Lafcadio Hearn - Trois - Fois - Bel - Conte (Avec Version Créole)
Lafcadio Hearn - Trois - Fois - Bel - Conte (Avec Version Créole)
Lafcadio Hearn - Trois - Fois - Bel - Conte (Avec Version Créole)
(1939)
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seur de sociologie au Cégep de Chicoutimi à partir de :
Lafcadio HEARN
Traduit de l’Anglais par Serge Denis. Avec le texte original en créole antillais.
Paris : Éditions Mercure de France, 1939, 175 pp. Collection d’auteurs étrangers.
Mise en page sur papier format : LETTRE (US letter), 8.5’’ x 11’’)
LE JAPON
LE ROMAN DE LA VOIE LACTÉE
ESQUISSES MARTINIQUAISES
A la même Librairie.
Lafcadio HEARN
un écrivain irlandais qui prit ensuite la nationalité japonaise
sous le nom de Yakumo Koizumi
Traduit de l’Anglais par Serge Denis. Avec le texte original en créole antillais.
Paris : Éditions Mercure de France, 1939, 175 pp. Collection d’auteurs étrangers.
LAFCADIO HEARN, Trois fois bel conte... (1939) 6
I. COLIBRI.
II. YÉ.
Ill. SOUCOUYAN.
IV. « PÉLA MAN LOU ».
V. LA BLEU.
VI. NANIE ROZETTE.
VII ZALOUETTE ÉPI CODEINNE.
VIII. COMPÉ LAPIN ÉPI MACOUMÉ TOTI.
IX. « MAZIN-LIN-GOUIN. »
X. DAME KÉLÉMENT.
XI. « GIANTINE FAYA-FIOLÉ. »
XII. PIÉ-CHIQUE-A.
XIII. COMPÈ LAPIN ADANS BASSIN LOUROI.
XIV. TÊTE !
XV. MANMAN MARIE.
XVI. LOUROI TÉ KA MANDÉ YON BATIMENT.
XVII. TI POUCETT.
XVIII. ZHISTOUÈ PIMENT.
XIX. ADÈLE ÉPI JEAN.
LETTRE D'UN MARTINIQUAIS HABITANT CAYENNE.
XX. LA BELLE ÉPI LA LAIDE.
XXI. COMPÈ RAVETT KA MAÏÉ CO Y.
XXII. MACOUMÈ RAVETT ÉPI MACOUMÈ SAUCISSON.
XXIII. ZHISTOUÈ GENS GOUÔS-MÔNE.
XXIV. LA PÈSILLETTE.
XXV. CONIPÈ ZÉCLAI ÉPI COMPÈ MOUTON.
XXVI. ZHISTOUÈ COMPÈ TOTI.
XXVIL TI MARIE.
xxviii. MONTALA~
XXIX. CAIN ÉPI Ai3EL.
XXX. (1) LA BELLE.
XXXI. (2) LA BELLE.
XXXII. COMPÈ LAPIN ÉPI COMPÈ TIG.
XXXIII. LA BELLE HÉLÈNE ÉPI MONFOUÈ EDOUA.
XXXIV. Di VIO-SALOMAN.
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CONTE COLIBRI
YÉ
SOUCOUYAN
« PÉ-LA-MAN-LOU »
LA BLEU
NANIE ROZETTE
CONTE COLIBRI
YÉ
SOUCOUYAN
« PÉ-LA-MAN-LOU »
LA BLEU
NANIE ROZETTE
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Lafcadio HEARN
Trois fois bel conte…
Préface
par Charles-Marie Garnier
Avec une discrétion pleine de charme, Serge Denis s'est gardé de dire com-
ment le petit carnet manuscrit de Lafcadio Hearn a fini, après un tour du monde
complet et l'espace d'une génération, par tomber entre ses mains. Il m'a laissé le
soin de le conter, car celle histoire vraie est aussi un « bel conte ».
Lors de mon passage au Japon, en 1900, je n'avais pu, malgré mon vif désir,
voir Lafcadio Hearn, même discrètement, à l'Université. Il était souffrant et
n'avait pu reprendre son cours. Et puis Hearn, sensitif au dernier degré, ne consen-
tait à une entrevue que pour des raisons personnelles majeures. Aussi avais-je dû
me borner à lui écrire, et nous avions échangé quelques lettres.
Dans la seconde que j'ai reçue de lui datée de Tokyo, le 26 octobre 1903, la
seule qu'il m'ait écrite en français, il disait :
LAFCADIO HEARN, Trois fois bel conte... (1939) 11
Après trente-six ans, tous ceux qui aiment Lafcadio Hearn trouveront à ces li-
gnes une résonance pathétique. Elles sont révélatrices à plusieurs égards. L'écri-
vain n'y fait aucun retour sur lui-même, ni sur son art. Peut-être y serait-il venu, si
la correspondance avait pu se poursuivre. Mais ce ne fut point le cas. Déjà la mort
était suspendue sur lui : moins d'un an plus tard, le 23 septembre 1904, elle devait
brusquement l'abattre.
Si incomplètes soient-elles, ces lignes sont précieuses. Elles précisent que ces
contes l'ont intéressé à deux titres : par les éléments neufs qu'ils apportent au fol-
klore, où il devait par la suite trouver de plus en plus source de poésie et matière à
philosopher ; et puis aussi par leur caractère qu'il appelle baroque. Celle expres-
sion me semble à rapprocher de la « grotesqueness » qu'il distingue en certaines
superstitions japonaises (Preface to Glimpses of Unfamiliar Japan, p. IX.) N'ou-
blions pas que ces deux mots, baroque, grotesque, incomplètement naturalisés
anglais, - et dans celle lettre en français il est percevable que Hearn continue sou-
vent de penser en anglais, - sont dépouillés sous sa plume de celle vibration un
1 Le désir de Lafcadio Hearn est aujourd'hui réalisé. Nous donnons dans le pré-
sent volume le texte français, suivi du texte original qu'il avait établi lui-
même. (Note du traducteur.)
LAFCADIO HEARN, Trois fois bel conte... (1939) 12
Lafcadio Hearn n'avait pas besoin de pousser si loin l'analyse. Mais au sortir
de sa jeunesse opprimée par les contraintes d'une famille divisée, d'une instruction
confessionnelle irrespirable pour lui, enfin d'un apprentissage de journaliste amé-
ricain, hérissé de privations, de heurts et de duretés, il est clair qu'il eut aux Antil-
les la révélation de la nature, de la vie humble et primitive des peuples enfants
encore tout près de la terre. Dans leurs contes, il lut attiré par tout ce qui s'oppo-
sait à la logique scolastique, aux secs raisonnements de la demi-culture des littéra-
teurs d'affaires et à l'âpre lutte pour la vie des grands centres du Middle West.
Aussi, soyons-en sûrs, est-ce sans la moindre nuance de blâme ou de dérision qu'à
propos de ces contes il parle de baroque. Baroques, ils le sont au vrai, par leur
naïve expansion, leur manque total du sens des proportions, le méli-mélo de créa-
tures disparates mais toutes filles de la même mère, enfin par le protocole inatten-
du qui règle les rapports avec le Créateur, vraiment ici « le Paternel ». Baroques,
écrit Hearn ; mais soyons convaincus qu'il a tracé le mot avec une divination pé-
nétrante de son contenu et avec un accent de souriante tendresse.
L'autre titre qu'il reconnaît à ces contes, c'est d'être dignes de l'attention des
folkloristes. Là aussi, on aurait souhaité qu'il fût moins réservé. La postérité d'un
grand écrivain est très exigeante : elle voudrait dans chacune de ses lignes trouver
en une formule tout ce qu'elle a mis une génération à découvrir dans l'ensemble de
l'œuvre.
Si discret qu'il ait été, on devine à quel point le folklore lui tenait à cœur. À
cette occasion, il ne pouvait l'oublier. Au soir de sa vie, on le sent obscurément
heureux de cette occasion que lui offrira Paris de montrer ce qu'il doit au folklore
et aux Antilles.
M. Serge Denis, dans les lignes qui suivent, a tenté de le préciser. Avec raison
il met l'accent sur le fantastique et l'horreur vague qui s'attache aux visions de
nuit, aux heures troubles du demi-réveil ou de l'évanouissement qui glisse au
sommeil. Certains critiques d'information un peu courte n'ont voulu voir :dans
cette disposition de Lafcadio Hearn qu'une attitude littéraire. Ils arguent de ses
lectures favorites de Barbey d'Aurevilly, Villiers de l'Isle-Adam, Edgard Poe.
Tout jeune il s'est jeté sur eux avec avidité. Mais ce ne fut point avec lui, comme
avec tant d'autres, une coqueluche d'un jour. Il avait trouvé chez eux l'expression
littéraire d'un fantastique que sa nature intime appelait et redoutait de toutes ses
forces, comme une horrible volupté. Dès son premier contact avec les tropiques, il
fut ravi et accablé. Il sentit dans sa chair que les forces naturelles, exaspérées par
les jeux volcaniques et par l'incandescence solaire, écrasaient l'homme et le main-
tenaient dans un état de crépuscule mental et sensitif. Dans ces enfants des îles,
effarés autant qu'émerveillés, il reconnut sa propre enfance, ses épouvantes et ses
ravissements. Il les aima soudain comme les petits frères de son âme vaincue :
Est-ce à dire que tous les problèmes soulevés par le passage de Hearn aux An-
tilles soient élucidés ? Pas encore. Il est frappant que son deuxième livre qui date
de 1885, deux ans avant son voyage aux îles, ait été Gombo Zhèbes : petit dic-
tionnaire de proverbes créoles. Fut-ce une simple besogne de librairie ? Peut-être,
tout d'abord ; mais elle répondait à son penchant intime au point qu'il la fit avec
amour et que, le jour où il trouva le moyen d'échapper quelques mois à la geôle
journalistique, il se tourna tout naturellement vers les créoles, dont il venait de
résumer, avec les dictons, les fantastiques appréhensions et la naïve sagesse.
Il ne reste plus qu'à finir l'histoire du petit cahier de toile cirée. Dans toutes les
traverses de la vie, tout au long de la sinistre guerre, je ne l'oubliais pas. La bonne
grâce de Mme Gissing-Fleury avait su y intéresser le grand chirurgien Walter, éle-
vé à la Martinique ; mais, éminent dans son art, le docteur Walter n'avait en ma-
tière de langage rien d'un spécialiste.
LAFCADIO HEARN, Trois fois bel conte... (1939) 14
CHARLES-MARIE GARNIER.
LAFCADIO HEARN, Trois fois bel conte... (1939) 15
Lafcadio HEARN
Trois fois bel conte…
Introduction
Par Serge DENIS
Le texte fut établi - très minutieusement - sur un carnet recouvert de toile cirée
noire, 16 x 10, à coins ferrés, paginé au recto (58 pages dont 56 manuscrites).
À quelle époque ? C'est ce que je ne saurais dire avec précision. Pendant le sé-
jour de Lafcadio Hearn aux Antilles ? Je ne le pense pas. À son retour en Améri-
que en 1889 ? Peut-être, bien qu'il n'y ait fait alors qu'un court séjour et fort oc-
cupé. Au Japon ?...
Cyrillia contait à son corps les légendes dont frémissait sa pauvre vieille âme.
Mme Robert, la marchande de bouts (cigares), lui offrait un siège dans sa bou-
tique et lui « racontait plus de légendes du temps jadis et plus d'étranges histoires
de cette île que personne d'autre à ma connaissance. » « Elle est toujours contente
de me voir et de bavarder avec moi sur le folklore créole. »
Yébé aussi, son guide à travers la montagne ; les nègres des plantations, dans
l'ajoupa, dans la rhumerie, aux veillées funèbres, enrichissaient son expérience
des choses du pays.
Il y a entre les deux hommes des rapports littéraires certains. Sans doute le
lecteur qui se souvient de Clara Gazul - et de la Guzla - se méfie des confessions
de Mérimée. Il a peine à s'imaginer la chemise plissée du dandy, la redingote du
sénateur, au milieu des gitanes débraillées. D'instinct, au contraire - connaissant
les ressources de son âme - il suit Lafcadio Hearn à travers la plèbe exotique du
Nouveau Monde. Le lecteur est dupe des apparences. La sincérité de Mérimée ne
peut être mise en doute. Après son double péché de jeunesse, il avait trouvé au-
près d'Estebanez Calderon 4 son chemin de Damas.
Mérimée dont il avait tant goûté les nouvelles ne procédait pas d'autre façon.
3 Plusieurs passages sont fort connus : « Hier, on est venu m'inviter à une Tertu-
lia à l'occasion de l'accouchement d'une gitane... » Lorsque je suis à Madrid,
je vais dans la mauvaise compagnie faire des études de moeurs. (La mauvaise
compagnie pour Mérimée c'est tout ce qui n'est pas la haute société madrilène,
pour laquelle, l'ayant vue de près, il n'avait pas une tendresse particulière.)
4 Son ami Estebancz Calderon, le plus sûr folkloriste espagnol du XIXe siècle.
LAFCADIO HEARN, Trois fois bel conte... (1939) 18
C'est dans ces conditions qu'il publia à New-York : « Two years in the French
West Indies », où nous trouvons la première version de l'histoire de Yé.
Dans « Two years in the French West Indies » l'histoire de Yé est amputée de
l'épisode initial des Poux-de-Bois. La portée de la légende s'en trouve modifiée.
Ca qui pa té connaitt Yé ?... Qui donc à Qui donc, dans tout le pays, qui ne
la Martinique n'a jamais entendu parler connaît un vieux nègre appelé Yé ? Il
de Yé ? Il avait tous les défauts possi- avait tous les défauts de la terre fai-
bles : c'était le nègre le plus paresseux néant, gourmand, vorace pour mieux
de toute l'île, c'était le plus grand glou- dire. Il avait une rafale d'enfants ; et
ton du monde. Il avait un nombre pro- tous mouraient de faim.
digieux d'enfants - une rafale d'enfants,
et ils étaient la plupart du temps à moi-
tié morts de faim.
Plus loin des paragraphes entiers du texte créole n'y figurent pas. La première
version a été publiée (en français) aux Éditions du Mercure de France, « Contes
LAFCADIO HEARN, Trois fois bel conte... (1939) 20
des Tropiques ». La comparaison aura son prix : elle favorisera l'étude des procé-
dés de création de l'écrivain.
L'ordre des paragraphes est souvent modifié. Ici on ajoute une précision, là on
supprime un détail. Les images sont atténuées ou disparaissent complètement
dans le texte anglais : « les boyaux du diable, gonflés, étaient aussi hauts que la
montagne Pelée... Il mangea toutes sortes de cochonneries vertes... Il sentit une
grosse odeur... Les goyaves avaient pour lui mille sourires... ». Des apostrophes à
l'auditoire si caractéristiques : « Qu'avait-il fait, mes amis ?... » ne sont pas dans la
première version.
Hearn était minutieux, méticuleux même ; s'il avait établi le manuscrit aux
Antilles, c'est-à-dire à portée de ses amis (mon ami le notaire), nous n'aurions pas
à déplorer des formes comme étique, imbécile, flemme, que le langage populaire
n'y a jamais connues. - Parents ne se dit point aux Antilles pour désigner le père et
la mère ; c'est l'usage espagnol qui a prévalu. Mouri (pour mô) est suspect ; famil-
le, madame, maman, songé, jambe, l'épreuve, ce nez !!!... Du vrai latin pour Cyril-
lia...
On est d'autant plus étonné que les ratures ou surcharges témoignent par ail-
leurs d'un rare souci de précision : Laissé est surchargé ; on lit quitté ; goumé est
complété : goumein. Laissé, dans le sens où il allait l'employer, est impossible. -
Poisson est surchargé Pouesson ; excepté, barré, est remplacé par anni. Toutes
corrections heureuses.
LAFCADIO HEARN, Trois fois bel conte... (1939) 21
De même les notations phonétiques sont souvent justes. (L'indigène, lui, note
avec une grande incertitude) : ouoche (roche) ; cououi (courir) ; 'nco' (encore) ;
zibié, giaule, lé restant, chen, pleiré.
Ce manuscrit a été établi par un homme cultivé qui a l'habitude des langues
étrangères et qui sait entendre. Mais il n'est pas né au pays. Il ignore le juste em-
ploi de ka-ké, té ka, té ké dans la conjugaison.
Seul un étranger pouvait confondre, comme on l'a fait, l'actif et le passif, l'im-
parfait et le plus-que-parfait, le simple et le composé : « On piti bout la ké qui té
ka chappé.... toute famille la qui té mô faim..., ça pa té ka duré yon tac » sont des
erreurs très caractérisées, par rapport au contexte.
Il a recueilli ces légendes dans les circonstances qu'il indique, mais il les a re-
maniées, composées, écrites.
Le cadre est net, précis. L'action une fois posée, tout S' enchaîne. L'auteur
marque au crayon, d'un ? les passages qui lui paraissent superflus et qu'il hésite à
conserver. Nouvelle preuve de son intervention personnelle. Le ton est sobre et
régulier. « Un beau jour ; Le soleil allait quitter l'horizon ; toutes bêtes dormaient
déjà. » - « La queue faisait sept fois le tour du corps et puis, encore, et derrière,
traînait sur sept grandes lieues... »
On peut supposer que l'auteur avait l'intention de mettre au net, plus tard, les
28 autres pièces. L'a-t-il fait ? Et, dans ce cas, que sont-elles devenues ?
Dans le volume que publiaient à New-York Harper and Brothers, à son retour
de la Martinique, Lafcadio Hearn utilisa quelques-unes d'entre elles.
« Maman Marie » (no 15 de la table) figure dans Les Porteuses sous l'indica-
tion : extrait de l'histoire de Marie ; « Dame Kélément » (no 10), dans Youma, in
extenso ; « Zhistouè Piment » (no 18) est relatée dans Ma Bonne.
Par ailleurs, Hearn révèle dans Youma le sujet de « Montala » (no 28), l'oran-
ger sorcier qui poussait jusqu'au ciel ; l'histoire de « Mazin-lin-gouin » (no 9) ou
la jeune fille orgueilleuse qui épouse un fantôme ; l'histoire de « La Belle » (nos
30 et 31) qui avait la Vierge pour marraine ; l'histoire de « Pié-Chique-à » (no 12)
qui apprit à jouer du violon à la façon du diable.
Restent donc 21 légendes dont nous ne savons absolument rien d'autre que le
titre. (On en trouvera la liste complète.)
torrides, gravit la colline à la recherche d'un ami enterré depuis plus d'un siècle ; -
la légende de l'habitation Dillon, dont le propriétaire fut un jour mystérieusement
appelé au cours d'un banquet, et disparut pour toujours : - la légende de l'abbé
Piot, qui prononça contre la mer la malédiction de l'agitation perpétuelle. » - Rien
ne prouve qu'elles aient le moindre rapport avec l'une quelconque des 21 légendes
inconnues de la liste établie par Lafcadio Hearn.
Il n'en est pas moins vrai que, sur un groupe de 19 légendes citées par Hearn
dont le sujet nous est connu, une seulement (Zhistouè Piment) ne relève pas du
merveilleux créole.
C'est ainsi qu'elle dût lui apparaître. Il se crut transporté dans un conte des
Mille et une Nuits. Il l'a dit.
Son premier contact avec la population fut « fantastique » ; les premières lé-
gendes qu'il entendit lui révélèrent un merveilleux insoupçonné.
Ce climat, il y avait des années qu'il le cherchait. Son monde à lui, celui au-
quel aspirait ce solitaire, c'était « cette région du surnaturel qui est le plus primitif
et le plus vague, où les rapports les plus étroits existent entre l'imagination sauva-
ge et la civilisée, dans ces craintes que nous disons puériles de l'obscurité, des
ombres et des choses rêvées. » (Ma Bonne.)
Il avait toujours été inquiet. D'autres font effort pour échapper à eux-mêmes.
La vie de Lafcadio Hearn, son existence de nomade, sera au contraire une applica-
tion constante pour retrouver ou recréer une même atmosphère.
Dans son Essai sur la vie d'Edgar Poe, Baudelaire rappelle « qu'il existe dans
l'ivresse des enchaînements de rêves et des séries de raisonnements qui ont besoin
pour se reproduire du milieu qui leur a donné naissance. » Hearn, enfant, avait
découvert dans le surnaturel un milieu propre à l'enchaînement de ses raisons.
civilisée se trouve dans les craintes, que nous disons puériles, de l'obscurité des
ombres et des choses rêvées ; alors vient la longue recherche patiente d'une forme
d'art qui réalisera entre le merveilleux païen et la superstition une poétique har-
monie.
A mesure qu'il prend conscience de son génie se précise l'idée que le fantasti-
que, l'impossible comme il l'appelle, est une des formes de la vérité éternelle :
« L'impossible est beaucoup plus étroitement apparenté à la réalité que la plus
grande partie de ce que nous dénommons le vrai et l'ordinaire. L'impossible n'est
peut-être pas la vérité toute nue, mais je crois que c'est souvent la vérité masquée
et voilée, sans doute, mais éternelle. Celui qui prétend ne pas croire aux fantômes
ment dans son propre cœur. » (L'éternelle hantise.)
Son art s'est enrichi des légendes de l'Asie, de l’immense apport du Japon
mystérieux ; cependant, il évoquera toujours le fantastique antillais.
Il veut dire l'obscurité primitive des cavernes éclairées par des yeux noctur-
nes ? Ce sont les ténèbres de la forêt antillaise qu'il décrira, « sur le bord des riviè-
res, les ombrages des côtes déchiquetées et le repaire du Python ». S'il veut établir
que la peur est primitive, ancestrale, il rappellera ses expériences personnelles « in
tropical countries, owing to the atmospheric conditions. »
LAFCADIO HEARN, Trois fois bel conte... (1939) 26
A sa mort, on trouvera dans ses papiers une étude sur la poésie du fantastique
(goblin poetry) et un autre souvenir de la Martinique (stronger than fiction).
Les tropiques « tiraient toujours aux cordes de son cœur » : « Mon Dieu, pou-
vait-il écrire, mon véritable champ de travail était là 1 »
On voit mieux aujourd'hui, en lisant ces six légendes, tout ce qu'il doit aux
Antilles.
SERGE DENIS.
LAFCADIO HEARN, Trois fois bel conte... (1939) 27
CONTE COLIBRI
- Bo-bonne fois... 5.
Il y a longtemps, longtemps.
Or donc, le Bon Dieu voulait faire une route et les Nègres prétendaient ne sa-
voir travailler qu'au son du tambour.
- Chouval, mon fils, va-t-en chez Coulibri lui demander son grand tambour.
S'il refuse de me le prêter... frappe !!!
Chouval s'en va :
- Bonjour, Coulibri !
- Bonjour, Chouval !
- Bon Dié, mon maître, te demande de lui prêter ton grand tambour.
- Tu diras à Bon Dié, ton maître, qu'il aura le tambour... quand ma tête sera
sous la pierre de taille, dans la cour de ma maison.
Il n'y voyait point. Il arrive pourtant chez le Bon Dieu, lui montre ce qu'a fait
de lui cette bestiole.
Sa bile s'échauffe.
Il appelle le Bœuf
- Bef, mon fils, tu as des cornes, toi, tu en viendras à bout. Ah ! la maudite en-
geance 1 Tu vois ce qu'il a fait de Chouval, Coulibri ; va le corriger.
Il arrive :
- Bonjour, Coulibri 1
- Bonjour, Bef !
- Bon Dié, mon maître vous demande votre grand tambour « bel air ».
Bef ne s'est pas mis en garde qu'il a les yeux hors de la tête.
Tac !
Pauvre Bef s'enfuit comme Chouval. Il arriva hors d'haleine près du Bon Dieu.
Coulibri n'était plus tout le même. Il avait laissé bien des plumes dans les cor-
nes de Bef ! Et aussi, Bef l'avait blessé aux aisselles.
Quand il vit Poisson Armé, un petit froid lui saisit le corps. - Personne ne s'en
aperçut :
Petite bête, oui, mais petit César : ne le savez-vous pas, vous tous ?
- Crapaud, mon fils, t'en prie, s'il te plaît, tape fort. Chauffe-moi ce tambour,
hein !
LAFCADIO HEARN, Trois fois bel conte... (1939) 32
Crapaud ne se le fit pas dire deux fois : ses doigts saignaient tant il frappait
dur.
Pouesson Armé s'enroula comme boule piquante, rentra ses yeux et attaqua.
« Bambous-lé-bois, bambous-lé-zombis.
Il chantait, il chantait...
Pouesson Armé, en toute hâte, ramassa un grand coutelas qui traînait par là,
coupa la tête de Coulibri, la mit sous la pierre de taille dans la cour de la maison.
YÉ
- Bo-bonne fois...
On l'appelait Yé.
Paresseux, gourmand, vorace pour mieux dire, il avait tous les défauts du
monde...
Mais il avait aussi beaucoup d'enfants, - une rafale d'enfants, -et tous mou-
raient de faim.
Il était encore très jeune quand Pou-de-Bois, dans une méchante querelle, lui
avait prédit malheur.
Ce jour-là, Yé avait battu un pauvre petit nègre pour lui voler son dîner.
Après quoi il l'avait accroché par les cheveux à la branche d'un arbre.
Ils chantaient :
« Kian, Kian ! »
Et donc comme un chat, l'enfant sur quatre pattes se ramassa, content. Il dan-
sait. Bien content, il l'était, puisqu'il invita les Poux-de-Bois à un grand dîner, la
pleine lune prochaine.
« Baron-baron, tonton-tolombé-lomba
« Azon, zon, zon : ba li coté, klan, klan,
« Kian !
Pour lors, les Poux-de-Bois n'eurent plus que du bois à manger. Ils enragè-
rent, n'étant point bêtes à badiner sur leur bouche ;
Ils s'en allèrent pleins de colère ; mais ils marchaient lentement, toujours, en
chantant toujours :
LAFCADIO HEARN, Trois fois bel conte... (1939) 35
« Kian. »
Les jours passèrent ; l'eau coula sous les ponts. Yé, vieilli, ne s'était pas corri-
gé : il n'était peut-être que plus gourmand.
Yé s'en apercevrait.
Il s'avance.
Que voit-il ?
Un grand Diable, dans un grand feu, faisait cuire un tas d'escargots ; le cra-
quement, c'étaient les coquilles qui pétaient.
Il était vieux, vieux, le Diable, assis sur une souche d'arbre à pain.
Il guetta le vieux Diable et toutes les fois que celui-ci portait un morceau sous
sa dent, Yé lui volait une même portion.
Le Diable parut ne se douter de rien. Mais, quand il eut fini de manger, tout à
coup, d'un bond, il saisit la main de Yé :
Les pauvres enfants virent arriver leur père chargé d'un lourd fardeau.
C'est un sac de pain, pensaient-ils..., des légumes... Déjà ils montraient leurs
dents et ils dansaient...
Mais quand Yé se fut approché, quand ils purent distinguer ce qu'il leur appor-
tait, ils coururent se cacher, serrés comme souris dans leur trou.
Une fois dans la case, le vieux Diable s'assit dans un coin, par terre. Il ne bou-
gea plus.
Lorsque la mère avait préparé le repas de ses enfants ... pauvre femme ! - pata-
tes, fruit à pain - le vieux Diable se levait, criait :
« Maman mô ! Papa mô, tout yche mô. » (Maman morte, papa mort, tous les
enfants morts.)
Alors le Diable mangeait le repas ; puis il montait sur la table et souillait les
plats.
Et il leur disait :
- Que veux-tu, Yé ?
- Je le savais déjà ; mais, mon pauvre Yé, à quoi bon t'indiquer le remède ? Tu
es incapable de t'en servir. Ta gloutonnerie te perdra toujours. Te souviens-tu des
Poux-de-Bois ?
Yé promit au Bon Dieu d'être sage en route ; il salua le Bon Dieu et s'en alla.
8 Le texte dit pipiri du jour. Le pipiri est l'oiseau du matin. Au pipiri du jour,
c'est la première lueur du jour où chante le pipiri.
LAFCADIO HEARN, Trois fois bel conte... (1939) 38
Mais il lui fallait franchir le bras d'une rivière, et sur le bord de la rivière les
goyaviers avaient pour lui mille sourires. Il fit effort pour tenir bon : la malédic-
tion des Poux-de-Bois le poursuivait.
Après les goyaves, ce furent des prunes vertes, zicaques, caratas, enfin toutes
les vieilles petites cochonneries aigres qui lui tombèrent sous la main.
Il avait les dents comme glacées en arrivant dans son village. Il eut peine à di-
re à sa femme de préparer le dîner.
Le Diable se leva une fois encore... Yé avait les dents si agacées qu'il ne pou-
vait plus rien dire. Au lieu de :
Il ne trouva que :
Le Diable parut y être accoutumé. Il souffla sur eux, les renversa comme
morts, mangea ce qu'il y avait à manger et quand il eut souillé les plats
- Maman, envoie donc papa trouver Bon Dié. J'ai une idée.
La mère n'ignorait rien de sa subtilité ; elle sentait qu'il lui cachait quelque
chose.
Elle envoya son mari une dernière fois chez le Bon Dieu.
Yé portait jour et nuit, qu'il fît froid ou chaud, un de ces longs -vêtements ap-
pelés « lavalasse », pourvus de deux grandes poches.
Comme son père se préparait à partir, Ti Fonté, floup ! entra dans l'une de ses
poches.
Arrivé au sommet du Morne La Croix, le petitou sortit ses oreilles afin d'en-
tendre les paroles du Bon Dieu.
Ce ne fut pas perdu pour tout le monde. Ti Fonté eut vite fait d'apprendre sa
leçon.
Il aiguisait sa petite langue en pensant à sa mère, à ses pauvres frères qui mou-
raient de faim.
Quand il arriva chez lui, quand il enleva son paletot, Ti Fonté, d'un bond,
plap ! sauta à terre et courut à sa maman :
- Prépare quelque chose de bon, maman ; tout sera pour nous aujourd'hui. Bon
Dié n'a pas parlé pour rien.
Tout étant prêt, il se leva ; mais Ti Fonté se leva aussi, criant de toutes ses for-
ces :
Le Diable poussa un cri, un cri que l'on entendit jusqu'au fond de l'Enfer, et
tomba raide, mort.
... Le Diable commençait à sentir mauvais. Il était tout gonflé... si gros que
personne ne pouvait le bouger. Les enfants, bien nourris, étaient pleins de force.
Yé attacha une grosse corde au pied du Diable et tous se mirent à tirer ensem-
ble.
LAFCADIO HEARN, Trois fois bel conte... (1939) 41
Ils tirent, ils tirent, ils tirent, enfin ils tirent comme on traîne un chien crevé
jusqu'aux raziés 10 et l'abandonnent là.
Or, quelques jours après, ce vieux propre-à-rien s'en allait à la chasse... soi-
disant.
Fouinq ! L'épouvantable odeur ! Les tripes gonflées étaient hautes, aussi hau-
tes que la montagne Pelée, et de toutes les couleurs : elles étaient bleues, et puis
jaunes, et puis vertes, prêtes à éclater.
Yé, comme un foutu sot, tira une flèche en l'air qui vint juste se planter dans le
nombril du Diable.
Puis, l'imbécile la porta sous son nez pour sentir cela, pour bien s'assurer de
l'odeur du Diable.
- « Ah, mon pauvre Yé, tu seras donc jusqu'à ta mort le plus grand sot du
monde.
« Écoute-moi : demain, bon matin, avant le jour levé, prends un grand fouet et
bats les bois ; assemble tous gibiers porteurs de plumes sous la Roche de la Cara-
velle et dis-leur que Moi, Bon Dié, je les veux voir prendre un bain de mer. De-
vant le bain, tu leur feras ôter plumes ainsi que becs, et déposer sur le rivage.
Le gibier à l'eau, il choisit un nez dans le tas : à la place il déposa son pot de
raffineur.
SOUCOUYAN 13
- Bo-bonne fois...
................
- Vous l'avez deviné : sa femme ne valait pas grand'chose. Elle était mauvaise
comme une gale de sept ans.
Bon chien n'attrape jamais bon os.
Pour lors il était bien malheureux, le pauvre !... Chaque jour sa femme for-
geait mille extravagances, à le rendre fou ! Il avait essayé de secouer son joug,
mais en vain. Il dut se persuader que cela ne pouvait pas changer.
Un beau jour...
Le soleil allait quitter l'horizon ; toutes bêtes dormaient déjà, la nuit tombait...
- J'ai une envie folle de manger du gibier, dit la femme à son mari.
- A cette heure, ma chère, tu n'y penses pas ! Les poules elles-mêmes sont
cou---ées. Je connais le bois, pas vrai ? Eh bien ! il me serait impossible d'y trou-
ver quoi que ce soit.
La femme ne répondit mot : elle frappa du pied. Puis elle saisit le pilon d'un
mortier, un gros bâton lélé 14.
Enfin, il vit sur un arbre un bel oiseau posé ses plumes avaient la couleur des
jours passés ; on aurait juré qu'elles étaient lumineuses.
Il voyait bien qu'elle n'était pas une créature du Bon Dieu, cette bête aussi
grosse qu'un enfant.
Elle ne voulait manger que le gibier. Ma foi 1 il était assez gros pour nourrir
toute la famille.
Elle prépara une bonne sauce piquante, l'entoura de quelques couscouches ; ils
mangèrent jusqu'à la dernière bouchée.
Comme ils étaient en plein sommeil, voilà leur ventre qui se met à gargouiller.
Par bonheur ils finirent tous par vomir le gibier ; cela leur sauva la vie.
Elle-même, la bête, ajusta les ailes, les jambes ; elle avait hâte, le jour s'ou-
vrait ; elle disait :
LAFCADIO HEARN, Trois fois bel conte... (1939) 47
La famille suait à grosses gouttes, les plumes volaient dans toute la maison, et
puis dehors, et puis tout partout, jusque sur les mornes voisins.
On avait brûlé douze caisses de bougies, la nuit ; ils mouraient de fatigue tant
ils s'étaient hâtés, et ils cherchaient encore, toujours, des plumes, toujours, pour
les coller sur le corps de l'oiseau.
Il lui en manquait...
Alors il les pressa, chanta vite, vite ; ses yeux brillaient : le jour allait venir.
Mais ses yeux les magnétisaient 17, et ils recouvraient de nouvelles forces.
L'oiseau s'étant bien secoué, trouva enfin son compte ; il chanta plus vite :
La bête était pressée. Il fallait arriver au bois avant le jour Eux se tuaient de
courir tant elle avait hâte d'être posée sur la branche où ils l'avaient trouvée.
La famille ne demanda pas son reste : elle s'enfuit si vite que l'aube ne la sur-
prit pas dans le bois.
Et depuis ce jour Madame laisse un peu plus souvent la paix à Monsieur, car
Monsieur saurait bien lui dire :
17 Té ka fait la maniétise.
LAFCADIO HEARN, Trois fois bel conte... (1939) 49
PÉ-LA-MAN-LOU
- Bo-bonne fois...
Sa mère, sa Da 18, le grondaient sans cesse, mais en vain... Pour être un par-
fait mulet, il ne lui manquait que deux grandes oreilles.
On lui avait prédit toutes sortes de misères. Le chien lui-même, de loin, les
voyait venir.
Pour lors, un jour qu'il faisait beau, il partit à la promenade avec sa mère, em-
portant une flûte qu'on lui avait offerte au jour de l'an.
Quand il fut las d'en jouer il la posa sous une pierre au bord de la route et se
mit à gambader.
18 Da : nourrice.
LAFCADIO HEARN, Trois fois bel conte... (1939) 50
Ils marchaient depuis longtemps déjà... Et l'enfant se rappela qu'il avait oublié
sa flûte.
- Retourner dans le bois à cette heure !... Tu n'y penses pas, mon fils ! Tu n'y
rencontrerais créature du Bon Dieu.
Mais elle n'avait pas tourné le dos qu'il filait comme une flèche.
« J'ai bien le temps, pensait-il ; je n'ai pas les jambes d'un poulet, moi. »
La Nuit !!!
Pour lors il se sent défaillir en voyant s'arrêter devant lui, barrant la route, un
Cheval qui porte deux cornes immenses.
Le Cheval parle :
- D'où viens-tu, mon petit bonhomme ? A cette heure, les enfants doivent être
rentrés chez eux, près de leur mère.
« Plam ! »
Il n'avait pas fait dix pas qu'il entendait souffler comme un vent de tempête.
- Que fais-tu dans les bois à ces heures, marmouset ? Tu n'as donc pas de mè-
re ?
19 Lafcadio Hearn a d'abord écrit : chanté, puis, à la- suite, Il a mis entre crochets
[soufflé ?].
LAFCADIO HEARN, Trois fois bel conte... (1939) 52
« Plam ! »
C'était un bon diable aussi celui-là ; peut-être avait-il des enfants à la maison ;
et il pensa peut-être à eux.
- Passe ton chemin, mon fils, le plus beau est encore derrière.
L'enfant courut de plus belle, vite, toujours plus vite. Les pieds touchaient la
tête.
Pour lors il entendit un grand craquement dans les halliers : un grand désor-
dre, comme un tremblement de terre.
Que vit-il ?
La-Bête-à-sept-têtes.
Elle avait quatorze yeux qui lançaient éclairs et tonnerre. Ses dents étaient
longues comme les bambous du Morne-Rouge. La queue faisait sept fois le tour
du corps et puis, encore et derrière, traînait sur sept grandes lieues.
C'était la fin.
Elle tourna la ronde autour de lui, parla, et ce fut comme un grand vent.
Pourtant, comme l'avaient fait les autres, elle demanda au marmot de chanter.
LAFCADIO HEARN, Trois fois bel conte... (1939) 53
Lui n'arriva pas au bout de sa chanson. La Bête l'attrapa, et, de ses sept lan-
gues...
Flouara !
Elle l'avala.
La mère, au bon matin, ne trouva pas seulement le plus petit os, à côté de la
flûte cause de tout le mal.
Elle pleura.
LA BLEU
- Bo-bonne fois...
Ses parents, des nègres senneurs 20, possédaient de beaux filets et un beau ca-
not pour pêcher leur poisson. Sa mère ne l'aimait pas outre mesure, lui préférant
un petit frère qui était tout joli.
Chaque jour que Dieu fait le jour, la mère envoyait ses deux enfants chercher
de l'eau dans deux petites calebasses.
Or, cette année-là, il avait beaucoup plu. Les sources étaient troubles, mais la
mère n'en voulait rien savoir. En vain ces pauvres enfants cherchaient-ils de l'eau
claire ; elle les battait à leur retour.
Pour lors, Totoye, une fois, versait de grosses larmes au bord de la mer en
pensant à la fessée qui l'attendait à la maison.
Pla, pla, plapp, entendit-elle sur le sable et vers elle accourut un beau poisson.
- N'aie pas peur, ma fille, lui dit-il... Je ne suis pas méchant ; je ne te ferai au-
cun mal.
« On m'appelle La Bleu parce que mes ailerons, et puis ma queue sont de cette
couleur. Si tu veux m'aimer, si tu veux me promettre le secret, chaque jour je te
donnerai une calebasse d'eau aussi pure que le cristal, Chaque jour, de bon matin,
je serai là ; tu chanteras la chanson que je t'aurai apprise et tu me verras sortir au-
dessus des eaux. »
Il prit la calebasse 21, en fit un petit trou dans l'eau, et la lui remit toute pleine
d'une eau si bonne qu'elle semblait dire : buvez-moi !
La fillette aimait déjà ce poisson qui était si bon pour elle : elle l'embrassa sur
ses deux gros yeux.
Alors le Poisson lui apprit à l'appeler pour qu'il pût la rejoindre sans se trom-
per.
Son frère la vit revenir avec la bonne eau claire. Il se tourna, se retourna avant
de lui demander où elle l'avait trouvée.
Totoye ne voulait rien dire. Elle savait qu'il n'avait pas une bonne âme. Com-
me tous les enfants gâtés celui-là faisait le malheur de ses amis.
Elle arrivait, oui, elle arrivait, quand elle entendit des pas derrière elle ; c'était
son frère qui la suivait.
- Retourne donc chez nous, mon fils, je n'ai pas besoin de toi ici. Va-t-en, va-t-
en donc.
L'enfant se fit câlin. Il savait la grande bonté de sa sœur, et il savait aussi que
Totoye était un petit brin sotte.
Totoye était un petit brin sotte, - pour ne pas dire beaucoup. Son frère, lui,
avait de l'esprit pour deux.
« La Bleu, La Bleu,
« Vini pou moin ainmein ou
« La Bleu, La Bleu,
« Pou moin caressé ou ! » 22
Un éclair n'aurait pas fini de luire que dans l'écume légère, sur l'eau agitée,
apparaissait le Poisson.
Il était plus beau que jamais, tant lui était douce cette jeune amitié.
Elle le caressa, l'embrassa, le peigna, lui donna les douceurs qu'elle avait ap-
portées.
Quand ils eurent fini d'échanger leurs tendresses, le Poisson prit la petite cale-
basse, fit un léger plongeon. Et puis, il rapporta une belle eau claire qui venait de
loin, de loin, du lointain horizon.
22 « La Bleu, La Bleu,
« Viens pour que je t'aime,
« La Bleu, La Bleu,
« que je te caresse ! »
LAFCADIO HEARN, Trois fois bel conte... (1939) 57
Le soleil montait. Totoye voulait rentrer au bourg. Elle embrassa La Bleu une
dernière fois.
Le petit frère n'avait rien perdu de ce qui s'était passé - vous vous en doutez
bien. - Tout le long de la route, pour ne pas l'oublier, il faisait danser dans sa tête
la chanson qu'il avait entendue.
- Ah ! non, Sésé ! Il faisait si noir ! Vois donc ! Mes yeux pleurent à la lumiè-
re.
Un peu plus tard Totoye s'en allait travailler dans les champs.
La mère le crut sans hésiter car, en ce temps-là, le Diable courait les bois : il
ne s'était pas encore fixé en Enfer.
Elle en fit part à son mari. Celui-ci ne vit, dans toute l'histoire, qu'un beau
poisson à prendre.
La fillette revenue, on lui apprit la nouvelle. Elle pleura sur sa pauvre marrai-
ne qu'elle aimait beaucoup. De son linge elle fit un baluchon vite attaché, dit bon-
soir à ses parents et s'en fut passer la nuit chez sa marraine.
C'était bien loin ; mais Totoye marchait vite, vite. Elle pouvait arriver là-bas
avant le coucher du soleil.
Totoye était une enfant pieuse. Elle avait un chapelet dans une bourse qu'elle
portait à son côté. Elle fit une petite croix sur le sable avec une liane, y accrocha
son chapelet, se disant -
Elle n'était pas fine, cette enfant, je vous l'ai déjà dit.
Avant la nuit tombée, elle arriva chez sa marraine, qui fut heureuse de la voir,
mais qui n'était point malade, point.
- C'est sans doute une commission mal faite, chè ti doudoux, mais je suis bien
contente de te voir.
Sur les pas mêmes de Totoye, maman, papa et le frérot aussi, sortaient leurs
engins, tous les engins possibles : grosse hache, gros coutelas, gros harpons, cor-
des grosses comme le bras.
La nuit leur avait paru longue, longue, longue, et ils s'étaient réveillés très tôt.
LAFCADIO HEARN, Trois fois bel conte... (1939) 59
« La Bleu, La Bleu,
« Vini pou moin ainmein ou !
« La Bleu, La Bleu,
« Pou moin caressé ou ! »
Elle chanta
« La Bleu, La Bleu,
« Vini pou moin ainmein ou !
« La Bleu, La Bleu,
« Pou moin caressé ou ! »
Alors il chanta .
« La Bleu, La Bleu,
« Vini pou moin ainmein ou !
« La Bleu, La Bleu,
« Pou moin caressé ou !... »
L'eau bouillit, une belle écume s'étala et parut le plus beau poisson que l'on vît
jamais.
Vous savez, vous autres, que devant les poules le cafard n'a jamais raison... Eh
bien ! en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, ils tombaient sur ce poisson à
bras raccourcis.
La pauvre bête eut beau se débattre. Papa savait son métier. Il la découpa à
grands coups de hache... elle se refroidit.
Ils en vendirent tout ce qu'ils purent, et puis ils en salèrent, ils en rôtirent, fi-
rent court-bouillon, friture, et il leur en resta de quoi manger pour plusieurs jours.
Vous vous souvenez que la fillette avait trouvé sa marraine en parfaite santé.
Pour lors, elle ne voulut point s'attarder ; le lendemain même elle revenait chez sa
maman.
Non loin de la maison, elle regarda la mer, et la mer lui parut d'une couleur
incertaine : on eût dit du sang.
Sa mère lui donna de quoi manger : elle avait grand faim. Tout d'abord, elle
mangea avec appétit, mais, au poisson, les bouchées lui échappèrent et tombèrent
à ses pieds.
Totoye devint pâle, pâle ; elle sentit son coeur l'abandonner. Elle partit en cou-
rant vers la mer, comme une folle.
Vous auriez pensé à la voir que Totoye avait le Diable à ses trousses.
« La Bleu, La Bleu,
« Vini pou moin ainmein ou !
« La Bleu, La Bleu
« Pou moin caressé ou ! »
Pour lors, un petit bout de queue qui avait échappé au massacre sauta devant
elle, plein de reproches.
C'était fini. Jamais plus elle ne reviendrait chez ceux qui avaient tué son bel
ami.
- Pauv' La Bleu ! Il m'aimait tant sur la terre !!! La case de sa marraine était
trop loin...
Le Cheval répondit :
- Non, Manzelle, non, Manzelle, vous êtes trop jolie fille, je ne peux pas vous
tuer.
Elle pénétra plus avant dans les bois : la lune n'était pas levée.
- Lion, Lion, vite, tuez-moi 1 Mon beau Poisson n'est plus ; le monde n'est
rien pour moi.
Le Lion regarda toute cette tristesse, - pourtant, la bête n'est guère sensible.
La petite chanta :
- Lion, ô Lion, ô vite, tuez-moi !! Mon beau Poisson n'est plus. Le Monde
n'est rien pour moi.
Le Lion, comme vous savez, n'est pas bête patiente : il eut peur que cela ne fi-
nît mal pour la fillette. Il s'en alla au plus vite, la laissant toute seule.
Son désespoir grandissait tandis qu'elle s'avançait plus avant, au fond, au fin
fond des bois.
- Léfant, ô Léfant, vite tuez-moi ! Mon beau Poisson n'est plus. Le monde
n'est rien pour moi !
L'Éléphant avait hanté bien des bois, mais il n'avait jamais entendu pleurer un
enfant.
L'Éléphant, vous savez, est une bête de poids. Il ne se déplace pas aussi aisé-
ment qu'il le voudrait. Pour lors, il dut rester là, lui, après sa réponse.
Mais elle l'importuna tant et tant, elle chanta tant et tant de fois :
- Léfant, ô Léfant, ô vite, tuez-moi ! Mon beau Poisson n'est plus ; le monde
n'est rien pour moi !
Elle répondit :
- J'ai du chagrin.
- Je n'en ai jamais eu, fit-il, mais je sais, pauvre ma fille, que c'est un plat que
l'on ne digère pas, c'est une gale qu'on ne guérit point. - S'il te plaît, je veux bien
t'aider. Passe donc derrière moi...
NANIE ROZETTE
- Bo-bonne fois...
Par la bouche, le Diable nous mène droit en Enfer, quand il lui plaît.
Il y avait une fois une fillette aussi vorace qu'un congre. Sa mère l'avait gron-
dée, l'avait battue comme plâtre ; en vain. Elle ne l'avait point guérie de ce vilain
défaut.
Manger ? Quelle affaire ! Surtout si l'on s'avisait de vouloir partager son dîner.
Une de ses petites voisines, un jour, était venue passer la journée chez elle.
Manzelle remplit son assiette de toutes sortes de bonnes choses : migan, avo-
cats et farine manioc, court-bouillon-crabe cirique, poingole 23, morue et chatron
en pimentade ; et s'en alla hors de la maison chercher la solitude
Enfin, enfin, elle trouva loin, loin, loin, au creux d'un ruisseau, un rocher
grand comme une maison.
Assise là, bien comme il faut, elle mangea son content ; personne n'allait ve-
nir, si haut, lui demander ses miettes.
Le beau spectacle !
Accourez tous...
Manzelle ne pouvait plus bouger : elle était collée sur le rocher, collée à la
colle forte.
24 Je lis, dans le manuscrit, parot ; sans doute est-ce le mot anglais lui-même
(parrot) que Lafcadio Hearn aura employé. Ce mot, à ma connaissance, n'ap-
partient pas au vocabulaire des Antilles françaises. Il était en usage dans les
Antilles anglaises il n'y a pas un siècle, et à la Nouvelle-Orléans, où Lafcadio
Hearn peut l'avoir entendu.
LAFCADIO HEARN, Trois fois bel conte... (1939) 66
Une chance pour elle : elle avait une Maman ; C'est un bâton, celui-là, qui
jamais ne nous casse dans la main.
Pour lors, sur le tard, la maman de Nanie ne la voyant pas revenir, s'en alla
battre les bois.
- Ah, pauvre petite, c'est donc cela que tu as fait de ta journée ! Te voilà mon-
tée sur la Roche du Diable ; quel malheur ! mon enfant !
Nanie éclate en sanglots. Elle voudrait se dresser, elle ne peut. Des rafales de
larmes lui coulent des yeux.
- Ne fais pas de sottises, lui dit-elle. N'ouvre la porte à personne.À moi seule
tu ouvriras quand tu entendras ma chanson.
Elle revint chez elle. Demain, au petit jour, elle serait là.
Aussi bien, la nuit venue, le Diable retourna à son rocher. C'est là que se fai-
sait le Sabbat : la ronde de Satan ; là que s'assemblaient Zombi, Soucouyan,
Loup-Garou, Agoulou.
Il fit trois fois la culbute ; de sa queue, comme d'un fouet, il cingla la chau-
mière ; fit la voltige, planta ses cornes dans la porte, débita tous les kyrie de l'En-
fer...
Et disparut.
« Nanie Rozette,
« Moin di ou,
« Nanie Rozette,
« Dita Rozette,
« Dita Rozette,
« C'est moin Nanie ;
« Bagui di, bagui di, quin !
« C'est moin, Nanie ;
« Dita Rozette, dita Rozette
« C'est moin, Nanie. »
L'enfant ouvre la porte sans tarder : Maman l'embrasse, lui donne à manger, la
peigne, la console de toute son âme, lui répète ses recommandations, et s'en va,
l'esprit tranquille.
Mais, vous autres, le Diable n'était pas loin... Il était là, sous la main, tassé
dans une touffe de bambous. Il avait tout vu, tout entendu. Et il riait dans sa barbe.
Sa langue, il l'affilait.
« Nanie Rozette,
« Moin di ou... »
Mais la voix du Diable, une grosse voix, une voix rauque !!!... L'enfant n'était
pas si bête. Elle se dit en elle-même :
et n'ouvrit point.
Le Diable, mes amis, partit à toute vitesse chez le forgeron, chemin de Cro-
che-Mort :
Le forgeron prend son plus gros marteau ; il frappe, il frappe... à n'en pouvoir
plus.
Alors, il chante :
« Nanie Rozette
« Moin di ou,
« Nanie Rozette
LAFCADIO HEARN, Trois fois bel conte... (1939) 69
L'enfant comprit - ce n'était pas sa mère. La porte resta fermée : dur comme
clou.
Lui, ne voulait pas perdre son temps. Il pouvait encore... le soleil était haut.
La langue du Diable ?
Quelle joie 1 Il donne l'argent promis et s'en va ; il file, vite, vite, vite.
« Nanie Rozette,
« Moin di ou,
« Nanie Rozette
« C'est moin, Nanie ! ... »
Quand arriva la mère, la minute d'après, elle ne trouva qu'un lambeau de robe,
et un tout petit os qui lui raconta l'aventure.
Elle pleura, comme seule une maman sait pleurer son enfant.
VARIANTES
VARIANTES DE NANIE ROZETTE
Lafcadio Hearn indique deux variantes dans son manuscrit. Je les reproduis
littéralement
Première variante.
Selon une autre version le péché mignon de Mlle Nanie c'était la coquetterie.
Sa mère l'envoie à la fontaine pour de l'eau : au lieu de se hâter elle s'assise sur
une roche pour s'admirer dans un petit miroir qu'elle porte dans sa poche. La ro-
che, c'est la « roche Grand-Diabe ».
Deuxième variante :
Selon une autre version le, forgeron avertit le Diabe qu'il ne faut pas mangé
rien avant le temps de chanter ; mais le Diabe, ayant faim, mange « Yon Zanoli ».
Tout de suite sa voix devient épaisse.
LAFCADIO HEARN, Trois fois bel conte... (1939) 72
L'histoire de la Roche du Diable est populaire à la Martinique ; elle m'a été ra-
contée dans mon enfance.
La jeune fille, pour une raison quelconque, a désobéi à sa mère et s'est assise
sur le rocher fatal autour duquel on construit une maison. Dans la version que je
connais le mieux ses parents la délivraient de son agresseur.
LAFCADIO HEARN, Trois fois bel conte... (1939) 73
NOTES
ET COMMENTAIRES
Balisier : ...quand il arriva aux balisiers... (Soucouyan).Ce sont les petits bois
ainsi appelés pour les distinguer des grands bois. Des multitudes de balisiers, de
goyaves sauvages se mêlent aux petits arbustes qui poussent de chaque côté du
chemin. De belles fleurs croissent ici... de jolies fleurs rouges. (Contes des Tropi-
ques : La Pelée.)
Bâton lélé :..Elle saisit le pilon d'un mortier, un gros bâton lélé (Soucouyan).
Cyrillia prend une noix de coco verte, elle en tranche un côté de façon à faire un
trou béant et elle verse ensuite l'eau opalescente dans un bol ; elle y ajoute alors
un oeuf frais, un peu de genièvre, de la muscade râpée et beaucoup de sucre. En-
LAFCADIO HEARN, Trois fois bel conte... (1939) 74
suite, elle bat ce mélange avec un bâton lélé. Le bâton lélé est un article de cuisi-
ne indispensable dans tout ménage créole : c'est une branche à plusieurs rameaux
qui pointent à angles droits comme les rais d'une roue. En faisant tourner rapide-
ment ce bâton entre les doigts, on mélange le breuvage instantanément. (Conte
des Tropiques. Ma bonne.)
Bel air : ...Bon Dié, mon maître, vous demande votre grand tambour bel air.
(Conte Colibri.)
Blip, blip : …Il le fait sonner blip, blip, blip, blim, blim. (Conte Colibri.)
Le bruit du tambour bien joué exerce un pouvoir farouche qui produit et do-
mine toute l'exaltation de la danse. C'est un roulement double et compliqué qui
s'élève et retombe d'une façon toute particulière. Les onomatopées créoles, blip,
blib, blib, blip, ne rendent pas exactement ce roulement, car chaque blip ou blib
représente vraiment une série de sons qui se succèdent trop rapidement pour être
imités par un langage articulé. (Esquisses : La Grande Anse.)
Bo-bonne fois : ...paroles traditionnelles qui annoncent que le conteur est prêt
à parler. (Youma.)
Mais voici la bande des « Intrépides » qui jouent la bouéné. C'est un air de
danse et c'est aussi le nom d'une façon de danser particulière et effrénée. Les dan-
seurs s'avancent en vis-à-vis ; ils s'étreignent, se pressent et se séparent pour
LAFCADIO HEARN, Trois fois bel conte... (1939) 75
s'étreindre de nouveau. C'est une danse fort ancienne, d'origine africaine. C'est
peut-être la même dont le Père Labat écrivait, en 1722 :
« Cette danse est opposée à la pudeur. Avec tout cela elle ne laisse pas d'être
tellement du goût des Espagnols créoles de l'Amérique, et si fort en usage parmi
eux qu'elle fait la meilleure partie de leurs divertissements, et qu'elle entre même
dans leurs dévotions. Ils la dansent même dans leurs églises et à leurs proces-
sions ; et les religieuses ne manquent guère de la danser la nuit de Noël, sur un
théâtre élevé dans leur choeur, vis-à-vis de leur grille qui est ouverte, afin que le
peuple ait sa part dans la joie que ces bonnes âmes témoignent de la naissance du
Sauveur. » (Esquisses Martiniquaises : La Vérette.)
Cirique : V. Matété-cirique.
Coui : Il prit le coui de l'enfant (La Bleu) : ... une espèce de guitare faite d'une
demi-calebasse ou. coui, et recouvert d'une peau quelconque. (Esquisses : La
Grande Anse.)
LAFCADIO HEARN, Trois fois bel conte... (1939) 76
Coulivicou : Le nez du pauvre coulivicou lui était tombé sous la main (Yé).
Coulivicou ou colin-vicou est un oiseau du pays qui a l'air taciturne, triste, avec
un bec énorme, à proportion de son corps. (Note de Lafcadio 1-learn. Mss. de Yé.)
Maig comm yon coulivicou (maigre comme un coulivicou) est une comparai-
son populaire pour décrire une personne très amaigrie par la maladie. (Conte des
Tropiques : Yé (note).
sombre mère-esclave qui lui donnait tous ses soins, le dorlotait, le baignait, lui
apprenait le doux et mélodieux parler des nègres, lui racontait le soir de merveil-
leuses histoires populaires, l'endormait au son des berceuses, et, en somme, se
tenait nuit et jour prête à accomplir son moindre désir (Youma). C'est la nourrice
noire qui, la première, lui apprend à embrasser, à prononcer des mots : Maman,
Da, Papoute, à exprimer ses pensées puériles dans le plus doux roucoulement qui
fut jamais murmuré par des lèvres humaines - le parler créole. C'est la Da qui, la
première, fait frémir et épanouir son imagination d'enfant avec des histoires im-
possibles... (Un voyage d'été aux tropiques.)
Engagé : Il lui fit croire que Toloye était engagée avec le Diable (La Bleu). La
croyance populaire veut que certaines créatures ailées, qui volent autour des bou-
gies la nuit, soient peut-être des engagés ou des envoyés de mauvaises gens qui
ont le pouvoir de se transformer ou même des Zombis envoyés par les sorciers
pour faire du mal. (Conte des Tropiques : Ma Bonne.)
Farine : ... une calebasse remplie de farine (Yé). La farine de manioc fait par-
tie de tout repas créole... La racine du manioc est un poison et les éléments toxi-
ques doivent en être retirés par la pression et la dessiccation avant qu'on puisse la
moudre en farine. La farine de manioc de bonne qualité ressemble à la farine
d'avoine très grossière ; elle est sans doute aussi nourrissante. Même lorsqu'elle
devient aussi coûteuse que le pain on la préfère encore ; elle sert de pain à toute la
population pour qui le mot de farine ne signifie que la farine de manioc. Si l'on
LAFCADIO HEARN, Trois fois bel conte... (1939) 78
Figues : ...Un ou deux régimes figues (Yé). Ce que nous appelons des bananes
aux États-Unis n'est pas connu sous ce nom à la Martinique : on les appelle des
figues. Ici, ce sont les plantains qui sont dénommés bananes. Si vous voulez dési-
gner de vraies figues, figues séchées, il faut dire figues-Fouance (figues de Fran-
ce) ; autrement personne ne vous comprendra. Il y a ici plusieurs sortes de bana-
nes appelées figues : les quatre espèces les plus recherchées sont les figues-
bananes ou plantains ; les figues makouenga, qui poussent dans les bois et qui ont
la peau rouge ; les figues-pommes, qui sont très grandes et jaunes, et les yi-figues-
dessè, petites bananes de dessert... (Conte des Tropiques.)
La Caravelle : ...La Roche La Caravelle (Yé). ...de l'autre côté de l'île, sur les
hauteurs de La Caravelle, ce long promontoire qui s'avance, à trois lieues dans la
mer, au sud du port de la Trinité. (Esquisses.)
Matété -. V. Couscaye.
Nuit (La) . La crainte de la nuit est souvent exprimée dans ces légendes popu-
laires comme dans tous les récits antillais de Lafcadio Hearn, qui écrit, par ail-
leurs : Dans presque tous les pays, la nuit amène à sa suite des mystères et des
illusions qui terrifient certaines imaginations. Mais dans les Tropiques et notam-
ment à la Martinique, la nuit produit des effets particulièrement impressionnants
et particulièrement sinistres... Dans le nord, un arbre est simplement un arbre ; ici
c'est une personnalité qui se fait sentir ; il possède une vague physionomie, un
moi indéfinissable. C'est un individu. C'est un Être. A mesure que la lune monte,
des obscurités fantastiques venues des hauts bois descendent sur les routes, pro-
cession interminable de fantômes.
Pelée (La) : Les tripes gonflées étaient aussi hautes que la montagne Pelée
(Yé). V. dans Contes des Tropiques : La Pelée.
LAFCADIO HEARN, Trois fois bel conte... (1939) 81
Razié : Comme on traîne un chien crevé jusqu'aux raziés (Yé) …une désola-
tion d'arbustes nains. Les créoles appellent cette végétation le razié ; en fait, ce
n'est que la prolongation de la jungle basse qui tapisse les hautes forêts d'en bas,
avec cette différence : c'est qu'il y a moins de plantes et plus de fougères.
Rouge (Morne) : Ses dents étaient longues comme les bambous du Morne-
Rouge (Pé-la-man-lou). Plusieurs routes mènent de Saint Pierre à la Pelée. La
plus fréquentée est celle qui passe par Morne Rouge. ...Ici, point de bois, rien que
des champs. La coutume locale de planter des haies de roseaux au feuillage d'un
rouge sombre, prête une note pittoresque au paysage, et on remarque une préfé-
rence bien visible pour des plantes aux feuilles cramoisies. (La Pelée.)
Ton-ton bananes : ...un gros tonton-banane (Yé) : des bananes bouillies dans
du lait, écrasées ensuite dans un mortier (Mss. de Yé, note).
Volants : ... quelques volants frits (Soucouyan). ... Les volants, grands pois-
sons volants pourpres, à la panse d'argent, aux nageoires transparentes comme des
ailes de libellules. (Esquisses.)
Zanoli : Le diable ayant faim mange un anolis (Mss. de Nanie Rozette, note),
des oeufs de zanoli, petites choses ovales très douces, d'où les petits lézards sor-
tent tout vivants à mesure qu'on ouvre les coquilles.
Zombi : ... l'heure où Zombi galope dans les halliers (Pé-la-man-lou) Zom-
bi !! Le mot est plein de mystère, même pour ceux qui le créèrent. Les explica-
tions de ceux qui le prononcent ne sont jamais bien lucides ; ce mot semble éveil-
ler des idées sombrement impossibles à définir - des imaginations appartenant à
l'esprit d'une autre race, et d'une autre ère, inconcevablement ancienne. - Zombi...
... Lutin, l'un n'est pas entièrement traduit par l'autre. Tous deux ont cependant un
point commun : cette région du surnaturel qui est le plus primitif et le plus va-
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gue... Ces craintes que nous disons puériles, de l'obscurité, des ombres et des cho-
ses rêvées. Cette forme de cauchemar dans laquelle les personnes qui vous sont
les plus familières se transforment, lentement, hideusement, en des êtres malveil-
lants. En conséquence le nègre créole redoute tout ce qu'il rencontre de vivant sur
une route déserte, après la tombée de la nuit : un cheval errant, une vache, un
chien. (Contes des Tropiques.) Voir aussi Esquisses Martiniquaises (La Guiables-
se ; Un revenant.)
LAFCADIO HEARN, Trois fois bel conte... (1939) 84
TEXTE ORIGINAL
Nous reproduisons donc l'original antillais tel que Lafcadio Hearn l'avait pré-
paré pour l'impression.
Après notre trahison, c'est le meilleur hommage que nous puissions rendre à
son genie.
LAFCADIO HEARN, Trois fois bel conte... (1939) 85
TEXTE ORIGINAL
CONTE COLIBRI
« Bo-bonne fois...
Té ni longtemps, longtemps,
- « Chouval mon fi, ou ké allé oti Coulibri, - ou ké mandé li pou moin grand
tambou y prêté. S'y pa lé ou' a goumein épi y -
- « Bonjou, Coulibri. »
- « Bonjou, Chouval. »
Aloss, Crapaud jambé tambou-là ; y fai y resonné - Clip, Clip, Clip, Clim-
Clim : y commencé chanté
« Bambous-lé-bois, bambous-lé-zombis
« Tambingoua ;
Chouval caiyé : y metté pié cochons derho, bien vite, ou tenne ! Magré y té
aveuge y rivé oti Bon-Dié, pou fai y ouè ça ti bête-là té ka fai y.
26 Quand, barré dans le texte, a été remplacé par temps, à la correction. A part
Aliquio et les trois notes visant l'établissement du texte, toutes les notes appar-
tiennent au Mss.
27 Autre version (conm pour les zombi ?)
- Ingoui, ingoua, gomboulé zombi
Bain ou lé ga, goniboulé zombi
Ingoui, ingoua ; bain si gouin ; timb min goui ; tamb min goua.
Bann si moin prêté pourenne.
28 Aliquio est un personnage légendaire ; le héros d'une chanson comme Cadet
Roussel et Jean de la Lune (communiqué par Flavia Léopold).
LAFCADIO HEARN, Trois fois bel conte... (1939) 87
— « Bonjou, Coulibri. »
— « Bonjou, Bèf. »
— « Bon-Dié, maîte moin ka mandé ou grand tambou bélai ou prêté. »
Coulibri pa mênm réponne li : y fai anni voyé assou y. Avant mênm Bèf-à té
ni temps garé cô li, dé zié y té ja sôti tête li.
—« Ingoui-ingoua, gomboulé-zombis,
Bambous-lé-bois, bambou-lé-zombis
Ingoui-ingoua, bamsiboin, tambangoui, tambingoua,
Timb si moin prêté pou renne. »
Fois tala, goumein-là pa té ka duré yon tac. Pauv Béf, y pàti conm Chouval-à ;
y pouend cououi sans pouend lhaleine joug y rivé oti Bon Dié yé. Bon Dié té fa-
ché ; y té encolè conm toutt ; y roulé tonnè, épi y crié ; Pouesson-Armé vini. Y
voyé Pouesson-Armé goumein épi Coulibri. Pouesson-Armé pàti. Tala té su zaffai
y.
A pà, Coulibri-à pa té bien pôtant : y té ka peïd en pile plimm adan cône Béf, -
épi Bèf-à té ka blessé y 'tou enba zaisselle. Sitôt y ouè PouessonArmé vini, y senti
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yon ti fouète passé dans cô y ; poutant y pa té quitté moune ouè ayen. Zautt save ti
bête-la y conm yon ti Céza : y réponne bête-à-piquants-là épi yon ti lai sû : -
- « Bonjou Pouesson-Armé. »
Pouesson-Armé, y roulé conm yon boule piquant ; - y foncé zié y, ép'y voyé
assous Coulibri.
Bambous-lé-bois, bambous-lé-zombis. »
Zanmis, pou moin di zautt frayeu Crapaud-à, moin pas capab. Li pouend
cououi - li cououi si vite, lakhé y té rété pris enba tambou-là.
YÉ
« Bo-bonne fois...
Qui moune, dans toutt pays tala, qui pa connaitt yon vié nègue yo té ka crié
Yé.
Y té tini toutt difauts assous latè : feignan, goumand - vorace pou miè di. Y té
ni yon rafale yches ; -toutt ça té ka mouri faim.
Dépi li té toutt jeine gàçon, Pou-d-Bois té prédi li malhé, pou yon zaffai yo té
tini ensembe.
Ça té yon jou Yé té batt yon pauv ti nègue anni pou pouend mangé li ; épi
apouès ça, y té penne li pa chevè li adans yon bouanche pié-bois coté là.
Pauv boug la crié tellement fô, - ouill papa ! A fôce y té crié, Poud-bois té vini
soucou li. Poudbois té ka fai procession yo ; - yo té ka chanté
Kian-kian ! »
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— « Baron-baron, tonton-tolombé-lomba
Azon-zon-zon : ba li coté, kian-kian-kian.
Kuian-kuian-kuian. »
y té ka volé toutt mangé-à. Pouloss Poud bois là pa té ni pou mangé anni bois :
ça fai yo enragé pace bêtes-là pa ka badiné côté bouche yo. Yo baill malédiction
yo assous Yé, - croupion yo lévé, - ça pôté malhè assous goumand là. Yo toutt
pàti eneôlè ; - pôutant yo marché doucement toujou, épi yo chanté toujou, -
Dépi ça, temps mâché ; - en pile dleau passé enba pont. Yé vini vié ; mais y pa
corrigé pou ça : y té pitett plis goumand encô. - « Maman ka di nou malédiction
ka toujou suivi. » C'est ça qui arrivé épi Yé.
Yon bon matin, Yé ta ka promené, - châché yon bon laubaine pou metté enba
dents y - y tenne toutt près baggaïe pété. Y vancé pou ouè : té ni yon gouôs diabe
la qui té limé yon gouôs difé. Y té ka fai tchuite en pile calimaçon pou mangé
Yé gadé li bien : y ouè dé zié diabe-là té coqui. Diabe-a té ka quimbé yon ca-
lebasse, qui té plein farine, la mori, - en pile, en pile piment ! Y té ka paraitt faim :
toutt ça té ka passé vite, vite dans guiôle y. Yé té si, si goumand, y pa té capabe
tienne douvant féroce-la 30. Y veillé vié diabe-la ; et pou chaque moceau diabe-la
té ka metté enba dent, Yé te ka pouend pou y mênm 'tou, - vié diabe fai conm si y
pa té compoend piess. Tout à coup, quand y fini mangé, y sauté assous lanmain
Yé, épi crié y : -
... Toutt pauv yche-là ka ouè papa yo rivé évec yon gouos baggage assous dos
y. Yo té couè, ça té pitêtt yon sac pain, ou bien légume. Toutt dents yo té 'ja der-
hô : yo té ka dansé... Mais quand Yé té proche, - quand yo té pè ouè ça y ka pôté
vini, yo toutt couri serré yo conm souri adans trou.
Pa té ni moyen metté yon ti zouque mangé enba dent : toutt famille-à té éti-
que. Quand manmanlà té ka bien préparé mangé pou yche li - pauv fenm ! - pata-
tes, fouitt à-pain, vié Diabe là té ka lévé ; -épi li té ka crié : -
Y té ka di yo : -
30 Féroce, c'est lamori, épi farine (manioc), épi en pile piment, épi zabocats.
31 Saff : c'est goùmand.
32 Excepté, barré, a été remplacé par Anni.
LAFCADIO HEARN, Trois fois bel conte... (1939) 92
- « Gobe-moin ça ! »
Yé pàti bonhè, bonhè - yon bon matin, au pipiri du jou. Y màché, y màché, y
mâché, - joug y rivé enlai Mône-Lacroix : Y cogné assous ciel ; - y crié Bon-Dié
qui réponne li
- « Ca ou lé, Yé ? »
- « Moin ja save pou ki ou té vini ; - mais mon pauv' Yé, m'a beau baill ou re-
mède-là ; - ou pa ké capiche 33 fai y. Voracité ou ké toujou peid ou. Songé Poud-
bois-à... Faudré ou pa mangé arien jus tems ou ka rivé case-ou enba Mône la.
Pouloss, quan y ké midi, et fenm ou ké fai bon mangé pou yche-li, y faut di,
menm lhè Diabela ka lévé - -
Mais y té doué passé yon bras larivié ; et assous bô la riviè té ni en pile pié-
gouyaves, qui té ka ri pou Yé. Y fai toutt possibe li pou y té quimbé bon ; mais
malediction Poud-bois té ka pousuive li toujou. Enfin Yé blié cô li ; y mangé tan-
que y té pé ; -toutt recommendation Bon-Dié té ka sôti dans tête li ; - épi apoués
gouyaves-là, y mangé encô prunes vète, zicaques, carata, - enfin tout ti vié co-
chonnerie sû li té pé trouvé.
Aussi quand toutt moune té bien contens - té couè yo sré délivré, - Diabe-là
lévé encô ! Yé té ni dents si agacé y pa té pé fai arien. Aulié di, - « Tam ni pou
lam ni bé » ; y pa tépé anni di : -
- « Gobe moin ça 1 »
Pa bonhé pou pauv fenm-là té ni, dans yche li, yon toutt ti bonhomme qui té
plis malin passé yon ratt. Yo té ka crié y « Ti Fonté » ; - li té ka bien pôté nom-là.
Quand y ouè manman y ka pleiré, y di y conm ça :
- « Manman, voyé papà encô lautt fois oti Bon-Dié ; - moin save ça qui ni pou
fai. »
Manman-là té connaitt bien la fôce yche-li ; - y save yche-li té tini yon malin-
terie enba parole-à. Y voyé mari-li yon dénié fois oti Bon-Dié.
Yé té ka pôté héreusement jou conm lannitt, fouète conm chaud, yon grand
zhabit yo ka crié lavalasse. Ça té ni dé grands poches. Quand Ti Fonté ouè papa li
ka châché pàti, li rentré floupe dans poche lavalasse-la ; - épi quand Yé té rivé
encô enlai Mône la Croix, piti là té metté zoreï-y derhô pou bien tenne toutt ça
Bon-Dié té ka di.
Bon-Dié bien crié fois tala encô deïé Yé. Mais conm li té si bon, y té pouend
lapeine répété encô yon fois : -
Ça pa peid pou toutt moune ; Ti Fonté té profité vite ; - y filé bien ti langue-li ;
y té ka songé manman-li épi ces pauv ti fouè-y qui té ka mô faim. Papa li descen-
ne conm lhabitide ; - y bourré cô li fouitt vète encô. Quand y rivé enfin, - quand y
tiré paletot-y dans caill là, Ti Fonté sauté à té plap ! -y couri oté manman li : -
LAFCADIO HEARN, Trois fois bel conte... (1939) 94
- « Paré bon baggaïe, manman ; toutt ké ta nou jôdi-à ; - Bon-Dié pa pàlé pou
arien. »
Aloss manman-là fai yon bel, bel calalou crabes 34, épi yon gouôs tonton-
banane 35, épi yon matété-cirique 36, quèques calebasses couscayes 37, yon ou dé
régimes-figues 38 : enfin y té fai yon grand diné, épi yon chopine tafia à côté pou
fête-là, conm yo ka di.
Diabe-là, qui té sù zaffai-y conm toujou, ka vini lévé quand yo paré mangé-à ;
mais Ti Fonté levé 'tou ; y crié toutt la fôce li : -
Diabe-là poussé yon cri ! - yon cri yo té tenne jouq dans fond lenfè, - ép' y
tombé raide mô.
Y pa té sé fai grand choïe ; aussi fenm-li té envi voyé-y dômi aulié quitté-y
mangé toutt bon baggaïe là. Mais fenm-là té si bonn fenm, magré ça, y quitté Yé
mangé, quan menm, épi yche li ; yo rété là rempli boudin yo jouq temps jou-levé
dimain matin. Pau piti !
- Mais quèque jou apouès, vié bon-à-rien-là té pàti souè-disant la chasse zibié.
Y té ni plein flèche pou ça. Lidée Diabe-là vini li ; - y te lé oué a qui point y té
yé ; Yé allé ouè :
Fouinq ! y senti yon gouos lodè ! Boudin Diabe-là té monté haut, - conm la-
montagne Pelée menm ; -y té toutt coulè ; - y té bleu, épi jaune, épi vète - tout
prêtt pété.
Yé, conm yon fouti sott, ka voyé yon flêche enlai qui allé planté jouq dans
lombrique Diabe-là. Aloss, conm y pa té lé peïd flèche-à, y monté tiré y, sôti bou-
din Diabe. Enfin, conm yon imb'cile, y metté flèche-à enba nez y, pou y senti ça, -
pou connaitt lodè Diabe-là bien.
- « Ah mon pauv' Yé, ou ké vive épi mô sott passé pèsonne ! Mais moin lé
renne ou 'nco yon ti sèvice ; moin lé débarrassé ou de ça.
« Dimain, bon matin, - tenne moin bien 1 - Avant jou lévé, ou ké pouend yon
grand taya 39 ; ou ké batt bois pou semblé toutt zibié ka pôté plimm jouq assous
Ouôche Lacaravelle 40. Là, ou ké di yo conm ça, que Moin Bon-Dié, moin lé yo
toutt ka pouend yon bain dans lanmè, - mais avant, faut yo tiré plimm-yo épi bec-
yo, et déposé yo bô lanmè-là. Pendent yo té baigné ou képé choisi yon nez adans
bec-là.
Yé, pauv Yé, y pa pède tems : y fai toutt suite ça Bon-Dié té di y ; - épi pen-
dent temps Zibié-à té dans dleau, y pouend yon nez dans pile-à ; épi y quitté pot-
te-raffinè y adans place li,
39 Taya : fouet.
40 Promontoire qui se trouve côté de l'est.
41 Coulivicou, ou colin-vicou, est un oiseau du pays qui a l'air taciturne, triste,
avec un bec énorme à proportion de son corps.
LAFCADIO HEARN, Trois fois bel conte... (1939) 96
SOUCOUYAN
« Bo-bonne fois...
Té ni yon fois yon pauv nhomme qui fait lépreuv là. Cété yon bien bon
nhomme : li té maïé. Zautt toutt comprenne déjà fenm li pa té vaut grand choïe : y
té mauvais conm yon gale-sept ans. « Bon chien pa ka janmain tombé assous bon
zô. »
Enfin yon bon jou, soleï té ka quitté lhorizon ; toutt bête déjà ka dômi ; lanuitt
té ka tombé. Femme là té di mari li : -
42 Lafcadio Hearn hésite entre les deux mots. Il avait écrit d'abord gibier ; il met
en surcharge zibié ? et à la suite zouéseau ?
LAFCADIO HEARN, Trois fois bel conte... (1939) 97
Fenm là pa réponne, y fessé pié-y à té ; y trappé yon manche pilon, yon gouôs
baton-lélé.
Pauv boug-là té save ça-ça té lé di : y metté distance toutt suitt, - y pouend là-
ge épi fisil y.
Rivé dans coté balisié - y té ka fai yon ti bouin nouè déjà, - y gâdé tou-patout.
Ça y té ka fai pou ritoùné à case li ? - fenm-là té ké batt-y pou sû.
Y màché, y màché, y màché dans fond grand bois. Enfin y ouè, assous yon
bouanche zàbe, yon bel zouéseau qui té ka posé. Toutt plimm li té couleu lézautt-
fois - ou té ké jiré yo té ka clèré.
Nhomme-là pa té capon piess : y bien gàdé bête-là qui té ka balancé cô lî, pa-
ci, pà-là ; - y tenne zouéseau-à chanté. Y té ka chanté tout doucement : -
Nhomme-là ouè bien ça té pa yon bête BonDié té fai ; - y té gouôs conm yon
ti manmaille.
Diné té ja paré ; - té ni assous tabe yon migan-choux 43, quèques volants fritt ;
yon bon babacha 44 qui té ka fai vini dleau adans bouche - enfin, enfin... toutt sôte
bon baggaïe.
Fenm-là metté toutt ça dans gade li pou dimain ; y té lé mangé anni zibié-à. -
Ma fouè, y té assez gouos pou nourri toutt famille-à.
En bon mitan sommeil yo, vente toutt moune commencé bouilli ; - cété touffé
tou-bomiement. Dans chaque boudin yo tenne yon voué té ka chanté : -
Pa bonhè, yo toutt fini pa vomi toutt zibié-à pace sans ça yo té ka senti lan mô
té ké vini. Yo tenne chanté aloss : -
Cé moune-là té prête pou mô. Poutant yo trouvé lafôce enbas zié zibié-à qui té
ka fai la maniétise assous yo. Ça fai yo châché épi trouvé jouq denié plimm li.
Quand zouèseau-à té bien soucré cô y, épi y té ouè toutt plimm li té là, y chan-
té pressé pou yo : -
Yo bien payé goumandise-là. Zouéseau té pressé yo. Y té doué rivé adans bois
avant jou ouvè ; -aussi y fai cé moune là tchoué cô yo ; - y fôcé yo pou metté li
assous mêmm bouanche zàbe 45 là yo té trouvé y là. Quand y rivé, douvant jou, y
chanté pou yo pendant y té ka touné pa-ci, pà-là : -
- « Toutt paouôle pa bon pou di ; toutt mangé pa bon pou mangé : Songé, ma
chè, conm di conte-là.
« PÉ-LA-MAN-LOU »
« Bo-bonne fois...
Manman li, épi da li, té ka pàlé y toutt jou ; mais sans tiré profit. Enni grand
zoreï qui té ka manqué y pou li té toutt sanm yon ti milet.
Toutt moune té ka prédi y malhé, jouq yon ti chien y té ni, qui té ka ouè ça vi-
ni.
Pouloss yon jou, y sôti allé lapromenade épi manman li, - té ka fai bel temps.
Ces dé moune-là té ja màché yon bon ti bouin, quand ti gaçon là fai réflexion
y té blié ti soufflett-li.
LAFCADIO HEARN, Trois fois bel conte... (1939) 102
Pouloss y manqué mô quand y ouè douvant y yon chouval épi dé grands cônes
qui té barré chimin-là.
Chouval-à di y conm ça : -
- « La ou sôti, ti bonhomme ? - C'est lhè toutt yche douè-tett épi manman yo, a
caïc yo. »
- « Ou sa soufflé ? »
Ti manmaille-à réponne y
- « Oui... »
Gouôs Chouval à di
- « Soufflé ba moin. »
Plam !
Pauv piti là metté y à couri pli bèl. Li té connaitt yon conte ka di : - « Bon pié
ka sauvé mauvais cô. » Mais y pa té fai dix pas quand y tenne conm yon gouôs
vent. Douète douvant li, y ouè yon dragon qui té ka vini assous y. Zié bête-là té
plein difé : yo té ka clairé conm lantène lacitadelle.
Bète-là crié y
Plam ! »
Tala encô cé yon bon diabe - pitett y té ni ti yche à caïe li, y songé yo, pitett, -
pisse y di ti gaçon là :
Ti manmaille-à pati plis vite encô. Li metté pié li adans tête y ; li té si pè, zié y
pa té ka ouè arien. Pouloss, y tenne toutt razié ka craqué, - yon desôde couru yon
tranmmanetè : Li gàdé ça y ouè ?
La-Bête-à-sept-têtes ;
Y té ni quatôze zié qui té ka lancé zèclai épi tonnè. Dent y té longue conm
bambou Mône Ououge. Lakhé y té ka fait sept fois tou cô li, épi y trainé encô sept
grand lièues.
Toutt té di. Manman y pa té pé trouvé bon matin anni yon ti zo ti yche li là, -
coté ti soufflett-à qui té ka fai toutt ça rivé.
LA BLEU
« Bo-bonne fois...
Yon lépoque la plie té tombé tout plein : toutt sôuce té sale : mais manman-là
pa té lé save ça ; - cé pauv yche-là té beau ka chàché dleau prope pàtout ; - li té ka
batt yo quan mêmm.
Pouloss, yon jou Totoye té ka pleiré gouôs dleau bô lanmé, assous ti volée qui
té k’attenne li lanmaison pou sû. Y tenne pla, pla, plapp adans gravouè là ; épi y
ouè rivé assous y yon bel pouésson.
Li pouend ti couï ti fi la ; - y fai yon ti trou dans dleau, épi y pôté ti couï-là ba
y, toutt plein yon dleau qui té ka di bouè.
Mais fouè-à té faché ouè yo fai cachotri épi y conm ça ; li di dans dents li :
« Moin ké veillé ou, macoumè ! » ; y té malin conm yon ti rinà.
Bonhè, quand jou lévé, Totoye pàti encô épi ti calebasse li. Rivé-li-rivé, li ka
tenne màché deïé y ; lika ouè té fouè li qui té ka suive li. Li di y conm ça : -
- Tounè lan maison, mon fi, - moin pa bousoin ou ici-à ; - viré, moin di ou ! -
viré ! »
Ti gaçon-là doucé sésé-y : li té save bonté khù li, - épi y té save aussi Totoye
té yon ti bouin sotte.
- « Non, sésé, laissé moin ici ; moin pa ké fai aïen. Si ou lé, moin ké touné dos
- ça qui simié encô, mi panié qui là : metté moin enba y. Pa ni moyen ouè, quan
ou là. »
Totoye té yon ti bouin sotte, pou pa di enpile : fouè y té ni lésprit pou dé. Pou-
loss y couté ti bonhomme là ; - épi li vancé tou près bô lanmè.
Li chanté - -
— « La Bleu, La Bleu,
Vini pou moin ainmein ou !
La Bleu, La Bleu,
Pou moin caressé ou ! »'
LAFCADIO HEARN, Trois fois bel conte... (1939) 107
Yon zéclai pa té ké ni temps clairé qu'yo tenne batt dleau-à qui fai yon bel lé-
cume - épi bel pouésson-à paraitt.
Y té bel passé lézautt jou pou ça qui té connaitt li - tanqu'y té content ti lamitié
là.
Ti fouè là pa té pède aïen - conm zautt save 47 déjà - Jouq tems li rivé lacase,
ti chanson-à té ka dansé dans tête-li, pou pa té blié li. Totoye,, ti imbécile-à, bien
mandé y . -
- « Ah non, Sésé, tanque moin rété dans noué, gadé, zié moin ka pleiré dans
jou. »
Yon ti pé assous lé tà, Totoye pàti fai travaill y dans campagne. Sitôt y té pàti
ti gàçon-là crie manman y ; - li di y toutt ça y té ouè ; - li mênm fai couè moune là
Totoye té engagé épi diabe.
Li conté ça ba mari y. Mari y pa ouè adans toutt ça anni yon bel pouésson pou
li pouend... Pouloss toutt moune-à fai complô assous tête ti malhérèse-là.
mênm, épi li pàti passé lanuit épi nénneine y. Ça té bien loin ; mais Totoye màché
vite, vite, - li té ni temps rivé avant soleï-couché.
Pouloss y metté chimin dans pié y : Lannuitt pa té 'nco tombé lhè y rivé lacase
nénneine y. Nénneine-là té bien content ouè y : mais y pa té malade piess épi
piess. Li di li 48 :
- « Manié c'est yon conmission yo fai mal, chè ti doudoux ; mais m.oin bien,
bien content ouè ou. »
Dépi lhè ti fi là toùné dos, manman-à, papa-à, ti fouè 'tou, conmencé metté
derhô toutt zouti yo tini, - gouôs rhâche, gouôs coutla, gouôs rhappon, côde gouôs
conm bouas, yo préparé toutt baggaie-à douvant jou.
Lanuitt té paraitt yo longue, longue, longue : yo lévé yo bon matin. Jou lévé,
yo té ja assous sabe. Papa-là commencé chanté :
— « La Bleu, La Bleu,
Vini pou moin ainmeîn ou !
La Bleu, La Bleu,
Pou moin caressé ou ! »
— « La Bleu, La Bleu,
Vini pou moin ainmein ou !
La Bleu, La Bleu,
Pou moin caressé ou ! »
— « La Bleu, La Bleu,
Vini pou moin ainmein ou !
La Bleu, La Bleu,
Pou moin caressé ou !... »
Dleau-à bouilli làmênm, fai yon bel lécume : épi yo ouè pli sipèbe pouèsson
qué té ni. Yo té content ; yo té sû tala té ti zanmi-là.
Zautt save, douvant poule ravett pa ni raison... Avant tems moin sé pé conté ça
ba ou, toutt moune té tombé assous pouesson là. Pauv bête y té débatt tanque y té
pé ; - Mais papa là té save metié li, -yo rhâché Pouèsson en pièce, li té fouèdi toutt
suite.
Rivé-li-rivé pa coté parage la case, li gàdé lanmè ; - li trouvé li yon drôle cou-
lè : yo té ké jiré di ça té sang. Li trouvé ti lacroix-là renvèsé ; - chaplett y peide
dans sabe.
Li vini pâle, pâle - Khè li té ka tombé dans pié y. Sans paren-li ouè y, y filé
derhô, ka couri assous route lanmé conm yon folle. Moune qui ouè y té ké jiré di
guiabe té deïé y.
— « La Bleu, La Bleu,
Vini pou moin ainmein ou ;
La Bleu, La Bleu
Pou moin caressé ou ! »
Pouloss, yon ton piti boutt lakhé qui té ka chappé dans massacre-là, voltigé
douvant zié y, - ka fai y yon réproche. Ti manmaille à té manqué mô quand li ra-
conté toutt ça qui té rivé.
Ça té fini, janmain dans moune encô li pa té képé allé acase moune là qui té ka
tchouè bel zami y. Lacase nénneine li té trop loin.
Chouval-à réponne y : -
LAFCADIO HEARN, Trois fois bel conte... (1939) 111
— « Non Manmzell, non Manzelle, ou trop joli fi Pou moin fchoué ou, touné
case manman ou... »
Lion gàdé ti lai trisse y : - poùtant c'est pa yon bête sensibe. Li reponne y
conm ça . -
Ti fi là chanté :
Bête-là, zautt save, pa ni en pile patience ; y té pè mal fini épi ti fi-là. Y pàti
toutt suite, - quitté y toutt sèle.
Pauv piti là ka chigné pli fô. Y vancé dans fin, fin bois ; - là y té k'sû trouvé ça
y té lé.
Léfant, zautt save, c'est yon bête ka ni poids ; li pa ka rimié conm y lé. Pou-
loss y rété là apouès y té fini réponne ti fi là. Li ennuyé léfant tanque ; - li chanté
ba y combien fois : -
Li réponne : -
- « Moin pa connaitt ça ; mais moin save, pauv mafi, c'est yon mangé qui pa
ka digéré ; c'est yon gale qui pa ka guéri. Si ou lé moin ké renne ou sévice, passé
deïé moin. »
NANIE ROZETTE
« Bo-bonne fois...
Pa pàlé moin assous yche goumand ; c'est pli vié désôde qui ni assous la té.
C'est épi giaule diabe ka méné moune lenfè quante y lé.
Pou li mangé cété toutt yon zaffai, - a fôce y té pè moune té mandé y yon ti
bouin adans.
Yon jou yon ti vouésine vini passé lajounein lacaïll-li. Lhé mangé, Manzell
pouend zassiett-li, plein toutt sôte bon baggaïe ; migan, zabocat, épi farine ; cou-
bouyon cirique, poi'ngôle ; lamori fritt épi chatrou en pimentade. Li sôti derhô
pou châché yon bon ti coté pou y toutt sèle,
Pàtout pa té bon.
Là té ni yon chein.
Là té ni yon ti chatt.
49 V. variantes.
LAFCADIO HEARN, Trois fois bel conte... (1939) 115
Là té ni tropp mouche.
Là té ni yon parot
Là té ni tropp froumi.
Enfin, li fini pà trouvé, loin, loin, loin, coté yon ravine, yon gouôs ouôche qui
té rhaut conm case. Li trouvé cououage pou monté jusse enlai-y.
- Vini ouè bel zaffai-là ! Manmzelle à pa té pé rimié côli piess ; - y té collé as-
sous ouôche-là conm lacolle-fôte.
Li commencé crié : -
Pa bonhè pou li, li tini yon manman. Cé yon baton, tala, qui pa ka janmain
cassé dans lanmain moune. Pouloss quanne sulutà, manman Nanie pa ouè [li] la
case, li commencé batt bois.
- « Aie 1 pauv yche-moin, c'est ça ou fai pou to la jounée jôdi là. C'est assous
Ouôche-Diabe ou monté, mafi ! qui qualité malhé pou moin ! »
Nanie commencé pleïré pli fô. Y lé metté y douboutt ; y pa pé. Yon rafale
dleau sôti dans zié-li.
- « Ato mafi, pa fai bêtise ; pouend gàde pa ouvè pou pèsonne. C'est anni kan
moin ka chanté ba ou, faut ouvè. Pa blié ! - pa blié, non ! »
Manman-à pàti aloss pou vini jusse dimain bon matin. Mézanmis, zautt ja
douviné Ouôche-là té Ouôche-Diabe-la goumandise.
Aussi quan nouè faite, Diabe-là vini chaiché ouôche-li. Cété là yo té ka fai
sabbat-la-ronde Satan, tout ça conm ça - épi toutt zombi, Soucouyan, loupgarou,
agoulou. Toutt cé Engagés-là té bien fâché, ou ka comprenne. Ouôche-là té ka
sévi yo pou tab pou diabe té frotté yo graisse sépent, l'houile-moune-mô, fosfo, -
enfin toutt zingrédienn zombi ka ni bousoin pou clairé la nuitt.
« Nanie Rozette,
Moin di ou,
Nanie Rozelle,
Dita Rozette,
Dita Rozette,
C'est moin, Nanie ;
Baqui di, bagui di, quin !
C'est moin, Nanie ;
Dita Rozette, dita Rozette
C'est moin, Nanie. »
Mais, zautt, Diabe-là pa té loin. Li té là, serré enba yon touffe bambou tou
près. Li tenne épi ouè toutt ça yo fai. Li té ka ri dans bàbe li ; langue y té ka bien
filé.
LAFCADIO HEARN, Trois fois bel conte... (1939) 117
— « Nanie Rozette,
Moin di ou... »
Diabe-là, mézarnis, li pàti toutt làfoce y oti fôgeron qui té ka rété dans chimin
Croche-Mô. Y di fôgeron -à :
- « Compé, batt langue moin, - renne y toutt mince ; - moin doué chanté pou
yon noce. Moin ké ba ou mille francs pou ça. »
Fôgeron-à pouend pli gouôs marteau y té ni ; épi li batte li batt encô, jusse
tems y paté pé batt encô. Diabe payé y, épi y pati. Y té p'encô sizhè.
Alors y chanté : -
— « Nanie Rozette
Moin di ou
Nanie Rozette,
C'est moin, Nanie ;
Bagui di, bagui di quin !
C'est moin, Nanie ;
LAFCADIO HEARN, Trois fois bel conte... (1939) 118
Diabe té content ; y baill làgent-là ; épi li pàti li filé vite, vite, vite.
— « Nanie Rozette,
Moin di ou,
Nanie Rozette
C'est moin Nanie !... »
Loss manman-à rivé, yon toutt ti bouin tems apouès, li trouvé anni môceau
robe, épi yon ti zos qui raconté ba y ça qui té rivé. Li pleïré conm yon manman sa
pleïré assous yche-li.
50 V. variantes.