Option-FLES-Annales Zero Capes 2013
Option-FLES-Annales Zero Capes 2013
Option-FLES-Annales Zero Capes 2013
Section Lettres
Exemples de sujets
(Épreuves d’admissibilité et d’admission)
À compter de la session 2014, les épreuves du concours sont modifiées. L’arrêté du 19 avril 2013, publié au
journal officiel du 27 avril 2013, fixe les modalités d’organisation du concours et décrit le nouveau schéma
des épreuves.
____________________________________________________________________________________________________________
© Ministère de l’éducation nationale > www.education.gouv.fr
Juillet 2013
SOMMAIRE
Sommaire…………...…………………………………………………………... p. 2
Réglementation……..…………………………………………………………… p. 3
Épreuves écrites…………………………………………………………………. p. 7
Épreuves orales…………………………………………………………………. p. 19
Épreuve commune de mise en situation professionnelle : explication de
texte et question de grammaire…………………………………………... p. 20
Théâtre ou cinéma
p. 44
a) Cinéma …………………………………………………………
Théâtre ou cinéma
b) Théâtre ………………………………………………………… p. 48
2
REGLEMENTATION
Arrêté fixant les modalités d’organisation des concours du certificat d’aptitude
au professorat du second degré
NOR : MENH1310120A
JORF n°0099 du 27 avril 2013
Section lettres
Les candidats ont le choix au moment de l’inscription entre deux options :
Option lettres classiques ;
Option lettres modernes.
Les candidats proposés pour l’admissibilité et pour l’admission par le jury du concours font
l’objet de classements distincts selon l’option.
1° Composition française.
Composition française fondée sur des lectures nombreuses et variées, mobilisant une culture
littéraire et artistique, des connaissances liées aux genres, à l'histoire littéraire de l’antiquité à nos
jours, à l'histoire des idées et des formes, et s’attachant aussi aux questions d'esthétique et de
poétique, de création, de réception et d'interprétation des œuvres. Elle porte sur les objets et
domaines d’étude des programmes de lycée. L’épreuve est commune aux deux options.
Durée : six heures ; coefficient 1.
3
français moderne ou contemporain, 3. étude stylistique.
b) le second, noté sur 5 points, invite le candidat à mobiliser ses connaissances grammaticales
dans une perspective d’enseignement, en les inscrivant dans le cadre des programmes de collège et
de lycée et en prenant appui sur les documents du dossier. Une question précisant le point de
langue à traiter et le niveau d’enseignement oriente la réflexion pédagogique du
candidat. L’épreuve permet au candidat de mettre ses savoirs en perspective et de manifester un
recul critique vis-à-vis des ces savoirs.
Durée : six heures ; coefficient : 1
B. – Epreuves d’admission
Les deux épreuves orales d’admission comportent un entretien avec le jury qui permet d’évaluer la
capacité du candidat à s’exprimer avec clarté et précision, à réfléchir aux enjeux scientifiques,
didactiques, épistémologiques, culturels et sociaux que revêt l’enseignement du champ
disciplinaire du concours, notamment dans son rapport avec les autres champs disciplinaires.
Le candidat détermine son choix au moment de l’inscription. Toutefois, les candidats ayant choisi
l’option lettres classiques à l’inscription au concours ne peuvent demander à subir l’épreuve
« latin pour lettres modernes ».
L’épreuve consiste à élaborer, pour un niveau donné, un projet de séquence d’enseignement
assorti du développement d’une séance de cours, à partir d’un dossier proposé par le jury et
composé d’un ou de plusieurs textes littéraires ou de documents divers (reproductions d’œuvres
d’art, travaux de mises en scène, extraits de films, documents pour la classe, articles….). Cette
4
proposition du candidat sert de point de départ à un entretien d’analyse de situation
professionnelle.
a) Cinéma :
L’épreuve prend appui sur une séquence filmique accompagnée d’un dossier constitué de
plusieurs documents (photogrammes de film, textes littéraires, articles critiques, extraits de
scénario...) Le candidat analyse les documents, l’extrait filmique, les enjeux du dossier en
s’appuyant sur sa culture cinématographique et critique, de manière à en proposer une exploitation
sous la forme d'un projet de séquence.
b) Théâtre :
L’épreuve prend appui sur un ou plusieurs extraits d’une captation théâtrale accompagné d’un
dossier constitué de plusieurs documents (photos de mises en scène, textes, notes d’intention,
articles théoriques ou critiques). Le candidat analyse les documents, les enjeux du dossier et les
questions dramaturgiques posées par les extraits en s’appuyant sur sa culture théâtrale et critique,
de manière à en proposer une exploitation sous la forme d'un projet de séquence.
5
avec les programmes et à proposer de manière précise et réfléchie la mise en œuvre d’une séance
dans une classe ;
- à mobiliser, à un premier niveau de maîtrise, les procédés didactiques courants mis en œuvre
dans un contexte professionnel réel, procédés susceptibles notamment de favoriser l’intérêt et
l’activité propre des élèves, au service des apprentissages,
- à se projeter dans l’exercice du futur métier ;
- à communiquer à l’oral de manière claire et organisée.
Au cours de l’entretien qui suit l’exposé du candidat, la perspective d’analyse de situation
professionnelle définie par l’épreuve est élargie à la capacité du candidat à prendre en compte les
acquis et les besoins des élèves, à se représenter la diversité des conditions d’exercice de son
métier futur, à en connaître de façon réfléchie le contexte dans ses différentes dimensions (classe,
équipe éducative, établissement, institution scolaire, société), et les valeurs qui le portent dont
celles de la République.
Durée de la préparation : trois heures ; durée totale de l'épreuve : une heure (exposé : trente
minutes ; entretien : trente minutes) ; coefficient 2.
6
ÉPREUVES ECRITES
7
Epreuves écrites d’admissibilité : composition française
1° Composition française.
Composition française fondée sur des lectures nombreuses et variées, mobilisant une culture
littéraire et artistique, des connaissances liées aux genres, à l'histoire littéraire de l’antiquité à
nos jours, à l'histoire des idées et des formes, et s’attachant aussi aux questions d'esthétique
et de poétique, de création, de réception et d'interprétation des œuvres. Elle porte sur les
objets et domaines d’étude des programmes de lycée. L’épreuve est commune aux deux
options A et B.
Durée : six heures ; coefficient 1.
Sujet n° 1
Dans un entretien de 1973 sur la forme théâtrale, le grand metteur en scène Peter
Brook précise ainsi sa pensée :
« Ce n’est pas une forme de communication par laquelle une personne expliquerait
quelque chose à une autre, une forme où il y aurait celui qui émet un message et celui qui le
reçoit. Je ne crois pas que le phénomène théâtral réside en cela, ni que les choses se passent
vraiment comme cela quand on est pris par l’expérience théâtrale. Il ne s’agit pas de recevoir
un contenu, il s’agit de tout autre chose. Je crois que le théâtre est une possibilité donnée à
l’homme d’accroître pendant une certaine durée l’intensité de ses perceptions ».
Vous commenterez et discuterez ce point de vue en vous appuyant sur des exemples
précis.
Sujet n° 2
« À la différence de l'acte divin, l'acte créateur de l'homme n'est suivi d'aucun septième
jour. Jamais parachevé, il ne parvient pas au repos, ni ne se résorbe dans la contemplation de
son propre produit, car il fait corps avec cette énigme que la créature demeure à elle-même. Il
avoue son impuissance, plus qu'il ne la corrige, et il trouve ainsi à se loger dans l'intervalle qui
sépare l'homme de la connaissance, ou de la possession des choses. André Breton
reconnaissait : ‘Je n'ai jamais su dire la couleur des yeux.’ Qui la dira jamais ? Qui pourra
prétendre avoir enfermé dans un tableau, une sonate ou un poème la douceur de la pluie d'été,
la brûlure d'un flocon de neige, ou la silencieuse fraîcheur du petit matin entre les façades
fermées de la ville ? Le mutisme tranquille des choses et la fugacité des perceptions lancent à
l'homme un défi infini. »
Vous analyserez et discuterez ces propos en vous appuyant sur des exemples précis
empruntés à vos lectures, sans vous limiter au seul genre poétique.
8
Sujet n° 3
« N’est-ce pas, toutefois, l’un des buts les plus naturels de l’activité littéraire (et ce en
quoi écrire se différencie des autres modes de penser) que de forger ainsi, avec le vécu à la
base et le langage pour outil, certaines vérités d’approximation que quelques-uns accepteront
pour les leurs et qui, par le fait même de ce partage, cesseront d’être chimères d’un seul ou
vaines apparences ? »
Michel Leiris, « Mors », La Règle du jeu. II. Fourbis, 1955 ; éd. Gallimard,
« Bibliothèque de la Pléiade », 2003, p. 346.
Vous analyserez et discuterez ces propos en vous appuyant sur des exemples précis.
9
Épreuve écrite de l’option lettres classiques : épreuve de latin et de grec
A- LATIN
Virgile, Énéide, I, v. 81-101 (Junon, courroucée de voir Énée et sa flotte quitter la Sicile pour
l'Italie, demande à Éole, dieu des vents, de déchaîner une terrible tempête).
10
contigit oppetere ! O Danaum fortissime gentis
Tydide ! Mene Iliacis occumbere campis
non potuisse tuaque animam hanc effundere dextra,
saeuus ubi Aeacidae telo jacet Hector, ubi ingens
Sarpedon, ubi tot Simois correpta sub undis
Scuta urumque galeasque et fortia corpora uoluit ! »
B- GREC
Homère, Odyssée, V, v. 291-305 et 313-318 (Ulysse, lorsqu'il quitte l'île de Calypso sur un
radeau, doit affronter une terrible tempête lancée contre lui par Poséidon, dieu de la mer).
11
II Question (/5 points) :
- En prenant appui sur le texte de la version latine, vous mobiliserez dans une
perspective d'enseignement et dans le cadre des programmes en vigueur pour le lycée,
vos connaissances grammaticales, littéraires et historiques pour construire à l'intention
d'une classe de Première une explication des formes verbales dans ce passage. Vous
vous attacherez à montrer en quoi elles contribuent à donner à cette évocation une
tonalité proprement épique.
- Vous prendrez appui sur la version grecque et les documents complémentaires pour
approfondir et élargir votre démarche pédagogique d’interprétation.
Documents complémentaires :
12
13
Précis de grammaire des lettres latines, Morisset/Gason, pp.134-135
14
« Tempête déchaînée par Junon », Vergilius romanus, manuscrit enluminé du Ve.
15
Etude grammaticale de textes de langue française
16
Texte d’ancien français : La queste del saint Graal, roman du 13e siècle.
[Lancelot vient d’avoir une vision. Il se confie à Dieu…]
Einsi avint a Lancelot qu’il vit ceste avision en son dormant. Quant il vit qu’il fu jorz, il
aleve sa main et fist croiz en son front ; et se comande a Nostre Seignor et dit : « Biax
peres Jhesucrist, qui es verais sauverres et verais conforz a toz cels qui e bon cuer te
reclaimet, Sire, toi aor1 je et rent graces et merciz de ce que tu m’as garanti et delivré
5 des granz hontes et des granz anuiz qu’il me covenist a soffrir, se ta grant debonereté ne
fust. Sire, je sui ta creature, a qui tu as mostree si grant amor que quant l’ame de moi
estoit apareilliee d’aler en enfer et en perdicion pardurable, tu par ta pitié l’en as gitee et
rapelee a toi conoistre et criembre. Sire, par ta pitié, ne me lai des ore mes aler fors de
droite voie, mes garde moi de si pres que li anemis, qui ne bee fors a moi decevoir, ne
10 me truist fors de tes mains ! »
Quant il a ce dit, si se redrece en estant et vient a son cheval et li met la sele et le frain.
Si lace son hiaume et prent son escu et sa lance et monte ; et se met en sa voie ausi
come il avoit fet le jor devant, et pense a ce qu’il avoit veu en dormant, car il ne set
onques a quoi ce puet torner. Si le voldroit volentiers savoir s’il pooit estre. Quant il a
15 chevauchié jusqu'a midi, si se senti molt chauz.
La Queste del saint Graal, Albert Pauphilet éd., Paris, Champion, 1984, pp. 131-132.
QUESTIONS
1/ Traduction
Traduisez l’ensemble du texte (l. 1-15). [1,5 point]
2/ Morphologie
Expliquez l’évolution morphologique des substantifs masculins en français à partir des
occurrences présentes dans le premier paragraphe de ce texte (lignes 1-10). Pour ce faire, vous
proposerez un classement raisonné des formes qui montrera la spécificité de la langue
médiévale et son évolution ultérieure jusqu’en français moderne. [1,5 point]
3/ Graphie
Commentez la graphie de l’adjectif dans « granz hontes » (l.5) et « grant debonereté » (l.5).
[1 point]
4/ Vocabulaire
Faites l’évolution diachronique du sens du mot amor (l.6 ). [1 point]
1
Aorer : « vénérer », « adorer ».
17
Texte de français moderne : Paul Claudel, « Tempête », Connaissance de l’Est
Au matin, laissant une terre couleur de rose et de miel, notre navire entre dans la haute mer,
et les fumées de vapeurs basses et molles. Quand – m’étant éveillé de ce sombre songe – je
cherche le soleil, je vois derrière nous qu’il se couche : mais au devant de nous, limitant
l’espace noir et mort de la mer, un long mont, tel qu’un talus de neige, barre, d’un bout à
5 l’autre du ciel, le Nord ; rien ne manque à l’Alpe, ni l’hiver, ni la rigidité. Seul au milieu de la
solitude, comme un combattant qui s’avance dans l’énorme arène, notre navire vers l’obstacle
blanc qui grandit fend les eaux mélancoliques. Et tout à coup la nuée, comme une capote de
voiture que l’on tire, nous dérobe le ciel : dans cette fente de jour qu’elle laisse à l’horizon
postérieur, d’un regard je veux voir encore l’apparence du soleil, des îles éclairées comme
10 d’un feu de lampe, trois jonques debout sur l’arrête extrême de la mer. Nous fonçons
maintenant au travers du cirque ravagé des nuages. La plaine oscille, et selon le propre
mouvement de l’abîme où participe notre planche, la proue, solennellement comme si elle
saluait, ou comme un coq qui mesure l’adversaire, se lève et plonge. Voici la nuit ; du Nord
avec âpreté sort un souffle plein d’horreur. D’une part, la lune rouge en marche par la nue
15 désordonnée la fend d’un tranchant lenticulaire ; de l’autre, Fanal, la lampe au visage convexe
de verre ridé est hissée à notre misaine. Cependant tout est calme encore ; la gerbe d’eau jaillit
toujours devant nous avec égalité, et, traversée d’un feu obscur, comme un corps fait de
larmes, se roule en ruisselant sur notre taillemer.
[Décembre 1896]
Paul Claudel, « Tempête », Connaissance de l’Est, Paris, Mercure de France, 1900 ; rééd.
Gallimard, coll. "Poésie", 1974, p. 66.
QUESTIONS
1. Orthographe (1 point)
Etudiez, du point de vue de la correspondance phonie / graphie, les mots
postérieur (l. 9) et maintenant (l. 11).
2. Lexicologie (2 points)
Etudiez, du point de vue morphologique et de manière raisonnée, les mots
rigidité (l. 5), mélancoliques (l. 7), éclairées (l. 9), solennellement (l. 12).
3. Morphosyntaxe (2 points)
Etudiez les participes dans l’ensemble du texte.
18
Document de mise en situation professionnelle : manuel scolaire de 4e
Hélène Potelet, Français livre unique 4°, collection "Rives bleues", Hatier 2011, p. 347.
QUESTION (5 points)
19
ÉPREUVES ORALES
20
Epreuve de mise en situation professionnelle : explication de texte et
question de grammaire
Texte :
Documents :
Document n°1 : WATTEAU, Le Pèlerinage à l’île de Cythère, 1717
Document n° 2 : Extrait d’une fiche de grammaire conçue par un professeur et destinée à
une classe de seconde
Sujet :
2) Question de grammaire :
Dans un développement organisé et référé aux programmes du lycée, vous étudierez les
indices de l’énonciation dans le texte étudié. Votre exposé s’appuiera sur le document n°2.
21
P. VERLAINE, Fêtes galantes, « Colloque sentimental », 1869
« Colloque sentimental », dernier poème des Fêtes galantes, peint la rencontre entre deux
êtres qui se sont aimés. Le recueil se clôt sur le désespoir et le désenchantement du poète.
22
A. WATTEAU, Le Pèlerinage à l’île de Cythère, 1717
23
Extrait d’une fiche de grammaire conçue par un professeur et destinée à
des élèves de seconde
L ' ÉNONCIATION
a / les traces de l'émetteur : celui qui produit l'énoncé (locuteur à l'oral, auteur à
l'écrit)
rechercher des marques de la 1ère personne
- des pronoms (je, me, moi, nous), des terminaisons verbales (-ons à l'impératif))
- des déterminants possessifs (mon, ma, mes, notre, nos…)
24
1. Langues et cultures de l’Antiquité pour lettres classiques
Textes
1. Homère, Iliade, chant I, v.1-7
2. Homère, Iliade, chant I, v.223-234 et 240-246
3. Sophocle, Œdipe Roi, premier épisode, v.380-407
4. Sophocle, Œdipe Roi, exodos, v.1397-1415
Documents complémentaires
- Gustave Moreau, Hélène à la porte de Scée
- Pierre Corneille, L’Illusion comique, acte III, scène 4
Sujet
25
CORPUS
Texte n° 1 : Homère, Iliade (VIIIe s. av. J.-C.), chant I, v.1-7 (traduction Frédéric Mugler)
Μῆνιν ἄειδε, θεὰ, Πηληϊάδεω Ἀχιλῆος Chante, ô déesse, le courroux du Péléide Achille,
οὐλοµένην, ἣ µυρί᾿ Ἀχαιοῖς ἄλγε᾿ ἔθηκε, Courroux fatal qui causa mille maux aux Achéens
πολλὰς δ᾿ ἰφθίµους ψυχὰς Ἄϊδι προΐαψεν Et fit descendre chez Hadès tant d’âmes valeureuses
ἡρώων, αὐτοὺς δὲ ἑλώρια τεῦχε κύνεσσιν De héros, dont les corps servirent de pâture aux chiens
5 οἰωνοῖσί τε πᾶσι· Διὸς δ᾿ ἐτελείετο βουλή· Et aux oiseaux sans nombre : ainsi Zeus l’avait-il voulu.
ἐξ οὗ δὴ τὰ πρῶτα διαστήτην ἐρίσαντε Pars du jour où naquit cette querelle qui brouilla
Ἀτρεΐδης τε ἄναξ ἀνδρῶν καὶ δῖος Ἀχιλλεύς. L’Atride, gardien de son peuple, et le divin Achille.
Texte n° 2 : Homère, Iliade (VIIIe s. av. J.-C.), chant I, v.223-234 et 240-246 (traduction F. Mugler)
26
Texte n° 3 : Sophocle, Œdipe Roi (Ve s. av. J.-C.), premier épisode, v.380-407 (traduction Paul Mazon)
Texte n° 4 : Sophocle, Œdipe Roi (Ve s. av. J.-C.), exodos, v.1397-1415 (traduction Paul Mazon)
Νῦν γὰρ κακός τ´ ὢν κἀκ κακῶν εὑρίσκοµαι. J'apparais aujourd'hui ce que je suis en fait : un
Ὦ τρεῖς κέλευθοι καὶ κεκρυµµένη νάπη, criminel, issu de criminels... Ô double chemin ! val
δρυµός τε καὶ στενωπὸς ἐν τριπλαῖς ὁδοῖς, caché ! bois de chênes ! ô étroit carrefour où se
αἳ τοὐµὸν αἷµα τῶν ἐµῶν χειρῶν ἄπο joignent deux routes ! vous qui avez bu le sang de
5 ἐπίετε πατρός, ἆρά µου µέµνησθ´ ὅτι mon père versé par mes mains, avez-vous oublié les
οἷ´ ἔργα δράσας ὑµὶν εἶτα δεῦρ´ ἰὼν crimes que j'ai consommés sous vos yeux, et ceux
ὁποῖ´ ἔπρασσον αὖθις; Ὦ γάµοι, γάµοι, que j'ai plus tard commis ici encore ? Hymen,
ἐφύσαθ´ ἡµᾶς, καὶ φυτεύσαντες πάλιν hymen à qui je dois le jour, qui, après m'avoir
ἀνεῖτε ταὐτὸν σπέρµα, κἀπεδείξατε enfanté, as une fois de plus fait lever la même
10 πατέρας, ἀδελφούς, παῖδας, αἷµ´ ἐµφύλιον, semence et qui, de la sorte, as montré au monde des
νύµφας γυναῖκας µητέρας τε, χὠπόσα pères, frères, enfants, tous de même sang ! des
αἴσχιστ´ ἐν ἀνθρώποισιν ἔργα γίγνεται. épousées à la fois femmes et mères – les pires
Ἀλλ´, οὐ γὰρ αὐδᾶν ἔσθ´ ἃ µηδὲ δρᾶν καλόν, hontes des mortels... Non, non ! Il est des choses
ὅπως τάχιστα, πρὸς θεῶν, ἔξω µέ που qu'il n'est pas moins honteux d'évoquer que de faire.
27
15 καλύψατ´, ἢ φονεύσατ´, ἢ θαλάσσιον Vite, au nom des dieux, vite, cachez-moi quelque
ἐκρίψατ´, ἔνθα µήποτ´ εἰσόψεσθ´ ἔτι. part, loin d'ici ; tuez-moi, jetez-moi à la mer ou en
Ἴτ´, ἀξιώσατ´ ἀνδρὸς ἀθλίου θιγεῖν· des lieux du moins où l'on ne me voie plus... Venez,
πίθεσθε, µὴ δείσητε· τἀµὰ γὰρ κακὰ daignez toucher un malheureux. Ah ! croyez-moi,
οὐδεὶς οἷός τε πλὴν ἐµοῦ φέρειν βροτῶν. n'ayez pas peur : mes maux à moi, il n'est point
d'autre mortel qui soit fait pour les porter.
Documents complémentaires
1‐ Gustave Moreau (1826-1898), Hélène à la porte de Scée, Huile sur toile - 72 x 100 cm (Paris,
Musée Gustave Moreau)
28
2- Pierre Corneille, L’Illusion comique, 1635-1636
Matamore est un soldat fanfaron qui se croit un grand chef militaire. Il fait la cour à une jeune femme, mais
le père de celle-ci ne l’apprécie guère et vient de le chasser de sa maison.
Dans cette scène, Matamore s’adresse à son valet et lui faire part de sa colère face à une telle humiliation.
MATAMORE
Respect de ma maîtresse, incommode vertu,
Tyran de ma vaillance, à quoi me réduis tu ?
Que n'ai-je eu cent rivaux à la place d'un père
Sur qui, sans t'offenser, laisser choir ma colère ?
5 Ha ! visible démon, vieux spectre décharné,
Vrai suppôt de Satan, médaille1 de damné,
Tu m'oses donc bannir, et même avec menaces,
Moi de qui tous les rois briguent les bonnes grâces !
CLINDOR
Tandis qu'il est dehors, allez, dès aujourd'hui,
Causer de vos amours et vous moquer de lui.
10
MATAMORE
2
Cadédiou , ses valets feraient quelque insolence !
CLINDOR
Ce fer a trop de quoi dompter leur violence.
MATAMORE
Oui, mais les feux qu'il jette en sortant de prison3
Auraient en un moment embrasé la maison,
Dévoré tout à l'heure4 ardoises et gouttières,
15 Faîtes, lattes, chevrons, montants, courbes, filières5,
Entretoises, sommiers, colonnes, soliveaux,
Pannes, soles, appuis, jambages, traveteaux,
Portes, grilles, verrous, serrures, tuiles, pierre,
Plomb, fer, plâtre, ciment, peinture, marbre, verre,
20 Caves, puits, cours, perrons, salles, chambres, greniers,
Offices, cabinets, terrasses, escaliers :
Juge un peu quel désordre aux yeux de ma charmeuse !
Ces feux étoufferaient son ardeur amoureuse.
Va lui parler pour moi, toi qui n'es pas vaillant ;
25 Tu puniras à moins6 un valet insolent.
CLINDOR
C'est m'exposer...
MATAMORE
Adieu, je vois ouvrir la porte,
Et crains que sans respect cette canaille sorte.
29
Option lettres modernes : épreuves au choix
30
Analyse d’une situation professionnelle : latin pour lettres modernes
Texte
Extrait de Médée de Sénèque (4 av. J.-C. – 65 ap. J.-C.), scène X – vers 891 à 939
Document
Mucha, Médée, 1898 (Les Arts Décoratifs - Musée de la Publicité, Paris. Photo Laurent Sully
Jaulmes) ; affiche publicitaire de l’actrice Sarah Bernhardt pour la mise en scène de Médée au Théâtre
de la Renaissance.
Sujet :
Deuxième partie : dans le cadre d’une séquence de Première en latin, portant sur « Le théâtre : texte et
représentation », comparez la vision de Médée proposée par Sénèque à celle qui est proposée par le
document iconographique. Pour vous aider, vous commenterez notamment dans le texte de Sénèque
aux vers 931-932 l’emploi des termes « facinus » et « nefas » ainsi que l’emploi du mode verbal dans
la forme « absit ».
31
Extrait de Médée de Sénèque, scène X – vers 891 à 939
Médée, trahie par Jason qui l’a répudiée pour épouser Créüse, la fille de Créon, le roi de Corinthe, a entraîné la mort de la
jeune Créüse et de son père dans un incendie. Dans la scène qui suit, elle s’apprête à redoubler sa vengeance par le
meurtre de ses propres enfants.
891 (Nutrix) Effer citatum sede Pelopea gradum, LA NOURRICE. ‐ Porte vite le pas hors du séjour des
Medea, praeceps quaslibet terras pete. Pélopides, Médée, gagne précipitamment les terres que tu
voudras.
(Medea) Egone ut recedam? Si profugissem prius, MÉDÉE. – Moi m’éloigner ? Si je m’étais déjà échappée, je
ad hoc redirem. Nuptias specto nouas. reviendrais vers ce qui m’est maintenant offert : j’ai en
895 Quid, anime, cessas ? Sequere felicem impetum. spectacle des noces d’un nouveau type. Pourquoi hésites‐
Pars ultionis ista, qua gaudes, quota est? tu, mon cœur, suis un heureux élan. Cette part de
Amas adhuc, furiose, si satis est tibi vengeance qui fait ta joie, comme elle est petite ! Tu aimes
caelebs Iason. Quaere poenarum genus encore, folle, si c’est assez pour toi de voir Jason veuf.
haut usitatum iamque sic temet para: Cherche un type insolite de châtiment et alors deviens toi‐
900 fas omne cedat, abeat expulsus pudor; même : que soit abolie toute loi divine, que soit chassée
uindicta leuis est quam ferunt purae manus. bien loin la conscience morale. Légère est la vengeance
Incumbe in iras teque languentem excita qu’on peut exécuter sans se salir les mains. Donne toute
penitusque ueteres pectore ex imo impetus ton énergie à tes accès de rage, réveille‐toi de tes
uiolentus hauri. Quicquid admissum est adhuc, langueurs et au plus profond de ton cœur va, de toute ta
905 pietas uocetur. Hoc age et faxis sciant violence, puiser tes élans anciens. Tout ce qui a été
quam leuia fuerint quamque uulgaris notae commis jusque là, qu’on l’appelle fidélité au devoir. A
quae commodaui scelera. Prolusit dolor l’action, faisons en sorte qu’on sache combien légers, de
per ista noster: quid manus poterant rudes quelle marque commune étaient les crimes que j’ai
audere magnum? Quid puellaris furor? accomplis pour le service d’autrui. Avec eux ma rancœur a
910 [Medea nunc sum; creuit ingenium malis : préludé : que pouvaient oser de grand des mains novices,
iuuat, iuuat rapuisse fraternum caput, une fureur de jeune fille ?
artus iuuat secuisse et arcano patrem […]
spoliasse sacro, iuuat in exitium senis
armasse natas. Quaere materiam, dolor:
915 ad omne facinus non rudem dextram afferes.
Quo te igitur, ira, mittis, aut quae perfido
intendis hosti tela? Nescio quid ferox
decreuit animus intus et nondum sibi
audet fateri. Stulta properaui nimis:
920 ex paelice utinam liberos hostis meus
aliquos haberet ‐ quicquid ex illo tuum est,
Creusa peperit.] Placuit hoc poenae genus,
meritoque placuit : ultimum, agnosco, scelus J’ai choisi ce genre de châtiment et je l’ai choisi à juste
animo parandum est ‐ liberi quondam mei, titre : mon dernier crime, il faut le préparer d’une âme
925 uos pro paternis sceleribus poenas date. haute ; enfants jadis à moi, subissez le châtiment pour les
Cor pepulit horror, membra torpescunt gelu crimes de votre père. L’horreur a frappé mon cœur, mes
pectusque tremuit. Ira discessit loco membres s’engourdissent, deviennent de glace, ma
materque tota coniuge expulsa redit. poitrine a tremblé. La rage a quitté la place, la mère a
Egone ut meorum liberum ac prolis meae chassé l’épouse et revient sans partage. Moi, j’irais verser
930 fundam cruorem? Melius, a, demens furor! le sang de mes enfants, de ma descendance ? Agis mieux,
Incognitum istud facinus ac dirum nefas ah ! démente fureur ! Que ce forfait inouï, cette sinistre
a me quoque absit ; quod scelus miseri luent? impiété, me demeure étrangère à moi aussi ; quel crime
Scelus est Iason genitor et maius scelus les malheureux expieront‐ils ? Leur crime est d’avoir Jason
32
Medea mater ‐ occidant, non sunt mei; pour père, et crime encore plus grand, d’avoir Médée pour
935 pereant, mei sunt. Crimine et culpa carent, mère. Qu’ils meurent, ils ne sont pas à moi ; qu’ils
sunt innocentes : fateor. Et frater fuit. périssent, ils sont à moi. Ils sont exempts de crime, de
Quid, anime, titubas? Ora quid lacrimae rigant faute, ils sont innocents, je le reconnais ; mon frère l’était
uariamque nunc huc ira, nunc illuc amor aussi. Pourquoi, mon âme, chancelles‐tu ? Pourquoi des
diducit? Anceps aestus incertam rapit. larmes inondent‐elles mon visage ? Pourquoi rage et
affection conduisent‐elles, tour à tour, mon âme instable
en sens opposé ? Un double courant m’emporte,
incertaine.
Traduction de François‐Régis Chaumartin ‐ CUF
33
Mucha, Médée, 1898 (Les Arts Décoratifs - Musée de la Publicité, Paris. Photo Laurent Sully Jaulmes) ;
affiche publicitaire de l’actrice Sarah Bernhardt pour la mise en scène de Médée au Théâtre de la
Renaissance.
34
Analyse d’une situation professionnelle : « littérature et langue française »
Textes
Documents complémentaires
1. Albert Camus, L’Homme révolté (1951)
2. Girodet, Atala au tombeau, surnommé Les Funérailles d’Atala (1807), musée du Louvre,
Paris.
Sujet
Dans le cadre de l’enseignement du français en classe de première et particulièrement de l’objet
d’étude « le personnage de roman du XVIIe siècle à nos jours », vous analyserez le corpus
proposé. Vous préciserez les modalités de son exploitation sous la forme d’un projet de séquence
assorti du développement d’une séance de cours. Cette séquence comportera obligatoirement
une séance d’étude de la langue.
35
Texte n° 1
[…] Elle [Madame de Clèves] se retira, sur le prétexte de changer d’air, dans une maison
religieuse, sans faire paraître un dessein arrêté de renoncer à la cour.
À la première nouvelle qu’en eut M. de Nemours, il sentit le poids de cette retraite, et il
en vit l’importance. Il crut dans ce moment qu’il n’avait plus rien à espérer. La perte de ses
espérances ne l’empêcha pas de mettre tout en usage pour faire revenir madame de Clèves. Il
fit écrire la Reine, il fit écrire le Vidame, il l’y fit aller ; mais tout fut inutile. Le Vidame la vit :
elle ne lui dit point qu’elle eût pris de résolution. Il jugea néanmoins qu’elle ne reviendrait
jamais. Enfin Monsieur de Nemours y alla lui‐même, sur le prétexte d’aller à des bains. Elle fut
extrêmement troublée et surprise d’apprendre sa venue. Elle lui fit dire, par une personne de
mérite qu’elle aimait et qu’elle avait alors auprès d’elle, qu’elle le priait de ne pas trouver
étrange si elle ne s’exposait point au péril de le voir, et de détruire par sa présence des
sentiments qu’elle devait conserver ; qu’elle voulait bien qu’il sût qu’ayant trouvé que son
devoir et son repos s’opposaient au penchant qu’elle avait d’être à lui, les autres choses du
monde lui avaient paru si indifférentes qu’elle y avait renoncé pour jamais ; qu’elle ne pensait
plus qu’à celles de l’autre vie, et qu’il ne lui restait aucun sentiment que le désir de le voir dans
les mêmes dispositions où elle était.
Monsieur de Nemours pensa expirer de douleur en présence de celle qui lui parlait. Il la
pria vingt fois de retourner à Madame de Clèves, afin de faire en sorte qu’il la vît ; mais cette
personne lui dit que Madame de Clèves lui avait non seulement défendu de lui aller redire
aucune chose de sa part, mais même de lui rendre compte de leur conversation. Il fallut enfin
que ce prince repartît, aussi accablé de douleur que le pouvait être un homme qui perdait
toutes sortes d’espérances de revoir jamais une personne qu’il aimait d’une passion la plus
violente, la plus naturelle et la mieux fondée qui ait jamais été. Néanmoins il ne se rebuta
point encore, et il fit tout ce qu’il put imaginer de capable de la faire changer de dessein. Enfin,
des années entières s’étant passées, le temps et l’absence ralentirent sa douleur et éteignirent
sa passion. Madame de Clèves vécut d’une sorte qui ne laissa pas d’apparence qu’elle pût
jamais revenir. Elle passait une partie de l’année dans cette maison religieuse et l’autre chez
elle ; mais dans une retraite et dans des occupations plus saintes que celles des couvents les
plus austères ; et sa vie, qui fut assez courte, laissa des exemples de vertu inimitables.
Madame de Lafayette, La Princesse de Clèves (1678)
Texte n°2
Fouqué réussit dans cette triste négociation. Il passait la nuit seul dans sa chambre,
auprès du corps de son ami, lorsqu’à sa grande surprise, il vit entrer Mathilde. Peu d’heures
auparavant, il l’avait laissée à dix lieues de Besançon. Elle avait le regard et les yeux égarés.
— Je veux le voir, lui dit‐elle.
Fouqué n’eut pas le courage de parler ni de se lever. Il lui montra du doigt un grand
manteau bleu sur le plancher ; là était enveloppé ce qui restait de Julien.
Elle se jeta à genoux. Le souvenir de Boniface de La Mole et de Marguerite de Navarre lui
donna sans doute un courage surhumain. Ses mains tremblantes ouvrirent le manteau.
Fouqué détourna les yeux.
Il entendit Mathilde marcher avec précipitation dans la chambre. Elle allumait plusieurs
bougies. Lorsque Fouqué eut la force de la regarder, elle avait placé sur une petite table de
marbre, devant elle, la tête de Julien, et la baisait au front…
36
Mathilde suivit son amant jusqu’au tombeau qu’il s’était choisi. Un grand nombre de
prêtres escortaient la bière et, à l’insu de tous, seule dans sa voiture drapée, elle porta sur ses
genoux la tête de l’homme qu’elle avait tant aimé.
Arrivés ainsi vers le point le plus élevé d’une des hautes montagnes du Jura, au milieu de
la nuit, dans cette petite grotte magnifiquement illuminée d’un nombre infini de cierges, vingt
prêtres célébrèrent le service des morts. Tous les habitants des petits villages de montagne
traversés par le convoi, l’avaient suivi, attirés par la singularité de cette étrange cérémonie.
Mathilde parut au milieu d’eux en longs vêtements de deuil, et, à la fin du service, leur fit
jeter plusieurs milliers de pièces de cinq francs.
Restée seule avec Fouqué, elle voulut ensevelir de ses propres mains la tête de son
amant. Fouqué faillit en devenir fou de douleur.
Par les soins de Mathilde, cette grotte sauvage fut ornée de marbres sculptés à grands
frais, en Italie.
Mme de Rênal fut fidèle à sa promesse. Elle ne chercha en aucune manière à attenter à sa
vie ; mais, trois jours après Julien, elle mourut en embrassant ses enfants.
Stendhal, Le Rouge et le Noir (1830)
Texte n°3
Un jour qu’il [Charles Bovary] était allé au marché d’Argueil pour y vendre son cheval, —
dernière ressource, — il rencontra Rodolphe.
Ils pâlirent en s’apercevant. Rodolphe, qui avait seulement envoyé sa carte, balbutia
d’abord quelques excuses, puis s’enhardit et même poussa l’aplomb (il faisait très chaud, on
était au mois d’août), jusqu’à l’inviter à prendre une bouteille de bière au cabaret.
Accoudé en face de lui, il mâchait son cigare tout en causant, et Charles se perdait en
rêveries devant cette figure qu’elle avait aimée. Il lui semblait revoir quelque chose d’elle.
C’était un émerveillement. Il aurait voulu être cet homme.
L’autre continuait à parler culture, bestiaux, engrais, bouchant avec des phrases banales
tous les interstices où pouvait se glisser une allusion. Charles ne l’écoutait pas ; Rodolphe s’en
apercevait, et il suivait sur la mobilité de sa figure le passage des souvenirs. Elle
s’empourprait peu à peu, les narines battaient vite, les lèvres frémissaient ; il y eut même un
instant où Charles, plein d’une fureur sombre, fixa ses yeux contre Rodolphe qui, dans une
sorte d’effroi, s’interrompit. Mais bientôt la même lassitude funèbre réapparut sur son visage.
— Je ne vous en veux pas, dit‐il.
Rodolphe était resté muet. Et Charles, la tête dans ses deux mains, reprit d’une voix
éteinte et avec l’accent résigné des douleurs infinies :
— Non, je ne vous en veux plus !
Il ajouta même un grand mot, le seul qu’il ait jamais dit :
— C’est la faute de la fatalité !
Rodolphe, qui avait conduit cette fatalité, le trouva bien débonnaire pour un homme
dans sa situation, comique même, et un peu vil.
Le lendemain, Charles alla s’asseoir sur le banc, dans la tonnelle. Des jours passaient par
le treillis ; les feuilles de vigne dessinaient leurs ombres sur le sable, le jasmin embaumait, le
ciel était bleu, des cantharides bourdonnaient autour des lis en fleur, et Charles suffoquait
comme un adolescent sous les vagues effluves amoureux qui gonflaient son cœur chagrin.
À sept heures, la petite Berthe, qui ne l’avait pas vu de tout l’après‐midi, vint le chercher
pour dîner.
Il avait la tête renversée contre le mur, les yeux clos, la bouche ouverte, et tenait dans
ses mains une longue mèche de cheveux noirs.
— Papa, viens donc ! dit‐elle.
37
Et, croyant qu’il voulait jouer, elle le poussa doucement. Il tomba par terre. Il était mort.
Trente‐six heures après, sur la demande de l’apothicaire, M. Canivet accourut. Il l’ouvrit
et ne trouva rien.
Quand tout fut vendu, il resta douze francs soixante et quinze centimes qui servirent à
payer le voyage de Mademoiselle Bovary chez sa grand‐mère. La bonne femme mourut dans
l’année même ; le père Rouault étant paralysé, ce fut une tante qui s’en chargea. Elle est
pauvre et l’envoie, pour gagner sa vie, dans une filature de coton.
Depuis la mort de Bovary, trois médecins se sont succédé à Yonville sans pouvoir y
réussir, tant M. Homais les a tout de suite battus en brèche. Il fait une clientèle d’enfer ;
l’autorité le ménage et l’opinion publique le protège.
Il vient de recevoir la croix d’honneur.
Gustave Flaubert, Madame Bovary (1857)
Texte n°4
Eh bien, voilà ce qu’il dut faire. Il remonta chez lui et il tint le coup jusqu’après la soupe.
Il attendit que Saucisse ait pris son tricot d’attente et que Delphine ait posé ses mains sur ses
genoux. Il ouvrit, comme d’habitude, la boîte de cigares, et il sortit pour fumer.
Seulement, ce soir‐là, il ne fumait pas un cigare, il fumait une cartouche de dynamite. Ce
que Delphine et Saucisse regardèrent comme d’habitude, la petite braise, le petit fanal de
voiture, c’était le grésillement de la mèche.
Et il y eut, au fond du jardin, l’énorme éclaboussement d’or qui éclaira la nuit pendant
une seconde. C’était la tête de Langlois qui prenait, enfin, les dimensions de l’univers.
Qui a dit : « Un roi sans divertissement est un homme plein de misères » ?
Manosque, 1er sept.‐10 oct. 46
Jean Giono, Un roi sans divertissement (1948)
Document n° 1
Qu’est ce que le roman, en effet, sinon cet univers où l’action trouve sa forme, où les
mots de la fin sont prononcés, les êtres livrés aux êtres, où toute vie prend le visage du destin.
Le monde romanesque n’est que la correction de ce monde‐ci, suivant le désir profond de
l’homme. Car il s’agit bien du même monde. La souffrance est la même, le mensonge et
l’amour. Les héros ont notre langage, nos faiblesses, nos forces. Leur univers n’est ni plus beau
ni plus édifiant que le nôtre. Mais eux, du moins, courent jusqu’au bout de leur destin et il
n’est même jamais de si bouleversants héros que ceux qui vont jusqu’à l’extrémité de leur
passion, Kirilov et Stavroguine, Mme Graslin, Julien Sorel ou le prince de Clèves. C’est ici que
nous perdons leur mesure, car ils finissent alors ce que nous n’achevons jamais. […]
Voici donc un monde imaginaire, mais créé par la correction de celui‐ci, un monde où la
douleur peut, si elle le veut, durer jusqu’à la mort, où les passions ne sont jamais distraites, où
les êtres sont livrés à l’idée fixe et toujours présents les uns aux autres. L’homme s’y donne
enfin à lui‐même la forme et la limite apaisante qu’il poursuit en vain dans sa condition. Le
roman fabrique du destin sur mesure. C’est ainsi qu’il concurrence la création et qu’il
triomphe, provisoirement, de la mort. Une analyse détaillée des romans les plus célèbres
montrerait, dans des perspectives chaque fois différentes, que l’essence du roman est dans
cette correction perpétuelle, toujours dirigée dans le même sens, que l’artiste effectue sur son
expérience. Loin d’être morale ou purement formelle, cette correction vise d’abord à l’unité et
traduit par là un besoin métaphysique. […]
Albert Camus, L’Homme révolté (1951)
38
Document n° 2
39
Analyse d’une situation professionnelle : « français langue étrangère,
français langue seconde »
Documents
Sujet
Dans le cadre de l’enseignement du français langue étrangère, français langue seconde, vous
analyserez le dossier proposé constitué principalement d’un « document authentique »
(document n° 1), accompagné d’une définition, d’une spécification du niveau attendu en FLE
(documents 2 et 3) et d’un extrait de texte littéraire. Cette analyse doit vous permettre de
proposer un projet de séquence régi par des objectifs linguistiques, communicatifs et culturels,
assorti du développement d’une séance de cours.
Document n° 1
40
41
42
Document n° 2
AUTHENTIQUE
La caractérisation d’ « authentique », en didactique des langues, est généralement associée à
« document » et s’applique à tout message élaboré par des francophones pour des francophones
à des fins de communication réelle : elle désigne donc tout ce qui n’est pas conçu à l’origine
pour la classe. Le document authentique renvoie à un foisonnement de genres bien typés et à un
ensemble très divers de situations de communication et de messages écrits, oraux, iconiques et
audiovisuels, qui couvrent toute la panoplie des productions de la vie quotidienne,
administrative, médiatique, culturelle, professionnelle, etc.
L’entrée dans la classe de langue des documents authentiques, appelés également documents
bruts ou sociaux, date des années 1970 avec la réflexion engendrée pour définir le niveau 2 de
la méthodologie SGAV. Elle répond au besoin de mettre l’apprenant au contact direct de la
langue et de concilier l’apprentissage de la langue à celui de la civilisation ; depuis,
l’exploitation pédagogique des documents authentiques s’est généralisée pour couvrir
l’ensemble des niveaux et concourir à l’acquisition d’une compétence communicative.
Le document authentique n’a de sens qu’inséré dans le cadre d’un programme méthodologique
précis et cohérent (niveau, progression, besoins, objectifs) et s’il est exploité dans ses qualités
intrinsèques. Il est donc nécessaire de mettre en place des stratégies d’exploitation qui
respectent la situation de communication véhiculée par le document authentique et de tenter de
restituer l’authenticité de sa réception. À noter que, même dans cette perspective, l’authentique
perd de son authenticité (suppression de son contexte situationnel, détournement de l’énoncé
avec une communication différée qui peut rendre caduques certaines marques de l’énoncé,
etc.). Le concept perd aussi certaines de ses caractéristiques lorsque le document est modifié et
didactisé. L’essentiel reste cependant que l’apprenant le perçoive comme authentique et que les
démarches pédagogiques lui confèrent une vraisemblance communicative. Les documents
authentiques, bien qu’ils aient l’inconvénient de vieillir très vite, constituent un matériel riche
et varié et, par leurs atouts, se situent au centre du dispositif pédagogique.
Document n° 3
Utilisateur
indépendant B1 Peut comprendre les points essentiels quand un langage clair et standard est
utilisé et qu’il s’agit de choses familières dans le travail, à l’école, dans les
loisirs, etc. Peut se débrouiller dans la plupart des situations rencontrées en
voyage dans une région où la langue cible est parlée. Peut produire un
discours simple et cohérent sur des sujets familiers et dans ses domaines
d’intérêt. Peut raconter un événement, une expérience ou un rêve, décrire un
espoir ou un but et exposer brièvement des raisons ou explications pour un
projet ou une idée.
Cadre européen commun de référence pour les langues, Apprendre. Enseigner. Évaluer,
Conseil de l’Europe, Les éditions Didier, 2000, p. 25.
43
Document n° 4
Dans Le Cœur à rire et à pleurer, sous-titré « Contes vrais de mon enfance » et dédicacé à sa
mère, la narratrice, originaire de la Guadeloupe, évoque une scène de son enfance dans les
années cinquante.
[…] Aujourd'hui, je me représente le spectacle peu courant que nous offrions, assis aux
terrasses du Quartier latin dans le Paris morose de l'après-guerre. Mon père ancien séducteur au
maintien avantageux, ma mère couverte de somptueux bijoux créoles, leurs huit enfants, mes
sœurs yeux baissés, parées comme des châsses, mes frères adolescents, l'un d'eux déjà à sa
première année de médecine, et moi, bambine outrageusement gâtée, l'esprit précoce pour son
âge. Leurs plateaux en équilibre sur la hanche, les garçons de café voletaient autour de nous
remplis d'admiration comme autant de mouches à miel. Ils lâchaient invariablement en servant
les diabolos menthe:
- Qu'est -ce que vous parlez bien le français! .
Mes parents recevaient le compliment sans broncher ni sourire et se bornaient à hocher du
chef. Une fois que les garçons avaient tourné le dos, ils nous prenaient à témoin :
- Pourtant, nous sommes aussi français qu'eux, soupirait mon père. […]
Maryse Condé, Le Cœur à rire et à pleurer, Paris, Robert Laffont, « Pockett », 1999.
44
Analyse d’une situation professionnelle : Etudes cinématographiques
Séquence filmique
Documents complémentaires
3. Henri Michaux, « Notre frère Charlie », revue Disque vert n° 4-5, numéro spécial
« Charlot », 1924.
4. Louis Aragon, « Charlot mystique », revue Nord-Sud n° 15, mai 1918, repris dans
Feu de joie (1920). Transposition littéraire, librement inspirée d’un court métrage de Charlie
Chaplin de 1916, « Charlot chef de rayon ».
Sujet
En prenant appui sur l’ensemble des documents proposés (séquence filmique, textes, images),
vous analyserez les enjeux du dossier et les questions cinématographiques posées en vous
appuyant sur votre culture cinématographique et critique, de manière à en proposer une
exploitation, à destination d’une classe de seconde, sous la forme d'un projet de séquence
assorti du développement d’une séance de cours.
45
Séquence filmique
Prologue de Les Lumières de la ville de Charles Chaplin (1931). Depuis la première image
après le générique de début jusqu’au carton « Afternoon ». Timecode dans l’édition MK2 : 1
min, 10 s. jusqu’à 4 min, 13 s.
Document n° 1
« Il est absurde de traiter par exemple Charlot de clown de génie. Si le cinéma n’avait pas
existé, Charlot eût, en effet, été sans doute un clown de génie, mais le cinéma lui a permis
d’exhausser le comique du cirque et du music-hall au plus haut niveau esthétique. Il fallait à
Chaplin les moyens du cinéma pour libérer au maximum le comique des servitudes d’espace
et de temps imposées par la scène ou l’arène du cirque. Grâce à la caméra, l’évolution de
l’effet comique pouvant être présentée tout au long avec la plus grande clarté, non seulement
il n’est plus besoin de le grossir pour que toute une salle le comprenne, mais encore on peut
au contraire affiner le gag à l’extrême, limer et amincir les rouages pour en faire une
mécanique de haute précision capable de répondre immédiatement aux ressorts les plus
délicats. »
André Bazin, « Introduction à une symbolique de Charlot ».
Document n° 2
Jacques Tati compare le comportement de M. Hulot, son personnage, dans une scène de Les
Vacances de M. Hulot, avec celui qu’aurait eu Charlot dans la même situation.
« Je prends le cas d’un gag que vous avez vu dans Les Vacances de M. Hulot. M. Hulot arrive
au cimetière. Il a besoin de faire repartir sa voiture, cherche une manivelle dans le coffre
arrière, sort un pneu, le pneu est transformé en couronne (mortuaire) car cette couronne,
l’ordonnateur des pompes funèbres croit que M. Hulot est venu l’apporter […]. L’invention
comique vient du scénariste ou de la situation, mais ce qui est arrivé à Hulot pouvait arriver à
énormément de gens. Dans le cas de Chaplin, si Chaplin avait trouvé le gag suffisamment bon
pour le mettre dans son film – ce dont je ne suis pas certain –, il aurait fait la même entrée
qu’Hulot. Mais voyant que la situation est catastrophique (il y a un service religieux que la
présence de la voiture perturbe), se trouvant, en ouvrant son coffre, avec une chambre à air, il
aurait transformé pour le spectateur la chambre à air en couronne mortuaire, et elle aurait été
acceptée de la même façon par le garçon qui s’occupait du service.
Et là, les spectateurs auraient trouvé le personnage merveilleux parce que, au moment où
personne n’aurait rien pu imaginer pour le sortir de cette situation, il aurait inventé, sur
l’écran, pour les spectateurs, un gag. Et c’est ce gag qui aurait décroché le rire et aurait fait
dire, en plus : « Il a été formidable ». On ne peut pas dire ça du personnage de M. Hulot, il n’a
pas été formidable, puisque ç’aurait pu arriver à vous, à tout le monde : on fouille dans une
voiture, il tombe quelque chose, on le ramasse, c’est normal. C’est là où on sent qu’il y a deux
écoles tout à fait différentes, tout à fait opposées, car Hulot n’invente jamais rien. »
46
Document n° 3
Document n° 4
47
Document n° 5
René Magritte, The Son of Man (« Le Fils de l’homme »), peinture à l’huile,
collection privée, 1964.
_____________
48
Analyse d’une situation professionnelle : théatre ou cinéma
Documents :
Sujet :
En prenant appui sur l’ensemble des documents proposés (captation, image, textes), vous
analyserez les enjeux du dossier et les questions dramaturgiques posées en vous s’appuyant
sur votre culture théâtrale et critique, de manière à en proposer une exploitation sous la
forme d'un projet de séquence assorti du développement d’une séance de cours, à destination
d’une classe de seconde.
49
Document n° 1 :
Document n° 2
Tartuffe est une pièce où on sent que tout est déjà traversé par un passé, un passif. On peut bien sûr
prendre la pièce dans son abstraction, mais on peut aussi essayer de voyager dans ce qui traverse les
personnages et ce pourquoi ils en sont arrivés là. C'est une pièce qui commence dans la crise. Est-ce
que la crise de Madame Pernelle est démesurée par rapport à la situation ? En tout cas elle recouvre
quelque chose de paradoxal : alors qu’elle dit que rien ne va plus, Orgon arrive en déclarant au
contraire que tout va bien depuis que Tartuffe est là. La pièce est l’histoire de quelqu’un qui pense
aller très bien sous l’emprise de Tartuffe, mais qui a en lui une faille que la pièce va ouvrir. La
question est alors de savoir de quelle nature est cette faille, comment elle a été comblée avant ce qui
l’a causée, etc. Même si tous les personnages jouent un rôle déterminant, pour moi le personnage
principal est Orgon ; je tourne autour de la maladie d’Orgon, des symptômes d’Orgon. Il faut arriver à
se raconter ce qui s’est passé avant dans sa famille. Si on se raconte que sa première femme, celle qui
plaisait à Mme Pernelle, était une sorte de bigote, qu’il ne devait pas avoir une relation très épanouie
sexuellement avec elle, et que devenu veuf il a choisi en Elmire une jeune femme avec un côté joyeux,
sensuel, et que là tout d’un coup il est sous une emprise sexuelle, on peut penser que c’est ça qui
déclenche la crise. Sur la base d’une peur du sexe, d’une culpabilité qui lui est liée. Il faut bien que le
discours de Tartuffe – qui dit tout le temps que le sexe est la chose la plus horrible du monde – trouve
une prise chez Orgon. (...) Molière n’écrit qu’avec ce qu’il est, ce qu’il vit. C'est partout. Par exemple
la question de la jalousie qui est un thème central chez lui, n’apparaît pas au premier abord dans
Tartuffe. Mais quand on plonge dans la pièce on s’aperçoit que c'est là tout le temps... C'est comme
une donnée de base de la relation d’Orgon à sa femme. Molière jouait Orgon avec la matière
d’Alceste. Les personnages ne sont pas les mêmes, ils n’ont pas la même histoire socialement mais il y
a un fond d’être commun. Il les jouait comiques, c'était une manière de mettre en jeu ses propres
affects en les démontant et en les ridiculisant. Je pense que jouer avait pour lui une fonction
thérapeutique. Le monde a évolué, les mœurs évoluent, la morale aussi, mais la peur de l’amour, la
peur de ne pas être aimé, le désir de sauver l’autre, les situations d’emprise, ce sont comme des
invariants de la condition humaine moderne. Et là, Molière, sous l’apparence de la légèreté et parfois
de la convention, est d’une profondeur inouïe. En travaillant hier la scène de la dispute de Valère et
Marianne, qui m’avait toujours paru la scène la plus conventionnelle de la pièce, il apparaît une réalité
et une profondeur des sentiments amoureux tout à fait étonnante. Le roman est ce qui me motive
actuellement dans mon travail de metteur en scène, mais c’est aussi le moyen de décaper la pièce du
leurre de ses formes. De ses conventions. La religion est un levier dans ce dispositif. C'est d’abord un
contexte, un contexte politique qui peut faire penser à ce qu’on vit aujourd’hui : les rapports du
pouvoir et du discours religieux. On a eu pendant quelques années ce qu’on appelait le retour du
religieux, et maintenant on a le retour des dévots. Le pouvoir se remet à prendre appui sur ça – c'est
complètement nouveau ! Il y a des conséquences politiques, mais ce n’est pas Tartuffe qui peut nous
permettre de les aborder. Si on veut regarder ça de façon plus politique, il faudrait plutôt aller voir du
côté de Sainte Jeanne des abattoirs, par exemple... Parce que là, la problématique est prise dans
l’intimité de Molière – c'est comme ça que je le vois. La religion est l’endroit où la maladie d’Orgon
trouve une échappatoire, c'est le couvercle qu’on met sur la marmite. Ce dont je parle en abordant le
50
thème religieux à travers Brand, Mesure pour mesure ou Peer Gynt, c’est toujours d’un certain rapport
à la culpabilité, à la souillure. Le monde dans lequel on vit – c'est un peu banal de le dire mais c'est
quand même aussi une réalité – est un monde hyper matérialiste et qui touchant le fond de ce
matérialisme rebondit sur un besoin de spiritualité énorme. Pour moi l’un est absolument l’envers de
l’autre, de même que le cynisme est l’envers de l’idéalisme. Le besoin de spiritualité est la face cachée
du matérialisme. (...) Nous nous étions dit une fois que Molière vivait dans un profond scepticisme, et
que ce qui le protégeait du cynisme c’était une foi dans le théâtre – là j’emploie un mot religieux parce
qu’il n’y en a pas d’autre. Croire que le théâtre permet de produire du sens ou de survivre à un monde
sans dieu. Et peut produire aussi ce qui résiste aux certitudes. Je me sens proche de ça. La façon dont
Molière tire sur tout ce qui croit, ça me convient, je me sens en famille. Pas tellement avec ses
problématiques de jalousie mais avec les problématiques liées à la foi, au théâtre, au sens de ce qui se
joue par le théâtre, à la mise en jeu de l’intime et à la question de l’amour comme une chose centrale –
là, je me sens en famille ».
Note d’intention de Stéphane Braunschweig réalisée à partir d’un entretien avec Anne-
Françoise Benhamou, février 2008.
Document n° 3
« Je défie le juge d'instruction le plus subtil de pouvoir trouver, au début de la pièce ou même au cours
de l'action, « les sourdes menées » de l'intrus et le « triple danger » qui va fondre sur la maison : «
l'aventurier voudra épouser la fille, séduire la femme, dépouiller le mari. » D'ailleurs, pourquoi
Tartuffe serait-il un aventurier ? Il était pauvre et mal vêtu lorsqu'il vint chez Orgon, ainsi que le dit
Dorine ? Il n'y a à cela rien d'infamant. Son comportement à l'église est peut-être l'indice d'une grande
piété. Pourquoi Orgon ne serait-il pas séduit par un homme qui n'accepte que la moitié de ses dons, et
distribue l'autre moitié aux pauvres ? Est-ce la puce que Tartuffe tue avec trop de colère qui vous
paraît une tartufferie ? Il y eut un saint nommé Macaire qui, lui aussi, tua une puce en faisant sa prière,
et fit neuf ans de retraite dans le désert ; après quoi il fut canonisé. Où prend-on que Tartuffe veut
épouser Mariane ? Il le dit : ce n'est pas le bonheur après quoi il soupire. Il est amoureux de la femme.
Julien Sorel est amoureux de Mme de Rénal. On n'en fait pas un monstre pour autant. Pourquoi dire
qu'il veut dépouiller Orgon ? C'est Orgon qui, dans un élan de tendresse, sans que Tartuffe ait rien
sollicité, veut lui faire une donation entière : « Un bon et franc ami que pour gendre je prends, - M'est
bien plus cher que fils, que femme et que parents. » Tartuffe ne fait qu'accepter ce qu'on lui offre. «
Les enfants luttent, guidés par la servante et l'oncle. » Il n'y a pas de lutte; du moins, la lutte est vite
terminée. Orgon, sur le simple soupçon que Damis a faussement accusé Tartuffe - sans que celui-ci
intervienne -, chasse son fils, avec sa malédiction, et invite sa fille à mortifier ses sens avec son
mariage. Quant à la scène « hardie et forte » du quatrième acte, où Elmire cache son mari pour le
rendre « témoin et juge des criminelles entreprises de Tartuffe», relisez-la avant que d'en parler :
Elmire provoque Tartuffe, lui parle « d'un cœur que l'on veut tout » et lui déclare qu'elle est prête à se
rendre. Je sais bien que c'est pour démasquer l'imposteur, mais qui ne se laisserait prendre à ce jeu lors
qu'il est amoureux? Et que Tartuffe, bafoué dans son amour et - ce qui est pire - dans son amour
propre, se venge d'Orgon avec les armes qu'il a, c'est humain plus que monstrueux ».
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Document n° 4
« Tartuffe, Don Juan, l'Étranger qu'on n'a pas invité. Il provoque un désordre extraordinaire, et tout le
monde, finalement, se ligue pour le tuer. Il vient de nulle part, il va où ? Personne ne veut écouter sa
vérité. Voilà en tout cas l'image que Tartuffe aimerait bien qu'on garde de lui. Il passe, comme le
Rédempteur. Quelle différence y a-t-il entre le Rédempteur et lui ? Qui nous dit que l'Imposteur n'est
pas le Christ lui-même, pour Molière ? Dans un royaume catholique, on avait peut-être tout à fait
raison de condamner la pièce ».
Antoine VITEZ, Le Théâtre des idées, © éd. Gallimard, 1991.
Document n° 5
Document n° 6
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