Borel-Petrus-1809 Champavert
Borel-Petrus-1809 Champavert
Borel-Petrus-1809 Champavert
CHAMPAVERT
ou les contes immoraux
Éditions du Boucher
CONTRAT DE LICENCE — ÉDITIONS DU BOUCHER
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CHAMPAVERT OU LES CONTES IMMORAUX
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PÉTRUS BOREL
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CHAMPAVERT OU LES CONTES IMMORAUX
Novembre 1823.
Hier mon père m’a dit : Tu es grand maintenant, il faut dans ce
monde une profession; viens, je vais t’offrir à un maître qui te traitera
bien, tu apprendras un métier qui doit te plaire, à toi qui charbonnes
les murailles, qui fais si bien les peupliers, les hussards, les perroquets,
tu apprendras un bon état. Je ne savais ce que tout cela voulait dire; je
suivis mon père, et il me vendit pour deux ans.
Janvier 1824.
Voilà donc ce que c’est qu’un état, un maître, un apprenti. Je ne
sais si je comprends bien; mais je suis triste et je pense à la vie; elle me
semble bien courte! Sur cette terre de passage, alors pourquoi tant de
soucis, tant de travaux pénibles, à quoi bon?… Maintenant, je ris
quand je vois un homme qui se case, se caser!… Que faut-il donc à
l’homme pour faire sa vie? une peau d’ours et quelques substances.
1. Idiosyncrasie.
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PÉTRUS BOREL
Si j’ai rêvé une existence, ce n’est pas celle-là, ô mon père! si j’ai
rêvé une existence, c’est chamelier au désert, c’est muletier andalou,
c’est Otahïtien!
Il est probable que cet homme chez lequel il faisait son
apprentissage était architecte : car quelques années plus tard, on
se rappelle l’avoir vu travailler dans l’atelier d’architecture
d’Antoine Garnaud; du reste, nous n’avons rien pu apprendre sur
sa vie, à cette phase; sans doute, il luttait corps à corps avec la
misère, et, dans les intervalles que lui laissaient ses travaux stu-
pides et la faim, il s’abandonnait à l’étude. On a trouvé dans ses
paperasses des dessins d’architecture et des poésies portant
mêmes dates. Son assiduité à l’atelier d’Antoine Garnaud devint
plus réservée peu à peu, et il en disparut entièrement. Son aver-
sion pour l’architecture antique qu’on y enseignait à l’exclusion
fut cause à coup sûr de cet éloignement. Il rentra dans l’ombre
pour se livrer à ses études d’affection; on ne le vit plus reparaître
que de loin en loin, dirigeant quelques constructions, ou dans
l’atelier de quelque habile peintre dont il avait conquis l’amitié.
C’est aussi vers ce temps, deux ans environ avant sa mort, vers la
fin de 1829, qu’il se groupa à l’entour de lui quelques jeunes et
timides artistes, afin d’être plus forts en faisceau, afin de n’être
pas brisé et renversé à l’entrée dans le monde; il fut même
regardé par beaucoup comme le grand prêtre de cette camara-
derie du bousingo, dont on fit grand scandale, et dont on a par
méchanceté et par ignorance perverti les intentions et le titre.
Mais n’anticipons pas, Champavert, dans un ouvrage collectif qui
doit incessamment paraître, a rétabli la véracité des faits, et
éclairé le public que les journaux ont abusé.
Ses derniers compagnons, dont les noms sont cités dans les
Rhapsodies, qui l’ont connu dans la plus grande intimité, auraient
pu donner sur lui des renseignements exacts et positifs; mais,
comme il n’approuva pas cette publication, ils nous ont fermé
leurs portes.
Ce fut vers la fin de 1831 que parurent les essais poétiques de
Champavert, sous le titre de Rhapsodies, par Pétrus Borel. Jamais
petit livre n’avait fait plus grand scandale, du reste, scandale que
fera toujours toute œuvre écrite avec l’âme et le cœur, sans poli-
tesse pour un temps où l’on fait de l’art et de la passion avec la
tête et la main, et en se battant les flancs à tant la page. Pour
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1. Imprégné.
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DOLÉANCE
Son joyeux, importun, d’un clavecin sonore,
Parle, que me veux-tu?
Viens-tu dans mon grenier pour insulter encore
À ce cœur abattu?
Son joyeux, ne viens plus; verse à d’autres l’ivresse;
Leur vie est un festin
Que je n’ai point troublé; tu troubles ma détresse,
Mon râle clandestin!
1. Valse.
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PÉTRUS BOREL
Au sentier de douleur;
Mais, d’un poison plus fort, avant qu’il t’eût fanée,
Tu tuas le malheur!
HYMNE AU SOLEIL
Là, dans ce sentier creux, promenoir solitaire
De mon clandestin mal,
Je viens tout souffreteux, et je me couche à terre
Comme un brute animal.
Je viens couver ma faim, la tête sur la pierre
Appeler le sommeil,
Pour étancher un peu ma brûlante paupière;
Je viens user mon écot de soleil!
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CHAMPAVERT OU LES CONTES IMMORAUX
MISÈRE
À mon air enjoué, mon rire sur la lèvre,
Vous me croyez heureux, doux, azyme et sans fièvre,
Vivant, au jour le jour, sans nulle ambition,
Ignorant le remords, vierge d’affliction;
À travers les parois d’une haute poitrine,
Voit-on le cœur qui sèche et le feu qui le mine?
Dans une lampe sourde on ne saurait puiser,
Il faut, comme le cœur, l’ouvrir ou la briser.
1. Poèmes.
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PÉTRUS BOREL
Monsieur,
Pardonnez-moi d’avoir autant tardé à vous remercier de l’envoi que
vous avez bien voulu me faire de vos poésies. M. Gérard ne m’a
donné votre adresse que depuis quelques jours.
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CHAMPAVERT OU LES CONTES IMMORAUX
À PÉTRUS BOREL
Brave Pierre, pourquoi cette mélancolie
Qui règne dans tes vers; pourquoi sur l’avenir
Ce regard douloureux suivi d’un long soupir,
Pourquoi ce dégoût de la vie?
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1. Barrette.
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1. Cf. Des Délits et des peines, Cesare Beccaria, Éditions du Boucher, Paris, 2001.
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Monsieur de l’Argentière
L’Accusateur
Paris
Aussi pourquoi vouloir, avec une pensée,
Enfant! moraliser cette Rome lassée
De ses rhéteurs de Grèce, et tirée entre tous
Comme un morceau de chair aux dents de chiens jaloux?
Pourquoi ne pas laisser cette reine du monde,
Se débattre à loisir dans sa gadoue immonde,
Et lui montrer la bourbe au fond des flots vermeils,
Et troubler, par des mots graves, ses longs sommeils?
.........................................................................................
— Pouvais-tu pas chanter Damœtas et Phyllis
Et Tityrus pleurant la mort d’Amaryllis?
Ou, laissant de côté ses contes bucoliques,
Élever ton génie aux nobles Géorgiques,
Dire en vers de six pieds Énée et ses vaisseaux
Sauvé par Neptunus de la fureur des eaux?
— N’avais-tu pas la voix de ta maîtresse blonde,
Et sa gorge lassive 1 et souple comme l’onde,
Et cette Ibérienne encore aux grands yeux noirs
Qui chantait, comme on chante à Corduba, les soirs?
BARTHÉLEMY HAURÉAU.
1. Lascive.
PÉTRUS BOREL
Roccoco
Une seule bougie placée sur une petite table éclairait faiblement
une salle vaste et haute; sans quelques chocs de verres et
d’argenterie, sans quelques rares éclats de voix, elle aurait semblé
la veilleuse d’un mort. En fouillant avec soin dans ce clair-obscur,
comme on fouille du regard dans les eaux-fortes de Rembrandt,
on déchiffrait la décoration d’une salle à manger, de l’époque
caractéristique de Louis XV, que les classiques inepto-romains
appellent malicieusement Roccoco. Il est vrai que la corniche
encadrant le plafond était nervée et profilée en bandeau et à
gorge, sans la moindre parenté avec l’entablement de l’Ere-
sichtœum, du temple d’Antoninus et Faustina ou de l’arc de
Drusus; il est vrai qu’elle était sans saillie, larmier, coupe-lame et
mouchette chassant et rejetant la pluie qui ne pleut pas. Il est vrai
que les portes n’étaient point surmontées d’un couronnement,
dit attique, pour chasser les eaux de la pluie qui ne pleut pas. Il
est vrai que les arcades n’avaient point en hauteur leur largeur
deux fois et demie. Il est vrai qu’on n’avait eu aucun égard aux
spirituels modules de l’illustrissimo signor Jacopo Barrozio da
Vignola, et qu’on avait ri au nez des cinq-ordres.
Mais il est vrai aussi et du devoir de dire, que cet intérieur
n’était point un ignoble pastiche de l’architecture butorde de
Pœstum, de l’architecture d’Athènes, glacée, nue, constante,
rabâcheuse, de l’architecture singe et jumart de Rome; celle-là
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1. Weenix.
2. Byzantine.
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taillés carrément sur ses joues comme des sous-pieds, c’est vous
dire que la scène se passait sous l’Empire, aux abords de 1810.
Le plus âgé, trapu, était le prototype des Francs-Comtois de la
plaine; sa chevelure, moisson épaisse, était suspendue, comme
les jardins de Babylone, sur sa face large et plate en oiseau de
nuit.
Ils étaient goulûment penchés sur la table, semblant deux
loups se disputant une carcasse; mais leurs interlocutions
sourdes et brouillées par la sonorité de la salle contrefaisaient les
grognements d’un porc.
L’un était moins qu’un loup, c’était un accusateur public.
L’autre plus qu’un porc, c’était un préfet.
Le préfet venait de recevoir sa nomination pour un chef-lieu
de province, et partait le lendemain. L’accusateur exerçait depuis
assez longtemps cette fonction à la cour d’assises de Paris; et
joyeux, avait offert un dîner d’adieu à son ami.
Tous deux, vêtus de noir, portaient, comme les médecins, le
deuil de leurs assassinats.
Comme ils parlaient assez bas, et souvent la bouche pleine, le
nègre qui se tenait à l’entrée — car le jeune accusateur de
l’Argentière faisait nègre et jouait l’aristocrate rentré — ne put
attraper au vol que quelques lambeaux de phrases dans ce genre-
ci.
— Mon cher Bertholin, que j’ai fait hier un bon dîner chez
notre ami Arnauld de Royaumont!… De son appartement, qui
donne sur la Grève, j’ai vu exécuter ces sept conspirateurs que
nous avions condamnés il y a quelques jours : quel délicieux
repas! à chaque bouchée, j’allais voir tomber une tête!…
— Pauvres béjaunes! croire encore à la patrie! ces messieurs
voulaient faire les Brutus! les Hempden!…
— N’ont-ils pas eu l’effronterie de vouloir parler au peuple du
haut de l’échafaud; morbleu! comme on leur a vite coupé la
parole et la tête! ce qui ne les a pas empêchés préliminairement
de hurler à tout rompre : Vive la patrie! vive la France! mort au
tyran!… mort au tyran!… Pauvres bêtes!… Il ne faut pas de
ménagement avec ces brigands; zeste! il faut expédier ça au
bourreau : sans cela, mais, corbleu! sa majesté l’Empereur ne
pourrait dormir tranquille une seule nuit.
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Mater dolorosa
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Pardon, ma belle future, si je suis parti sans vous avoir baisé les
mains; j’ai voulu nous épargner des adieux pénibles. Appelé à la pré-
fecture du Mont-Blanc, je suis allé prendre possession de mon
royaume. J’espère, avant quinze jours, revoler près de vous consacrer
notre union secrètement, et aussitôt repartir pour ce pays qui, je pense,
ne vous déplaira point. Vous n’avez pas eu sans doute la maladroite
fierté de repousser la faible somme qu’on doit vous avoir remise d’une
part invisible; vous êtes mon épouse, et je souffrirais trop de vous
savoir des privations.
1. Imbroglio.
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Very well
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connu, tourna ses regards sur lui, jeta un cri perçant, et se ren-
versa sans connaissance.
Jamais réquisitoire ne fut plus violent et plus inhumain : il
n’est rien que M. de l’Argentière ne mit en jeu pour accabler
l’accusée. Il poussa sa rage extravagante jusqu’à la comparer à
Saturne, qui dévorait ses enfants, et se résuma en demandant sa
tête. — Ne vous laissez point séduire, criait-il, par les beaux
dehors de cette mère dénaturée, le laurier-rose contient un venin
subtil, la beauté n’est souvent que le voile de la perfidie; ne vous
laissez point faiblir, messieurs, il faut un exemple absolument,
pour arrêter l’infanticide en son cours. Messieurs, soyez inexora-
bles, vous serez justes!
L’avocat d’Apolline, avec un rare talent, s’acquitta de sa
défense; son plaidoyer aurait arraché des larmes à des tigres, le
tribunal resta froid; et l’accusateur commença sa sauvage
réplique.
Quand la pauvre Apolline eut recueilli ses esprits, elle se leva
brusquement, et montrant du poing l’accusateur, M. de l’Argen-
tière :
— C’est lui! criait-elle, c’est lui! je reconnais sa voix, c’est lui!
cet homme-là qui parle! c’est lui que j’ai vu aux rayons de la lune,
blême et rouge, l’œil caverneux… Puis, fondant en larmes, elle
jetait des hurlements.
— Cette enfant est égarée, dit froidement M. de l’Argentière,
dont la morne physionomie n’avait pas laissé paraître la plus
légère émotion.
— Emmenez l’accusée; et nous, messieurs, passons dans la
salle de délibération, ordonna le président.
Au bout d’un quart d’heure, la cour rentra en séance : le jury
ayant répondu affirmativement à toutes les questions posées, le
président fit lecture de la sentence, qui condamnait Apolline à la
peine capitale.
Elle écouta son arrêt avec dignité, et dit seulement, se tour-
nant du côté de l’accusateur public : — Ceux qui envoient au
bourreau sont ceux-là mêmes qui devraient y être envoyés!
Son défenseur, égaré, pleurant et se heurtant le front, se jeta
dans ses bras, et l’embrassa, au grand scandale de la cour, qui
demanda si elle voulait se pourvoir en cassation. — Oui,
répondit Apolline, mais au tribunal de Dieu.
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Jaquez Barraou
Le charpentier
La Havane
Car amour est fort comme la mort,
Et jalousie est dure comme enfer.
LA BIBLE.
Pesadumbre y conjuracion
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— Oh! que vous êtes bon, mon Jaquez, pour votre Amada!
daignez songer à elle.
— Vous daignâtes bien m’aimer; mais trêve de cela. Ta grâce
voudrait-elle bien préparer, pour ce soir, un souper copieux?
bonne chère! J’ai l’intention de convier Cazador.
— Cet homme… Eh! pourquoi?
— Pourquoi? sotte question! Que trouves-tu d’extraordi-
naire; est-ce la première fois que cet ami partage ma table?…
— Rien! mais vous êtes si maussade, je veux dire si triste,
qu’assurément vous lui ferez froide réception.
— Qu’importe, il aura les bonnes grâces de l’hôtesse! Dis à
Pablo de venir; il doit être près du chantier, je l’ai vu tantôt
jouant avec ton vieux chien Spalestro; va et fais.
Mes funestes pressentiments viennent encore de se corrobo-
rer. Comme elle a rougi à son seul nom; quel embarras, quelle
surprise! Et cette ruse de femme, recevoir avec froideur une nou-
velle qui lui met la joie au cœur!
— Patron, votre grâce me fait mander; me voici, que faut-il?
— Écoute bien, Pablo; tu vas prendre dans le bahut un
paquet de tabac, puis, tu iras trouver Juan Cazador chez son maî-
tre, Gédéon Robertson, et, lui offrant de ma part, tu le convieras
à venir souper, ce soir même, chez son ami Jaquez Barraou; sois
prompt, ne reviens pas sans lui. Pars, béni soit ton chemin.
1. Corazón.
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II
El corazon no es traydor
1. Pequeño.
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Traycion 1 y traycion
1. Traición.
2. Compañero.
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1. Ámbar.
2. Arrieros.
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— Moins farouche pour celui qui t’aime plus que son affran-
chissement!
— Arrêtez, Cazador, je suis la femme de Jaquez Barraou,
votre ami!
— Toujours serez-vous de rocher?… Dans nos dernières
entrevues, vous m’avez laissé me rouler à vos pieds, plutôt que
d’accorder la plus basse faveur à ce malheureux amant. Vous
m’irritez, Amada!… craignez ma violence!…
— Alma de Dios, sauvez-moi!… Arrêtez, Juan!… J’appelle
Barraou!…
— Réveille-le, si tu l’oses; que m’importe, appelle-le donc, ton
mari; il est soûl!
À ces mots, Jaquez Barraou, rejetant la cape, se dressa subite-
ment.
— Carajo, cobarde!… Tu crois donc, rufian! qu’on soûle Bar-
raou comme on soûlerait Cazador? Infâme! tu es pris au piège;
meurs!…
Il saisit alors son escopette, couche en joue Cazador qui fuit à
la porte. Amada, suspendue à cette arme, crie grâce, et l’arrête.
Il s’en délivre, saisit un couteau sur la table, lève le bras pour
frapper Juan qui saute dehors, et rejette la porte; la lame entre
profondément dans les ais. Barraou, écumant, le poursuit en
mugissant des jurons infernaux.
— Arrête! arrête! Jaquez, arrête! c’est Amada qui t’en prie;
sois généreux, laisse fuir cet homme!
Mais lui, sans l’entendre, suivait, plus prompt qu’une rafale,
son agile ennemi qui s’enfonçait dans les touffes des plantations
voisines.
Défaillante, Amada se traînait dans la case; elle s’accusait de la
mort de Juan, et pleurait beaucoup.
Cependant Amada était irréprochable; elle n’avait bercé Juan
d’aucun espoir, elle avait repoussé bien loin ses projets d’amour;
enfin elle ne l’aimait point.
Mais quand l’être, pour lequel une femme est la moins sympa-
thique, souffre malheureux pour elle, rien ne peut la défendre
d’un doux sentiment qui s’épanouit en son âme; elle n’a point
d’amour, il est vrai, mais elle a bien de la pitié!… À peine conce-
vait-elle l’espoir qu’il échapperait à la fureur de son époux, que
l’explosion d’une arme à feu éclata aux environs.
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A las oraciones 1
1. Oraciónes.
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BARRAOU
L’ange du Seigneur a annoncé à Marie, et elle a conçu par l’opé-
ration du Saint-Esprit.
JUAN
Je vous salue, Marie, pleine de grâce, le Seigneur est avec vous;
vous êtes bénie entre toutes les femmes, et Jésus, le fruit de votre
ventre, est béni.
Sainte Marie, mère de Dieu, priez pour nous, pauvres
pécheurs, maintenant et à l’heure de notre mort. Ainsi soit-il.
BARRAOU
Voilà la servante du Seigneur, qu’il me soit fait selon votre parole.
JUAN
Je vous salue, Marie, pleine de grâce, le Seigneur est avec vous;
vous êtes bénie entre toutes les femmes, et Jésus, le fruit de votre
ventre, est béni.
Sainte Marie, mère de Dieu, priez pour nous, pauvres
pécheurs, maintenant et à l’heure de notre mort. Ainsi soit-il.
BARRAOU
Et le Verbe s’est fait chair, et il a habité parmi nous.
JUAN
Je vous salue, Marie, pleine de grâce, le Seigneur est avec vous,
vous êtes bénie entre toutes les femmes, et Jésus, le fruit de votre
ventre, est béni.
Sainte Marie, mère de Dieu, priez pour nous, pauvres
pécheurs, maintenant et à l’heure de notre mort. Ainsi soit-il.
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dans les reins; d’un coup de revers, il lui étripe le ventre. Ter-
rassés tous deux, ils roulent dans la poussière; tantôt Jaquez est
dessus, tantôt Juan : ils rugissent et se tordent.
L’un lève le bras et brise sa lame sur une pierre du mur, l’autre
lui cloue la sienne dans la gorge. Sanglants, tailladés, ils jettent
des râlements affreux, et ne semblent plus qu’une masse de sang
qui flue et se caille.
Déjà des milliers de moucherons et de scarabées impurs
entrent et sortent de leurs narines et de leurs bouches, et barbo-
tent dans l’aposthume 1 de leurs plaies.
Vers la nuit, un marchand heurta du pied leurs cadavres et dit :
— Ce ne sont que des nègres, et passa outre.
1. Apostume.
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Don Andréa Vésalius
L’Anatomiste
Madrid
Cette nouvelle d’Andréa Vésalius étant terminée, elle fut portée à la
Revue de Paris et offerte à M. Amédée Pichot, comme traduite du
danois d’un supposé Isaïe Wagner; sa forme ne convenait point à ce
magasin littéraire, M. Amédée Pichot ne put l’insérer; mais en ayant
payé la traduction prétendue, il se servit du même héros pour bro-
der le charmant conte anatomique qu’assurément vous avez lu dans
ce recueil. Du reste, ce conte n’ayant aucun rapport de détail avec
celui-ci, nous ne venons donc réclamer pour Champavert que prio-
rité et trouvaille.
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Chalybarium
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1. Truands.
2. Ébrasement.
3. Déjeune.
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PÉTRUS BOREL
1. Saragüete.
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IV
Nidus adulteratus
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1. Verrous.
2. Vertevelles.
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Opificina
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VI
Enodatio
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VII
Affabulatio
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Three Fingered Jack
L’Obi
La Jamaïque
… Tous nés sur cette terre,
Portez comme des chiens la chaîne héréditaire,
Demeurez en hurlant…
Pour Jacoub, il est libre, il retourne au désert.
ALEXANDRE DUMAS.
1. Ara.
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1. Picaros.
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1. Chat-pard.
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1. Peulven.
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IV
Tiresome chapter
Avant d’aller plus avant, comme j’ai déjà parlé d’obi, d’obiman, et
de sachet obien, il est bon que je dise à vous autres Européens ce
que c’est qu’un obi.
Quant aux érudits qui croiront le savoir, ou qui auront lu ce
qui suit dans le docteur Mosely, ils n’auront qu’à passer ce cha-
pitre pédantesque et académiquement fastidieux.
Le docteur Mosely, auquel je dois cette histoire jamaïcaine,
prétend gravement, dans son Traité du Sucre, Treatise of Sugar, que
l’obi et la filouterie ou le jeu sont les seuls exemples qu’il ait pu
découvrir chez les natifs de la terre d’Afrique, dans lesquels un
effort de combinaisons d’idées ait jamais été démontré.
Ah! master doctor Mosely, vous n’étiez pas négrophile!
Pauvre bon homme! il ne se doutait guère, en écrivant à la
Jamaïque sur ses cannes à sucre, qu’il se faisait une postérité, et
qu’il serait question de lui, de son Treatise of Sugar, et de son récit
de Jack, en 1832. Ô incompréhensible encatenation 1 des événe-
ments! Il a fallu pour en venir là qu’un montagnard alpestre
naquît, descendît, et cherchant à user sa vigueur parmi les
hommes de la plaine, se prît à farfouiller un bouquin anglais.
1. Concatenación.
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1. Nabi.
2. Boulevard.
3. Paraguay.
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Hound’s fee
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VI
Blood’s reward
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paroisses de Saint-James et de Trelawney; dans la première,
quinze propriétés ont été détruites.
À Montego-Bay, de Westmoreland, la loi martiale a été promul-
guée par sir Willoughby-Cotton.
Trois missionnaires anabaptistes ont été jetés dans les fers,
comme fauteurs et instigateurs de cette insurrection.
Un tribunal militaire est établi à Montego-Bay, et des récom-
penses sont promises pour l’arrestation de plusieurs chefs.
À cette heure, sans doute, quelques-uns de ces braves Afri-
cains penchent la tête sur le billot, et, au nom de l’égalité chré-
tienne, la hache anglaise se retrempe dans le sang des esclaves.
Dina
La belle juive
Lyon
CHAMPAVERT OU LES CONTES IMMORAUX
Rosa mystica.
Turris Davidica.
Turris eburnea.
Domus aurea.
Fœderis arca.
Janua cœli.
Stella matutina.
Regina virginum,
LITANIES DE LA SAINTE VIERGE.
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PÉTRUS BOREL
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CHAMPAVERT OU LES CONTES IMMORAUX
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PÉTRUS BOREL
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CHAMPAVERT OU LES CONTES IMMORAUX
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PÉTRUS BOREL
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CHAMPAVERT OU LES CONTES IMMORAUX
1. Camérier.
2. Belzébuth.
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PÉTRUS BOREL
II
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CHAMPAVERT OU LES CONTES IMMORAUX
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PÉTRUS BOREL
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CHAMPAVERT OU LES CONTES IMMORAUX
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PÉTRUS BOREL
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CHAMPAVERT OU LES CONTES IMMORAUX
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PÉTRUS BOREL
III
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CHAMPAVERT OU LES CONTES IMMORAUX
perdis tout repos; vous avez fait jaillir en moi un amour subit,
une passion violente.
J’épiai la fin de la sérénade pour vous suivre jusqu’à votre
demeure, dans l’espoir de pouvoir un jour vous avouer mon
amour; j’attendais dans le trouble de l’heure du départ; mais
vous m’aviez si bien frappé au cœur, que peu à peu je tombai
dans une profonde cogitation, et quand je m’éveillai j’étais seul
sur le rempart; je vous cherchai longtemps, je vaguai par la ville,
sans succès; désespéré, un ennui mortel s’était saisi de moi, et
vous le voyez, belle dame, j’étais venu le traîner ici! Oh! béni soit
le ciel, si c’est lui qui me fait ce bonheur de vous revoir! vous
êtes, Dina, maîtresse de ma vie, je suis à vos genoux, si vous me
repoussiez, vous me tueriez!…
— Monsieur, il n’est pas bien qu’une jeune fille s’arrête ainsi à
causer avec un cavalier; ne me retenez pas, je vous prie; calmez-
vous, voyez comme les passants nous regardent.
— De grâce alors, entrons dans cette sombre église, là, sous
une voûte noire, nous pourrons deviser d’amour loin des regards
mauvais.
— Oh! non, monsieur, je ne puis entrer dans ce temple où
demeure l’ennemi de mon Dieu; j’affligerais trop mon vieux père
si jamais il l’apprenait.
— Quel est donc votre Dieu?…
— Le Dieu d’Israël!
— Je l’avais deviné, car j’ai lu votre nom dans la Genèse. S’il
en est ainsi, soyez ma sœur, permettez que je vous accompagne,
et nous parlerons.
— Je mets ma confiance en vous, monsieur.
— Depuis longtemps habitez-vous Lyon?
— J’y suis née, monsieur.
— Votre beauté aurait dû me l’apprendre : mais depuis quand
quittâtes-vous Avignon?
— Le lendemain que vous me vîtes à la sérénade. C’est peut-
être mal d’être franche ainsi, mais je ne puis mentir; à votre vue
je me sentis touchée et assaillie d’un sentiment nouveau; je
m’étais aperçue de votre trouble et j’interprétai votre courtoisie.
Quand nous nous levâmes au départ, vous étiez debout appuyé
contre une palissade; vous étiez tellement absorbé que nous pas-
sâmes près de vous et que mon père vous salua sans que vous
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PÉTRUS BOREL
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CHAMPAVERT OU LES CONTES IMMORAUX
Mon amour pour Dina n’a fait que s’accroître par une intimité
chaste et délicieuse, comblant de soins et de tous égards possi-
bles le vieux Judas qui me chérit, et sa Léa qui me fait oublier ma
mère que je perdis enfant.
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PÉTRUS BOREL
IV
Ploujha dë Marselha
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CHAMPAVERT OU LES CONTES IMMORAUX
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PÉTRUS BOREL
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CHAMPAVERT OU LES CONTES IMMORAUX
1. Ferronière.
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PÉTRUS BOREL
1. Améthystes.
2. Onyx.
3. Sans doute pour « Calcidoine ».
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CHAMPAVERT OU LES CONTES IMMORAUX
1. Assoirait.
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PÉTRUS BOREL
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1. Syncopé.
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VI
Langhimën
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PÉTRUS BOREL
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CHAMPAVERT OU LES CONTES IMMORAUX
1. Misanthrope.
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PÉTRUS BOREL
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CHAMPAVERT OU LES CONTES IMMORAUX
VII
Oustâou pairolaou
1. Rasséréner.
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PÉTRUS BOREL
même sang que votre Christ?… Elle est belle, elle est pure, elle
est vierge, je l’adore! elle m’adore, elle vous adorerait aussi, mon
père! N’est-ce donc rien que l’amour d’une bru? Sa joie égaierait
votre vieillesse; vous ne me répondez pas, mais dites-moi donc
enfin, quelle bru voulez-vous?…
— Jamais, monsieur Aymar, je ne permettrai que le sang chré-
tien des Rochegude se mêle au sang impur d’une Bohémienne!
d’une basse hérétique! d’une bagasse!…
— D’une bagasse… Ô mon père, vous êtes bien injuste!…
Tenez, lisez ce contrat, car elle est ma fiancée! Tenez, lisez ce
contrat qui n’attend plus que votre signature, vous le voyez, elle
n’est pas sans fortune, elle est riche, cette enfant, si c’est de l’or
qu’il vous faut?…
Rochegude lui arracha des mains.
— Damnation! Quel pacte infernal!…
Et, sans le regarder, il le rompit et le jeta à la face d’Aymar en
lui donnant des soufflets.
— Tiens, voilà tes fiançailles! Nous verrons, infâme! si tu dés-
honoreras ta famille!
— Mon père, vous me frappez, parce que vous savez que je ne
vous frapperai point : pourtant, je suis jeune et fort; pourtant, j’ai
du sang qui bout; pourtant, j’ai un cœur qui fracasse ma
poitrine!… Tenez, je vous briserais, vieillard, comme je brise
cette porte!…
Et la porte, effondrée, tomba sous le choc avec un bruit épou-
vantable.
Rochegude, atterré, blêmi, se renversa dans son fauteuil.
— Assez, assez, mon père! tout cela me tue! Vous êtes de
roche, je serai de fer! je partirai demain, adieu!
— Vous ne partirez point! entends-tu?…
— Mon père, je partirai : mais, terre et ciel! qu’a donc cette
union de si fatal? Dites-moi ce qui vous rend si farouche?
— Une Bohémienne!… une damnée!… Le sang des Roche-
gude est chrétien!
— Ô mon Dieu! vous faites sonner bien haut votre sang
chrétien : que vous importe chrétien ou more? n’êtes-vous pas si
religieux, n’avez-vous pas tant de foi!… Je suis sûre que vous ne
croyez pas en Dieu; est-ce pas que vous n’y croyez pas, en
Dieu?…
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PÉTRUS BOREL
VIII
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CHAMPAVERT OU LES CONTES IMMORAUX
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PÉTRUS BOREL
IX
Bourdëscâdo
Depuis que Dina avait reçu la lettre d’Aymar, elle était moins
inquiète, mais non moins agitée; et, le lendemain, sur le vêpre,
elle dit à son père :
— Je sors visiter Élisabeth, mon amie; je reviendrai bientôt.
Cette sotte mentait, car elle était peu disposée à la société, à la
causerie; pour songer à son aise et voir le ciel comme elle disait,
seule, elle s’en fut errer sur les rives de la Saône; imprudente!…
Son futur devait arriver après deux ou trois jours. Que de jolis
rêves ne dut-elle pas faire, qui bercent plus que la solitude!
Un peu en deçà de l’Ile-Barbe, un passeur était assis sur la
proue de sa bèche, espèce de barque abritée sous des toiles ou
pavois, comme une gondole.
Une fantaisie s’empara subitement de Dina.
— Batelier, dit-elle en s’approchant, j’ai bien envie de voguer
sur cette belle eau, mais je suis seule.
— Belle dame, qu’importe?…
— Batelier, voici un écu pour mon passage, et voici ma bourse
pour que vous respectiez une jeune malade.
Le batelier prit l’écu et la bourse; Dina sauta dans la bèche, et
disparut sous la tente.
Déjà la barque voguait au loin.
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PÉTRUS BOREL
Escumergamën
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PÉTRUS BOREL
1. Bêtas.
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CHAMPAVERT OU LES CONTES IMMORAUX
la jeta dans la Saône, son bâillon se défit, et, d’une voix brisée,
elle appela Aymar.
Et Jean Ponthu, à la proue de sa barque, un harpon à la main,
penché, refoulait et renfonçait sous l’eau le corps de Dina, cha-
que fois qu’il remontait à la surface.
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PÉTRUS BOREL
XI
Dôou
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XII
Goudoumar! Goullamas!
XIII
Golgotha
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1. Béchevelin.
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PÉTRUS BOREL
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Passereau
L’Écolier
Paris
CHAMPAVERT OU LES CONTES IMMORAUX
[…] — Le mur
Le soutien; à le voir, on dirait à coup sûr
Une pierre de plus, sur les pierres gothiques
Qu’agitent les falots en spectres fantastiques.
Il attend. —
ALFRED DE MUSSET.
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Carabins
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CHAMPAVERT OU LES CONTES IMMORAUX
1. Cigare.
2. Éternuement.
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PÉTRUS BOREL
— Ma belle louve, est-ce votre père qui oublia hier cet éternû-
ment, dites-moi? — De grâce, ayez pitié, il fait froid, il
s’enrhume, ouvrez-lui donc!
— Albert, Albert, je t’en supplie, ne fais pas de bruit dans la
maison; on me renverrait; je passerais pour une Ceci! je t’en prie,
ne me fais pas de scène.
— Calmez-vous, señora : — Ne craignez pas de scène : quand
je fais du drame, je choisis mes héros. — Mais ce cher collabora-
teur doit avoir froid, c’est impoli, laissez-moi lui ouvrir? — Mon-
sieur l’aventurier, rentrez, je vous prie, que je ne vous gêne en
rien! À rester ainsi tout nu, dans une pièce froide, par un temps
d’épizootie, morbleu! monsieur, il y a de quoi gagner le trousse-
galant.
— De quel droit, monsieur le carabin, venez-vous dès l’aurore
troubler les gens honnêtes?
— Dès l’aurore…, au doigt de roses; monsieur fait de la
poésie, un peu classique, dommage! De quel droit, disiez-
vous?… J’allais vous le demander. — Mais, en tout cas, vous êtes
fort heureux de sortir aussi vif de cette tour de Nesle.
— Barbedieu! que dites-vous?
— Rien.
— Albert, vous êtes un infâme de me traiter ainsi!
— La belle, vous êtes ce matin assez mal embouchée. — Or
donc, monsieur l’intrus, sans crainte habillez-vous : tout à
l’heure, vous me demandiez qui j’étais; dites-moi d’abord qui je
suis, et je vous dirai à tous deux qui vous êtes? Notre trinité n’a
pas la mine très sainte; et nous avons tous trois, quoique très
honnêtes au fond, l’air de fort mauvais drôles. — Vous, d’un cou-
reur de nuit, madame d’une catin, et moi, de ce qu’à la cour on
nomme un courtisan, et Shakespeare un Pandarus. Mais, pour
vous rassurer, quant à moi, n’en croyez rien : je suis comme
Lindor, un simple bachelier, Albert de Romorantin, ma famille
est connue. J’avais cru que madame avait quelque pudeur au
front, je lui avais apporté de l’amour; mais je me suis trompé,
c’est de l’or qu’il lui faut, n’est-ce pas?
Ce brave inconnu n’était qu’un petit homme laid et grison-
nant, l’air peu terrible, et, sur ma foi, très bien couvert.
— Mon cher jeune homme, me dit-il alors, votre franchise me
plaît, vos manières sont distinguées, je vois que vous êtes de
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CHAMPAVERT OU LES CONTES IMMORAUX
1. Clientèle.
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II
Mariette
1. Boléro.
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Ay no, ay si
Morena muero por ti!
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III
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PÉTRUS BOREL
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CHAMPAVERT OU LES CONTES IMMORAUX
Ma chère Philogène,
Une mutinerie des sous-officiers de mon régiment me rappelle à
l’heure même à Versailles; ne compte pas sur moi pour cette nuit. Il ne
me sera pas possible de revenir avant deux ou trois jours : ainsi,
dimanche, trouve-toi vers les cinq heures aux Tuileries, sous les mar-
ronniers, au sanglier de marbre : sitôt descendu de voiture, je courrai
t’y rejoindre, et nous irons dîner ensemble. Trois jours sans te voir,
c’est bien long et bien cruel! mais le devoir est là. Aime-moi comme
je t’aime.
Adieu, je te couvre partout de baisers,
VOGTLAND.
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PÉTRUS BOREL
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IV
Albert patrocine
1. Punch.
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Incongruité
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1. Stock-fish.
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VI
Autre incongruité
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1. Butyreux.
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VII
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CHAMPAVERT OU LES CONTES IMMORAUX
— Je devrais vous dire non. Mon Dieu, mon Dieu! que vous
avez peu de noblesse dans l’âme! ou que vous êtes à plaindre
d’être si malheureusement épris de bel amour pour une… Vous
êtes joué et vous ne l’ignorez pas!
— Pour m’accuser ainsi, sais-tu le serment que j’ai fait, sais-tu
ce que j’ai dans le cœur?… Réserve tes reproches, Mariette.
— Entrez, elle est dans son boudoir.
Philogène sortait de table, couchée sur son sopha, elle rumi-
nait son dîner, repue et enflée comme une vache qui a trop
mangé de triolet.
— Ah! vous voilà donc, monsieur le volage, vous vous ferez
couper les ailes! Depuis trois gigantesques jours, votre amie ne
vous a point vu.
— Vous me faites volage à peu de frais, ma chère; quand je
viens, personne; madame est à cheval, en ville.
— L’équitation est-ce un mal? vous avez l’air de m’en faire un
reproche.
— Loin de là.
— Allons, venez que je vous baise au front, que la paix soit
faite; venez donc! Ce pauvre ami, il me semble qu’il y a une
éternité!…
— Vous n’étudiez pas seulement l’équitation au manège,
n’est-ce pas, vous devez avoir des traités théoriques?
— Oui, je crois avoir celui…
— À quelle volte en êtes-vous? à quelle pose?
— Pourquoi ne me tutoies-tu pas aujourd’hui? Ce gros vous
me fait mal; il semblerait que vous êtes fâché?
— Fâché! et de quoi?
— Que sais-je!…
— N’es-tu pas toujours la même pour moi? n’es-tu pas tou-
jours bonne, aimante, sincère?
— Toujours! tu me blesserais d’en douter.
— Moi, douter de toi? tu me blesses à mon tour.
— Que je suis heureuse, je vois que tu m’aimes toujours! Je
t’aime bien aussi, mon Passereau!
— Comment pourrais-je ne pas t’adorer? belle de corps, belle
de cœur! pourrais-je aimer plus digne que toi? Oh! non pas,
Dieu le sait!
— Que tu es généreux, mon chéri, ta parole m’exalte.
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PÉTRUS BOREL
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CHAMPAVERT OU LES CONTES IMMORAUX
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PÉTRUS BOREL
ciel, je cause d’amour avec celui que j’aime. — Tu sais, nous nous
tenions toujours enfermés; oh! que cela vaut mieux que quatre
murailles!
— Si l’un à l’autre fidèles nous vieillissons, quand nous serons
proches de la tombe, avec quelle joie nous compterons cette nuit
dans nos belles souvenances; car notre liaison n’est pas une
liaison d’un jour.
— Union, constance pour la vie!
— Avant peu, mon oncle, mon tuteur, va me rendre compte
de mes biens et m’émanciper : aussitôt, ma belle, que je serai
libre, nous irons demander à la loi qu’elle nous unisse, et si ma
parenté venait à s’enquérir de ta dot, j’énumérerai tes vertus.
— Tu me combles de joie! que de générosité pour une pauvre
femme qui ne sait que t’aimer! — Oh! que ce jour vienne tôt! Il
me tarde que nous habitions ensemble. — Ne me caresse pas
ainsi, Passereau, je me meurs, tu vas me tuer!
— Te tuer, belle homicide! ce serait grand dommage.
— Oui, car c’est une chose rare qu’une femme qui vous aime
pour vous, rien que pour vous.
— Comme toi, est-ce pas?
— Épargne ma modestie.
— Car c’est une chose rare qu’une femme sincère, naïve et
fidèle comme toi.
— Tu me ferais rougir.
— Prends garde, on ne rougit que de pudeur ou de honte!
— Mon Dieu! que ce soir tu me traites brusquement; quelle
politesse brutale, quelle réserve! — Quand je t’embrasse, ou
quand je te caresse, c’est comme si je te touchais d’un fer rouge,
tu frissonnes. — Peut-être as-tu quelque chose contre moi? ai-je
pu te blesser, ai-je pu te déplaire, mon amour? Il faut parler, il
faut dire ce que tu as sur le cœur; épanche ton chagrin; je suis
ton amie, il ne faut rien me cacher, je te consolerai.
— Poison et orviétan, tout à la fois!
— Que veux-tu dire! — Tu vois bien que tu te caches de moi;
je te fais souffrir, je te gêne. — Mon Dieu, quel mystère! —
Parle-moi, parle-moi, je t’en prie! dis ma faute, je la réparerai,
dussé-je en mourir! — Tu m’en veux? — On m’aura calomniée,
il y a des gens si pervers!…
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CHAMPAVERT OU LES CONTES IMMORAUX
— Oui, c’est vrai, mon amie, ce n’est pas que je le croie, on t’a
calomniée. Des méchants t’ont noircie, ils ont dit que tu me
jouais, que tu m’étais joyeusement infidèle. Mais je t’affirme que
je ne les crois point, c’est un infâme mensonge!
— Bien infâme!… Il faut que tu aies bien peu de confiance en
moi, il faut que tu aies de moi une misérable estime, pour que
quelques paroles qu’on aura débitées te changent tant et si subi-
tement à mon égard, et te jettent dans un pareil trouble.
— On m’a dit que tu étais volage, mais je t’affirme que cela ne
me trouble point.
— C’est peu libéral de ta part. On viendrait faire sur toi les
rapports les plus admissibles, comme les plus honteux, je ne vou-
drais pas même les entendre. Tu n’as pas de confiance en moi,
Passereau!
— Si, si, ma belle, je t’apprécie.
— Moi, ton amie, moi te tromper, jamais! mais je t’aime, je
t’aime au-dessus de tout! Passereau, tu es mon Dieu! Nous
sommes liés l’un à l’autre par un serment plus sacré que tous les
serments faits à la face des hommes; et je trahirais ce serment,
moi! peux-tu croire cela, Passereau? Ingrat; injuste, tu
m’outrages! — Que t’ai-je donc fait? qui a pu m’avilir à tes
yeux? je suis une femme d’honneur, Passereau, saches-le! Mais
quel infâme a pu m’accuser de libertinage!… Moi, cloîtrée,
retirée, n’usant pas de la liberté que généreusement tu me
laisses; non, non, Passereau, crois-moi, je suis digne de toi, je suis
innocente! j’en prends le ciel à témoin! Forte de ma conscience,
je ne chercherai pas à me laver de cette sale calomnie. — Si tu
savais combien je t’aime, si tu comprenais l’étendue de mon
amour pour toi? Je t’aime tant, je t’aime tant! plutôt que de
trahir mon devoir et ma foi, plutôt que de te trahir, je me tuerais!
— Oui! plutôt la mort que l’ignominie.
— Oh! tu m’effraies, ne me regarde pas ainsi! Tes yeux,
comme des prunelles de tigre, roulent dans l’ombre.
— Ma bonne, voudrais-tu venir avec moi, j’ai bien envie de
faire un voyage? je suis ennuyé de Paris.
— Quand cela?
— Au plus tôt. — Partons demain si tu veux? allons à Genève.
— Demain, dimanche? je ne puis.
— Pourquoi, qui te retient?
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VIII
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1. Recrue.
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— Peut-être ai-je eu tort de m’emporter sitôt? Peut-être étiez-
vous envoyé de Philogène pour m’avertir qu’elle ne pouvait se
trouver au rendez-vous? Peut-être est-elle malade?
— Très malade.
— Peut-être êtes-vous son médecin?
— Oui, son médecin.
— Je vous demande mille pardons de vous avoir si mal traité,
j’ignorais…
— Demain matin, à huit heures, à Montmartre!
— Mais, de grâce, dites-moi, comment va-t-elle! Que lui est-il
arrivé? est-elle en grand péril?
— Quelle arme prendrons-nous?
— Je vous supplie, répondez-moi, vous êtes cruel, vous, son
médecin! Pour une insulte faite sans connaître, pour une insulte
dont je vous demande pardon; répondez-moi, est-elle en danger
de mort? est-elle à l’agonie? Que je cours… Répondez-moi
donc! si vous saviez combien je l’aime!…
— Si vous saviez combien j’en suis aimé!
— C’est ma maîtresse.
— C’est ma maîtresse!
— Elle, Philogène?
— Elle, Philogène.
— Triple escadron!
— Tribunal de Dieu!
— J’en suis anéanti!…
— J’en suis émerveillé. — Ayant intercepté votre agréable
poulet, je viens, en son lieu, vous demander de quel droit, depuis
trois mois qu’elle était à moi, ma seule amie, vous êtes survenu
dans mes amours?
— Dites-moi, d’abord, depuis deux ans que je l’entretiens, de
quel droit vous survenez dans les miennes?
— Quoi, vous l’entreteniez?
— Oui! de beaux et bons écus ayant cours.
— Ah! l’infâme… — J’ai bien fait…
— Qu’avez-vous fait?
— Rien.
— Jurez-moi, car il faut que je sache à quoi m’en tenir, que
vous êtes depuis trois mois son amant heureux.
— Je le jure par le Christ! — Mais jurez-moi aussi que depuis
deux ans vous êtes son entreteneur heureux.
— Je le jure par Martin Luther!
— Calomnie!
— C’est vous qui mentez!
— Je ne dis pas que vous n’ayez pas tenté l’escalade, mais
vous avez été débouté.
— Je ne dis pas non plus que vous n’ayez battu en brèche,
mais assurément vous en avez été pour vos frais de siège.
— Quelle arme choisissons-nous, décidément?
— Décidément vous voulez vous battre? — À coup sûr, pour
vous venger de ses rigueurs?
— Non, de ses faveurs.
— Gascon!
— Mirliflore! — Vous croyez donc qu’on peut impunément
venir arracher de mes bras ma bien-aimée? Oh! vous vous
abusez fort, monsieur le céladon tardif! — Vous étiez venu semer
de l’ivraie dans mon champ. — Vous étiez venu, sans doute,
mendier de l’amour pour de l’or. — Cette femme est à moi, je la
garderai, je la veux, j’en ai besoin, je la défendrai contre tout
agresseur, je la maintiendrai! Mort à quiconque viendra, comme
vous, braconner sur ma terre! — Vous vous battrez, monsieur le
colonel!
— Je vous tuerai.
— Nous connaissons votre réputation funestement célèbre.
Mais comme je ne sais pas manier l’épée et que d’ailleurs je suis
myope et ne puis tirer le pistolet, je vous prierai de vouloir bien
vous en remettre au hasard!
— À votre aise : d’autant plus que je n’aime pas l’assassinat et
ce serait vous assassiner : quel que soit votre courage, la lutte
serait inégale; que faire contre une adresse infaillible? — Le
hasard peut seul balancer les chances, je m’en réfère au hasard.
— Mais réfléchissez, mon cher ami, il me déplaît d’aller sur le ter-
rain pour un léger motif : je vous dirai, franchement, que je n’ai
point de véhément désir de vengeance; je ne vous hais point, et si
vous voulez simplement m’assurer que vous renoncez à jamais à
toutes poursuites d’amour auprès de Philogène et à venir trou-
bler ma possession, je m’en fie à votre parole d’honneur, car je
vois que vous êtes un homme d’honneur, tout sera dit, tout sera
fait : voulez-vous?
— Vous goguenardez. — Jamais! nous sommes deux cavaliers
pour une cavale : qu’elle soit au survivant.
— Plus tard vous ne m’accuserez point; comme vous, je vais
avoir une volonté immuable, et ne demandez pas grâce et miséri-
corde, je serai féroce.
— Qu’elle soit au survivant! Voulez-vous tirer au blanc et au
noir, un pistolet chargé et l’autre pas?
— Je n’aime pas cela.
— À pile ou face?
— C’est par trop écolier.
— Savez-vous quelque jeu?
— Non.
— Ni moi non plus, alors la chance est égale, jouons notre vie.
— Bravo! mais auquel?
— Aux dames ou aux dominos?
— Soit. Allons au prochain café.
— Non, à demain.
— Demain, demain! on ne doit jamais remettre cette sorte
d’affaire.
— Il faut que j’aille dîner.
— Je ne puis vous laisser partir, je m’attache à vos pas. Vous
iriez maltraiter Philogène. Vidons de suite la querelle.
— Il faut que j’aille dîner.
— Allons dîner, où allez-vous? Je vous suivrai.
— Au premier restaurant, là, au coin, rue Castiglione. Voulez-
vous accepter?
— Merci, chacun son écot.
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CHAMPAVERT OU LES CONTES IMMORAUX
1. Gribouillage.
2. L’acupuncture.
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PÉTRUS BOREL
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Champavert
Le lycanthrope
Paris
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PÉTRUS BOREL
Testament
À JEAN-LOUIS, LABOUREUR.
Je mourrai seul, mon cher Jean-Louis, je mourrai seul!… Pour-
tant j’avais reçu et fait une promesse; pourtant, un homme
m’avait dit : — Je suis las de la vie, tu la hais volontiers, quand tu
seras prêt, nous la fuirons ensemble. Jean-Louis, je suis prêt, te
dis-je, déjà j’ai pris mon élan, et toi, es-tu prêt! Toi prêt, simple
que je suis, croire à un serment! La tête de l’homme varie.
Cependant, tu ne peux l’avoir sitôt oublié, et, d’ailleurs, souvent
je te la rappelai cette nuit, où, après avoir erré longtemps dans la
forêt, appréciant à son prix toutes choses, alambiquant, fouillant,
disséquant la vie, les passions, la société, les lois, le passé et
l’avenir, brisant le verre trompeur de l’optique et la lampe artifi-
cieuse qui l’éclaire, il nous prit un hoquet de dégoût devant tant
de mensonges et de misères. Alors, si tu veux bien t’en souvenir,
nous pleurâmes; oui! tu pleurais!… Ta main frappa dans ma
main, et nous fîmes un jurement. Si je te rappelle tout cela, ce
n’est pas que je veuille, nonobstant, t’entraîner à sauter le pas;
non, c’est bonnement pour que tu ne blâmes plus une résolution
qui a été la tienne. Hélas! ton nouveau sort, sans doute, a fait
muer tes idées; c’est lui, sans doute, qui te cloue à la vie, comme
une huître au rocher. Tu as laissé la niaise profession que t’avait
imposée ton père; employé, tu as déserté ton emploi et renoncé
aux sourires et aux pourboires ministériels; dépravé que tu es,
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1. S’assoie.
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II
Édura
1. Cigarette.
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toi, ils t’ont vieillie, ternie, fanée; tu n’es plus un bouton d’or, tu
es un saule creux qui penche. Les cavaliers ne te regardent plus;
tu n’as plus de cour, tu n’es plus reine. Si, alors, tu avais voulu
cueillir mon amour, amaranthe immortelle, qui ne se flétrit point,
elle t’ornerait encore. Mère, tu aurais un enfant passionné dans
tes bras; mon sang, mes baisers chaleureux rappelleraient ta vie
qui s’en va; tu aurais eu jusqu’au bout un compatissant appui;
ma jeunesse aurait obombré ton âge, et mon bras puni le rieur
qui aurait levé ton voile.
Que sont-ils devenus tous tes beaux muguets, amants char-
nels, que sont-ils devenus?… À peine se rappelleraient-ils ton
nom. Vrais cosaques à cheval, ces hommes auxquels tu t’es livrée
t’ont jeté leur passion nomade; ils t’ont butinée sur leur chemin.
Pauvre femme! insensée! voilà donc les amis que tu te préparais
pour le retour. Souffre, souffre maintenant; il est bien juste que
je sois vengé, j’ai tant souffert! Maintenant, peut-être, tes joues
que nul baiser ne ravive sont mouillées de pleurs, tu languis soli-
taire, et cette solitude inaccoutumée te mine; peut-être en es-tu
réduite, quel abaissement! à faire des minauderies à de jeunes
hommes qui te repoussent et te tournent le dos. Quand tu veux
parler d’amour, on ricane. Souffre, souffre longtemps, que je sois
bien vengé! Inconcevable passion, je t’aime encore, je le sens là,
je ne puis me le cacher; je t’aime, et je te hais profondément; et
cependant, si tu venais me prendre la main, si tu venais me dire
tout bas ce mot que tu m’as toujours tu, si tu venais me dire je
t’aime, comme autrefois… car tu m’as aimé, j’en suis sûr; je suis
sûr que tu as étouffé ton amour pour moi, que tu as repoussé le
mien, parce que aimer, être aimé d’un enfant obscur n’était pas
ce que voulait ton esprit orgueilleux, et je t’aime encore aussi
violemment; et pourtant, te dis-je, si tu venais à moi, je te
repousserais; car je t’aime aujourd’hui pour ce que tu as été, et
non pour ce que tu es. Si tu te jetais à mes genoux, je serais sans
pitié, je te frapperais; si tu t’attachais à mes pas, froid, je te traî-
nerais, je serais vengé.
Puis, accoudé, silencieux, ce pauvre Champavert pleurait
amèrement.
— C’est le premier pas dans la vie, qui décide de la vie; versez
du vinaigre dans le vin le plus doux, il deviendra vinaigre, mur-
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III
Flava
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IV
Damnation
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De profundis
1. Équarrisseur.
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