Femmes: Prennent La Parole

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Courrier

LE

D E L’ U N E S CO juillet-septembre 2020

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Les femmes
prennent la parole
• Les femmes, héroïnes de l’ombre, entretien avec Phumzile Mlambo-Ngcuka
• Pour un nouveau pacte social en Amérique latine par Karina Batthyány
• La crise sanitaire, terreau de la désinformation par Diomma Dramé
• Les musées, arme de résilience massive par Sally Tallant
• Une occasion de réinventer l’école par Poornima Luthra
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Carolina Rollán Ortega Portugais : Ivan Sousa Rocha et n’engagent en aucune façon l’Organisation.
Courrier
LE

Sommaire
D E L’ U N E S C O

GRAND ANGLE Éditorial


Un monde différent ? Moins inégalitaire ? Plus respectueux
Les femmes prennent la parole 4 de la planète ? Dominé par les nouvelles
technologies ? Le monde qui sortira
Ce que la crise sanitaire dit de nous. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6 de la crise sanitaire portera les stigmates
Ekaterina Schulmann de cette expérience collective inédite
qu’a été le confinement quasi généralisé
La pandémie, miroir de nos fragilités. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9
imposé pour endiguer la pandémie
Kalpana Sharma de Covid-19. Mais sera-t-il vraiment
Les musées, arme de résilience massive. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12 différent ? Et de quelle manière ?
Sally Tallant Beaucoup a été dit déjà. Les spécialistes
se relaient dans les médias depuis des
Une occasion de réinventer l’école. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15 mois pour alimenter la réflexion. Ils ont
Poornima Luthra en commun, dans leur grande majorité,
« Les femmes restent les héroïnes de l’ombre de cette crise ». . . . 18 d’être des hommes.
Entretien avec Phumzile Mlambo-Ngcuka Qu’elles soient infirmières, aides-soignantes
Pour un nouveau pacte social en Amérique latine. . . . . . . . . . . . . . . . 21 ou enseignantes, les femmes se sont
Karina Batthyány trouvées en première ligne dans la lutte
contre la pandémie. Frappées de plein
La crise sanitaire, terreau fertile de la désinformation. . . . . . . . . . . 24 fouet par la crise sociale, confrontées à
Diomma Dramé des violences domestiques amplifiées par
Recherche : « Cette épidémie sera un détonateur ». . . . . . . . . . . . . . . 27 le confinement, elles ont pourtant été peu
Entretien avec Nathalie Strub-Wourgaft entendues. Le Courrier de l’UNESCO leur
donne la parole. Politologues, journalistes,
Les populations autochtones à l’épreuve de la crise. . . . . . . . . . . . . . 29 sociologues, chercheuses, écrivaines
Minnie Degawan ou enseignantes dessinent les contours
Nouvelles frontières. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 32 de l’après-pandémie, qu’il s’agisse
de l’avenir des musées, des mutations
Ayelet Shachar
de l’école, des dérives de l’information
Écrire pour éclairer la nuit. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 34 ou encore des enjeux de la recherche.
Zhai Yongming Autant de sujets qui résonnent au cœur
du mandat de l’UNESCO et pour lesquels
l’Organisation s’est mobilisée pendant
ZOOM 36 la crise, en fournissant des données
sur la situation des écoles, en défendant
Carnets de voyages immobiles. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 37 une science ouverte, en diffusant
Photos : Douze photographes du projet des contenus contre la désinformation
Women Photograph The Journal ou encore en soutenant les systèmes
éducatifs et les industries culturelles.

IDÉES 46 Ce numéro trace un portrait en creux


de notre époque, souligne les lignes
de fracture que la crise sanitaire
Ces microbes et virus qui font l’histoire. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 46
a mises à nu et montre l’ampleur
Ana María Carrillo Farga
des défis à relever. Il souligne aussi
le potentiel de coopération scientifique,
NOTRE INVITÉ 48 culturelle, éducative que cet événement
inédit a révélé. Si les réflexions, le désir
Yuval Noah Harari : « Chaque crise de changement et les mouvements
d’entraide qui se sont manifestés
est aussi une opportunité ». . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 48
ne restent pas sans lendemain, le monde
pourrait réellement devenir plus solidaire,
DÉCRYPTAGE 54 plus durable et plus égalitaire.

Une crise de l’éducation sans précédent . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 55 Agnès Bardon


GRAND
ANGLE
Un monde différent ?
Les femmes
prennent la parole

 Francesca Palumbo, infirmière


à l’unité de soins intensifs
de l’hôpital San Salvatore à Pesaro
en Italie, photographiée en mars
après sa garde de 12 heures.
© Alberto Giuliani (@alberto_giuliani)
Ce que la crise sanitaire
dit de nous
Valeur supérieure accordée à la vie humaine, montée en puissance
du pouvoir sanitaire, médicalisation de nos existences, extension
de la puissance étatique : ces phénomènes ne sont pas nés de la
crise provoquée par la pandémie mais ils ont été révélés par elle.

Ekaterina Schulmann
Ce que la crise sanitaire qui vient ressentent comme le signe d’une violence
Professeure associée à l’École des sciences de frapper le monde révèle, c’est que étatique accrue – sont en fait le corollaire
économiques et sociales de Moscou (MSSES), les gouvernements ne peuvent plus de notre besoin de sécurité.
chercheuse associée au Programme Russie aujourd’hui se permettre de laisser libre La vie est devenue tellement précieuse
et Eurasie du Royal Institute of International cours à une épidémie : s’ils veulent assurer qu’aucun gouvernement au monde
Affairs (Chatham House, Londres). leur survie politique, il leur faut montrer ne peut se permettre des pertes humaines
qu’ils mettent tout en œuvre pour préserver considérées comme évitables par
S’il est trop tôt pour évoquer la vie humaine. la société. Il est à noter d’ailleurs que
les conséquences de la pandémie, nous
Autrefois, l’émergence et la propagation les États, qu’ils soient démocratiques ou
pouvons d’ores et déjà voir se dessiner des
d’une maladie comme le Covid-19 auraient autoritaires, ont pris des mesures assez
tendances qui ne sont pas nées de la crise,
été vécues comme une fatalité. Au regard similaires en termes de restrictions des
mais que cette dernière a rendues saillantes.
de nos exigences éthiques actuelles, ce n’est libertés. Ils ont en revanche adopté des
Les sociétés, les systèmes de gouvernance,
plus possible du fait de la valeur supérieure stratégies très différentes pour soutenir
les entreprises et les citoyens ne peuvent
accordée à la vie humaine. l’économie ébranlée par le choc de
réagir qu’avec les outils dont ils disposaient
l’épidémie et du confinement. L’économie
avant l’urgence. On a coutume de dire
moderne repose sur les services et non
que les généraux ont toujours une guerre Primat de la vie humaine sur l’exploitation de ressources. On peut
de retard. De ce point de vue, nous sommes
penser dès lors qu’il est rationnel de
tous, individuellement et collectivement, Au xxe siècle, les citoyens pouvaient
préserver les personnes – producteurs et
des généraux. admettre qu’on restreigne leur liberté,
consommateurs de services –, même si cela
au nom de grands idéaux ou d’objectifs
peut sembler peu rentable d’un point de
supérieurs : la victoire sur l’ennemi,
vue strictement économique à court terme.
la construction d’un ouvrage grandiose
ou encore la promesse d’un âge d’or. La culture humaniste a révélé au cours
Au xxie siècle, ce n’est pas la perspective de cette crise qu’elle était prête à céder
d’un avenir radieux qui les conduit sur la liberté au nom de la santé publique.
à accepter un recul de leur liberté, mais L’augmentation de l’espérance de vie,
bien la volonté d’éviter un grand nombre les progrès de la médecine, le culte de la
de victimes. Aujourd’hui, les contraintes vie saine ou encore le rôle de valorisation
que nous subissons – et que beaucoup narcissique des réseaux sociaux ont favorisé
ce phénomène.

Les contraintes que


© Victor Bogorad / Cartoon Movement

 « Les circonstances
nous subissons sont en
extraordinaires justifient
et légitiment, aux yeux des sociétés,
la surveillance et le contrôle,
fait le corollaire de notre
y compris dans les démocraties. »
besoin de sécurité
6  |  Le Courrier de l’UNESCO • juillet-septembre 2020
© Juan Manuel Castro Prieto / Agence VU

 « Cette tragédie commune a eu pour effet d’unir l’humanité autour d’une même cause. »

Médicalisation sommes habitués à nous soumettre aux supranational chargé de formuler


du quotidien détecteurs de métaux. On se souviendra ces recommandations et d’en contrôler
bientôt à peine du temps où consulter un l’application deviendra, s’il voit le jour,
Cet impératif de « sécurité », notion
médecin relevait du libre arbitre de chacun. un acteur important des relations
à entendre à la fois comme « survie »
Demain peut-être, les personnes atteintes internationales.
et « préservation de la santé », s’est traduit
de fièvre pourront être assignées à résidence
par une médicalisation de notre quotidien,
comme nous venons de l’être.
laquelle ne renvoie pas seulement Expérience commune
à la diffusion d’expressions et de pratiques La médicalisation du quotidien se traduit
médicales dans nos vies. Demain, cette aussi par un rôle accru, y compris dans Alors que le monde s’est brusquement
médicalisation pourrait bien s’étendre aux le champ politique, des services sanitaires. refermé sur lui-même, il n’a jamais été
processus politiques et à la gouvernance, Ce processus s’observe au niveau des États, aussi connecté. Cette tragédie commune
si la communauté internationale estimait par mais aussi à l’échelle mondiale : l’importance a eu pour effet d’unir l’humanité autour
exemple que le combat contre les maladies politique de l’Organisation mondiale d’une même cause. Une telle communion
nécessite le même niveau de coordination de la santé se mesure non seulement de destin ne s’est peut-être pas produite
que la lutte contre le terrorisme. au nombre de pays qui appliquent ses depuis la « course à l’atome », à cette
recommandations épidémiologiques, mais différence près qu’aujourd’hui les citoyens
Les connaissances médicales, et avec elles
aussi à l’âpreté de la résistance politique que sont beaucoup plus impliqués dans
les représentations pseudoscientifiques qui
suscitent ces recommandations. les événements.
prospèrent notamment en ligne, ont envahi
le langage courant et fait irruption dans Dans un avenir proche, la reprise C’est dans ces moments charnière que
notre quotidien. Plus personne ne s’étonnera du commerce international, du transport se forgent les alliances qui dessineront
bientôt de la présence d’appareils aérien et des voyages nécessitera le monde de demain, comme cela a été le
de mesure de la température dans les lieux l’élaboration d’un ensemble commun cas après les deux guerres mondiales qui ont
publics, de la même manière que nous nous de règles et de restrictions. L’organe secoué le xxe siècle. Qui en sortira gagnant ?

GRAND ANGLE  •  Ce que la crise sanitaire dit de nous   |  7
 Quels pourraient être les nouveaux
membres d’un Conseil de sécurité antivirus ?
Il est trop tôt pour le dire.
C’est dans ces moments
Mais ce qui est sûr, c’est que les pays
industrialisés devront assumer une
charnière que se forgent
responsabilité accrue pour pallier
les carences des systèmes de santé les alliances qui dessineront
le monde de demain
des pays plus pauvres, faute de quoi
les efforts consentis pour lutter contre
une pandémie seront vains. Les effets
bénéfiques de mesures drastiques comme
le confinement seront en effet annulés si
un nouveau foyer se déclare dans un pays comment des circonstances extraordinaires De plus, la frontière entre le temps de travail
incapable de contenir une épidémie. justifient et légitiment, aux yeux des et le temps personnel, entre l’espace
sociétés, la surveillance et le contrôle. de travail et l’espace de vie, tend à s’effacer.
Nous venons de connaître une « expérience
Cela vaut aussi pour les régimes Un tel phénomène porte atteinte aux droits
commune », c’est-à-dire vécue et partagée
démocratiques. L’épidémie risque d’éroder chèrement acquis par les mouvements
au même moment par un très grand
encore la protection de la vie privée. sociaux et syndicaux aux xixe et xxe siècles.
nombre, comme l’avait été il y a près
Dans les démocraties au moins, des contre- Il nous ramène – à un niveau technique
de vingt ans l’effondrement des tours
pouvoirs existent pour limiter cette intrusion certes nouveau – à une situation antérieure,
jumelles de New York.
dans nos données. Il n’en va pas de même lorsque les relations entre employés
Les attentats du 11 septembre ont dans les régimes autocratiques. et employeurs étaient peu réglementées,
marqué un tournant. Après cette date, que le travail s’effectuait souvent à domicile
La menace est d’autant plus réelle qu’en
des pouvoirs étendus ont été accordés et était rémunéré à la pièce.
temps d’épidémie, tout favorise la puissance
aux services de sécurité et la surveillance
de l’État. À commencer par la crise Pendant cette période inédite, les salariés
des citoyens a été renforcée. Des pratiques
économique générée par la crise sanitaire, se sont aussi trouvés obligés d’assurer des
telles que l’installation de caméras dans
qui fait des entreprises et institutions fonctions de service normalement remplies
les lieux publics, l’utilisation de logiciels
publiques quasiment les seuls employeurs par d’autres, comme la garde d’enfants,
de reconnaissance faciale ou le recours
solvables. La crise renforce aussi l’État les soins aux personnes âgées, la cuisine ou
à des systèmes d’écoute des conversations
providence, qui agit comme un filet certaines tâches domestiques. La crise a mis
se sont généralisées suite à ces attentats.
de sécurité transformant peut-être demain en évidence ce travail de service invisible
Notre quotidien, et notamment nos voyages
les travailleurs en bénéficiaires d’un revenu et non rétribué, désigné parfois comme
en avion, avec leur cortège de contrôles
universel. un « second PIB », généralement assuré par
que nous considérons désormais comme
les femmes. La crise sera peut-être l’occasion
normaux, s’en est également trouvé changé.
Travail invisible de débattre de la nécessité de rémunérer
ces formes de travail invisible.
Plus de surveillance, Pendant que le monde était confiné, des C’est toujours à la faveur de grandes
moins de liberté millions de personnes ont pu se rendre
compte que le télétravail, sous toutes
catastrophes que le système des relations
internationales s’est réorganisé. La Première
Pendant cette crise, certains États ont les formes, est plus bénéfique pour Guerre mondiale a donné naissance
profité de l’épidémie liée au coronavirus l’employeur que pour l’employé. Grâce à la Société des Nations, la Seconde
pour étendre légalement leurs pouvoirs à cette nouvelle organisation du travail, à l’Organisation des Nations Unies.
en matière de surveillance et d’utilisation les frais de chauffage, d’entretien, de loyer Sur la base d’une expérience commune,
des données des citoyens. Nous voyons ainsi voire de matériel incombent à l’employé. l’humanité s’est unie et a conçu pour
elle-même de nouveaux instruments,
de nouveaux mécanismes de gouvernance.
De nouvelles instances pourraient naître
de la crise actuelle.
Contrairement à d’autres tragédies passées
qui opposaient les hommes entre eux,
la pandémie nous confronte à un virus.
Nous n’avons donc personne à haïr. Face
à cette crise, nous n’avons finalement d’autre
choix que de nous montrer solidaires.
© Magali Lambert / Agence VU

 « La crise a mis en évidence le travail


de service invisible et non rétribué,
généralement assuré par les femmes. »
Photo de la série « À domicile », prise en mars.

8  |  Le Courrier de l’UNESCO • juillet-septembre 2020


La pandémie,
miroir de nos fragilités
Inégalités sociales, violences de genre, mal-logement, systèmes de santé
défaillants : la crise sanitaire a mis à nu les fractures qui divisent nos
sociétés. Pour changer de monde, il faudra relever des défis auxquels
nous n’avons pas su faire face jusqu’ici.

Kalpana Sharma

© Anindito Mukherjee
Journaliste indépendante, chroniqueuse
et écrivaine basée à Mumbai. The Silence and
the Storm : Narratives of violence against women
in India est son dernier ouvrage.

Si en scrutant l’horizon on arrive à distinguer


à l’œil nu un minuscule bateau de pêche,
on se rend compte que quelque chose a
changé. L’habituel nuage brun suffocant a
disparu. L’air est pur et le ciel est d’un bleu
dont on avait oublié l’existence.
Le monde a changé en 2020. Un nouveau
virus a littéralement fait suffoquer
la planète. Chaque jour, l’incertitude grandit,
les contaminations se multiplient et les
inquiétudes pour l’emploi et l’économie
augmentent face à une maladie
contre laquelle il n’existe pas (encore)
de traitement.
Rien ne pouvait nous préparer à cet
inattendu. Mais s’il y a une leçon à tirer,
 L’annonce du confinement en Inde s’est
c’est que les pays ayant investi pour que traduite par un exode massif de travailleurs
leurs citoyens puissent bénéficier de soins migrants. New Delhi, mars.
de santé abordables et accessibles sont Lignes de fracture
aujourd’hui les mieux armés pour faire face
à cette crise sanitaire. Alors que le virus ne choisit pas ses victimes, population, soit 1,3 milliard de personnes,
nos sociétés reproduisent les vieilles pour endiguer la propagation du Covid-19.
La nature contagieuse, mortelle et rapide discriminations à l’encontre de « l’autre », Des milliers d’hommes et de femmes,
de ce nouveau virus permettait d’espérer qu’il s’agisse d’un individu d’une autre abandonnés à leur sort dans les villes où ils
que les nations et les populations feraient religion ou d’une autre race. Loin d’effacer avaient migré en quête de travail, ont perdu
front commun pour le combattre. Il a au la haine et les préjugés, l’épidémie a leur emploi quand l’économie s’est arrêtée.
contraire mis à nu les fractures qui divisent malheureusement tendance à les exacerber. Privés de revenus et dépourvus de filet
nos sociétés.
L’autre fracture est celle de l’inégalité. de sécurité, ils n’ont eu d’autre choix que
La crise actuelle permet d’observer plus que de regagner à pied leur village situé à des
jamais ce que l’économiste français Thomas centaines de kilomètres.
Piketty appelle « la violence des inégalités ».
Le monde
Cette marche forcée dans la chaleur, avec
Les personnes en bas de l’échelle, privées peu de nourriture et d’eau, a été fatale à un
de toute protection sociale, se débattent grand nombre d’entre eux. Les images

a changé
pour rester à flot face à cette pandémie
de cet exode de migrants ruraux montrent
mondiale.
combien, dans une situation d’urgence
sanitaire de ce genre, des modèles injustes
en 2020
En Inde, cette « violence des inégalités » a
pris ces derniers mois une forme tragique, de développement économique exacerbent
suite au confinement de l’ensemble de la leur souffrance.

GRAND ANGLE  •  La pandémie, miroir de nos fragilités  |  9


 La troisième fracture, qui divise chaque
société, mais qui est particulièrement
frappante en temps de crise, est celle
du genre. De nombreuses femmes
Rien ne laisse augurer que
sont confinées avec leur agresseur, une
situation qui leur offre peu de voies
de fuite. Mais ce phénomène ne reçoit
nous ne recommencerons
pas l’attention qu’il mérite. Serait-ce parce
que cette violation des droits de millions
pas à vivre au-dessus
de femmes à travers le monde a lieu aussi
en temps « normal » ? de nos ressources
Pauvreté urbaine
Dans bon nombre de pays, le virus
a touché plus durement les villes.
les petites industries, comme aides illusoire. L’absence d’eau courante y
Les logements surpeuplés et souvent
ménagères ou aides à domicile et dans rend impossibles les mesures d’hygiène
insalubres ont été propices comme le lavage fréquent des mains
bien d’autres secteurs, constituent
à la propagation de la maladie. les piliers de nos villes. La plupart d’entre et la désinfection des surfaces.
La mauvaise qualité de l’infrastructure eux sont mal payés et vivent dans des
de santé publique fait que les individus Les logements sociaux ont rarement
zones urbaines pauvres et densément
qui vivent dans de telles conditions ont été une priorité dans nos villes. Nous
peuplées, où il n’y a pas l’eau courante
peu de chances de survivre à la pandémie, en voyons les conséquences aujourd’hui
et où les installations sanitaires sont
en particulier dans les pays les plus en constatant le nombre accablant
déficientes.
pauvres. de nouveaux cas qui sont enregistrés
Il est impossible d’y contrôler dans certains des quartiers les plus
Ces hommes et ces femmes, qui sont la propagation du virus, le manque pauvres des villes, que ce soit à Mumbai
employés dans le tertiaire, la construction, d’espace rendant la distanciation physique ou à New York.

 Un homme qui n’a pas pu retourner dans son village observe le jeûne du Ramadan à côté de son échoppe fermée du Vieux Delhi.
© Anindito Mukherjee

10  |  Le Courrier de l’UNESCO • juillet-septembre 2020


© Anindito Mukherjee

 Connaught Place – l’un des centres financiers et commerciaux de New Delhi – désert au premier jour du confinement.

Une bonne nouvelle de nos systèmes de santé. Les pays, les États Le Covid-19 nous a obligés à ralentir.
en trompe-l’œil fédéraux et les provinces qui ont affiché
les meilleurs résultats face à cette crise sont
Mais une fois que nous aurons surmonté
cette crise, assisterons-nous à l’émergence
C’est vrai, le Global Energy Review 2020, ceux qui avaient investi dans un système d’un nouvel ordre mondial ? Prendrons-nous
principal rapport de l’Agence internationale de santé publique de qualité. conscience de la précarité de l’existence
de l’énergie (AIE) publié en avril, prévoit une de millions d’entre nous ? Entendrons-nous
Le second défi exige de remédier aux la voix des femmes et des populations
baisse record des émissions de carbone
inégalités enracinées dans nos sociétés, car les plus vulnérables une fois que les bruits
de près de 8 % cette année. C’est une bonne
les meilleurs systèmes sont voués à l’échec de l’activité humaine auront repris ?
nouvelle. Sauf qu’il s’agit de la conséquence
dans une société inégalitaire. Il s’agit
heureuse d’une crise malheureuse, et non Il n’existe pas de réponse simple à ces
évidemment d’un projet à long terme
du résultat de mesures de lutte contre questions. Mais il est temps de se les poser.
qui ne peut être mis sur pied du jour au
les dangers bien réels du changement Il est temps pour nous de comprendre que
lendemain. Mais que l’économie d’un pays
climatique. la disparition du ciel bleu n’est pas une
soit solide ou fragile, si l’inégalité systémique
Le Covid-19 a changé nos vies, mais il y règne, les crises auront raison des faibles fatalité.
n’a rien changé. Rien ne laisse augurer et des vulnérables.
que, une fois cette crise passée, nous
Comme disait le Mahatma Gandhi : « Il y a
ne recommencerons pas à vivre au-dessus
assez de tout dans le monde pour satisfaire
de nos ressources. Peu d’éléments indiquent
aux besoins de l’homme, mais pas assez
qu’il existe des plans concrets visant
pour assouvir son avidité. » Or, c’est l’avidité
à réorganiser de manière permanente nos
qui a alimenté nos économies lorsque
villes, par exemple pour que les pauvres
les frontières ont perdu de leur efficacité
puissent vivre dans la dignité, ou privilégiant
face aux appétits consuméristes mondiaux.
les transports publics écologiques.
C’est également elle qui menace l’avenir
De nombreux défis nous attendent, de la planète en dévorant les ressources
à commencer par la refonte en profondeur naturelles sans jamais les remplacer.

GRAND ANGLE  •  La pandémie, miroir de nos fragilités   |  11


Les musées,
arme de résilience massive
Faire face aux nouvelles contraintes liées à l’accueil du public tout en redéfinissant nos
liens à l’art et à la culture : comme bien d’autres institutions dans le monde, le Queens
Museum de New York cherche à se réinventer et réfléchit à un modèle de musée inclusif
qui place les artistes, les éducateurs et les habitants au cœur de ses activités.

Sally Tallant
à la distanciation sociale au sein des musées, auxquelles chacun d’entre nous est
Présidente et directrice du Queens Museum
et la garantie de la sécurité du personnel confronté. Des réunions régulières ont lieu
de New York (États-Unis).
et du public risquent de modifier à New York, qu’il s’agisse de petits groupes
en profondeur l’expérience de la culture. ou de rassemblements beaucoup plus
Partout dans le monde, des musées ont été
Des décisions s’imposent à tous les niveaux importants. Plus de 200 personnes issues
fermés en raison de l’impact du Covid-19.
en ces temps imprévisibles. d’organisations culturelles se réunissent
Ces institutions ont donc dû s’adapter
quotidiennement pour échanger des
rapidement pour fonctionner à distance À l’échelle mondiale, les responsables
informations et faire pression ensemble.
et rester pertinentes et visibles pendant culturels collaborent actuellement
Nous trouvons des moyens innovants pour
que leurs bâtiments étaient inaccessibles. en partageant informations
empêcher nos institutions de sombrer
Le rôle de la culture et des musées dans et connaissances, et il existe un véritable
et mobiliser nos communautés aux niveaux
notre société connaît une évolution rapide. sentiment de communauté, de soutien
local et mondial.
Les contenus numériques se sont révélés et de collaboration malgré les difficultés
essentiels pour fidéliser le public confiné
à son domicile. Les difficultés d’adaptation
à la réduction du nombre de visiteurs,  Détail de « Maintenance Art », installation de Mierle Laderman Ukeles au Queens Museum
(2017) dans laquelle l’artiste met en lumière les travailleurs essentiels du milieu urbain.
© Hai Zhang / Courtesy of the Queens Museum

12  |  Le Courrier de l’UNESCO • juillet-septembre 2020


 Le peintre Ilya Bolotowsky (à gauche)
et son assistant travaillent à une peinture
murale pour le hall des sciences médicales
de l’Exposition universelle de 1939, New York.

Changement de modèle
Tant qu’un retour à la normale n’aura pas
lieu, les musées disposant de dotations
importantes et de collections dans
lesquelles puiser seront favorisés par rapport
aux petits musées, lesquels dépendent des
contributions de soutiens qui eux-mêmes
subiront probablement de lourdes pertes.
Tous les musées vont passer leurs sources
de revenus au crible. Les grands musées
qui dépendent du tourisme et des droits

Public domain
d’entrée devront changer leur modèle.
Les petits musées seront avantagés ; nous
sommes agiles, habitués à travailler avec
de petits budgets et plus à l’écoute des
besoins de la population locale et des
communautés.
notre personnel et pour le public ? Avec été conçue comme un projet édifiant. Son
Alors que nous affrontons les défis d’un mes collègues du Queens, nous travaillons thème, « Le monde de demain », exprimait
monde radicalement modifié par l’impact avec la communauté pour comprendre cet optimisme et cet espoir en l’avenir.
du Covid-19, nous pensons à l’avenir. ce qui est pertinent et nécessaire. Nous De 1946 à 1950, le bâtiment a abrité
Le Queens, arrondissement dont la diversité devrons nous relever, nous reconnecter l’Assemblée générale de l’Organisation des
est la plus importante de la ville, a été et nous guérir ; nous devrons apprendre Nations Unies, nouvellement formée, jusqu’à
l’épicentre de la pandémie à New York. C’est ensemble à créer des espaces productifs ce que le site de l’actuel siège de l’ONU,
là que se trouve le musée. Ses quartiers et joyeux tout en répondant aux besoins des à Manhattan, soit disponible.
figurent parmi les plus vulnérables. On y communautés.
trouve beaucoup de nos travailleurs De nombreuses décisions importantes y ont
essentiels – ils conduisent des taxis, été prises, et l’UNICEF y a été institué. Pour
approvisionnent les supermarchés, cuisinent Réveiller les collections honorer cette histoire, nous concevons un
et livrent de la nourriture : c’est l’économie musée des enfants qui s’inspire de l’histoire
L’histoire du Queens Museum ainsi que des loisirs et des jeux dans le parc
des petits boulots. Bien souvent, ces petits
son emplacement peuvent nous aider environnant et dans le bâtiment, lequel
boulots n’offrent ni couverture maladie,
à inventer un modèle de musée pertinent autrefois abritait également une patinoire.
ni avantages ou protection de l’emploi.
pour l’avenir, et créer des dispositifs
Les immigrés sans papiers, nombreux,
de soutien aux artistes, aux éducateurs et à Les stratégies du passé – consistant
ne peuvent se permettre de rester chez eux
nos communautés. Notre collection de plus à faire appel à des artistes pour travailler
sans travailler.
de 13 000 objets permet de présenter des avec les communautés et au sein des
La faillite politique a été totale en matière récits qui nous aideront à éclairer l’avenir organisations – peuvent nous permettre
de ressources et de soins de santé en utilisant les fragments du passé. Nous d’affirmer à nouveau combien la culture
équitables, ce qui a produit une société inviterons artistes, conservateurs et public et les arts sont essentiels à la société et à
dépourvue d’empathie, d’assistance et de à bousculer et réveiller les collections son relèvement. Nous aurons besoin
respect des personnes et de la diversité. du musée pour en faire des expositions de nouveaux modèles financiers et de
Les communautés ouvrières de nos quartiers et des présentations. nouvelles mesures fiscales pour y contribuer.
souffrent de manière disproportionnée.
Fondé en 1972, le musée est situé dans
Nous vivons désormais dans une précarité le New York City Building, qui fut construit Écrivains, architectes
palpable. Nous sommes confrontés
à de nombreuses questions : Comment faire
pour abriter le pavillon de la ville de New
York lors de l’Exposition universelle
et designers appelés
revenir le public au musée ? Quelles mesures de 1939-1940. Organisée pendant la Grande à contribuer
adopter pour rendre nos espaces sûrs – pour Dépression (1929-1939), cette Exposition a
À l’occasion de l’Exposition universelle
de 1939, de nombreux projets ont été
réalisés dans le cadre des programmes
d’aide au travail du New Deal du président
Nous devrons nous Franklin D. Roosevelt, qui ont permis
de créer des emplois, au lendemain de la

relever, nous reconnecter Grande Dépression, notamment dans


le domaine de la production artistique.
Les artistes recevaient des commandes pour

et nous guérir les bâtiments gouvernementaux, les centres


communautaires et les institutions, grâce

GRAND ANGLE  •  Les musées, arme de résilience massive  |  13
 à divers programmes assurant la création pour créer un dialogue intergénérationnel et en dialogue avec d’autres quartiers et villes
d’emplois pour des milliers d’artistes au et international. Nous allons réinventer culturellement divers dans le monde.
fil des ans. Ces initiatives et ces récits la façon dont le musée peut fonctionner
« Ce qui seul rend la vie possible, c’est cette
continuent d’inspirer des générations et nous concentrer sur la production locale
incertitude permanente, intolérable : ne pas
d’artistes et de responsables aux États-Unis. et dans nos quartiers.
savoir ce qui vous attend », écrivait en 1969
Nous sommes aujourd’hui confrontés L’éducation est au cœur de notre travail l’Américaine Ursula K. Le Guin dans son
à la perspective d’un chômage de masse et nous continuerons à concevoir des roman de science-fiction, La Main gauche
et d’une récession économique, à une crise contenus numériques diffusés depuis de la nuit.
des réfugiés grandissante, ainsi qu’à une le musée, tout en organisant et en créant
Vivons-nous dans l’avenir dystopique que
crise sanitaire mondiale. Nous devrons des moments de rencontre et de convivialité
nous redoutions et qui a été décrit avec
comprendre comment vivre et travailler dont nous avons grand besoin. Notre
tant d’éloquence par Le Guin ? J’espère que
dans un monde en constante évolution champ d’action sera à la fois hyper-local
nous pourrons retrouver nos communautés.
et comment faire face ensemble au deuil et international.
J’espère que nous pourrons nous rétablir,
collectif – deuil d’êtres chers, disparition
réinventer nos espaces culturels et, une fois
de l’habitat due à la crise climatique et deuil
d’un mode de vie.
Relier par l’art de plus, créer du lien par l’art et la culture.
J’espère que cette expérience nous aura
Qu’avons-nous appris, que signifie Le Queens est multiculturel dans sa appris à transcender les distances en trouvant
de réinventer un musée et de quels tradition, et on y parle plus de 160 langues. de nouvelles façons de communiquer,
outils avons-nous besoin pour créer Cette diversité sera représentée dans de collaborer et de construire la proximité
des organisations pertinentes et utiles ? l’art qui y voit le jour et dans l’éducation et la communauté.
Au Queens Museum, nous embrasserons et les pratiques sociales qui y ont lieu.
En même temps, la diffusion de ce qui est Je sais que les musées et la culture ont un
l’incertitude de ce moment et nous
produit et la description des événements rôle important à jouer dans la convalescence
espérons que les artistes, les écrivains,
de l’arrondissement seront communiquées et la reconstruction dont nous aurons tous
les designers, les poètes et les architectes
numériquement à un public mondial besoin dans les mois et les années à venir,
pourront nous aider à nous transformer.
– à la fois dans des lieux qui reflètent et j’ai hâte de retrouver nos communautés
Nous travaillons à l’élaboration d’un
les origines des communautés du Queens, – dans le Queens et ailleurs.
modèle de musée qui place les artistes,
les éducateurs et les organisateurs au
centre de ses activités. Nous travaillerons
en concertation avec les partenaires
culturels, éducatifs et communautaires
locaux, et créerons les conditions pour
soutenir la production des œuvres,
les idées et la collaboration. Nous ferons Créer un modèle de musée
pertinent pour l’avenir
appel à des artistes de nos communautés
et fournirons ateliers, soutien, ressources,
assistance technique et accompagnateurs

Les industries créatives touchées de plein fouet par la crise


Le secteur culturel et créatif a été l’un des secteurs les plus en lumière l’impact considérable des mesures de confinement
durement touchés par la crise sanitaire du Covid-19. Les musées sur le secteur de la culture. Il vise à mobiliser des professionnels
ont été particulièrement affectés par la pandémie puisque près de l’industrie culturelle et d’autres acteurs pour accroître
de 90 % d’entre eux, soit plus de 85 000 établissements, ont dû la résilience et la pérennité des industries créatives et des
fermer leurs portes (Source : UNESCO, mai 2020). institutions culturelles.
Privés de leur public, ils font face à une diminution de leurs Dans le cadre de ce mouvement, les États ont placé parmi leurs
revenus. Les professions liées aux musées, à leur fonctionnement priorités l’adoption de mesures et de politiques de soutien
ainsi qu’à leur rayonnement, pourraient être alors sérieusement et de promotion de la diversité des expressions culturelles
affectées. Une enquête menée par le Conseil international telles que le renforcement des capacités, la protection sociale
des musées (ICOM), mi-mai à l’occasion de la Journée mondiale du personnel des musées, la numérisation et l’inventaire des
des musées, estime que près de 13 % des musées dans le monde collections, ou encore le développement de contenus en ligne.
pourraient même ne jamais rouvrir.
Cette mobilisation internationale a permis d’engager un
Cette crise a également révélé d’importantes disparités culturelles dialogue pour éclairer les pays dans l’élaboration de politiques
et numériques. La fracture numérique, déjà importante entre et de mécanismes financiers pouvant aider les individus
les pays et les régions, a été exacerbée par la crise. En Afrique et les communautés créatives à surmonter cette crise.
et dans les petits États insulaires, qui comptent seulement 1,5 % Les discussions ont mis en lumière les moyens dont disposent
du nombre total des musées dans le monde, seuls 5 % des musées les secteurs public et privé pour préserver les écosystèmes
ont été en mesure de proposer un contenu alternatif en ligne culturels et explorer les voies du rétablissement.
pendant la période de confinement (Source : UNESCO, mai 2020).
Fin mai, plus de 50 débats ResiliArt avaient déjà été organisés
Afin de répondre à cette crise culturelle et sociale, l’UNESCO dans plus de 30 pays, avec la participation d’artistes
a lancé, en avril dernier, le mouvement ResiliArt pour mettre et de professionnels de la culture de toutes les régions du monde.

14  |  Le Courrier de l’UNESCO • juillet-septembre 2020


Une occasion
de réinventer l’école
Avec la crise sanitaire, ce sont près d’1,5 milliard d’apprenants,
soit 90 % de la population scolaire mondiale, qui ont été déscolarisés
(source : UNESCO). Du jour au lendemain, les établissements ont dû
se convertir à l’apprentissage à distance, obligeant l’école à imaginer
d’autres méthodes d’enseignement.

Poornima Luthra
où ils passeront dans la classe supérieure, années durant. « Lorsque la vie scolaire aura
Éducatrice à l’École de commerce
préparés ou non. » retrouvé son cours normal, les éducateurs
de Copenhague, fondatrice et consultante
auront une tâche difficile à accomplir :
principale chez TalentED, une société On s’inquiète en particulier de son impact
rattraper les retards, combler les lacunes,
de formation et de conseil basée sur la santé mentale d’élèves coupés
apporter un soutien social et émotionnel
à Copenhague (Danemark). de leurs échanges et habitudes scolaires.
renforcé aux élèves dans le besoin », énonce
Même les générations Z (nées entre
Sarita Somaya, enseignante de primaire
Avec plus du tiers de la population mondiale 1996 et 2015) et alpha (nées après 2015),
dans une école internationale de Singapour.
confinée pour cause de Covid-19, la crise saturées de technologies, ont un besoin
sanitaire a provoqué des perturbations sans vital d’interactions sociales et d’expériences De plus, de nombreux enfants à travers
précédent dans l’éducation. De la maternelle physiques loin de leurs appareils. C’est sans le monde trouvent à l’école le seul repas
à l’université, les écoles du monde entier doute le plus grand défi que les éducateurs copieux de la journée. La fermeture des
ont été contraintes de fermer, obligeant ont eu à relever sur les plateformes établissements les a contraints à chercher
les éducateurs à trouver des méthodes en ligne. « Les contacts humains sont d’autres options, souvent en pure perte.
d’enseignement alternatives. Cette situation importants dans l’éducation, surtout chez Selon Gayathri Tirthapura, cofondatrice
risque de laisser une empreinte durable. les adolescents », souligne à Singapour et administratrice du Tejasvita Trust (une
un enseignant du secondaire. « Les élèves organisation basée à Bangalore, qui
« Nous ressentirons les effets du Covid-19
préfèrent généralement aller à l’école, pour fournit une éducation aux communautés
sur les élèves au niveau mondial au moins
se sentir membres d’une communauté qui défavorisées du sud de l’Inde), « les familles
jusqu’à ce qu’un vaccin soit accessible
structure leur apprentissage. » ont du mal à financer trois repas par
à tous », alerte Amy Valentine, directrice
jour, et dépendent des donateurs privés
exécutive de Future of School, une Compte tenu des exigences de distanciation
et des programmes d’aide annoncés par
organisation caritative publique américaine, physique, il faudra du temps avant que
le gouvernement ».
qui soutient les modèles scolaires innovants. les interactions sociales retrouvent leur
« La façon dont les systèmes et les districts niveau d’avant le Covid-19. L’impact
scolaires ont réagi à la crise aura des sur les générations actuelles d’élèves Des diplômes décernés
répercussions sur les élèves au moment et d’étudiants pourrait se faire sentir des
à des robots
L’un des enseignements de la crise, c’est
que malgré un contexte très difficile,
les établissements du monde entier
ont su trouver des moyens créatifs
et innovants de relever les défis posés par
le Covid-19 – de la remise des diplômes
universitaires à des robots remplaçant
les étudiants au Japon à l’utilisation
de chapeaux de distanciation sociale
en Chine. Les éducateurs ont aussi dû
faire preuve de créativité pour concevoir
des contenus qui leur permettent de faire

© UNICEF / Frank Dejongh

 Nelly, 7 ans, étudie sur sa tablette


à la maison (Abidjan, Côte d’Ivoire).
La télévision nationale de son pays a
aussi diffusé des cours produits par
l’UNICEF et le ministère de l’Éducation.

GRAND ANGLE  •  Une occasion de réinventer l’école   |  15


© UNICEF / Ali Haj Suleiman
 cours de manière attrayante sur toutes
les plateformes numériques disponibles.
Pour suppléer l’absence d’interaction
sociale, certaines écoles ont imaginé des
activités thématiques pour faire participer
les élèves, comme des pique-niques virtuels
avec leurs classes. Dans les zones rurales,
il a fallu inventer différents procédés pour
s’assurer la participation des élèves, le plus
souvent au moyen de messages texte
sur les mobiles des parents ou d’appels
téléphoniques. Là où les enfants n’ont même
pas accès à un crayon à la maison – sans
parler d’un ordinateur –, il leur a fallu trouver
de nouvelles façons d’enseigner.
Dans des pays comme les États-Unis,
la Nouvelle-Zélande ou le Royaume-Uni, des
efforts ont été déployés pour que les enfants
défavorisés disposent d’ordinateurs  Maria, 9 ans, suit un cours transmis via Whatsapp sur le smartphone de son père dans
portables, de tablettes informatiques ou le camp pour déplacés internes de Kili, au nord d’Idlib (République arabe syrienne).
de points d’accès mobiles. En Inde, l’équipe
de Gurushala, un portail d’apprentissage
qui propose une formation numérique des groupes défavorisés. La pénétration
aux enseignants et du contenu aux élèves, de la téléphonie mobile et de l’Internet La fin du travail
explique que « l’accès à l’éducation n’a augmentant de jour en jour, la technologie en groupe ?
jamais été simple pour les enfants indiens s’est retrouvée au premier plan ».
Mais quelles seront les conséquences de la
crise sanitaire sur l’éducation dans le long
terme ? « Les classes primaires ont pris un
aspect clinique – interdiction de partager,
d’utiliser des ressources communes ou

Il est possible que le de travailler à plusieurs en se passionnant


pour une expérience scientifique. Est-ce
la fin du travail en groupe et des ateliers
Covid-19 bouscule les tournants ? Allons-nous retrouver des salles
de classe avec le prof au tableau et les

choses dans le bon sens élèves assis toute la journée en face de lui ? »
s’interroge Taryn Hansen, institutrice à Perth,
dans l’État d’Australie-Occidentale, où
les écoles ont rouvert fin avril.

Une Coalition mondiale pour assurer la continuité pédagogique


La situation est inédite : du jour au lendemain, pour contenir Des opérateurs de téléphonie mobile, comme Orange ou
la pandémie, les écoles de plus de 190 pays dans le monde Vodafone, se sont également joints à la Coalition. Ils ont consenti
ont fermé leurs portes. À la mi-avril, 1,57 milliard d’enfants d’importants efforts pour accroître la connectivité et fournir un
et de jeunes, soit 90 % des effectifs scolaires mondiaux, étaient accès gratuit aux contenus éducatifs en ligne.
déscolarisés. Cette crise de l’éducation a affecté de manière
Car si la proportion de jeunes n’ayant pas accès à Internet
disproportionnée les élèves vulnérables et défavorisés, pour
à la maison est inférieure à 15 % en Europe occidentale et en
lesquels l’école joue aussi un rôle clé en matière de nutrition,
Amérique du Nord, elle atteint 80 % en Afrique subsaharienne.
de santé, voire de soutien affectif.
Bien que les téléphones mobiles permettent aujourd’hui aux
C’est pour assurer la continuité pédagogique pendant la crise apprenants d’accéder à l’information, de se connecter à la fois
sanitaire que l’UNESCO a lancé, le 26 mars, la Coalition mondiale avec leurs enseignants et entre eux, environ 56 millions d’élèves
pour l’éducation. Son objectif : mettre en commun les ressources vivent dans des lieux non desservis par les réseaux mobiles, dont
d’un grand nombre d’acteurs privés et publics afin d’aider près de la moitié en Afrique subsaharienne.
les pays à développer des solutions d’enseignement à distance
En tant que membre de la Coalition, l’UNESCO a notamment
équitables, assurer des réponses coordonnées et faciliter le retour
assuré le suivi au niveau mondial des fermetures nationales ou
des élèves à l’école lors de la réouverture des établissements.
localisées des établissements scolaires et du nombre d’élèves
Une centaine d’institutions des Nations Unies, d’organisations concernés. Elle a également mis en place des webinaires
internationales, d’entreprises du secteur privé – parmi lesquelles hebdomadaires à destination des responsables des ministères
Microsoft, Google, Weidong ou KPMG –, des représentants de la de l’Éducation sur la réponse éducative à la pandémie
société civile et des médias ont pris part à cette initiative. de Covid-19.

16  |  Le Courrier de l’UNESCO • juillet-septembre 2020


Pour Sankalp Chaturvedi, professeur
associé à l’Imperial College Business School
de Londres, « l’enseignement supérieur
Même les générations
dans des salles de classe se poursuivra. Mais
les gens auront pris l’habitude d’alterner avec saturées de technologies
ont un besoin vital
la formation en ligne, ce qui n’était pas aussi
évident avant le confinement ».
« Il est possible que l’épisode Covid-19
bouscule les choses dans le bon sens »,
prédit Sandy Mackenzie, directeur de l’École
d’interactions sociales
internationale de Copenhague. Cela pourrait
amener « les écoles à se débarrasser de ce
qui est obsolète, à utiliser efficacement

© UNICEF / Yuyuan Ma
la technologie et à donner aux éducateurs
les compétences dont les nouvelles
générations auront besoin pour les décennies
à venir ».

Une réduction
des inégalités
dans l’éducation
Le recours au numérique suppose un
accès généralisé à cette technologie. Or
la pandémie a fait ressortir les inégalités
en termes de qualité et d’accès à l’éducation
au niveau mondial, ainsi que l’ampleur de la
fracture numérique, y compris dans les pays
développés. Comme 60 % seulement de la
population mondiale disposait d’Internet
avant la pandémie, les gouvernements,
les éditeurs, les fournisseurs de technologie  Xiaoyu, une lycéenne à Beijing, suit un cours en ligne sur une plateforme éducative
et les opérateurs de réseau ont dû s’unir mise en place par le gouvernement. Sa mère, en arrière-plan, travaille aussi à distance.
pour permettre aux éducateurs de fournir un
enseignement en ligne au plus grand nombre
possible d’élèves.
L’un de ces programmes est le Passeport pour Repenser le rôle du Forum économique mondial (et d’autres
l’apprentissage, une plateforme numérique de l’éducateur organisations) sur les compétences
nécessaires aux travailleurs de demain.
d’apprentissage à distance développée
à l’origine pour les enfants déplacés Le développement de l’apprentissage Il leur faudra des compétences cognitives
et réfugiés par le Fonds des Nations Unies à distance a obligé les enseignants plus poussées comme l’esprit d’entreprise,
pour l’enfance (UNICEF) en collaboration à réfléchir de manière créative aux contenus la créativité et l’innovation, mais aussi
avec Microsoft. Le projet, promis au et aux meilleures façons d’enseigner des compétences en intelligence sociale
lancement pilote en 2020 et dont les enfants en ligne, à repenser le rôle de l’éducateur, et émotionnelle, telles que la résilience,
du Kosovo, du Timor-Leste et d’Ukraine ont tout en ajoutant de la valeur à ce qui est l’adaptabilité et l’esprit de croissance.
été les premiers à faire l’expérience, s’est enseigné. Pour relever à l’avenir certains défis
rapidement étendu aux écoles du monde Cette expérience nous a également montré mondiaux parmi les plus urgents, l’éducation
entier frappées de fermeture. Désormais, tous qu’il existe un potentiel de flexibilité dans devra se concentrer sur le développement
les pays disposant d’un programme scolaire la manière dont l’éducation est dispensée de ces compétences.
pouvant être enseigné en ligne pourront – en créant des alternatives aux structures
accéder à son contenu grâce à des manuels La pandémie marque un tournant dans
et aux formats éducatifs classiques. l’histoire de l’humanité. C’est le moment
et des vidéos en ligne, assortis d’un soutien Les éducateurs et les parents ont constaté
supplémentaire pour les parents d’enfants de repenser en profondeur l’éducation pour
que certains de leurs élèves ou enfants les générations futures dans un monde
souffrant de troubles de l’apprentissage. s’en accommodaient très bien. On pourrait post-Covid. Cela requiert un effort collectif
Pour que l’Objectif 4 des Nations Unies imaginer des versions plus sophistiquées, de toutes les parties prenantes pour réfléchir
en matière de développement durable ou des options mixtes pour les élèves qui sérieusement et consciencieusement à ces
(ODD) puisse être atteint dans les dix années préfèrent ce mode de formation. questions afin de prendre les mesures
qui viennent, on espère voir davantage Si la crise a rebattu les cartes du numérique, nécessaires pour y répondre.
d’établissements publics et privés collaborer elle a également souligné la nécessité
pour rendre les systèmes éducatifs plus de repenser l’enseignement des
résistants, plus inclusifs et plus équitables générations futures. Cette réflexion
pour tous. est nourrie par les récentes recherches

GRAND ANGLE  •  Une occasion de réinventer l’école   |  17


« Les femmes restent les
héroïnes de l’ombre
de cette crise »
La crise sanitaire et le confinement quasi généralisé auquel elle a conduit se sont
traduits par une recrudescence des violences à l’égard des femmes. Phumzile
Mlambo-Ngcuka, directrice exécutive d’ONU Femmes, met en garde contre un
possible recul du droit des femmes.

Propos recueillis par Laetitia Kaci


UNESCO 743 millions
 En mars dernier, vous avez dénoncé
le creusement des inégalités entre
de filles déscolarisées
les hommes et les femmes. Pourquoi
cette épidémie est-elle particulièrement
pendant la pandémie
préjudiciable aux femmes ? (UNESCO, avril 2020)

D’une manière générale, les hommes Les fermetures d’écoles augmentent le taux d’abandons qui
et les femmes ne sont pas égaux face aux concernent de manière disproportionnée les adolescentes, renforçant
crises. Celle-ci ne fait pas exception. Très les disparités de genre dans le domaine de l’éducation.
souvent, les crises viennent en fait accentuer
les inégalités existantes.
Par ailleurs, de nombreuses femmes ont Les femmes sont les véritables héroïnes
Les femmes ont été durement touchées.
recours aux services sociaux. Pendant de cette crise, même si elles ne sont pas
Beaucoup d’entre elles travaillent
cette période, ces services étant moins reconnues comme telles. Car, curieusement,
en première ligne et ont été directement
accessibles, celles qui ne bénéficiaient pas il semble qu’il n’y ait pas de prise
exposées au virus. Elles ont également
d’une prise en charge se sont trouvées de conscience quant à leur responsabilité
été frappées de plein fouet par
en danger. dans la gestion de la crise. Même si elles
les conséquences sociales de l’épidémie.
sauvent des vies, elles restent des héroïnes
L’interruption de l’activité a aggravé Cette crise a mis sur le devant de la scène
de l’ombre.
la précarité économique des femmes, des professions cruciales (personnel
qui occupent en général des emplois plus soignant, caissières, enseignants…) dans J’espère que cette perception changera.
précaires et moins bien rémunérés que lesquelles les femmes sont surreprésentées. C’est la raison pour laquelle il est important
les hommes. Certaines se sont trouvées Cette crise peut-elle changer notre manière d’en parler, de les mettre en avant pour que
privées d’emploi. de percevoir ces travailleuses ? tout le monde se rende compte du rôle
qu’elles jouent.

 Que peuvent apporter les femmes


dans la gestion de crise ?

Jusque 25 % Ce qui relève des soins est


traditionnellement considéré par la société

d’augmentation comme une affaire de femmes. Il est


vrai qu’elles sont très présentes dans ce

des violences à l’égard


secteur. Mais elles savent aussi ne pas
se cantonner à une gestion purement
sanitaire de la crise. Polyvalentes, elles

des filles et des femmes sont peut-être mieux placées que d’autres
pour comprendre qu’une situation comme
(Nations Unies, avril 2020) celle de la pandémie confronte à une
série de problèmes d’ordre économique,
D’après les données des pays disposant de systèmes de signalement. social, sanitaire ou relevant de la sécurité
Dans certains pays, les cas signalés ont doublé. alimentaire. Les femmes appréhendent
mieux l’intersectionnalité, car elles en font
l’expérience au quotidien.

18  |  Le Courrier de l’UNESCO • juillet-septembre 2020


© UN Women / Elma Okic

 Dans une déclaration datant d’avril


2020, vous avez évoqué la pandémie
fantôme à propos de la recrudescence des
violences à l’égard des femmes. Quelle
Le confinement a exacerbé
incidence le confinement a-t-il eue sur
la situation des femmes ? les tensions et renforcé
l’isolement des femmes
Dans cette déclaration, j’indiquais
en effet que, dans le monde entier,
les lignes d’assistance téléphonique
et les centres d’accueil pour les victimes
de violence domestique ont fait état
d’une augmentation des appels à l’aide.
Le confinement a exacerbé les tensions et de la surcharge des services publics tels avec leur agresseur. Pour ces femmes il a été
et renforcé l’isolement des femmes ayant que la police. très difficile de faire face.
un partenaire violent tout en les séparant
des personnes les plus à même de les Dans certains pays, les services  Peut-on craindre un recul des droits
aider. De plus, ce contexte particulier a de protection destinés aux femmes victimes des femmes ?
rendu les signalements plus compliqués, de violences ne sont pas considérés comme
des services essentiels. Certaines ont été Absolument, nous pouvons même
notamment en raison de l’accès limité
craindre dans certains cas que ces droits
des femmes aux numéros d’urgence privées de toute aide, enfermées chez elles
disparaissent. Nous devons nous battre pour
que cela ne se produise pas.
Cette année marque le vingtième
anniversaire de l’adoption de la Résolution
1325 du Conseil de sécurité des Nations
Unies pour le droit des femmes, la paix

70 % femmes et la sécurité. Nous devons mettre en œuvre


des plans d’action et nous préparer à aller

exposées au virus
de l’avant dès que possible. Les droits
des femmes doivent rester une priorité,
ils ne doivent surtout pas être sacrifiés.

dans les systèmes de santé Il n’est pas moins important pour les femmes
de survivre au Covid que de faire valoir leurs
Majoritaires au sein du personnel soignant (OMS 2019), droits. Nous devons mener les deux batailles
les femmes sont en première ligne dans la lutte contre
le Covid-19 et courent plus de risque d’être infectées.
de front.

GRAND ANGLE  •  « Les femmes restent les héroïnes de l’ombre de cette crise »  |  19
47 millions de femmes Certaines communautés n’ont pas toujours
accès à la technologie. Et même lorsque

privées de contraceptifs c’est le cas, cet accès n’est pas le même


en fonction du genre. Nous devons
continuer à mener ce combat en veillant à ce
modernes que l’enseignement dispensé via des plates-
formes numériques ne soit pas socialement
(UNFPA, avril 2020) discriminant.
La pandémie de Covid-19 a entraîné la surcharge des systèmes J’espère que l’UNESCO, ONU Femmes,
de santé et la fermeture des établissements de services sociaux, la Commission sur le haut débit, l’Union
tels que les plannings familiaux dont dépendent ces femmes. internationale des télécommunications (UIT)
et les ministères de l’Éducation pourront
unir leurs efforts pour que soient mises
  Comment faire en sorte que les droits le virus, et appeler à une représentation plus en place des infrastructures à haut débit
dans les écoles rurales et les quartiers
des femmes ne fassent pas les frais juste dans certains secteurs. C’est sur cet
de cette crise ? aspect que doivent porter nos efforts. informels afin que chaque individu,
où qu’il se trouve, puisse avoir accès
Sur le plan économique, nous devons Il faut aussi favoriser un développement à l’éducation.
nous assurer que le plan de relance des de l’enseignement à distance, tout
gouvernements cible concrètement en veillant à ce qu’il ne s’accompagne pas
les femmes, et qu’il soit adapté aux d’un creusement de la fracture numérique.
travailleuses du secteur informel, pour
lesquelles nous continuons de lutter.
Des solutions doivent aussi être apportées
concernant les violences à l’égard des
femmes. Ces violences ne s’arrêteront pas
740 millions de femmes
menacées par la pauvreté
à la fin de la crise. Il faut rester vigilants.
Nous devons aussi encourager un
renforcement du leadership des femmes, La crise économique liée à la pandémie de Covid-19 frappe
en particulier dans les pays où elles sont de façon disproportionnée les 740 millions de femmes
sous-représentées dans la lutte contre travaillant dans le secteur informel (OIT, janvier 2019).
© UN Women / Ryan Brown

 Christine Banlog (au centre), chargée de ses marchandises, se dirige vers le marché
Sandaga à Douala, Cameroun, geste qu’elle répète depuis vingt-deux ans.
20  |  Le Courrier de l’UNESCO • juillet-septembre 2020
Pour un nouveau pacte social

en Amérique latine
Baisse des revenus, abandon scolaire, développement du travail informel,
hausse brutale du chômage : les conséquences sociales de la crise sanitaire sur
les habitants de la région Amérique latine et Caraïbes ont été massives. Pour
éviter un creusement des inégalités, Karina Batthyány plaide en faveur de la mise
en place d’un système social plus solidaire et plus juste.

Karina Batthyány
Les plus pauvres frappés
Secrétaire exécutive du CLACSO (Conseil
latino-américain des sciences sociales)
de plein fouet
et professeure à la faculté de sciences sociales Au vu des inégalités économiques
de l’Université de la République, Uruguay. et sociales dans la région, les conséquences
du chômage affecteront de manière
La pandémie du coronavirus a eu un impact disproportionnée les pauvres et les couches
sans précédent sur la vie quotidienne des vulnérables de la population à revenus
habitants de la région Amérique latine intermédiaires. Elles toucheront aussi plus
et Caraïbes. Ces répercussions affectent durement les femmes.
de manière particulièrement grave les foyers
Par ailleurs, il est probable que la crise se
à faibles revenus. De fait, l’état d’urgence
traduira par une explosion de l’emploi
sanitaire déclaré pour faire face au Covid-19
informel, auquel une partie de la population
a déréglé les modèles de vie habituels.
aura recours pour survivre. Les familles
Dans la région, l’ampleur de la crise a les plus pauvres risquent de se trouver dans
rouvert certains débats sur le rôle de l’État, l’obligation d’envoyer leurs enfants sur
de la politique en général et des politiques le marché du travail. On prévoit une hausse
publiques en particulier. Alors que certains de 3,5 points de pourcentage de la pauvreté
voient s’approcher le spectre de la fin et de 2,3 points de pourcentage de la
de l’humanité, d’autres affirment que rien pauvreté extrême (CEPAL, 2020).
ne va changer. Ce qui est sûr, c’est que nous
L’effondrement des systèmes de santé
nous trouvons dans une phase de transition
© Nadège Mazars / Covid Times Project

dans plusieurs pays met également


vers des sociétés dont certains aspects
en évidence la nécessité de progresser vers
seront remaniés à court et moyen terme
la consolidation d’un système de santé
dans la région latino-américaine.
universel dont la qualité soit garantie, qui
Les projections économiques de la dispose des ressources nécessaires pour
Commission économique pour l’Amérique faire face aux situations de crise et qui
latine et les Caraïbes (CEPAL) prévoient une envisage la santé de manière globale,
contraction du produit intérieur brut (PIB) en prenant en compte la situation socio-
régional de 5,3 % pour 2020, soit la pire économique des personnes et leur qualité
récession en Amérique latine depuis un de vie.
siècle. Elles tablent également sur une  Avec des chiffons rouges
Le modèle économique actuel a généré des accrochés à leurs fenêtres,
augmentation importante du nombre
inégalités et une profonde concentration les habitants des quartiers
de chômeurs (+ 12 millions) dans la région,
de la richesse. Et en l’absence d’un État pauvres de Bogotá (Colombie)
où 53 % des emplois relèvent de l’économie
providence universel, l’accès aux prestations alertent le gouvernement sur
informelle. Un pronostic particulièrement
sociales reste un privilège dans la région. la précarité alimentaire.
préoccupant lorsqu’on sait que les pays
Avant le coronavirus, cette situation
latino-américains versant des allocations
représentait déjà un problème majeur,
chômage sont peu nombreux : seuls
mais aujourd’hui il s’agit d’une question
l’Argentine, le Brésil, le Chili, la Colombie,
de survie. Il est indispensable de repenser
l’Équateur et l’Uruguay prévoyaient une
les politiques économiques et de
assurance chômage pour les travailleurs
promouvoir le travail décent et le respect
du secteur formel en 2019.
universel des droits sociaux.

GRAND ANGLE  •  Pour un nouveau pacte social en Amérique latine  |  21


© Maud Veith
 Revenu citoyen
Le contexte actuel ouvre la voie au débat
sur la nécessité d’un revenu citoyen dans
la région. L’accès aux biens essentiels
est en effet la condition nécessaire
à l’affirmation d’une citoyenneté
démocratique, garante de la dignité des
individus. La région Amérique latine
et Caraïbes est la plus inégalitaire de la
planète, et cette crise sanitaire risque
d’accentuer encore cette situation.
Enfin, il est important d’analyser l’impact
de l’état d’urgence sanitaire sur les inégalités
de genre, en matière notamment
de garde d’enfants et de soins apportés
aux personnes âgées, qui peuvent être
considérés comme une expression de la
division sexuelle du travail.
Le confinement s’est avéré une mesure
efficace de lutte contre le Covid-19, mais il
a ébranlé les dynamiques professionnelles,
 Vendeuse ambulante dans les rues de Lima (Pérou), 2016.
domestiques et de prise en charge
des enfants et des personnes âgées,
affectant principalement les travailleurs
et travailleuses du secteur informel,
les enfants et les femmes. Il a eu pour
effet d’alourdir le travail domestique ainsi
Le modèle économique actuel
que la garde des enfants et les soins aux
personnes âgées, tâches qui constituent
a généré une concentration
le pilier des foyers et qui, historiquement,
ont permis au monde de fonctionner. de la richesse

Les villes en première ligne dans la crise sanitaire


Les villes ont été particulièrement éprouvées par la pandémie des conseils interreligieux, des associations de personnes
de Covid-19. Alors que le virus se propageait rapidement dans handicapées, des responsables de marchés, des animateurs
les zones densément peuplées, elles ont dû trouver des moyens pour la jeunesse et des chefs tribaux – qui reçoivent tous une
de faire face aux crises sociales, économiques et sanitaires qui formation constante de sensibilisation aux mesures de lutte
en ont découlé. contre le Covid-19.
Parmi les villes qui se sont le plus illustrées par leurs efforts pour En tant que membre de la Coalition des municipalités inclusives,
atténuer l’impact du Covid-19 sur les populations vulnérables la municipalité régionale canadienne de Wood Buffalo a mis
figurent celles qui appartiennent à la Coalition internationale en place un registre des personnes vulnérables parmi les individus
des villes inclusives et durables – ICCAR, plateforme urbaine et les communautés pour que ces personnes bénéficient
de lutte contre le racisme et la discrimination lancée par de contrôles réguliers, d’informations et d’orientations, et d’un
l’UNESCO qui rassemble plus de 500 villes du monde entier. soutien en matière de santé mentale. Le personnel municipal
Depuis sa création en 2004, l’ICCAR participe à l’élaboration qui ne pouvait télétravailler a été redéployé sous le nom d’anges
des politiques, au renforcement des capacités et aux activités de l’isolement pour fournir des paniers de nourriture et des kits
de sensibilisation. Cette coalition plaide pour une solidarité d’activités aux personnes isolées. Enfin, un centre de soutien
mondiale afin de promouvoir un développement urbain inclusif à domicile a été créé, doté de téléphones et d’ordinateurs
et exempt de toute forme de discrimination. Dans le contexte portables permettant aux populations vulnérables de s’inscrire
de la pandémie, les villes membres de l’ICCAR se sont engagées à la Croix-Rouge et à d’autres services de soutien.
à partager leurs mesures avec les autres villes du réseau afin
La municipalité de Kadıköy (un quartier d’Istanbul), membre
d’apprendre les unes des autres et de fournir un large éventail
de la Coalition européenne des villes contre le racisme (ECCAR),
d’options politiques pour faire face à la crise.
a mis en place le Service de crise du coronavirus, destiné à
À Freetown, capitale de la Sierra Leone et membre de la Coalition soutenir les personnes âgées et les personnes vivant seules.
des villes africaines contre le racisme et la discrimination, Des centaines de repas chauds ont été préparés chaque jour
des informations relatives à la santé ont été diffusées dans par des chefs réputés dans la cantine de la ville, puis distribués
la population par l’intermédiaire des conseillers de quartier, par le personnel municipal à ceux qui étaient dans le besoin.

22  |  Le Courrier de l’UNESCO • juillet-septembre 2020


© Valentina Cortese Lastra
La moitié
des femmes
travaillent
dans le secteur
informel

Les femmes fragilisées


Selon des chiffres de l’Organisation
internationale du travail, 126 millions
de femmes travaillent dans le secteur
informel en Amérique latine et aux
Caraïbes, ce qui équivaut à environ la moitié
de la population féminine de la région.
Une situation qui est notamment synonyme
de précarité, de faibles revenus et d’un
manque de mécanismes de protection
essentiels.
L’emploi informel est très répandu dans
de nombreux pays de la région. En Bolivie,
au Guatemala et au Pérou, 83 % des
femmes occupent des emplois informels
et ne bénéficient d’aucune couverture
sociale ni de protection en droit du travail.
Dans la région, près de 40 % des femmes
actives sont employées dans les secteurs
du commerce, de la restauration,
de l’hôtellerie et du travail domestique, qui
sont les plus affectés et les moins protégés
dans le contexte de la crise actuelle.  Performance féminine organisée au Chili pour protester contre
la violence patriarcale, lors de la Journée internationale pour
Une grande partie des femmes latino- l’élimination de la violence à l’égard des femmes en 2019.
américaines cesseront donc de percevoir
des revenus pendant une période
particulièrement difficile, ce qui risque
de fragiliser encore leur condition. Face à ces défis, il s’agit en définitive sur les personnes plutôt que sur le marché
Actuellement, en Amérique latine, pour de construire un nouveau « pacte social » et accordant une place centrale à la vie
100 hommes vivant dans l’extrême pauvreté, fondé sur la reconnaissance de la solidarité et aux soins. Pour relever ce défi, l’État,
on compte 132 femmes. et de l’interdépendance en tant que valeurs et plus particulièrement l’État social, a un
fondamentales pour l’établissement rôle majeur à jouer, et le renforcement d’une
d’un système social plus juste dans coopération régionale et internationale est
Nouveau « pacte social » la région. Cette crise met en évidence plus nécessaire que jamais.
les conséquences de la marchandisation
Dans la région, le confinement a également
des ressources publiques et communes
eu pour conséquence une augmentation
sur la vie. La pandémie semble montrer
de la violence de genre. Nous savons que
clairement que les États ne sont pas morts
la précarité économique et l’instabilité
et qu’ils ont un rôle majeur à jouer dans
sociale font exploser cette violence dans
la mise en œuvre de politiques capables
la sphère domestique. De plus, la consigne
de transformer efficacement la réalité.
de distanciation sociale et de confinement
au sein du foyer suppose que le foyer soit Les politiques publiques doivent s’attaquer
un endroit sûr, ce qui n’est pas le cas pour au défi sans cesse différé de l’établissement
nombre de femmes et d’enfants. de systèmes universels de protection, axés

GRAND ANGLE  •  Pour un nouveau pacte social en Amérique latine  |  23


La crise sanitaire,
terreau fertile de

la désinformation
Le thé noir, les feuilles de margousier ou la soupe au poivre comme
remèdes miracles au Covid-19 : en Afrique comme ailleurs, fausses
informations et théories du complot ont prospéré sur les réseaux
sociaux pendant la crise sanitaire. Pour lutter contre cette
« infodémie », il faut responsabiliser les plateformes numériques,
traquer les infox et développer une éducation aux médias.

Diomma Dramé
essais cliniques menés par l’infectiologue
ailleurs, une soif d’information mais aussi
Journaliste, chercheuse en santé au bureau français Didier Raoult sur l’usage de la
une propagation des rumeurs et infox, ou
francophone du site Africa Check, basé chloroquine, une information diffusée sur
fausses informations, auxquelles les réseaux
à Dakar (Sénégal), spécialisé dans la lutte la messagerie WhatsApp et sur Twitter s’est
sociaux ont servi de caisse de résonance.
contre les fausses informations. ainsi répandue dans plusieurs pays d’Afrique
Le bureau francophone basé à Dakar de l’Ouest, selon laquelle les feuilles
Maladie inconnue il y a encore quelques (Sénégal) du site spécialisé dans la lutte de neem, ou margousier, contiendraient
mois, le Covid-19 a provoqué une crise contre les infox, Africa Check, s’est de la chloroquine. Elle a parfois provoqué
sanitaire mondiale sans précédent. Face à ce employé depuis le début de la pandémie une véritable ruée vers cet arbre. Or,
virus nouveau, de nombreuses questions à corriger un certain nombre de ces fausses ce dérivé de la quinine n’est pas issu d’un
demeurent concernant l’immunité des informations. Ainsi, après vérification auprès végétal mais obtenu à partir d’une synthèse
personnes infectées, sa saisonnalité ou de plusieurs spécialistes et chercheurs, le site chimique. Le cas des feuilles de neem n’est
encore sa capacité à muter, que la science a publié pas moins de 50 articles relatifs qu’un exemple parmi d’autres. Le thé noir,
n’est pas encore en mesure de trancher. à des infox sur le Covid-19. la soupe au poivre, la vitamine C ou l’ail ont
La méconnaissance de cette maladie également été présentés dans des messages
En l’absence de traitement contre la maladie,
conjuguée aux incertitudes liées à son postés sur les réseaux sociaux comme
les articles et messages sur de supposés
des moyens de lutter contre le virus.
évolution ont alimenté, en Afrique comme remèdes miracles ont proliféré. Suite aux

Théories du complot
Lutter contre l’infodémie Parallèlement, l’épidémie a donné lieu
à la diffusion de nombreuses images
Face à l’afflux de rumeurs et de fausses informations véhiculées sur la Toile et les réseaux ou vidéos manipulées ou sorties de leur
sociaux pendant la crise sanitaire, les journalistes ont dû redoubler d’efforts pour contexte, concernant par exemple
démasquer les nouvelles inexactes ou trompeuses. D’autant plus que d’après une étude de supposées campagnes de vaccination
réalisée par la Fondation Bruno Kessler (Italie), 42 % des plus de 178 millions de tweets forcées destinées à propager le virus, ou
liés au Covid-19 étaient produits par des robots, et que 40 % étaient « peu fiables ». des cas de discrimination visant notamment
des ressortissants chinois. Une vidéo
Pour améliorer l’accès à l’information, l’UNESCO a créé un centre d’échange
montrant l’incendie d’un bâtiment
de ressources regroupant une sélection d’informations vérifiées sur le Covid-19.
abritant des boutiques à Ibadan (État
Il a pour vocation de fournir des conseils destinés à lutter contre la désinformation,
d’Oyo), au Nigeria, a été ainsi présentée
encourager le partage d’expériences et de bonnes pratiques ou encore favoriser
comme une mesure de représailles
la coopération Nord/Sud et Sud/Sud.
contre son propriétaire chinois. D’après
L’Organisation a également mis à disposition plusieurs manuels pour accompagner un tweet de l’État d’Oyo, le bâtiment
les journalistes en première ligne dans la lutte contre la désinformation. en feu appartenait en fait à un Nigérian
et 80 % des personnes employées étaient
En partenariat avec l’Innovation for Policy Foundation (i4Policy), elle a enfin lancé
également nigérianes.
la campagne en ligne #DontGoViral. Cette campagne, qui repose notamment sur
la mobilisation des artistes et des entrepreneurs culturels en Afrique, est destinée Pour tenter d’expliquer la survenue
à mettre à disposition du public des contenus sous licence libre dans différentes de l’épidémie ou sa propagation,
langues africaines, afin d’informer ces communautés sur le Covid-19. les théories du complot de l’Occident

24  |  Le Courrier de l’UNESCO • juillet-septembre 2020


© Falco / Cartoon Movement
contre l’Afrique ont été relayées par
de nombreux internautes à travers
le continent, détournant notamment
les propos du secrétaire général des
Nations Unies, António Guterres, qui
déclarait dans un entretien accordé
à Radio France Internationale fin mars
que la pandémie risquait de causer
des millions de morts en Afrique.
La thèse d’un vaccin subventionné par
la fondation Bill et Melinda Gates pour
contrôler les populations s’est également
répandue comme une traînée de poudre.
Ces informations ne sont pas seulement
erronées. Elles sont parfois volontairement
distillées pour tromper.
La circulation de rumeurs et leurs
conséquences ne sont pas spécifiques
à la crise sanitaire liée au coronavirus.
En 2014, des infox avaient provoqué des
résistances à la stratégie de riposte contre
la maladie à virus Ebola dans certains pays
touchés.
Dans son article intitulé « L’“exceptionnalité”
d’Ebola et les “réticences” populaires
en Guinée-Conakry. Réflexions à partir d’une
approche d’anthropologie symétrique »,
publié en 2015 dans la revue Anthropologie
& Santé, Sylvain Landry Faye explique que
les premiers cas de morts dans une même
famille avaient été interprétés comme
le signe d’une punition mystique ou d’une
malédiction consécutive à une histoire
de vol ou d’adultère. Ces rumeurs ont nourri
les croyances selon lesquelles la maladie
n’était pas réelle, et les communautés ont
développé des attitudes de rejet vis-à-vis
de la stratégie de riposte mise en place
par l’État et ses partenaires pour endiguer
l’épidémie. D’autres rumeurs présentaient
les Centres de traitement Ebola (CTE)
comme des lieux de contamination, des
Les réseaux sociaux ont
mouroirs où s’opérait un trafic de corps
et d’organes.
donné une portée inédite
Combler un vide aux fausses informations
Mais dans le cas du coronavirus, les réseaux
sociaux et les applications de type
Messenger, WhatsApp ou Facebook ont
donné une portée inédite aux fausses les besoins de réponses de citoyens de l’eau chaude ou de l’eau salée pour
informations. Ces plateformes, qui facilitent en quête de nouvelles plus positives se désinfecter la gorge. De prétendus
l’accès à l’information, permettent aussi sur de possibles traitements. Dès lors, responsables religieux peuvent également
à chaque utilisateur d’en produire et de les réseaux sociaux sont venus combler jouer ce rôle.
les faire circuler en un temps record. Postée ce vide.
Il n’est pas toujours facile pour le citoyen
le 20 avril, la vidéo sur l’incendie d’Ibadan
L’infox, qui circule le plus souvent dans ordinaire de faire la part entre l’information
avait été partagée plus de 380 000 fois
des groupes ou des cercles par affinité, est des médias traditionnels qui obéit à une
trois jours plus tard.
facilement consommée et assimilée à une rigueur de collecte, de traitement et de
D’autres facteurs sont venus encourager information « bien sourcée ». Des messages recoupement, et celle consommée sur
la circulation de rumeurs et d’infox. vocaux et des textes sont ainsi attribués les réseaux sociaux, même lorsque celle-ci
Au Sénégal par exemple, l’accent mis par à des personnalités, des autorités ou des est manifestement inexacte ou trompeuse.
les médias traditionnels sur le nombre responsables de services hospitaliers L’envie de croire, surtout en période
de personnes infectées et sur les messages qui proposent des solutions simples pour de crise, peut l’emporter sur la volonté
de prévention n’a pas entièrement satisfait se protéger telles que boire régulièrement de s’informer.

GRAND ANGLE  •  La crise sanitaire, terreau fertile de la désinformation   |  25
 Développer le sens Des initiatives concluantes peuvent
être répliquées. On peut citer par
Pour lutter contre l’infox, il est nécessaire
d’utiliser les canaux qui la diffusent et la
critique des citoyens exemple la webradio Wa FM, créée nourrissent. Il faut également éveiller,
au mois de mars dernier pour lutter en Afrique comme ailleurs, un sens critique
L’avalanche d’infox sur les réseaux sociaux,
contre les infox sur le Covid-19 en Côte des citoyens vis-à-vis des informations qui
que l’Organisation mondiale de la santé
d’Ivoire. Elle s’appuie sur un réseau leur parviennent, les inciter à questionner
a qualifiée d’« infodémie », a poussé
de près de 200 journalistes bénévoles les sources de ces informations, l’identité
les plateformes numériques à lancer
qui arpentent les rues de Yopougon, de leurs auteurs. Sans cette éducation
une offensive pour endiguer la viralité
un quartier populaire d’Abidjan, aux médias, les théories complotistes ou
des fausses informations en mettant
pour recouper les informations afin les infox sur les vertus thérapeutiques
en avant les contenus provenant
de corriger les fausses nouvelles diffusées supposées de l’ail ou de l’eau salée ont
de sources officielles ou en bannissant
sur les réseaux sociaux, éduquer encore de beaux jours devant elles.
les publicités vantant des remèdes
et sensibiliser les populations.
miracles. Les journalistes spécialisés
dans la vérification des faits, comme
le bureau francophone d’Africa Check au
Sénégal, n’ont pas ménagé leurs efforts
pour corriger et garantir des sources
d’information crédibles et fiables.
Toutefois, il est évident que ces réponses
L’envie de croire, surtout
ne suffisent pas. À l’avenir, il faudra associer
à cette lutte les blogueurs influents sur
les réseaux sociaux, mais surtout cibler
en période de crise, peut
des groupes Facebook et WhatsApp pour
sensibiliser et former leurs administrateurs
l’emporter sur la volonté
et leurs animateurs à la lutte contre
la circulation des infox. de s’informer
© Are
s / Ca
rtoon
Move
ment

26  |  Le Courrier de l’UNESCO • juillet-septembre 2020


Recherche :
« Cette épidémie sera un détonateur »
Nathalie Strub-Wourgaft est l’une des initiatrices de la Coalition
pour la recherche clinique sur le Covid-19 lancée en avril par des
institutions scientifiques, médecins, bailleurs de fonds et décideurs
politiques de près de 30 pays pour promouvoir la recherche dans
les pays à faibles revenus. Elle plaide en faveur d’une recherche
spécifique adaptée à ces pays.

Nathalie Strub-Wourgaft
en parallèle de l’épidémiologie.

© Thierry Olivier Epi2mik


Directrice de l’unité des maladies tropicales Il fallait aller très vite mais il fallait aussi
négligées du Drugs for Neglected éviter la duplication pour apporter
Diseases Initiative (DNDi), une organisation rapidement des réponses à des questions
de recherche indépendante basée à Genève fondamentales : comment éviter la mort,
(Suisse). comment éviter l’hospitalisation,
comment se protéger, qui étaient
Propos recueillis par Agnès Bardon les groupes à risque ? Or pour avancer
sur ces problématiques, il faut une forte
UNESCO puissance d’analyse, ce qui suppose
de regrouper les informations et les
données.
 Qu’est-ce qui a motivé la création de la
Coalition pour la recherche clinique sur
 Pourquoi est-il nécessaire
le Covid-19 ?
de développer une recherche spécifique
À la mi-mars, la recherche clinique sur dans les pays à faibles ressources ?
le coronavirus était déjà très active mais
Les propositions thérapeutiques qui
elle était concentrée dans les pays riches
pourraient être développées dans le Nord
où se trouvaient également la majorité des
ne sont pas applicables telles quelles
personnes infectées. Nous avons été un  Du microscopique au
dans le Sud, ne serait-ce que parce que
certain nombre à nous inquiéter de voir macroscopique, dessin de l’artiste
les comorbidités ne sont pas les mêmes
qu’aucun essai clinique n’était prévu dans français Thierry Olivier Epi2mik.
d’une région à l’autre. En Afrique par
les pays du Sud, que ce soit en Afrique,
exemple, la malaria, la tuberculose ou
en Asie ou en Amérique latine. Les cas
le VIH sont très répandus, ce qui n’est pas
y étaient encore peu nombreux mais
le cas en Europe. Par ailleurs, les systèmes
les projections prévoyaient une montée
de santé sont différents. Dans les pays dépendantes du contexte régional :
en puissance de l’épidémie, notamment
industrialisés, les hôpitaux ont eu le confinement n’est pas le même à Delhi
en Afrique. Il y avait un déséquilibre
du mal à faire face à l’afflux de patients que dans une région rurale en France.
manifeste entre le Nord et le Sud en matière
atteints de formes sévères de la maladie. L’impact de ce confinement, l’acceptabilité
de recherche. C’est la raison pour laquelle
Alors que dire de ceux qui ne sont pas par la population varient selon les régions.
nous avons lancé la Coalition. Nous avions
équipés de respirateurs artificiels ? Par conséquent, en matière de recherche,
encore en tête ce qui s’est produit au
Concernant les traitements, les molécules la notion de contexte est essentielle.
moment de la crise sanitaire survenue avec
qui présentent aujourd’hui certains On ne peut pas conduire une recherche
le virus Ebola. Une multitude de projets
résultats prometteurs sont des molécules scientifique dans les pays industrialisés
de recherche avait alors vu le jour mais
injectables qui nécessitent par conséquent et l’appliquer partout ailleurs. Les travaux
sans coordination et sans partage
un personnel hospitalier formé. Si ce de recherche doivent être guidés par
de l’information entre ces différents projets.
Il fallait éviter de reproduire ces erreurs.
personnel n’est pas disponible, il faut
trouver d’autres solutions thérapeutiques.
les priorités des pays.

Le Covid-19 étant une maladie nouvelle, Par ailleurs, on peut se demander si
tout était à faire : il fallait inventer le virus est le même. Il semblerait qu’il
de nouveaux protocoles, décrire présente des variantes géographiques.
les prélèvements, établir les tableaux Enfin, les problématiques abordées par
cliniques. La recherche s’est développée les sciences sociales sont également

GRAND ANGLE  •  Recherche : « Cette épidémie sera un détonateur »  |  27


© Thierry Olivier Epi2mik / Courtesy of Cabinet d’amateur

 Épidémie, peinture réalisée en 2015.

Ce nouveau virus ne laisse


pas d’autre choix que
de travailler ensemble
  Une crise sanitaire d’une telle ampleur  Assiste-t-on aux prémisses d’une  Peut-on parler de rupture à propos
peut-elle faire prendre conscience de la meilleure gouvernance des efforts de cette crise sanitaire ?
nécessité de fédérer les efforts en matière de recherche ?
Il y aura un avant et un après. Comment
de recherche ?
Il est encore un peu tôt pour le dire. en serait-il autrement alors que les
Absolument. Il faut fédérer les efforts La volonté existe et on constate une contaminations se comptent en millions,
en matière d’identification des traitements, meilleure collaboration des milieux de la les morts en centaines de milliers ? Si ce
sur les diagnostics. Il est nécessaire que recherche que par le passé. On ne peut pas n’est pas le cas, c’est que nous sommes
les grands donateurs se mettent d’accord encore parler de meilleure gouvernance dans le déni de ce que nous venons de vivre.
sur des priorités, c’est absolument essentiel mais on s’en rapproche. Dans le même On a perdu du temps dans la recherche sur
dans la riposte. Nous vivons un moment temps, près d’un millier d’essais cliniques ont cette maladie mais moins que par le passé.
de l’histoire où nous nous trouvons tous été lancés sur le Covid, ce qui signifie qu’à Ebola a été un tournant. Le Covid sera un
concernés par un problème de santé l’échelle internationale il n’existe pas de réelle détonateur. Cette crise est indéniablement
globale. Il s’agit d’une situation totalement concertation. Cette crise sanitaire constituera une leçon. Depuis plusieurs années, certains
inédite. Même la crise liée au virus Ebola un point de bascule bien qu’il soit difficile essayaient de tirer la sonnette d’alarme,
a finalement été considérée comme un encore d’en mesurer l’impact. Nous sommes à l’image de Bill Gates qui, il y a plusieurs
problème de l’Afrique. Ce nouveau virus en train de construire une nouvelle façon années déjà, avait mis en garde contre
ne laisse pas d’autre choix que de travailler de travailler mais il reste beaucoup à faire. la survenue d’une pandémie. Certains
ensemble. Le fait que l’Organisation L’un des acquis, c’est qu’aujourd’hui avaient proposé que les pays membres
mondiale de la santé ait nommé son premier on s’efforce d’intégrer la problématique de l’OMS consacrent 0,1 % de leur budget
essai clinique Solidarity n’est pas anodin. de l’accès aux projets de recherche. Au DNDi à la recherche, selon des priorités définies
par exemple, nous travaillons actuellement par les impératifs de recherche du moment.
à un essai clinique. On regarde les molécules Ces voix-là doivent maintenant être
qui vont pouvoir être mises à disposition des entendues.
populations et être accessibles à une large
échelle. Cela semble évident mais ça n’a pas
toujours été le cas.

28  |  Le Courrier de l’UNESCO • juillet-septembre 2020


populations
Les
autochtones
à l’épreuve de la crise
La crise sanitaire qui a frappé le monde a mis en lumière
la capacité de résilience de certaines communautés autochtones.
Elle a surtout révélé la fragilité de ces populations que
la pauvreté, la malnutrition et un faible accès aux soins rendent
particulièrement vulnérables aux maladies infectieuses.

Minnie Degawan
Directrice du programme Peuples indigènes
et traditionnels de Conservation International
aux États-Unis.

Depuis toujours, les populations


autochtones ont su s’isoler du reste
du monde lorsque les circonstances
l’exigeaient. Aux Philippines par exemple,
dans la Cordillère, une telle pratique
– dénommée ubaya ou tengaw – est
observée à des moments précis du cycle
agricole pour permettre à la terre et aux
individus de se reposer.
Personne n’est autorisé à entrer ou
à sortir de la communauté, y compris ses
membres se trouvant à l’extérieur lorsque
le confinement a été annoncé. Une botte
Portrait d’une femme
de feuilles nouées est placée en différents
tatouée selon les traditions
© Jacob Maentz

points d’entrée et de sortie pour signifier


kalinga dans la cordillère
que la communauté est en ubaya. Cette
des Philippines, sur l’île de Luçon.
pratique est prise très au sérieux par
les membres de la communauté et les
personnes des environs – violer l’ubaya
revient à appeler le désastre sur toute
la communauté.

La pauvreté, la malnutrition Les rituels qui accompagnent l’ubaya


constituent un élément important

et le taux élevé de problèmes


de la riposte de la communauté. Ils ne sont
pas censés inspirer la peur ou convoquer
le mal, mais servent à renforcer le sens

de santé préexistants ont de la communauté, ce que les anciens


demandent pour la protection de tous,
y compris de la nature.
aggravé les risques encourus Des rituels similaires – qui soulignent
la nécessité d’atteindre un équilibre entre

par ces populations le monde spirituel et le monde physique –


sont effectués par les anciens de différentes
communautés autochtones aux Philippines,

GRAND ANGLE  •  Les populations autochtones à l’épreuve de la crise  |  29
 en Indonésie, en Malaisie et en Thaïlande
pour protéger les villages. Pendant
Mais la crise sanitaire a aussi révélé avec
une acuité nouvelle la fragilité de ces
Leur lutte continue contre la déforestation,
le changement climatique et la disparition
ces confinements, les membres de la communautés. Les populations autochtones des moyens de subsistance traditionnels
communauté s’occupent des personnes – qui souffrent d’un manque d’équipement les rend en effet particulièrement
dans le besoin et leur apportent leur en soins de santé et d’un accès insuffisant vulnérables aux nouvelles maladies
aide, partagent la nourriture, notamment aux services de base, aux équipements infectieuses. La pauvreté, la malnutrition
les patates douces séchées stockées pour sanitaires et aux principales mesures et le taux élevé de problèmes de santé
les temps difficiles. préventives, notamment l’eau potable, préexistants ont aggravé les risques
le savon et les désinfectants – sont touchées encourus par ces populations – dont
Pauvreté et malnutrition par une marginalisation socio-économique
qui les expose à un risque élevé en cas
beaucoup vivent dans des maisons
multigénérationnelles, avec leurs aînés.
Ces pratiques traditionnelles ont aidé d’urgence sanitaire.
les populations autochtones à faire face aux
contraintes du confinement imposées par
l’épidémie du Covid-19 et à organiser leur
survie. « Leurs bonnes pratiques en matière
de soins et de connaissances traditionnelles, Les efforts des gouvernements
pour répondre aux besoins
telles que le confinement des communautés
pour prévenir la propagation des maladies,
ainsi que l’isolement volontaire, sont
aujourd’hui suivies dans le monde entier »,
a déclaré Anne Nuorgam, présidente particuliers des communautés
de l’Instance permanente des Nations Unies
sur les questions autochtones (UNPFII). ont été souvent sommaires
 Deux chasseurs-cueilleurs aetas à la recherche d’oiseaux
et de singes, dans une forêt sur l’île de Luçon aux Philippines.

© Jacob Maentz

30  |  Le Courrier de l’UNESCO • juillet-septembre 2020


© Jacob Maentz

 Jeune garçon de la communauté philippine ifugao aidé par ses aînés à revêtir
l’habit traditionnel pour le rite annuel du punnuk, qui marque la fin de la récolte.
Un mode de vie
à l’épreuve de la crise
La pandémie a mis en lumière les multiples Les efforts des gouvernements pour de l’UNPFII qui a plaidé en faveur d’un droit
problèmes auxquels sont confrontées répondre aux besoins particuliers à l’autodétermination des populations
les populations autochtones. Dans le nord des communautés ont été souvent autochtones en situation d’isolement
de la Thaïlande, par exemple, des incendies sommaires et n’ont pas pris en compte volontaire et demandé « que leur décision
de forêt ont ajouté aux pressions sur les conséquences à long terme sur d’être isolées soit respectée ».
la sécurité alimentaire et menacé le bien- les moyens de subsistance et la survie
Les droits des communautés autochtones
être des personnes. Les Nagas, peuple des populations autochtones. L’une doivent être au centre de toute intervention
du nord-est de l’Inde, ont été victimes des leçons de cette crise est qu’une ou de tout plan. Ces communautés ont
de discriminations et de rumeurs infondées attention particulière devra être portée démontré avec force que lorsqu’elles
sur le virus. Les étudiants nagas ont été à l’avenir à la situation spécifique de ces mettent en pratique leurs connaissances
expulsés de leur logement et soumis à des populations. Il faudra veiller par exemple traditionnelles – et lorsqu’elles ont le plein
violences. Les Dumagats du sud de Luçon, à ce que des informations sanitaires contrôle de leurs ressources et exercent
aux Philippines, ont fait face à des pénuries fiables et appropriées soient fournies librement leur droit à l’autodétermination –,
alimentaires. Des événements similaires se dans les langues autochtones afin elles sont plus à même de se protéger,
déroulent en Équateur, où des exploitants de protéger les membres les plus fragiles ainsi que la nature et leur environnement.
ont continué de traverser les territoires des communautés. Plus largement, il faudra Cela est également vrai face aux nouveaux
indigènes pour extraire du pétrole. lutter sans relâche contre les discriminations défis que sont les crises sanitaires.
Par ailleurs, la crise sanitaire a mis visant les communautés autochtones,
à l’épreuve le mode de vie des populations qui en temps de crise ont tendance
autochtones. De nombreuses pratiques à s’accentuer, et veiller à la préservation
et traditions culturelles, qui prévoient des de leurs modes de vie. Il y va de l’avenir
rassemblements et des processions pour même de leur culture. « Les aînés
des événements tels que les récoltes ou autochtones sont une priorité pour nos
les cérémonies de passage à l’âge adulte, ont communautés, car ils sont les gardiens
été mises entre parenthèses pour la sécurité de notre histoire, de nos traditions
des anciens et des plus vulnérables. et de notre culture », a ajouté la présidente

GRAND ANGLE  •  Les populations autochtones à l’épreuve de la crise   |  31


La frontière,
barrière mouvante,
invisible mais bien réelle
La frontière d’aujourd’hui n’est plus forcément faite de briques et de
barbelés. Elle s’apparente de plus en plus à une barrière mouvante
qui s’appuie sur les technologies de pointe et la réglementation
pour imposer des restrictions de circulation aux citoyens.
La pandémie de Covid-19 a encore accentué ce phénomène.

Ayelet Shachar  « La Maleta », cyanotype issu


de la série X-Ray Vision vs. Invisibility,
Directrice de l’Institut Max-Planck
réalisé par l’artiste Noelle Mason à partir
de recherche sur les sociétés multireligieuses
d’une image collectée sur le site web
et multiethniques à Göttingen, en Allemagne.
de la patrouille frontalière américaine.
La Frontière mouvante : Cartographie juridique
des migrations et des mobilités est son dernier
ouvrage. au Covid-19. Aucune de ces interdictions
légales d’entrée (et dans certains pays,
En 1989, après la chute du mur de Berlin, de sortie) n’a nécessité l’envoi d’un seul
nombreux sont ceux qui ont prédit la fin bataillon de soldats à la limite du territoire
des frontières. La réalité a été tout autre. ou la mise en place d’un seul sac de ciment
Au lieu de disparaître, les frontières se à la frontière.
sont en réalité métamorphosées. Elles ont
évolué pour devenir une barrière mobile, Au lieu de cela, les gouvernements ont
une construction juridique sans amarres. déplacé la frontière pour réglementer
la mobilité en bloquant les voyageurs avant
© Noelle Mason

La frontière s’est affranchie de la carte ; elle


peut désormais s’étendre au-delà des limites leur embarquement, et même après qu’ils
du territoire ou à l’intérieur de celui-ci. avaient atteint leur destination – en leur
Le détachement du pouvoir d’État de tout ordonnant par exemple de porter des
repère géographique fixe a créé un nouveau bracelets GPS. Des experts de l’industrie
paradigme : la frontière mouvante. du voyage ont estimé que certains individus
– présentant les symptômes du Covid-19 pourraient préférer une préquarantaine
La frontière mouvante n’est pas déterminée dans leur pays d’origine.
s’est vu interdire l’embarquement dans
dans le temps et dans l’espace ; elle est
un avion à destination du Canada. Il est évident que la gestion de la mobilité
constituée de barrières juridiques plutôt que
Ce faisant, le pays a étendu ses frontières, et des migrations restera profondément
physiques. Les mesures prises pour faire face
tant sur le plan conceptuel que juridique, modifiée tant qu’un vaccin ne sera pas
à la pandémie mondiale ont accéléré cette
en déplaçant ses activités de contrôle des mis au point. Ce qui ressemblait à de la
tendance.
frontières vers des points d’entrée situés science-fiction est devenu une réalité.
En janvier 2020, lorsqu’un ensemble de cas à l’étranger, principalement en Europe et en L’aéroport israélien Ben-Gourion, déjà connu
de pneumonies virales inexpliquées a frappé Asie. pour son protocole de sécurité strict, est
Wuhan, en Chine, les pays voisins qui avaient en train de mettre au point un processus
déjà fait les frais des épidémies de SRAS
et de MERS n’ont pas perdu de temps.
Un réel aux allures d’enregistrement « continu » dans lequel
aucun agent humain n’est impliqué. L’objectif
Outre les mesures de santé publique, ils ont de science-fiction est de créer des « pôles de transport sans
imposé des interdictions de voyager qui coronavirus » et des « zones » ou « bulles »
Fait remarquable, en mai 2020, près
limitaient l’accès à leur territoire. isolées dans lesquelles les déplacements
de 200 pays ont imposé de telles restrictions
pourront reprendre. Seules les personnes
La procédure d’entrée sur ces territoires de déplacement en interdisant les arrivées
en bonne santé seront autorisées
peut désormais avoir lieu dans des centres et les départs. Au plus fort de la crise,
à emprunter ces couloirs « stériles ».
de transit étrangers situés à des milliers 91 % de la population mondiale vivait
de kilomètres. Au Canada, par exemple, toute dans des pays qui avaient introduit des Ces évolutions soulèvent d’importantes
personne – y compris les citoyens canadiens restrictions de déplacement en réaction questions éthiques et juridiques. La santé

32  |  Le Courrier de l’UNESCO • juillet-septembre 2020


Au lieu de disparaître, et d’intercepter les voyageurs plus tôt,
plus fréquemment et plus loin. Ainsi,
les voyageurs sont suivis lors de leur passage

après la chute du mur en plusieurs points de contrôle tout au long


de leur voyage.

de Berlin, les frontières Dans le cadre de l’effort de gestion


des migrations et de la mobilité, une
« autorisation électronique de voyage »
se sont métamorphosées va désormais être exigée par l’Union
européenne, même pour ceux qui
bénéficient de l’exemption de visa
et qui sont en possession de passeports très
deviendra un atout inestimable, une Avec la montée simultanée du traitement prisés au niveau international. Le système
condition préalable aux déplacements. de données massives et la création européen d’information et d’autorisation
Des pays tels que le Chili, l’Allemagne, de vastes bases de données qui enregistrent de voyage (ETIAS), qui sera mis en service
l’Italie et le Royaume-Uni explorent l’idée les informations biométriques des voyageurs, en 2022, sera le centre d’autorisation
de « passeports d’immunité » accordant nos corps deviendront nos tickets d’entrée préalable de voyage à destination
l’accès à la vie publique et à la mobilité pour à mesure que les frontières biométriques de 26 pays de l’espace Schengen.
certains, tout en le réduisant pour d’autres. s’étendront. Des pays comme l’Australie, Associée au passeport, cette couche
la Chine, le Japon, les États-Unis et les Émirats supplémentaire de collecte d’informations
Tunnels intelligents arabes unis montrent la voie. L’aéroport crée une frontière mouvante très efficace
international de Dubaï a mis en place un mais invisible, opérationnelle partout dans
et frontières projet pilote de « frontières biométriques » le monde avant tout départ, et qui s’adapte
biométriques – connues sous le nom de « tunnels à l’emplacement et au profil de risque
intelligents » – qui permettent d’identifier du voyageur.
Même avant la pandémie, les les passagers grâce à la numérisation de leur
gouvernements s’appuyaient de plus
en plus sur la surveillance biométrique
iris et de leur visage.
Une frontière
des migrations, qui fournit un regard Pour concrétiser cette vision orwellienne,
l’emplacement, le fonctionnement et la
en chacun de nous
technologique « omniscient » sans
précédent pour surveiller et suivre logique de la frontière doivent être redéfinis D’autres projets, tels que le projet pilote
la mobilité de chacun, partout dans afin de permettre aux gouvernements financé par l’Union européenne baptisé
le monde. ou à leurs représentants de contrôler iBorderCtrl, ajoutent une dimension

 « Primavera », cyanotype à partir d’une image de camion de marchandise passé aux
rayons X. L’artiste questionne la nouvelle imagerie produite par les technologies de surveillance.
© Noelle Mason

GRAND ANGLE  •  La frontière, barrière mouvante, invisible mais bien réelle   |  33
Écrire pour
 futuriste à la réglementation en matière
de mobilité. Les voyageurs entrants
doivent « effectuer un bref entretien
automatisé et non intrusif avec un
avatar [et] se soumettre à un détecteur

éclairer la nuit
de mensonges ». Les données sont
ensuite stockées dans de grandes bases
de données interconnectées – permettant
aux autorités de « calculer un facteur
de risque cumulé pour chaque individu ».
Le monde qui vient sera différent de celui que nous
Le facteur de risque ainsi calculé avons connu. Il sera plus bienveillant pour ce qui
apparaîtra lors de tout futur passage
de frontière et peut conduire à des
nous est inconnu et plus respectueux vis-à-vis des
vérifications supplémentaires ou espèces vivantes, prédit la poétesse Zhai Yongming.
même à un refoulement. L’avatar
d’iBorderCtrl est programmé pour
détecter les « microgestes » révélateurs.
Des développements similaires pourraient
bientôt être opérationnels aux États-Unis, Zhai Yongming
où des systèmes de détection assistés que ceux que j’ai écrits pendant la pandémie
par l’intelligence artificielle peuvent Poétesse chinoise reconnue, Zhai Yongming n’auront pas jailli sur un coup de tête,
repérer les changements de flux sanguin a reçu de nombreuses récompenses ou simplement pour attirer l’attention.
ou les mouvements imperceptibles des internationales, notamment le prix littéraire J’attends d’eux qu’ils expriment les pensées
yeux. La frontière d’autrefois n’est donc international Ceppo Pistoia et le Northern et les sentiments concrets qu’elle inspire.
pas seulement mouvante : elle est aussi California Book Awards. Depuis la parution Pour moi, l’écrivain doit dire comment il voit
multipliée et fracturée. En réalité, chaque de sa suite de poèmes Femmes dans les choses, et ne pas se contenter de slogans.
personne « porte » la frontière avec elle. les années 1980, elle a publié une dizaine
d’anthologies poétiques et huit séries En tant que forme particulière d’expression
Ces évolutions ont des conséquences littéraire, la poésie naît dans les profondeurs
d’essais. Ses œuvres sont traduites
considérables sur la portée de nos droits d’un cœur intensément ému. En des temps
dans de nombreuses langues.
et libertés. Le fait de traiter le corps humain pareils, elle devrait parler des souffrances
comme instance de réglementation n’est des gens et de leur résistance face
Lorsqu’une catastrophe survient,
plus du seul ressort des gouvernements à la catastrophe. Elle devrait provoquer
la littérature ne devrait exprimer ni éloge
nationaux. Les grandes entreprises la réflexion.
hâtif ni critique inconsidérée. Elle devrait
technologiques sont fortement
se concentrer sur les individus. Parler Le poète ou la poétesse doit se consacrer
impliquées dans l’extraction de données
de leurs émotions réelles et partager à bâtir une société juste et à protéger
et la géolocalisation de ceux qui ont été
testés positifs au virus (parfois sans leur les réflexions qu’inspire ce drame. Les êtres l’environnement. S’il fuit la réalité,
consentement). humains doivent apprendre à révérer ou ne parvient pas à dire ce qu’il pense
l’inconnu, à respecter la vie, à s’éloigner à propos du monde, il ne joue pas le rôle
Mais cette même crise nous a montré des préjugés et des pensées manichéennes. qui devrait être le sien.
qu’un autre avenir est à portée Ainsi, les peuples du monde connaîtront-ils
de main. En réponse à la pandémie,
le gouvernement portugais a par exemple
sans doute plus de liberté et de tolérance
quand la pandémie s’éteindra.
L’écriture féminine
déclaré que tous les immigrants se
Depuis Femmes, le recueil que j’ai composé
comme alternative
trouvant déjà sur son territoire – y compris
les demandeurs d’asile – bénéficieraient dans les années 1980, la plupart de mes Dans les catastrophes, les femmes ont
des mêmes droits que les citoyens poèmes tirent leur inspiration du réel et de souvent fait preuve de bravoure, de courage
en matière de « santé, de sécurité ce qui se passe dans la société. J’espère donc et de détermination. Pendant la pandémie
sociale et de stabilité de l’emploi et du
logement, ce qui constitue le devoir
d’une société solidaire en temps de crise ».
Ici, le fait de partager les mêmes risques
au même endroit a créé du même coup
un sentiment de destin commun. Le poète ou la poétesse
Lorsque le jour viendra où nous pourrons
mieux combattre ce virus mortel, il
restera à remédier à ses effets néfastes
doit se consacrer à bâtir
et à ses facteurs d’exclusion.
une société juste et à
protéger l’environnement

34  |  Le Courrier de l’UNESCO • juillet-septembre 2020


Photo de Zhai Yongming se promenant dans
une ferme de la cité d’eau de Xitang près de Shanghai.
© Jie Mo

de Covid-19, une jeune femme nommée assumer des tâches considérées comme ne vienne nous guider. Y aura-t-il plus
Deng Ge a organisé une « brigade d’anges » étant l’affaire des hommes et prouver de liberté et de tolérance dans le monde
après le verrouillage de Wuhan, pour livrer que rien ne s’oppose à ce qu’elles soient lorsque nous aurons enfin surmonté
des marchandises aux hôpitaux, soigner accomplies par des femmes. cette épreuve ?
les sans-abri, aider les patients à trouver
L’écriture féminine n’a rien de physiologique, Si nous voulons parvenir à cette liberté
des lits d’hôpital et distribuer chaque jour
c’est une nouvelle perspective qui s’affranchit et à cette tolérance, nous devons nous
des repas gratuits au personnel soignant.
du discours et de la pensée aveugle des garder des préjugés et des pensées
Elle l’a fait de sa propre initiative, risquant
hommes. La voix féminine ne se contente manichéennes, et renoncer à notre
sa vie, bravant dangers et pressions. Elle n’a
pas de remplir des blancs ou de compléter habitude de dénigrer ce que nous ignorons
pas été la seule : de nombreuses femmes
la parole masculine, elle offre une alternative ou connaissons mal. Après la pandémie,
de Wuhan ont fait leur part en silence
au système esthétique existant. le monde devrait être moins nocif :
en tant que bénévoles.
l’homme respecterait davantage les autres
Certaines écrivaines semblent être vouées
L’écriture féminine est un sujet qui trouve espèces vivantes et les peuples seraient
à se libérer pleinement des entraves
aujourd’hui toute sa pertinence. Ainsi, plus tolérants entre eux. Comme le monde
de leur genre, ce qui, selon moi, signifie
pendant l’épidémie, Ruoshuiyin, à la fois change constamment, et malgré
qu’elles ne craignent pas d’être étiquetées
poétesse et infirmière en première ligne, tous les efforts de l’espèce humaine
et qu’elles sont capables de rester
a couché dans ses poèmes largement pour le maîtriser grâce aux nouvelles
optimistes. Leur travail est comme une
salués par le public ce que vivaient technologies, la nature suit son propre
lumière brillant au milieu des ténèbres.
et ressentaient réellement les personnels cours, et nous n’avons aucune chance
Je préfère parler de « nuit claire » pour
de santé. Son écriture est irremplaçable, de l’assujettir. Nous ne pouvons que
décrire cette obscurité avec l’ambition
car le personnage qu’elle dépeint est celui nous montrer plus respectueux devant
et la bienveillance des femmes.
d’un journaliste envoyé sur le champ l’inconnu et bienveillants à l’égard de toutes
de bataille, témoin direct de ce qui s’est les espèces vivantes.
réellement passé en tous points de la ligne Avenir incertain
de front.
La pandémie a assombri les perspectives
En réalité, les femmes jouent déjà leur prometteuses d’un monde de sécurité
rôle dans des contextes ou des domaines et de liberté. Nous allons devoir vivre
publics. Elles occupent des postes où elles pendant longtemps dans l’incertitude
doivent déployer de grands efforts pour de l’avenir. Il se peut qu’aucun prophète

GRAND ANGLE  •  Écrire pour éclairer la nuit   |  35


36 | Le Courrier de l’UNESCO • juillet-septembre 2020
Carnets de
voyages immobiles
Photos : Douze photographes du projet
Women Photograph The Journal
Texte : Katerina Markelova, UNESCO

Isolement, perte de revenu, charges domestiques


écrasantes : les femmes photographes ont subi de plein
fouet les effets du confinement imposé pour endiguer
la pandémie de Covid-19. Face à cette situation inédite,
elles sont plus de 400 à s’être réunies au sein d’un projet
collaboratif unique, The Journal, né spontanément
à la mi-mars suite à un appel lancé sur Facebook par
la communauté Women Photograph. Depuis 2017,
ce réseau qui compte plus de 1 000 membres répartis
dans une centaine de pays s’est donné pour vocation
d’augmenter la présence des femmes photographes
dans les médias.
Pendant des semaines, les femmes participant au projet
The Journal ont rendu compte en images de leurs
vies confinées. De Bangkok à Kampala, en passant
par Beijing, Tbilissi ou Mexico, elles offrent un récit très
personnel, poétique, mélancolique ou teinté d’humour,
de leur assignation à résidence. Cette plongée
dans leur intimité donne à voir ce moment paradoxal,
vécu collectivement mais chacun chez soi.
Ce regard de femmes, revendiqué comme tel, est rare
dans un milieu où la sous-représentation des femmes
photojournalistes est criante. « Le métier compte
de très nombreuses femmes, mais elles ne bénéficient
pas d’un accès équitable à l’emploi », explique
Daniella Zalcman, fondatrice de Women Photograph.
Le collectif, qui recense les données sur la parité dans
le photojournalisme, rappelle que seules 29,5 % des
photos publiées dans le New York Times en 2019 ont été
prises par des femmes. Dans Le Monde et The Guardian,
ce chiffre dépasse à peine 10 %. La crise risque
de creuser encore les inégalités.
Parmi les photographes membres du réseau Women
Photograph, pour la plupart indépendantes, 96 %
déclarent avoir été financièrement affectées par la crise
sanitaire. Le collectif a mis en place un fonds d’urgence
baptisé Women Photograph Emergency Fund pour
leur venir en aide.

 NAZIK ARMENAKYAN, EREVAN, ARMÉNIE.


11e jour d’isolement. Autoportrait au cerisier en fleur
dans l’arrière-cour de notre bureau. Venue en voiture
prendre quelques affaires importantes. Plus de
10 jours maintenant que notre bureau est fermé.

ZOOM • Carnets de voyages immobiles | 37


 YAN CONG, BEIJING, CHINE.
Le 3e jour de ma quatorzaine dans
une chambre d’hôtel de Beijing,
je commence à prendre des photos
par le judas de la porte. Pendant
tout ce temps, je n’ai pas le droit
de sortir de ma chambre, et mes
repas sont déposés devant ma
porte afin d’éviter tout contact
personnel direct. Le judas est
devenu mon seul moyen d’observer
le dispositif de confinement.

 TARINA RODRIGUEZ, PANAMA CITY.


Quand au quotidien l’anormal devient normal.
Voici ce que l’on voit en entrant chez moi.

38 | Le Courrier de l’UNESCO • juillet-septembre 2020


ELISABETTA ZAVOLI, RIMINI, ITALIE. « Et dans l’obscurité je
peux trouver les couleurs » est un projet photo participatif que
je mène en Italie avec mes deux fils, Davide, 11 ans, et Giovanni,
8 ans. Ils ont compris que derrière la grille de notre jardin
circule une grave épidémie mondiale. Cela suscite chez eux
une foule de questions, de peurs et de fantasmes. Pour y faire
face, nous avons décidé de créer un monde de rêves, grâce au
lien avec la campagne qui nous entoure, pour y forger notre
imaginaire au milieu de l’obscurité la plus totale en illuminant
la scène, chaque nuit, avec différentes sources de lumière.

ZOOM • Carnets de voyages immobiles | 39


 SAUMYA KHANDELWAL,
NEW DELHI, INDE. Cette photo
montre mon grand-père, Mahesh
Kumar Khandelwal, en train de se
raser dans sa chambre baignée
de soleil à Lucknow, en Inde,
le 22 mars. Nous avions vendu
la vieille demeure familiale où
cette photo a été prise, et devions
déménager quelques jours plus tard,
quand le confinement a retardé nos
projets. En attendant, je savoure
le supplément de temps qui m’est
accordé dans la maison où j’ai grandi.

40 | Le Courrier de l’UNESCO • juillet-septembre 2020


 KHADIJA FARAH, NAIROBI, KENYA. Il m’arrive certains jours de me réveiller en forme. Ces jours-là, j’ai assez
d’énergie pour me faire un masque de beauté, me vernir les ongles, discuter avec mes amis d’autres sujets que
le virus. Ces bons jours sont devenus plus fréquents et je me sens progressivement redevenir moi-même.

 JANET JARMAN, MEXICO.


À Mexico, où j’habite, la sécurité
s’est beaucoup détériorée ces
dernières années, ajoutant un stress
supplémentaire à la crise sanitaire.
Je sais que je ne suis pas la seule.

 IMAN AL-DABBAGH, DJEDDAH,


ARABIE SAOUDITE. Zahra et Samer
devaient aller célébrer leur union
dans un complexe hôtelier égyptien.
Ils se sont finalement mariés
tranquillement à la maison.

ZOOM • Carnets de voyages immobiles | 41


42 | Le Courrier de l’UNESCO • juillet-septembre 2020
 DARO SULAKAURI, TBILISSI, GÉORGIE. Ma tante est enseignante
en première année d’école primaire. La technologie n’était pas son fort,
mais elle s’est jetée à l’eau. Grâce à Zoom, elle fait tous les jours la classe
depuis sa chambre à une bonne quinzaine d’élèves. Je l’adore !

 ALEJANDRA CARLES-TOLRA, LONDRES,


ROYAUME-UNI. Confinée chez moi, mais bien
décidée à rester inspirée et positive, j’ai entamé un
voyage autour de mon appartement londonien
pour observer les jeux de lumière venus de l’extérieur.
Puis j’ai décidé de représenter les objets essentiels
qui m’accompagnent pendant cette période, sous
la belle lumière qui préserve ma santé mentale.

ZOOM • Carnets de voyages immobiles | 43


 WATSAMON « JUNE » TRI-YASAKDA, BANGKOK,
THAÏLANDE. En attendant les commandes des restaurants,
qui n’ont le droit que de livrer ou servir des plats à emporter,
les livreurs s’exercent à la distanciation sociale.

44 | Le Courrier de l’UNESCO • juillet-septembre 2020


 SUMY SADURNI, KAMPALA, OUGANDA. Grièvement blessée dans un accident à Kampala, Alicia (à droite)
était déjà confinée avant la pandémie. Danny (à gauche), qui est en train de cuisiner de la chèvre sur un fourneau
de plein air, est son colocataire, son ami et son garde-malade. Maintenant qu’ils sont tout le temps à la maison,
ils passent leurs journées à concocter des gâteaux et des petits plats, à se détendre et à reprendre des forces.

ZOOM • Carnets de voyages immobiles | 45


IDÉES
Ces microbes et virus
qui font l’histoire
Épidémies et pandémies ne sont pas un phénomène nouveau.
Lèpre, peste, choléra ou variole ont laissé leur empreinte meurtrière
dans l’histoire de l’humanité. Elles ont aussi conduit l’homme à s’interroger
sur lui-même et sont à l’origine de certaines avancées.

Ana María Carrillo Farga


Historienne de la médecine, experte La peste d’Athènes, qui frappa la ville entre La méconnaissance des maladies qui
en pandémies et professeure au département 430 et 426 avant J.-C., a ainsi certainement provoquent ces épidémies et leurs modes
de santé publique de l’Université nationale précipité la chute de la cité assiégée. de contamination a conduit très tôt
autonome du Mexique (UNAM). Les populations des empires incas ou les autorités à prendre les seules mesures
aztèques furent décimées par les germes sanitaires possibles pour en limiter
de la variole apportés par les conquistadors la contagion : l’isolement des malades dès
Qu’elles soient liées à des maladies
espagnols au xvie siècle. De nombreux le viiie siècle pour faire barrage à la lèpre,
bactériennes, comme la peste bubonique
historiens considèrent que la grippe puis le confinement au xive siècle alors
ou le choléra, ou à des virus, comme
espagnole a contribué à accélérer la fin que sévissait la peste. En mer, les cadavres
la variole, la grippe ou le VIH/sida,
de la Première Guerre mondiale. des personnes contaminées qui mouraient
les épidémies, qui se caractérisent par une
à bord étaient jetés à la mer. C’est à Raguse,
propagation rapide et un taux de mortalité
actuelle Dubrovnik, au xive siècle, puis
élevé, jalonnent l’histoire de l’humanité
à Venise, au xve siècle, qu’ont été prises
depuis l’Antiquité.
les premières mesures d’isolement sanitaire
À l’origine d’un nombre considérable forcé. Les deux cités imposent alors aux
de morts, parfois même de catastrophes navires un isolement de plusieurs semaines.
démographiques, elles ont parfois Cette mesure se généralise dans les ports
infléchi le cours de l’histoire. importants tels que Gênes, Naples en Italie
ou Marseille en France.

Recherche de boucs
émissaires
Les conséquences de telles mesures étaient
très défavorables au commerce. Comme
la peste justinienne (vie-viiie siècle), la peste
noire au Moyen Âge a largement perturbé
les voies de négoce traditionnelles. Le bassin
méditerranéen a été délaissé au profit de la
région des Flandres, qui devient un lieu
d’échanges de premier ordre en Europe.
© Thiago Lucas / Cartoon Movement

De fait, la volonté de ne pas porter atteinte


au commerce a pesé très lourdement dans
la gestion des épidémies, retardant souvent
de manière dramatique la prise de mesures
destinées à freiner leur propagation. Il n’était
pas rare même que les commerçants
ou les responsables politiques tentent
de cacher leur existence.

46  |  Le Courrier de l’UNESCO • juillet-septembre 2020


L’histoire des épidémies est aussi marquée Malades atteints de la grippe espagnole
par l’émergence de mouvements populaires à l’hôpital de campagne n° 29 de l’armée
à l’encontre de certains groupes sociaux américaine à Hollerich, Luxembourg, 1918.
accusés d’être à l’origine de la maladie.
Les pertes en vies humaines, massives,
simultanées et subites, généraient un tel
sentiment de peur et de désarroi qu’il a
entraîné la recherche de coupables, les plus
pauvres ou les populations marginalisées
le plus souvent, à l’encontre desquels étaient
commis des actes de discrimination.

© Public Domain / U.S. Department of Defense


Les pandémies semaient le deuil à grande
échelle, frappant des familles et des villages
entiers. On estime que la peste noire qui
a frappé l’Europe au milieu du xive siècle
aurait fait entre 25 et 40 millions de victimes,
soit un tiers à la moitié de la population
de l’époque. Il fallut plus de deux siècles
à l’Europe pour retrouver sa population
antérieure. La grippe espagnole de 1918
aurait quant à elle causé la mort
de 50 millions de personnes dans le monde.
Il est difficile d’imaginer l’état d’abattement
que cette pandémie a dû causer au sortir
de la Première Guerre mondiale.
Confrontant l’homme à la mort et à Confrontant l’homme
à la mort et à l’inexpliqué,
l’inexpliqué, ces catastrophes l’ont conduit
à méditer sur sa condition. Elles ont
également été moteur de progrès dans
la recherche de traitements et de mesures
préventives. Si la médecine en est encore
à ses balbutiements à la fin du Moyen Âge,
ces catastrophes l’ont conduit
certaines mesures d’hygiène commencent
à s’imposer. Dès le xive siècle, on change
à méditer sur sa condition
le linge des malades. Après l’épidémie
de choléra qui frappe Londres au milieu
du xixe siècle, les autorités surveillent
l’approvisionnement en eau.
Pour tenter d’éviter la propagation La pandémie actuelle ne fait pas exception.
des épidémies, notamment du choléra Elle marque la crise d’un mode de vie.
Émergence de politiques et de la peste, en limitant le plus possible Les études scientifiques montrent que c’est
de santé publique les entraves au commerce et à la libre
circulation des personnes, douze États
la dégradation systématique de la nature qui
constitue la cause profonde de la pandémie
La succession d’épidémies meurtrières a européens organisent à Paris en 1851 du Covid-19 : l’élevage industriel d’animaux
conduit de nombreux pays à comprendre la première Conférence sanitaire et la déforestation notamment. Cette
qu’il était plus coûteux de traiter une crise internationale. Elle aboutit à un projet dernière exerce une pression insoutenable
sanitaire que de la prévenir. Le choléra, de Convention sanitaire internationale, sur les habitats, obligeant les animaux à se
maladie sociale par excellence, a ainsi mis accompagné d’un règlement international déplacer et favorisant le passage d’agents
en lumière les conditions déplorables concernant la peste, la fièvre jaune pathogènes d’une espèce à l’autre, à l’image
dans lesquelles vivaient et travaillaient et le choléra. Des conférences similaires de ce qui s’est produit avec les virus Ebola
la majeure partie des habitants de la se succèdent mais il faudra attendre et Zika.
planète. La nécessité de mettre en œuvre 1903 pour qu’une Convention sanitaire
Les épidémies soumettent l’humanité
des politiques de santé à long terme s’est internationale soit adoptée et la seconde
à une épreuve de deuil collectif, mais
progressivement imposée pour promouvoir moitié du xxe siècle pour que l’Organisation
l’histoire montre qu’elles ont toujours une
des mesures d’hygiène, adopter des codes mondiale de la santé soit créée, au
fin : au sortir de chacune d’entre elles,
sanitaires et mener des recherches sur lendemain de la Seconde Guerre mondiale.
l’humanité a été capable de se réinventer
la cause des maladies et leur prophylaxie.
Si la circulation de microbes ou de virus est et d’accomplir certaines avancées.
Les maladies ne respectant pas les frontières, à l’origine des épidémies, elle ne suffit pas La pandémie actuelle pourrait de la même
la coopération internationale en santé à les expliquer : bien souvent, elles sont manière déboucher sur un monde plus
publique s’est développée dans la deuxième aussi le fruit de crises environnementales, respectueux de l’environnement et de la vie
moitié du xixe siècle. Elle s’est traduite par alimentaires, migratoires, sanitaires, humaine.
une série de conférences et la rédaction économiques ou politiques. Les épidémies
de conventions sanitaires internationales. agissent comme un facteur aggravant
de crises préexistantes, provoquées souvent
par la guerre et la famine.

IDÉES • Ces microbes et virus qui font l’histoire   |  47


NOTRE INVITÉ
L’historien israélien Yuval Noah Harari, auteur de Sapiens. Une brève histoire de l’humanité,
analyse dans Le Courrier de l’UNESCO ce que peuvent être les conséquences de la
crise sanitaire actuelle et plaide pour un renforcement de la coopération scientifique
internationale et un partage des informations entre les pays.

 En quoi cette crise sanitaire majeure est-elle


différente des crises passées et que nous apprend-elle ?
À vrai dire, je ne suis pas sûr qu’il s’agisse de la pire
menace sanitaire mondiale à laquelle nous ayons
été confrontés. L’épidémie de grippe de 1918-1919 a
été pire, celle du sida a probablement été pire et des
pandémies qui ont sévi à d’autres époques également.
En réalité, elle est plutôt bénigne comparée à d’autres
pandémies. Au début des années 1980, si on contractait
le sida, on mourait. La peste noire [qui a ravagé l’Europe
entre 1347 et 1351] a décimé entre un quart et la moitié
des populations affectées. La grippe de 1918 a tué
plus de 10 % de la population totale de certains pays.
Le Covid-19 tue quant à lui moins de 5 % des personnes
infectées, et, à moins qu’une mutation dangereuse ne se
produise, il est peu probable qu’il tue plus de un pour
cent de la population de n’importe quel pays.
De plus, nous disposons aujourd’hui de tous les outils
technologiques et des connaissances scientifiques
nécessaires pour vaincre cette épidémie, ce qui n’était
pas le cas autrefois. Par exemple, la population était
complètement démunie face à la peste noire. Elle n’a
jamais découvert ce qui la tuait et comment se protéger.
En 1348, la faculté de médecine de l’Université de Paris
croyait que l’épidémie était due à un fâcheux événement
astrologique, à savoir « la conjonction majeure de trois
planètes dans le Verseau [provoquant] une corruption
mortelle de l’air » (citation extraite de l’ouvrage The Black
Death de Rosemary Horrox, Manchester University Press,
1994, p. 159).
Au contraire, quand le Covid-19 est apparu,
les scientifiques n’ont mis que deux semaines à identifier
le virus responsable de l’épidémie, séquencer la totalité
de son génome et développer des tests fiables
de dépistage de la maladie. Nous savons ce qu’il faut
faire pour stopper la propagation de cette épidémie.
Il est probable que d’ici un an ou deux nous disposions
également d’un vaccin.
Mais le Covid-19 n’est pas seulement une crise sanitaire.
Il est aussi à l’origine d’une crise économique et politique
majeure. J’ai moins peur du virus que des démons
intérieurs de l’humanité : la haine, l’avidité et l’ignorance.
Si les gens accusent les étrangers et les minorités d’être
responsables de l’épidémie, si les entreprises avides
de profits ne se soucient que de leurs bénéfices et si
nous croyons à toutes sortes de théories du complot, il
sera bien plus difficile de venir à bout du coronavirus,
et nous vivrons ensuite dans un monde empoisonné par
cette haine, cette avidité et cette ignorance. En revanche,
si nous avons recours à la solidarité et à la générosité
internationales pour lutter contre l’épidémie et si nous

48 | Le Courrier de l’UNESCO • juillet-septembre 2020


Yuval Noah Harari :
« Chaque crise est aussi une opportunité »

© courtesy of Yuval Noah Harari

NOTRE INVITÉ • Yuval Noah Harari : « Chaque crise est aussi une opportunité »  |  49
faisons confiance à la science plutôt qu’aux  Selon vous, comment se dessinera comment se protéger d’une épidémie, il
théories du complot, je suis convaincu que la coopération en matière scientifique faut d’abord disposer d’informations fiables
nous pourrons non seulement surmonter et en matière d’information à l’issue de la sur la cause de cette épidémie. S’agit-il d’un
la crise, mais aussi en sortir bien plus forts. crise ? L’UNESCO a été créée au lendemain virus ou d’une bactérie ? Se transmet-elle
de la Seconde Guerre mondiale pour par voie sanguine ou par voie respiratoire ?
 Dans quelle mesure la distanciation promouvoir la coopération scientifique Est-elle dangereuse pour les enfants ou
sociale pourrait-elle devenir la norme ? et intellectuelle via la libre circulation pour les personnes âgées ? Existe-t-il une
Quel effet cela aura-t-il sur les sociétés ? des idées. La « libre circulation des idées » seule souche du virus ou plusieurs souches
et la coopération peuvent-elles en sortir mutantes ?
Il est indispensable d’appliquer certaines
renforcées ?
mesures de distanciation sociale pendant Ces dernières années, des dirigeants
la durée de la crise. Le virus se propage Notre principal avantage face au virus, c’est autoritaires et populistes ont cherché non
en exploitant nos instincts humains les plus notre capacité à coopérer efficacement. seulement à empêcher la libre circulation
nobles. Nous sommes des animaux sociaux. Un virus en Chine et un virus aux États-Unis des informations, mais aussi à saper
Nous aimons le contact, en particulier ne peuvent pas échanger des conseils la confiance du public envers la science.
pendant les périodes difficiles. Lorsque sur la manière d’infecter les humains. Certains responsables politiques ont décrit
des membres de notre famille, des amis ou Mais la Chine peut partager avec les États- les scientifiques comme une sinistre élite
des voisins sont malades, nous ressentons Unis de précieux enseignements sur coupée de la population. Ils ont exhorté
de la compassion et nous voulons les aider. le coronavirus et la manière de le combattre. leurs partisans à ne pas croire ce que
Le virus utilise cela contre nous. C’est ainsi Elle peut même envoyer des experts et des les scientifiques affirmaient sur
qu’il se propage. C’est pourquoi nous équipements pour aider directement le changement climatique
devons suivre notre raison plutôt que les États-Unis, qui peuvent à leur tour aider ou même sur les vaccins.
notre cœur et réduire nos contacts malgré d’autres pays. Les virus ne peuvent rien faire
les difficultés que cela implique. Le virus de tel.
est une information génétique dépourvue
Le partage d’informations est probablement
de raison, alors que nous, les humains, nous
la forme de coopération la plus importante,
sommes capables d’analyser la situation
car on ne peut rien faire sans informations
de manière rationnelle et de modifier
exactes et précises. Il est impossible
notre comportement. Je pense qu’une fois
de développer des médicaments sans
que nous serons sortis de la crise, nous
informations fiables. Même la protection
ne constaterons pas d’effets à long terme
contre le virus est tributaire des
sur nos instincts humains de base. Nous
informations. Si l’on ne comprend pas
continuerons d’être des animaux sociaux.
comment une maladie se propage,
Nous continuerons d’aimer le contact. Nous
comment peut-on confiner la population
continuerons d’aller aider notre famille
pour se protéger ?
et nos amis.
Par exemple, la manière de se protéger
Regardez par exemple ce qui s’est passé
contre le sida est très différente de la
avec la communauté LGBT [lesbienne, gay,
manière de se protéger contre le Covid-19.
bisexuelle et transgenre] suite à l’épidémie
Pour se protéger du sida, il faut utiliser un
du sida. Cette épidémie a été terrible pour
préservatif pendant les rapports sexuels,
les homosexuels qui, pour beaucoup,
mais il est tout à fait possible de discuter
ont été complètement abandonnés par
en face à face avec une personne
l’État. Et pourtant, l’épidémie n’a pas
séropositive ou de lui serrer la main
provoqué la désintégration de cette
et même de l’embrasser. Avec
communauté. Bien au contraire. Au plus
le Covid-19, c’est une tout
fort de la crise, des bénévoles LGBT avaient
autre histoire. Pour savoir
déjà créé de nombreuses organisations
pour venir en aide aux malades, diffuser
des informations fiables et lutter
pour l’obtention de droits politiques.
Dans les années 1990, une fois passées
les pires années de l’épidémie du sida,
la communauté LGBT était bien plus forte
qu’auparavant dans de nombreux pays.

Illustrations : © Selçuk Demirel

50 | Le Courrier de l’UNESCO • juillet-septembre 2020


Aujourd’hui, il devrait être évident pour
tout le monde que ces discours populistes
sont extrêmement dangereux. En période
Si l’on souhaite bénéficier
de crise, il est nécessaire que les informations
circulent librement et que la population fasse
confiance aux experts scientifiques plutôt
d’informations scientifiques
qu’aux démagogues politiques.
Heureusement, dans la situation présente, on
fiables en période de crise,
observe que la plupart des gens se tournent
vers la science. L’Église catholique demande
à ses fidèles de ne pas fréquenter les églises.
il faut investir dans ce
Israël a fermé ses synagogues. La République
islamique d’Iran sanctionne tous ceux qui
domaine en temps normal
se rendent dans les mosquées. Les temples
et les sectes en tous genres ont suspendu
les cérémonies publiques. Et tout cela parce
que des scientifiques ont fait des calculs J’espère que les gens se souviendront Il doit prendre en compte non seulement
et recommandé de fermer ces lieux de culte. de l’importance des informations la propagation de la maladie, mais aussi
scientifiques après la fin de la crise. Si l’on les coûts économique et psychologique
souhaite bénéficier d’informations fiables du confinement. D’autres pays ont déjà
en période de crise, il faut investir dans ce été confrontés à ce dilemme auparavant
domaine en temps normal. Les informations et ont testé différentes politiques. Au lieu
scientifiques ne tombent pas du ciel de se fonder sur de pures spéculations et de
et ne germent pas non plus dans l’esprit répéter les erreurs commises, le pays X peut
de génies. Elles dépendent de l’existence examiner quelles ont été les conséquences
d’institutions indépendantes comme réelles des différentes politiques adoptées
les universités, les hôpitaux et les journaux. en Chine, en République de Corée,
Des institutions qui non seulement en Suède, en Italie et au Royaume-Uni.
recherchent la vérité, mais sont également Il peut ainsi prendre de meilleures décisions.
libres de dire la vérité à la population, Il faut toutefois pour cela que l’ensemble
sans avoir peur d’être sanctionnées par un de ces pays rendent compte honnêtement
régime autoritaire. Il faut des années pour du nombre de cas et de décès, mais aussi
asseoir ce genre d’institutions, mais cela de l’impact du confinement sur leur
en vaut la peine. Une société qui fournit économie et la santé mentale de leurs
des informations scientifiques fiables citoyens.
à ses citoyens et qui est soutenue par des
institutions indépendantes fortes peut lutter  L’émergence de l’intelligence artificielle
bien plus efficacement contre une épidémie et le besoin de solutions techniques ont
qu’une dictature brutale qui doit contrôler fait entrer en jeu des entreprises privées.
en permanence une population ignorante. Dans ce contexte, est-il encore possible
de concevoir des principes éthiques
Par exemple, comment faire en sorte
mondiaux et de restaurer la coopération
que des millions de personnes se lavent
internationale ?
les mains avec du savon tous les jours ?
On peut placer un policier ou une caméra L’implication d’entreprises privées rend
dans toutes les toilettes et sanctionner encore plus importante la conception
les gens qui ne se lavent pas les mains. de principes éthiques mondiaux
Mais on peut aussi apprendre aux écoliers et la restauration de la coopération
ce que sont un virus et une bactérie, internationale. Sachant que certaines
expliquer que le savon permet d’éliminer ou de ces entreprises sont peut-être
de tuer ces pathogènes, puis faire confiance davantage motivées par le profit que par
aux gens pour qu’ils se forgent leurs la solidarité, il est nécessaire qu’elles soient
propres opinions. D’après vous, quelle est scrupuleusement réglementées. Même
la méthode la plus efficace ? les entreprises qui agissent sans but lucratif
n’ont pas à rendre de comptes directement
 Quelle peut être l’importance de la au public. Il est donc dangereux de leur
coopération entre les pays pour diffuser permettre d’accumuler trop de pouvoir.
des informations fiables ?
Cela est d’autant plus vrai en matière
Les pays doivent partager des informations de surveillance. Nous assistons actuellement
sur les questions strictement médicales, à la création de nouveaux systèmes
mais aussi sur de nombreux autres sujets, de surveillance à travers le monde,
qui vont de l’impact économique de la crise aussi bien par des États que par des
à la santé mentale des citoyens. Supposons entreprises. La crise actuelle pourrait
que le pays X débatte actuellement du type marquer un tournant majeur dans l’histoire
de politique de confinement à adopter. de la surveillance. Tout d’abord parce

NOTRE INVITÉ • Yuval Noah Harari : « Chaque crise est aussi une opportunité »  |  51
qu’elle pourrait légitimer et normaliser venir à l’esprit, c’est celle d’une infirmière de détecter et de stopper les épidémies
le déploiement massif d’outils qui change des draps dans un hôpital. sans combiner les données de différents
de surveillance dans des pays qui les ont Les soldats et les infirmières ont un mode pays. Il serait beaucoup plus facile pour ces
rejetés jusque-là. La deuxième raison est de pensée très différent. Si l’on veut donner autorités nationales de coopérer à l’échelle
encore plus importante : cette crise pourrait le contrôle à quelqu’un, ce n’est pas à un mondiale si la surveillance nationale
entraîner une transition radicale de la soldat qu’il faut le faire, mais à une infirmière. était exercée par une autorité sanitaire
surveillance « sur la peau » à la surveillance indépendante dépourvue d’intérêts
L’autorité sanitaire en question devrait
« sous la peau ». politiques et commerciaux.
collecter le minimum de données
Par le passé, les gouvernements et les nécessaires à la tâche spécifique
 Vous avez affirmé avoir récemment
entreprises surveillaient principalement de prévention des épidémies et ne pas
observé une détérioration rapide de la
nos actes, en contrôlant les endroits où nous partager ces données avec d’autres organes
confiance envers le système international.
nous rendions et les personnes que nous gouvernementaux, en particulier la police.
Selon vous, quels changements profonds
rencontrions. Aujourd’hui, ils s’intéressent Elle ne devrait pas non plus partager ces
peuvent affecter la coopération
davantage à ce qui se passe à l’intérieur données avec des entreprises privées.
multilatérale ?
de notre corps : notre état de santé, notre Elle devrait s’assurer que les données
température, notre tension artérielle. collectées sur des individus ne sont jamais Je ne peux prédire le futur, car il dépend
Ce genre d’informations biométriques utilisées pour nuire à ces individus ou des choix que nous faisons maintenant.
permet aux gouvernements et aux les manipuler (qu’elles n’entraînent pas Les pays peuvent choisir d’entrer
entreprises d’en savoir bien plus sur nous de perte d’emploi ou d’assurance, par en concurrence pour mettre la main
qu’auparavant. exemple). sur des ressources rares et mener une
politique égoïste et isolationniste, ou bien
L’autorité sanitaire pourrait mettre ces
 Pourriez-vous nous donner quelques ils peuvent choisir de s’entraider dans
données à la disposition de la recherche
exemples de principes éthiques qui un esprit de solidarité mondiale. Ce choix
scientifique, mais seulement si les fruits
pourraient guider la réglementation de ces définira le cours de la crise actuelle
de cette recherche sont librement
systèmes de surveillance ? et l’avenir du système international pour
mis à disposition de l’humanité et si
les années à venir.
Dans l’idéal, le fonctionnement du système les éventuels profits accessoires obtenus
de surveillance devrait être assuré par sont réinvestis dans l’amélioration des J’espère que les pays choisiront la solidarité
une autorité sanitaire spéciale plutôt systèmes de santé publique. et la coopération. Nous ne pouvons
que par une entreprise privée ou pas stopper cette épidémie sans une
En contrepartie à ces limitations au partage
les services de renseignement. Cette coopération étroite entre les pays du monde
de données, les individus devraient pouvoir
autorité sanitaire devrait se concentrer entier. Même si un pays arrive à stopper
bénéficier d’un contrôle maximal des
sur la prévention des épidémies et n’avoir l’épidémie sur son territoire pendant
informations les concernant. Ils devraient
aucun intérêt commercial ou politique. un certain temps, tant qu’elle continue
être libres de consulter leurs données
Je suis particulièrement alarmé quand à se propager ailleurs, elle peut revenir
personnelles et d’en bénéficier.
j’entends les gens comparer la crise partout et même sous une forme plus
actuelle à la guerre et appeler les services Enfin, bien qu’il soit probable que grave, car les virus mutent en permanence.
de renseignement à prendre le contrôle. ces systèmes de surveillance soient Une mutation du virus n’importe où dans
Ce n’est pas une guerre, mais une crise de caractère national, il serait nécessaire le monde pourrait le rendre plus contagieux
sanitaire. Il n’y a pas d’ennemis humains que les différentes autorités sanitaires ou plus mortel, mettant en danger
à tuer, mais des personnes à soigner. coopèrent entre elles pour vraiment l’ensemble de l’humanité. Le seul moyen
L’image dominante qu’on a de la guerre, réussir à prévenir les épidémies. Sachant de nous protéger réellement, c’est d’aider
c’est celle d’un soldat pointant un fusil. Dans que les pathogènes ne respectent pas à protéger tous les êtres humains.
la situation actuelle, l’image qui doit nous les frontières nationales, il sera difficile
Cela vaut également pour la crise
économique. Si chaque pays ne défend
que ses propres intérêts, nous entrerons
dans une grave récession qui affectera
le monde entier. Les pays riches comme
les États-Unis, l’Allemagne et le Japon s’en
Le fonctionnement sortiront d’une manière ou d’une autre.
Mais les pays pauvres d’Afrique, d’Asie

du système de surveillance et d’Amérique latine risquent de s’effondrer


totalement. Les États-Unis peuvent se
permettre de déployer un plan de sauvetage

devrait être assuré par de 2 000 milliards de dollars pour leur


économie. Mais l’Équateur, le Nigeria ou

une autorité sanitaire


le Pakistan n’ont pas les mêmes ressources.
Nous avons besoin d’un plan de sauvetage
économique mondial.

spéciale sans aucun intérêt Malheureusement, le leadership mondial


résolu dont nous avons besoin n’a pas

commercial ou politique encore fait son apparition. Les États-Unis,


qui ont endossé le rôle de chef de file
mondial pendant l’épidémie d’Ebola de 2014

52 | Le Courrier de l’UNESCO • juillet-septembre 2020


et la crise financière de 2008, ont abandonné de choisir entre l’isolationnisme d’autres pays plutôt que de les accuser,
cette responsabilité. L’administration Trump nationaliste et la solidarité internationale. pour qu’ils distribuent les fonds de manière
a très clairement fait comprendre qu’elle se Il est également important de savoir si équitable, pour qu’ils préservent le contrôle
préoccupait uniquement des États-Unis et a les citoyens soutiendront la montée des et l’équilibre des pouvoirs démocratiques,
même abandonné ses alliés les plus proches dictatures ou s’ils continueront de faire même dans l’état d’urgence.
en Europe occidentale. Même si les États- confiance à la démocratie pour affronter
Et c’est maintenant qu’il faut faire cet
Unis décidaient maintenant d’élaborer la crise. Si les gouvernements dépensent
effort. Quel que soit le gouvernement
un quelconque plan mondial, qui leur des milliards pour aider des entreprises
élu dans les prochaines années, il ne sera
ferait confiance, qui suivrait leur exemple ? en difficulté, sauveront-ils des grandes
pas en mesure d’annuler les décisions
Qui soutiendrait un dirigeant dont le mot entreprises ou des petits entreprises
prises aujourd’hui. Devenir président
d’ordre est « Moi d’abord » ? familiales ? L’émergence du télétravail
en 2021, ce sera comme arriver à une fête
et de la communication en ligne entraînera-
Mais chaque crise est aussi une opportunité. une fois qu’elle est finie, quand il ne reste
t-elle l’effondrement du syndicalisme ou
Espérons que cette épidémie aidera que la vaisselle sale à laver. Devenir
favorisera-t-elle une meilleure protection
l’humanité à prendre conscience du grave président en 2021, ce sera découvrir
des droits des travailleurs ?
danger que représente la désunion que le gouvernement précédent a déjà
mondiale. Car si cette épidémie débouche Tous ces choix sont politiques. Nous distribué des dizaines de milliards de dollars
sur le renforcement de la coopération devons être conscients du fait que la crise et crouler sous les dettes à rembourser.
internationale, ce sera une victoire non actuelle n’est pas seulement sanitaire, mais Le gouvernement précédent aura déjà
seulement contre le coronavirus, mais aussi aussi politique. Les médias et les citoyens restructuré le marché du travail et il
contre tous les autres dangers qui menacent ne doivent pas se laisser complètement ne sera pas possible de repartir de zéro.
l’humanité, du changement climatique distraire par l’épidémie. Il est bien Le gouvernement précédent aura
à la guerre nucléaire. sûr important de suivre les dernières déjà introduit de nouveaux systèmes
informations sur la maladie elle-même : de surveillance, qui ne pourront pas
 Vous expliquez que les choix que combien de personnes sont mortes être abolis du jour au lendemain.
aujourd’hui ? Combien de personnes ont été Alors, n’attendez pas 2021. Surveillez
nous faisons maintenant affecteront
infectées ? Mais il est tout aussi important aujourd’hui les actions des dirigeants
nos sociétés sur les plans économique,
de s’intéresser à la politique et d’inciter politiques.
politique et culturel dans les années
les responsables politiques à prendre
à venir. Quels sont ces choix et qui
les bonnes décisions. Les citoyens doivent
en sera responsable ?
faire pression sur leurs dirigeants pour
Nous sommes confrontés à de nombreux qu’ils agissent dans un esprit de solidarité
choix. Mais il ne s’agit pas seulement internationale, pour qu’ils coopèrent avec

NOTRE INVITÉ • Yuval Noah Harari : « Chaque crise est aussi une opportunité »  |  53
DÉCRYPTAGE
© UNICEF / Daniele Volpe

54 | Le Courrier de l’UNESCO • juillet-septembre 2020


Une crise
de l’éducation
sans précédent
Katerina Markelova
UNESCO

La crise de l’éducation provoquée par la fermeture


des établissements scolaires et universitaires
à travers le monde pour lutter contre la propagation
de la pandémie de Covid-19 a atteint son pic à la mi-
avril. Entre le 16 et le 19 avril, les écoles ont été fermées
dans plus 190 pays, affectant 1,57 milliard d’enfants
et de jeunes, soit plus de 90 % d’apprenants. Tout au
long de la crise sanitaire, l’UNESCO a assuré le suivi au
niveau mondial de la situation en publiant sur son site
la carte des fermetures d’établissements scolaires.
Le choix de l’enseignement numérique à distance,
vers lequel s’est tournée la grande majorité des pays
pour assurer la continuité de l’éducation, a rendu encore
plus saillant le problème de la fracture numérique.
826 millions, soit la moitié, d’élèves et d’étudiants dans
le monde ne disposent pas d’ordinateurs à leur domicile
et 706 millions (43 %) ne sont pas connectés à Internet.
Le manque de connectivité est particulièrement
préoccupant en Afrique subsaharienne, où la proportion
de jeunes n’ayant pas accès à Internet à la maison
atteint 80 %.
Selon une récente enquête de l’UNESCO sur les mesures
prises par 59 pays pour limiter les conséquences
de la fermeture des écoles, seuls 58 % de pays à faible
revenu disposent de plateformes d’apprentissage
en ligne. 64 % d’enseignants des pays ayant répondu
à l’enquête (quel que soit leur niveau de revenu)
ne possèdent pas de compétences numériques
suffisantes pour dispenser efficacement l’enseignement
en ligne. C’est également le cas de 80 % de parents
et de 48 % d’élèves.
Ce Décryptage examine quelques-unes des initiatives
pour étendre la connectivité, prises dans le cadre
de la Coalition mondiale pour l’éducation, lancée par
l’UNESCO le 26 mars. Plus d’une centaine d’institutions
des secteurs public et privé ont mis en commun
leur expertise pour proposer des solutions rapides,
gratuites et adaptées aux pays qui ne disposent pas
de technologie, contenus ou compétences nécessaires
à l’apprentissage à distance.

 Salle de classe désertée de l’école du village


de Los Mixcos (Guatemala) en avril.

DÉCRYPTAGE • Une crise de l’éducation sans précédent | 55


PIC DES FERMETURES D’ÉTABLISSEMENTS
SCOLAIRES ET RÉPONSES DE LA COALITION
Sur cette carte montrant l’étendue des fermetures d’établissements scolaires
à travers le monde au plus fort de la crise (situation au 17 avril),
sont également présentées quelques-unes des actions des membres
de la Coalition mondiale pour l’éducation
pour soutenir l’enseignement
à distance.

UNESCO
Au Liban, l’
Education
et
Cannot Wait, avec
le soutien du gouvernement français,
ont fourni au ministère de l’Éducation
et de l’Enseignement supérieur des
contenus éducatifs numériques. 297 cours
vidéo de mathématiques, sciences
et français, mis à disposition
par Canopé, sont disponibles
sur la plateforme en ligne
lancée par le ministère.

UNESCO et plusieurs partenaires


L’
de la Coalition, dont Moodle,
Khan Academy et Lark, ont
organisé des formations en ligne pour que
les enseignants acquièrent les compétences
nécessaires à la mise en place des cours
en ligne dans cinq États insulaires
du Pacifique : Kiribati, Nauru, Papouasie-
Nouvelle-Guinée, Samoa et Tonga. Au Gabon,
l’ UNESCO a
formé 60 encadreurs
pédagogiques du primaire
Aux îles Samoa, Vodafone et du secondaire à la
a fourni à environ 80 000 apprenants conception de cours en ligne
une carte SIM d’étudiant gratuite et a mis à la disposition
qui comprend un accès illimité du gouvernement les cours produits
aux données 4G sur une série dans le cadre du projet Former
de sites Internet éducatifs agréés. Ma Génération – Gabon 5000.

Locales Nationales Ouvert


56 | Le Courrier de l’UNESCO • juillet-septembre 2020
 1 576 873 546 d’apprenants touchés
 90,1 % de l’ensemble des apprenants
 190 fermetures au niveau national

L’opérateur de téléphonie mobile


Orange a fourni un accès Internet
gratuit aux contenus éducatifs numériques
en Afrique subsaharienne : Burkina Faso,
Guinée, Mali, République démocratique
du Congo, et dans des États arabes :
Égypte, Jordanie, Maroc et Tunisie.

( (
Les chiffres correspondent au nombre d’apprenants inscrits aux niveaux préprimaire, primaire, secondaire inférieur
et secondaire supérieur [niveaux 0 à 3 de la CITE], ainsi qu’aux niveaux de l’enseignement supérieur [niveaux 5 à 8
de la CITE]. Les chiffres des inscriptions sont fondés sur les dernières données de l’Institut de statistique de l’UNESCO.
© UNESCO

DÉCRYPTAGE • Une crise de l’éducation sans précédent | 57


Dernières parutions
Éditions UNESCO

Rapport mondial des La Grande Conversation Journalisme, fake news


Nations Unies sur la mise Manuel de lutte contre & désinformation
en valeur des ressources la violence à l’égard des femmes Manuel pour l’enseignement
et des filles dans et à travers
en eau 2020 les médias
et la formation en matière
de journalisme
L’eau et les changements
ISBN 978-92-3-200196-2 ISBN 978-92-3-200195-5
climatiques 94 pages, 216 x 280 mm, broché 128 pages, 200 x 260 mm, broché
ISBN 978-92-3-200197-9 Éditions UNESCO/ONU Femmes Éditions UNESCO/Fondation Hirondelle
258 pages, 210 x 297 mm, broché, 55 € Disponible sur https://unesdoc.unesco.org Disponible sur https://unesdoc.unesco.org
Publié par l’UNESCO pour le compte
d’ONU-Eau La violence à l’égard des femmes
En vente sur https://www.dl-servi.com/ Ce manuel a été rédigé avec la contribution
et des filles est l’une des violations de journalistes, enseignants, chercheurs
les plus courantes des droits humains. et intellectuels internationaux de premier
La difficulté majeure reste la persistance plan, engagés dans l’innovation des
Illustré par des exemples provenant
d’attitudes, de croyances, de pratiques méthodes et des pratiques journalistiques
du monde entier, le nouveau Rapport
et de comportements dans la société face aux menaces de la désinformation.
mondial des Nations Unies sur la mise
qui perpétuent les stéréotypes,
en valeur des ressources en eau présente
la discrimination et les inégalités liés Cette publication vise à fournir un modèle
les défis liés aux changements climatiques,
au genre. de programme applicable à l’échelle
et offre des réponses (adaptation,
internationale, qui peut être adopté
atténuation, résilience renforcée) pour Ce manuel présente des orientations tel quel ou adapté, pour répondre au
améliorer la gestion des ressources et des outils à l’attention de toutes celles problème de la désinformation auquel
en eau, en atténuant les risques liés et tous ceux qui travaillent avec le secteur sont confrontées toutes les sociétés
à l’eau, et permettre un accès aux des médias ou au sein de ce dernier. en général, et dans le secteur du journalisme
services d’approvisionnement en eau Car, compte tenu de leur portée unique en particulier.
et d’assainissement, pour tous et de manière auprès de la population, les médias sont
durable. considérés comme un « point d’entrée » Cette publication fait partie de l’Initiative
stratégique pour prévenir durablement mondiale d’excellence pour l’enseignement
Coordonné et publié par le Programme
la violence faite aux femmes et aux filles. du journalisme qui est au centre
mondial pour l’évaluation des ressources
En outre, ils ont la capacité d’influencer du Programme international pour
en eau de l’UNESCO au nom de l’ONU-Eau,
et de façonner les idées et les perceptions le développement de la communication
ce rapport est publié chaque année
sur ce qui est considéré comme (PIDC) de l’UNESCO.
à l’occasion de la Journée mondiale
socialement acceptable.
de l’eau.

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2019: O Ano Internacional das Línguas Indígenas

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Ю НЕ СКО

Teachers:
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Canada

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A second-chance school

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A teacher brings hope
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Mohamed Sidibay:
The story of
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