins périopératoires, incluant une préparation cutanée ina-
déquate ou une antibioprophylaxie mal administrée [34-36]. L’implan-
tation intrathoracique d’assistances circulatoires, en « bridge » vers une
transplantation ou une implantation définitive, connaît une croissance
importante et constitue un nouveau facteur de risque d’infection, en par-
ticulier à partir du trajet des câbles d’alimentation, avec une incidence
d’infection ≥ 35 % [37]. Le tableau I résume les principaux facteurs.
Infections postopératoires : médiastinites 355
Tableau I – Principaux facteurs de risque de médiastinite post-chirurgie cardiaque.

Préopératoires Peropératoires Postopératoires


– Âge > 70-75 ans – Rasage la veille – Réintervention
[4, 15, 24, 29] de la chirurgie, recours (pour tamponnade,
– Sexe masculin [15] exagéré au bistouri hémorragie) [7, 10,
– IMC ≥ 30 kg/m2 [4, 5, 7, électrique, qualité 13, 24, 25, 27, 30]
9, 10, 12, 14, 15, 16, 22, de la fermeture sternale – Bas débit cardiaque
24, 25, 26, 28, 29, 30, (instabilité sternale, / utilisation d’agents
31, 62, 78] utilisation de cire…) inotropes [24]
– Bronchopathie chronique [34, 35, 38] – Infarctus myocardique
[5, 15, 30, 31] – Absence ou prophylaxie peropératoire [30]
– Tabagisme [16] mal administrée [36] – Ventilation
– Diabète [4, 7, 9, 10, 12, – Chirurgie réalisée mécanique ou séjour
15, 25, 28, 29, 30, 62, 78] en urgence [78] en réanimation
– Insuffisance – Durée prolongée prolongé [7, 10, 17]
cardiaque évoluée de la chirurgie, – Autre foyer
[10, 28, 62, 78] de la CEC infectieux[22]
– Insuffisance rénale ou du clampage
[29, 62, 78] aortique [24, 27, 29]
– Traitement corticoïdes – Type de chirurgie
et immunosuppresseurs (pontages > autres)
(transplantation [22, 24]
cardiaque) [13, 29] – Utilisation des deux
– Dénutrition et taux bas artères mammaires
d’albuminémie [38] internes
– Hospitalisation préalable (dévascularisation
> 7 j [30] du sternum)
– Portage nasal [4, 7, 10, 13, 24, 31]
de S. aureus [32] – Mise en place
d’une assistance
circulatoire
intrathoracique (13, 17)
– Transfusion
(> 3, > 10 culots)
[9, 12, 15, 25]

Les références bibliographiques sont indiquées entre crochets.

Les signes cliniques et les moyens diagnostiques

L’infection se déclare très rarement avant la première semaine posto-


pératoire. Le plus souvent, le diagnostic est évoqué entre le dixième et le
vingtième jour [3, 38], mais des survenues plus tardives sont également
observées.
356 Infectiologie en réanimation

Les signes cliniques


20
Dans les formes typiques, il existe une association de signes locaux et
de signes généraux [38].
Les signes locaux sont une douleur spontanée ou à la mobilisation des
berges sternales, un aspect inflammatoire localisé ou de toute la hauteur
de la cicatrice, une disjonction sternale avec une instabilité en touche de
piano, et un écoulement issu de la cicatrice, sérohématique ou purulent.
L’intensité de ces signes et leur association sont variables d’un patient
à l’autre. L’ouverture de la cicatrice avec écoulement de pus et bullage
témoigne d’une évolution prolongée et d’un diagnostic fait avec retard.
Les signes généraux peuvent associer une fièvre, simple décalage ther-
mique ou hyperthermie supérieure à 39 °C, des frissons et des signes
d’état septique sévère ou d’état de choc.
En réanimation, schématiquement deux situations sont rencontrées.
La première correspond à des malades admis pour un tableau de choc
septique avec une cicatrice suspecte, survenant dans les 15 jours post-
opératoires. La deuxième correspond à des opérés cardiaques récents hos-
pitalisés en réanimation depuis plusieurs jours pour un autre motif, telle
une défaillance multiviscérale ou une insuffisance respiratoire postopéra-
toire, et qui développent des signes locaux associés à une stagnation ou à
une aggravation de leur état, telle une impossibilité de sevrage de la venti-
lation mécanique ou l’apparition d’une insuffisance rénale.
La survenue d’un tableau septique avec un aspect normal de la cicatrice
doit d’abord faire rechercher une autre cause d’infection comme une
pneumonie nosocomiale ou une infection liée à un cathéter, avant une
infection de la cicatrice. Cependant, dans notre expérience, la cicatrice
d’un patient transplanté cardiaque, soumis à un traitement par corticoïdes
et inhibiteur de la calcineurine, peut apparaître initialement rassurante
alors que le patient développe une authentique infection médiastinale.

Les moyens diagnostiques


Les examens biologiques standard sont peu contributifs et n’indi-
quent pas le site de l’infection. Ainsi, l’hyperleucocytose est inconstante,
la protéine C réactive ou la procalcitonine (PCT) sont souvent élevées
les premiers jours postopératoires sans correspondre à une infection. À
distance de l’intervention, la PCT peut rester basse si l’infection demeure
confinée au médiastin. En pratique, ces marqueurs ne peuvent pas être
utilisés en tant qu’outils diagnostiques dans cette situation [39].
Les hémocultures sont positives dans 30 à 60 % des médiastinites [40].
Elles ne préjugent pas de l’origine médiastinale de l’infection, cependant,
une bactériémie à Staphylococcus aureus doit systématiquement faire évo-
quer le diagnostic en l’absence d’autres foyers infectieux [41].
La radiographie de thorax peut quelquefois montrer une rupture d’un ou
plusieurs fils d’acier, témoignant d’une disjonction sternale, mais elle ne
Infections postopératoires : médiastinites 357

permet pas de faire la distinction entre une désunion mécanique et une


désunion d’origine infectieuse.
Le scanner thoracique reste difficile à interpréter en raison des fils d’acier
et des remaniements entraînés par la chirurgie récente [42]. L’image de
collection rétrosternale avec des bulles d’air est l’aspect le plus évocateur,
mais le tableau clinique est alors le plus souvent évident. Très rarement, le
scanner est utilisé pour guider la ponction d’une collection médiastinale.
Enfin, chez les patients ayant une médiastinite tardive (> 3 semaines), le
scanner peut être utile au chirurgien afin de préciser les rapports anato-
miques des structures médiastinales et de limiter le risque de plaies car-
diaques ou vasculaires lors de la reprise.

Les prélèvements médiastinaux à visée bactériologique


La ponction rétrosternale percutanée est l’examen le plus perfor-
mant [43]. Le but est d’obtenir un échantillon de liquide médiastinal
à l’aide d’une aiguille fine (par exemple une aiguille à intramusculaire)
en passant entre les berges sternales après avoir soigneusement désin-
fecté la peau. Elle peut être réalisée à différents niveaux de la cicatrice.
L’aspiration de pus conforte le diagnostic, l’examen direct et la culture
permettant de déterminer le ou les germes responsables. En revanche,
les écouvillonnages superficiels de la plaie sternale n’ont pas d’intérêt dia-
gnostique.
La mise en culture systématique des électrodes épicardiques a été aban-
donnée car peu performante, avec en particulier une faible valeur prédic-
tive positive [44]. En revanche, lorsqu’une suspicion légitime existe et que
les électrodes sont toujours en place (mais elles sont en règle retirées au
bout d’une semaine), leur culture peut être réalisée avant de ponctionner
le médiastin. Si leur culture est négative le diagnostic est peu probable.
Enfin des prélèvements peropératoires multiples sont faits lors de la réin-
tervention par le chirurgien.

Les agents pathogènes responsables (tableau II)

Les bactéries responsables des médiastinites sont très diverses [3, 8, 10,
12, 14-18, 38, 45, 71]. Si les S. aureus (40 à 60 %) et les staphylocoques
à coagulase négative demeurent les agents les plus fréquents, les bacilles à
Gram négatif (BGN) sont retrouvés plus souvent qu’auparavant et peu-
vent représenter 20 à 35 % des isolats. Les entérocoques peuvent cor-
respondre à 10 % des agents responsables. Les autres micro-organismes
sont beaucoup plus rares telles les levures (< 1 %), voire anecdotiques
(mycobactéries, légionelle, mycoplasmes…) [21].
Parmi les bactéries multirésistantes, si le pourcentage de S. aureus résistant
à la méticilline a constamment diminué depuis 15 ans passant de 35 % à
358 Infectiologie en réanimation

moins de 20 % dans beaucoup d’établissements en France [46], le pour-


20 centage d’entérobactéries BLSE (bêtalactamase à spectre étendu) est de
nouveau en augmentation. Les staphylocoques à coagulase négative sont
souvent résistants à l’oxacilline (> 70 %).
Dans certains centres qui implantent des assistances cardiaques intra-
thoraciques, la distribution des micro-organismes responsables peut être
moins habituelle, avec par exemple la survenue plus fréquente d’infec-
tions médiastinales à Pseudomonas aeruginosa. Il faut également souligner
la relative fréquence des infections plurimicrobiennes qui peuvent repré-
senter 10 à 15 % des cas. Enfin, il existe d’authentiques médiastinites sans
qu’un germe ait pu être identifié (5 %) en raison essentiellement d’une
antibiothérapie préalable.
En raison de la diversité des bactéries potentiellement responsables et des
variations de l’écologie locale, il est impératif de documenter bactériologi-
quement l’infection en réalisant un prélèvement profond (ponction
médiastinale) avant de débuter une antibiothérapie, complété par des pré-
lèvements multiples lors de la reprise chirurgicale.
Tableau II – Microbiologie des médiastinites post-chirurgie cardiaque correspondant
à 591 cas [8, 14-18, 71].

Agent pathogène Nombre Pourcentage*


S. aureus 227 38,4
S. coagulase négative 170 28,8
Klebsielle, enterobacter, serratia 71 12
E. coli 33 5,6
Proteus 9 1,5
Citrobacter 6 1
Morganella 6 1
Pseudomonas aeruginosa 16 2,7
Autres BGN 9 1,5
Enterococcus 32 5,4
Streptococcus et autres cocci à Gram positif 21 3,5
Mycoplasma 5 0,8
Candida 2 0,3
Bacteroïdes 1 0,1
Pas de germe 33 5,5
* Le total est > 100 %, car 8,1 % des médiastinites étaient dues à deux micro-organismes ou plus.
Infections postopératoires : médiastinites 359

Traitement

Cette infection locale mais avec un retentissement systémique néces-


site un traitement chirurgical pour une mise à plat de la plaie sternale et
un traitement antibiotique intraveineux [38, 47]. En cas de défaillance
d’organes, des traitements de suppléance standard doivent être mis en
route.

Le volet chirurgical
La reprise chirurgicale doit être rapide (dans les 24 heures) une fois
le diagnostic posé ou fortement suspecté, réalisée au bloc opératoire sous
anesthésie générale [38, 45, 47]. L’évacuation du pus, l’excision des tissus
infectés et nécrosés, un lavage au sérum salé isotonique éventuellement
additionné d’un antiseptique sont complétés par la réalisation de prélè-
vements multiples à visée bactériologique.
La suite du traitement chirurgical dépend des constatations lors de la
reprise et de la stratégie définie localement [3, 25, 45, 47-50].
Chaque fois que cela est possible, il semble préférable de refermer le thorax
avec un système permettant un drainage aspiratif du médiastin. Lorsque
les lésions sont très évoluées, nécessitant une excision large des tissus, ou
lorsqu’il s’agit d’un échec d’une technique fermée utilisée en première
intention, le thorax est laissé ouvert, avec réalisation secondairement de
pansements itératifs, selon des modalités diverses. Sans entrer dans les
détails techniques propres aux chirurgiens, nous résumons ci-dessous les
différentes possibilités chirurgicales.
Les techniques à thorax fermé correspondent à deux modalités. La pre-
mière est la technique des drains de Redon aspiratifs, qui assurent une
forte dépression au niveau de la plaie (moins 600 mmHg). Elle consiste
à placer dans l’espace médiastinal nettoyé plusieurs drains (de trois à une
dizaine) de petit calibre et multiperforés [51]. Le système doit être parfai-
tement étanche et le sternum stabilisé pour assurer le succès de cette tech-
nique simple à réaliser, facile à surveiller, relativement confortable pour
le patient et peu coûteuse. Les drains sont laissés en place une dizaine de
jours puis retirés progressivement dès que leur débit devient négligeable.
Un contrôle bactériologique répété permet de s’assurer de la négativation
des liquides recueillis. Cette technique donne des résultats satisfaisants
localement dans 80 à 90 % des cas [52-54]. C’est aussi la technique la
moins traumatisante pour le malade et qui permet une mobilisation pré-
coce.
La deuxième modalité correspond à la technique de « l’irrigation drai-
nage » [55]. Elle consiste à installer dans le médiastin des drains qui per-
mettent d’irriguer la plaie avec une solution antiseptique (par exemple de
la bétadine dermique à 10 p. 100 diluée au dixième dans du sérum salé
isotonique) à un débit élevé. D’autres drains, mis en aspiration modé-
rée (moins 20-30 cm d’eau) permettent de recueillir l’effluent. Cette
360 Infectiologie en réanimation

technique, la première proposée historiquement, est encore utilisée.


20 Même si elle permet un traitement rapide, son taux d’échec est élevé,
jusqu’à 50 % des cas, notamment quand des greffons mammaires ont
été utilisés ou en cas de médiastinites tardives [52, 53]. Elle nécessite une
surveillance stricte des entrées et des sorties du système de drainage.
La mise en place d’un lambeau musculaire ou d’épiploon pour combler
une large perte de substance dans le même temps que la reprise initiale,
bien que proposée par certaines équipes, ne nous paraît pas une option
à recommander chez un patient instable, voire multidéfaillant, en réani-
mation [56], sauf si cette chirurgie, associée à un système d’aspiration, se
limite au recouvrement du sternum par une simple plastie d’avancement
cutanéomusculaire en utilisant les grands pectoraux [57].
Les techniques à thorax ouvert correspondent en réalité à des techniques
de fermeture en deux temps. Elles sont proposées systématiquement par
certains [45, 48-50]. Elles se justifient pleinement quand il existe une
perte de substance importante, en particulier sternale voire cutanée. Dans
un premier temps, des pansements à ciel ouvert sont réalisés, souvent deux
fois par jour en enlevant les zones fibrineuses (par exemple avec une sonde
d’aspiration en grattant la plaie ou avec une brosse bétadinée). La plaie est
comblée avec des compresses imprégnées d’antiseptique, des crèmes anti-
septiques ou d’autres pansements absorbants. Mais ces pansements sont
astreignants pour l’équipe paramédicale. Douloureux et psychologique-
ment traumatisants pour le patient, ils peuvent nécessiter des sédations
itératives. Ils exposent au risque de surinfection et surtout de rupture
cardiovasculaire (gros vaisseaux, pontages, voire parois cardiaques). Si ce
seul traitement est poursuivi, il faut plusieurs semaines pour obtenir une
détersion puis une granulation de la plaie permettant alors d’envisager
une fermeture secondaire. Du sucre en poudre versé directement dans la
plaie a même été utilisé pour favoriser la cicatrisation [38].
Actuellement, une autre solution est choisie. En effet, très rapidement,
au bout de 48 à 72 heures, il est possible d’utiliser un système constitué
d’une mousse de polyuréthane qui comble la plaie, d’un film plastique qui
assure l’étanchéité, et d’un drain traversant la mousse et relié à une pompe
à vide assurant une dépression comprise entre - 50 et – 125 mmHg pour
évacuer l’exsudat (système VACTM pour Vacuum Assisted Closure) [45, 58-
62]. La pression négative, comme celle créée par la technique des drains
de Redon aspiratifs, favoriserait la cicatrisation. Ce système, en permet-
tant de stabiliser les berges sternales résiduelles, favoriserait également la
fonction ventilatoire du patient. Cette méthode est considérée efficace à la
condition que le sternum soit viable. Un autre avantage de ce système est
de diminuer la charge de travail infirmier, le pansement n’étant refait que
tous les 3 jours par le chirurgien. Au bout de quelques jours à quelques
semaines, une fermeture de la plaie est possible soit simplement en rap-
prochant les berges sternales et en refermant la peau, soit en recourant à
une opération de chirurgie plastique.
Les techniques de chirurgie plastique font appel à des lambeaux muscu-
laires ou à de l’épiploon. Des lambeaux musculaires très divers peuvent
Infections postopératoires : médiastinites 361

être utilisés en fonction de la profondeur de la plaie, de l’état nutritionnel


du patient et de l’expertise du chirurgien (grand pectoral, sterno-cléido-
mastoïdien, trapèze, grand droit) [56, 57, 63]. D’autres plasticiens pré-
fèrent utiliser le grand épiploon, avec des résultats locaux et généraux
possiblement meilleurs [64].

Le volet médical
Il comprend l’antibiothérapie et les techniques de suppléance de dé-
faillance d’organe [38].
L’antibiothérapie est initialement probabiliste, mais peut être orientée
par l’examen direct de la ponction aspiration médiastinale, la culture
d’électrodes épicardiques ou des hémocultures déjà positives. En l’ab-
sence d’orientation, elle doit cibler les staphylocoques mais doit prendre
en compte la possibilité d’autres germes tels qu’entérobactéries ou enté-
rocoques. Elle doit tenir compte également de l’écologie bactérienne
locale. Afin d’élargir le spectre, la plupart des experts préconisent une
association de deux, voire trois antibiotiques, conduisant par exemple à
une combinaison d’un antistaphylococcique actif sur les souches méti-
cilline résistantes, d’une bêtalactamine à large spectre (prenant en compte
la possibilité d’une BLSE) et d’un aminoside. Le traitement est ensuite
adapté en fonction du résultat des cultures et de l’antibiogramme. Il
n’existe aucune étude ni aucun essai comparatif permettant de définir le
meilleur traitement ou la durée optimale. Les recommandations ne sont
que des avis d’experts fondés sur les recommandations du traitement des
ostéites et des infections de matériel étranger. Nous rappelons que les
pénicillines M (orbénine, oxacilline) sont supérieures à la vancomycine en
cas de staphylocoque méticilline sensible, et que les aminosides doivent
être administrés en une fois et pour une durée brève (< 5 jours). Certains
auteurs proposent de garder une association avec en particulier des molé-
cules diffusant bien dans l’os (rifampicine, fluoroquinolones). Initiale-
ment (les trois premières semaines), le traitement sera administré par voie
intraveineuse sauf pour certains antibiotiques avec une très bonne absorp-
tion digestive (rifampicine, fluoroquinolones). Un traitement de relais,
per os, peut être proposé durant 3 semaines supplémentaires d’autant plus
que le malade a été bactériémique et qu’il est porteur de matériel étranger.
Des molécules mises sur le marché plus récemment peuvent être utilisées
en relais, comme le linézolide, ou en présence de matériel étranger comme
la daptomycine [65].
Le traitement d’un choc septique et d’une défaillance multiviscérale asso-
ciée est identique à celui réalisé dans les états septiques d’autre origine.
La cardiopathie sous-jacente peut nécessiter des traitements spécifiques.
La multiplicité des traitements n’est pas sans conséquence notamment
sur la fonction rénale, qui doit être surveillée très régulièrement. Enfin, si
un apport nutritionnel « suffisant », par sonde gastrique et dès que pos-
sible per os, fait partie des recommandations de bons sens, les régimes
362 Infectiologie en réanimation

hypercaloriques prônés par certains n’ont jamais fait la preuve de leur


20 supériorité et sont très difficiles à administrer chez des patients instables.
Un contrôle de la glycémie s’applique également à ces patients.

Morbi-mortalité

La mortalité attribuée aux médiastinites post-chirurgie cardiaque est


très variable suivant les séries publiées, allant de 4 à 55 % [3, 66-69]. Le
décès est très rarement en rapport avec une infection non contrôlée. Ce
sont plus souvent la cardiopathie, les comorbidités et les complications
associées à la réanimation qui conduisent au décès [3]. Ainsi, dans une
étude, le taux de mortalité hospitalière était très différent selon que le
malade ne présentait pas de défaillance d’organe (mortalité < 5 %) ou
présentait une défaillance, avec une mortalité supérieure à 50 % chez les
patients nécessitant une ventilation mécanique prolongée [3]. Globale-
ment, quand tous les patients sont pris en compte, qu’ils décèdent de ou
avec la médiastinite, le pourcentage de décès est de l’ordre actuellement
de 10 à 20 % [67]. Le traitement local peut se compliquer d’accident,
mettant en jeu immédiatement le pronostic vital. C’est le cas des traite-
ments à thorax ouvert avec la rupture d’un gros vaisseau lors d’un pan-
sement ou la déchirure d’un ventricule droit sur la tranche sternale chez
un patient obèse lors d’un effort de toux [70]. La tamponnade lors d’une
technique d’irrigation drainage est exceptionnelle, tout comme la surve-
nue d’une hémorragie abondante avec la technique des Redons aspiratifs
malgré la très forte dépression appliquée ou le système VAC [71]. Enfin,
la greffe bactérienne sur une prothèse valvulaire ou tout autre matériel
étranger assombrit considérablement le pronostic et complique la prise
en charge de l’endocardite sur prothèse.
Plusieurs facteurs de mauvais pronostic ont été mis en évidence à partir
d’analyses statistiques multivariables : l’infection du médiastin surve-
nant chez un malade admis pour une autre raison (choc cardiogénique,
syndrome de détresse respiratoire aiguë), la nécessité d’une ventilation
mécanique prolongée, la sévérité à l’admission évaluée par des scores de
gravité, la sévérité de la cardiopathie sous-jacente, un état bactériémique
prolongé [3], une co-infection [72]. Dans une série de médiastinites
à staphylocoque doré, l’échec du traitement local était lié à l’âge, une
insuffisance rénale chronique, un staphylocoque résistant à la méticil-
line et une médiastinite vue tardivement [73]. Dans une autre analyse
multivariable, les facteurs associés à la mortalité étaient l’âge ≥ 65 ans,
une incubation ≤ 15 jours, une bactériémie, un score de sévérité élevé
et une ventilation mécanique > 2 jours, mais pas le caractère résistant
à la méticilline [74]. Une autre étude a confirmé une morbi-mortalité
supérieure au cours des médiastinites précoces (incubation < 15 jours)
comparées à celles d’apparition plus tardive [72]. Plus récemment, une
étude a montré qu’il y avait moins de récurrence et un pronostic à long
Infections postopératoires : médiastinites 363

terme meilleur avec les traitements utilisant les techniques de pansement


à pression négative [66].
La durée de séjour hospitalier est augmentée en moyenne de 25 jours et le
coût est multiplié par deux ou par trois comparé à celui d’une procédure
non compliquée [75-77]. La mortalité à 5 ans et à 10 ans est plus élevée
chez les patients ayant développé une médiastinite comparés aux patients
indemnes de cette complication [10, 78]. Enfin, une ostéite chronique
souvent localisée autour d’un fil d’acier peut persister des mois, voire des
années. L’ablation du foyer et du fil d’acier permet d’obtenir le plus sou-
vent la guérison, mais des lésions plus étendues avec destruction sternale
peuvent nécessiter une excision large associée à une chirurgie plastique.
Les assistances cardiaques implantables infectées posent des problèmes
très difficiles. Devant un tableau aigu sévère, la reprise du foyer opératoire
pour évacuation du pus s’impose mais ne permet pas d’éradiquer l’infec-
tion. Celle-ci peut être temporairement contrôlée par une antibiothérapie
prolongée, mais seule l’ablation du matériel peut permettre la guérison
de l’infection, ablation synonyme le plus souvent d’une greffe réalisée en
urgence.

Les mesures préventives

Toutes les mesures pour prévenir cette infection associée aux soins
potentiellement très grave doivent donc être rigoureusement appli-
quées [79]. Mais les preuves de leur efficience et leur poids dans la pré-
vention ne sont pas uniformes.
Les mesures standard d’hygiène s’imposent comme pour toute chirur-
gie et tous soins. L’utilisation des produits hydroalcooliques entre chaque
changement de gants et une double paire de gants sont recommandées.
Les contrôles microbiologiques de l’environnement, la désinfection des
matériels réutilisables sont encadrés par des protocoles validés par les
sociétés savantes et les équipes locales d’hygiène.
En préopératoire, plusieurs mesures sont préconisées. Tout d’abord, il
faut identifier les sujets les plus à risque. Des scores existent, souvent basés
sur les comorbidités décrites dans le paragraphe « facteurs de risque », et
le type de chirurgie [29, 80]. La décontamination des patients porteurs de
S. aureus est fortement suggérée par un essai randomisé comparant une
décontamination à un placebo, en montrant une réduction significative
des infections sternales profondes [81]. S’il apparaît donc logique de dépis-
ter la présence de S. aureus, en utilisant éventuellement des techniques
de PCR automatisées, la logistique pour assurer ce dépistage demeure
compliquée et ne peut s’appliquer aux malades opérés en urgence. Aussi,
beaucoup de centres ont choisi une attitude plus pragmatique avec appli-
cation systématique de mupirocine au niveau des fosses nasales dès l’ad-
mission. Cette application est poursuivie 24 heures après l’intervention.
Les malades dépistés porteurs de SARM doivent être isolés, lavés avec
364 Infectiologie en réanimation

un savon à la chlorhexidine et doivent recevoir de la vancomycine en


20 antibioprophylaxie. Pour tous les patients, la préparation de l’opéré doit
faire l’objet d’une procédure écrite standardisée avec validation par les
équipes opérationnelles d’hygiène hospitalière. Elle comprend habituelle-
ment une douche la veille et le matin de l’intervention avec des solutions
à base de chlorhexidine, une tonte ou une dépilation quelques heures
avant l’intervention, et une désinfection cutanée faite par le chirurgien
au bloc. Plusieurs études randomisées ont montré l’intérêt d’une décon-
tamination du nasopharynx et de l’oropharynx avec une solution de glu-
conate de chlorhexidine pour réduire le taux des infections nosocomiales
en chirurgie cardiaque [82]. Enfin dans cette chirurgie propre, l’anti-
bioprophylaxie doit être systématique, administrée par l’anesthésiste au
bloc opératoire 30 minutes ou 1 heure avant l’incision en fonction de la
molécule. La Société Française d’Anesthésie et Réanimation recommande
l’injection unique de céphalosporine de deuxième génération (céfaman-
dole, céfuroxime ou céfazoline) et de vancomycine en cas d’allergie [83].
Cette injection est renouvelée si la durée d’intervention est supérieure à
2 heures. Très récemment, deux méta-analyses suggèrent que la prolon-
gation de l’antibioprophylaxie ≥ 24 heures serait peut être plus efficace
qu’une antibiothérapie < 24 heures, mais dans tous les cas, elle ne doit
jamais dépasser 48 heures [84, 85]. Des éponges de collagène imprégnées
de gentamicine, disposées en rétrosternale à la fin de l’intervention, ont
donné des résultats contradictoires et ne peuvent pas être recommandées
en l’état actuel des connaissances [86, 87].
Les autres mesures préventives périopératoires concernent :
– un contrôle très strict de la glycémie pendant les 48 premières heures
postopératoires en utilisant de l’insuline à la seringue électrique avec
un protocole d’administration géré par les infirmiers [88] ;
– chez les bronchopathes chroniques, une kinésithérapie respiratoire
durant les 15 jours précédant la chirurgie ;
– et pour tous les patients une durée d’hospitalisation préopératoire la
plus courte possible chaque fois que l’état du patient le permet.

Conclusion

En résumé, les données accumulées sur l’épidémiologie des médiasti-


nites, les facteurs de risque et les micro-organismes responsables ont per-
mis de mieux comprendre la physiopathologie de cette infection postopé-
ratoire potentiellement très sévère. Si son incidence semble relativement
stable, une approche diagnostique plus volontariste et une acceptation
plus aisée du diagnostic par le chirurgien ont permis d’améliorer sensible-
ment le pronostic. La mortalité a fortement diminué et dépend plus sou-
vent du terrain que de l’infection elle-même. Un diagnostic précoce est
le gage de pouvoir proposer un traitement chirurgical plus conservateur
avec fermeture en un temps. Les techniques utilisant l’application d’une
Infections postopératoires : médiastinites 365

pression négative au niveau de la plaie y compris quand le thorax est


laissé ouvert ont contribué à l’amélioration du pronostic et à une simpli-
fication du traitement. L’antibiothérapie prolongée constitue toujours le
deuxième pilier du traitement. L’application large et stricte des mesures
préventives est d’autant plus importante que les malades opérés sont de
plus en plus âgés et plus graves.

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Infections intraabdominales postopératoires
21
P. MONTRAVERS, P. MASCITTI, I. BALCAN

Introduction

Les péritonites postopératoires (PPO) sont des infections secondaires


à une intervention chirurgicale ou plus rarement une endoscopie diges-
tive, survenant après une première procédure réglée ou en urgence, sep-
tique ou propre [1]. Ces affections peuvent survenir durant le séjour ou se
révéler à distance. Le délai qui couvre cette définition n’est pas clairement
établi dans la littérature. Certains auteurs rapportent la survenue de PPO
jusqu’à 6 à 8 semaines après la procédure initiale.
Une entité particulière est représentée par les péritonites tertiaires qui
correspondent à une infection persistante, comme par exemple lors d’une
reprise chirurgicale pour sepsis persistant au cours d’une PPO. Ces infec-
tions tertiaires se caractérisent généralement par un tableau de sepsis avec
défaillances polyviscérales [2].

Physiopathologie

Très peu de travaux ont été consacrés à l’analyse des mécanismes


physiopathologiques survenant au cours des PPO. Les conclusions sont
extrapolées des résultats des études conduites au cours des infections

P. Montravers , P. Mascitti, I. Balcan


Université Paris VII Denis Diderot
Département d’Anesthésie-Réanimation
CHU Bichat Claude Bernard – Assistance Publique Hôpitaux de Paris
46 Rue Henri Huchard
75108 Paris cedex
E-mail : [email protected]
Sous la direction de Pierre Charbonneau et Michel Wolff, Infectiologie en réanimation.
ISBN : 978-2-8178-0388-3, © Springer-Verlag Paris 2013
371
372 Infectiologie en réanimation

communautaires. Plusieurs mécanismes sont mis en jeu par l’hôte pour


21 tenter de limiter l’extension de l’infection (fig. 1).

Fig. 1 – Réponse de l’hôte à la contamination péritonéale.

Les capacités anatomohistologiques du péritoine permettent une absorp-


tion rapide des bactéries par les lymphatiques et un cloisonnement de
l’infection conduisant à la constitution d’abcès (fig. 1). Les stomates
diaphragmatiques sont des pores qui s’ouvrent entre la cavité péritonéale
à travers les cellules mésothéliales péritonéales et jusqu’aux capillaires lym-
phatiques [3]. Ces entités transitoires contribuent à la clairance bactérienne
rapide de la cavité péritonéale et à la réduction de la taille de l’inoculum.
L’épiploon est la seconde structure capable d’absorber des particules libé-
rées dans la cavité péritonéale [3]. L’épiploon participe au cloisonnement
de l’infection en s’interposant devant les lésions viscérales ou les zones
inflammatoires, isolant ainsi la région infectée du reste de la cavité périto-
néale [3]. Enfin, les adhérences formées par les exsudats fibrineux partici-
pent à la limitation de l’infection [3].
Les abcès correspondent à ces cloisonnements de l’infection dans la cavité
péritonéale. Leurs localisations préférentielles (cul-de-sac de Douglas,
gouttières pariétocoliques, zones sous-hépatiques et sous-phréniques…)
sont expliquées pour partie par la gravité. Les gouttières pariétocoliques
sont une zone de communication entre l’espace sus- et sous-mésocolique
avec des zones déclives d’accumulation de part et d’autre comme le cul-
de-sac de Douglas et la zone sous-hépatique.
La réponse humorale et cellulaire est une voie du contrôle de l’infection
(fig. 1). L’activation du complément est un élément important et précoce
des mécanismes de défense péritonéale [3]. Le complément est impliqué
Infections intraabdominales postopératoires 373

dans l’opsonisation des micro-organismes, l’augmentation de la réponse


inflammatoire, l’élimination des complexes immuns et des cellules apop-
totiques et la lyse cellulaire.
En clinique, les travaux sont encore peu nombreux sur la cinétique intra-
péritonéale des médiateurs de l’inflammation. Une concentration intra-
péritonéale élevée de médiateurs pro-inflammatoires est notée (de l’ordre
de 10 à 1000 fois les concentrations plasmatiques selon les médiateurs)
expliquée par le faible volume péritonéal dans lequel les médiateurs sont
libérés [4, 5]. Après contrôle de l’infection et toilette chirurgicale, les
concentrations intrapéritonéales de cytokines reviennent rapidement au
niveau normal [4]. Les cellules phagocytaires sont massivement recrutées
et activées par les médiateurs pro-inflammatoires [3]. Cependant leur
activité est altérée par la présence de bile, de sang, de débris nécrosés, de
fils, de matières fécales ou de mucus, qui limite les propriétés des phago-
cytes péritonéaux et la bactéricidie locale.

Diagnostic clinique

Les PPO sont observées chez 1,5 à 3,5 % des patients ayant subi une
laparotomie [6, 7]. Leur fréquence maximale est observée entre le cin-
quième et le septième jour postopératoire avec un second pic retardé au-
delà de la seconde semaine.
Le diagnostic est souvent difficile, marqué par la survenue d’une fièvre au
décours d’une chirurgie abdominale, isolée ou associée à des manifesta-
tions abdominales ou extra-abdominales (tableaux I et II, fig. 2 et 3) [8].
La présentation clinique peut être déroutante ou atypique et orienter dans
une fausse direction. C’est le cas pour :
– des troubles de conscience, une agitation ou des troubles psychia-
triques, évocateurs de syndrome de sevrage alcoolique ou médicamen-
teux ou de confusion ;
– une insuffisance rénale d’aggravation progressive ou brutale, suggé-
rant une complication toxique médicamenteuse ou une cause médi-
cale d’insuffisance rénale ;
– une détresse respiratoire aiguë, attribuée à tort à une embolie pulmo-
naire, un œdème pulmonaire ou une infection pulmonaire respon-
sable de la fièvre ;
– un œdème pulmonaire lésionnel, inexpliqué ou considéré comme une
pneumopathie d’inhalation ou un œdème pulmonaire cardiogénique ;
– une thrombopénie ou des troubles de l’hémostase ;
– une cholestase inexpliquée, évoquant une pathologie biliaire.
374 Infectiologie en réanimation
Tableau I – Signes cliniques rapportés au cours des péritonites postopératoires (%).
21 Signes cliniques Hinsdale Kermarrec
[6] [8]
Fièvre 86 74
Douleurs abdominales 90 78
Aspiration gastrique abondante – –
Ileus 85 37
Diarrhées – –
Ballonnement abdominal 15 –
Issue de pus ou de liquide digestif 10 33
Masse palpable 2 –

Tableau II – Fréquences des défaillances viscérales au moment du diagnostic de PPO


exprimées en pourcentages.

Montravers Dupont Kermarrec


[44] [46] [8]
Choc* – – 29
Défaillance circulatoire* 10 53 22
Défaillance respiratoire* 92 22 35
Défaillance rénale* 7 33 35
Troubles psychiques* 13 – 29
* Définitions variables selon les auteurs.

Fig. 2 – Arbre décisionnel en cas d’évolution anormale au décours d’une chirurgie abdominale
en cas de signes cliniques évocateurs ou de défaillance monoviscérale.
* Fièvre persistante, hyperleucocytose, troubles du transit, bactériémie, écoulement anormal…
Infections intraabdominales postopératoires 375
† troubles de conscience, détresse respiratoire ou circulatoire isolée, insuffisance rénale, anoma-
lies hématologiques ou de la coagulation, cholestase…

Fig. 3 – Arbre décisionnel en cas d’évolution anormale au décours d’une chirurgie abdominale
chez un patient en état de choc ou en défaillance polyviscérale.

La clinique n’est généralement pas suffisante pour établir le diagnostic,


sauf à un stade tardif ou en cas d’issue de liquide digestif par les drains ou
d’une masse palpable anormale (tableau I). Les signes de défense abdomi-
nale sont difficiles à différencier d’une sensibilité de la paroi d’un opéré
récent. La contracture abdominale n’est en général pas rapportée chez ces
patients. La non-reconnaissance du diagnostic conduit à un tableau de
défaillance polyviscérale (tableau II) [8, 9]. Cette difficulté a été illustrée
par un travail conduit chez 27 patients ayant eu une chirurgie bariatrique
(gastroplastie, sleeve gastrectomie ou bypass) compliquée de PPO. Les
auteurs rapportent un diagnostic erroné dans plus de la moitié des cas et
l’absence de fiabilité des signes cliniques [8]. Les signes les plus couram-
ment retrouvés étaient une tachycardie, une dyspnée et une fièvre. Les
signes respiratoires étaient les éléments les plus fréquemment retrouvés,
mais le plus souvent n’étaient pas rapportés à une complication chirur-
gicale. Un tableau de syndrome de réponse inflammatoire sévère était
observé dès la 48e heure postopératoire, dont la fréquence s’accentuait
pour atteindre 100 % des cas au-delà du septième jour postopératoire [8].
Les interventions qui prédisposent le plus à un sepsis postopératoire sont
celles effectuées dans un contexte septique, en situation d’urgence, chez
un patient à risque d’immunodépression (corticothérapie, dénutrition,
376 Infectiologie en réanimation

maladie inflammatoire du tube digestif…). La fréquence d’infection pos-


21 topératoire est également spectaculairement accrue en cas de chirurgie
septique, passant de 0,1 % lors d’une chirurgie propre à 6,5 % en cas
de chirurgie septique [10]. Néanmoins, ce sont surtout les conditions
locales (zone irradiée ou cancéreuse), et la difficulté du geste chirurgical
qui favorisent la survenue d’un sepsis postopératoire. Dans une série de
patients opérés de résection colique [11], 53 % des patients jugés à risque
du fait de la difficulté du geste chirurgical ont développé une complica-
tion chirurgicale postopératoire, et seulement 15 % des patients jugés à
faible risque. Enfin, l’expérience de l’opérateur est également un élément
important à prendre en compte.

Place des examens complémentaires

Biologie
Les examens biologiques sont décevants et ne permettent en général
pas de s’orienter vers le diagnostic avant le stade de défaillance viscérale.
Le bilan biologique permet surtout d’évaluer les besoins de réanimation.
La mesure des concentrations de biomarqueurs (protéine C réactive, pro-
calcitonine…) a été proposée comme élément du diagnostic par certains
auteurs. Ces éléments sont décevants en période postopératoire et restent
l’objet d’évaluation clinique.

Imagerie médicale
La recherche d’épanchement liquidien ou gazeux, de collections ou
d’abcès intra-abdominaux ou des signes de souffrance du tube digestif
est le principal objet de la tomodensitométrie (fig. 2 et 3) [12]. Dans
le contexte d’une suspicion d’une PPO, ces examens peuvent guider la
décision opératoire. Un examen tomodensitométrique « normal » n’éli-
mine pas pour autant le diagnostic. De manière à documenter une per-
foration digestive inapparente à l’échographie ou à la tomodensitométrie,
le recours à des examens radiographiques digestifs avec un produit de
contraste non baryté (gastrographine) à la recherche d’une fuite extralu-
minale a été proposé. Cependant les résultats de cette opacification n’ont
de valeur que lorsqu’ils identifient l’extravasation du contraste. En cas de
suspicion d’une complication postopératoire dans les trois premiers jours
postopératoires, la décision de reprise chirurgicale peut être prise sans ico-
nographie devant un tableau clinique de dégradation inexpliquée [13].
Au-delà du troisième jour, cette décision doit être étayée par des examens
iconographiques, au premier rang desquels la tomodensitométrie [13].
Infections intraabdominales postopératoires 377

Examens microbiologiques
Les examens microbiologiques sont également décevants pour faire la
preuve d’une PPO. Une bactériémie à germes « digestifs » (entérobacté-
ries, entérocoques, anaérobies…) ou des hémocultures plurimicrobiennes
peuvent être un élément d’orientation vers le diagnostic [14] mais cette
éventualité est rare, de l’ordre de 10 % des patients.
Chez les patients opérés et ayant bénéficié d’un drainage externe (lame,
drain), la culture les drainages ouverts est inutile car leurs résultats sont
ininterprétables [15]. Il est impossible de faire la part entre la contami-
nation par les flores cutanées et environnementales et les germes issus du
drainage proprement dit.

Décision de reprise chirurgicale

Les indications opératoires doivent être larges et précoces en cas de


suspicion de PPO (tableau III, fig. 2 et 3) [16]. Une intervention « pour
rien » vaut toujours mieux qu’un sepsis dépassé, opéré trop tardivement.
La part jouée par la clinique dans la décision de réintervention reste dé-
terminante. C’est particulièrement le cas lors de la survenue d’une dé-
faillance polyviscérale sans origine évidente ou d’issue de liquide digestif
dans les drains, qui sont des critères formels de réintervention. À l’opposé,
lorsque les signes cliniques et biologiques ne sont pas concordants mais
que le patient reste stable, une surveillance prolongée peut être décidée.

Tableau III – Principaux critères conduisant à une décision opératoire en cas de suspicion de
péritonite postopératoire.

Critères formels de réintervention


Défaillance viscérale
Pus ou liquide dans les drains
Signes locaux cliniques et radiologiques
Fort doute diagnostique chez un patient à risque

Surveillance renforcée ne conduisant pas immédiatement à une réintervention


Hyperleucocytose croissante
Fièvre isolée inexpliquée
Troubles du transit isolés
Signes biologiques de défaillance
378 Infectiologie en réanimation

21 Prise en charge préopératoire

Le bilan préopératoire doit être rapide de façon à ne pas retarder l’in-


tervention. Cette période préopératoire doit être mise à profit pour ob-
jectiver et corriger les principales perturbations humorales, et stabiliser
les déséquilibres hémodynamiques et respiratoires. Quelles que soient les
précautions prises, le patient doit être considéré comme hypovolémique
et à risque de régurgitation. Le geste chirurgical doit être réalisé sous
anesthésie générale, avec intubation en séquence rapide pour protéger du
risque d’inhalation comme pour toute urgence abdominale. Le patient
n’est jamais trop grave pour aller au bloc opératoire. Au besoin, la réani-
mation intensive sera poursuivie pendant l’intervention [17]. En aucun
cas la réanimation ne doit faire différer l’intervention de plus de quelques
heures au risque de conduire à une situation dépassée [8, 16].

Principes mis en œuvre pour le contrôle de la source infectieuse

Principes chirurgicaux
Le traitement chirurgical de l’infection est la pierre angulaire du trai-
tement étiologique. L’indication chirurgicale est formelle et immédiate
dès que le diagnostic est suspecté. Seule la chirurgie permet de faire un
bilan étiologique complet de l’infection. Le pronostic est directement lié
à la rapidité du diagnostic et du traitement [15, 17-20].
L’intervention chirurgicale ne présente pas en soi de particularité. Les
objectifs de la chirurgie sont ceux de toutes les urgences digestives :
– identifier la source de contamination ;
– supprimer la source de contamination ;
– identifier les germes en cause ;
– réduire la contamination bactérienne ;
– prévenir la récidive ou la persistance de l’infection.
L’abord chirurgical peut faire appel, en fonction de la pathologie, du ter-
rain et de l’expérience de l’opérateur, à une laparotomie ou à une cœlios-
copie. La laparotomie médiane doit être envisagée d’emblée, en cas de
contre-indication à la cœlioscopie ou en cas d’état hémodynamique pré-
caire. Les voies d’abord électives sont principalement utilisées chez l’en-
fant. Les prélèvements bactériologiques doivent être systématiques [15].
L’exploration de la cavité péritonéale implique un contrôle de toutes les
régions déclives et de tous les viscères abdominaux, complété par une toi-
lette péritonéale avec lavage abondant.
Infections intraabdominales postopératoires 379

Place des examens microbiologiques


Les prélèvements microbiologiques du liquide péritonéal sont indispen-
sables pour adapter précisément le traitement antibiotique, et obtenir un re-
flet épidémiologique de la flore digestive des patients [15, 17]. Les conditions
de prélèvement du liquide péritonéal et de sa gestion sont identiques à celles
des infections communautaires. L’échantillon doit être placé dans un milieu
de transport pour anaérobie. Un examen microscopique direct avec colora-
tion de Gram et une mise en culture à la recherche des bactéries aérobies et
anaérobies strictes et de levures avec réalisation d’un antibiogramme doivent
être effectués. La sélection de l’antibiothérapie probabiliste est orientée par
l’examen direct du liquide péritonéal, puis le traitement est adapté secondai-
rement en fonction des résultats de l’antibiogramme [15, 17].

Conduite à tenir vis-à-vis de la lésion causale


Lorsqu’un geste sur un viscère est rendu nécessaire, on recommande
en général une exérèse d’emblée complète du foyer causal de la péritonite.
Ce contrôle de la source d’infection est l’élément clé du succès. Seiler et
al. ont rapporté une mortalité de 13 % en cas de contrôle satisfaisant
de la source de l’infection et qui était doublée (27 %) chez les patients
pour lesquels ce contrôle n’a pas été possible, associée à une fréquence de
réinterventions presque triplée, passant de 9 à 32 % [21]. Pour Mulier et
al., la mortalité serait quadruplée, passant de 24 à 100 % de décès [22].
La décision chirurgicale vis-à-vis des sutures digestives n’est pas clairement
codifiée. Chez un malade en état de choc, la perfusion tissulaire, y com-
pris intestinale, est altérée. Le risque de désunion d’une nouvelle suture
est élevé en cas d’état de choc ou lorsque cette anastomose est réalisée en
milieu septique. Il semble prudent dans de telles situations de renoncer
à un rétablissement immédiat de la continuité digestive au profit de sto-
mies. L’ablation exhaustive des fausses membranes, l’utilisation d’antibio-
tiques ou d’antiseptiques locaux n’ont pas fait la preuve de leur efficacité et
sont abandonnées [15]. Une hémostase rigoureuse est nécessaire car une
collection sanguine en milieu septique expose au risque d’abcès résiduel.

Place des réinterventions programmées


Dans les infections les plus sévères, il n’existe aucun moyen de drainer
efficacement toute la cavité péritonéale. Ceci explique la fréquence des
foyers résiduels et des reprises itératives chez 30 à 50 % des patients [6,
23]. De ce fait, deux attitudes ont été proposées : les réinterventions à la
demande qui n’apportent pas totalement satisfaction du fait du retard à la
reprise parfois observée chez des patients complexes, et les réinterventions
systématiques programmées toutes les 24-48 heures jusqu’à obtention
d’une cavité péritonéale macroscopiquement propre [24]. Cette dernière
stratégie est intéressante en cas d’éradication incomplète des foyers nécro-
380 Infectiologie en réanimation

tiques ou infectieux, ou en cas de doute sur la viabilité du tube digestif


21 lors de la réintervention initiale, mais paraît surtout applicable chez les
patients les plus graves. Une étude randomisée multicentrique récente
conclut que les laparotomies à la demande induisent moins de reprises
chirurgicales, sont moins coûteuses et permettent une durée de séjour
plus courte sans modifier le pronostic des patients [25].

Drainage opératoire du site infectieux


L’utilisation des systèmes de drainage reste discutée. Il peut s’agir d’un
drainage passif par des lames ou des drains placés en déclivité, d’un drai-
nage actif par des drains ou des systèmes aspiratifs multiperforés ou des
drainages par capillarité de type Mickulicz. Dans les cas opérés tardive-
ment, il est recommandé de réaliser un drainage systématique des régions
déclives (sous-phréniques, gouttières pariétocoliques, cul-de-sac de Dou-
glas…).
L’irrigation lavage postopératoire continue n’a pas fait la preuve de son
efficacité [15]. Cette technique très contraignante a été progressivement
abandonnée pour des motifs anatomiques (apparition en 24-48 heures de
circuits préférentiels à l’origine de séquestres potentiellement septiques) et
pour des motifs techniques (étanchéité difficile à obtenir, obstruction du
drainage…).
Pour favoriser le drainage de la cavité abdominale, et conserver le béné-
fice des réinterventions itératives, certains auteurs ont proposé de ne pas
fermer la paroi abdominale, réalisant des laparostomies. Les difficultés
techniques (étanchéité), le risque accru de fistule digestive sur des anses
grêles fragilisées et l’absence de supériorité face à des réinterventions à la
demande ont conduit à un recul de cette technique. Actuellement, les
seules indications reconnues de laparostomies sont l’impossibilité d’une
fermeture cutanée et le syndrome du compartiment abdominal [15].
L’utilisation de pansements à pression négative de type VAC® (Vacuum
Assisted Closure®) facilite la prise en charge de ces patients et la réalisation
de pansements souvent complexes.

Places respectives de l’antibiothérapie et de la chirurgie


L’antibiothérapie contribue à l’amélioration du pronostic [15] mais
ne suffit pas pour la guérison. Le contrôle de la source de l’infection est
indispensable et repose sur la qualité du geste chirurgical. Le traitement
antibiotique doit être débuté dès que l’indication opératoire est posée, et
dans l’heure en cas de sepsis grave ou de choc septique [15, 17, 20]. Dans
les premières heures de traitement, l’objectif de l’antibiothérapie est de li-
miter les bactériémies et de réduire la fréquence des abcès résiduels. Il n’y a
aucun risque de « négativer » les prélèvements peropératoires par une dose
initiale d’antibiotique administrée avant l’incision chirurgicale [15, 17].
Infections intraabdominales postopératoires 381

Si le doute persiste quant au diagnostic et que l’indication opératoire reste


en suspens, un traitement d’épreuve par une antibiothérapie isolée ne doit
jamais être proposé. Cette attitude conduit à des tableaux cliniques inin-
terprétables, avec des retards thérapeutiques, tout en sélectionnant une
flore souvent résistante au traitement antibiotique instauré [14, 26-29].

Place de la radiologie interventionnelle et des drainages


percutanés
La radiologie interventionnelle avec drainages guidés par échographie
ou par tomodensitométrie [30-32] a connu un développement specta-
culaire. Les indications privilégiées sont le drainage de collections bien
cloisonnées uniques ou en petit nombre (fig. 2). Le drainage percutané
de ces abcès permet d’éviter un certain nombre de réinterventions avec
un taux de succès quand ils sont accessibles qui se situe entre 65 et 85 %
selon les séries, même si parfois plusieurs drainages sont nécessaires [33].
En pratique, 30 % des abcès sont traités par drainage seul [30, 32]. À
l’opposé, les épanchements en péritoine libre ne sont pas une indication.
Les inconvénients de ces techniques sont le contrôle parfois médiocre de
la source de l’infection, les limites du drainage dans des zones difficiles
d’accès ou à proximité de zones à risque (rate, gros vaisseaux…), l’ineffi-
cacité du drainage en cas d’abcès multiples et de petite taille, de contenu
hétérogène ou de corps étrangers, et les contre-indications liées à des
troubles de l’hémostase.
La pathologie initiale ayant conduit au geste chirurgical doit être prise
en compte dans la décision de drainage ou d’intervention chirurgicale
conventionnelle, pour ne pas différer à tort une reprise indispensable.
Seule la chirurgie permet d’éliminer la présence de lésions associées. La
présence d’un abcès n’élimine pas une péritonite persistante ou un lâchage
de suture que le plus souvent seule la chirurgie pourra traiter. Un lâchage
d’anastomose satellite d’un abcès est un facteur d’échec du drainage.
Parallèlement à la mise en place du drain, une irrigation-drainage des
abcès (par du sérum physiologique isolé ou associé à de la povidone iodée)
et une antibiothérapie dirigée contre les germes isolés de la collection sont
effectuées. Le bilan entrée/sortie soigneux de ces irrigations doit être effec-
tué pour éviter des collections résiduelles. Une surveillance clinique et
tomodensitométrique régulière des abcès est recommandée. L’améliora-
tion clinique doit être rapide et nette au décours du drainage. Au moindre
doute ou en cas d’aggravation clinique sous drainage, une réévaluation
est nécessaire avec indication éventuelle à un drainage chirurgical ou à un
nouveau drainage percutané. Les complications ne sont pas inhabituelles
(fistule digestive, drainage insuffisant, déplacement du drain…) [30-32].
Une chirurgie de complément est proposée en cas d’aggravation clinique
(10 % des cas) ou d’échec du drainage (10 à 20 % des patients) (fig. 3).
382 Infectiologie en réanimation

21 Particularités de l’antibiothérapie

Pharmacocinétique des antibiotiques intrapéritonéaux


Peu de travaux ont porté sur les doses d’antibiotiques à administrer
dans les PPO. Comme chez tout patient septique, les auteurs obser-
vent une augmentation importante du volume de distribution de l’an-
tibiotique, une réduction de la concentration antibiotique au pic et
une augmentation de la clairance de l’agent [34]. Il existe par ailleurs
un gradient de diffusion entre le sang et le liquide péritonéal avec de
nombreux antibiotiques. Lors du traitement de germes peu sensibles,
ces concentrations pourraient donc se révéler insuffisantes. Ces consta-
tations expliquent la prescription de posologies fortes pour atteindre
les objectifs thérapeutiques. Chaque fois que possible, la surveillance
des concentrations plasmatiques des agents anti-infectieux doit être
effectuée.

Pharmacodynamie des antibiotiques intrapéritonéaux


Les conditions locales de l’infection réduisent l’efficacité de l’anti-
biothérapie : effet inoculum important (inactivation des antibiotiques
parallèlement à l’accroissement de l’inoculum bactérien), acidose locale,
présence de corps étrangers et de débris cellulaires réduisant l’activité des
antibiotiques, production par les bactéries d’enzymes inactivant les anti-
biotiques. Dans les abcès, la constitution d’une « coque » ralentit et limite
la pénétration de l’antibiotique jusqu’à l’annuler totalement. De plus,
les germes présents y sont souvent en croissance ralentie voire en phase
quiescente, et sont peu sensibles aux traitements antibiotiques. Le risque
d’échec est donc notable en cas de traitement antibiotique isolé visant à
stériliser un abcès. À l’opposé, le geste chirurgical par l’élimination de
l’inoculum, des débris cellulaires et des corps étrangers, renforce l’effica-
cité des antibiotiques.

Principes généraux de l’antibiothérapie des PPO


Le choix des antibiotiques doit être défini par une décision institution-
nelle et collégiale (comité du médicament, comité des anti-infectieux)
sous forme d’un document écrit décrivant les alternatives thérapeutiques.
Les molécules choisies pour l’antibioprophylaxie ne doivent pas être uti-
lisées pour un traitement curatif [15], au moins à la phase probabiliste.
La sélection de l’antibiothérapie probabiliste relève d’un choix raisonné,
orienté par l’examen direct du liquide péritonéal et l’épidémiologie de la
sensibilité des germes les plus fréquemment isolés, et prend systématique-
ment en compte les entérobactéries et les anaérobies [15, 17]. Le traite-
Infections intraabdominales postopératoires 383

ment probabiliste sera adapté secondairement en fonction des résultats de


l’antibiogramme [15, 17].
L’écologie microbienne est modifiée dans les PPO, avec une fréquence
accrue d’isolement d’espèces bactériennes de nature nosocomiale comme
Pseudomonas aeruginosa, Enterobacter spp., Serratia spp., Citrobacter spp.,
Morganella spp., entérocoques multirésistants ou Candida spp. [26, 27-
29, 35-37] (tableau IV). Ces souches ont généralement une sensibilité
réduite aux antibiotiques habituels à l’exception des carbapénèmes et du
céfépime [28, 29, 37, 38]. Il est à noter la présence possible de Staphylococ-
cus aureus résistants à la méticilline et une réduction importante de sensi-
bilité des souches d’Enterococcus faecium vis-à-vis des pénicillines avec une
sensibilité à l’amoxicilline dans seulement 40 % des cas [28, 29, 38]. À
l’opposé, en France les souches d’entérocoques résistants à la vancomycine
restent tout à fait anecdotiques. Les infections monomicrobiennes (enté-
rocoques, Candida, staphylocoques à coagulase négatif) sont plus rares.
Tableau IV – Nature des germes isolés exprimée en pourcentages dans quelques séries
françaises récentes.

Sotto Seguin Montravers Augustin


[41] [29] [38] [28]
Aérobies
Bacilles à Gram négatif
Escherichia coli 23 23 22 18
Proteus spp. – 2 2 2
Klebsiella spp. 5 3 4 5
Enterobacter spp. – 7 8 8
Pseudomonas spp. 5 5 6 6
Cocci à Gram positif
Enterococcus spp. 19 22 18 19
Staphylococcus spp. 9 8 5 10
Streptococcus spp. 7 6 10 11
Anaérobies 11 13
Bacteroïdes spp. – 8 10 7
Clostridium spp. – 2 3 –
Divers – – 6 2
Levures 7 8 4 –

L’utilisation des aminosides a fait l’objet de nombreux débats. Leur admi-


nistration est initiée pour une brève durée (< 3 jours), en phase proba-
biliste, en surveillant leurs concentrations plasmatiques. La fréquence
des insuffisances rénales était équivalente chez les patients recevant des
aminosides et ceux n’en recevant pas [35]. L’intérêt des aminosides est
surtout lié à un élargissement du spectre en ciblant des entérobactéries de
type Escherichia coli pour lesquelles les bêtalactamines peuvent se révéler
insuffisantes [38]. Les fluoroquinolones, bien que disposant de proprié-
tés pharmacocinétiques intéressantes, sont peu utilisées [15]. Leur acti-
vité souvent limitée vis-à-vis des germes nosocomiaux réduit leur intérêt
potentiel [38]. Du fait des éléments mentionnés ci-dessus, l’utilisation
384 Infectiologie en réanimation

des nouvelles molécules comme l’ertapénème ou la tigécycline est pré-


21 férentiellement ciblée sur des agents pathogènes difficiles à traiter après
obtention de l’antibiogramme.
Peu de données récentes sont disponibles sur la microbiologie des infec-
tions persistantes. Les prélèvements microbiologiques réalisés lors de
reprises chirurgicales de patients atteints de formes tertiaires retrouvent
souvent des germes considérés comme peu pathogènes (entérocoques, sta-
phylocoques à coagulase négative, Candida…) [2].

Importance d’une antibiothérapie probabiliste adaptée


Alors que les experts s’accordent sur la nécessité du traitement antibio-
tique des entérobactéries et des anaérobies [15], le traitement des autres
germes isolés des prélèvements péritonéaux a été l’objet de nombreux
débats. De nombreux travaux montrent que l’amélioration du pronostic
passe par un traitement efficace d’emblée sur l’ensemble des germes en
cause [15, 17, 20].
Ainsi dans la série de Koperna et Schulz, 94 % des patients décédés
avaient reçu un traitement antibiotique inadapté [23]. Un traitement
initial ne prenant pas en compte tous les germes se traduit par une mor-
bidité accrue et une mortalité doublée, en comparaison avec une antibio-
thérapie adaptée [14].

Prise en compte des entérocoques


La nécessité du traitement antibiotique a été plus spécifiquement
évaluée pour les entérocoques. Ces germes posent le problème de bacté-
ries saprophytes du tube digestif, peu sensibles aux antibiotiques, dont
le pouvoir pathogène spontané est modeste mais qui sont retrouvées très
fréquemment dans les prélèvements opératoires [38]. Néanmoins, des
échecs thérapeutiques et des bactériémies à entérocoques dont l’origine
était le site opératoire ont été rapportés lors de traitements négligeant
ce germe [39]. Plusieurs études suggèrent que ces germes se comporte-
raient comme des facteurs de morbidité accrue, et pourraient dans les
infections postopératoires être un facteur de mortalité [40, 41]. En cas
d’infection à entérocoques, une sévérité plus importante, une fréquence
d’infection postopératoire et d’antibiothérapie probabiliste inadaptée
accrues, une ventilation mécanique et l’usage de catécholamines plus
prolongés et une surmortalité ont été rapportés [42]. Les recommanda-
tions des infectiologues américains de l’IDSA (Infectious Disease Society
of America), en l’absence de données fiables dans la littérature, sont de
prendre en compte ces germes dans le traitement initial en cas d’infec-
tion postopératoire [17].
Infections intraabdominales postopératoires 385

Prise en compte des Candida


Les Candida posent des problèmes équivalents à ceux des entérocoques.
Ces agents sont saprophytes du tube digestif (20 à 30 % des sujets sains
hébergent des levures) et prolifèrent lors de traitements antibactériens in-
tercurrents. Les levures sont isolées dans près de 20 % des prélèvements,
préférentiellement en cas de lésion sus-mésocolique [43, 44].
Une surmortalité est probable en cas d’infection fongique [14, 43-45].
Dans une série de patients admis en réanimation, quatre facteurs pré-
dictifs d’isolement des Candida des prélèvements péritonéaux ont été
identifiés : un état de choc à l’admission, l’origine gastroduodénale de
l’infection, le sexe féminin et une antibiothérapie en cours depuis plus de
48 heures [43]. La présence de Candida à l’examen direct du liquide péri-
tonéal est un facteur de mauvais pronostic [46] qui a conduit les auteurs
à recommander un traitement antifongique probabiliste sur la base de ce
résultat, témoin d’un inoculum important [46]. À l’opposé, la société de
pathologie infectieuse américaine ne recommande un traitement antifon-
gique qu’en cas d’infections prouvées par la culture [17].
Les échinocandines sont les agents recommandés chez les patients graves
et en cas de souches résistantes au fluconazole [17]. En cas d’infection à
C. albicans, le fluconazole est la molécule de choix [17]. La fréquence des
souches de C. glabrata résistantes au fluconazole paraît élevée (près de 50 %
dans une étude récente) et justifie un traitement probabiliste par une échi-
nocandine et la réalisation systématique d’un antifongigramme [47]. Tout
comme pour les antibiotiques, le retour au traitement le plus simple efficace
est indispensable dès obtention de l’identification et du profil de sensibilité.

Stratification des choix de l’antibiothérapie


Les patients les plus sévères ne peuvent pas faire les frais d’un traitement
inefficace et nécessitent un spectre antibiotique probabiliste large. Cette
stratégie a été suggérée par la conférence d’experts de la Société française
d’anesthésie réanimation sur les associations d’antibiotiques [48], le consen-
sus français [15] et les recommandations américaines de l’IDSA [17].
Dans les PPO, l’écologie bactérienne est modifiée et les caractéristiques
microbiologiques de chaque établissement guident le choix de l’anti-
biothérapie. La pipéracilline/tazobactam (4,5 g × 4·j-1) ou l’imipénème
(1 g × 3·j-1) + amikacine (20 mg·kg-1 en une à deux injections par jour)
sont conseillés, à adapter après résultats des cultures. La vancomycine
(20 mg·kg-1 en dose de charge avec vérification de la concentration cible
puis administration continue ou discontinue pour atteindre une concen-
tration à l’équilibre ou en résiduelle d’environ 20 mg·L-1) peut se justifier
en cas de suspicion de staphylocoque méticilline-R ou d’E. faecium de
haut niveau de résistance à la pénicilline (CMI > 16 mg·L-1) [48]. Dans
une série rétrospective, Augustin et al. ont analysé les traitements probabi-
listes les plus régulièrement efficaces [28] et montrent que seule une asso-
386 Infectiologie en réanimation

ciation d’imipénème + amikacine + vancomycine permet d’être efficace


21 sur tous les germes dans près de la totalité des patients.
Il n’est pas possible de faire des recommandations supplémentaires pour
les infections récidivantes ou les péritonites tertiaires. La seule possibilité
serait d’adjoindre un traitement antifongique jusqu’aux résultats micro-
biologiques, du fait de la présence très fréquente de Candida [2].

Suivi thérapeutique

Le suivi thérapeutique des patients et l’adaptation des traitements


sont basés sur l’évaluation des données cliniques et paracliniques et les ré-
sultats des prélèvements microbiologiques peropératoires [15]. Le retour
à l’antibiothérapie la plus simple efficace est indispensable pour préser-
ver le capital thérapeutique des agents anti-infectieux disponibles. L’arrêt
des carbapénèmes, des glycopeptides et des aminosides est recommandé
chaque fois que possible.
Le traitement complet d’une lésion abdominale évolutive se traduit théo-
riquement par un retour à une situation clinique normale (apyrexie, nor-
malisation de la leucocytose, réapparition du transit) en quelques jours.
L’absence d’amélioration ou une aggravation secondaire imposent de
rechercher une complication intra- ou extra-abdominale [49] (fig. 4).

Fig. 4 – Analyse des échecs lors du traitement d’une péritonite postopératoire.

En cas d’échec du traitement antibiotique, un problème chirurgical non


résolu est à rechercher en premier lieu. Les autres causes d’échec sont
Infections intraabdominales postopératoires 387

dues à un traitement antibiotique inadapté (spectre insuffisant, posologie


insuffisante, émergence d’un ou plusieurs germes résistants, sites infec-
tieux inaccessibles aux traitements) (fig. 4).
En cas de besoin, une seconde reprise chirurgicale peut être nécessaire
pour établir le diagnostic. Dans tous les cas, une réintervention, même
non contributive, est moins dommageable pour le patient qu’une inter-
vention trop tardive. L’attitude est d’autant interventionniste que l’état
du patient est grave [50]. Bohnen et al. rapportent une mortalité de 35 %
en cas de réintervention précoce (dans les 24 heures suivant le diagnos-
tic) contre 65 % en cas de réintervention plus tardive [18]. De même,
Koperna et Schulz dans une série de patients nécessitant une réinterven-
tion pour sepsis abdominal persistant ont observé une mortalité passant
de 28 % en cas de reprise moins de 48 heures après la pose de l’indication
à 77 % en cas de délai au-delà ce cette limite (p < 0,0001) [16]. Même à
des niveaux de sévérité faible (score APACHE II < 11), une augmentation
de 25 % de la mortalité était observée [16]. Cette attitude intervention-
niste doit cependant être mise en balance avec le risque de lésions diges-
tives iatrogènes. En cas de lésions cloisonnées et d’abcès, l’alternative à la
réintervention est le drainage percutané (fig. 2 et 3).

Durée du traitement anti-infectieux

La durée du traitement n’est pas établie. Elle n’est probablement pas la


même en cas de reprise précoce chez un patient sans défaillance viscérale
et chez un sujet âgé, réopéré tardivement en état de défaillance polyviscé-
rale. Cependant, les travaux sur ce thème manquent. Le traitement est en
général poursuivi une dizaine de jours [17] selon la sévérité initiale et la
qualité du geste chirurgical. Les traitements antifongiques sont souvent
plus prolongés de l’ordre de 15 à 21 jours, sans arguments scientifiques
solides. La reprise d’un transit digestif, le retour d’une apyrexie et la baisse
de la leucocytose sont trois éléments généralement retenus pour arrêter
le traitement. À l’opposé, les biomarqueurs courants comme la procal-
citonine ou la protéine C réactive n’ont pas fait leur preuve dans cette
indication pour limiter la durée du traitement antibiotique.

Pronostic et facteurs de risque de décès

La mortalité des PPO est très variable de 20 à plus de 60 % [8, 28,


29, 35-38, 41, 43-45] et ne s’est pas améliorée au cours des 20 dernières
années (tableau V). Il convient de noter le peu de critères véritablement
modifiables par la prise en charge.
388 Infectiologie en réanimation
Tableau V – Mortalité des PPO.
21 Période Nombre Mortalité Réinterventions
étudiée de cas (n) (%) multiples (%)
Bohnen [18] 1979-1980 60 60 –
Montravers [14] 1987-1992 100 39 50
Mulier [22] 1986-1995 96 30 48
Koperna [16] 1992-1995 40 23 30
Paugam [49] 1995-1998 62 37 58
Lamme [24] 1994-2000 124 23 59
Montravers [44] 1997-2000 58 48 45
Augustin [28] 2001-2004 100 31 44

Un âge avancé, les maladies sous-jacentes, les très grandes obésités (indice
de masse corporelle > 50 kg·m-2) sont associés à une surmortalité [8, 17].
Le nombre des défaillances viscérales est un élément important qui reflète
la sévérité de l’affection. Pour Mäkelä et al., le décès est observé chez 35 %
des patients atteints d’une défaillance viscérale unique, 75 % des patients
avec deux défaillances et 100 % des patients avec trois défaillances [9]. En
chirurgie bariatrique compliquée, Kermarrec et al. rapportent une morta-
lité de 11 % chez les patients atteints de deux ou trois défaillances, 50 %
avec quatre défaillances et 100 % avec cinq défaillances ou plus [8]. Cer-
taines défaillances pourraient avoir une valeur pronostique plus impor-
tante que d’autres ; c’est le cas d’un état de choc, d’une insuffisance rénale
ou d’une insuffisance respiratoire aiguë, dont la présence au moment de la
reprise est de mauvais pronostic [14, 45].
Le clinicien n’a capacité d’agir que sur deux critères : la précocité de la
réintervention et la qualité du traitement anti-infectieux. Le délai de la
réintervention est un facteur majeur du pronostic [15-20, 23]. Dans le
travail de Bohnen et al. [18], la mortalité était de 61 % chez les patients
porteurs d’une défaillance viscérale réopérés précocement (< 24 heures)
et 88 % chez les patients réopérés au-delà de la 24e heure. Enfin, comme
signalé précédemment, une antibiothérapie initiale inadaptée pourrait
être associée à une surmortalité [14, 23, 45].

Conclusion

Malgré les progrès effectués, le pronostic des PPO reste sévère. La col-
laboration interspécialité est indispensable. La vigilance des profession-
nels, l’évocation facile du diagnostic, les réinterventions précoces sont les
éléments fondamentaux d’une amélioration de la prise en charge.
Infections intraabdominales postopératoires 389

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Infections ostéoarticulaires (IOA) en réanimation
22
E. SENNEVILLE, S. NGUYEN, H. DÉZÉQUE, E. BELTRAND, H. MIGAUD

Introduction

Les infections ostéoarticulaires (IOA) regroupent des situations très


différentes dont la prise en charge sera influencée par un grand nombre
de paramètres, parmi lesquels la présence d’un matériel infecté, le carac-
tère aigu ou chronique de l’infection, la sensibilité des micro-organismes
aux anti-infectieux et l’état général du patient. Le nombre des paramètres
influençant la prise en charge est tel qu’il s’avère difficile de proposer des
recommandations applicables à chacun des patients, ce qui justifie de
prendre les décisions de stratégie thérapeutique dans un cadre multidis-
ciplinaire. Cela étant, il existe maintenant des règles consensuelles sur les
grandes lignes de la prise en charge de ces patients, issues des travaux ex-
périmentaux et de l’expérience des équipes engagées dans cette discipline
depuis de nombreuses années sans qu’il existe pour autant de recomman-
dations dans le contexte de la réanimation.
Nous ne traiterons dans ce chapitre que les situations de sepsis sévères
d’origine ostéoarticulaire et de surveillance en période postopératoire
immédiate, qui correspondent aux causes les plus fréquentes d‘admission

E. Senneville* , S. Nguyen*, H. Dézéque**, E. Beltrand***, H. Migaud**,


* Service universitaire des maladies infectieuses,
Hôpital Dron
155, rue du President Coty
59208 Tourcoing
E-mail : [email protected]
** Hébergement septique d’orthopédie-traumatologie,
CHRU de 2, avenue Oscar Lambret
59037 Lille Cedex
*** Service d’orthopédie-traumatologie,
Hôpital Dron
155, rue du President Coty
59208 Tourcoing
Sous la direction de Pierre Charbonneau et Michel Wolff, Infectiologie en réanimation.
ISBN : 978-2-8178-0388-3, © Springer-Verlag Paris 2013
393
394 Infectiologie en réanimation

en réanimation de patients porteurs d’une IOA. Seront abordées dans ce


22 chapitre l’antibiothérapie des états septiques sévères liés à une infection
ostéoarticulaire, la gestion de l’antibiothérapie après une chirurgie d’in-
fection sur matériel ostéoarticulaire et l’organisation médicochirurgicale
de la prise en charge de ces patients. Les morsures, les infections chez le
polytraumatisé et les fasciites nécrosantes ne seront pas abordées et nous
limiterons les aspects microbiologiques aux bactéries les plus fréquem-
ment impliquées dans les IOA.

Fig. 1 – Antibiothérapie postopératoire « d’attaque » et « d’entretien » en cas d’infection sur


matériel orthopédique.

Diagnostic

Diagnostic clinique
Le diagnostic d’une IOA à l’origine d’un état septique sévère ne fait
rarement de doute, s’agissant pour la très grande majorité des cas de
structures anatomiques facilement accessibles à l’examen clinique, à la
différence des viscères profonds. L’impotence fonctionnelle, des douleurs
associées ou non à la fièvre et les signes éventuels de sévérité du sepsis
sont les éléments clés du diagnostic clinique. Chez le patient porteur
d’une prothèse articulaire, la présence d’une fistule sur le trajet cicatriciel
signe l’existence d’une infection des implants sous-jacents [1]. En de-
hors du contexte postopératoire, une porte d’entrée doit être recherchée
(geste intra-articulaire, toxicomanie intraveineuse, infection urinaire
Infections ostéoarticulaires (IOA) en réanimation 395

fébrile récente ou toute autre cause de bactériémie avec localisation se-


condaire ostéoarticulaire) ainsi que les antécédents d’IOA et les facteurs
d’immunodépression.

Diagnostic biologique
Il n’y a pas de spécificité de nature biologique de ces états septiques
associés à une IOA par rapport aux infections sévères d’autre origine.

Diagnostic microbiologique
Les IOA peuvent bénéficier dans la plupart des cas d’une documen-
tation microbiologique fiable par la simple réalisation d’une ponction
articulaire qui est l’examen diagnostique de base, et plus inconstam-
ment par les hémocultures. La confirmation définitive sera généra-
lement apportée par l’analyse des prélèvements peropératoires. Il est
habituellement recommandé de ne pas prescrire d’antibiotique avant
tout geste à visée de diagnostic microbiologique de façon à éviter les
résultats faussement négatifs, mais cette règle est difficilement appli-
cable en cas de sepsis sévère ce qui conduit à faire les prélèvements
sous antibiothérapie. Il ne faut pas s’abstenir de faire ces prélèvements
même si des antibiotiques ont déjà été prescrits, car l’inoculum généra-
lement très élevé dans ce type d’infection peut représenter un obstacle
à la stérilisation des prélèvements tissulaires profonds [2]. La notion
d’une antibiothérapie doit être précisée au laboratoire de microbio-
logie ; les techniques de biologie moléculaire ont montré leur intérêt
dans ce type de situations [3].

Microbiologie des IOA


La microbiologie des IOA est dominée par les cocci à Gram positif
(CGP) et notamment les staphylocoques. Staphylococcus aureus prédo-
mine en cas de sepsis sévère et en cas d’infection postopératoire précoce
(survenant dans le mois après l’intervention) [4, 5]. La proportion des
souches résistantes à la méticilline (SARM) est inférieure à 30 % alors
que celle des staphylocoques à coagulase négative (SCN-RM), impliqués
le plus souvent dans les infections chroniques et postopératoires tardives,
dépasse actuellement 50 % [4, 6]. Parmi les autres CGP figurent les strep-
tocoques bêtahémolytiques et viridans, les entérocoques potentiellement
impliqués dans le cadre d’endocardites infectieuses et les corynébactéries.
Les bacilles à Gram négatif peuvent être en cause dans les IOA notam-
ment à la suite de bactériémies d’origine digestive ou urinaire (Escherichia
coli, Proteus spp., Pseudomonas aeruginosa…) ou d’autre origine notam-
ment d’acquisition nosocomiale, et il s’agit dans ces cas de bactéries gé-
néralement hautement résistantes. Les bactéries anaérobies strictes sont
396 Infectiologie en réanimation

dominées par les cocci à Gram positif, notamment Peptostreptococcus spp.


22 et Finegoldia magna [7].

Imagerie
Les examens complémentaires d’imagerie ne doivent pas retarder la
prise en charge médicochirurgicale du patient. La radiographie standard
peut généralement être obtenue sans délai et permet d’évaluer le degré
d’extension aux tissus osseux, de vérifier l’absence de corps étranger et
de gaz dans les tissus et d’objectiver un aspect de descellement bipolaire
très évocateur d’une origine infectieuse en cas de prothèse articulaire.
L’échographie comme le scanner permettent de visualiser les collections
dans les parties molles, avec une préférence pour le scanner qui a l’avan-
tage sur l’échographie de fournir des images anatomiques pouvant être
discutées entre cliniciens et chirurgiens [8]. L’imagerie par résonance
magnétique nucléaire (IRMN) avec injection de gadolinium et les scin-
tigraphies notamment aux leucocytes marqués ont une place très limitée
dans ce contexte d’urgence.

Aspects microbiologiques et conséquences thérapeutiques

Au cours des infections aiguës, les bactéries impliquées sont en phase


de croissance exponentielle et seront donc sensibles à l’action antibio-
tique des molécules, avec pour principales limites le profil de sensibilité/
résistance des souches et le pouvoir de diffusion au sein du tissu osseux
infecté (tableau I). La diffusion dans le liquide articulaire et la membrane
synoviale est généralement bonne en cas d’infection aiguë en raison de
l’inflammation tissulaire qui en résulte [9]. La diffusion au sein de l’os est
généralement plus problématique, à l’origine de ratio sang/os de l’ordre
de 0,2 à 0,4 avec des variations intrafamille d’antibiotiques (tableau I).
La diffusion au sein de l’os cortical est généralement moins bonne que
pour l’os médullaire. Il n’existe pas de réelle barrière entre le sang et le
tissu osseux, et le transfert des antibiotiques est globalement directement
proportionnel aux concentrations obtenues dans le sang. Il faut donc ob-
tenir rapidement, au cours du traitement des IOA, les concentrations
sanguines les plus élevées.
Infections ostéoarticulaires (IOA) en réanimation 397
Tableau I – Pénétration osseuse des antibiotiques (rapport des concentrations osseuses sur
les concentrations sériques).
Molécules (administration intraveineuse) Ratio (%) de concentration os/sérum
Bêtalactamines
– Pénicillines M 10-30
– Céphalosporines 1re/2e génération 10-30
Aminosides 30
Vancomycine 10
Téicoplanine > 10
Fosfomycine 15-20
Triméthoprime-sulfaméthoxazole 20-50
Clindamycine 30-50
Rifampicine 40
Acide fusidique 50
Doxycycline/minocycline 30-100
Fluoroquinolones
– Péfloxacine 30-250
– Ciprofloxacine 30-50
– Ofloxacine 30-50
– Lévofloxacine 25-100

Dans les infections chroniques, en particulier sur matériel, dépas-


sant un mois d’évolution, la suppression du biofilm par l’ablation du
matériel inerte infecté (os nécrotique et/ou matériel) est un prérequis
supplémentaire indispensable pour augmenter les chances de succès
et réduire les risques de récidive infectieuse. En effet, au cours de ces
infections, les dégâts tissulaires osseux, notamment de nécrose avascu-
laire, et les altérations du métabolisme bactérien dans l’environnement
du biofilm rendent l’efficacité de l’action antibiotique très aléatoire.
Ces limitations considérables et inhabituelles de l’action antibiotique
expliquent le rôle prépondérant de la chirurgie dans ce type d’infec-
tion [10, 11].
Les molécules dont la cible est la synthèse protéique ou le processus
d’utilisation ou d’entretien du génome bactérien (rifampicine, fluoro-
quinolones, macrolides, acide fusidique, linézolide) seront les plus à
même d’exercer une action antibiotique significative contre ces bacté-
ries [12, 13]. Les travaux expérimentaux in vitro et ceux menés sur des
modèles animaux ont établi que la rifampicine et la clindamycine en cas
d‘infection à CGP et les fluoroquinolones pour les infections à bacille à
Gram négatif sont les molécules de première intention [14, 15].
398 Infectiologie en réanimation

Antibiothérapie
22
On peut séparer le traitement antibiotique des IOA relevant d’une
prise en charge en unité de réanimation en deux phases distinctes dans
leur chronologie, leurs objectifs et leur composition, la première cor-
respondant au traitement probabiliste et la seconde au traitement do-
cumenté.

Antibiothérapie probabiliste
Les IOA relevant d’une antibiothérapie probabiliste sont surtout les
infections aiguës potentiellement associées à une bactériémie, notam-
ment les arthrites et ostéomyélites (y compris les spondylodiscites) aiguës
avec ou sans matériel, et les infections postopératoires précoces avec réim-
plantation ou irrigation-lavage avec maintien d’un matériel. L’urgence
thérapeutique est liée, pour les premières, à la gravité du sepsis et/ou
des conséquences de la bactériémie éventuellement associée et pour les
secondes, à la nécessité de réduire le temps d’organisation du biofilm qui
peut réduire les chances de guérison sans ablation du matériel infecté.
Dans un cas comme dans l’autre, il s’agit de réduire le risque de (re)
contamination du matériel respectivement laissé en place ou implanté.
Il est souvent nécessaire d’envisager une couverture antimicrobienne la
plus large en raison des difficultés d’obtenir une documentation micro-
biologique fiable avant l’intervention, y compris à l’aide de la ponction
articulaire dont la fiabilité est discutée [16]. Il a été montré récemment,
en dehors du contexte de la réanimation, que le caractère inadapté de
l’antibiothérapie postopératoire immédiate est un facteur d’échec chez
les patients traités pour une infection de prothèse articulaire (IPOA) à
S. aureus [17].
Comme pour toute autre situation relevant d’une antibiothérapie pro-
babiliste, le spectre antimicrobien sera restreint dès que les données des
prélèvements bactériologiques seront disponibles (désescalade antibio-
tique). Dans les deux cas, il s’agit d’un traitement à large spectre, par voie
parentérale à forte dose et bactéricide compte tenu de l’inoculum initial
et de l’activité métabolique bactérienne élevée en cas de sepsis aigu mais
également en cas d‘infection chronique du fait des phénomènes inflam-
matoires locaux à la suite de l’intervention chirurgicale. Au cours de cette
phase, les bêtalactamines, les glycopeptides, la daptomycine et les amino-
sides remplissent les critères requis et sont à ce titre des molécules essen-
tielles pour le traitement probabiliste des IOA.

Arthrite aiguë
Cibles bactériologiques : S. aureus (méticilline-sensibles ou résistants),
streptocoques, entérocoques et entérobactéries (E. coli, Proteus spp.…).
Infections ostéoarticulaires (IOA) en réanimation 399

La ponction articulaire permet de faire le diagnostic d’arthrite très rapi-


dement, et en présence de pus d’envisager sans délai le lavage articulaire
par arthroscopie ou par arthrotomie ± synovectomie. L’antibiothéra-
pie comprend en première intention une C3G avec action anti-CGP
(céfotaxime, ceftriaxone, céfépime) associée à la gentamicine et en cas
d’allergie vraie aux bêtalactamines, ou en cas de suspicion d’infection à
SARM, la vancomycine en administration intraveineuse continue avec
l’objectif d’atteindre des concentrations sériques > 25 mg/L associée à
l’aztréonam ou une fluoroquinolone en cas de contre-indication abso-
lue au bêtalactamines voire la colimycine selon le niveau de résistance
bactérienne suspectée. Le recours à la tigécycline est à envisager en l’ab-
sence d’alternative, en raison des doutes sur son efficacité en cas d’in-
fection sévère [18]. L’association C3G-fosfomycine couvre les CGP y
compris les SARM et les entérobactéries, mais a l’inconvénient d’un
risque d’hypokaliémie majeur et d’un apport sodé élevé et de la préva-
lence non négligeable des souches résistantes à la fosfomycine de sta-
phylocoques à coagulase négative [19], et ne devrait pas être envisagée
en première intention. Les problèmes récurrents ces dernières années
d’approvisionnement de cette molécule limitent également les recom-
mandations pour son utilisation en routine.

Ostéomyélite aiguë
Le traitement probabiliste est identique à celui des arthrites.

Infections de matériel (prothèse articulaire et ostéosynthèse)


postopératoires précoces (≤ 1 mois après l’intervention)
Cibles bactériologiques : idem arthrite aiguë et bactéries multirésistantes.
Les antibiotiques assurant la couverture des CGP doivent idéalement avoir
une action bactéricide sur les bactéries en phase de croissance stationnaire
et sur celles en phase exponentielle compte tenu de la fréquence des bacté-
riémies associées à l’infection des implants, avoir un spectre de couverture
anti-SARM et SCN-RM y compris les souches dont les concentrations
minimales inhibitrices (CMI) aux glycopeptides sont > 2 mg/L, avoir
une bonne diffusion tissulaire y compris le biofilm et être dotés d’un
effet antiadhérentiel. Tenant compte de ces éléments, le linézolide et la
tigécycline ne semblent pas adaptés en raison de leur action uniquement
bactériostatique et de l’absence de démonstration de leur bénéfice (voire
de sur-risque d’échec pour la tigécycline) chez les patients bactériémiques
et/ou avec infection sévère [20-22]. Le spectre de couverture anti-SCN
de la téicoplanine et du linézolide ne semble plus actuellement adapté
au traitement probabiliste des infections sur matériel, en raison d’une
augmentation de la prévalence des souches intermédiaires ou résistantes
notamment pour l’espèce S. epidermidis [23-25]. La vancomycine pose le
problème de son potentiel néphrotoxique chez des patients souvent por-
teurs de facteurs de risque pour cette complication en cas d’IPOA [26].
400 Infectiologie en réanimation

La daptomycine est actuellement le seul représentant disponible de la


22 classe des lipopeptides cycliques dont le mode d’action complexe est
dominé par une action sur la membrane cytoplasmique entraînant une
mort cellulaire sans lyse [27]. Cette molécule présente l’avantage d’une
activité bactéricide plus élevée que celle des glycopeptides sur les SARM,
et comparable à celle des bêtalactamines sur les souches de SASM, ce
qui en fait un antibiotique adapté au traitement probabiliste. La dapto-
mycine a également une action bactéricide sur les bactéries en phase de
métabolisme réduit, un effet antiadhérentiel et diffuse rapidement dans
le biofilm [28-30].
La couverture des entérobactéries est plus difficile à préciser en raison de
l’augmentation de la prévalence des souches à très haut niveau de résistance
(céphalosporinases hyperproduites, efflux, imperméabilité, bêtalactamases
à spectre d’hydrolyse parfois quasi total [bêtalactamases à spectre élargi,
céphalosporinases hyperproduites type AmpC, carbapénémases type
KPC, métalloenzymes type VIM ou NDM, oxacillinases type OXA 48
pour ne citer que les plus fréquentes…]), et l’écologie bactérienne d’un
établissement de santé à un autre est très variable. En l’absence de données
faisant état d’un portage ou d’un antécédent d’infection connus à bactérie
hautement résistante ou de particularités de l’épidémiologie microbienne
locales, il paraît licite de prescrire une céphalosporine de troisième ou
quatrième génération (céfotaxime/ceftriaxone/ceftazidime/céfépime) en
association à l’antibiotique anti-CGP. Des associations de vancomycine
et de carbapénèmes sont utilisées systématiquement par certaines équipes,
mais cette pratique est actuellement en contradiction avec les recomman-
dations de restrictions d’utilisation de telles antibiothérapies compte tenu
de leur impact écologique [31]. L’amélioration des techniques de détec-
tion rapide des marqueurs de résistance serait d’un apport majeur dans la
stratégie d’épargne d’antibiotiques à large spectre dans ce contexte.
Le geste chirurgical dans ce cas est le plus souvent un débridement-lavage
avec changement des parties amovibles en cas de prothèse articulaire, ou
une dépose des implants lorsque les constatations peropératoires sont en
faveur de lésions tissulaires importantes et/ou en cas de non-contrôle du
sepsis. Dans le contexte d’un sepsis sévère, la dépose d’un matériel n’est
généralement pas associée à une réimplantation dans le même temps, et
sera complétée par la pose d’un fixateur externe pour un matériel d’ostéo-
synthèse infecté et d’un espaceur (entretoise) pour une IPOA [1].

Antibiothérapie documentée
Le traitement documenté ne peut être envisagé qu’une fois les résultats
des cultures disponibles, le plus souvent dans la semaine qui suit l’inter-
vention en notant cependant qu’il est recommandé de prolonger la culture
des prélèvements au moins 2 semaines [1]. Cette antibiothérapie a pour
objectif de compléter la stérilisation initiée par la reprise chirurgicale.
Cette phase chirurgicale a une importance primordiale car elle condi-
Infections ostéoarticulaires (IOA) en réanimation 401

tionne l’efficacité du traitement antibiotique. Il faut rappeler ici que l’an-


tibiothérapie encadrant la chirurgie ne doit en aucun cas être considérée
comme pouvant surseoir à une insuffisance du débridement chirurgical.
La composition de l’antibiothérapie d’entretien est établie en fonction des
résultats de la culture des prélèvements fiables, ce qui permet de prescrire
les antibiotiques réputés efficaces dans ce contexte de façon appropriée
(bithérapie comprenant deux agents efficaces) de façon à réduire le risque
d’émergence de mutants résistants ; le choix des molécules doit tenir
compte de la présence possible de bactéries en situation de biofilm (maté-
riel inerte osseux et/ou orthopédique, dégâts tissulaires persistants).

Infection à staphylocoques
Bien qu’il existe un rationnel solide pour privilégier l’utilisation de la
rifampicine au cours des IOA à staphylocoques, cette option thérapeu-
tique doit être envisagée avec beaucoup de prudence dans le contexte
particulier de la réanimation. Le recours à la rifampicine expose en effet
au risque de sélection des mutants nécessairement présents au sein de
l’inoculum souvent élevé dans ce contexte d’infection sévère, et au risque
d’effets secondaires en particulier hépatiques (cytolyse aiguë parfois asso-
ciée à une cholestase ictérique de mauvais pronostic) avec risque d’évo-
lution vers l’hépatite grave qui semble majoré dans ce contexte de sepsis
sévère et/ou de période postopératoire immédiate [32]. Même lorsqu’il
s’agit d’un effet secondaire modéré lié directement à une prescription
trop précoce dans ce contexte, le patient risque d’être déclaré définitive-
ment intolérant (« allergique ») à la rifampicine et de ne plus avoir accès
à cet antibiotique réputé le plus efficace en présence d’un matériel infecté
notamment en association avec une fluoroquinolone [10, 11, 15, 17,
33, 34]. La rifampicine ne doit pas être administrée en cas d’infection à
fort inoculum bactérien, en pratique chez tout patient en sepsis avec hé-
mocultures positives et/ou porteur de collection non drainées y compris
le liquide articulaire infecté. Cet antibiotique ne doit pas être utilisé de
façon probabiliste afin de limiter le risque de sélection de résistance bac-
térienne si le traitement n’en en réalité qu’une monothérapie active par
la rifampicine (compagnon de la rifampicine non actif sur les pathogènes
et/ou dont la cinétique de diffusion au site infecté est insuffisante). En
pratique, le traitement comprenant de la rifampicine ne doit être envisagé
que lorsque le sepsis est contrôlé, les collections drainées, les hémocul-
tures contrôlées négatives et lorsque le dossier microbiologique issu de
prélèvements fiables est complet, de façon à être certain de prescrire un
compagnon approprié à la rifampicine.
Si le profil de sensibilité de la souche l’autorise et en l’absence de contre-
indication, le partenaire de la rifampicine est généralement une fluoro-
quinolone en privilégiant celles non métabolisées par le foie (ofloxacine et
lévofloxacine), en privilégiant la lévofloxacine en raison de ses meilleures
performances pharmacocinétiques [35]. L’association d’une cycline ou
d’un macrolide avec la rifampicine expose probablement au risque de
402 Infectiologie en réanimation

diminution des concentrations sériques du compagnon par l’effet d’in-


22 duction métabolique hépatique lié à la rifampicine et partant, à aug-
menter les risques d’une monothérapie effective par la rifampicine mais
ceci n’a pas été démontré en clinique dans le contexte des IOA. Le choix
d’une bêtalactamine est limité par les caractéristiques de pharmacody-
namie/pharmacocinétique défavorables de cette classe antibiotique. En
cas de souche résistante à la méticilline (SARM, SCN-RM), l’utilisation
des fluoroquinolones est souvent impossible, et le choix se portera selon
l’antibiogramme et le profil de tolérance du patient sur le cotrimoxazole,
l’acide fusidique ou les glycopeptides. La téicoplanine a l’avantage sur la
vancomycine de CMI vis-à-vis de S. aureus régulièrement plus basses et
d’un profil de tolérance notamment rénal plus favorable [36]. Le linézo-
lide ou la daptomycine (qui n’ont actuellement pas d’AMM dans ce type
d‘indication) peuvent être envisagés en l’absence d’alternative.

Infection à streptocoques/entérocoques
Les recommandations actuelles privilégient le recours à l’amoxicilline
voire aux glycopeptides en cas de souches résistantes [1]. Le traitement
de ce type d’infection par les associations comprenant la rifampicine et
une fluoroquinolone à activité élargie sur les CGP (lévofloxacine et moxi-
floxacine) n’est actuellement pas validé.

Infections à bacilles à Gram négatif


Une bithérapie comprenant une céphalosporine de troisième ou qua-
trième génération (ceftriaxone, céfotaxime, ceftazidime ou céfépime) as-
sociée à une fluoroquinolone est recommandée dans ces cas [1]. En cas
d’infection à Pseudomonas sp. ou à entérobactérie du groupe 3 (Entero-
bacter spp., Serratia spp., Providencia stuartii, Citrobacter freundii, Proteus
indole +), une association de ceftazidime ou de céfépime ou d’un carba-
pénème (imipénème, méropénème, ertapénème ou doripénème) avec la
ciprofloxacine ou la lévofloxacine peut être débutée pour une durée de
2 à 3 semaines suivie d’une monothérapie par la fluoroquinolone [37,
38]. L’utilisation de la colimycine est réservée aux infections à bactéries
hautement et expose au risque d’insuffisance rénale. En raison de l’aug-
mentation des bactéries productrices de carbapénèmases impliquées en
pathologie humaine, il est nécessaire de restreindre l’usage des carbapé-
nèmes en les réservant aux situations d’infections avec critères de sévérité
et/ou lorsque le patient est connu porteur de ce type de bactérie [39].
Les aminosides peuvent être utiles pour intensifier la bactéricidie et réduire
rapidement l’inoculum bactérien, mais leur emploi doit tenir compte du
risque de néphrotoxicité induite notamment chez les patients porteurs
d’une insuffisance rénale chronique et chez les patients cirrhotiques.
Infections ostéoarticulaires (IOA) en réanimation 403

Infections à bactéries anaérobies strictes


Le traitement repose sur les bêtalactamines à activité antianaérobie
(amoxicilline-acide clavulanique, pipéracilline-tazobactam, ticarcilline-
acide clavulanique, imipénème, cefoxitine), le métronidazole (excepté en
cas d’infection à Propionibacterium acnes), la clindamycine (tenir compte
de la prévalence des souches de Bacteroïdes du groupe fragilis dépassant
actuellement 30 % [40]), la rifampicine et le linézolide.

Voie d’administration

Le contexte de la réanimation ne facilite pas le recours à une admi-


nistration des antibiotiques par voie orale, et l’anticoagulation prescrite
généralement dans ce contexte contre-indique la voie sous-cutanée ou
intramusculaire. De plus, afin de réduire les situations au cours des-
quelles les antibiotiques peuvent se trouver à des concentrations faibles
proches de la CMI facilitant la sélection de souches résistantes, il est
habituellement recommandé de débuter l’antibiothérapie par voie in-
traveineuse et d’utiliser les posologies maximales telles que celles utili-
sées au cours des bactériémies, en tenant compte des caractéristiques de
pharmacocinétique particulières chez les patients en situation de sepsis
sévère [1].

Conclusions

Le choix et la prescription de l’antibiothérapie de première intention


des IOA sont ceux proposés pour les situations de sepsis sévère. Le recours
à la chirurgie en urgence pour irrigation-lavage d’une articulation native
ou prothétique, d’un matériel d’ostéosynthèse, voire l’ablation du maté-
riel, est à considérer dans la plupart des cas. Tout retard à l’intervention
chirurgicale en raison d’un délai dans l’organisation médicochirurgicale
ou de contre-indications liées à l’état du patient va grever lourdement le
pronostic fonctionnel orthopédique et vital du patient. Les patients les
plus fragiles et/ou les plus sévères relèvent d’une prise en charge dans les
centres de références des infections ostéoarticulaires ou centres associés
lorsqu’un transfert est envisageable.

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Pneumonies acquises sous ventilation mécanique
23
J.-L. TROUILLET, C.-E. LUYT, A. COMBES, J. CHASTRE

Introduction

Les pneumonies acquises sous ventilation mécanique (PAVM) consti-


tuent la première cause d’infection nosocomiale en réanimation, avec une
incidence comprise entre 10 et 40 % [1, 2]. Cette incidence est cepen-
dant variable selon les types d’hôpitaux, et dans un hôpital donné selon
le type d’unité de réanimation. Ce risque est d’autre part directement
dépendant de la durée d’exposition à la ventilation mécanique, évalué
à environ 1 % par jour de ventilation pendant les 10-15 premiers jours
pour baisser ensuite légèrement [3].
En dépit des nombreux progrès qui ont été effectués aussi bien en matière
de diagnostic que de traitement, le pronostic de ce type d’infection reste
très sombre, essentiellement du fait de la gravité de la ou des maladies
sous-jacentes. Les PAVM représentent en effet la première cause de décès
liée à l’infection nosocomiale, et sont à l’origine d’une prolongation de
la durée du séjour hospitalier et d’un surcoût important [1-2, 4]. Leur
prévention est donc un impératif absolu dans le cadre d’une politique
d’amélioration des soins [5, 6].

J.-L. Trouillet, C.-E. Luyt, A. Combes, J. Chastre


Service de réanimation médicale
Institut de cardiologie
Hôpital Pitié-Salpêtrière
43-87, boulevard de l’Hôpital
75651 Paris Cedex 13
E-mail : [email protected]
Sous la direction de Pierre Charbonneau et Michel Wolff, Infectiologie en réanimation.
ISBN : 978-2-8178-0388-3, © Springer-Verlag Paris 2013
407
408 Infectiologie en réanimation

23 Physiopathologie

Par définition, les PAVM surviennent chez un malade ventilé depuis


au moins 48 heures. Elles résultent d’une prolifération microbienne
dans le parenchyme pulmonaire normalement stérile, responsable d’une
atteinte bronchioloalvéolaire avec alvéolite neutrophilique. Cette proli-
fération bactérienne peut être due à des altérations des mécanismes de
défense du poumon profond, à un agent pathogène particulièrement
virulent ou à un inoculum massif. Bien que des PAVM puissent être
acquises par voie hématogène, la grande majorité d’entre elles sont dues
au passage dans les voies aériennes sous-glottiques des germes colonisant
l’oropharynx [1, 2]. De nombreux facteurs ont été identifiés comme aug-
mentant le risque de développer une pneumonie nosocomiale : un âge
élevé, une bronchopneumopathie chronique obstructive, un syndrome
de détresse respiratoire aiguë de l’adulte, la nécessité de poursuivre la ven-
tilation dans les suites d’un arrêt cardiaque, une immunodépression, un
acte chirurgical, l’utilisation d’anti-H2 ou de curares, la survenue d’une
sinusite, une réintubation et/ou le changement fréquent des circuits du
respirateur [1-3, 7].
Chez le malade ventilé, l’étanchéité des ballonnets des sondes d’intuba-
tion n’est jamais totale, permettant de fréquentes micro-inhalations. En
outre, la présence d’une prothèse trachéale altère la muqueuse respiratoire
et la clairance mucociliaire, et gêne la toux. Ces facteurs associés à la pré-
sence d’une sonde gastrique, à l’immobilisation et au décubitus dorsal
majorent considérablement le risque de colonisation trachéobronchique
et de pneumonie chez ces patients. L’étape qui aboutit, chez certains
malades ayant une colonisation de leur arbre trachéobronchique, au déve-
loppement d’une véritable pneumonie reste mal connue. Des altérations
des mécanismes de défense du poumon profond sont fréquemment évo-
quées [1, 2]. La formation d’un biofilm au niveau de la sonde d’intuba-
tion contribue au maintien de la colonisation trachéale et à l’inoculation
du parenchyme pulmonaire [8].
La flore oropharyngée constitue le réservoir majeur des bactéries qui
vont coloniser les voies respiratoires et donc être responsables des infec-
tions respiratoires basses. Normalement, la flore présente au niveau de
l’oropharynx d’un sujet sain est constituée essentiellement par des bac-
téries aéro-anaérobies. Cette flore exerce un rôle de barrière et s’oppose
à la colonisation par des bactéries aérobies, dont certaines ont un fort
pouvoir pathogène. Chez un patient hospitalisé, on observe très rapide-
ment en 2 ou 3 jours une modification de la flore oropharyngée, avec
apparition à ce niveau de bactéries pathogènes et en particulier d’entéro-
bactéries normalement non présentes à ce niveau [9]. Ces modifications
sont directement la conséquence de la maladie de fond et de la pres-
sion de sélection induite sur la flore commensale par l’utilisation d’an-
tibiotiques. L’estomac pourrait également constituer un réservoir pour
les bacilles à Gram négatif, avec lors des reflux un ensemencement de
Pneumonies acquises sous ventilation mécanique 409

l‘oropharynx et de la trachée. L’importance de cette source est cepen-


dant contestée car la majorité des études ayant étudié les cinétiques de
colonisation montrent que la colonisation de l’estomac suit plus qu’elle
ne précède la colonisation de l’oropharynx et des voies aériennes [10].
Beaucoup plus rarement, un mécanisme qualifié d’exogène peut être à
l’origine de l’infection par exemple en cas de contamination du maté-
riel de ventilation, de fibroscopie ou de nébulisation, ou du fait de la
contamination du système de distribution de l’eau, par exemple par des
légionnelles.

Agents responsables

Quelles que soient les techniques de prélèvements utilisées, les


études montrent que la majorité des PAVM sont dues à des bacilles
à Gram négatif (BGN) et/ou des staphylocoques dorés [1, 2, 11]. La
présence de bactéries résistantes est favorisée par l’administration d’une
antibiothérapie dans les jours ou semaines précédant l’épisode, et par
la durée de la prise en charge hospitalière préalable, même si des infec-
tions précoces peuvent être dues à des bactéries difficiles à traiter [12].
D’autres facteurs tels que le fait d’être un traumatisé crânien grave ou
d’être atteint d’une bronchopathie chronique obstructive peuvent favo-
riser certains agents pathogènes. Il existe clairement des variations géo-
graphiques et temporelles dans la répartition des bactéries en cause,
justifiant la nécessité pour chaque centre de connaître sa propre épidé-
miologie [13]. Enfin des phénomènes épidémiques peuvent contribuer
ponctuellement à des taux élevés de bactéries multirésistantes (bouffées
épidémiques de bactéries productrices de bêtalactamase à spectre élargie
par exemple).
La prise en charge de patients sévèrement immunodéprimés (transplan-
tés d’organe, malades d’hématologie, patients VIH) élargit le spectre des
pathogènes possibles. Des travaux plus récents ont montré que des virus
pouvaient être en cause, en particulier lors d’épidémies dans des unités
de réanimation pédiatrique, mais possiblement aussi chez des adultes
ventilés de façon prolongée en raison d’un SDRA ou d’une défaillance
polyviscérale [14, 15]. La présence fréquente de germes anaérobies dans
les infections précoces chez des malades intubés par voie orale a été mise
en évidence par certains travaux, mais les conséquences thérapeutiques ne
semblent pas clairement établies [16].
Enfin, chez des patients immunocompétents, la présence de Candida et de
certaines bactéries (staphylocoques blancs, entérocoques) ne correspond
qu’exceptionnellement à une réelle infection du parenchyme pulmonaire,
et donc ne justifie pas un traitement spécifique [17, 18].
410 Infectiologie en réanimation

23 Mortalité, morbidité

La mortalité des malades développant une PAVM varie de 20 à plus


de 65 % [1, 2]. La mortalité attribuable directement à la pneumonie est
plus difficile à déterminer et l’estimation varie de 0 à plus de 50 %. La
maladie sous-jacente, la sévérité de la défaillance et l’inappropriation du
traitement initial doivent à l’évidence être prises en compte dans l’évalu-
ation du pronostic. Quoi qu’il en soit, la plupart des études cas-témoins
et des analyses multivariables correctement conduites trouvent une sur-
mortalité de l’ordre de 10 %, en particulier lorsqu’il s’agit de pneumonies
dites tardives [19, 20]. Certains germes semblent associés à un pronostic
plus sombre, c’est le cas de Pseudomonas aeruginosa qui peut donner des
tableaux foudroyants en particulier chez les patients immunodéprimés
[20, 21].
La morbidité se traduit par une prolongation de la ventilation mécanique,
comprise entre 7 et 20 jours, et une prolongation du séjour en réanimation
de l’ordre de 5 à 7 jours [4]. Le surcoût est le plus souvent estimé à partir
des durées d’hospitalisation, sans tenir compte spécifiquement du coût
des prélèvements, des antibiotiques et des conséquences sur la survenue
de nouvelles défaillances ou l’aggravation de celles-ci. Il serait supérieur à
10 000 dollars US par patient et représenterait un coût considérable pour
les systèmes de santé, jusqu’à 2 % des journées de réanimation.

Diagnostic

La survenue d’une PAVM doit être suspectée sur l’association d’une


fièvre (pas nécessairement très élevée, T ≥ 38 °C) ou plus rarement d’une
hypothermie, d’aspirations trachéales purulentes, d’une hyperleucocytose
ou d’une leucopénie, et d’une image radiologique « compatible ». Ce
terme volontairement imprécis tient aux difficultés d’interprétation des
radiographies pulmonaires en réanimation. Toute aggravation de l’état
hémodynamique ou respiratoire doit aussi faire envisager le diagnostic
de PAVM. La suspicion peut être difficile dans certaines situations, en
particulier quand il existe des opacités pulmonaires bilatérales ou quand
l’utilisation de traitement rend ininterprétable la courbe thermique (cir-
culation extracorporelle, corticoïdes). Si l’association de ces critères cli-
niques est considérée comme sensible, elle est très peu spécifique.

Les différentes stratégies diagnostiques


Trois stratégies diagnostiques différentes peuvent être individualisées
[2]. La première recommande la réalisation systématique d’une fibros-
copie bronchique, de façon à pouvoir effectuer directement au niveau
Pneumonies acquises sous ventilation mécanique 411

de la zone qui paraît infectée des prélèvements distaux à l’aide d’une


brosse télescopique protégée et/ou d’un lavage bronchoalvéolaire [2]. La
deuxième, à l’inverse, considère que l’aggravation de l’état clinique du
malade justifie en tant que tel un traitement antibiotique quasi systé-
matique, choisi de façon empirique sur les données épidémiologiques
du service et modifié ultérieurement sur les résultats des cultures qua-
litatives des sécrétions endotrachéales [1]. À mi-chemin entre ces deux
stratégies, certaines équipes proposent d’utiliser des protocoles simplifiés
ne nécessitant pas le recours systématique à une fibroscopie, basés soit sur
la réalisation de cultures quantitatives des sécrétions endotrachéales, soit
sur des prélèvements distaux protégés effectués à l’aveugle dans l’arbre
trachéobronchique, sans l’aide d’une fibroscopie.
Quelle que soit la stratégie choisie, celle-ci devrait être capable de répondre
aux trois objectifs suivants :
– pouvoir identifier sans délai et avec une très bonne sensibilité les ma-
lades qui nécessitent un traitement antibiotique. Plusieurs travaux ont
en effet montré que le pronostic des pneumonies nosocomiales était
directement fonction de la précocité avec laquelle les malades rece-
vaient un traitement antibiotique approprié par rapport aux germes
responsables de l’infection [22, 23]. La nécessité d’une réponse rapide
impose que le protocole utilisé ne soit pas basé uniquement sur le
résultat de cultures microbiologiques qui par définition imposent un
délai d’au moins 24 heures ;
– être capable de sélectionner le traitement antibiotique optimal chez les
malades ayant réellement une infection parenchymateuse ; en d’autres
termes être capable d’identifier avec précision les germes responsables
de l’infection et leur susceptibilité aux antibiotiques. À l’heure ac-
tuelle, l’utilisation de techniques microbiologiques classiques basées
sur la réalisation de cultures est la seule solution possible ;
– permettre de ne pas traiter avec des antibiotiques les malades qui n’ont
pas vraiment d’infection pulmonaire. Ce dernier point est très impor-
tant non seulement en termes d’économie de santé mais aussi dans le
but d’éviter l’émergence de souches pathogènes multirésistantes. Du
fait de la gravité qu’il y aurait à méconnaître le diagnostic de pneumo-
nie chez un malade ayant réellement développé une infection, seul un
protocole ayant un taux de faux négatifs très bas peut être utilisé. Si
les résultats sont négatifs, l’équipe soignante doit en effet pouvoir en
toute confiance rechercher une autre cause aux symptômes cliniques
et suspendre toute décision d’antibiothérapie à l’aveugle avant qu’un
autre foyer infectieux potentiel ait pu être détecté et traité.
Comme pour tout autre prélèvement microbiologique, la règle de tou-
jours effectuer les prélèvements avant de modifier le traitement antibio-
tique doit être absolument respectée.
412 Infectiologie en réanimation

Les avantages et les inconvénients de chacune des stratégies


23
La stratégie « clinique » fondée sur les données de l’examen clinique
et les cultures qualitatives des sécrétions trachéales est une stratégie lar-
gement utilisée à travers le monde, car elle est simple et peu coûteuse et
parce qu’elle ne fait guère courir le risque de ne pas traiter un malade
ayant une PAVM. Mais elle a trois inconvénients majeurs. Le premier
est celui de donner une antibiothérapie non justifiée avec les effets délé-
tères induits vis-à-vis du malade et de l’écologie bactérienne de l’unité,
le deuxième est celui de donner une antibiothérapie trop large, avec im-
possibilité de réduire le spectre de l’antibiothérapie, le troisième est le
risque de faire méconnaître la véritable origine de la fièvre ou des nou-
velles images pulmonaires. Enfin, et même si cette stratégie est considérée
comme sensible, elle peut passer à côté d’infection ayant un tableau cli-
nique atypique ou « peu parlant », souvent chez des malades très sévères,
en défaillance polyviscérale.
La stratégie « invasive » est privilégiée par notre équipe : elle comporte
la réalisation immédiate d’un lavage bronchoalvéolaire guidé par fibro-
scopie, avec un examen microscopique immédiat de pastilles de cyto-
centrifugation et une culture quantitative avant toute introduction de
nouveaux antibiotiques. Cette approche est certes plus coûteuse initiale-
ment mais elle a beaucoup d’avantages. L’examen direct des pastilles de
cytocentrifugation permet en effet d’identifier la quasi-totalité des patients
nécessitant un nouveau traitement antibiotique en montrant des germes
extra- et intracellulaires. Il permet aussi d’orienter l’antibiothérapie initiale
en se basant sur les caractéristiques morphologiques des germes colorés
par la coloration de Gram ou de Diff-Quik. Le lavage bronchoalvéolaire
permet également la recherche d’autres agents pathogènes en fonction
du contexte : Pneumocystis, mycobactéries, champignons et levures, virus.
Une telle stratégie, quand elle est respectée, permet de diminuer considé-
rablement la quantité d’antibiotiques en permettant notamment d’arrêter
une antibiothérapie non justifiée ou de réduire le spectre de l’antibiothé-
rapie (désescalade) [24].
Quand les contraintes logistiques ne permettent pas de réaliser une fibros-
copie ou quand l’état du patient est trop grave pour permettre un tel
examen, un protocole dégradé est toujours possible. Il devrait être réalisé
chaque fois que se discute la mise en route d’une antibiothérapie chez un
malade de réanimation, de façon à ne pas passer à côté d’une PAVM. Le
prélèvement est alors réalisé à l’aveugle par simple aspiration des sécré-
tions trachéales proximales, ou par lavage bronchoalvéolaire effectué par
l’intermédiaire d’une sonde d’aspiration de gros calibre bloquée en posi-
tion distale ou d’un combicath. Même si leur sensibilité est probablement
légèrement inférieure, notamment parce que l’on peut manquer la zone
infectée, de multiples travaux ont montré que ces techniques avaient des
performances proches de celles des techniques sous fibroscopie.
Pneumonies acquises sous ventilation mécanique 413

Les cas où le patient est déjà sous antibiotiques


Deux situations doivent être clairement différenciées. La première
correspond à celle d’un malade qui développe un tableau compatible avec
une PAVM alors qu’il reçoit des antibiotiques depuis déjà plusieurs jours,
quelle qu’en soit la raison. Dans ce cas de figure, les bactéries responsables
de l’infection pulmonaire sont en règle résistantes aux antibiotiques que
reçoit le patient, et par conséquent la réalisation de prélèvements pulmo-
naires et leur résultats sont pertinents et valides.
En revanche, si le traitement antibiotique vient d’être instauré ou modifié,
en pratique dans les 48 heures précédentes, le prélèvement pulmonaire a
de fortes chances d’être négatif alors que le malade développe une authen-
tique infection, celle-ci étant décapitée par le traitement instauré avant les
prélèvements. Dans ces conditions, l’interprétation des résultats du lavage
bronchoalvéolaire (LBA), ou de toute autre technique de prélèvement,
est impossible. Chez tout patient en réanimation, il est donc impératif
de réaliser les prélèvements à visée bactériologique (hémoculture, prélè-
vement pulmonaire ou de tout autre site cliniquement pertinent) avant
d’instaurer ou de modifier une antibiothérapie.

Traitement des PAVM

Quand débuter un traitement ?


Les PAVM étant des infections potentiellement graves, elles doivent
être traitées le plus rapidement possible [22, 23]. En revanche, la simple
colonisation des voies aériennes chez un malade ventilé mécaniquement
n’est pas en soi une indication à une antibiothérapie. En pratique, nous
proposons l’arbre décisionnel décrit dans la figure 1. D’autres algorithmes
existent [25, 26]. Le point essentiel est que la démarche diagnostique et
thérapeutique soit définie par un protocole de service et que ce proto-
cole soit adopté et respecté par l’ensemble de l’équipe. Ce protocole doit
comporter dans tous les cas : i) un seuil de suspicion particulièrement bas
chez certains patients à risque (SDRA, immunodéprimés…) ; ii) l’obten-
tion des prélèvements avant toute modification de l’antibiothérapie ou
introduction de nouveaux antibiotiques ; iii) l’obtention d’un examen
direct du prélèvement bronchopulmonaire ; iiii) l’obtention de cultures
quantitatives ou au moins semi-quantitatives ; iiiii) la réévaluation du
traitement empirique initial dès j2 ou j3 pour soit arrêter le traitement si
l’infection n’est pas confirmée, soit réduire le spectre de l’antibiothérapie
en fonction des données de l’antibiogramme.
414 Infectiologie en réanimation

23

Fig. 1 – Exemple de stratégie diagnostique « invasive ».


LBA : lavage bronchoalvéolaire.

L’antibiothérapie probabiliste initiale


Elle doit également être définie par un protocole établi par les méde-
cins du service. Les choix sont fonction de la population prise en charge
dans l’unité, de l’écologie microbienne spécifique du service et des re-
commandations d’experts ou de sociétés savantes. Les schémas thérapeu-
tiques proposés par les experts sont fondés sur le contexte clinique, en
particulier la durée d’hospitalisation ou de ventilation précédant l’épi-
sode, les traitements antibiotiques reçus auparavant par le patient, la co-
lonisation éventuelle par une bactérie multirésistante et les résultats de
prélèvements respiratoires antérieurs [1, 2, 27-29]. Enfin, il est le plus
souvent sage de prescrire un antibiotique dont la classe est différente de
celle de l’antibiotique reçu dans les jours précédents par le malade [30].
Le tableau I donne un exemple de protocole d’antibiothérapie initiale, il
n’est qu’indicatif et doit être adapté à la situation locale.

L’adaptation du traitement et son optimisation


Un traitement optimisé signifie un traitement adapté à la sensibilité
des micro-organismes mais aussi le respect des règles de pharmacociné-
tique et de pharmacodynamie (voie et modalités d’administration, in-
tervalles entre chaque dose, adaptation des posologies en cas d’altération
de la fonction rénale ou hépatique, pénétration dans le tissu infecté…).
C’est aussi donner la molécule adaptée avec le spectre le plus étroit, pen-
dant la durée la plus courte possible sans faire courir le risque d’échec ou
de rechute, et enfin avec le coût le plus faible.
Pneumonies acquises sous ventilation mécanique 415
Tableau I – Propositions d’antibiothérapies initiales en cas de suspicion de PAVM.

Indications Bactéries habituellement Antibiothérapie


en cause empirique initiale
PAVM précoce – Streptocoques – Céfotaxime, ceftriaxone
(< 5-7 jours de VM) – Staphylococcus aureus – ou amoxicilline-
méticilline sensible acide clavulanique
ET – Haemophilus influenzae
– Moraxella catarrhalis – ± une injection
sans antibiothérapie
– Entérobactéries sensibles, d’aminoside si sepsis sévère
préalable ni facteur
anaérobies ou choc septique
de risque
pour la présence
d’une bactérie
multirésistante (BMR)

PAVM tardive – Entérobactéries, Une des 4 bêtalactamines


(≥ 5-7 jours de VM) y compris entérobactéries suivantes :
du groupe 3 (Enterobacter, – Pipéracilline+tazobactam,
ET/OU Citrobacter freundii, – Ceftazidime,
Serratia, Proteus indole +, – Carbapénèmes
avec antibiothérapie
Morganella, Providencia) (imipénème, méropénème,
préalable ou autre
– Entérobactéries BLSE doripénème)
facteur de risque
– Pseudomonas aeruginosa – Céfépime
pour la présence
– Acinetobacter baumannii – ± Amikacine
d’une BMR
– S. aureus méticilline – ± Vancomycine si malade
résistant porteur de SARM, ou forte
– Autres prévalence dans l’unité,
ou venant de soins de suite
/ long séjour, hémodialysé
chronique
– ou patient en état de choc
(et présence de cocci à Gram
positif à l’examen direct)

BMR : bactérie multirésistante ; BLSE : bêtalactamase à spectre étendu ; SARM : ?

Pour les antibiotiques classés comme temps-dépendants, pénicillines et


céphalosporines, le paramètre pharmacocinétique/pharmacodynamique
(PK/PD) important est la fraction de temps situé au-dessus de la concen-
tration minimale inhibitrice (CMI) entre les doses. Cette fraction doit être
largement supérieure à 50 %. Des études récentes ont montré l’intérêt
d’optimiser la durée de perfusion ou même en perfusant de façon conti-
nue l’antibiotique quand la stabilité de la molécule le permet. Pour les
antibiotiques concentrations-dépendants, aminosides, fluoroquinolones,
le paramètre PK/PD le plus important est l’obtention d’un rapport pic
416 Infectiologie en réanimation

d’antibiotique sur CMI supérieur à 8 ou 10 ou un rapport aire sous la


23 courbe/CMI supérieur à 100 ou 125. En pratique quotidienne, ces rap-
ports sont rarement déterminés (ils nécessitent la détermination de la CMI
de l’antibiotique et des concentrations obtenues) mais ils peuvent s’avérer
intéressants devant des infections à germes particulièrement résistants [31].

Monothérapie ou bithérapie
Une association d’antibiotiques permet d’élargir le spectre et peut-être
parfois améliorer l’efficacité thérapeutique en augmentant la vitesse de
bactéricidie. En réalité, peu d’études ont montré un intérêt pronostique
à recourir systématiquement à une bithérapie, en dehors des bactériémies
à Pseudomonas aeruginosa [32]. Quoi qu’il en soit, une association semble
logique initialement en cas de pneumonie tardive ou bien lorsqu’on sait
que le malade est porteur de bactéries multirésistantes. En revanche au-
delà du troisième jour, lorsque le ou les germes ont été identifiés et leur
sensibilité aux antibiotiques disponible, l’utilité de poursuivre une bithé-
rapie n’est pas démontrée [33, 34].

Durée du traitement
Prolonger la durée du traitement au-delà de 8 jours n’est probablement
pas nécessaire, sauf dans de rares cas particuliers [35]. Ainsi les traitements
supérieurs à 8 jours, la règle il y a 15 ans, ne sont encore justifiés qu’en cas
d’abcès du poumon, d’une infection survenant sur un terrain sévèrement dé-
bilité ou immunodéprimé, ou quand l’infection est due à des germes associés
à des taux élevés d’échecs ou de rechutes, tels P. aeruginosa, Acinetobacter bau-
mannii, et Staphylococcus aureus résistant à la méticilline. En pratique, deux
attitudes peuvent se discuter. La première est de décider une durée du trai-
tement « a priori », par exemple 8 jours, sauf cas particuliers comme indiqué
précédemment. L’autre attitude est d’adapter la durée pour chaque patient
en fonction des germes en cause et de l’évolution clinique, en s’aidant éven-
tuellement de l’évolution de biomarqueurs [36]. L’intérêt d’une telle stratégie
a été confirmé par plusieurs méta-analyses d’essais randomisés [37, 38].

Prévention des PAVM

Mesures préventives non spécifiques


Ces mesures essentielles s’intègrent dans un programme général de
lutte contre les infections nosocomiales et concernent l’architecture de
la réanimation, les matériaux, le nombre et la qualité des infirmières,
la formation et la motivation de l’équipe, la surveillance des infections,
Pneumonies acquises sous ventilation mécanique 417

l’entretien du matériel de ventilation, le respect des procédures de soins


et la définition d’une politique d’utilisation des antibiotiques [5, 6]. Une
vaccination annuelle systématique contre la grippe devrait être fortement
recommandée à l’ensemble du personnel. Une politique restrictive trans-
fusionnelle pourrait permettre de diminuer les complications infectieuses
nosocomiales, en particulier respiratoires. Il faut également éviter l’aggra-
vation des lésions respiratoires par une ventilation mécanique trop agres-
sive avec des volumes courants trop élevés.

Mesures préventives spécifiques


La première est la réduction de la durée d’exposition au risque. Plu-
sieurs études ont démontré que la ventilation non invasive, en évitant
la mise en place d’une prothèse endotrachéale, permettait de diminuer
l’incidence des PAVM [39]. Pour les autres malades, toutes les mesures
permettant de raccourcir la durée de la ventilation mécanique sont a
priori bénéfiques, telles que l’interruption quotidienne de la sédation, la
titration de la sédation et de l’analgésie en fonction d’objectifs prédéfinis
et fondée sur le monitorage de scores validés, ou l’application d’un pro-
tocole de sevrage de la ventilation [40].
Plusieurs travaux ont mis en évidence le risque lié à la position stricte
en décubitus dorsal, avec une augmentation très significative de la colo-
nisation bronchique chez ces malades et de l’incidence des pneumonies
[41, 42]. Ces données soulignent l’intérêt de ne pas laisser les malades
en position déclive mais de les positionner le thorax relevé par rapport à
l’horizontale, en particulier en cas d’alimentation entérale. Le contrôle de
la position demi-assise à 45° est cependant difficile à obtenir en pratique
[43].
D’autres mesures concernent directement la gestion des voies aériennes.
Ainsi, le maintien d’un niveau de pression du ballonnet entre 20 et
35 cmH2O diminue les micro-inhalations tout en évitant l’ischémie de
la muqueuse trachéale. Le risque de fuite est moindre avec un ballonnet
en polyuréthane de forme conique. L’application d’une PEP à 5 cmH2O
semble augmenter l’étanchéité des ballonnets. L’efficacité de sondes d’in-
tubation imprégnées d’une substance antiseptique est encore peu étudiée,
mais une sonde recouverte par une substance argentaffine a montré une
réduction de la colonisation trachéale et une baisse de l’incidence des
pneumonies nosocomiales dans un essai randomisé [44]. L’aspiration des
sécrétions oropharyngées sous-glottiques, juste au-dessus du ballonnet, a
montré dans 13 essais randomisés une diminution du risque de dévelop-
per une pneumonie, ainsi qu’une diminution de la durée de la ventilation
mécanique [45]. En revanche, l’utilisation des systèmes d’aspiration clos
ne réduit pas l’incidence des pneumonies, résultat confirmé par des méta-
analyses, et le bénéfice suggéré vis-à-vis du risque de transmission croisée a
été remis en cause récemment. Il est aujourd’hui clairement démontré que
le changement quotidien des circuits du ventilateur n’est pas nécessaire et
418 Infectiologie en réanimation

est même délétère. Le changement systématique du filtre échangeur de


23 chaleur et d’humidité toutes les 48 heures par rapport à un changement
effectué uniquement à la demande ne réduit ni la colonisation trachéo-
bronchique ni l’incidence des pneumonies. Il n’existe pas non plus de
différence en fonction du système de réchauffement et d’humidification
des circuits. Enfin, la réalisation d’une trachéotomie précoce ne réduit pas
l’incidence des PAVM [46].
L’utilisation de médicaments bloquant la sécrétion gastrique (anti-H2 et
inhibiteurs de la pompe à protons) favorise la prolifération microbienne
gastrique et peut constituer un facteur de risque de pneumonie noso-
comiale, bien que ce risque n’ait pas été retrouvé dans un grand essai
multicentrique [47]. Il existe un consensus actuel pour admettre que
les traitements antiulcéreux prophylactiques ne se justifient que chez les
patients à haut risque et pour des périodes courtes. La stabilisation du
patient et la reprise d’une alimentation entérale sont considérées comme
les meilleurs traitements préventifs des ulcérations gastroduodénales, et les
différences dans l’incidence de survenue des pneumonies en fonction du
traitement prophylactique choisi se situent à la marge. Enfin, s’il semble
logique de privilégier l’introduction des sondes gastriques par la bouche,
il n’est pas certain que cette mesure permette de diminuer réellement les
sinusites bactériennes et a fortiori les pneumonies nosocomiales.
La décontamination oropharyngée par application locale d’un antisep-
tique (chlorhexidine ou povidone iodée) ou par des antibiotiques topiques
a pour but de réduire la flore locale considérée comme responsable de
la majorité des pneumonies nosocomiales. Trois méta-analyses évaluant
l’intérêt d’une décontamination du carrefour oropharyngé par des anti-
septiques et en particulier par de la chlorhexidine ont confirmé une
réduction de l’incidence des pneumonies, mais sans réduction de la durée
de ventilation mécanique ni de la mortalité [48]. La décontamination
digestive dite sélective associe des antibiotiques « topiques », combinant
le plus souvent de la polymyxine, un aminoside et de l’amphotéricine B
et une antibiothérapie systémique immédiatement active sur les germes
habituels de l’oropharynx pendant les trois ou quatre premiers jours de
la ventilation mécanique. Cette technique de prévention diminue l’in-
cidence des pneumonies nosocomiales dues à des BGN, en particulier
dans certaines populations de malades (comateux, polytraumatisés, après
certaines chirurgies) et réduirait la mortalité d’environ 5-10 % [49]. Cette
stratégie reste cependant très contreversée du fait du risque d’émergence
de bactéries multirésistantes, même si ce risque semble peu important
dans les unités ayant une endémicité faible [50].

Programme multifacette
Des mesures simples, peu onéreuses et relativement faciles en mettre
en œuvre ont donc montré leur efficacité dans la prévention des PAVM
[27, 51, 52]. En pratique, l’application quotidienne de toutes ces mesures
Pneumonies acquises sous ventilation mécanique 419

est difficile et seul un programme de prévention fondé sur la mise en


place de plusieurs mesures complémentaires (programme multifacette
ou bundle of care) a possiblement une chance de réduire l’incidence des
PAVM [53, 54]. Ce programme multimodal doit forcément impliquer
l’ensemble des personnels concernés y compris la direction de l’hôpital,
car sans une dotation suffisante en personnel et sans son soutien, tout
programme est voué à l’échec. Un effort tout particulier de formation
et d’éducation est bien sûr tout aussi incontournable. À partir de là, la
sélection des mesures spécifiques suivantes qui sont celles qui ont pro-
bablement l’impact le plus grand semble justifiée : soins méticuleux du
carrefour oropharyngé et décontamination par la chlorhexidine, main-
tien des malades en position semi-déclive, entretien correct des circuits
du ventilateur pendant la ventilation en évitant la formation de liquide
de condensation dans les tuyaux par l’utilisation de filtres échangeurs
d’humidité ou de fils chauffants, contrôle régulier de la pression dans le
ballonnet des sondes d’intubation, et réduction de la durée de la ventila-
tion mécanique par l’utilisation de la ventilation mécanique non invasive
chaque fois que possible, et la mise en place de protocoles de sédation et
de sevrage. La mise en place d’une sonde d’intubation permettant l’aspi-
ration de l’espace sous-glottique devrait probablement aussi être réalisée
chaque fois que possible. Ces mesures doivent bien sûr être couplées avec
la désinfection systématique des mains du personnel par des produits
hydroalcooliques avant tout contact avec le patient et une politique rai-
sonnée de l’antibiothérapie évitant l’utilisation des antibiotiques quand
ils ne sont pas justifiés.
L’enjeu pour tout service de réanimation est donc d’être capable de
mettre effectivement en place un tel programme et de vérifier que cha-
cune des mesures est réellement appliquée, jour après jour, 24 heures
sur 24, 7 jours sur 7, ce qui est loin d’être évident. Seule une évaluation
rigoureuse des pratiques professionnelles basée sur des audits répétés et
un feedback immédiat sur l’ensemble du personnel peut probablement
permettre d’atteindre un tel objectif. Quoi qu’il en soit, il paraît illusoire
de penser qu’on puisse atteindre un objectif « zéro pneumonie » en raison
de la gravité des patients, de l’effondrement de leurs défenses immuni-
taires et de la nécessité de poursuivre une ventilation mécanique souvent
de façon très prolongée chez beaucoup d’entre eux.

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Infections de cathéters intravasculaires
en réanimation
24
C. BRUN-BUISSON, J.-J. PARIENTI

Les cathéters intravasculaires sont de plus en plus fréquemment uti-


lisés en réanimation, comme dans les services hors de la réanimation,
pour l’administration de liquides, de transfusions, de médicaments di-
vers, l’alimentation parentérale… Si les infections de ces corps étrangers
intravasculaires sont beaucoup mieux maîtrisées qu’auparavant, elles res-
tent la première cause de bactériémies nosocomiales, et sont responsables
d’une morbidité élevée, sinon d’une mortalité importante. Ainsi, Wenzel
et Edmond [1] avaient estimé en 2006 que prés de 10 millions de jours-
cathéters étaient utilisés aux États-unis, provoquant près de 50 000 bac-
tériémies par an et 17 000 décès ; les estimations plus récentes du groupe
du CDC font état de 15 millions de jours-cathéters et 85 000 bactérié-
mies, mais d’un nombre de décès plus faible et incertain [2]. En France,
le réseau national de surveillance RAISIN-Réa décrit entre 2005 et 2010
un taux d’infection beaucoup plus faible, de l’ordre de 1/1000 jours-
cathéter [3].

Épidémiologie et pathogénie

Le risque d’infection varie sensiblement avec le type de voie intra-


vasculaire. Les voies veineuses périphériques, qui ne doivent rester en
place que moins de 4 jours, sont associées à un risque faible, bien que
leur grande fréquence d’utilisation fasse qu’elles soient responsables d’un
nombre élevé d’infections. La majorité des infections graves sont cepen-
dant dues aux cathéters veineux centraux (CVC) ; les taux d’infection
les plus élevés sont associés aux CVC de courte durée en réanimation
C. Brun-Buisson , J.-J. Parienti
Service de réanimation médicale
Hôpital Henri Mondor
51, avenue de Lattre de Tassigny
94010 Créteil - E-mail : [email protected]
Sous la direction de Pierre Charbonneau et Michel Wolff, Infectiologie en réanimation.
ISBN : 978-2-8178-0388-3, © Springer-Verlag Paris 2013
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424 Infectiologie en réanimation

(notamment pour les cathéters de type Swan-Ganz ou d’hémodialyse)


24 et les plus faibles aux CVC tunnellisés ou implantés. De nombreux fac-
teurs influencent le risque d’infection, associés aux caractéristiques des
patients concernés et des cathéters, à la technique de pose et aux soins
secondaires lors de l’utilisation (tableau I).
Tableau I – Facteurs de risque d’infection de cathéter.

Facteurs liés au patient et au cathéter Facteurs liés aux soins


Présence de foyer infectieux Asepsie lors de l’insertion
Asepsie lors des manipulations
Gravité du patient Type d’antiseptique
Matériau du cathéter Type de pansement
Choix du site d’insertion Mode d’utilisation du cathéter
Technique de pose et expérience de Formation des personnels
l’opérateur
N° d’ordre du cathéter Protocole de pose et de soins
Nombre de voies Surveillance
Durée du cathétérisme

La colonisation des cathéters, préalable habituel à l’infection, peut


survenir par deux mécanismes distincts, qui influencent largement la
conduite diagnostique et préventive [2]. La voie « extraluminale », liée
à la contamination du trajet d’insertion du CVC par des germes de la
flore cutanée (normale ou substituée), est prédominante en réanimation
et pour les cathéters de courte durée. La voie « intraluminale », liée à
la contamination du pavillon du cathéter lors des manipulations et
des soins, prédomine pour les cathéters de longue durée ou implantés
(chimiothérapie, alimentation parentérale…). La voie hématogène est ac-
cessoire, mais non exceptionnelle en réanimation, liée à l’ensemencement
in situ du cathéter par un foyer infectieux distant lors d’une bactériémie ;
elle pose néanmoins le problème de la conduite à tenir vis-à-vis du CVC
lors d’une bactériémie d’autre cause.
Les micro-organismes habituellement impliqués lors des infections
de CVC en réanimation sont originaires de la flore cutanée, notam-
ment les staphylocoques (à coagulase négative plutôt que dorés), les
bactéries à Gram négatif et les levures. À la surface des cathéters intra-
vasculaires, ces bactéries — en particulier les staphylocoques — sont
souvent nichées au sein du « biofilm » constitué de protéines, de fibrine
et plaquettes, et d’une substance polysaccharidique (ou slime) produite
par les bactéries, l’ensemble protégeant les bactéries contre l’effet des
macrophages ou des antibiotiques, expliquant les difficultés fréquentes
à éradiquer l’infection par les antibiotiques seuls lorsqu’on laisse le
cathéter infecté en place.
Infections de cathéters intravasculaires en réanimation 425

Présentation clinique et diagnostic

L’infection de cathéter peut se présenter sous une forme locale ou gé-


nérale. Les infections locales incluent l’infection du site d’insertion du
cathéter, les « tunellites » ou dermohypodermites localisées le long du
trajet du cathéter, ou de la loge d’un cathéter implanté. La présence de
ces signes ou de pus, plus fréquents avec les cathéters périphériques, signe
évidemment l’infection ; cependant, la majorité des infections de CVC
se présentent sans signes locaux francs, autres qu’une éventuelle rougeur
non spécifique limitée autour du point d’insertion du cathéter [4], et
la situation habituelle à laquelle est confronté le clinicien est celle du
diagnostic d’une fièvre sans point d’appel franc chez un malade porteur
d’un CVC.
L’infection généralisée est associée au tableau habituel de sepsis plus ou
moins franc, voire de choc septique, avec ou sans (« sepsis non bactérié-
mique ») hémocultures positives.

Diagnostic, cathéter en place


En l’absence habituelle de signes locaux francs ou de signes de sepsis
grave, le diagnostic ne peut reposer sur les éléments cliniques, peu sen-
sibles ; mais l’ablation des cathéters pour faire le diagnostic d’infection
n’est plus la stratégie recommandée comme c’était le cas il y a quelques
années, la fréquence de ces infections ayant largement baissé. La mise
en culture à visée diagnostique des cathéters cliniquement suspects d’in-
fection — et encore nécessaires aux soins — conduirait en effet à leur
ablation inutile dans trois quarts des cas, avec les inconvénients poten-
tiels d’une nouvelle pose. Cette situation a conduit au développement
des techniques diagnostiques « cathéter en place », que l’on peut appeler
également d’« expectative armée » [5]. Cette stratégie consiste à prélever
par écouvillonnage le site d’insertion du cathéter, méthode de grande
valeur prédictive négative, ainsi qu’à prélever quasi simultanément des
hémocultures centrales et périphériques et à mesurer le différentiel de
temps de pousse en cas de positivité, méthode à haute valeur prédictive
positive (VPP).
Les cultures du site d’insertion du cathéter ont une très bonne valeur pré-
dictive négative (VPN) (> 90 %) en cas de suspicion d’infection [6, 7], et
une infection de cathéter en réanimation, notamment bactériémique, est
exceptionnellement associée à des cultures négatives du site d’insertion.
En revanche, il n’est pas recommandé d’effectuer des cultures systéma-
tiques de surveillance, leur VPP étant modeste [7, 8].
Les hémocultures couplées, centrales et périphériques, ont une excellente
VPP : lorsque les deux hémocultures sont positives et que le délai de
pousse de l’hémoculture périphérique est supérieur de 2 heures ou plus à
celui de l’hémoculture centrale, la probabilité que l’infection soit due au
426 Infectiologie en réanimation

cathéter est très élevée [9, 10]. Cette méthode est dérivée des hémocul-
24 tures pairées cultivées quantitativement [11], où un différentiel de compte
de colonies de 4 à 10 fois est prédictif de bactériémie associée au CVC,
avec une très bonne VPP [12]. Elle est cependant plus complexe et coû-
teuse, et dorénavant peu utilisée depuis l’arrivée des automates à hémocul-
tures. La limite de cette méthode est évidemment la nécessité d’avoir une
paire d’hémocultures prélevées et positives [13], ce qui explique sa faible
VPN. D’autre tests ont été décrits, mais ne sont pas de pratique courante,
tels que le test acridine-orange éventuellement associé à un brossage du
cathéter, dont les sensibilité et spécificité ont été estimées respectivement
à 96 et 92 % [14, 15]. La figure 1 montre la stratégie diagnostique actuel-
lement utilisée en pratique [16].

Fig. 1 – Stratégie diagnostique devant une suspicion d’infection de cathéter (d’après Mermel
et al. [16]).
HC : hémocultures ; CVC : cathéter veineux central ; ABT : antibiothérapie.

Diagnostic avec ablation du cathéter


En présence de signes locaux ou généraux francs d’infection, ou de
positivité des examens précédents en cas de suspicion faible ou modérée,
le cathéter doit être enlevé, ce qui permet de confirmer le diagnostic.
Les méthodes classiques de culture en milieu liquide sont entachées d’un
taux élevé de faux-positifs, ce qui a conduit au développement des cultures
semi-quantitatives ou quantitatives.
La plus répandue des premières est la méthode décrite par Maki en
1977 [17], sur un collectif de cathéters périphériques, où l’extrémité du
cathéter est roulée sur une boîte de gélose. La présence de plus de 15 colo-
nies en culture signe la « colonisation significative » du cathéter, corrélée à
Infections de cathéters intravasculaires en réanimation 427

la présence de signes locaux, avec une bonne sensibilité pour le diagnostic


de bactériémie mais une mauvaise spécificité [12]. Il est également repro-
ché à cette méthode de manquer de sensibilité pour la détection de la
colonisation intraluminale, potentiellement importante pour les cathéters
de durée prolongée [18]. Les méthodes quantitatives après vortexage ou
sonication [19, 20] ont une meilleure sensibilité et spécificité [21], res-
pectivement de 82 et 89 % pour les cathéters de courte durée, et de 83 et
97 % pour des cathéters à durée prolongée.

Traitement des infections associées aux cathéters

Quel que soit le type de cathéter impliqué, l’approche thérapeutique


de ces infections est fonction de la sévérité de la présentation clinique, de
la présence de signes locaux, et des germes en cause, dont dépend égale-
ment l’attitude vis-à-vis du retrait du cathéter.

Le retrait du cathéter
Il s’impose en présence d’un syndrome septique sévère ou choc at-
tribué au cathéter, sans autre porte d’entrée apparente, ou bien en pré-
sence de signes locaux francs (tunnellite, purulence au site d’insertion) ;
un traitement empirique sera également prescrit, adapté aux données
d’un examen direct de prélèvement du site d’insertion. En leur absence,
c’est-à-dire dans la majorité des cas où une infection de cathéter est cli-
niquement suspectée, il est habituel de laisser le cathéter en place sous
surveillance, tandis que l’on obtient les hémocultures pairées et le prélè-
vement du site d’insertion. L’attitude thérapeutique ultérieure est fonc-
tion de l’évolution clinique et des résultats de ces prélèvements (fig. 2).
En l’absence de positivité de ces prélèvements, le cathéter suspect peut
être laissé en place. Si les hémocultures reviennent positives en faveur
d’une infection de cathéter, il faut retirer le cathéter, et administrer les
antibiotiques appropriés au germe impliqué. Les résultats de ces prélè-
vements peuvent s’avérer discordants, avec notamment la seule hémo-
culture centrale positive ; dans ce cas, le cathéter peut être impliqué si
le délai de pousse est bref, de moins de 24 heures. Il faut rappeler qu’un
prélèvement négatif du site d’insertion permet d’éliminer en pratique
l’infection du cathéter. Il est possible de traiter l’infection cathéter en
place en utilisant des « verrous » antibiotiques, lorsque le remplacement
du cathéter est jugé dangereux ou impossible, et que l’infection est due
à un staphylocoque blanc, voire à une entérobactérie ; dans les autres
cas (staphylocoque doré, pyocyanique, levures), cette attitude est dé-
conseillée [16]. Le traitement cathéter en place est rarement utilisable
en réanimation, mais plus souvent en hémato-oncologie ; lorsqu’il est
utilisé pour une infection à staphylocoque à coagulase négative ou à
428 Infectiologie en réanimation

bacille à Gram négatif, il faut se rappeler que le risque de récidive n’est


24 pas négligeable, de l’ordre de 20 % [22, 23].

Fig. 2 – Stratégie thérapeutique devant une infection de cathéter (d’après Mermel et al. [16]), et
après identification du germe.
BLC : bactériémie liée au cathéter ; HC : hémocultures ; CVC : cathéter veineux central ; ABT :
antibiothérapie ; ETO : échographie transœsophagienne.

Le traitement antibiotique
En cas d’infection sévère ou bactériémique, le choix du traitement
empirique initial peut être guidé par l’examen direct du prélèvement
au site d’insertion, ou par l’examen direct du cathéter lui-même [24].
Dans tous les cas d’infection avérée avec bactériémie, il faut s’assurer de
l’absence de thrombophlébite sur la veine perfusée, ainsi que d’endo-
cardite, notamment en cas d’infection à staphylocoque doré ; dans ce
dernier cas, une échographie transœsophagienne est indispensable après
quelques jours de traitement [16], une endocardite étant retrouvée dans
un quart des cas [25]. La présence d’une de ces deux complications,
comme d’une métastase septique — en particulier pulmonaire ou os-
seuse — impose un traitement de 4 à 6 semaines [16]. Dans les autres
cas non compliqués, la durée du traitement antibiotique recommandée
est en général de 7 à 10 jours pour les infections à staphylocoques blancs
ou bacilles à Gram négatif (fig. 2). Cependant, les infections à staphy-
locoques dorés doivent être traitées pour au moins 14 jours, même en
l’absence de complication [16].
L’infection à Candida est de plus en plus souvent observée ; elle est clas-
sique au cours de la nutrition parentérale prolongée et chez les malades
chirurgicaux ou immunodéprimés. L’ablation rapide du cathéter est indis-
pensable, et sa précocité est associée au pronostic [18, 26]. Le traitement
par fluconazole est efficace [27], mais en cas d’incertitude sur l’espèce en
Infections de cathéters intravasculaires en réanimation 429

cause, ou de prise antérieure de fluconazole, il est préférable d’utiliser ini-


tialement une échinocandine.

Prévention des infections de cathéter

Des progrès très sensibles ont été réalisés ces dix dernières années
en matière de prévention, permettant de réduire les taux d’infection à
1/1000 jours-cathéter ou moins, au point que certains experts pensent
possible de réduire ce taux à près de zéro pour les cathéters de brève durée
(7-10 jours) [28].

Mesures préventives indispensables


Si de nombreux facteurs doivent être pris en compte (tableau I), d’où
découle un nombre potentiellement important de mesures préventives, il
est possible de hiérarchiser leur application, comme cela a été proposé par le
groupe HICPAC aux États-Unis [29]. L’utilisation d’un protocole actualisé
de pose et de soins ultérieurs, l’accent mis sur la prévention de la transmis-
sion de micro-organismes par une bonne hygiène des mains, la formation
des personnels et le suivi de l’application des mesures essentielles, notam-
ment par l’utilisation d’une « check-list » sont fortement recommandés.
L’objectif de ces mesures est de s’opposer à la contamination du cathéter
lors de la pose et lors des manipulations ultérieures. S’agissant des cathé-
ters en réanimation, l’accent doit être mis sur les mesures visant à prévenir
la colonisation extraluminale.
Les précautions d’asepsie chirurgicale lors de la pose sont indispen-
sables [30] ; elles comportent l’habillage stérile de l’opérateur, la mise en
place de larges draps chirurgicaux, et une double désinfection cutanée, de
préférence actuellement avec une solution de chlorhexidine alcoolique.
Le choix de l’antiseptique a fait l’objet de nombreux travaux, qui per-
mettent de conclure à la supériorité des antiseptiques en solution alcoo-
lique [31]. La chlorhexidine s’est généralement montrée supérieure à la
povidone iodée [32], sauf dans une étude où une solution à 0,5 % était
comparée à la povidone iodée à 10 % [33] ; des concentrations supé-
rieures de chlorhexidine en solution aqueuse apparaissent nécessaires, et
une solution à 2 % a été recommandée aux États-Unis [29]. Les recom-
mandations les plus récentes des CDC préconisent d’utiliser une solution
de chlorhexidine alcoolique à plus de 0,5 % [2]. Cependant, la solution
alcoolique de chlorhexidine à 0,5 % s’est avérée équivalente à la solu-
tion aqueuse à 2 % et supérieure à la povidone iodée à 10 % [34]. On
manque d’études comparant des solutions alcooliques de chlorhexidine
et de povidone iodée ; une étude a cependant montré la supériorité d’une
solution alcoolique de chlorhexidine à 0,25 % sur une solution alcoo-
lique de povidone iodée à 5 % [35].
430 Infectiologie en réanimation

Le choix du site d’insertion est fonction de diverses contraintes et du


24 risque relatif des différentes complications (infectieuses, hémorragiques
ou mécaniques, thrombotiques). Il est recommandé de privilégier le site
sous-clavier, moins à risque d’infection que les deux autres sites principaux
(jugulaire interne et fémoral) [36], et d’éviter le site fémoral autant que
possible, notamment chez les obèses [37], bien que le risque d’infection
soit globalement équivalent à celui observé avec le site jugulaire interne.
Les cathéters insérés par voie humérale (PICC-line) sont supposés moins
à risque que les autres CVC, mais ceci reste discuté, certains trouvant des
taux d’infection associés à ces cathéters équivalents ou supérieurs à ceux
des cathéters insérés sur d’autres sites [38].
L’ablation rapide des cathéters devenus inutiles est essentielle. Ceci
implique de s’interroger quotidiennement sur la nécessité du maintien
d’un cathéter en place, et la possibilité de son remplacement par une voie
périphérique, voire un traitement oral.
Les pansements ne sont plus refaits qu’à intervalles espacés jusqu’à 5 à
7 jours, ou seulement lorsqu’ils sont souillés ou décollés. Dans ce contexte,
les pansements transparents sont nécessaires, permettant d’observer le site
d’insertion quotidiennement. De nouveaux matériaux imprégnés d’antisep-
tiques sont disponibles, s’opposant à la colonisation du site d’insertion [39].
Timsit et al. ont montré qu’une éponge imprégnée de chlorhexidine pla-
cée sur le site d’insertion du cathéter permettait de réduire de moitié le
risque d’infection, malgré un taux de base déjà faible, à peine supérieur à
1/1000 jours-cathéter [40] ; l’inconvénient est l’absence de visibilité du site
d’insertion, mais des résultats similaires ont été récemment obtenus avec un
pansement-gel transparent imprégné de chlorhexidine.
L’ensemble des « mesures de base », incluant formation des personnels,
utilisation de précautions d’asepsie chirurgicale à la pose, hygiène des
mains renforcée lors des manipulations des voies du cathéter, désinfection
cutanée à la chlorhexidine alcoolique, éviction du site fémoral et abla-
tion des cathéters devenus inutiles, forme le noyau (bundle) des mesures
de prévention [29] ; leur application conjointe a permis de réduire de
deux tiers l’incidence des bactériémies associées au CVC, en ramenant la
médiane du taux d’infection à zéro après 1 an (moyenne réduite de 7,7 à
1,4/1000 jours-cathéters), au cours d’une large étude collaborative impli-
quant plus de 100 unités de réanimation aux États-unis (41).

Mesures complémentaires
À coté de ces mesures de base indispensables en toutes circonstances,
des mesures complémentaires peuvent être utiles lorsque le taux d’infec-
tion reste élevé (en pratique > 1/1000 jours-cathéter) malgré une bonne
observance des mesures précédentes. Celles-ci comportent notamment les
pansements imprégnés mentionnés plus haut, et les cathéters imprégnés
d’antiseptiques ou d’antibiotiques. Ces derniers permettent de réduire de
50 % le taux d’infection bactériémique, et ont un rapport coût-efficacité
Infections de cathéters intravasculaires en réanimation 431

favorable dans des études où les taux de base étaient sensiblement plus
élevés que ceux observés actuellement [42, 43] ; les cathéters imprégnés
d’antibiotiques (minocycline-rifampicine) apparaissent un peu plus ef-
ficaces que ceux imprégnés d’antiseptiques (chlorhexidine-sulfadiazine-
argent) [44-46], probablement en raison d’une durée d’action préventive
plus prolongée, jusqu’à 4 semaines. La crainte d’émergence de résistance,
notamment chez les staphylocoques, avec les cathéters imprégnés d’anti-
biotiques, réelle in vitro [45], n’a pas été confirmée jusqu’ici dans les études
cliniques ; le risque de sélection de Candida a également été souligné. Des
accidents anaphylactiques ont été rapportés au Japon et au Royaume-Uni
avec les cathéters imprégnés d’antiseptiques [45]. Les cathéters imprégnés
d’argent seul n’ont pas fait la preuve de leur efficacité préventive.
Compte tenu de ces réserves, ces cathéters imprégnés sont réservés aux
situations à haut risque d’infection, et pour des cathéters prévus pour res-
ter en place plus de 1 semaine [2, 47].
Contrairement aux cathéters périphériques, il n’est pas recommandé de
changer les cathéters centraux systématiquement à intervalle prédéfini ou
sur guide, cette méthode étant associée à un risque accru de complications
infectieuses ou mécaniques. Le changement sur guide doit être évité [2].
Il peut être rarement utilisé en cas de suspicion faible ou modérée d’in-
fection chez un patient à haut risque de complications mécaniques [48] ;
si le cathéter échangé s’avère positif en culture, un nouveau cathéter doit
être posé sur un site différent.
Les toilettes quotidiennes à la chlorhexidine sont un apport potentielle-
ment utile dans la stratégie préventive globale. Dans deux études, elles
ont permis de réduire le taux de bactériémies associées aux cathéters et
des infections à SARM [49, 50]. Leur utilisation prolongée en routine fait
néanmoins craindre le risque d’émergence de résistance aux antiseptiques,
et leur efficacité apparaît limitée aux bactéries à Gram positif [51].
Les verrous antibiotiques et les pommades aux antibiotiques appliquées au site
d’insertion ne sont pas recommandés, sauf pour les cathéters d’hémodialyse
où ils peuvent être utilisés, notamment en cas d’infections récidivantes [2].

Infections associées aux cathéters veineux centraux utilisés


pour l’épuration extrarénale en réanimation

Bien que les infections liées aux CVC induisent une morbi-mortalité
importante [48], il persiste un débat pour savoir si les mesures de préven-
tion appliquées aux CVC utilisés pour l’administration des traitements
ou le monitoring des patients en réanimation sont également utiles aux
CVC utilisés pour l’épuration extrarénale (EER) [52]. La plupart des
manuels ou des recommandations sur la prévention des infections liées
aux CVC ne font pas de différence en ce qui concerne l’utilisation du
CVC. L’usage d’un CVC pour l’EER est néanmoins le marqueur d’une
432 Infectiologie en réanimation

gravité particulière, puisque forcément associée à une défaillance rénale.


24 Il est bien établi que les patients admis en réanimation et développant
une insuffisance rénale aiguë présentent un risque supplémentaire d’in-
fection nosocomiale [53]. Les durées de cathétérisme habituellement
plus courtes et le recours à une anticoagulation plus fréquente pour les
CVC dédiés à l’EER influencent sans nul doute le risque de complica-
tions infectieuses [54]. De plus, l’étude récente française CATHEDIA
réalisée dans plusieurs réanimations apporte de nouvelles données épi-
démiologiques [37]. En effet, la plupart des données disponibles étaient
issues du monde de l’hémodialyse chronique [55, 56], donc difficile-
ment extrapolables aux patients traités en unité de réanimation. C’est
pour ces raisons que nous avons choisi de traiter des infections liées
aux CVC d’EER de façon séparée, même si certaines parties sont bien
évidemment communes aux CVC utilisés pour l’administration des trai-
tements. Dans cette partie, nous aborderons uniquement les complica-
tions infectieuses des CVC d’EER temporaires de courtes durées, non
tunnellisés, qui représentent la majorité des accès vasculaires réalisés en
réanimation pour l’EER.

Physiopathologie et épidémiologie
La physiopathologie des infections liées aux CVC d’EER est su-
perposable à celle des CVC utilisés pour l’administration des traite-
ments [57], et les deux voies de contamination, intra- et extraluminale
sont possibles. Le principal micro-organisme responsable des infections
liées aux CVC d’EER est le Staphylococcus epidermidis suivi des bacilles
à Gram négatif, du Staphylococcus aureus, des entérocoques, et enfin des
Candida et autres infections fongiques [37, 52, 58]. Dans la première
cohorte publiée décrivant le risque d’infection du CVC selon son type
d’utilisation (pour l’EER versus pour l’administration des traitements),
l’incidence de colonisation n’était pas plus élevée pour les cathéters
d’hémodialyse [52]. Les mêmes résultats ont été retrouvés dans une
autre étude du même groupe, suggérant une épidémiologie similaire
quelle que soit la raison de pose du CVC [58]. La plus importante
étude s’étant intéressée au risque d’infection des CVC d’EER en réani-
mation est l’étude multicentrique CATHEDIA [37]. Dans cette étude,
les principaux facteurs de risque de colonisation des CVC d’EER étaient
l’hypertension artérielle et des taux de lactates artériels élevés, alors que
l’utilisation de CVC imprégnés d’antiseptiques ou le fait de recevoir des
antibiotiques par voie systémique au moment de la pose étaient asso-
ciés à un risque de colonisation significativement plus faible [59]. Les
incidences de colonisation et de bactériémie liées aux CVC étaient res-
pectivement de 39,9 et de 1,9 pour 1000 jours-CVC [59]. Dans cette
même étude, le site d’insertion pour l’accès vasculaire était tiré au sort.
Contrairement à l’hypothèse de départ, le risque de colonisation (ou de
bactériémie) liées au CVC n’était pas plus important pour la voie fémo-
Infections de cathéters intravasculaires en réanimation 433

rale (40,8 pour 1000 jours-CVC) que pour la voie jugulaire (35,7 pour
1000 jours-CVC ; p = 0,31), pourtant considérée comme la voie d’ur-
gence la plus à risque (fig. 3). Ce résultat a d’ailleurs été retrouvé dans
une étude complémentaire analysant le second CVC d’EER inséré dans
le site opposé au premier [60]. Néanmoins, une analyse plus approfon-
die des résultats [37] a mis en évidence une augmentation du risque de
colonisation en voie fémorale comparée à la voie jugulaire chez les pa-
tients obèses (fig. 4). Le résultat de cette analyse en sous-groupes méri-
terait d’être confirmé dans une autre étude. Le mode d’EER (hémodia-
lyse intermittente et hémodiafiltration continue) n’avait pas d’influence
majeure sur le risque de colonisation, après ajustement des groupes par
un appariement sur le score de propension [59]. En revanche, le risque
instantané augmentait de façon importante après le 10e jour chez les pa-
tients ayant débuté l’EER par hémodiafiltration continue (fig. 5) alors
qu’il restait stable pour l’hémodialyse intermittente.

Fig. 3 – Courbes de Kaplan-Meier rapportant la survie sans colonisation des CVC d’EER*.
*Les flèches indiquent les bactériémies liées aux CVC d’EER.
434 Infectiologie en réanimation

24

Fig. 4 – Risque de colonisation du CVC d’EER en fonction de l’indice de masse corporelle (IMC)
selon le site d’insertion (A : jugulaire, B : fémoral).
Infections de cathéters intravasculaires en réanimation 435

Fig. 5 – Risque instantané de colonisation du CVC d’EER selon le type d’EER (IHD : hémodialyse,
CRRT : hémodiafiltration).

Prévention des infections liées aux CVC d’EER


Les recommandations récentes (2011) des sociétés savantes amé-
ricaines pour la prévention des infections liées aux cathéters [2] s’ap-
pliquent également aux CVC d’EER. À côté des mesures générales
de base citées plus haut (chlorhexidine à 2 % pour la désinfection de
la peau et les réfections de pansement, asepsie chirurgicale lors de la
pose, ablation rapide des cathéters devenus inutiles, remplacement des
cathéters sur indication clinique et non de manière systématique) [41,
61], il convient d’éviter la voie sous-clavière pour l’EER, en raison du
risque de sténose.
Des mesures de prévention plus sophistiquées ont été proposées, comme
l’utilisation de CVC imprégnés d’antibiotiques. Le risque d’émergence
des résistances et les coûts limitent l’utilisation de ces dispositifs en
routine. L’utilisation de verrous citratés en prévention de la thrombose
et de l’infection donne des résultats très encourageants [62].
436 Infectiologie en réanimation

Malgré une physiopathologie très similaire aux CVC utilisés pour les
24 traitements, les CVC d’EER présentent certaines particularités. Pour
une prise en charge moderne de l’insuffisance rénale aiguë en réani-
mation, la voie fémorale ne doit pas être systématiquement écartée
au profit de la voie jugulaire interne droite, sauf chez le patient obèse.
Cette stratégie ne semble pas diminuer la qualité de l’EER ni aug-
menter le risque de dysfonction du CVC d’EER [63]. Les mesures de
prévention applicables à tous les CVC peuvent contribuer à limiter
la morbi-mortalité attribuable aux infections associées aux cathéters
d’EER, avec un intérêt particulier pour l’usage du citrate, susceptible
de prévenir à la fois la thrombose et l’infection. Le traitement des
infections liées aux CVC d’EER ne présente pas de spécificité par rap-
port aux autres types de CVC [16].

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Infections digestives à Clostridium difficile :
diagnostic et traitement
25
F. BARBUT, J.-L. MEYNARD, É. MAURY, L. SURGERS, C. ECKERT

Introduction

Depuis la découverte de son rôle dans les colites postantibiotiques en


1978, Clostridium difficile est devenu le principal agent de diarrhées asso-
ciées aux soins. Les souches toxinogènes sont responsables de 10 à 25 %
des diarrhées postantibiotiques et de plus de 95 % des cas de colites pseu-
domembraneuses (CPM). Depuis une dizaine d’années, C. difficile a connu
une évolution épidémiologique tout à fait particulière à travers le monde :
i) de nombreuses épidémies d’infections sévères ont été décrites, ii) l’in-
cidence des infections à C. difficile (ICD) a augmenté dans de nombreux

***
F. Barbut*,**,***** , J.-L. Meynard***,*****, Service des maladies infectieuses et tropicales
É. Maury****,*****, L. Surgers***,*****, Hôpital Saint-Antoine, AP-HP
C. Eckert**,***** 184, rue du faubourg Saint-Antoine
*
Unité d’hygiène et de lutte contre les infections 75571 Paris cedex 12
****
nosocomiales Service de réanimation médicale
Hôpital Saint-Antoine, AP-HP Hôpital Saint-Antoine, AP-HP
184, rue du faubourg Saint-Antoine 184, rue du faubourg Saint-Antoine
75571 Paris cedex 12 75571 Paris cedex 12
E-mail : [email protected] *****
Groupe de recherche clinique n° 2 « EPIDIFF »
**
Laboratoire « Clostridium difficile » associé UPMC Univ. Paris 6
au CNR des Anaérobies et du Botulisme, 27 rue de chaligny
Faculté Pierre et Martie Curie – Site Saint-Antoine 75012 Paris
27 rue de Chaligny
75571 Paris cedex 12
Sous la direction de Pierre Charbonneau et Michel Wolff, Infectiologie en réanimation.
ISBN : 978-2-8178-0388-3, © Springer-Verlag Paris 2013
441
442 Infectiologie en réanimation

hôpitaux d’Amérique du Nord et d’Europe [1], iii) une souche dite « hy-
25 pervirulente » (souche 027/NAP1/BI) a émergé et diffusé rapidement [2,
3], et iiii) davantage d’échecs cliniques ont été rapportés avec le métroni-
dazole [4].
En France, l’incidence des ICD a récemment été estimée à 2,28 cas pour
10 000 patient-jours dans les hôpitaux de court séjour et à 1,14 cas pour
10 000 patient-jours dans les hôpitaux de long séjour/soins de suite et
rééducation (Eckert C., 50th ICAAC, 12-15 septembre 2010, Boston).
En extrapolant ces résultats aux données d’hospitalisations fournies par la
DREES (Direction des recherches des études de l’évaluation et des statis-
tiques) (http://www.sae-diffusion.sante.gouv.fr/) en 2008, le nombre de
cas d’ICD par an est estimé à 24 350 dont 3409 formes sévères (14 %) et
974 décès (4 %).
En réanimation, jusqu’à 40 % des patients développent une diarrhée
au cours de leur hospitalisation [5]. Cette complication représente un
facteur de risque de déshydratation, d’instabilité hémodynamique et
de déséquilibre hydroélectrolytique. La nutrition entérale est la prin-
cipale cause non infectieuse de diarrhée, tandis que l’ICD représente
la principale étiologie infectieuse. L’incidence des ICD en réanimation
est plus élevée que celle de la population générale hospitalière, pouvant
atteindre 4 % des patients hospitalisés [6]. À l’hôpital Saint-Antoine
(hôpital universitaire de court séjour de 750 lits), l’incidence des ICD
en réanimation médicale est d’environ 20 cas pour 100 000 patient-
jours, soit trois fois supérieure à la moyenne globale de l’hôpital (fig. 1).
Environ 10 % des patients de réanimation qui acquièrent une ICD vont
progresser vers une colite fulminante, dont la mortalité peut atteindre
60 % [7, 8].

Fig. 1 – Évolution de l’incidence des infections à Clostridium difficile, Hôpital Saint-Antoine,


2006-2011 (données personnelles).
Infections digestives à Clostridium difficile : diagnostic et traitement 443

Physiopathologie et virulence

La physiopathologie des ICD fait intervenir trois étapes successives : i)


une étape de contamination par ingestion de spores de C. difficile ; ii) une
étape d’adhésion et de colonisation intestinale facilitées par une dysbiose
intestinale souvent occasionnée par une antibiothérapie récente ; iii) une
étape de germination et production de toxines. La réceptivité de l’hôte, et
en particulier son immunité, joue un rôle essentiel. Les travaux de Kyne et
al. ont indiqué que les patients qui ont un faible taux d’anticorps sériques
anti-toxine A sont plus à risque de développer une infection après avoir ac-
quis une souche de C. difficile [9]. Par ailleurs, les patients qui développent,
au décours de l’infection, une réponse immunitaire insuffisante sont égale-
ment plus à risque de faire des récidives [10]. Le rôle de l’immunité a ame-
né les cliniciens à envisager des traitements d’appoint par immunothérapie
passive ou a conduit les industriels à développer un vaccin anti-C. difficile.
Environ 3 % des adultes sont porteurs sains de C. difficile, mais ce taux
peut aller jusqu’à 50 % chez les patients de long séjour après 4 semaines
d’hospitalisation [11]. La fréquence de colonisation est proportionnelle
à la durée d’hospitalisation. En regroupant les résultats de quatre études
longitudinales, Shim et al. ont montré que, parmi les patients sous anti-
biotiques, le risque de développer une ICD est de 4,5 % chez ceux qui
acquièrent C. difficile tandis qu’il n’est que de 1,1 % chez les patients
porteurs asymptomatiques à l’admission (p = 0,02) [12].
Les manifestations cliniques des ICD sont liées à la production, par les
souches toxinogènes, des exotoxines protéiques A et B dans la lumière intes-
tinale. Les deux toxines détruisent le cytosquelette des entérocytes en dépo-
lymérisant les filaments d’actine. Elles induisent une réaction inflammatoire
intense avec une stimulation de la production de cytokines et un recrutement
de polynucléaires au niveau de la lamina propria. L’importance relative de
chacune des deux toxines est encore débattue, car des résultats contradictoires
ont été obtenus en étudiant le pouvoir pathogène des mutants isogéniques de
toxines sur un modèle de colite du hamster : Kuehne et al. ont montré que
chacune des deux toxines séparément peut induire le décès des hamsters [13]
tandis que Lyras et al. suggèrent que la toxine B serait plus importante que
la A dans le développement de la maladie [14]. En clinique, les souches ne
produisant que la toxine B (variants A-B+) peuvent être responsables d’ICD
parfois sévères et ont même été responsables d’épidémies. En revanche, les
souches non toxinogènes (A-B-) sont considérées comme non pathogènes.

Facteurs de risque
Les principaux facteurs de risque d’ICD identifiés dans la lit-
térature incluent la prise récente (< 2 mois) d’antibiotique, l’âge
> 65 ans, la sévérité de la pathologie sous-jacente (présence de co-
444 Infectiologie en réanimation

morbidités), la durée d’hospitalisation et une diminution de l’acidité


25 gastrique [15, 16]. Bon nombre de ces facteurs sont retrouvés chez
les patients de réanimation, expliquant l’incidence élevée des ICD en
réanimation.
Environ 90 % des ICD surviennent au cours ou au décours d’une anti-
biothérapie [17, 18]. Tous les antibiotiques peuvent être impliqués,
mais ceux qui agissent sur la flore anaérobie de barrière (amoxicilline-
acide clavulanique, céphalosporines, clindamycine et plus récemment
les fluoroquinolones de dernière génération telles que la moxifloxacine
ou la lévofloxacine) ont un risque intrinsèque plus élevé. La durée de
traitement antibiotique ou le nombre d’antibiotiques augmentent le
risque d’ICD.
Plusieurs études ont montré que l’administration d’inhibiteurs de
pompe à protons (IPP), parfois utilisés chez les patients de réani-
mation pour prévenir l’ulcère de stress, augmente par deux le risque
d’ICD [19, 20]. L’augmentation du pH gastrique au-delà de 5,5
permettrait aux formes végétatives de C. difficile de survivre et de
coloniser l’intestin. Il a également été montré que les IPP entraînent
une altération du microbiote intestinal favorable à la prolifération de
C. difficile [19].
La nutrition entérale est fréquemment utilisée chez les patients de réa-
nimation, et a été identifiée comme facteur de risque d’ICD. Dans une
étude prospective incluant 152 patients, la nutrition entérale augmentait
de risque d’acquisition de C. difficile de 8 à 23 % et le risque d’ICD de 1
à 9 % [20]. Plusieurs facteurs ont été évoqués pour expliquer ce risque :
contamination des matériels lors de leur manipulation ou altération du
microbiote intestinal.

Manifestations cliniques
Les ICD sont habituellement classées en deux groupes distincts : les
diarrhées postantibiotiques de sévérité variable et les CPM [21, 22]. Les
symptômes surviennent en moyenne entre 3 et 7 jours après le début de
l’antibiothérapie, avec des extrêmes allant de un jour à plusieurs semaines
après la prise d’antibiotiques.
Les diarrhées postantibiotiques « simples » consistent en des diarrhées
fécales (au moins trois selles non formées par jour, sans glaires ni sang
visibles) et nauséabondes sans altération marquée de l’état général.
La présentation clinique des CPM est plus bruyante : elle débute par une
diarrhée liquide abondante (> 7 selles/jours), souvent accompagnée de fièvre
(> 65 %) et de douleurs abdominales (70 %). Une hyperleucocytose et un
syndrome biologique inflammatoire (augmentation de la protéine C réac-
tive [CRP]) sont habituels. À l’endoscopie, la muqueuse colique est recou-
verte de plaques surélevées jaunâtres (pseudomembranes), adhérentes, de 2 à
10 mm de diamètre, éparses ou confluentes selon le stade de la maladie (fig. 2).
Infections digestives à Clostridium difficile : diagnostic et traitement 445

Fig. 2 – Aspect de colite pseudomembraneuse à l’endoscopie.

Les deux principaux défis thérapeutiques auxquels doit faire face le cli-
nicien sont la prise en charge des formes compliquées d’ICD et celle des
récidives multiples.
La colite fulminante et le mégacôlon toxique représentent les principales
complications nécessitant une prise en charge médicochirurgicale. Elles
surviennent chez environ 10 % des patients [23]. Les manifestations sys-
témiques comprennent une altération profonde de l’état général, avec une
diarrhée profuse et un abdomen tendu et douloureux, une déshydrata-
tion pouvant évoluer secondairement vers le choc hypovolémique. Une
hyperleucocytose > 20 000/mm3 est fréquente. Lorsque le diamètre du
côlon transverse dépasse 6 cm sur le cliché de l’abdomen sans prépara-
tion ou à l’examen tomodensitométrique, on parle de mégacôlon toxique.
Dans ce cas, la diarrhée peut être absente. Le scanner abdominal montre
un épaississement des haustrations en « accordéon » dans 7 à 15 % des
cas [24]. Il permet également de diagnostiquer la présence d’une ascite, qui
est un bon marqueur de sévérité de la colite, en association en général avec
une hypoalbuminémie marquée (< 15 g/L) [25, 26]. Enfin, le scanner per-
met de déceler les perforations coliques en péritoine libre, qui constituent
une indication chirurgicale formelle de colectomie subtotale en urgence.
De nombreuses équipes ont tenté d’établir un score clinique prédictif d’une
évolution sévère, si possible facile à calculer au lit du malade au moment
du diagnostic, dans l’espoir de mieux ajuster les traitements et de diminuer
le risque de mortalité ou d’évolution vers des formes compliquée. En pra-
tique, aucun de ces scores n’est actuellement validé et recommandé.
Les récidives d’ICD sont fréquentes (20 %) et représentent un défi thé-
rapeutique majeur. Certaines études ont suggéré que le taux de récidives
avait tendance à augmenter ces dernières années [4, 27], sans doute en
relation avec une augmentation de la sévérité des ICD et la diffusion de la
souche épidémique BI/NAP1/027. Les récidives sont liées soit à la persis-
tance, malgré un traitement efficace, de la souche responsable de l’épisode
initial dans le tube digestif sous forme sporulée (rechute), soit à l’acquisi-
tion d’une souche différente (réinfection) [28]. Les rechutes surviennent en
général dans les 15 jours suivant le premier épisode, tandis que les réinfec-
tions sont plus tardives. Les facteurs de risque de récidive comprennent un
âge > 65 ans, l’administration concomitante d’antibiotiques, la sévérité de
la maladie sous-jacente (index de Horn) et la durée prolongée d’hospitali-
sation [29]. Un autre facteur particulièrement prédictif de rechutes est la
faible réponse immunitaire après un premier épisode [10, 30].
446 Infectiologie en réanimation

25 Diagnostic

Un diagnostic rapide, sensible et spécifique est indispensable pour (i)


démarrer un traitement adapté de l’ICD et éviter des traitements empi-
riques inutiles, (ii) prévenir la transmission nosocomiale en mettant en
place les précautions « contact » et (iii) obtenir des données épidémiolo-
giques fiables.
Le délai entre l’apparition des symptômes et la confirmation du diagnos-
tic d’ICD peut être de plusieurs jours, et le retard d’une prise en charge
appropriée peut conduire à une détérioration de l’état du patient et à la
dissémination des souches à d’autres patients.
Une ICD est habituellement définie comme un tableau clinique compa-
tible (diarrhée ou iléus) et (i) soit la preuve microbiologique de la présence
d’une souche de C. difficile productrice de toxines dans les selles sans autre
cause évidente de diarrhée, (ii) soit la présence de pseudomembranes au
cours d’un examen endoscopique ou histologique (après biopsie, colecto-
mie ou lors de l’autopsie) [31].
La diarrhée (correspondant à des selles de types 5 à 7 sur l’échelle de Bris-
tol et une fréquence de selles perçue comme trop élevée par le patient) est
la manifestation habituelle de l’ICD, mais elle peut être absente en cas
d’iléus ou de mégacôlon toxique [31].

Diagnostic endoscopique
La détection de pseudomembranes au cours de l’examen rectosig-
moïdoscopique ou colonoscopique est pathognomonique d’ICD. Dans
plus de deux tiers des cas, les lésions intéressent notamment le rectum et
peuvent donc être vues par une simple rectoscopie au tube rigide. Dans
10 % des cas, les lésions ne touchent que le côlon droit et ne sont ac-
cessibles que par une colonoscopie. Le diagnostic endoscopique est une
méthode qui manque de sensibilité ; en effet, les pseudomembranes ne
sont pas toujours présentes dans les cas d’ICD modérées ou au début de
la maladie. Un résultat négatif ne permettra donc pas d’exclure une CPM
ou une ICD. L’endoscopie est par ailleurs invasive, et le risque de perfo-
ration en cas de colite fulminante est réel. Le diagnostic endoscopique
peut s’avérer utile dans certaines situations lorsqu’un diagnostic rapide
est nécessaire (en cas d’iléus par exemple), dans les formes fulminantes,
pour confirmer une ICD lorsque les résultats de laboratoire ne sont pas
concluants ou pour exclure d’autres pathologies qui pourraient coexister.

Diagnostic microbiologique (fig. 3)


Seules les souches toxinogènes de C. difficile étant pathogènes, le dia-
gnostic microbiologique repose sur la mise en évidence soit (i) des toxines
ou des gènes codant les toxines de C. difficile directement à partir des selles
Infections digestives à Clostridium difficile : diagnostic et traitement 447

Fig. 3 – Cibles et interprétation des principales méthodes diagnostiques.

diarrhéiques, soit (ii) du caractère toxinogène d’une souche isolée en culture.


Seules les selles diarrhéiques (selles prenant la forme du récipient) doivent
être analysées (sauf en cas de suspicion d’iléus) en sachant que la « règle des
3 jours », qui consiste à rechercher une ICD devant toute diarrhée nosoco-
miale, et ce quelle que soit la demande du clinicien, est recommandée [32].
Il est important de préciser que la répétition des tests diagnostiques en
situation d’endémie n’est pas recommandée (risque de faux positif lié au
manque de spécificité des tests) ainsi que le contrôle après traitement (le
portage de C. difficile et de ses toxines chez un patient guéri cliniquement
peut persister quelques jours). De nombreuses méthodes sont actuellement
disponibles pour faire le diagnostic d’ICD. On distingue les méthodes
dépistant les toxines libres dans les selles, de celles qui reposent sur la mise
en évidence d’une souche toxinogène de C. difficile (fig. 3). La méthode
diagnostique idéale devrait être sensible (donner un résultat positif pour
les patients atteints d’ICD), spécifique (donner un résultat négatif pour les
patients non infectés), rapide, simple à réaliser et peu coûteuse. Aucune des
méthodes actuelles ne combine l’ensemble de ces caractéristiques.
Le test de cytotoxicité des selles qui consiste à inoculer un filtrat de selles
sur des cellules en culture et à observer un effet cytopathogène principale-
ment dû à la toxine B, est la méthode de référence historique [32]. Cette
méthode est sensible et très spécifique pour détecter les toxines libres dans
les selles mais manque de standardisation. Elle nécessite une infrastructure
adaptée à la culture cellulaire et est longue (24 à 48 heures).
La culture toxigénique consiste à isoler une souche de C. difficile en culture
sur un milieu sélectif puis à déterminer in vitro son pouvoir toxinogène. Elle
est le « gold standard » actuel auquel sont comparées toutes les nouvelles
méthodes diagnostiques [33]. La culture toxigénique est une méthode longue
mais très sensible et permet de documenter la toxigénicité des souches dans
les situations où les toxines libres n’ont pas été détectées. La principale limite
de ce test est de détecter des patients porteurs d’une souche toxinogène de
C. difficile mais dont la diarrhée est due à une autre cause. L’interprétation du
448 Infectiologie en réanimation

résultat peut s’avérer délicate, notamment chez les patients hospitalisés depuis
25 longtemps dont le taux de portage peut atteindre 20 à 30 %. S’il est vrai
que l’isolement d’une souche toxinogène ne prouve pas formellement que le
patient est infecté, il n’en demeure pas moins la cause la plus probable [34].
Gerding et al. ont montré que 11 % des patients diarrhéiques porteurs d’une
souche toxinogène et pour lesquels la présence de toxine dans les selles n’a
pu être mise en évidence, présentaient des pseudomembranes à l’endosco-
pie témoignant d’un réel processus infectieux [34]. Plus récemment, il a été
montré que les tableaux cliniques des patients atteints d’ICD chez lesquels
la toxine libre est retrouvée dans les selles (test immunoenzymatique positif)
ne différaient pas de ceux chez qui elle n’était pas retrouvée (test immunoen-
zymatique négatif) [35]. La culture est, par ailleurs, nécessaire pour pouvoir
typer les souches lors de l’investigation de cas groupés ou de formes sévères
et détecter l’émergence de nouveaux clones. La culture permet également
d’étudier et de surveiller la sensibilité aux antibiotiques.
La glutamate deshydrogénase (GDH) est une enzyme produite par les
souches de C. difficile. Si la détection de la GDH permet d’affirmer la
présence de C. difficile, elle ne permet pas de renseigner le caractère toxi-
nogène de la souche, qui devra être déterminé par une autre méthode. La
recherche de la GDH est actuellement utilisée comme méthode de dépis-
tage : un résultat négatif permet d’écarter le diagnostic d’ICD car la valeur
prédictive négative (VPN) de ce test est excellente (> 99 %).
Les tests immunoenzymatiques qui détectent les toxines A et B directement
à partir des selles sont largement utilisés par les laboratoires du fait de leur
rapidité. Les différentes recommandations récemment publiées s’accordent
à dire que ces méthodes, qu’elles soient réalisées en plaque ou par immu-
nochromatographie (tests unitaires), manquent de sensibilité et ne doivent
plus être utilisées comme seules méthodes diagnostiques [32, 33, 36].
Depuis 2009, de très nombreuses méthodes moléculaires ont été commercia-
lisées ; elles permettent de détecter les gènes des toxines directement dans les
selles. Ces méthodes sont basées sur des techniques de réaction de polyméri-
sation en chaîne en temps réel (PCR-TR) ou sur des techniques d’amplifica-
tion isotherme de l’ADN facilitée par boucle (loop-mediated isothermal DNA
amplification, LAMP). Certains tests ciblent une partie conservée du gène
de la toxine A (IllumigèneTM C. difficile, Illumigène C. difficile, Meridian
Bioscience), d’autres une région conservée du gène de la toxine B (BDGe-
neOhm C. diff, BD, ProGastro Cd, Prodess). RIDA®GENE (R-Biopharm)
est un test de PCR en temps réel qui permet la détection de fragments de
gènes spécifiques de C. difficile et de ses toxines A et B dans les selles. Enfin,
le test commercialisé par Cepheid, XpertTM C. difficile, permet la détection
simultanée des gènes codant la toxine B, la toxine binaire ainsi que la délé-
tion en 117 sur le gène tcdC, marqueur présomptif de la souche épidémique
027. Ces méthodes moléculaires sont à la fois rapides et sensibles [32]. Leur
utilisation comme outil diagnostique semble très prometteuse mais nécessite
plus de recul avant de pouvoir être recommandée en routine [33]. Les limites
de ces méthodes sont leur coût souvent prohibitif et leur manque de spé-
cificité relatif à la possible détection de patients porteurs asymptomatiques
Infections digestives à Clostridium difficile : diagnostic et traitement 449

de souches toxinogènes. Les toxines libres n’étant pas détectées, un résultat


positif est à interpréter en tenant compte de l’histoire clinique du patient.
En effet, le portage asymptomatique d’une souche de C. difficile toxinogène
est proportionnel à la durée d’hospitalisation et la diarrhée est un symptôme
relativement courant, en particulier chez les personnes âgées (prise d’antibio-
tiques fréquente, laxatifs, exposition à certains virus comme les norovirus).

Quelle stratégie adopter ?


Ces dernières années, plusieurs recommandations ont été publiées par
les Européens sous l’égide de l’European Society of Clinical Microbiology
and Infectious Diseases (ESCMID) [32] par les Américains sous l’égide
de la Society for Healthcare Epidemiology of America (SHEA), de l’Infec-
tious Diseases Society of America (IDSA) [33] et de l’American Society for
Microbiology (ASM) (http://www.asm.org/asm/images/pdf/Clinical/clos-
tridiumdifficile9-21.pdf), et par les Australiens sous l’égide de l’Austra-
lasian Society for Infectious Diseases (ASID) [36]. Différents algorithmes
de diagnostic en deux ou trois étapes ont été proposés, afin de combiner
sensibilité, spécificité, rapidité et moindre coût. Ces algorithmes reposent
habituellement sur un premier test ayant une excellente VPN comme la
détection de la GDH. Un résultat négatif permet d’exclure le diagnostic
d’ICD, tandis qu’un résultat positif doit être confirmé par une autre mé-
thode détectant les toxines ou leurs gènes.

Traitement

Sensibilité aux antibiotiques


La réalisation de l’antibiogramme de C. difficile n’a pas d’intérêt pour
guider le traitement des ICD, car les souches sont habituellement sen-
sibles au métronidazole ou à la vancomycine [37]. De très rares souches
de C. difficile présentent une sensibilité diminuée au métronidazole [37-
39] voire à la vancomycine, mais il n’a jamais été montré que de telles
souches étaient associées à davantage d’échecs cliniques ou de récidives.
En revanche, l’antibiogramme, en tant que marqueur phénotypique, peut
avoir un intérêt dans le cadre d’études épidémiologiques. Par exemple,
une corésistance à l’érythromycine et aux fluoroquinolones oriente vers
l’identification d’une souche épidémique 027 (diagnostic présomptif ).

Mesures générales
Des recommandations concernant le traitement des ICD ont été pu-
bliées sous l’égide de l’ECDC/ESGCD (European Centers for Disease
Control/European Study Group on C. difficile) et de la SHEA/IDSA [32, 33].
450 Infectiologie en réanimation

Ces recommandations soulignent l’importance de la restauration rapide du


25 microbiote intestinal comme élément clé de la guérison des patients.
De façon générale, le traitement des ICD comprend la rééquilibration
hydroélectrolytique quand elle est nécessaire et, si possible, l’interruption
du ou des antibiotique(s) inducteur(s) ou leur modification pour un anti-
biotique à moindre risque. Dans le cas de formes bénignes d’ICD, le simple
retrait de l’antibiotique inducteur permet une amélioration clinique dans
15 à 20 % des cas et aucun traitement spécifique n’est alors nécessaire [40,
41]. En pratique, le retrait de l’antibiotique n’est pas souvent possible.
Il est recommandé d’arrêter tout agent ralentisseur du transit (lopéramide,
diphénoxylate) qui, en favorisant la stase toxinique, peut entraîner une
aggravation du tableau clinique (mégacôlon).
Il n’y a pas d’indication à traiter les porteurs asymptomatiques. D’une
part, le métronidazole et la vancomycine se sont avérés inefficaces pour
éradiquer définitivement le portage [42] et, d’autre part, tout traitement
antibiotique, y compris avec le métronidazole ou la vancomycine, entraîne
une dysbiose intestinale et favorise la survenue d’une ICD.

Traitement d’un premier épisode


Traitements conventionnels (fig. 4)

Fig. 4 – Schéma simplifié du traitement des ICD en fonction de la présentation clinique


(d’après [31, 33]).

Le traitement est guidé par la sévérité de l’infection. Néanmoins, la


définition d’une infection sévère n’est pas consensuelle et varie selon les
Infections digestives à Clostridium difficile : diagnostic et traitement 451

recommandations. Par ailleurs, une séparation entre les formes peu sé-
vères et sévères demeure quelque peu subjective et artificielle, compte
tenu du continuum des présentations cliniques de l’infection.
Si l’efficacité clinique d’un traitement par métronidazole ou vancomycine
était considérée dans les années 1990 comme équivalente, les études pros-
pectives les plus récentes tendent à montrer que les échecs thérapeutiques
avec le métronidazole sont plus fréquents qu’avec la vancomycine [4, 27].
Le métronidazole (500 mg × 3/j, 10 jours) per os est recommandé à l’heure
actuelle comme traitement de première intention des diarrhées simples et des
colites peu sévères à C. difficile. Rapidement absorbé par la muqueuse diges-
tive, le métronidazole peut être responsable d’effets secondaires (nausées,
vomissements, goût métallique, éruption ou rash cutané, effet antabuse lors
de prise d’alcool, neuropathie périphérique en cas de traitement prolongé).
La vancomycine per os est indiquée soit pour les patients présentant une
symptomatologie d’emblée sévère, soit pour ceux qui ne répondent pas
au métronidazole ou qui ont une intolérance à cet antibiotique. La van-
comycine s’est avérée plus efficace que le métronidazole pour les formes
sévères d’infections dans deux études indépendantes prospectives rando-
misées en double aveugle [43]. Administrée per os, la vancomycine n’est
pratiquement pas absorbée par la muqueuse digestive et n’a pas les effets
secondaires néphrotoxiques pouvant être observés lors d’un traitement
IV. Les inconvénients de la vancomycine comprennent son coût supé-
rieur au métronidazole, l’absence de vancomycine en France dédiée à la
forme orale et le risque potentiel de sélection d’entérocoques résistants à
cet antibiotique.
Dans le cas où l’administration per os est difficile ou impossible (vomisse-
ments ou chirurgie abdominale récente, iléus), le métronidazole peut être
administré en IV (500 mg/8 h). L’élimination biliaire de cette molécule
et son exsudation dans la lumière du côlon à partir du compartiment
sanguin sont suffisantes pour atteindre des taux thérapeutiques dans la
lumière colique.
En cas de formes compliquées, la vancomycine par voie entérale (lave-
ment, sonde nasogastrique) peut être ajoutée au métronidazole IV et la
perfusion d’imunoglobulines doit être discutée [44].
La chirurgie doit être envisagée en cas de perforation, de mégacôlon
toxique, de péritonite avec défaillance organique ou d’échec du traitement
médical. C’est un traitement de sauvetage, consistant en une colectomie
subtotale avec double stomie (iléostomie et sigmoïdostomie). La mortalité
périopératoire de cette chirurgie sur des terrains très débilités est élevée,
allant jusqu’à 50 % [45].
L’efficacité d’un traitement repose sur des critères cliniques (amélioration
de la symptomatologie digestive) et biologiques (diminution très précoce
en cas d’efficacité thérapeutique du taux sérique de CRP). La réalisation
d’une coproculture de contrôle à l’issue du traitement est déconseillée,
car environ 30-40 % des selles de patients guéris cliniquement peuvent
encore être positives à C. difficile pendant plusieurs jours, voire plusieurs
semaines.
452 Infectiologie en réanimation

Nouvelles perspectives
25 La fidaxomicine (Astellas) appartient à une nouvelle classe d’anti-
biotique macrocyclique à 18 atomes de carbone. La fidaxomicine a
récemment été approuvée par la FDA et l’EMA et est actuellement
commercialisée aux États-Unis. Elle présente un spectre d’activité
étroit (bactéries à Gram positif ) et une faible absorption digestive
(même en cas d’inflammation colique). Elle agit en inhibant l’ARN
polymérase et possède une activité bactéricide. Les CMI de la fidaxo-
micine varient de 0,015 à 0,25 μg/mL avec une CMI90 de 0,125 μg/
mL [46]. Deux études internationales randomisées double aveugle de
phase III (essai 003 en Amérique du Nord et 004 en Europe et Amé-
rique du Nord) comparant un traitement par la fidaxomicine à la van-
comycine (125 mg × 4/j, 10 jours) ont montré que l’efficacité clinique
de la fidaxomicine à la fin du traitement est équivalente à celle de la
vancomycine (fig. 5) mais que le traitement par fidaxomicine entraîne

Fig. 5 – Résultats des essais cliniques de phase III (études 003 et 004) comparant la fidaxomicine
à la vancomycine [47, 48].

significativement moins de rechutes à 28 jours [47, 48]. Par ailleurs,


le temps de résolution de la diarrhée est plus court et la sélection d’en-
térocoques résistants à la vancomycine est moins fréquente par rap-
port au bras vancomycine (31 % vs 7 % au cours de l’essai 003 de
phase III).

Autres traitements antibiotiques


D’autres traitements antibiotiques ont été envisagés, mais aucun
d’entre eux n’a montré un bénéfice clinique supérieur aux traitements
conventionnels.
Infections digestives à Clostridium difficile : diagnostic et traitement 453

La téicoplanine (100 à 200 mg, 2 fois par jour) a montré une efficacité
clinique équivalente à celle de la vancomycine. Si initialement il a été
montré que la téicoplanine entraînait moins de rechutes que la vancomy-
cine, ce résultat n’a pas été confirmé par la suite.
La bacitracine présente une bonne activité in vitro sur C. difficile et est
faiblement absorbée par la muqueuse digestive. Cependant, les résultats
des études cliniques ont montré une efficacité de l’ordre de 83 % et sur-
tout un taux de rechutes supérieur à 34 %.
L’acide fusidique (0,5 à 1 g par jour, pendant 7 à 10 jours) a été utilisé
avec succès pour traiter certains cas de diarrhées ou colites à C. difficile,
mais l’expérience clinique reste limitée.
Des dérivés de la rifamycine (rifampicine, rifaximine et rifalazil)
ont montré une excellente activité in vitro sur les souches de C. dif-
ficile (CMI90 de la rifaximine = 0,015 mg/L) [46]. Néanmoins, des
résistances à haut niveau (CMI > 256 mg/L) semblent émerger assez
rapidement au cours du traitement. Une étude pilote randomisée en
double aveugle de phase III visant à évaluer l’efficacité de la rifaxi-
mine (400 mg × 3/j, 20 jours), administrée à la suite d’un traite-
ment conventionnel par vancomycine ou métronidazole, a montré
une réduction (non significative) du taux de récidive (31 % vs 15 %,
respectivement ; p = 0,11) [49].
La nitazoxanide agit en bloquant les voies du métabolisme anaérobie.
Elle présente une excellente activité in vitro sur les souches de C. dif-
ficile (CMI90 = 0,125 mg/L) [46]. Un essai randomisé double aveugle
comparant la nitazoxanide (500 mg × 2/j, 7 jours) au métronidazole
(250 mg × 4/j, 7 jours) a montré des taux équivalents de guérison cli-
nique et de rechutes. Ces résultats encourageants ont été récemment
confirmés en utilisant la vancomycine comme comparateur [50, 51].

Molécules en développement (tableau I)


Tableau I – Nouveaux traitements et approches expérimentales des infections à C. difficile [57, 61].

Molécule Description Phase de développement


ou composé
Fidaxomicine Antibiotique macro- Approuvé par l’EMA et la FDA
cyclique
Rifaximine Dérivé de la Utilisation hors AMM pour les récidives
rifamycine indiqué d’ICD
pour la diarrhée Étude pilote chez les patients ayant
du voyageur une ICD résistant au traitement par
métronidazole
Nitazoxanide Antibiotique de la Études cliniques avec nombre limité
famille des thiazolides de cas montrant une efficacité similaire
Utilisé comme antipa- au métronidazole et à la vancomycine
rasitaire
454 Infectiologie en réanimation

Molécule Description Phase de développement


25 ou composé
Ramoplanine Antibiotique de la Phase III ?
famille des glycoli-
podepsipeptides
LFF571 Antibiotique apparte- Phase II (NCT01232595) *
nant à la famille des
thiopeptides
CB-183,315 Antibiotique Phase III prévue en 2012
de la famille
des lipopeptides
CDA1 and Anticorps Phase III pour la prévention des récidives
CDB1 monoclonaux d’ICD (MODIFY I ; NCT01241552)*
antitoxines A et B
ACAM-CDIFF Vaccin (anatoxine) Phase II pour la prévention des récidives
anti-C. difficile d’ICD (NCT00772343)*
Transplantation Administration Séries de cas
fécale d’un filtrat de selles Phases II/III (NCT01226992) *
d’un sujet sain pour la prévention des récidives
* Numéro d’identification sur www.clinicaltrials.gov

La ramoplanine est un nouveau glycolipodepsipeptide qui agit en


bloquant la synthèse du peptidoglycane de la paroi. La ramoplanine pré-
sente un spectre étroit ciblé sur les bactéries à Gram positif aérobies et
anaérobies dont C. difficile (CMI50 = 0,25 mg/L et CMI90 = 0,5 mg/L).
Son efficacité s’est avérée comparable à celle de la vancomycine sur le
modèle de colite du hamster.
Le CB-183,315 (Cubist Pharmaceuticals) est un lipopeptide à spectre étroit,
actif sur les bactéries anaérobies à Gram positif (CMI90 vis-à-vis des souches
de C. difficile = 0,5 mg/L). Les études de phase III sont en cours (comparai-
son du CB-183,315 0,25 g et 0,5 g/j per os à la vancomycine 1 g/j).
Le LFF571 (Novartis) est un dérivé thiopeptidique semi-synthétique
qui agit en inhibant la synthèse protéique en se fixant au facteur
d’élongation Tu. Sa CMI90 vis-à-vis de C. difficile est de 0,5 mg/L. Les
premiers essais sur le modèle de colite du hamster indiquent que le
LFF571 serait plus efficace que la vancomycine et entraînerait moins
de récidives.

Autres approches
D’autres approches ont été évaluées pour le traitement des ICD.
Les perfusions de gammaglobulines polyvalentes humaines (200 à
400 mg/kg, dose unique ou répétée) riches en anticorps antitoxines
ont été utilisées pour traiter avec des succès variables des formes sévères
d’ICD ou des colites réfractaires à C. difficile. Le mécanisme d’action
Infections digestives à Clostridium difficile : diagnostic et traitement 455

est discuté mais consisterait vraisemblablement en un passage dans


la lumière intestinale d’IgG antitoxine, secondaire à l’inflammation
colique. Une revue de la littérature sur l’utilisation des immunoglo-
bulines polyvalentes en complément d’un traitement standard (van-
comycine) a été récemment publiée [52]. Selon les séries, les succès
thérapeutiques vont de 43 à 100 %. Cette disparité des résultats est
liée à l’hétérogénéité des protocoles d’utilisation des immunoglobulines
dont la posologie, le rythme et le délai d’administration varient d’une
étude à l’autre.

Traitement des récidives


Le traitement de la première récidive est identique au traitement
initial (vancomycine ou métronidazole ou même simple arrêt de l’an-
tibiotique responsable). Les patients présentant des récidives mul-
tiples posent un véritable défi thérapeutique. Il n’y a que très peu
d’essais randomisés permettant de comparer les différentes options
thérapeutiques. Différents schémas ont été évalués au cours d’essais
ouverts ou de case report :
– antibiothérapie prolongée et intermittente (pulse) de vancomycine selon
le schéma suivant : semaine 1 : 125 mg × 4/j, semaine 2 : 125 mg × 2/j,
semaine 3 : 125 mg/j, semaine 4 : 125 mg 1 jour sur 2, semaines 5 et 6 :
125 mg 3 fois par semaine. Cette approche a pour objectif d’éradiquer
progressivement toutes les formes sporulées de C. difficile ;
– administration de probiotiques (Lactobacillus GG, Saccharomyces boular-
dii) en association avec des antibiotiques. Un essai contrôlé versus placebo
chez des patients ayant déjà présenté une ou plusieurs récidives a montré
que la coadministration d’une antibiothérapie standard (vancomycine ou
métronidazole) et de S. boulardii (1 g/j pendant 4 semaines) diminuait
de 50 % le taux de récidives ultérieures (35 % vs 65 % ; p = 0,004) [53,
54]. S. boulardii agirait par protéolyse de toxines A et B de C. difficile et
de leurs récepteurs et stimulation de la réponse immunitaire antitoxine A.
Des cas de fongémies à S. boulardii ont été rapportés, liés à l’aérosolisation
de la levure au moment de l’ouverture des sachets et à la colonisation des
abords vasculaires des patients.
– perfusion de gammaglobulines polyvalentes humaines (200 à 400 mg/
kg) riches en anticorps antitoxines ;
– combinaison de vancomycine et de rifaximine. Johnson et al. ont
traité 8 patients ayant présenté 4 à 5 épisodes d’ICD par vancomycine
puis par rifaximine 400 à 800 mg/j pendant 2 semaines [55] et 7
(87,5 %) n’ont pas présenté de récidives ultérieures ;
– transplantation de flore à partir de selles d’un sujet sain. Une récente
revue de la littérature recense 317 patients traités par transplantation
de flore et un succès de 92 %. Bien que difficilement acceptable par
le patient, elle semble la plus efficace option en cas de récidives mul-
tiples [56] ;
456 Infectiologie en réanimation

– anticorps monoclonaux antitoxines A et B. Au cours d’une étude mul-


25 ticentrique randomisée double aveugle, l’utilisation de deux anticorps
monoclonaux dirigés contre les toxines A et B en combinaison avec
un traitement standard de l’ICD s’est avérée plus efficace que le pla-
cebo pour réduire les récidives (7 % vs 25 % dans, p < 0,001) [57].
La réduction a été observée quel que soit le traitement associé (van-
comycine ou métronidazole), qu’il s’agisse d’une souche épidémique
027 ou non et chez les patients souffrant d’un premier épisode ou de
multiples récidives ;
– vaccination. En 2009, Sanofi Pasteur a lancé en Angleterre et aux
États-Unis une étude de phase II pour évaluer l’efficacité de ce vaccin
(utilisation d’anatoxines) pour prévenir les récidives d’ICD après un
premier épisode.

Prévention
Des recommandations pour la prévention et le contrôle des ICD
ont été publiées sous l’égide de la SHEA et de l’ESCMID. La pré-
vention primaire repose avant tout sur le bon usage des antibiotiques
selon une politique définie au sein de chaque établissement. La réduc-
tion de certains antibiotiques à risque (notamment la clindamycine,
les céphalosporines ou les fluoroquinolones) a été corrélée à une di-
minution significative de l’incidence des ICD [58, 59]. Lors de l’épi-
démie d’ICD due à la souche 027 au Québec, l’introduction d’un
programme de maîtrise des antibiotiques a entraîné une diminution
de 54 % de leur consommation et une réduction de 60 % de l’inci-
dence des ICD [60].
La prévention de la transmission croisée requiert un diagnostic précoce
des ICD afin de mettre en place rapidement les précautions complémen-
taires « contact ». Ces mesures tiennent compte de la grande résistance des
spores dans l’environnement et comprennent :
– l’isolement géographique en chambre seule des patients infectés pen-
dant toute la durée de l’épisode diarrhéique ;
– la désinfection quotidienne des locaux par l’eau de Javel à 0,5 %
de chlore actif après nettoyage ou l’utilisation d’un désinfectant
sporicide ;
– le port de gants systématique pout tout contact avec un patient infecté
ou son environnement proche ;
– le renforcement de l’hygiène des mains après le retrait des gants (la-
vage à l’eau et au savon suivi d’une friction hydroalcoolique). L’étape
de lavage est importante pour enlever une partie des spores de C. dif-
ficile par un effet mécanique, et l’étape de friction permet d’agir de
manière plus efficace sur les autres bactéries potentiellement manu-
portées. Les solutions hydroalcooliques utilisées seules sont inactives
sur les spores de C. difficile.
Infections digestives à Clostridium difficile : diagnostic et traitement 457

Conclusion

Les infections à C. difficile représentent une complication fréquente


chez les patients de réanimation qui réunissent de nombreux facteurs de
risque d’infection (antibiothérapie, nutrition entérale, IPP…). L’aug-
mentation d’incidence et de sévérité des ICD à travers le monde a eu
pour effet de stimuler la recherche clinique et fondamentale sur ce germe,
comme en témoigne le nombre d’articles relatifs à C. difficile référencés
dans PubMed, qui a été multiplié par 3 entre 2000 et 2010. Les enjeux
économiques liés aux ICD sont devenus importants et estimés à plus de
3 milliards par an aux États-Unis.
Un diagnostic rapide et sensible est une étape essentielle pour une prise
en charge optimale du patient et pour limiter les risques de transmission
nosocomiale. Les nouvelles méthodes dépistant la glutamate deshydro-
génase ou les méthodes moléculaires dépistant les gènes des toxines ont
constitué des progrès indéniables. Le traitement de première intention
reste le métronidazole pour les formes peu à modérément sévères, tandis
que la vancomycine est réservée aux formes sévères. La place de la fidaxo-
micine, qui est aussi efficace que la vancomycine mais entraîne significati-
vement moins de récidives, devra être précisée à l’avenir. Le traitement des
récidives multiples reste encore aujourd’hui un défi thérapeutique majeur
et aucune approche consensuelle n’existe.

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dium difficile infection (CDI). Clin Microbiol Infect 15(12): 1067-79
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5. Institut de Veille Sanitaire
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IV

Infections
chez les patients
immunodéprimés
en réanimation
Stratégie diagnostique devant une insuffisance
respiratoire aiguë chez un patient
26
d’oncohématologie admis en réanimation

D. SCHNELL, É. AZOULAY

Introduction

L’insuffisance respiratoire aiguë (IRA) est définie par des critères cli-
niques comme la polypnée, le recrutement des muscles respiratoires acces-
soires ou l’épuisement respiratoire, une saturation en oxygène à moins
de 90 % en air ambiant ou la nécessité d’oxygène au masque à haute
concentration, et la nécessité de recours à un support ventilatoire invasif
ou non. Elle reste un événement préoccupant chez les patients traités
pour un cancer ou une hémopathie maligne. En effet, l’IRA chez les pa-
tients d’oncohématologie (POH) est fréquente, grave, et encore souvent
mortelle. Elle pose des problèmes diagnostiques et thérapeutiques, et sa
prise en charge reste à ce jour controversée bien que codifiée [1-3]. L’IRA
est fréquente chez les POH, compliquant près de 5 % des tumeurs so-
lides et jusque 20 % des hémopathies malignes [4]. Chez les patients
neutropéniques ou greffés de moelle, elle survient jusque dans 30 %
des cas [2, 5-8]. Cette incidence est croissante du fait de la constante
augmentation des pathologies malignes [9, 10] et de l’allongement de
l’espérance de vie des POH [11] grâce à l’amélioration des traitements
supportifs [12-15] et à l’administration de traitements curatifs de plus en
plus intensifs [16-18] mais immanquablement de plus en plus immuno-
suppresseurs ou toxiques [18-20]. La sévérité de l’IRA sur ce terrain est
attestée par la lourde mortalité observée chez ces patients : la moitié des
POH admis en réanimation avec une IRA décèderont, essentiellement
du fait des mauvais résultats de la ventilation mécanique encore associée

David Schnell, Élie Azoulay


Service de réanimation médicale
Hôpital Saint-Louis et Université Paris 7
1, avenue Claude Vellefaux
75010 Paris
E-mail : [email protected]
Sous la direction de Pierre Charbonneau et Michel Wolff, Infectiologie en réanimation.
ISBN : 978-2-8178-0388-3, © Springer-Verlag Paris 2013
463
464 Infectiologie en réanimation

à la mortalité chez près de 75 % des patients [12, 14, 21]. De même, dans
26 une cohorte de patients non sélectionnés de réanimation polyvalente qui
reçoivent de la ventilation mécanique, les POH font partie des patients
au pronostic le plus sévère [22]. Enfin, si la fibroscopie bronchique avec
lavage bronchoalvéolaire (FOB-LBA) a pendant longtemps été la pierre
angulaire de la prise en charge diagnostique des POH en IRA [23], sa
réalisation n’est pas sans innocuité [2, 3, 24, 25] et sa rentabilité diagnos-
tique et thérapeutique n’avoisine que 50 % [2, 3, 6, 26, 27]. De façon
intéressante, l’essor de nouvelles techniques diagnostiques non invasives
(tomodensitométrie de haute résolution en coupes fines, antigénémies,
antigénuries, immunofluorescences et méthodes moléculaires) amène à
rediscuter la place des techniques semi-invasives comme la FOB-LBA.
Nous avons récemment montré que si la FOB-LBA réalisée dans des
centres experts ne s’accompagne pas d’un recours accru à la ventilation,
elle n’améliore pas la rentabilité diagnostique, comparée à une stratégie
privilégiant les investigations non invasives [28]. Dans le même sens, les
indications résiduelles de la biopsie pulmonaire, qu’elle soit réalisée par
voie transbronchique, par ponction sous scanner, ou encore chirurgicale
(par vidéothoracoscopie ou thoracotomie) restent encore à définir, mais
sont devenues très rares dans notre expérience.
Si cet ouvrage a pour thème les pathologies infectieuses en réanimation, il
est difficile et de peu de sens de traiter séparément des pathologies infec-
tieuses à l’origine d’une IRA chez le POH. Ces pathologies sont en effet
indissociables des pathologies non infectieuses dans ce contexte. Le bilan
étiologique de ces dernières passe souvent par l’exclusion des pathologies
infectieuses. Cette revue rapporte donc une analyse détaillée de la litté-
rature récente sur l’IRA du POH adulte. Elle apporte un complément
aux revues déjà existantes [23, 29-31] en y ajoutant les données les plus
récentes de la littérature et en se focalisant sur les méthodes diagnostiques
non invasives récemment développées. Elle n’aborde qu’exclusivement
les POH et les patients en IRA de réanimation, et reste centrée sur la
démarche diagnostique et la relation entre le diagnostic et le pronostic
sans entrer dans le détail des différentes pathologies. Elle aborde successi-
vement la stratégie diagnostique devant une IRA chez un POH, les outils
invasifs et non invasifs disponibles pour établir le diagnostic étiologique
et leur rentabilité sur ce terrain, et les éléments permettant d’appréhender
le pronostic de ces patients. Les données rapportées dans cette revue ne
s’appliquent pas à l’IRA survenant chez d’autres patients immunodépri-
més comme les patients sous immunosuppresseurs pour une vascularite
systémique ou une connectivite, les patients transplantés d’organe solide,
ou encore ceux infectés par le virus de l’immunodéficience humaine
(VIH). Nous avons en effet la conviction que la prise en charge de l’IRA
chez les POH est différente de celle des autres patients immunodépri-
més du fait d’un profil de pathologies pulmonaires particulier, d’un type
d’immunodépression spécifique et d’une rentabilité médiocre des prélè-
vements semi-invasifs (FOB-LBA). De même, du fait de notre expérience
de réanimateurs, nous n’aborderons dans cette revue que le cas du POH
Stratégie diagnostique devant une insuffisance respiratoire aiguë ... 465

admis en réanimation pour IRA. Ainsi, les effets pulmonaires toxiques de


la radiothérapie et les complications pulmonaires tardives observées chez
les patients allogreffés de moelle n’y seront pas abordés.

Approche DIRECT : orientation diagnostique initiale

Une enquête clinique complète et rigoureuse est la première étape de


toute démarche étiologique devant une IRA chez un POH. La connais-
sance des comorbidités (facteurs de risque cardiovasculaire, tabagisme,
maladie respiratoire chronique, hépatopathie chronique, corticothérapie),
du type de maladie maligne, des traitements administrés, de la présence
d’une neutropénie, et des prophylaxies effectivement prises par le patient
est incontournable pour apprécier le niveau d’immunodépression et le
spectre des étiologies possibles chez un patient donné. En même temps,
un examen clinique complet, respiratoire et extrarespiratoire, permet d’ap-
précier la nature des symptômes respiratoires (bronchique, interstitiel,
alvéolaire, vasculaire ou pleural), la sévérité de l’IRA, le délai depuis les
premiers symptômes respiratoires, et les précieux signes extrathoraciques
(cutanés, articulaires, digestifs, neurologiques, ganglions périphériques,
oto-rhino-laryngologiques [ORL]) qui vont parfois permettre un diagnos-
tic étiologique rapide. Cette première étape permet souvent de restreindre
la liste des étiologies possibles à un minimum (deux ou trois possibilités).
Il faut rappeler que les POH ne sont pas à l’abri de la maladie veineuse
thromboembolique (quel que soit le taux de plaquettes) ni des maladies
infectieuses endémiques à l’occasion d’un voyage en pays à risque. Le ta-
bleau I rappelle les principales étiologies d’IRA chez les POH. Une fois
l’insuffisance cardiaque congestive éliminée, celles-ci sont souvent classées
en infectieuses ou non infectieuses. Néanmoins, cet abord catalogue de
l’IRA chez les POH a ses limites, notamment car il donne la fausse impres-
sion que tous les patients peuvent présenter toutes les complications pul-
monaires infectieuses ou non infectieuses. À titre d’exemple, Agusti et al.
avaient déjà clairement souligné dans une étude autopsique que l’hémor-
ragie intra-alvéolaire (HIA) était le propre du patient greffé de moelle [32],
ce qui a été confirmé depuis lors [29]. De même, Patterson et al. avaient
montré que si l’aspergillose pulmonaire invasive était à rechercher chez
tous les patients immunodéprimés, son incidence était significativement
plus importante chez les patients recevant les traitements les plus intensifs
avec des durées de neutropénie les plus longues, c’est-à-dire ceux en in-
duction d’une leucémie aiguë ou encore les patients greffés de moelle [33].
D’après notre expérience, nous avons proposé six facteurs qui permettent
d’affiner les hypothèses étiologiques d’une IRA chez un POH. Ils sont
regroupés sous l’anagramme DIRECT incluant le Délai depuis le début
de la maladie maligne ou la greffe de moelle, la nature du déficit Immu-
nitaire, l’aspect Radiographique, l’Expérience clinique et la connais-
sance de la littérature, le tableau Clinique et enfin, les données de la
466 Infectiologie en réanimation
Tableau I – Étiologies de l’insuffisance respiratoire aiguë chez les patients d’oncohématologie
26 selon différentes études publiées.

Étiologies infectieuses Étiologies non infectieuses

Bactéries Œdème aigu pulmonaire


– germes usuels cardiogénique
pneumocoque, staphylocoque
Haemophilus influenzae Hyperperméabilité capillaire
Pseudomonas et entérobactéries
– germes intracellulaires (capillary leak syndrome)
Legionella pneumophila
Chlamydia et Mycoplasma pneumoniae Infiltration pulmonaire
– germes à croissance lente
actinomycose, nocardiose, Toxicité médicamenteuse
Rhodococcus equi
Œdème lésionnel post-transfusionnel
Pneumocystose
Pneumopathie radique
Mycoses
– Aspergillose Protéinose alvéolaire
– Mycoses endémiques
histoplasmose, coccidioïdomycose, Dégâts alvéolaires diffus
blastomycose (autogreffe de moelle)
– Mycoses émergentes
trichosporose, fusariose, zygomycétose
– Mucormycose
– Localisation pulmonaire des candidé- Cas particulier de l’allogreffe de moelle
mies – Hémorragie alvéolaire idiopathique
– Syndrome de prise de greffe
Virus (primo-infections ou réactiva- – Bronchiolite
tions) – Pneumonie organisée cryptogénétique
– Virus respiratoires saisoniers – Pneumopathie idiopathique postallo-
influenzae, parainfluenzae, rhinovirus greffe (IPS)
virus respiratoire syncytial, Metapneu- – Lymphoprolifération post transplan-
movirus, coronavirus, autres… tation
– Herpesviridae – Maladie du greffon contre l’hôte
CMV, HSV, VZV, HHV6 (GVH)
– Autres virus : adénovirus

Mycobactéries
– Tuberculose et mycobactéries atypiques

CMV : cytomégalovirus ; GVH : maladie du greffon contre l’hôte ; HHV6 : human Herpesvirus 6 ;
HSV : herpes simplex virus ; IPS : pneumonie idiopathique postallogreffe ; VZV :
virus varicelle-zona.

Tomodensitométrie de haute résolution. L’ordre de citation de chacun


de ces facteurs est celui rencontré dans la pratique clinique du réanima-
teur accueillant ces patients après une transmission orale et des éléments
Stratégie diagnostique devant une insuffisance respiratoire aiguë ... 467

radiographiques [4] ; les éléments cliniques dans l’idéal devraient arri-


ver en premier. Il est important de rappeler à ce stade que l’approche
DIRECT ne permet que de limiter le nombre des étiologies possibles et
ainsi de guider les investigations et le traitement, en particulier l’antibio-
thérapie probabiliste. En aucune façon elle ne permet de porter un dia-
gnostic étiologique de l’IRA et donc de surseoir aux investigations qui
permettront de porter formellement un diagnostic. Bien qu’aucune étude
n’ait comparé la survie des patients selon qu’une investigation étiologique
ait été réalisée ou non (traitement probabiliste sans bilan étiologique),
plusieurs études ont cependant montré que les patients pour lesquels
aucun diagnostic étiologique n’avait pu être porté avaient une mortalité
accrue par rapport aux patients pour lesquels le diagnostic étiologique
était connu [4, 14, 34-36].
Le premier facteur est le délai écoulé depuis le diagnostic de la maladie
maligne sous-jacente. Comme le montre la figure 1, alors que l’HIA, la
surcharge ou l’infection (commune ou opportuniste) peuvent survenir à
toutes les étapes de l’évolution de la maladie, l’infiltration pulmonaire
spécifique (lymphangite carcinomateuse, leucostase pulmonaire, infil-
tration pulmonaire leucémique ou lymphomateuse) n’est constatée qu’à
des moments où la maladie est non encore traitée ou en échappement au
traitement (phase inaugurale ou rechute) [23]. De même, en dehors des
cas d’hypersensibilité, les effets pulmonaires toxiques des traitements
s’observent à la phase de consolidation, voire de façon encore plus tardive.
De la même façon, le délai depuis la greffe de moelle osseuse (ou de cel-
lules souches hématopoïétiques) allogénique renseigne sur les différentes
possibilités étiologiques. Ainsi, la figure 2 rappelle les principales étio-
logies d’IRA, infectieuses ou non infectieuses, chez un patient allogreffé
de moelle en tenant compte du délai depuis la greffe, de la présence d’une
neutropénie et d’une réaction du greffon contre l’hôte.

Fig. 1 – Étiologies d’une IRA selon le temps écoulé depuis le diagnostic de l’hémopathie
maligne ou du cancer.
HIA : hémorragie intra-alvéolaire ; OAP : œdème aigu pulmonaire cardiogénique.
468 Infectiologie en réanimation

26

Fig. 2 – Étiologies d’une IRA selon le temps écoulé depuis l’allogreffe de moelle.
CMV : cytomégalovirus ; COP : pneumonie organisée cryptogénétique ; GVH : maladie
du greffon contre l’hôte ; HIA : hémorragie intra-alvéolaire ; HSV : Herpes simplex virus ; IPS :
pneumonie idiopathique postallogreffe ; VZV : virus varicelle zona.

Le second facteur permettant d’appréhender le diagnostic étiologique


d’une IRA chez un POH est la nature du déficit Immunitaire inhérent
au type de maladie sous-jacente et secondaire aux traitements adminis-
trés. Ainsi, une atteinte respiratoire aiguë hypoxémiante chez un patient
traité pour une lymphoprolifération chronique par fludarabine est jusqu’à
preuve du contraire une pneumocystose pulmonaire. De même, un
patient traité pour myélome ou splénectomisé présentant une pneumo-
pathie focale aiguë sévère associée à un état de choc présente une urgence
à une antibiothérapie couvrant le pneumocoque. Le tableau II résume les
différentes infections susceptibles de survenir en fonction de la nature du
déficit immunitaire.
Le troisième facteur fait intervenir la seule présentation Radiographique
de l’IRA. Comme les signes cliniques, les signes radiographiques sont
peu spécifiques d’une étiologie donnée [37, 38]. Y compris quand les
clichés sont de bonne qualité et qu’ils comprennent une incidence
de profil, ils ne suffisent pas à évoquer un diagnostic étiologique avec
une sensibilité suffisante [39]. Dans notre expérience en réanimation,
la radiographie pulmonaire n’est pas discriminante sur l’étiologie de
l’IRA [4]. Elle a même été qualifiée d’inutile dans le bilan d’une fièvre
chez le neutropénique tant sa sensibilité est médiocre [40]. En effet,
chez le patient neutropénique, une radiographie de thorax normale ne
permet pas d’éliminer l’infection pulmonaire, puisque le scanner de
haute résolution révèle une infection pulmonaire dans plus de la moitié
des cas [37, 41].
Stratégie diagnostique devant une insuffisance respiratoire aiguë ... 469
Tableau II – Type d’infection selon la nature du déficit immunitaire.

Pathologies Déficit Principales infections


Leucémie aiguë myéloïde Phagocytose Bactéries, levures
Immunité cellulaire
Leucémie aiguë Phagocytose Bactéries, levures
lymphoblastique Immunité cellulaire Herpesviridae,
Pneumocystis
Lymphomes Immunité cellulaire Bactéries, levures
Bactéries encapsulées
Pneumocystis
Myélomes Immunoglobulines Bactéries encapsulées
Asplénie Immunoglobulines Bactéries encapsulées
Phagocytose
Leucémie lymphoïde Phagocytose Bactéries encapsulées
chronique Immunité cellulaire Germes intracellulaires
Leucémie myéloïde Phagocytose Bactéries
chronique
Tumeur solide Compression, Bactéries
obstruction, ulcération
Greffe de moelle Phagocytose Bactéries, levures
Immunité cellulaire Bactéries encapsulées
Immunoglobulines Pneumocystis

Le quatrième facteur fait intervenir l’Expérience clinique ainsi qu’une


connaissance de la littérature clinique, autopsique ou expérimentale.
Nous avons déjà parlé de la probabilité diagnostique d’une HIA ou d’as-
pergillose invasive selon le terrain [32, 33]. Il faut y ajouter des situa-
tions très caractéristiques comme la légionellose pulmonaire à la phase
inaugurale d’une leucémie à tricholeucocytes [42], l’infiltration pulmo-
naire leucémique et le syndrome de lyse pulmonaire dans les leucémies
à composante monoblastique [43], ou encore, l’exacerbation des symp-
tômes respiratoires au moment de la sortie d’aplasie [44, 45].
Le cinquième facteur consiste en une évaluation Clinique rigoureuse.
Dans une étude réalisée à l’hôpital Saint-Louis, nous avions retrouvé
que les signes auscultatoires étaient souvent frustes et qu’ils ne permet-
taient pas de distinguer une étiologie spécifique d’IRA [4]. La présence de
lésions extrathoraciques (cutanées, articulaires, digestives, neurologiques,
ganglions périphériques, ORL) est rare mais très précieuse et leur explo-
ration est à privilégier. De façon intéressante, le délai entre l’installation
des symptômes respiratoires et l’admission en réanimation est un élément
clinique appréciable [23]. Cependant, il faut rappeler que chez les POH,
la sémiologie n’est pas la même que celle chez les patients infectés par le
470 Infectiologie en réanimation

VIH. À titre d’exemple, contrairement à la pathologie VIH où la pneu-


26 mocystose pulmonaire est d’évolution subaiguë, les symptômes évoluant
depuis 2 à 3 semaines avant le diagnostic, chez un POH elle peut revêtir
une présentation clinique tout à fait superposable à celle d’une atteinte
bactérienne : aiguë, rapidement grave et menaçant le pronostic vital en
quelques heures [46]. Cette approche clinique dite classique a été singu-
larisée par Mayaud et Cadranel [23]. Elle intègre à la fois des données épi-
démiologiques, cliniques (délai d’évolution des symptômes respiratoires
et présence d’une fièvre) et radiographiques.
Le sixième facteur fait intervenir les résultats de la Tomodensitométrie
thoracique de haute résolution (coupes fines millimétriques avec au
besoin des coupes expiratoires). Le scanner thoracique est plus sensible
que la radiographie standard [40], y compris chez le patient non neu-
tropénique [38]. Heussel et al. ont étudié la performance du scanner
thoracique chez le POH avec infiltrats pulmonaires : si globalement
la sensibilité et la valeur prédictive négative du scanner avoisine 90 %,
sa valeur prédictive positive et la spécificité des lésions observées sont
médiocres [38]. Dans de rares cas, le scanner permet d’identifier des
lésions pulmonaires spécifiques d’une étiologie particulière (image en
halo chez le neutropénique et croissant clair gazeux lui faisant suite à la
sortie d’aplasie dans l’aspergillose pulmonaire, aspect évocateur de protéi-
nose alvéolaire ou d’une lymphangite carcinomateuse). Néanmoins ces
lésions particulières restent rares [47]. L’analyse d’un scanner thoracique
comprend l’identification d’éléments sémiologiques individuels (verre
dépoli localisé ou diffus, nodules péribronchovasculaires, centrolobulaires
ou sous-pleuraux, consolidation alvéolaire, lignes septales, épanchement
pleural, excavations) permettant de définir des éléments lésionnels fai-
sant évoquer un groupe d’étiologies. Cependant, la spécificité de ces
lésions vis-à-vis d’une étiologie particulière reste médiocre [38, 39]. À
ce jour, le scanner reste un examen d’orientation diagnostique dans la
prise en charge d’une IRA chez le POH. Il permet d’orienter la nature
et la localisation des prélèvements perendoscopiques (distaux protégés,
LBA, biopsies transbronchiques) [37]. Néanmoins, dans notre expérience
en réanimation, le scanner thoracique ne permet pas de surseoir à une
démarche diagnostique globale invasive ou non invasive. En dehors de
la réanimation, sa place dans l’arbre diagnostique étiologique d’une IRA
chez le POH reste très plébiscitée par certaines équipes européennes du
fait de son innocuité [35, 48].

Démarche diagnostique devant une insuffisance respiratoire


aiguë chez les patients d’oncohématologie

L’IRA chez le POH est une situation au cours de laquelle l’approche


diagnostique telle que vue dans le paragraphe précédent a pour but de
Stratégie diagnostique devant une insuffisance respiratoire aiguë ... 471

restreindre le nombre d’étiologies possibles pour orienter le traitement


probabiliste urgent (en particulier le traitement antibiotique et les
manœuvres de réanimation), mais rapidement des investigations devront
être réalisées afin de confirmer ou de redresser les hypothèses ainsi évo-
quées. En effet, il est clairement reconnu que porter précocement un
diagnostic étiologique de l’IRA (avec ou sans FOB-LBA) améliore le pro-
nostic [4, 6, 26, 36, 49]. La démarche diagnostique devant une IRA chez
un POH est relativement standardisée.
La première étape consiste à éliminer l’œdème aigu pulmonaire cardio-
génique (OAP). Quelle que soit la présentation clinique de l’IRA, la ques-
tion doit être systématiquement posée tant la démarche diagnostique et
le pronostic seront singulièrement différents [4]. Pour éliminer un OAP,
nous proposons une attitude en trois étapes comprenant i) les facteurs
liés au patient (antécédents d’insuffisance cardiaque, facteurs de risques
cardiaque et vasculaire, prise de chimiothérapie cardiotoxique comme les
anthracyclines) ; ii) la présentation clinique et radiographique de l’IRA
(galop cardiaque, œdème des membres inférieurs, cardiomégalie, ano-
malies électrocardiographiques) ; et iii) la réalisation systématique d’une
échographie cardiaque. Une scintigraphie myocardique pourrait être plus
sensible que l’échographie cardiaque pour dépister une insuffisance car-
diaque [50], mais sa réalisation dans l’IRA de réanimation n’est pas aisée.
Le dosage du brain natriuretic peptide (BNP) proposé pour distinguer les
IRA d’origine cardiaque des autres IRA n’a jamais été évalué au cours de
l’IRA du POH [51, 52].
La deuxième étape consiste à éliminer une atteinte pulmonaire d’origine
infectieuse. En effet, toutes les atteintes pulmonaires non infectieuses chez
le POH restent des diagnostics d’exclusion vis-à-vis des infections pulmo-
naires. D’une part, la possibilité d’une atteinte mixte infectieuse et non
infectieuse est plus que théorique [42, 53-56] et d’autre part, des diagnos-
tics tels que les pneumopathies médicamenteuses ou « idiopathiques »
(dans le cadre de l’allogreffe de moelle) impliquent très clairement
l’absence de pathogène infectieux (Pneumocystis jirovecii, cytomégalovirus
[CMV], mycobactéries ou autres germes intracellulaires) [57, 58]. En
dehors de la réanimation, chez les POH ayant une atteinte pulmonaire
bien tolérée, la FOB-LBA reste à ce jour la pierre angulaire de la prise
en charge diagnostique [23]. Une fois l’insuffisance cardiaque conges-
tive éliminée, elle permet d’apporter un diagnostic de certitude et de
confirmer les hypothèses initiales. Cependant, dans le cadre de l’IRA de
réanimation, le bénéfice attendu de la mise en évidence d’un diagnostic
étiologique est à mettre en balance avec le risque de mauvaise tolérance
de la procédure [24, 25, 59, 60]. Dans ce contexte, le risque majeur est
le recours à la ventilation mécanique, au pronostic toujours effarant avec
une mortalité de près de 50 % [13, 28], bien qu’en amélioration ces der-
nières années [4, 12, 14, 15, 21, 26, 61-69]. Habituellement, la FOB-
LBA se complique dans moins de 1 % des cas, mais ce risque est accru en
réanimation [25, 70]. Chez les POH présentant une hypoxémie sévère,
la FOB-LBA se complique dans 5 à 15 % des cas, essentiellement d’une
472 Infectiologie en réanimation

hémoptysie ou d’une aggravation de l’état respiratoire [24], en particulier


26 chez les patients greffés de moelle [1- 3]. Certaines études rapportent l’in-
cidence d’un recours à la ventilation mécanique au décours d’une FOB
chez le POH [71, 72]. De plus, la faible rentabilité diagnostique et théra-
peutique de la FOB-LBA chez le POH [2-4, 6, 14, 27, 35, 49, 71, 72], en
particulier chez l’allogreffé de moelle [1, 2, 5-8, 34, 73], a ouvert le débat
sur des alternatives au LBA pour le diagnostic étiologique de l’IRA chez le
POH. Ainsi, von Eiff et al. mettent en avant le scanner thoracique [35].
Leur schéma de prise en charge n’intègre la FOB-LBA qu’après échec
d’un traitement probabiliste basé sur le scanner et en cas d’atteinte inters-
titielle diffuse [35, 74]. Cette démarche met finalement la FOB-LBA et
la biopsie pulmonaire au même niveau. Pour d’autres équipes encore,
il n’est pas rare de voir posé l’indication d’une biopsie pulmonaire chez
un patient en échec d’un traitement probabiliste basé sur des éléments
clinicoradiographiques, mais sans FOB-LBA [75, 76]. De façon intéres-
sante, il a été rapporté que la réalisation d’une FOB-LBA orientée par la
tomodensitométrie thoracique en coupes fines permet d’accroître la ren-
tabilité du LBA si les prélèvements ont été réalisés dans des zones de verre
dépoli ou de consolidation [77]. Dans notre expérience de réanimation,
le recours à la biopsie pulmonaire a considérablement diminué au cours
des dernières années, pour devenir quasi exceptionnel aujourd’hui [4].
Cela est probablement lié à l’augmentation du nombre de diagnostics
obtenus par les techniques non invasives comme les antigénémies, l’im-
munofluorescence ou les PCR. Les biopsies transbronchiques ont été rap-
portées comme ayant une bonne rentabilité dans les maladies diffuses,
infectieuses (pneumocystose ou CMV) ou non infectieuses (infiltration
pulmonaire maligne, pneumonie organisée cryptogénétique [COP]) [72,
78]. Dans notre expérience, leur contribution reste modeste. Dans le
même sens, les biopsies pulmonaires à l’aiguille fine n’ont pas été évaluées
chez les patients en IRA ou sous ventilation mécanique, mais le bénéfice
de cette technique a été récemment démontré chez des patients d’héma-
tologie présentant des lésions pulmonaires focales [79]. Enfin, malgré les
progrès récents des biopsies pulmonaires sous vidéothoracoscopie assis-
tée [80], leur faisabilité chez un patient de réanimation profondément
hypoxémique paraît discutable. Pour notre part, nous nous sommes inté-
ressés à l’impact diagnostique des techniques dites non invasives (sans
FOB-LBA) listées dans le tableau III. Celles-ci sont combinées à la ponc-
tion pleurale et à l’exploration approfondie de toute lésion extrathora-
cique. Ces techniques non invasives seront décrites au paragraphe suivant.
Elles ont été évaluées individuellement [81-84], mais aussi dans le cadre
d’une stratégie globale au cours de l’IRA du POH : ainsi, nous avons
récemment montré que si la FOB-LBA réalisée dans des centres experts
ne s’accompagne pas d’un recours accru à la ventilation, elle n’améliore
pas la rentabilité diagnostique comparée à une stratégie non invasive [28].
Nous avons conscience que pour certains pathogènes (CMV, Pneumo-
cystis jirovecii) et pour les pathologies non infectieuses la FOB-LBA
reste la méthode de référence avant la biopsie pulmonaire. Néanmoins,
Stratégie diagnostique devant une insuffisance respiratoire aiguë ... 473
Tableau III – Techniques diagnostiques non invasives dans l’IRA du POH.

Bactériologie

Examens sanguins Hémocultures


Sérologies mycoplasme, Chlamydia, légionelle
PCR mycoplasme et Chlamydia

Examens sur des sécrétions Examen cytobactériologique des crachats


respiratoires Recherche de mycobactéries dans les crachats
Expectorated or induced sputum
Autres examens Antigénurie légionelle
Mycologie

Examen sanguins Hémocultures


Antigénémie aspergillaire ou Candida
Examens sur des sécrétions Recherche de levure ou champignon sur les crachats
respiratoires Examen de crachat induit (état frais et IF)
PCR Pneumocystis

Autres examens PCR Pneumocystis sur lavage de bouche


Parasitologie

Examens sanguins Hémocultures


PCR Toxoplasma gondii
Examens sur des sécrétions Recherche de parasites sur les crachats
respiratoires Examen de crachat induit
Virus

Examens sanguins Antigénémie ou virémie CMV


PCR CMV
PCR herpes consensus

Examens sur les sécrétions Recherche de virus respiratoires sur les aspirations
respiratoires nasopharyngées en PCR, immunofluorescence
ou culture sur lignée cellulaire
(VRS, influenza, parainfluenzae, metapneumovirus,
adénovirus, rhinovirus, coronavirus)
Examens radiographiques

Radiographie thorax
Tomodensitométrie thoracique spiralé de haute
résolution (coupes fines)
Échographie cardiaque
Échographie pleurale
Autres examens
474 Infectiologie en réanimation

Bactériologie
26
Marqueurs biologiques :
– Brain natriuretic peptide
– Procalcitonine
– C reactive protein
À combiner à l’exploration/biopsie de toute lésion extrathoracique et à la ponction exploratrice
d’un épanchement pleural.
CMV : cytomégalovirus ; PCR : polymerase chain reaction ; VRS : virus respiratoire syncytial.

l’administration large de prophylaxie anti-CMV chez les patients à risque


(allogreffés de moelle) [85] et l’utilisation du Bactrim® chez les patients
à risque de pneumocystose font que ces pathologies sont rencontrées de
moins en moins fréquemment. Cette stratégie non invasive comprend
une réévaluation précoce à 72 heures afin de décider d’une FOB-LBA
en l’absence de diagnostic [28]. En effet, dans l’étude de Rano et al., la
mortalité était triplée quand le diagnostic n’était pas connu au cinquième
jour de l’IRA [84].
Enfin, le diagnostic d’IRA d’origine non infectieuse nécessite aussi une
démarche extrêmement rigoureuse. Un diagnostic d’IRA d’origine non
infectieuse implique fréquemment une modification significative de la
prise en charge oncologique ou hématologique du patient : corticothé-
rapie à forte dose, reprise d’une chimiothérapie devant une infiltration
pulmonaire maligne, arrêt d’une chimiothérapie présumée toxique avec
le risque majeur de réduire les chances de guérison. Deux situations sont
à signaler particulièrement : l’HIA et la détérioration de l’état respiratoire
au cours de la sortie d’aplasie. En effet, dans les deux cas, une enquête
étiologique rigoureuse est de mise. Dans le cas de l’HIA, une enquête
infectieuse complète doit être réalisée avant de conclure à une HIA idio-
pathique du greffé de moelle [29, 86] ou une HIA révélant une toxicité
pulmonaire de la chimiothérapie [58, 87-89]. De même, la sortie d’apla-
sie est une situation où une atteinte pulmonaire d’origine infectieuse (en
particulier l’aspergillose) ou non infectieuse peut être aggravée, proba-
blement du fait de l’exacerbation des phénomènes inflammatoires induite
par la sortie d’aplasie [44], et éventuellement par le G-CSF prescrit afin
de raccourcir la durée d’aplasie [57, 90, 91]. Le fait qu’un patient sortant
d’aplasie sans atteinte pulmonaire préalable ne présente jamais de symp-
tômes respiratoires est un argument convaincant pour ne pas négliger
l’enquête étiologique pulmonaire dans les cas de pneumopathie en sor-
tie d’aplasie. Dans notre pratique en réanimation, l’essentiel des atteintes
pulmonaires non infectieuses se résume dans les trois situations suivantes :
– une infiltration pulmonaire aiguë ou subaiguë, non spécifique, sévè-
rement hypoxémiante, à la phase inaugurale d’un lymphome malin [92]
ou d’une leucémie aiguë [43, 93]. Le scanner thoracique quand il est pos-
sible permet de renforcer la suspicion d’infiltration spécifique [94]. Dans
ce cas, nous décidons de surseoir à la FOB-LBA pour débuter rapidement
une chimiothérapie sous couvert d’une antibiothérapie type pneumo-
Stratégie diagnostique devant une insuffisance respiratoire aiguë ... 475

nie communautaire grave, couvrant les bactéries communautaires dites


banales et les germes intracellulaires. L’utilisation d’outils diagnostiques
non invasifs (antigénurie légionelle et examen cytobactériologique des
crachats notamment) est d’une aide précieuse. Cependant, quand le trai-
tement probabiliste associé à la chimiothérapie n’a pas rapidement fait la
preuve de son efficacité, la réalisation d’une FOB-LBA devient rapide-
ment incontournable ;
– une infiltration pulmonaire progressive, subaiguë, insidieuse, alors que
la maladie maligne sous-jacente est à l’évidence en récidive. Le tableau
radiographique est proche de la situation précédente : le scanner révèle
un aspect évocateur de nodules pulmonaires péribronchovasculaires d’al-
lure spécifique (maladie de Hodgkin, lymphome malin non Hodgkinien,
tumeur solide) [94], un aspect fortement évocateur de lymphangite car-
cinomateuse [95], un aspect évocateur de protéinose alvéolaire signant la
récidive d’un processus myéloprolifératif qui s’était déjà présenté avec une
telle atteinte pulmonaire [96] ou encore un aspect non spécifique mais
semblable à celui que le patient avait présenté au diagnostic de la maladie
maligne. Là encore, une localisation pulmonaire spécifique est de haute
probabilité et le diagnostic est fait par le myélogramme, la biopsie gan-
glionnaire ou de toute autre localisation périphérique accessible (nodule
cutané, lésion hépatique, anomalie ORL et toutes autres localisations).
Dans cette indication, les biopsies transbronchiques sont tout particuliè-
rement intéressantes du fait de leur bonne sensibilité [72, 78] ;
– une IRA le plus souvent aiguë chez un patient en traitement de conso-
lidation d’un lymphome ou d’une leucémie (le plus souvent lymphoblas-
tique) en rémission. Le tableau associe de la fièvre, une hypoxémie sévère,
une infiltration interstitielle diffuse caractérisée essentiellement par du
verre dépoli diffus et l’absence de lésion extrathoracique. Dans cette situa-
tion où les patients reçoivent plusieurs molécules de chimiothérapie et des
corticoïdes, le dilemme consiste à éliminer avec certitude une pathologie
opportuniste (pneumocystose, CMV, tuberculose, infection virale) avant
de conclure en une pneumopathie d’hypersensibilité, par exemple au
méthotrexate. La notion d’observance thérapeutique concernant les pro-
phylaxies antibiotiques (Bactrim®) est majeure. De même, l’interrogatoire
et l’examen clinique doivent être complets afin d’identifier un épisode
respiratoire plus fugace au cours des dernières séances de chimiothérapie.
Néanmoins, dans cette situation, la place de la FOB-LBA est majeure en
tentant d’éliminer (non formellement) une infection opportuniste, mais
aussi de trouver des arguments pour une pneumopathie d’hypersensibilité
(alvéolite lymphocytaire ou à éosinophiles). Ici, la place des outils dia-
gnostiques non invasifs n’est précieuse que si et seulement si, ils apportent
un diagnostic infectieux compatible avec l’ensemble du tableau clinique
et si le traitement anti-infectieux amène une guérison complète des signes
cliniques et radiographiques. De façon intéressante, la FOB-LBA peut
dans cette situation être complétée de biopsies transbronchiques [72, 78],
ou de biopsies pulmonaires sous scanner [79]. Nous sommes convaincus
que s’il reste des indications à la biopsie pulmonaire, elles sont ici. De
476 Infectiologie en réanimation

même, c’est dans ces situations complexes que les nouveaux outils dia-
26 gnostiques telle par exemple la PCR Pneumocystis [97, 98] auront une
place des plus pertinentes.

Techniques diagnostiques non invasives

Les techniques diagnostiques non invasives sont listées dans le tab-


leau III. Elles doivent être combinées à la ponction exploratrice d’un
épanchement pleural et à l’exploration approfondie de toute lésion
extrathoracique. Elles concernent essentiellement les pathologies in-
fectieuses. Les explorations radiologiques (radiographie standard et
tomodensitométrie thoracique en haute résolution) et à visée cardiaque
(échocardiographie et dosage du BNP) ne seront pas détaillées dans ce
chapitre.
Les pneumonies bactériennes des patients immunodéprimés sont géné-
ralement secondaires à des infections à bacilles à Gram négatif (BGN)
ou à Staphylococcus aureus. La pression de sélection résultant de l’usage
d’antibiothérapies à large spectre explique l’émergence actuelle de souches
de BGN multirésistants. Comme précédemment discuté, la rentabilité
diagnostique de la FOB-LBA est faible, en particulier chez le POH, sou-
vent sous antibiothérapie probabiliste à large spectre avant l’examen.
L’examen cytobactériologique des crachats est plus aisément réalisable et
non invasif, mais ne fait pas la distinction entre colonisation et infection
véritable. Le diagnostic sérologique est lent, souvent uniquement rétros-
pectif, et la plupart du temps à la fois peu sensible et peu spécifique.
Dans la plupart des cas, en dépit d’une démarche diagnostique optimale,
il n’y a pas de documentation microbiologique malgré un tableau cli-
nique très évocateur d’infection bactérienne : caractère brutal, hypoten-
sion artérielle, foyer systématisé, expectoration purulente ou alvéolite
neutrophilique, résolution rapide sous antibiothérapie. Cette notion d’in-
fection bactérienne « cliniquement documentée » nous semble particu-
lièrement importante et pertinente dans le contexte de l’IRA du POH.
C’est dans ce contexte que les nouvelles méthodes de diagnostic rapide
revêtent un intérêt tout particulier. Elles permettent au praticien de
sélectionner la thérapie la plus adaptée. Ces tests sont disponibles pour
Legionella pneumophila ou Streptococcus pneumoniae, Mycoplasma pneu-
moniae et Chlamidia pneumoniae, et sont en cours de développement
pour d’autres pathogènes. Il semble cependant que l’incidence exacte de
ces pathogènes chez le POH ait été surestimée. L’antigénurie légionelle
se positive 1 à 3 jours après le début de l’infection et peut rester posi-
tive jusqu’à 3 mois après dans une petite proportion de patients [99].
Très spécifique, ce test ne détecte avec une bonne sensibilité que les infec-
tions par le sérogroupe 1 [100, 101]. Des méthodes de PCR multiplex
sont maintenant disponibles en routine avec d’excellentes sensibilité et
spécificité [102]. Le diagnostic des infections à Streptococcus pneumoniae
Stratégie diagnostique devant une insuffisance respiratoire aiguë ... 477

nécessite l’isolation du germe (prélèvement respiratoire, hémocultures ou


liquide pleural). Les hémocultures sont positives dans seulement 25 %
des cas, en l’absence d’antibiothérapie préalable. La culture des crachats
oriente vers le diagnostic, mais le portage nasopharyngé de Streptococcus
pneumoniae est possible. Les méthodes de PCR ont montré une faible sen-
sibilité sur les échantillons urinaires ou sanguins, et une spécificité insuf-
fisante sur les prélèvements respiratoires [103, 104]. La détection urinaire
du polysaccharide C, antigène de la membrane plasmique commun à
toutes les souches, est une alternative diagnostique rapide et non influen-
cée par l’antibiothérapie préalable [105]. Le test de détection urinaire
de l’antigène pneumococcique Binax NOW a en effet une sensibilité de
82 % et une spécificité de 97 % en cas d’hémocultures positives [106].
Sa sensibilité est néanmoins plus faible en l’absence de bactériémie, de
l’ordre de 50 % [107]. Devant un résultat positif, il faut garder à l’esprit
que l’antigénurie pneumocoque peut rester positive jusqu’à 1 an après
l’épisode infectieux [108]. Le diagnostic d’infections à pathogènes de
croissance difficile tels que Mycoplasma pneumoniae et Chlamydia pneu-
moniae est basé classiquement sur les sérologies, de sensibilité douteuse
chez l’immunodéprimé et qui ne permettent de poser le diagnostic que de
façon rétrospective. Les cultures sont relativement peu sensibles, longues
(délai de 3 semaines) et incertaines [109]. Les méthodes de PCR ont une
sensibilité bien supérieure, en particulier pour Mycoplasma pneumoniae, et
permettent l’obtention rapide du résultat [102, 110]. Elles sont réalisables
sur les prélèvements des voies aériennes supérieures (écouvillon pharyngé
et aspiration nasopharyngée), à privilégier de par leur facilité d’obtention
et la forte sensibilité du résultat [103].
Les virus respiratoires sont de véritables pathogènes opportunistes chez
l’immunodéprimé et sont responsables de tableaux potentiellement sévères
avec progression plus fréquente vers l’atteinte respiratoire basse que chez
l’immunocompétent [111-113]. Le développement de méthodes dia-
gnostiques moléculaires assure un diagnostic sensible, rapide et incluant
des virus non ou difficilement détectables par les méthodes classiques
(culture et détection d’antigène) tels que les rhinovirus, entérovirus et
coronavirus [114, 115]. La PCR réalisée sur les écouvillons nasopharyn-
gés donne les mêmes résultats que sur les prélèvements profonds [116].
Le développement de méthodes PCR multiplex de haute sensibilité sou-
lève de nouvelles questions sur l’implication clinique réelle des virus isolés
dans les aspirations nasopharyngées des POH avec des infiltrats pulmo-
naires [117].
Le CMV peut être responsable d’infections sévères chez le POH, notam-
ment après greffe de cellules souches. Les techniques de PCR ont été
développées pour le diagnostic de ces infections. Si la PCR en temps
réel donne une mesure quantitative de la charge virale, le seuil optimal
pour débuter un traitement n’a pas été déterminé, contrairement au cut-
off fixé d’antigénémie [118]. L’avancée des techniques diagnostiques et
l’utilisation de traitements prophylactiques ou préemptifs ont modifié
l’épidémiologie des infections à Herpesviridae. Malgré cela, ils restent une
478 Infectiologie en réanimation

cause importante de morbidité et de mortalité chez les transplantés de


26 cellules souches [119]. Les méthodes de PCR multiplex des Herpesviridae
ont les meilleures sensibilités, quel que soit l’échantillon testé [120].
La méthode diagnostique de référence de la pneumocystose pulmonaire
est la mise en évidence du pathogène au microscope après coloration
(méthénamine d’argent, Giemsa, ou bleu de toluidine) ou par immu-
nofluorescence sur le prélèvement [121]. Plusieurs études ont démontré
que la sensibilité de la PCR était supérieure à celle du microscope pour
la détection de Pneumocystis jirovecii [122]. La PCR est un outil utile
pour écarter le diagnostic de pneumocystose pulmonaire chez les patients
non infectés par le VIH, qui ont la plupart du temps des quantités de
pathogènes plus faibles que les patients séropositifs [46]. Les méthodes
de PCR en temps réel semblent avoir une meilleure spécificité [123-125].
Des échantillons identiques à ceux utilisés pour la microscopie peuvent
être utilisés pour la PCR [122], mais la PCR sur le liquide de LBA per-
met d’obtenir le meilleur rendement diagnostique. Dans une publi-
cation récente [126], la pneumocystose pulmonaire était recherchée chez
448 patients, en utilisant à la fois la PCR et la coloration de Gromori-
Grocott. Le crachat induit seul était diagnostique chez 39 patients et un
LBA était réalisé chez 351 autres patients. La sensibilité de la PCR était de
87 % et sa spécificité de 92 %, la valeur prédictive négative du test sur le
liquide de LBA étant alors de 98,7 %. Étant donné cette excellente valeur
prédictive négative, nous recommandons l’usage de la PCR pour élimi-
ner le diagnostic de pneumocystose pulmonaire comme étiologie d’infil-
trats pulmonaires chez le POH. Une PCR négative sur le liquide de LBA
ou sur un crachat induit de bonne qualité permet d’arrêter le traitement
curatif [127]. Inversement, une PCR positive ne peut être qu’interprétée
selon le niveau de suspicion clinique de pneumocystose. En absence de
suspicion clinique, il peut s’agir soit d’un faux positif soit d’une coloni-
sation bronchique à Pneumocystis.
La méthode diagnostique de référence des infections fongiques est le dia-
gnostic histologique de la présence d’éléments hyphaux invasifs sur un
échantillon de tissu obtenu par un prélèvement invasif, mais ces procé-
dures sont dangereuses chez les patients fragiles [81, 128]. Jusque récem-
ment, seule la mise en évidence d’Aspergillus sp. dans un milieu biologique
normalement stérile permettait de poser le diagnostic d’infection fon-
gique invasive, la présence d’Aspergillus sp. dans le liquide de LBA pou-
vant cependant n’indiquer qu’une colonisation plutôt qu’une infection
invasive. De plus, la culture peut prendre un délai de plusieurs jours, voire
plusieurs semaines. La première étude clinique comparant la positivité
de l’antigénémie aspergillaire avec l’examen histologique a montré que la
technique ELISA permettait de poser un diagnostic avec une sensibilité de
92,6 % et une spécificité de 95,4 %, une valeur prédictive positive (VPP)
de 93 % et une valeur prédictive négative (VPN) de 95 % [129]. Dans
plus de la moitié des cas, l’antigénémie se positivait avant qu’il existe des
arguments cliniques pour une aspergillose invasive [130, 131]. L’Euro-
pean Organization for Research and Treatment of Cancer/Invasive Fungal
Stratégie diagnostique devant une insuffisance respiratoire aiguë ... 479

Infections Cooperative Group et le National Institute of Allergy and Infec-


tious Diseases Mycoses Study Group ont élaboré une conférence de consen-
sus sur la définition standard des infections fongiques invasives, utilisant
la réalisation de l’antigénémie aspergillaire comme méthode diagnostique
majeure permettant d’établir un diagnostic d’aspergillose probable [128].
Une technique PCR de détection d’Aspergillus sp. a été développée, mais
reste trop peu spécifique avec beaucoup de faux positifs [132, 133].
Chez les POH neutropéniques, le rendement diagnostique des prélè-
vements bactériologiques et en particulier des hémocultures est faible,
et la majorité des infections sont cliniquement diagnostiquées et traitées
de manière empirique [134]. Le maintien fréquent d’une antibiothéra-
pie à large spectre en l’absence de documentation permet de pallier aux
risques liés à l’inadéquation, mais favorise l’émergence de bactéries multi-
résistantes. Plusieurs outils diagnostiques rapides utilisant des méthodes
de biologie moléculaire ont été développés [135, 136]. Chez les patients
immunodéprimés, les résultats des études préliminaires semblent promet-
teurs [137, 138]. Cependant, ces résultats doivent être confirmés dans
des études de plus grande ampleur, et l’utilité clinique de ces méthodes
doit se traduire en termes de quantité d’antibiotiques consommés et de
désescalade thérapeutique.

Pronostic de l’insuffisance respiratoire aiguë


chez les patients d’oncohématologie

Plusieurs études récentes ont souligné les particularités du pronostic


des POH admis en réanimation. Ces particularités sont au nombre de
cinq. Premièrement, la mortalité de ces patients diminue au cours du
temps [12, 13, 21, 28, 61, 62, 66, 67, 139-141]. Cette réduction de la
mortalité est le reflet d’une sélection drastique des admissions en réa-
nimation en accord avec les recommandations [142, 143], mais aussi
des avancées observées en hématologie et en oncologie [11, 16-18] et
de l’amélioration des traitements supportifs [12-15]. Deuxièmement, les
facteurs pronostiques classiques comme la neutropénie [64] ou la greffe
de moelle autologue [63], ne sont plus des déterminants du pronostic.
Ceci est dû en partie à une meilleure prise en charge de ces patients en
hématologie [144, 145], mais aussi à une approche méthodologique du
pronostic plus rigoureuse [21, 64]. Troisièmement, la plupart de ces
études rapportent l’absence d’impact des caractéristiques de la maladie
maligne (nature de la maladie, stade de la maladie au diagnostic, rémis-
sion complète ou partielle) sur la survie à court terme [21, 61, 62, 65,
139, 146]. Nous pensons que ce point important est le résultat de la
sélection des patients pour l’admission en réanimation. En effet, près de
la moitié des POH proposés à la réanimation seront admis [143], essen-
tiellement sur la base de l’état de santé antérieur et des comorbidités, mais
480 Infectiologie en réanimation

aussi sur la base de l’existence d’un projet thérapeutique [12, 61]. Qua-
26 trièmement, l’estimation du pronostic des POH admis en réanimation
ne peut pas être basé sur les scores physiologiques [140, 141, 147-150].
Au contraire, la nature et le nombre de défaillances d’organe sont direc-
tement associés à la mortalité [66, 139, 146]. De plus, l’évolution du
nombre de défaillances d’organe au cours des premiers jours de réani-
mation est très étroitement associée au pronostic [4, 66, 151]. Parmi ces
défaillances d’organe, la ventilation mécanique invasive est associée à la
mortalité la plus élevée [4, 12, 14, 15, 21, 26, 61, 63-69]. En particulier,
la ventilation mécanique dans le cadre particulier de la greffe de moelle
allogénique est associée à un pronostic effroyable, surtout quand les pa-
tients sont traités par immunosuppresseurs pour une réaction du greffon
contre l’hôte active et sévère [73, 150, 152-155]. Cinquièmement, dans
le cadre particulier de l’IRA des POH admis en réanimation, l’étiologie
de l’IRA conditionne le pronostic. Ainsi, un patient admis pour OAP
aura un bon pronostic ; en contrepartie, un patient porteur d’une asper-
gillose pulmonaire invasive aura un pronostic plus sombre [4]. Cepen-
dant, il faut ajuster ces résultats aux avancées récentes dans le diagnos-
tic [81, 156] et le traitement des aspergilloses pulmonaires [157, 158].
Aussi, comme discuté précédemment, les patients pour lesquels aucun
diagnostic n’a pu être établi malgré les investigations diagnostiques ont
un plus mauvais pronostic [4, 30, 36, 84].

Conclusion

Si le pronostic de l’IRA chez le POH reste sévère, de nombreuses


avancées ont permis une amélioration du pronostic au cours des der-
nières années, parmi lesquelles des avancées sur le plan du triage des pa-
tients pouvant bénéficier de la réanimation, des traitements supportifs et
peut-être des méthodes diagnostiques non invasives [12, 13, 28, 143].
Le développement des méthodes diagnostiques non invasives va proba-
blement entraîner une baisse du recours à la FOB-LBA, comme ce der-
nier a diminué le recours à la biopsie pulmonaire [159]. Il faut cependant
garder à l’esprit que l’absence de diagnostic étiologique grève fortement le
pronostic de l’IRA du POH [4, 30, 36, 84]. En cas d’incertitude diagnos-
tique, il faut savoir rapidement discuter l’indication d’une FOB-LBA et
parfois même d’une biopsie pulmonaire, en tenant compte de la balance
bénéfices/risques de ces investigations invasives.

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Infections chez les patients neutropéniques
27
B. GACHOT, F. BLOT, É. CHACHATY

Une neutropénie est définie par un chiffre de polynucléaires neutro-


philes inférieur à 500/mm3 ou inférieur à 1000/mm3 avec une baisse
attendue à moins de 500/mm3. Les épisodes fébriles (définis par une
température ≥ 38,3 °C ou ≥ 38 °C pendant au moins 1 heure) sont
très fréquents en cas de neutropénie chimio-induite : ils concernent
entre 10 et 50 % des patients traités pour une tumeur solide, et plus
de 80 % des patients pris en charge pour une hémopathie [1, 2]. Si ces
épisodes fébriles sont non documentés dans plus de la moitié des cas, il
est néanmoins connu depuis plusieurs décennies que l’existence d’une
neutropénie est associée à un risque accru de complications infectieuses
graves, avant tout bactériennes et fongiques. De fait, la survenue d’une
fièvre dans ce contexte doit conduire à commencer, en urgence, un
traitement antibiotique empirique, l’évolution rapide vers un choc sep-
tique étant la règle en cas de bactériémie, avec un pronostic alors très
sombre [3]. Parallèlement à cette urgence thérapeutique absolue, l’évo-
lution de l’épidémiologie des infections à bacilles à Gram négatif en
France et en Europe, avec banalisation des entérobactéries productrices
de bêtalactamases à spectre élargi et émergence de souches productrices
de carbapénémases, impose une utilisation particulièrement raisonnée
des antibiotiques dans ce contexte [4,5].

B. Gachot* , F. Blot*, É. Chachaty**


*
Département de Soins Aigus
** Laboratoire de Microbiologie
Institut Gustave-Roussy
114, rue Édouard Vaillant
94800 Villejuif
E-mail : [email protected]
Sous la direction de Pierre Charbonneau et Michel Wolff, Infectiologie en réanimation.
ISBN : 978-2-8178-0388-3, © Springer-Verlag Paris 2013
491
492 Infectiologie en réanimation

27 Épidémiologie

Infection bactérienne
Cinquante à 70 % des épisodes de neutropénie fébrile restent non do-
cumentés : il n’y a ni point d’appel ou foyer clinique, ni documentation
microbiologique [2]. Ceci ne signifie pas que ces fièvres ne sont pas d’ori-
gine infectieuse, puisque la flore intestinale est composée essentiellement
de firmicutes, bactéries anaérobies strictes à Gram positif, dont on ne sait
cultiver que quelques espèces [6].
L’infection est documentée cliniquement dans 20 à 30 % des épisodes
fébriles : pneumopathie, infection cutanée et des tissus mous, foyer buc-
codentaire… Dix à 25 % des patients sont bactériémiques, les épisodes de
bactériémies survenant avant tout lors de neutropénies profondes (< 100/
mm3) et prolongées (plus de 10 jours). L’épidémiologie de ces bactérié-
mies a évolué ces dernières décennies [1]. Depuis les années 1980-1990,
les cocci à Gram positif prédominent, notamment en raison de l’utilisa-
tion larga manu des cathéters veineux centraux, de la toxicité muqueuse
des chimiothérapies et de l’utilisation des quinolones en prophylaxie. À
l’Institut Gustave-Roussy, sur 218 épisodes bactériémiques ou fongé-
miques survenus en hématologie entre janvier 2010 et juin 2011, un
quart étaient dus à des staphylocoques à coagulase négative (fig. 1). Les
bactériémies à staphylocoque doré sont très rares chez les patients neutro-
péniques. Les autres bactéries à Gram positif impliquées sont des entéro-
coques, mais aussi des streptocoques non hémolytiques, particulièrement
quand il existe une mucite importante, ce qui est le cas après chimiothé-
rapie par la cytarabine à forte dose [7]. Dans notre série, un quart des
bactériémies étaient dues à des entérobactéries, au premier rang desquelles
figure Escherichia coli. Ces entérobactéries sont souvent productrices de
bêtalactamases à spectre élargi dans certains pays [8]. Les entérobactéries
productrices de carbapénémases, endémiques dans plusieurs pays d’Eu-
rope du Sud, sont encore isolées sporadiquement en France [9]. Les autres
bacilles à Gram négatif en cause sont des Pseudomonas ou apparentés.
Les souches de P. aeruginosa sont fréquemment multirésistantes, représen-
tant un tiers des cas dans une étude italienne récente [10]. L’interruption
de la prophylaxie par les fluoroquinolones dans certains centres, devant
une prévalence croissante de la résistance à cette classe d’antibiotiques, a
entraîné une augmentation de la proportion des bactériémies à bacilles à
Gram négatif [11].
Infections chez les patients neutropéniques 493

Fig. 1 – Répartitions des micro-organismes en cause au cours de 218 épisodes bactériémiques


ou fongémiques survenus chez des patients d’hématologie hospitalisés à l’Institut Gustave-
Roussy. Les chiffres expriment la répartition des germes ou des catégories de germes en pour-
centages.
Staph coag neg : staphylocoques à coagulase négative.

Infection fongique
Les champignons sont rarement en cause lors du premier épisode fé-
brile au début de la neutropénie. Les infections fongiques surviennent
en général après la première semaine, chez des patients déjà sous antibio-
thérapie à large spectre [1, 2]. Les levures, avant tout du genre Candida,
peuvent être à l’origine d’une simple candidose oropharyngée, mais aussi
de fongémie à point de départ intestinal. Lors de l’évaluation effectuée
récemment dans notre institution, les fongémies représentaient, en hé-
matologie, 3 % des hémocultures positives (fig. 1). Les candidoses hépa-
tospléniques sont très rares.
Les infections à champignons filamenteux sont surtout des aspergilloses
invasives, pulmonaires ou sinusiennes, et surviennent dans la majorité des
cas après la deuxième semaine de neutropénie. La mucormycose est beau-
coup plus rare [12]. D’autres champignons filamenteux peuvent être en
cause, notamment chez les patients qui ne sont pas hospitalisés en secteur
protégé. Enfin, l’administration d’échinocandines en traitement empi-
rique est susceptible de sélectionner certaines espèces résistantes, telles
Hormographiella aspergillata [13].
494 Infectiologie en réanimation

Infection virale
27
L’épidémiologie des infections virales chez les patients neutropéniques
est mal connue. La fréquence des viroses respiratoires est possiblement
sous-estimée. La survenue d’un herpès buccal n’est pas rare, et peut
contribuer à la gravité de l’atteinte muqueuse déjà présente. Les infec-
tions à cytomégalovirus (CMV) ou adénovirus concernent surtout les
greffés de moelle, souvent après la phase de neutropénie.

Conduite à tenir diagnostique

Un interrogatoire policier doit rechercher tout antécédent infectieux


potentiellement pertinent : herpès nasolabial ou génital, furonculose, pa-
thologie anorectale, infection buccodentaire.
Le passé hospitalier récent doit faire l’objet d’une analyse soigneuse : type
de chimiothérapie reçue, date d’apparition de la neutropénie, traitements
antibiotiques, antériorité microbiologique, notamment toute colonisa-
tion à bactéries multirésistantes.
L’examen physique doit être très attentif, certains sites justifiant une atten-
tion toute particulière : la peau et les tissus mous, le périnée et le ou les
sites d’insertion des cathéters. Les réactions inflammatoires sont souvent
limitées ou absentes du fait de la neutropénie : des signes même discrets
doivent donc alerter. Enfin, l’existence de signes de gravité (instabilité
hémodynamique, polypnée, troubles de la vigilance ou syndrome confu-
sionnel…) influence nécessairement les choix thérapeutiques (cf. infra).
Les examens complémentaires de routine doivent inclure la fonction
rénale et les tests hépatiques. L’intérêt des marqueurs de l’inflammation,
protéine C réactive ou procalcitonine, est discuté [14]. Leur dosage n’est
pas recommandé en première intention [2].
Les hémocultures sont systématiques. Il est recommandé de prélever au
moins deux hémocultures aéro-anaérobies :
– une en périphérie et une sur cathéter si un dispositif intraveineux est
en place ;
– deux en périphérie, en deux sites différents, en l’absence de cathéter [2].
L’intérêt des hémocultures couplées sur cathéter est de réunir, en cas
de positivité, des arguments pour ou contre une infection du dispositif
intraveineux (tableau I). Le diagnostic de bactériémie sur cathéter peut
être affirmé lorsque l’hémoculture sur cathéter pousse plus vite qu’en
périphérie, avec une différence de plus de 2 heures (délai différentiel de
positivité) [15]. Ces informations sont capitales quand le germe isolé
est une entérobactérie ou un entérocoque, l’hypothèse prépondérante
étant une translocation bactérienne à partir du tube digestif. L’analyse
des résultats d’hémocultures couplées doit toujours être confrontée à
la clinique et prendre en compte le germe en cause. En cas de bacté-
Infections chez les patients neutropéniques 495

riémie à staphylocoque à coagulase négative, un délai différentiel de


positivité supérieur à 2 heures oriente vers la responsabilité du cathéter.
Dans quelques cas, rares, une bactériémie à staphylocoque à coagu-
lase négative peut être d’origine muqueuse [16] : un délai différentiel
de positivité des hémocultures négatif (tableau I), une colonisation de
plusieurs sites à ce germe constituent alors des arguments en faveur de
cette hypothèse.
Tableau I – Interprétation des couples d’hémoculture. DDP : délai différentiel de positivité.

Hémoculture Hémoculture Interprétation


sur cathéter périphérique
+ + DDP > 2 h : infection liée au cathéter
DDP négatif (l’hémoculture périphérique
pousse avant) : porte d’entrée extravasculaire
0 ≤ DDP ≤ 2 h : prélever un nouveau couple
d’hémocultures
+ – Infection non bactériémique
Colonisation du cathéter
– + Porte d’entrée extravasculaire
– – Pas d’infection du cathéter
Infection non bactériémique ?
Germe « fastidieux » (Propionibacterium, myco-
bactérie atypique…)

Le cas du staphylocoque doré est plus complexe : ainsi, une bactériémie


à staphylocoque doré sans autre porte d’entrée que le cathéter, et même
si le délai différentiel de positivité est inférieur à 2 heures, correspond le
plus souvent à une infection sur cathéter et impose son retrait.
Quoi qu’il en soit, chez un patient en choc septique, porteur d’un cathéter
et sans autre point d’appel (neutropénique ou non d’ailleurs), l’ablation
systématique du cathéter demeure la règle dès lors que la simple « déper-
fusion » du cathéter n’entraîne pas une amélioration très rapide, ce qui
permet d’améliorer le pronostic [3].
La coproculture isole rarement un germe entéropathogène autre que
Clostridium difficile. En revanche, l’évaluation semi-quantitative de la
flore intestinale permet d’identifier le germe dominant, qui est le plus
susceptible d’entraîner une bactériémie par translocation digestive [17].
Le spectre de l’antibiothérapie doit alors impérativement inclure ce germe
digestif dominant, et parfois multirésistant. Dans notre centre, nous réa-
lisons cet examen avant aplasie, puis à un rythme hebdomadaire au cours
des épisodes de neutropénie prolongée.
Un simple examen cytobactériologique des crachats peut être intéres-
sant quand il isole, en culture pure, un germe indiscutablement patho-
gène comme un pneumocoque, une entérobactérie ou un staphylocoque
doré. Le lavage bronchoalvéolaire, lorsqu’il est réalisable, a une renta-
496 Infectiologie en réanimation

bilité diagnostique moindre chez les patients neutropéniques que chez


27 les patients d’oncohématologie non neutropéniques [18, 19], la majorité
des patients recevant au moment de l’examen un traitement antibiotique
voire antifongique à large spectre.
L’examen cytobactériologique des urines, systématique, tient compte
de l’absence habituelle de leucocyturie.
La ponction ou la biopsie d’une lésion cutanée suspecte, avec examen
direct et culture, peut être déterminante, en particulier dans les candi-
doses invasives non candidémiques [2, 5].
En cas de doute sur un herpès buccal, un prélèvement local pour ana-
lyse virologique doit être réalisé. L’antigénémie aspergillaire, malgré son
manque de sensibilité, est volontiers réalisée une à deux fois par semaine
chez les patients à haut risque fongique.
La radiographie pulmonaire n’est recommandée qu’en cas de signe res-
piratoire [2]. Le scanner en coupes fines est l’examen maître pour le
diagnostic d’aspergillose pulmonaire invasive. Il permet en outre une
dissection sémiologique des anomalies éventuellement observées sur le
cliché standard, et de réaliser des coupes sur les sinus, l’abdomen et le
pelvis [2, 18].

Stratégie thérapeutique initiale

La stratification du risque de complication est un élément important


de la prise en charge des patients neutropéniques et fébriles après chimio-
thérapie, afin de déterminer les modalités thérapeutiques. L’existence
d’un des critères suivants définit le haut risque et impose une antibiothé-
rapie intraveineuse en milieu hospitalier [2] :
– neutropénie profonde (< 100/mm3) ou dont la durée attendue est
supérieure à 7 jours ;
– présence d’une comorbidité (au sens anglo-saxon du terme), notamment :
• instabilité hémodynamique,
• mucite empêchant toute prise médicamenteuse orale ou respon-
sable d’une diarrhée profuse,
• troubles digestifs à type de douleurs abdominales, nausées, vomis-
sements ou diarrhée,
• troubles neurologiques d’apparition récente,
• suspicion d’infection sur cathéter, en particulier devant l’existence
de signes locaux,
• pathologie pulmonaire chronique sous-jacente ou infiltrat pulmo-
naire récent, hypoxémie ;
– anomalies des tests hépatiques (cytolyse à plus de 5 fois la normale) ou
insuffisance rénale (clairance de la créatinine < 30 mL/min).
L’administration d’une antibiothérapie à large spectre chez ces patients est
une urgence absolue [1-3]. Le traitement doit dans tous les cas couvrir les
entérobactéries usuelles et Pseudomonas aeruginosa et repose désormais sur
Infections chez les patients neutropéniques 497

une bêtalactamine en monothérapie. De nombreuses études randomisées


et deux méta-analyses ont démontré l’absence de supériorité d’une bithé-
rapie comportant un aminoside [2].
La ceftazidime ne doit pas être utilisée seule en première intention chez
les patients à haut risque, a fortiori s’il existe une mucite, en raison de
sa mauvaise activité antistreptococcique [2, 5]. En l’absence de docu-
mentation microbiologique antérieure (et notamment, quand il n’existe
pas, au sein de la flore digestive, une souche résistante à ces molécules),
l’association pipéracilline-tazobactam ou le céfépime peuvent être pro-
posés. Une méta-analyse a suggéré un risque accru de mortalité avec
le céfépime, sans proposer d’explication [20], résultats contredits par
une deuxième méta-analyse menée par la FDA [2]. Le débat ne semble
pas clos [21]. À l’Institut Gustave-Roussy, nous utilisons soit l’associa-
tion pipéracilline-tazobactam, soit le céfépime en monothérapie quand
il n’existe pas de signes de gravité. Les carbapénèmes à activité anti-
Pseudomonas, notamment l’imipénème, ne doivent pas être utilisés en
première intention [4] sauf en cas :
– de colonisation connue à germe résistant, notamment une entérobac-
térie productrice de bêtalactamase à spectre élargi ;
– de signes francs de gravité, état de choc septique ou pneumonie hy-
poxémiante.
Une bithérapie bêtalactamine et aminoside doit sans doute être proposée
en cas de choc septique ou de pneumonie, et si on suspecte fortement
une infection à entérobactérie du groupe III ou Pseudomonas multirésis-
tant [2, 4].
L’adjonction d’un antibiotique anti-Gram positif, en pratique la vanco-
mycine, est recommandée dans les situations suivantes [2, 4] :
– sepsis sévère et choc septique ;
– pneumonie documentée ;
– hémoculture positive à bactérie à Gram positif, dans l’attente de
l’identification et de l’antibiogramme ;
– colonisation à staphylocoque doré méti-R ou pneumocoque résistant ;
– suspicion d’infection liée au cathéter ;
– infection de la peau et des tissus mous.
D’autres antibiotiques peuvent avoir une place en cas de colonisation ou
d’infection à certains germes, le choix devant être concerté avec l’infectio-
logue ou le microbiologiste [4, 5] :
– entérocoque résistant aux glycopeptides : linézolide ;
– entérobactéries productrices de carbapénémase : colistine, tigécycline ;
– Stenotrophomonas maltophilia : ticarcilline/clavulanate, sulfaméthoxazole-
triméthoprime.
Quand il existe des troubles digestifs importants (douleurs abdominales
spontanées et à la palpation, voire tableau d’entérocolite), le spectre de
l’antibiothérapie doit couvrir les anaérobies (par exemple, le céfépime
doit être associé au métronidazole).
498 Infectiologie en réanimation

27 Quand et comment modifier le traitement antibiotique ?

Les modalités du traitement antibiotique empirique doivent systé-


matiquement être reconsidérées à 48, maximum 72 heures [2, 4]. En
cas de documentation microbiologique, il est souvent possible de choisir
une stratégie de « désescalade » : arrêt de la vancomycine en l’absence
d’infection à cocci à Gram positif, arrêt de l’aminoside et rétrécissement
du spectre de la bêtalactamine, en remplaçant par exemple l’imipénème
par l’association pipéracilline-tazobactam. Idéalement, ces décisions sont
prises dans le cadre d’une concertation pluridisciplinaire associant infec-
tiologues, microbiologistes, hématologues et le cas échéant réanimateurs.
Le plus souvent, il n’y a pas de documentation clinique ou microbiolo-
gique. La stratégie dépend alors (fig. 2) :
– de l’état du patient lors de la mise sous antibiotiques (existence ou
non de signes de gravité) ;
– de l’évolution : apyrexie, fièvre persistante sans signes de gravité,
ou dégradation.

Fig. 2 – Réévaluation de l’antibiothérapie initiale chez les patients neutropéniques fébriles à


haut risque sans documentation clinique ni microbiologique.
TDM : tomodensitométrie ; BMR : bactérie multirésistante.

Une fièvre persistante isolée ne constitue pas un argument suffisant pour


élargir le spectre du traitement antibiotique [2]. Une stratégie de désesca-
lade sera même privilégiée quand il n’y a pas de dégradation clinique [4].
Infections chez les patients neutropéniques 499

Souvent, le glycopeptide et l’aminoside introduits initialement peuvent


être interrompus, et il est possible de rétrécir le spectre de la bêtalacta-
mine en passant par exemple de l’imipénème au céfépime ou à l’associa-
tion pipéracilline-tazobactam. En cas de fièvre persistante et a fortiori
de dégradation clinique, les particularités pharmacodynamiques et phar-
macocinétiques des agents anti-infectieux peuvent conduire à ajuster les
posologies sur la base d’éventuels dosages [22].
Chez un patient stable lors de la mise sous antibiotiques et devenu apy-
rétique depuis au moins 48 heures, l’arrêt de l’antibiothérapie peut être
envisagé sous réserve d’une surveillance clinique rapprochée [4].

Durée du traitement antibiotique

En cas d’infection documentée, la durée du traitement dépend du site


de l’infection et du germe en cause [1, 2, 4]. L’antibiothérapie est pour-
suivie au moins jusqu’à la résolution de la neutropénie (polynucléaires
neutrophiles ≥ 500/mm3). Quand la poursuite du traitement après la
sortie d’aplasie apparaît justifiée (par exemple, pour atteindre une durée
totale de traitement de 7 jours dans une bactériémie), il convient d’ef-
fectuer un relais avec une molécule à spectre étroit, si possible par voie
orale [5]. Ainsi, une bactériémie à E. coli sauvage traitée initialement par
une association pipéracilline-tazobactam relève, après la sortie d’aplasie,
de l’amoxicilline ou d’une fluoroquinolone par voie orale.
Chez les patients fébriles sans documentation, l’antibiothérapie est
interrompue lorsque la résolution de la neutropénie est confirmée. Sou-
vent, l’apyrexie survient dans les jours qui suivent. Lorsque la fièvre per-
siste, il faut reprendre les investigations et en particulier, à l’issue d’une
aplasie prolongée, évoquer une infection fongique (cf. infra).

Place du traitement antifongique

Quand la fièvre persiste ou réapparaît après 4 à 7 jours de traite-


ment antibiotique à large spectre chez un patient dont la durée pré-
visible de neutropénie excède 7 jours, il faut évoquer une infection
fongique et réaliser, outre les prélèvements usuels, une antigénémie
aspergillaire. Le scanner thoracique ou des sinus recherche des ar-
guments en faveur d’une aspergillose invasive. L’administration d’un
traitement antifongique empirique (c’est-à-dire, sur la seule base de
l’existence d’une fièvre) demeure la règle, et est basée soit sur une
échinocandine, soit sur l’amphotéricine B liposomale [2, 23]. Chez
les patients qui reçoivent une prophylaxie antifongique, un change-
ment de classe thérapeutique apparaît justifié [2]. Une autre approche
actuellement proposée chez les patients stables cliniquement est un
500 Infectiologie en réanimation

traitement antifongique préemptif, c’est-à-dire poursuivi uniquement


27 quand il existe un ou plusieurs arguments biologiques ou iconogra-
phiques en faveur d’une infection fongique [2, 24].

Autres mesures thérapeutiques

Une prophylaxie antibiotique par les fluoroquinolones est proposée chez


les patients à haut risque, mais les textes les plus récents allègent le poids
de cette recommandation, en soulignant l’augmentation préoccupante de
la résistance des bacilles à Gram négatif à cette classe d’antibiotiques [2].
Nous avons fait le choix de ne pas appliquer cette recommandation à l’Ins-
titut Gustave-Roussy. L’administration de facteurs de croissance n’est pas
recommandée en curatif. Une prophylaxie des infections à Candida est re-
commandée chez les allogreffés de moelle et au cours des chimiothérapies
d’induction ou de consolidation des leucémies aiguës [2]. Une prophylaxie
antiaspergillaire peut être justifiée chez certains patients à très haut risque
(chimiothérapie intensive pour leucémie aiguë myéloblastique ou myélo-
dysplasie notamment). Les indications des antiviraux sont limitées à la pro-
phylaxie des infections à HSV ou VZV (allogreffe, induction de leucémie
aiguë) et au traitement curatif des infections documentées.

Mesures environnementales

Les mesures les plus importantes sont le respect des précautions stan-
dard chez tous les patients, en particulier l’hygiène des mains. Les mesures
d’isolement protecteur sont la règle chez les patients neutropéniques à haut
risque, en particulier les allogreffés et les patients traités pour une leucémie
aiguë, malgré l’absence de preuve de leur efficacité. Un système spécifique
de traitement de l’air (taux de renouvellement horaire > 12, filtration de
type HEPA, pression positive) est recommandé chez les allogreffés [2], et
souvent proposé aux autres catégories de patients à haut risque fongique
(myélodysplasie, induction de leucémie aiguë). Chez les patients à très
haut risque transférés en réanimation, la rupture de l’isolement peut être
compensée par l’utilisation de systèmes individuels de traitement de l’air.

Conclusions

Toute neutropénie fébrile postchimiothérapie relève de l’administra-


tion en urgence, dans les 2 heures, d’une antibiothérapie à large spectre
qui repose désormais, le plus souvent, sur une bêtalactamine à large
Infections chez les patients neutropéniques 501

spectre en monothérapie. En cas de signes de gravité, notamment de choc


septique, l’antibiothérapie de première ligne repose souvent sur une asso-
ciation carbapénème, aminoside et vancomycine. Mais dans tous les cas,
cette stratégie doit être remise en question à 48-72 heures, en privilégiant,
chaque fois que c’est possible, une désescalade. Quand la fièvre persiste
sans signe de détérioration clinique, il n’y a pas lieu de modifier le trai-
tement antibiotique et le traitement antifongique peut, chez certains pa-
tients, être préemptif plutôt qu’empirique. Le respect de ces règles de bon
usage des agents anti-infectieux est déterminant en raison de l’émergence
de souches bactériennes de plus en plus résistantes aux antibiotiques.

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Prise en charge des infections
chez les adultes transplantés d’organe(s)
28
F. SCHNEIDER, M. GUILLOT, M.-C. CHOMETTE, N. DOUIRI, J.-É. HERBRECHT, M. DIOUF,
S. KREMER*, T. LAVIGNE, P. LUTUN

Introduction

Le développement des programmes de transplantation a conduit à


l’augmentation du nombre de malades transplantés admis en réanima-
tion avec la présomption d’état infectieux grave. De plus, les indications
de transplantation en urgence s’élargissent, ce qui conduit à transplanter
des malades plus sensibles à l’infection systémique du fait de leur statut
d’« agressé ». De présentation clinique souvent atypique au départ, les in-
fections rencontrées ont des étiologies parfois inhabituelles et réclament
des techniques d’identification sophistiquées. L’étiologie de l’infection
varie selon le niveau réel d’immunosuppression du malade : quand il est
profond (premier mois après la transplantation, période de majoration de
l’immunosuppression pour rejet), les agents responsables de l’infection
ne sont pas les mêmes que pendant les périodes où ce niveau est optimisé
(tableau I). Les traitements disponibles sont nombreux, présentent des
toxicités particulières et sont susceptibles d’interférences multiples avec
les immunosuppresseurs. Enfin, dans ses décisions thérapeutiques, le réa-
nimateur doit intégrer les prophylaxies anti-infectieuses en cours. Toutes

F. Schneider , M. Guillot, M.-C. Chomette, N. Douiri, J.-É. Herbrecht, M. Diouf, S. Kremer*,


T. Lavigne, P. Lutun
Services de Réanimation Médicale et de Neuroradiologie*
Hôpital de Hautepierre, Hôpitaux Universitaires de Strasbourg
et Faculté de Médecine, Université de Strasbourg
67098 Strasbourg, France
Correspondance :
Francis Schneider
Service de Réanimation Médicale
Hôpital de Hautepierre
Avenue Molière
67098 Strasbourg, France
E-mail : [email protected]
Sous la direction de Pierre Charbonneau et Michel Wolff, Infectiologie en réanimation.
ISBN : 978-2-8178-0388-3, © Springer-Verlag Paris 2013
503
504 Infectiologie en réanimation

ces notions justifient la possibilité permanente d’accès à un dossier médi-


28 cal actualisé pour la prise en charge de ces malades.
Tableau I – Risque infectieux statistique au cours du temps (si mesures préventives
correctement suivies en cours*).

1er mois 2e – 6e mois Après 6 mois


Toutes infections liées Infections à bactéries Toutes infections
aux soins (en particulier particulières (Listeria, bactériennes
en réanimation) : sur Nocardia, bacille communautaires
voies d’abord, cicatrices tuberculose, Clostridium
Infections à levures
postopératoires… difficile) ou à parasites
champignons
(Toxoplasma, Cryptococcus,
Portage germes
Strongyloïdes, Leishmania, Surtout si :
multirésistants :
Trypanosoma…) – hygiène alimentaire
– SMR
défectueuse
– BLSE Infections virales
– voyages en milieux
– CHN – Adénovirus
sauvages ou défavorisés sans
– ERG – Grippe
précautions d’hygiène
– Clostridium difficile – Polyomavirus
– séjours multiples en
– VHB et VHC
Colonisation fongique milieu hospitalier
(Candida, Aspergillus, – infections virales (CMV
autres) digestif et oculaire,
encéphalite herpétique)
Infections provenant du
donneur
* Prévention obligatoire :
– HSV
– VZV
– CMV
– Pneumocystis
– Hépatite C
– Hépatite B
– Interdiction des médicaments leucopéniant et/ou interférant avec métabolisme des immunosup-
presseurs
– Surveillance régulière d’une détérioration des fonctions rénale et hépatique.
SMR : staphylocoque méthiciline résistant ; BLSE : bêtalactamase à spectre étendu ; CHN : cépha-
losporinase à haut niveau ; ERG : entérocoque résistant aux glycopepetides ; VZV : varicelle zona
virus ; CMV : cytomégalovirus ; VHB : virus de l’hépatite B ; VHC : virus de l’hépatite C.

Aspects diagnostiques et curatifs spécifiques

Une infection doit être évoquée systématiquement et prioritairement


dès l’apparition de fièvre, quels que soient les signes d’accompagne-
ment [1]. Son expression clinique est souvent classique, mais peut être
amoindrie par des mesures thérapeutiques préventives ou les traitements
immunosuppresseurs en cours. La difficulté de mise en évidence d’un
foyer infectieux de départ ne doit retarder ni le dépistage de signes de gra-
vité ni le démarrage de traitements empiriques. Une expression clinique
sévère ou fulgurante est possible même pour une infection opportuniste.
Prise en charge des infections chez les adultes transplantés d’organe(s) 505

Enfin, la symptomatologie simule parfois un rejet de greffe voire une


pathologie tumorale (à distance de la transplantation).
L’agent pathogène peut être d’origine communautaire ou nosocomiale.
De surcroît, il peut être transmis par le donneur [2], ou être endogène et
réactivé par l’immunosuppression thérapeutique [1, 3]. La survenue de
co-infections est fréquente : leurs traitements simultanés sont nécessaires
pour obtenir la guérison. Enfin, de nombreux traitements interfèrent avec
la pharmacocinétique et la pharmacodynamie des agents immunosup-
presseurs : le risque de majorer l’état d’immunosuppression à l’insu du
prescripteur justifie de toujours limiter les prescriptions au strict néces-
saire.
En cas d’infection grave documentée mais réfractaire au traitement, il faut
savoir évoquer un déficit immunitaire associé (neutropénie, hypogamma-
globulinémie) dont la correction favorise la guérison [1].

Infections bactériennes
Communautaires ou associées aux soins, les infections bactériennes
n’ont pas de particularité clinique et ne réclament pas d’approche bio-
logique inhabituelle, bien que le transplanté présente une fragilité no-
table du système de défenses immunitaires qui l’expose davantage aux
infections opportunistes. Il est primordial d’identifier au plus vite agents
infectieux banals ou opportunistes responsables en spécifiant au micro-
biologiste les raisons de recherches particulières (contexte clinique, trai-
tements déjà en cours…). Pour un épisode initial, le bilan biologique
comporte deux volets standardisés, mais des tests sophistiqués en cours
d’évaluation sont disponibles dans les centres de référence (tableau II,
d’après [1, 4]). Les infections bactériennes compliquent fréquemment
les épisodes infectieux viraux communautaires (grippe, virus respiratoire
syncytial, méta-pneumovirus…).
Certaines affections bactériennes méritent une mention particulière.

La tuberculose
Elle survient chez 0,5 à 2,3 % des transplantations hépatiques se-
lon la prévalence de la tuberculose à l’endroit où vivent donneur et
receveur [5]. Elle peut être transmise par le donneur par le biais du
greffon [6]. Le risque de tuberculose est de 50 % supérieur à celui de
la population générale [7] : les facteurs de risque sont un antécédent
personnel du donneur, la profondeur de l’immunosuppression (en par-
ticulier après anticorps antilymphocytaires), l’âge avancé et les comor-
bidités (diabète, co-infections par CMV, pneumocyste ou Nocardia).
La tuberculose survient en moyenne 4 mois après la greffe, touche
plutôt les poumons sous forme d’atteintes nodulaires ou bronchecta-
siantes (50 % des cas), mais les atteintes systémiques ne sont pas ex-
ceptionnelles [5]. Les tuberculostatiques (isoniazide, rifampicine, py-
razinamide) exposent au risque d’hépatite toxique, mais aussi à celui
506 Infectiologie en réanimation

de rejet, du fait d’une part de l’induction des enzymes métabolisant les


28 inhibiteurs de la calcineurine, et d’autre part, d’interférences avec le
métabolisme des corticoïdes par la rifampicine. Les tuberculostatiques
alternatifs (rifabutine, quinolones, aminoglycosides) n’ont pas été bien
évalués chez le transplanté. Il n’existe pas d’argument pour abréger la
durée du traitement. La mortalité varie de 30 à 100 %. Des formes
latentes sont possibles malgré les performances des systèmes de détec-
tion les plus récents [1]. Quand il existe une suspicion de tuberculose
non documentée chez le donneur (découverte post-mortem de lésions
pulmonaires suspectes chez un donneur de foie asymptomatique), l’ad-
ministration d’isoniazide chez le receveur est préconisée pour une durée
de 9 mois [8].
Tableau II – Exemple de bilan d’admission chez un transplanté fébrile suspect d’infection.

1. Prélèvements « classiques »
– Recherches standard de bactéries, levures, virus et étude de leur sensibilité in vitro
– Mesure des charges virales et recherches d’antigènes circulants (polymerase chain
reaction (PCR) CMV, herpès, antigènes fongiques (Aspergillus, Candida…)
2. Évaluation du statut immunitaire
– Numération et formule sanguines ; numération plaquettaire
– Grandes fonctions d’organes (rein, foie, métabolisme glucidique)
– Déficits immunitaires associés (hypogammaglobulinémie)
– Intégrité cutanée et muqueuse (clinique)
– Concentrations plasmatiques des immunosuppresseurs (à comparer avec la cible
idéale qui varie selon le temps écoulé depuis la greffe et selon l’organe)
– Prise en compte des traitements associés (chimioprophylaxie antérieure…)
3. Explorations sophistiquées (voir [1] pour revue)
– Recherches microbiologiques multiplex
– Biomarqueurs de rejet (cytokines)
– Analyse des sous-populations lymphocytaires
– Cytotoxicité lymphocytaire
– Marquages intracellulaires de cytokines (dont interféron)
– Profils d’expression génétique du métabolisme médicamenteux (antirejets)

La listériose
Elle survient 100 à 1000 fois plus souvent chez le transplanté que dans
la population générale [9]. La maladie se raréfie actuellement du fait d’un
moindre usage des anticorps antilymphocytaires. Son expression est celle
de rhombencéphalites fébriles ou d’abcès cérébraux, mais des formes sys-
témiques (abcès multiples) ne sont pas exceptionnelles. Dans les formes
cérébrales, le diagnostic différentiel est difficile avec d’autres atteintes op-
portunistes (aspergillose, candidose, cryptococcose, toxoplasmose…). Le
traitement antibiotique (amoxicilline (200 mg/kg) + aminoside (genta-
mycine 3 mg/kg) ou cotrimoxazole) ne comporte pas de particularité. La
mortalité est de 30 %.
Prise en charge des infections chez les adultes transplantés d’organe(s) 507

La nocardiose
Plus fréquente après transplantation du rein avec antécédent de rejet,
elle survient en moyenne entre 2 et 3 ans après la transplantation [10].
Son expression usuelle est une atteinte pulmonaire (nodules parenchyma-
teux avec infiltrats extensifs aux organes de proximité) dans 30 à 50 % des
cas. La détection du germe réclame des mesures particulières de culture.
Le thrimétoprime-sulfaméthoxazole donné en prévention de la pneumo-
cystose, ou d’autres antibiothérapies (céphalosporines, carbapénèmes et
linézolide) inhibent le développement de Nocardia in vitro. Un traite-
ment prolongé (cotrimoxazole injectable associé à un aminoside pendant
4 à 6 semaines, puis relais cotrimoxazole seul per os jusqu’à 6 mois) est
nécessaire dans les formes disséminées.
Des tendances épidémiologiques récentes se dégagent du fait des chan-
gements de stratégies de l’immunosupression depuis les années 1980
et de la mise en place systématique de préventions au long cours [11,
12]. La fréquence et la sévérité des infections bactériennes communau-
taires classiques et opportunistes, et celles liées aux soins se modifient.
Actuellement, on observe une diminution des infections opportunistes
par manque d’hygiène, mais une augmentation des infections commu-
nautaires à bactéries encapsulées (Streptococcus, Haemophilus…) et des
infections à germes multirésistants (acquis par colonisation pendant les
hospitalisations). Enfin, du fait de la bonne tolérance de la greffe, de nom-
breux transplantés voyagent à l’étranger en zones d’endémies, rapportant
des germes et des parasites auxquels ils sont plus sensibles que le sujet
normal.

Infections virales
Les infections à Herpesviridae sont de loin les plus fréquentes. Elles
ont été responsables d’une telle morbi-mortalité que leur prévention est
systématiquement organisée après transplantation.

Deux infections sont fréquentes

L’infection par le cytomégalovirus (CMV)


Ce virus induit des lésions de l’organe transplanté mais aussi du sys-
tème immunitaire de l’hôte, parfois en l’absence de manifestations cli-
niques ou de virémie détectable. On distingue réplication virale asymp-
tomatique et maladie virale symptomatique. Le diagnostic peut s’avérer
complexe devant une fièvre élevée avec déchéances viscérales multiples [1,
4]. La mesure des antigénémies du CMV, technique initiale de référence,
a été remplacée par la mesure quantitative d’acides nucléiques du virus
par PCR. Elle sert à décider la mise en route du traitement préemptif et
au suivi de son efficacité. La preuve d’une atteinte viscérale nécessite par-
508 Infectiologie en réanimation

fois la détection d’antigènes du virus dans une biopsie (foie, tissu digestif,
28 cellules du LBA, du LCR…), puisque de véritables atteintes d’organes
(encéphalite, hépatite, rétinite, SDRA…) sont rapportées avec des anti-
génémies et des charges virales sanguines indétectables. Dans les formes
avec atteinte viscérale ou systémique, le traitement de première intention
repose sur le ganciclovir intraveineux (5 mg/kg/12 h pendant 15 jours,
posologie à adapter selon la fonction rénale) associé à une diminution
des immunosuppresseurs (demi-posologie des anticalcineurines, ou sup-
pression de l’azathioprine ou du mycophénolate mofétil dans le cadre
d’une triple association). La survenue d’une neutropénie (< 2000/mm3)
qui peut être la manifestation hématologique de la maladie virale, doit
faire stopper les autres médicaments responsables de leucopénie et faire
administrer un facteur de croissance avant de diminuer la dose de ce
médicament (toxicité hématologique possible du ganciclovir). La durée
de traitement est guidée par la négativation de la charge virale pendant
2 semaines. Il existe un risque de récidive (> 30 %), en particulier chez
les transplantés de rein, de rein-pancréas, et de poumon. En cas d’at-
teinte pulmonaire (SDRA), une perfusion d’immunoglobulines anti-
CMV (0,5 g/kg) a été préconisée par analogie avec la transplantation
de moelle [13]. Après traitement, une prophylaxie secondaire doit être
envisagée. La résistance du CMV au traitement survient chez 5 à 10 %
des malades, surtout après prophylaxie prolongée, et chez des transplan-
tés pulmonaires : elle s’envisage si la maladie clinique s’aggrave ou si la
charge virale s’amplifie après 7 jours de traitement bien conduit. Elle est
souvent de nature génétique et s’évalue dans des laboratoires spéciali-
sés [1, 4]. Dans l’attente des résultats, cette suspicion rend licite d’associer
du foscarnet ou du cidofovir qui ont des toxicités propres (respectivement
rénale et du métabolisme du calcium).

Les infections à Herpes simplex virus (HSV) et à virus de la varicelle et du zona (VZV)
Elles sont fréquentes, puisque 40 à 70 % des receveurs d’organes sont
séropositifs pour HSV et présenteront des signes cutanéomuqueux ty-
piques ou des formes généralisées de cette infection par réactivation du
virus latent à la faveur de l’immunosuppression induite, et/ou de fac-
teurs de risque (immunosuppression par OKT3, antithymoglobulines,
mycophénolate mofétil, absence de prévention par aciclovir ou ganciclo-
vir…) [3]. Encéphalite et hépatite sont les motifs les plus courants d’ap-
pel aux réanimateurs. Le traitement nécessite des posologies d’emblée
maximales d’aciclovir (30 mg/kg/j).

Infections virales rares


Leur sévérité justifie un diagnostic systématique (tableau III) ou sont
l’objet d’enjeux spécifiques.
Les infections par le virus d’Epstein-Barr (EBV) [1, 15] sont évoquées
devant un désordre lymphoprolifératif (prolifération polyclonale puis
monoclonale de lymphocytes B) simulant une mononucléose infectieuse.
Tableau III – Viroses peu communes après transplantation (d’après [14]).
Famille Virus Tableau clinique chez le greffé Organe transplanté Période à risque élevé Traitement curatif
Adenoviridae 51 variétés – Virémie fébrile (peu symptomatique par ailleurs) – Cœur 10 % < 3 mois surtout si : Données limitées
– Parfois déchéances multiviscérales (sans spécificité) – Poumon 20 % – GVH avec cidofovir
– Rein – lymphopénie profonde
Arenaviridae Virus de la – Chorioméningite Tous, mais infections groupées à Avant 4 semaines Aucun
chorioméningite – Maladie hémorragique partir d’un donneur
lymphocytaire et de
la fièvre de Lassa
Virus du complexe Déchéance multiviscérale, pancytopénie, CIVD, Possibilité de contamination
Tacaribe encéphalopathie nosocomiale
Virus de Virus hépatite E – Hépatite virale aiguë puis chronique Rare, plus fréquente après 2 à 8 semaines Aucun
l’hépatite E – Hépatite fulminante en cas d’hépatite antérieure transplantation hépatique
– Polyradiculonévrite aiguë et encéphalite
Herpesviridae HV 6A Atteintes respiratoires, digestives, neurologiques et Foie (en particulier si GVH) Médiane de survenue Ganciclovir ±
pancytopénie 20-24 mois foscarnet
HV 6B – Roséole
HV 7 – Roséole-like
HV 8 – Syndrome de Kaposi Rein (surtout en zones d’endémie : Valganciclovir
– Maladie de Castleman Afrique de l’Ouest, Brésil, Afrique
– « Primary effusion lymphoma » du Sud)
Parvoviridae Parvovirus B19 Anémie hémolytique récurrente après épisode 3 mois Immunoglobulines
respiratoire (parfois nosocomial), mais aussi hépatite, polyvalentes
myocardite, SDRA, atteinte neurologique
Polyomaviridae BK virus – Néphropathie Rein 1,5 - 2 ans Aucun
JC virus – Leucoencéphalopathie multifocale - néphropathie Foyer d’épidémie à partir Aucun
d’un donneur unique
Rhabdoviridae Lyssavirus Encéphalite mortelle (rage) < 30 jours Aucun
Arboviridae West Nile virus – Syndrome pseudo-grippal communautaire (ou à partir Tous, mais infections < 1 mois si liée au Aucun
du donneur, ou d’une transfusion) communautaires groupées ou chez donneur
– Atteintes neurologiques (centrale ou périphérique) un groupe de greffés soignés de – À tout moment si
façon identique communautaire
Prise en charge des infections chez les adultes transplantés d’organe(s)

GVH : greffon versus hôte ; CIVD : coagulation intravasculaire disséminée.


509
510 Infectiologie en réanimation

Le diagnostic différentiel peut être délicat avec une prolifération mono-


28 clonale bénigne ou avec une prolifération lymphomononucléaire maligne
(3 à 10 % des transplantés) [1]. Chez les receveurs séronégatifs d’organes
de donneur EBV+, une infection effective à EBV peut être en cause, mais
la prolifération cellulaire peut aussi être favorisée par une exposition à du
sérum antilymphocytaire ou une co-infection à CMV. Dans l’année sui-
vant la transplantation, cette prolifération peut correspondre à un clone
de cellules B, CD20+, alors qu’à distance, la maladie comprend souvent
une négativité de l’antigène EBV et des cellules T de type NK et est, alors,
de mauvais pronostic. Le rôle précis du virus est mal défini, le tableau cli-
nique est souvent complexe (fièvre inexpliquée, syndrome mononucléo-
sique, atteinte gastro-intestinale hémorragique, occlusion, perforation,
masses abdominales, infiltration de l’organe transplanté, atteinte hépa-
tique ou pancréatique et atteinte nerveuse centrale), rendant le diagnostic
définitif compliqué. La similitude avec un épisode de rejet est parfois telle
que, même histologiquement, le doute est possible et ne peut être levé que
par la mesure de la charge virale en EBV [15]. Une diminution de l’im-
munosuppression permet parfois d’améliorer la situation, une progression
de la maladie exige un avis hématologique (chimiothérapie, irradiation,
anticorps monoclonaux anti-CD20).
La grippe et les autres viroses à tropisme respiratoire (VRS, virus métap-
neumoniques…) constituent une vraie menace après transplantation [16],
surtout pulmonaire. Il n’existe pas de recommandation thérapeutique
spécifique pour les transplantés : il faut traiter le plus tôt possible dès la
suspicion. L’antiviral de choix est celui en cours de recommandation par
les autorités sanitaires au moment des épidémies. Une préférence est don-
née aux inhibiteurs de neuraminidase (oseltamivir ou zanamivir) actifs
sur la plupart des virus actuels sauf le virus A H1N1 avec la mutation
H274Y [17]. Le péramivir n’a pas été évalué chez les transplantés. La
durée de traitement est inconnue : à partir de données acquises chez les
transplantés de moelle, il est préconisé une durée plus longue que chez le
sujet sain (> 5 jours). Des posologies plus élevées d’oseltamivir semblent
diminuer virémie et mortalité chez les malades admis en réanimation [17].
Les infections à polyomavirus, virus BK et JC sont décrites chez des
patients qui présentaient une néphropathie ou une obstruction urétérale,
le virus JC a été associé à des leucoencéphalites progressives multifocales.
La détection du virus par PCR dans le sang ou dans les urines confirme le
diagnostic. Il n’existe aucun traitement spécifique, mais il faut diminuer
l’immunosuppression. Certains ont préconisé le cidofovir, inhibiteur de
la synthèse du DNA viral, très néphrotoxique, ou le léflunomide qui est
un agent immunosuppresseur avec des propriétés anti-BK virus et CMV,
voire l’administration intraveineuse d’immunoglobulines. Ces traitements
n’ont pas fait l’objet d’évaluations thérapeutiques précises [14].
Prise en charge des infections chez les adultes transplantés d’organe(s) 511

Infections fongiques et parasitaires


De nombreux agents fongiques opportunistes sont responsables de
mycoses profondes mortelles si l’agent responsable n’est pas traité pré-
cocement. Un traitement préemptif est nécessaire dès que sont associés
fièvre, syndrome infectieux et inflammatoire, et facteurs de risques éta-
blis (colonisation préalable du receveur ou du greffon, co-infections par
CMV, insuffisance rénale [notamment si dialyse], transfusions peropé-
ratoires massives, maladie fulminante en cas d’hépatite, réintervention
ou retransplantation, bronchiolite oblitérante et transplantation uni-
pulmonaire chez le transplanté pulmonaire, antibiothérapie et antifon-
giques à large spectre en cours chez des malades transplantés hospitali-
sés en réanimation…) [18, 19].

Deux infections fongiques sont fréquentes

Les candidoses (53 % des cas)


Le transplanté hépatique est le transplanté le plus à risque de déve-
lopper une candidose invasive ou une candidémie. Candida albicans est
l’espèce la plus fréquemment responsable, mais des espèces non albicans,
résistantes au fluconazole, sont de plus en plus souvent détectées. Ces
infections se compliquent volontiers de localisations secondaires (œil,
système nerveux central, foie, rate, endocarde, anastomoses vasculaires
du transplant…). La mortalité varie de 30 à 50 % malgré le traitement.
Le diagnostic revient à la culture d’un prélèvement biologique ; la valeur
diagnostique des sérologies et des PCR reste débattue en l’absence d’iso-
lement d’un germe. En première intention, dans l’attente d’une identi-
fication certaine, le traitement préconisé est soit le fluconazole (12 mg/
kg en dose de charge, puis 6 mg/kg/j) en l’absence de prise récente et
si les manifestations cliniques sont peu sévères, soit une échinocandine
(caspofungine à raison de 70 mg en dose de charge, puis 50 mg/j en en-
tretien, ou micafungine 100 mg/j ; ou anidulafungine 200 mg en dose de
charge puis 100 mg/j) dans les formes cliniques d’apparence plus sévère.
Le voriconazole est souvent efficace mais n’est pas supérieur aux autres
produits dans ces circonstances. La durée de traitement est de 14 jours en
l’absence de métastase septique [20].

Les aspergilloses (19 % des cas)


Elles résultent d’une contamination par inhalation de spores de l’en-
vironnement. Les agents les plus fréquemment impliqués sont A. fumi-
gatus, A. flavus, A. terreus et A. nidulans. Les transplantés pulmonaires,
cardiaques et hépatiques courent un risque maximal dans la période de
3 à 4 mois suivant la transplantation. Des aspergilloses fulgurantes sont
rapportées chez des malades intubés en attente de greffe, mais aussi dès
la phase postopératoire précoce. C’est pour cette raison qu’un isolement
aérien est parfois préconisé en période postopératoire immédiate en
512 Infectiologie en réanimation

chambre à flux laminaire avec air filtré (filtre à air à très haute efficacité).
28 Les expressions cliniques les plus classiques sont respiratoires, sinusiennes
et neurologiques, souvent avec peu de fièvre. La preuve d’infection est
obtenue par la mise en évidence d’Aspergillus dans des prélèvements pro-
fonds (LBA, LCR). La recherche d’antigènes galactomananes ou bêta-d
glucane sériques est préconisée deux fois par semaine chez les malades
à risque. Certains préconisent la mise en place d’un traitement dès l’as-
cension des antigénémies. Néanmoins, malgré les bonnes sensibilité et
spécificité des techniques ELISA, la survenue de faux positifs est établie
(antibiotiques, aliments…). La mortalité globale de l’aspergillose est de
66 à 100 %, supérieure chez les greffés multiorganes. Le traitement de
première intention est le voriconazole (6 mg/kg/12 h en dose de charge le
premier jour, puis 4 mg/kg/12 h en entretien), mais certaines échinocan-
dines sont efficaces, et remplacent avantageusement l’amphotéricine B en
cas d’atteintes hépatiques et rénales associées [21]. L’exérèse chirurgicale
de lésions uniques non contrôlées ou exposant à un risque hémorragique
(hémoptysie) est une éventualité à envisager [21].

Infections parasitaires rares ou à incidence en baisse

La pneumocystose (P. carinii ou jirovecii)


Infection opportuniste responsable de pneumopathies interstitielles
diffuses mais aussi de formes disséminées à l’ensemble de l’organisme
chez le transplanté [22], son diagnostic est basé sur la mise en évidence de
Pneumocystis dans le LBA. Elle correspond soit à un réveil d’une primo-
infection stabilisée, soit à une réinfection à l’occasion du traitement im-
munodépresseur. La maladie est favorisée par une corticothérapie supé-
rieure à 15 mg/j pendant 4 à 6 semaines, l’administration de ciclosporine,
de sirolimus, de tacrolimus ou d’anticorps antithymoglobulines, surtout
si aucune prévention n’est réalisée dès la transplantation. Le diagnostic
peut être difficile quand l’inoculum de Pneumocytis est faible : les tech-
niques performantes (rt-PCR) sont plus sensibles et plus spécifiques mais
n’autorisent pas toujours une discrimination parfaite entre maladie et co-
lonisation [22]. Un diagnostic différentiel difficile est la pneumopathie
idiosyncrasique au sirolimus. Le traitement curatif de première intention
demeure le triméthoprime-sulfaméthoxazole injectable (15-20 mg/kg et
75-100 mg/kg). Quand ce traitement est impossible (allergies, dysfonc-
tion hépatique ou rénale sans possibilité d’un suivi des concentrations
plasmatiques), l’utilisation de l’atovaquone (750 mg × 2/j) est préconisée
par voie orale en l’absence de présentation pour administration par voie
intraveineuse. La durée de traitement préconisée est de 3 semaines. Des
résistances génétiques doivent être suspectées en cas d’aggravation cli-
nique malgré 1 à 2 semaines de traitement. Une corticothérapie dégres-
sive (80 g/j pendant 5 jours, puis 40 mg/j pendant 5 jours, puis 20 mg/j
pendant 11 jours) est recommandée en cas de SDRA [22].
Prise en charge des infections chez les adultes transplantés d’organe(s) 513

La cryptococcose
Provenant de l’inhalation de spores de C. neoformans issues de fientes
d’oiseaux, et donnant une primo-infection pulmonaire susceptible de
disséminer à tout l’organisme, en particulier aux méninges, la maladie
se diagnostique par la positivité d’une hémoculture ou d’une antigéné-
mie. Il y a 15 à 20 % d’échec thérapeutique dans ces formes cliniques
malgré l’application des recommandations de traitement (15 jours par
amphotéricine B liposomale ± flucytosine, puis 10 semaines de mono-
thérapie par fluconazole) [23, 24]. L’un des enjeux du traitement est le
syndrome de restauration immunitaire qui mime une aggravation de la
maladie.

Les mucormycoses
Rares, ces infections sont en général dues à un Mucor ou un Rhizo-
pus, champignons filamenteux de l’ordre des Mucorales, couramment
présents dans l’environnement (sol, végétaux en décomposition, déjec-
tions animales) [25]. L’hyperglycémie chronique et l’immunodépression
concourent à leur développement. Les formes rhino-orbitaires sont ty-
piques (fig. 1), mais d’autres atteintes sont possibles (système nerveux,
poumon, dissémination générale). Le traitement repose sur l’amphotéri-
cine B liposomale et la chirurgie d’exérèse large des lésions. La mortalité
est effroyable.

Fig. 1 – Exemple d’infection fongique post-opératoire précoce.


Photographie (à gauche) : aspect cutané de la région périorbitaire 3 jours après transplantation
hépatique pour cirrhose terminale par hépatite C. Une mydriase unilatérale droite est apparue,
avec chémosis suivi en 12 heures d’une coloration violacée, extensive de la peau de l’angle
interne et de l’aile du nez à droite. D’emblée le scanner et l’IRM montrent les lésions internes
associées. Le bilan préopératoire n’avait dépisté aucune infection bactérienne ou fongique
latente (sérologies aspergillaires et candidosiques négatives). Aucun facteur de risque particu-
lier surajouté n’existait.
Radiologie (à droite) : aspect des lésions céphaliques. Les coupes IRM (axiale T2 et diffusion) et
de scanner montrent un épaississement muqueux des cavités naso-sinusiennes en hyposignal
et spontanément hyperdense (étoile) faisant suspecter une origine fongique. Une lyse osseuse
du sinus et un hypersignal en diffusion cortical fronto-basal témoignent d’une extension intra-
crânienne avec encéphalite (flèche). Une biopsie chirurgicale par voie transnasale a permis
d’isoler un Rhizopus oryzae confirmant le diagnostic de mucormycose. Ni le traitement médical
(amphotéricine B liposomal) ni la nécrosectomie chirurgicale (ethmoïdectomie et sphénoïdec-
tomie par voie nasale) n’éviteront une évolution fatale en raison de l’immunosuppression pro-
fonde de cette période de la maladie.
514 Infectiologie en réanimation

Les infections fongiques plus rares


28 Elles sont le fruit de découvertes d’analyses microbiologiques. Ainsi
les Alternaria [26], saprophytes des plantes et du sol, donnent des at-
teintes cutanées chez les greffés à la peau fragile sous corticothérapie (as-
pects histologiques spécifiques), sans atteinte générale contrairement aux
fusarioses. Ces dernières (F. solani ou F. oxysporum ) donnent des lésions
cutanées (maculopapules érythémateuses), des onyxis, une fièvre élevée ;
elles diffusent à tous les organes comme une aspergillose. Le diagnostic
se fait par identification de filaments hyalins septés usuellement dans le
LBA, parfois dans les hémocultures.
Enfin des mycoses exotiques à développement subaigu sont rapportées
(Histoplasma capsulatum, Coccidioides immitis [27]) chez le transplanté
voyageant ou vivant en zone d’endémie [1]. L’inhalation de spores conduit
à des formes pulmonaires secondairement disséminées qui surviennent
souvent après le sixième mois de transplantation. Parfois, l’amphotéri-
cine B n’est pas efficace, et un antifongigramme est justifié pour les médi-
caments les plus récents.

Infections provenant du donneur


C’est dans le mois qui suit la transplantation que surviennent les in-
fections liées au transplant (et donc au donneur), ainsi que celles liées
aux soins de réanimation (tableau III). Des recommandations de dépis-
tage systématique ont été élaborées par l’Agence nationale de sécurité
du médicament pour contrôler au mieux ce risque [28]. Des procédures
obligatoires d’identification sont imposées au donneur pour VIH, VHB,
VHC, HTLV, la syphilis, EBV, CMV, Toxoplasma, mais un screening
exhaustif est impossible pour des raisons techniques et financières. En
cas de doute sur une séropositivité (zone grise de séroconversion), les
organes prélevés ne sont pas greffés. Toutefois, des dispositions réglemen-
taires spécifiques existent dans des situations d’urgence vitale : certaines
mesures préventives minimisent le risque de transfert d’infection (période
d’incubation possible, en attendant la positivation des anticorps anti-
VHB par exemple). Certaines pathologies rares ou exotiques peuvent
être transmises en raison de dépistages incomplets (maladie de Chagas,
cryptococcose [2], virus de la méningite choriolymphocytaire [29], tu-
berculose, rage, virus West Nile…) ou par méconnaissance d’antécédents
du donneur (antécédents médicaux, voyages…).
Ces infections sont rares (< 1 %) et surviennent simultanément chez
tous les receveurs du même donneur, moins d’un mois après la greffe. Le
nombre de pathologies infectieuses transmises aux receveurs a progressé
de 3,5 % entre 2006 et 2009 [1, 2]. La morbi-mortalité croît en cas de
retard thérapeutique.
Les infections bactériennes sont rares. Nombre d’entre elles ne se tradui-
sent que par une élévation de la température du receveur et une aggra-
vation transitoire de la réaction immuno-inflammatoire systémique
Prise en charge des infections chez les adultes transplantés d’organe(s) 515

périopératoire. L’évolution est favorable après élargissement de l’antibio-


thérapie. Toute fièvre doit faire consulter le dossier bactériologique du
donneur auprès du médecin référent de la coordination hospitalière des
prélèvements (dossier CRISTAL). Plusieurs cas de transmission de tuber-
culose sont documentés à partir de donneurs présentant un antécédent de
tuberculose pulmonaire ou extrapulmonaire [6].
Les infections virales sont diagnostiquées par sérologies et/ou par PCR, en
particulier pour le VHC, le VIH, le VHB et le HTLV aussi bien chez le
receveur que chez le donneur (donneur vivant). La transmission du VHC
ou du VHB au receveur peut se faire par tous les organes transplantés. En
cas d’anémie fébrile chez le receveur, la recherche de parvovirus B19 est
indispensable [30].
Les infections parasitaires les plus couramment transmises sont la toxo-
plasmose, la maladie de Chagas (aux États-Unis essentiellement), et
l’anguillulose dont la parasitémie est favorisée par les corticoïdes. Des
manifestations neurologiques inexpliquées par ailleurs doivent faire évo-
quer la possibilité d’une encéphalite granulomateuse amibienne à Bala-
muthia mandrillaris [31].

Infections provenant du receveur (origine endogène)


Le receveur s’infecte parfois pendant la période d’attente de la transplan-
tation en milieu hospitalier. Il s’agit alors d’infections nosocomiales, à germes
potentiellement résistants aux antibiothérapies de routine (entérocoque résis-
tant aux glycopeptides, Candida résistant aux azolés…) voire à des infections
épidémiques associées aux soins (infections virales épidémiques). Une colite
à Clostridium difficile se réveille volontiers après transplantation compliquée
et séjour hospitalier prolongé. En cas de thrombose artérielle hépatique pos-
topératoire, les foyers d’ischémie des voies biliaires s’infectent volontiers à
germes banals ou à levures. Les zones d’ischémie-reperfusion pulmonaire
peuvent devenir des foyers d’infections à tout germe.
Toute infection active ou latente doit donc être éradiquée chez le receveur
avant transplantation. Des stratégies curatives ont été édictées [1].
La résurgence de Strongyloides stercoralis est décrite à distance de la trans-
plantation en l’absence de prévention par ivermectine.
Pour l’hépatite C, en l’absence de traitement antiviral systématiquement
efficace avant transplantation, le taux de réinfection varie selon la réponse
antérieure au traitement antiviral. Les transplantés hépatiques pour cir-
rhose post-VHC co-infectés par le VIH présentent un risque d’infec-
tion récurrente accélérée. Des succès de transplantation sont rapportés
chez des malades infectés par le VIH dont les traitements antirétroviraux
étaient efficients avant transplantation. Un monitoring précis de l’effica-
cité et de la toxicité des traitements doit être réalisé chez ces malades, en
raison des interactions entre drogues antirétrovirales et des inhibiteurs de
la calcineurine.
516 Infectiologie en réanimation

28 Prévention chez le transplanté

Mesures générales
Les stratégies générales de prévention (vaccination, prophylaxie uni-
verselle et/ou ciblée, traitements préemptifs) ont modifié l’incidence
et la sévérité des épisodes infectieux graves après transplantation [1, 2,
11]. L’immunisation réelle du receveur contre certaines infections, vi-
rales ou bactériennes, doit être évaluée avant transplantation (oreillons,
rougeole, rubéole, diphtérie, tétanos, VHB, polio, varicelle, Haemophi-
lus influenza, pneumocoque), et des vaccinations adaptées sont à mettre
en œuvre avant inscription sur liste (l’efficacité immunologique du vac-
cin est plus limitée dans le temps et dans le spectre par comparaison
avec le sujet sain). Le vaccin antipneumococcique est recommandé tous
les 3 à 5 ans et celui contre la grippe tous les ans. Les vaccins vivants
sont contre-indiqués parce qu’ils présentent un risque d’infection dis-
séminée chez le transplanté. Après la transplantation, dès le service de
réanimation, il faut promouvoir les changements de vie qui limitent
l’exposition à certains pathogènes (hygiène corporelle parfaite de la
peau, des muqueuses et des cicatrices postopératoires, contact interdit
avec des mains non lavées ou des personnes ayant des maladies conta-
gieuses), respect de consignes diététiques strictes (éviter de boire de
l’eau non propre, de manger des plats à cuisson sous-maximale ou des
fruits et légumes non lavés, ne pas rompre la chaîne du froid, prévenir
le diabète cortico-induit).

Mesures spécifiques
L’histoire de la transplantation a appris au clinicien le rôle majeur dé-
volu à la prévention systématique de cinq infections : celles par le CMV,
par les virus HSV-VZV, par le virus de l’hépatite B, et par Pneumocystis
et Toxoplasma gondii.

L’infection à cytomégalovirus
La prévention de l’infection à CMV est l’objet de recommandations
internationales [32] résumées dans le tableau IV. Débutée dès la transplan-
tation selon le statut sérologique du receveur et du donneur, variable dans
le temps selon l’organe transplanté, elle fait appel au valganciclovir oral
d’emblée ou après une période de perfusion de ganciclovir. Selon l’éva-
luation hebdomadaire de la charge virale, une prévention antivirale est
débutée pour une durée qui dépend aussi du type de transplantation. Des
prophylaxies de 12 mois sont préconisées après transplantation du pou-
mon et du grêle. Au-delà, le risque d’infection est moindre mais constant,
en particulier chez le transplanté pulmonaire [33] ou multiorganes.
Prise en charge des infections chez les adultes transplantés d’organe(s) 517

L’infection à HSV-VZV
La prévention contre HSV-VZV est habituellement assurée par les
mêmes médicaments que ceux de la prévention du CMV. Après l’arrêt
de ces derniers, la prévention contre HSV-VZV doit être instituée par
aciclovir ou valaciclovir au moins 30 jours, avec prolongation (90 jours
voire plus) chez les malades aux antécédents d’atteintes cutanées ou géni-
tales importantes [3]. Le risque de récurrence est majoré chez les malades
très immunodéprimés, après 60 ans, et recevant plus de 0,3 mg/kg de
prednisone au long cours. En cas d’exposition clinique accidentelle d’un
receveur séronégatif à HSV-VZV, l’administration d’immunoglobulines
hyperimmunes moins de 96 heures après le contage améliore l’efficacité
du traitement par aciclovir.
Tableau IV – Schémas de prévention de l’infection par CMV.

Organe(s) Sérologie Sérologie Traitement Durée


transplanté(s) donneur receveur
Rein – – Aucun médicament, À revoir si CMV
Foie mais le moins maladie survient
Rein + Pancréas possible de
Poumon transfusions de PSL
Cœur (déleucocytés si
indispensables)

Rein + + Si pas de déplétion 100 j


Foie lymphocytaire
Rein + Pancréas induite, aucune
Poumon prévention sauf
Cœur pour transplantés
poumons :
valganciclovir
Rein – + Aucun si stabilité Tant que la
Foie clinique et de la charge virale
Rein + Pancréas charge virale augmente
Poumon
Cœur
Rein + – Valganciclovir oral 100 à 200 j
Foie Valganciclovir oral 100 j
Rein + Pancréas Valganciclovir oral 100 à 200 j
Poumon Valganciclovir oral 100-365 j
Cœur Valganciclovir oral 100 j

CMV : cytomégalovirus ; PSL : produits sanguins labiles.


La charge virale doit être évaluée en cas de fièvre inexpliquée par ailleurs, en particulier en période
d’immunosuppression majorée. Deux prélèvements hebdomadaires permettent d’apprécier une
augmentation de la charge par rapport au seuil de détection du test utilisé. Il n’y a pas de consensus
sur l’intervalle de temps de surveillance en période de stabilité des malades.

La récidive de l’hépatite B
La prévention de la récidive de l’hépatite B (VHB) dépend de la réplica-
tion du virus B. Elle reste l’objet de discussion [34]. Actuellement, en l’ab-
518 Infectiologie en réanimation

sence de réplication avant la transplantation hépatique, il n’y a besoin d’au-


28 cune prévention préopératoire, mais une transfusion d’immunoglobulines
anti-VHB (10 000 UI) est conseillée en période d’anhépatie ; en postopéra-
toire le maintien d’un taux sérique d’anticorps supérieur à 100-150 UI/L par
des transfusions itératives semble un objectif accepté, en association avec l’ad-
ministration soit de lamivudine soit d’adéfovir. En cas de réplication virale
avant la transplantation, le malade doit être traité par lamivudine, adéfovir ou
entécavir dès avant la transplantation, et recevoir des immunoglobulines anti-
VHB pour maintenir un taux suffisant d’anticorps (supérieur à 500 UI/L le
premier mois postopératoire, puis supérieur à 100-150 UI/L pendant plu-
sieurs années) à raison de perfusions espacées. L’adjonction d’autres traite-
ments (nouveaux nucléosidiques) est en cours d’évaluation [34].

La pneumocystose
Concernant la pneumocystose, dont l’incidence en nette régression ne
doit pas faire oublier la dangerosité, la prophylaxie de première intention
reste le triméthoprime-sulfaméthoxazole sauf contre-indication absolue
ou intolérance, à raison d’une prise quotidienne de sulfaméthoxazole
400 mg-triméthoprime 80 mg (ou de 3 comprimés hebdomadaires à
800 mg/160 mg) [35] qui est aussi active contre la toxoplasmose. Comme
alternative, le clinicien peut s’orienter vers la dapsone (100 mg/j), l’ato-
vaquone (750 mg × 2/j). La durée de la prévention est individualisée :
elle peut s’arrêter (quand la corticothérapie devient très faible, et quand
l’immunosuppression peut être freinée de façon significative) sous réserve
d’une surveillance clinique rapprochée. L’arrêt de cette prévention aug-
mente le risque de formes tardives sévères de l’infection. Des épidémies
nosocomiales sont rapportées (en particulier chez les greffés rénaux) [36].
Le risque d’infection toxoplasmique semble plus élevé chez le transplanté
cardiaque quand toute prévention est stoppée.

Les infections à Candida et à Aspergillus


Avant transplantation, les malades infectés par ces agents doivent être
placés en contre-indication temporaire. Après transplantation, des me-
sures prophylactiques sont proposées [20, 37, 38] avec l’idée que tout
retard à la mise en route d’un traitement adapté est préjudiciable. Une
candidose invasive ou une candidémie doivent être prévenues si au moins
deux facteurs de risque parmi les suivants sont réunis : retransplanta-
tion, créatininémie > 200 μmol/L, cholédoco-jéjunostomie, transfusion
de plus de 40 unités de produits sanguins labiles, colonisation fongique
2 jours avant et 3 jours après la transplantation. Le risque de développer
une infection fongique est majoré en cas d’infection simultanée par le
CMV qui est lui-même immunosuppresseur. Les antifongiques proposés
dépendent de l’écologie du malade (voire du service, quand un isolement
géographique du malade est impossible). Chez les malades vierges d’ex-
position au fluconazole, ce produit est utilisé à raison de 3 à 6 mg/kg/j ou
remplacé par une échinocandine (7 à 14 jours). Le risque de résistance de
Prise en charge des infections chez les adultes transplantés d’organe(s) 519

Candida au fluconazole est majoré en cas de prévention antérieure longue


par ce produit. La résistance à une échinocandine est rapportée [39]. À
défaut, l’amphotéricine B liposomale (1 à 2 mg/kg/j) est un recours si
un risque le justifie. Une surveillance de la stérilité des soins et des pan-
sements est indispensable ; les cathéters doivent être changés au moindre
doute. De plus en plus d’auteurs préconisent une surveillance régulière de
l’antigénémie candidosique en période d’immunosuppression profonde
(postopératoire immédiat, période de rejet, co-infection virale…) : en
cas d’ascension des antigénémies, un traitement est débuté dans l’attente
d’un isolement de germe.
La prévention de l’aspergillose invasive est recommandée chez les trans-
plantés hépatiques et pulmonaires pendant le premier mois après la greffe,
quand existent un ou plusieurs facteurs de risque parmi les suivants : insuf-
fisance rénale justifiant une épuration, intervention chirurgicale abdomi-
nale ou thoracique (y compris une retransplantation), ou transplantation
après hépatite fulminante [19]. Actuellement, en première intention, la
prophylaxie par échinocandine est préférée par certains [38] en raison
du métabolisme de ce produit et du faible risque d’interférence avec les
immunosuppresseurs, mais le voriconazole peut être utilisé sous réserve de
suivre simultanément ses concentrations plasmatiques et celles des immu-
nosuppresseurs en cours. L’amphotéricine B liposomale est une alter-
native. En pratique courante, il n’y a pas de recommandation officielle
pour les transplantés d’organes solides, mais certains préconisent dans les
formes les plus à risque (transplantés pulmonaires et hépatiques en mau-
vais état général et malades hospitalisés en réanimation avec antigénémies
circulantes détectables) d’étendre les règles applicables aux malades d’hé-
matologie. Ainsi, peut aussi être proposée l’administration préventive de
voriconazole ou de posaconazole [21]. Un monitoring des concentrations
sériques est souhaitable (fortes variations interindividuelles et risque de
toxicité).

Conclusion

La mortalité actuelle par maladie infectieuse diminue chez le trans-


planté d’organe solide grâce à une prise en charge précoce et à une pré-
vention efficace. L’interaction de l’infection et de l’immunosuppression
est le nœud central de l’enjeu. L’induction d’une tolérance immunolo-
gique telle que l’on peut éviter l’aggravation de la maladie tout en per-
mettant d’écarter un rejet est indispensable en plus des traitements anti-
infectieux spécifiques. Des techniques d’exploration et de dépistage plus
sensibles autorisant un diagnostic plus précoce (immunoassays, détections
génomiques ou marqueurs protéomiques) permettraient de mieux appro-
cher les formes débutantes ou à expression clinique minime, avec pour
bénéfice des traitements moins lourds.
520 Infectiologie en réanimation

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