La Bioéthique - Marie Geneviève Pinsart
La Bioéthique - Marie Geneviève Pinsart
La Bioéthique - Marie Geneviève Pinsart
La Bioéthique
Marie-Geneviève Pinsart
Du même auteur
– Hans Jonas et la liberté. Dimensions théologiques, ontologiques, éthiques et politiques,
Paris, Vrin, 2002
– Narration et identité. De la philosophie à la bioéthique, M.-G. Pinsart (éd.), Paris, Vrin,
(coll. Pour demain), 2008
– Genre et bioéthique, M.-G. Pinsart (éd.), Paris, Vrin, 2003
– L’Euthanasie ou la mort assistée, M.-G. Pinsart et C. Susanne (éds), Bruxelles, De Boeck
Université, 1991
Issues de la tradition ou de l’air du temps, mêlant souvent vrai et faux, les idées reçues sont
dans toutes les têtes. Les auteurs les prennent pour point de départ et apportent ici un
éclairage distancié et approfondi sur ce que l’on sait ou croit savoir.
BIOÉTHIQUE, n. f. – En 1927, le théologien allemand Fritz Jahr forge le
terme Bio-ethik dans son article « Bio-Ethik : Eine Umschau über die
ethischen Beziehungen des Menschen zu Tier und Pflanze » (Kosmos, 24,
1927). L’idée d’une éthique concernant l’ensemble des êtres vivants se
retrouve dans le terme anglais bioethics qui apparaît pour la première fois
dans deux articles du biochimiste américain Van Rensselaer Potter –
« Bioethics, the Science of Survival » (Perspectives in Biology and
Medicine, 14, 1970, p. 127-153) et « Bioethics » (Biosciences, 21, 1971, p.
1088) – et dans son livre Bioethics : Bridge to the Future (Englewood
Cliffs, N.J., Prentice-Hall, 1971).
C’est cependant une compréhension du « bio » restreinte à l’être humain
qui prévaudra, comme en témoigne l’usage du mot français « bioéthique »,
proposé dans les années 1970. De manière générale, la bioéthique :
– évalue de façon critique – mais pas nécessairement sur le mode du rejet –
les effets dans le présent et le futur du développement technoscientifique
sur le monde vivant et sur l’être humain en particulier ;
– vise à identifier et à analyser rationnellement les problèmes éthiques
associés aux recherches et applications technoscientifiques sur l’être
vivant ;
– cherche des solutions sous forme de règles générales ou de procédures de
prise de décision dans une situation particulière. La bioéthique s’inscrit
ainsi dans le champ de l’éthique appliquée et peut adopter une démarche
normative ;
– valorise l’interdisciplinarité en associant des personnes possédant des
compétences différentes et s’engageant sur un pied d’égalité dans une
activité communicationnelle. Cette activité est également un processus
social par sa diffusion de l’information auprès d’un large public et son
incitation à la réflexion citoyenne et politique ;
– présuppose et défend la libre expression des idées, les droits de l’homme
et l’idéal démocratique.
Introduction ...
« La bioéthique est apparue pour mettre fin aux abus technoscientifiques. » ...
« Les bioéthiciens sont sous la coupe des scientifiques et des industriels. » ...
« Un bon médecin n’a pas besoin de bioéthique. » ...
Conclusion ...
Annexes
Dès son origine, la bioéthique s’est caractérisée par son intérêt pour les
cas concrets et singuliers. Ces cas posaient problème parce qu’ils croisaient
les difficultés rencontrées par une personne particulière avec une possibilité
technoscientifique qui les avait générées ou qui aurait pu au contraire les
résoudre.
Illustrons ce dernier cas de figure à travers l’affaire « Baby Doe ». En
avril 1982, à Bloomington (Indiana), un enfant naît avec le syndrome de
Down, c’est-à-dire une trisomie 21, et souffre d’une atrésie de l’œsophage
(une interruption de l’œsophage qui ne permet pas à la nourriture d’arriver à
l’estomac). Une opération s’impose pour sauver la vie de l’enfant. Les
parents refusent qu’elle soit entreprise et se heurtent à l’avis contraire du
médecin. Ils vont en justice. Le tribunal se prononce en faveur du respect de
la décision des parents et Baby Doe meurt peu de temps après. La Cour
Suprême des États-Unis refuse de revoir la décision. Le cas est mentionné
dans la presse et attire l’attention du président Reagan. Celui-ci souhaite
qu’il soit clairement affirmé que la loi fédérale n’admet pas de
discrimination médicale envers les enfants handicapés. Ce souhait est
formulé dans une Interim Final Rule. Un numéro d’appel téléphonique
permet même de dénoncer au ministère les pratiques contraires à ce
règlement. Cette initiative suscite d’âpres critiques et discussions.
L’Academy of Pediatrics et l’American Medical Association dénoncent une
mise en cause de la décision médicale, du dialogue entre les professionnels
de la santé et les parents, et l’établissement d’un climat généralisé de
suspicion à l’égard de la profession médicale. Les associations défendant
les personnes handicapées se réjouissent, quant à elles, de l’initiative de
l’État fédéral. En 1985, le Department of Health and Human Services édicte
un règlement selon lequel tous les traitements médicalement indiqués
doivent être donnés à l’enfant sauf s’ils prolongent son agonie et
n’améliorent pas ses conditions de survie. Il incite les hôpitaux à créer des
comités qui analyseront les cas de demande ou de refus de traitement pour
lesquels les parents et l’équipe de soins sont en désaccord.
Ce type de désaccord sur la nécessité d’opérer un enfant souffrant d’une
pathologie associée au syndrome de Down n’était pas isolé ni nouveau.
Parce qu’elle était emblématique de divers problèmes éthiques, l’affaire
Baby Doe a suscité un débat public et politique, de nouveaux règlements et
souligné l’importance de l’intervention d’un comité d’éthique dans la
résolution de ce type de problème. Elle soulevait la question du refus de
traitement et de la difficulté d’accepter ce refus pour les médecins et
certains courants de l’opinion publique ; celle du respect de la décision des
parents quant aux soins à donner ou non à l’enfant face à un avis médical
contraire et au devoir pour le médecin de soigner une personne en danger de
mort ; celle du respect de la décision des parents par rapport au devoir de
protection des personnes vulnérables qui incombe à l’État ; celle de l’usage
adéquat de moyens techniques permettant de sauver une vie ; celle aussi du
recours aux tribunaux et aux lois pour régler des problèmes de cet ordre.
Partir de la singularité du cas réel est aussi une position méthodologique
exposée en 1988 par le théologien américain A.R. Jonsen et le philosophe
anglais S. Toulmin, dans un ouvrage qui deviendra une référence en
bioéthique : The Abuse of Casuistry. La casuistique est une approche
utilisée en théologie morale dans l’Église catholique mais aussi en
philosophie et en droit. De manière générale, elle vise à prendre des
décisions pratiques dans des cas particuliers qui soulèvent des problèmes de
conscience. Au fur et à mesure de leur pratique de la bioéthique, Jonsen et
Toulmin se rendent compte que les personnes peuvent très bien s’entendre
sur des recommandations concrètes et précises mêmes si elles ne
s’accordent pas sur des principes et des théories. L’important est donc de
partir de la situation, de cerner sa spécificité, de chercher les règles
générales auxquelles elle se rapporte, d’identifier les valeurs qu’elle met en
jeu et de la comparer à d’autres situations semblables. Comprendre un
principe, c’est voir dans quels cadres interprétatifs il a émergé et dans quel
contexte il a été utilisé. Pour Jonsen et Toulmin, les principes forment, à la
manière du droit coutumier, une « moralité commune » (Common Morality)
qui se façonne au fil des analyses de cas.
La casuistique a été perçue au départ comme une alternative au
principlisme qui déduit de quatre principes les règles permettant de
résoudre un problème particulier posé par les technosciences. Suite à la
mise en évidence de quelques faiblesses méthodologiques, la casuistique est
ensuite devenue une approche complémentaire au principlisme.
L’imprécision dans la définition des critères de la bonne description d’un
cas et de son insertion dans un ensemble de cas jugés analogues, par
exemple, avait suscité des critiques. De plus, en se laissant orienter par la
« moralité commune », les analyses de la casuistique entérinent des théories
et des pratiques conventionnelles et perdent toute capacité critique et
novatrice.
L’attention accordée aux cas et à la particularité d’une situation est le
signe caractéristique d’une série de courants bioéthiques durant la deuxième
moitié du XXe siècle. Ils s’inscrivent dans une société multiculturelle et
pluraliste dominée par l’esprit postmoderne qui s’interroge sur la portée
universelle et l’usage actuel des grandes théories et principes moraux
formulés au siècle des Lumières, au XVIIIe siècle. Un exemple de cette
tendance est l’éthique narrative. Prenant son essor dans le monde nord-
américain durant les années 1990, l’éthique narrative se décline en diverses
orientations qui se rencontrent sur deux idées maîtresses : la première est
que la particularité d’une situation influence la conception et l’application
des principes moraux (elle rejoint en cela la casuistique) ; la seconde est que
la particularité s’exprime naturellement de manière narrative, c’est-à-dire à
travers un récit. Étudier un cas bioéthique, c’est partir d’un récit écrit ou
oral qui expose une situation : qu’il s’agisse du récit du patient, de celui du
médecin, de l’infirmier, de la famille, ou celui inscrit dans le dossier
médical. Tout récit est un choix de mots, de moments d’existence, de
faits… liés entre eux et mis en scène. Étudier la spécificité d’un cas
bioéthique revient, dans l’éthique narrative, à analyser la construction de
son récit parce que celle-ci manifeste déjà les valeurs, les idées, les
orientations philosophiques qui tissent le problème spécifique au cas étudié.
Contrairement à la casuistique qui part du cas comme un monolithe,
l’éthique narrative détaille la construction du récit qu’est le cas et en fait un
élément déterminant de son évaluation éthique.
En tant qu’éthique appliquée, l’objectif principal de la bioéthique est
d’apporter une aide à la décision et une motivation à l’action dans des
situations réelles et des cas singuliers. Mais la bioéthique doit également se
placer sur un plan général pour dégager et aborder les dimensions
anthropologiques, sociales, culturelles, politiques, économiques de ces cas
particuliers. La bioéthique a une responsabilité sociale et politique qui
l’oblige à réfléchir sur un plan international, collectif et à long terme. Un
des enjeux de la bioéthique actuelle est de définir ce rapport entre le général
et le particulier : soit elle continuera à alimenter une dynamique
constructive entre eux – alliant l’un et l’autre dans sa réflexion –, ou elle
poussera leur tension jusqu’à la rupture, se scindant en une bioéthique du
cas particulier (une bioéthique principalement médicale qui traitera les
problèmes de manière pragmatique) et une bioéthique générale
(l’environnement, les règlements internationaux…).
« La bioéthique doit chercher le consensus. »
Le CCNE fut créé par le président François Mitterrand en 1983 (décret n° 83-132). Le
président de la République nomme son président pour une période de deux ans
renouvelable. À la suite de J. Bernard, J.-P. Changeux et D. Sicard, Alain Grimfeld assure
la présidence du Comité pour la période 2009-2012. Le pluralisme et l’interdisciplinarité
sont assurés par 39 membres dont le mandat de quatre ans est renouvelable une fois :
cinq d’entre eux représentent les principales familles philosophiques et spirituelles
(catholicisme, protestantisme, judaïsme, islam et philosophie) ; 19 sont choisis pour « leur
compétence et leur intérêt pour les problèmes éthiques » et 15 appartiennent au secteur
de la recherche.
La loi du 6 août 2004 stipule que le CCNE « a pour mission de donner des avis sur les
problèmes éthiques et les questions de société soulevés par les progrès de la
connaissance dans les domaines de la biologie, de la médecine et de la santé ». Le
comité est investi de missions de conseil en éthique, de diffusion (les Journées annuelles
d’éthique ; les Cahiers du CCNE ; le Centre de documentation) et de représentation
nationale et internationale.
Il peut être saisi par les autorités publiques, les institutions académiques et de recherche,
etc., mais aussi par un citoyen ou un de ses membres (auto-saisine).
De l’avis n° 1 du 22 mai 1984 à l’avis n° 106 du 5 février 2009, les travaux du Comité ont
porté sur des sujets de plus en plus divers : l’épidémiologie, l’expérimentation humaine ;
la néonatologie ; les greffes ; l’assistance aux mourants et l’euthanasie ; la procréation et
la sexualité ; la génétique ; les neurosciences ; les politiques de la santé, etc.
« La bioéthique, c’est l’application du principe de précaution. »
Gerald Leach, The Biocrats, London, Cape, 1970, p. 303 (traduction de l’auteur)
Hugo Claus et Chantal Sébire sont décédés le même jour, le 19 mars 2008. L’un et l’autre
ont voulu que leur demande d’euthanasie soit rendue publique. La similitude de leur
démarche s’arrête là car les législations belges et françaises divergent en matière
d’euthanasie. Mais avant d’aborder ce point, revenons à l’histoire de ces personnes.
Les circonstances du décès de Chantal Sébire ont ravivé en France le débat sur la fin de
vie, périodiquement alimenté par la publicité de cas individuels et par certains jugements
des tribunaux en cette matière. Suite à « l’affaire Vincent Humbert », une mission
d’information sur l’accompagnement de la fin de vie composée de députés émanant de
diverses formations politiques et présidée par le député Jean Leonetti, est créée en
octobre 2003. Les travaux de cette mission serviront de socle à la loi n° 2005-370 du 22
avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie qui tend à éviter toute
« obstination déraisonnable » dans les traitements. La « loi Leonetti » s’inscrit dans le
sillage d’autres mesures comme la circulaire DGS/3D du 26 août 1986 dite circulaire
« Laroque » relative à l’organisation des soins et à l’accompagnement des malades en
phase terminale, la loi du 9 juin 1999 qui reconnaît le droit d’accéder à des soins palliatifs
et à un accompagnement ou encore la loi du 4 mars 2002 qui renforce les droits du
malade en lui permettant de refuser des soins et des traitements.
Les trois rapports rendus depuis 2002 par la Commission d’évaluation fédérale de
contrôle et d’évaluation de l’application de la loi relative à l’euthanasie en Belgique
indiquent que les cancers généralisés ou gravement mutilants sont à l’origine d’environ 80
% des demandes d’euthanasie, que quelque 80 % des euthanasies ont été pratiquées
chez des patients âgés de 40 à 79 ans et que la moitié des euthanasies ont eu lieu au
domicile du patient. Depuis l’entrée en vigueur de la loi et jusqu’au 31 décembre 2007, 1
925 euthanasies ont été recensées. Une moyenne de 38 euthanasies par mois a été
établie pour l’année 2006-2007.
« La bioéthique cherche à satisfaire les désirs individuels et
présents. »
Le présent est le mode sur lequel nous aimerions que nos désirs et nos
fantasmes soient conjugués. Avoir un enfant en bonne santé, ne plus souffrir
d’une maladie invalidante, améliorer sa mémoire, augmenter ses capacités
physiques… Longue est la liste des souhaits que la biomédecine et la
technoscience sont censées exaucer, ici et maintenant, ou dans le pire des
cas, pour ceux qui nous succéderont directement. La réflexion bioéthique,
surtout quand elle se fait biopolitique, est arrimée au présent des recherches
et des applications technoscientifiques. Soucieux du court terme, les
dirigeants politiques cherchent à satisfaire les besoins présents de leurs
électeurs et n’osent déplaire en tenant, au nom du futur, des propos de
modération et de responsabilité. Ces propos ont pourtant été partiellement
ceux de la bioéthique, depuis son apparition, et ils le sont de plus en plus
aujourd’hui.
La prise de conscience d’une responsabilité à l’égard des générations
futures a eu lieu au cours des années 1960, à la même époque que celle
concernant l’environnement.
Cette prise de conscience a été provoquée par l’explosion démographique
et ses conséquences néfastes sur la population présente et future ainsi que
sur l’état de l’environnement naturel. Dans l’histoire de la bioéthique, c’est
à l’ambassadeur de l’Inde aux États-Unis, Mahomedali Chagla, que revient
le mérite d’avoir attiré l’attention politique et internationale sur ce problème
lors d’une conférence tenue à Dartmouth, en 1960. Chagla insista sur
l’urgence de fournir une contraception bon marché à la population indienne
et à celle des pays en voie de développement et invoqua la nécessité d’un
contrôle de la fertilité, d’un planning familial. Des nombreuses discussions
sur ce sujet, trois positions se dégagèrent en fonction de l’importance
accordée respectivement à l’environnement, à l’individu et à la société. La
première est celle des défenseurs de l’environnement. Pour eux, le seul
moyen de contrôler la croissance démographique et ses conséquences
désastreuses pour l’environnement était de prendre des mesures sur le plan
politique, en imposant une limitation du nombre d’enfants par famille. La
deuxième position est celle des défenseurs du contrôle par les individus de
leur reproduction grâce au planning familial. La troisième est celle des
partisans de l’amélioration des conditions socio-économiques d’existence
des populations. En vivant mieux, les personnes accepteront d’avoir moins
d’enfants et auront à cœur d’offrir à leurs descendants un mode de vie au
moins aussi satisfaisant que le leur.
La responsabilité envers les générations futures est donc associée au
phénomène de la croissance démographique, à l’épuisement des ressources
naturelles, à la pollution mais aussi au développement technoscientifique.
Un des premiers philosophes à avoir analysé l’impact technoscientifique sur
les générations futures est Hans Jonas (1903-1993). Dans son ouvrage, Le
Principe responsabilité (1979), ce philosophe d’origine allemande montre
que la portée inédite dans le temps et dans l’espace des technosciences
exige une éthique tournée vers le futur. Il ne s’agit pas de concevoir une
éthique que les générations futures mettront en œuvre mais d’adopter dès
aujourd’hui une éthique qui préservera dans de bonnes conditions les
générations futures et l’environnement. Face à la puissance d’action et de
transformation technoscientifiques, la prudence exige de développer une
science prédictive qui permettra de décider de l’application ou non d’une
possibilité technoscientifique.
S’il existe une responsabilité à l’égard des générations futures, on ne peut
à proprement parler invoquer un droit des générations futures. Seuls des
êtres existants peuvent avoir des droits et, par définition, les générations
futures n’existent pas et ne peuvent donc revendiquer un droit ni d’ailleurs
trouver dans le présent un porte-parole légitime, leurs aspirations étant en
effet inconnues.
La responsabilité à l’égard des générations futures est un aspect de la
portée globale de la bioéthique. La notion de globalité ne recouvre pas celle
d’universalité. La bioéthique a une portée globale dans le sens où elle prend
en considération les générations futures, l’espèce humaine, les êtres vivants,
les effets planétaires de la pollution environnementale. La portée globale de
la bioéthique se manifeste aussi d’une autre manière, à travers les
comportements. Ainsi, en Europe, la diversité des législations incite les
personnes à obtenir dans un autre pays ce que la législation de leur propre
pays encadre trop strictement ou interdit. C’est ce qu’on appelle
improprement le « tourisme médical », improprement parce que les raisons
de ces déplacements sont souvent graves, voire tragiques dans certains cas :
la recherche d’un lieu pour avorter en sécurité, d’une procréation
médicalement assistée quand on est homosexuel, d’une aide médicale
quand on est au stade terminal de sa maladie et qu’on veut mourir selon sa
conception de la dignité humaine. Seules les personnes qui disposent de
moyens financiers suffisants peuvent se permettre de tels déplacements. Les
questions d’argent et de justice sont aussi au cœur des voyages dans des
contrées où les gens sont dans une telle détresse matérielle qu’ils vendent
leurs organes.
La portée globale de la bioéthique, c’est aussi la dimension géographique
et temporelle des applications technoscientifiques. Ainsi, l’utilisation et la
diffusion de nanoparticules dans l’air soulèvent des problèmes sanitaires à
l’échelle collective et dans le temps. La culture en plein champ de plantes
génétiquement modifiées met en question la biodiversité et la possibilité de
préserver dans le futur les conditions pour un autre type d’agriculture
(« biologique »).
L’acquisition de nouvelles connaissances sur le génome humain et la
possibilité de diagnostiquer une maladie avant l’implantation de l’embryon
dans l’utérus (diagnostic préimplantatoire) ou pendant la grossesse
(diagnostic prénatal) soulèvent également des questions bioéthiques de
portée globale. Le diagnostic préimplantatoire invite à réfléchir sur le type
d’êtres humains souhaité dans le futur, sur le degré d’acceptation sociale de
personnes handicapées, sur les possibilités encore théoriques et éloignées de
combiner ce diagnostic avec une intervention réparatrice ou méliorative sur
le génome. De plus, si chacun possède un génome singulier qui le
caractérise, celui-ci est également partagé en partie au moins par d’autres
personnes connues ou ignorées. Les informations concernant une maladie
héréditaire sont à la fois personnelles mais aussi collectives, ce qui place
dans une perspective nouvelle des principes comme celui de l’autonomie ou
du consentement. La diffusion de cette information d’une génération à
l’autre mais aussi ce qu’elle impliquera sur le plan de la reproduction
mettent en jeu l’avenir.
La responsabilité à l’égard des générations futures est à la croisée de
nombreux chemins de réflexion bioéthique qui concernent l’être humain
individuel dans ses choix présents, la collectivité sociale, l’espèce humaine,
le vivant non-humain et les conditions physiques d’existence. Cette
responsabilité témoigne de la portée globale de la bioéthique.
« Avec la contraception et l’avortement, la bioéthique a tout
donné aux femmes. »
De l’abondante littérature en bioéthique, nous avons privilégié les ouvrages en français et en anglais,
généraux, à vocation informative et ne requérant pas de connaissances préalables dans le domaine.
B. Ouvrages généraux
• Durand G., Introduction générale à la bioéthique : histoire, concepts et outils, Montréal-Paris,
Fides-Cerf, 1999. Conçue par une des premières grandes figures francophones de la bioéthique au
Canada, cette introduction clairement rédigée compare les approches anglo-saxonne et française de la
bioéthique.
• Hirsch E. (éd.), Éthique, médecine et société. Comprendre, réfléchir, décider, Paris, Vuibert, 2007.
Axé sur les soins, la pratique médicale et la recherche biomédicale, cet ouvrage réunit plus d’une
centaine d’auteurs dans une perspective pluridisciplinaire.
• Hottois G., Qu’est-ce que la bioéthique ?, Paris, Vrin, 2004. L’auteur prend appui sur un grand
bioéthicien américain contemporain, H. T. Engelhardt Jr., pour envisager des questions
méthodologiques et dégager la manière dont les grands enjeux contemporains s’expriment en
bioéthique.
• Jonsen A. R., The Birth of Bioethics, Oxford, Oxford University Press, 1998. Une lecture de chevet
pour découvrir l’histoire de la bioéthique nord-américaine : très documenté et marqué par
l’expérience pionnière de l’auteur dans le domaine.
• Ten Haven H. et Gordijn B. (éds), Bioethics in a European Perspective, Dordrecht-London-Boston,
Kluwer Academic Publishers, 2001. Centré sur l’éthique des soins de santé, l’ouvrage dégage la
spécificité européenne en bioéthique à travers ses choix thématiques (la justice sociale, la politique
sanitaire…) et sa manière phénoménologique et herméneutique de les traiter. À une présentation
théorique et historique succèdent des analyses de cas particulièrement instructives.
• Roy D. J., Williams J. R., Dickens B. M. et Baudouin J.-L., La Bioéthique. Ses fondements et ses
controverses, Saint-Laurent, Québec, Éditions du Renouveau Pédagogique, 1995. Illustrés par de
nombreux exemples puisés dans le contexte canadien, les grands thèmes de la bioéthique sont traités
de manière descriptive, historique et pluraliste.
(liste non-exhaustive)
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