Scolarisation Primaire Universelle Afrique Defi Enseignants 2009 FR
Scolarisation Primaire Universelle Afrique Defi Enseignants 2009 FR
Scolarisation Primaire Universelle Afrique Defi Enseignants 2009 FR
le defi enseignant
Les auteurs
Cette publication a été rédigée au sein du Bureau régional de l'UNESCO pour l'éducation en Afrique (BREDA)
par l'équipe du Pôle d'analyse sectorielle en éducation de Dakar.
Nota Bene
Les analyses et les recommandations concernant les politiques présentées dans cette publication sont celles des
auteurs et ne reflètent pas nécessairement les vues de l'UNESCO.
Photographies
Toutes les photographies sont de © Thierry Bonnet [www.thierrybonnet.com]
à l'exception de :
Couverture, pages 6 et 13 : © byReg'
Page 148 : © Mario Bels [www.bels-mario.com]
Impression
La Rochette, Dakar
Relecture
Mme Katia Vianou, Dakar
sommair
P15 Introduction
Chapitre 1
P23 La demande d'éducation et les besoins en enseignants
P24 1. Les facteurs à l'origine de la demande d'enseignants
P24 1.1. L'évolution et l'état de la couverture scolaire
P25 1.2. L’évolution démographique : un poids important sur la demande,
mais qui demeure extrêmement variable d'un pays à l'autre
P26 1.3. L’état de la couverture scolaire et la croissance démographique :
des situations différenciées selon les pays
P28 1.4. L'impact des politiques en matière de redoublement
P29 1.5. Les conditions d'encadrement et leur évolution
P31 1.6. Les besoins liés à la dynamique du corps enseignant : l'attrition
P32 1.7. La contribution du secteur privé au développement
de l'enseignement primaire
Chapitre 4
P101 Quels enseignants pour quels apprentissages ?
P103 1. Les caractéristiques observables des enseignants
et les acquisitions scolaires
P103 1.1. Quel niveau académique pour les enseignants de l'école primaire en Afrique ?
P109 1.2. La formation professionnelle des enseignants en question
P112 1.3. Le statut fait-il l'enseignant ?
P114 1.4. Le rôle de l'expérience de l'enseignant
P115 1.5. Les enseignantes aussi performantes que les enseignants
P115 1.6. Vers un questionnement sur le rôle de l'enseignant dans le processus d'apprentissage
P173 Conclusion
P181 Annexes
P182 Tableau A1.1 : Accroissement annuel de la population scolarisable 2005-2015 et 2015-2020
P184 Tableau A1.2 : Hypothèses sous-jacentes à des modèles existants de prévision des besoins en
enseignants
P186 Tableau A1.3 : Besoin annuel en enseignants nouveaux
P188 Tableau A1.4 : Effectifs des enseignants
P190 Bibliographie
Listedesencadresetcartes
Introduction
de la dépense de ce secteur. Cette double évidence fait
assurément de la question enseignante l'élément
central des politiques actuelles en matière de
développement des systèmes éducatifs africains,
et la clé de leur expansion vers la scolarisation
primaire universelle (SPU) et, à terme, vers un
enseignement de base intégrant le premier cycle de
l'enseignement secondaire.
Le propos de cet ouvrage est d'apporter des clarifications utiles au débat en espérant
qu'elles contribueront à une réconciliation de ces points de vue artificiellement
opposés et qu’elles faciliteront ainsi le dialogue nécessaire à la mise en place de
politiques enseignantes répondant aux défis éducatifs du continent.
1 Cf. http://unesdoc.unesco.org/ Les éléments du débat relèvent parfois de l'idéologie et cet ouvrage n'a pas la
images/0012/001260/126086f.
pdf prétention de l'en débarrasser totalement, mais vise à revenir le plus possible aux
Le passage par l'analyse de l'évaluation des dispositifs et des pratiques est alors une
condition nécessaire mais non suffisante à un dialogue sur la question des politiques
enseignantes. Le malentendu provient clairement d'une perception et d'un usage
différents des résultats produits par ces évaluations. Ces résultats confortent les
propos des acteurs de terrain sur l'effet de chacune des diverses composantes d'une
politique enseignante. Ils montrent généralement que la qualité des apprentissages
augmente avec le niveau de recrutement des enseignants, avec la dotation en
matériel didactique, notamment en manuels scolaires, et soulignent la décroissance
de ces mêmes apprentissages avec l'élévation de la taille de classe. De ces résultats,
les chercheurs retiennent surtout que l'effet de ces facteurs, selon leur niveau de
dotation, diffère à la fois en termes d'intensité et de coûts. En intégrant ces résultats
dans des arbitrages contraints qui prennent en compte les développements
quantitatifs induits par les objectifs de Dakar, les chercheurs aboutissent donc à des
recommandations différentes en matière de politique éducative. La comparaison de
l'impact et des coûts des différents facteurs suggère, par exemple, qu'il y a plus à
gagner aujourd'hui, en quantité comme en qualité, dans la plupart des systèmes
éducatifs africains en privilégiant les dotations en manuels scolaires, la réduction des
tailles de classe, l'amélioration des systèmes de gestion et d'animation pédagogiques
qu'en favorisant une élévation du niveau de recrutement des enseignants. 2 Fast Track Initiative (FTI).
L'analyse des besoins en enseignants présentée dans ce travail mobilise les données
scolaires et démographiques nationales réunies pour 41 pays africains. L'objectif pour
chaque pays est que tous les enfants achèvent l'école primaire4. L'horizon défini pour
cet objectif est modulé en fonction de la situation actuelle des pays en matière
d'achèvement du primaire. Ainsi, pour les pays les plus avancés (6), l'atteinte de la
SPU est fixée à 2010, tandis que pour les pays les plus en retard, qui ont déjà pour
certains d'entre eux révisé l'objectif de Dakar dans leurs activités programmatiques,
l'atteinte de la SPU est fixée à 2020 (20 pays). Pour les 15 autres pays, l'horizon de
2015 est maintenu.
3 Diagnostics réalisés pour la Sous diverses hypothèses aujourd'hui courantes concernant l'organisation scolaire
plupart avec l'appui de la
Banque mondiale et/ou du (ratio élèves-enseignant, redoublements…) et sur la base d'un taux d'attrition modulé
Pôle d'analyse sectorielle en selon les situations nationales, le nombre de nouveaux enseignants à recruter pour
éducation de Dakar, UNESCO-
BREDA. l'atteinte de la SPU dans l'ensemble de ces 41 pays est estimé à environ 2,4 millions,
4 En termes techniques, il ce qui est proche du nombre actuel d'enseignants qui est de l'ordre de 2,9 millions.
s'agit d'atteindre un taux En apparence cet objectif peut paraître soutenable, dans la mesure où il correspond
d'achèvement de l'enseigne-
ment primaire de 100 %. pour la très grande majorité des pays au maintien des rythmes de recrutement
Chapitre 1
La demande d'éducation
et les besoins en enseignants
Ce chapitre se compose de deux parties : la première
s'attarde sur les facteurs qui sont à l'origine de la
demande en enseignants et sur la situation des différents
pays par rapport à ces facteurs ; la seconde présente de
nouvelles estimations des besoins en enseignants sur la
base des dernières données disponibles et d'hypothèses
renouvelées. Afin de prendre en compte les spécificités
nationales et les différences entre les pays, ces estima-
tions sont conduites séparément, sur la base d'un
modèle élaboré par pays.
140 Malawi
Zambie
primaire, est supérieur ou égal à 90% pour
Mauritanie Sao Tomé Afrique du Sud
120 Ethiopie
Guinée-Bissau
Bénin
Guinée éq.
Swaziland Lesotho Tanzanie Kenya 35 pays5. Ainsi, même si l'accès n'est pas
Nigeria Botswana
100 Tchad Sénégal Cameroun Togo
Ghana Maroc Maurice Algérie
Egypte forcément universel dans ces pays, il
RCA Guinée Namibie Tunisie
80
Burkina Faso
Mali Gambie Congo Cap-Vert concerne une très grande majorité
Comores
60 Niger Côte d'Ivoire
Soudan Erythrée d'enfants. Cependant, sept pays font encore
40 face à de sérieux problèmes d'accès, à savoir
20 le Burkina Faso, les Comores, la Côte
d'Ivoire, le Niger, le Soudan, la République
20 30 40 50 60 70 80 90 100
centrafricaine (RCA) et l'Erythrée. Dans ces
Achèvement (%)
pays, plus d'un enfant sur cinq ne franchit
Source : Calcul à partir des données de l'Institut de statistique de l’UNESCO (ISU), des données nationales pas actuellement le seuil d'une école (taux
et des données de population des Nations Unies
brut d'admission inférieur à 80%).
La détermination de cette demande potentielle renvoie à l'estimation de la population 7 La durée du cycle primaire en
Ethiopie et au Malawi étant
scolarisable et, par là, dépend de manière directe de la démographie. Comme nous de 8 ans, il s'agit ici du taux
d'achèvement en 8ème année ;
allons le voir dans la section suivante, l’évolution démographique constitue un autre pour les autres pays à achève-
facteur de différenciation entre les pays dans la détermination des besoins en ment faible, la durée du cycle
est de six années.
enseignants.
8 L'expansion de l'offre, ne
serait-ce qu'en assurant une
plus grande proximité des
écoles et en limitant le nombre
1.2. L’évolution démographique : un poids important sur la demande, d'écoles incomplètes, peut
mais qui demeure extrêmement variable d'un pays à l'autre déjà contribuer à faciliter l'accès
et réduire les abandons en
cours de cycle.
Selon les projections de population disponibles au niveau international9, la population 9 Division de la population des
en âge d'être scolarisée au primaire10 en Afrique devrait augmenter de 1,7% par an en Nations Unies, révision 2006.
moyenne, alors que son poids dans la population totale devrait diminuer légèrement à 10 En tenant compte de l'âge
d'entrée au primaire et de la
l'horizon 2020 : de 15,9%11 en 2006, cette proportion passerait à 15,4% en 2015 et durée du cycle pour chaque
pays.
à 15% en 2020. Cette tendance est toutefois assortie d'une variabilité importante : le
tableau A1.1 en annexe illustre dans le détail la diversité des situations concernant 11 Moyenne simple calculée sur
l'ensemble des pays du
l'accroissement de la population scolarisable que l'on peut anticiper pour chaque pays. continent.
Treize pays sont en deçà du seuil de 1%. Certains pays d'Afrique australe (Botswana,
Lesotho, Maurice, Namibie, Swaziland, Zimbabwe) ou d'Afrique du Nord (Maroc,
Tunisie) présentent même des taux négatifs. Dans 13 autres pays, on anticipe un
accroissement plutôt modéré (entre 1% et 2% de croissance annuelle moyenne).
Cependant, la moitié des pays du continent africain présenteront un
accroissement annuel moyen de la population scolarisable supérieur à 2%. Le
seuil de 3% est même anticipé pour neuf pays : le Burundi (3,3%), la République
démocratique du Congo (RDC, 3,6%), l'Erythrée (3,8%), la Guinée-Bissau (3,4%), le
Kenya (3,2%), le Libéria (4,3%), le Niger (3,2%), la Somalie (3,1%) et l'Ouganda (3,1%).
A l'exception du Kenya, les pays pour lesquels le niveau d'achèvement est d'ores et
déjà élevé (>90%) sont plutôt sur des tendances démographiques modérées (moins
de 2%). Pour ces pays, les contraintes en matière de recrutement de nouveaux
enseignants sont donc faibles. A l'opposé, pour le groupe de pays à niveau
d'achèvement faible (<50%), la contrainte démographique s'exprime de manière
différenciée :
Lesotho, Botswana,
% d'accroissement de la population scolarisable sur la période 2005-2015
Burkina Faso,
Bénin, Guinée
Tchad, Mali, Congo,
équatoriale,
2 - 3% Mozambique, Sierra Leone, Angola, Libye 17
Gambie, Guinée,
Rwanda, Sénégal, Tanzanie
Togo
Malawi
Burundi, Guinée-Bissau,
> 3% Kenya RDC, Somalie 8
Erythrée, Niger Ouganda
Nombre de pays 16 11 9 8 6 50
Source : Calcul à partir des données de l'ISU, des données nationales et des données de population des Nations Unies
La politique des Etats en matière de redoublement n'est pas sans conséquence sur les
besoins en enseignants. Trivialement, un niveau élevé de redoublements augmente le
nombre d'élèves à scolariser et donc le nombre d'enseignants à recruter. Les
nombreuses critiques que soulève cette pratique (faible cohérence individuelle des
décisions, efficacité pédagogique discutable, impact négatif sur le maintien des
enfants à l'école par les familles les plus défavorisées…) justifient aujourd'hui des
actions directes visant à en limiter l'usage. Ces politiques, en fonction de leur ampleur,
offrent une occasion de réduire les contraintes qui pèsent sur les besoins en nouveaux
enseignants.
Graphique 1.2 : Pourcentage de redoublement moyen dans l'enseignement primaire, 2006 (ou année proche)
30
25
20
15
10
0
Soudan
Nigeria
Tanzanie
Niger
Mozambique
Ghana
Ethiopie
Gambie
Zambie
Guinée-Bissau
Djibouti
Bénin
Guinée
Mauritanie
Sénégal
Burkina Faso
Maroc
Ouganda
Erythrée
Cap-Vert
Namibie
Mali
Swaziland
Lesotho
Madagascar
Malawi
Congo
Côte d'Ivoire
Tchad
Togo
Sao Tomé
Cameroun
Guinée équatoriale
RCA
Comores
Burundi
Les résultats de la simulation (cf. tableau 1.2) présentent une estimation des gains
attendus sur les besoins en enseignants suivant différents scénarios relatifs à la
proportion de redoublants dans un système. Même si le cas des quatre pays présentés
est assez emblématique (le quart des élèves au niveau primaire sont des redoublants),
cette simulation montre les économies substantielles que ces pays peuvent faire à
12 Tel que défini par le cadre
indicatif de l'IMOA-EPT (Fast
terme sur le recrutement des enseignants en adoptant des stratégies de réduction des
Track Initiative). redoublements dans leur système.
Tableau 1.2 : Estimation des gains attendus sur les besoins en enseignants suivant différents
scénarios du niveau de redoublement à l'horizon SPU
% redoublement 29 20 15 10
Stock enseignant 71 939 63 994 60 230 56 315
Burundi
Gain par rapport au
- -11% -16% -22%
scénario de statu quo
% redoublement 25 20 15 10
Stock enseignant 85 499 80 038 75 239 70 433
Cameroun
Gain par rapport au
- -6% -12% -18%
scénario de statu quo
% redoublement 27 20 15 10
Stock enseignant 5 313 4 840 4 556 4 259
Comores
Gain par rapport au
- -9% -14% -20%
scénario de statu quo
% redoublement 26 20 15 10
Stock enseignant 19 166 17 657 16 618 15 851
RCA
Gain par rapport au
- -8% -13% -17%
scénario de statu quo
Source : Calcul à partir des données de l'ISU
Dans les faits, on constate que la valeur de cette statistique varie suivant le niveau
d'achèvement du primaire et est plus favorable dans les pays proches de la SPU que
dans les pays qui en sont encore éloignés. Dans les pays où, en moyenne, neuf
enfants sur dix achèvent le primaire en 2006, le rapport élèves-maître moyen est de 26 ;
il atteint le double de cette valeur dans les pays où moins d'un enfant sur deux achève
le primaire. Pour les pays les plus éloignés de la SPU, le taux d'encadrement est
largement supérieur à la valeur de référence de 40 présentée plus tôt, ce qui renforce
des besoins en enseignants déjà très importants.
Par ailleurs, il est à souligner que le taux d'encadrement a connu très peu
d'amélioration durant les 15 dernières années sur le continent africain. Quel que soit
le groupe de pays considéré au regard des résultats en matière d'achèvement, le
rapport élèves-maître est resté stable en moyenne entre 1990 et 2000, puis il a
amorcé une légère baisse à partir des années 2000 et se situe aujourd'hui en moyenne
à un point en dessous de sa valeur du début des années 1990 (cf. graphique 1.3).
60
52 52 51
50
42 42
41
40
39 38 38
30
27 27 26
20
TAP ≥ 90
70 ≤ TAP < 90
10
50 ≤ TAP < 70
0 TAP < 50
1990 2000 2006 ou proche
Tableau 1.3 : Attrition estimée pour quelques pays selon différentes sources
Le tableau suivant donne une idée précise de la variété des situations nationales en
termes de contribution de l'enseignement privé dans la période la plus récente. Il
permet également de constater que la part de l'enseignement privé dans les effectifs
de l'enseignement primaire est aujourd'hui déjà en moyenne nettement plus élevée
dans les pays les plus éloignés de la SPU.
Tableau 1.4 : Pourcentage des élèves scolarisés dans le privé en fonction du niveau
d'achèvement du primaire
Pourcentage du privé
TAP ≥ 90 4%
70 ≤ TAP < 90 6%
TAP < 70 13%
Les projections des besoins en enseignants reposant en grande partie sur la contrainte
démographique14 (croissance plus ou moins forte du nombre d'enfants en âge d'aller
à l'école), sur le niveau des scolarisations (objectif de SPU plus ou moins éloigné) ainsi
que sur les paramètres liés au fonctionnement des systèmes éducatifs, il est essentiel
d'actualiser les estimations existantes à la lumière des nouvelles données disponibles.
Les paramètres liés au fonctionnement du système pris en compte dans l'estimation
des besoins dans le cadre de ce travail sont le redoublement, le rapport élèves-maître,
l'attrition du corps enseignant de même que la part des effectifs scolarisés dans
l'enseignement privé (afin de faire la distinction entre les besoins en enseignants dans
le public et dans le privé).
De nombreux modèles différents ont été élaborés depuis 1990 ; dans sa publication
Les enseignants et la qualité de l'éducation : suivi des besoins mondiaux d'ici 2015,
l'Institut de statistique de l’UNESCO (ISU) en présente six de façon claire et détaillée
(cf. tableau A1.2 en annexe). Le modèle présenté ici s'inspire en partie de ces
différents modèles et tente d'aller plus loin : son originalité tient essentiellement à
deux points qui ont pour but d'améliorer le réalisme des projections15.
Tout d'abord, les années cibles ont été modulées selon les pays et l'état actuel de leurs
systèmes éducatifs : si l'objectif de Dakar est bien d'atteindre la SPU en 2015, il est
évident que certains pays africains l'auront atteinte plus tôt, tandis que d'autres en
sont encore trop loin pour que ce soit un objectif réaliste à l'horizon 2015. De ce fait,
certains pays ont repoussé dans leurs plans sectoriels l'objectif de la SPU à 2020
compte tenu des problèmes de soutenabilité physique et financière. Cette
différenciation place ainsi l'année d'atteinte de l'objectif à 2010, 2015 et 2020, et elle
permet de grouper les pays (cf. tableau A1.3 en annexe pour la liste des pays suivant
l'année d'atteinte de la SPU retenue) les plus comparables afin de les étudier de façon
légèrement différente : on ne cherche plus à savoir combien il faudra d'enseignants
en 2015, mais combien il en faudra pour atteindre la SPU.
d'avoir des données sur les sorties effectives du système des enseignants ou sur
d'autres maladies à morbidité ou mortalité élevées, comme le paludisme.
L'impact de la pandémie du sida sur le corps enseignant fait l'objet de débats, mais les
données demeurent trop lacunaires sur cet aspect pour que la question soit
définitivement tranchée (voir notamment UNESCO, 2006). Il semble cependant que les
enseignants soient, en moyenne, touchés dans des proportions similaires au reste de la
population d'un pays. L'idée est donc ici de prendre en compte les effets de l'épidémie
sur l'attrition supposée des enseignants. Par ailleurs, l'attrition de manière générale est
un phénomène très difficile à mesurer, comme en témoignent les résultats très divers
observés parfois pour un même pays (cf. tableau 1.3). Les estimations faites sur une
petite dizaine de pays dans le cadre d'un atelier dédié à la question enseignante en 2007
(Regional Workshop on Teacher Matters, 2007) sont nettement inférieures au taux
d'attrition appliqué par l'ISU. C'est pourquoi, dans le travail qui suit, le taux d'attrition
minimal a été fixé à 3% (pour tenir compte des départs à la retraite) et augmente avec
l'incidence du VIH/sida dans le pays (cf. encadré 1.1). Dans ce modèle, l'attrition atteint
un maximum de 6% pour les pays où l'incidence du VIH est supérieure à 15%.
Les estimations des besoins en enseignants (publics et privés) présentées ici ont été
16 Les estimations n'ont pas été
conduites pour l'Afrique du
menées sur 41 pays d'Afrique (les données n'étaient pas disponibles pour les 11 autres
Sud, dans la mesure où pays africains, dont certains à population importante comme l'Angola ou la RDC)16.
l'achèvement du primaire
estimé avoisine les 100%.
L'année de référence est 2006 pour la plupart des pays étudiés17.
17 Elle varie entre 2004 et 2007.
18 Voir l’annexe 1.4 pour le détail
par pays. 2.2.1. Projections globales et par groupes de pays
Graphique 1.4 : Effectifs d'enseignants (publics et privés) à différents Pour ces 41 pays, le nombre total
points du temps, selon le groupe de pays d'enseignants passerait d'environ 2,9 millions
en 2006 à un peu plus de 4,6 millions en
2 250 000 2020, soit une augmentation de 58% en
2006 (env.)
2 000 000 2010
14 ans, ou encore un accroissement annuel
1 750 000 2015 moyen de 3,3%18.
2020
1 500 000
Le modèle de simulation qui a servi pour estimer les besoins en enseignants se fonde en partie sur la situation actuelle des pays et introduit, par
conséquent, des horizons temporels modulés en fonction de la situation observée.
• Cibles générales
On suppose ici que la SPU se caractérise à la fois par un taux brut d'admission de 100% et par un taux d'achèvement de 100%. L'horizon
temporel fixé pour atteindre ces objectifs dépend du niveau observé pour l'année de référence (entre 2004 et 2007).
Cette dernière condition s'applique en fait aux pays dont le TBA est particulièrement élevé à cause du phénomène de multi-cohortes. Cela peut
s'observer, par exemple, dans des pays en situation de post-conflit où les enfants reviennent en masse à l'école à la fin du conflit, dans des pays
qui instaurent des mesures comme la gratuité de l'école, ou encore dans des pays où les élèves qui abandonnent la première année reviennent
quelques années plus tard dans le système.
• Hypothèses supplémentaires
Concernant le redoublement, la valeur retenue est la valeur actuelle si celle-ci est inférieure à 10%, et 10% sinon. L'année cible pour atteindre
10% de redoublants est fixée à 2015 pour la plupart des pays et à 2020 pour ceux dont la part actuelle des redoublants est supérieure à 20%,
les pays dans cette situation étant ceux dont la date effective de la SPU est également prévue à 2020.
Pour ce qui est du taux d'encadrement (rapport élèves-maître), la valeur retenue est : la valeur actuelle si celle-ci est inférieure à 40 ; 40 si la
valeur actuelle est comprise entre 40 et 60 ; et 50 si la valeur actuelle est supérieure à 60. L'année ciblée pour atteindre ces différentes valeurs
correspond à l'année cible d'atteinte de la SPU. Notons que ces hypothèses sont faites dans un souci de réalisme : si le cadre indicatif de l’IMOA-
EPT recommande un taux d'encadrement de 40 élèves par enseignant, cette valeur n'est pas atteignable pour des pays qui en sont très loin,
même à l'horizon 2020.
Pour le pourcentage du privé, la valeur retenue est : la valeur actuelle si celle-ci est supérieure à 10% ; 10% si la valeur actuelle est comprise
entre 5% et 10% ; 5% si la valeur actuelle est inférieure à 5% ; et 0 si la valeur actuelle est nulle.
Concernant le taux d'attrition, son minimum est fixé à 3% et il augmente avec l'incidence du VIH/sida dans le pays. Ainsi, l'attrition est estimée à :
- 3% pour les pays où l'incidence du VIH est inférieure à 5% ;
- 3,5% pour les pays où l'incidence du VIH est comprise entre 5% et 10% ;
- 4% pour les pays où l'incidence du VIH est comprise entre 10% et 15% ;
- 6% pour les pays où l'incidence du VIH est supérieure à 15%.
Le nombre d'enseignants nécessaires dans l'ensemble des pays dont la SPU est prévue
en 2020 correspond à plus qu'un doublement de l'effectif actuel, et à 1,5 fois cet
effectif pour ceux dont l'horizon temporel est 2015. Sans surprise, la croissance
nécessaire du nombre d'enseignants est très modérée pour le troisième groupe de
pays, devant atteindre la SPU en 2010. Les pays les plus éloignés de la SPU sont donc
ceux dont les effectifs d'enseignants devront augmenter le plus. Ce résultat, assez
intuitif, est confirmé par le calcul des taux moyens de croissance annuelle, présentés
dans le tableau suivant.
Tableau 1.5 : Accroissement moyen annuel de l'effectif des enseignants, par groupe de pays
et sous-période
Conformément à ce qu'on observait sur le graphique 1.4, les taux de croissance annuels
anticipés sont d'autant plus importants que l'horizon est éloigné dans le temps (c’est-à-
dire que le taux actuel d'achèvement du primaire est faible). Ainsi, non seulement le défi
quantitatif apparaît plus important pour les pays les plus éloignés de la SPU, mais il devra
également faire l'objet d'efforts soutenus sur une période plus longue.
Le découpage en trois sous-périodes fait apparaître la nécessité, pour les pays les plus
éloignés de l'objectif (horizon 2020), d'un rattrapage dans la première période :
la croissance de l'effectif enseignant devrait en moyenne atteindre 6% par an entre
2006 et 2010, contre moins de 5% pour la période 2010-2015 et un plus de 5% pour
la période 2015-2020. Les pays en situation intermédiaire (horizon 2015) devraient,
quant à eux, connaître une croissance régulière des effectifs enseignants entre 2006
et 2010 (3,3%), et entre 2010 et 2015 (3,4%).
Le tableau 1.5 distingue les taux de croissance des effectifs enseignants tous secteurs
confondus et ceux qui devront être observés dans l'enseignement public uniquement.
Ces grandeurs sont très proches dans les pays pour lesquels l'atteinte de la SPU est
fixée à 2020 : ces derniers ayant déjà plus largement développé le secteur privé que
les autres pays, ils auront à assurer un développement parallèle (proportionnel) des
deux secteurs.
Si le recrutement de nouveaux Graphique 1.5 : Croissance passée vs croissance anticipée des effectifs enseignants
enseignants ne devrait pas poser de
problèmes pour les pays qui
atteindront la SPU à l'horizon 2010, il 14%
La droite représentée sur le graphique 1.5 matérialise l'égalité des taux de croissance
réalisés et anticipés. Très peu de pays (les pays se situant en dessous de la droite) vont
devoir faire face à des rythmes plus soutenus que ceux qu'ils ont déjà connus entre
2000 et 2006. On ne compte, en effet, que quatre pays où les effectifs d'enseignants
devront augmenter plus rapidement que dans le passé récent. Cette conclusion
optimiste est cependant à nuancer, d’une part, au regard des changements très
importants dans la politique enseignante qui ont permis les taux de croissance
particulièrement élevés observés dans de nombreux pays entre 2000 et 2006 et,
d’autre part, compte tenu du fait que la réalisation de la SPU a été avancée à 2020
pour la majorité des pays. La croissance spectaculaire constatée sur cette période
récente correspond à la mise en place de nouvelles politiques enseignantes. Or rien
ne garantit aujourd'hui la poursuite de cette politique, qui est déjà remise en cause
dans plusieurs pays.
Pour conclure ce chapitre, il convient de rappeler, grâce à quelques exemples, que les
situations moyennes considérées précédemment masquent la grande variété des
situations nationales qui composent les trois groupes de pays ayant servi de support
à l'analyse.
L'effort à accomplir par les pays est évidemment étroitement lié à la croissance
anticipée des effectifs d'élèves. Cependant, pour les pays fortement touchés par le
VIH/sida, les recrutements à prévoir excèdent de façon importante ce qui serait
nécessaire en raison de la seule croissance du nombre d’élèves. Au Swaziland ou en
Namibie, par exemple, deux pays où la population scolarisable sera en baisse d'ici
2015, plus de 6% d'enseignants supplémentaires devront néanmoins être recrutés
par année afin de maintenir le nombre d'enseignants nécessaires sur cette période.
De même, la Zambie devra recruter plus de 5 500 enseignants chaque année d'ici
2015 (10% d'accroissement annuel), soit plus de 50 000 instituteurs au total, alors
que la seule augmentation du nombre d'élèves à scolariser ne nécessiterait que
20 000 nouveaux postes sur cette période (le nombre d'enseignants passant de
52 000 à 72 000, soit une augmentation annuelle de 3%).
Outre le nombre, le rythme des nouveaux recrutements sera également très différent
d'un pays à l'autre. A titre d'illustration, le tableau suivant présente la situation de
Tableau 1.7 : Situation des pays au regard de l'effort moyen en termes de recrutement
à l'horizon SPU et de son évolution sur la période
Côte d'Ivoire,
Burkina Faso, RCA,
Ethiopie, Sénégal,
Décroissance Togo Erythrée, Mali,
Comores, Soudan,
Niger, Tchad
Congo, Gambie
Evolution de Cameroun,
l'effort sur Madagascar,
Bénin, Swaziland,
la période Constance Lesotho, Sao Tomé, Zambie, Guinée
Nigeria
d'atteinte Namibie, Cap-Vert,
de la SPU Ghana
Burundi,
Mauritanie, Malawi, Guinée-Bissau,
Croissance Mozambique
Maroc Ouganda, Rwanda,
Tanzanie
Note : Les pays pour lesquels la SPU est fixée à 2020 apparaissent en gras, ceux pour lesquels la SPU est fixée à 2015 sont en italique.
Si les besoins sont élevés, notamment pour les pays aujourd'hui les plus éloignés de
la SPU, ils correspondent dans de nombreux cas au prolongement des efforts
accomplis par les Etats depuis 2000. Ce résultat est en lui-même très encourageant.
Cependant, pour que cette soutenabilité physique soit réellement assurée, il faut que
les Etats soient en situation de maintenir dans la durée, et sans doute jusqu'en 2020
pour les plus éloignés de l'objectif de Dakar, les efforts accomplis au cours des cinq
ou six dernières années. Les progrès accomplis depuis 2000 l'ont été au prix d'une
profonde remise en cause des modalités de la gestion traditionnelle des enseignants,
ayant affecté conjointement les statuts et les coûts salariaux. Il convient donc de
revenir sur ces différents points dans les chapitres suivants : ceux-ci examinent les
évolutions enregistrées dans les différents paramètres de la politique enseignante, en
analysant successivement les questions de rémunérations et de leur soutenabilité dans
la marche vers la SPU (chapitre 2) et les questions du statut (chapitre 3).
Chapitre 2
Rémunération
des enseignants et extension
de la scolarisation :
une relation centrale
été une période banale. Elle correspond, en effet, à la
forte mobilisation des Etats et de la communauté
internationale qui a suivi le Forum de Dakar et à des
changements très importants en matière de politique
enseignante. L'objectif de ces politiques a été de faciliter
une hausse sensible des recrutements en réduisant le
coût salarial moyen. Nous reviendrons dans le chapitre 3
sur la mise en place de ces politiques et sur leurs
conséquences statutaires, mais avant nous nous
concentrerons ici sur leur seule dimension financière.
Pour comprendre la mise en place de ces nouvelles politiques enseignantes, il est utile
d'analyser la composition des dépenses courantes de l'Etat en éducation, plus
particulièrement d’observer la place qu'y tient le coût salarial et de mesurer son impact
sur les scolarisations. En examinant l'évolution temporelle des salaires relatifs des
enseignants ainsi que celle des recrutements de nouveaux enseignants, on fera
aisément le constat, dans la deuxième partie de ce chapitre, que la dynamique des
recrutements observée récemment (globalement depuis 2000) renvoie largement à cet
ajustement des rémunérations. En lien avec la conclusion du premier chapitre, il sera
alors légitime de s'intéresser à la question du maintien sur le long terme de ces
politiques salariales pour l'expansion des recrutements nécessaire à l'atteinte de la SPU.
Au-delà du simple calcul arithmétique qui veut qu'à budget donné on embauche
davantage d'enseignants en leur versant des salaires moindres, on peut s'interroger
sur la pertinence de ces politiques sur les plans économique, social et bien sûr
pédagogique. Ce dernier point, qui mobilise les résultats de recherches sur le sujet,
mérite de longs développements et fera spécifiquement l'objet du chapitre 4. Les
deux premiers points, à savoir la pertinence économique et sociale de ces politiques
en matière de rémunération des enseignants, seront examinés dans les troisième et
quatrième parties du présent chapitre. Au préalable, on analysera, sur la base de
comparaisons internationales, le niveau des rémunérations actuelles des enseignants
africains, en plus d'aborder la question de l'attractivité de la fonction enseignante au
sein des différents pays. Bien que l'on dispose de peu d'éléments empiriques sur ce
dernier aspect, on s'efforcera de situer le salaire des enseignants par rapport à celui
que peuvent recevoir aujourd'hui, sur les marchés nationaux de l'emploi, des actifs de
même niveau de formation.
Dans tout système éducatif, notamment au cycle primaire, la masse salariale des
enseignants représente la part la plus importante des budgets d'éducation. Les
pays africains ne dérogent pas à cette règle. Des données récentes portant sur une
quarantaine de pays africains permettent d'illustrer ce phénomène. Elles montrent
que, dans l'enseignement primaire en Afrique, en moyenne 70% des dépenses
publiques courantes d'éducation sont consacrées au paiement des salaires des
enseignants en situation de classe. Les situations nationales sont néanmoins
contrastées sur ce plan, comme l'illustre le graphique 2.1. Dans la plupart des cas,
cette proportion oscille entre 50% (cas du Lesotho ou de la Guinée) et 90% (cas de
l'Afrique du Sud ou du Maroc), sans aucune spécificité linguistique ou régionale.
Graphique 2.1 : Part de la masse salariale des enseignants du primaire dans les dépenses publiques courantes
d'éducation du cycle primaire, 2004 ou année proche (%)
100
90
80
70
60
50
40
30
20
10
0
Congo +1
Lesotho +1
Guinée +1
Burkina Faso +2
Bénin +2
Madagascar +2
Djibouti -2
Tchad
Seychelles -2
Niger -2
Nigéria +1
Tanzanie -2
RCA +1
Mauritanie
Mali
Sierra Leone
Côte d'Ivoire -2
Moyenne
Zambie +1
Rwanda -1
Cameroun -1
Ghana -1
RDC +1
Guinée-Bissau +2
Erythrée +1
Ouganda -2
Soudan -4
Togo +1
Gambie -3
Zimbabwe -1
Mozambique -1
Burundi +2
Angola -4
Kenya
Ethiopie -2
Malawi -2
Sénégal
Maroc -2
Afrique du Sud -2
Sources : Diverses études sectorielles, Banque mondiale, Pôle de Dakar, divers rapports, Institut de statistique de l'Unesco (ISU) pour quelques pays, calculs des auteurs
Note : Les données sont de l'année 2004 ; toutefois, (-t) se réfère à l'année 2004-t et (+t) se réfère à l'année 2004+t
Le Congo apparaît très atypique dans ce graphique, avec seulement un tiers des
dépenses publiques courantes du cycle primaire consacré au salaire des enseignants
en situation de classe. Cet exemple illustre le cas d'un pays qui a fait (explicitement
ou non) un arbitrage budgétaire davantage favorable aux éléments autres que le
salaire des enseignants, arbitrage sur lequel nous reviendrons plus loin. Le cadre
indicatif de l'Initiative de mise en œuvre accélérée de l’Education pour tous (IMOA-
EPT / Fast Track Initiative) pour le financement de la SPU recommande qu'environ un
tiers des dépenses courantes de l'enseignement primaire y soit consacré (Bruns et al.,
2003). Toutefois, pour une même part des dépenses courantes hors salaires
enseignants, les pays peuvent avoir choisi des modes d'organisation et de
fonctionnement différents20. Cela appelle des investigations complémentaires, dans la
20 A titre d'illustration, alors que mesure où la composition de telles dépenses n'est a priori pas neutre en ce qui a trait
l'importance relative des
dépenses hors salaires dans à la qualité des services éducatifs qui sont effectivement offerts21.
les dépenses publiques cou-
rantes du primaire est sensi-
blement la même au Bénin et Au total, l'ampleur des charges relatives aux salaires des enseignants étant, on l'a
au Burkina (42% en 2006),
on observe que ces dépenses
noté, très importante, la détermination du niveau moyen de rémunération des
hors salaires enseignants sont enseignants constitue un aspect central de toute politique éducative. Il en est ainsi
majoritairement constituées
de dépenses pédagogiques notamment parce que ce niveau conditionne tant le nombre d'enseignants qu'il est
ou de fonctionnement au possible de recruter avec les ressources disponibles que les caractéristiques de ces
Bénin (à hauteur de 60%),
contre 40% seulement au derniers au moment de leur recrutement.
Burkina ; ce qui laisse 40%
pour le salaire des personnels
non enseignants au Bénin,
contre 60% au Burkina.
1.2. Le niveau de couverture du système éducatif
21 Au Congo, par exemple, on a
noté précédemment que seu-
est fortement lié à la politique salariale
lement un tiers des dépenses
publiques courantes du cycle
primaire était consacré au
Comme le montre Mingat (2004), sur un échantillon d'une cinquantaine de pays à
salaire des enseignants en faible revenu dans le monde, le niveau de rémunération des enseignants exerce une
situation de classe. Cela ne
signifie pas pour autant que influence avérée sur la performance des systèmes éducatifs dans les dimensions de
la part restante (62%) est la quantité et de l'équité. L'influence sur la couverture quantitative22 est d'une
essentiellement consacrée
aux dépenses pédagogiques. certaine façon mécanique : plus le salaire moyen proposé aux enseignants est élevé,
On constate, en effet, que moins il est possible d'en recruter massivement avec un budget donné, ce qui limite
plus des trois cinquièmes des
dépenses hors salaires ensei- le nombre d'enfants qui peuvent être scolarisés. En simulant le taux d'achèvement
gnants servent au paiement
du salaire du personnel non
du cycle primaire selon le niveau de salaire des enseignants, le volume des
enseignant (62%), contre ressources publiques mobilisées et le taux de redoublement moyen au cycle
seulement 38% directement
consacrées aux dépenses primaire, le même auteur démontre sans ambiguïté que, pour un pays africain
pédagogiques. moyen, le taux d'achèvement ne dépasse guère 75% tant que le niveau de salaire
22 Notamment le taux brut de des enseignants est supérieur à 3,5 ou 4 fois le PIB national par habitant. Ainsi, des
scolarisation du primaire (qui
rapporte la population scola- coûts salariaux élevés ont tendance à conduire à une contraction de l'offre publique
risée au primaire à la popula- d'éducation et, de ce fait, de la couverture scolaire globale, à moins que les pays
tion en âge de l'être) ou le
taux d'achèvement du pri- concernés n'aient un recours plus intense au financement privé (notamment par un
maire (proportion d'une classe
d'âge qui atteint la fin du
développement de l'offre privée d'enseignement) pour assurer la production des
cycle primaire). services éducatifs dans le pays.
Sans entrer immédiatement dans des détails trop techniques, on peut décrire
rapidement le contexte de cet arbitrage. Il dépend évidemment des conditions initiales,
et donc de la place des différents facteurs dans le financement actuel, mais aussi des
améliorations attendues d'une augmentation (ou d’une réduction) de chacun des
facteurs par rapport à cette situation initiale. L'arbitrage s'impose dès lors que ces
améliorations ne sont pas proportionnelles aux niveaux de dotation. Par exemple, s'il
n’y a aucun doute qu'un enseignant doit avoir un niveau de formation initial suffisant
pour exercer convenablement son métier, on ne peut pour autant, à partir de ce seul
constat, décider s'il convient d'augmenter ce niveau au-delà d'un seuil jugé minimal
juste parce qu'on en aurait les moyens financiers. Autrement dit, la décision ne peut
être prise en considérant chaque facteur isolément, mais doit plutôt résulter de la
comparaison des coûts et des avantages associés à la dotation d'autres facteurs, et de
la prise en compte de leurs effets conjugués. Ainsi, dans certains cas, la décision de
hausser le niveau de formation des enseignants pourrait s'imposer, alors que dans
d'autres, il pourrait être préférable de réduire la taille moyenne des classes et/ou
d'accroître la dotation en manuels scolaires. La mesure des pertes ou des bénéfices
marginaux associés aux changements de dotation des différents facteurs
d'organisation scolaire étant délicate et sujette à débat, il ne faut pas attendre une
détermination purement scientifique de ces arbitrages, même s'il est possible de
mobiliser un certain nombre d'éléments factuels pour instruire ces choix. Toutefois, il
convient de conserver à l'esprit cette logique des arbitrages qui prévaut dans le choix
du niveau de dotation des différents facteurs et, partant, dans le financement des
différents éléments qui concourent aux apprentissages.
La décomposition de la dépense par élève (coût unitaire) que présente l'encadré 2.1
permet de détailler encore davantage la nature des arbitrages à réaliser. De cette
façon, on montre que la dépense par élève augmente avec le salaire moyen des
enseignants et l'importance des autres dépenses, et diminue avec le nombre moyen
d'élèves par enseignant.
En notant CU le coût unitaire de fonctionnement de l'enseignement public, MSE la masse salariale correspondant aux
enseignants « à la craie », AutresDep le montant des dépenses de fonctionnement hors salaires enseignants « à la craie » et Eff
l'effectif d'élèves scolarisés dans le public, on obtient :
Si représente maintenant la proportion des autres dépenses hors salaires enseignants « à la craie » parmi les dépenses
courantes totales :
Et donc :
La masse salariale des enseignants « à la craie » du public peut être exprimée comme le produit du nombre d'enseignants
« à la craie » (NbEns) et de leur salaire moyen (Salm,yo). On obtient donc :
En appelant REMp le rapport élèves-maîtres de l'enseignement public, on arrive à la décomposition suivante, pour
l'enseignement primaire :
Ces différents choix peuvent être illustrés simplement en prenant l'exemple d'un Etat
qui pourrait, étant donné sa contrainte budgétaire, dépenser au maximum 600 unités
monétaires (UM) sur une année pour chaque enfant inscrit à l'école primaire
publique. Avec cette somme, cet Etat doit faire face à l'ensemble des besoins
nécessaires aux apprentissages de chaque élève, à savoir appointer un enseignant,
offrir du matériel pédagogique et veiller à ce que l'ensemble du système soit
correctement administré et géré. Le tableau 2.1 présente différentes options possibles
en matière de recrutement d'enseignants, de nombre d'élèves par classe et de
dépenses autres que le salaire de l'enseignant.
Cet Etat peut donc envisager ici 12 scénarios. S'il souhaite recruter exclusivement
des enseignants de type C, tout en garantissant une dépense de biens et services
par élève de 400 UM, cela le conduit alors à avoir en moyenne des classes de
125 élèves. En revanche, si ce sont des enseignants de type A qui sont recrutés,
avec un niveau de dépenses de biens et services de 400 UM par élève, il est possible
de descendre à 75 élèves par classe. Si l’Etat considère que ce taux d'encadrement
est encore trop élevé (il s'agit d'une moyenne, certaines classes accueilleront de ce
fait bien plus d'élèves), il peut plutôt considérer le recrutement d'enseignants de
type B, et doter les élèves de dépenses de biens et services de 100 UM, ce qui
l’amène à 40 élèves par classe.
Ainsi, de multiples choix sont possibles pour un même niveau de dépense unitaire,
mais ces choix ne sont pas neutres en termes de qualité des services offerts. Par
exemple, une dépense de biens et services de 50 UM par élève peut se révéler très
insuffisante pour mettre à la disposition de chaque élève le minimum d'intrants
pédagogiques requis pour apprendre correctement. Une combinaison qui conduirait
à une taille de classe moyenne de plus de 60 élèves pourrait également être jugée
néfaste à la qualité. Les éléments spécifiques à la qualité sont détaillés dans le
chapitre 4 de cet ouvrage ; il ne s'agit donc pas ici de préjuger de valeurs de
référence, mais plutôt de rappeler que le choix d'un niveau de salaire doit être le
résultat d'un arbitrage « conscient » et non « subi », au détriment de la taille de
classe ou des dépenses pédagogiques par exemple.
Pour revenir à des exemples plus concrets, on peut étudier les différentes
combinaisons de facteurs qui ont cours en Afrique subsaharienne. En raison de
contraintes budgétaires et de couverture quantitative très différenciées selon les pays,
les coûts unitaires sont extrêmement variés, comme le montre le tableau 2.2 : en
pourcentage du PIB par habitant, ils varient de 5% (RDC, Congo) à près de 20%
(Lesotho, Niger), avec une moyenne pour les pays d'Afrique subsaharienne de 11%.
Tableau 2.2 : Caractéristiques et coût de l'organisation scolaire du primaire public en Afrique subsaharienne
(années proches de 2004)
Primaire Primaire
Graphique 2.2 : Rémunération des enseignants en 1975 (en PIB par habitant)
30
25
20
15
10
0
Syrie
Philippines
Mongolie
Haïti
Jamaïque
Bolivie
Nicaragua
Pérou
Nigeria
Ghana
Népal
Pakistan
Ouganda
Sierra Leone
RDC
Salvador
Malawi
Zimbabwe
Madagascar
Tunisie
Inde
Kenya
Zambie
Rwanda
Maroc
Tanzanie
Papouasie-Nouvelle-Guinée
Burundi
Somalie
Egypte
Côte d'Ivoire
Bénin
Sénégal
Mali
RCA
Ethiopie
Burkina Faso
Tchad
Il apparaît clairement que, à l'époque sur laquelle porte cette comparaison, les pays
situés hors d'Afrique avaient une tendance, au moins pour ceux considérés ici, à
présenter des niveaux de rémunération en unités de PIB par habitant plus faibles
qu'en Afrique. De plus, au sein du continent africain, le niveau de rémunération
moyen dans les pays anglophones était inférieur à celui observé dans les pays
francophones d'Afrique. L'héritage colonial a, en effet, eu des incidences notables sur
l'éducation en Afrique et a fortement structuré le mode d'organisation des systèmes
éducatifs nationaux ainsi que la gestion du personnel enseignant.
C'est en grande partie pour cette raison que le salaire moyen des enseignants en
Afrique francophone était encore pratiquement deux fois plus élevé (en termes relatifs)
que celui des enseignants de la zone linguistique anglophone en 1975. Même entre
pays comparables du point de vue du niveau de développement économique, les
rémunérations étaient environ 60% plus élevées en Afrique francophone qu'en
Afrique anglophone (Mingat et Suchaut, 2000). Pour Cogneau (2003), le poids de la
politique d'assimilation française contribue à expliquer la tendance à maintenir, après
les indépendances, des salaires enseignants qui sont plus en rapport avec les salaires
pratiqués en France qu'avec les capacités financières des pays africains.
14
Afrique francophone
12 11,5
Afrique anglophone
10
Ensemble
8,4
8
6
5,4 4,0
4
0
1975 1985 1993 2004
Sources : Mingat et Suchaut (2000) pour les années 1975 à 1993 ; puis données compilées pour cette étude pour l'année 2004
Note : Le regroupement proposé ici, pour les années 1975 à 1993, diffère légèrement de celui du document source. Cependant,
cela ne perturbe pas les grandes tendances ici illustrées.
160 000 14
140 000 12
120 000
10
100 000
8
80 000
6
60 000
4 Flux d'enseignants
40 000
Sources : Mingat et Suchaut (2000) pour les années 1975 à 1993 ; puis données compilées pour cette étude pour l'année 2004 pour
les données relatives aux salaires ; calcul à partir des données de l'ISU pour les flux d'enseignants.
Le graphique 2.4 présente en parallèle la baisse du salaire relatif des enseignants, dont
l'ampleur est proche pour ce sous-échantillon de celle présentée dans le graphique 2.3,
et les progressions en termes de recrutement d'enseignants pour chaque sous-période
de 5 ans. Ainsi, on peut voir que le flux de recrutement des enseignants a été multiplié
par plus de 5 entre 1970 et 2005 (avec une évolution sans précédent du flux
d'enseignants entre 2000 et 2005), tandis que les salaires moyens en unités de PIB par
habitant étaient divisés par 3, passant de 12 à 4 sur cet échantillon de 15 pays.
Ainsi, au Bénin par exemple, entre 1986 et 1992, les agents de l'Etat ont été rémunérés
sur la base de leur indice acquis en 1986 ; de même, en décembre 1999, les agents
étaient encore rémunérés sur la base de leur indice acquis en 1992 (RESEN-Bénin,
2002b). De plus, la valeur du point de l'indice a été utilisée comme instrument de
modération de l'évolution du salaire des enseignants, dans la mesure où elle n'a pas suivi
l'évolution du coût de la vie. Seuls quelques ajustements périodiques ont été faits : la
valeur du point est passée de 2 100 FCFA à 2 310 FCFA en 1994, puis à 2 425 FCFA en
1997 et 2 598 FCFA en 2007. Enfin, l'ensemble des recrutements à la fonction publique
a été suspendu de 1987 à 1994. De la même façon, au Cameroun, l'ensemble des
recrutements de la fonction publique a été suspendu, parallèlement à une forte révision
à la baisse de la grille des salaires de 66% en 1993, et dont les conséquences ont été
encore aggravées par la dévaluation du franc CFA. Bref, la baisse du salaire réel des
enseignants a été très forte dans les années 1990, et plutôt liée à des chocs
macroéconomiques.
2.2.2. Après 2000, la baisse des salaires relatifs est en grande partie
le résultat d'une politique enseignante de relance des recrutements
Ainsi, à partir de 1995-2000, les ajustements se sont faits, de manière générale dans
les pays non francophones, sur la base des niveaux de qualification requis pour
enseigner, le recrutement d'enseignants sans formation professionnelle se faisant à
un salaire inférieur à celui de leurs homologues formés. Les anciennes colonies
françaises et quelques autres pays de la région ont, quant à eux, choisi deux voies :
la prise en charge des maîtres communautaires25 par l’intermédiaire de subventions
et/ou la création d'un nouveau statut d'enseignant. Ce statut n'appartenant plus à la
fonction publique, il pouvait librement être indexé sur des références différentes de
celles de la grille des enseignants fonctionnaires.
Pour dissocier de manière plus précise l'impact spécifique de ces politiques salariales
volontaristes de celui d'autres mesures ayant pu affecter le recrutement des
enseignants, il aurait été nécessaire de mobiliser d'autres sources d'informations
(notamment macroéconomiques), et de faire ensuite un second parallèle entre
croissance des recrutements et évolution des financements alloués aux systèmes
éducatifs. La mobilisation d'une information exhaustive sur ces autres aspects n'a pas
été possible. Cependant, l'absence de cette analyse complémentaire ne remet pas en
question l'impact notable des politiques d'ajustement salarial sur l'évolution
considérable du nombre d'enseignants au cours de la période récente.
Le maintien des taux de recrutement actuels qui, comme l'a montré le chapitre 1, sera
nécessaire pour atteindre la SPU devra probablement s’appuyer sur le recours ou le
maintien de ce type de politique. Il convient donc d'en prendre toute la mesure en
essayant de réunir les informations disponibles sur la pertinence économique de ces
25 Il s'agit des enseignants
recrutés directement par les nouvelles politiques enseignantes. A cet effet, on examinera la situation actuelle en
communautés ou par les
associations de parents
matière de rémunération et ses conséquences sur le plan de l’attractivité de la
d'élèves. profession enseignante.
Les données comparatives les plus récentes qui ont pu être mobilisées sont celles de
l'année 2004 (ou d'une année relativement proche). Le niveau moyen de
rémunération des enseignants est exprimé en unités de PIB par habitant pour situer
ce niveau de rémunération dans le contexte macroéconomique des pays. Ainsi, au
début des années 2000, on estime que le niveau moyen de rémunération des
enseignants de l'enseignement primaire en Afrique représente environ quatre fois le
PIB par habitant. Bien que de nombreux pays aient des niveaux de rémunération
proches de cette moyenne, il subsiste d'importantes différences inter-pays, comme le
montre le graphique ci-après. Le niveau moyen de rémunération varie de moins de
deux fois le PIB par habitant (en RDC, en Angola, en Guinée, aux Seychelles et au
Congo) à plus de six fois le PIB par habitant (en Ethiopie, en RCA et au Burundi).
Graphique 2.5 : Salaire moyen des enseignants du primaire financés en totalité ou en partie par l'Etat en Afrique
(en PIB par habitant, 38 pays, 2004 ou année proche)
9
8
7
2
1
0
RDC +1
Angola -4
Guinée +1
Seychelles -2
Congo +1
Soudan -4
Madagascar +2
Zambie +1
Ouganda -2
Maroc -2
Bénin +2
Cameroun -1
Tanzanie -2
Rwanda -1
Erythrée +1
Ghana -1
Moyenne
Zimbabwe -1
Libéria +4
Malawi -2
Guinée-Bissau +2
Lesotho +1
Gambie -3
Côte d'Ivoire -2
Nigeria +1
Mozambique -1
Togo +1
Burkina Faso +2
Niger -2
Djibouti -2
Ethiopie -2
RCA +1
Burundi +2
Tchad
Mauritanie
Sierra Leone
Sénégal
Mali
Kenya
Sources : Diverses études sectorielles, Banque mondiale, Pôle de Dakar, divers rapports, ISU pour quelques pays, calculs des auteurs
Note : Les niveaux de salaires pris en considération dans ce graphique tiennent compte de la rémunération des maîtres communautaires lorsque ces derniers perçoivent
une subvention de l'Etat. C'est ce qui explique, lorsque l'année de référence est la même, les différences avec le tableau 2.2.
8
Burundi
7
Salaire des enseignants
Ethiopie RCA
6
Niger Burkina Faso Djibouti
5 Gambie Côte d'Ivoire
Mali Lesotho
4
Malawi Zimbabwe
Libéria
Ouganda Bénin Maroc
Mauritanie Cameroun
3
Zambie
Madagascar
2
Soudan
Congo Seychelles
Guinée Angola
RDC
1
0
4 5 6 7 8 9 10
Sources : Diverses études sectorielles, Banque mondiale, Pôle de Dakar, divers rapports, ISU pour quelques pays, calculs des auteurs
Le graphique 2.6 illustre cette tendance générale en même temps qu'il en fait
apparaître les limites. La relation moyenne entre le salaire des enseignants et le revenu
par habitant est décroissante, mais les situations nationales sont relativement
dispersées autour de cette tendance moyenne. Plus que la modestie de la relation
statistique globale qui caractérise cette dispersion, c'est la faible robustesse de la
relation qui amène à conclure que les salaires des enseignants n'entretiennent ici
qu'une faible relation avec le niveau de richesse des pays : l'omission des Seychelles
réduit d'un tiers le pouvoir explicatif du modèle, l'omission supplémentaire du
Burundi (les deux situations extrêmes) annule totalement la relation.
L'analyse menée ici a permis de mettre en évidence la diversité des situations des pays
africains en matière de rémunération enseignante. Les écarts de rémunération
constatés ne se réduisent pas à des différences structurelles de développement des
Etats et ont donc des causes plus spécifiques. Il est évident que dans ce domaine, et 30 L'équation de la courbe de
contrairement à certaines idées reçues, les pays africains ne sont pas tous confrontés tendance est estimée par
y = -0,668x + 8,037, avec un
à la même problématique et que de fortes singularités les caractérisent. R2 = 0,153.
Nous venons de voir que les salaires moyens des enseignants en unités de PIB par
habitant étaient extrêmement variés sur le continent africain. Ces salaires moyens
résultent notamment de la coexistence, dans la période récente, de salaires
différenciés selon le statut des enseignants présents dans le pays, et donc d'une
hétérogénéité qu'il convient d'apprécier.
Fonctionnaires
Les pays anglophones et lusophones, qui
Non-fonctionnaires ont quant à eux généralement opté pour
Maîtres de parents le recrutement d'enseignants sans
Moyenne pays formation professionnelle, présentent
également très peu d'homogénéité en
termes de rémunération de leurs
Sources : RESEN de différents pays, modèles de simula-
tion financière de différents pays, calcul des auteurs
enseignants, quoique dans une fourchette
plus restreinte.
Ouganda
La diversité des rémunérations des
Rwanda
différentes catégories d'enseignants au
Sierra Leone sein du système éducatif est un constat
0 1 2 3 4 5 6 7 8 commun à un grand nombre de pays
africains, quelle que soit la zone
Enseignants qualifiés
Enseignants moins qualifiés
géographique ou linguistique. Elle soulève
Moyenne pays
des questions d'équité sociale et de
soutenabilité à terme, notamment au
Sources : RESEN de différents pays, modèles de simula-
regard de la situation des maîtres
tion financière de différents pays, rapports pays sur la communautaires, dont on peut questionner
situation des enseignants et calcul des auteurs
la décence du niveau de rémunération.
La question de la pérennité de ces politiques salariales qui font coexister des situations
et des statuts très variés pour une même activité se pose avec acuité. Sur ce plan, on
assiste d'ailleurs depuis quelque temps à une multiplication des déclarations de la part
des Etats allant dans le sens d'une bonification progressive du salaire des enseignants,
notamment sous la pression revendicative des partenaires sociaux.
Ces revalorisations sont souvent le fruit d'âpres discussions entre les gouvernements,
les partenaires sociaux, mais également les partenaires au développement, car un
appui financier supplémentaire est généralement nécessaire, au moins sur le court
terme. L'alignement sur le cadre indicatif de l’IMOA-EPT facilite la possibilité d'un
financement extérieur conséquent, ce qui rend ces mesures d'intégration a priori
envisageables et crédibles. La contractualisation des IVAC au Cameroun a, par
exemple, été négociée de manière à ce que les engagements de l'Etat en faveur de
l'éducation permettent la prise en charge à moyen terme de l'ensemble des
contractuels sur le budget national. Les financements sont donc en principe pérennes,
car mobilisés au niveau national.
Pour l'ensemble des 18 pays, le « vivier » estimé est constitué d'environ 2,7 millions de
jeunes, dont près des trois quarts exercent déjà un emploi mais dans le secteur
informel ; les autres jeunes qui se déclarent sans emploi au moment de l'enquête
constituent 27% des candidats potentiels. Pour l'ensemble des pays concernés,
1,1 million de nouveaux enseignants seront nécessaires dans la perspective de la SPU.
Même si l'année retenue pour l'estimation des candidats potentiels ne coïncide pas avec
l'année de référence pour la projection des besoins en enseignants, la simple
confrontation des besoins en enseignants au nombre des jeunes actifs pouvant occuper
potentiellement ce type d'emploi indique que les besoins ont toutes les chances d'être
couverts, et ce, pour la majorité des pays. Pour l'ensemble des 18 pays, les estimations
suggèrent un chiffre de deux à trois candidats potentiels par poste d'enseignant offert.
Tableau 2.3 : Estimation du nombre de jeunes (25-34 ans) pouvant être candidats aux postes d'enseignants
dans le primaire et nombre moyen annuel de nouveaux postes d'enseignants
Ces résultats peuvent être confortés par l'utilisation de données réelles sur le nombre
de candidats par poste offert aux concours officiels de recrutement des enseignants.
Au Malawi, par exemple, en 2005, on a enregistré 28 000 candidats pour 2 900
places offertes au concours de recrutement des élèves-maîtres, soit environ 10 candidats
par poste (Banque mondiale, 2007d). Au Bénin, un concours similaire a enregistré en
2007 près de six candidats par poste offert (RESEN-Bénin, 2008), et on a compté 3,5
candidats par poste en République centrafricaine (RESEN-RCA, 2007).
Si le salaire des enseignants d'un pays donné est très inférieur au salaire moyen en
vigueur sur le marché du travail national, on doit anticiper des difficultés de
recrutement mais aussi d'éventuelles sorties prématurées de la profession. Si, au
contraire, le salaire est très au-dessus du salaire moyen, les démissions devraient être
rares et le nombre de candidats, très supérieur aux besoins de recrutement. La
question de savoir comment se positionne la rémunération moyenne actuelle des
enseignants au regard de la situation sur le marché de l'emploi national est donc
importante au niveau de la gestion du système, comme au niveau individuel.
Pour mieux apprécier la position relative des enseignants sur le marché de l'emploi de
leur pays, il est essentiel d'avoir à l'esprit les éléments structurels qui le caractérisent
(types d'emplois offerts dans l'économie, niveaux moyens de rémunération offerts
aux individus dotés de qualifications comparables à celles des enseignants…). Dans la
plupart des économies africaines, il existe généralement deux principaux secteurs
d'emplois qui se distinguent nettement par leur taille et leur structuration. Le secteur
de l'emploi dit « moderne », généralement étroit de par le nombre d'emplois qu'il
offre, est celui qui regroupe l'ensemble des emplois publics et privés de nature
formelle. Le secteur non structuré, quant à lui, regroupe les emplois dits
« traditionnels », dans l'agriculture en milieu rural, ainsi que les emplois « informels »
en milieu urbain. A l’heure actuelle, ce dernier offre environ 90% des emplois dans
un pays africain typique (cf. tableau 2.3), et il apparaît clairement qu'il constituera
encore pour les 10 à 15 prochaines années le principal pourvoyeur d'emplois.
Les enseignants font partie du secteur de l'emploi moderne, et ce sont donc les
rémunérations au sein de ce secteur qui doivent servir de référence à l'appréciation
de leur situation particulière. Il est, en outre, essentiel de faire porter la comparaison
sur des individus qui présentent des qualifications académiques comparables à celles
des enseignants, selon qu'ils exercent dans l'un ou l'autre des deux grands secteurs
d'emploi. Comme précédemment, on cible ici les jeunes âgés de 25 à 34 ans dont le
niveau d'études est compris entre la fin du premier cycle du secondaire et la fin du
second cycle du secondaire.
Tableau 2.5 : Revenu annuel (en PIB par habitant) des individus âgés de 25-34 ans et ayant
achevé le premier ou le second cycle secondaire, selon le secteur d'emploi
Cette structure moyenne se décline différemment selon les pays, comme en témoigne
la situation observée au Burkina Faso, où le revenu annuel moyen des jeunes ciblés
paraît en moyenne plus élevé dans le secteur informel que dans le secteur privé
formel. En Mauritanie, cette fois, le secteur informel semble être plus rémunérateur
que le secteur public. Dans la grande majorité des situations, les salaires du secteur
privé moderne et du secteur informel sont inférieurs à ceux du corps enseignant,
mais aussi à la référence fixée pour ce type d'emploi dans le cadre indicatif de
l’IMOA-EPT (3,5 fois le PIB par habitant). Si les tendances observées sont nettes, on
observe aussi des situations particulières qui invitent à éviter une généralisation
hâtive. Des analyses au niveau national sont souhaitables quand les données sont
disponibles pour éclairer cet aspect.
Au Libéria, les enseignants rémunérés par l'Etat sont régis par le statut général de la fonction publique.
Le salaire n'évolue ni en fonction de l'expérience, ni en fonction de la performance de l'enseignant. Le
salaire était fixé à environ 55 dollars US par mois en 2008. Il est très légèrement différencié selon le
niveau de qualification de l'enseignant. Une nouvelle grille salariale a été préparée par le Ministère de
l'Education nationale, mais elle n'est pas encore entrée en vigueur : celle-ci autorise simplement plus de
disparités salariales selon le niveau de qualification de l'enseignant, mais n'évolue pas non plus en
fonction de l'ancienneté de l'enseignant.
Au Malawi, les enseignants sont également alignés sur la grille salariale de la fonction publique, avec
des revalorisations automatiques de l'ordre de 2% par an jusqu'à l'échelle maximale. Ainsi, un
enseignant certifié débute sa carrière au grade M avec 45 dollars US par mois (soit 3,4 fois le PIB par
tête en 2007), chiffre qui augmente jusqu'à un maximum de 13% si l'enseignant demeure au même
grade (soit alors 3,8 fois le PIB par tête en 2007). Le passage d'un grade à un autre se fait sur base
compétitive, après un minimum de quatre années de service. Le salaire maximal au grade L est de 43%
plus élevé que le salaire maximal au grade M. Cela dit, les concours en vue d’un changement de grade
sont très sélectifs. Par exemple, pour le passage au grade L, le taux de réussite était de 13% seulement
dans les années récentes.
En Ouganda, la grille de rémunération des enseignants est la même que celle de la fonction publique.
Elle est basée sur la qualification professionnelle et évolue automatiquement avec l'expérience. Ainsi, un
enseignant qualifié du cycle primaire atteint le maximum de l'échelle salariale après 10 ans d'activité ;
son salaire à ce maximum est alors de 15% supérieur à son salaire en début de carrière. Une fois atteint
ce niveau, l'augmentation de salaire n'est possible que si l'enseignant est promu chef d'établissement.
Les enseignants non qualifiés ont cependant une rémunération constante tout au long de leur carrière.
En Zambie, la majorité des nouveaux enseignants sont recrutés avec un minimum de 12 années
d'études. Ces enseignants « certifiés » perçoivent, en début de carrière, un salaire annuel de 3 292
dollars US. Celui-ci augmente jusqu'à un maximum de 11% après sept augmentations annuelles
automatiques (avec l'ancienneté).
Une analyse plus fine peut être réalisée en utilisant des enquêtes de ménages ou des
enquêtes plus spécifiques sur l'emploi où sont disponibles des informations à la fois
sur le niveau d'éducation et de formation, sur l'emploi occupé ainsi que sur les salaires
ou les revenus. L'échantillon utilisé doit être d'une taille suffisante pour permettre une
comparaison significative entre les emplois d'enseignants et les autres activités. Les
données d'enquêtes mobilisées dans le cadre de cet ouvrage ne réunissent pas cet
ensemble de conditions, à l'exception de celles du Mali (EPAM, 2004). L’enquête
permanente auprès des ménages au Mali permet de distinguer les salaires des
enseignants du secteur public de ceux des autres travailleurs (également de distinguer
les travailleurs du secteur public de ceux du secteur privé et du secteur informel).
L'analyse a aussi ciblé les jeunes âgés de 25 à 34 ans. Elle permet de raisonner sur un
Sur cette base, on constate qu'il n'existe pas de différence significative entre le revenu
déclaré par les enseignants du public (âgés de 25 à 34 ans) et les autres travailleurs
du secteur public appartenant au même groupe d'âge. En revanche, l'analyse suggère
que les salaires des enseignants sont supérieurs (de 40%) au salaire moyen des
travailleurs du secteur privé moderne qui présentent un même profil en termes de
formation initiale et de durée de leur carrière professionnelle. L'écart est de plus de
50% avec le secteur informel.
Graphique 2.9 : Ecart salarial entre les enseignants du secteur public et les autres
catégories de travailleurs comparables du point de l'expérience
professionnelle et de la durée des études (Mali, 2004)*
60%
50%
40%
30%
20%
10%
0%
Secteur public Secteur privé Secteur informel
-10%
Source : Calculs des auteurs à partir des données individuelles de l'EPAM de 2004
* Simulations fondées sur un modèle économétrique (1 644 individus de 25-34 ans ; R2=28%)
La consolidation des résultats issus des investigations sur l'ampleur du stock d'actifs
potentiels permettant le recrutement d'enseignants du primaire et de ceux présentés
sur le degré d'attractivité de la rémunération des enseignants suggère que, dans le
cas du Mali, il y a de très nombreuses personnes qui ont la qualification académique
de base pour être enseignant au niveau du cycle primaire. Ces résultats suggèrent
aussi que le niveau de rémunération des enseignants salariés du secteur public est
33 De manière concrète, on fait
en moyenne largement supérieur au salaire d'équilibre du marché du travail national une analyse statistique du
(si on évalue ce salaire en se référant aux conditions de rémunération offertes par le logarithme du revenu indivi-
duel en fonction de la plus
secteur privé moderne). Il serait bien sûr souhaitable que ce type d'analyse soit haute classe atteinte et de
l'expérience, avec comme
menée dans chaque pays afin d'apprécier plus finement la situation relative des variables complémentaires le
salaires des enseignants. secteur d'emploi et le sexe.
Les décideurs politiques doivent donc prendre en considération chacun de ces aspects
et en dégager les véritables questions pour le développement du système. Ils doivent
identifier les différentes options qui y répondent, de la plus confortable à la plus
contrainte, en estimer les coûts, pour enfin les confronter aux ressources disponibles
(autant nationales qu’internationales) et ainsi déterminer le meilleur équilibre. Le
recours à un modèle de simulation financière sectoriel est souvent utile dans ce type
de problématique, car il facilite le processus d'arbitrage en testant la faisabilité
logistique et la soutenabilité financière de différents scénarios. Le modèle de simulation
permet également d'estimer le besoin de financement à combler pour mettre en place
la politique du secteur et, par là, d’évaluer le taux de dépendance potentiel de l'Etat
vis-à-vis de l'extérieur, pour ce qui concerne le seul domaine de l'éducation.
Les arbitrages finaux seront liés au rapport de force qui va s'exercer entre les différents
acteurs impliqués dans le système. Ils devront tenir compte des aspirations, souvent
divergentes, de chacun. Toutefois, il est nécessaire qu'un équilibre soit trouvé autour
d'une prise en considération explicite des conséquences des différents scénarios de
développement envisagés. De ce point de vue, le recours partagé et transparent à un
modèle de simulation offre assurément la possibilité d'ancrer le dialogue social au
cœur des choix de politique éducative et de faciliter ainsi la construction de consensus
indispensables à la mise en place de politiques ambitieuses de développement des
systèmes éducatifs.
Chapitre 3
Les nouveaux enseignants et
les progrès de la scolarisation
d'universalisation de l'éducation primaire. Néanmoins,
la plupart des pays d'Afrique ont eu des difficultés à
faire face à cette demande grandissante et à proposer
une offre scolaire en conséquence, particulièrement en
matière de recrutement d'enseignants. Cela les a conduits
à repenser complètement le mode de recrutement et
le profil des enseignants.
Le chapitre précédent a mis en évidence le rôle central qu'occupe le coût salarial des
enseignants dans les arbitrages de politique éducative. C'est en prenant en compte
cette contrainte et avec l'objectif de généraliser la scolarisation primaire (donc
d'accroître massivement le recrutement des enseignants) qu’ont été développées, à la
fin des années 1990, de nouvelles politiques enseignantes ayant pris des formes
différentes selon les contextes nationaux.
L'objet du présent chapitre est de rappeler les éléments de contexte qui ont fait
émerger ces nouvelles initiatives, puis de faire l'état des lieux des mesures prises par
les pays pour accroître le recrutement d'enseignants (les réponses élaborées ayant été,
comme on l'a vu précédemment, très différenciées). La seconde partie s'attachera à
étudier de quelle manière ces réformes ont été mises en œuvre (statut proposé,
formation des personnels…) et quelle a été leur incidence sur la scolarisation.
Comme nous l'avons vu dans le chapitre 2, les pays d'Afrique subsaharienne ont été
confrontés à une grave crise économique dans les années 1980. Les économies
africaines, caractérisées par des déficits financiers structurels importants, ont alors été
contraintes, sous la pression des institutions financières internationales, d'adopter des
mesures visant une plus grande rigueur budgétaire en réduisant en premier lieu les
dépenses de l'Etat, et notamment sa masse salariale, au sein de laquelle figure en
bonne place le corps enseignant. Cette tendance s'est accentuée dans les années
1990 avec les conditions imposées par le Fonds monétaire international (FMI) pour
l'octroi de prêts, celles-ci ne portant plus seulement sur le domaine traditionnel des
politiques monétaire et fiscale, mais également sur la gestion dans son ensemble du
secteur public. Alors que des instances telles que la Banque mondiale incitaient les
Etats africains à réformer leurs systèmes éducatifs dans le but d'assurer une Education
pour tous, le FMI, dans l'optique d'assurer une certaine stabilité macroéconomique et
de résoudre les problèmes liés à la crise économique, a contraint de nombreux
gouvernements à réduire le niveau de leurs dépenses publiques. En 1999, il mettait
en place la Facilité pour la réduction de la pauvreté et pour la croissance (FRPC), un
instrument permettant aux pays à faible revenu d'avoir accès à des prêts
concessionnels en vue de soutenir les stratégies et programmes de réduction de la
pauvreté tels qu'établis dans les documents de stratégie pour la réduction de la
pauvreté (DSRP). Les DSRP constituent la référence pour toute opération de prêts ou
d'allègement de la dette du FMI et de la Banque mondiale.
Ainsi, depuis l'adoption de la FRPC, les Etats concernés ont dû limiter leurs dépenses
publiques et assurer une gestion assainie du secteur public. Dans ce cadre, des
plafonds sur la masse salariale globale de la fonction publique ont été instaurés,
ceux-ci pouvant, dans certains cas, faire l'objet d'une condition pour l'octroi d'un
prêt par le FMI (ActionAid International, 2007). La conséquence directe de cette
mesure a été un gel des embauches d'enseignants, qui s'est traduit par une
réduction de leur effectif.
Les enseignants communautaires des différents pays ont pour point commun de
constituer une réponse à un besoin de scolarisation qui n'a pu être satisfait par les
pouvoirs publics. Ces enseignants ont généralement été choisis parmi les personnes
les plus diplômées disponibles localement et n'ont souvent pas reçu de formation
professionnelle. Ils peuvent avoir été recrutés pour enseigner dans les écoles issues
d'initiatives locales des communautés, ou alors au sein des écoles publiques
insuffisamment dotées. Au Mali, par exemple, la diminution relative du nombre
d'enseignants du secteur public au début de la décennie 1990 (de 7 720 en 1990-
1991, il est passé à 7 301 en 1994-1995) explique pourquoi le poids en termes
d'effectifs scolarisés des écoles publiques est passé de 80% à 63% entre 1996-1997
et 2004-2005. De ce fait, la part des écoles non publiques (privées, communautaires
et médersas) a augmenté, et les enseignants communautaires représentaient à eux
seuls 30% des personnels du primaire en 2004. En Zambie, malgré la disponibilité
d'un nombre important d'enseignants qualifiés, l'Etat et les parents d'élèves ont
recruté, ces dernières années, des enseignants ne présentant pas les qualifications
académiques exigées traditionnellement : les enseignants volontaires.
Si l'origine des maîtres de parents semble s'expliquer par des causes relativement
similaires d'un pays à l'autre, ce phénomène masque néanmoins des réalités
nationales différentes, et un large éventail de situations juridiques existe autour de
cette question.
Lorsque les premiers enseignants communautaires sont apparus, la grande majorité des
Etats africains a considéré ces initiatives avec une certaine méfiance. Ceci s'explique
aisément par le fait que les pouvoirs publics n'exerçaient aucun contrôle direct sur le
recrutement et la gestion de ces enseignants, ces prérogatives revenant aux comités de
gestion des écoles communautaires ou publiques. Par la suite, l'extension de ce
phénomène a incité certains gouvernements à reconnaître l'utilité des enseignants
communautaires et à encadrer cette pratique. Toutefois, les modalités de réponse ont
différé d'un pays à l'autre. Certains Etats, comme le Mali et le Togo, ont encouragé et
appuyé l'émergence de ces enseignants en créant un cadre réglementaire pour leurs
activités. Le Mali est, en effet, l'un des rares pays africains où l'Etat a établi un ensemble
de textes juridiques et réglementaires en vue d’encadrer les pratiques des écoles
communautaires, celles-ci étant considérées comme relevant du domaine de
l'enseignement privé. Ce cadre juridique, adopté en 1994, reconnaît l'existence et
l'autonomie de gestion des écoles communautaires. Le processus de reconnaissance des
écoles communautaires s'est engagé à la même période au Togo. A partir de 1995,
l'Etat togolais a instauré un ensemble de mesures pour assurer l'encadrement
La réponse apportée par les pays non francophones pour relever les défis de la
scolarisation primaire universelle (SPU) a été de recruter, généralement sans offrir de
formation professionnelle, des enseignants présentant des niveaux de qualification
Des mesures similaires ont été adoptées au Mozambique et en Ouganda. Les périodes
d'instabilité politique au cours des années 1970-1980 et les difficultés économiques
qui se sont prolongées dans la décennie suivante ont durement affecté les systèmes
éducatifs de ces Etats. En Ouganda, au cours des années 1990, le faible niveau de
rémunération ainsi que l'irrégularité du paiement des salaires ne permettaient pas
d'attirer des enseignants formés, particulièrement dans les zones rurales. L'offre
d'enseignants formés étant inadéquate pour répondre aux besoins, le gouvernement,
contraint de réduire ses dépenses publiques, a alors recruté des enseignants non
formés sur un contrat de deux ans. Ainsi, si l'ensemble des enseignants ougandais est
rattaché à la grille salariale de la fonction publique, des différences de rémunération
existent en fonction du niveau de formation. Un enseignant non formé perçoit un
salaire de 121 366 shillings ougandais par mois, alors qu'un enseignant formé a un
salaire progressif allant de 200 000 les premières années à 229 181 shillings
ougandais par mois dix ans plus tard (Banque mondiale, 2007e). Au début de la mise
en œuvre du Programme de réforme de l’enseignement primaire (PERP) en 1993, les 34 Malawi Special Teacher
Education Program.
enseignants du primaire non ou peu formés représentaient environ 50% du corps
35 Malawi Integrated In-service
enseignant ; ils en représentaient 32% en 2006. Au Mozambique cette fois, en 2007, Teacher Education Program.
44% des enseignants du primaire n'avaient reçu aucune formation initiale et étaient 36 Initial Primary Teacher
donc considérés comme non formés (Mulkeen et al., 2008). Education Program.
Contrairement à la majorité des autres pays, où les ajustements se sont faits à partir
du niveau de formation, les anciennes colonies françaises pour l'essentiel et quelques
rares autres pays comme la Guinée-Bissau ont eu recours à un nouveau statut
d'enseignant : les maîtres non fonctionnaires gérés et rémunérés par les Etats.
A l'instar de nombreux pays d'Afrique subsaharienne, le Sénégal a été confronté, dès les années 1990, au problème du financement du
développement de son système éducatif. En dépit d'une part importante du budget de l'Etat allouée au secteur éducatif, le taux brut de
scolarisation (TBS) n'a cessé de diminuer, pour passer de 58,1% en 1989 à 54% en 1994. L'entrave majeure au développement de
l'enseignement primaire résidait à cette époque dans l'incapacité financière du gouvernement sénégalais à payer les salaires du personnel
enseignant nécessaire à cette expansion : au début des années 1990, le salaire moyen des enseignants sénégalais dans le primaire
représentait 7,2 fois le PIB par habitant du pays.
C'est dans ce contexte, marqué par des difficultés financières et des problèmes de développement du système éducatif, qu'a été créé le corps
des volontaires de l'Education. Lancée en 1995, cette initiative novatrice visait à apporter une réponse tangible à un double problème :
celui des diplômés sans emploi et celui de la pénurie d'enseignants à l'école primaire. Les étudiants du second cycle de l'enseignement
secondaire ont été appelés à devenir des enseignants « volontaires ». Sur les 32 595 candidats qui se sont présentés au test de mobilisation
de juillet 1995, 1 200 volontaires ont été sélectionnés pour bénéficier d'une formation de trois mois avant de partir enseigner dans les zones
reculées du pays38. Les jeunes volontaires acceptaient ainsi d'enseigner dans les communes isolées, pour une durée de deux ans, renouvelable
une fois, moyennant une bourse de 50 000 francs CFA pendant 12 mois.
Le recrutement de ces volontaires, éloigné des normes et critères en vigueur au sein de la fonction publique, a été fortement controversé au
sein du milieu enseignant. Des efforts considérables ont alors dû être déployés pour expliquer cette politique aux syndicats et aux parents
afin de permettre sa mise en œuvre. Finalement, elle a permis aux autorités d'impulser une réelle dynamique. Les enseignants volontaires
représentaient déjà 19% du corps enseignant en 1998 (UNESCO, 2000).
Cette initiative, qui visait au départ à fournir 1 200 volontaires de l'Education par an pendant quatre ans, s'est pérennisée. Le volontaire
bénéficie désormais de possibilités de carrière dans l'enseignement public. Les revendications menées par les volontaires, et soutenues par
les syndicats, ont ainsi inspiré la création d'un statut pérenne à travers le nouveau corps des maîtres contractuels. Après deux ans
d'activité, l'enseignant volontaire peut, en effet, être recruté en tant que maître contractuel (non fonctionnaire) en signant un contrat avec
l'Etat. Par la suite, s'il réussit son CEAP ou son CAP39, l'enseignant contractuel peut être intégré à la fonction publique, selon des modalités
définies, au titre d'instituteur ou d'instituteur adjoint. Le nouveau cadre statutaire adopté offre aux contractuels un niveau de salaire qui, s'il
demeure inférieur à celui des fonctionnaires, n'en demeure pas moins supérieur à celui fixé initialement pour les volontaires. Alors que le
salaire des volontaires représentait, en 2002, seulement 1,9 fois le PIB par habitant du pays, le niveau de rémunération des enseignants
contractuels se situe à 3,4 fois le PIB par habitant.
Depuis la création du corps des volontaires, les Ecoles de Formation des Instituteurs (EFI) ont formé, sur 13 générations, environ 25 000
volontaires. Selon les projections, les maîtres contractuels et volontaires représenteront 56% des effectifs dans le corps enseignant en 2010
(ME/ADEA, 2001) ; ils représentaient déjà en 2003 près de la moitié du nombre total d'enseignants présents au sein des écoles primaires. Cette
politique est à rapprocher des progrès de la couverture scolaire au Sénégal, puisque le TBS est passé de 54% en 1995 à 83% en 2006.
L'Etat nigérien n'a plus recruté d'enseignants fonctionnaires dans le cycle primaire
depuis l'adoption de ce programme instaurant les enseignants contractuels. Une
situation similaire se retrouve en Guinée. En effet, le pays a également eu
massivement recours aux enseignants contractuels, ces derniers étant la seule
catégorie recrutée depuis 1998, date de mise en œuvre de la réforme. Au Mali cette
fois, le recours aux enseignants contractuels depuis 1992 s'est effectué de manière
moins massive qu'au Niger et qu'en Guinée, mais ce phénomène a tout de même
connu un essor considérable à partir de la fin de la décennie 1990. Le gouvernement
malien a affiché une volonté claire de recourir aux enseignants contractuels au
détriment des fonctionnaires : en 2002, 5 800 enseignants contractuels ont été
recrutés, contre un peu plus de 200 fonctionnaires.
Si l'émergence des maîtres rémunérés par les parents à partir des années 1990 a le
mérite d'avoir eu un impact notable sur l'accès à l'éducation des enfants qui en étaient
jusqu'alors exclus, elle a néanmoins suscité des interrogations en termes d'équité. Dans
des pays comme le Cameroun, le Congo, Madagascar ou encore le Tchad, où les
maîtres de parents représentent une part élevée des effectifs d'enseignants, on assiste
clairement à un transfert de la charge du financement de l'Etat vers les communautés.
Les premiers touchés sont les parents d'élèves, qui doivent supporter des coûts
éducatifs supplémentaires. A l'heure où l'on prône la gratuité de l'école primaire, de
nombreuses familles, souvent dans les zones les plus défavorisées, sont contraintes de
rémunérer par leurs propres moyens des enseignants. Ce partage des rôles entre l'Etat
et les familles dans le recrutement et la prise en charge des enseignants va à l'encontre
de la logique d'équité dans l'accès à l'école.
qui les ont engagés. S'ils passent un contrat avec l'Etat, qui prendra alors entièrement
la charge de leur rémunération, la communauté qui leur confie une classe devra
néanmoins être associée à ce contrat et à la gestion de ces enseignants.
Tandis que la prise en charge des maîtres de parents demeure un objectif à mettre en
œuvre en République centrafricaine, des mesures similaires ont déjà été instaurées
avec une certaine ampleur à Madagascar et au Tchad. Contrairement à de nombreux
autres pays africains francophones, les deux gouvernements ne recrutent pas
officiellement d'enseignants non fonctionnaires de l'Etat, mais recourent aux maîtres
initialement payés par les parents.
Encadré 3.2 : Les conclusions de la Conférence de Bamako sur les enseignants non fonctionnaires, novembre 2004
Co-organisée par l’Association pour le développement de l’éducation en Afrique (ADEA), la Banque mondiale, l'Internationale de l'Education
et le Ministère de l'Education Nationale du Mali, la Conférence de Bamako a été l'occasion de rassembler de nombreux participants autour
du thème des enseignants non fonctionnaires. Les ministres de l'Education et des Finances, les représentants des syndicats et des
associations de parents d'élèves de 12 pays africains francophones41 ainsi que des membres de la société civile se sont réunis pour échanger
sur les défis posés par le recrutement et l'activité de ces nouvelles catégories d'enseignants. Si l'opposition entre, d'une part, les partisans
des enseignants dotés d'une formation classique et, d'autre part, les défenseurs des vacataires, volontaires et autres nouvelles catégories
d'enseignants était manifeste lors de cette conférence, les discussions ont permis d'aboutir à une série de recommandations et de mesures
visant à améliorer les conditions de travail des enseignants non fonctionnaires.
Celles-ci découlent de la reconnaissance, par l'ensemble des participants, du fait que le recrutement de ces nouveaux enseignants est apparu
dans un contexte de transition où la limitation des ressources a empêché les Etats africains de recruter des enseignants selon les critères
traditionnels. Les recommandations adoptées en vue de professionnaliser les instituteurs non fonctionnaires et d'améliorer leurs perspectives
de carrière ont été les suivantes :
• S'assurer que le niveau, BEPC ou plus, et les conditions de recrutement, sélection par tests, garantissent les normes afférentes
au profil de l'enseignant du primaire.
• Assurer une formation initiale d'au moins six mois suivie d'un plan de développement professionnel comportant une formation
continuée et divers soutiens pédagogiques ciblés sur les besoins en situation de service.
• Offrir un contrat à durée indéterminée incluant plans de carrière, passerelles de promotion, garanties de protection sociale,
droits et devoirs selon la législation en vigueur.
• Rechercher un salaire d'équilibre qui garantisse une vie décente tout en étant compatible avec les ressources du pays et
l'obligation d'équité et donc d'éducation pour tous.
• Gérer la coexistence des différentes catégories d'enseignants en uniformisant le recrutement, la formation initiale et la
formation continue de façon à réduire progressivement les disparités tout en prévoyant des dispositions dérogatoires tenant
compte des contraintes conjoncturelles.
• Structurer et réguler la planification stratégique de la transition en fonction de l'amélioration des ressources internes et
externes afin de rapprocher progressivement les salaires des différentes catégories en tenant rigoureusement compte de
l'immensité des besoins de recrutement et la durabilité financière dans le cadre de la réalisation d'un enseignement primaire
universel et complet pour tous les enfants.
• Promouvoir la reconnaissance sociale et le mérite du corps enseignant aux niveaux tant national qu'international.
Pour mettre en œuvre ces recommandations, il a été reconnu lors de cette conférence que des ressources supplémentaires ainsi qu'une
meilleure allocation de celles-ci en faveur du secteur de l'éducation, et en particulier de l'enseignement primaire, seraient nécessaires, tout
comme un accroissement de l'aide extérieure.
Source : Communiqué final de la Conférence de Bamako
Les statuts des enseignants dans les différents pays d'Afrique se décomposent de
manière générale en trois catégories : les fonctionnaires de l'Etat ou assimilés
fonctionnaires (par exemple, les enseignants contractuels au Congo sont assimilés aux
fonctionnaires), les non-fonctionnaires sous contrat avec l'Etat et les maîtres de
parents. Les enseignants non fonctionnaires sous contrat avec l'Etat sont gérés et
rémunérés directement par l'Etat et sont appelés, selon les pays, « contractuels »,
« vacataires » ou « volontaires ». Les maîtres de parents, appelés également maîtres
communautaires ou encore bénévoles, sont des enseignants recrutés et rémunérés
par les parents d'élèves et/ou la commune, et qui dans certains pays sont
subventionnés par l'Etat.
Alors que les politiques de recrutement présentent des traits communs d'un pays à
l'autre, la répartition des enseignants en fonction de leur statut et de leur niveau de
rémunération (en PIB par habitant) est très variable, comme en témoignent les
données réunies pour 14 pays africains (13 francophones et 1 lusophone) présentées
dans le tableau 3.1 suivant. En moyenne sur les 14 pays présentés, 51% des
enseignants du primaire sont fonctionnaires de l'Etat et 26% sont des non-
fonctionnaires. Les 23% restants sont des maîtres de parents. La rémunération
moyenne pour les enseignants fonctionnaires est de 6 fois le PIB par habitant contre
3,1 fois le PIB par habitant pour les enseignants non fonctionnaires et 1 fois le PIB par
habitant pour les maîtres de parents.
Tableau 3.1 : Répartition (en %) des enseignants de l'enseignement primaire en fonction de leur statut
et niveau de rémunération par statut dans 14 pays africains
70%
60%
50%
40%
30% 2002 ou année proche
20%
2006 ou année proche
10%
0%
Bénin Burkina Mali
Les trois pays présentés ont fait le choix de recruter prioritairement des enseignants non
fonctionnaires au cours de ces dernières années, mais dans des proportions différentes.
Ainsi, le Mali et le Burkina Faso ont recruté essentiellement des enseignants non
fonctionnaires au cours de la période récente, ce qui a eu comme conséquence
l'augmentation de la part d'enseignants non fonctionnaires de 10% à 50% au Mali et
de 27% à 58% au Burkina Faso. Le Bénin, pour sa part, a fait le choix de continuer à
recruter des enseignants fonctionnaires durant cette période, ce qui fait que la
proportion d'enseignants non fonctionnaires a évolué dans une moindre mesure,
passant de 23% à 30%. En moyenne, sur ces trois pays, la proportion d'enseignants
non fonctionnaires est passée de 20% à 46% en quatre ans, traduisant ainsi une
volonté politique plus ou moins importante en fonction du pays de réduire le coût
salarial moyen des enseignants et de pouvoir faire face à la demande scolaire croissante.
Le tableau 3.2 présente, pour sept pays d'Afrique (cinq anglophones, un lusophone
et un francophone) qui n'ont pas créé de nouveau statut d'enseignant non
fonctionnaire, la répartition entre enseignants ayant suivi une formation professionnelle 43 Ils sont appelés non formés
ici au sens où ils n'ont pas suivi
classique et enseignants ayant eu une formation de très courte durée ou pas de une formation profession-
formation du tout43 et les rémunérations qui s'y rattachent . nelle d'enseignant classique.
Tableau 3.2 : Répartition (en %) des enseignants du primaire entre enseignants formés et enseignants peu ou pas formés
et niveaux de rémunération dans 7 pays africains
En moyenne, sur les 7 pays présentés, 71% des enseignants du primaire sont des
enseignants formés et 29% sont non formés. La rémunération moyenne des
enseignants formés est de 4,9 fois le PIB par habitant contre 2,8 fois pour les
enseignants non formés. Or, ces caractéristiques générales masquent à nouveau de
fortes disparités. Les enseignants formés représentent 97% des enseignants en
Ethiopie, tandis qu’ils ne constituent que 48% du corps enseignant au Mozambique.
Comme pour les statuts dans les pays francophones, les politiques de recrutement
communes sont néanmoins d'intensité très variable selon le pays.
Pour examiner ces questions, nous nous référerons aux données sur les enseignants
produites dans le cadre des évaluations des apprentissages menées par le Programme
d'analyse des systèmes éducatifs de la CONFEMEN (PASEC) et par le Consortium de
l'Afrique australe et orientale pour le pilotage de la qualité de l'éducation (SACMEQ).
Ces données, issues d'évaluations diagnostiques ou thématiques centrées sur les
apprentissages des élèves, peuvent différer de celles qui auraient été obtenues à partir
de recensements nationaux des enseignants.
Tableau 3.3 : Niveau de formation académique des enseignants dans 6 pays francophones et 8 pays anglophones (en %)
sur la base d'échantillons
Néanmoins, au-delà de cette vision d'ensemble, les exigences pour intégrer le métier
d'enseignant varient, non seulement d'un pays à l'autre, mais également à l'intérieur
d'un même pays selon le statut de l'enseignant (cf. tableau 3.4). Les enseignants
communautaires présentent des niveaux académiques très variés d'un pays à l'autre
et à l'intérieur d'un même pays. C’est qu’aucune qualification minimale n'est exigée,
en règle générale, pour devenir maître de parents. Alors qu'au Mali, le niveau de
recrutement de ces enseignants est généralement inférieur au diplôme d'études
fondamentales, en Guinée, les maîtres communautaires présentent en moyenne des
niveaux académiques plus élevés : 40% d'entre eux ont un diplôme de fin de premier
cycle secondaire, 30% un diplôme de fin de second cycle secondaire, 10% un
diplôme professionnel et 20% sont sans diplôme (CIEP, 2007). Il en est de même à
Madagascar, où la grande majorité des enseignants communautaires ont un diplôme
de fin de premier cycle secondaire.
Les enseignants non fonctionnaires pris en charge par l'Etat présentent, quant à eux,
un niveau de formation académique comparable et souvent supérieur à celui des
fonctionnaires. C'est le cas au Niger, en Guinée et au Mali. Au Niger, le gouvernement
recrute les enseignants contractuels parmi les sortants des écoles normales (les
diplômés de ces écoles étant admis d'office), les diplômés des écoles professionnelles,
et les titulaires du diplôme de fin de premier ou de second cycle secondaire.
Ces enseignants présentent ainsi des niveaux académiques similaires à ceux de leurs
homologues fonctionnaires. Les enseignants contractuels en Guinée doivent
également être titulaires au minimum d'un diplôme de fin de second cycle secondaire,
soit le niveau de recrutement exigé auparavant pour intégrer le corps des
fonctionnaires. Toutefois, selon les données du PASEC, le niveau de formation
académique des enseignants contractuels apparaît en moyenne supérieur à celui des
fonctionnaires en Guinée (Bonnet, 2007). Les données disponibles sur le Mali
conduisent aux mêmes conclusions.
Tableau 3.4 : Niveau académique des enseignants selon le statut dans 5 pays francophones
Fonctionnaires Bac
Congo Contractuels de l'Etat Bac
Volontaires BEMG ou Bac ou diplôme équivalent
Fonctionnaires* Brevet ou Bac*
Niger
Contractuels de l'Etat Brevet ou Bac
Fonctionnaires* Bac*
Guinée
Contractuels de l'Etat Bac
Fonctionnaires Brevet ou Bac**
Sénégal Volontaires de l'Education Brevet
Contractuels de l'Etat Brevet + 2 années de volontariat
Fonctionnaires Bac
Togo
Auxiliaires Bac
Sources : RESEN des différents pays, PASEC et Ministère de l'Education du Sénégal
* Le Niger et la Guinée ne recrutent plus de fonctionnaires depuis 1998.
** Les instituteurs doivent être titulaires du baccalauréat et les instituteurs adjoints, du brevet.
Lorsque les enseignants non fonctionnaires ont reçu une formation initiale, celle-ci
diffère d'un pays à l'autre et peut s'avérer parfois de courte durée. Le recours aux
enseignants non fonctionnaires s'est, en effet, souvent accompagné de la mise en place
d'une formation initiale accélérée, d'une durée moins longue que celle dispensée aux
enseignants fonctionnaires. Au Mali, seulement 6,3% des enseignants contractuels de
l'échantillon PASEC n'ont reçu aucune formation ; la majorité d'entre eux (72,5%) a
suivi une formation d'une durée allant de un à trois mois. C’est que les candidats aux
postes de contractuels de l'Etat qui n'ont pas de diplôme professionnel bénéficient
d'une formation de 90 jours. Au Sénégal, les volontaires de l'Education reçoivent une
formation théorique de six mois avant d'être affectés dans une classe.
Alors que certains pays ont opté pour une formation accélérée, d'autres ont fait le choix
de dispenser une formation d'un an ou plus pour les contractuels de l'Etat. En Guinée,
depuis la réforme de la formation initiale en 1998, les contractuels actuellement en
poste ont reçu une formation suivant une formule longue de 18 mois (9 mois de cours
pratiques en institution entrecoupés de 3 stages pratiques et 9 mois de pratique en
responsabilité de classe) ou une formule courte de 15 mois (3 mois de théorie en
institution, 9 mois de pratique en responsabilité de classe puis retour en institution pour
3 mois de cours théoriques). Ainsi, 99,4% des enseignants contractuels de l'échantillon
PASEC en Guinée ont reçu une formation professionnelle d'une durée supérieure à un
an. Au Niger, une grande partie des enseignants contractuels ont reçu la même
formation initiale que leurs homologues fonctionnaires, à savoir une formation d'un an
ou plus. Néanmoins, il est important de noter que cette formation n'était pas dispensée
aux contractuels à l'origine et qu'elle s'inscrit désormais dans une tendance générale
visant à fournir une formation professionnelle aux enseignants contractuels.
Tableau 3.5 : Durée de la formation professionnelle initiale selon le statut, sur la base d'échantillons du PASEC (en %)
Non-fonctionnaires Ensemble
Pays Durée de formation* Fonctionnaires
et communautaires des enseignants
Lorsque l'on élargit l'analyse à l'ensemble des pays du continent africain, il apparaît que la
durée de la formation professionnelle de l'ensemble des différentes catégories
d'enseignants est, en moyenne, plus longue dans les pays ayant participé au SACMEQ.
Selon Bonnet (2007), un peu plus de 90% des élèves de l'échantillon analysé sur
l'ensemble des pays du SACMEQ ont un enseignant qui a suivi une formation de plus d'un
an, ce chiffre étant de seulement 54% pour les pays enquêtés par le PASEC. Ce constat
est à mettre en relation avec les différences notables entre pays africains francophones et
non francophones dans la mise en œuvre des réformes concernant le corps enseignant.
Du côté des pays anglophones et lusophones, outre les enseignants présentant le niveau
de qualification requis par le Ministère de l'Education pour enseigner, se trouve un
Tableau 3.6 : Durée de la formation professionnelle initiale dans 10 pays non francophones,
sur la base d'échantillons du SACMEQ (en %)
Certains Etats francophones, comme le Tchad et Madagascar, ont su tirer profit des
initiatives locales en intégrant les enseignants communautaires dans un dispositif
national d'ensemble et en leur apportant une formation continue. Le gouvernement
malgache envisage, en effet, de fournir une formation continue sur une période de
deux à quatre ans afin d’assurer la certification des 30 600 enseignants FRAM présents
au sein du corps enseignant (MENRS, 2007). Parallèlement à cette initiative, il prévoit
également de recruter 2 000 nouveaux enseignants FRAM chaque année et de les
intégrer dans ce processus de formation continue intensive. Néanmoins, ces initiatives
demeurent limitées et mériteraient d'être étendues à l'échelle du continent dans le but
de garantir une formation à tous les enseignants. Globalement, la tendance observée
en matière de formation des enseignants est largement positive, dans la mesure où
l'on voit apparaître progressivement des dispositifs de formation visant à dispenser à
tout enseignant, quel que soit son statut, une formation professionnelle.
Tableau 3.7 : Estimations des « gains » annuels de scolarisation imputables à la diversification des recrutements
dans 20 pays africains
En moyenne, sur l'ensemble des 20 pays présentés, les changements dans la structure
des recrutements des enseignants auraient autorisé un gain de scolarisation de 16%,
soit plus de six millions d'enfants. Le Mozambique, le Bénin, Madagascar, le Sénégal,
le Lesotho et le Niger sont les pays qui présentent les « équivalents gains de
scolarisation » les plus marqués : entre 29% et 50% de gains potentiels de
scolarisation grâce au recrutement ou au subventionnement de ces nouveaux
enseignants. Néanmoins, les gains potentiels sont faibles pour des pays comme
l'Ethiopie, le Burundi, le Rwanda, la Sierra Leone, la Guinée-Bissau et le Congo.
50%
45%
40%
35%
30%
25%
20%
15%
10%
5%
0
Mozambique (2001)
Bénin (2006)
Madagascar (2006)
Sénégal (2004)
Lesotho (2006)
Niger (2003)
Gambie (2006)
Guinée (2003)
Ouganda (2001)
Mali (2004)
Cameroun (2002)
Togo (2007)
Tchad (2003)
Congo (2005)
Guinée-Bissau (2006)
Rwanda (2003)
Burundi (2004)
Ethiopie (2002)
Sources : RESEN de différents pays, modèles de simulation financière de différents pays, Banque mondiale et calcul des auteurs
Ces politiques, comme nous avons pu le voir au cours de ce chapitre, ont profondément
modifié la composition et la structure des populations enseignantes, au point que ces
nouveaux enseignants sont aujourd'hui majoritaires dans de nombreux pays. La
situation actuelle se caractérise par la coexistence, au sein de chaque pays, de statuts
et de niveaux de formation variés. Cette hétérogénéité et la variété des situations
salariales qui y correspond ont permis un important mouvement d'expansion de la
scolarisation primaire. Or, ces politiques sont aujourd'hui contestées et potentiellement
instables.
Chapitre 4
Quels enseignants pour quels
apprentissages ?
sont justifiées tant les performances en matière de
qualité des apprentissages sont préoccupantes sur le
continent. S'il est vrai qu'il existe une variété de
situations entre les pays africains, on observe
cependant que ceux considérés comme les plus
performants, comme le Maroc, la Tunisie ou encore
l'Afrique du Sud, se retrouvent en queue de peloton
des évaluations internationales et très loin de la
moyenne internationale (UNESCO-BREDA, 2007).
L'une des difficultés pour répondre à cette question tient à la nécessité de disposer
d'une diversité de niveaux de formation académique des enseignants afin d'établir
des comparaisons. Si cette diversité est bien présente dans les systèmes éducatifs
africains _ où il n'est pas rare de voir des enseignants ayant seulement le diplôme de
fin d'école primaire côtoyer des enseignants avec un diplôme universitaire (cf. chapitre 3,
section 2.2.1) _ , elle est en revanche bien moindre dans les pays développés, où la
quasi-totalité des enseignants est diplômée de l'enseignement supérieur. Cette
situation est, d'ailleurs, parfois citée en exemple en faveur d'un niveau académique
plus élevé : si les pays les plus performants font appel à des enseignants de niveau
universitaire, pourquoi ne faudrait-il pas faire de même en Afrique ? Il ne s'agit pas
de la meilleure façon d'aborder le problème, car c'est oublier un peu vite de prendre
en compte des contextes extrêmement différents et, surtout, c'est ne pas poser la
bonne question, qui devrait être : est-ce que, dans les écoles africaines, les élèves
apprennent mieux quand leur enseignant est diplômé de l'enseignement supérieur ?
Si la réponse est affirmative, on dispose alors d'un argument en faveur du
recrutement d'enseignants diplômés, mais qui doit bien sûr être contrebalancé avec
d'autres, dont la disponibilité de diplômés de ce niveau en nombre suffisant et leur
coût. Si la réponse est négative, il reste à identifier le niveau académique qui
conviendrait le mieux pour les enseignants de l'école primaire.
Nous allons partir de la situation des pays développés, à travers les résultats de deux
grandes études réalisées aux Etats-Unis. Après tout, le questionnement sur le niveau
académique idéal des enseignants est commun à tous les pays et on observe une
même surenchère sur le niveau de diplôme pour les enseignants45.
Dans la première étude, Rivkin, Hanushek et Kain (2005) utilisent une base de
données extrêmement riche recueillie par le Texas School Project de l'Université du
Texas à Dallas. Le Texas Assessment of Academic Skills (TAAS) a été administré chaque
année depuis 1993 aux élèves inscrits dans les classes de 3ème année (grade 3) jusqu'à
la 8ème année (grade 8). Les données regroupent tous les élèves inscrits dans les écoles
publiques du Texas. Les auteurs ont utilisé les données de trois cohortes, chacune
comprenant plus de 200 000 élèves dans environ 3 000 établissements publics du
primaire (elementary schools) et du collège ou école moyenne (middle schools). De
tels effectifs permettent d'obtenir une précision bien supérieure à celle des enquêtes
sur échantillon limité dont on dispose généralement. Les auteurs constatent que les
enseignants titulaires d'un diplôme de master (Bac+5) n'apparaissent pas plus
performants que leurs collègues de niveau académique moins élevé. Dans la seconde
étude, Krueger (1999) utilise les données du projet STAR (Tennessee Student/Teacher
Achievement Ratio experiment) et cherche à évaluer l'impact de la taille de classe sur
les acquisitions des élèves. Au total, 11 600 enfants ont été impliqués dans
l'expérimentation pour seulement 80 écoles. Si l'objectif de cette étude porte sur les
tailles de classe, les estimations réalisées fournissent aussi des résultats intéressants
sur les caractéristiques des enseignants. Sur ce point, Krueger rejoint globalement les
conclusions de Rivkin et al. (2005), c’est-à-dire qu’il ne constate pas d'effet significatif
du diplôme de master pour l'enseignant. Ces deux études rejoignent les constats de
la plupart des recherches, montrant que l'élévation du niveau de diplôme universitaire
ne se traduit pas automatiquement par de meilleures acquisitions des élèves. Il s'agit
d'un résultat tout à fait intéressant qui a le mérite de démontrer que l'accroissement
du niveau académique des enseignants dans les pays développés ne répond pas
nécessairement à des critères d'efficacité pédagogique.
Malgré tout, ce premier constat ne préjuge en rien de ce qu'on peut observer dans le
contexte africain, où l'hétérogénéité des niveaux académiques est extrêmement
poussée. Il faut donc se référer à des études réalisées dans ce contexte. Or, ici aussi,
les résultats observés sont sans appel : les effets de la formation académique sur les
acquisitions scolaires se révèlent modérés, voire inexistants (Mingat et Suchaut, 2000 ;
Michaelowa et Wechtler, 2006). Cela ne signifie certainement pas que la formation
académique est inutile, mais plutôt que les niveaux de formation présents dans les
45 La France, en choisissant systèmes éducatifs _ en général du premier cycle secondaire à l'université _ génèrent
récemment de mettre en
place un système exigeant finalement assez peu de différences dans les acquisitions des élèves. Bernard, Tiyab et
un master pour devenir Vianou (2004) montrent, à partir des données du Programme d’analyse des systèmes
enseignant à l'école primaire,
en est une illustration. éducatifs de la CONFEMEN (PASEC) sur neuf pays francophones46, que « si le niveau
46 Burkina Faso, Cameroun, académique du BEPC apparaît comme un minimum souhaitable, il ressort très
Côte d'Ivoire, Guinée, clairement qu'au-delà, l'influence du niveau académique des enseignants sur les
Madagascar, Mali, Niger,
Sénégal et Togo. apprentissages des élèves est modérée au cycle primaire ». Il faut néanmoins se
Ainsi, pour répondre à la question posée en introduction à cette section, les études ne
confirment pas que les enseignants ayant un diplôme universitaire sont plus efficaces
que les enseignants ayant un niveau secondaire. Au contraire, dans de nombreux pays,
c'est le niveau secondaire second cycle qui s'avère le plus pertinent. Il faut s'arrêter sur
ce résultat qui peut surprendre et qui suscite de nombreuses réactions depuis quelques
années. Il est vrai que l'on dispose aujourd'hui d'un nombre important d'études et que
l'accumulation des résultats permet d'être relativement confiant dans les tendances
dégagées. Pourtant, l'expérience montre que les résultats ne sont pas toujours bien
acceptés, probablement parce qu'ils sont contre-intuitifs. Pour mieux les comprendre,
il est nécessaire de prendre en compte différentes dimensions.
évidence qu'une grande partie d'entre eux ne sont pas satisfaits de leur situation
d'enseignant. Cette insatisfaction peut être une source de découragement pour
certains, ce qui pourrait expliquer pour une part les résultats précédents. Il s'agit d'un
aspect important à prendre en considération, car une politique de recrutement des
enseignants à niveau baccalauréat ou plus pourrait, dans certains contextes, avoir des
conséquences négatives inattendues en matière d'apprentissages scolaires. Chacun
peut comprendre aisément qu'une personne fortement découragée ne sera pas très
efficace dans son travail bien qu'elle soit qualifiée.
Une seconde dimension à considérer est l'apport d'un cursus universitaire pour le
métier d'enseignant à l'école primaire. Le parcours universitaire correspond
généralement à une spécialisation dans une discipline donnée et il n'est pas si évident
de voir un lien direct entre une spécialisation en droit, économie, lettres, etc. et la
transmission de connaissances de base à des élèves de l'école primaire. En effet, à ce
niveau d'enseignement, l'enseignant se doit d'être polyvalent, car il enseigne les
différentes disciplines au programme. De plus, la difficulté de sa tâche ne tient pas à
la complexité des connaissances transmises, qui sont au contraire élémentaires, mais
à la complexité de l'acte d'enseignement à des élèves en début de cursus scolaire.
On peut donc penser qu'un diplômé de l'enseignement supérieur n'a pas d'avantage
comparatif systématique par rapport à un sortant du secondaire. Ainsi, le fait d'être
un spécialiste des écrivains du XIXème siècle, par exemple, ne qualifie pas
automatiquement pour apprendre à des enfants de l'école primaire à lire, écrire et
compter. La dimension pédagogique prime sur le niveau académique pour
l'enseignement de base, ce qui est moins vrai pour le second cycle de l'enseignement
secondaire. Bien sûr, un diplôme universitaire révèle des connaissances et des
aptitudes qui sont un indicateur du potentiel de l'individu, mais qui n'est pas
déterminant à lui seul.
Sur la totalité des pays, on observe en moyenne qu'une très grande majorité
d'enseignants se situe au niveau 8 (65%) ou au niveau 7 (28,1%) en anglais. Cela
signifie également que, dans l'ensemble de ces pays, environ 7% des enseignants
n'atteignent pas ces niveaux et présentent donc un niveau de connaissance
insuffisant pour enseigner. On observe cependant de grandes différences entre pays.
Au Kenya ou aux Seychelles, ce sont environ 94% des enseignants qui sont au niveau 8
contre 19,1% à Zanzibar. En Ouganda et à Zanzibar, plus de 20% des enseignants
n'ont pas le niveau requis en lecture pour enseigner, alors que cette proportion est
inférieure à 1% au Botswana, au Kenya et aux Seychelles.
Le graphique 4.1 présente les proportions d'enseignants qui n'atteignent pas les deux
niveaux les plus élevés sur les huit niveaux considérés par le SACMEQ en lecture et en
mathématique, et nous permet d'avoir une vision d'ensemble. Globalement, cette
proportion est plus importante en mathématiques (25,5%) qu'en anglais (7%). On
observe que les situations peuvent être différentes selon la discipline. Ainsi, si le Kenya
et les Seychelles présentent des situations similaires dans les deux disciplines avec
quasiment pas d'enseignants en dessous du niveau 7, il n'en est pas de même au
Botswana, au Lesotho, en Namibie et en Zambie, où les mathématiques ont posé
beaucoup plus de problèmes aux enseignants que la lecture.
Graphique 4.1 : Proportion d'enseignants n'atteignant pas les niveaux 7 et 8 aux tests SACMEQ
70
61,8
60
Mathématiques
Anglais
50 49
40 37,9
33,7
31,2
30
26,5
24
19,3 21
20 17,3 17,9
13,8
10,9
10 7,1
5,7
3,9 3,5 2,8
0,5 0 0 1,9
0,1 0,1
0
Botswana
Kenya
Lesotho
Malawi
Mozambique
Namibie
Seychelles
Swaziland
Tanzanie
Ouganda
Zambie
Zanzibar
Ces résultats montrent clairement qu'on trouve dans les systèmes éducatifs africains
des enseignants qui n'ont pas le niveau minimal requis pour enseigner. Le problème,
il est vrai, peut prendre des proportions très différentes selon les pays, puisque
certains ne sont pas du tout concernés alors que d'autres, comme l'Ouganda ou
Zanzibar, sont confrontés à un réel problème. Ce constat est en partie à rapprocher
des différentes catégories d'enseignants évoquées dans le chapitre précédent,
notamment les maîtres de parents qui sont recrutés localement en fonction des
compétences disponibles dans la communauté considérée.
Dans la section précédente, il a été souligné qu'un niveau académique élevé n'était
pas un garant de l'efficacité pédagogique de l'enseignant au niveau de l'école
primaire. En effet, la dimension pédagogique est essentielle et elle implique une
formation spécifique de l'enseignant. Nous sommes là dans un domaine plus sensible
et complexe que celui de la formation académique. Les avis divergent sur ce que doit
être une bonne formation professionnelle pour les enseignants, et les querelles de
spécialistes peuvent être assez difficiles à suivre : quels contenus de formation ?
Quelle répartition entre la formation pratique et la formation théorique ? Quelle
durée pour cette formation ? Encore une fois, le recours à des évaluations mettant en
rapport la formation professionnelle de l'enseignant avec ce que les élèves
apprennent à l'école peut permettre de prendre un peu de recul sur cette question à
l'origine de débats passionnés.
Dans les pays développés, en règle générale, la totalité des enseignants a suivi une
formation professionnelle initiale qui est, d'ailleurs, souvent identique pour tous les
enseignants. Il est donc très difficile d'établir des comparaisons pour identifier
l'impact de la formation professionnelle. L'étude de Bressoux, Kramarz et Prost (2005)
constitue cependant une exception particulièrement intéressante dans le cadre des
pays riches. Les auteurs cherchent à estimer l'effet de la formation professionnelle
initiale des enseignants de l'école élémentaire sur les acquis des élèves de 3ème année
(CE2) en France. Pour ce faire, ils profitent d'une particularité du système français qui
permet à de jeunes diplômés de commencer à enseigner sans avoir suivi de formation
professionnelle. Ils retiennent deux catégories d'enseignants : (i) les novices sans
formation professionnelle (36 enseignants) et (ii) les novices avec formation
professionnelle (66 enseignants). Les auteurs n'observent pas de différence
significative entre les deux catégories d'enseignants en français, alors qu'un écart
modéré, en faveur de ceux ayant suivi une formation, est relevé en mathématiques.
Ce résultat a de quoi interpeller, puisqu’il atteste que les acquisitions des élèves sont
peu sensibles au fait d'avoir un enseignant débutant formé ou non formé. Cela
soulève des questions quant à la pertinence de la formation professionnelle dispensée
et au rôle de l'expérience, mais ce résultat est aussi à mettre en perspective avec
d'autres obtenus dans des contextes très différents.
Quand on passe en revue les différents travaux réalisés sur le continent africain
(Michaelowa et Wechtler, 2006 ; Bernard et al., 2004 ; Mingat et Suchaut, 2000), on
observe une relative convergence des résultats, lesquels montrent un effet très
modéré de la formation professionnelle initiale des enseignants, quand cet effet n'est
pas tout simplement inexistant. On retrouve ces résultats dans un grand nombre
d'études, y compris dans d'autres pays en développement. Toutefois, il convient de
souligner certaines limites des données sur lesquelles se fondent les études qui
viennent d'être évoquées et qui doivent être correctement appréhendées pour avoir
une interprétation correcte de ces résultats.
Ainsi, dans la plupart de ces études, la formation professionnelle initiale est mesurée
sur la base de la durée. On distingue généralement les formations longues (un an et
plus) des formations courtes, voire de l'absence de formation. Cependant, un
enseignant qui a reçu une formation professionnelle initiale d'une durée d'un an dans
une période récente, disons dans les deux ou trois dernières années, aura
probablement suivi une tout autre formation que l'enseignant qui a connu une même
durée de formation initiale il y a 20 ans de cela. En effet, on conçoit facilement que
les contenus et les méthodes de formation évoluent. Or, la variable de formation
utilisée habituellement compile, en fait, les différentes formations existantes (ou ayant
existé) qui ont la même durée. L'analyse conduit donc à évaluer un effet moyen de
toutes ces formations. L'absence d'un effet positif et significatif n'est pas pour autant
rassurante, puisqu'elle signifie qu'en moyenne les formations dispensées n'ont pas
d'incidence sur les apprentissages des élèves. De plus, l'analyste n'est pas en mesure
de dire si certaines de ces formations se sont révélées plus efficaces que d'autres. En
conséquence, ces résultats ne permettent pas de conclure à l'inefficacité de toute
formation professionnelle des enseignants, comme cela est parfois avancé de façon
plus que caricaturale. D’où l’intérêt d'avoir recours à des protocoles d'enquête
spécifiques pour analyser ces questions de façon plus précise. Ce type de travaux
demeure relativement peu fréquent dans les pays pauvres et plus particulièrement en
Afrique, même si les choses évoluent progressivement. Le PASEC est l’un des rares
programmes à avoir mené différentes études, dites thématiques, pour traiter des
questions spécifiques comme l'impact du statut et de la formation des enseignants.
Bernard et al. (2004) ont mené des analyses à partir des évaluations du PASEC
réalisées au Cameroun, à Madagascar, au Togo et en Guinée49. Les auteurs constatent
que « dans la majorité des cas, on observe que les élèves progressent sensiblement
de la même façon que l'enseignant soit fonctionnaire ou non ». Quand des
différences se font jour, elles demeurent modérées et ne sont pas systématiquement
en faveur d'une catégorie particulière. Dans une autre étude réalisée au Tchad par le
PASEC, les maîtres communautaires, c'est-à-dire recrutés et payés par les
communautés50, se révèlent plus performants que les enseignants fonctionnaires en
2ème année et aussi performants qu'eux en 5ème année (PASEC, 2005). Que des
enseignants souvent moins diplômés et non formés obtiennent des résultats
comparables, voire de meilleurs résultats que les enseignants fonctionnaires apparaît
difficilement compréhensible au premier abord. Cependant, les auteurs de l'étude
avancent deux éléments d'explication, qui renvoient au temps effectif
d'enseignement. Le premier élément tient au fait que, les enseignants
communautaires étant directement rémunérés par les parents d'élèves, leur assiduité
en est renforcée puisque toute absence peut engendrer des pertes de salaire. Le
second vient du fait que beaucoup d'enseignants fonctionnaires doivent se déplacer
dans une autre localité que celle où ils travaillent pour percevoir leur salaire, ce qui
implique parfois plusieurs jours d'absence par mois. Autant de temps que les élèves
ne passent pas en classe à apprendre et qui pénalise leurs apprentissages. Il semblerait
donc que les maîtres de parents compensent leurs moindres qualifications par un
49 Il faut signaler qu'au temps de présence supérieur à leurs collègues fonctionnaires.
Cameroun et à Madagascar,
au moment de l'évaluation,
les enseignants non fonc- Toutefois, ces études n'avaient pas été conçues, sur le plan méthodologique, pour
tionnaires dans l'enseignement
public étaient essentiellement analyser l'effet des enseignants non fonctionnaires sur les acquisitions des élèves.
des maîtres employés par les
communautés. En revanche,
C'est pourquoi le PASEC a, par la suite, mené des études spécifiques au Mali et au
au Togo et en Guinée, il Niger durant l'année scolaire 2000-2001 (PASEC, 2004a,b). Ces études traitaient de
s'agit de contractuels de
l'Etat. Par ailleurs, dans les l'incidence des enseignants contractuels sur les acquisitions scolaires des élèves en 2ème
échantillons de Madagascar et 5ème années de l'école primaire. Le protocole d'enquête retenu était basé sur
et du Togo se retrouvent
aussi des enseignants du l'appariement des enseignants contractuels et fonctionnaires. Pour les deux niveaux
privé. concernés, pour chaque enseignant contractuel enquêté, un enseignant
50 L'Etat subventionne désor- fonctionnaire d'une école voisine (aussi proche que possible) était également
mais une partie des maîtres
communautaires au Tchad. enquêté. Au final, les échantillons regroupent des enseignants fonctionnaires et
Au total, il est encore relativement délicat de mesurer avec précision les différences de
performance entre enseignants imputables au seul statut. Les mesures disponibles
englobent différentes dimensions, mais elles n'interdisent pas de conclure quant à
l'effet global de cette politique des enseignants contractuels sur les acquis scolaires
pour ce qui est du court terme. En effet, si cette politique avait eu un fort effet négatif
sur les apprentissages, comme cela a parfois été supposé, les études précédentes
l'auraient mis en évidence. A long terme, il est plus hasardeux de se prononcer,
d'autant que les évolutions peuvent être différentes selon les pays. Les modes de
gestion des enseignants non fonctionnaires se sont diversifiés, ils vont de la gestion
locale par les communautés à la gestion centralisée, en passant par une gestion par 51 Le but étant de sélectionner
les collectivités locales. Il est possible que certains modes de gestion se révèlent plus des classes de contrôle avec
un enseignant fonctionnaire
efficaces que d'autres. De nouvelles études seraient nécessaires maintenant que l'on qui présente des caractéris-
tiques similaires aux classes
a un peu plus de recul pour mieux apprécier l'impact de ces nouveaux enseignants et, dirigées par un enseignant
éventuellement, l'efficacité des différents modes de gestion. contractuel.
Parmi les caractéristiques des enseignants, s'il en est une qui fait consensus quant à
son influence sur les acquisitions scolaires, c'est bien l’expérience. Toutefois, derrière
le sens commun voulant qu'un enseignant expérimenté est meilleur enseignant qu'un
débutant, se cachent des questions plus précises : à partir de quand l'expérience fait-
elle des différences importantes ? Concrètement, faut-il trois, quatre, cinq, dix ou
quinze années d'expérience professionnelle ? Y a-t-il des seuils à partir desquels
s'opèrent des changements en termes d'efficacité pédagogique ?
Pour répondre à ces questions avec une précision suffisante, il est nécessaire de
disposer d'études avec un grand nombre d'enseignants pour chacune des catégories
d'expérience professionnelle, ce qui est peu fréquent notamment dans le contexte
africain. Rivkin, Hanushek et Kain (2005), à partir de la base de données du Texas
School Project déjà mentionnée et qui respecte cette exigence, montrent que l'effet
de l'expérience est particulièrement important la première année. Ainsi, les
enseignants qui n'ont pas d'expérience ont de moins bons résultats que leurs
collègues ; cela reste vrai dans une moindre mesure pour deux à trois années
d'ancienneté. Pourtant, il semble qu'il n'y ait plus de gains au-delà de trois ans.
Krueger (1999), à partir du projet STAR, observe quant à lui un faible effet positif de
l'ancienneté. Les élèves qui ont un enseignant avec 20 ans d'ancienneté ont des
résultats en moyenne 3% plus élevés que ceux qui ont un enseignant sans
ancienneté. Toutefois, l'une des difficultés de la mesure de l'incidence de l'ancienneté
sur les acquisitions scolaires réside dans le fait que les enseignants les plus
expérimentés se trouvent souvent dans les « bonnes » écoles. C’est ce qu’observent
Bressoux et al. (2005) dans leur étude en France : les enseignants plus anciens sont
dans des classes avec de meilleurs élèves et de meilleures conditions que les
débutants. Les techniques statistiques utilisées par les chercheurs doivent donc
permettre de contourner ce problème. Il est important que le niveau initial des élèves
soit pris en compte dans les études et que l'on mesure alors la progression des élèves
sur une période en fonction de différentes caractéristiques, dont l'ancienneté.
Les résultats des recherches sur l'ancienneté des enseignants confirment l'opinion
courante sur la question. Il semble cependant que ce soit surtout les toutes premières
années d'enseignement qui sont les plus importantes.
La question du genre de l'enseignant fait l'objet d'une attention toute particulière sur
le continent africain. Cette attention est probablement l'écho légitime des
interrogations sur la situation des petites filles africaines à l'école et, plus
généralement, sur le statut de la femme dans la société. La moindre scolarisation des
filles dans un grand nombre de pays africains a amené certaines organisations
internationales à se pencher sur cette question. En outre, alors que partout ailleurs sur
la planète les filles ont généralement de meilleurs résultats que les garçons aux
évaluations internationales, on observe en Afrique des résultats comparables entre
garçons et filles, voire des résultats moins bons pour les filles en mathématiques
(Bernard, 2006). Partant de là, certaines hypothèses ont été formulées autour de
l'idée que les filles apprendraient mieux lorsque leur enseignant est une femme,
tandis que dans beaucoup de pays la majorité des enseignants sont des hommes. On
entend également parfois que les femmes seraient plus à l'aise que les hommes avec
les enfants en bas âge, et seraient donc de meilleurs enseignants pour les premières
classes de l'école primaire. Inversement, certains soulignent que les femmes, du fait
des charges familiales, sont plus souvent absentes que les hommes et que cela nuit
aux apprentissages de leurs élèves. Comme presque toujours dans le domaine
éducatif, une multitude d'avis contraires se côtoient. Les résultats des évaluations
réalisées montrent clairement qu'il n'y a pas de différences systématiques entre
hommes et femmes (Bernard, 2006) : en règle générale, les élèves apprennent
sensiblement de la même façon avec un enseignant ou une enseignante. Par ailleurs,
contrairement à une idée répandue, il n'est pas avéré que les filles apprennent mieux
avec des femmes qu'avec des hommes. Si ces résultats justifient assurément une
extension du recrutement des enseignantes, ils ne légitiment pas la mise en place de
classes non mixtes.
Les liens entre les principales caractéristiques des enseignants, celles qui sont le plus
souvent évoquées, et les acquisitions scolaires ont été passés en revue au prisme des
résultats de la recherche. Même si les tendances générales ne doivent pas occulter la
spécificité de tel ou tel cas national, il est utile de souligner les convergences et
d'interroger leur signification. Le constat majeur des recherches en Afrique et dans
d'autres régions du monde, rappelé par Krueger (1999) et confirmé par les travaux
récents, est que les caractéristiques observables des enseignants n'ont finalement
qu'un impact modéré sur les acquisitions scolaires. Si ce résultat ne fait plus guère
débat chez les chercheurs tant il est le fruit d'un grand nombre de travaux, il n'en est
pas de même dans le milieu éducatif, d'où la volonté ici d'expliquer aussi clairement
que possible un certain nombre de résultats relatifs à la formation, au statut, etc.
Les débats passionnés laissent très peu de place à la nuance nécessaire à la
compréhension de situations complexes. Or, le processus d'apprentissage est
Toutefois, le rejet pur et simple de ces résultats, qu'on observe encore trop souvent,
est tout aussi contreproductif. D'une part, il revient à nier un certain nombre de
réalités qui caractérisent les systèmes éducatifs africains et donc à ne pas contribuer
à y apporter une réponse. L'exemple de l'enseignant diplômé de l'université qui avait
d'autres aspirations que celle de devenir enseignant et qui se retrouve dans une zone
rurale reculée ou devant une classe de 100 élèves et finit totalement découragé peut
contribuer à expliquer pourquoi le niveau académique de l'enseignant ne va pas
toujours de pair avec de meilleures performances des élèves. D'autre part, le rejet
d'un tel questionnement ne permettra pas de poser d'autres questions
fondamentales pour l'amélioration des apprentissages à l'école primaire. En effet, si
on accepte que le rôle des caractéristiques observables des enseignants n'est pas aussi
déterminant qu'on le pensait, alors on doit s'interroger à nouveau sur le rôle de
l'enseignant dans le processus d'apprentissage. Ne serait-il pas hasardeux de
considérer que l'influence de l'enseignant se limite aux caractéristiques que nous
avons évoquées au cours des précédents paragraphes ?
Pour tenter d'avoir une vision d'ensemble du processus d'apprentissage, il est utile de
regrouper les facteurs intervenant dans ce processus en plusieurs catégories et de
mesurer la part des différences de résultats entre élèves que chaque catégorie permet
d'expliquer. Dans le graphique 4.2, six grandes catégories de variables ont été
considérées. Leur contribution à l'explication des scores des élèves durant une année
scolaire a été calculée en 2ème et 5ème années de l'enseignement primaire pour 10 pays
ayant participé à une évaluation du PASEC. On constate que le niveau des élèves en
début d'année est l'élément le plus important pour expliquer les différences de
résultats entre élèves en fin d'année (il explique 36% de ces différences). Ce n'est
évidemment pas très surprenant, dans la mesure où cette variable incorpore tout le
passé scolaire de l'élève ainsi qu'une part de ses caractéristiques personnelles (dont
ses aptitudes intellectuelles). Toutefois, on observe que les autres caractéristiques de
l'élève (genre, niveau de vie, âge, redoublement, etc.) expliquent une part plus
restreinte de la variance des scores (3%). Ce constat est également valable pour les
caractéristiques des classes (2%), des écoles (2%) et aussi pour celles des enseignants
(3%), conformément à ce qui a été vu précédemment. Il faut bien se garder de
considérer que ces catégories jouent un rôle négligeable ; simplement, leur
contribution à la qualité des apprentissages est plus modeste qu'on pourrait le penser
et, surtout, d'autres dimensions interviennent de façon plus déterminante. Cette
constatation est particulièrement troublante en ce qui concerne les enseignants, dont
la formation, le statut, l'ancienneté, etc. expliquent seulement 3% des différences de
résultats entre élèves. Il est clair que l'effet de l'enseignant ne se limite pas à ces
caractéristiques et qu'il est aussi le fruit d'autres vecteurs. C'est en partie
l'interprétation qu'on peut avoir en observant l'effet-classe52 sur le graphique 4.2
(24% de la variance expliquée). Cet effet indique que le fait d'être dans une classe
plutôt que dans une autre, à caractéristiques de l'élève et du contexte identiques, se
52 Techniquement, cet effet est
traduit par de très grandes différences dans les acquisitions scolaires. Ce résultat mesuré par l'introduction
dans le modèle statistique
souligne que de fortes inégalités traversent les systèmes éducatifs, ce qui n'est pas des variables indicatrices iden-
sans soulever des questions sensibles pour la politique éducative. tifiant chacune des classes.
Graphique 4.2 : Le poids des différentes catégories de facteurs dans le processus d'acquisition
dans 10 pays d'Afrique subsaharienne*
40%
36%
35%
30%
% de variance expliquée
24%
25%
20%
15%
10%
5% 3% 3%
2% 2%
0%
Niveau Caract. Caract. Caract. Caract. Effet-classe
initial élèves classes écoles maîtres
La question centrale est de savoir ce qui se cache derrière cette mesure résiduelle
qu'est l'effet-classe. L'hypothèse la plus communément admise dans les pays
développés est qu'il s'agit de l'effet imputable à l'enseignant, ou effet-maître
(Bressoux, 2000), la mesure rendant compte de caractéristiques inobservables de
l'enseignant comme son charisme, sa motivation ou encore son talent pédagogique.
Il est vrai que, l'enseignant étant associé à la classe, il est tentant d'assimiler l'effet-
classe à un effet-maître. Cela laisse entrevoir le rôle majeur de l'enseignant dans le
processus d'apprentissage.
53 On est proche ici de la Au-delà de ce questionnement conceptuel, on peut aussi revenir sur cette assimilation
notion de coproduction entre la classe et l'enseignant, et l'interroger dans le contexte africain. Des exemples
développée par McMeekin
(2003), dans laquelle l'ensei- concrets nous permettent de montrer de nouvelles limites. Par exemple, il est assez
gnant et les élèves sont fréquent que les enseignants soient informés tardivement de leur nomination et soient,
coproducteurs du produit
éducatif. par conséquent, dans l'incapacité de rejoindre à temps pour la rentrée scolaire l'école
Tableau 4.2 : Les résultats des études sur les effets-classe aux Etats-Unis et en France
Niveau
Etudes Pays Discipline testée Effet-classe
scolaire
Armour et al. (1976) Etats-Unis Anglais (reading) 6 7%-14%
Goldhaber et Brewer (1997) Etats-Unis Mathématiques 10 12%
Hanushek (1971) Etats-Unis SAT* 2-3 9%-13%
Hanushek (1992) Etats-Unis Vocabulaire 2-6 16%
Hanushek (1992) Etats-Unis Lecture (reading) 2-6 10%
Murname et Phillips (1981) Etats-Unis Vocabulaire 3-6 10%-21%
Rivkin, Hanushek et Kain (2005) Etats-Unis Lecture (reading) 3-7 8%
Rivkin, Hanushek et Kain (2005) Etats-Unis Mathématiques 3-7 14%
Rowan, Correnti et Miller (2002) Etats-Unis Anglais (reading) 3-6 3%-13%
Rowan, Correnti et Miller (2002) Etats-Unis Mathématiques 3-6 6%-13%
Nye, Konstantopoulos, Hedge (2004) Etats-Unis Lecture (reading) 1-3 >7%-7%
Nye, Konstantopoulos, Hedge (2004) Etats-Unis Mathématiques 1-3 12%-14%
Mingat (1984) France Lecture 1 16%
Mingat (1984) France Mathématiques 1 12%
Mingat (1991) France Français et mathématiques 1 14%
Bressoux (1995) France Lecture 3-5 11%-13%
Bressoux (1996) France Français 3 1%-11%
Bressoux (1996) France Mathématiques 3 14%-19%
Source : Bernard (2007)
* Scholastic Aptitude Test : ce test d'admission dans les universités présente l'inconvénient d'être passé sur une base volontaire, il correspond donc à un
sous-ensemble sélectionné de la population.
De façon plus générale, l’effet-classe est une mesure qui nous indique des différences
56 Les biais de mesure propres d'efficacité entre classes très marquées dans un grand nombre de pays africains. La
à chaque étude peuvent question reste posée quant à la composition de cet effet-classe. Incontestablement, il
causer mécaniquement des
écarts limités, comme un faudra que les recherches futures y accordent une attention soutenue, car il apparaît
bruit de second ordre, mais clairement que des marges de manœuvre majeures pour l'amélioration de la qualité
ils ne peuvent pas justifier
des écarts importants. des apprentissages restent à identifier. Une piste souvent évoquée est le temps
Les analyses évoquées dans cette partie soulignent le rôle central que joue
l'enseignant dans le processus d'apprentissage, notamment à travers les différentes
interactions qu'il entretient avec son environnement. Toutefois, ces résultats plaident
aussi pour la prise en compte de la complexité du processus d'apprentissage. Ils
soulignent que les interdépendances et les interactions entre facteurs sont, en
quelque sorte, le moteur de ce processus. L'emploi de la terminologie « effet-maître »
est donc discutable, car elle fait référence à une causalité unique (celle de
l'enseignant) qui ne rend pas correctement compte de la réalité de l'apprentissage
scolaire. Néanmoins, on perçoit bien qu'au cœur de ces interactions se trouve
l'enseignant, et qu'il faut donc lui accorder une importance majeure quand on
s'intéresse aux apprentissages des élèves. Cela dit, il ne s'agit pas de se limiter à ses
caractéristiques propres, mais aussi d'apporter une attention particulière aux relations
qu'il entretient avec son environnement professionnel. Certains points soulevés,
comme les affectations et le paiement des salaires, relèvent de la gestion courante du
système éducatif. Si l'on prolonge également le raisonnement sur la période des
récoltes dans certaines zones rurales, on peut considérer que le calendrier scolaire
inadapté aux contraintes locales est aussi une question de gestion. Le lien entre la
gestion du système éducatif et les acquis scolaires des élèves n'est pas toujours le plus
évident, mais il apparaît ici comme un élément important.
Chapitre 5
Vers une vision d'ensemble
de la question enseignante
Toutefois, le chapitre 2 a rappelé les contraintes financières qui pèsent sur les Etats et
mis en évidence que les progrès importants réalisés au début des années 2000 étaient
largement imputables à des politiques volontaristes d'érosion des coûts salariaux
généralement adossées à la création ou au développement de nouvelles catégories
d'enseignants : maîtres communautaires, contractuels et enseignants peu qualifiés.
La dépense salariale constituant, de loin, la part la plus importante du coût de l'école
primaire, elle s'impose à tous comme un paramètre incontournable sur la route de la
SPU. Le développement de ces nouvelles catégories d'enseignants est donc le résultat
direct de cette contrainte pesant sur les systèmes éducatifs. Ce point a d'ailleurs été
bien pris en compte par les différents partenaires de l'éducation (ministères de
l'éducation, syndicats d'enseignants, parents d'élèves et organisations internationales)
lors de la Conférence de Bamako en 2004. Malgré tout, ces politiques de recrutement
ont été fortement décriées, et notamment accusées de contribuer à une dégradation
des apprentissages scolaires. Comme nous l'avons constaté dans le chapitre 4, cette
accusation n'est pas corroborée par les recherches menées sur la question même si,
d'un point de vue général, la qualité de l'enseignement dans les pays africains
demeure problématique. Cependant, la question de la poursuite de ces politiques
définies dans l'urgence doit être posée.
Cette première étape est évidemment essentielle, mais elle ne dit rien sur les profils des
futurs enseignants, ni sur la façon dont ils seront recrutés. Pour cette deuxième étape
du recrutement, spécifiquement, on peut se référer aux travaux de recherche
présentés dans le chapitre 4. Pour ce qui est du niveau académique, si chacun
s'accorde à dire qu'un niveau minimal est requis pour devenir enseignant, il y a
souvent des divergences sur ce que doit être ce niveau. Les études réalisées sur le
continent africain qui ont été présentées plus tôt plaident généralement pour un seuil
minimal correspondant à 10 années de scolarité validées pour un enseignant du
primaire. Bien sûr, il faut ici s'attacher aux informations relatives à chaque pays, car
on a observé qu'il y avait potentiellement des différences pour certains pays. On sait
par ailleurs que, d'une part, à niveau académique donné les connaissances des
individus peuvent varier de façon importante et, d'autre part, les attentes sociales
augmentent avec le niveau d'études et peuvent parfois jouer négativement sur la
motivation des individus. Ces deux éléments ne peuvent être ignorés et plaident pour
un certain pragmatisme. Dans ce sens, il est sans doute préférable de définir un
niveau minimal qui correspondrait à la fin d'un premier cycle secondaire (validé).
Toutefois, on ne peut se limiter au niveau scolaire : les personnes ayant validé le
premier cycle secondaire peuvent, en effet, présenter des niveaux de connaissances
différents et, pour certains d'entre eux, non satisfaisants pour le métier d'enseignant.
Aussi est-il important d'évaluer par des tests le niveau réel des candidats.
Une autre dimension devrait être prise en considération dans ce processus : il s'agit
du genre. Les résultats présentés au chapitre 4 montrent que les femmes se révèlent
aussi efficaces que leurs collègues masculins dans l'exercice du métier d'enseignant,
mais qu'elles ont en particulier un impact positif sur le maintien des filles à l'école
(Mapto Kengne et Mingat, 2002). Ainsi, à l'argument de l'égalité de traitement entre
hommes et femmes, il convient d'ajouter celui de l'efficacité dans la poursuite de
l'objectif de la SPU. Porter une attention particulière au recrutement de femmes pour
le métier d'enseignant doit donc faire partie intégrante de la stratégie enseignante
pour la SPU. Naturellement, la diversité des contextes nationaux ne permet pas d'être
beaucoup plus précis, mais il est important d'acter ce point ici.
Cette deuxième étape qui vient d'être décrite correspond au recrutement pour accéder
à la formation professionnelle et non pas pour accéder au métier d'enseignant. Cette
distinction n'est peut-être pas si évidente, car on observe souvent que le candidat
ayant obtenu le concours d'entrée pour la formation professionnelle est quasiment
certain de devenir enseignant. L'enjeu pour les individus apparaît alors plus dans la
réussite du concours pour accéder à la formation des enseignants que dans
l'acquisition des connaissances et des compétences nécessaires au métier
d'enseignant. Or, le métier d'enseignant n'exige pas seulement un niveau académique
adéquat et la motivation nécessaire mais aussi des compétences spécifiques,
notamment en matière pédagogique. Il ne suffit pas d'avoir des connaissances, il faut
aussi les compétences pour enseigner. Il est donc souhaitable que le recrutement final
intervienne après évaluation des compétences spécifiques du métier d'enseignant.
Cela revient à considérer que le candidat au métier d'enseignant doit être évalué en
cours de formation et en fin de formation, mais également concrètement dans
l'exercice de son métier. Quand on considère une formation professionnelle,
l'évaluation des connaissances théoriques ne peut pas remplacer l'évaluation des
compétences pratiques. On attend d'un médecin non pas seulement qu'il connaisse les
maladies, leurs symptômes et les traitements susceptibles de les guérir, mais surtout
qu'il soit en mesure de nous soigner quand on est malade. Il en va de même pour un
enseignant : ce n'est pas sa connaissance des différentes théories pédagogiques ou des
pratiques de classe qui est en cause, mais sa capacité à enseigner en ayant recours à
des pratiques efficaces et adaptées au contexte dans lequel il évolue. La connaissance
théorique n'est pas à négliger, mais elle doit plutôt être considérée comme devant
nourrir la pratique de l'enseignant. La clé d'une bonne formation professionnelle est
probablement dans l'articulation réussie entre le théorique et le pratique. Cependant,
comme cela a été souligné dans le chapitre 4, il y a encore beaucoup à faire dans le
domaine de la recherche pour identifier les contours de formations professionnelles
pertinentes. Il reste que l'évaluation ultime repose sur la capacité de l'enseignant à
permettre aux élèves d'acquérir les connaissances et les compétences inscrites au
programme.
ou fera en classe, mais ce qu'il est capable de faire57. Ce problème est particulièrement
marqué lorsque l'observation se borne à une leçon et dans une classe qui n'est pas
celle de l'enseignant évalué, comme cela peut être le cas en cours de formation
professionnelle quand l'élève-enseignant est en stage. La seconde limite tient au
jugement porté qui, même avec des grilles d'évaluation rigoureuses, peut être
extrêmement variable d'un individu à un autre, les représentations des bonnes
pratiques pédagogiques étant relativement diverses dans le monde éducatif. Il y a, par
conséquent, une part de subjectivité qui fragilise la légitimité de l'évaluation réalisée.
Une façon de limiter ce problème consiste à avoir recours à plusieurs évaluateurs pour
chaque enseignant. On peut imaginer par exemple trois évaluations : une menée par
un formateur, une autre par un inspecteur et une troisième par le directeur de l'école
où l'élève-enseignant exerce. Ou encore, on peut envisager que l'un des évaluateurs
soit un enseignant expérimenté. Ces évaluations peuvent ensuite être examinées par
une commission à qui reviendra la décision finale. Bref, les possibilités sont multiples,
ce qui importe c'est que l'évaluation des compétences professionnelles donnant accès
au métier d'enseignant ne peut se limiter à une évaluation ponctuelle en classe dans
le cours de la formation. Si l'évaluation en cours de stage est indispensable, elle n'est
pas suffisante pour porter un jugement définitif sur les compétences professionnelles
d'une personne58. Par ailleurs, elle a aussi pour fonction d'aider les élèves-enseignants
à se perfectionner.
Pour réaliser une évaluation en situation réelle d'un élève-enseignant, il faut que celui-
ci ait la charge complète d'une classe. Une possibilité est de considérer que la
première année d'exercice du métier est encore une année de formation, comme le
fait la Guinée. Il ne s'agit d'ailleurs pas d'un artifice, puisque l'élève-enseignant
continue de bénéficier d'une formation de proximité avec un maître référent qui
l'encadre dans son école ainsi que de la visite de formateurs de l'institution en charge
de la formation des enseignants. Il s'agit ici d'une conception extensive de la
formation des enseignants qui a le mérite de mettre l'accent sur la dimension
professionnelle. Dans ce cadre, l'élève-enseignant pourrait être évalué en situation
réelle en cours d'année par différents intervenants, comme cela a été évoqué
précédemment. Toutefois, la question de la subjectivité de ce type d'évaluation,
même avec plusieurs personnes, mérite une attention particulière. La pratique du
jugement par les pairs est relativement fréquente dans beaucoup de métiers, et ce
n'est donc pas une spécificité de l'enseignement. Il est cependant plus difficile
d'évaluer le résultat du travail de l'enseignant uniquement en le regardant dans sa
classe. Il est préférable de mesurer ce que les élèves ont appris avec cet enseignant,
mais cela implique des dispositifs d'évaluation relativement complexes et coûteux, et
qui font encore débat sur le plan méthodologique (Mac Affrey et al., 2003). On peut
57 L'analyse des cahiers élèves
permet de limiter cet aléa si malgré tout constater que les rares études mettant en parallèle les acquisitions des
l'enseignant est le titulaire
de la classe.
élèves et le jugement des responsables d'établissements sur le travail des enseignants
ont montré une relative cohérence entre les deux types d’évaluations (Murname,
58 Elle peut, à la marge, permet-
tre d'identifier les personnes 1975). Il n'est pas vraiment surprenant que le responsable d'un établissement scolaire
qui présenteraient des lacunes qui observe au quotidien le travail des enseignants puisse avoir un avis éclairé sur
trop sévères pour exercer le
métier. celui-ci. Cela invite assurément à accorder une importance particulière à l'appréciation
des enseignants et, partant, les besoins de formation. Certains pays comme la
Mauritanie se sont néanmoins engagés dans cette voie et il faut espérer que beaucoup
d'autres la suivront, car il est très difficile de proposer des remédiations efficaces sans
diagnostic précis.
La problématique est similaire pour les enseignants recrutés par l'Etat, mais qui ont
été envoyés directement dans les salles de classe sans véritable formation
professionnelle (formation de courte durée, voire pas de formation). La différence
avec le recrutement des maîtres communautaires réside essentiellement dans le fait
qu'un niveau académique minimal, n'allant pas en deçà du diplôme de fin de premier
cycle secondaire, a généralement été requis dans ces processus. Cela ne signifie pas
pour autant que tous les enseignants ainsi recrutés ont le niveau nécessaire, mais on
peut penser que ce problème devrait être moins prégnant que dans le cas des maîtres
recrutés directement par les communautés, ceux-ci pouvant avoir un niveau scolaire
nettement inférieur.
Quel que soit le type de formation retenu, si cette dernière doit déboucher sur une
59 On ne peut écarter ici la pos- certification professionnelle, elle devra répondre aux critères d'évaluation évoqués
sibilité, dans certains cas,
d'un niveau de connaissances précédemment, c'est-à-dire une évaluation combinant les acquis en formation et les
trop bas pour pouvoir suivre
une formation professionnelle
pratiques en situation de classe. L'avantage ici est que ces personnes sont des
adéquate. enseignants en poste et qu'il est donc possible de les évaluer dans leur classe.
La sélection à l'entrée est en général peu ciblée : un postulant est accepté dès lors
qu'il a le niveau de qualification académique requis. Les candidats doivent au
minimum avoir achevé le collège ou le lycée, diplôme en poche (brevet des collèges,
baccalauréat, O level, COSC, MSCE) avec, pour le système anglophone, un minimum
de passes ou de grades60, notamment en anglais et en mathématiques. En Erythrée et
60 Un grade est un niveau
en Guinée, les femmes et les membres de minorités linguistiques sont acceptés avec supérieur au pass.
un niveau de qualifications plus faible, en vue de les attirer dans la profession. Parmi
les pays considérés dans le tableau 5.1, seule la Gambie dispose d'un système de
sélection à l'entrée plus complexe, avec examen d'entrée et entretiens, pour juger de
la motivation réelle de l'étudiant à enseigner.
Tableau 5.1 : Quelques caractéristiques du système de formation initiale des enseignants dans certains
pays anglophones
1 an
incluant 1 an 2 ans 3 ans 1 an 2 ans 1 an
pratique + 2 ans + 1 an + 1 an + 6 semaines + 1 an
Durée
en classe en classe en classe en classe en classe en classe
(2 sem.
et 1 mois)
Sur notes
académiques/
Sur notes Sur notes Sur notes Sur notes Sur notes
Sélection examen
académiques académiques académiques académiques académiques
d'entrée/
entretien
Pour faire face au défi, et passer d'un recrutement annuel d'environ 700 enseignants à
environ 2000, la Guinée a radicalement réformé son système de formation initiale en
Les réflexions actuelles _ et l'exemple guinéen en est une illustration _ tendent à insister
sur le renforcement de la professionnalisation de la formation des enseignants. Une
attention particulière est apportée à l'articulation entre formation théorique et
formation pratique. Des réformes sont en cours ou sont attendues dans un grand
nombre de pays ; il est important qu'elles s'accompagnent d'évaluations permettant
d'apprécier leur efficacité et, au besoin, de procéder à des ajustements. En effet, les
éléments factuels disponibles sont encore trop peu nombreux pour nourrir la réflexion
des décideurs.
Les formations de recyclage, destinées aux enseignants en poste qui sont sans
formation professionnelle, sont relativement récentes dans les systèmes éducatifs
africains, mais elles sont appelées à se développer rapidement si on souhaite que
chaque enseignant en fonction ait suivi une formation professionnelle. En effet,
comme on a pu le voir dans le chapitre 3, le nombre d'enseignants peu ou pas formés
demeure très important dans certains pays, particulièrement dans les pays en
situation de post-conflit.
Il a été évoqué dans la partie sur le recrutement la double contrainte qui pèse sur cette
formation, à savoir l'hétérogénéité du niveau des personnes concernées et la
nécessité de réduire au maximum leur absence des salles de classe pendant ces
activités de formation. La dernière contrainte implique d'envisager soit une formation
à distance, soit une formation durant les vacances scolaires ou une combinaison des
deux. Le tableau 5.2 fournit des exemples de formation de recyclage dans trois pays.
On constate qu'il existe des modalités différentes : en Gambie, on a opté pour la 61 Il s'agit du programme de
formation initiale des maîtres
formation durant les vacances scolaires et du tutorat au niveau de l'école et au de Guinée, lancé en 1998.
Au moins 2 ans
Au moins 2 ans
Prérequis d'enseignement et 5 passes à /
d'enseignement
l'examen de fin du secondaire
Module d'apprentissage
Système de tutorat Module d'apprentissage
à distance ; système de tutorat
au niveau de l'école ; à distance ;
Modalité au niveau de l'école ;
présentiel : 9 semaines de cours présentiel décentralisé :
présentiel dans le collège local
réparties dans l'année 2 semaines et week-ends
pendant les vacances
La formation des enseignants est appelée à connaître des évolutions importantes pour
répondre aux défis de la SPU. Il ne s'agit pas uniquement de questions de durée ou
de moment de la formation, les contenus et la conception même de la formation sont
à considérer.
L'analyse de la cohérence de l'allocation des enseignants sur le territoire est basée sur
un principe simple qui consiste à considérer que le nombre d'enseignants dans une
école devrait être lié au nombre d'élèves. Plus il y a d'élèves dans un établissement,
plus il doit y avoir d'enseignants. C’est dire aussi que des établissements avec un
même nombre d'élèves devraient avoir sensiblement le même nombre d'enseignants.
On s'intéresse donc à la relation entre le nombre d'élèves et le nombre d'enseignants
dans une école.
Graphique 5.1 : Relation entre le nombre d'élèves et d'enseignants agents de l'Etat, au niveau
des écoles, dans l'enseignement primaire au Burkina Faso
30
25
Enseignants publics
20
15
10
0
0 500 1000 1500 2000
Elèves
Source : RESEN-Burkina (à paraître)
Parmi les pays où l'information sur la part de l'allocation des enseignants par l'Etat ne
dépendant pas du nombre d'élèves est disponible pour une année assez récente, la
plage de variation va de 7% en Guinée à 54% au Bénin. La moyenne se situe à 30%,
ce qui signifie qu'en moyenne, sur l'ensemble des pays considérés, 30% du
phénomène d'affectation des enseignants par l'administration scolaire ne dépend pas
du nombre d'élèves, mais tient à d'autres facteurs. Des pays comme la République
centrafricaine, le Burundi ou encore le Bénin, avec des chiffres de plus de 45%,
présentent des problèmes très importants de cohérence dans l'affectation des
enseignants. Néanmoins, dans le cas du Bénin et de la République centrafricaine, on
observe que la prise en compte des maîtres de parents permet de réduire fortement
les valeurs présentées (respectivement à 39% et 24%). Dans ces deux pays, la
mobilisation des parents d'élèves pour pallier les déficiences d'allocation des
enseignants publics par l'Etat a été positive. Cela soulève, par contre, des questions
d'équité puisque ce sont les parents d'élèves qui doivent souvent financer
directement ces enseignants62. Dans l'ensemble, les résultats suggèrent que des
progrès sont possibles et nécessaires dans la plupart des pays de la région pour
améliorer la répartition des enseignants dans les écoles, en rendant les allocations plus
62 Dans le cas du Bénin, les
équitables et plus cohérentes entre les différents lieux d'enseignement. Des gains enseignants communautaires
importants sont possibles, comme l'atteste la situation prévalant au Lesotho, au Niger sont subventionnés par l'Etat,
mais les parents contribuent
ou en Guinée. aussi.
Guinée (2004) 7 ND
Lesotho (2003) 18 -
Niger (2003) 19 ND
Guinée-Bissau (2006) 20 -
Burkina Faso (2007) 22 -
Mauritanie (2004) 22 -
Ethiopie (2002) 28 -
Tchad (2004) 33 34
Malawi (2007) 34 -
Congo (2005) 38 35
RCA (2005) 46 24
Burundi (2004) 50 -
Bénin (2006) 54 39
Cameroun (2002) ND 45
Mali (2004) ND 27
Moyenne 30 34
Sources : RESEN
Les éléments précédents nous fournissent une vision globale de l'allocation des
enseignants et permettent des comparaisons internationales. Une autre manière de
s'intéresser à la cohérence de l'allocation des enseignants consiste à comparer, au
niveau national, les différences du ratio élèves par maître63 (REM) entre les différentes
régions, départements et autres subdivisions administratives. Cela apporte un
éclairage très intéressant et directement utile à la gestion des systèmes d'éducation,
puisqu'il permet de voir s'il y a des déséquilibres et où ils se situent.
La carte 5.1 nous donne une illustration visuelle des différences pouvant exister entre
différentes régions d'un même pays à travers l'exemple du Bénin. De cette manière,
on voit que des départements comme le Littoral et l'Ouémé sont bien mieux lotis que
des départements comme le Borgou et surtout le Couffo. On voit aussi le rôle
important que tiennent les maîtres communautaires. Ainsi, dans le Borgou, le REM
63 Ou rapport élèves-maître : il
s'agit du nombre moyen
serait virtuellement supérieur à 80 sans les maîtres communautaires, alors qu'il est
d'élèves par enseignant. effectivement compris entre 45 et 50.
Alibori Alibori
Atacora Atacora
Borgou Borgou
Donga Donga
Collines Collines
Le tableau 5.4 rassemble des informations portant sur le ratio élèves-maître dans un
certain nombre de pays, en indiquant pour chacun d'entre eux : les REM les plus
faibles et les plus élevés observés au niveau régional, les écarts entre ces deux ratios
et la moyenne. Notons que les informations collectées présentent de fortes limites,
car il n'a pas toujours été possible de distinguer les maîtres fonctionnaires des maîtres
communautaires ou des maîtres issus du privé. Il est dès lors impossible de comparer
les pays entre eux, ou encore de juger de l'allocation des enseignants par les pouvoirs
publics.
Dans les pays considérés, on observe une distribution spatiale inégale des enseignants
sur les territoires nationaux avec des déséquilibres marqués. Les écarts sont parfois
importants. Le cas de la République centrafricaine illustre, comme au Bénin,
l'importance des maîtres communautaires dans le système éducatif, car sans eux les
REM « virtuels » varieraient entre 109 et 575. L'Ouganda et le Malawi font également
face à des situations fortement contrastées d'un district à l'autre. Ainsi, au Malawi, le
nombre moyen d'élèves par enseignant varie entre 36 et 120 entre les deux districts
extrêmes, ce qui est considérable. Il y a 10 districts qui affichent un REM moyen de
plus de 90, alors que dans 5 districts le REM est inférieur à 55. Parmi ces cinq districts,
quatre sont en zone urbaine (Banque mondiale, 2007d). En Ouganda, le REM varie
entre 32 et 93 selon les districts. Les plus faibles taux d'encadrement sont observés
dans le district du Kalangala, caractérisé par une population dispersée nécessitant de
petites écoles. Par contre, les REM les plus élevés s'observent dans les districts du
Nord, qui ont été affectés de longues années durant par des conflits armés (Banque
mondiale, 2007e).
Tableau 5.4 : Variation des ratios élèves-maître au niveau régional dans certains pays
d'Afrique subsaharienne
Ratio élèves-maître
Pays
Plus faible Plus élevé Moyenne Ecart
Bénin (2005-2006)
sans les maîtres 55 92 74 37
communautaires
Bénin (2005-2006)
avec les maîtres / / 47 /
communautaires
Burkina Faso (2005-2006) 45 56 50 11
Erythrée 30 53 48 23
Lesotho (2005) 38 47 42 9
Malawi (2006) 36 120 80 84
Ouganda (2006) 32 93 48 61
Tanzanie (2006) 40 69 52 29
Zambie (2006) 46 79 64 33
Zanzibar (2006) 23 54 33 31
Dans les autres pays, les écarts entre le nombre d'élèves par enseignant d'une zone à
l'autre sont moins marqués, mais se situent néanmoins autour de 30, ce qui constitue
en soi une valeur élevée. Les plus faibles écarts sont observés au Burkina Faso, en
Gambie et au Lesotho, avec des écarts de 11, 13 et 9 respectivement. Dans ces pays,
la répartition des maîtres entre régions semble plus ou moins égalitaire ; cependant,
cette situation peut cacher de fortes variations au sein des régions. Ainsi, en Gambie,
un quart des écoles de la Région 2 ont un REM supérieur à 58, alors que pour un
autre quart d'entre elles, on enregistre un REM inférieur à 35 (Banque mondiale,
2007b). Au Burkina Faso, l'analyse de la proportion d'écoles normalement dotées en
enseignants à l'intérieur des régions (cf. tableau 5.5) fait état de proportions
relativement faibles : de 13,7% pour la région de l'Est à 30,5% pour la région du
Centre-Sud. Cela signifie, entre autres, que le problème principal dans l'allocation des
enseignants est nettement plus prononcé à l'intérieur même des régions qu'entre les
régions (RESEN-Burkina, à paraître).
Ratio % d'écoles
% d'écoles % d'écoles
Régions élèves-maître normalement
sous-dotées surdotées
moyen dotées
Boucle du Mouhoun 49,3 26,8 % 33,6 % 39,6 %
Cascades 51,3 19,8 % 37,8 % 42,4 %
Centre 48,8 26,9 % 32,9 % 40,2 %
Centre-Est 52,4 24,8 % 35,0 % 40,2 %
Centre-Nord 55,6 26,4 % 33,3 % 40,3 %
Centre-Ouest 47,1 27,1 % 32,7 % 40,2 %
Centre-Sud 51,6 30,5 % 32,7 % 36,8 %
Est 46,9 13,7 % 36,3 % 50,1 %
Hauts-Bassins 52,8 22,5 % 34,1 % 43,4 %
Nord 53,1 23,7 % 36,9 % 39,4 %
Plateau central 47,2 24,2 % 34,4 % 41,4 %
Sahel 45,0 17,3 % 33,4 % 49,3 %
Sud-Ouest 44,9 21,5 % 31,5 % 47 %
Ensemble 49,8 23,5 % 34,2 % 42,3 %
Source : RESEN-Burkina (à paraître)
Note : Les écoles normalement dotées sont des écoles dont le rapport élèves-maître est compris dans une fourchette de plus ou moins 10%
du rapport élèves-maître moyen de la région. Une école sous-dotée (ou surdotée) est une école dont le rapport élèves-maître est supérieur
(ou inférieur) de plus de 10% au ratio moyen de la région.
On voit donc que des différences importantes peuvent exister entre régions mais aussi
au sein des régions. On peut même aller un peu plus loin : les différences ne recoupent
pas nécessairement les découpages administratifs. Plutôt, les zones rurales tendent à
être systématiquement désavantagées par rapport aux zones urbaines. Les résultats
d'analyses réalisées dans différents RESEN montrent, en effet, que les zones urbaines
sont systématiquement avantagées. Elles disposent en moyenne de 0,2 (Guinée) à 1,9
(Niger) enseignants en plus qu'une école comparable située en milieu rural. Au
Cameroun, on constate que les disparités sont encore plus marquées selon le degré
d'urbanisation de la localité : les grosses agglomérations de plus de 200 000 habitants
ont près de deux enseignants de plus qu'une école de taille identique en milieu rural ;
les petites villes, de leur côté, disposent en moyenne de 0,4 enseignant de plus.
Le peu d'attrait des localisations rurales conduit à une situation où les écoles
implantées dans ces milieux ont du mal à attirer, à retenir et à maintenir leur personnel
en place, et se voient souvent délaissées au profit des écoles urbaines ou localisées
dans les zones favorisées. Coexistent alors des zones où les écoles ont des sureffectifs
d'enseignants, comme dans les villes, avec des zones où de nombreux postes restent
vacants, souvent pour de longues périodes, en zones rurales et reculées. Il est vrai que
les zones rurales présentent parfois des conditions assez difficiles (cf. encadré 5.1).
L'attrait du milieu rural est particulièrement limité pour les femmes. Dans la plupart
des pays de la région (à l'exception des Seychelles), les femmes sont moins enclines à
accepter des postes en milieu rural. Pour ce qui est des pays du Consortium de
l’Afrique australe et orientale pour le pilotage de la qualité de l’éducation (SACMEQ),
si près de la moitié des enseignants sont des femmes, elles représentent 42% des
enseignants en milieu rural, contre 66% en milieu urbain (même si de fortes variations
s'observent d'un pays à l'autre). En Afrique de l'Ouest et centrale, la proportion
d'enseignants femmes est très variable, mais en général plus faible qu'en Afrique de
l'Est : elle s'échelonne entre 14% au Tchad et 65% au Niger. Toutefois, comme leurs
homologues est-africaines, les femmes de la sous-région sont systématiquement
moins représentées en zones rurales. Au Tchad, elles forment à peine 4% du corps
enseignant en zone rurale, contre 31% en milieu urbain. La représentation des
femmes en milieu rural est également limitée en Mauritanie (12%) et au Togo (15%)
(Bonnet, 2007).
L'existence de barrières sociales limite l'envoi des femmes en milieu rural. En effet, il
a été rapporté que, dans certaines communautés, il est considéré comme non
acceptable pour une femme de vivre seule. Dans d'autres localités, la venue de
femmes enseignantes célibataires serait source de crainte pour les femmes locales, qui
voient en celles-ci une concurrence déloyale dans la quête des hommes en raison de
leur statut et leur paye plus élevés (Banque mondiale, 2007d). Dans de nombreux
pays, les femmes enseignantes célibataires ont souligné la crainte de ne pas trouver
un mari adéquat, issu du même milieu socioéconomique, ou encore celle de devoir,
sous pressions éventuelles de la communauté, se marier avec un paysan analphabète.
A ces arguments, s'ajoutent ceux liés aux problèmes de sécurité ou de séparation du
conjoint pour les femmes mariées (Hedges, 2000, cité par Mulkeen, 2006). Il a
également été avancé qu'il est plus facile pour les hommes que pour les femmes de
s'engager dans des activités secondaires agricoles, alors que pour les femmes, les
opportunités d'un emploi supplémentaire sont plus faciles en ville _ dans
l'enseignement privé ou encore dans des activités de commerce (Mulkeen, 2006).
Toutes ces difficultés poussent souvent les directions en charge du déploiement des
enseignants à limiter l'envoi des femmes en brousse, évitant de la sorte un rejet de
leur part ou une requête précoce de transfert.
Mulkeen (2006) a identifié une série de caractéristiques qui expliquent le faible attrait des zones rurales reculées :
• La qualité de la vie peut ne pas être aussi bonne qu'en milieu urbain. Outre le problème de trouver
des logements en dur décents, qui est au cœur des préoccupations des enseignants postés en
brousse, le manque de loisirs est parfois mentionné comme une contrainte.
• L'éloignement des services publics en général, et des services de santé en particulier, peut constituer
un souci majeur, notamment pour les enseignants souffrant de maladies chroniques ou du VIH/sida.
Certains pays ont pris des dispositions pour que les enseignants malades soient transférés en ville,
comme en Ouganda, ou encore près de facilités sanitaires, comme au Malawi ou en Gambie (Banque
mondiale, 2007b,d,e). Au Ghana, les problèmes de santé seraient une cause précoce de transfert en
ville (Hedges, 2000, cité par Mulkeen).
• L'environnement de travail est en général plus difficile en zone rurale : infrastructures scolaires de
mauvaise qualité ; manque de manuels et autres supports pédagogiques ; classes surchargées ;
soutien et encadrement pédagogiques limités, voire faibles ; public d'enfants et de parents moins
sensibilisés à l'école.
• Dans le même ordre d'idées, les occasions de se recycler et de se perfectionner sont plus limitées pour
les enseignants résidant en zones rurales et reculées, de même que les opportunités de poursuivre
des études, réduisant de la sorte leurs perspectives d'évolution professionnelle et de mobilité
géographique.
• Comme souligné par Akyeampong et Stephens (2002, cités par Mulkeen), les instituteurs proviennent
en général de milieux socioéconomiques plus élevés que la moyenne et souvent du milieu urbain,
rendant plus difficile l'acceptation d'un poste en zone reculée ou rurale, considéré aussi comme moins
prestigieux. Des problèmes de langues locales peuvent compliquer et freiner le déploiement des non-
locaux.
• Enfin, pour certains enseignants, le milieu urbain offre des occasions d'arrondir les fins de mois grâce
aux cours particuliers ou l'enseignement dans le privé.
Sachant que le défi de la SPU est désormais avant tout un défi rural, ces problèmes
de déploiement du personnel doivent faire l'objet d'une attention marquée par les
responsables mais aussi par l'ensemble de la communauté éducative. La section
suivante s'attache à examiner les différentes pistes à envisager pour relever ce défi.
Les interventions dans les processus d'affectation des enseignants sont relativement
fréquentes dans de nombreux pays (Hallak et Poisson, 2006), qu'elles soient le fait de
responsables politiques ou de responsables de l'administration. Qu'elles relèvent du
clientélisme ou de la corruption pure et simple, ces pratiques nuisent
considérablement à l'efficacité du déploiement des enseignants. Les interventions
sont généralement sollicitées par certains enseignants bénéficiant de réseaux socio-
politiques afin d'influer sur le choix de leur établissement d'affectation. Dans certains
pays, la corruption est de notoriété publique et les enseignants savent que pour
obtenir une nouvelle affectation, ils devront payer certaines personnes (UNESCO,
2008). Ce problème n'est pas spécifique à des systèmes de gestion centralisés et on
peut le retrouver au niveau local sous différentes formes. Ainsi, dans certains pays,
il est relativement fréquent d'entendre les responsables éducatifs locaux se plaindre
des interventions de responsables de l'administration locale dans les affectations des
enseignants. Interventions qui, naturellement, répondent à des critères tout autres
que ceux relatifs à une gestion cohérente et efficace des ressources humaines.
La gestion au niveau de l'établissement par les parents d'élèves et les directeurs n'est
pas non plus exempte de travers, puisqu'on a observé en Afrique de l'Ouest des cas
de recrutement de membres de la famille ou d'amis comme enseignants (De Grauwe
et al., 2005). Il est évident que, pour la très grande majorité des enseignants, ces
pratiques sont injustes et donc décourageantes, car elles ne s’appuient pas sur des
critères objectifs. Elles ne sont pas nécessairement liées à tel ou tel mode de gestion,
mais profitent d'une caractéristique commune : le manque de transparence dans les
procédures d'affectation des enseignants. Il s'agit d'un problème de gouvernance
sérieux (Hallak et Poisson, 2006) qui tire parti de la faiblesse des systèmes de
régulation existants pour se développer. Les solutions ne sont pas nécessairement
aisées à mettre en place, car elles demandent une volonté politique forte, mais elles
reposent cependant sur des principes simples. Il faut, tout d'abord, assurer une
transparence sur les critères et les modalités d'affectation des enseignants et, ensuite,
identifier clairement les responsabilités dans la chaîne de décision.
Les constats négatifs relatifs à la gestion centralisée peuvent néanmoins être nuancés en
soulignant que la mise en place de systèmes de « gestion sur postes » s'est révélée
relativement efficace dans certains pays. Le principe consiste à procéder au déploiement
d'enseignants sur la base de postes attribués à chaque école. Si la définition des postes
est correctement faite au niveau de chaque école, notamment en fonction des effectifs
et de leur croissance, ce système permet d'éviter la volatilité qu'on peut observer dans
un système centralisé classique. En effet, si par exemple une école est dotée de cinq
postes et que l'un d'entre eux est vacant, on ne peut affecter qu'un seul enseignant
dans cette école, ce qui limite sensiblement les incohérences dans les affectations.
A Madagascar, avec le recrutement massif des enseignants non fonctionnaires, des
règles pour déterminer, école par école, le nombre de postes d'enseignants non
fonctionnaires subventionnés ont été développées : elles se basent sur des
considérations du ratio élèves-maître existant et du nombre de salles de classe existantes
(EPT, 2008). Le recrutement sur poste a également été appliqué au Bénin durant trois
années scolaires (2004 à 2006) dans le cadre de l'allocation des enseignants
contractuels. Malgré l'impact positif de ce type de déploiement, le recrutement des
contractuels s'est à nouveau basé sur l'ancienne méthode (c’est-à-dire au niveau central
avec déploiement sur l'ensemble du territoire) dès l'année scolaire 2007-2008.
Le recrutement sur poste a aussi semblé séduire le Malawi, qui souhaite modeler le
déploiement des enseignants sur la base des postes établis au niveau de chaque école,
de sorte à éviter les sur-affectations en zones urbaines. Il est moins sûr, toutefois, qu'un
tel redéploiement des zones en sureffectifs vers les zones en sous-effectifs se fasse sans
résistance : redéployer des enseignants est une tâche difficile qui pourrait conduire à de
forts niveaux d'attrition des enseignants contraints de muter (Banque mondiale, 2007d).
Enfin, le système dit « de marché », où les enseignants candidatent sur les postes
ouverts par les écoles, est un troisième mode de gestion du déploiement des
enseignants. Le cas du Lesotho est, à cet égard, intéressant. Les enseignants postulent
directement aux postes vacants ouverts par l'école elle-même mais sur financement
du gouvernement. Cette pratique a le mérite d'alléger les procédures de gestion au
niveau central. Elle présente aussi l’avantage d’offrir une plus grande autonomie aux
écoles dans le recrutement et la gestion des enseignants et d'assurer dans une large
mesure que les postes vacants trouvent preneur, même dans les zones moins
favorables. Toutefois, elle présente certaines limites (Mulkeen, 2006). En effet, cette
pratique tend à favoriser le recrutement local sur le recrutement extérieur, notamment
par le jeu de pression pouvant s'exercer sur le comité de recrutement de l'école. Au
final, ce ne sont pas toujours les plus qualifiés qui obtiennent les postes. Par ailleurs,
on a pu observer que les zones les moins favorables éprouvaient également des
difficultés à recruter les enseignants les plus qualifiés, les indemnisations n'étant pas
assez attractives. Pour être efficace, un tel système doit donc mettre en place des
procédures de recrutement transparentes et assurer que les écoles localisées dans les
régions les plus difficiles aient la possibilité d'offrir des prestations supplémentaires
aux enseignants en vue de les attirer et les maintenir en poste (OCDE, 2005). Cela
implique in fine une gestion efficace de l'information au niveau central, ce qui renvoie
à certaines difficultés évoquées précédemment.
Pour faire face aux difficultés évoquées précédemment, plusieurs mesures ont été
mises en place par les pays. Certaines, comme le recrutement sur poste ou au niveau
des écoles, ont déjà été abordées, mais nous avons vu qu'elles ne suffisaient pas à
pourvoir en enseignants les zones les plus défavorisées. D'autres mesures, souvent
plus spécifiques, ont été prises.
L'une des mesures les plus répandues, en Afrique comme dans d'autres régions du
monde, est l'envoi des nouvelles recrues en milieu rural et dans les zones difficiles.
C'est l'option retenue à Madagascar et qui semble avoir porté ses fruits. En effet, au
cours des trois dernières années, les nouvelles allocations d'enseignants _
fonctionnaires ou non64 _ ont concerné, pour l'essentiel, les zones rurales et les plus
reculées. Si les postes situés dans les zones où les conditions d'enseignement sont les
moins favorables restent toujours difficiles à pourvoir, ces affectations auraient
cependant permis d'améliorer la cohérence de la distribution des enseignants sur le
territoire (EPT, 2008). Le déploiement en milieu rural des nouvelles recrues est
également pratiqué en Erythrée où, après une période d'exercice, les enseignants
peuvent demander à être mutés dans des zones plus favorables. Le Malawi s'oriente
aussi vers ce type de pratique : les candidats aux écoles normales sont, dès leur
candidature, informés qu'ils seront affectés en brousse. En principe, cela devrait
assurer que la plupart des futurs enseignants soient prêts à aller occuper un poste en
zone rurale et reculée. L'inconvénient de cette pratique est que ce sont
systématiquement les enseignants les moins expérimentés qui vont dans les zones les
plus difficiles. En outre, pour être efficace, il est souhaitable de faire du
positionnement en milieu rural une mesure transitoire, qui s'inscrive naturellement
dans une progression de carrière (Gottelmann-Duret, 1998) : il est important que les
enseignants ne se sentent pas « coincés » dans ces postes toute leur carrière, mais
qu'ils y voient un moyen d'atteindre un emploi plus désirable à terme. Il faudrait
également veiller à ce que les personnes les moins qualifiées et/ou les moins
expérimentées ne soient pas les seules à postuler et à accepter ces postes. La mise en
place d'un système d'encadrement par les enseignants présentant plus d'ancienneté
et par les directeurs d'écoles pourrait constituer un mécanisme efficace de gestion de
ces enseignants. Dans tous les cas, la mise en œuvre d'un tel système demande une
gestion rigoureuse, qui fait encore défaut dans de nombreux pays de la région.
recourir massivement à des enseignants communautaires (cf. chapitre 3), recrutés par
les communautés, pour combler son déficit en enseignants fonctionnaires et répondre
à l'accroissement de la demande scolaire. Les maîtres communautaires devront avoir
le niveau de qualification minimal requis (le BEPC) et se verront offrir des formations
qualifiantes en vue d'assurer la qualité de l'enseignement et de les inciter à rester dans
la profession. Leur salaire sera pris en charge par le budget du Ministère et peu à peu
augmenté selon un plan de carrière (basé sur une formation continue qualifiante),
sans toutefois atteindre le niveau de salaire des enseignants fonctionnaires (EPT,
2008). De son côté, la République centrafricaine envisage également un reclassement
des maîtres communautaires, après une formation qualifiante, dans un nouveau
statut.
Toutes ces mesures ont pour but de permettre le recrutement d'enseignants dans les
zones défavorisées, mais elles apparaissent comme des mesures transitoires qui ne
sont pas nécessairement de nature à pérenniser le recrutement et le maintien en poste
d'enseignants qualifiés. Comme cela a été évoqué, il y a un risque assez important
que ces zones se voient dotées d'enseignants peu qualifiés et peu expérimentés et
qu'elles peinent à conserver leurs enseignants. Des mesures d'accompagnement sont
donc nécessaires en termes de formation et d'encadrement pédagogique. Il faut aussi
envisager des incitations financières pour attirer et/ou motiver les enseignants. Les
incitations sont un élément central des stratégies d'attraction et de rétention des
enseignants dans les zones rurales et reculées. Un certain nombre de pays ont
instauré divers mécanismes d'incitation (primes d'éloignement, de transport ou de
logement, provision de logement), mais leur portée reste souvent limitée. Les primes
sont souvent d'un montant trop faible pour être attractif : au Lesotho, si la prime
d'éloignement équivaut à 31% du salaire d'entrée d'un enseignant non qualifié, elle
représente à peine 6% du salaire d'un maître qualifié. En Ouganda et en Zambie, elle
s'établit respectivement à 15% et 20% du salaire. Ces niveaux sont encore jugés non
attractifs. En outre, les primes ne ciblent pas toujours les zones les plus reculées ou
rurales et ne sont pas systématiquement distribuées, ou bien le sont avec du retard.
Une augmentation du montant des incitations est souvent proposée, mais pour des
raisons de pérennité financière, cette option peut ne pas toujours être viable.
Dans un tel contexte, un ciblage précis des allocations devient central, tant pour
l'efficience du système d'incitation que pour sa pérennité. La Gambie65 a ainsi testé
65 Cette initiative, encore au
stade d'activité pilote, est un système d'incitation financière progressif, dont le principal critère est
financée par le Fonds cataly- l’éloignement par rapport à la route principale : la prime touchée est d'autant plus
tique de l'Initiative de mise
en œuvre accélérée de importante que l'école est située dans une zone reculée, et varie entre 30% et 40%
l'Education pour tous (Fast
Track Initiative). Elle semble
du salaire de base. Ce mécanisme semble produire les effets attendus, dans la mesure
être efficace pour attirer et où on a pu observer une augmentation des requêtes d'enseignants qualifiés pour aller
retenir les enseignants dans
les zones reculées. Si elle est travailler dans les zones les plus reculées. Une enquête menée auprès d’élèves-
maintenue, il est anticipé enseignants montrait que le quart d'entre eux étaient prêts à être postés dans les
qu'elle permettra de redres-
ser les déséquilibres d'alloca- zones offrant la prime d'éloignement et que 95% des enquêtés accepteraient une
tion des enseignants dans le telle affectation si elle leur était proposée à la sortie de la formation (Banque
pays (Banque mondiale,
2007b). mondiale, 2007b). Dans une optique similaire, la Zambie se propose d'affiner les
Toujours est-il, si on souhaite que les incitations de nature financière aient l'impact
souhaité, il faut résoudre le problème du paiement des salaires dans les zones
reculées. En effet, l'une des caractéristiques de ces zones est que les enseignants
doivent parcourir de longues distances pour percevoir leur salaire. Il n'est pas rare,
d’ailleurs, qu'ils doivent s'absenter pendant plusieurs jours, autant de jours d'école
perdus pour les élèves de ces zones par rapport à leurs camarades des zones
urbaines. Dans ce domaine, des progrès sont possibles même dans un contexte très
difficile, comme le montre l'exemple de la République centrafricaine. En effet, à la
suite du conflit qu'a connu le pays, le système bancaire est inexistant en dehors de
quelques villes et il est donc très difficile de verser des salaires en région, surtout
dans les zones rurales. Pour contourner cette difficulté, le Ministère de l'Education
s'est rapproché de différents opérateurs privés qui ont des activités dans les régions.
Il s'est trouvé que ces opérateurs se sont montrés très intéressés, car ils étaient
confrontés en quelque sorte au problème inverse, c'est-à-dire acheminer leurs fonds
vers la capitale. De façon très innovante, plusieurs opérateurs de téléphonie mobile
proposent des systèmes de crédits via les téléphones mobiles. Appliqué au paiement
des salaires, ce système permettrait à l’enseignant de recevoir sur son mobile par
message un crédit équivalent à son salaire66 qu'il pourrait ensuite percevoir auprès
d'une boutique de la société. Ce type de solution devrait permettre une couverture
du territoire sans précédent. Le Ministère envisage d'avoir recours à ces techniques 66 Ces procédures sont sécurisées.
D’autre part, les incitations financières ne sont probablement pas suffisantes pour
maintenir la motivation des individus qui se trouvent dans les zones isolées et où
l'environnement est particulièrement difficile, notamment en raison de la pauvreté.
Aussi, il importe de prévoir un encadrement de proximité relativement efficace.
Cela passe d'abord par la dynamique de l'équipe pédagogique au niveau de l'école.
Cela passe également par des visites pas trop espacées de conseillers pédagogiques
et d'inspecteurs, ce qui implique des moyens spécifiques pour ces zones. Ensuite, le
regroupement régulier, plusieurs fois par an, des enseignants par zone pourrait
contribuer à briser le sentiment d'isolement, en leur permettant d'échanger avec des
collègues dans des situations semblables et d'avoir accès à des formations. Enfin, les
perspectives de mobilité géographique et de carrière, si elles sont directement liées à
leur travail dans ces zones défavorisées, peuvent être une source de motivation
importante.
Il apparaît très clairement, après avoir passé en revue les différentes mesures
existantes, que pour remédier aux déséquilibres dans la répartition des enseignants
sur le territoire et attirer et maintenir les enseignants dans les zones rurales _ y
compris les plus reculées _, il sera nécessaire de faire preuve de beaucoup de
pragmatisme et de recourir à un ensemble de stratégies. L'enjeu n'est autre que la
généralisation de l'école primaire en zone rurale et donc l'atteinte de la SPU.
menées dans quelques pays de la région. Elles fournissent des informations assez 69 D'une manière générale, le
moment de l'enquête est
détaillées sur la question. Elles suggèrent des niveaux d'absentéisme relativement susceptible d'influer forte-
élevés, touchant entre 13% des enseignants au Ghana (Banque mondiale, 2004) et ment sur les réponses. A
Madagascar, l'absentéisme
19% à Madagascar (Banque mondiale, 2008) et en Ouganda (Banque mondiale, est plus élevé en saison des
pluies qu'en saison sèche
2007e ; Habyarimana, 200668). Les enquêtes du PASEC et du SACMEQ incluent (Banque mondiale, 2008).
également dans leur protocole des questions sur l'absentéisme. Basées sur les En Ouganda, des différences
saisonnières sont également
réponses des enseignants (PASEC) ou des directeurs d'écoles (SACMEQ), les rapportées : l'absentéisme
informations obtenues sont toutefois moins fiables que celles obtenues par les est plus élevé en début d'an-
née scolaire et pendant les
enquêtes PETS, qui observent de visu la présence ou l'absence de l'enseignant. périodes de récoltes
Comme le rappelle Bonnet (2008), ces réponses peuvent être entachées (Habyarimana, 2006, cité
par Banque mondiale,
d'imprécisions69 et de mauvaise représentation intentionnelle, les enseignants 2007e).
pouvant être tentés de sous-estimer leurs absences. Il reste que les données n'en
montrent pas moins une prévalence élevée de l'absentéisme : au cours du mois
précédent l'enquête du PASEC, près de la moitié des enseignants au Mali et au Niger
ont été absents au moins un jour ; ils étaient près des deux tiers dans ce cas au Tchad,
en Guinée et en Mauritanie (Bonnet, 2007). Dans les pays du SACMEQ, le problème
de l'absentéisme, tel que perçu par les directeurs d'écoles, semble tout aussi
important que dans les pays d'Afrique francophone, sans qu'il soit néanmoins
possible de juger avec précision de l'ampleur du phénomène. Les données du
SACMEQ indiquent que plus de la moitié des élèves (55%) sont dans des écoles où
le directeur rapporte l'existence du problème et qu’ils sont 8% à fréquenter un
établissement où l'absentéisme des enseignants est considéré comme étant élevé.
Des variations émergent cependant d'un pays à l'autre. Le problème apparaît
particulièrement important en Ouganda, où plus de 20% des élèves sont dans des
établissements où l'absentéisme est jugé élevé. Le Malawi, le Mozambique et les
Seychelles feraient également face à une prévalence de l'absentéisme relativement
plus importante que dans les autres pays de la sous-région (Bonnet, 2007). En Afrique
de l'Ouest, les enseignants déclarent être absents en moyenne une demi-semaine par
mois. De fortes variations sont, là encore, observées entre pays : le nombre moyen de
jours d'absence au cours du mois précédent l'enquête s'échelonne entre 1,4 au Niger
et 4,7 au Sénégal (Michaelowa, 2002 ; Bonnet, 2007). Le cas du Sénégal est
particulièrement inquiétant, les enseignants ayant déclaré manquer en moyenne près
d'une semaine de cours le mois précédent l'enquête. Dans les pays du SACMEQ,
le nombre de jours perdus à la suite d’événements non liés à l'école était nettement
plus bas, se situant en moyenne à six par an, avec une fourchette variant entre 1,9 jour
au Botswana et 11,5 jours en Tanzanie (Bonnet, 2007).
Il est utile ici de rappeler que l'absentéisme a des causes multiples et qu'il ne relève
pas nécessairement de la seule responsabilité de l'enseignant. Différents facteurs
influent sur l'absentéisme : certains sont liés à l'enseignant et d'autres, aux
caractéristiques de la classe ou de l'école, voire à l'environnement scolaire ou à
l'administration. Les facteurs en jeu tendent à varier d'un pays à l'autre, rendant
difficile toute généralisation. Les raisons les plus souvent invoquées pour expliquer les
absences70 sont les problèmes de santé, les raisons familiales (incluant maladie, décès,
70 Dans le cadre des enquêtes mariage ou naissance) et les grèves (Bonnet, 2007). Une autre raison souvent avancée
PASEC, la question était est le temps pris pour aller percevoir le salaire. D'autres motifs portent également sur
posée aux directeurs d'éco-
les : ils devaient choisir au l'engagement dans une autre activité économique pour compléter le salaire, la
maximum trois réponses
parmi un ensemble de pro-
poursuite d'études en vue d'accroître ses qualifications, le manque de motivation, ou
positions. encore le fait d'habiter loin de l'école.
L'absentéisme des enseignants serait également encouragé par leur implication dans
des activités secondaires. Les données du PASEC montrent qu'entre 23% (Mauritanie)
et plus de 70% (Tchad) des enseignants sont engagés dans une autre activité
rémunératrice qui, dans bien des cas, empiète sur les heures de préparation des cours,
voire sur les heures de classe.
Tableau 5.6 : Pourcentage des enseignants ayant une activité secondaire dans certains pays
du PASEC
30 % 51 % 23 % 24 % 72 % 28 %
Source : Bonnet (2007)
Dans de nombreux pays, la perception du salaire est une cause importante d'absence
des enseignants, notamment en zone rurale, même si là aussi il est assez difficile de
le quantifier précisément. A Madagascar, cette cause explique 13% des absences et
implique une absence variant entre 1,4 jour par mois en saison sèche et 1,8 jour par
mois en saison des pluies, avec de grandes variations d'une région à l'autre. Ainsi,
dans la province de Mahajanga, les jours d'absence dépassent en moyenne quatre
jours par mois en saison des pluies pour se situer légèrement en dessous de trois jours
en saison sèche (Banque mondiale / UNICEF, PETS novembre 2006 et mai 2007).
La faiblesse des moyens de communication, l'enclavement de nombreuses zones, les
problèmes de sécurité rendent la perception du salaire difficile et représentent un
enjeu de taille. Une situation similaire s'observe au Lesotho, où la plupart des
enseignants doivent aller collecter leur paye à la fin de chaque mois. Cela provoque
des absences pouvant aller jusqu'à trois jours, laissant parfois l'école avec un seul
instituteur, voire sans instituteur (Banque mondiale, 2007c). En Zambie, la gestion des
salaires se fait au niveau du district. Les maîtres travaillant en ville se voient
directement transférer leur salaire sur leur compte en banque. Quant à ceux travaillant
en milieu rural, ils sont généralement payés en liquide, au niveau du district. Dans les
zones reculées, en particulier, cela occasionne de longues périodes d'absence en
raison des difficultés de transport. En Erythrée, les services de paye sont fortement
déconcentrés, permettant aux instituteurs d'aller chercher leur salaire sans trop devoir
s'absenter. De plus, ils sont tenus de s'acquitter de cette tâche pendant leurs périodes
creuses ou après le travail. En Ouganda, comme au Malawi, les enseignants sont
payés directement sur leur compte bancaire, ce qui réduit les retards. Toutefois, en
milieu rural, il n'est pas toujours possible de disposer d'un compte bancaire à
proximité du lieu de travail. Il devient dès lors nécessaire de se déplacer (Banque
mondiale, 2007d,e). La situation se complique encore lorsque le paiement des salaires
prend du retard. Enfin, en Tanzanie, l'irrégularité de la paye poserait de sérieux
problèmes. Le transfert des salaires au niveau des districts est parfois retardé,
conduisant à des retards de paiement des enseignants. En outre, le fait que le jour de
paye n'est pas toujours connu contraint les enseignants à patienter, parfois toute une
semaine, au centre de paye dans l'attente de leur salaire.
Par ailleurs, plusieurs études ont mis en évidence une plus grande fréquence de
l'absentéisme chez les enseignants fonctionnaires que chez les enseignants
contractuels ou communautaires. Cette caractéristique se retrouve dans de nombreux
pays de la sous-région francophone (Bonnet, 2007 ; Michaelowa, 2002 ; Banque
mondiale, 2008). Michaelowa estime entre 1,5 et 2 le nombre de jours d'absence par
mois en moins pour les maîtres contractuels ou communautaires. Plusieurs raisons
peuvent être avancées pour expliquer cette observation. Premièrement, ces
enseignants sont souvent recrutés localement, ce qui limite les déplacements pour des
raisons familiales. Deuxièmement, les maîtres communautaires sont embauchés et
rémunérés directement par les parents d'élèves, ils sont donc sous la supervision
directe de leur employeur71 et ils n'ont pas besoin de se déplacer pour aller chercher
leur paye. Troisièmement, comme l'a noté Michaelowa (2002), certains de ces
enseignants présentent un fort désir de changer d'école et seraient, par là, plus
rigoureux dans le travail en vue d'obtenir une mutation. Quatrièmement et
dernièrement, les enseignants contractuels et communautaires ont, en moyenne,
beaucoup moins d'ancienneté que les enseignants fonctionnaires et seraient donc
plus motivés et enthousiastes que leurs collègues.
Il faut également évoquer le cas des absences non autorisées, qui correspondent à un
non-respect des règlements scolaires et de l'éthique professionnelle. A Madagascar,
les absences non autorisées représentent un quart des raisons les plus souvent
invoquées pour expliquer l'absence de l'enseignant. De plus, dans plusieurs pays, on
rapporte l'existence d'enseignants présents sur les lieux de travail, mais non en classe.
71 Les études sur la question En Ouganda, cela concerne un tiers des maîtres (Banque mondiale, 2008, 2007e). Ces
établissent en général un points mettent en lumière les problèmes de gestion et de suivi des enseignants au
lien négatif entre le contrôle
des parents et de la commu- niveau de l'école et de la communauté. Au niveau de l'école, il apparaît que les
nauté éducative (inspection) directeurs d'écoles sont eux-mêmes souvent absents, et parfois davantage que les
et l'absentéisme (Michaelowa,
2002 ; Habyarimana, 2006). enseignants. En Ouganda, le taux d'absentéisme des directeurs serait de 50%
Les causes multiples de l'absentéisme qui viennent d'être citées montrent qu'il n'y a
pas de solution simple à ce problème. Deux voies complémentaires s'offrent aux
responsables éducatifs : la première consiste à tenter de diminuer les absences quand
les causes sont liées à des mesures administratives ; la seconde vise à compenser les
absences pour éviter qu'elles nuisent au bon fonctionnement du système éducatif.
Cette seconde voie est particulièrement importante dans les pays qui sont confrontés
à des problèmes de pandémie.
Dans tout système éducatif, il est courant de faire face à des absences des
enseignants. Bien sûr, ce phénomène peut être plus ou moins marqué selon les pays,
et la section précédente a montré que, dans la plupart des pays africains, le problème
revêt une certaine ampleur. Une première question est donc de savoir si les systèmes
éducatifs sont dotés de dispositifs efficaces qui permettent de procéder à des
remplacements lorsqu'une absence se produit. On dispose malheureusement de peu
d'informations sur ce thème, au-delà des constats d'absence évoqués précédemment.
Une étude réalisée en Mauritanie sur un échantillon restreint d'enseignants montre
que, dans environ 40% des cas, les enseignants absents ne sont pas remplacés
(Jarousse et Suchaut, 2002). Les auteurs observent également « des différences
régionales relativement importantes qui illustrent le fait que ce sont les régions
urbanisées, pour lesquelles les absences sont déjà les plus rares, qui se révèlent aussi
les plus à même d'organiser le remplacement des maîtres absents ». Les informations
sur la gestion des absences sont lacunaires ; or, cet aspect devrait faire l'objet d'une
attention particulière dans le cadre de la politique enseignante, car ses conséquences
sur le fonctionnement du système et sur son efficacité sont directes.
Ainsi, diverses mesures sont mises en œuvre dans les pays de la région pour réduire
l'absentéisme en agissant sur ses causes. Renforcer la supervision et le suivi des
enseignants et des directeurs est une priorité dans de nombreux pays. Il s'agit de
renforcer les mécanismes de contrôle et de supervision au niveau de l'école à travers
différentes mesures : (i) le renforcement des capacités des différents intervenants,
notamment les directeurs d'établissements et les parents d'élèves, dans le suivi des
enseignants, (ii) l’augmentation du nombre et de la qualité des inspections et (iii) la
sensibilisation de l'ensemble de la communauté éducative locale aux problèmes de
74 L'AGEMAD est l'application
l'absentéisme et de son impact. A Madagascar, dans le cadre du programme
à Madagascar de l'initiative AGEMAD74, le Ministère de l'Education a expérimenté une supervision plus
régionale en Afrique AGEPA.
Ce programme vise à amé-
rapprochée des élèves et des enseignants dans 15 circonscriptions scolaires ; il est
liorer la gouvernance du prévu de l'étendre à l'ensemble des 111 circonscriptions d'ici 2010. Le
secteur en instaurant des
mécanismes de suivi et de développement des « Contrats programme de réussite scolaire » (CPRS) peut
contrôle des tâches que sont également être un outil pertinent dans la gestion et le contrôle des enseignants et des
tenus de réaliser les différents
acteurs (publics, parents, élèves. Le CPRS met en relation l'ensemble des acteurs de la communauté scolaire _
etc.) impliqués dans le fonc- élèves, parents, enseignants, autorités scolaires, communauté _ en vue d'établir un
tionnement du secteur
éducatif. contrat autour de la réussite scolaire de l'élève. Le processus d'établissement du
La mise en œuvre de sanctions pour les absences répétées et non justifiées est
également une voie à considérer. Les retenues de salaire sont utilisées dans ce cadre
par certains pays. En Zambie, les autorités du district peuvent bloquer de manière
temporaire les salaires des enseignants absents, que ceux-ci soient versés en liquide
ou électroniquement. Toutefois, l'instauration des virements directs a conduit à limiter
la portée des sanctions, celles-ci mettant de nombreux mois à se concrétiser.
En Gambie, pour des raisons similaires, les sanctions sur salaire sont rarement
engagées : en 2006, on comptait 295 cas de sanctions sur les salaires pour 2 400
enseignants. Il n’empêche que la mesure semble efficace : une fois le salaire bloqué,
les enseignants en cause réapparaissent (Banque mondiale, 2007b). Parallèlement,
certains préconisent de développer des codes de bonne conduite à l'attention des
enseignants. Ces codes clarifient les attentes en termes de bonne conduite et de
performances. Ce type de document se serait montré utile dans la sensibilisation des
intéressés sur ces questions en Asie du Sud-Est (Hallak et Poisson, 2005, cités par
Patrinos et Kagia, 2007).
L'absentéisme est une question complexe aux causes multiples. Il n'y a ni solution
unique ni solution simple pour en réduire l'ampleur et les conséquences. Toutefois,
certaines mesures tendent à produire des résultats intéressants, même si les
informations disponibles sont encore trop parcellaires pour avoir une vision complète
du phénomène. Il s'agit d'une dimension importante de la politique éducative qui
mériterait une attention particulière dans le cadre de la gestion quotidienne du
système éducatif, mais aussi des études complémentaires afin d'en avoir une
meilleure compréhension.
La motivation des enseignants apparaît dès lors comme un enjeu majeur, car elle
influe directement sur la qualité des apprentissages, l'absentéisme et l'attrition des
enseignants. Cependant, il s'agit d'une dimension qui n'est pas très aisée à
appréhender. La mesure de la motivation reste, en effet, un exercice assez délicat.
Le PASEC cherche à apprécier cette dimension à travers la satisfaction professionnelle.
A la question « quel métier choisiriez-vous si vous deviez à nouveau refaire un choix
professionnel ? », ils sont près de 73% des enseignants à répondre qu'ils choisiraient
à nouveau le métier d'enseignant en Guinée. En revanche, ils sont à peine 40% dans
ce cas au Sénégal et 46% en Côte d'Ivoire (cf. tableau 5.7). Il y a donc des situations
relativement diversifiées selon les pays. La satisfaction dans l'emploi semble
également plus faible chez les enseignants fonctionnaires que chez les enseignants
contractuels ou communautaires (Bonnet, 2007).
Tableau 5.7 : Indication sur la satisfaction des L'enseignement primaire est aujourd'hui
enseignants en Afrique francophone perçu, par certains étudiants, comme une
profession de dernier recours, ou encore
% d'enseignants qui choisiraient comme un tremplin vers des niveaux
Pays
la même profession
d'enseignement plus élevés ou même vers
Burkina Faso 57 %
d'autres professions. Une enquête menée
auprès d'élèves de l'école de formation des
Cameroun 56 %
enseignants du Lesotho (Lesotho College of
Côte d'Ivoire 46 % Education) montrait que, parmi les futurs
Guinée 73 % enseignants destinés à l'enseignement
Madagascar 65,5 % primaire, un tiers d'entre eux auraient opté
Mali 65 % pour l'enseignement secondaire ou pour
Mauritanie 54 %
une autre profession : c’est faute de
qualifications initiales suffisantes qu’ils ont
Niger 59 %
dû s'orienter vers l'enseignement primaire.
Sénégal 41 % En Gambie, une enquête similaire révélait
Tchad 60 % que seuls 18% des futurs enseignants de
Sources : Bonnet, 2007 ; Michaelowa, 2002 l'école primaire déclaraient vouloir
initialement enseigner à ce niveau
d'enseignement. Dans la grande majorité, ils souhaitent poursuivre leurs études pour
pouvoir enseigner dans des niveaux plus élevés ou encore changer de profession
(18%). Par ailleurs, peu d'entre eux pensent s'engager à long terme dans la
profession : dans ce cas, ils ne sont que 43% en Gambie et 40% au Lesotho (Banque
mondiale, 2007b,c).
Dans une des rares études quantitatives sur la question en Afrique subsaharienne,
Michaelowa (2002), à partir des données du PASEC75, montre que la satisfaction des
enseignants est liée en partie aux conditions de travail. En effet, elle est négativement
affectée par le fait de devoir enseigner dans des classes à grand effectif, en milieu
rural et dans une école sans électricité. Par ailleurs, comme cela a été souligné dans
le chapitre précédent, au-delà du diplôme de fin de second cycle secondaire
(baccalauréat), le niveau d'études de l'enseignant a un impact non négligeable et
négatif sur la satisfaction de l'enseignant. Une explication plausible est le décalage
existant entre les aspirations professionnelles de ces enseignants et les réalités du
métier. Un autre résultat obtenu par l’auteure réside dans le rôle limité du niveau de
salaire sur la satisfaction des enseignants. Sans négliger le rôle que tient le salaire, ce
75 Ces données portent sur le résultat montre qu'il n'est pas suffisant à assurer la satisfaction des enseignants, et
Burkina Faso, le Cameroun,
la Côte d'Ivoire, Madagascar
invite donc à adopter une perspective plus large quand on traite de la motivation des
et le Sénégal. enseignants, notamment dans le cadre de l'évolution de carrière.
Un des moyens pour agir sur la motivation et réduire les phénomènes d'absentéisme
et d'attrition est d'offrir aux enseignants des structures de carrière attractives. Outre
la rémunération, qui reste un enjeu majeur du dialogue social, les possibilités de
promotion et de développement personnel et professionnel de l'enseignant sont
importantes. Sur ce plan, les spécialistes estiment que le développement
professionnel des enseignants doit être considéré comme un processus continu qui
débute avec la formation initiale de l'enseignant et s'achève quand celui-ci prend sa
retraite (Villegas-Reimer, 2003). Cette approche implique des évolutions majeures des
politiques de formation et de promotion des enseignants existantes.
L'un des obstacles majeurs en ce qui concerne la carrière des enseignants est le
manque d'opportunités de promotion. Automatiques au sein d'un même grade, elles
le sont rarement d'un grade à l'autre et encore moins lorsqu'il s'agit d'accéder aux
postes promotionnels (maître senior, directeur adjoint et directeur, conseiller
pédagogique, etc.). Cette situation tient au nombre limité de postes disponibles et
aux processus de promotion qui sont souvent concurrentiels, même si le peu de
transparence de ces processus est un problème récurrent dans de nombreux pays et 76 La Zambie fait exception, car
que l'objectivité des décisions est parfois mise en cause. Le nombre de postes la performance des ensei-
gnants y est un critère expli-
promotionnels est réduit étant donné la structure pyramidale des emplois du système cite dans la sélection du
candidat. Ce pays dispose
scolaire. En Zambie, 83% des enseignants à l'école primaire sont employés au niveau d'un système d'évaluation
de base, 8% comme enseignants seniors, 4% comme directeurs adjoints et 5% des enseignants caractérisé
par une évaluation annuelle
comme directeurs. par le directeur de l'établis-
sement et par un officier
représentant le Ministère au
Du reste, il n'est probablement pas très pertinent d'envisager comme objectif ultime niveau du district.
du système de promotion des enseignants l'accès à des fonctions administratives. En 77 L'évaluation par plusieurs
effet, il est tout de même préférable de considérer que l'objectif est bien de conserver personnes, si elle est bien
encadrée, comme dans le
des enseignants motivés dans les salles de classe. Dans ce sens, les enseignants cas du recrutement présenté
peuvent légitimement anticiper des augmentations de salaire tenant compte de leur au début de ce chapitre, per-
mettrait d'encadrer ce type
expérience, de l'augmentation de leurs qualifications et du travail réalisé auprès de de promotion.
leurs élèves. Cela implique que la grille salariale prévoie des évolutions en fonction de
critères précis. A l'heure actuelle, dans la plupart des pays, les enseignants employés
par l'Etat sont payés selon les grilles salariales de la fonction publique, grilles
constituées de différents grades et d'une série d'échelons (généralement entre 7 et
10) au sein de chacun d'eux. Le niveau de salaire initial dépend en général du niveau
de diplôme : plus la personne est diplômée, plus elle intègre la fonction avec un grade
élevé et, partant, avec un salaire important. Les augmentations de salaire qui suivent
se font annuellement de manière automatique, jusqu'à ce que le plafond du grade
soit atteint. Une fois le plafond atteint, l'étape suivante consiste en une promotion
pour accéder à un autre grade, correspondant à des grades intermédiaires au sein
d'un même statut, ou encore à des postes d'enseignants seniors, de directeurs
adjoints ou de directeurs. Dans le cas d'absence de promotion, le salaire plafonne.
Dans la plupart des pays, la grille des salaires est peu évolutive. Les augmentations de
salaire d'un enseignant qualifié sont faibles au sein d'un même grade, variant entre
11% et 18% sur une période de 7 à 10 ans dans 5 pays anglophones d'Afrique. Les
écarts sont plus sensibles quand on change de grade. Ainsi, un directeur dans le grade
le plus élevé gagne 2,4 fois plus qu'un maître qualifié en Ouganda et 3 fois plus en
Zambie. Le Malawi fait exception, marqué par une échelle des salaires
particulièrement ouverte, puisqu'un directeur dans le plus haut grade y gagne
presque neuf fois plus qu'un enseignant qualifié. Il est évident que ce type de
structure de rémunération incite les enseignants à aller vers les postes d'encadrement
plutôt qu'à rester dans leurs classes. C'est un aspect sur lequel les politiques
enseignantes devraient être attentives, car il convient que la promotion dans le corps
enseignant incite au maintien dans les classes.
Par ailleurs, il devient urgent, comme cela a déjà été mentionné, de traiter la question
de la gestion des carrières des enseignants non fonctionnaires (communautaires ou
contractuels). Bien qu'effectuant des tâches similaires aux enseignants fonctionnaires,
les non-fonctionnaires opèrent sous des conditions d'emploi beaucoup plus précaires
que celles de leurs homologues, que ce soit dans le domaine de la rémunération, de
la sécurité de l'emploi, des opportunités de promotion, ou encore de l'accès aux
formations. Dans l'ensemble, peu de cas est fait de leur sort. Or, il est essentiel
d'accompagner ces personnes et de les « intégrer » au moyen d’activités régulières
de formation continue. Leur offrir de réelles perspectives de carrière, au même titre
que les enseignants fonctionnaires, est une nécessité si l'on ne souhaite pas voir
s'effriter peu à peu leur motivation. Des initiatives sont prises dans ce sens dans
plusieurs pays. On notera l'initiative prometteuse lancée à Madagascar par le
Ministère de l'Education, qui travaille sur la mise en place d'un plan de carrière des
enseignants non fonctionnaires avec des niveaux de qualification progressifs et une
augmentation correspondante de leur rémunération (sans toutefois atteindre le
niveau de salaire des enseignants fonctionnaires). A partir de 2012, les augmentations
Les gouvernements doivent surveiller les taux d'attrition de près pour évaluer
correctement les coûts cachés qui résultent de la perte d'enseignants, en particulier
ceux liés aux effectifs d'enseignants non fonctionnaires, dont les taux d'attrition
supérieurs à la moyenne ne sont pas toujours pris en compte dans les analyses
coûts/avantages. Dans certains pays, réduire les taux d'attrition de 1% seulement
suffirait à obtenir les effectifs supplémentaires d'enseignants requis pour accomplir
l'objectif de l'enseignement primaire universel. Inciter financièrement les enseignants
performants à ne pas abandonner l'enseignement serait assurément moins onéreux
que former beaucoup de nouveaux enseignants.
Attirer et retenir des enseignants motivés passe ainsi par la mise en place de politiques
enseignantes qui abordent la profession d'enseignant dans son ensemble. C’est à
chaque pays de mener les réformes nécessaires en contrebalançant les ressources avec
les nécessités locales (OCDE, 2005). Il apparaît clairement ici que le développement
professionnel des enseignants n'a rien d'accessoire. Outre le fait qu'il répond aux
aspirations professionnelles des enseignants, et peut donc favoriser l'émergence de
consensus sociaux dans les systèmes éducatifs souvent en proie aux crises, le
développement professionnel des enseignants apparaît aussi comme un facteur
d'efficacité des systèmes éducatifs de nature à contribuer à l'atteinte de la SPU.
professionnel stimulant avec l'accès à des formations tout au long de leur parcours
professionnel. En outre, la mobilité géographique peut être un facteur déterminant
pour de jeunes enseignants qui se voient affectés en début de carrière dans des zones
reculées. Traiter séparément ces différentes dimensions, comme on le fait à l'heure
actuelle dans la plupart des systèmes éducatifs africains, ne peut qu'aboutir à des
politiques peu efficaces, voire contreproductives, dans la perspective de la SPU.
Autrement dit, dans un contexte économique difficile caractérisé par un manque de
ressources dans la plupart des pays, sans évaluation globale de l'impact et du coût des
différents leviers pouvant être actionnés par la politique éducative, on ne peut guère
faire le pari que les solutions au défi enseignant surgissent miraculeusement.
Conclusion
s'agisse des réflexions pédagogiques touchant à la
qualité des apprentissages, des questions sociales liées
au caractère plus ou moins équitable de l'offre
d'enseignement en quantité et en qualité sur le
territoire, ou des interrogations sur la soutenabilité
financière des efforts qu'il reste à accomplir en matière
de recrutement pour la seule atteinte de la SPU.
Le retard accumulé au chapitre de la scolarisation, le
niveau encore très élevé de la croissance démographique,
Le défi quantitatif, s'il est important (2,4 millions de nouveaux enseignants à recruter
d'ici l'atteinte de la SPU dans les 41 pays étudiés ici), pourra être relevé dans la plupart
des pays à condition de maintenir, sur l'ensemble de la période, les niveaux de
recrutement qui ont été observés entre 2000 et 2005. Dans un contexte marqué par
une multitude de contraintes physiques, économiques, financières, sociales, ce constat
positif est en lui-même porteur d'espoir. Cependant, réussir sur une longue période ce
qui a été possible dans les premières années suivant le Forum de Dakar demeure un
véritable défi. La période 2000-2005 correspond, en effet, à une expansion sans
précédent des recrutements et des scolarisations en Afrique sous l'effet conjugué d'une
forte mobilisation des Etats et des bailleurs, et d'une remise en cause profonde des
politiques enseignantes. S'il n'a pas été possible ici de séparer l'effet de chacune de ces
deux causes, on a pu néanmoins mettre clairement en évidence les changements
intervenus dans les politiques enseignantes, notamment les efforts accomplis pour
augmenter sensiblement les recrutements tout en s'efforçant de contenir la masse
salariale. Le prolongement de ces efforts tant au niveau national qu'international
constituera donc une nécessité pour l'atteinte de la SPU. Comme nous avons pu le voir,
il ne peut s'agir simplement de prolonger les activités conduites dans l'urgence, mais de
traduire les nouvelles orientations prises dans la dynamique de l'après-Forum dans des
politiques construites et pérennes.
Dans chaque pays, cette hétérogénéité est porteuse de tensions et mérite qu'on
s'efforce de la réduire. Ces nouveaux statuts, parfois définis dans l'urgence, ont eu
tendance dans de nombreux pays à concentrer l'essentiel des recrutements, ce qui a
rendu ces nouveaux enseignants majoritaires dans certains pays. La coexistence de
statuts différenciés impliquant des écarts importants de rémunération est une source
majeure de tensions. Déjà, certains gouvernements remettent en cause ces politiques
sous la pression de ces nouveaux enseignants, qui aspirent tous aux meilleures
rémunérations de leurs collègues. Il y a donc clairement une urgence à gérer
l’hétérogénéité des statuts, qui est d'ores et déjà à l'origine de conflits sociaux. Il faut
aussi considérer la question, parfois numériquement importante, des maîtres
communautaires, dont les niveaux de rémunération sont parfois extrêmement bas. A
l'évidence, si le salaire (relatif) moyen actuel toutes catégories confondues constitue
plus ou moins la référence pour la poursuite de l'effort de recrutement nécessaire à
l'atteinte de la SPU dans de nombreux pays, le défi à venir est, au regard de cette
référence, de parvenir à définir de véritables politiques enseignantes qui intègrent ces
nouveaux enseignants dans un cadre professionnel complet.
L'urgence est, en effet, à une recomposition du corps enseignant autour d'une réelle
professionnalité comprenant des critères de sélection explicites, une définition claire
des perspectives d'évolution salariale et éventuellement statutaire, mais également
une formation professionnelle, qui reste l'élément le plus négligé des politiques
récentes. Le rappel dans cet ouvrage des résultats disponibles en matière d'évaluation
des apprentissages des élèves ne donne pas de clé évidente quant à la normalisation
de ces différentes dimensions. On a pu cependant constater qu'une sélection initiale
sérieuse des enseignants était indispensable pour éviter le recrutement de ceux qui ne
présentent manifestement pas le niveau requis. Ces résultats ont également permis
de montrer que, dans les limites précédentes, le recours à des enseignants non
fonctionnaires n'avait pas conduit, au moins à court terme, au constat de leur
moindre capacité à faire progresser les élèves. Ils ont surtout souligné la faiblesse des
connaissances actuelles sur l'efficacité des nombreuses autres options de formation
professionnelle. Si l'ampleur du défi porte plutôt à privilégier des formes mixtes de
formation présentielle, d'enseignement à distance et d'encadrement de proximité, on
manque d'éléments factuels permettant d'en définir plus précisément les modalités
et les contenus.
Parmi ces éléments, il en est un qui mérite une attention particulière : la gestion
administrative et pédagogique des enseignants. Dans l’optique de mettre en place de
véritables politiques enseignantes dans lesquelles seraient définies les conditions de
recrutement, d'affectation, de mobilité et de gestion des carrières individuelles, le
renforcement de la gestion administrative des enseignants est clairement une priorité.
Il y a là de réels progrès à effectuer, comme en témoignent les incohérences observées
aujourd'hui en matière d'affectation dans nombre de pays, en particulier les
sureffectifs fréquemment observés dans les écoles des zones urbaines.
Cette mobilisation, menacée par le contexte de crise mondiale, doit au moins être à
la hauteur des transformations importantes, socialement lourdes, que de nombreux
Etats ont mises en place et qu'il convient aujourd'hui de gérer de façon durable.
Au-delà de la dimension financière, il y a clairement un besoin d'accompagnement
technique afin de développer dans chaque pays les analyses et outils nécessaires à ces
nouvelles politiques. Cela concerne, on l'a vu, l'amélioration de la connaissance de la
population enseignante et des besoins de recrutement ; cela concerne également les
efforts d'évaluation indispensables à la recherche de pratiques administratives et
pédagogiques visant, de façon ultime, l'amélioration des apprentissages. Cette
mobilisation devrait se concrétiser au niveau des plus hautes instances de suivi de
l'EPT par la définition d'un plan d'action assorti de propositions concrètes et qui
s'accompagnerait d'un comité de suivi. Elle devrait également contribuer à
l'opérationnalisation de l'Initiative de l'UNESCO pour la formation des enseignants en
Afrique subsaharienne (TTISSA), qui pourrait jouer un rôle moteur dans la promotion
et le partage des connaissances sur la question enseignante.
Les mesures relatives aux enseignants mises en place dans l'urgence au début des
années 2000 pour répondre au défi de l'EPT appellent aujourd'hui des solutions
pérennes. Les tensions qui s'observent dans certains systèmes éducatifs illustrent les
limites de politiques souvent fragmentaires qui n'ont pas toujours su traiter la
question du développement professionnel des enseignants et leur donner des
perspectives. Il ne faut pas non plus sous-estimer la pression des revendications
salariales, qui semble inciter des gouvernements à remettre en cause certaines
mesures relatives au statut. Plus que jamais, il est nécessaire de construire des
consensus nationaux et internationaux sur la question enseignante afin qu'elle soit un
moteur et non un obstacle pour l'atteinte de la SPU. Ces consensus ne seront pas
aisés à construire. L'amélioration de la connaissance de la question enseignante est
incontestablement une voie à privilégier pour favoriser le dialogue.
TNS=100% et
Cible générale TNS=100% TBS=100% TNS=100% TAP=100% TAP=100%
TBS=100%
Hypothèse implicite
10% ou 0,5*taux 0,25*taux Actuel si <10%, Actuel si <10%,
Redoublement Pas d'hypothèse basée sur les ten-
spécifique du pays spécifique du pays sinon 10% sinon 10%
dances passées
Ratio élèves-enseignant Actuel si ≤40:1, 0,85*REE de départ Actuel, 40:1 Actuel, 0,9*REE de Actuel si <40:1,
40:1
(REE) sinon 40:1 pour 2000 et 30:1 départ pour 2015 sinon 40:1
Ne prend pas
Estimation de la Estimation de la Estimation de la
Source de données Estimation Banque en compte la Estimation Banque
DPNU‡, révision DPNU‡, révision DPNU‡, révision
de population mondiale croissance de mondiale
2004 1998 2002
la population
Attrition 5/6, 5/8 Taux national Pas d'hypothèse Pas d'hypothèse Pas d'hypothèse Pas d'hypothèse
Pays Année Ensemble Publics Ensemble Publics Ensemble Publics Ensemble Publics
Burkina Faso 2006 30 723 26 092 46 259 39 509 67 713 58 245 90 671 78 552
Burundi 2006 25 363 24 704 34 264 32 682 41 743 38 966 61 335 56 315
Cameroun 2006 67 081 48 320 73 456 53 631 85 307 63 359 93 193 70 433
Comores 2005 3 050 2 615 4 003 3 432 4 753 4 075 4 968 4 259
Côte d’Ivoire 2007 51 900 42 662 65 085 53 750 82 079 68 317 100 042 83 928
Erythrée 2006 7 711 6 918 12 072 10 811 19 398 17 348 25 616 22 901
Ethiopie 2006 200 885 185 275 267 890 243 202 347 112 310 060 470 853 415 474
Guinée Bissau 2006 5 479 4 109 5 905 4 495 7 917 6 142 10 965 8 671
Madagascar 2006 76 831 57 024 83 817 63 307 86 175 66 556 94 420 74 607
Malawi 2007 42 330 40 612 46 025 43 235 47 998 43 977 73 176 66 213
Mali 2006 28 964 15 341 39 655 21 685 50 536 28 805 68 584 40 819
Mauritanie 2006 11 252 9 738 12 025 10 299 14 010 11 855 16 752 14 021
Mozambique 2006 61 932 59 761 67 474 64 274 82 462 77 564 106 838 99 610
Niger 2006 28 163 27 059 47 072 45 093 71 350 68 097 94 992 90 324
Ouganda 2005 139 641 124 086 156 403 139 352 186 317 166 636 257 921 231 827
République centrafricaine 2008 6 000 5 040 7 397 6 238 11 542 9 857 18 040 15 695
Rwanda 2004 28 254 27 633 32 951 31 688 38 795 36 865 48 574 45 696
Sénégal 2006 37 767 31 932 46 915 39 685 57 111 48 339 66 899 56 658
Soudan 2005 113 094 91 385 167 561 131 614 217 107 165 848 252 456 187 644
Tchad 2005 19 989 12 569 30 453 19 826 39 493 26 654 54 208 37 979
..........>
Pays Année Ensemble Publics Ensemble Publics Ensemble Publics Ensemble Publics
Algérie 2005 171 471 171 471 159 832 159 832
Botswana 2004 12 717 11 733 12 273 10 998
Egypte 2007 368 785 335 779 377 220 341 308
Kenya 2005 153 678 ND 199 647 ND
Maurice 2006 5 598 4 137 5 542 4 096
Tunisie 2005 59 252 58 342 53 302 51 548
Source : Calcul des auteurs à partir des données de l'ISU et des données nationales
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