Le Laboureur Et Ses

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Le Laboureur et ses enfants

Dans littérature le août 26, 2011 à 9:10

Le Laboureur et ses enfants.

Introduction
La Fontaine le dit et le répète à l’envi : Les Fables ne sont pas ce qu’elles semblent être.

Cette idée est également mise en évidence par Quintilien dans son Institution Oratoire dans laquelle il
affirme que la fable n’a « rien de commun avec la vérité, ni pour le fond ni pour la forme ».

Ainsi pouvons-nous dire que le caractère mensonger de la fable est non seulement présent, mais qu’il
participe en fait pleinement de l’esthétique du genre.

C’est qu’elles cachent, travestissent, simulent et dissimulent à la fois.

Or, si les fables de La Fontaine affichent leur sens caché au moment de la morale, elles ne laisseraient
alors a priori, plus rien à interpréter.

Nous allons cependant tenter de démonter le mécanisme, l’architecture secrète et ainsi essayer de relever
le défi exégétique que lance la fable que nous avons choisi : Le Laboureur et ses enfants.

En premier lieu, nous nous proposons donc d’aborder la pseudosémie du texte, consistant à penser que le
trésor recherché par les enfants est de l’argent ; puis nous travaillerons sur l’orthosémie révélée par la
morale, à savoir que le travail est un trésor ; enfin nous nous proposerons de lancer plusieurs pistes
interprétatives relevant de la cryptosémie.

Lecture

Travaillez, prenez de la peine :


C’est le fonds qui manque le moins.
Un riche Laboureur, sentant sa mort prochaine,
Fit venir ses enfants, leur parla sans témoins.
Gardez-vous, leur dit-il, de vendre l’héritage
Que nous ont laissé nos parents.
Un trésor est caché dedans.
Je ne sais pas l’endroit ; mais un peu de courage
Vous le fera trouver, vous en viendrez à bout.
Remuez votre champ dès qu’on aura fait l’Oût.
Creusez, fouiller, bêchez ; ne laissez nulle place
Où la main ne passe et repasse.
Le père mort, les fils vous retournent le champ
Deçà, delà, partout ; si bien qu’au bout de l’an
Il en rapporta davantage.
D’argent, point de caché. Mais le père fut sage
De leur montrer avant sa mort
Que le travail est un trésor.

Plan
Développement

I- Pseudosémie ou l’illusion du sens :

Le trésor que les enfants doivent trouver est de l’argent.

V3 : Un riche Laboureur, sentant sa mort prochaine,

V4 : Fit venir ses enfants, leur parla sans témoins.

D’emblée, l’histoire débute par le syntagme « Un riche Laboureur ».

Endoxalement, le terme « riche » renvoie à la notion de ressources financières et matérielles mais


également par corrélation à l’idée de statut social élevé.

Issu du francique « riki » qui signifie « puissant », il renvoie en effet à la notion de patrimoine familial en
étant également apparenté à l’allemand « Reich » qui signifie « empire ».

On suppose donc que le riche laboureur dont il est question a beaucoup de fortune, ou tout au moins qu’il
possède de grands biens.

Cette piste interprétative est justifiée par la contiguïté de ce terme avec la dénomination du statut
socioprofessionnel du personnage, un « laboureur ».

Sous l’Ancien Régime, les laboureurs sont en effet généralement des paysans qui se sont enrichit en
réussissant à échapper partiellement au système de la féodalité : ils sont propriétaires de la terre qu’ils
cultivent eux-mêmes.

Ils sont donc considérés comme des notables des campagnes, et sont très présents dans les assemblées
villageoises.

Certains sont très riches, d’autres moins, mais ils représentent néanmoins l’élite de la paysannerie.

Par conséquent, la coexistence de ces deux termes en début de vers « riche » et « laboureur » est
déterminante pour l’interprétation pseudosémique de la fable.

On pense en effet immédiatement que le père possède beaucoup d’argent, que c’est un riche notable de
campagne qui, à l’approche de la mort, souhaite transmettre sa fortune et ses biens matériels à sa
descendance.

Le père a souhaité qu’aucun témoin n’écoute son dernier discours, comme s’il allait dévoiler un secret
considérable qui pourrait susciter de la jalousie si quiconque venait à l’apprendre.
L’intimité dont le laboureur s’entoure pour prononcer son dernier discours laisse donc à penser qu’il
cherche à protéger sa parole de la cupidité d’autres hommes.

V5 : Gardez-vous, leur dit-il, de vendre l’héritage

V6 : Que nous ont laissé nos parents.

Le verbe « vendre » participe encore ici de la pseudosémie.

Il est en effet issu du latin « vendere » qui signifie aliéner une chose, céder à quelqu’un la propriété d’un
bien matériel pour un certain prix.

Le laboureur enjoindrait donc ses fils à avoir grand soin de ne pas vendre l’héritage transmis par leurs
ainés.

Nous pensons alors encore immanquablement à ce moment que cet héritage qui est évoqué est le
domaine agricole.

Nous avons bien là l’idée que ce que le père tient à transmettre à ses enfants est le patrimoine financier et
matériel de la famille qui devrait par la suite leur assurer aisance financière et sociale.

V7 : Un trésor est caché dedans.

Issu du latin « thesaurus », le mot trésor connote immédiatement l’idée d’un objet caché convoité et secret
sous le signe de l’inconnu.

Nous imaginons alors qu’il s’agit là d’un amas de choses de forte valeur ou de ressources financières
précieuses, ce qui laisse à supposer de la grandeur de la richesse que les parents ont accumulée.

A force d’inférences induites par la sémantique, le lecteur est ici fin prêt à tomber dans le piège tendu par
le fabuliste sans plus faire attention aux signaux herméneutiques qui aurait du l’alerter.

Aussi quand le laboureur poursuit :

V8 : Je ne sais pas l’endroit ; mais un peu de courage

V9 : Vous le fera trouver, vous en viendrez à bout.

Le lecteur se sent privilégié.

Il est lui aussi dépositaire du secret familial.

Cette connivence est en fait induite par le discours direct libre du père dont les paroles sont toute
empreinte de confiance.
V10 : Remuez votre champ dès qu’on aura fait l’Oût.

V11 : Creusez, fouiller, bêchez ; ne laissez nulle place

V12 : Où la main ne passe et repasse.

Les paroles du père sont directes, et vont à l’essentiel, ce qui participe à rendre compte de la réalité de la
scène en impliquant le lecteur.

De nombreux verbes à l’impératif sont mis en début de vers (vers 1, 5, 10, 11) pour amplifier cet effet, lui
même renforcé par le rythme ternaire « Creusez, fouiller, bêchez ».

Cependant, au vers suivant, le fabuliste commence à ménager le glissement vers l’orthosémie en faisant
prendre de la distance au lecteur vis-à-vis de l’histoire qu’il lui conte :

V13 : Le père mort, les fils vous retournent le champ

Le « vous » présent dans ce vers est en effet une marque d’oralité qui met le fabuliste dans la position de
celui qui conte une histoire à un lectorat.

Le lecteur se sent ici pour la deuxième fois pris directement à partie, la première étant au tout début de la
fable lorsque d’entrée de jeu il s’était fait interpeler par l’auteur.

C’est précisément à partir de ce vers que l’auteur ménage la chute.

V14 : Deçà, delà, partout ; si bien qu’au bout de l’an

V15 : Il en rapporta davantage.

Ici le lecteur commence véritablement à comprendre.

V16 : D’argent, point de caché. Mais le père fut sage

V17 : De leur montrer avant sa mort

V18 : Que le travail est un trésor.

Les richesses transmises par le père n’étaient ainsi pas de l’ordre de celles que l’on pouvait s’imaginer.

Nous nous sommes laissés berner par le piège sémantique tendu par La Fontaine.
Et c’est le trauma herméneutique de l’apothèse qui nous invite finalement à chercher ce qui l’annonçait en
effectuant une rétrolecture, en essayant de penser la faille, de partir à la recherche des anomalies
sémantiques…

- Rétrolecture –

II- Orthosémie ou le vrai sens :

Le trésor que le père veut transmettre à ses enfants réside dans le travail.

- Déclencheurs herméneutiques –

L’orthosémie est d’emblée contenue dans le titre de la fable puisque la dénomination du père par sa
situation de « Laboureur » témoigne de son activité de travailleur.

On peut noter que le verbe « labourer » du latin laborare signifiant « travailler » est apparenté à labor
(« labeur »).

Ce verbe s’est progressivement spécialisé de « travailler » vers « travailler dur ».

Ainsi, la dénomination identitaire du père par sa spécification socioprofessionnelle réduit son identité à
celle de travailleur.

C’est ici le premier signal herméneutique qui doit nous conduire sur la piste consistant à penser que le
père ne peut que transmettre comme « héritage » à ses fils le travail comme valeur essentielle.

Le premier terme du premier vers de la fable s’ouvre ensuite sur l’impératif « Travaillez » qui a une
valeur d’injonction énoncée par la voie de la sagesse du fabuliste moraliste et se conclut par le terme
« peine ».

Sachant que le terme « travail » signifie étymologiquement « souffrir, peiner » et désigne un « instrument
de torture », tout en renvoyant à la notion de souffrance liée à un effort intellectuel, moral et physique
pour obtenir un résultat conséquent ; et que « peine » est issu du latin « poena » qui signifie « punition »,
alors on comprend que la fable s’ouvre sur un martèlement sémantique caractérisé par l’injonction
moraliste du fabuliste de la souffrance et l’effort par le dépassement de soi comme guide de vie et clé
d’accès au bonheur et à la réussite de sa vie. Cette idée est opérée par l’encadrement du premier vers
grâce aux termes « Travaillez » et « peine ».

Cette idée que le travail en tant qu’effort volontaire lié à une souffrance est une vertu considérée comme
une richesse morale est justifiée par la prolifération des termes renvoyant à un même réseau sémantique
qu’est le travail par la recherche permanente.

Ainsi, nous pouvons observer que le réseau lexical du travail agricole met en exergue la notion d’efforts
liés à la valeur du travail.

Et l’on peut voir que cette idée s’incarne dans le rapport dialogique entre le père et ses enfants lorsque le
père s’érige en moraliste.

Ainsi nous pouvons observer trois verbes à l’impératif propres au travail agricole lorsqu’il enjoint ses fils
à « Creuse[r], fouille[r], bêche[r] » V11.
Creuser, c’est faire un trou pour construire une fosse ; bêcher, fendre et retourner la terre ; et fouiller est le
fait de chercher dedans pour trouver un objet.

Ce que le père vante ici, ce sont donc les qualités techniques du travailleur agricole.

Le rythme ternaire apparaissant alors comme participant à donner à l’activité une idée d’abondance de
gestes et de savoir-faire à maîtriser.

Mais l’erreur des enfants du Laboureur réside dans l’interprétation littérale, au sens premier de ces termes
parce qu’ils procèdent à l’application pratique des conseils du père compris comme des moyens pour
trouver des richesses matérielles.

Alors qu’en réalité la fin qu’est le trésor réside dans le moyen qu’est le travail. En effet, le trésor réside
dans les techniques du travailleur agricole enseignées par le père. On peut donc dire que c’est un discours
autotélique puisque le discours du père est lui-même sa propre fin.

Afin de prouver cette analyse, nous pouvons mettre en évidence l’idée que :

Ces paroles paternelles sont sylleptiques.

En effet, elles possèdent un double sens, à savoir qu’il s’agit de maîtriser les techniques du travailleur
agricole afin de travailler durement et longuement la terre pour réussir à vivre confortablement et
subvenir à ses besoins.

Mais, ces ordres paternels sont également à comprendre au sens figuré puisque le terme « creuser »
signifie effectuer une recherche précise sur un sujet particulier après une première approche.

C’est ainsi qu’on peut dire que le fabuliste procède également à métaphore filée du travail agricole et
opère ainsi à une dérivation métaphorique de ces termes afin de prodiguer une sagesse qui consiste à dire
que le travail de la recherche perpétuelle de la vérité et de la sagesse est une souffrance mais une vertu
morale et intellectuelle qui mène au bonheur.

Dans cette optique, le terme « fouiller » vient confirmer cette hypothèse interprétative car au sens second,
il signifie approfondir une question.

Par conséquent, la recherche du trésor réside dans la compréhension sylleptique de l’hyperonyme travail
qui suggère l’idée au sens propre que le travail manuel que recouvre le métier de laboureur est certes une
souffrance mais également un trésor car il est la clé de l’indépendance et de l’auto suffisance financière et
sociale mais aussi au sens figuré, le travail intellectuel est une souffrance parce qu’il est inconfortable et
difficile de rechercher la vérité et la sagesse.

Ainsi, le syntagme « Remuez votre champ » est un fragment sylleptique car il contient un sens concret et
un sens figuré. Il signifie d’une part qu’il s’agit de travailler la terre pour subvenir à ses propres besoins,
mais d’autre part, il est à comprendre au sens figuré en tant que stimulation neuronale et intellectuelle par
la recherche de la vérité et de la sagesse.

Par conséquent, dans cette perspective, le dernier vers « le travail est un trésor » constitue un martèlement
sémantique de l’idée que le processus de recherche, et d’investigation sont les voies d’accès à l’ataraxie.
Ce processus de recherche peut s’effectuer, soit par le retournement de la terre pour parvenir à l’auto
suffisance soit par la recherche de la vérité et de la sagesse par le doute cartésien qui oblige à la remise en
question permanente de la véracité d’un fait ou d’une idée.

Cette idée peut être également justifiée par le fait que le père est qualifié de « sage » au vers 16. Or la
sophia au sens grec du terme est l’idéal de la vie humaine qui peut se définir comme un état de réalisation
qui s’appuie sur une connaissance de soi et du monde qui s’accompagne d’un bonheur suprême et
correspond à l’état de perfection le plus élevé que puisse atteindre l’humain et son esprit.

La sagesse est le « savoir être heureux » ou encore la science du bonheur.

Plusieurs chemins sont possibles mais c’est la recherche permanente qui est la clé de cet accès au
bonheur.

Ainsi, en ce sens, le Laboureur acquiert une fonction de sage dispensant une morale basée sur le doute et
la pensée critique comme voie d’accès au vrai à ses disciples.

Le Laboureur constitue donc, d’une part un père qui est un maître d’apprentissage permettant à ses
apprentis d’accéder à l’indépendance financière et alimentaire par l’apprentissage des techniques de
travail de la terre du laboureur. D’autre part, il incarne un père spirituel guidant ses disciples vers
l’autocratie et l’indépendance intellectuelle par l’activité réflexive et critique moteurs de l’individuation
afin de les faire parvenir à la complétude.

Sachant qu’il existait également sous l’Ancien Régime des laboureurs pauvres, on peut émettre
l’hypothèse qu’il soit possible qu’il y ait un effet de contradiction opéré entre l’adjectif qualificatif
« riche » et le substantif « laboureur » dans la mesure où le Laboureur a une signification
socioprofessionnelle qui désigne également les laboureurs les plus pauvres, parmi la population rurale
active, ceux qui louent, au jour le jour, leurs services, leurs forces et ne disposent que de leurs bras, leurs
mains. Or, l’adjectif qualificatif « riche » signifie qu’une personne possède des richesses financières et
matérielles.

Cette contradiction pourrait alors constituer un signal herméneutique qui nous détournerait de la
pseudosémie consistant à penser que le trésor est de l’argent et nous mène sur la piste de l’orthosémie en
considérant que le travail est le véritable trésor car il constitue l’unique moyen de subsistance.

On peut également s’interroger sur la puissance sémantique des V16 : D’argent, point de caché. Mais le
père fut sage V17 : De leur montrer avant sa mort V18 : Que le travail est un trésor.

Le dernier tercet montrerait donc en réalité que le père profite de l’avarice de ses fils pour éveiller leur
curiosité et ainsi leur faire connaître les bienfaits moraux du travail.

En ce sens, cette fable peut être comprise comme une apologie du travail.

Le processus de révélation de l’orthosémie s’opère en deux temps :

Au vers 16, « D’argent, point de caché », le fabuliste procède à la désillusion de son lecteur par la
négation de ses inférences, c’est-à-dire qu’il procède à la négation de la fausse piste qui consiste à croire
que le trésor que les fils doivent trouver sont des richesses financières. En effet, il recourt au forclusif
« point » qui intensifie la désillusion du lecteur en insistant sur l’absence d’argent trouvé par les fils car
ils n’en trouvent pas, même pas un point. De plus, l’étymologie du terme « point », « pictum » qui
signifie piqure, nous montre que le lecteur est piqué dans son illusion.

Ce processus de désillusion du lecteur par la négation de la fausse piste sur laquelle il avait guidé le
lecteur passe ensuite par la révélation de l’orthosémie par l’emploi de l’adversatif « Mais » au vers 17 qui
marque la véritable rupture entre la pseudosémie et l’orthosémie, entre le mensonge et la vérité, entre le
jeu et l’enseignement. Cette rupture est enfin suivie de la révélation finale de l’orthosémie au vers 18 par
l’identification explicite du trésor grâce au verbe être qui marque l’équivalence sémantique et identitaire
entre le « trésor » et le « travail ». a égal b, a est b « le travail est un trésor ».
Néanmoins, même lorsque nous sommes dans le vrai sens du texte, il subsiste un doute quant à la véracité
de cette interprétation. En effet, la dernière rime met en relation les termes « mort » et « trésor », or
sachant que le travail est le trésor, le travail mène à la mort. Par conséquent, même si le travail constitue
l’idéal à atteindre, il subsiste une atmosphère inquiétante par l’arrière plan mortifère dû à la rime entre
« mort » et « trésor ». Ce qui nous amène à penser que le vrai sens du texte peut être que le trésor est le
travail mais le laboureur est un travailleur agricole qui meurt de son travail.

Il existe également une seconde contradiction comme déclencheur herméneutique qui nous ramène vers
l’interprétation du travail comme véritable trésor. En effet, en effectuant une rétro lecture, on s’aperçoit
que le père dit à ses fils qu’il ne connaît pas l’endroit où se trouve le trésor : V8 « Je ne sais pas l’endroit
; mais un peu de courage Vous le fera trouver », or précédemment, il indique à ses fils que c’est dans
leur « héritage » que celui-ci se trouve lorsqu’il met en garde ses fils : V5 à 7 « Gardez-vous, leur dit-il,
de vendre l’héritage Que nous ont laissé nos parents. Un trésor est caché dedans. »

Cette contradiction est alors justifiée par la parole du fabuliste qui affirme dans la clausule que « le père
fût sage de leur montrer avant sa mort que le travail est un trésor. »

Ce signal herméneutique nous ramène donc du côté de l’orthosémie puisqu’il nous avertit que c’est dans
l’héritage familial que les fils doivent chercher le trésor.

Mais, si le laboureur est un travailleur agricole pauvre, le trésor ne peut pas être de l’argent.

Il serait alors bien le patrimoine socio-identitaire contenu dans l’identité professionnelle du père.

C’est ici que l’étymologie de « laborare » duquel est issu le terme laboureur qualifiant le père prend alors
tout son sens.

De fait, cette contradiction renforce l’idée que le père transmet à ses fils son patrimoine
socioprofessionnel de travailleur ainsi que ses vertus ; le courage mais également l’idée de souffrance
puisque travailler signifie étymologiquement souffrir.

De fait, nous avons là l’idée que le trésor que constituerait le travail résiderait dans la transmission d’un
patrimoine socio identitaire du travailleur d’un père à ses enfants.

Aussi, cette idée de transmission filiale de l’identité socioprofessionnelle et socio-identitaire est d’emblée
contenue dans le titre de la fable : Le Laboureur et ses enfants.

Ce texte met donc en exergue l’idée de reproduction sociale par la transmission des valeurs identitaires du
père qui ne peut que transmettre à ses fils ce qu’il est lui-même.

Notons ici que la rime entre « courage » et « héritage » est significative.

Elle témoigne de l’idée que le père indique à ses fils que le courage est une valeur qui fait partie de
l’héritage qu’il leur transmet.

« Courage » étant issu étymologiquement du terme « cœur », il désigne alors la vertu morale du
travailleur puisqu’il renvoie à la hardiesse de celui qui dépasse ses souffrances.

Ainsi, dans son discours figure des signaux qui mettent sur la piste de l’orthosémie selon laquelle le
travail constitue le trésor.

Nous pouvons alors établir des inférences au travers des injonctions du père caractérisées par les
impératifs pluriels « Creusez, fouillez, bêchez ».
Ce que le laboureur maître d’apprentissage ferait ici, c’est inviter ses fils à partager les valeurs sociales de
la classe socioprofessionnelle des Laboureurs à savoir la solidarité entre travailleurs de la même classe
sociale.

Ainsi, cette invitation à la première personne du pluriel marquerait l’idée selon laquelle le père initierait
ses fils apprentis à la conscience de classe des laboureurs par la fraternité au sein de la même famille
socioprofessionnelle.

Sous l’Ancien Régime, les Laboureurs partageaient en effet cet idéal social qu’ils mettaient en pratique
par l’entraide.

De fait, ces impératifs montrent que le père convie ses fils à partager l’ethos du travailleur agricole tout en
leur apprenant ses techniques.

Ainsi, c’est bien la transmission de l’identité socioprofessionnelle du père Laboureur à ses fils qui est en
jeu puisqu’il leur transmet non seulement une méthode de travail, mais également la déontologie
inhérente à leur classe.

III- Cryptosémie ou le(s) sens caché(s), au-delà du double jeu pseudosémie/orthosémie :

Le trésor se situe dans la préservation des valeurs familiales et ancestrales comme valeurs
identitaires ; il se découvre par la recherche introspective.

La fable parle d’elle-même, on est dans l’autométadiscours ; elle contient son énigme et sa
résolution.

Le travail comme trésor. Pourquoi pas. Mais à la lecture de cette fable, nous ne pouvons que sentir que
celle-ci va plus loin, qu’un autre sens – voire plusieurs – lui sont inhérentes.

Ce que le laboureur transmet ici, c’est effectivement l’idée du travail comme vertu, mais celui-ci n’est
qu’une illustration des valeurs familiales qu’il lègue à ses fils.

En partant de ce postulat, le trésor serait donc une sorte de conscience collective : le souvenir de ce qui a
été, avec le devoir de le transmettre et de l’enrichir.

L’héritage, immatériel, constitue de ce fait le vecteur d’identité de la famille.

Pour accéder au trésor, les fils doivent ainsi collaborer, unir leurs forces.

Par cette épreuve de recherche collective, c’est donc le lien fraternel qui est exalté.

Ce que le père lègue à ses fils, ce sont donc les valeurs familiales qui vont leur permettre de se construire
en tant qu’hommes, de quitter leur statut d’enfant pour assurer pleinement la succession.

C’est ainsi qu’il les invite à entreprendre une véritable quête identitaire. Un voyage intérieur, introspectif.
Dans cette hypothèse, nous pourrions comprendre l’injonction du vers 5 comme une mise en garde : ne
trahissez pas votre moi intérieur, qui vous êtes réellement.

Pour le découvrir, les fils entreprennent ainsi la quête initiatique qui leur est propre, dans leur champ
intérieur personnel, vers 10.

En ce sens, le père ne mentait peut-être donc pas lorsqu’il disait vers 8 « Je ne sais pas l’endroit », car
c’est une découverte qu’il ne pouvait faire à leur place.

Il avait cependant bien pris garde de leur faire attendre le mois d’Oût, c’est-à-dire le mois où les fruits
atteignent leur maturation dans le langage agricole, ceci afin d’être certain que ses fils étaient prêts à
entreprendre l’aventure.

Ainsi, comme celle de l’oracle de Delphes, la parole du laboureur pouvait être comprise de plusieurs
manières, mais se réalisa bel et bien qu’importe l’interprétation qui aurait pu en être faite.

Le trésor que les fils cherchaient était peut-être d’ordre pécuniaire, mais celui qu’ils trouvèrent fût sans
doute bien plus précieux.

Plusieurs niveaux de sens, plusieurs strates sémiques sont ainsi conjointement présentes dans cette fable.

Nous avons vu qu’elle posait en effet une sorte d’énigme qu’elle auto-résolvait. Que le trésor ne pouvait
être trouvé qu’au prix d’une profonde recherche.

Mais n’est-ce pas, mutadis mutandis, le travail que nous tentons justement de réaliser en ce qui concerne
cette fable ?

La Fontaine ne nous indiquerait pas ici le chemin à prendre pour essayer de saisir pleinement le sens de
ses fables ?

Le trésor, c’est-à-dire l’essence même de la fable, son sens véritable, serait donc caché, à l’intérieur
même de cette fable dont le discours apparaîtrait finalement comme autotélique.

Aussi, derrière la figure du sage Laboureur se cacherait la figure fantomatique de La Fontaine qui
enjoindrait ses lecteurs à entreprendre la résolution de son énigme « Creusez, fouillez, bêchez » afin de
nous permettre de devenir comme lui des sortes d’orfèvres des mots.

La morale liminaire « Travaillez, prenez de la peine » énoncée par le fabuliste serait, dans cette
perspective, une apostrophe directe au lecteur qui annoncerait la manière dont celui-ci devrait
appréhender la fable ; comme un leurre, un piège, dont la résolution est au prix de la réflexion.

En ce sens, nous serions ici dans l’autométadiscours d’une fable qui parlerait d’elle-même.

Dans cette optique, nous pouvons donc dire que La Fontaine joue sur l’horizon d’attente de ses lecteurs
en préparant savamment sa trangression pour les engager vers une rétro-lecture critique qui leur permet de
distinguer non seulement le sens premier du sens second, mais également de distinguer un autre sens, de
l’ordre de ce que l’on a appelé cryptosémique, caché dans la fable, comme le trésor légué aux fils était
caché dans le discours de leur père.

Conclusion
Ainsi, Le Laboureur et ses enfants témoigne du ludos propre au genre de la fable qui joue sur l’horizon
d’attentes du lecteur en le maintenant dans l’illusion de la pseudosémie consistant ici à penser que le
trésor serait de l’argent que les fils devraient rechercher.

La vérité morale étonnante est ensuite révélée au lecteur, ce qui l’amène à reconsidérer son interprétation
du récit, c’est-à-dire que le travail est le trésor transmis par le père à ses fils.

En ce sens, cette fable est caractéristique du principe générique qui consiste en l’oscillation entre
mensonge et vérité, du ludos au docere.

Mais au-delà du jeu pseudosémie/orthosémie, cette fable acquiert une véritable dimension didactique et
initiatique.

D’une part, parce que, comme nous venons de le voir, elle s’auto-commente et en ce sens, elle devient
métalittérature.

D’autre part, parce qu’elle acquiert également une dimension philosophique en prônant une introspection
comme seule voie d’accès à l’individuation.

Ouverture

Deux fables d’Esope, deux « morales ». Les deux apparaissent bien dans la fable unique de La Fontaine.

Le Laboureur et ses enfants

Un laboureur, sur le point de terminer sa vie, voulut que ses enfants acquissent de l’expérience en
agriculture. Il les fit venir et leur dit : « Mes enfants, je vais quitter ce monde ; mais vous, cherchez ce que
j’ai caché dans ma vigne, et vous trouverez tout. » Les enfants, s’imaginant qu’il y avait enfoui un trésor
en quelque coin, bêchèrent profondément tout le sol de la vigne après la mort du père. De trésor, ils n’en
trouvèrent point ; mais la vigne bien remuée donna son fruit au centuple. Cette fable montre que le travail
est pour les hommes un trésor.

D’un Laboureur et de ses Enfants


Un Laboureur fâché de voir la dissension parmi ses enfants, et le peu de cas qu’ils faisaient de ses
remontrances, commanda qu’on lui apportât en leur présence un faisceau de baguettes, et leur dit de
rompre ce faisceau tout à la fois. Ils firent l’un après l’autre de grands efforts pour en venir à bout ; mais
leur peine fut inutile. Il leur dit ensuite de délier le faisceau, et de prendre les baguettes séparément pour
les rompre ; ce qu’ils exécutèrent sans aucune peine. Alors il leur tint ce discours : » Vous voyez, mes
enfants, que vous n’avez pu briser ces baguettes, tandis qu’elles étaient liées ensemble ; ainsi vous ne
pourrez être vaincus par vos ennemis, si vous demeurez toujours unis par une bonne intelligence. Mais si
les inimitiés vous désunissent, si la division se met parmi vous, il ne sera pas difficile à vos ennemis de
vous perdre.

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